Vous êtes sur la page 1sur 328

Terrorisme

DU MÊME AUTEUR

Djihad : l’asymétrie entre fanatisme et incompréhension, Éditions


Lavauzelle, 2009.

Encyclopédie des Terrorismes et Violences Organisées, Éditions


Lavauzelle, 2009.

Le Renseignement et la Lutte contre le Terrorisme : stratégies et


perspectives internationales, Éditions Lavauzelle, 2005.

Encyclopédie du Renseignement et des Services Secrets, Éditions


Lavauzelle, 2004.

La Guerre asymétrique ou la Défaite du vainqueur, Éditions du Rocher,


2003.

Les forces spéciales de l’organisation du Traité de Varsovie, 1917-2000,


L’Harmattan, 2002.
Tous droits de traduction, d’adaptation et
de reproduction réservés pour tous pays.

© 2016, Groupe Artège


Éditions du Rocher
28, rue Comte Félix Gastaldi - BP 521
98015 Monaco

www.editionsdurocher.fr

ISBN : 978-2-268-08403-9
ISBN epub : 978-2-268-08547-0
Terrorisme
Mensonges politiques et
stratégies fatales de l’Occident
À ma cousine Valérie

Remerciements à Étienne D.,


infatigable explorateur du net
au service de la paix et de la raison
Préambule

« Je monte sur mon bureau pour ne pas


oublier qu’on doit s’obliger sans cesse à tout
regarder sous un angle différent. »

Le Cercle des poètes disparus (1989)


écrit par Tom
Schulman

En 2003, un précédent ouvrage intitulé La Guerre asymétrique ou la


défaite du vainqueur1, décrivait les mécanismes complexes du terrorisme
djihadiste, clairs, mais hors de la logique cartésienne occidentale et à
contre-sens de l’art de la guerre occidental. En 2015, toutes ses conclusions
se sont vérifiées, les mécanismes se sont déroulés comme décrits douze ans
plus tôt avec leurs sanglantes conséquences et dans l’incohérence
occidentale. Pour mieux comprendre cette violence toujours plus présente,
il nous faut retourner sur les événements qui y ont effectivement conduit.
Fin 2015, les ambitions américaines, puis européennes, d’instaurer la
démocratie en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie et ailleurs, sont de
lointains souvenirs. La situation en Syrie s’enlise avec l’installation
toujours plus robuste d’un « État islamique » qui, du statut de groupe armé,
passe progressivement à celui d’État. L’Irak s’enfonce toujours plus
profondément dans le chaos. L’Afghanistan suit inexorablement le même
chemin, contraignant le Président Obama à retarder d’un an le départ des
forces américaines. La Libye est devenue un État failli et la plaque
tournante d’un trafic illicite d’armes en Afrique du Nord qui alimente des
mouvements armés jusqu’en Syrie et en Somalie. Des pays pour-tant
prometteurs comme la Tunisie et l’Égypte – qui furent à la pointe du
développement des droits sociaux, et notamment des droits de la femme –
montrent des velléités totalitaires pro-occidentales, qui ont encouragé le
développement de zones de non-droit sur leur territoire et l’apparition de
groupes terroristes autrefois inconnus dans ces pays traditionnellement
conviviaux.
Il n’y avait pas d’opposition islamiste structurée avant la tentative de
déstabilisation de l’Afghanistan, que l’intervention soviétique voulait
maîtriser. Ce que nous appelons « Al-Qaïda » est issu d’une volonté de
résistance contre ce qui était, à tort ou à raison, considéré comme une
occupation militaire en Arabie Saoudite. Il n’y avait pas de groupe « État
islamique en Irak » (qui deviendra « l’État islamique ») avant qu’une
résistance s’organise face à l’occupation américaine. À défaut de
démocratie, la Libye était le pays avec le plus haut niveau de
développement humain d’Afrique en 2010 avant l’intervention de l’OTAN.
Il n’y aurait pas de force islamiste armée en Syrie sans le vide du pouvoir,
que la France et les États-Unis ont créé en militarisant et en fournissant des
armes à la rébellion syrienne, et permettant ainsi à l’État islamique de s’y
déployer à partir de l’Irak.
Simultanément, et malgré la mort de quelque 130 000 militaires
occidentaux2 pour le combattre, le terrorisme frappe toujours plus. En 1990,
le nombre d’attentats terroristes à travers le monde atteignait le chiffre de
455 provoquant la mort d’environ 350 personnes3 (soit 0,77 morts par
attentat). En 2014, le monde a connu 13 463 attentats causant quelque 32
700 morts4 (soit 2,43 morts par attentat). Autrement dit, non seulement les
attentats ont augmenté en nombre, mais ils sont également devenus
globalement plus meurtriers. La France, épargnée par la vague d’attentats
des années 2000, devient la cible d’actes qui frappent l’Europe, commis par
des individus isolés et quasi-indétectables : au Musée juif de Bruxelles (24
mai 2014), contre Charlie Hebdo à Paris (7 janvier 2015), à Copenhague
(14 février 2015), dans le Thalys en France (21 août 2015), et dans les rues
de Paris et au Bataclan (13 novembre 2015).
Or, assez curieusement, depuis un quart de siècle, l’Occident semble
subir ces changements sans que les politiciens, les citoyens, les journalistes,
les militaires ni même les humanitaires s’interrogent sur le séquencement
de ces événements et les enchaînements de décisions désastreuses qui y
conduisirent. Plus grave, on répète les mêmes schémas pour tenter de
résoudre les problèmes que l’on a créés précédemment… avec des effets
qui se cumulent.
En fait, le terrorisme reste compris en Occident comme il y a un demi-
siècle. Dans les années 60-80, le terrorisme était lié à des mouvements
marxistes révolutionnaires – alors largement soutenus par l’URSS – et
motivé par la volonté de « changer le système ». En d’autres termes, il y
avait une certaine inéluctabilité du terrorisme, liée à une dialectique qui
voyait la guerre entre les systèmes capitalistes et socialistes comme
inévitable. Aujourd’hui, le terrorisme islamiste n’a pas vocation à « changer
le système ». À part certains attentats motivés par la seule haine (comme
par exemple l’attentat contre la synagogue de Djerba du 11 avril 2002) la
grande majorité des attentats terroristes islamistes ont été perpétrés dans le
cadre d’une réponse aux interventions occidentales, et pourraient donc – en
théorie – être évités.
Nous avons tendance à expliquer (pour ne pas dire « construire ») la
doctrine des terroristes à partir des faits, au lieu d’expliquer les faits à partir
de la doctrine. Il en résulte une image qui reflète l’état de nos émotions,
mais nous empêche de concevoir une réelle prévention du phénomène.
La religion est devenue le support d’une revendication identitaire et une
forme de guerre de libération contre une emprise occidentale
multidimensionnelle qui accepte – et même revendique – de bousculer les
cultures locales. Les interventions militaires occidentales, souvent
illégitimes, voire illégales, ont transformé cette revendication en une
résistance (Djihad) qui a rapidement pris la forme du terrorisme. La
violence islamiste obéit à des logiques que nous comprenons mal, ne serait-
ce que parce que le Djihad place la mort dans une perspective inhabituelle
pour la culture occidentale, créant une dynamique asymétrique où les
mécanismes de la dissuasion conventionnelle ne fonctionnent plus.
Devant l’incapacité à résoudre le problème, le langage de la fermeté
s’impose au détriment des libertés individuelles et de la vie privée qui
reculent, les législations nationales sur le renseignement se durcissent,
l’usage de la torture se banalise en Occident, mettant en question les valeurs
mêmes que nous défendions un quart de siècle plus tôt. Les réponses
simples, fermes et martiales confortent l’opinion publique, mais déchargent
les services de renseignement et les politiques de leur capacité de réflexion.
Les solutions sont superficielles et amplifient le problème et, au final, n’en
sont pas.
Le renseignement, dont il semble que plus on en parle moins on en
comprend la finalité, gagne en pouvoir, et perd en efficacité. Or, de crise en
crise, depuis 1990, tout était prévisible. Les signes laissant prévoir le
désastre actuel étaient présents, ouvertement disponibles et connus. Les
massacres des chrétiens d’Irak par les milices sunnites « modérées », alors
alliées des États-Unis dès 2004, la nature criminelle (et terroriste) des
organisations soutenues par la France et les États-Unis en Libye et en Syrie
dès 2011-2012, la culpabilité des organisations rebelles dans les attaques
chimiques de 2013 en Syrie, et bien d’autres faits étaient parfaitement
documentés, mais ont été volontairement occultés, comme nous le verrons
ultérieurement.
Dans les pays occidentaux, le renseignement est essentiellement un outil
de l’État de Droit, dont le but est d’éviter l’arbitraire dans la décision, et de
permettre une traçabilité, même confidentielle, du processus décisionnel.
Les échecs stratégiques que l’on observe en Afghanistan, en Irak, en Libye
ou en Syrie (pour ne mentionner que les exemples les plus récents) posent
la question des capacités effectives des services, et suggèrent deux
hypothèses, qui ne sont pas mutuellement exclusives : une faiblesse
analytique avec, comme corollaire, l’incapacité à anticiper les problèmes
stratégiques, ou un déficit de communication avec les décideurs politiques,
qui se fient plus à leur intuition qu’aux services. Dans les deux cas, et a
fortiori avec une combinaison des deux, il s’agit de profonds
dysfonctionnements de nos appareils démocratiques, mais qui ne semblent
pas susciter d’émotion particulière. Étonnamment, dans plusieurs pays
européens, dont la France, le renforcement – nécessaire – des capacités de
renseignement s’est traduit par des législations qui favorisent l’acquisition
d’informations (souvent au détriment des libertés individuelles) alors que le
vrai problème se situe en amont, requérant des capacités analytiques plus
étoffées.
Cette évolution n’est certes pas le fruit du hasard. Mais elle n’est pas
non plus la conséquence de complots ourdis par quelque entreprise
multinationale, ou par de grands ordonnateurs, de sectes ou de sociétés
secrètes qui cherchent à dominer le monde. Elle résulte essentiellement
d’une perception ethnocentrique du problème terroriste, largement teintée
de marxisme, laquelle nous a progressivement amenés à y répondre de
manière inadaptée.
Il ne s’agit pas ici de refaire l’Histoire, mais de tenter de comprendre les
erreurs commises, d’identifier les points d’inflexion qui nous ont conduits
où nous sommes, et mesurer l’écart entre la trajectoire initiale et celle que
nous avons prise. À cet effet, il faut reprendre les faits, réécouter les acteurs
eux-mêmes et revoir nos interprétations. Comme nous le constaterons, plus
que du machiavélisme, les problèmes viennent de l’incompétence des
dirigeants politiques et de leurs administrations, « éclairés » par l’ignorance
d’« experts » elle-même modulée par l’ambition, la recherche de gloire
personnelle, le manque de vision à long terme, le diktat des sondages et une
soif politicienne de « résultats » à court terme.

1. Jacques Baud, La Guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Éditions du Rocher, Monaco,


2003.
2. Ce chiffre comprend outre les 30 000 morts sur les théâtres d’opérations, les morts par suicide.
(« The true cost of the war on terror : $3,7 trillion and counting… and up to 258,000 lives », The
Daily Mail, 20 juin 2011, http://www.dailymail.co.uk/news/article-2009371/Iraq-Afghanistan-
Pakistan-wars-US-cost-3-7trillion-258k-lives.html), Aux États-Unis, depuis 2003, le suicide fait
environ 7000 victimes par an parmi les vétérans des guerres d’Irak et d’Afghanistan (Janet Kemp,
RN PhD & Robert M. Bossarte, PhD, Suicide Data Report, 2012, Department of Veterans Affairs,
Mental Health Services, Suicide Prevention Program).
3. U.S. Department of State, Patterns of Global Terrorism – 1990, G.P.O., Washington D.C., 1991.
4. National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, Annex of Statistical
Information, Country Reports on Terrorism 2014, College Park (MD), juin 2015.
Les acteurs

LES ÉTATS-UNIS
Une histoire de manipulations

Plus particulièrement depuis le XIXe siècle, les États-Unis ont été un


objet d’admiration, de fascination et d’espoir pour les Européens, auquel
s’est ajouté dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, un profond sentiment
de gratitude. La crainte de l’Union soviétique, et d’une troisième guerre
mondiale, a non seulement renforcé ces sentiments, mais a également
généré une confiance quasi-aveugle des Européens envers les capacités
militaires américaines, créant une véri-table dépendance intellectuelle, qui
persiste encore aujourd’hui.
En réalité, sur le plan militaire, malgré une grande opulence matérielle,
les capacités opérationnelles américaines sont inefficientes et inefficaces.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à part quelques victoires à la
Pyrrhus dans des conflits de dimension tactique-opérative (invasion de la
Grenade, du Panama, libération du Koweït) les forces armées américaines
ont été relativement inefficaces dans les conflits nécessitant une approche
stratégique complexe dépassant l’usage de la force brute (Vietnam,
Somalie, Afghanistan, Irak, Syrie), avec un coût humain disproportionné.
Ce fut le cas avec l’emploi des deux premières bombes nucléaires sur le
Japon en 1945, comme devait le confesser le général américain Dwight D.
Eisenhower, ancien Commandant suprême des Forces alliées en Europe et
président des États-Unis :

J’étais contre pour deux raisons. Premièrement, les


Japonais étaient prêts à se rendre et il n’était pas
nécessaire de les bombarder. Deuxièmement, je détestais
voir notre pays être le premier à utiliser de telles armes1.
Dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, les insuffisances
du commandement américain et la brutalité des frappes contre les civils en
France, en Belgique et en Allemagne ont fait craindre aux Américains que
leur crédibilité ne s’effondre rapidement après le conflit, et que l’Europe
puisse se retourner contre eux. Ainsi, dès avril 1945, une opération de
désinformation considérable est organisée par l’Office of War Information
(OWI) – et bien documentée aujourd’hui – visant, entre autres, à faire
oublier les crimes américains en accentuant les horreurs attribuées à
l’Allemagne2. Les crimes de guerre américains, parmi lesquels
l’extermination de plus d’un million de prisonniers de guerre allemands
dans des camps français et belges entre 1945 et 19463, et le viol de quelque
3500 femmes et enfants français et 11 400 femmes et enfants allemands
entre 1944 et 1945 (la plupart traités avec complaisance par la hiérarchie
américaine et impunis4) passeront à la trappe de l’Histoire :

Un remarquable professeur américain que j’ai


rencontré à Heidelberg exprime l’idée que les autorités
militaires des États-Unis, lorsqu’elles sont entrées en
Allemagne et ont vu les terribles destructions causées par
nos bombardements, ont craint que la connaissance de ces
faits provoque une révulsion de l’opinion en Amérique, et
puisse empêcher la mise en œuvre de la politique de
Washington pour l’Allemagne, en réveillant la sympathie
pour les vaincus et en dévoilant nos crimes de guerre.
Ceci, pense-t-il, est la raison pour laquelle une complète
flotte d’avions a été utilisée par le général Eisenhower
pour amener des journalistes, des parlementaires et des
ecclésiastiques voir les camps de concentration ; l’idée
étant que la vision des victimes affamées d’Hitler
effacerait de leur conscience notre propre culpabilité.
Cela a certainement fonctionné ainsi. Aucun journal de
grande distribution américain actuel n’a décrit les
horreurs de nos bombardements, ou décrit les conditions
dans lesquelles les survivants vivent dans des ruines
pleines de cadavres. Les Américains ont été abreuvés
uniquement par les atrocités allemandes5.
Dans l’euphorie de la victoire, de la reconstruction et sur un fond de
guerre froide, la communauté internationale occidentale a complaisamment
accepté cette distorsion, qui s’est imposée dans nos livres d’Histoire. Par la
suite, les États-Unis n’ont guère eu de scrupules à utiliser les mêmes
ressorts pour justifier l’usage de la force et y entraîner leurs alliés
européens.
Si formellement, les États-Unis ne peuvent entrer en guerre que sur
décision du Congrès, le président – en tant que Chef suprême des Forces
armées – a la possibilité de contourner cette décision et d’utiliser la force,
notamment en cas de danger imminent ou de légitime défense. Ainsi, les
présidents américains ont dû soit attendre un événement qui leur donne le
droit d’entrer en guerre… soit le provoquer.
Force est de constater que pratiquement chaque conflit où les États-Unis
ont été impliqués a débuté soit par une opération clandestine (souvent de
nature criminelle), soit par une manipulation visant à faire passer les États-
Unis pour les victimes d’une agression, permettant ainsi de forcer la main
du Congrès :
- En 1898, une explosion accidentelle à bord de l’USS Maine provoque
255 morts américains et son naufrage dans le port de La Havane. La cause
en est attribuée à l’Espagne et sert de prétexte à l’entrée en guerre des États-
Unis, qui conduira à la conquête de Cuba, des Philippines et de Guam. On
apprendra, en 1980, que la cause était en réalité une explosion à l’intérieur
du navire et que l’Espagne n’avait aucune responsabilité dans l’incident
dont on ignore encore s’il a été accidentel ou délibéré6.
- En 1915, le naufrage du paquebot Lusitania (1200 morts) – navire
civil utilisé par les États-Unis, alors neutres, pour convoyer
clandestinement, et en violation des conventions internationales concernant
la neutralité, en cas de guerre, du matériel militaire vers la Grande-Bretagne
– a été causé par l’explosion d’une partie des trois tonnes de munitions à
bord. Le torpillage par un sous-marin allemand, qui a servi de prétexte à
l’entrée en guerre des États-Unis, reste un sujet de controverse : son passage
dans une zone déclarée « de guerre », sans escorte, infestée de sous-marins
allemands, le condamnait irrémédiablement7. Les affirmations selon
lesquelles les services de renseignements américains auraient « glissé » aux
services allemands l’information selon laquelle le paquebot transportait des
munitions, afin d’en provoquer le torpillage, restent contestées.
- En 1941, l’attaque contre Pearl Harbor par le Japon n’est pas arrivée
de manière totalement inattendue. Non seulement les États-Unis avaient
déjà engagé en Chine, dès 1940, une unité d’aviation américaine opérant
sous cocardes chi-noises (les « Tigres volants »), laquelle avait déjà abattu
quelque 100 avions japonais avant décembre 1941, mais encore ils avaient
imposé au Japon un blocus des importations de pétrole, notamment en lui
interdisant l’accès au canal de Panama. De plus, les préparatifs japonais
pour l’attaque contre la base aéronavale de Pearl Harbor avaient été
détectés, mais non communiqués à l’amiral Husband E. Kimmel,
commandant de la Flotte du Pacifique, qui avait été délibérément
désinformé par un mémo présidentiel sur la nature de la menace sur la base.
Cette attaque a permis de justifier l’entrée en guerre des États-Unis.
- En 1950, l’attaque de la Corée du Nord a été provoquée par des
opérations clandestines menées conjointement par la Corée du Sud, la
Chine nationaliste (Taïwan) et les États-Unis dès 1949.
- Le 13 mars 1962, le président du Joint Chiefs of Staff, L. L.
Lemnitzer, signe un document TOP SECRET intitulé « Justification pour
une intervention militaire américaine à Cuba » qui propose de créer des
incidents suggérant l’implication de Cuba, justifiant ainsi une intervention
américaine contre le régime castriste. Parmi les suggestions avancées, la
menée d’attentats terroristes dans la région de Miami ou la destruction en
vol d’un avion de ligne américain. Connu sous le nom de code
NORTHWOODS8, ce document est souvent évoqué comme un possible
modèle pour les attentats du 11 Septembre.
- Le 2 août 1964, une prétendue attaque à la torpille contre le navire
américain USS Maddox par des vedettes nord-viet-namiennes sert de
prétexte pour justifier l’intervention américaine au Vietnam. Ce qui restera
dans l’Histoire comme l’« Incident du Golfe du Tonkin » n’a, en fait, jamais
eu lieu9.
Plus récemment, au Moyen-Orient, toute une série de falsifications et
d’impostures destinées à influencer le Conseil de sécurité des Nations unies
ou le Congrès américain – que nous examinerons plus en détail dans cet
ouvrage – permettent aux États-Unis d’entrer en guerre en contournant les
procédures légales. Oubliées en Occident, mais bien présentes dans la
littérature et l’esprit des islamistes – pour qui elles constituent une preuve
de la mauvaise foi occidentale –, elles ont contribué de façon significative à
la radicalisation des rapports entre Occident et Islam, y compris en Europe :
- En 1991, la mystification de la mise à sac de la maternité de Koweït
City ;
- En 2001, le prétexte du rôle des Taliban10 dans les attentats du 11
Septembre ;
- En 2003, l’imposture des armes de destruction massive pour attaquer
l’Irak ;
- En 2013, l’imposture de l’usage d’armes chimiques pour justifier une
intervention contre le régime syrien ;
- En 2014, l’imposture du « groupe Khorasan » pour justifier
l’intervention américaine contre le régime syrien.
Au final, depuis plus d’un siècle, les États-Unis ne sont jamais entrés
dans un conflit majeur sans en avoir créé les conditions au préalable. La
méthode est pratiquement toujours la même et comprend trois ingrédients
essentiels :
- Un adversaire, présenté comme suffisamment dangereux, irrationnel et
impitoyable pour justifier moralement sa destruction par la force, voire la
violation du droit international;
- Un incident ou une menace, qui place les États-Unis dans une posture
de légitime défense ;
- Une cause consensuelle avec un objectif qui transcende l’usage de la
force (démocratie, droit international, droits de l’homme, etc.) et qui
culpabilise ceux qui ne seraient pas déterminés à embrasser cette cause
(« avec nous ou contre nous »).

