Vous êtes sur la page 1sur 120

Collection

Pratiques et enjeux pédagogiques


dirigée par Michel Develay

© ESF éditeur 1997


Division de la société Reed Business Information - SAS de
4 099 168 €
Forum 52 - 52, rue Camille-Desmoulins, 92448 Issy-les-
Moulineaux cedex
Président : Antoine Duarte
Direction de la publication : Antoine Duarte
10e édition 2011

www.esf-editeur.fr

ISBN 978-2-7101-2379-8
ISSN 1275-0212

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L.122-5, 2° et 3° a), d’une
part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non
destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un
but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite
sans le consentement de l’auteur ou ses ayants droit, ou ayants cause, est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Jean-Pierre Astolfi est professeur de sciences de l’éducation à
l’université de Rouen. Dans le cadre de l’Institut national de
recherche pédagogique (INRP), il a conduit des recherches en
didactique des sciences, et est l’auteur de nombreuses
publications. Ses travaux se centrent sur les conditions à
réunir pour que les apprentissages scolaires aboutissent à
une maîtrise effective des savoirs par les élèves.
Ouvrages de Jean-Pierre Astolfi
Quelle éducation scientifique, pour quelle société ? en collaboration
avec A. Giordan et al., Paris, PUF, 1978.
La didactique des sciences, en collaboration avec M. Develay, Paris,
PUF, Que sais-je ?, 1989.
Compétences méthodologiques en sciences expérimentales, en
collaboration avec B. Peterfalvi et A. Vérin, Paris, INRP, 1991.
L’école pour apprendre, Paris, ESF éditeur, 1992, 8e édition, 2007.
Didactique des sciences de la vie et de la terre, fondements et
références, en collaboration avec R. Demounem, Paris, Nathan, 1996.
Mots clés de la didactique des sciences, en collaboration avec E.
Darot, Y. Ginsburger-Vogel et J. Toussaint, Bruxelles, De Boeck, 1997.
Comment les enfants apprennent les sciences, Paris, Retz, 1998.
Éducation et formation : nouvelles questions, nouveaux métiers, (dir.),
Paris, ESF éditeur, 2003.
La saveur des savoirs, disciplines et plaisir d’apprendre, ESF éditeur,
2008.
Table des matières

Introduction

1. Quel statut pour l’erreur à l’école ?


Le tapis roulant des connaissances
Des acquisitions « naturelles » ?
Les erreurs comme « ratés » de l’apprentissage
La double négation de l’erreur
Les modèles sous-jacents
« Vos erreurs m’intéressent ! »
L’erreur, indicateur de processus
Le postulat du sens
La faute, la bogue et l’obstacle
L’erreur qui cache le progrès
L’erreur créatrice

2. À l’ombre de Bachelard et Piaget


Erreur et épistémologie
Empirisme et positivisme : deux tendances à combattre
Pas de méthode garantie contre l’erreur
Changements de paradigmes
Du côté de chez Bachelard
Qu’est-ce qu’un obstacle ?
Erreur, difficulté, blocage...
Du côté de chez Piaget
Qu’est-ce qu’un schème ?
Les déséquilibres, moteur du développement
Le fonctionnement de l’équilibration
Pourquoi les bateaux flottent ?
Deux références, sans amalgame
La légèreté de l’esprit et sa lourdeur

3. Une typologie des erreurs des élèves


L’erreur plurielle
La compréhension des consignes
La direction insolite du questionnement
Que signifie « analyser, expliquer, conclure » ?
La question n’est pas toujours interrogative (et
réciproquement)
Des consignes à l’apprentissage
Habitudes scolaires et mauvais décodage
Raisonner (résonner ?) sous influence
Fausses erreurs, fausses réussites
Les obstacles didactiques
Le témoin des conceptions alternatives
« Tu bois un verre de bière... »
Quelques « recettes »...
La prise en compte didactique
Opérations intellectuelles impliquées
Les champs conceptuels
Des variables didactiques
Centration sur l’élève, centration sur le contenu
D’étonnantes démarches
Trois leviers
Surcharge cognitive
Les deux mémoires
Et l’orthographe ?
La mémoire qui planche
D’une discipline, l’autre
Le transfert, oui... mais lequel ?
Traits de surface, traits de structure
Postuler et organiser le transfert
La complexité propre du contenu
Les définitions contradictoires de la tangente
Erreurs et triangle didactique

4. Professionnels du traitement de l’erreur ?


Pas l’affectivité !
Erreur et professionnalisation
Prendre à « bras-le-corps » le processus didactique
Contre la « constante macabre »
Le diagnostic
Imperfections et potentialités
L’attribution interne
Le traitement stratégique
Erreur et angoisse
Erreur et violence

Bibliographie
Introduction

Le problème de l’erreur dans l’apprentissage est sans doute aussi ancien que
le projet d’instruire lui-même. Pourtant, l’erreur est dans la vie quotidienne
d’une affligeante banalité et le bon sens n’hésite pas à répéter qu’il n’y a
que ceux qui ne font rien qui ne se trompent pas... Dans bien des activités
qu’ils pratiquent, du sport aux jeux électroniques, les jeunes la considèrent
d’ailleurs comme source de défis, comme objet de compétitions amicales et
passionnées, comme occasion de dépassement de soi. Sans doute parce
qu’ils ressentent qu’ils apprennent quelque chose de plus à l’occasion de
chaque essai qu’ils tentent.
Tout change à l’école, où l’erreur est plutôt source d’angoisse et de stress.
Même les bons élèves y sont pris par la peur de rater, et chacun a conservé
l’impression forte de ses séjours incommodes et gauches face au tableau, ou
seulement des jours où le crayon montait et descendait la liste nominale du
professeur... dans les parages de sa position alphabétique ! L’objectif
premier de chacun, dans la classe, est peut-être en premier lieu de
s’arranger pour passer chaque jour entre les gouttes. Ce ressenti scolaire
très particulier n’est-il pas lié à la perception qu’ils sont là face à des
activités codées, dont ils ne maîtrisent pas le sens et sur lesquelles ils ne
parviennent pas à avoir prise ? Souvent, les élèves en difficulté n’établissent
pas de relation claire entre les performances dont ils sont capables et les
notes qu’ils obtiennent. Leurs résultats leur paraissent plutôt la conséquence
d’autres variables qui leur échappent, comme la malchance, la « nullité » de
l’exercice, voire leur horoscope ou même le sadisme du maître ! Ils
attribuent à leurs erreurs des causes à caractère externe et se vivent
volontiers comme victimes de ce qui arrive.
Est-on d’ailleurs jamais certain d’avoir répondu ce qu’il faut ? Tantôt cela a
paru facile alors que le résultat déçoit, tantôt on a peiné à répondre et on
reste surpris et déçu en découvrant - trop tard - que ce qu’il fallait répondre,
on le savait... Je garde personnellement quelques souvenirs d’une scolarité
pas si mauvaise, au cours de laquelle plusieurs fois je n’ai pas su estimer le
pourquoi des notes obtenues. Une année, j’ai récolté de médiocres résultats
en physique tout le premier trimestre sur des problèmes de vases
communiquants auxquels je ne comprenais rien, jusqu’au jour où j’ai réalisé
qu’il suffisait, bêtement et mécaniquement, de considérer un niveau de base
horizontal quelconque et d’égaliser ce qui se passe dans les deux branches
du tube. À la composition du second trimestre, j’ai ainsi pu avoir 20/20 et
j’en suis resté tout ébahi, avec le sentiment étrange de n’avoir pas vraiment
progressé. Aujourd’hui encore, je ne suis pas si sûr d’avoir tout compris...
En français et en histoire, j’ai connu des années fastes, d’autres bien plus
ternes, et j’ai même fait l’expérience d’être dans le « collimateur » du prof,
sans pouvoir m’expliquer les décalages. Je ne crois pas avoir travaillé
différemment d’une année à l’autre. Bref, la vie scolaire, c’est toujours le
risque de la douche froide.
Dans ce livre, nous tenterons de saisir d’abord quels statuts assez variés
peuvent avoir les erreurs scolaires, et comment cela peut se répercuter
positivement sur les ressentis précédents. Nous examinerons ensuite les
fondements théoriques sur lesquels nous appuyer en ce domaine, puis nous
tâcherons de sérier les erreurs selon leur diversité de causes et d’origines.
Car, loin de constituer un phénomène homogène, elles peuvent faire l’objet
d’une analyse contrastée débouchant sur une typologie. Pour finir, nous
nous demanderons comment nous comporter face à elles, en tentant de
réfréner les allergies qu’elles nous causent, tout en évitant la permissivité.
L’erreur, en effet, paraît un bon analyseur des modèles pédagogiques ; elle
est la pierre de touche d’une plus grande professionnalisation en cours du
métier d’enseignant.
1. Quel statut pour l’erreur à l’école ?

Tout éducateur ne rêve-t-il pas d’un monde idéal dans lequel ce


qu’apprennent les élèves serait le miroir conforme, le calme reflet de ce
qu’il a enseigné ? Certes, se dit-on, le principe de réalité nous oblige bien à
accepter (au moins à tolérer) que le monde soit imparfait, sans toutefois
parvenir à éliminer cette aspiration. Il y a du paradis perdu dans cette quête
du « sans faute », mais nous verrons qu’il y a là méprise sur ce qu’est - et
sur ce que peut être - apprendre, si l’on prend ce mot au sérieux.
Les choses sont redoublées par le fait que l’école est rêvée comme étant
elle-même le reflet de la science (au sens large du mot, c’est-à-dire quelle
que soit la discipline de référence), science dans laquelle justement ne se
glisserait nulle erreur, grâce au génie et aux vertus de la « méthode » des
chercheurs. Là encore, nous le verrons, l’épistémologie contemporaine nous
oblige à réviser cette position, la science étant de moins en moins pensée en
termes de « victoires » de la vérité sur l’erreur, mais plutôt comme la
construction et l’usage de modèles successifs, chacun comportant sa vision
du monde et sa « part de vérité », mais aussi ses points aveugles. Comme le
dit parfaitement Edgar Morin, il convient de « toujours montrer la relativité
d’une connaissance, sa dépendance par rapport à l’observateur et aux
conditions d’observation, sans oublier qu’un grain de connaissance sur un
plan peut se payer par une ignorance sur un autre. »

Le tapis roulant des connaissances


Cette aversion spontanée pour l’erreur, et le rejet didactique qui en résulte
souvent, correspond d’abord à une certaine représentation de l’acte
d’apprendre, représentation largement partagée par les enseignants, les
parents et le sens commun.

Des acquisitions « naturelles » ?


Quelle est-elle cette représentation ? Quelque chose comme un mécanisme
régulier et progressif qui se mettrait en route quand on apprend bien.
Quelque chose comme un « tapis roulant » de connaissances progressant au
rythme d’un système d’engrenages bien huilés, et permettant l’ancrage du
savoir en mémoire, sans détour ni retour. L’idée n’est-elle pas que si le
professeur explique bien, s’il veille au bon rythme, s’il choisit aussi les
bons exemples et si, bien sûr, les élèves sont pour leur part attentifs et
motivés, il ne devrait - normalement - survenir aucune erreur ?
Ne parle-t-on pas volontiers, dans cette perspective, de « progression
pédagogique » pour décrire la succession des activités de la classe, comme
si la progression curriculaire (à charge magistrale) et la progression
intellectuelle (à charge des élèves) allaient nécessairement de pair ? Nous
en arrivons même à penser, dans une telle logique, que d’une leçon à
l’autre, d’une semaine à l’autre, et même d’une année à l’autre, on pourra
compter sur ce qui a été « vu », « fait ». Comme si voir et faire entraînait
naturellement des acquisitions, sur lesquelles on pourrait tabler a priori
sans méfiance pour aller plus loin.
Samuel Johsua a critiqué, dans un esprit comparable, ce qu’il appelle le
« mythe naturaliste », lequel imagine qu’on puisse établir un parallèle terme
à terme entre le processus de découverte scientifique (chez le chercheur) et
le mode inductif d’acquisition des connaissances (par l’élève). Méthode
scientifique et méthode pédagogique seraient ainsi calquées l’une sur
l’autre, mais une telle homologie ne se vérifie guère, pas plus pour les
sciences que dans les autres domaines (Johsua, 1985). Le principal écueil de
cette conception, c’est qu’elle donne une vision trop unificatrice des choses,
exempte de contradictions comme de problèmes ; d’où ce terme de
« naturaliste » employé par Johsua.
La science s’apprendrait « silencieusement », en correspondance avec la
mise en ordre du réel qu’elle opère, tout comme on a pu parler d’une
méthode « naturelle » pour la lecture. Les apprentissages sont alors conçus
comme des découvertes calmes, étales, sans aventures, soubresauts ni
passions, et c’est sans doute pour cela que l’école valorise chez les élèves
les qualités correspondantes, préférant ceux qui effectuent régulièrement et
silencieusement leur travail à ceux qui prennent des risques sur les chemins
de traverse.
Les erreurs comme « ratés » de l’apprentissage
En vertu d’une telle représentation, les erreurs ne peuvent avoir d’autre
statut que celui de « ratés » d’un système qui n’a pas correctement
fonctionné et qu’il faut bien sanctionner. Et cela se traduit de plusieurs
façons convergentes. Je qualifierai la première de « syndrome de l’encre
rouge ». Dès qu’une erreur est perçue, le réflexe quasi pavlovien, c’est bien
de souligner, de biffer, de matérialiser la faute sur le cahier ou la copie.
Avant même de savoir si cela aura quelque utilité en termes didactiques,
nous nous sentons incapables d’agir autrement. Nous nous livrons ainsi à
d’interminables et épuisantes corrections, sans illusion sur leur efficacité ni
même seulement sur le fait que les élèves les prendront en compte, mais
nous persévérons quand même. À ce jeu, on s’use vite, on s’aigrit même.
Pourquoi tant de masochisme ? Sans doute nous y sentons-nous presque
« moralement » obligés, à moins que cela relève de la décharge musculaire
du correcteur ! On n’y échappe pas parce que cela touche à l’identité
professionnelle, à l’idée que nous nous faisons de l’action et des devoirs de
l’enseignant : les élèves verront au moins que « j’ai corrigé »... Peut-être
aussi les parents et l’administration, dont on craint à juste titre le jugement,
si par malheur on a « laissé passer des fautes ».
La seconde perception, plus intime et même pénible pour les maîtres, c’est
que les erreurs repérées chez les élèves les remettent eux-mêmes en
question à travers un certain constat d’inefficacité de l’enseignement donné.
Quelque chose a résisté à nos explications. Plus peut-être : à notre désir
d’expliquer, sinon même à un fantasme (?) de toute puissance pédagogique.
Il y a ainsi « quelque part » de l’agacement et du dépit quand les élèves
commettent ces erreurs qu’on avait tout fait pour éviter. La sanction prise
serait alors réactive : si évaluation négative des élèves il y a, n’est-ce pas
qu’on se sent soi-même évalué, dévalué, c’est-à-dire mis en cause quant à
notre valeur professionnelle et personnelle ? D’autant que celui qui sait tend
toujours à minorer le « prix cognitif » pour l’apprenant, dans la mesure où
les opérations mentales qu’il maîtrise lui deviennent invisibles et indolores.
Nous y reviendrons : cela s’explique aussi bien d’un point de vue piagétien
qu’en vertu des modèles actuels de la mémoire. Ce qui a été automatisé ne
nous « coûte » plus, et il nous faut donc faire effort pour réaliser que ça peut
encore coûter aux autres... D’ailleurs, n’est-il pas banal, quand on explique,
de glisser dans la conversation qu’en réalité « c’est facile » ? Les élèves
évidemment grincent des dents en silence, car ils ne peuvent que vivre cela
comme un déni - même involontaire - de leur peine. Eux préféreraient
percevoir davantage de compassion empathique envers les difficultés dont
ils ne se sortent pas. Ils aimeraient qu’on reconnaisse (et qu’on le leur dise)
à quel point ils « galèrent ».
Une troisième perception pourrait être celle du vertige ressenti à l’idée de
« plonger » dans ce qui se passe dans la tête des élèves. C’est que le savoir
dont nous disposons a son côté protecteur : il nous donne des réponses et
cela rassure. Rentrer dans le maquis des explications des élèves, mettre à
jour toute cette gangue résistante, cela fait peur à l’idée qu’on risque de s’y
noyer sans plus être en mesure d’en sortir. La crainte de s’engluer nous
inquiète sur ce que deviendrait le fil de la progression, tant il est difficile de
mettre bout à bout la logique du savoir et la logique des élèves. Eux nous
tirent vers les marécages quand nous aspirons à l’air des cimes. Il est alors
plus acceptable, en toute bonne foi, de se fâcher et quelquefois de sourire,
notamment quand on est face à des « perles » qui alimenteront le sottisier.
Mais peut-être qu’on rit jaune ! C’est ici qu’on peut citer cet extrait si
connu des premières pages de La formation de l’esprit scientifique de
Gaston Bachelard, quand il écrivait :
« Les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’est possible,
ne comprennent pas que les élèves ne comprennent pas. Ils imaginent que
l’esprit commence comme une leçon, qu’on peut toujours faire une culture
nonchalante en redoublant une classe, qu’on peut faire comprendre une
démonstration en la répétant point par point. » (Bachelard, 1938).
C’est évidemment illusoire et Bachelard, qui fut professeur de physique
avant de s’intéresser à l’histoire des sciences et à l’épistémologie, s’en
rendit vite compte. Soixante ans après, ces propos n’ont pas pris une ride.

La double négation de l’erreur


On comprend que, face à un tel inconfort de situation, les enseignants
évitent au maximum de croiser l’erreur sur leur chemin. Quand malgré tout
(et malgré eux) ils s’y trouvent confrontés, ils peuvent réagir selon deux
attitudes symétriques :
soit par la sanction, qui peut être comprise comme un sursaut de
réassurance, face à l’abîme qui vient d’être décrit ;
soit au contraire par un effort de réécriture de la progression, masquant
peut-être alors quelque culpabilité latente.
Dans le premier cas, le statut de l’erreur est celui d’une « faute », avec
toutes les connotations moralisantes associées au terme. Dans le second,
c’est plutôt celui d’un bug (ou d’une « bogue » selon la traduction française
de ce terme informatique) quand se découvre un « lézard » dans l’écriture
d’un programme. La première attitude met l’erreur à charge de l’élève et de
ses efforts d’adaptation à la situation didactique. La seconde la met à charge
du concepteur de programme et de sa capacité à s’adapter au niveau réel de
ses élèves.
En quoi cette double attitude est-elle symétrique ? Le premier élément
commun, c’est que l’erreur y est regrettable et regrettée, qu’elle possède un
statut négatif auquel on cherche à remédier, même si les moyens mis en
œuvre sont différents. Le second élément commun concerne une
survalorisation des savoirs disciplinaires. Ceux-ci sont tantôt vécus comme
un texte intangible dont chacun se doit de respecter et de mémoriser les
termes (même quand on est conscient du fait que ce texte est
périodiquement nuancé, rectifié, voire invalidé sur certains points par les
progrès mêmes des disciplines). Tantôt au contraire, ils font l’objet d’un
traitement craticulaire d’analyse de la matière, « mise au carreau » disent
les sculpteurs (rappelons-nous les dérives de l’enseignement programmé)...
mais en oubliant au passage quelque peu les élèves. Justement - et c’est le
troisième élément commun - l’acte d’apprendre s’y trouve également
minoré, réduit au processus silencieux du « mythe naturaliste ».

Les modèles sous-jacents


Le statut didactique accordé à l’erreur apparaît en fait comme un assez bon
révélateur du modèle pédagogique en vigueur dans la classe. Les deux
modèles, sous-jacents au double évitement qui vient d’être décrit, se sont un
temps opposés (dans les années soixante-dix), mais ils ne sont peut-être que
les variantes d’un même rapport au savoir. Le premier, c’est le modèle
transmissif, dans lequel, on l’a dit, l’élève commettant une erreur est dit
« fautif ». Nous n’y reviendrons pas. Le second, c’est le modèle qu’on peut
dire comportementaliste, où l’erreur acquiert un visage différent. Il est vrai
que les séquences de classe s’y présentent d’une manière moins magistrale
puisque l’activité de l’élève est guidée pas à pas, par une série graduée
d’exercices et de consignes. Vrai aussi qu’il se réclame d’une pédagogie de
la réussite et se donne les moyens d’aboutir au comportement attendu, et de
vérifier son obtention (l’élève est-il maintenant capable de... ?). Mais ce
second modèle, emprunté à la psychologie dite béhavioriste, est fondé sur le
transfert à l’homme du conditionnement animal. Non pas un
conditionnement « répondant » à la manière des réflexes conditionnés
d’Ivan Pavlov, mais un conditionnement « opérant » tel que l’ont développé
James Watson et Burrhus Skinner. L’idée, c’est qu’il est toujours possible
de faire apprendre quelque chose (à l’enfant comme à l’animal), même
quand c’est complexe, à la condition de décomposer la difficulté en étapes
élémentaires, aussi réduites qu’il sera nécessaire, et de renforcer
positivement chaque acquisition partielle, plutôt par récompense que par
sanction.
Le problème du béhaviorisme, c’est que rien ne garantit qu’au
comportemental (externe) correspondra le mental (interne), d’autant qu’il
s’interdit, par méthode, de s’intéresser à ce qui se joue au sein de la « boîte
noire ». Il permet certes d’éviter les erreurs, puisque toute la programmation
didactique en « petites marches » est conçue pour les contourner. Mais c’est
au prix d’un parcours étroitement guidé et pré-jalonné, qui ne préjuge en
rien de l’autonomie intellectuelle qu’aura acquise l’apprenant... quand on
enlèvera l’échafaudage ! Finalement, l’erreur conserve ici son statut négatif
puisqu’on emploie son génie et son énergie à en parer la survenue.

« Vos erreurs m’intéressent ! »


Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron écrivaient déjà en 1970 dans leur
livre célèbre La reproduction : « Lorsque les professeurs plaisantent à
propos des " perles ", ils oublient que ces ratés du système en enferment la
vérité. » Ils se plaçaient évidemment là dans leur perspective sociologique
d’une école reproductrice des inégalités sociales bien davantage que dans
un projet d’apprentissage, mais ils avaient parfaitement perçu, à travers les
erreurs quotidiennes à l’école, la manifestation d’un clivage essentiel entre
les élèves et, au-delà, ils signalaient leur signification didactique.
Les modèles constructivistes, en fort développement ces dernières années,
s’efforcent eux, contrairement aux précédents, de ne pas évacuer l’erreur et
de lui conférer un statut beaucoup plus positif. Entendons-nous bien : le but
visé est bien toujours de parvenir à les éradiquer des productions des élèves,
mais on admet que pour y parvenir, il faut les laisser apparaître - voire
même quelquefois les provoquer - si l’on veut réussir à les mieux traiter.

L’erreur, indicateur de processus


En effet, dans ces modèles, les erreurs commises ne sont plus des fautes
condamnables ni des bogues regrettables : elles deviennent les symptômes
intéressants d’obstacles auxquels la pensée des élèves est affrontée. « Vos
erreurs m’intéressent », semble penser ici le professeur puisqu’elles sont au
cœur même du processus d’apprentissage à réussir, et puisqu’elles indiquent
les progrès conceptuels à obtenir.
Dans sa thèse d’état, la première en France en didactique de la
physique, Laurence Viennot faisait état de ses recherches concernant
le raisonnement spontané des lycéens et des étudiants à propos du
concept de force. Elle montrait, de façon stupéfiante (on s’est habitué
depuis...) que jusqu’à un stade universitaire avancé, beaucoup de
réponses obtenues à des questions simples sont erronées. Il s’agissait
notamment d’indiquer quelles sont les forces qui s’exercent sur une
balle qui vient d’être lancée, dans la partie ascendante de la
trajectoire, et dans sa partie descendante. Comme dans tout problème
de physique, elle demandait aux étudiants de maîtrise de ne pas tenir
compte de la résistance de l’air ! La surprise, c’est qu’environ 50 %
d’entre eux décrivent deux forces quand la balle s’élève, mais une
seule - la force de la pesanteur - quand elle retombe. Dans la partie
ascendante de la trajectoire, ils mentionnent ce que certains ont
nommé un « capital de force », autrement dit une force d’impulsion
que le lanceur confère à la balle et qui s’y emmagasine avant de
s’épuiser en montant. Même si cela est couramment pensé sous cette
forme, tout physicien sait à quel point il faut se méfier des intuitions.
En réalité, cela est bel et bien faux : dès que la balle est lâchée en
effet, si l’on néglige les forces de frottement, il n’y a plus qu’une
force et une seule qui s’y applique : c’est la pesanteur. Mais alors
comment peut-on penser le fait que la balle commence par s’élever
dans un premier temps ?
La surprise était d’abord pour les étudiants eux-mêmes, piqués de s’être
laissés piéger par un problème aussi trivial, alors qu’ils ont l’habitude de se
sortir de situations autrement sophistiquées. Certains, reprenant vite leurs
esprits, confient alors (Laurence Viennot le relate) qu’ils viennent d’en
apprendre davantage sur la physique en un quart d’heure que tout au long
de leurs années d’étude de cette discipline. En effet, cette erreur n’est pas le
fruit du hasard ni de l’inattention. Sans le savoir, et malgré toutes leurs
connaissances académiques de physique (et leurs calculettes
programmables...), les étudiants ont mobilisé « en acte » la vieille théorie
dite de l’impetus (autrement dit de l’impulsion), qui prévalut longtemps et
constitua un modèle admis avant celui de Newton. Ces étudiants ne se
limitent pas à constater, navrés, le caractère erroné de leur réponse, ils
saisissent l’occasion pour faire un pont entre, d’une part, les lois et formules
qu’ils connaissent et appliquent d’ordinaire, et d’autre part, ce qu’on peut
appeler la « physique du quotidien ». Ils mettent ainsi en relation deux
modes de traitement des données dont ils usaient jusque-là de façon clivée :
le raisonnement physique et le raisonnement spontané (Viennot, 1979).
On comprend comment l’erreur parvient à acquérir ici un statut nouveau :
celui d’indicateur et d’analyseur des processus intellectuels en jeu, ce qui ne
ressort absolument pas quand on corrige au stylo rouge. Au lieu d’une
fixation (un peu névrotique ?) sur l’écart à la norme, il s’agit plutôt de
décortiquer la « logique de l’erreur » et d’en tirer parti pour améliorer les
apprentissages.

