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| * IL, — LES BUTS DE LA REGLE DE DROIT But général et buts particuliers. — Aucune société ne peut vivre iésordre, Comme il n’existe pas d’ordre social spontané et que anarchie ne serait que le regne du plus fort, le droit a pour fonction ale .d’assurer V ordre social. is ordre, s'il est indispensable, n’est pas le but ultime des sociétés. ute Société tend vers certaines fins, individuelles ou collectives : bon- heur, richesse, liberté, vertu, puissance, etc. Ces buts particuliers sont - Rombreux et souvent contradictoires. Entre eux le droit fait un choix qui Dest. pas. nécessairement Je méme pour toutes les sociétés a toutes les oques. Il est évidemment impossible de dresser un catalogue des buts patticuliers de toutes les regles de droit. On peut néanmoins distinguer . buts d’ordre moral (bonnes meeurs, justice) et des buts d’ordre matériel ien- commun), tout en observant que, dans la recherche du progrés { moral et matériel, le droit se heurtera & un besoin de sécurité et de stabilité ; qu'il: ne peut. totalement ignorer *. ‘A. — LES FINALITES MORALES 6. — Rapports de la morale et du droit '. — On oppose souvent la morale, dont les buts sont Ia vertu, Ta justice, la charité, et le droit, dont Je but général est ordre social. Un vieil adage, au sens controversé, énseigne que ce qui est le plus conforme au droit est aussi le plus injuste (Summum jus, summa injuria). Mais cet adage signifie plut6t que I’injustice est encore plus grave lorsqu’elle se fonde sur le droit. On cite aussi la (3) CE. infra, n 359 et s. © Gh V_ sur les finalités du droit, qui selon I'auteur est non «ce qui est » mais «oe qui peut et doit étre », M.-Th. Calais-Auloy, Le droit & Yoccidentale, D. 1989. chr. 55. 6. (1) Delville, L’influence de la régle morale dans Ja réalisation du droit, Rev. ech. jur. 1992913 ; Jestaz, Les frontiéres du droit et de la morale, Rev, rech. Jar, 1983.334; Testaz, Pouvoir juridique et pouvoir moral, Rev. trim. dr. oi i990,605. 8. Darmaisin, Le contrat moral (contribution a V'étude de la régle morale dans les obligations civiles), these Paris IL, dactyl. 1998. 22 PREMIERE LEON Phrase de Goethe: «Mieux vaut une injustice qu’un désordre », pour ‘montrer que le but premier du droit est l'ordre, non la justice. Mais rien Winterdit que I'ordre soit fondé sur la justice. Bien au contraire, la loi injuste ne peut que se heurter & la résistance des consciences individuelles et du corps social. Le droit. sera d’autant mieux respecté et assurera autant mieux I'ordre social qu’il sera fondé sur:la morale. Certes le droit peut s*imposer par la force, mais l'ordre juridique risque alors de dégénérer en désordre social. Que deviendrait une société dont le droit Permettrait ou encouragerait Je vol et la violence ? Quelle serait l'autorité une loi dont les auteurs reconnaitraient eux-mémes qu'elle est injuste ? Aussi personne ne conteste-t-il sérieusement que la morale et le droit doivent, autant que possible coincider. Nul ne conteste non plus que Ja morale, qui préexiste au droit et lui est supérieure dans la hiérarchie des i valeurs, doive inspirer lé droit et non Vinverse, Certains en ont méme déduit que le droit devenait illégitime s'il contredisait la morale, mais il S‘agit 1A d'une autre question : le fondement du droit (v. infra, IID). Sans prendre parti sur cette querelle, on n’examinera ici que la fagon dont, en Pratique, le droit tend & assurer le respect de la morale. 7. = Consécration de la morale par le droit; — La plupart des regles juridiques tendent consacrer une tégle morale, mais cette consécration de 'la'morale par le droit est directe ou indirecte, elle est incomplete, elle est implicite ou explicite et'elle est assortie de sanctions diverses. Consécration directe ou indirecte. La loi qui punit Phomicide volontaire ou involontaire consacre ‘directement une régle morale : I'interdiction de tuer. La loi qui oblige les automobilistes & réspecter la signalisation routi@re. consacre indirectement la méme régle, car son but est de prévenir les accidents, donc entre autres, de protéger la vie humaine, Consécration incomplete. La, morale est plus exigeante que le droit. La morale chrétienne exige la charité et la justice '. La charité inclut la générosité, le pardon des offenses. Or, si le droit impose certains devoirs de charité, tel celui de porter secours & une personne en danger, il n’exige ni la générosité (sauf par I'impot) ni le pardon des offenses *. De. méme la morale condamne le mensonge, alors que le droit tolére le mensonge gui n'a pas de conséquences nuisibles. Souvent, ainsi, le droit s'écarte de la morale pour respecter la liberté individuelle. Il ne prétend pas ré tous les comportements, car un excés de pression juridique peut nuire 2 ordre social. Consécration implicite ou explicite. Tant0t le droit, sans se référer & la régle morale, en adopte le contenu : par exemple la loi pénale punit Je meurtre, le vol, V’escroquerie, etc. Tantét le droit se référe, pour la sanctionner, & Ja régle morale: par exemple le Code civil interdit: 7. (1) Sur la justice, v. infra, n° 8. — (2) Dans Pencyclique Dives in-miseris cordia (30 nov. 1980), Le Pape Jean-Paul I envisage le réle nécessaire:de'la miséricorde dans Ia justice. 