Des intérêts sans stratégie

Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis sont restés en


permanence impliqués dans un conflit quelque part sur le globe, générant
des problèmes en cascade. Souvent présentés comme le résultat d’une
intelligence coordonnée et machiavélique, ces engagements sont
probablement davantage le fruit de la concomitance d’intérêts variés, pas
toujours cohérents et souvent antagonistes.
On peut trouver de multiples raisons qui poussent les États-Unis à
s’engager dans des conflits, dont les plus significatives sont sans doute :
- La protection du pétrodollar. En résumé, avec l’abandon des accords
de Bretton Woods et de la convertibilité du dollar en or en 1972 (pour
pouvoir financer la guerre du Vietnam), les États-Unis ont manœuvré avec
les pays du Golfe (1973), puis avec l’ensemble des pays producteurs de
pétrole (1975), pour que le pétrole soit payé exclusivement en dollars. Ce
système du « pétrodollar » a obligé les autres pays du monde à se procurer
des dollars, permettant ainsi aux États-Unis de produire des dollars sans se
trouver pris dans une boucle inflationniste, dans une sorte de « système de
Ponzi11 ». Ainsi, grâce au pétrodollar, l’économie américaine – qui est
essentiellement une économie de consommation – est soutenue par les
économies des autres pays du globe. La disparition du pétrodollar
constituerait un revers considérable pour l’économie américaine, voire son
effondrement, comme a averti le sénateur républicain Ron Paul12. Il est dès
lors intéressant de mettre cette dépendance, et ce risque, en relation avec les
divers conflits du Moyen-Orient. Le 26 septembre 2000, l’Irak signale qu’il
vendra désormais son pétrole en euros13 ; en 2004, l’Iran annonce la
création d’une bourse séparée, indépendante du dollar, opérationnelle
depuis 2011, et, depuis avril 2008, n’accepte plus de dollars pour son
pétrole14 ; en septembre 2008, la Russie ouvre une bourse pour la vente du
pétrole contre des roubles et de l’or et, depuis quelques années, achète de
l’or en quantité15 ; en mars 2009, Kadhafi – alors président de l’Union
africaine – réussit à faire accepter l’idée d’une monnaie africaine unique,
liée à l’or et destinée à payer les matières premières, dont les produits
pétroliers16. En clair, et pour autant que ces initiatives prennent pied, les
États-Unis seraient engagés dans un combat pour leur survie économique
pour le moyen et long terme. Ce n’est probablement pas une coïncidence si
l’accord signé en décembre 2015 entre les factions libyennes, et avalisé par
les ÉtatsUnis, prévoit comme mesure immédiate la nomination du directeur
de la Banque centrale et le ministre des Ressources pétrolières.
- La survie du complexe militaro-industriel. Après la guerre froide, les
États-Unis ont observé avec inquiétude, et intérêt, le démantèlement du
secteur militaro-industriel européen et sa restructuration autour de priorités
nouvelles. Aux ÉtatsUnis, le secteur militaro-industriel est l’un des rares
domaines où le potentiel d’innovation reste intact, d’où la réticence à
abandonner ce secteur dont l’avantage comparatif est certain. Avec un
Extrême-Orient qui a bousculé les industries de l’automobile et des
chantiers navals, et une Asie du Sud-Est qui devient le centre de gravité de
la production de matériel informatique et de logiciels, et globalement une
industrie américaine en panne d’innovation17, le besoin de maintenir une
capacité de recherche et développement (R & D) et de production dans le –
et grâce au – domaine militaire est devenu un enjeu national. Ainsi, en
2010, les dépenses de R & D américaines s’élevaient à 75 milliards de
dollars, tandis que la France et la Grande-Bretagne dépensaient ensemble
6,6 milliards de dollars18. Déjà en 1961, le général et Prési-dent des États-
Unis Dwight Eisenhower mettait en garde contre l’importance croissante du
complexe militaro-industriel dans la politique américaine :

Parmi les conseillers du gouvernement, nous devons


nous préserver contre la progression indue, voulue ou
non, de l’influence du complexe militaro-industriel. Le
potentiel pour une croissance désastreuse d’un pouvoir
inopportun existe et persistera19.

L’économie américaine est devenue étroitement dépendante de la


défense. Certains économistes américains y voient la raison du déclin de la
capacité industrielle civile (automobile, aviation, chantiers navals, etc.)20.
- Le soutien à Israël. Le soutien à Israël est un aspect essentiel de la
politique extérieure et de l’engagement américain au Proche et Moyen-
Orient, mais il n’est pas certain qu’il en soit l’élément central. Ceci étant, il
est également évident que le gouvernement américain n’a pas une influence
décisive sur Israël, en raison des forces qui existent dans l’administration et
dans l’establishment américain. Les différentes affaires qui ont opposé
Israël aux États-Unis, comme l’attaque israélienne délibérée contre le
navire USS Liberty (1967), l’affaire d’espionnage de Jonathan Pollard21
(1985) ou la question israélo-palestinienne, n’ont jamais réellement affecté
profondément les relations bilatérales entre les deux pays.
- À ces aspects « matériels » s’ajoutent des éléments culturels comme
une certaine forme de messianisme, probablement influencé par une culture
essentiellement protestante, et guidé par une conviction profonde que le
modèle américain répond à une aspiration profonde des peuples et que sa
diffusion va dans le sens de l’Histoire. Cette vision, quasi-marxiste, est
alimentée par le fait que, globalement, l’économie américaine fonctionne
bien et que la démocratie américaine est souvent considérée comme un
exemple dans nos sociétés.
Si – et dans quelle mesure – ces divers facteurs sont intervenus dans les
décisions prises par les Américains pour s’engager dans des conflits est
matière à discussion, sort également du cadre de cet ouvrage. Dans tous les
cas, il est difficile d’y déceler une stratégie cohérente. En fait, forts de leur
héritage du far-west, les États-Unis pratiquent le tir à la hanche, sans grande
réflexion, même au niveau stratégique. Loin d’être une boutade, cette
manière de faire a acquis une dimension doctrinale, énoncée par le vice-
président Dick Cheney en 2001, et mieux connue sous le nom de « Doctrine
Cheney » ou « Doctrine du 1 % » :

S’il y a 1% de probabilité que des scientifiques


pakistanais aident les terroristes à développer ou à
construire des armes de destruction massive, nous devons
le traiter comme une certitude, en terme de réponse22.

Cette doctrine, quelque peu simpliste, explique les interventions


américaines menées depuis un quart de siècle… et leurs échecs. Ainsi
l’action américaine dans le monde est-elle sans doute le résultat de
combinaisons et de convergences d’intérêts, liées plus par l’opportunité que
par un machiavélisme intelligent. Il en est ainsi du pétrole irakien, que l’on
avait vu comme raison première de l’invasion américaine en 2003, mais qui
profite aujourd’hui en premier lieu à la Chine23, sans que les États-Unis ne
puissent tirer profit de l’investissement financier et humain payé.

Après 10 ans, nous savons que les raisons pour la


guerre en Irak étaient considérablement plus incohérentes
que ce que suggérait la théorie du complot. L’invasion du
20 mars 2003 apparaît comme étant le produit d’un
mélange d’opportunisme, de crédulité béate de
l’administration Bush envers ce que les exilés irakiens lui
racontaient, de frustrations néo-libérales d’une grandeur
impériale, d’une obsession irrationnelle de Saddam
Hussein, de problèmes psychologiques entre les Bush père
et fils – et quelque part là-dedans des intérêts de Dick
Cheney dans le pétrole24.

Le bouleversement programmé du Moyen-Orient


En fait, dès la mi-septembre 2001 déjà, bien avant le début des
prétendues « révolutions citoyennes » de 2010-2012, les États-Unis avaient
un plan pour renverser 7 gouvernements du Proche et Moyen-Orient, dont
le régime syrien. En mars 2007, le général américain Wesley Clark, ancien
Commandant suprême des Forces alliées en Europe de l’OTAN, lors d’une
interview télévisée, rapporte une conversation qu’il a eue au Pentagone
juste après le 11 Septembre :

Un des généraux […] me dit :


« Nous avons pris la décision d’aller en guerre contre l’Irak !
— Nous allons en guerre contre l’Irak ? Pour-quoi ?
— Je ne sais pas… Je pense qu’ils n’ont rien d’autre à faire. »
Je dis :
« Auraient-ils découvert quelque
information qui relie Saddam à Al-Qaïda ?
— Non, non. Il n’y a rien de nouveau dans ce domaine. Ils ont juste pris
la décision d’aller en guerre contre l’Irak. Je pense qu’on ne sait pas quoi
faire à propos du terrorisme, mais nous avons un bon appareil militaire et
nous savons renverser des gouvernements ! »
Je suis revenu le voir quelques semaines plus tard, et à ce moment nous
étions en train de bombarder l’Afghanistan, et je lui demande :
« Nous allons encore en guerre contre l’Irak ? »
Il me répond :
« C’est pire que ça ! »
Il prend sur son bureau un papier : « Je viens de recevoir aujourd’hui
ce mémo de l’étage du dessus, du bureau du secrétaire à la Défense, qui
décrit comment nous allons faire tomber 7 pays en 5 ans : l’Irak, la Syrie,
le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan, et finir par l’Iran25 ! »

On retrouve dans cette liste les 3 pays arabes qui ont renoncé au
système des pétrodollars pour vendre leur pétrole et les ennemis
« traditionnels » d’Israël. Cette intention avait aussi été évoquée dans le
message attribué à Oussama Ben Laden et diffusé le 16 février 2003, par
l’entremise d’une cassette audio et communiquée à l’agence de presse
Islamic Al-Ansaar, basée en Grande-Bretagne26 :
Il est clair que les préparations d’attaques contre
l’Irak font partie d’une série d’attaques planifiées contre
des nations de la région, qui incluent la Syrie, l’Iran,
l’Égypte et le Soudan.

Ce sont apparemment les échecs – pour ne pas dire les défaites – subies
par les Américains en Irak, en Afghanistan et en Libye qui ont finalement
perturbé cette planification. Par la suite, comme nous le verrons, l’existence
d’un plan spécifique pour déstabiliser la Syrie sera également confirmée par
l’ex-ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas.
De ces éléments, on peut retirer deux observations essentielles :
- Premièrement, il est aujourd’hui établi que l’épisode des armes de
destruction massive irakiennes n’était qu’un écran de fumée et que la guerre
en Irak était déjà prévue de longue date, comme le seront plus tard les
interventions en Libye et en Syrie. Mais outre le fait que les États-Unis ont
systématiquement menti à leurs alliés afin de les entraîner dans des conflits
servant leurs propres intérêts, il est frappant de constater l’incapacité de ces
alliés à détecter les mystifications et à avoir une capacité analytique
indépendante.
- Deuxièmement, on observe que les mécanismes structurels ou
institutionnels, au sein des démocraties occidentales, ne suffisent pas à
infléchir les décisions de l’exécutif pour partir en guerre, même si les
raisons sont fallacieuses. En 2003, l’opposition française à la guerre en Irak
était alors empreinte de bon sens, mais elle ne semble pas avoir été appuyée
de manière décisive par des éléments de renseignement sur la situation en
Irak.
Malgré les multiples théories du complot qui tentent d’expliquer la
stratégie américaine, la réalité semble être plus prosaïque. Les diverses
guerres dans lesquelles les États-Unis s’impliquent bruyamment – et qu’ils
perdent d’ailleurs presque systématiquement – ne sont pas conduites selon
une stratégie définie, mais à travers un ensemble d’engagements tactiques,
guidés par un mélange d’arrogance, une surestimation de leurs capacités,
une propension quasi-marxiste à propager un système politique et
économique qu’ils pensent être le meilleur et, surtout, une énorme
incapacité à en comprendre la vraie nature.

ISRAËL
La logique de la violence islamiste, même si elle diffère profondément
de la logique occidentale, est relativement simple à saisir et s’appuie sur des
constantes culturelles (et religieuses) connues, qui ont une cohérence
propre. La difficulté de l’Occident à rapprocher cette logique de la sienne
propre génère une asymétrie, que nous définirons plus loin, et une difficulté
fondamentale pour les stratèges occidentaux à maîtriser la violence. En
revanche, la logique avec laquelle Israël combat le terrorisme est plus
difficile à saisir. Elle est le fruit d’une manière de penser plus ambiguë,
capable de jouer sur plusieurs tableaux à la fois, qui s’appuie sur un
pragmatisme et une confiance en soi exacerbés.
De fait, Israël est le seul pays du monde à n’avoir pas su juguler la
menace terroriste en plus de 60 ans. Des centaines de terroristes ont été
tués, des milliers de maisons détruites, mais les groupes armés se sont
multipliés et se sont radicalisés au fil des ans. Il n’y a pas de fatalisme ici.
Travaillant dans un véritable carcan idéologique, les autorités et les services
de renseignement n’ont pas créé les outils nécessaires à la lutte contre le
terrorisme au niveau stratégique. La lutte est donc menée avec une certaine
efficacité au niveau tactique, mais tend à générer davantage de terrorisme.
Que ce mécanisme, qui est clairement observable, soit le résultat d’un
aveuglement ou, au contraire, le fait d’un machiavélisme cynique, est un
débat qui sort du cadre de cet ouvrage. Ce qui est certain, c’est que la
politique régionale et sécuritaire d’Israël depuis sa création a été de nature
déstabilisante.
Pourtant, Israël se place dans une perspective stratégique
fondamentalement distincte de celle des pays occidentaux, en théorie tout
au moins. Depuis plus de 60 ans, le pays mène une « politique du pire » à
l’égard de ses voisins, qui favorise les mouvements extrémistes, mais
empêche les cohésions nationales et rend difficile la constitution
d’éventuelles coalitions arabes capables de « rejeter » sa population à la
mer. Cette politique est exactement celle qui a été appliquée aux relations
israélo-palestiniennes. Alors qu’en Europe a prévalu l’idée que la paix et la
sécurité résultent de la stabilité et de la coopération entre voisins, Israël a
construit sa sécurité en accentuant et stimulant les divisions entre Arabes.
Malgré cette divergence stratégique, pour des raisons diverses, l’Occident a
maintenu son soutien à la politique israélienne.

Une Histoire entre mythes et réalités


Le regard que les pays occidentaux, États-Unis en tête, portent sur Israël
est largement acritique. Il est alimenté par une connaissance très imparfaite
de la genèse de l’État d’Israël, qui a induit une dissymétrie profonde dans
notre lecture du conflit palestinien. Portés par la compassion et encouragés
par la dynamique de la guerre froide, les pays occidentaux ont fermé les
yeux sur des événements et des crimes du jeune État hébreu, dont le
souvenir reste très vivace chez les Palestiniens.
Pour des raisons historiques et juridiques, l’Occident peine à sortir
d’une logique manichéenne pour comprendre la position palestinienne, très
largement perçue sous l’angle de la lutte contre le terrorisme. Comme nous
l’avons vu plus haut, les notions de terrorisme (mode d’action) et de
résistance à une occupation (finalité de l’action) ne sont pas nécessairement
antinomiques. Or, l’histoire des Palestiniens est en premier lieu l’histoire
d’une résistance, qui a été poussée vers le terrorisme en raison du désintérêt
de la communauté internationale, et d’une dynamique de la guerre froide où
les Pays de l’Est cherchaient à créer et à exploiter les faiblesses de
l’Occident.

Convaincu que les efforts consentis par l’Union soviétique


dans la lutte contre le nazisme susciteraient l’appui des juifs,
Staline pousse à la création de l’État d’Israël dès 1944, et ce malgré les
hésitations occidentales. L’Union soviétique espérait ainsi avoir un point
d’appui stratégique au bord d’une Méditerranée dont le pourtour était alors
complètement aux mains de la France et de la Grande-Bretagne. Les
services secrets soviétiques soutiennent alors la communauté juive de
Palestine dans sa lutte contre les Britanniques en s’appuyant sur ses chefs
de file comme Golda Meir, ou David Ben Gourion27. Les liens entre le
régime soviétique et la communauté juive sont alors solides. Depuis 1917,
la communauté juive est l’un des piliers du régime soviétique et fournit un
grand nombre de cadres des services secrets – le NKVD, puis MGB – et des
opérations clandestines. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la
montée de l’antisémitisme en Allemagne dans les années 20-30, et
l’antisémitisme ukrainien qui a récemment refait surface en 201328. Dans
les années 40-60, Staline accorde une certaine confiance à la communauté
juive, alors surreprésentée dans les réseaux d’espionnage soviétiques
déployés en Europe et aux États-Unis.
Il est également important de noter qu’en 1946, la population en
Palestine comptait environ 1 846 000 âmes, dont 1 203 000 Arabes (65 %)
et 608 000 Juifs (33 %)29 ; avec une population arabe essentiellement
autochtone et une population juive en majorité issue de l’immigration
consécutive à l’« Accord de Transfert » (Accord Haavara) du 25 août 1933,
entre la Fédération sioniste d’Allemagne, la Banque anglo-palestinienne et
le régime nazi30. Par ailleurs, la population arabe possédait alors 85 %31 des
terres et la population juive moins de 7 %32.
Mais la Commission spéciale des Nations unies sur la Palestine
(UNSCOP) proposa néanmoins une répartition du territoire à raison de
55,5 % pour la population juive et 45,5 % pour la population arabe.

Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies


adopte la Résolution 181 qui entérine un plan de partition de la
Palestine entre un État juif et un État arabe. Mais ce plan ne sera jamais
appliqué car les divers groupes armés sionistes – composés d’une majorité
de vétérans de l’armée britannique – en Palestine s’approprient les terres
au-delà de ce que prévoyait le plan de partition, par la terreur et des
déportations forcées, dont l’épisode le plus connu a été le massacre brutal,
le 9 avril 1948, de femmes et d’enfants à Deir Yassin – surnommé
l’Oradoursur-Glane palestinien – par des unités du Lehi33 et de l’Irgoun,
alors dirigées par Menahem Begin34. En tout, un peu moins d’un million de
Palestiniens seront déportés ou chassés par la terreur et les massacres entre
fin 1947 et début 194835. Ces actions sont à l’origine de la première guerre
israéloarabe, que l’histoire officielle place au lendemain de la déclaration
d’indépendance israélienne, le 14 mai 1948, mais qui en réalité avait
commencé bien avant36.
Cette appropriation par la force des terres par les premiers Israéliens est
à l’origine de l’exigence sans cesse répétée des Palestiniens pour le « droit
au retour37 ». C’est d’ailleurs pour avoir tenté d’imposer ce droit au retour
que le diplomate suédois Folke Bernadotte a été assassiné en septembre
1948 à Jérusalem par des combattants du Lehi38.
Mais après leur indépendance, les Israéliens ne veulent pas être inféodés
à l’URSS. C’est cette « trahison » que Staline sanctionnera par des pogroms
et une campagne contre les juifs dans l’administration et les services de
sécurité. Presque simultanément, la montée des nationalismes arabes, au
début des années 50, fait basculer les « alliances » : des pays comme la
Syrie et l’Égypte commenceront à recevoir de l’aide des pays communistes,
alors que les Occidentaux se rapprocheront timidement d’Israël. Ce n’est
véritablement qu’avec la guerre d’octobre 1973 (Guerre du Yom Kippour),
que les États-Unis – et l’Europe occidentale – se rapprochent d’Israël de
manière décisive.

Des services de renseignement exemplaires ?

On avance volontiers que les services de renseignement israéliens sont


parmi les plus performants du monde. En effet, petit pays entouré de nations
qu’il considère comme hostiles, Israël doit disposer de services de
renseignement efficaces. Pourtant, la réalité est nuancée. Certes, les services
israéliens ont gagné leurs lettres de noblesse avec l’enlèvement d’Adolf
Eichmann en 1960, et un certain nombre d’opérations spectaculaires, dont
l’élimination de nombre de terroristes palestiniens. En fait, l’essentiel de
leurs succès provient d’un réseau d’informateurs incomparable, qui leur
permet de collecter très largement de l’information. Toutefois, là n’est pas
l’essence du renseignement. Bien que chaque pays ait sa propre
interprétation du rôle des services de renseignement, il n’en demeure pas
moins que la fonction première et essentielle du renseignement est… de
renseigner. Il s’agit d’éclairer les décisions stratégiques, notamment celles
relatives à la sécurité nationale. Or, dans ce domaine, les capacités
analytiques stratégiques israéliennes ont montré des failles considérables,
parmi lesquelles :
- En mai-juin 1967, la surestimation de la menace arabe, qui conduira à
la Guerre des Six Jours ;
- En mars-octobre 1973, l’incapacité à discerner les préparatifs de
l’offensive égyptienne (Opération BADR), qui donnera à l’Égypte un effet
de surprise ;
- En 1982, l’incapacité de distinguer un potentiel allié auprès de la
population chiite au Sud-Liban ;
- La mauvaise qualité des renseignements fournis aux États-Unis et à la
Grande-Bretagne sur les armes de destruction massive irakiennes avant
l’offensive de 2003 (la commission d’enquête parlementaire israélienne
mise sur pied pour cette occasion a exclu l’intention d’induire en erreur les
Américains39) ;
- En 2006, l’ignorance des infrastructures de défense construites par le
Hezbollah dans la profondeur du territoire libanais pour se protéger d’une
invasion israélienne, la sousévaluation des capacités de cryptage et de
contre-mesures électroniques du Hezbollah et l’ignorance des capacités de
pénétration électronique du Hezbollah établies grâce à l’aide de l’Iran40.
Ces failles ont fait l’objet de multiples commissions d’enquête dès les
années 60 et ont révélé de nombreux dysfonctionnements dans le système
même de renseignement national41. Le caractère très idéologique de la
politique israélienne a non seulement influencé la manière dont les services
devaient accomplir leur tâche, favorisant ainsi une instrumentalisation du
renseignement qui a été la cause de nombreux conflits entre le
gouvernement et les chefs des services, mais a également affecté la qualité
de la communication entre le politique et le renseignement. En juin 2011,
Meir Dagan, directeur du Mossad, démissionne après avoir vivement
critiqué la politique du gouvernement Netanyahu envers l’Iran et qualifié de
« stupide » l’idée de frapper l’Iran de manière préventive42. Quelques mois
auparavant, Yuval Diskin, chef du Service de sécurité intérieur, le Shabak,
démissionnait pour les mêmes raisons43.
On constate en général un décalage – qui tend à devenir systémique –
entre les organes de renseignement qui sont, par la nature des choses, au
courant de la réalité des situations, et l’establishment politique qui tend à
agir de manière idéologique, souvent au mépris du bon sens. Dans le cas de
l’Iran, le Mossad a ainsi « doublé » le Premier ministre Netanyahu, en
incitant les parlementaires américains à renoncer à appliquer des sanctions
supplémentaires à l’Iran en 201544. L’ouverture d’esprit et le bon sens des
services israéliens ont parfois de la peine à s’exprimer dans un contexte
institutionnel. Dans la lutte contre le terrorisme, l’ex-directeur du Mossad,
Ephraïm Halevy, s’est ainsi exprimé – après sa dé-mission – en faveur de
l’ouverture d’un dialogue avec le Hamas palestinien, afin de contenir la
progression des mouvements islamistes qui tendent à le « déborder45 ».
En septembre 2014, ce sont 43 militaires de la prestigieuse « Unité
8200 » – qui assure le renseignement d’origine électromagnétique au sein
du Service du renseignement militaire israélien (AMAN) – qui refusent
d’aller servir dans les territoires occupés, arguant que les activités de
renseignement contre la population palestinienne enfreignent les règles de
l’éthique46.
Le risque

Israël a construit sa politique de sécurité autour de la dissuasion


nucléaire dès les années 60. Non signataire du Traité sur la non-
prolifération des armes nucléaires (TNP), il a développé ses capacités
nucléaires militaires avec l’aide de la France, à l’insu de la communauté
internationale ; capacité qui est par essence déstabilisante pour la région, et
ce pour deux raisons. La première est que, compte tenu de sa petite taille,
Israël pourrait être facilement détruit (par une ou des frappes nucléaires, par
exemple), ce qui lui impose la nécessité de pouvoir frapper en premier un
adversaire potentiel. La seconde est le fait qu’Israël est le seul pays de la
région à disposer du « parapluie nucléaire » d’une grande puissance, en
l’occurrence les États-Unis ; ce qui constitue un désinhibiteur de décision.
Le 17 avril 2013, la Commission des relations internationales du Sénat
américain adopte la Résolution 65 qui affirme le soutien total des États-
Unis, en cas de conflit entre Israël et l’Iran :

Si le Gouvernement d’Israël est contraint d’engager


une action militaire en cas de légitime auto-défense contre
le programme d’armes nucléaires de l’Iran, le
Gouvernement des États Unis doit être aux côtés d’Israël
et fournir, en accord avec la loi des États-Unis et la
responsabilité du Congrès à autoriser l’usage de la force
militaire, l’appui diplomatique, militaire et économique au
gouvernement d’Israël pour la défense de son territoire,
de son peuple et de son existence47.