Le postulat du sens
L’idée essentielle, quand on considère l’erreur d’un point de vue
constructiviste, c’est de renoncer à ce que J. Piaget appelait le « n’importe
quisme ». Aussi bizarre que paraissent les réponses de prime abord, il s’agit
de se mettre en quête du sens qu’elles peuvent avoir, de retrouver les
opérations intellectuelles dont elles sont la trace. Certes, il n’est pas assuré
qu’une réponse qui nous surprend (ou nous irrite) contienne une logique
identifiable, il se peut fort bien même qu’elle soit le fruit de la seule
l’ignorance ou de la distraction, mais voilà : si je pars de ce principe-là, je
cesse de pousser la réflexion au-delà. Et du coup, si du sens s’y trouvait
caché, je m’interdis de pouvoir y accéder. Un processus de fermeture
symbolique se met en route, qui m’offre réponse toute prête au lieu de
poursuivre l’investigation. Comme disait si justement Philippe Meirieu à
propos du postulat d’éducabilité, l’attitude nouvelle n’est pas vraie par
rapport à la réalité qu’elle décrit, mais elle est juste au regard des
perspectives qu’elle ouvre (Meirieu, 1984, 1987). Ce que change cette
perspective, c’est la posture adoptée et les conséquences peuvent ne pas être
minces.
Une illustration en est fournie par une recherche de Gérard
Vergnaud, examinant des réponses d’élèves du Primaire à qui il
demandait de placer une série de dates de naissance sur une droite
orientée. Comme toujours, les protocoles relevés peuvent se classer
selon des « tas » plus ou moins ressemblants. La signification d’un
premier tas paraît claire : les enfants représentent les dates de
naissance d’une façon ordonnée mais équidistante, sans tenir compte
des intervalles temporels. Ils paraissent sensibles à la dimension
ordinale des valeurs qu’ils classent, mais en restent là.

Dans un second paquet, les réponses paraissent beaucoup plus


bizarres : c’est apparemment n’importe quoi ! Jusqu’au moment (et
je me souviens avoir entendu Vergnaud relater ses hésitations et le
temps mis pour y parvenir) où l’on réalise qu’il s’agit d’une tentative
réelle, aussi maladroite qu’elle soit, pour traiter les données. Et pour
en traiter des aspects qui ont échappé aux enfants du groupe
précédent ! Si l’on observe avec précision le second dessin ci-
dessous, on se rend compte en effet qu’ils ont successivement
dessiné 7 petits segments (pour représenter juillet), puis 11 (pour
novembre), puis 1 (pour janvier) puis 12 (pour décembre).
La complexité numérique de ces dates est en effet telle qu’ils laissent
tomber années et quantièmes pour se fixer sur les seuls mois : juillet,
novembre, janvier, décembre. Évidemment, ils ne maîtrisent pas la
question de l’origine et placent bout à bout les segments.
Évidemment, ils ne gèrent pas correctement l’espace de la feuille et
continuent au besoin leur dessin sur la ligne inférieure, suivant un
graphisme en « serpentin »... Mais, aussi empiriques et
approximatives que soient leurs productions, ils sont bel et bien aux
prises avec la résolution d’une difficulté, laquelle n’avait seulement
pas effleuré les auteurs des dessins du premier tas ! De telle sorte que
les représentations les plus bizarres s’avèrent plus évoluées, même si
elles désignent aussi tout ce qu’il reste de chemin à parcourir pour
maîtriser l’ensemble complexe des concepts en jeu et parvenir à
« ponctualiser un nombre ».
En conclusion, « la compétence qui consiste à graduer une ligne et à
subdiviser un intervalle reflète la synthèse entre points et segments d’une
part, entre distance à l’origine et différences d’autre part. Il s’agit
d’opérations de pensée complexes, dont on ne peut être surpris qu’elles
échappent encore à nombre d’enfants jusqu’à 13 ans et plus. » (Vergnaud,
1987). Les schémas ci-dessous indiquent les étapes cognitives d’une telle
ponctualisation.
La faute, la bogue et l’obstacle
On voit ainsi qu’avec les modèles d’apprentissage constructivistes (qui ne
sont pas uniformes), l’erreur acquiert le statut plus enviable d’indicateur des
tâches intellectuelles que résolvent les élèves et des obstacles auxquels
s’affronte leur pensée pour les résoudre. Ce qui fait dire à juste titre à
Michel Sanner : « Si la notion d’obstacle épistémologique est opératoire en
pédagogie, cela signifie qu’il ne suffit pas de reconnaître le droit à l’erreur,
mais qu’il faut s’engager sur la voie d’une véritable connaissance de
l’erreur » (Sanner, 1983). Les obstacles consistent en ce que nous agissons
et réfléchissons avec les moyens dont nous disposons déjà, quand
l’apprentissage consiste à s’en construire de mieux adaptés à la situation.
C’est pourquoi on peut évoquer à leur sujet la célèbre « parabole du
réverbère » d’Abraham Kaplan. Un ivrogne a perdu sa clé et la cherche, de
nuit, sous un réverbère. Un passant complaisant lui demande s’il est certain
de l’avoir perdue là. « Non, répond avec force l’ivrogne, mais c’est ici le
seul endroit où il fait clair. » De façon analogue, les obstacles ne sont-ils
pas les produits de nos façons de penser et d’agir là où nous trouvons qu’il
fait le plus clair ?
L’erreur retrouve ici son étymologie latine d’« errer ça et là », et seulement
au sens figuré, celui d’incertitude, d’ignorance, et même d’hérésie, car
l’erreur a pu mener jusqu’au bûcher... Comment ne pas « errer » quand l’on
ne connaît pas déjà le chemin ? Si quelqu’un nous le désigne, nous pouvons
bien sûr éviter grâce à lui l’errance temporaire, mais nous savons bien que
la première fois que nous serons seul, nous n’éviterons pas d’avoir à nous
approprier, en première personne, ce qui faisait jusque-là l’objet du guidage.
L’erreur a ainsi à voir avec le voyage, dont Michel Serres a montré qu’il est
une figure déterminante de tout apprentissage (Serres, 1991). Mais
attention, il s’agit bien d’un voyage avec ce que cela comporte de
dépaysement et de risque, et non d’un simple déplacement ou trajet balisé.
Il faut citer ici le beau commentaire qu’en donnent P. Meirieu et M.
Develay dans Émile, reviens vite... ils sont devenus fous.
« Il ne suffit pas de faire le chemin à côté de celui qui apprend : le fait que
le guide connaisse l’itinéraire ne supprime pas les terreurs qui naissent au
regard de paysages et de formes inconnues. Le fait que celui qui est à vos
côtés vous explique qu’il a fait mille fois le chemin ne lève pas l’inquiétude
de ne pas en être soi-même capable. Et puis vient toujours un moment où le
guide vous laisse seul avec votre peur, où toute votre volonté se tend dans
un geste impossible, où vous n’êtes plus qu’un pied qui ne peut s’arracher
du sol, qu’une main qui ne peut s’arracher de la paroi. Plus rien, à ce
moment, n’existe autour de vous. Vous n’entendez ni les propos rassurants
de vos camarades, ni les encouragements du guide, ni les menaces des
responsables de l’expédition. Vous êtes seul avec un rocher, un chemin, un
mot. La fatigue vous submerge. Vous vous agrippez à votre mot, à votre
énoncé, à votre idée comme à une branche que vous ne voulez pas lâcher.
Ce détail insignifiant prend des proportions énormes, vous ne voyez plus
que lui. Vous ne bougez plus. Vous voudriez tourner les talons... Puis, tout à
coup, vous trouvez le courage de vous lancer : vos yeux courent sur la page
jusqu’à ce qu’ils trouvent une expression où se fixer, ils s’y attardent et, de
là, vont explorer les alentours. Votre pensée se dénoue, abandonne les
vieilles représentations sur lesquelles elle était fixée, elle se détend et
agrège quelques parcelles de nouveauté, surpris que la chose, à tout
prendre, ne soit pas plus difficile » (Meirieu & Develay, 1992).
La chute de ce texte est particulièrement intéressante car, effectivement, le
problème de l’erreur ainsi comprise, c’est qu’elle s’avère un peu dérisoire
une fois dépassée. Cela ne contribue pas à nous rendre brillant à nos propres
yeux... C’est ce qui arrive à Albert, élève de CM1, faisant un exercice
classique pour chercher le sujet des verbes et les accorder. « Je ne
comprends pas dit-il, ce que ça veut dire que c’est le mot qui commande le
verbe ». La première phrase de l’exercice est accordée sans difficulté, mais
la seconde est : « De l’horizon accour... de gros nuages gris. »
Albert : Le sujet c’est horizon ?
Prof : Rappelle-moi comment tu as fait jusque-là pour trouver le sujet ?
Albert : J’ai posé une question, et là je la pose aussi : Les nuages arrivent
d’où ? De l’horizon. Donc le sujet est horizon.
Prof : Comment as-tu fait ta recherche pour les autres phrases ?
Albert : J’ai cherché : Qui fait... ? Ah oui, ici c’est les nuages ! Mais
pourtant, d’habitude, le sujet est avant le verbe ?
Prof : Eh oui ! Continue...
Albert : Combien de livres possède cette bibliothèque ? Ah là, je vois bien
que ce n’est pas les livres qui possèdent la bibliothèque ! Donc c’est
bibliothèque le sujet. Et sinon ce serait au pluriel.
Un sac contenant des billes de toutes les couleurs étai... posé sur le bureau.
Alors là, je vois bien qu’ils ont fait cette phrase pour voir si on se laisserait
prendre au piège à cause du pluriel de couleurs !
Albert apparaît très consciencieux, soucieux d’intégrer l’apprentissage de la
règle grammaticale, il tire bien de chaque exemple des déductions correctes
et saisit même la règle didactique des « pièges » contenus dans certains
exercices. Pourtant, quelques jours plus tard, devant un exercice similaire, il
« rechute » :
Prof : Te rappelles-tu comment tu cherches le sujet ?
Albert : Oui. Je me demande : Qui fait, etc.
Prof : Allons-y : Dans le grenier dort un gros chat.
Albert : Où est le chat ? Dans le grenier. Alors c’est grenier.
Prof : Peux-tu expliquer ce que c’est le sujet ?
Albert : J’ai appris que c’est le mot qui commande le verbe. Ah, oui ! Je
dois dire : Qu’est-ce qui dort dans le grenier ? Alors, c’est le chat.
Albert est au milieu du gué. Quand il s’exclame par « Ah, oui ! »,il
témoigne à la fois de sa connaissance de la règle et de la maîtrise imparfaite
qu’il en a. C’est encore chaque fois pour lui un travail à refaire.
L’apprentissage n’est pas automatisé. Mais parions que dans quelque temps,
il toisera avec condescendance ceux qui en seront où il en est aujourd’hui
puisque, comme on l’a déjà dit, les difficultés n’apparaissent plus comme
telles à ceux qui les ont surmontées.
Résumant ce qui précède, le tableau suivant regroupe les statuts divers que
peut prendre l’erreur selon les modèles pédagogiques que nous avons
explorés.

L’erreur qui cache le progrès


Apprendre, c’est toujours prendre le risque de se tromper. Quand l’école
l’oublie, le bon sens populaire le rappelle, qui dit que seul celui qui ne fait
rien ne commet jamais d’erreurs. Partis de la faute comme un « raté » de
l’apprentissage, nous voilà en train de la considérer, dans certains cas,
comme le témoin des processus intellectuels en cours, comme le signal de
ce à quoi s’affronte la pensée de l’élève aux prises avec la résolution d’un
problème. Il arrive même, dans cette perspective, que ce qu’on appelle
erreur ne soit qu’apparence et cache en réalité un progrès en cours
d’obtention. Les professeurs de langues, le savent qui constatent parfois,
dans les prises de parole de bons élèves, l’apparition nouvelle d’erreurs que
ceux-ci ne commettaient pas. Il peut certes s’agir d’une bévue ou de fatigue,
mais il arrive que ce ne soit là que fausse régression. Pour éviter les erreurs,
les élèves en effet se cantonnent un moment à l’usage d’une syntaxe bien
maîtrisée, sans prendre le risque de s’aventurer au-delà. Et puis voilà qu’un
beau jour, ils se sentent mieux armés pour tenter l’usage de nouvelles
structures. Il y a fort à parier que ce jour-là, n’ayant pas encore intégré
subtilités et cas particuliers, ils se tromperont dans la construction de telle
ou telle phrase. N’empêche que ce sera un signe de progrès.

Dans une recherche de didactique des sciences concernant les


obstacles à la compréhension des transformations de la matière, nous
avons pu mettre en évidence une diversité de productions et réactions
d’élèves manifestant ainsi de fausses régressions (Astolfi, Peterfalvi
& Vérin, 1997). Le travail portait sur l’interprétation de résultats
expérimentaux en provenance de l’Institut national de recherche
agronomique (INRA) montrant que la masse de tomates que peut
fournir un plant croît en fonction de la teneur en dioxyde de carbone.
C’est l’occasion de faire travailler le concept de photosynthèse dont
les biologistes savent que l’acquisition est toujours délicate et
incertaine. Il y a d’ailleurs à cela de bonnes raisons, c’est-à-dire de
sérieux obstacles. D’abord, parce que le gaz carbonique est considéré
comme un gaz nocif (tout le monde connaît l’histoire du chien dans
la grotte...) et qu’il est difficile de se le représenter comme une
source nutritive pour la plante. Ensuite, parce que, dans la
respiration, ce gaz est rejeté et non pas absorbé. De plus, c’est dans
la terre et par les racines qu’on s’imagine volontiers que les plantes
puisent leur nourriture, et non pas dans l’atmosphère. Enfin,
l’alimentation se conçoit bien solide, à la rigueur liquide... mais
gazeuse ?
Face à ce défi didactique en classe de sixième, Pierre-Yves ne peut
accepter cette idée d’un « CO2 nutritif ». Lorsque l’enseignante lui
demande, en guise d’argument, de lire à haute voix le document
suivant, il reste muet et comme tétanisé : L’enrichissement en CO2
de l’air de la serre a pour conséquence une forte croissance et une
amélioration de la formation des fruits, une augmentation du nombre
de fruits par bouquet, une augmentation du poids moyen et du
calibre des fruits.
Prof : Explique-nous pourquoi tu n’es pas d’accord ?
Pierre-Yves : Ben, le CO2 c’est le dioxyde de carbone. C’est le gaz
que rejettent les plantes et pas ce... celui qu’elles absorbent !
Prof : Bon, Qu’est-ce que... Quand l’INRA augmente la quantité de
dioxyde de carbone, qu’est-ce que ça entraîne sur les tomates ?
Qu’est-ce que te dit le texte ?
Pierre-Yves : (Regarde en bas vers le texte)
Prof : Qu’est-ce qu’on obtient quand on augmente la quantité de
dioxyde de carbone ?
Pierre-Yves : (Moue...)
Prof : Qu’est-ce qu’on te dit ? On obtient quoi ? (Il montre le texte)
Pierre-Yves : .....
Élève voisin : On obtient une augmentation de masse, de volume et
puis de matière.
Prof : Oui, on a de plus grosses tomates, on en a en nombre plus
grand. Donc ?
Pierre-Yves : Oui... (ton résigné)
Pierre-Yves ne peut littéralement pas lire la feuille qu’il a sous les
yeux, tant elle vient en contradiction avec ses conceptions de la
nutrition végétale. Il faut que ce soit son voisin qui lise à sa place, et
son acceptation finale est loin d’être enthousiaste... Pourtant, ce
mutisme ne signifie nullement absence d’activité intellectuelle. Au
contraire, il est pris de perplexité face à la dissonance qu’il ne sait
pas gérer entre ses idées personnelles et les données fournies.
Gaël s’emploie beaucoup plus activement à examiner les
compossibilités des choses et propose un dessin assez extraordinaire
par lequel elle combine ce que Pierre-Yves ne parvient pas à intégrer.
Conformément à ses conceptions personnelles, elle fait sortir le CO2
par les feuilles de la tomate (comme un gaz respiratoire) et, puisque
le professeur explique le rôle nutritif de ce gaz pour les plantes, elle
le fait ré-entrer par les racines (comme un élément nutritif) ! Ce
schéma en boucle intègre conceptions préalables et savoir nouveau
d’une façon biologiquement aberrante, mais mentalement
satisfaisante, puisque obéissant à une « bonne forme » : ça tourne !
Juliette apparaît plus scolairement docile. Elle fournit d’abord une
réponse conforme aux attentes de l’enseignant, en acceptant que
l’augmentation de la teneur atmosphérique en CO2 permette
d’obtenir de plus belles tomates. C’est seulement quand une autre
élève évoque le caractère nocif de ce gaz qu’elle se reprend (« Je
crois qu’Audrey a raison ») et explique maintenant « qu’il y aurait
trop de CO2 et pas assez d’oxygène et que la plante s’asphyxierait
comme un être humain. » Elle abandonne la réponse apprise et
récupère en quelque sorte sa propre pensée, laquelle contenait
l’obstacle à l’état latent, l’analogie avec l’homme jouant comme
argument supplémentaire. Amina, elle, répond sans ambages : « Pas
étonnant, nous buvons bien de l’eau gazeuse » (sic).
Cet exemple montre ainsi diverses modalités d’erreurs (y compris par le
silence) qui témoignent de réels efforts intellectuels des élèves pour adapter
leurs représentations d’un phénomène à une situation didactique nouvelle :
par contradiction dissonante, par compromis intégrateur ou par régression
apparente. Seule Amina n’a rien vu venir...

L’erreur créatrice
Il n’est finalement pas d’apprentissage vrai sans tentatives pour tester, dans
un cadre nouveau, des outils dont le caractère opératoire ne s’applique
encore qu’à un champ limité. Par définition, ce genre d’exercice relève de
la prise de risque, faute de connaître avec précision les limites de validité de
la règle ou de la loi, de savoir sérier les cas particuliers ou les exceptions.
C’est là le propre de toute activité de transfert. Or, comme le rappelait le
colloque tenu à Lyon sur ce thème en 1994, le transfert ne concerne pas le
terme de l’apprentissage, postérieur au travail didactique, mais il doit être
pensé tout au long de celui-ci. Toute activité intellectuelle authentique est
capacité à rapprocher deux contextes et le sujet ne progresse que s’il est en
mesure de pratiquer un travail de changement de cadre, d’expérimenter de
façon personnelle les outils qu’il maîtrise aux situations qu’il rencontre
(Meirieu & Develay, 1996). N’est-ce pas ce que fait l’enfant croqué ci-
dessous par Frato, alias Francesco Tonucci, excellent connaisseur du
fonctionnement de l’école comme de l’enfant, et dont les dessins viennent
d’être publiés dans la collection de psychologie des PUF ! (Tonucci, 1996).
Dans ces conditions, bien des erreurs commises en situation didactique
doivent être pensées comme des moments créatifs de la part des élèves,
simplement décalés d’une norme qui n’est pas encore intégrée. Faute
d’accepter de prendre ce risque, on cantonnerait les enfants dans des
activités répétitives, à l’abri des imprévus mais aussi du progrès. Ce dessin
de Frato est heureusement titré : « Le devoir de corriger » !

Dans Avec des yeux d’enfants, Francesco Tonucci, Lausanne, Delta & Spes, 1982.
Il existe finalement un « savoir de l’erreur » comme le disent si bien Jean-
Pierre Jaffré et al., expliquant qu’il faut plutôt orienter et guider les
inventions des élèves que souligner inutilement l’inachèvement
fondamental de leur connaissance. Ils citent ces exemples où un sujet écrit
Le plafond s’effritent parce que « ça fait plein de petites miettes », et Le
chien aboies parce qu’il le fait généralement plusieurs fois. « Justifier,
expliquent-ils, le pluriel par l’expérience renvoie à une représentation
figurative de la réalité qui contamine la compréhension de la catégorie
linguistique. Le phénomène n’est pas seulement à mettre au compte d’une
défaillance dans la représentation de la langue mais est un effet de
l’imaginaire des signes » (Jaffré, Ducard & Honvault, 1995).
On n’a jamais totalement compris. Tout savoir authentique et vivant
comporte son halo de brume et ses zones troubles, de telle sorte qu’il
faudrait se livrer ici à un véritable Éloge de l’imperfection. Seules les
connaissances académiques qui ne servent pas, et les exercices fondés sur
l’application répétitive, paraissent échapper à cette règle, mais ils ne
concernent que de loin l’apprentissage.
2. À l’ombre de Bachelard et Piaget