208 DROIT OBECTE i nt selon T équi outrage public aux bonnes moeure 23 et S. nouveau Code) D'un point NE (art. 1135) ; le Code pénal punit (aut. 283 et s. ancien Code ; art. 227- ons Fe re bonnes mazurs, de bonne foi, d’équité. D'un autre été, la premitre fommulaion a Tinconvenest ae ween I sanction juridique de la morale aux seuls cas prévus par le droit : la malhonnéteté n'est pas punissable en dehors des cas énumérés ; d’od la tentation pour le juge d’étendre, par voie d'interprétation, le domaine de ta reale juridique pour atteindre tous les comportements immoraux. La seconde formulation donne au juge une tres grande liberté, puisqu’il peut donner leur plein effet aux préceptes moraux ; mais son inconvenient est dexposer les justiciables a 1 personnelle qu'il peut avoir de la morale. Ce risque est d'autant plus grand que le contenu de ces notions générales peut évoluer. La morale est plus ou moins exigeante suivant les époques. De nos jours, auteur de M™ Bovary ou celui des Fleurs du mal ne serait plus condamné pour outrage public aux bonnes moeurs, car notre conception de la d&cence est moins stricte que celle du XIX: siécle. En revanche, notre conception de {a bonne foi dans les contrats est probablement plus stricte que celle de nos ancétres. Sanctions de la morale par le droit. Le droit dispose de tout un arsenal de sanctions pénales ou civiles. 1 peut done proportionner le nombre et la rigueur de ses sanctions & l’importance de la r8gle morale qu'il consacre. Les régles essentielles seront dotées de s: sanctions pénales et civiles. Pour les autres regles, des sanctions civiles suffiront On soulignera le foisonnement actuel de comités d’éthique de tous ordres, dont le but, finalement, est avant tout de promouvoir la consécra- tion, par le droit, de régles morales ‘ 7-1. — Conflits de morales. — Lorsque, au sein d'une société, le contenu de la morale est controversé, le droit est conduit soit & s"abstenir @intervenir, soit & consacrer l'une des conceptions en présence. Par exem- ple la morale chrétienne condamne la polygamie et le concubinage ; d'au- 3) Sur tous ces points, v. G.Ripert, La régle morale dans les obligations civiles, 4° dit. 1949. — (4) V. Michaud, Situation juridique du comité national @éthique, in Rapport de la Cour de cassation, 1988, p. 37; Thouvenin, Ethique et droit en matiere bio-médicale, D. 1985. chr. 21 ; d’Onorio, Biologic, morale et droit, J.C.P. 1986.1.3261 ; Mémeteau, Le premier avis du Comité consultati national d’éthique, J.C.P, 1985.1.3191 ; Mémeteau, La place des normes éthiques en droit médical, Rev. rech. jur. 1988.391. B. — FINALITES MATERIELLES 9. — Le bien commun. — Le droit organise I'administration et les tribunaux, il régit les seryices publics (Education, armée, transports, éner- {Bie\/ete.)) il favorise ou limite certaines activités économiques, il régle- mente T’urbanisme, etc:, le tout dans lintérét collectif des membres de Ia société: ID tend, selon expression de Saint Thomas d’Aquin, vers le bien commun. Dans une société technicienne et dirigiste, le nombre des tégles & finalité ‘matérielle s’acctoit considérablement, au point d’occulter les finalités ‘morales du droit. Par exemple, afin d’éviter une trop grande densité urbaine ‘et de sauvegarder les espaces verts, la loi restreint le droit des propriétaifes— de construire, dans certaines zones, par des régles d’urbanisme. Ces restric- tions’ pourraient tre justes si elles donnaient lieu & une indemnisation. Mais tel n'est pas le cas. Or ces restrictions conférent une plus-value aux terrains voisins sur lesquels la construction est autorisée. Il y a transfert de valeur sans contrepartic. La justice commutative est sacrifiée. On ne peut méme pas dire que ce soit au profit de la justice distributive, car le sacrifice imposé a quelques propriétaires est épargné aux autres membres: de Ia socigté. Si la recherche du bien commun exige un minimum de contrainte juridique, 1’étendue et Iintensité de cette contrainte varient selon les systémes politiques et économiques. Dans une économie libérale, on fait confiancé & I’intiative individuelle pour inventer, fabriquer et distribuer des richesses dont 'abondance profitera a tous. Dans une économie diri- giste, le role du droit s’élargit : les activités sont soumises & autorisation Certaines sont interdites ou réservées & quelques personnes ; T’utilisation des capitaux, la production et la circulation des biens, l'emploi des person- nes sont réglementés, encouragés ou découragés. La finalité reste le bien commun, mais les moyens pour y parvenir sont totalement différents. C. — BESOIN DE SECURITE ET DE STABILITE JURIDIQUES 10. — La sécurité juridique. — La sécurité juridique — qu’il ne faut ppas confondre avec la sécurité matérielle (protection contre les accidents, les vols, les agressions) — suppose la possibilité, pour les personnes, de prévoir les conséquences de leurs actes. C’est une garantie de liberté individuelle, nécessaire & Vactivité sociale et économique. La sécurité juridique exige trois conditions : La premitre est la clarté et la précision des regles juridiques. Lorsque la régle est obscure, que son sens est controversé, on ne peut agir avec certitude. C'est pourquoi la loi évite en général utiliser des termes vagues, surtout en matiére pénale. C’est aussi la raison pour laquelle le droit frangais, s'il tend a réaliser la justice, le fait autant que possible par des régles précises. Par exemple, il évite les termes « juste prix », «juste salaire », etc, en raison de leur ambiguité !. Lorsque le contrat est 10. (1) Mais en cas d’expropriation ou de nationalisation, le propriétaire a

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