Cette résolution, dont l’objectif est de rassurer et faire accepter à Israël


l’accord avec l’Iran sur la question nucléaire, a évidemment des
conséquences opérationnelles concrètes.
Comme ce serait le cas pour un autre pays, le risque de cette situation
repose sur la combinaison de deux éléments discrétionnaires :
l’interprétation de la notion de « légitime défense » et la capacité à analyser
correctement la menace stratégique sur le pays. Ainsi, la notion de
« légitime auto-défense » est assez largement interprétée par Israël, qui l’a
invoquée les 3 et 5 mai 2013 (15 jours après l’adoption de la Résolution 65
par le Sénat américain), pour attaquer des positions du Hezbollah, alors
engagé dans les combats contre les islamistes syriens, et pour justifier son
action à Gaza en juillet 2014. Quant à la menace stratégique sur le pays,
l’expérience montre que les services de renseignement ont rarement été en
mesure de l’analyser correctement. Sa surévaluation – comme dans le cas
de l’Iran – ou sa sousévaluation – comme avec l’Égypte en 1973 – peut
conduire à des décisions hâtives, qui pourraient se traduire par la tentation
de déclencher des frappes nucléaires préventives, même au risque de se
tromper, grâce à la protection nucléaire américaine.
Il est intéressant de noter que, apparemment, une des raisons majeures
de l’intervention russe en Géorgie en 2008 a été d’empêcher une attaque
israélienne sur l’Iran48 en bombardant les bases aériennes d’Alekseevka et
de Marneuli, utilisées par les Israéliens en vertu d’un accord secret entre les
deux pays avec la bénédiction des États-Unis. Les Russes auraient alors
capturé un certain nombre de drones et un important matériel électronique,
réduisant ainsi significativement les capacités israéliennes de
reconnaissance sur l’Iran et la Syrie49.

Territoires occupés et frontières

Une question souvent ignorée et sous-estimée en Europe est la question


des frontières de l’État d’Israël. L’ambiguïté qu’entretiennent les Israéliens
sur cette question, sur laquelle s’est greffé le problème des territoires
occupés, constitue un aspect essentiel du problème israélo-palestinien. Déjà
en 1940, bien avant la création de l’État d’Israël, les ambitions allaient au-
delà de ce qui sera décidé par les Nations unies :

Il doit être clair qu’il n’y a pas d’espace dans le pays


pour deux peuples […] Si les Arabes s’en vont, le pays
deviendra large et spacieux pour nous… La seule solution
après la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’est la Terre
d’Israël au moins la partie occidentale de la Terre
[N.D.A. : c’est-à-dire la Palestine à l’ouest du Jourdain]
sans Arabes. Il n’y a pas de compromis possible sur ce
point. Il n’y a pas d’autre moyen que de transférer les
Arabes d’ici vers les pays voi-sins, de les transférer tous,
sauf peut-être ceux de Bethléem, de Nazareth et de la
vieille Jérusalem. Pas un village ne doit rester, pas une
tribu bédouine. Le transfert doit être organisé vers l’Irak,
la Syrie et même la Transjordanie. Pour cet objectif des
fonds doivent être trouvés […] Et c’est seulement après ce
transfert que le pays sera à même d’accueillir des millions
de nos frères, et le problème juif cessera d’exister50.

Formellement, cependant, les seules frontières internationalement


reconnues de l’État d’Israël sont celles qui ont été définies lors de sa
création par l’Assemblée générale des Nations unies en novembre 1947. La
ligne d’armistice de 1949 – également appelée « Frontière Verte » – est une
ligne non permanente généralement acceptée, mais qui ne constitue pas une
frontière internationalement reconnue. En fait, Israël est l’un des seuls pays
au monde à n’avoir jamais défini avec précision ses frontières. Avant même
la Déclaration d’Indépendance, du 12 au 14 mai 1948, le Gouvernement
provisoire israélien a eu une discussion houleuse sur la question de la
définition des frontières. Et, sur la proposition de Ben-Gourion, le
gouvernement votera à 5 contre 4 la décision de ne pas les définir, avec
l’idée – déjà à ce stade – d’élargir les frontières définies par les Nations
unies51.
Aujourd’hui, la question des frontières tend à se cristalliser autour des
relations entre Israël et le Hamas, et plus largement sur la question d’un
dialogue possible entre les extrémistes palestiniens et le gouvernement
israélien. Ainsi, la condition préalable à toute discussion avec le Hamas est
la reconnaissance de l’État d’Israël. Mais en l’absence d’une définition
claire des frontières, cette reconnaissance pourrait signifier reconnaître la
souveraineté d’Israël sur les territoires occupés, et donc perdre ipso facto la
légitimité de les revendiquer. La reconnaissance de l’existence de l’État
d’Israël en 1993 par l’Autorité palestinienne n’a pas été suivie par de
nombreux groupes palestiniens, qui y voient un véritable « chèque en
blanc » pour l’occupant israélien.
Le Hamas est en conflit avec une puissance occupante. Il lui est donc
difficile de reconnaître la légitimité territoriale de son adversaire. La
Résistance française aurait-elle reconnu la France occupée comme étant
l’Allemagne – légitimant ainsi l’occupation ? Sans doute pas. Ce refus est
généralement interprété en Israël, aux États-Unis et dans de nombreux pays
européens comme la volonté du Hamas de détruire Israël. En réalité, et
comme souvent au Proche-Orient, il faut faire la distinction entre la parole
et l’acte. Le Hamas n’est ni structuré, ni ne dispose des ressources
nécessaires pour mener une telle entreprise. D’ailleurs, selon Ephraïm
Halevy :

[…] Ils [les chefs du Hamas] ont reconnu que cet


objectif idéologique n’est pas atteignable et ne le sera pas
à l’avenir. Ils sont prêts et désireux de voir s’établir un
État palestinien à l’intérieur des frontières temporaires de
1967, et ils sont conscients qu’ils devront donc emprunter
un chemin qui pourrait les mener loin de leurs objectifs
originels 52.

La rhétorique occidentale et israélienne, qui s’est durcie depuis 2001,


tend à prêter au Hamas une stratégie qui s’inscrirait dans un projet religieux
plus large et qui – par conséquent – empêcherait toute solution politique.
Pourtant, selon le cheikh Yassine, fondateur du Hamas :

Le conflit n’est pas religieux. Nous respectons toutes


les religions et nous avons de bonnes relations avec toutes
les religions. La question, c’est d’abord une agression. Il y
a un agresseur, qui nous a agressés, qui nous a exilés, qui
nous a confisqué nos maisons et notre terre. Nous devons
résister et nous devons récupérer nos droits53.

Plus tard, comme pour confirmer cette position, le cheikh Yassine a


indiqué à plusieurs reprises qu’une indépendance palestinienne dans les
limites des frontières de 1967 (en fait, la ligne d’armistice de 1949) serait
négociable avec Israël54, suggérant par là même que le Hamas ne cherche
pas l’anéantissement d’Israël :

Si Israël se retire sur les frontières de 1967, y compris


à Jérusalem, reconnaît le droit au retour, lève son siège,
démantèle les implantations [dans les territoires occupés]
et relâche les prisonniers, alors il est possible pour nous
Palestiniens et Arabes de faire un pas sérieux en faveur
des Sionistes55.
Il serait inexact d’assimiler la non-reconnaissance d’Israël à une volonté
d’en nier l’existence, voire de l’anéantir comme le prétendent certains.
Ainsi, le Hamas ne se situe pas dans une perspective de Djihad global de
l’Islam contre la chrétienté ou le judaïsme. Toutefois, le lien que le
gouvernement de Benjamin Netanyahu voudrait établir en définissant Israël
comme « État juif » génère (à dessein ?) une ambiguïté. La Résolution 181
des Nations unies de 1947 prévoyait bien la création d’un « État juif », et
donc, cette appellation ne devrait pas poser problème pour la communauté
internationale. En revanche, elle constitue un obstacle pour les Palestiniens,
qui ont toujours l’objectif de pouvoir retourner sur les terres qui leur ont été
confisquées dès 1947 et pour qui le caractère juif de l’État leur enlèverait
tous les droits. C’est pour cette raison que de nombreux intellectuels
israéliens préfèreraient voir Israël être l’« État des Juifs56 ».
Il est important de noter ici que le Hamas palestinien n’a aucun lien de
« parenté » doctrinal avec les mouvements terroristes islamistes actuels
(comme « Al-Qaïda » ou l’État islamique), en dépit du fait que de
nombreux « experts » les associent. Certes, pour tous les islamistes, la
dimension religieuse est un support, une sorte de ciment, qui permet
d’articuler les intérêts particuliers dans une cohérence, une sorte de substitut
de fait au marxisme des groupes palestiniens des années 60-80. Mais la
finalité de leurs actions est très différente : pour le Hamas, il s’agit avant
tout de mener une lutte pour un territoire ; pour « Al-Qaïda », il s’agissait
de forcer les États-Unis à se retirer du Moyen-Orient ; pour l’État
islamique, l’axe central de l’action est le rejet de toute intervention
occidentale, auquel s’est ajouté le rejet de l’influence chiite ou iranienne
(nous y reviendrons plus loin). En fait, il suffit de lire la revue officielle de
l’État islamique :

Les divers chefs et branches du Hamas ont proclamé


effectuer le Djihad contre les Juifs durant des années. La
réalité est que cette milice est une entité nationaliste, qui
adopte activement la démocratie comme vecteur du
changement depuis « 2005 ». Le Hamas s’est engagé dans
les élections municipales, présidentielles et législatives, a
pris part dans l’élaboration des lois et l’exécution de lois
écrites par l’homme. Cette idéologie démocratique a été
propagée par son leadership avant même « 2005 », depuis
l’époque d’Ahmed Yassine57.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Hamas s’est efforcé – avec


succès – de maintenir sa lutte à l’intérieur de la Palestine, aussi afin d’éviter
de s’aliéner l’opinion publique internationale. Une faute qu’avaient
commise les mouvements de libération palestiniens des années 60-70,
prônant alors un combat internationaliste dans un cadre idéologique
marxiste. Malgré les accusations répétées de collusion avec « Al-Qaïda », le
Hamas s’est systématiquement distancé des tendances djihadistes qui
seraient apparues en Palestine. Il en est ainsi du Jaïsh al-Islam, qui a été
brutalement démantelé par les forces de sécurité du Hamas en septembre
2008 à Gaza et de plusieurs groupuscules radicaux apparus dans le sillage
de la montée du Djihadisme en Syrie et en Égypte, également démantelés
entre 2013 et 2015. Ainsi, le 4 mai 2015, le quartier-général du Hamas a fait
l’objet d’une attaque à la bombe par des militants salafistes du groupe
Ansar Beit al-Maqdis, visant à faire libérer un de ses chefs arrêté par le
Hamas58. Le même mois, le magazine officiel de l’État islamique rapporte
que ses forces ont attaqué le groupe Aknaf Beit al-Maqdis, la milice locale
du Hamas59 qui protège les Palestiniens dans le camp de réfugiés de
Yarmouk, près de Damas en Syrie60.
La question des frontières est d’autant plus profonde qu’en Israël
certains revendiquent un territoire qui s’étendrait du Nil à l’Euphrate
(« Eretz Israel »). Par ailleurs, le discours officiel israélien tend à jouer sur
l’ambigüité de la situation :

Nous ne devons pas cesser de répéter que la cause du


conflit est l’existence même de l’État d’Israël, le refus de
reconnaître l’État d’Israël dans quelques frontières que ce
soit61.

Ceci aussi explique pourquoi une étude menée par le Dr Nurit Peled-
Elhanan, de l’université hébraïque de Jéru-salem, portant sur 6 manuels
scolaires édités après les accords d’Oslo (dont plusieurs accrédités par le
ministère de l’Éducation) montre que l’on apprend aux élèves la géographie
d’un « Grand Israël » sans zone arabe62. Un enseignement conforme à une
décision de la Knesset du 14 octobre 2007, qui interdit la représentation de
la « Frontière Verte » comme frontière d’Israël dans les manuels scolaires63.
Malgré le fait que les Palestiniens utilisent eux aussi la carte de la
Palestine d’avant la partition de 1947 (sans Israël), les divers chefs
politiques du Hamas, dont son chef actuel, Khaled Meshaal, sont restés
malgré tout très souples en déclarant accepter de baisser les armes si Israël
acceptait :

L’établissement d’un État palestinien indépendant à


l’intérieur des frontières de 1967 avec Jérusalem comme
capitale pour tous les territoires occupés64.

Tout en soulignant :

Il est vrai que, dans la réalité, il y aura une entité ou


État appelé Israël sur le reste des terres palestiniennes
[…] C’est une réalité, mais je ne veux pas pour autant la
reconnaître ou l’admettre formellement65.

Comme on le constate, le discours du Hamas est parfaitement cohérent :


la terre est bien au centre de la question et non la religion ou même la
création d’un « califat » islamique.
Actuellement, la situation est telle que la revendication des Palestiniens
pour récupérer leurs terres a acquis une grande légitimité dans l’opinion
publique internationale. En termes militaires, en se fondant sur Clausewitz,
on peut définir cette légitimité comme le « centre de gravité66 » des
mouvements palestiniens. Ainsi, sur le plan stratégique, la manière
disproportionnée dont le gouvernement israélien réagit aux revendications
palestiniennes ne fait que consolider ce centre de gravité et renforcer la
pression internationale sur Israël. Cette pression est contenue par une
confusion – soigneusement entretenue – entre 3 notions que l’on tend à
mélanger : ce qui relève de l’État d’Israël (« israélien »), ce qui est associé à
la religion (« juif ») et ce qui est lié au nationalisme (« sioniste »). Cette
confusion est l’une des sources – si ce n’est la principale – d’un
antisémitisme croissant, qui en réalité, concerne bien davantage la politique
israélienne que la religion juive ; mais qui permet également de limiter le
soutien aux réflexions émergentes d’intellectuels israéliens67, critiques sur
la politique à l’égard des Palestiniens, qui tombe ainsi rapidement sous le
qualificatif d’« antisémite ».
Quant aux territoires occupés en 1967 et 1973 (en l’occurrence la
Cisjordanie et le Golan), Israël n’a tout simplement jamais eu la moindre
intention de les restituer, jouant ainsi avec la naïveté américaine et
européenne dans les diverses initiatives de paix proposées depuis 1967.
Pour une raison très simple : Israël, qui entretient des relations tendues avec
ses voisins, doit impérativement conserver le contrôle sur ces territoires afin
de pouvoir articuler sa défense. Après plusieurs conflits avec ses voisins,
l’État hébreu a compris que ces territoires lui offrent une profondeur
stratégique indispensable à sa survie. À ceci s’ajoutent plusieurs autres
facteurs stratégiques, telles les réserves en eau douce du bassin du Jourdain
devenues indispensables au pays et à son économie. Tant qu’une stratégie
de sécurité par la coopération (« à l’européenne ») ne sera pas à l’ordre du
jour en Israël, il est inconcevable que les territoires occupés soient restitués,
comme l’avait prévu la Résolution 242 des Nations unies.
Bien que le conflit israélo-palestinien ne soit pas religieux par essence,
il est naturellement influencé par des éléments culturels et des logiques liées
à la religion. Ainsi, dès 1948, les immigrants juifs se sont approprié des
terres considérées comme « sans maître » et donc – selon eux – librement
disponibles. Mais, dans la tradition islamique (et notamment en Palestine),
les terres sont considérées comme « waqf » (mainmorte), c’est-à-dire que la
terre appartient à Dieu et les hommes ne peuvent en avoir que l’usufruit68.
Cette perception différente du droit de la terre constitue l’un des (multiples)
obstacles à une (éventuelle) restitution des terres par Israël. Cela explique
pourquoi le Hamas – qui définit clairement dans sa charte (article 11) la
terre de Palestine comme « waqf » – insiste sur cette dimension, qui lui
confère une légitimité à revendiquer des terres et le retour sur ces terres,
pour lesquelles il n’existe pas de titres de propriété.
Parmi les territoires occupés, la bande de Gaza occupe une place
particulière. Devenue un immense refuge pour les Palestiniens dès 1948,
elle est aussi une source de problèmes pour l’Égypte, dans un premier
temps, et pour Israël depuis 1967. Sa restitution à l’Autorité palestinienne
en 2005 n’est donc pas vraiment une surprise et ne témoigne pas d’une
magnanimité particulière d’Israël. D’autant plus qu’après la confirmation de
la présence de nappes de gaz naturel au large de la bande de Gaza,
l’embargo israélien et les limitations sur les zones des eaux territoriales ont
fait partie des éléments centraux de la politique menée envers cette zone.
Lorsqu’en janvier 2009, Avi Pazner, porte-parole du gouvernement
israélien, rappelle le « geste unilatéral » effectué par Israël en rendant la
bande de Gaza aux Palestiniens en 200569, il omet de dire que ce retrait de
9000 colons de Gaza a été compensé jusqu’alors par l’arrivée de 50 000
colons de plus en Cisjordanie70. En tout, entre 2001 et 2005, la population
juive implantée en Cisjordanie a connu une croissance de 5,5 %, alors que
la population juive en Israël n’a crû que de 1,8 %71, tendant à montrer – s’il
le fallait encore – la mise en œuvre d’une stratégie d’occupation par
grignotage des terres palestiniennes. En 1972, il y avait quelque 11 000
Israéliens vivant dans les territoires occupés, en 2015, ce nombre atteindrait
570 000 selon l’organisation israélienne B’Tselem72, sur la base de chiffres
officiels. Par ailleurs, il faut rappeler ici que ces implantations sont illégales
au regard du droit international, ainsi que le précise la Résolution 446 du
Conseil de sécurité des Nations unies73.
Or cette colonisation qui s’accroît en Cisjordanie a pour finalité d’être
irréversible. En mars 2006, à l’issue des élections parlementaires
israéliennes, M. Ehud Olmert a déclaré qu’Israël tenterait de définir ses
frontières jusqu’en 2010, soulignant que celles-ci suivraient la barrière de
séparation construite depuis 200274.

Efficacité tactique – Inefficacité stratégique

En juin 2002, le gouvernement du Premier ministre Ariel Sharon décide


de construire une « barrière de sécurité » (Security Fence) – un « Mur »
selon les Palestiniens – afin de réduire les possibilités d’infiltration de
terroristes arabes en Israël. Il s’agit d’une barrière de 4-8 m de haut et
longue de 360 km, qui suit le tracé de la « Frontière Verte » de 1949. Mais
elle a un parcours capricieux, séparant à de nombreux endroits les terres
palestiniennes de leurs propriétaires, passant parfois au milieu de villages,
voire excluant certains villages palestiniens de la Cisjordanie.
Paradoxalement, alors qu’il est parfaitement légitime pour Israël de
protéger sa population, le choix du tracé a été tel qu’il n’a fait qu’accentuer
les rancœurs palestiniennes, lui enlevant toute adhésion dans l’opinion
publique mondiale. Ainsi, contrairement aux règles du droit international75,
cette construction s’est effectuée sur les terres palestiniennes, qui sont ainsi
confisquées. Au final, la barrière, large de 50-80 m, exige 7 270 ha pour son
tracé, tandis qu’elle détache de facto 39 000 hectares de la Cisjordanie.
Rien de très surprenant dès lors que la barrière elle-même constitue une
source de tensions supplémentaires, qui s’ajoute à l’expropriation
progressive des populations palestiniennes. En outre, la seule première
phase de construction a impliqué la destruction de près de 83 000 arbres
(dont une part importante d’oliviers), 35 km de canaux d’irrigation et 31
sources d’eau, représentant quelque 4 millions de mètres cubes d’eau76,
nécessaires pour l’agriculture, principale ressource des Palestiniens.
À ces questions matérielles s’ajoutent les chicanes quotidiennes, comme
pour ces villageois, pris entre la barrière et la « Frontière Verte », qui ne
peuvent se rendre sur leurs terres sans un important détour par le territoire
israélien, mais ne disposent pas des papiers nécessaires y pénétrer ! Ainsi,
dans un contexte insurrectionnel, le gouvernement israélien a réussi à
transformer une démarche parfaitement légitime en source supplémentaire
de discorde.
Ainsi, par son concept même, la « barrière » illustre le fait qu’Israël n’a
jamais réussi (ou voulu) traiter stratégiquement la question du terrorisme
palestinien. Malgré une certaine efficacité tactique, l’approche israélienne
de la lutte contre le terrorisme palestinien n’a pas réussi à prendre la forme
d’une stratégie holistique et s’est montrée incapable d’agir sur la volonté
des Palestiniens à lutter. On peut difficilement nier que cette construction ait
été exécutée pour provoquer un maximum de dommages à l’économie
palestinienne, contribuant ainsi à rendre cette mesure illégale aux yeux du
droit international, et constituant une provocation délibérée envers les
« durs » palestiniens.
De fait, on constate que si cette « barrière » a permis de réduire le
nombre de victimes israéliennes, elle a aussi fait passer le nombre moyen
d’attentats préparés chaque mois contre Israël de 7,4 (entre octobre 2000 et
avril 2002) à 15,8 (entre mai 2002 et juin 2004)77, et a été la principale
raison des attaques à la roquette et au mortier depuis les territoires
palestiniens. Le gain tactique a donc été contrebalancé par une défaite
stratégique, parce que l’on n’a pas su intégrer ces gains dans une stratégie
plus générale. Par ailleurs, en admettant qu’Israël cherche effectivement à
lutter contre le terrorisme, cette barrière est révélatrice d’une médiocre
compréhension de la « pensée militaire » palestinienne.
Cette inefficacité d’Israël dans la lutte antiterroriste est également
illustrée par la politique de destruction punitive des maisons des familles de
terroristes. Adoptée en 1967, cette politique a été appliquée jusqu’en février
2005 par l’armée israélienne, avec une parenthèse entre 1998 et octobre
2001. Il s’agissait de détruire les maisons des familles de personnes
suspectées de participer à des activités terroristes. Entre 1987 et 2005, 1783
maisons ont ainsi été détruites78. En 2005, un moratoire sur les destructions
a été déclaré par les auto-rités israéliennes, jusqu’en été 2014. En 2014,
Israël a détruit 590 maisons palestiniennes, selon l’Office de coordination
des affaires humanitaires des Nations unies79.
Le premier effet de ces démolitions a sans aucun doute été d’attiser la
violence sans avoir d’effet dissuasif sur les attentats terroristes80. De plus,
cette politique a été mal perçue parce que les personnes recherchées
(terroristes) ne vivaient généralement plus dans les maisons des familles
concernées et que la mesure ne touchait que des enfants, des femmes et des
personnes âgées. Sur le plan stratégique de la lutte contre le terrorisme, on
constate que ces familles ont été prises en charge par le Fonds pour le
soutien aux familles (Waqfiat Ria’at al-Usra) du Hamas et par l’Union du
bien (I’tilaf al-Kheïr) saoudienne, qui coordonne depuis octobre 2000 les
organisations de bienfaisance dans les territoires occupés81. En d’autres
termes, la politique israélienne – en dehors des considérations liées aux
Droits de l’homme – a tout simplement contribué à accroître l’audience du
Hamas et à en grossir les rangs.
Si dans un conflit symétrique (comme, par exemple, contre la
criminalité organisée ou le narco-terrorisme) de tels procédés peuvent sans
doute faire partie d’une stratégie de contre-terrorisme, dans une situation
asymétrique ils équivalent à offrir des munitions à l’adversaire !
Tentant de faire jouer les factions les unes contre les autres, la seule
stratégie israélienne perceptible a donc abouti à l’émergence, puis à la
consolidation des islamistes (Hamas). Ensuite, elle a résolument combattu
les forces modérées du Fatah en affaiblissant politiquement Yasser Arafat,
le rendant responsable de la montée du radicalisme et des actes de
terrorisme – tout en lui ôtant toute capacité de s’imposer contre les
islamistes. Et finalement, au début 2006, alors que les Islamistes
parvenaient au pouvoir par un processus démocratique, Israël – et la
communauté internationale – a manqué l’occasion de faire sortir le Hamas
de son rôle de mouvement de résistance, pour le placer face à ses
responsabilités.
En écartant toute possibilité de développement dans les territoires
occupés, les Israéliens ont confiné les Palestiniens dans une posture de pays
en voie de développement, non seulement au niveau économique, mais
également au plan sociétal. Alors que la démographie israélienne montre un
profil similaire à celui des populations européennes (avec un taux de
fécondité de 2,71 enfants/femme82), la population arabe dans les territoires
occupés présente la structure démographique d’un pays en voie de
développement (avec un taux de fécondité de 5,3 enfants/femme, qui est
l’un des plus élevés de la région83). C’est pour compenser ce différentiel de
natalité qu’Israël a eu une politique d’immigration très agressive, qui a
permis de peupler les territoires occupés.
Le danger aujourd’hui est que le rétrécissement constant des territoires
palestiniens, accompagné du blocage des négociations entre Israéliens et
Palestiniens, pousse ces derniers dans les bras des extrémistes sunnites qui
apparaissent en Égypte et en Syrie. Les autorités du Fatah et du Hamas
luttent contre ces groupes qui commencent à s’installer sur le territoire
palestinien et israélien avec l’appui de l’Arabie saoudite et du Qatar, et qui
prolifèrent au gré des interventions occidentales, notamment des États-Unis
et de la France.