Il nous faut maintenant plonger davantage au cœur des processus qui


conduisent à l’erreur, en nous appuyant sur les deux références
fondamentales que constituent l’œuvre comparée de Jean Piaget et de
Gaston Bachelard, car chacun à sa manière nous permet d’en mesurer les
enjeux et d’en saisir la portée. Le propos se fera ici plus théorique même si
nous nous efforcerons de l’illustrer au mieux, mais il ne s’agira pas d’un
exposé pour elles-mêmes des deux thèses en présence. Nous nous
attacherons seulement à préciser comment les concepts de schème et
d’obstacle fournissent des éclairages essentiels pour notre propos. Après
quoi nous pourrons reprendre, d’une façon plus analytique et pratique, la
compréhension des types d’erreurs didactiques les plus habituels.
Dès le début de cet ouvrage, nous disions que si le statut scolaire de l’erreur
évolue, sa place est également réévaluée dans le fonctionnement
scientifique des disciplines et l’activité des chercheurs, c’est-à-dire dans ce
qu’on nomme l’épistémologie. Pendant longtemps, ont dominé ce qu’on
nomme l’empirisme et le positivisme, lesquels sont d’ailleurs loin d’être
définitivement morts. De quoi s’agit-il ? En simplifiant beaucoup les
choses, nous dirons que l’empirisme, c’est la primauté accordée aux faits,
avec ce qu’elle suppose comme attitude de soumission passive au réel de la
part du chercheur. Quant au positivisme, c’est plutôt l’idée que l’obtention
de la vérité scientifique passe par l’usage d’une « bonne » méthode dont les
étapes peuvent être formalisées et systématisées. Évidemment, quand le
fonctionnement de la recherche est ainsi conçu, l’erreur n’y a pas de place
véritable, puisque la précision des observations d’une part, la rigueur des
déductions d’autre part, devraient normalement suffire à s’en protéger. Mais
cela donne une image idéalisée de la science qui a peu à voir avec son
fonctionnement réel, et ouvre la porte à tous les mythes scientifiques. On
reviendra par exemple sur l’image d’Épinal concernant Pasteur dont on
célébrait récemment le centenaire.
Erreur et épistémologie
Empirisme et positivisme : deux tendances à combattre
Voyons d’abord l’empirisme. La soumission aux faits n’est plus admise
comme telle aujourd’hui. Non que les scientifiques prétendent s’en
affranchir et s’autorisent à inventer n’importe quelle théorie, à leur
convenance ou selon leur inspiration. Simplement, les données empiriques
ne sont que l’un des éléments de la découverte scientifique, et pas
forcément le premier. François Jacob dit cela très bien :
« La démarche scientifique ne consiste pas simplement à observer, à
accumuler des données expérimentales, pour en déduire une théorie. On
peut parfaitement examiner un objet pendant des années sans en tirer la
moindre observation d’intérêt scientifique. Pour apporter une observation
de quelque valeur, il faut déjà au départ avoir une certaine idée de ce qu’il
y a à observer. Il faut avoir décidé ce qui est possible, grâce à une certaine
idée de ce que peut bien être la réalité, grâce à l’invention d’un monde
possible » (Jacob, 1981).
S’il a obtenu le prix Nobel de médecine en 1965, avec André Lwoff et
Jacques Monod, pour leurs travaux de biologie moléculaire, c’est qu’il
devait quand même y avoir une certaine rigueur dans leur travail !
D’ailleurs il ajoute vite : « Ensuite, joue le jeu de la démarche
expérimentale, joue la confrontation entre ce qui pourrait être et ce qui
est. » Ouf ! Pourtant, c’est sur la liberté du chercheur dans la construction
du problème et l’élaboration des hypothèses qu’il met d’abord l’accent.
Finalement qu’est-ce qu’un fait ? C’est peut-être autant, sinon plus, un
produit construit par la recherche qu’une donnée initiale qui s’imposerait.
On peut même caractériser chaque discipline comme étant une « machine à
construire de nouveaux faits », lesquels n’étaient jamais apparus comme
tels jusque-là. Des choses cachées depuis la fondation du monde, dirait le
philosophe René Girard. C’est vrai pour les sciences de l’homme et de la
société autant que pour les sciences « dures ». La psychanalyse, par
exemple, n’est-elle pas cette « invention » disciplinaire qui nous a dessillés
quant au « fait » que nombre de comportements des jeunes enfants - à
commencer par leurs pleurs, leurs colères et leurs angoisses - sont fortement
sexualisés d’une façon qui engage leur vie future, affective et cognitive ?
Pour établir cela, Freud n’a pas ouvert les yeux plus grands que Charcot et
d’autres avant lui. Il a élaboré un nouveau système théorique cohérent qu’il
a fait interagir avec les données que lui fournissaient ses patients. Il a
inventé un « monde possible ».Mais, objecteront certains, c’est justement
pour cela que la psychanalyse n’est pas scientifique ! Pourtant, Einstein a-t-
il fait autre chose que lui ? La relativité est-elle le résultat d’observations ou
est-elle le fruit d’un « calcul » ? Mais on oublie toujours ce caractère
hautement construit des disciplines et on en « naturalise » volontiers le
fonctionnement. Pierre-Gilles de Gennes a ainsi maintes fois expliqué, y
compris à la télévision, son récent prix Nobel à partir des possibilités
qu’offrent ses travaux pour faciliter l’activité des pompiers. Il lui a suffi,
dit-il modestement, de faire ajouter quelques grosses molécules dans l’eau
des lances afin que celle-ci grimpe allègrement les étages. Il fait ainsi
l’impasse sur les puissantes modélisations mathématiques qu’il a su
pratiquer et qui lui ont valu le fameux prix, alors que sa contribution à la
lutte contre les incendies n’est qu’une retombée indirecte (et sans doute
imprévue de lui). On finirait presque par se demader s’il a obtenu le prix
Nobel ou gagné le concours Lépine ! Je garde personnellement le souvenir
fasciné d’une de ses prestations à la Cité des sciences et de l’industrie de La
Villette où il cherchait à montrer « simplement » un phénomène à l’aide
d’un pauvre transparent pour rétroprojection et quelques gouttes d’eau. On
n’a rien vu... mais je suis certain que lui « voyait » le phénomène qu’il
décrivait !
À l’empirisme s’oppose finalement l’idée d’une construction de modèles
pour pouvoir penser, modèles dont on sait maintenant que la question n’est
pas de savoir s’ils sont vrais mais s’ils sont heuristiques ; modèles dont on
se sert, puis qu’on abandonne, en tant qu’outils qui mettent de nouvelles
réalités sous nos yeux. D’ailleurs, nos yeux (qui sont embryologiquement
un prolongement du cerveau) ne sauraient voir que ce qu’ils sont en mesure
d’interpréter à partir des données déjà enregistrées en mémoire. Le reste
n’est souvent même pas perçu... Dès que les données d’origine rétinienne
remontent le nerf optique, elles sont immédiatement mises en contact
massif avec des afférences venant des différentes zones du cortex. Comme
le dit Pierre Clément, « tout regard est indissociablement interprétation de
ce qui est vu ».
Quelques mots maintenant concernant le positivisme. Voilà vingt ans
qu’André Giordan a lancé le terme OHERIC pour nommer la représentation
fréquente de la méthode expérimentale... et pour la critiquer ! Chaque lettre
de cet acronyme est l’initiale d’une prétendue étape de la démarche :
observation, hypothèse, expérience, résultats, interprétation, conclusion.
Remarquons d’abord qu’en commençant par l’observation, le positivisme
redouble l’empirisme... (Astolfi, Giordan et al., 1978).
Un tel schéma ne rend pas compte, lui non plus, des pratiques effectives de
la recherche. Jacques Lalanne, dans sa thèse, avait suivi « à la trace » un
chercheur en biologie dans son laboratoire et montré que les choses ne
respectaient pas la belle linéarité de type OHERIC, ni son caractère
d’anticipation prévisible. Il avait noté que le travail oscillait sans cesse entre
un ensemble d’hypothèses, un autre d’expériences et un troisième de
résultats partiels, moyennant toutes sortes d’interactions et d’aller-retour,
selon un schéma du genre ci-dessous. Tout chercheur vous dira à quel point
il aimerait bien disposer d’une « voie royale » pour s’orienter et baliser son
chemin. On peut sur ce point regretter que Karl Popper ait titré son livre
classique La logique de la découverte scientifique, parce qu’au-delà du
contenu de l’ouvrage, « logique » n’est pas précisément le mot qui
convient. Du coup, le travail de recherche, rétif à toute logique préétablie,
est consubstantiellement soumis à l’erreur (Popper, 1973).
Pas de méthode garantie contre l’erreur
Savez-vous ce qu’est un oxymore ? C’est une figure de rhétorique qui
associe dans une même expression deux images contrastées pour en tirer
des effets sémantiques riches, voire poétiques (la neige brûlante, le soleil
d’encre, le feu glacé, etc.). De manière volontiers polémique, le
mathématicien René Thom explique que la méthode expérimentale relève
justement de l’oxymore, dans la mesure où les deux mots de cette
expression renvoient à des lignes de sens divergentes. C’est le mariage de
l’eau et du feu :
le mot méthode indique étymologiquement un chemin assuré, suivant
des étapes obligées à la manière d’un algorithme de raisonnement ;
mais le mot expérimental renvoie, lui, à l’idée d’essai, de tentative,
d’exploration, avec tout ce que cela suppose d’errance sinon d’erreur
(Thom, dans Hamburger, 1986).
Le positivisme, c’est s’essayer à codifier des étapes d’un processus dans
lequel joue la serendipité, terme anglo-saxon désignant ce qu’on parvient à
trouver sans l’avoir vraiment cherché (en tout cas sans l’avoir initialement
cherché de cette façon-là). Le vocable est construit sur le nom d’une île
légendaire de la mythologie arabe (Sarandib), située quelque part dans
l’Océan indien et citée notamment par Voltaire. La recherche consiste à
prendre le départ sur une question pour arriver à une autre plus
fondamentale, autrement dit à changer de pied tout en marchant, ce qui,
convenons-en, est une bonne façon d’avancer ! Le travail du chercheur,
c’est alors moins de résoudre des problèmes que de parvenir à bien les
poser, que d’« inventer » le cadre convenable à leur résolution, avec le
langage spécifique qui convient. Un problème bien posé, dit Georges
Canguilhem, est déjà aux trois quarts résolus.
La présentation logique de la méthode scientifique n’est alors qu’une
reconstruction a posteriori, laquelle obéit davantage aux besoins de
communication des résultats acquis qu’elle ne décrit les modalités de leur
établissement. Ce mécanisme reconstructeur est d’ailleurs général chez les
experts, souvent incapables d’expliciter leur propre expertise, et s’écartant
régulièrement de la vérité quand ils expriment leurs procédures. Ce qu’ils
verbalisent, c’est ce qu’ils croientfaire et avoir fait. L’élaboration de
systèmes-experts est pour cette raison un vrai casse-tête et Pierre Vermersch
a consacré un volume à l’entretien d’explicitation, par lequel on peut
parvenir à remettre les sujets dans la tâche et à se rapprocher de la vérité
(Vermersch, 1994).
N’en va-t-il pas de même, mutatis mutandis, dans la classe ? Le « texte du
savoir » ne décrit-il pas un résultat de savoir, usant de méthodologies et
d’un langage qui ne sont pas, comme tels, directement accessibles à celui
qui n’a pas encore fait le chemin correspondant ? On peut toujours le lui
dicter et en exiger la mémorisation, mais on n’évitera pas l’erreur pour
autant, faute d’un véritable accès au sens de la part de l’élève. Là réside
l’illusion des méthodes transmissives.

Changements de paradigmes
Entre l’élève-novice et l’enseignant-expert de sa discipline, s’opère
l’équivalent de ce que Thomas Kuhn a, pour l’histoire des sciences, nommé
un changement de paradigme. Le succès actuel de ce terme un peu
ésotérique oblige à en rappeler les trois sens possibles.
En grammaire, il désigne un « exemple-prototype » qui sert de modèle
pour les autres cas : on dira alors que chanter est le paradigme des
verbes du premier groupe. Dans cette première acception, on peut dire
aussi que Louis XIV est le paradigme de la monarchie absolue, que le
poumon est celui de la respiration.
En linguistique, paradigme s’oppose à syntagme, ces mots désignant
deux axes d’analyse de la phrase. Si l’axe syntagmatique est l’axe
« horizontal » des relations grammaticales entre mots (la syntaxe),
l’axe paradigmatique sera l’axe « vertical » indiquant, pour chacun des
mots, l’ensemble de ceux qui pourraient s’y substituer dans la phrase.
Utilisant cette opposition, Roman Jakobson a notamment montré
comment la fonction poétique de la langue consiste à considérer ces
deux axes comme étant équivalents, à les « rabattre » en quelque sorte
l’un sur l’autre pour créer de nouveaux effets de sens, de nouvelles
images, de nouvelles sonorités.
En épistémologie, enfin, T. Kuhn définit le paradigme comme le cadre
de pensée qui définit la « norme » d’une recherche légitime, dans un
champ donné, à une époque donnée. C’est au fond ce que partagent
implicitement les chercheurs d’une époque, ce que leurs recherches ne
discutent pas parce qu’elles prennent appui dessus de façon commune.
Dans le cadre d’un paradigme, s’effectue ce qu’il nomme la « science
normale ». Mais de temps à autres surgit une « crise » qui ébranle ces
fondements partagés (en termes de théories, de concepts comme de
techniques instrumentales), et souvent les révèle alors de façon
rétrospective. T. Kuhn qualifie de « révolutions scientifiques » de tels
épisodes, et il développe l’exemple, en astronomie, de l’abandon du
paradigme géocentrique de Ptolémée au profit du paradigme
héliocentrique de Copernic (Kuhn, 1972). Ne parle-t-on pas volontiers
de « révolution copernicienne » ? Jouant avec les mots, Edgar Morin a
pu titrer un de ses livres : Un paradigme perdu, la nature humaine.
L’essentiel pour notre propos, c’est que les changements de paradigmes ne
décrivent pas, si facilement qu’on le croit, la victoire de la vérité sur
l’erreur. Chacun d’eux est un système cohérent, qui a son intérêt comme ses
limites, et les comparaisons d’un paradigme à l’autre s’avèrent toujours
extrêmement délicates, les éléments n’ayant pas de correspondance terme à
terme. La science moderne a rendu plus modeste...
On peut évoquer en quelques mots l’exemple de la controverse entre
Louis Pasteur et son concurrent malheureux Félix-Archimède
Pouchet, au sujet de la génération spontanée. Si le premier a conquis
la position prestigieuse de « père de la méthode », Pouchet n’en est
pas pour autant un « mauvais scientifique ». Il refit dans les Pyrénées
les célèbres expériences de Pasteur à la Mer de Glace, remplaçant
seulement l’eau de levure par des infusions de foin, et obtenant
l’altération de tous ses ballons parce que (sans qu’on le sache encore
à cette époque), les propriétés vitales des micro-organismes
concernés n’étaient pas les mêmes dans les deux cas. Plus grave
peut-être, Pasteur se garda de refaire les expériences de Pouchet,
malmenant au passage l’obligation de démontrer la fausseté des
expériences de son adversaire. Il préféra refaire les siennes, qu’il
savait sans surprise ! Maryline Cantor a bien montré comment, ce
qui oppose sur le fond les deux savants, c’est qu’ils ne travaillent pas
dans le cadre d’un même « programme de recherche », et du coup ne
disposent pas d’un langage commun pour s’entendre. Ils ne partagent
ni le même cadre de travail, ni les mêmes thèses de départ, ni le
même mode d’argumentation, ni la façon de conduire les
expériences, etc. (Cantor, 1994). Pasteur, de surcroît, s’appuie de
façon idéologique sur les forces conservatrices du Second Empire
(tout comme il deviendra héros national sous la Troisième
République) et sait devenir légitime quand Pouchet est acculé à la
défensive. L’Académie des sciences ne traite guère à égalité les deux
protagonistes ! C’est dire que si dans la controverse, Pasteur eut
indiscutablement raison, Pouchet n’était pas le scientifique gribouille
et attardé décrit par l’historiographie scientifique. Il était même sans
doute plus scrupuleux, dépourvu toutefois des mêmes intuitions
comme de la même habileté expérimentatrice.
Cet exemple confirme qu’il faudrait cesser de considérer l’histoire des
concepts sur le mode d’un progrès linéaire, par victoires successives de
l’irrésistible et irréversible vérité. L’« idéologie du progrès », qui a dominé
ce siècle, a fait là aussi des ravages... Les théories sanctionnées ont
simplement fonctionné suivant des concepts différents, dont l’heuristique
s’est éteinte à un moment donné au bénéfice de nouveaux paradigmes.
Reconstituer le réseau conceptuel d’une époque donnée est la tâche difficile
des épistémologues, tant sont constants les risques de raisonnement
récurrent.
C’est aussi la difficulté des professeurs pour comprendre les erreurs de leurs
élèves ! Les uns et les autres ne pensent pas avec le même cadre de
référence, n’emploient pas la même logique, n’usent pas des mêmes
concepts... Si ceux que cherchent à diffuser les enseignants sont plus
conformes à l’état actuel des disciplines, ceux que mobilisent en acte les
élèves ont néanmoins leur propre logique, et les erreurs qu’ils commettent
ne sont pas exemptes de valeur.

Du côté de chez Bachelard


Voilà plus de cinquante ans, Gaston Bachelard expliquait qu’« on connaît
contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal
faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même fait obstacle ». Dans la
belle langue qui est la sienne, il accumule les formules et nous en
ramassons ici quelques unes disséminées dans son œuvre :
« Pas de vérité sans erreur rectifiée. »
« En revenant sur un passé d’erreurs, on trouve la vérité en un véritable
repentir intellectuel. »
« Une psychologie de l’attitude objective est une histoire de nos erreurs
personnelles. »
« L’essence même de la réflexion c’est de comprendre qu’on n’avait pas
compris. »
« L’erreur n’est reconnaissable qu’après coup. C’est le passé de la raison
qui se retourne sur elle-même pour se juger. »
« L’homme réfléchi est comme un gaucher contrarié. »
Pour être en mesure d’éviter les erreurs, il faudrait au fond déjà savoir ce
qu’on est justement en train d’apprendre si laborieusement. L’esprit, ajoute
encore Bachelard ne peut « se former qu’en se réformant ». Au cœur de sa
réflexion, il place la notion d’obstacle épistémologique, qu’il faut
maintenant développer en nous appuyant sur l’ouvrage récent de Michel
Fabre : Bachelard éducateur (1995).

Qu’est-ce qu’un obstacle ?


Michel Fabre désigne six caractéristiques complémentaires des obstacles
ainsi conçus.
L’intériorité de l’obstacle
Une fois n’est pas coutume, l’étymologie du mot « obstacle » fait elle-
même obstacle à sa bonne compréhension. Le mot latin obstare évoque « ce
qui se tient devant », ce qui obstrue le chemin, alors que les obstacles nous
sont d’abord intérieurs. Ils ne sont pas « ce contre quoi viendrait buter la
pensée », mais ils résident dans la pensée elle-même, dans les mots,
l’expérience quotidienne, l’inconscient... L’erreur est donc constitutive de
l’acte même de connaître et, selon une autre belle formule, elle est
« l’ombre portée de la raison ». On ne peut donc rêver d’un apprentissage
sans obstacle, ajoute Michel Fabre. Ou plutôt si, dirai-je pour ma part, on
peut toujours rêver...
La facilité de l’obstacle
Avant d’être une difficulté affrontée, l’obstacle est donc d’abord une facilité
que l’esprit s’octroie. Il renvoie au confort intellectuel, au jeu d’analogies et
de métaphores (trop) satisfaisantes, à une « certitude de l’intime ».
L’obstacle, pourrait-on dire, c’est une façon de penser avec l’esprit dans ses
charentaises... C’est pourquoi, explique Fabre, chacun doit se méfier de ses
« philies » plus encore que de ses « phobies » !
Bachelard a ainsi expliqué comment la compréhension du
fonctionnement de l’ampoule électrique (la lampe d’Edison)
nécessite une rupture radicale avec ce qu’on a coutume de penser
depuis l’âge des cavernes et la guerre du feu. Jusque-là, tous les
procédés d’éclairage nécessitaient qu’on brûle une matière : bois,
graisse, pétrole, etc. C’était facile à comprendre parce qu’il suffisait
de « voir » pour comprendre. Au contraire, explique l’auteur,
l’ampoule électrique est un objet scientifique qui contredit l’intuition
première. En effet, si le verre d’une lampe à pétrole par exemple, est
destiné à la protection de la flamme et à l’activation de la
combustion, celui de la lampe d’Edison a pour fonction tout au
contraire d’empêcher qu’une matière ne brûle. Le premier est là pour
éviter les courants d’air, le second pour garder le vide autour du
filament ! Comprendre donc le fonctionnement de l’ampoule
nécessite une rupture épistémologique.
Bachelard emploie une expression curieuse en disant qu’il faut parvenir à
« penser contre le cerveau ». Avec quoi donc alors penserons-nous ? La
bizarrerie du propos s’estompe quand on écoute des psychologues
cognitivistes actuels, comme Patrick Mendelsohn, nous dire que le cerveau
est une fantastique machine attrape-tout pour repérer des régularités. Mais il
ne faut pas confondre règles et régularités : les règles, c’est ce qui est
conceptuellement construit sur des concepts explicites : les régularités,
c’est ce qui est intuitivement mis en correspondance, c’est le fait de classer
spontanément les baleines avec les poissons... Michel Foucault, dans Les
mots et les choses (1966), liste ce qu’il appelle les « figures de la
ressemblance », parmi lesquelles il distingue la convenance, l’émulation,
l’analogie et plus largement la sympathie.
Littéralement, la convenance, c’est pour lui ce qui « vient avec »,
c’est une ressemblance liée à l’espace, « dans la forme du proche en
proche ». Ainsi, dans les discours sur les animaux domestiques, on
est plus enclin à leur attribuer des caractéristiques humaines qu’aux
animaux sauvages.
L’émulation, c’est ce qui peut être regardé comme l’égal d’une
chose, en s’affranchissant cette fois de « la loi du lieu et en jouant,
immobile, dans la distance ». Tout ce qui bouge est ainsi assimilé au
vivant, et l’énergie est synonyme de la vie.
L’analogie superpose les deux figures précédentes, de telle sorte que
la comparaison le cède à une unicité de conception (courant
électrique et courant d’eau, atomes et système solaire,
anthropomorphisme...). Ainsi, selon Michel Foucault, le corps de
l’homme est-il « toujours la moitié possible d’un atlas universel ».
Quant à la sympathie-antipathie, elle n’a plus même besoin d’un
critère observable et « joue à l’état libre dans les profondeurs du
monde » : le poids est attiré par la lourdeur du sol, les racines
poussent vers l’eau et les tournesols vers le soleil... D’autres
éléments se haïssent et se repoussent, mais le schéma est le même.
De telles figures traversent toute la culture, dans ses tentatives d’explication
rationnelle comme dans ses mythes fondateurs ; elles sont présentes tant
chez les alchimistes d’hier et les acupuncteurs d’aujourd’hui que chez les
lecteurs d’horoscopes. Elles sont basées sur la propension du cerveau à
établir des régularités entre les événements et situations. Ce sont elles qui
nous font prendre la pente savonneuse de la facilité, que Bachelard désigne
comme autant d’obstacles à la construction d’une pensée rationnelle, et qui
nécessite selon lui une « catharsis », une véritable conversion mentale.
La positivité de l’obstacle
Dans ces conditions, l’obstacle n’est pas le vide de l’ignorance, mais bel et
bien une forme de la connaissance comme une autre. C’est même un « trop
plein » de connaissances disponibles et déjà là, qui empêche d’en construire
de nouvelles. Le sens commun, c’est le fait de disposer d’une réponse
immédiate à toute chose, là où il faudrait suspendre le jugement.
Bachelard développe l’exemple des feux follets dont on s’est
longuement demandé pourquoi ils disparaissaient vers minuit. Au
lieu de s’assurer de la véracité du phénomène, on accumulait les
explications : froid qui les condense et les empêche de se maintenir
dans l’atmosphère, absence d’électricité qui les empêche de
fermenter... Tout y passe. Dans toutes ces rationalisations
imprudentes, conclut-il, la réponse est plus nette que la question :
« Avant qu’on identifie le fait, on l’explique » ; « Du fait à l’idée, le
circuit est trop court ».
C’est à rapprocher de l’idée de représentation sociale, que Serge Moscovici
définissait lui aussi comme un « modalité particulière de connaissance »
dans un groupe social donné. Ou encore de celle de logique naturelle, dont
Jean-Blaise Grize a montré l’écart avec la logique formelle, mais qui
marche si bien dans les raisonnements quotidiens. Bachelard évoque ici la
force des affirmations premières que ne parvient à dissoudre aucune
expérience nouvelle ni aucune critique : « Dans ces rationalisations
imprudentes, la réponse est plus nette que la question. Mieux : la réponse a
été donnée avant qu’on éclaircisse la question ». Il en va ainsi, en
éducation, de l’irrépressible idée que le niveau des élèves baisse. On a beau
disposer, depuis près de dix ans, de la convergence d’études indépendantes
dans différents domaines prouvant qu’au contraire il monte : rien n’y fait !
C’est que l’obstacle est un « tissu d’erreurs construites », tenaces et
solidaires, et c’est bien pour cela qu’il résiste à la réfutation.
L’ambiguïté de l’obstacle
De surcroît, l’obstacle est ambigu, car tout mode de fonctionnement mental
présente la double dimension d’outil nécessaire et de source potentielle
d’erreurs. C’est un mode de pensée qui n’est pas récusable en lui-même,
mais seulement dans les modalités de son usage. Nous évoquions plus haut
la façon dont les élèves (et les adultes) se représentent souvent la
photosynthèse et la nutrition des plantes vertes. Ces représentations sont
déterminées par un réseau d’obstacles dont les plus essentiels sont
l’aperception des gaz, la pensée catégorielle et une valorisation-
dévalorisation sélective selon les éléments. Le premier obstacle conduit à
l’oubli systématique des gaz dans les raisonnements, dans la mesure où on
ne les perçoit pas de façon sensible, alors qu’on pense sans effort aux
solides et liquides. Le second consiste à penser la nature sous forme de
« tiroirs » disjoints, chaque élément appartenant à une catégorie
« naturelle » (solide, liquide ou gazeuse), même s’il existe quelques
exceptions (telle l’eau qui peut se rencontrer à l’état liquide ou solide). Le
troisième conduit à valoriser ce qui est vivant (obstacle vitaliste) et à
dévaloriser au contraire ce qui est « chimique » (et les gaz sont
chimiques !).
Considérons seulement le second de ces obstacles, la pensée catégorielle,
mise en évidence par Henri Wallon dans le développement de l’enfant : elle
n’est en soi ni juste ni fausse. Catégoriser est une activité mentale utile et
légitime, mais c’est son emploi trop mécanique qui pose des problèmes.
Autrement dit, « ça marche » pour une certaine classe de problèmes, mais
au prix d’erreurs engendrées au-delà. Dans cette perspective, l’obstacle
n’est pas une chose, il remplit plutôt une « fonction » dans une économie de
pensée.
Pensons également à l’usage didactique des analogies et métaphores.
Les enseignants tendent à s’en méfier et à les éviter, de peur que les
élèves ne les prennent pour la réalité. Ce sont pourtant de puissants
outils de compréhension qu’il vaudrait mieux leur permettre
d’« apprivoiser ». Si on s’en démarque en gardant les « mains
propres », ne risquent-ils pas d’en faire un usage plus sauvage - et
finalement incontrôlé -, dans la mesure où cela répond à des besoins
cognitifs incontournables? La connaissance des dangers potentiels
est peut-être la meilleure garantie de leur gestion didactique
raisonnée.
La polymorphie de l’obstacle
L’obstacle ne doit pas être « chosifié », mais il ne peut non plus être
parfaitement délimité ni circonscrit. On ne saurait en « faire le tour » car ses
adhérences sont souvent multiples. Cela renvoie à deux aspects des choses,
et d’abord à la dimension transversale des obstacles. Pour conserver les
exemples précédents, leur fonction d’obstacle n’est pas localisée à la
compréhension des transformations de la matière car l’aperception, la
pensée catégorielle ou la survalorisation se retrouvent dans l’interprétation
donnée à bien d’autres domaines et phénomènes. En adaptant un schéma de
Philippe Jonnaert, on peut user de la métaphore de l’iceberg, et situer les
obstacles comme un niveau profond des représentations des élèves.
La partie émergée de l’iceberg correspond aux représentations d’élèves,
lesquelles sont « locales » parce que relatives à divers contenus enseignés
(en biologie, physique ou chimie), et peuvent paraître indépendantes les
unes des autres. En réalité, elles correspondent à plusieurs occurrences des
mêmes systèmes d’explication que détermine le réseau cohérent des
obstacles en profondeur.
Un second aspect concerne le caractère protéiforme des obstacles, en
relation avec des multiples dimensions. Ils ne se limitent pas au domaine
rationnel mais poussent des ramifications au plan affectif, émotif,
mythique..., à moins d’ailleurs que ce ne soit ces dimensions qui
contaminent inversement le raisonnement rationnel ! Autrement dit,
l’obstacle possède une charge symbolique, relève d’un « réalisme goulu ».
L’exemple de l’estomac est, avec le « mythe de l’intérieur », un des
plus classiques chez Bachelard, dans la mesure où la compréhension
de son fonctionnement apparaît très largement surdéterminée. Cet
organe fait l’objet de toutes sortes d’évocations plus ou moins
rêvées, de la cornue de l’alchimiste au four et à la meule, lesquelles
empêchent de le comprendre dans ses assez plates fonctions
biologiques. Qui n’a pas quelque chose à dire à propos de
l’estomac ?
C’est pourquoi Bachelard réclame, pour son dépassement, une
psychanalyse de la connaissance objective. Toute transformation des
représentations intellectuelles (que faut-il en penser ?) est également, selon
Michel Fabre, un remaniement des identifications (qu’est-ce que je vaux ?)
et une remise en question des idées reçues (qui faut-il croire ?).
La récursivité de l’obstacle
La conséquence de tout cela, c’est que les erreurs ne sont reconnaissables
qu’après coup, une fois que les obstacles ont pu être franchis. Y a-t-il
d’ailleurs jamais franchissement véritable, ou seulement identification ? Il y
a en tout cas quelque chose de métacognitif dans cette reconnaissance.
C’est ce qui conduit Bachelard à dissocier les « fondements » des
« commencements ». Le fondement, dit-il, est toujours récurrent : il vient
de la fin, il émerge du travail enfin réalisé, ce qui permet alors d’identifier
le commencement pour ce qu’il était : un balbutiement infantile. D’où les
expressions initiales de ce chapitre, telles que « repentir intellectuel » ou
« passé de la raison qui se retourne sur elle-même pour se juger ». La
facilité finale s’avère des plus construites et témoigne de l’important travail
intellectuel qui a pu être accompli, et dont elle est peut-être le meilleur
indice. Que de travail pour que les choses deviennent simples et claires !
Le premier contact avec l’objet « nous désigne plus que nous ne le
désignons », il renseigne sur la jeunesse de notre esprit. Rétrospectivement
d’ailleurs, ce sur quoi nous avons buté, ce contre quoi nous avons bataillé,
apparaît bien naïf et contingent... quand ce n’est pas dérisoire. Il y a plus à
raser les murs qu’à pavoiser ; ce n’est pas glorieux. C’est pourquoi Fabre
décrit l’inconscient bachelardien comme étant plus comique que tragique,
contrairement à l’inconscient freudien. Il désigne, dit-il encore, « davantage
la bêtise que le conflit »... Le sens commun est sous le principe de plaisir : il
cherche une clarté immédiate dans l’intuition, le langage ou les images. La
seule issue est alors l’ironie : se moquer de soi-même !

Erreur, difficulté, blocage...


Un tel ensemble de caractéristiques permet de mieux comprendre le
pourquoi de la résistance des obstacles et, à travers eux, du caractère
récurrent des représentations des élèves. Loin d’être un artefact ou un
dysfonctionnement, c’est là une de leurs caractéristiques essentielles. La
résistance est dans leur nature même d’obstacle et c’est d’ailleurs la raison
de l’emploi d’un mot aussi fort. Il faut se méfier du sens obvie du mot
obstacle, qui n’est nullement synonyme de simple difficulté (on a vu que
c’était même plutôt le fruit d’un certain confort intellectuel) ; ce n’est pas
non plus un blocage du système de pensée. Il est l’indice et le témoin des
lenteurs, des régressions, des analogies qui caractérisent toute pensée en
train de se construire. C’est le fonctionnement « naturel » et quotidien du
cerveau, sauf quand celui-ci peut prendre appui sur un paradigme solide et
construit des concepts univoques.
De ce point de vue, on peut définir l’école comme « l’exception du
fonctionnement cérébral » et l’on comprend que Bachelard parle ici
d’ascèse intellectuelle. L’erreur apparaît dans ces conditions comme la trace
d’une activité intellectuelle authentique, évitant reproduction stéréotypée et
guidage étroit ; comme la compagne de toute élaboration mentale vraie.
Elle est le signe, en même temps que la preuve, que se joue chez l’élève un
apprentissage digne de ce nom, qui met en jeu ses représentations
préalables et ses compétences actuelles pour s’efforcer de construire du
neuf.

Du côté de chez Piaget


Si Bachelard alerte sur le fait que les erreurs des élèves sont les indices
d’obstacles qui résistent et qu’on tend à sous-estimer, Piaget a insisté pour
sa part sur le fait qu’on ne peut pas brusquer les étapes. À l’idée d’obstacle
fait ici place celle de « schème », centrale chez cet auteur. Pour lui, les
schèmes sont les instruments de connaissance dont dispose un sujet pour
comprendre et pour interpréter la réalité extérieure. Ils se situent à différents
niveaux, depuis les schèmes sensori-moteurs de la petite enfance (schèmes
de succion ou de préhension) jusqu’aux schèmes opératoires les plus
élaborés de la pensée formelle (schèmes de la proportionnalité) en passant
par une diversité de schèmes d’action.

Qu’est-ce qu’un schème ?


Le mot schème est construit sur la même racine que schéma (du grec :
skhêma, signifiant forme ou figure), tous deux ayant un statut abstrait et
stylisé, mais s’opposant un peu comme l’intention à l’action :
le schéma, bien qu’appartenant au domaine de l’image, conserve un
statut d’objet, aussi épuré soit-il ;
le schème au contraire, n’est qu’une virtualité, et ne désigne pas
l’action elle-même, mais la structure générale commune à un
ensemble d’actions.
Les schèmes ne sont donc pas les actions ni les opérations en elles-mêmes,
mais ce qu’il y a de transposable, de généralisable ou de différenciable
d’une situation à la suivante. Ils correspondent à une « stylisation » des
actions et opérations qui se « schématisent » par répétition, autrement dit à
la structure générale commune aux diverses répliques ou applications de la
même action. Nous dirons, avec Marie-Françoise Legendre-Bergeron, qu’ils
se caractérisent par le fait qu’ils se conservent dans leurs répétitions, se
consolident par l’exercice et tendent à se généraliser au contact du milieu,
donnant alors lieu à des « différenciations » et des « coordinations »
variées. D’où l’apparition de nouvelles conduites, qui s’élaborent à partir
des schèmes initiaux et de leurs interactions adaptatives avec le milieu
(Legendre-Bergeron, 1980).
N’oublions pas, de plus, que le schème constitue une totalité, c’est-à-dire
un ensemble cohérent d’éléments qui s’impliquent mutuellement et assurent
la signification globale de l’acte. C’est ainsi qu’il se distingue d’un simple
automatisme ou d’un conditionnement.
Piaget évoque par exemple, ce qu’il appelle le schème de l’objet
permanent, essentiel dans le développement du jeune enfant. Chez
celui-ci, en effet, l’expérience est d’abord dominée par les aspects
sensoriels : il voit poindre au-dessus de son lit la tête de sa mère qui
à d’autres moments disparaît ; son nounours est tantôt dans son
berceau, tantôt tombé à terre. On sous-estime souvent à quel point
l’intégration par l’enfant de l’existence permanente de sa mère
comme de son nounours, par-delà les moments de leur visibilité,
résulte d’un effort coûteux de construction active. À la discontinuité
des observables, il lui faut substituer un schème de permanence, qui
est le premier invariant construit dans la quête de connaissance.
Mais ce n’est là qu’un exemple, car toute l’évolution intellectuelle
résulte d’une telle construction de schèmes successifs, depuis le
réglage de la préhension (les bébés s’accrochent au doigt qu’on leur
tend et apprennent peu à peu à doser leur force musculaire), jusqu’à
l’acquisition de la proportionnalité. Piaget distingue ainsi des
schèmes d’action, des schèmes sensori-moteurs, des schèmes
opératoires, des schèmes verbaux, etc., dont la description
dépasserait largement notre propos.
Les schèmes sont ainsi, depuis le premier âge de la vie, les moyens du sujet
à l’aide desquels il peut assimiler les situations et les objets auxquels il est
confronté. Ils répondent, selon Pierre Rabardel, à « une organisation active
de l’expérience qui intègre le passé », à « une structure qui a une histoire et
se transforme au fur et à mesure qu’elle s’adapte à des situations et des
données plus variées » (Rabardel, 1995).
Jean Brun ajoute qu’ils ne doivent pas être compris comme des « états » de
connaissance présents en mémoire et directement reproductibles, mais
plutôt comme des « possibles », c’est-à-dire comme des outils non
conscients, susceptibles d’être mobilisés, réactualisés et mis en œuvre face
aux situations nouvelles. Un schème n’est donc chez un sujet qu’à l’état de
virtualité, et « c’est l’action en situation qui décidera en quelque sorte de
l’individualisation du schème. La fonction de représentation joue alors son
rôle ». On s’éloigne ainsi sérieusement, conclut l’auteur, des conceptions
trop mentalistes des représentations, conçues comme « réserves »
d’acquisitions disponibles à tout moment (Brun, 1994).

Les déséquilibres, moteur du développement


Pour Piaget, l’évolution des schèmes au cours du développement est lié aux
déséquilibres que produisent les interactions de l’enfant avec l’expérience et
le milieu et, surtout, aux « rééquilibrations majorantes » qui peuvent
s’ensuivre. Dans son ouvrage théorique majeur (1975) : L’équilibration des
structures cognitives, il explique comment « l’une des sources du progrès
dans le développement des connaissances est à chercher dans les
déséquilibres comme tels, qui seuls obligent un sujet à dépasser son état
actuel. » Seulement, ajoute-t-il, « si les déséquilibres constituent un facteur
essentiel - mais en premier lieu motivationnel - ils n’y parviennent qu’à la
condition de donner lieu à des dépassements, donc d’être surmontés et
d’aboutir à des rééquilibrations spécifiques. Ce sont ces déséquilibres qui
sont le moteur de la recherche, car sans eux la connaissance demeurerait
statique. Ils ne jouent qu’un rôle de déclenchement, puisque leur fécondité
se mesure à la possibilité de les surmonter, autrement dit d’en sortir. »
Par conséquent, « la source réelle du progrès est à rechercher dans la
rééquilibration, non pas naturellement d’un retour à la forme antérieure
d’équilibre, dont l’insuffisance est responsable du conflit auquel cette
équilibration provisoire a abouti, mais d’une amélioration de cette forme
précédente. Néanmoins, conclut Piaget, sans le déséquilibre, il n’y aurait
pas eu de rééquilibration majorante » (Piaget, 1975).

Le fonctionnement de l’équilibration
Il détaille le fonctionnement de l’équilibration en décrivant les alternatives
possibles lorsque surgit un fait nouveau dans l’expérience personnelle de
l’enfant. Ce fait peut très bien ne produire aucune modification dans le
système (c’est sans doute même le cas le plus fréquent), mais il peut aussi
produire une « perturbation » cognitive par rapport au fonctionnement
mental déjà installé. Si l’élément perturbateur est intégré au système, il se
produira un « déplacement d’équilibre », rendant assimilable le fait
inattendu. Ce déplacement permet de combiner une minimisation du coût,
en conservant ce qui est possible du schème antérieur, avec un maximum de
gain, en bénéficiant de la variation nouvelle intériorisée dans le schème.
Par ce jeu des déplacements successifs d’équilibre et par des processus de
décentration de soi, les enfants et les adolescents développent
progressivement leur « équipement cognitif », c’est-à-dire l’ensemble des
schèmes de pensée dont ils disposent. C’est ce qui leur permet d’accéder
peu à peu à l’abstraction la plus élaborée, c’est-à-dire à ce que Piaget
nomme la « pensée formelle » ou pensée « hypothético-déductive », celle
qui est capable de s’affranchir de l’expérience concrète et de l’action réelle
sur les objets, pour entrer dans un monde symbolique, anticiper une réalité
virtuelle et y confronter ses observations empiriques.
Dans ce cadre, les erreurs des élèves peuvent s’interpréter comme la
manière particulière avec laquelle, à différents âges, sont organisés leurs
schèmes. Ceux-ci se transforment et évoluent en interaction avec
l’expérience et le milieu, soit par différenciations (un schème unique se
scindant en plusieurs) soit par coordinations. Bien des réponses qui nous
semblent relever du sottisier ou de l’aberration sont en fait, comme on va le
voir, des productions intellectuelles qui témoignent des stratégies cognitives
« provisoires » que mettent en œuvre les élèves, aussi curieuses qu’elles
puissent paraître à celui qui connaît les bonnes réponses.

Pourquoi les bateaux flottent ?


Examinons sur un exemple qu’ils ont traité en commun bien que de façon
indépendante : celui de la flottaison des corps, comment peuvent se situer
les apports de Bachelard et de Piaget par rapport à la question de l’erreur.
Le premier, dès les premières pages de La formation de l’esprit scientifique
(1938), use de cet exemple pour pointer où se situe l’obstacle :
« L’équilibre des corps flottants fait l’objet d’une intuition familière qui est
un tissu d’erreurs. D’une manière plus ou moins nette, on attribue une
activité au corps qui flotte, mieux au corps qui nage. Si on essaie avec la
main d’enfoncer un morceau de bois dans l’eau, il résiste. On n’attribue
pas facilement la résistance à l’eau. Il est dès lors difficile de faire
comprendre le principe d’Archimède, dans son étonnante simplicité
mathématique, si l’on n’a pas d’abord critiqué et désorganisé le complexe
impur des impressions premières. »
Voilà pour l’obstacle qui, soit dit en passant, nous montre à quel point le
béhaviorisme se trompe quand il propose de commencer par le simple pour
complexifier les choses pas à pas. En réalité, la simplicité, loin d’être
initiale est le fruit même de la construction intellectuelle. La science finit
toujours par ramener au jeu de trois ou quatre formules, faussement
« simples », ce qui a longtemps paru si embrouillé. Bref, on l’a dit, les
fondements ne sont pas les commencements !
Sur le même exemple, Piaget a décrit dès 1927, dans La causalité physique
chez l’enfant, les étapes par lesquelles celui-ci passe quand on lui demande
d’expliquer pourquoi les bateaux flottent. Quatre modes d’explication se
succèdent au cours du développement, qui ont chacun leur cohérence
interne, même s’ils sont faux du point de vue du physicien. Encore faut-il
s’y arrêter pour reconnaître la « logique de l’erreur ».
Les premières explications (4-6 ans) sont que les bateaux
flottent par une sorte de « nécessité morale ». Il est dans leur
« nature » de flotter disent les uns, ils sont « construits par les
messieurs » ajoutent les autres. Le raisonnement est court, et
même tautologique, puisque « c’est étudié pour ».
Ensuite, et c’est plus surprenant, les enfants déclarent que les
bateaux flottent parce qu’ils sont « lourds » ! On tend à penser
qu’à cet âge, ils maîtrisent encore imparfaitement le vocabulaire
et que c’est léger qu’ils voulaient dire... Mais non. C’est que,
vers 5-7 ans, le poids et la grosseur deviennent des signes de
force. Quand c’est lourd, « ça appuie mieux », « ça tient plus
solide », expliquent-ils lors des entretiens pour justifier leur
point de vue. C’est un système de pensée où prédominent les
explications de nature statique et où le caractère changeant de
l’idée de lourd et de fort permet l’adaptation aux observations
contradictoires de l’expérience quotidienne.
Vers 8-10 ans, le raisonnement change à nouveau et le système
devient plus dynamique, comme s’il y avait maintenant une
lutte entre l’eau et les corps qui essaient d’y pénétrer. Lorsque
ceux-ci cherchent à se faufiler, l’eau les repousse en produisant
par réaction « un courant » de bas en haut, dont le clapotis et les
vagues régulièrement observés sont les manifestations
superficielles. Les bateaux sont toujours conçus comme flottant
d’autant plus facilement qu’ils sont plus grands, mais alors
qu’au stade précédent, c’était grâce à leur « force propre », c’est
maintenant en raison de la plus grande réaction de l’eau qu’ils
provoquent.
C’est seulement au terme de cette chaîne d’interprétations
contrastées que dominent à nouveau, vers 11-12 ans (ou même
souvent plus tard si l’on en croit les enseignants scientifiques)
des raisons d’ordre statique. Mais au lieu d’un rapport global
entre la « force du flottant » et la « force totale de l’eau »,
s’établit désormais une relation d’équilibre entre le poids du
flottant et celui du volume d’eau déplacé. Apparaît alors l’idée
de masse volumique, qui est la condition de possibilité pour
comprendre le principe d’Archimède « dans son étonnante
simplicité mathématique », selon l’expression de Bachelard.
Au-delà de tout ce qui oppose Bachelard et Piaget, auteurs contemporains
qui ne se citent mutuellement jamais, cet exemple qui leur est commun nous
rend plus sensibles à la « logique cachée » des erreurs des élèves. Ce
faisant, ils ouvrent de nouvelles voies pour l’intervention didactique, au lieu
de céder au lamento général de la baisse de niveau et au sentiment
d’impuissance qui accompagne l’idée que les élèves sont « bloqués » et
démotivés... Pourtant, l’un et l’autre n’insistent pas sur les mêmes aspects
de la pensée, ce qu’on peut maintenant traduire par le tableau comparatif
suivant.
Deux références, sans amalgame
Comment, dans ces conditions, solliciter leur double parrainage pour
comprendre les erreurs des élèves, sans tomber dans un syncrétisme
inacceptable ? La réponse se situe sur plusieurs plans. D’abord, si l’on ne
peut amalgamer leurs épistémologies sur le plan des cadres théoriques
respectifs, il n’est pas interdit de les « convoquer » toutes deux au service
de questions didactiques, qui ne correspondent directement ni au projet de
l’un, ni à celui de l’autre. Elles prennent alors le statut de référents
complémentaires, pour orienter une action qui ne s’y réduit pas et ne s’en
déduit pas. Ceci dit, on peut reconnaître, chez de nombreux pédagogues et
didacticiens, une inclination préférentielle vers l’un ou vers l’autre.
Chez Piaget, le maître-mot, c’est « développer ». Ce qu’il propose, c’est un
paradigme génétique (au sens de la genèse et non de l’hérédité) et
biologique, dans la mesure où les stades successifs de la pensée sont liés à
la croissance mentale et prennent la suite du développement embryonnaire.
Son modèle est prospectif et « optimiste », puisqu’il s’intéresse à l’avenir
de la raison. Il décrit les schèmes de pensée dans les étapes de leur
construction. Pour cela, il « stylise » le sujet, néglige les caractéristiques
individuelles comme l’histoire de chacun, pour s’intéresser aux structures
du sujet épistémique et aux opérations intellectuelles dont il acquiert peu à
peu la maîtrise. Il ne s’intéresse ni aux bûchettes, ni à la pâte à modeler, ni
aux transvasements de liquides en tant que tels, mais à travers tout cela aux
étapes invariantes qui scandent les progrès de ce qu’il nomme la « pensée
opératoire ».
Mais surtout, il est utile de penser ici à la distinction établie par Maurice
Reuchlin entre formalisation et réalisation, ou à celle qu’a proposée Pierre
Vermersch entre niveau opératoire et registres de fonctionnement. Pour ce
dernier, l’adulte comme l’enfant disposent, en fonction du niveau de
développement qu’ils ont atteint, d’une palette de plus en plus large de
registres de fonctionnement cognitif. Les rééquilibrations majorantes ne
substituent pas de nouveaux schèmes aux anciens mais en développent de
nouveaux plus puissants. L’individu est alors en mesure de mieux
« calibrer » sa conduite de différentes manières. Bref, le progrès intellectuel
qui s’opère n’abolit pas, mais enrichit plutôt, le champ des fonctionnements
cognitifs possibles (Vermersch, 1979).
Bachelard lui, a pour maître-mot « rectifier ». Son paradigme est bien
davantage psychanalytique et historique, dans la mesure où les obstacles
rencontrés renvoient aux lenteurs, résistances et archaïsmes qui affectent la
raison. Son modèle, plutôt régressif et « pessimiste », souligne le passé de
la raison. Il décrit les penchants naturels, les travers et « faux plis » dans
lesquels la pensée tend constamment à retomber. S’il « stylise » également
le sujet, c’est en insistant sur les archétypes historiques et culturels qui
affectent inévitablement notre construction des concepts. Bref, si le premier
auteur est sensible aux promesses d’évolution intellectuelle, le second est
plus vigilant sur les ruptures conceptuelles à contrôler en permanence.
On peut même avancer que la construction des schèmes est à origine des
obstacles... ! Même si elle procure en même temps au sujet l’accès à de
précieuses opérations mentales. En effet, les schèmes s’élaborent
intuitivement et inconsciemment, en réponse aux problèmes pratiques que
rencontrent les enfants et adolescents. Cette forme d’équilibre dynamique
avec le milieu dont ils sont issus ressemble fort aux caractéristiques de la
pensée commune, elle aussi construite par l’expérience, et qui résiste si bien
aux réfutations de la vie quotidienne parce qu’elle en est le fruit. Mais ce
qui était suffisamment élaboré dans le cadre expérienciel ne le sera plus à
l’école, dès lors qu’il s’agira de construire, contre cette pensée commune,
des concepts disciplinaires.
Bref, si les schèmes peuvent générer des obstacles, cela renforce le fait que
ceux-ci soient de vraies connaissances fonctionnelles pour le sujet. On
comprend que Michel Fayol ait pu écrire que « l’une des premières sources
d’erreurs - et sans doute la plus résistante - tient à l’efficacité même de
notre fonctionnement cognitif » (Fayol, 1995).

La légèreté de l’esprit et sa lourdeur


Autrement dit, les étapes de la conquête par le sujet de l’abstraction et de la
décentration de soi, telles que Piaget les a définies, ne sont pas
immédiatement ni systématiquement disponibles. Cela désigne une
potentialité du sujet plutôt qu’un mécanisme automatique, de telle sorte que
la poursuite d’un travail intellectuel original sera chaque fois nécessaire. Ce
que Jean-François Richard exprime fort bien en disant que la théorie de
Piaget est une théorie structurale, qui définit les « conditions de possibilité
des opérations intellectuelles », mais non leurs « conditions de mise en
œuvre dans des contenus spécifiques » (Richard, 1990). Face à Piaget
définissant donc les conditions de possibilité d’un apprentissage, Bachelard
nous désigne la logique cachée des erreurs. Il nous rappelle les libéralités
que s’octroie l’esprit dès que s’abaisse le seuil de vigilance et qu’il ne
fonctionne plus au maximum de son potentiel. C’est hélas plus souvent
qu’on ne le voudrait... De telle sorte que l’activité du sujet est constamment
soumise à rectification puisque là réside la « véritable réalité
épistémologique, puisque la rectification c’est la pensée dans son acte, dans
son dynamisme profond. »
Le premier souligne une aptitude de tout apprenant à construire des règles
rationnelles, à expérimenter de façon nouvelle grâce aux ressources de son
équipement cognitif. Le second force le trait de notre propension à revenir
aux régularités rassurantes du déjà connu, à reproduire à l’économie ce qui
a déjà marché. En d’autres termes, Piaget insiste sur la légèreté
ascensionnelle virtuelle de notre esprit, et Bachelard revient sur sa lourdeur
« expériencielle » répétée, l’une et l’autre s’avérant être symétriquement à
la source d’erreurs dans la pensée et le raisonnement des élèves, mais aussi
des adultes en contexte d’apprentissage.
3. Une typologie des erreurs des élèves

Les détours théoriques auxquels a conduit le précédent chapitre pourront


avoir irrité le lecteur soucieux de l’application didactique de nos propos sur
l’erreur. Il se peut qu’il l’ait même sauté après en avoir rapidement consulté
quelques pages et qu’il se retrouve directement ici. C’est bien là son droit et
les développements qui vont suivre devraient le rassurer. Espérons quand
même, dans ce cas, qu’un peu plus loin il ressentira le besoin (ou au moins
l’intérêt) d’y revenir car la théorie, qui paraît s’éloigner de l’action et des
projets, a pour but d’aider à en comprendre les déterminants profonds,
visibles et cachés.
Soulignons, pour ceux qui ont fait l’effort du détour, un changement de
statut des exemples et illustrations qu’ils ont peut-être noté au passage.
Alors que dans l’ensemble du livre, ceux-ci constituent la base pragmatique
concrète (les erreurs commises en classe) qu’on cherche à éclairer par une
interprétation plus abstraite afin d’en dégager le sens, les choses se sont
inversées au chapitre 2. Là, c’était au contraire le cadre théorique qui
menait la danse et les exemples (car nous nous sommes astreint à les
multiplier) avaient pour fonction d’illustrer le propos de façon plus
« monstrative », dirait Johsua.
Il est intéressant de noter ce double statut des exemples, car c’est aussi le
cas dans la classe. Les élèves sont plus souvent face à du théorique paré
d’exemples ad hoc, qu’en présence d’un réel complexe dans lequel les
concepts permettent de saisir du sens. Les exemples fonctionnent alors
comme des théories matérialisées, secondairement concrètes, ce qui n’est
pas la même chose que de voir la théorie jouer une fonction opératoire
d’analyse du réel. On peut s’interroger sur le paradoxe de la formation, dans
laquelle les enseignants exigent souvent à leur profit ce qu’ils négligent
pour leurs élèves (des savoirs immédiatement opérants), certains se refusant
à effectuer pour leur propre compte ce qu’ils imposent au quotidien de la
classe.
L’erreur plurielle
Jusqu’à présent, nous avons considéré les erreurs d’une façon globale et
générique. Il est temps de les situer dans leur diversité, car selon la nature
du diagnostic opéré, les modalités de l’intervention didactique pour y faire
face vont s’avérer assez diverses. Nous distinguerons donc successivement
ci-dessous :
des erreurs relevant de la compréhension des consignes de travail
données à la classe, dans la mesure où les termes employés pour
introduire exercices et problèmes ne sont pas si « transparents » qu’on
l’imagine, et où la compréhension du lexique de chaque discipline est
semée d’embûches ;
des erreurs résultant d’habitudes scolaires ou d’un mauvais décodage
des attentes, lesquelles jouent un rôle essentiel dans l’activité
quotidienne de la classe et le « métier d’élève » ;
des erreurs témoignant des conceptions alternatives des élèves, dont
on a vu à quel point elles perdurent tout au long de la scolarité et
affleurent dans les productions et réponses de façon inattendue ;
des erreurs liées aux opérations intellectuelles impliquées, lesquelles
peuvent ne pas être disponibles chez les élèves alors qu’elles
paraissent « naturelles » à l’enseignant ;
des erreurs portant sur les démarches adoptées, celles-ci se révélant
très diverses alors que le professeur s’attend à l’emploi d’une
procédure canonique et peut ne pas comprendre le cheminement ou
l’intention de l’élève ;
des erreurs dues à une surcharge cognitive en cours d’exercice, les
limites de la mémoire de travail étant drastiques et la charge cognitive
de l’activité souvent sous-estimée ;
des erreurs ayant leur origine dans une autre discipline, incomprises
dans la mesure où le transfert des compétences requises paraît naturel,
alors qu’en réalité il ne l’est guère ;
des erreurs causées par la complexité propre du contenu, laquelle n’est
pas toujours perçue comme telle par les analyses disciplinaires
habituelles ni dans les progressions disciplinaires adoptées.