La stratégie du chaos

Avec cynisme et pragmatisme, Israël a constaté que sa sécurité relevait


moins de sa supériorité militaire que de l’incapacité des Arabes à se mettre
d’accord sur une approche coordonnée, unifiée, ou même cohérente. Qu’il
s’agisse de la position arabe à l’égard du conflit palestinien ou d’autres
conflits de la région, de politique pétrolière, ou de questions religieuses, la
communauté arabe peine à s’exprimer d’une seule voix. Israël en a tiré la
conclusion que les tensions au sein de la région sont la plus sûre garantie de
sa propre sécurité.
Ainsi, dès ses débuts, Israël choisit l’option de la confrontation. Au
début des années 50, avec l’arrivée des régimes nationalistes et panarabes
en Égypte et en Syrie, la tentation des États-Unis à les soutenir et de la
Grande-Bretagne à se désengager du Proche-Orient, Israël sent sa sécurité
menacée et cherche à prévenir la constitution d’une coalition arabe contre
lui. L’État hébreu lance donc l’Opération SUSANNAH en 1954, qui est un
plan conçu et exécuté par le Service de renseignement militaire israélien
(Agaf Modiin ou AMAN)et qui utilise des attentats terroristes contre des
cibles anglaise, américaine et égyptienne, afin de faire accuser les Frères
musulmans et provoquer une intervention anglo-américaine. Mise à jour par
la sécurité égyptienne, devenue l’« Affaire Lavon », l’opération est éventée
et se solde par un fiasco complet qui aboutira à la démission du ministre de
la Défense israélien de l’époque, Pinhas Lavon. Elle provoquera une vague
d’indignation et d’antisémitisme qui se traduira par l’expulsion des juifs
d’Égypte par Nasser en 195684. Elle illustre cependant la stratégie du pire
adoptée par Israël pour assurer sa sécurité : un environnement instable,
accaparé par les luttes intestines et incapable de mobiliser les ressources
susceptibles de mettre en danger Israël.
Cette même politique du « diviser pour régner » a été appliquée avec
succès pour gérer la question palestinienne. L’absence de cohésion était déjà
manifeste au sein des mouvements palestiniens « historiques » des années
50-60. Elle s’est accentuée avec l’apparition du Hamas, qui apportera une
dimension religieuse dans l’équation, même si les objectifs et les
fondamentaux du conflit restent inchangés. C’est pour introduire cette
nouvelle division au sein des Palestiniens qu’Israël a soutenu et financé la
création du Hamas, affaiblissant la position de Yasser Arafat, figure
fédératrice des Palestiniens de toutes tendances, et renforçant d’autre part
les Frères musulmans égyptiens, dont il est une émanation. Le brigadier-
général Yitzhak Segev, gouverneur militaire de Gaza dès 1979, a des
contacts réguliers avec le cheikh Yassine, chef du Mujama al-Islamiya,
précurseur du Hamas, et qui finance la construction de mosquées85. À ce
moment, l’ennemi est l’OLP, et la stratégie d’Israël est de constituer un
contrepoids à la popularité croissante de Yasser Arafat.
En complément de cette approche, le lien avec les ÉtatsUnis, est
devenu, particulièrement après 1973, un des piliers de la stratégie
israélienne, avec comme conséquence une propension à provoquer une
implication plus directe des États-Unis dans les affaires de la région. Or,
contrairement à ce que l’on pourrait penser en Occident, la destruction
d’Israël n’est pas une priorité pour les islamistes – du moins pour l’instant,
car Israël fait bien partie de la zone prioritaire du Djihad, comme nous le
verrons plus bas. La littérature djihadiste – et celle de l’État islamique en
particulier – est relativement peu virulente à l’égard d’Israël, mais
concentre son venin sur le soutien apporté à Israël par les pays occidentaux,
États-Unis en tête.

Le Liban et le Hezbollah

En fait, au début des années 80, un autre problème inquiète Israël. Les
Palestiniens refoulés de Palestine après la guerre de 1967, puis de Jordanie
après les événements de septembre 1970, se sont installés au Sud-Liban
dans la partie chiite, la plus pauvre du pays, et opèrent des raids à travers la
frontière contre Israël. Par ailleurs, la dégradation rapide de la situation
entre communautés chrétiennes et islamiques dès 1975 a rendu le pays
ingérable et le gouvernement libanais n’est plus en mesure de maîtriser la
situation au sud du pays.
En juin 1982, Israël lance l’Opération PAIX EN GALILÉE qui vise à
éliminer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser
Arafat. Au début de l’opération, la population chiite sud-libanaise accueille
assez favorablement les Israéliens. Par leur présence massive et leurs
actions transfrontalières contre Israël, les Palestiniens avaient déstabilisé la
région et entraîné la population du Sud-Liban dans un conflit qui n’était pas
le sien. Mais, au lieu de s’appuyer sur ces dissensions intra-arabes pour
lutter contre les organisations terroristes palestiniennes, les Israéliens ne
font pas de différence entre chiites libanais et sunnites palestiniens et les
combattent indistinctement. Ils parviennent donc assez rapidement à créer
l’unanimité contre eux, malgré un camp arabe profondément désuni.
Bien qu’unis de fait contre Israël, Palestiniens et chiites libanais mènent
cependant des combats différents. À ce stade, les Palestiniens réfugiés au
Liban défendent la capacité de combat qui leur est nécessaire pour
récupérer leurs terres, tandis que les chiites se battent contre l’occupation
du Sud-Liban. Ainsi apparaissent des mouvements de résistance chiites,
dont le Djihad islamique, qui reste encore à ce jour une organisation mal
définie (toutes proportions gardées, analogue à ce que l’on appelle « Al-
Qaïda » aujourd’hui), sans structure de conduite claire, à laquelle on
attribue la responsabilité d’un grand nombre d’attentats, et qui restera
insaisissable.
Le 18 avril 1983, un attentat à la bombe contre l’ambassade américaine
à Beyrouth fait 63 victimes. L’attentat sera revendiqué par le Djihad
islamique, mais, selon l’ex-officier du Mossad israélien, Victor Ostrovsky,
il apparaît que les services israéliens étaient au courant des préparatifs de
l’attentat, mais ont délibérément caché l’information aux Américains86. Cet
événement avait d’ailleurs été précédé en 1982-1983 de toute une série de
petites attaques contre les forces américaines au Liban, menées par des
commandos israéliens87.
Le 23 octobre 1983, deux attentats alors attribués au Djihad islamique
frappent la Force multinationale de sécurité (MNF) à Beyrouth : le premier
fait 241 morts au quartier général des US Marines, et le second, 2 minutes
plus tard, anéantit le « Drakkar », tuant 58 parachutistes français. En dépit
d’un narratif qui viendra plus tard et renvoie la responsabilité de ces
attentats sur le Hezbollah, et place les Occidentaux comme simples victimes
du terrorisme (iranien), la réalité semble être sensiblement différente et mal
connue.
Les raisons de l’attentat contre les parachutistes français et la chaîne de
cause à effet qui y a conduit sont encore à ce jour spéculatives, malgré une
multitude de théories possibles, comme la livraison quelques jours plus tôt
d’avions Super-Étendard à l’Irak, par la France. On est alors en effet en
pleine guerre Iran-Irak, et les combattants du Djihad islamique sont chiites,
mais leurs liens avec l’Iran pourraient constituer une explication plausible.
Néanmoins, l’Iran est loin du Liban et il faut probablement plutôt chercher
l’explication dans la stratégie adoptée par la France à Beyrouth, qui avait
opté pour un appui opérationnel de l’armée Libanaise – notamment par des
patrouilles conjointes, mais sans participation à des opérations militaires –
qui l’a mise dans la position d’une partie au conflit. Ceci expliquerait que le
contingent italien – déployé entre les secteurs américain et français – qui
avait une tâche strictement humanitaire, n’ait pas été touché par des
attentats.
L’attentat contre les Marines américains est un peu plus clair et
s’explique par l’ambiguïté de la présence américaine dans la MNF. Il faut
tout d’abord comprendre que la législation américaine interdit à un militaire
américain d’obéir à une autre autorité que celle du Président des États-Unis.
Il en résulte des structures de conduite hybrides dès lors qu’une force
américaine se trouve dans une structure multinationale. Il en était ainsi au
Liban où, parallèlement à leur engagement au sein de la MNF (sous mandat
des Nations unies), les Américains ont décidé d’appuyer l’armée libanaise.
En avril 1983, sans grande consultation au sein de l’administration, Robert
McFarlane, représentant spécial au Moyen-Orient du Président, fait engager
le cuirassé USS New Jersey au large des côtes libanaises pour bombarder les
villages libanais occupés par l’opposition – causant environ un millier de
victimes civiles et innocentes. Ce sont ces bombardements qui sont à
l’origine des attentats menés à titre de représailles (et ce, contre des
militaires uniquement). Il est intéressant de noter que le commandement
américain avait renoncé à élever le niveau d’alerte de son contingent de
main-tien de la paix après ces bombardements, afin de souligner le fait que
les militaires de la MNF étaient distincts des forces américaines qui
combattaient par ailleurs au Liban88. C’est exactement la même erreur qui
conduira au désastre de Mogadiscio en Somalie 10 ans plus tard, et qui
contribuera à l’insuccès de la mission de stabilisation en Afghanistan 30 ans
plus tard.
Les deux attaques terroristes restent encore à ce jour attribuées au
Hezbollah. Pourtant, aucune information sérieuse ne confirme cette
responsabilité, comme devait le dire l’ancien secrétaire à la Défense de
l’époque, Caspar Weinberger, dans une interview donnée en septembre
2001 :

[…] Nous ne savons toujours pas qui a effectué


l’attentat à la bombe contre la caserne des Marines à
l’aéroport de Beyrouth, et nous ne le savions certainement
pas à ce moment-là89.

Le Hezbollah n’apparaîtra que 2 ans après les attentats de Beyrouth, en


198590, avec l’aide de l’Iran, afin de protéger les intérêts de la communauté
chiite et de reconstruire le Sud-Liban. Cette protection s’articule en volet
social et militaire. Le volet social comprend des organisations d’entraide –
comme le Djihad al-Binah (« Effort pour la reconstruction »), spécialisé
dans la reconstruction des infrastructures, ou le Mou’assat al-Shahid
(« Institution du martyr »), qui vient en aide aux victimes physiques et
sociales de la guerre. Ce sont les structures du Hezbollah qui ont reconstruit
le réseau routier du Sud-Liban, construit et géré 5 hôpitaux, 14 cliniques et
12 écoles, avant que les Israéliens détruisent ces infrastructures en 2006. La
structure militaire est principalement composée d’une organisation de
résistance militaire territoriale (al-Muqawamah). Cette structure d’auto-
défense a été formée par les unités territoriales du ministère de l’Intérieur
iranien, les unités Al-Quds. Souvent qualifiée de « terroriste » par les pays
anglo-saxons et Israël91, elle est structurée comme une organisation
défensive. C’est d’ailleurs l’amère expérience qu’en a faite l’armée
israélienne lors de son intervention en 2006 ; elle n’avait pas su détecter le
réseau complexe de tranchées et fortins défensifs construits par le
Hezbollah en prévision d’une invasion israélienne. Ici encore, le
renseignement israélien a été victime d’une véritable surprise stratégique.
La position du Hezbollah à l’égard d’Israël est certes empreinte d’une
certaine solidarité avec le peuple palestinien, mais ses objectifs sont
clairement distincts. Ainsi, les chiites libanais n’ont pas de revendications
territoriales en Israël même : il s’agit avant tout de la libération du territoire
libanais de toute présence israélienne. Alors que l’on affirme qu’Israël s’est
retiré du Sud-Liban en 2000, la réalité est plus nuancée : Israël non
seulement a conservé le secteur des « Fermes de Chebaa » aux confins
d’Israël, du Liban et de la Syrie, mais de nombreux petits secteurs de la
frontière israélo-libanaise n’ont pas été restitués au Liban. C’est dans l’une
de ces petites bandes de terre conservées par Israël – mais revendiquées par
le Liban – que le Hezbollah avait enlevé des soldats israéliens en patrouille,
déclenchant ainsi la guerre de juillet 2006 (Harb Tamouz).
Le problème israélo-palestinien est généralement compris comme un
problème israélo-arabe, dans lequel l’Iran (perse) n’a pas de place :

Le prince Turki al-Faysal a des mots durs à l’égard de


l’Iran, disant que ce pays à prédominance perse n’a rien à
faire avec la paix israélopalestinienne : « C’est une
affaire arabe qui doit être résolue dans le giron arabe92. »

Le soutien à la rébellion syrienne

Dans la crise syrienne qui éclate en 2011, deux aspects influencent la


position israélienne. Le premier est le simple fait que la Syrie est
formellement encore en guerre avec l’État hébreu. Les tentatives de paix
amorcées à la fin 1999, sous le Premier ministre Ehud Barak, et qui ont
presque abouti à une restitution (partielle) du Golan à la Syrie, sont un
lointain souvenir. Le second est la montée de l’Iran dans l’image de
l’ennemi d’Israël et dont l’alliance avec la Syrie est perçue comme une
menace permanente et existentielle. Dès lors, les actions israéliennes contre
la Syrie font partie d’une stratégie pour contenir l’influence de l’Iran. Assez
curieusement, Israël préfère avoir à ses frontières un ensemble désordonné
de factions radicales, qu’un État stable avec lequel on pour-rait négocier.
Israël entretient des contacts réguliers avec l’opposition syrienne,
notamment avec le Front al-Nosrah, dont certains ont été relevés par la
Force des Nations unies chargées d’observer le désengagement (FNUOD)93
dans leur rapport de novembre 2014. Israël ne cache d’ailleurs pas ce
soutien, et les images de Benjamin Netanyahu allant féliciter des
combattants djihadistes soignés dans un hôpital militaire israélien le
confirment94. Le choix israélien est motivé par le fait que l’Iran – et donc la
Syrie – est, selon le gouvernement actuel, une menace plus grande que
l’État islamique et les Djihadistes, corroborant ainsi le fait qu’il n’y a pas de
liens entre les Djihadistes syriens, le Hamas et les mouvements palestiniens.
Israël a d’ailleurs continué à faire le jeu de l’insurrection islamiste en
bombardant les forces syriennes après des attentats clairement perpétrés par
les insurgés islamistes en « tenant Assad responsable pour toute attaque
venant de son pays, et accusant ses forces de permettre à ces attaques de se
dérouler95. » Cela a été le cas, par exemple, le 19 mars 2014, après qu’une
patrouille de l’armée israélienne a été touchée par l’explosion d’un engin
improvisé sur les hauteurs du Golan. Sans même savoir qui était le groupe
djihadiste à l’origine de la bombe, l’aviation israélienne a riposté contre
l’armée régulière syrienne alors engagée dans des combats contre les
rebelles islamistes96.
Pour le gouvernement Netanyahu, la principale menace de l’État
d’Israël reste l’Iran, ce qui signifie que l’axe Hezbollah-Assad-Iran doit être
brisé. Israël s’est clairement prononcé pour le départ de Bachar al-Assad,
ainsi que le déclarait l’ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Michael
Oren97 :

Dès le départ, notre message concernant l’affaire


syrienne était que nous avons toujours voulu que [le
Président] Bachar al-Assad parte ; nous avons toujours
préféré les « méchants » qui n’étaient pas soutenus par
l’Iran aux « méchants » qui étaient soutenus par l’Iran.

Et il précise que cela est vrai même si ces « méchants » sont soutenus
par « Al-Qaïda » ! C’est ainsi que le déploiement d’unités du Hezbollah en
Syrie pour assurer la sécurité des frontières libanaises aux côtés de l’armée
régulière syrienne est perçu par Israël comme une menace directe. Les 3 et
5 mai 2013, 15 jours après l’adoption de la « Résolution 65 » par le Sénat
américain, Israël mène deux raids aériens contre un convoi militaire et un
centre de recherche syriens. En janvier 2015, Israël élimine le fils d’Imad
Mougnieh, déployé en Syrie, puis, le 20 décembre 2015, Samir Kuntar, un
chef du Hezbollah déployé pour combattre l’État islamique dans le Golan,
est abattu par un raid israélien98. Le gouvernement syrien a feint d’ignorer
ces attaques, afin de ne pas être mis sous pression pour riposter, ce qui le
conduirait à mener une guerre sur trois fronts.
Il serait erroné d’interpréter cette position comme destinée à favoriser
l’État islamique. Il s’agit plutôt d’une posture pragmatique, basée sur une
lecture beaucoup plus sobre que celle de la France ou des États-Unis, qui
n’envisage pas l’État islamique comme une structure viable à long terme, et
qui – dans l’immédiat – contribue à neutraliser l’ennemi syrien.

L’IRAN

L’Iran et son environnement stratégique

L’Iran est un pays traditionnellement bienveillant vis-àvis de l’Occident.


Ethniquement distincte des Arabes, sa population est fortement influencée
par la culture indienne et pratique un islam chiite fondamentalement plus
libéral que l’islam sunnite de l’Arabie saoudite – protégée de l’Occident.
Ses liens avec Israël étaient traditionnellement excellents jusqu’au début
des années 80 : la question palestinienne est une question essentiellement
arabe, qui n’est pas partagée par les communautés chiites de la région.
En 1979, l’arrivée de Khomeiny au pouvoir en Iran change sans doute la
perception du sionisme auprès des chiites, mais il n’en reste pas moins que,
durant la décennie précédente, l’Iran du Shah et Israël ont connu une étroite
collaboration au niveau militaire et des services de renseignement. Certes,
leur dénominateur commun est alors principalement l’Amérique, mais pas
seulement. Israël a besoin d’un contrepoids stratégique à la pression des
pays arabes sunnites, ce qui le pousse à soutenir l’Iran contre l’Irak,
notamment en bombardant le centre de recherche Tuwaitha près de Bagdad
(30 septembre 1980), puis la centrale nucléaire irakienne d’Osirak (7 juin
1981). À cette époque, l’ennemi d’Israël est l’Irak. C’est ainsi qu’Israël, en
fournissant des armes à l’Iran islamique, devient la pierre angulaire de ce
que l’on appellera plus tard l’« Irangate » et qui contribuera à la libération
des otages américains en Iran – 20 minutes après la prestation de serment
du nouveau président Ronald Reagan99.

La destruction d’Israël, entre incompréhension occidentale et


désinformation

L’Iran n’est pas arabe, n’a pas de tradition d’expansion guerrière, ni


d’ambitions territoriales vis-à-vis d’Israël, et n’a attaqué aucun pays depuis
1798. Sa guerre avec l’Irak lui a été imposée (« Jang-e-tahmili »), et il
aurait été facile pour l’Occident de s’en faire un allié en prenant la main qui
lui est tendue depuis des années. Durant la première guerre du Golfe, la
neutralité de l’Iran a été une clé du succès de la coalition internationale en
Irak. Depuis 2001, ce sont les erreurs occidentales qui ont donné à l’Iran
son rôle de puissance régionale, grâce aux interventions en Afghanistan et
en Irak. Même l’ancien ministre des Affaires étrangères israélien, Shlomo
Ben-Ami, concède que l’Occident a mal manœuvré avec l’Iran :

L’Iran a soutenu les États-Unis durant la première


guerre du Golfe, mais a été écarté de la conférence de
Madrid. L’Iran s’est également placé du côté de
l’Administration américaine dans la guerre contre les
Taliban en Afghanistan. Et lorsque les forces armées
américaines ont mis l’armée de Saddam Hussein en
déroute au printemps 2003, les Iraniens sur la défensive
ont proposé un « pacte global » qui mettrait tous les
points de contentieux sur la table, de la question nucléaire
à Israël, du Hezbollah au Hamas. Les Iraniens se sont
aussi engagés à ne plus faire obstruction au processus de
paix israélo-arabe. Mais l’arrogance néoconservatrice
américaine – « Nous ne discutons pas avec l’axe du Mal »
– a empêché de donner une réponse pragmatique à la
démarche iranienne100.