La compréhension des consignes


Un premier type d’erreurs est à mettre en relation avec la difficile
compréhension par les élèves des consignes de travail données, oralement
ou par écrit. Il s’y rattache des difficultés de lecture des énoncés des
problèmes et autres textes scolaires. La première raison de ces difficultés est
évidemment que les questions sont plus claires pour celui qui les pose en
connaissant la réponse qu’il attend, que chez celui qui les lit en se
demandant ce qu’il faut y répondre... Le caractère « inversé » du
questionnement scolaire est ainsi source de bien des malentendus, tant est
indispensable une décentration de point de vue pour percevoir ce qui peut
faire difficulté chez celui qui ne connaît pas la réponse.

La direction insolite du questionnement


Yves Chevallard a pointé cette singularité en montrant que dans les autres
situations à caractère didactique (dont le didactique familial ou le
didactique professionnel, par exemple), c’est le « supposé ne pas savoir »
qui questionne un « supposé savoir » de son choix. Dans ce cas, c’est
d’ailleurs l’expert pressenti qui est sur la défensive, sachant que les novices
attendent toujours une réponse concise et instantanée à leur question
(Chevallard, 1988). Ce que ces derniers redoutent par dessus tout, c’est
qu’on leur « prenne la tête » avec un flot d’explications au terme
desquelles... ils oublient jusqu’à leur question initiale ! Ils ont d’ailleurs
tendance à interpréter ce « surplus didactique » comme une façon de noyer
l’incompétence derrière le superfétatoire. L’expert pressent bien sûr ce
risque, mais il a aussi conscience que la demande du novice ne saurait être
satisfaite sous la forme attendue. S’il n’avance pas, même assez brièvement,
quelques clés de compréhension, il sait que la même question se reposera à
la prochaine occasion. Quant au novice, comment pourrait-il avoir idée de
l’étendue de ce qu’il ignore, et de ce que suppose la connaissance ? Au
point où il en est, il s’imagine une réponse factuelle possible et suffisante, et
s’il envisage un approfondissement, c’est pour plus tard. Le plus souvent, il
a un problème pratique à résoudre et il ne veut surtout pas s’embarquer dans
le détour d’une théorie. L’expert sait pour sa part qu’il n’en est rien (mais
comment le faire partager ?), et qu’une compréhension minimale passe par
certaines choses qu’il doit expliquer. On a dit que le didactique scolaire
fonctionne à rebours, de telle sorte que, d’une certaine façon, toute question
est une forme de violence symbolique.
Et puis comment les élèves peuvent-ils distinguer les moments où
l’on attend d’eux une réponse brève, reproduisant presque à
l’identique l’information donnée, parce qu’avant tout destinée à
assurer la compréhension de ce qui va suivre, d’autres moments où
c’est une réponse circonstanciée, construite et originale qui sera
exigée d’eux ? La première fois, on leur dit : « Je ne t’en demandais
pas tant ! » et la seconde : « Ce serait trop facile de se contenter de
recopier la leçon ! » Il leur arrive d’ailleurs fréquemment d’être
surpris par la correction et de s’exclamer alors bruyamment : « Mais
je le savais ! »

Que signifie « analyser, expliquer, conclure » ?


Outre cette insolite direction du questionnement, le suivi des consignes de
travail passe par l’analyse du mode de questionnement et, plus précisément,
par la forme des énoncés d’exercices ou de problèmes. Ainsi, les verbes
d’action que ceux-ci contiennent restent assez énigmatiques, même pour les
élèves de collège. Que signifie : analyser, indiquer, expliquer, interpréter,
conclure... ? Qu’ont-ils à faire exactement quand ils rencontrent cette
consigne ? Plus globalement, ils doivent être capables de distinguer dans
l’exercice ce qui relève des données à prendre en compte, et ce qui
constitue véritablement la question à laquelle il faut répondre.
Plus largement encore, le vocabulaire employé par chaque discipline est
également source de problèmes pour les élèves. Nous retrouverons plus loin
la question des mots nouveaux et du lexique spécialisé pour pointer ici un
aspect plus invisible : le fait que les mots de la langue courante sont utilisés
dans des sens particuliers par chaque discipline et que les élèves doivent
chaque fois effectuer le « cadrage » nécessaire pour comprendre leur
emploi.
Reprenons le petit extrait de manuel de physique reproduit par Britt-Mari
Barth, qui concerne les états de la matière et sert de légende à une belle
photo en couleurs.
« Sur cette photographie, nous observons des rochers, de l’eau, c’est-à-dire
la matière. Tout ce qui nous entoure, visible ou invisible, est de la matière.
Nous voyons ici de la matière sous forme solide (rochers), et de la matière
sous forme liquide (eau). Les vagues se forment sous l’action du vent qui
est un déplacement de l’air. L’air est de la matière sous forme gazeuse »
(Barth, 1987).
C’est là une sorte de « petite leçon » qui comporte quelques surprises.
Chacune des phrases, en effet, ne peut être ainsi construite qu’en vertu de
son insertion dans un enseignement de physique, qui en constitue le
« cadrage ». La première phrase, avec : « des rochers, de l’eau, c’est-à-
dire... » pourrait se terminer tout autrement que par « la matière », si c’était
un manuel de français ou de géographie. Par exemple par : la Bretagne, ou
mon enfance ou les vacances... C’est encore plus net pour la seconde
phrase, où « tout ce qui nous entoure, visible ou invisible » pourrait tout
aussi se conclure par un témoignage de présence divine que par l’existence
de la matière ! Quant à la troisième phrase qui commence par « nous
voyons... »,il est clair que la vision en question est entièrement orientée par
le cadrage disciplinaire. C’est bien naturel mais les élèves risquent
constamment de l’oublier, d’autant que le manuel présente cela sur le mode
de l’évidence, et non pas comme le produit d’un regard instruit sur les
choses.
En parcourant les manuels scolaires par une sorte de « lecture flottante », on
rencontre de nombreux exemples des emplois disciplinaires singuliers des
mots du sens commun. En voici quelques-uns :
En français : accord, agent, antécédent, base, complément, défini et
indéfini, direct et indirect, expansion, fonction, forme, indicatif,
mode, nombre, proposition, possessif, réfléchi, relative, voix...
En physique : attraction, borne, champ, charge, conducteur, corps,
courant, force, fusion, intensité, lentille, neutre, potentiel, puissance,
repère, résistance, source, tension, travail...
En biologie : calcul, canal, ceinture, chaîne, évolution, fonction,
lumière, inspiration, milieu, moteur, niche, noyau, parasite, synthèse,
tissu, veine...
En mathématiques : absolu, application, côté, décomposition,
dérivé, direction, expression, fonction, inconnue, irrationnel, opposé,
relatif, signe, simplification, sommet, suite, valeur...
Qu’y a-t-il de commun entre une expression algébrique, l’expression
d’un gène et une expression familière ? Entre une fonction digestive,
une fonction affine et une fonction grammaticale ? Entre l’expansion
du groupe nominal et celle des Trente Glorieuses ? Entre un pronom
réfléchi, un rayon réfléchi et un élève réfléchi, etc. De tels écarts
dans les usages disciplinaires des mots sont normaux et même
légitimes mais, surtout quand il s’agit de termes d’apparence
anodine, cela interfère constamment avec la compréhension des
énoncés. D’ailleurs, ouvrez un manuel d’une discipline qui n’est pas
la vôtre (dès le niveau de la sixième !) et vérifiez si vous n’êtes pas
obligé de relire trois fois de nombreuses questions, moins pour les
comprendre que pour les « cadrer » correctement.
Examinons maintenant les quelques lignes suivantes, extraites d’un manuel
de mathématiques de quatrième :
a. Poser un calque sur la figure 1 et décalquer l’un des poissons.
Faire tourner le calque d’un demi-tour autour du point A. Que
constate-t-on ?
On dit que les deux poissons sont symétriques par rapport au point
A.
b. Décalquer le logo de la figure 2. Faire tourner le calque autour
du point O. Que constate-t-on ?
On dit alors que O est centre de symétrie du logo.
Cette activité n’est pas choisie pour être particulièrement critiquable.
On y note même des efforts pour mettre en gras (dans le texte) les
choses importantes. Elle témoigne simplement des difficultés
quotidiennes des élèves aux prises avec les textes scolaires. Les
premières phrases sont injonctives et concernent des activités d’ordre
matériel : poser, décalquer, faire tourner. Mais on enchaîne avec une
phrase interrogative : « Que constate-t-on ? » qui produit une chute
bizarre. Il faut sentir qu’il y a dans l’air bien plus que du constat,
sinon on ne comprend rien ! Ligne suivante, après l’injonctif et
l’interrogatif, voilà maintenant une phrase simplement déclarative :
« On dit que... ». Comme elle est tout en gras, il faut l’interpréter
comme une définition interne de la symétrie par rapport à un point,
les poissons n’étant plus là qu’à titre d’exemple anecdotique. En
trois lignes, on a changé d’univers... Et on recommence avec la
partie b.

La question n’est pas toujours interrogative (et


réciproquement)
Pour compliquer les choses, remarquons que les questions auxquelles il faut
répondre n’ont pas toujours une forme interrogative, et qu’inversement une
interrogation dans l’énoncé peut n’être que le fruit d’un souci d’entrée en
matière plus motivante. La question véritable, celle à laquelle il faudra
répondre, se trouve alors un peu plus loin, sous une plus neutre apparence.
Et puis, il arrive qu’il y ait deux questions successives, sans qu’on sache s’il
s’agit d’une simple reformulation, ou s’il faut consacrer à chacune un
développement séparé.

Des consignes à l’apprentissage


Jean-Michel Zakhartchouk a proposé une gamme d’exercices variés
permettant aux élèves de mieux décoder de tels implicites. Il propose par
exemple :
d’analyser quelques « pièges » pour en dégager le bon usage ;
d’examiner les rapports entre les exercices et la leçon qui précède ;
de multiplier les consignes possibles à partir d’un même support ;
d’analyser ce dont on a besoin (matériellement et conceptuellement)
pour réussir un exercice ;
de distinguer ce qui dans l’énoncé est vraiment utile et essentiel ;
d’analyser, de critiquer et de reformuler des consignes ;
de traduire des consignes injonctives sous forme d’un texte narratif ;
d’établir la correspondance entre une série de consignes et une série de
réponses ;
de choisir la « bonne question » ou de rédiger des consignes
correspondant à une réponse donnée ;
d’analyser un ensemble de réponses à partir de la question posée, etc.
On peut aussi inverser les habitudes scolaires et proposer une réponse en
demandant de retrouver quelle pouvait être la question... Tout ceci peut être
fait à l’occasion des activités disciplinaires mais aussi dans le cadre d’une
aide méthodologique ou d’ateliers individualisés. Les deux peuvent
utilement se compléter (Zakhartchouk, 1990).
On retrouve là les fondements de ce que Georgette Nunziati a appelé
évaluation formatrice (ce qui est autre chose que l’évaluation formative),
c’est-à-dire une manière d’intégrer les pratiques de l’évaluation au
processus même d’apprentissage, afin que l’élève soit en mesure de
dégager :
d’une part, les étapes qu’il ne doit pas oublier dans l’avancement de
son travail (critères de réalisation), ce qui lui permet de mieux
planifier la tâche et de ne rien oublier d’essentiel grâce à un répertoire
des actions ;
d’autre part, les caractéristiques attendues du produit qu’il rédige
(critères de réussite), ce qui lui est utile pour une vérification mentale
avant de remettre son travail grâce à une liste d’indicateurs à
autocontrôler (Nunziati, 1990).

Habitudes scolaires et mauvais décodage


Les développements précédents montraient déjà que, pour réussir, l’élève ne
doit pas fonctionner en classe comme enfant ou adolescent, mais comme
« petit spécialiste » de chacune des disciplines. On sait bien qu’en l’absence
de toute schizophrénie, un même individu est susceptible de comportements
divergents. Même chez les adultes, l’automobiliste ne réagit pas comme le
contribuable, lequel n’est pas nécessairement cohérent avec l’électeur ou le
consommateur... !

Raisonner (résonner ?) sous influence


Ce qui caractérise l’élève, explique bien Yves Chevallard, c’est qu’il
« raisonne sous influence », par le jeu du contrat didactique. Il « sait,
ajoute-t-il, « qu’il est attendu et, si le contrat didactique fonctionne bien, il
sait où on l’attend. » De façon convergente et plus largement sociologique,
Philippe Perrenoud parle d’un métier d’élève, grâce auquel se trouvent
décodées les attentes magistrales, implicites quand ce n’est pas
impénétrables (Perrenoud, 1994). Nombreuses sont ainsi les situations où
les réponses données font émettre des doutes sur la « logique de
raisonnement des élèves » alors qu’eux-mêmes, perplexes et hésitants, ne
font que tenter de s’adapter dans l’expectative. On reconnaît là l’exemple,
tant de fois décrit, du problème dit de « l’âge du capitaine ». Mais il s’agit
là d’une rupture massive de contrat didactique puisqu’on les a soumis à une
question stupide. Nombreux sont les cas, plus fins, où ils hésitent entre
répondre à la question posée ou répondre à l’enseignant qui la pose ! Ce que
Nicolas Balacheff appelle la « coutume didactique » peut être interprété
comme une singulière alchimie pour combiner les deux. La classe
fonctionne en effet comme une société coutumière, c’est-à-dire une société
disposant de ses propres règles, mais sans que celles-ci soient édictées,
encore moins formalisées (Balacheff, 1988). N’empêche qu’il faut les
respecter car leur transgression est sanctionnée ! Bien des erreurs
proviennent ainsi des difficultés des élèves à décoder les implicites de la
situation. Avec humour, Gilbert Arsac conte une anecdote de son enfance
scolaire, à travers une question dont il a gardé le souvenir. Celle-ci était :
« Au Moyen Âge, les gens des villes élevaient des... ? ». Amusé, il se
souvient des réponses d’élèves qui fusaient : « Des cochons ! », « Des
enfants ! ». La bonne réponse était évidemment des cathédrales. C’est en
entendant cette réponse que bien des élèves se frottent les yeux et
reprennent pied : bon sang mais c’est bien sûr, nous sommes au cours
d’histoire ! C’est ainsi que se forge, de la manière la plus artisanale qui soit,
le fameux métier d’élève.

Fausses erreurs, fausses réussites


Le problème de ce fonctionnement didactique coutumier, c’est que la classe
fonctionne sur une mécanique, souvent efficace et bien huilée, qui permet
d’aboutir aux bonnes réponses, mais souvent au prix d’un évitement des
apprentissages. On contourne carrément les obstacles, en se débrouillant
pour parvenir à la réponse. Au chapitre précédent, nous avons souligné
qu’existent de « fausses erreurs » pouvant masquer des progrès intellectuels
en cours, et nous y reviendrons. Soulignons ici qu’existent symétriquement
de « fausses réussites » qui, évidemment, se paieront un jour ou l’autre.
On peut formaliser de la façon suivante, les « sept règles
coutumières » essentielles pour résoudre un problème, jamais
enseignées comme telles, mais produites par une intériorisation du
métier d’élève au fil des trimestres. Grâce à l’usage en acte de celles-
ci, il est possible de s’en sortir, même sans bien comprendre le sens
et l’enjeu du problème :
1. Le problème n’a rien à voir avec la vie quotidienne, malgré un
« habillage » qui l’y apparente (problèmes de bornage de champs, de
pièces de tissu... ou de robinets qui fuient !).
2. Il faut savoir que le problème possède une solution et une seule...
et que le maître, lui, la connaît.
3. Sa résolution consiste à extraire les données réparties dans les
phrases de l’énoncé : elles ont une forme numérique et non littérale,
toutes sont nécessaires, aucune n’est superflue.
4. Une fois les données extraites, reste à trouver la « bonne »
opération et à l’effectuer sans erreur.
5. Il faut lire et relire minutieusement l’énoncé, pour décoder le sens
des « petits mots », décisifs mais un peu traîtres, qui changent tout.
6. Si la réponse ne « tombe » pas sur un nombre simple
(éventuellement après des aléas plus compliqués), c’est
probablement qu’on s’est trompé.
7. Reste à vérifier le caractère plausible de la réponse, avant de se
risquer à la proposer oralement ou à la rédiger au propre. C’est
seulement là que le problème se raccorde à la vie pratique.
Si les habitudes scolaires conduisent ainsi à des résolutions coutumières qui
font l’économie d’une construction notionnelle, elles produisent également
des constructions, certes erronées, mais pourtant assez cohérentes. N’en va-
t-il pas ainsi pour l’orthographe ? Marc Campana et le GRAF d’Amiens ont
examiné les fautes concernant les accords grammaticaux au collège. Les
graphies suivantes, pour être aberrantes ne sont pas exceptionnelles à ce
niveau :
(a) Les hommes épuisaient marchés
(b) Les hommes avaient marcher
(c) Les hommes allaient marchaient
Après des années d’enseignement de l’orthographe, on peut légitimement
sentir comme un coup de fatigue ! Pourtant, il s’agit là aussi de règles
coutumières que les didacticiens de l’orthographe décrivent volontiers
comme résultant d’un défaut ou d’un excès de formalisation-
conceptualisation. Autrement dit, des règles valides sont connues mais
beaucoup moins leurs limites d’emploi, d’autres résultent d’une élaboration
coutumière sans lien avec la maîtrise d’un système global. Par exemple :
Après le sujet, vient immédiatement un verbe, donc : Les hommes
épuisaient...
Quand deux verbes se suivent, le second est à l’infinitif, donc : Les
hommes épuisaient marcher.
Quand il y a deux verbes consécutifs, le premier est un auxiliaire et le
second un participe passé, donc : Les hommes allaient marché.
Un participe passé (notion largement incomprise) c’est un verbe, donc
je le conjugue : Les hommes allaient marchaient.
Un participe passé, c’est un verbe-bis, donc : Épuisaient, les hommes
marchaient.
etc.
Ou encore cet autre cas : comment orthographier : Il partit désespérér (?).
Je peux dire : Il partit courir, donc : Il partit désespérer. Désespérant...

Les obstacles didactiques


Évoquons maintenant la question des obstacles didactiques, dont l’exemple
le plus classique est celui des nombres décimaux étudiés par Guy
Brousseau. Si les élèves déclarent avec régularité que 5,43 est un nombre
plus grand que 5,7, c’est qu’ils se représentent les décimaux comme étant
l’assemblage de deux entiers, ceux-ci étant simplement séparés par une
virgule. Et d’où vient cette construction mentale des décimaux jamais
enseignée ? Moins d’obstacles épistémologiques (liés aux difficultés
internes au concept) ou d’obstacles psychologiques (liés aux
caractéristiques cognitives des sujets), que de la nature des situations
didactiques dans lesquelles la notion a été introduite. Or, l’analyse montre
que les relatifs le sont souvent par des exemples où la partie entière et la
partie décimale correspondent à des unités différentes (les mètres et les
centimètres d’une pièce de tissu par exemple), ce qui « ancre » bien des
réponses ultérieures.
Ce genre de phénomène n’est sans doute pas entièrement évitable. Pour une
part sans doute, la prise de conscience conduit-elle à être plus vigilant quant
aux exemples choisis, et à s’assurer qu’une « variable didactique »
inopportune ne va pas obérer la construction conceptuelle visée. Mais peut-
on toujours éviter d’avoir à « reprendre » ce qui fait l’objet d’un premier
enseignement ? À tous les niveaux, règne un « mythe virginal », c’est-à-dire
le fantasme d’être le premier pour un apprentissage. Les précédents ont
forcément gâché l’instant présent en s’y prenant mal. C’est d’abord « la
faute au primaire » mais, jusqu’à l’université comprise, on entend regretter
les enseignements antérieurement dispensés. Les biologistes préféreraient
qu’on se soit contenté de donner aux étudiants des « bases » de physique-
chimie (la biologie, eux, ils s’en chargent). Les physiciens quant à eux,
préféreraient qu’on s’en soit tenu à une initiation mathématique, et les
matheux bien sûr à la maîtrise de la langue... Il faudrait en somme que notre
travail soit toujours parfaitement préparé mais jamais défloré. C’est sans
doute là nier l’idée qu’un apprentissage soit toujours une histoire avec ses
aléas, et rêver à nouveau d’un évitement obsessionnel des obstacles. Mais si
l’on n’enseignait rien qui risque d’être un jour contredit par une
présentation plus approfondie, il serait prudent de ne pas l’entreprendre soi-
même !

Le témoin des conceptions alternatives


Depuis une quinzaine d’années se sont multipliées les recherches relatives
aux conceptions alternatives des élèves (souvent appelées représentations)
concernant les différentes notions enseignées. Nous les avons déjà évoquées
à propos de l’idée bachelardienne d’obstacle. André Giordan et Gérard de
Vecchi en ont donné une intéressante synthèse pour l’enseignement
scientifique dans leur ouvrage Les origines du savoir (1987). Les élèves
n’attendent évidemment pas que vienne dans la progression une leçon sur
les circuits électriques pour se construire mentalement, depuis l’enfance, un
système cohérent d’explications à leur sujet. Nous avons présenté plus haut
l’exemple des explications successives concernant ce qui flotte et ce qui
coule, et analysé les obstacles à la compréhension de la nutrition des plantes
vertes.

« Tu bois un verre de bière... »


Ces conceptions alternatives s’avèrent très résistantes aux efforts
d’enseignement, alors que J. Piaget laissait entendre leur progressive
transformation au cours du développement, et elles se retrouvent, quasi
inchangées, aussi bien à l’entrée en IUFM que chez les étudiants spécialisés
et, bien sûr, chez la grande majorité des adultes ayant achevé leurs études.
On connaît l’exemple classique des dessins obtenus quand on demande de
dessiner schématiquement le trajet effectué, dans l’organisme, par un
sandwich avalé et une boisson qui l’accompagne. La persistance du
« modèle-plomberie » raccordant directement appareil digestif et vessie, par
une sorte de « tuyauterie continue », est vraiment fascinante. Même la
moitié des moniteurs de l’enseignement supérieur, en cours de thèse, restent
prisonniers de cette représentation !

« TU BOIS UN VERRE DE BIÈRE ET TU MANGES UN


SANDWICH… »
C’est l’idée d’un passage de substances à travers la paroi intestinale (mais
aussi à travers celle des capillaires sanguins ou des tubes excréteurs du rein)
qui, même quand elle est connue, s’avère peu disponible et mal mobilisable.
L’obstacle, c’est ici qu’on considère la bouche comme étant l’entrée dans
l’organisme, alors que toute la « lumière » du tube digestif, c’est encore
biologiquement l’extérieur ! Franchir l’obstacle, c’est arriver à considérer
comme véritable entrée, la traversée de la paroi intestinale puis l’accès au
système sanguin puis cellulaire. C’est cette distinction qui donne son sens à
la notion de « milieu intérieur » définie par Claude Bernard. S’y ajoute la
conception d’une digestion des aliments solides au long du tube digestif sur
le mode des seules transformations physiques, par un « broyage » en
fragments microscopiques, au lieu de modifications de type chimique
(même si l’existence des enzymes est connue).
De telles conceptions alternatives résistantes ne se limitent pas à la
biologie. On a vu plus haut le cas du concept de force, étudié par
Laurence Viennot. Presque toutes les notions scolaires, de la
physique aux mathématiques, à l’histoire et à la géographie en sont
affectées. C’est ainsi qu’en histoire, les confusions sont fréquentes
entre monarchie et république d’une part, dictature et démocratie
d’autre part. Surtout en France où, on l’a vu, Louis XIV est le
paradigme de la monarchie absolue. Mais qu’y a-t-il de plus
démocratique aujourd’hui : la monarchie espagnole de Juan Carlos
Ier ou la république irakienne de Saddam Hussein. On confond ici la
question de la démocratie avec celle de la nature institutionnelle du
régime politique. D’autres travaux ont porté sur les représentations
de l’espace géographique, et ont montré que la capitale d’un pays est
presque toujours pensée comme étant la ville principale, située vers
le centre du pays, de préférence sur un grand fleuve. Combien de
pays ont pourtant une petite capitale administrative à côté de
métropoles économiques plus grandes ? Combien aussi ont leur
capitale sur la frontière ?
Pour la géométrie, Rémi Brissiaud a décrit les hésitations d’un élève aux
prises avec un tracé au sein d’un triangle, à l’occasion d’une évaluation de
début de sixième. La question était : « Trace un triangle avec l’un des côtés
en couleur. Puis trace un segment qui joint le milieu du côté colorié au
sommet opposé. » L’élève réalise successivement les trois dessins ci-
dessous, dont deux ont été rayés par lui. Ce sont les représentations que se
fait l’élève du sommet et du côté d’un triangle qui permettent de
comprendre ses ratures et hésitations. Partant comme il le fait de la droite
de la figure, il ne peut arriver qu’au sommet inférieur gauche. Mais
justement, un sommet peut-il se trouver en bas ? Ne correspond-il pas
nécessairement à la partie haute du triangle ? Il a l’air d’en douter puisqu’il
biffe et recommence. Son second dessin est assez semblable, mais il a tenté
de dessiner cette fois un « vrai » sommet en forme d’Anapurna, comme si
ce changement de configuration pouvait changer quelque chose. Dès l’essai
tenté, il apparaît qu’évidemment non, mais il a quand même eu besoin
d’essayer ! Et maintenant il biffe à nouveau.

Pour le troisième et dernier essai, il trace maintenant le segment de manière


à être sûr d’arriver en haut ! Et pour cela, il part d’en bas. Pourquoi n’a-t-il
pas choisi d’emblée cette possibilité ? Sans doute parce qu’il situe plus
volontiers un côté en position latérale et qu’ici c’est plutôt la base... Tout le
problème tourne autour du fait que l’usage géométrique et l’usage courant
de ces termes ne se recouvrent pas.

Quelques « recettes »...