En 2001, le gouvernement modéré du président Mohammed Khatami a


adressé ses condoléances au peuple américain après les attentats du 11
Septembre et a appuyé l’intervention américaine en Afghanistan. Après
l’assassinat de 9 diplomates iraniens par les Taliban en 1998, les deux pays
étaient en conflit et l’Iran a apporté un appui non négligeable dans le
domaine du renseignement aux Américains au début de l’opération
ENDURING FREEDOM. C’est également l’Iran qui a financé et entraîné
l’Alliance du Nord d’Ahmed Shah Massoud, qui a renversé les Taliban et
s’est emparé du pouvoir à Kaboul le 14 novembre 2001. En décembre 2001,
à la Conférence de Bonn, le négociateur américain James Dobbins a
remercié l’Iran d’avoir convaincu ses alliés de rejoindre la coalition d’unité
nationale en Afghanistan… Mais un mois plus tard, le 29 janvier 2002, lors
de son discours sur l’état de l’union, le Président américain, pour tout
remerciement de son soutien, placera l’Iran dans l’« Axe du Mal » !
Ce sont les discours et les démonstrations de force occidentales au
Proche-Orient qui ont stimulé les « durs » du régime iranien et
virtuellement propulsé M. Ahmadinejad au pouvoir en 2005, alors que les
réformateurs avaient jusque-là l’avantage.
Lorsque Mahmoud Ahmadinejad accède à la présidence iranienne, le 3
août 2005, l’Iran se trouve déjà dans le collimateur des États-Unis. Les
États-Unis affirment que l’Iran abrite des responsables du 11 Septembre101
(!) en tentant – une fois de plus – de fabriquer des événements qui pour-ront
justifier une intervention. Et des plans d’attaque contre l’Iran sont
établis102. Le 21 avril 2004, le président George Bush déclare : « Nous
allons nous occuper de l’Iran103. » Une première planification d’attaque est
élaborée et le Congrès américain donne son autorisation pour l’usage
d’armes nucléaires sur le théâtre proche-oriental et en Asie centrale,
conduisant l’Iran à annoncer officiellement, en février 2005, qu’il entame
des préparatifs pour lutter contre une éventuelle agression américaine. En
juin 2005, les Américains ont établi une planification d’attaque nucléaire et
conventionnelle contre l’Iran, qui comprend la désignation de 450 objectifs
stratégiques à détruire104. Même les opposants à Ahmadinejad – et ils
étaient nombreux – lui donnaient raison dès lors qu’il s’agissait de faire
face à l’« arrogance américaine ».
Bien que l’intervention américaine en mars 2003 se fût largement
appuyée sur les réseaux de l’opposition chiite à Saddam Hussein, les
stratèges américains n’avaient pas prévu que leur intervention en Irak allait
consolider le rôle régional de l’Iran. En Irak, la conséquence immédiate a
été une explosion du communautarisme, avec le retour de nombreux
Irakiens chiites, exilés en Iran durant la dictature de Saddam Hussein et
incorporés dans l’armée, ou les Pasdaran, qui participent à la résistance.
Les détails de la question nucléaire iranienne sortent du cadre de cet
ouvrage. Il apparaît néanmoins important de souligner que, malgré la
politique particulièrement agressive des États-Unis – en partie pour
répondre aux inquiétudes, pas toujours fondées, d’Israël105 –, l’Iran est
demeuré très prudent dans ce domaine. Le contexte de suspicion induit par
la détermination des États-Unis à imposer leur volonté dans la région a
conduit l’Iran à prendre toutes les mesures pour protéger ses activités
légales en matière nucléaire. Connaissant la propension des États-Unis et
d’Israël à mener des frappes sur les installations de la région quelle que soit
leur destination, l’Iran a pris l’option d’enterrer ses centrales nucléaires. Ce
faisant, cependant, l’Iran faisait naître un légitime surcroît de suspicion à
son égard.
Le respect de ses engagements internationaux en matière nucléaire est
évidemment un sujet de débat. Alors que les États-Unis exigent des
informations qu’ils considèrent comme faisant partie de l’application de la
législation internationale, le Conseil des gouverneurs de l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA) tend à confirmer que l’Iran
respecte les traités internationaux, et le Conseil de sécurité des Nations
unies n’a jamais déclaré que l’Iran ne respectait pas les clauses du Traité sur
la non-prolifération des armes nucléaires106. À part les affirmations du
gouvernement israélien – en contradiction avec les analyses du Mossad107 –
pour attirer les États-Unis dans une action contre l’Iran, dont rien ne permet
d’affirmer qu’il a l’intention de construire une arme nucléaire. D’ailleurs, la
CIA américaine et le Mossad israélien s’accordaient, en mars 2012, pour
dire que l’Iran n’avait jamais pris la décision de construire l’arme
nucléaire108. Mais cela n’empêche pas le Conseil de sécurité des Nations
unies de reconduire le régime de sanctions contre l’Iran en juin 2012109,
dont l’objectif réel est de faire chuter le gouvernement Ahmadinejad, selon
les services de renseignement américains110. Ceci étant, compte tenu de la
posture agressive des États-Unis (avec ses interventions militaires en Irak et
en Syrie au nord ; et en Afghanistan au sud) et le discours guerrier d’Israël,
il n’est pas impensable que le régime iranien ait à l’esprit de faire évoluer
ultérieurement sa technologie nucléaire, afin de se doter d’une capacité de
dissuasion.
Dans un tel contexte, on constate qu’en dépit d’écarts verbaux
provocateurs, les dirigeants iraniens se sont montrés très rationnels dans
leurs choix. Les déclarations spectaculaires contre Israël et les États-Unis
doivent être prises pour ce qu’elles sont : une rhétorique, qui vise à
exprimer une résistance (« Djihad verbal ») face à une menace
d’intervention militaire. Parlant de l’éventualité d’une action nucléaire
iranienne, l’ex-directeur du Mossad, le service de renseignement stratégique
israélien, Meir Dagan, confirme cette lecture :

Le régime en Iran est un régime très rationnel […] Il


n’y a pas de doute qu’ils sont conscients de toutes les
implications de leurs actions et qu’ils les paieraient très
cher… et je pense qu’à ce stade les Iraniens sont très
prudents sur cette question111.

Le Djihad verbal (Djihad bil-Lisan)

Le 26 octobre 2005, le président Mahmoud Ahmadinejad prononce un


discours dans le cadre d’une conférence dont le thème est « Un Monde sans
Sionisme ». Il utilise alors une citation de l’Ayatollah Khomeiny :

« Comme l’a dit l’imam, le régime qui occupe


Jérusalem doit être effacé de la page du temps112. »

Mais la phrase est mal traduite et devient :

« Comme l’a dit l’imam [l’Ayatollah Rouhollah


Khomeiny], Israël doit être rayé de la carte113. »

Ironiquement, cette erreur initiale incombe au service de traduction de


l’Agence iranienne d’information (IRNA), qui, malgré une prompte
correction, n’a pas pu en éviter la diffusion. Elle fera l’effet d’une bombe et
constitue aujourd’hui encore, pour de nombreux hommes politiques
occidentaux, une clé de lecture de la pensée iranienne sur Israël.
En fait, Ahmadinejad n’a jamais évoqué la destruction d’Israël, ni dans
l’esprit ni dans la lettre114. Ainsi, il n’a pas mentionné l’État d’Israël, mais
uniquement son gouvernement (qui, à l’évidence, ne se raye pas d’une
carte !), et ne s’est pas référé à une notion géographique mais à l’histoire
(page du temps) ; sa citation était d’ailleurs accompagnée de 3 exemples : le
régime soviétique, le régime du Shah d’Iran et le régime de Saddam
Hussein. Même l’Institut de recherche sur les médias au Moyen-Orient
(MEMRI) – israélien – confirme cette erreur de traduction115.
Mais évidemment, dans un contexte de guerre contre l’« Axe du Mal »,
où les forces américaines affrontent la résistance chiite en Irak, et où l’on
attribue l’intention à l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, l’erreur de
traduction tombe à pic et a eu un impact considérable et durable sur
l’opinion publique internationale. Plus grave, cette erreur s’est établie
comme un véritable outil de manipulation et continue à influencer la
perception occidentale de l’Iran, faisant obstacle à tout dialogue constructif.
Dans ce contexte, les déclarations de certains chefs d’État – comme le
Président Nicolas Sarkozy alors en visite en Israël – illustrent soit leur
mauvaise foi, soit les insuffisances de leurs services de renseignement
stratégiques :

Ceux qui appellent, de manière scandaleuse, à la


destruction d’Israël trouveront toujours la France face à
eux pour leur barrer la route116.

L’Iran n’a aucune raison objective d’entrer en guerre avec Israël, voire
de le détruire. Sans frontières communes, sans liens ethniques et sans
différends politiques spécifiques et avec une minorité juive qui n’est pas
persécutée (elle est même représentée au Parlement), on imagine
difficilement que le gouvernement iranien se lance dans une aventure qui
pourrait mener à sa propre destruction.
On évoque fréquemment le soutien de l’Iran au terrorisme palestinien.
S’il est vrai que, depuis le début des années 80, l’Iran appuie politiquement
les Palestiniens, rien ne permet d’affirmer qu’il soutient des activités
violentes. L’interception, en 2002, du cargo Karine A – transportant des
armes iraniennes destinées, selon les autorités israéliennes, à la résistance
palestinienne –, est souvent citée comme exemple de la volonté de Téhéran
de soutenir le terrorisme palestinien. En fait, la réalité semble plus
complexe et la version officielle israélienne présente un certain nombre
d’invraisemblances qui ramènent plutôt vers un éventuel soutien au
Hezbollah libanais117. Ce d’autant plus que la politique de l’époque du
Président Khatami se voulait tournée vers le dialogue et l’apaisement.
Ceci étant, l’intervention américaine en Irak renforce les « durs » du
régime et leur permet d’accéder au pouvoir en 2005, provoquant une hausse
du ton entre Israël et l’Iran. Il n’est donc guère surprenant de voir l’Iran
offrir très officiellement une aide financière au Hamas en février 2006118,
après les élections législatives, alors que la communauté internationale lui
retirait son aide. Les raisons de la virulence contre Israël ne sont
probablement pas à chercher dans une haine à l’égard de l’État hébreu, mais
sont sans doute plus subtiles. Le régime des Mollahs ne fait de loin pas
l’unanimité en Iran et, après l’intervention américaine en Afghanistan, puis
en Irak, beaucoup d’Iraniens sentent que leur pays pourrait être la prochaine
cible des États-Unis. Or, une partie importante de la population iranienne
est pro-occidentale, et pourrait fort bien se retourner contre le régime en cas
d’invasion. Par une rhétorique agressive contre Israël, le pouvoir iranien
générait une réaction américaine suffisamment forte pour entretenir une
unité nationale, sans toutefois donner de prétexte tangible à une intervention
militaire.
La Palestine n’est pas un centre d’intérêt de l’Iran et même le Hezbollah
n’a pas réagi « militairement » à l’intervention israélienne à Gaza en
décembre 2008 ou en juillet 2014, contrairement à ce que pensaient de
nombreux experts occidentaux et israéliens. La Palestine n’est pas le
combat des chiites libanais ou iraniens. Ce qui explique qu’avec le conflit
syrien, l’Iran a interrompu son soutien financier aux Palestiniens.
Mais le jeu du gouvernement iranien est délicat car, à la campagne de
désinformation américaine, s’ajoutent des actions de déstabilisation très
concrètes contre l’Iran destinées à contrer l’importance croissante du pays
dans la région depuis l’invasion de l’Irak. Dès 2003-2004, les États-Unis
mènent deux catégories d’opérations spéciales (clandestines) en Iran :
- Les opérations menées par le Joint Special Operations Command
(JSOC) qui ont été ordonnées directement par le président G. W. Bush, en
sa qualité de commandant en chef des armées, qui peut donc ainsi
s’affranchir de l’autorisation du Congrès. Ce type d’opération est mené
depuis 2003-2004 au nord et au sud du pays, depuis le Pakistan.
- Les opérations clandestines menées par les services spéciaux de la
Central Intelligence Agency (CIA), qui sont soumises à un mécanisme de
surveillance parlementaire. Ce type d’opération est autorisé depuis mars
2007 par un Presidential Finding signé par le président George W. Bush119.
Ces opérations s’appuient sur les mouvements séparatistes baloutches et
ahwazi iraniens, ainsi que sur d’autres organisations dissidentes, et
comprennent un soutien actif du Joint Special Operations Command
(JSOC) – livraison d’armes et d’équipements, entraînement de troupes, etc.
– à des mouvements comme le Parti de la vie libre au Kurdistan (PJAK) ou
le Modjahedin-e-Khalq (MeK), pourtant considéré comme un mouvement
terroriste par les USA depuis le 10 août 1997120 et considéré comme l’un
des principaux exemples de la connivence de l’Irak avec le terrorisme121 !
Ces opérations coïncident avec une recrudescence des attentats à la bombe
commis par ces minorités ethniques (notamment à Ahvaz, le 12 juin et le 15
octobre 2005 et le 24 janvier 2006), et pour lesquels, le gouvernement
iranien a accusé les gouvernements américain et britannique122.

Un contexte régional bouleversé

En renversant le régime irakien en 2003, les États-Unis ont modifié


l’équilibre des influences qui s’était installé depuis la fin des années 70 et
ont donné une nouvelle impulsion aux mouvements chiites, en accroissant
ipso facto l’importance de l’Iran. Cette nouvelle donne a créé la perception
d’un « encerclement » chiite autour du cœur de l’Islam sunnite. Or c’est
contre le risque d’un tel encerclement que les monarchies du Golfe avaient
créé le Conseil de coopération du Golfe (CCG) en mai 1981 et en soutenant
la guerre irakoiranienne. Les révolutions arabes de 2010-2011 visent en
premier lieu à briser cet encerclement et à restaurer la primauté du
sunnisme dans la région.
Toutes ces explications doivent conduire à une constatation : entre
incompréhension et désinformation, il reste un très grand potentiel de
dialogue avec l’Iran. La rhétorique propre aux cultures du Moyen-Orient
utilise plusieurs niveaux de lecture et il serait faux d’y voir
systématiquement des velléités guerrières. Cela n’exclut pas la vigilance,
mais devrait réfréner un discours occidental qui a plutôt tendance à
envenimer le climat. Dans cette perspective, le rôle des États-Unis est
central et pourrait contribuer à assouplir les positions, à condition que le
dialogue qui a été engagé se poursuive après le mandat du Président Obama
et s’effectue sans condescendance et sans se transformer en un « diktat »
occidental.
LA TURQUIE
La Turquie est un grand pays dans de multiples sens : géographique,
culturel et historique, pour ne mentionner que ceux-ci, et il en retire une
fierté légitime. Sa volonté de s’affirmer comme un pays européen, à la fin
de la Première Guerre mondiale, s’est heurtée dès le début à un certain
dédain de la part des Européens pour ce pays alors encore en voie de
développement, et à une hostilité liée au traitement de la minorité
arménienne durant la guerre.
Accueillie avec enthousiasme au sein de l’OTAN durant la guerre
froide, en raison de sa position stratégique sur le flanc sud de l’Union
soviétique et gardienne des détroits gouvernant l’accès à la Méditerranée, la
Turquie a vu son image européenne se dégrader dès la fin de la guerre
froide. Une présence immigrée importante en Europe et la montée générale
de la conscience islamique dans le monde ont généré des opinions très
marquées et divergentes sur son entrée au sein de l’Union européenne.
Sa situation géographique de carrefour entre le monde chrétien et le
monde musulman, entre le monde européen et le monde asiatique, entre le
monde méditerranéen et l’Asie centrale, et entre modernité et archaïsme, en
fait un pays complexe et mal compris en Europe.
Dans ce contexte, la Turquie a toujours perçu l’unité nationale comme
un facteur critique de survie et de succès, où l’intégration des diverses
minorités qui la composent constitue un enjeu national ; tandis qu’au plan
international l’instrumentalisation de ces mêmes minorités alimente les
ambitions régionales de ses voisins, comme cela a été le cas pour les
Kurdes. Par ailleurs, stimulée par une politique américaine maladroite, et
ignorée par une Europe centrée sur ses propres enjeux, l’affirmation
croissante d’une identité islamique touche tout le Proche et Moyen-Orient
dès le début des années 90 et affecte également la Turquie. Cette évolution
vient se superposer à un nationalisme musulman latent, qui bouscule la
laïcité voulue par le fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal
Atatürk, comme un fondement de la république. Entre un séparatisme kurde
imprégné de marxisme et la montée d’un islamisme qui ne cache pas ses
sympathies pour la résistance irakienne, la marge de manœuvre du
gouvernement turc est étroite.
Les Kurdes sont les lointains héritiers de l’empire mède. Un État
indépendant leur avait été promis par le Traité de Sèvres (10 août 1920),
mais ils ne l’ont jamais eu en raison de la victoire de Mustafa Kemal
Atatürk contre la Grèce, qui a conduit au Traité de Lausanne (24 juillet
1923), lequel morcelle le Kurdistan entre les divers pays de la région alors
sous contrôle des Européens. L’Union soviétique, qui perpétue la rivalité
ancestrale entre la Russie orthodoxe et les Ottomans, et qui est engagée
dans une lutte féroce contre les insurgés musulmans en Asie centrale et dans
le Caucase (« Basmatchis »), soutient les Kurdes dans leur combat pour
l’indépendance. Il en résulte une lutte armée kurde à forte composante
communiste et révolutionnaire, qui sera instrumentalisée et soutenue par
l’Union soviétique jusqu’à la fin de la guerre froide, et qui conservera ses
aspirations marxistes jusqu’à nos jours.
Les Kurdes partagent avec les Turcs une solide réputation de
combattants déterminés, tenaces et endurants. Ce n’est donc pas un hasard
s’ils sont aujourd’hui les protagonistes les plus fiables et les plus efficaces
dans la lutte contre la poussée islamiste en Irak et en Syrie. Mais leur
aspiration à un État indépendant pourrait bien se heurter à terme à un
Occident qui soutiendrait l’intégrité territoriale de la Turquie.
La Turquie a toujours eu un rôle particulier et considérable au sein du
dispositif stratégique occidental : il est le seul pays musulman de l’OTAN,
le seul pays de l’OTAN situé sur le continent asiatique, le seul pays de
l’OTAN qui était limitrophe de l’URSS123 et le seul pays en mesure de
fermer l’accès à la Méditerranée à la Flotte Soviétique. Les bases aériennes
des États-Unis qui y sont implantées constituent un tremplin indispensable à
leur dispositif de projection des forces vers l’Asie centrale et le Moyen-
Orient.
En 1990-1991, la Turquie avait soutenu la coalition internationale
contre l’Irak : l’Irak était dans une position d’agresseur, et la coalition avait
une légitimité assez large. En 2003, en revanche, la Turquie a exprimé des
réserves sérieuses sur la volonté américaine de démanteler le pouvoir
irakien. Pressentant le chaos qui en résulterait et le renforcement du
nationalisme kurde, elle a refusé de participer à la coalition proposée par
George Bush junior. Aujourd’hui, à la menace kurde, s’ajoute la menace
islamiste. Le « nationalisme islamiste », né avec Oussama Ben Laden et qui
s’est prolongé jusque dans l’État islamique, jouit d’une certaine sympathie
dans la population turque. Durant les années 1990-2000, une croissance
économique exemplaire a permis de contenir un islamisme qui se nourrit
d’animosité envers l’Occident. Mais le vent tourne au début des années
2000. Les guerres menées par les Occidentaux en Irak et en Afghanistan, la
brutalité d’Israël envers la population palestinienne, ont encouragé des
sentiments favorables aux islamistes.
La notion de « croisade », utilisée par les Américains pour intervenir en
Afghanistan et en Irak, a alimenté un véritable nationalisme islamique qui
touche non seulement le monde arabe mais aussi la population turque,
réveillant probablement dans son sillage le souvenir d’une grandeur passée.
Le gouvernement turc est donc dans une situation extrêmement délicate.
Avec une population globalement favorable aux islamistes et à 22,2 %
favorable à l’État islamique124, son défi est d’éviter une contagion de ses
voisins, alimentée par les « nationalismes » kurdes et islamiques. Il doit
donc naviguer près du vent, en tenant compte des intérêts de ses alliés
occidentaux. Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan a compris
qu’attaquer de front les islamistes en Syrie ne pour-rait que stimuler les
extrémistes et partisans de l’État islamique en Turquie même. Ceci explique
pourquoi la Turquie s’est contentée de jouer un rôle d’arrière-plan dans le
conflit syrien125 et s’est concentrée sur le maintien de l’unité nationale en
luttant contre les résurgences kurdes.
Cette dynamique a favorisé une ouverture vers l’islamisation de la
société turque, comme une manière « d’absorber » la pression intégriste,
afin d’éviter qu’elle ne dégénère en une opposition violente. Le
gouvernement a tiré les leçons des attentats à la bombe d’Istanbul des 15 et
20 novembre 2003 (qui avaient fait 57 victimes et 700 blessés). En
décembre 2003, la Syrie avait extradé 22 suspects vers la Turquie, dont
deux jeunes filles d’origine turque qui avaient dû s’expatrier pour étudier
dans une école islamiste, car les lois turques interdisaient le port du « voile
islamique » en classe126. Ainsi, pour reprendre le contrôle sur l’islamisme,
les Turcs ont compris qu’il fallait « lâcher du lest » sur la laïcité, et, par
exemple, autoriser le port du voile dans les écoles.
Cette ambiguïté tout orientale est mal comprise en Europe – où l’on
fustige volontiers le « messianisme » du « sultan Erdogan127 » –, mais elle
s’inscrit dans une cohérence stratégique. Depuis une quarantaine d’années,
l’opinion publique européenne a développé une certaine sympathie pour les
Kurdes, initialement dans les cercles de la gauche politique, et aujourd’hui
partagée par certains cercles de droite – en raison de la présence de pétrole
dans les zones couvertes par le Kurdistan. Il faut comprendre qu’à tort ou à
raison, pour l’État turc, l’image de la menace est constituée par les Kurdes,
alors que l’État islamique ne figure pas dans cette image, du moins pas
directement. On peut certes contester cette priorité, mais elle est fondée sur
un critère objectif du point de vue de la Turquie et se situe dans le
prolongement de sa neutralité dans les conflits qui ont secoué la région.