À défaut de prise en compte didactique de telles conceptions, dont on a vu
qu’elles sont structurées de façon sous-jacente par des obstacles
épistémologiques, celles-ci viennent « cohabiter » avec des savoirs scolaires
qui restent des acquis superficiels. Ils sont mobilisés chaque fois que le
métier d’élève incite à les mettre en relation avec le problème ou l’activité,
mais les représentations resurgissent inchangées, souvent dans des
contextes plus simples qui n’apparaissent pas comme liés à l’usage des
concepts disciplinaires.
Comprendre la signification profonde des représentations est un détour
indispensable pour modifier le statut que l’on donne à certaines erreurs des
élèves, mais cela ne suffit pas à leur prise en compte didactique. Il faut
d’abord décider sur quel mode on va les traiter : en les ignorant sans les
méconnaître ? en les évitant ou les contournant ? en les « purgeant » en
début de séance pour y substituer la connaissance nouvelle ? en les réfutant
point par point ? etc. Il apparaît que des prises en compte ponctuelles sont
déjà utiles : ainsi Philippe Jonnaert a pu montrer expérimentalement que
l’introduction de moments d’expression et de prise en compte des
représentations des élèves au sein d’un cours programmé conduit à une
efficacité didactique supérieure (Jonnaert, 1988). Évidemment, en
procédant de la sorte pour des raisons méthodologiquement
compréhensibles (isoler les effets de la variable représentations), il s’est
privé de la dynamique qu’introduisent d’autres travaux, mais ses résultats
sont pourtant déjà positifs.
Gérard de Vecchi et André Giordan proposent, quant à eux, une série
d’autres stratégies possibles :
faire dessiner en exigeant des légendes les plus détaillées
possibles ou, pour les petits, en écrivant ce qu’ils disent de leur
production ;
poser des questions sur l’explication de faits ponctuels,
rencontrés quotidiennement, en demandant des réponses écrites
qui peuvent être complétées par des entretiens ;
demander d’expliquer un schéma pris dans un livre ;
faire choisir et discuter des photos en rapport avec le sujet,
demander d’en sélectionner une de façon projective (technique
du photolangage) ;
faire discuter une autre conception : celle d’une autre élève,
d’une autre classe... ; confronter la classe à une croyance
actuelle ou ancienne, à une explication tirée de l’histoire des
sciences ;
placer les élèves en situation de raisonner « par la négative »
(exemple : et si le soleil n’existait pas ?) ;
discuter sur des analogies, et argumenter sur leur choix
(exemple : un poumon, c’est plutôt une éponge, du gruyère, un
sac de plastique ou un ballon qu’on gonfle ?) ;
travailler les métaphores (exemple : si c’était un pays, ce
serait...) ;
provoquer une contradiction apparente, et laisser les élèves en
discuter (exemples : on dit qu’en expirant, on rejette du
« mauvais air » ; alors pourquoi fait-on du bouche à bouche ? si
l’eau de mer s’évapore pour former les nuages, pourquoi ne
pleut-il pas de l’eau salée ?) ;
faire jouer des jeux de rôles, surtout aux jeunes enfants
(exemples : « je suis l’estomac », « je suis le cœur », « je suis le
sang », « je suis l’eau », « je suis du fer » ; je mime ce qui se
passe quand la température augmente ou diminue), etc. (De
Vecchi & Giordan, 1989).

La prise en compte didactique


On peut en définitive reconnaître plusieurs aspects dans cette prise en
compte des représentations et dire qu’il est nécessaire de :
1. les entendre par une écoute positive de ce qu’expriment les élèves,
faute de quoi l’enseignant reste rivé à son projet didactique et ne
sélectionne, parmi ce que disent les élèves, que ce qui favorise sa
progression prévue.
Or, dans le jeu des échanges didactiques, elles correspondent justement à ce
qui n’est pas attendu/entendu par l’enseignant et qui, de ce fait, risque de se
trouver écarté au profit d’une autre main levée.
2. les comprendre en recherchant la signification de ce qui est exprimé
par la classe, et d’abord en postulant que les erreurs ne sont pas
fortuites mais méritent d’être analysées.
Nous avons vu tout l’usage qu’on pouvait faire ici aussi bien du point de
vue de Piaget que de celui de Bachelard sur les erreurs, et aussi de
l’importance des obstacles dans l’histoire des disciplines. S’il est très
difficile, à la vitesse réelle du déroulement didactique de comprendre la
signification des représentations sous-jacentes aux productions d’élèves,
une formation didactique devrait permettre aux enseignants d’anticiper sur
ce qu’ils risquent de rencontrer en termes de représentations dans leur
classe. Les résultats aujourd’hui disponibles, domaine par domaine,
permettent de dresser une certaine « cartographie » des conceptions
fréquentes (nous en avons cité quelques-unes) et de prendre appui sur des
régularités prévisibles, même si certaines peuvent toujours nous surprendre.
3. les faire identifier, car la première caractéristique des
représentations est leur fonctionnement inconscient, la prise de
conscience par chacun contribuant déjà à leur évolution.
L’expression orale et, a fortiori l’écriture ou le dessin, ont pour fonction de
stabiliser une représentation qui risquerait autrement d’être labile. Il devient
alors possible de la travailler dans la mesure où les élèves seront tentés de la
défendre ou de la justifier en cas de besoin.
4. les faire comparer, ce qui favorise la décentration des points de vue,
les élèves étant souvent surpris par une diversité qu’ils n’imaginent
pas, dans les idées en présence dans la classe, pour expliquer un même
phénomène.
La grosse surprise, c’est la découverte par les élèves que les autres ne
pensent pas comme eux, et le maintien des points de vue différents malgré
les dénégations. Pendant très longtemps, on reste tenté de croire que le seul
point de vue « logique » et défendable, c’est bien le nôtre.
5. les faire discuter en établissant dans la classe un véritable débat
d’idées et en provoquant des conflits sociocognitifs dont la psychologie
indique que ce sont d’importants leviers du développement
intellectuel.
Certes, on peut apprendre grâce à l’exposé d’un plus expert que soi, et c’est
même ce qui se passe assez souvent. Mais il ne faut pas sous-estimer non
plus l’importance de ce qu’on nomme des conflits sociocognitifs. Cette
notion décrit les progrès significatifs qui peuvent être obtenus au sein d’un
groupe confronté à une tâche, même si aucun de ses membres n’est plus
avancé que les autres. Mais cette forme de conflit de points de vue n’aura
d’effets que si, en même temps, s’instaure une coopération et une
interaction pour résoudre en commun la tâche. C’est le fait que chacun des
points de vue en débat soit physiquement porté par une personne coprésente
qui aide chacun à évoluer.
6. les suivre en surveillant leur évolution à court et moyen terme, au
long de la scolarité obligatoire, et d’abord au cours d’une même année.
En définitive, l’accent mis sur les représentations des élèves et leur
évolution positive amène à ne plus considérer uniquement les connaissances
comme des « choses » supplémentaires qu’il faut acquérir et mémoriser.
Même si, bien évidemment, il en faut. Apprendre, ce n’est pas seulement
augmenter son « stock » de savoirs, c’est aussi - et peut-être même d’abord
- transformer ses façons de penser le monde. Nous savons bien, pour nous-
mêmes, que nos moments de découverte essentiels sont souvent ceux qui
nous permettent de voir les choses autrement, sans nécessairement que nous
en sachions « plus ».
Une objection fréquemment entendue contre les formes pédagogiques de
prise en compte des représentations concerne, on s’en doute, la gestion du
temps didactique face à des programmes chargés. Elle vaut certes d’être
examinée sérieusement, mais à la condition d’envisager cette question du
temps mesuré pour toutes les modalités d’enseignement. Car ne faut-il pas
interpréter aussi comme « pertes de temps » cette récurrence de
représentations inchangées, d’une façon aussi diachronique à la scolarité ?

Opérations intellectuelles impliquées


D’autres erreurs sont plus directement liées à la diversité des opérations
intellectuelles pour résoudre des problèmes en apparence proches. Ainsi,
Gérard Vergnaud montre comment les problèmes qui se résolvent par une
addition sont toujours plus faciles s’ils correspondent à un « gain » qu’à une
perte. Si Pierre a 7 billes, qu’il joue une partie et en gagne 5, tous les élèves
du CP ou du CE1 trouvent rapidement que l’état final sera de 12 billes.
Mais s’il reste 7 billes à Paul qui vient d’en perdre 5, et qu’on demande
cette fois combien il en possédait avant de jouer, nombreux sont les élèves
de CM qui hésitent encore. Un certain nombre dit régulièrement 2 (alors
que c’est 12 bien sûr !) parce qu’il est plus difficile d’ajouter des billes
quand elles ont été perdues (par Paul) que si elles ont été gagnées (par
Pierre).
Quant à Thierry, il joue deux parties successives et à la seconde, il perd 5
billes. Sachant qu’au terme des deux parties, son gain total est de 7 billes,
on demande le score de la première partie ! Ici, la moitié des élèves de
troisième échouent, et bien des adultes doivent relire deux fois la question,
même quand on leur a donné le résultat...
Rémi Brissiaud décrit, lui, la difficulté symétrique quand il faut faire
une soustraction dans un problème concernant une augmentation.
Exemple : la maîtresse a 42 cahiers dans l’armoire et le directeur lui
en apporte un carton ; elle en a maintenant 67. Quand on demande
le nombre de cahiers apportés par le directeur, la soustraction est
contre-intuitive jusqu’au CM2 compris.

Les champs conceptuels


La difficulté réside dans la construction très progressive des concepts
d’addition et de soustraction. À la même opération arithmétique peuvent
correspondre des opérations logiques extrêmement différentes du point de
vue de l’effort d’abstraction qu’elles impliquent. Si le problème Pierre est
précocement réussi, c’est qu’il correspond à la conception primitive de
l’addition : donnant un état initial et une transformation positive, on
demande l’état final. Vergnaud formalise le problème de la façon suivante :
La résolution du problème Paul est plus complexe dans la mesure où ce qui
est donné, c’est l’état final et la transformation négative correspondant à la
perte des 5 billes au cours de la parties, et où ce qui est demandé c’est l’état
initial. Il faut dans ce cas, « faire marcher la machine à remonter le temps »
et rajouter à l’état final les 5 billes perdues pour reconstituer ce qu’était
l’état initial, avant la perte.

Quant au problème Thierry, s’il provoque si souvent l’échec, c’est parce


qu’à la difficulté précédente, il porte sur une composition de
transformations, sans qu’on sache rien des états. On ignore combien Thierry
a de billes en poche, au début comme à la fin. Le schéma est alors le
suivant :

Il faut partir de la transformation composée et lui appliquer la réciproque de


la deuxième transformation donnée pour retrouver la première. Autrement
dit, il faut retrouver combien de billes a dû gagner Thierry à la première
partie pour conserver un gain final de 5 malgré la perte sèche de 7 billes à la
deuxième partie. Douze bien entendu !

Des variables didactiques


Le problème est que par manque de formation, les enseignants considèrent
tous ces problèmes comme plus ou moins équivalents et ne sont pas
sensibles aux « variables didactiques » qui les distinguent. Ils ne seraient
pas étonnés de les rencontrer conjointement à la fin d’un même chapitre de
manuel. On comprend qu’ils expliquent alors les différences de scores des
élèves par des raisons pseudo-psychologiques, telles que le manque
d’intérêt ou de concentration des élèves de cet âge, et l’impossibilité de leur
faire faire plus de deux problèmes successifs ! Pourtant, s’ils permutaient
l’ordre de passation, cela n’améliorerait nullement le score du problème
Thierry.
En fait, ils sous-estiment gravement les différences entre les opérations
logiques impliquées (réversibilité et transitivité, travail sur les états ou les
transformations...), alors que c’est l’analyse précise du contenu et de ses
obstacles qui fournit la meilleure clé pour comprendre ces erreurs, trop
systématiques pour être aléatoires. C’est dans ce contexte que Gérard
Vergnaud a introduit l’idée de « champ conceptuel » pour signifier que
l’apprentissage de l’addition et de la soustraction, loin de se limiter à la
connaissance d’un mécanisme de base appliqué à différents contenus plus
ou moins indifférents, passe par des étapes identifiables et se construit dans
le long terme. Le traitement didactique passe alors par une meilleure
hiérarchisation des exercices et activités.
Il en va de même pour l’apprentissage de la lecture, que les
professeurs de collège décrivent régulièrement comme insuffisant et
perturbant leur travail. Sans nier qu’un pourcentage non négligeable
d’élèves soit peu à l’aise en sixième face à la compréhension d’un
texte simple (12 à 15 %), ce n’est pas la catastrophe qu’on dit
volontiers. Ce qui est gravement sous-estimé là aussi, c’est la
nouveauté des textes à lire dans les différentes disciplines et les
difficultés singulières qu’ils cumulent. On se représente faussement
la lecture comme un mécanisme de base qui devrait être disponible
pour lire indifféremment tout texte. Elle correspond au contraire à
une succession de situations-problèmes qui peuvent être
hiérarchisées, et les manuels du collège sont l’équivalent du
problème Thierry ! Les textes explicatifs et argumentatifs qu’ils
contiennent sont très différents du narratif, beaucoup plus familier
aux élèves, la densité informationnelle y est énorme et l’application
de divers indices de lisibilité (Taylor, Flesch-De Landsheere,
Henry...) les situent régulièrement comme des textes difficiles ou très
difficiles. Autrement dit, il serait raisonnable de considérer tant la
maîtrise de l’addition que celle de la lecture comme des
apprentissages à poursuivre tout au long du collège, au lieu de les
considérer en « tout ou rien » et de renoncer face à la tâche à
poursuivre. Quand on poursuit la tâche, elle porte d’ailleurs ses
fruits, même si on ne le perçoit pas ! André Chervel et Danièle
Manesse, auteurs d’une brillante étude sur l’orthographe avaient
montré voilà quelques années, à la suite d’une énorme et minutieuse
enquête, que les performances orthographiques s’améliorent avec
une régularité d’horloge entre la sixième et la troisième, et même au-
delà. Personne ne dit qu’il ne reste aucune faute... Malgré tout, des
apprentissages s’opèrent là où, au quotidien, on ne voit que le fossé à
franchir et on a le sentiment de piétiner.

Centration sur l’élève, centration sur le contenu


Une perspective comparable serait à adopter pour l’analyse des évaluations
CE2 et sixième, auxquelles sont soumis tous les élèves depuis quelques
années. On s’en sert le plus souvent pour situer les performances
individuelles des élèves, ou celle de différentes classes, mais assez peu pour
examiner les différences de réussite entre les items. Or, il se trouve qu’en
français comme en mathématiques, chaque objectif est couvert par plusieurs
items apparentés et il est frappant de constater d’énormes différences de
réussite. Les items qui font échouer les élèves faibles sont également
difficiles pour les bons, même quand ceux-ci s’en sortent un peu mieux. La
différence entre les bons et les faibles est ainsi moins qualitative que
quantitative.
Avant d’évaluer les élèves, ces épreuves évaluent donc la plus ou moins
grande difficulté des questions pour tous, et elles pourraient d’abord
signaler aux équipes pédagogiques où se situent les nœuds de difficulté à
surveiller dans les progressions. Paradoxalement, il faut donc se centrer sur
le contenu et ses difficultés intrinsèques, pour mieux finalement se centrer
sur l’élève, en considérant le sujet didactique plutôt que le sujet
psychologique.
Les épreuves communes avaient d’ailleurs été conçues comme un
instrument du diagnostic et de la prise de décision pédagogique, notamment
dans le cadre d’une pédagogie de cycles à l’école primaire, mais force est
de prendre acte d’un certain échec. S’il est fréquent d’entendre dans les
établissements « qu’au ministère ils n’en font rien », on peut s’interroger
aussi sur les raisons d’un si faible usage local, malgré le temps consacré à la
passation et à la correction.

D’étonnantes démarches
Certaines productions d’élèves sont peut-être trop rapidement étiquetées
comme des erreurs, alors qu’elles manifestent seulement la diversité des
procédures possibles pour résoudre une question posée, quand l’enseignant,
lui, s’attend à un type de réponse bien précis. C’est souvent le manque de
conformité de la solution qui est sanctionné, alors que les élèves ont pu
emprunter des chemins, pas nécessairement absurdes, mais auxquels on
n’avait pas songé. Or justement, on est toujours surpris de l’extrême variété
des stratégies de résolution qu’ils mettent « spontanément » en œuvre, dès
qu’on leur en laisse la possibilité et qu’on observe leur travail.
Robert Neyret a ainsi pu analyser la façon dont les élèves de CM
résolvent le problème ainsi posé : Avec ses bottes de sept lieues, le
Petit Poucet se déplace entre deux villes. Il fait des pas de 28 km. Il
part de Grenoble pour aller à Nice : Grenoble-Nice 224 km.
Combien de pas va-t-il faire ? Il est très étonnant de constater que
seule une petite minorité d’élèves, même au CM, résout le problème
par une division de 224 par 28, alors que c’est là la procédure
« canonique » que le maître attend. Alors aussi qu’à la demande,
beaucoup seraient capables d’effectuer une telle division (ou, à
défaut, de sortir la calculette de leur trousse !). Mais non, ils se
livrent à une incroyable diversité de solutions, beaucoup plus
longues et compliquées : certains procèdent par addition (28 + 28 +
28...), d’autres soustraient (224 - 28 - 28...), d’autres encore passent,
chemin faisant, à l’usage de multiples de 28 dans le but d’accélérer
les calculs.
Dans un cadre de recherche, on a ici volontairement exploré la variété des
réponses que les élèves sont susceptibles de fournir, en valorisant cette
diversité. Mais qu’en est-il dans le cadre de la classe ? On considère
souvent comme erronées les propositions des élèves quand elles s’écartent
de la méthode-type qui a été imaginée, d’autant que s’y glissent souvent des
fautes locales qui masquent la logique du cheminement. En fait, c’est qu’ils
ne se représentent pas le problème comme une division et qu’ils en restent à
des procédures plus primitives, coûteuses et inélégantes, qui de ce fait
multiplient les occasions de faute, mais sont pourtant davantage pourvues
de sens à leurs yeux. Au lieu de juger erronées de telles stratégies, mieux
vaut leur permettre de les exprimer collectivement, les étonner par une
diversité qu’ils n’imaginent pas et proposer à toute la classe d’appliquer
successivement plusieurs des idées émises. On constate alors des
évolutions, mais généralement limitées : chacun s’intéresse à une procédure
qui fait progrès par rapport à la sienne, sans toutefois que le saut soit
excessif.

Trois leviers
Ce type de travail joue sur trois leviers importants. Nous avons déjà
rencontré le premier, avec l’évocation des conflits sociocognitifs, dont on
sait qu’ils permettent des progrès intellectuels par le jeu des interactions
entre élèves, sans qu’il soit nécessaire que l’un d’eux soit plus avancé.
Anne-Nelly Perret-Clermont, Willem Doise et Gabriel Mugny,
continuateurs des travaux de Piaget, ont montré que c’est la qualité des
interactions en elles-mêmes qui est ici source de progrès, dans la mesure où
l’écoute respective a des chances d’être plus forte que si le professeur
expose au tableau la correction-type. D’autres chercheurs, notamment
autour de Michel Gilly, ont élargi l’étude des interactions dans les
apprentissages et montré que toutes les formes d’interaction entre
apprenants, et toutes les occasions de collaboration entre eux, favorisent à
des degrés divers l’avancée cognitive (non seulement les conflits
sociocognitifs, mais aussi les constructions communes, les « collaborations
acquiesçantes » où l’un propose et l’autre suit, les confrontations
argumentées, etc.).
Un autre levier est celui de la métacognition, définie par John Flavell. On
nomme ainsi les moments et occasions de revenir sur un travail déjà
effectué pour le réexaminer mentalement, pour en dégager les
caractéristiques et parvenir au terme à construire consciemment sa pensée.
Philippe Meirieu explique qu’ici l’analyse des réussites, même partielles,
est au moins aussi essentielle que celle des échecs, car on a pu parvenir à
une solution valide sans savoir exactement pourquoi. La métacognition
permet, dit-il, de distinguer une procédure d’un processus. Le processus a
certes permis d’aboutir, mais il reste contingent et contextualisé, sans
garantie d’une réplication possible d’un succès empirique. En extraire une
procédure, c’est identifier un savoir ou un savoir-faire plus transversal et
dont le réemploi invariant sera facilité. La métacognition porte ici sur les
divers processus explorés en acte par les élèves, et rend possible
l’appropriation par chacun des éléments - même partiels - mis en œuvre par
d’autres, et qui entrent en résonance avec leur propre façon de faire.
Le troisième levier des comparaisons de démarches au sein de la classe est
l’idée de zone proximale, favorable aux apprentissages. De ce point de vue,
ce qui fait la force du travail en commun des élèves sur les propositions des
uns et des autres, c’est qu’elles sont plus proches entre elles qu’elles ne le
sont de la solution du maître. Celle-ci est finalement « trop belle » - c’est-à-
dire trop distante de leurs possibilités présentes - pour qu’ils soient en
mesure de se l’approprier. Lev Vygotski distingue le niveau de
développement réel d’un sujet (correspondant à ses performances
observables) et son niveau de développement potentiel, qui tout en n’étant
encore qu’une virtualité est déjà présent en « germe » lors d’interactions qui
restent dans la zone proximale. Au-delà règne l’encore inaccessible... On
peut alors considérer les modèles immédiatement supérieurs que présentent
d’autres élèves comme désignant les étapes à venir de l’apprentissage.

Surcharge cognitive
Depuis quelques années, les idées qu’on se fait de la mémoire et de ses
implications didactiques évoluent rapidement. Les publications répétées
d’Alain Lieury y sont pour beaucoup. Pendant longtemps, en effet, la
mémoire, conçue comme un phénomène d’enregistrement-répétition a été
dévalorisée au profit de fonctions cognitives plus « nobles », comme la
réflexion, les opérations intellectuelles, la créativité... Mais il apparaît plus
clairement maintenant que la mémoire n’est pas un système passif mais
qu’elle est au cœur même des apprentissages « intelligents ». On y distingue
volontiers deux « étages » correspondant à la mémoire de travail et à la
mémoire à long terme, ayant chacun leurs propres implications didactiques,
mais dont le mode de fonctionnement est assez contrasté.

Les deux mémoires


La mémoire de travail se caractérise par sa capacité très limitée et par le
temps court de conservation des opérations : c’est grâce à elle qu’on retient
un numéro de téléphone entre le moment de sa lecture dans l’agenda et
celui de sa composition sur le combiné. Elle est sensible aux interférences :
si quelqu’un nous parle avant qu’on ait composé le numéro, il nous faut
souvent rouvrir l’agenda ! L’information peut malgré tout être conservée
plus longtemps grâce à une possibilité d’autorépétition « en boucle ».
La mémoire à long terme est, elle, de très grande capacité, et s’il nous arrive
de « perdre la mémoire », c’est généralement moins en raison d’un oubli
véritable que d’une indisponibilité de l’information, liée aux difficultés de
la récupération. Différentes conditions influent en effet sur l’efficacité du
rappel : l’intervalle de rétention, le nombre de « traits » analysés au départ,
la bonne intégration de l’information nouvelle dans la structure cognitive,
etc. On connaît l’histoire de la madeleine de Proust qui souligne aussi
l’importance d’une réinstauration des conditions de l’encodage pour
accéder à l’information cherchée.
La métaphore informatique est souvent utilisée pour distinguer ces deux
registres de fonctionnement :
la mémoire à long terme s’apparente alors au stockage sur le disque
dur (l’information peut également y être stockée mais inaccessible,
quand l’adressage que permet les secteurs boot et fat devient
défectueux) ;
la mémoire de travail est représentée par le processeur central de
l’ordinateur qui peut activer certaines applications (traitement de texte,
base de données...), certains fichiers de données déjà stockés, ainsi que
les informations nouvelles rentrées au clavier. Mais on ne peut tout
ouvrir en même temps, faute d’une mémoire vive suffisante.
L’exemple précédent du problème du Petit Poucet permet d’évoquer
les erreurs liées à des problèmes de la mémoire de travail. Parler de
la mémoire à l’école évoque plutôt immédiatement celle à long
terme, en jeu quand il faut apprendre la leçon et réviser les examens.
Pourtant, au quotidien des activités scolaires, la mémoire de travail
est au moins aussi importante. On sait depuis longtemps que ses
limitations sont drastiques, puisqu’on évoque souvent à son sujet le
« nombre magique 7 (± 2) ». Or, en résolvant le problème du Petit
Poucet selon leurs modalités, le nombre d’opérations mentales à
effectuer et à conserver mentalement présentes est bien supérieur : ils
comptent sur leurs doigts pour faire les additions, ils doivent ne pas
oublier les retenues, ils conservent en tête les résultats intermédiaires
et les multiples, etc. Bref, ils se trouvent rapidement en situation dite
de « surcharge cognitive » et, du coup, ils « oublient » certains des
éléments. C’est ainsi que, pris dans les calculs, ils en perdent le sens,
ne savent plus où ils en sont... et arrivent à dépassent 224 sans s’en
apercevoir ! Les rappeler à plus d’attention est sans utilité puisque
les limites mnémoniques sont structurelles.

Et l’orthographe ?
Il en va de même pour l’orthographe dont les enseignants se plaignent
souvent qu’elle soit moins bonne en production de texte qu’à l’occasion des
dictées. C’est pourtant normal et pour la même raison. Pour réussir une
dictée, la totalité de l’espace de traitement de la mémoire de travail doit être
employée à la recherche des bonnes formes graphiques. Au point que
nombreux sont les élèves qui - au fond avec raison - ne s’intéressent pas au
sens du texte dicté. La production de texte est, au contraire, une activité à
tâches partagées, car il faut, en parallèle, chercher les idées, les organiser
en paragraphes, vérifier la syntaxe de chaque phrase et, au milieu de tout
cela, contrôler aussi l’orthographe ! On comprend que chaque centration de
l’attention sur l’un des aspects nuise aux autres. Comme dit Jean-François
Halté, ils se trouvent placés non pas dans une situation-problème, mais
devant une situation hautement problématique, et les erreurs commises en
sont la résultante mécanique. Mieux vaut les inciter à des centrations
successives sur des sous-tâches, plus facilement gérables en mémoire, que
de les exhorter de façon musclée sans effet probable.