L’ARABIE SAOUDITE ET LES ÉMIRATS


En 1979, l’accession au pouvoir de l’Ayatollah Khomeiny en Iran et la
déclaration de sa Révolution islamique avaient provoqué une vive réaction
des monarchies sunnites du Golfe et la constitution du Conseil de
coopération du golfe (CCG) pour faire barrage au chiisme. Il faut rappeler
qu’audelà de la dimension religieuse, les minorités chiites des divers pays
du Golfe sont toutes situées dans les zones pétrolifères de la région, donnant
une dimension stratégique aux tensions communautaires.
Saddam Hussein avait évité les conflits religieux, tout en maintenant
une prédominance sunnite de fait sur l’Irak, raison pour laquelle il avait été
largement soutenu par les pays du Golfe dans le conflit Iran-Irak.
L’invasion américaine de 2003 et l’accession au pouvoir de la communauté
chiite irakienne ont eu une conséquence fondamentalement déstabilisante
pour la région en donnant corps à l’axe Damas-Téhéran, stimulant
l’importance de l’Iran dans la région et créant ainsi une « ceinture » autour
des pays sunnites du Golfe. Il en est résulté, dans les monarchies du Golfe,
un sentiment d’encerclement, renforcé par la rébellion Houti au Yémen, qui
n’avait pas été anticipée par les services de renseignement stratégiques
américains.
La vague des révoltes sunnites, qui secouent successivement la Tunisie,
l’Égypte, la Libye et la Syrie, frappe tous les pays qui avaient tenté de
moderniser leur société dès les années 50, sous la double influence du
socialisme et du nationalisme arabe. Cette succession de rébellions dès
2010 n’est pas due au hasard. Ses causes profondes sont les volontés
rivales, mais concourantes, de l’Arabie saoudite et de l’Émirat du Qatar
pour contenir un repli perçu du sunnisme provoqué par l’intervention
américaine en Irak.
Les États-Unis considèrent les États du Golfe comme un foyer de
stabilité au Moyen-Orient, sans doute en raison de leurs réserves
énergétiques mais aussi et surtout à cause de leur soutien au système du
pétrodollar qui constitue un pilier vital de l’économie américaine. L’alliance
– imprévue par les services américains (!) – entre le nouveau gouvernement
chiite irakien et l’Iran a incité les Américains à changer leur fusil d’épaule
et à soutenir les mouvements armés sunnites pour combattre l’influence
iranienne dans la région. Il s’agissait de créer une base solide entre Sunnites
et Kurdes, afin de combattre les Chiites, qui constituent la majorité en Irak.
Ce volte-face politique, connu sous l’appellation de « Redirection128 » a été
dévoilé en 2007 par le journaliste Seymour Hersh, proche des milieux du
renseignement américain, qui soulignait le danger qu’il représentait en
favorisant le terrorisme sunnite.
De fait, cette « Redirection » a permis la mise en place de la stratégie du
« Réveil de l’Irak », qui s’est traduite par un soutien financier et militaire
aux milices sunnites. Elle a donc constitué un point de convergence entre
les préoccupations des monarchies du Golfe, la situation inextricable créée
par les Américains en Irak et leur plan déjà esquissé en 2001 de
renversement de 7 gouvernements de la région. La « Redirection » a
encouragé l’émergence du radicalisme sunnite et ouvert la voie aux
printemps arabes dès 2010.
Le rôle de l’Arabie saoudite et du Qatar dans le développement de l’État
islamique semble empreint de duplicité. Le propos doit être nuancé. Si – de
l’aveu même de l’État islamique129 – des financements proviennent bien de
ces pays, ils ne sont pas officiels, mais viennent principalement de dons
privés. Il existe dans ces pays des forces concurrentes, indépendantes de
l’État, suffisamment puissantes et riches pour déstabiliser la région, mais
qui contribuent à leur stabilité intérieure. Le phénomène n’est pas nouveau,
puisqu’il avait accompagné la résistance à la présence américaine dans le
pays après la première guerre du Golfe, contribuant ainsi à créer ainsi le
mythe d’« Al-Qaïda ».
Ici encore, l’idée d’un vaste complot dirigé par une intelligence
centralisée doit céder le pas à la constatation d’une multitude d’intérêts
particuliers mal coordonnés et contradictoires, qui croisent ceux des États-
Unis, lesquels, pour des raisons diverses, cherchent à transformer le
paysage politique du Proche et Moyen-Orient. Une analyse plus
approfondie montre que l’on se trouve face à une succession de décisions,
prises dans l’urgence, sans vision de long terme et basées sur une grande
méconnaissance de l’environnement politico-militaire ; avec comme
conséquences une absence de cohérence, une très faible adhésion des
populations locales et, au final, un accroissement des ressentiments de ces
dernières contre l’Occident.

1. « Ike on Ike », Newsweek, 11 novembre 1963, p. 107.


2. Daniel Lerner, Sykewar : Psychological Warfare against Germany, D-Day to VeDay, George W.
Stewart, 1949.
3. James Bacque, Other Losses, Stoddart, 1989, ISBN 0-7737-2269-6. La publication de ce livre aux
États-Unis a soulevé un émoi considérable et provoqué plusieurs contre-enquêtes. Néanmoins, il
reste la seule vraie étude sur cette question basée sur les documents existants.
4. Prof. J. Robert Lilly, Taken by Force: Rape and American GIs in Europe in World War II, Northern
Kentucky University, 7 août 2007 ; et Benoît Majerus, « Robert J. Lilly, La face cachée des GI’s.
Les viols commis par des soldats américains en France, en Angleterre et en Allemagne pendant la
Seconde Guerre mondiale », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne],
vol. 13, n° 1 | 2009, mis en ligne le 25 mars 2009, consulté le 28 août 2015. URL :
http://chs.revues.org/705
5. Freda Utley, The High Cost Of Vengeance, Henry Regnery Company, Chicago, 1949.
6. http://www.loc.gov/law/help/usconlaw/pdf/Maine.1898.pdf
7. http://www.herodote.net/7_mai_1915-evenement-19150507.php
8. http://nsarchive.gwu.edu/news/20010430/northwoods.pdf
9. Tonkin Gulf Intelligence « Skewed » According to Official History and Intercepts, National Security
Archive, Electronic Briefing Book n°132 – Update.
10. Littéralement : « Ceux-qui-exigent [le savoir]. » Taliban est le pluriel de Talib (raison pour
laquelle il est écrit sans « s » dans cet ouvrage).
11. Wikipédia : un système de Ponzi est un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les
investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants.
12. Addison Wiggin, « No Iran Deal, No Petrodollar », The Daily Reckoning, 18 août 2015.
13. « Iraq Decides to Stop Using US Dollar in Foreign Trade », People’s Daily, 26 septembre 2000.
Dans la presse occidentale, un seul article relatera cette information primordiale.
14. « Iran Ends Oil Transactions In U.S. Dollars », AP/CBS News, 30 avril 2008.
15. « Voici comment la Russie prépare la mise à mort du pétrodollar », 22 décembre 2014 (http://or-
argent.eu/voici-comment-la-russie-prepare-la-misea-mort-du-petrodollar/).
16. Volume 1 : les Actes du Premier Congrès des Économistes Africains - Vers la Création d’une
Monnaie Unique Africaine, 2-4 mars 2009, Nairobi, Kenya.
(http://ea.au.int/en/sites/default/files/DOCUMENT_EN_ FR_2_
4_MARCH_2009_EA_CONGRESS_ARTICLE_VOLUME_1.pdf)
17. « Why U.S. Firms Are Dying: Failure To Innovate », Forbes, 27 février 2015.
18. Rémy Herrera, « Between crisis and wars - where is the United States heading? », CNRS,
Sorbonne Economic Centre, dans Journal of Innovation Economics & Management, 2013/2
(n°12).
19. « Military-Industrial Complex Speech », Dwight D. Eisenhower, 1961, Public Papers of the
Presidents, Dwight D. Eisenhower, 1960, pp. 1035-1040.
20. Chuck Spinney, «Defense Dependency?»,Time Magazine, 13 novembre 2012.
21. Jonathan Pollard était un analyste des services de renseignements de la marine américaine. Juif
américain, il s’est senti une obligation morale à transmettre des documents classifiés à Israël, ce
qu’il fera entre juin 1984 et novembre 1985. Arrêté, il est condamné à la prison à vie. Naturalisé
israélien en prison, il a été l’objet de nombreuses demandes du gouvernement d’Israël pour sa
libération. Il sera libéré en novembre 2015, comme gage d’amitié envers Israël, peu après la
signature d’un accord avec l’Iran sur la question nucléaire.
22. Ron Suskind, The One Percent Doctrine: Deep Inside America’s Pursuit of Its Enemies Since 9/11,
Simon & Schuster; 15 mai 2007.
23. Tim Arango & Clifford Krauss, « China Is Reaping Biggest Benefits of Iraq Oil Boom », The New
York Times, 2 juin 2013.
24. Gordon Campbell, « Who Controls Iraq’s Oil? - Ten years on from the invasion, it is not the
Americans », Werewolf.co.nz, 27 mars 2013.
25. Interview à Democracy Now! (https://www.youtube.com/watch?v=SXS3vW47mOE)
26. Maamoun Youssef, « Ben Laden Tape Claims Plot Vs. Muslims », Associated Press, 16 février
2003.
27. Secrets of War The Cold War 05of10 Inside the KGB, YouTube (https://www.youtube.com/watch?
v=_Lmwlok2yCo&list=PLYbocufkwRFDE6OckAht8eg92nrm17KT&index=95)
28. Les Ukrainiens attribuent à la communauté juive, alors surreprésentée dans les services de sécurité
soviétiques (NKVD), la responsabilité de l’« Holodomor » (l’équivalent ukrainien de
l’Holocauste) qui a causé quelque 7-10 millions de victimes dans les années 30. Ceci explique –
en partie tout au moins – l’apparition dans les manifestations de la place Maïdan à la fin 2013, des
portraits de Stepan Bandera (nationaliste et collaborateur de l’occupant nazi durant la Seconde
Guerre mondiale) et figure symbolique du nouveau régime ukrainien.
29. United Nations Special Committee on Palestine, Report To the General Assembly - Volume 1,
A/364, Lake Success, New York, 3 septembre 1947, Chapter II - Para 13.
30. Voir Edwin Black, The Transfer Agreement – Pact between the Third Reich and Jewish Palestine,
Caroll & Graf, New York, 2001.
31. United Nations Special Committee on Palestine, Report To the General Assembly - Volume 1,
A/364, Lake Success, New York, 3 septembre 1947, Chapter II - Para 164.
32. Walid Khalidi, « Revisiting the UNGA Partition Resolution », Journal of Palestine Studies XXVII,
n°1 (automne 1997), p. 11.
33. Le chef des opérations du Lehi (également connu sous le nom de « Groupe Stern ») à l’époque
était un certain Yitzhak Shamir, qui deviendra Premier ministre de l’État israélien.
34. Menahem Begin deviendra Premier ministre d’Israël (1977-1981) et recevra le prix Nobel de la
Paix en 1979.
35. Voir Dominique Vidal, avec Joseph Algazy, Le Péché originel d’Israël. L’expulsion des
Palestiniens revisitée par les « nouveaux historiens » israéliens, Éditions de l’Atelier, Paris, 2002.
36. Voir la conférence de Miko Peled, fils d’un général israélien: https://www.youtube.com/watch?
v=TOaxAckFCuQ
37. Conférence de Miko Peled, op. cit.
38. Richard H. Curtiss, « Why Did Syria Call Israel’s Prime Minister a “Terrorist” ? », Washington
Report on Middle East Affairs, décembre-janvier 1991/92, p. 41.
39. Greg Myre, « Israeli Report Faults Intelligence on Iraq », The New York Times, 28 mars 2004.
40. Col. David Eshel, « Hezbollah’s Intelligence War – Assessment of the Second Lebanon War »,
Defense Update, 2007 (http://defense-update.com/analysis/lebanon_war_1.htm)
41. Shlomo Brom, « Israel: Unintelligent on Intelligence », The National Interest, 6 octobre 2006.
42. Etan Bronner, « A Former Spy Chief Questions the Judgment of Israeli Leaders », The New York
Times, 3 juin 2011.
43. Jodi Rudoren, « Former Israeli Security Chiefs Calls Netanyahu a Poor Leader », The New York
Times, 4 janvier 2013.
44. Jpost.Com Staff, « Report : Mossad undercuts Netanyahu, warns US Congress against more Iran
sanctions », Jerusalem Post, 22 janvier 2015.
45. Ben Lynfield, « It’s time for Israel to talk to Hamas, says former Mossad head », The Independent,
10 juin 2015 (http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/its-time-for-israel-to-talk-to-
hamas-says-former-mossad-head-10311651.html)
46. Yaakov Lappin, « IDF dismisses unit 8200 reservists who refused to serve in Palestinian
territories », Jerusalem Post, 26 janvier 2015.
47. MJ Rosenberg, « Senate Resolution : U.S. Will Go to War With Iran if Israel Does », The World
Post, 17 avril 2015.
48. « Russians raided Israeli airfields in Georgia that were to be used against Iran », Israel Matzav, 5
septembre 2008 (http://israelmatzav.blogspot.co.uk/)
49. Israel Matzav, op. cit.
50. Joseph Weitz, décembre 1940. Cité par Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee
Problem 1947-1949, Cambridge University Press, 1987, p. 27, et par Dominique Vidal, Le Péché
originel d’Israël, Éditions Ouvrières, Paris, 1998, p. 99.
51. Shelley Kleiman, The State of Israel Declares Independence, Israel Ministry of Foreign Affairs, 27
avril 1999.
52. Johann Hari, « The true story behind this war is not the one Israel is telling», The Independent, 29
décembre 2008.
53. Cheikh Yassine, interview pour la Radio Suisse Romande, par Malika Nedir (décembre 2000).
54. Les territoires occupés depuis 1967 auraient dû être libérés aux termes de la Résolution 242 des
Nations unies, si la formulation ambiguë de sa version anglaise n’avait pas offert à Israël une
échappatoire à cette obligation. La version anglaise de la Résolution 242 impose le retrait « de
territoires » (« of territories »), formulation que les Britanniques et les Américains ont choisie pour
contrer la proposition soviétique d’imposer un retrait « des territoires » (« of the territories »).
Apparemment, c’est sur l’instruction de De Gaulle, que la version française de la résolution
comprend la formulation plus précise pour un retrait « des territoires », qui correspondait à l’inter-
prétation alors admise par tous les membres du Conseil de sécurité (voir Noam Chomsky, The
Israel-Arafat Agreement, Z Magazine, octobre, 1993 (http://www.chomsky.info/articles/199310-
-.htm)).
55. Khaled Meshaal, chef politique du Hamas (Reuters, 3 mai 2006).
56. Alexis Varende, « Un “État juif” pour interdire un État palestinien », Orient XXI, 4 mars 2014.
57. « From Jihad to Fasad », Dabiq Magazine, n° 11, p. 27.
58. « Une explosion vise le siège de la sécurité du Hamas à Gaza », 24 Heures/ ATS, 4 mai 2015.
59. Cette milice a été créée durant la rébellion contre le gouvernement syrien.
60. « The Yarm k Camp », Dabiq Magazine, n° 9, Shaban 1436 (mai 2015).
61. Elad Benari, « Netanyahu : Conflict with Arabs is Not About Settlements »,
www.israelnationalnews.com, 12 mai 2012.
62. http://newjewisheducation.blogspot.com/2006/12/israeli-textbooks-green-line-and-yuli.html. En
Israël, la carte proposée en 1922 d’un « Foyer national juif » présentant une Palestine totalement
sous contrôle juif reste très populaire, et pour certains la seule configuration légitime de l’État juif.
63. « La Knesset bannit la ligne verte des écoles », Le Figaro, 15 octobre 2007.
64. Khaled Meshaal, BBC News, 8 février 2006.
65. Khaled Meshaal, Reuters, 10 janvier 2007.
66. « […] ein gewisser Schwerpunkt, ein Zentrum der Kraft und Bewegung bilden, von welchem das
Ganze abhängt, und auf diesen Schwerpunkt des Gegners muß der gesammelte Stoß aller Kräfte
gerichtet sein », Karl von Clausewitz, Vom Kriege, Achtes Buch, Dümmlers Verlag, Berlin, 1832.
Selon le dictionnaire militaire américain : « Le centre de gravité est « […] le centre de toute
puissance et de tout mouvement, dont tout dépend ; la caractéristique, la capacité ou
l’emplacement dont les forces ennemies et amies dégagent leur liberté d’action, leur force
physique ou leur volonté de combattre. » Texte original : « The hub of all power and movement
upon which everything depends ; that characteristic, capability, or location from which enemy and
friendly forces derive their freedom of action, physical strength, or the will to fight. », Glossary,
FM 100-5 (en allemand : Schwerpunkt) on trouve également : « …characteristic(s),
capability(ies), or locality(ies) from which a nation, an alliance, a military force or other grouping
derives its freedom of action, physical strength, or will to fight. » Office of the Joint Staff, DOD
Dictionary of Military and Associated Terms, Joint Publication 1er février, (Washington DC,
1984) p. 188.
67. Voir Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Paris, Éditions Fayard, 3 septembre 2008.
68. Ce système est en vigueur dans la plupart des pays islamiques : la terre est la propriété de Dieu et
l’Homme ne peut en être que le possesseur. Celui qui veut un terrain ne peut acquérir qu’une
« concession » pour l’utiliser (habituellement pour une durée de 99 ans) et sur lequel il pourra
construire un bâtiment (qui lui appartient). Cette notion de waqf explique pourquoi, dans les pays
islamiques, la gestion du waqf revient souvent aux autorités religieuses. Le revenu du waqf est
alors utilisé pour financer des œuvres sociales (l’équivalent de la « Sécurité sociale » dans les pays
occidentaux). Ce qui explique pourquoi, la « sécurité sociale » est un domaine souvent associé aux
autorités cléricales du pays.
69. Interview à la Télévision Suisse Romande, 5 janvier 2009.
70. Hagit Ofran & Noa Galili, « West Bank Settlements-Facts and Figures, June 2009 », juin 2009,
(http://peacenow.org.il/eng/node/297)
71. Chiffres du Prof. Zaki Shalom, « Two States for Two Peoples : A Vision Rapidly Eroding »,
Strategic Assessment, Volume 11, n° 2, novembre 2008, université Ben Gourion.
72. http://www.btselem.org/settlements/statistics
73. Résolution 446 (1979) du 22 mars 1979.
74. New York Times, 9 mars 2006.
75. « L’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire
palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui
est associé, sont contraires au droit international ; […] » (Résolution ES-10/14 de la Cour
internationale de Justice, citée dans la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies,
A/RES/ES-10/15, 2 août 2004).
76. Azmi Bishara, « The Wall : Its Implications And Dangers », Al-Hayat, 7 juillet 2003.
77. Terrorism Against Israel : Successful vs. Thwarted Attacks (2000 - 2004), chiffres du ministère de
la Défense d’Israël (http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/Terrorism/thwartgraph.html).
78. Chiffres de B’Tselem (www.btselem.org). À ces chiffres s’ajoute la destruction de 3432 maisons
construites sans permis dans les territoires occupés. Il faut préciser que, dans ces territoires, la
construction de maisons par les Palestiniens est soumise à un régime d’autorisation extrêmement
sévère qui tend à pousser les Palestiniens à construire sans permis.
79. http://www.ochaopt.org/documents/hc_statement_on_demolitions_ 23jan2015.pdf
80. Meir Margalit, « The Truth Behind Formal Statistics – Demolition of illegal houses in the West
Bank during 2004 », Israeli Committee Against Houses Demolition, avril 2005.
81. On estime que 75-80 % du budget du Hamas est utilisé pour le financement d’assistance sociale et
médicale, la construction d’infrastructures médicales et d’orphelinats. (David H. Gray & Larson
John Bennett, « Grass Roots Terrorism : How Hamas’ Structure Defines a Policy of
Counterterrorism », Research Journal of International Studies, novembre 2008).
82. Chiffre de 2004 (Haaretz, 16 juin 2006).
83. Chiffre de 2006 (UNICEF, 2006) Ce taux de fécondité évolue, mais montre une certaine régularité
à être le double de celui observé en Israël.
84. Voir Wikipedia, article « Lavon Affair ».
85. Richard Sale, « Hamas history tied to Israel », UPI, 18 juin 2002.
86. Ostrovsky, Victor and Claire Hoy, By Way of Deception, New York, St. Martin’s Press, 1990, p.
321.
87. Donald Neff, « Israel Charged With Systematic Harassment of U.S. Marines », Washington Report
on Middle East Affairs, mars 1995, pp. 79-81.
88. Nir Rosen, « Lesson Unlearned », Foreign Policy, 29 octobre 2009
(http://foreignpolicy.com/2009/10/29/lesson-unlearned/).
89. Frontline – Target America, Interview: Caspar Weinberger,
(http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/target/interviews/weinberger.html)
90. 1985 est la date de publication de la Charte du Hezbollah, qui marque la création officielle du
parti. Toutefois, Israël et plusieurs pays occidentaux, dont les États-Unis et la Grande-Bretagne,
établissent la date de fondation du Hezbollah à 1982. C’est inexact. À cette époque aucun groupe
armé libanais ne se réfère à, ou se définit par rapport au Parti de Dieu (Hezbollah). Le principal
groupe de résistance chiite est alors le Djihad islamique, qui est une entité floue dont les contours
ne seront jamais connus avec précision. En 1985, lorsque le Hezbollah est créé, on y relie des
individus que l’on avait associés – toutefois sans certitude aucune – au Djihad Islamique, comme
Imad Mougnieh (qui sera assassiné à Damas, en 2008). C’est la raison pour laquelle il a été
commode de supposer que le Hezbollah avait été créé avant, notamment afin de « situer » les
auteurs des attentats de 1983 dans le cadre d’une structure identifiable.
91. La nature terroriste du Hezbollah est sujette à débat en Occident. Les ÉtatsUnis, le Canada, les
Pays-Bas et Israël considèrent le Hezbollah comme un mouvement terroriste. Le Parlement
européen, dans une résolution adoptée le 10 mars 2005, peu après l’attentat contre Rafic Hariri
« considère qu’il existe des preuves irréfutables de l’action terroriste du Hezbollah ». Le Conseil
de l’Union européenne, le Royaume-Uni et l’Australie ne considèrent comme terroriste que
l’organisation de la sécurité extérieure du Hezbollah mais pas sa branche politique. La Russie,
l’Union européenne ou la France ne considèrent pas le Hezbollah comme une organisation
terroriste.
92. Washington Post, 19 mai 2007.
93. Rapport du Secrétaire général sur la Force des Nations unies, chargées d’observer le
désengagement pour la période allant du 4 septembre au 19 novembre 2014, Nations unies
S/2014/859, 28 novembre 2014, voir également Maya Shwayder, « New UN report reveals
collaboration between Israel and Syrian rebels », The Jerusalem Post, 7 décembre 2014.
94. Herb Keinon, « Netanyahu visits IDF field hospital for Syrians », The Jerusalem Post, 18 février
2014.
95. « Israeli Airstrikes Escalate Tensions with Syria », The Associated Press, 19 mars 2014.
96. Ibid.
97. Herb Keinon, « Israel wanted Assad gone since start of Syria civil war », The Jerusalem Post, 17
septembre 2013.
98. Diaa Hadid & Anne Barnard, « Commander of Hezbollah Freed by Israel Is Killed in Syria », The
New York Times, 20 décembre 2015.
99. Interview de Robert Baer, ex-agent de la CIA, « Iran Must be an International Player »,
www.roozonline.com
100. Shlomo Ben-Ami, ancien ministre israélien des Affaires étrangères, Le
Figaro, 19 septembre 2007.
101. CNN, « Bush: U.S. probes possible Iran links to 9/11 », 19 juillet 2004.
102. James Fallows, « Will Iran Be Next? », The Atlantic, décembre 2004.
103. Mike Allen, « Iran ‘Will Be Dealt With,’ Bush Says », The Washington Post, 22 avril 2004.
104. Philip Giraldi, « Attack on Iran: Preemptive Nuclear War », The American Conservative, 2 août
2005.
105. « Sharon says U.S. should also disarm Iran, Libya and Syria », Haaretz, 30 septembre 2004.
106. Paul K. Kerr, Iran’s Nuclear Program: Tehran’s Compliance with International Obligations, US
Congressional Research Service, 14 janvier 2016, p. 8 et p.11.
107. Seumas Milne, Ewen MacAskill & Clayton Swisher, « Leaked cables show Netanyahu’s Iran
bomb claim contradicted by Mossad », The Guardian, 23 février 2015.
108. « Mossad, CIA Agree Iran Has Yet to Decide to Build Nuclear Weapon », Haaretz, 18 mars
2012.
109. http://www.un.org/press/en/2012/sc10666.doc.htm
110. Karen DeYoung & Scott Wilson, « Goal of Iran sanctions is regime collapse, U.S. official says »,
Washington Post, 13 janvier 2012.
111. Watch Stahl, « Ex-Mossad chief: Iran rational; don’t attack now », CBS News, 11 mars 2012.
112. Voir memri.org/bin/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP101305
113. « En voie de radicalisation, l’Iran veut “rayer” Israël de la carte », Le Monde, 27 octobre 2005.
114. Jonathan Steele, « Lost in Translation », The Guardian, 22 juin 2006.
115. memri.org, op. cit.
116. Discours du président Sarkozy à la Knesset, Le Figaro, 20 juin 2008.
117. Brian Whitaker, « The strange affair of Karine A », The Guardian, 21 jan-vier 2002.
118. BBC News, 22 février 2006.
119. Aux États-Unis, le « Presidential Finding » est un décret présidentiel, équivalent à l’« Executive
Order ». À la différence de l’Executive Order, le Presidential Finding ne doit pas être publié dans
le Registre Fédéral des décisions exécutives. (CRS Report for Congress, Harold C. Relyea,
Presidential Directives : Background and Overview, mis à jour 23 avril 2007).
120. Foreign Terrorist Organizations, Bureau of Counterterrorism, US Department of State
(http://www.state.gov/j/ct/rls/other/des/123085.htm)
121. Saddam Hussein’s Support for International Terrorism, The White House, (http://georgewbush-
whitehouse.archives.gov/infocus/iraq/decade/sect5.html). Le MeK a été retiré de la liste des
mouvements terroristes du Département d’État américain le 28 septembre 2012 afin de permettre
aux États-Unis et à la Grande-Bretagne de collaborer avec lui pour mener des actions clandestines
en Iran. (http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2012/09/198443.htm)
122. Seymour Hersh, « Preparing the Battlefield », The New Yorker, 7 juillet 2008.
123. Mis à part l’extrême nord de la Norvège, lui aussi limitrophe de l’URSS, mais dans une zone
considérablement moins critique.
124. Shiv Malik, « Support for Isis stronger in Arabic social media in Europe than in Syria”, The
Guardian, 28 novembre 2014.
125. Berkay Mandiraci, « Islamic State’s Threat to Turkey », International Crisis Group, 19 octobre
2015 (http://blog.crisisgroup.org/europe-central-asia/2015/10/19/islamic-states-threat-to-turkey/).
126. « Veiled threats », The Economist, 6 décembre 2003
127. Pierre Servent, Extension du domaine de la guerre, Robert Laffont, Paris, 2015, pp. 98-104.
128. Seymour M. Hersh, « The Redirection », The New Yorker, 5 mars 2007.
129. Dar al-Islam Magazine, n° 7, novembre 2015 (Safar 1437), p. 38.
« Al-Quaïda », le mythe fondateur

LES RACINES HISTORIQUES


Ce que l’on appelle communément aujourd’hui « Al-Qaïda » est un des
éléments centraux du prisme à travers lequel est perçue la menace terroriste
– qui trouve aujourd’hui son apex dans l’État islamique. Si le terrorisme
islamiste est une réalité depuis un quart de siècle, sa compréhension en
Occident reste extrêmement mauvaise. Nous n’en avons pas compris la
genèse, le fonctionnement, la logique, les motivations et, par voie de
conséquence, la manière de le maîtriser. En réalité, nous y réagissons de
manière émotionnelle, sans réflexion et sans stratégie : exactement comme
le souhaitent les terroristes. C’est la raison pour laquelle, depuis 1990, le
terrorisme n’a fait que croître, sans qu’aucune guerre ni aucune technologie
ne l’ait stoppé, affectant même les valeurs qui font la grandeur de la
démocratie, comme la liberté individuelle, le droit à la vie privée, ou la
liberté d’expression.

La naissance et le développement de ce que l’on appelle « Al-


Qaïda » sont irrémédiablement associés à la personne d’Oussama
Ben Laden. Et pourtant, aucun groupe terroriste du nom d’« Al-Qaïda » n’a
jamais été créé, ni par Oussama Ben Laden, ni par quiconque. Comme le
confirme l’intéressé lui-même dans une interview donnée à la chaîne de
télévision Al-Jazira en octobre 2001, mais jamais diffusée en Occident1.
Oussama Ben Laden (Oussama Bin Muhammad ben Awad) est né en
1957, 17e des 52 enfants d’un riche entrepreneur saoudien. Ingénieur en
génie civil, il s’engage dès 1979 en Afghanistan dans la lutte contre
l’occupant soviétique, initialement pour y apporter son savoir technique. En
1983, après avoir consulté le cheikh Abd Rabb ul-Rassoul, chef de l’Union
islamique des moudjahidines afghans, Oussama Ben Laden est autorisé à
créer un camp d’entraînement à Jaji, dans la province de Paktia (à proximité
de la frontière Pakistanaise). Ce camp, spécialement établi pour accueillir et
former les moudjahidines d’origine arabe, est baptisé la Tanière des
partisans (Ma’sadat-ul-Ansâr)2 par Ben Laden, mais restera connu sous le
terme générique d’« al-qa’ïda al-’askariyya » (« la base militaire »)3.
En 1984, Ben Laden crée le Bureau des services pour les moudjahidines
arabes, Maktab al-Khidamat lil Moudjahidin al-Arab ou Maktab al-
Khidamat (MAK), avec le cheikh Abdallah Azzam, chef des Frères
musulmans de Palestine, installé à Peshawar, responsable de financer et
d’organiser la répartition des volontaires musulmans, qui affluent vers
l’Afghanistan. Le MAK installe des bureaux de recrutement aux USA, en
Égypte, en Arabie saoudite et au Pakistan, et des camps d’entraînement au
Pakistan et en Afghanistan. Quelque 200 millions de dollars, provenant
principalement des États-Unis et d’Arabie Saoudite, sont collectés et plus
de 10 000 combattants sont ainsi amenés dans la guerre contre les
Soviétiques avec l’aide des Américains.
En 1988, sur une divergence de vues d’ordre stratégique, Ben Laden se
sépare d’Azzam et concentre ses activités sur « La Base Militaire » – que
l’on appelle couramment « La Base » (« Al-Qaïda ») – qui n’est pas une
organisation de combat ou de résistance, mais un simple camp, dont la
fonction est de préparer, puis de répartir les volontaires étrangers pour
combattre les Soviétiques dans les différentes zones de combat. Une part
importante de ses activités est la construction de routes4. Après la mort
d’Azzam dans l’explosion d’une voiture-bombe, le MAK est dissous et ses
activités sont reprises par « La Base ». Avec le départ des Soviétiques, en
1989, « La Base » aide les volontaires étrangers à retourner vers leurs pays
d’origine, puis est démantelée, et Oussama Ben Laden retourne en Arabie
saoudite.
À la fin 1990, après l’attaque irakienne contre le Koweït, Oussama Ben
Laden propose à l’Arabie saoudite d’organiser la défense du pays avec des
volontaires islamiques. Mais le gouvernement saoudien rejette son offre,
jugeant plus crédible l’intervention d’une coalition menée par les États-
Unis. Ben Laden fonde alors le Comité du Djihad, qui regroupe le Gama’ah
al-Islamiyyah égyptien, le Djihad yéménite, le groupe pakistanais al-
Hadith5, l’Asbat al-Ansar libanais, le Groupe combattant islamique en
Libye (GICL), le groupe jordanien Beït al-Imam et le Groupe islamique
armé (GIA) algérien.
Après la guerre du Golfe, le déploiement des forces américaines se
poursuit en Arabie saoudite pour surveiller l’Irak. Cette présence inquiète
les autorités saoudiennes car elle alimente une opposition radicale qui
commence à émerger et menace le régime. En fait, depuis les années 50, la
présence américaine en Arabie saoudite a fait l’objet de critiques dans le
monde musulman et, déjà en 1960, le prince Fayçal avait demandé – sans
succès – au président John F. Kennedy de retirer ses troupes de la base de
Dhahran6.
Il faut préciser ici que le territoire saoudien, territoire sacré souvent
qualifié de « Terre Sainte de l’Islam », n’exclut pas formellement une
présence non-musulmane. Quant à l’appellation de « Pays des Deux Lieux
Saints » (La Mecque et Médine), que l’on attribue à l’Arabie saoudite, elle
ne désigne à l’origine que la région (devenue province) de Hijaz. À
l’époque où le Coran est écrit, la notion de « pays » – et de frontière –
n’existe pas dans son sens moderne dans cette partie du monde. Dès lors, la
question de l’illégitimité de la présence occidentale en Arabie saoudite est
donc essentiellement devenue une affaire de sensibilité, suffisante
néanmoins pour provoquer des réflexes djihadistes.
Le 25 juin 1996, un attentat vise les quartiers d’habitation des forces
américaines en Arabie saoudite, les tours Khobar, près de Dhahran. Les
États-Unis accusent immédiatement Oussama Ben Laden, exilé au Soudan
depuis 1992. Toutefois, la paternité de cet attentat reste – encore
aujourd’hui – sujette à discussion. À cette époque, si Ben Laden est la
personnalité la plus médiatique de l’opposition conservatrice saoudienne, il
n’en est pas le principal acteur. Il existe alors de nombreux groupuscules
radicaux, opposés à la présence américaine en Arabie saoudite et l’emprise
de Ben Laden sur ces groupes est faible.
Les autorités saoudiennes, elles, désignent immédiatement le Hizbollah
al-Hijaz, groupuscule radical de tendance chiite – et qui serait donc piloté
par l’Iran – basé dans la province de Hijaz, comme responsable des
attentats. Quelquesuns des auteurs sont rapidement appréhendés par la
police saoudienne, mais les enquêteurs américains du FBI n’auront pas
l’occasion de les interroger. En désignant l’Iran comme responsable de cet
attentat, on avait une explication qui convenait à la fois aux Américains et
aux Saoudiens7. En réalité, on sait aujourd’hui que cet attentat était une
opération « sous fausse bannière8 », commanditée par certaines
personnalités du régime saoudien, afin d’inciter les États-Unis à retirer leurs
troupes.

UNE INVENTION AMÉRICAINE


Dans l’usage « officiel » des Djihadistes, « Al-Qaïda » est donc une
simple base militaire, et des personnages comme Oussama Ben Laden ou
Ayman al-Zawahiri n’utilisent pas ce terme pour désigner une organisation.
En revanche, dès 2005, on trouve un usage toujours plus fréquent de
l’expression « Qaïdat al-Djihad » (Base du Djihad) dans divers pays pour
désigner un noyau de résistance armée.
L’usage du nom « Al-Qaïda » pour décrire cette mouvance djihadiste
naissante est en fait dû aux autorités américaines9. Pas de complot ici, ni de
calcul machiavélique de la part des Américains, mais un simple problème
juridique. En janvier 2001, alors qu’ils s’apprêtaient à juger les auteurs de
l’attentat de février 1993 contre le World Trade Center (WTC), les États-
Unis ne disposaient pas de loi spécifique10 pour traiter des organisations
terroristes internationales et ont donc dû utiliser les lois destinées à la lutte
contre la criminalité organisée. Mais, aux termes de cette législation, afin de
pouvoir mettre en accusation les chefs et commanditaires supposés d’une
organisation criminelle à l’étranger, il fallait que cette organisation ait un
nom. Or, les protagonistes de cet attentat n’avaient pas agi dans le cadre
d’une organisation connue11, mais on leur prêtait des liens – qui n’ont
jamais été démontrés par la suite – avec Oussama Ben Laden. Les États-
Unis ont donc simplement baptisé de manière arbitraire l’organisation
d’Oussama Ben Laden du nom de son ancienne structure afghane (al-qa’ïda
al-’askariyya) : « AlQaïda12 ».

De fait, Michael Scheuer, ex-chef de la « Ben Laden Issue


Station » de la CIA – créée spécialement en 1996 pour traquer Ben
Laden et démantelée à la fin 200513 –, confirme qu’« Al-Qaïda » n’a jamais
existé, mais qu’elle est une manière simple de désigner les terroristes
islamistes14 et en outre, facilement compréhensible pour le public.
Oussama Ben Laden lui-même n’a jamais revendiqué cette appellation,
mais le nom d’ « Al-Qaïda » a été tellement utilisé en Occident qu’il est
devenu le symbole du Djihadisme et un véritable « label », revendiqué
ensuite peu à peu par certains groupes terroristes, plus pour des raisons de
« marketing » que d’appartenance structurelle. Ainsi, les noms de
mouvements comme « Al-Qaïda au Maghreb islamique » (AQMI) ou « Al-
Qaïda dans la péninsule arabique » (AQPA) sont-ils des traductions
inexactes véhiculées par les instances sécuritaires occidentales pour
accréditer l’existence d’une multinationale de la terreur avec ses « filiales ».
Or, leurs noms réels respectifs sont « Qaïdat al-Jihad fi’l-Maghrib al-
Islamiy – Base du Djihad dans le Maghreb Islamique » et « Qaïdat al-Jihad
fi’l-Jazirah al-Arrabiyyah – Base du Djihad dans la péninsule arabique15 »
et n’impliquent pas de relation fonctionnelle avec une structure centrale.
Aujourd’hui, « Al-Qaïda » est devenu une commodité de langage, pour
désigner une mouvance difficile à définir. Le paradoxe de cette situation est
que, pour des raisons purement légales, l’Occident a non seulement
littéralement créé une structure qui a acquis une existence virtuelle, mais il
lui a aussi conféré des attributs qui en ont fait une référence pour les
Djihadistes eux-mêmes. On a ainsi perdu une énergie précieuse à tenter de
découvrir des structures de commandement qui n’existent pas. Aujourd’hui,
même l’organe officiel de l’État islamique, Dabiq, utilise l’expression « Al-
Qaïda » pour désigner ses organisations rivales. Ainsi, par ignorance,
l’Occident a probablement contribué au développement du Djihadisme en
lui donnant un point de référence qu’il n’avait pas précédemment. Ce
phénomène est clairement apparent à travers les documents retrouvés à
Abbottabad lors du raid américain pour éliminer Oussama Ben Laden, le 2
mai 2011 : il n’y avait pas de liens fonctionnels ou structurels entre
Oussama Ben Laden et les divers groupes djihadistes, mais apparemment,
bien qu’il ne fût pas favorable à ces groupes, il préférait maintenir une
correspondance informelle avec eux afin de les conseiller. Ces documents
soulignant le rôle très secondaire d’Oussama Ben Laden ont été publiés par
le Centre de lutte contre le terrorisme de l’académie de West Point sous le
titre évocateur de : Lettres d’Abbottabad : Ben Laden mis à l’écart ?16

OUSSAMA BEN LADEN INNOCENT ?


Depuis le 11 Septembre, le nom d’Oussama Ben Laden est resté sur
toutes les lèvres. Même les centaines d’« experts » du terrorisme apparus
soudainement après les attentats, voire les membres des services de
renseignement continuent à tenir « OBL » pour responsable du « 9/11 ». Et
pourtant…
L’avis de recherche d’Oussama Ben Laden, publié par le FBI et révisé
en novembre 2001, ne fait pas mention du 11 Septembre : seuls sont
mentionnés les attentats d’août 1998 à Nairobi et Dar-Es-Salaam17, comme
le confirmait, en juin 2006, Rex Tomb, Chef des relations publiques du
FBI :

La raison pour laquelle le 11 Septembre n’est pas mentionné


sur l’avis de recherche d’Oussama Ben Laden, est que le FBI n’a
aucune preuve qui relie Ben Laden au 11 Septembre18.

Or, même pour les attentats de 1998, aucune preuve n’existe et un doute
important subsiste sur l’implication même d’OBL. Ainsi, le président Bill
Clinton écrivit sur une note, à propos de ces attentats et de Ben Laden, à
l’intention de Sandy Berger, son conseiller à la sécurité nationale : « Sandy,
si cet article est correct, la CIA a certainement exagéré les faits qui m’ont
été présentés. Quels sont les faits19 ? »
En clair, Oussama Ben Laden a été, dès 1998, une sorte de bouc
émissaire des services américains – et occidentaux – pour tenter de faire
croire qu’ils connaissaient les réseaux responsables des attentats. Or, il n’en
était rien et cette situation perdure à ce jour. Au-delà des supputations
diverses, rien n permet – encore à l’heure actuelle – d’identifier une chaîne
de commandement qui aurait lié de manière fonctionnelle Oussama Ben
Laden aux diverses cellules coupables d’actes terroristes dans le monde.

La preuve la plus souvent mentionnée est son « aveu »


enregistré sur une vidéo tournée le 9 novembre 2001 et « trouvée »
à Jalalabad, le 13 décembre, dans laquelle il aurait confirmé sa
connaissance et son rôle dans les attentats. Une deuxième vidéo, qui fait
surface le 27 décembre – apparemment tournée le 19 novembre –, montre
un Oussama Ben Laden différent, dont la barbe a blanchi (en 10 jours !). Or,
il apparaît que ces vidéos, et plusieurs qui ont suivi, tentant entre autres de
le faire passer pour homosexuel, étaient des impostures, produites par la
CIA américaine afin de le discréditer vis-à-vis de ses admirateurs, comme
l’ont admis, en 2010, les agents « auteurs » des faux20.
Ainsi, malgré le fait qu’elle soit considérée aujourd’hui par la grande
majorité du public comme une vérité, la responsabilité d’Oussama Ben
Laden dans les attentats du 11 Septembre n’a jamais été démontrée. Comme
devait le préciser le Vice-Président américain Richard (Dick) Cheney, lors
d’une interview télévisée, en mars 2006 :

Nous n’avons jamais défendu le fait ou l’idée, qu’Oussama


Ben Laden ait été impliqué directement d’une manière ou une
autre dans le 11 Septembre. La preuve n’en a jamais été présentée21.

Selon Seymour Hersh, journaliste américain généralement bien informé


sur les questions de renseignements et d’opérations clandestines, Ben Laden
avait été arrêté par les autorités pakistanaises, puis placé en résidence
surveillée à Abbottābād dès 200622. C’est d’ailleurs à la même époque que
la CIA américaine décide la fermeture de la « Ben Laden Issue Station »
(également connue sous l’appellation d’« Alec Station »), l’unité ad hoc
créée en janvier 1996 pour traiter les questions liées à Ben Laden, et dirigée
par Michael Scheuer.
Toujours selon Hersh, l’élimination médiatisée de Ben Laden le 2 mai
2011 n’a été qu’un trompe-l’œil. En fait, les États-Unis savaient que Ben
Laden avait été arrêté et l’opération des forces spéciales américaines n’a été
qu’une mise en scène en vue de préparer la campagne présidentielle
d’Obama – peu de bravoure, peu de courage… la simple exécution d’un
homme déjà prisonnier23. Les modalités de cette action restent encore
controversées et les affirmations de Seymour Hersh sur son déroulement ont
été contredites par certains officiels de la CIA. Il n’en reste pas moins que
l’assignation à résidence d’Oussama Ben Laden et le fait qu’elle ait été
connue des services américains semblent être des faits acquis.
L’opération avait deux objectifs stratégiques pour le gouvernement
américain : apporter un succès opérationnel à mettre au crédit du président
Obama en vue des élections présidentielles, et désamorcer les critiques sur
le programme de torture mis en œuvre par la CIA. En effet, le 5 mars 2009,
la Commission du Sénat sur le Renseignement avait décidé de mener une
enquête sur la pertinence de l’usage de la torture dans la lutte contre le
terrorisme, et l’élimination de Ben Laden permettra de relever les « vertus »
de cette pratique24. Ce ne sera que lors de la publication du rapport de la
Commission, que l’on constatera que les informations nécessaires à cette
opération sont venues par d’autres canaux et que la torture n’y a absolument
pas contribué. Nous y reviendrons plus loin.