La mémoire qui planche


Qu’en est-il maintenant des conséquences didactiques du fonctionnement
de la mémoire à long terme ? Alain Lieury a réalisé une étude longitudinale
des mots nouveaux apparaissant dans les manuels de 8 disciplines au
collège et vérifié comment ils sont mémorisés par les élèves grâce à une
recherche de grande ampleur conduite au collège des Hautes-Ourmes à
Rennes. Le résultat est impressionnant puisque, dès la sixième, il compte 6
000 mots nouveaux ! Plus, dit-il, que d’étoiles visibles à l’œil nu dans le
ciel... Les élèves parviennent à en mémoriser 2 500, ce qui n’est pas si mal.
En cinquième, on passe à environ 10 000 mots nouveaux et en quatrième on
atteint 18 000 ! Impressionnant. Sur la base de telles données, il nous invite
à reconsidérer ce qu’on appelle souvent le « saut de la quatrième » (Lieury,
1993). Avant de mettre l’accent sur la plus grande abstraction des
programmes, il nous convie à observer les effets de la « mémoire qui
planche ». D’ailleurs des études avaient déjà montré que la réussite scolaire
globale des élèves est mieux corrélée avec les « disciplines à contenus »
(comme la biologie ou la géographie) qu’avec les « disciplines à
raisonnements » (comme les mathématiques).
L’inflation des mots scolaires n’est pas sans effets sur les erreurs, les
confusions, les oublis de la part des élèves. Sans doute serait-il sage
de faire un tri plus sélectif dans les contenus enseignés pour atteindre
l’essentiel. Mais cet essentiel n’est pas nécessairement le fruit d’une
soustraction résignée, ce qu’on fait trop souvent quand on parle de
noyau (voire de SMIC) de connaissances. Si la mémoire a ses
limites, elle dispose aussi de ressorts sur lesquels prendre appui. Elle
n’est pas linéaire et sédimentaire, mais structurée en un réseau
sémantique. Dans ces conditions, tous les moments scolaires qui
permettront aux élèves d’élargir et de densifier leur réseau, plutôt
que de cumuler des détails anomiques leur seront précieux. Certaines
disciplines, comme la biologie, tentent bien de le faire en concluant
chaque chapitre par un « schéma fonctionnel » récapitulant les
notions clés, mais cela ne produit guère les effets escomptés.
Pourquoi ? Sans doute parce que ces schémas sont préconstruits dans
le livre (ou par le professeur) au lieu de résulter d’un effort de
construction par la classe. Parce qu’ils sont « trop jolis » pour
ressembler à ce que feraient les élèves eux-mêmes. Surtout parce
qu’au lieu de faire accéder les élèves à l’essence des contenus, ils
leur apparaissent comme un paragraphe en surplus du reste, qui
redouble la mémorisation au lieu qu’il donne une « bonne forme » à
ce qui a précédé. Une fois de plus, il faut faire ici l’éloge de
l’imperfection !

D’une discipline, l’autre


Nous évoquerons maintenant un type fréquent d’erreur, qui concerne les
transferts entre disciplines. Bien des fois, les élèves se trouvent sanctionnés,
ou en tout cas secoués, parce qu’ils n’ont pas réinvesti en physique ou en
géographie ce qu’ils avaient appris en mathématiques. Le professeur assure
même avoir vérifié auprès de son collègue l’apprentissage préalable sur
lequel il croyait pouvoir compter. Rappelons ce qui a été dit plus haut : si
nous sommes réfractaires aux enseignements préalables dans notre propre
discipline, on souhaite pouvoir compter sur les « prérequis » établis
ailleurs ! Du coup, on gémit de voir que les élèves « ne transfèrent pas »
comme on déplore leur non-motivation. Pourtant, quand une sanction
survient, elle n’est pas nécessairement justifiée.

Le transfert, oui... mais lequel ?


Le problème du transfert, comme celui de la motivation d’ailleurs, c’est
qu’il manque d’un cadre théorique solide auquel référer les pratiques. À
moins qu’il n’y en ait pléthore, ce qui revient au même, parce qu’on se
laisse du coup gouverner par le sens commun.
Consciemment ou non, nous restons imprégnés de la conception
piagétienne, laquelle comme on l’a vu, postule une transversalité des
apprentissages. Le transfert serait le fonctionnement « naturel » de la
pensée, puisque les schèmes (résultant d’invariants opératoires) sont
susceptibles de « s’habiller » de différentes façons selon les situations et les
domaines rencontrés par le sujet. Or, les travaux actuels de psychologie
cognitive ayant trait à la résolution de problèmes, notamment ceux de Jean-
François Richard, insistent sur le caractère très problématique de ce
transfert, qu’au quotidien l’école postule pourtant comme nécessaire. Il y a
là deux modèles antagoniques résumés par le tableau ci-dessous, l’un qui se
fonde sur le transfert, l’autre qui reste vigilant à son sujet et tend à en
réfréner l’usage.
Le premier, fondé sur un point de vue structuraliste, recherche les règles
générales de la pensée qui peuvent se retrouver identiques au-delà de la
diversité des conduites et des pratiques. Le second, orienté lui par une
perspective plus fonctionnaliste, cherche empiriquement à comparer les
fonctionnements cognitifs réels en fonction de la nature des problèmes
traités. Dans le premier cas, le transfert est un postulat de départ, dans le
second c’est un horizon possible.

Traits de surface, traits de structure


Pour comprendre les différences notables de procédures selon les situations
et les difficultés réelles d’apprentissage, les psychologues distinguent entre
les traits de structure d’un problème et ses traits de surface. Dans la
perspective piagétienne évoquée plus haut, les premiers renvoient aux
opérations logiques requises par la résolution, les autres aux variantes de
l’« habillage » des énoncés. Or, il apparaît que l’esprit est d’abord sensible
aux traits de surface et qu’il se laisse volontiers gouverner par eux, avec un
fort usage de la pensée analogique. Les traits de structure communs
échappent par contre à l’observation et doivent être activement construits,
comme le prouve la réussite très contrastée à de célèbres problèmes
homologues, successivement habillés en termes d’attaque d’une forteresse,
de réparation d’une ampoule, de radiation d’une tumeur ou d’extinction
d’un incendie !
Du coup, quand les élèves sont successivement aux prises avec deux
situations dans des disciplines différentes (voire dans la même), la
similarité de surface joue un rôle essentiel. Qu’elles soient structurellement
proches ne suffit pas, le plus souvent, à provoquer chez eux la mobilisation
d’outils de pensée, déjà utilisés ailleurs et même éventuellement disponibles
en mémoire. Ce n’est pas qu’ils en soient incapables, et en ce sens Piaget
avait raison, mais voilà : ils ne pensent pas à établir un lien, pas si naturel
qu’il y paraît. Inversement, il leur arrive de transférer indûment un savoir,
au vu de ressemblances contingentes entre situations.
Aux enseignants qui s’en étonnent, Bernard Rey rappelle que les élèves
n’ont pas de raisons particulières pour valoriser les traits de structure
davantage que les autres caractéristiques d’une situation. Le professeur, qui
choisit ses exemples pour faire « sortir » un concept, est animé d’une
intention logicienne, mais l’élève demeure souvent, lui, dans une intention
pragmatique. Comme il le dit joliment : ce n’est pas parce qu’un couteau a
un manche que cela va immanquablement provoquer l’intention de s’en
servir (Rey, 1994). Fort heureusement d’ailleurs... Inversement, une
généralisation indue résulte souvent de l’application analogique d’une
solution déjà connue à une situation nouvelle, laquelle semble comparable
en raison de traits de surface partagés.

Postuler et organiser le transfert


L’école peut-elle pourtant renoncer au transfert ? Probablement pas, car elle
manifeste d’abord l’exigence qu’un apprentissage produise des effets au-
delà du moment et de la situation où il a été introduit. Il est
fondamentalement lié aux finalités de l’activité scolaire. En effet, un
enseignement dépourvu de valeur formative, qui serait seulement capable
d’obtenir la reproduction à l’identique de connaissances et mécanismes,
perdrait vite toute légitimité. D’ailleurs, l’école a de plus en plus conscience
que ce à quoi elle forme risque d’être périmé... dès le terme de la formation.
C’est pourquoi elle doit postuler et organiser le transfert,aussi sceptiques
que soient les psychologues actuels. La pédagogie n’est pas ici assujettie
aux données psychologiques (qu’elle doit connaître), mais elle révèle son
autonomie propre.
Mais un tel transfert, pour légitime qu’il soit, n’a rien de spontané, comme
l’a mis en évidence le colloque international organisé sur ce thème à Lyon
(Meirieu & Develay, 1996) auquel nous emprunterons ci-dessous quelques
éléments. Il n’est pas raisonnable d’imaginer compter dessus comme sur un
« prérequis » disponible. Il faut rendre possible le transfert et cela passe à la
fois par une attitude a priori et par un travail permanent :
L’attitude, c’est de faire réaliser aux élèves que parmi tous les regards
possibles sur les choses (regard pratique, regard intéressé, regard
ludique, regard personnel...), l’école c’est le lieu du « regard instruit »,
c’est l’endroit où l’on cherche a priori à faire les catégories les plus
larges, globales, invariantes. Le transfert poursuit Rey, ne fonctionne
pas en soi comme un stimulus a priori, il doit être désigné comme
l’intention transversale de l’école. L’identité de structure entre deux
exercices n’a en effet aucune incidence sur l’attention qu’on va lui
porter ; au contraire, c’est l’intérêt pour la transversalité qui fait
comparer d’une certaine façon académique les situations successives.
Quand on transfère bien, poursuit encore l’auteur, c’est qu’on a déjà
présupposé qu’il y avait matière à transversalité.
Mais le transfert, c’est aussi un travail permanent à faire, et non le
simple « transport » d’une compétence acquise. Toute activité
intellectuelle authentique consiste à rapprocher deux contextes, afin
d’en apprécier les différences et les similitudes. Il n’existe pas, d’un
côté, des savoirs stockés en mémoire et, de l’autre, des aptitudes à
transférer qui en seraient indépendantes.
Du coup, comme le dit Bernard Charlot, le transfert n’est pas indépendant
du modèle pédagogique mis en œuvre ; il n’est guère possible quand l’élève
est face à des tâches simples où il n’a qu’à appliquer. Peut-on d’ailleurs
transférer, demande-t-il, « lorsque les programmes sont cycliques, de telle
sorte que l’école est vécue comme l’éternelle reprise des mêmes choses ?
Peut-on transférer quand on est constamment pressé, bousculé, emporté
dans une temporalité émiettée, quand on n’a pas le temps d’essayer (de
s’essayer), de (se) mettre à l’épreuve, de vérifier, d’hésiter, de tâtonner ? Le
transfert implique une situation cognitive assez « ouverte », c’est-à-dire
présentant un minimum de complexité ».
Philippe Meirieu ajoute que le transfert passe par le contrôle métacognitif
de son activité cognitive par l’élève. Il constitue alors un « principe
régulateur essentiel des activités pédagogiques, et la médiation enseignante
y est décisive. Le sujet ne progresse que s’il est en mesure de pratiquer un
travail de changement de cadre, et d’expérimentation personnelle, des
outils qu’il maîtrise aux situations qu’il rencontre. Le transfert renvoie
finalement à l’activité d’un sujet qui se construit dans une histoire
cognitive, mais aussi subjective et identitaire ».

La complexité propre du contenu


L’origine des erreurs peut enfin être recherchée du côté d’une complexité
propre au contenu d’enseignement. Cette complexité interne n’est pas
toujours perçue comme telle par les analyses disciplinaires habituelles ni
dans les progressions disciplinaires adoptées. Elle peut avoir des
répercussions du côté des catégories précédentes (charge mentale, nature
des opérations intellectuelles, etc.), mais le regard se trouve cette fois
déplacé du point de vue psychologique du sujet apprenant vers le point de
vue épistémologique de la structure du contenu.
L’analyse de ce type d’erreurs est typique du travail proprement didactique,
qui consiste plus souvent qu’on ne le croit à remettre profondément en
cause, comme dit Gérard Vergnaud, les contenus théoriques et pratiques de
l’enseignement, ainsi que les méthodes et procédures qui leur sont
classiquement associées. La didactique d’une discipline est ainsi souvent
vue un peu naïvement, ajoute-t-il, comme la recherche de nouveaux moyens
pour enseigner plus efficacement des contenus donnés à l’avance et
intangibles (Vergnaud, 1983). Elle se limiterait au souci de mieux « faire
passer » les choses et serait donc de l’ordre du lubrifiant ! Mais cette
illusion se dissipe souvent vite dès qu’un contenu fait l’objet
d’investigations didactiques approfondies. Les voies royales bien installées
par la tradition peuvent s’avérer discutables, voire porteuses d’obstacles
imprévus, comme le montre l’exemple suivant adapté de Corine Castela sur
l’enseignement de la tangente au lycée.

Les définitions contradictoires de la tangente


Celui-ci est d’ordinaire conçu en commençant par le cas de la tangente au
cercle, réputé plus simple, pour être élargi l’année suivante à l’examen des
tangentes à des courbes quelconques. Le problème est que cet élargissement
est souvent vu par les enseignants comme une simple généralisation des
acquis précédents alors que cela nécessite des remaniements théoriques
importants. En effet, deux aspects de la tangente se confondent dans le cas
du cercle sans être distingués par les élèves qui sont intuitivement plus
sensibles à l’un ou à l’autre. Si l’on trace, comme dans la figure ci-dessous,
la tangente à un cercle en un point A, il est possible de l’envisager de deux
façons :
la tangente peut être conçue comme une droite en contact avec le
cercle tout en restant la plus « distante » de lui, comme celle qui le
frôle a minima. C’est ce qui se passe quand on observe la figure de
façon globale, disons avec l’objectif « grand angulaire ». Dans ce cas,
la tangente est conçue comme le cas limite d’une sécante au cercle,
celle dont les deux points d’intersection se trouvent confondus. C’est
en ce sens qu’on parle familièrement de « prendre la tangente » ;
la tangente peut, tout au contraire, être pensée comme une droite
permettant de prolonger la courbure du cercle au point A sans rupture
de tracé avec lui, à la manière d’un fil autour d’une poulie. C’est ce qui
se passe quand on observe la figure de façon plus locale, comme avec
le « zoom ». Plus on se focalise, en effet, sur le point A, plus les tracés
du cercle et de la droite vont tendre à se confondre. Dans ce cas, la
tangente est conçue comme la sélection, parmi toutes les droites
passant en A, de celle qui constitue la meilleure approximation
possible du cercle.
Tous les élèves ne construisent pas leur représentation de la tangente à partir
du même point de vue mais, dans le cas du cercle, cela est de peu
d’importance car les conséquences, en termes de réponses, sont les mêmes.
Ce n’est que l’année suivante, quand on passera au cas de la tangente à une
courbe quelconque, que la mobilisation différentielle par les élèves, de l’une
ou l’autre des deux conceptions construites l’année précédente, va conduire
à des conclusions opposées, comme cela apparaît dans les trois cas suivants,
empruntés à C. Castela.

Ces exemples sont extraits d’une série de cas proposée aux élèves, qui
doivent se prononcer chaque fois sur le fait de savoir si la droite est
tangente ou non à la courbe au point A et expliquer leur réponse :
dans le premier cas (réponse positive), les élèves qui mobilisent la
conception « globale » répondent non dans la mesure où, au-delà du
point A, la droite se trouve sécante avec la courbe. Cela n’a pourtant
nulle importance pour se prononcer de façon « locale » sur le caractère
effectivement tangent ;
dans le second cas (réponse négative), les élèves qui mobilisent la
conception « globale » répondent oui parce qu’il n’existe qu’un unique
point de contact, comme dans le cas du cercle. Il s’agit pourtant d’une
courbe particulière possédant un point anguleux, pour laquelle la
conception « locale » permet de comprendre qu’il n’existe pas une
tangente en ce point mais deux demi-tangentes, chacune dans le
prolongement d’une des parties de la courbe ;
dans le troisième cas (réponse positive), les élèves qui mobilisent la
conception « globale » répondent non puisque la droite traverse la
courbe en A. Mais il s’agit d’une courbe avec point d’inflexion, et la
conception « locale » permet de comprendre que cette fois la tangente,
malgré son caractère sécant, prolonge bien les deux parties de la
courbe sans rupture de tracé.
On comprend ainsi les erreurs systématiquement commises, qui
correspondent à une extension non rectifiée de la solution apprise l’année
précédente. Et les enseignants contribuent involontairement à cette
surgénéralisation fautive par un déficit dans l’analyse du contenu notionnel.

Erreurs et triangle didactique


Ce tour d’horizon des erreurs, probablement non exhaustif, cherche à
rompre avec les catégories traditionnellement adoptées pour en parler. Il
fournit une sorte de check-list à partir de laquelle on peut s’interroger
chaque fois qu’une erreur d’élève nous surprend. Il propose un cadre de
réflexion et d’analyse pour les équipes pédagogiques soucieuses
d’approfondir la question, car c’est là une tâche difficile à maîtriser de
façon solitaire. Sans doute laisse-t-il un peu sur sa faim, car on aimerait
toujours disposer d’outils plus pratiques pour la conduite de la classe.
Chemin faisant, nous avons tenté de multiplier les exemples et de les
analyser pour le mieux. Mais l’efficacité didactique n’est possible que
moyennant l’intériorisation de « nouvelles grilles » pour la compréhension
de ce qui se joue dans l’acte didactique, et l’erreur en est le cœur.
C’est pourquoi nous proposons ci-dessous, sous forme plus synoptique, un
tableau récapitulatif des types de diagnostics possibles concernant les
erreurs décrites, accompagnés chacun de la nature des activités, médiations
et remédiations possibles pour y faire face. Nous y joignons une figure du
triangle didactique aujourd’hui classique, dont on sait qu’il associe dans un
même système Savoir, Apprenant(s) et Enseignant, pour aider à visualiser
graphiquement et logiquement les erreurs évoquées. Celles-ci ne
reviennent-elles finalement pas à évoquer, mais en creux, l’ensemble du
processus si complexe des apprentissages scolaires ?
4. Professionnels du traitement de l’erreur ?

La typologie des erreurs que nous avons proposée pourra paraître à la fois
riche et restrictive. Riche puisqu’elle identifie des causes d’erreurs,
auxquelles on ne songe guère au quotidien de la classe, et leur donne du
sens, mais restrictive dans la mesure où les distinctions opérées se limitent à
l’examen de la sphère cognitive et rationnelle. N’y aurait-il donc pas aussi
des obstacles à caractère psychologique ? Ne faut-il pas tenir compte de
l’affectivité des élèves dans l’apprentissage ? Assurément si, mais il est
pourtant vrai que ce n’est pas sur cet aspect des choses que l’accent a été
mis dans l’ouvrage, et il s’agit maintenant de comprendre pourquoi.

Pas l’affectivité !
Lorsqu’on demande aux didacticiens comment ils prennent en compte
l’affectivité des élèves, ils répondent souvent un peu embarrassés qu’à la
vérité ils n’en font rien ! Mais il ne faut pas se méprendre sur la
signification d’une telle réponse. Dire qu’on n’en fait rien ne signifie pas
qu’on la néglige, encore moins qu’on la méprise. Simplement, la didactique
ne va pas redoubler ce que font déjà très bien les autres chercheurs,
psychologues, sociologues ou psychanalystes... Ce n’est pas là-dessus que
leur travail met l’accent parce qu’ils cherchent, eux, à explorer d’autres
voies spécifiques, plus proches du fonctionnement et des situations
scolaires. Mais pour autant, selon l’expression de Philippe Meirieu, il ne
s’agit pas là de « supprimer par décret ce qu’on a négligé par méthode » !
Ce que nous avons mis en avant, ce sont des dimensions de l’erreur
susceptibles de faire l’objet d’un traitement didactique, parce qu’elles
jouent sur des variables à partir desquelles les enseignants peuvent « faire
levier » dans leur classe. Repérer des erreurs liées, comme nous l’avons vu,
à la compréhension des consignes, aux conceptions alternatives ou à la
surcharge cognitive dans la tâche, cela peut modifier les « catégories de
l’entendement professoral », selon la formule de Bourdieu et Saint-Martin.
La posture pédagogique classique envisage d’abord, en effet, les réponses
erronées des élèves à partir de motifs psychologisants (comme l’absence de
motivation ou le défaut de concentration), mais il s’agit là d’une médiocre
psychologie du sens commun qui laisse bien démuni. Il est d’ailleurs
paradoxal de constater sur ce point que les enseignants, surtout ceux du
secondaire dont l’identité professionnelle est d’abord fondée sur une
appartenance disciplinaire, abandonnent vite, dès qu’il s’agit des erreurs,
cet ancrage revendiqué sur le contenu des apprentissages.
À moins que cette posture ne doive être entendue comme un aveu
d’impuissance pédagogique et une recherche d’échappatoires externes par
rapport à l’intervention didactique proprement dite.

Erreur et professionnalisation
Si tel n’est pas le cas, une plus grande professionnalisation du métier
d’enseignant pourrait être l’enjeu d’un traitement plus pertinent des erreurs
des élèves. Car nous prétendons qu’il s’agit là d’un véritable analyseur des
pratiques pédagogiques et de leurs transformations.

Prendre à « bras-le-corps » le processus didactique


Bien des pratiques relatives à l’erreur s’appuient sur des critères externes
préformés, qu’on dira prêts à penser, ou plutôt « prêts à barrer ». En
désignant ainsi des défauts formels du travail, on s’interdit d’entrer dans
son économie propre pour en relever les potentialités et en mesurer la
chance. De plus, l’ambiguïté est permanente de savoir si le jugement
concerne l’action ou l’acteur, le résultat ou le processus dont il témoigne.
De sorte qu’on bascule vite dans l’évaluation... avant d’avoir sérieusement
exploré l’apprentissage. Pourtant, comme l’a bien montré Daniel Hameline,
il y a constamment à « marier » l’estimation aussi objective et critériée que
possible d’un produit avec l’estime qu’on peut accorder à son auteur
(Hameline, 1987) :
l’excès d’estime accordé à une production médiocre peut se justifier
par un encouragement sans faille à la persévérance. Mais si, au terme
du processus, il faut avouer à l’apprenant que ce qu’il a produit ne
convient pas, celui-ci risque de tomber de haut et s’estimer berné.
Peut-être même dira-t-il qu’il aurait préféré être informé plus tôt de sa
valeur réelle ;
inversement, la communication prématurée d’une estimation
rigoureuse et juste risque de projeter sur l’apprenant la maîtrise des
critères finaux, ceux qu’il est justement en train de s’approprier non
sans difficultés. Cela peut le conduire à renoncer dès lors qu’il perçoit,
à tort ou à raison, qu’on doute de ses capactités à les appréhender.
L’entre-deux est toujours délicat, mais là réside le « geste professionnel »
consistant à encourager l’élève, tout en restant vrai avec lui. Pourtant, dira-
t-on, s’il faut ainsi pénétrer l’intelligence des copies tout en anticipant ce
que ressentira l’apprenant, on risque de n’en jamais sortir alors qu’on passe
déjà nos week-ends à les corriger... À la vérité, c’est peut-être l’inverse, tant
il est vrai qu’il est des heures et des jours de corrections qui ne servent à
personne. Ce qui est mortifère - pour les enseignants comme pour les élèves
-, c’est bien le temps interminable du signalement rituel et sans perspective
des erreurs. Ce qui épuise les uns comme les autres, c’est moins la réalité
du lourd travail effectué que le sentiment de s’user sans projet sur les
mêmes résistances.

Contre la « constante macabre »


La typologie présentée au chapitre précédent vise à éviter une double
attitude qui, symétriquement, évite l’allergie comme la permissivité. En
réclamant une certaine « tolérance » face aux erreurs des élèves - ne serait-
ce que pour prendre le temps de les comprendre et de bien les analyser -, il
ne s’agit nullement, en effet, de s’y complaire. C’est, bien au contraire, pour
mieux se positionner de façon stratégique et se donner les moyens de
réellement les traiter. Rappelons-nous qu’elles sont des indicateurs de ce à
quoi se trouve affrontée la pensée des élèves ainsi que des raisonnements
auxquels ils s’essaient. La dénégation externe ne fait jamais rien avancer,
quand la précision du diagnostic peut avoir plus d’effet. Loin du laisser-
faire dont sont souvent accusés ceux qui se penchent sur les cheminements
réels des élèves, nous cherchons ainsi à promouvoir un constructivisme
actif, exigeant et même un peu volontariste.
La professionnalisation du métier d’enseignant passe ainsi par une analyse
des erreurs exempte d’application mécanique de règles ou d’exigences,
décalées des compétences correspondantes. Il faut que l’élève puisse
ressentir autre chose que le jeu d’une « constante macabre » (selon
l’expression d’André Antibi) par laquelle un certain pourcentage de travaux
sera automatiquement placé en dessous de la barre... Il lui faut surtout
percevoir, à travers la correction et la validation de son travail, la marque
d’un esprit lui-même engagé par les critères exigés, parce qu’il en sait le
prix et en montre l’heur. Les modes de traitement des erreurs sont avant tout
révélateurs du type de rapport que les enseignants entretiennent eux-mêmes
avec les savoirs qu’ils professent, et les élèves ont une extrême sensibilité
intuitive à ce sujet. Un contenu n’est susceptible de conduire à une certaine
« érotique du savoir » que s’il est porté par quelqu’un qui sache en faire
vivre des aspects jubilatoires. Les limites soulignées chez l’apprenant n’en
sont alors que mieux comprises, et plus facilement acceptées par lui, dans la
mesure où il perçoit chez l’autre la maîtrise que cela confère.

Le diagnostic
Si, comme il a été dit, l’erreur est intimement liée au processus
d’apprentissage, et si elle peut même être le témoin d’une évolution
intellectuelle en cours, alors il nous faut moduler l’idée familière de
prérequis qui seraient nécessaires à un apprentissage, et sur lesquels nous
devrions pouvoir compter pour enseigner avec efficacité. D’ailleurs, on
confond souvent à tort prérequis et préacquis, alors que les premiers
soulignent ce qui est exigible pour aborder un contenu nouveau, tandis que
les seconds s’efforcent de décrire un « état des lieux » initial à prendre en
compte tel qu’il est.
Sans qu’on le réalise toujours, parler de prérequis introduit une certaine
norme dans les apprentissages et suppose une hiérarchie dans les
acquisitions : « ceci doit être appris avant cela ». La conséquence en est
souvent qu’on juge insuffisantes les « bases » et qu’on estime nécessaire
d’y revenir. Or, le procédé est négatif pour tous. Pour les élèves car dès
qu’on les ramène aux fameuses bases, ils s’y révèlent plus compétents
qu’on ne l’a cru, mais déçus par l’aspect défloré d’activités répétitives. Pour
les enseignants tout autant, à cause du vécu destructeur d’échec et de
piétinement qu’ils ressentent.
L’idée de préacquis est beaucoup plus pragmatique et finalement plus juste.
André Chervel et Danièle Manesse, étudiant l’évolution des compétences
orthographiques des élèves de 11 à 15 ans, ont constaté une progression
quasi linéaire des scores année après année (même s’il reste un nombre non
négligeable de fautes à 15 ans), quand les professeurs de français ont le
sentiment que rien ne s’apprend (Chervel & Manesse, 1989). C’est
pourquoi devenir un professionnel de l’acte d’apprendre suppose qu’on
développe l’habitude d’effectuer des diagnostics objectifs en situation.
C’est cela qui bouscule le plus notre « habitus enseignant » dans la mesure
où nous pensons plus volontiers les apprentissages en termes de traitement
séquentiel (une chose après l’autre en commençant par les bases),
moyennant une « réinitialisation de la procédure » lorsque ça ne marche
pas. Bref, on reproduit ce qui a échoué...

Le traitement stratégique
Un traitement didactique stratégique regarde davantage en avant qu’en
arrière. Pas pour fermer les yeux sur les problèmes, mais pour mieux
examiner les qualités en devenir des productions d’élèves, celles qui
peuvent être développées à partir de l’état présent, au lieu de se retourner
avec lassitude sur ce qu’on aimerait voir acquis. Ce qui était pensé comme
des conditions exigibles évolue alors en examen des possibles dans la
situation. Plus précisément, on passe de conditions requises à des conditions
de possibilité. Il est clair qu’on peut considérer, avec ces deux attitudes
opposées, les deux productions suivantes d’élèves de sixième :
« Un jour, quand j’étais jaloux moi et mon frère. Des poupées de mes
sœurs. Alors un jour quand les poupées de mes sœurs se sont approché de
moi et mon frère nous les avons attrapé par la tête et on leur a enlever leur
tête. Et mon père nous a acheté des avion » (Amadou).
« Nous sommes en vacances au bord de la mer, et il y avait un centre
équestre près de notre camp, et mes parents ont eu l’idée d’y allée, et nous y
avions fait une promenade à cheval. Cette balade à cheval restera pour moi
un très grand souvenir, et nous avons fait des photos et ils étaient pas
réussit. Alors j’ai été déçue » (Cindy).

Imperfections et potentialités
Avec autant de raisons, c’est au répertoire des imperfections ou bien à
l’estimation des potentialités que peuvent être rapportées de telles
productions. On peut y relever nerveusement les dysorthographies
accumulées et surtout l’incapacité des élèves à construire des phrases. Mais
personne n’envisage de s’en satisfaire ! À la vérité, on se place ainsi dans
une posture bloquée qui ne désigne aucune issue et témoigne avant tout
d’un désarroi. Il est également possible de relire ces textes bien imparfaits
en se rappelant qu’ils correspondent aux difficultés majeures, jusqu’au
collège, pour passer des structures de l’oral à celles de l’écrit. Les élèves ne
font souvent que transcrire, plus ou moins habilement sur leur feuille, ce qui
fonctionnait correctement à l’oral, grâce à la présence des deux locuteurs,
aux effets de contexte et à l’intonation. Mais cette simple transcription
bricolée ne fonctionne pas parce que d’abord les phrases n’existent pas à
l’oral (mais seulement des pauses plus ou moins longues), et parce
qu’ensuite le jeu des connecteurs logiques et de la syntaxe y est bien plus
complexe à l’écrit.
La maîtrise de la phrase relève en fait d’un apprentissage à long terme, dont
de telles productions peuvent être l’opportunité. Alain Berrendonner cite
l’exemple de la transcription suivante dans laquelle la phrase oscille entre
l’unité minimale, ou clause, et la période plus ample.
Transcrivant l’oral, la phrase hésite toujours entre clause et période, et cela
doit être apprécié au cas par cas. Elle est seulement définie par une
majuscule et un point, ajoute Berrendonner, et n’est donc pas vraiment une
unité de linguiste mais une unité de « lettré », et d’abord de typographe. Car
à côté de phrases parfaites comme Le chat mange la souris, en existent
quantité d’autres qui ne possèdent pas toutes ces caractéristiques
prototypiques et qui présentent seulement un « air de famille » avec elles,
mais n’en sont pas moins indiscutablement des phrases (Berrendonner,
1993).
Ce qui serait le plus utile aux élèves, ce n’est donc pas qu’on leur rappelle
perpétuellement une règle externe qu’à la vérité ils connaissent, mais qu’on
les aide à transformer leurs écrits primitifs et qu’on « pèse » avec eux les
choix à opérer. Quand d’abord nous voient-ils nous-mêmes aux prises avec
la résolution de ce type de problème ? Ceux, parmi les adultes, qui ont eu
l’occasion de s’exprimer publiquement à l’oral, et ont éprouvé le sentiment
que leur message est bien passé, savent à quel point on reste incrédule face
à la transcription littérale des paroles prononcées. Pourtant, à l’oral, cela
semblait correctement construit...
On retrouve là l’idée d’objectif-obstacle, chère à Jean-Louis Martinand, qui
ne décrit pas les objectifs d’une façon externe et a priori, mais in situ, à
partir des difficultés réelles rencontrées (donc des erreurs commises) et de
leur dépassement didactique. Notons d’ailleurs le développement actuel de
termes qui insistent d’une façon convergente sur le caractère dynamique des
progrès possibles et sur le « calcul » de l’ampleur du saut à effectuer :
objectif-obstacle, mais aussi saut informationnel, décalage optimal, zone
proximale, etc. Ce que répètent les haut-parleurs des stations du métro de
Londres : « Mind the gap », c’est-à-dire attention à l’intervalle en montant
dans la rame, pourrait être une devise adaptée au travail didactique des
erreurs. Ce serait une façon d’éviter son triple évitement, lequel peut se
produire :
soit par renvoi en amont, en questionnant les niveaux scolaires
précédents (c’est la question évoquée des prérequis) ;
soit en aval, en situant le moment présent comme une simple
« approche » notionnelle et en renvoyant à plus tard (à d’autres ?) le
cœur du travail conceptuel ;
soit encore latéralement, en misant sur le travail à la maison et sur les
structures scolaires de pédagogie curative, d’accompagnement ou de
soutien.
Comme si, finalement, ce n’était jamais le bon moment pour s’attaquer à
l’erreur et à l’apprentissage d’une façon centrale, ici et maintenant. Tout s’y
oppose si l’on n’est pas convaincu que c’est essentiel : le temps didactique
qui file, l’ordre de la progression difficile à bousculer, le nombre d’élèves
par classe, etc. Mais pour les élèves, c’est une source majeure de désarroi,
faute de parvenir à comprendre la signification profonde des activités
scolaires et de leurs contraintes.

L’attribution interne
Prendre cette posture du diagnostic de l’erreur en situation et la considérer
comme une chance d’apprentissage suppose que les enseignants
développent davantage une attribution interne de leurs actions didactiques.
La théorie de l’attribution sociale, développée notamment par H. Kelley,
indique en effet qu’un sujet peut se positionner différemment face à ses
actes et à la survenue des événements :
certains développent une attribution externe, c’est-à-dire qu’ils
renvoient ce qui advient à des causes ou des circonstances qui leur sont
extérieures (la chance ou la malchance par exemple), et ils se vivent
comme étant leur jouet, voire leur victime ;
alors que chez d’autres l’attribution est interne, c’est-à-dire qu’ils se
considèrent étant à la source de ce qui leur arrive.
Les premiers se définissent plutôt comme des éléments indifférenciés au
sein d’un ensemble qui subit passivement son histoire, quand les seconds se
vivent davantage comme des acteurs autonomes, sujets de leur propre
histoire (Deschamps et al., 1990). Cela est vrai des élèves, et des recherches
ont pu noter que ceux qui sont en échec n’utilisent que très peu, lors d’un
exercice, la totalité du temps qu’on leur octroie et leurs possibilités
cognitives, même limitées. Toute leur expérience scolaire leur a plutôt laissé
entendre que les résultats (médiocres) qu’ils obtiennent ne sont pas
modifiés par le temps passé ni par l’intérêt accordé, mais sont plutôt liés au
hasard, à la chance ou à la volonté du maître.
On peut justement se demander s’il n’en va pas quelquefois de même des
enseignants, et si cela n’est pas l’un des freins puissants à une réelle
professionnalisation du métier. Une certaine façon de le vivre en se
défendant d’être responsable de ce qui se passe, en projetant tout sur les
conditions externes, matérielles et institutionnelles, interdit d’y prendre sa
part comme acteur majeur et vivant, aussi fondées que puissent être les
demandes. Comme s’il y avait plus d’avantages symboliques à renvoyer
ailleurs le pilotage de l’erreur et des apprentissages, quitte à s’en plaindre et
à le payer en termes de désinvestissement. De façon plus polémique, Patrice
Ranjard avait montré, dans Les enseignants persécutés, une certaine
propension du métier à « s’obliger à penser faux » en mettant en avant, de
façon écorchée vive, sa conscience professionnelle dès que survient la
moindre remarque critique. Et, ajoutait-il un peu perfidement, quand un
professeur « sort » sa conscience professionnelle, c’est que la rupture de
communication est déjà consommée... (Ranjard, 1984).

Erreur et angoisse
L’excès d’attribution externe ne fait qu’exprimer une forme d’angoisse face
au métier et traduit les tentatives, même mala-droites ou discutables, pour
s’en protéger. Philippe Meirieu s’était fait longuement applaudir par tout le
grand amphithéâtre de la Sorbonne, lors des Entretiens Nathan 1994, en
déclarant de sa voix forte que, pour lui, la pédagogie c’était d’abord fait
pour se donner du courage ! Il avait touché les choses au cœur, et cela avait
été ressenti comme tel par l’auditoire.
Renvoyons ici au beau livre de Georges Devereux récemment disparu,
intitulé De l’angoisse à la méthode. S’appuyant sur son expérience
d’ethnologue et de psychanalyste, il montrait que l’appui sur les rigueurs
d’une « méthode » (qu’elle soit scientifique ou pédagogique) se présente
d’abord comme un système défensif. C’est que certains métiers sont
anxiogènes parce qu’à travers l’objet de son travail on s’étudie soi-même, et
l’enseignement paraît bien du lot. G. Devereux ne refusait pas cette fonction
protectrice de la méthode, mais il soulignait les conséquences négatives
d’un fonctionnement où elle ne soit que cela, ou même d’abord cela.
« Il est légitime qu’ayant affaire à un matériau anxiogène, on cherche les
moyens de réduire suffisamment son angoisse pour accomplir efficacement
son travail, et il se trouve que le moyen le plus efficace et le plus durable
pour effectuer une telle réduction est une bonne méthodologie. L’important
n’est pas de savoir si l’on utilise une méthodologie aussi comme un moyen
de réduire l’angoisse, mais de savoir si on le fait en connaissance de cause,
de manière sublimatoire, ou seulement de manière défensive. En réalité cela
n’exige pas de manœuvres défensives, mais un contrôle et une exploitation
conscients et rationnels. L’avantage est alors de réintroduire dans la
situation l’observateur tel qu’il est réellement » (Devereux, 1980).
La quête d’une introuvable « bonne méthode » nous protégerait en quelque
sorte contre la réalité des acteurs, et d’abord contre nous-mêmes. Elle
constituerait un évitement de la rencontre personnelle avec d’autres sujets.
Là pourrait résider la racine de cette difficulté que nous avons notée, à
prendre en charge les situations d’apprentissage comme elles sont.
Réintroduire l’observateur dans la situation, tel est le défi d’un traitement
didactique in situ des erreurs. Mais si cela est fort compréhensible et s’il n’y
a personne à culpabiliser, on ne voit pas qui gagne en vérité à laisser
perdurer cet état de choses aujourd’hui. Georges Devereux déjà cité, mais
aussi Mireille Cifali, insistent sur le fait que celui qui se livre à de tels
subterfuges s’octroie des facilités apparentes qu’en définitive il paie au prix
fort, parce qu’il se replie avec crispation sur des positions de plus en plus
difficiles à tenir (Cifali, 1994).

Erreur et violence
En effet, ces problèmes se réfléchissent comme des jeux de miroirs, de telle
sorte que l’angoisse des uns alimente la peur des autres, et par-delà, leur
violence. Et réciproquement. Les freins au changement de modèle
pédagogique, que nous avons notés, ne paraissent pas d’abord d’ordre
technico-didactique. C’est en amont, dans une certaine posture
professionnelle, défensive et normative, que bien des choses se jouent,
désignant ce qui sera possible ou non dans la classe. En retour, la question
est aujourd’hui posée de savoir si le fonctionnement scolaire qui en résulte
au quotidien ne constitue pas une toile de fond muette, hors d’état
d’opposer résistance aux accès périodiques de violence, dans la mesure où
certains élèves ne réalisent pas ce qu’ils sont en train de perdre à ce jeu. La
question de l’erreur quitte alors sa « niche » didactique et devient la pierre
angulaire de questions d’une toute autre ampleur.
Bernard Charlot et al. ont demandé à des élèves de l’école et du collège de
rédiger des bilans de savoirs et les ont analysés. Les résultats jouent comme
une alerte et devraient être une alarme. Analysant les thèmes récurrents
sous la plume des jeunes, ils soulignent que « la peur latente, l’ennui tenace
et l’impossibilité de “parler avec les profs” sont des ingrédients des
explosions individuelles et collectives de violence dans les collèges de
banlieue » (Charlot et al., 1992). Ceux qui disent leur peur, ajoutent-ils,
sont souvent aussi ceux qui font peur... Et si, à l’école, les copains sont si
importants, c’est sans doute qu’ils sont les acteurs appréciés d’une vie
commune, mais aussi parce que le collectif protège chacun sur le mode
symbolique.
Crûment exprimé, cela renvoie au déficit d’enjeu intellectuel dans bien des
disciplines. À tort ou à raison, les élèves ressentent rarement en classe
qu’ils vivent des moments importants ou qu’ils rencontrent des savoirs
identifiables. Nul ne dit que la violence scolaire soit d’abord d’origine
interne, tant il est clair que bien des établissements sont le reflet des
conditions de vie et des frustrations sociales ambiantes. Mais l’ensemble
peut faire système, et le vécu scolaire entre alors dans le jeu comme une
pièce du mécano. Les sociologues disent volontiers aujourd’hui qu’avant
d’être un lieu d’apprentissage, l’école doit devenir un lieu prioritaire de
socialisation. On peut contester une telle chronologie, car le contrat social
ne précède pas nécessairement le contrat pédagogique. À l’inverse, un
contrat pédagogique renouvelé, dans lequel le travail des erreurs donne du
sens aux apprentissages, joue tout autant sur la structuration de règles de vie
communes. La stabilisation des conditions psychosociales au sein du
groupe peut alors être le fruit du travail didactique, conduit d’une certaine
façon, tout autant qu’un préalable exigé.
On pressent ce qui risque assez rapidement d’advenir si l’angoisse
enseignante, par son côté défensif, contribue comme on l’a vu à des
ruptures de communication. Le phénomène se boucle sur lui-même dès lors
que la peur des élèves contribue à la survenue d’actes violents. Face à une
telle spirale, on ne peut qu’en « sortir par le haut », en ne se contentant pas
de nommer un médiateur quand l’établissement explose, avec le secret
espoir d’un retour sans vagues au statu quo ante. On en « sort par le bas »
quand on fait de la socialisation un préalable au didactique, car l’enseignant
renonce alors à son rôle spécifique pour mimer, sans avoir sa compétence,
l’animateur de quartier ou l’éducateur de rue. L’école ressemble alors de
moins en moins à l’école, et la contagion du mal vivre ne peut que s’y
amplifier. En sortir par le haut, cela signifie remettre les savoirs au cœur de
l’école et surtout, comme le propose B. Charlot, modifier le rapport aux
savoirs dans la classe. Non pas, évidemment, avec la visée nostalgique
d’une restauration à l’ancienne dont certains intellectuels français ont le
chic, mais en donnant aux élèves l’expérience quotidienne d’un travail
intellectuel authentique, et en intégrant nécessairement une reprise active
des erreurs. Tous les élèves, en difficulté scolaire ou non, se posent des
questions théoriques et métaphysiques, mais c’est en dehors de la classe
parce qu’ils en perçoivent peu de traces à l’intérieur. Nul n’est entièrement
déterminé par la satisfaction de besoins immédiats, et beaucoup s’ennuient
(et l’expriment) de « ces heures de cours interminables qui donnent envie
de dormir. » Osons dire qu’ils aspirent à plus de théorie, ce qui ne signifie
pas davantage de jargon ésotérique bien entendu, mais la rencontre d’enjeux
conceptuels stimulants, de « bonnes surprises » au long de la semaine et au
gré des disciplines. Cela aurait le mérite d’associer de façon interactive
médiation didactique et médiation sociale. Concluons avec le philosophe
Jean-Toussaint Desanti, qui déclarait à l’occasion d’un entretien publié par
Le Monde : « Il faut dans chaque discipline mener un travail souterrain en
direction des soubassements, de l’origine. Il faut creuser en allant vers la
racine — oubliée mais cependant présente — de chaque savoir. Alors des
modes de pensée qui, en surface, paraissent entièrement dissemblables,
peuvent faire signe vers l’unité d’une origine commune » (Desanti, 1992).
Faire signe aux élèves pour désigner l’unité de savoirs désirables, telle
serait finalement la vertu cardinale du travail didactique de l’erreur.
Bibliographie

ASTOLFI Jean-Pierre, L’école pour apprendre, Paris, ESF éditeur, 1992.


ASTOLFI Jean-Pierre, Vers une pédagogie constructiviste, Lyon, Voies
Livres, 1995.
ASTOLFI Jean-Pierre, PETERFALVI Brigitte et VÉRIN Anne, Les
transformations de la matière, objectifs-obstacles et situations
d’apprentissage, Paris, INRP, 1997 (en préparation).
AUDIGIER Marie-Nolle et GUILLAUME Jean-Claude, (dir.), Comment
font-ils ? L’écolier et le problème de mathématiques, Paris, INRP, Coll.
Rencontres pédagogiques, 4, 1984.
BACHELARD Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin,
1938.
BALACHEFF Nicolas, « Le contrat et la coutume : deux registres des
interactions didactiques », dans : Actes du premier colloque franco-
allemand de didactique des mathématiques et de l’informatique, Grenoble,
La Pensée sauvage, 1988.
BARTH Britt-Mari, L’apprentissage de l’abstraction, Paris, Retz, 1987.
BERRENDONNER Alain, « Pratiques de l’écrit », Le français dans le
monde, n° spécial, 1993.
BRISSIAUD Rémi, Action et langage en géométrie, Lyon, Voies Livres,
1994.
BRUN Jean, Vingt ans de didactique des mathématiques en France,
Grenoble, La Pensée sauvage, 1994.
CANTOR Maryline, Pouchet, savant et vulgarisateur, Nice, Z’éditions,
1994.
CATACH Nina, Les délires de l’orthographe, Paris, Plon, 1989.
CHARLOT Bernard et al., École et savoir, dans les banlieues... et ailleurs,
Paris, Armand Colin, 1992
CHARNAY Roland, PERROT Gérard, RAGOT Anne et al., « En
mathématiques, peut mieux faire... » : l’élève face à la difficulté en
mathématiques, Paris, INRP, Coll. Rencontres pédagogiques, 12, 1986.
CHARNAY Roland et MANTE Michel, « De l’analyse d’erreurs en
mathématiques aux dispositifs de re-médiation, quelques pistes... »,
Repères-IREM, 7, 1992.
CHERVEL André et MANESSE Danièle, La dictée, les français et
l’orthographe 1873-1987, Paris, INRP, Calmann-Lévy, 1989.
CHEVALLARD Yves, « Médiations et individuation didactiques »,
Interactions didactiques, 8. Universités de Genève et Neuchâtel, 1988.
CIFALI Mireille, Le lien éducatif, contre-jour psychanalytique, Paris, PUF,
1994.
COLOMB Jacques (dir.), Le statut de l’erreur dans l’enseignement, en
CM2 et en 6 e, Paris, INRP, 1987.
DESCHAMPS Jean-Claude et CLÉMENCE Alain (dir.), L’attribution :
causalité et explication au quotidien, Lausanne, Delachaux et Niestlé, coll.
Textes de base en psychologie, 1990.
DE VECCHI Gérard et GIORDAN André, L’enseignement scientifique,
comment faire pour que « ça marche » ? Nice, Z’Éditions, 1989.
DEVEREUX Georges, De l’angoisse à la méthode, Paris, Flammarion,
1980.
FABRE Michel, Bachelard éducateur, Paris, PUF, 1995.
FAVRE Daniel, « Conception de l’erreur et rupture épistémologique »,
Revue française de pédagogie, 111, 1995.
FAYOL Michel, « La notion d’erreur, éléments pour une approche
cognitive », dans : Intelligences, scolarité et réussites. Grenoble, La Pensée
sauvage, 1995 .
FOUCAULT Michel, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966.
GIORDAN André et DE VECCHI Gérard, Les origines du savoir,
Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1987 .
HALTÉ Jean-François, La didactique du français, Paris, PUF, Que sais-je ?
1992.
HAMELINE Daniel, « De l’estime », dans : DELORME Charles (dir.),
L’évaluation en question(s), Paris, ESF éditeur, 1987.
JACOB François, Le jeu des possibles, Paris, Fayard, 1981.
JAFFRÉ Jean-Pierre, DUCARD Dominique et HONVAULT Renée,
L’orthographe en trois dimensions (chap. XII : « Le savoir de l’erreur »),
Paris, Nathan, 1995.
JOHSUA Samuel, Contribution à la délimitation du contraint et du possible
dans l’enseignement de la physique (essai de didactique expérimentale),
Thèse d’état. Université d’Aix-Marseille II, 1985.
KUHN Thomas, La structure des révolutions scientifiques, Paris,
Flammarion, 1972.
LEGENDRE-BERGERON Marie-Françoise, Lexique de la psychologie de
Jean Piaget, Chicoutimi (Québec), Gaëtan Morin, 1980.
LIEURY Alain, Mémoire et réussite scolaire, Paris, Dunod, 1991.
LIEURY Alain, La mémoire, du cerveau à l’homme, Paris, Gallimard, coll.
Dominos, 1993.
MEIRIEU Philippe, Devoirs à la maison, Paris, Syros, 1987.
MEIRIEU Philippe et DEVELAY Michel, Émile, reviens vite, ils sont
devenus fous, Paris, ESF éditeur, 1992.
MEIRIEU Philippe et DEVELAY Michel, Le transfert de connaissances en
formation initiale et continue, Lyon, CRDP, 1996.
NUNZIATI Georgette, « Pour construire un dispositif d’évaluation
formatrice », Cahiers pédagogiques, 280, 1990.
PERRENOUD Philippe, Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris,
ESF éditeur, 1994.
PIAGET Jean, L’équilibration des structures cognitives, Paris, PUF, 1975.
POPPER Karl, La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1972.
RABARDEL Pierre, Les hommes et les technologies, Paris, Armand Colin,
1995.
RANJARD Patrice, Les enseignants persécutés, Paris, Robert Jauze, 1984.
REUTER Yves, « Pour une autre pratique de l’erreur », Pratiques, 44, 1984.
RICHARD Jean-François, Les activités mentales, Paris, Armand Colin,
1990.
REASON James, L’erreur humaine, Paris, PUF, 1993.
REY Bernard, Les compétences transversales en question, Paris, ESF
éditeur, 1996.
SANNER Michel, Du concept au fantasme, Paris, PUF, 1983.
SERRES Michel, Le Tiers instruit, Paris, François Bourrin, 1991.
TONUCCI Francesco, La solitude de l’enfant, Paris, PUF, 1996.
VERGNAUD Gérard, Recherches en éducation et socialisation de l’enfant
(rapport CARRAZ), Paris, La Documentation française, 1983.
VERGNAUD Gérard, « Les fonctions de l’action et de la symbolisation
dans la formation des connaissances chez l’enfant », dans : PIAGET Jean et
al., Psychologie (encyclopédie de la Pléiade), Paris, Gallimard, 1987.
VERMERSCH Pierre, « Analyse de la tâche et fonctionnement cognitif
dans la programmation de l’enseignement », Bulletin de psychologie, 343,
1979.
VERMERSCH Pierre, L’entretien d’explicitation, Paris, ESF éditeur, 1994.
VIENNOT Laurence, Le raisonnement spontané en dynamique élémentaire,
Paris, Hermann, 1979.
ZAKHARTCHOUK Jean-Michel et CASTINCAUD Florence, Lecture
d’énoncés et de consignes, Amiens, CRDP/CRAP-Cahiers pédagogiques,
1987.

Vous aimerez peut-être aussi