APRÈS LE « 9/11 »
ENTRE FANTASMES ET RÉALITÉ
Peu après les attentats du 11 Septembre, les États-Unis – suivis en cela
aveuglément par tous les services de renseignement occidentaux – ont tracé
un portrait très exagéré de l’organisation, lui attribuant des ambitions
mondiales avec des installations complexes et hautement sophistiquées pour
l’entraînement des terroristes et la conduite des opérations, dans le massif
de Tora-Bora en Afghanistan. Or, les opérations coalisées menées par la
suite dans cette région ont démontré que ces « experts » sur « Al-Qaïda » ne
nous avaient servi que des élucubrations. Si effectivement les combattants
afghans utilisaient bien des grottes pour s’abriter, celles-ci étaient
naturelles, de petites dimensions, ni aménagées, ni bétonnées, et loin
d’abriter les installations sophistiquées que l’on prétendait25.
Par la suite, on constatera que l’adhésion des groupes islamistes aux
objectifs d’Oussama Ben Laden, que l’on qualifie d’« allégeance »
(« Bayah »), n’est pas toujours aussi claire que la presse et les services de
renseignements occidentaux le prétendent.
En fait, ce que nous appelons « allégeance » serait mieux traduit par
« ralliement » et est le plus souvent une déclaration unilatérale d’un groupe,
qui cherche une caution « politique », mais elle n’est pas nécessairement
une démarche bilatérale. Autrement dit, le ralliement n’est pas toujours
reconnu par l’autorité (en l’occurrence, Ben Laden ou « Al-Qaïda »). De
plus, il semble que les ralliements formulés par les divers groupes
islamistes se soient attachés plus à la personne même de Ben Laden – érigée
en mythe par les Occidentaux – qu’à ses idées et ses objectifs (que bien peu
connaissaient en réalité). Ainsi, les documents retrouvés à Abbottabad, lors
du raid américain, ont confirmé que si de nombreux mouvements
djihadistes dans le monde se réclamaient d’« Al-Qaïda » et rapportaient
leurs exploits à Ben Laden, aucun élément n’indiquait qu’ils agissaient sur
les ordres de ce dernier. Il semble même que Ben Laden ait été fortement
coupé du monde extérieur durant des années et qu’il n’ait pas donné
d’instructions ou de directives à des groupes extérieurs. La correspondance
retrouvée indique même que Ben Laden était agacé du nombre de
mouvements qui se réclamaient de son enseignement mais avaient des
objectifs totalement différents26.
Manifestement, les États-Unis ont eu des difficultés à admettre que les
événements du 11 Septembre aient pu être l’œuvre de simples « amateurs ».
Pour un pays réputé pour la qualité de ses forces de sécurité, il était
difficilement concevable de ne pas y voir une organisation puissante, dotée
de moyens illimités. L’image d’un milliardaire fanatique, approvisionné par
quelques « États renégats » était l’explication la plus acceptable. Or, non
seulement il s’est avéré plus tard que la fortune d’Oussama Ben Laden était
bien plus modeste que ce que l’on avait imaginé, mais encore que les
organes de surveillance financiers – qui avaient rapidement pointé du doigt
des pays comme le Luxembourg ou la Suisse – n’ont pu découvrir que de
petits financements épars de sources très diverses et non une puissance
financière.
En fait, de nombreux points obscurs demeurent dans la connaissance
publique du 11 Septembre. Le rapport des Commissions spéciales sur le
renseignement du Congrès américain publié en décembre 200227, outre de
nombreuses erreurs factuelles (dues notamment à des informations obtenues
sous la torture et invérifiées), comporte 28 pages, qui ont été classifiées et
tenues à l’écart du public. Les tentatives d’obtenir la déclassification de ces
pages par de nombreux parlementaires américains se sont heurtées jusqu’à
présent à l’opposition des présidents Bush et Obama. Les spéculations sur
leur contenu restent nombreuses et certains évoquent le fait que
l’implication de personnalités saoudiennes serait à l’origine des réticences
présidentielles.
Alors que l’essence du terrorisme est d’atteindre des objectifs
stratégiques par l’action tactique, on observe toute une série d’attentats,
notamment à Djerba (11 avril 2002), Bali (12 octobre 2002) et Casablanca
(16 mai 2003) qui ne s’inscrivent dans aucune cohérence opérationnelle ou
stratégique et qui ne semblent pas être associés à des objectifs concrets
autres que toucher des Occidentaux. Il n’en demeure pas moins que les
différentes interventions occidentales menées par la suite ont donné au
combat des islamistes un sens articulé autour de la notion de « résistance »
(« Djihad »), tout d’abord militaire, puis contre l’omniprésence d’un
Occident – et des États-Unis en particulier – qui cherche à imposer ses
modèles culturels, politiques, légaux, voire sociétaux.
La surdramatisation, qui a suivi le 11 Septembre aux États-Unis, a très
largement contribué à donner un profil plus marqué au terrorisme, et donc à
le rendre plus efficace. Alors que le nombre d’objectifs potentiels pour des
attentats terroristes recensés dans le pays s’élevait à 160 en 2003, il est
passé à 300 000 en 2007. L’État de l’Indiana, avec 8591 objectifs potentiels,
dépassait New York, qui n’en n’avait « que » 5687. Les objectifs terroristes
potentiels comprenaient la fabrique de pop-corn du Pays Amish, le marché
aux puces de Sweetwater, et même une « plage au bout d’une rue28 » ! Dans
un souci de pouvoir punir tous les terroristes potentiels, des termes comme
« armes de destruction massive » (qui désignent, à l’origine les armes
nucléaires, chimiques et bactériologiques) ont été redéfinis pour couvrir
toutes sortes d’armes, y compris la simple grenade à main29 !
Au-delà de l’anecdote, cette obsession de punir a conduit à ne plus
savoir ce que l’on combat, à ne plus pouvoir faire la différence entre un
« simple » crime et un attentat terroriste. Car même si les deux peuvent se
manifester (bombe, fusillade, etc.) et donc se combattre de manière
identique au niveau tactique, ils exigent souvent des stratégies très
différentes pour être prévenus. Les États-Unis, suivis de pratiquement tous
les pays occidentaux, ont ainsi – par défaut – encouragé le développement
du terrorisme : les mesures pour intercepter les terroristes abondent, mais
aucun pays n’a adopté de réelle stratégie pour lutter contre le terrorisme.

LA DIMENSION ASYMÉTRIQUE
DU DJIHADISME

Les attentats de Madrid et Londres

Ce sont les interventions américaines et britanniques, avec leurs alliés


en Afghanistan et en Irak en 2001 et 2003, qui apportent une rationalité
concrète au combat des Djihadistes, non seulement en leur offrant une
cohérence stratégique, mais aussi en plaçant les attentats dans une logique
de résistance armée à des invasions clairement illégales et largement
illégitimes. Les attentats les plus marquants de cette période, à savoir ceux
de Madrid (11 mars 2004) et de Londres (7 et 21 juillet 2005)30 étaient
clairement destinés à provoquer un retrait des forces engagées en
Afghanistan et en Irak31.
En Espagne, en pleine période électorale, le gouvernement Aznar ne
peut se permettre de remettre en question sa politique de soutien
inconditionnel des États-Unis en Irak, et rejette immédiatement la
responsabilité des attentats sur les Basques. Mais la population n’est pas
dupe et le résultat des élections est sans appel et amènera l’opposition au
pouvoir, qui décidera le retrait des forces espagnoles d’Irak, et provoquera
le retrait du Honduras. Du point de vue des Djihadistes, l’attentat de Madrid
est une « opération de dissuasion », qui reste considérée comme un succès
stratégique32, même si l’analyse a posteriori montre que ce succès est
moins dû aux terroristes eux-mêmes qu’à l’incapacité du gouvernement
espagnol de l’époque de gérer une situation de type asymétrique.
Le 17 mars 2004, quelques jours après le terrible attentat de Madrid, la
revendication des brigades d’Abou Hafs al-Masri qui parvient au journal
Al-Quds al-Arabi, annonçant de futures actions terroristes contre certains
pays occidentaux, illustre parfaitement le caractère asymétrique du conflit
qui s’installe :

[…] une opération d’envergure [aux ÉtatsUnis]


détruira ton administration. Nous ne souhaitons
aucunement ta défaite aux élections […] nous voulons ta
victoire, Bush le criminel33.

Paradoxalement, le mouvement terroriste avoue ainsi qu’il a besoin


d’un adversaire déterminé pour légitimer son combat… alors
qu’ironiquement le président Bush est présenté lors de la Convention
républicaine à la fin août 2004, comme le champion de la lutte contre le
terrorisme ! On a ici l’illustration de cette situation particulière des conflits
asymétriques, où les succès tactiques, obtenus par l’un des adversaires,
alimentent l’avantage stratégique de l’autre. Censée contribuer à la lutte
contre le terrorisme, l’intervention américaine en Irak a fait apparaître de
nouveaux groupes terroristes et forgé une nouvelle légitimité aux
extrémistes islamistes. Nous sommes ici au cœur du phénomène djihadiste,
que nous ne parvenons pas à comprendre et à inclure dans nos réflexions
stratégiques.
Il est probable que le succès de l’attentat de Madrid a été l’une des
sources d’inspiration pour les attentats de Londres un an plus tard, même
s’il n’y a pas de liens formels entre les deux. À cette époque, les
Britanniques ne sont pas convaincus par l’engagement de Tony Blair aux
côtés du président américain en faveur d’une intervention en Irak. Le 15
février 2003, la manifestation contre la guerre la plus importante jamais
organisée à Londres aurait réuni 2 millions de manifestants selon ses
organisateurs34. Cette opposition populaire à la guerre constitue une
opportunité pour la résistance irakienne et les Djihadistes qui vont chercher
à provoquer un retrait britannique.
Mais un retrait sous la pression des attentats est un pari dangereux.
L’enchaînement des événements après Madrid a certainement conduit à une
décision juste au plan moral, mais pas nécessairement au plan opérationnel,
car elle a créé un précédent incitant les terroristes à répéter le processus afin
d’influencer les gouvernements par l’action violente. Dix ans plus tard, le
président François Hollande se trouvera devant le même problème, mais le
risque de déprécier la crédibilité déjà vacillante de son gouvernement le
poussera à s’engager davantage dans la spirale de la violence.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement de Tony Blair cherchera à
« déconnecter » les attentats et tentatives d’attentat de la guerre en Irak, et à
faire passer les terroristes comme des victimes de troubles mentaux et
sociaux35. Pour-tant, la vidéo de revendication de Mohammed Siddique
Khan, explique très clairement que l’attentat du 7 juillet est motivé par la
guerre en Irak :

[…] et nos mots n’ont pas d’impact sur


vous, c’est pourquoi nous allons parler le
langage que vous comprenez. Nos mots sont
vides tant que nous ne leur donnons pas vie
avec notre sang.
Je suis sûr qu’à ce moment les médias
auront déjà dépeint une image appropriée de
moi, cette machine de propagande prévisible
va donner un tour favorable au
gouvernement et effrayer les masses pour
qu’elles se conforment à des agendas de
pouvoir et obsédés par les richesses.
Moi et des milliers comme moi
abandonnent tout pour ce en quoi ils croient.
Notre motivation ne vient pas des biens
tangibles que ce monde peut offrir.
Vos gouvernements démocratiquement
élus perpétuent continuellement des atrocités
contre mon peuple dans le monde entier. Et
votre soutien pour eux vous rend directement
responsables, comme je suis directement
responsable de protéger et de venger mes
frères et sœurs musulmans.
Jusqu’à ce que nous nous sentions en
sécurité, vous serez nos cibles, et tant que
vous bombarderez, gazerez, emprisonnerez et
torturerez mon peuple, nous n’arrêterons pas
ce combat.
Nous sommes en guerre et je suis un
soldat. Maintenant vous apprécierez vous
aussi la réalité de la situation36 […]

Une vidéo d’un autre terroriste du 7 juillet 2005, Shehzad Tanweer,


publiée un an plus tard par la chaîne Al-Jazirah, reprend exactement les
mêmes thèmes en s’adressant aux Britanniques :

Vous vous demandez sans doute pourquoi


vous méritez cela. Vous êtes, vous et votre
gouvernement, ceux qui, jusqu’à ce jour,
oppressez nos femmes et enfants, nos frères
et nos sœurs, de l’Est à l’Ouest, de Palestine,
d’Afghanistan, d’Irak et de Tchétchénie.
Votre gouvernement a soutenu le massacre
de quelque 50 000 innocents à Fallujah […]
vous êtes directement responsables du
problème de la Palestine et en Irak jusqu’à
ce jour. […] Nous sommes à 100 % engagés
dans la cause de l’Islam. Nous aimons la
mort comme vous aimez la vie. Nous vous
demandons d’arrêter votre soutien au
gouvernement britannique et à la prétendue
« Guerre contre la Terreur ». Demandez-
vous pourquoi des milliers d’hommes sont
prêts à donner leur vie pour la cause des
musulmans37 […]

La conséquence stratégique des interventions en Afghanistan et en Irak


a été de donner un sens matériel à l’action terroriste en la plaçant dans le
contexte d’une résistance à une guerre illégitime. Cette revendication
n’évoque ni une guerre contre la chrétienté, ni de guerre sainte contre
l’Occident, mais une réponse à une intervention qui était non seulement
illégale, mais également illégitime et meurtrière. Ainsi, à défaut de donner
une légalité à l’acte terroriste, les actions conjointes de la Grande-Bretagne
et des États-Unis lui ont donné une forme de légitimité, qui est à l’origine
de son développement considérable dans le monde et conduira, 10 ans plus
tard, à l’émergence de l’État islamique.

Une machinerie terroriste mal comprise

On a tenté de présenter les attentats des années 2001-2005 comme le


résultat d’une machination complexe orchestrée par « Al-Qaïda », et donc
par Oussama Ben Laden, qui est alors représenté comme le monstre absolu.
La réalité est à la fois plus simple et plus complexe. Plus simple, car les
attentats ne sont pas le fait d’une organisation tentaculaire, comme on a
voulu le croire, et plus complexe car l’atomisation de l’organisation des
attentats a complètement dérouté les services occidentaux qui n’étaient pas
(et ne sont toujours pas) armés pour entrer dans l’intimité de la prise de
décision terroriste.
Il est certain que les liens qui se sont tissés entre les vétérans de la
guerre d’Afghanistan ont constitué une série de petits réseaux informels,
restés vivaces une fois les hommes rentrés dans leurs pays respectifs,
constituant la base de réseaux djihadistes locaux. Mais il est important de
retenir que ces réseaux ne sont liés ni par un commandement, ni par une
structure, ni par une stratégie, ni par des réseaux logistiques communs, et
doivent se comprendre plus comme des « carnets d’adresses » que comme
des réseaux opérationnels. Ce qui explique que les liens et les maillons de
ces réseaux sont différents à chaque opération, et activés de manière
opportuniste.
Cette absence de liens organiques et l’existence de liens fonctionnels
éphémères fondés sur des relations personnelles et l’opportunisme et non
sur une répartition rationnelle des tâches – ainsi que l’a démontré le procès
des auteurs de l’attentat de Madrid (11 mars 2004) – ont souvent induit en
erreur les « experts » occidentaux. On a alors parlé de 2e et 3e génération
pour définir les « réseaux » d’« Al-Qaïda » et ainsi suggérer que la gestion
des réseaux était soumise à une intelligence supérieure. Rien ne permet de
confirmer de telles affirmations. Plus récemment, constatant qu’on ne
parvenait pas à identifier de structures ou d’organisation commune aux
divers groupuscules islamistes, les mêmes experts expliquent par une
pirouette que l’organisation a muté en une structure plus atomisée. Voire,
ont affirmé qu’Oussama Ben Laden aurait « perdu la maîtrise de
l’organisation “Al-Qaïda”38 ».
Le fait de considérer Al-Qaïda comme une organisation a donné le
sentiment aux Occidentaux de pouvoir la maîtriser de manière militaire, en
perturbant ses lignes de communication et en touchant ses structures de
conduite. En fait, il n’en est rien. Le problème est que les États-Unis et les
autres pays européens n’ont jamais réellement compris dans quel type de
guerre ils se sont engagés. En 2006-2007, on a applaudi devant le caractère
novateur de la « stratégie » du général Petraeus, qui consistait à s’allier avec
des milices locales (sunnites) pour combattre les groupes qui luttaient
contre la présence occidentale (américaine). Cette stratégie – que l’on
connaît également sous le nom de Mouvement du Réveil – n’a réellement
fonctionné que parce que les États-Unis payaient les combattants. Partant de
l’idée – très occidentale – que la guerre ne se fait que pour acquérir des
avantages concrets, aucun effort n’a été effectué pour modifier la
motivation fondamentale des combattants, et ce sont ces mêmes groupes qui
ont créé le noyau des forces islamistes d’aujourd’hui. Les mêmes erreurs
seront commises en Syrie en 2011-2012 avec la fourniture d’armes aux
« islamistes modérés », puis les tentatives du même général Petraeus en
2015 pour se rapprocher des Djihadistes39.

1. Al Jazeera, 21 octobre 2001 (https://www.youtube.com/watch?v=1V-y2zww XlE).


2. Issam Diraz, Ma’sadat ul-Ansâr al ‘arab bi Afghanistan, al-Manar al-Jadid, Le Caire, 1991.
3. Don Rassler & Vahid Brown, The Haqqani Nexus and the Evolution of al Qa’ida, Harmony
Program, The Combating Terrorism Center, West Point, 14 juillet 2011, p. 24.
4. Robert Fisk, « Anti-Soviet warrior puts his army on the road to peace : The Saudi businessman who
recruited mujahedin now uses them for large-scale building projects in Sudan », The Independent,
6 décembre 1993.
5. Emanation du Harkat ul-Mudjahidin (HuM).
6. Gresh Alain, « Les grands écarts de l’Arabie saoudite », Le Monde Diploma-tique, juin 2003.
7. Gareth Porter, « US Officials Leaked False Story Blaming Iran for Khobar Attack », Antiwar.com,
25 juin 2009.
8. Une opération « sous fausse bannière » est une opération effectuée par un acteur, de telle manière
qu’elle soit attribuée à un autre.
9. Jason Burke, Al-Qaida – La véritable histoire de l’islam radical, Cahiers libres, mars 2005, pp. 324.
10. Ce dispositif juridique ne sera finalement adopté qu’après les attentats du 11 Septembre sous le
nom de « PATRIOT Act ».
11. De fait, les Islamistes considèrent cet attentat comme étant un précurseur du « terrorisme
individuel ». Voir Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience : The Schools of Jihad », Inspire
Magazine, n° 1, été 2010 (1431).
12. BBC, The Power of Nightmare, (Série de 3 films), automne 2004.
13. Mark Mazzetti, « C.I.A. Closes Unit Focused on Capture of bin Laden », The New York Times, 4
juillet 2006.
14. « CIA Agent Exposes How Al-Qaeda Doesn’t Exist », Youtube, 16 novembre 2011
(https://www.youtube.com/watch?v=-8CqUJoEWBs)
15. En avril 2015, la Base du Dhjihad dans la péninsule arabique est devenue « Les Fils
d’Hadramaut ».
16. Nelly Lahoud et al., Letters from Abbottabad: Bin Ladin Sidelined ?, The Combating Terrorism
Center, West Point, www.ctc.usma.edu, 3 mai 2012.
17. https://www.fbi.gov/wanted/topten/usama-bin-laden (consulté le 26 juillet 2015).
18. http://www.historycommons.org/entity.jsp?entity=rex_tomb_1
19. « Sandy – If this article is right, the CIA sure overstated its case to me – what are the facts? » cité
par David Martosko, “Bill Clinton doubted CIA’s intelligence on Osama Ben Laden After his own
1998 ‘Wag the Dog’ cruise missile strikes in Afghanistan and Sudan”, Daily Mail, 19 juillet 2014.
20. http://blog.washingtonpost.com/spy-talk/2010/05/cia_group_had_ wacky_ideas_to_d.html
21. The Tony Snow Show, 29 mars 2006 (http://www.twf.org/News/Y2006/0608-
CheneyOBLnot.mov).
22. Seymour M. Hersh, « The Killing of Osama bin Laden », London Review of Books, Vol. 37 n° 10,
21 mai 2015.
23. Sandip Roy, « Osama Ben Laden was a Prisoner in Pakistan: 5 Shocking Facts Revealed from
Hersh’s Expose », 12 mai 2015 (http://newamericamedia.org/2015/05/osama-bin-laden-was-a-
prisoner-in-pakistan-5-shocking-facts-revealed-from-hershs-expose.php)
24. Michael B. Mukasey, « The Waterboarding Trail to bin Laden », The Wall Street Journal, 6 mai
2011.
25. Voir l’article de Wikipédia sur « Tora Bora » qui est éloquent.
(https://en.wikipedia.org/wiki/Tora_Bora).
26. Nelly Lahoud et al., op. cit.
27. Joint Inquiry into Intelligence Community Activities before and after the Terrorist Attacks of
September 11, 2001, Washington DC, Government Printing Office, décembre 2002.
28. Eric Lipton, « Come One, Come All, Join the Terror Target List”, The New York Times, 12 juillet
2006.
29. https://www.schneier.com/blog/archives/2009/04/definition_of_w.html
30. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism »,
Inspire Magazine, n° 10, printemps 2013, p. 23.
31. « Mohammed Siddique Khan’s ‘martyrdom video », YouTube, (https://www.youtube.com/watch?
v=jHXLaio8G3I)
32. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism », op.
cit.
33. « Un texte attribué à Al-Qaïda menace d’attentats “les valets de l’Amérique” », lemonde.fr, 18
mars 2004.
34. « Anti-war protest Britain’s biggest demo », MailOnline, Daily Mail, London
(http://www.dailymail.co.uk/news/article-161546/Anti-war-protest-Britains-biggest-demo.html)
35. Report of the Official Account of the Bombings in London on 7th July 2005, Ordered by the House
of Commons to be printed 11th May 2006, The Stationery Office, London [HC 1087].
36. « London bomber : Text in full », BBC News Channel, 1er septembre 2005, (consulté le 22 juin
2015).
37. « Shehzad Tanweer’s ‘martyrdom video », YouTube, (https://www.youtube. com/watch?
v=FG6a26uX1eA).
38. CNN, 7 juillet 2008.
39. Shane Harris & Nancy A. Youssef, « Petraeus: Use Al Qaeda Fighters to Beat ISIS », Small Wars
Journal, 1er septembre 2015.
À la source des problèmes
Le 11 Septembre a indubitablement marqué l’Histoire, mais le réel tournant a
été la manière de comprendre, d’interpréter et de répondre au terrorisme. Touchés
dans leur orgueil, les Américains ont réagi de manière émotionnelle et impulsive,
avec une grille de lecture du terrorisme datant des années 50, suivis en cela par le
reste du monde auquel ils ont imposé leur vision.
Entre 1980 et 2003, moins de 10 % des 343 attaques suicides enregistrées dans
le monde étaient dirigées contre les États-Unis, mais après 2004, 91 % des quelque
2000 attaques suicides iden-tifiées avaient pour objectif les États-Unis ou leurs
alliés1.
La volonté de punir a pris le pas sur la nécessité de comprendre. Il en est résulté
une compréhension simpliste du terrorisme djihadiste, qui persiste jusqu’à ce jour,
et se concentre davantage sur la manière dont il frappe que sur les causes qui le font
émerger. Ainsi, la vraie nature de l’asymétrie djihadiste n’a pas pu être intégrée
dans une doctrine stratégique et d’action efficace contre le terrorisme. On a fait
d’« Al-Qaïda » une représentation fantaisiste qui a conduit les forces de sécurité à
poursuivre le faux ennemi, à chercher des structures là où elles n’existent pas2, à
frapper des innocents, augmentant ainsi le ressentiment contre l’Occident et à
anéantir les efforts d’intégration de populations immigrées en Occident.

Les batailles bénies du 11 septembre étaient le résultat des


crimes répétés de l’Amérique contre les musulmans, et son
occupation des pays musul-mans. Et jusqu’à aujourd’hui, 12 ans
après ces batailles, l’Amérique a perpétré plus de crimes,
inspirant des musulmans pour répéter ces attaques. En effet,
parmi les bonnes nouvelles de victoire à la Communauté des
Croyants, il y a que les Américains continuent de répéter les
mêmes erreurs, ils persistent à continuer dans le même tunnel
sombre, et vont d’un échec à l’autre, et d’une défaite à l’autre.
[…]
C’est l’arrogance des empires qui refusent d’accepter la
réalité des choses, et se conduisent eux-mêmes vers la destruction.
Cette arrogance américaine oblige les musulmans à résister. La
résistance n’est pas impossible3.
Dans un contexte asymétrique, l’absence d’une cohérence stratégique
occidentale et une riposte de nature essentiellement tactique ont conduit à une
exacerbation du Djihadisme, un phénomène clairement observable en Afghanistan,
en Irak et en Palestine, dont les soubresauts commencent à toucher l’Europe en son
sein. Les erreurs commises par les États-Unis en 2001 sont aujourd’hui répétées par
la France en 2015, comme si aucune leçon n’avait été apprise du passé.

LA PREMIÈRE GUERRE DU GOLFE LE PÉCHÉ ORIGINEL


L’Irak est issu du démantèlement de l’Empire ottoman après la Première Guerre
mondiale. Le pays est alors géré par le Royaume-Uni, avant la restauration d’une
monarchie qui sera renversée le 14 juillet 1958 par le brigadier général Abd al-
Karim Qassem. La posture anti-occidentale de Qassem pousse l’administration
américaine à mener un coup d’État en février 1963, qui amènera au pouvoir le
colonel Abdul Salam Arif, qui sera renversé 5 ans plus tard par Ahmed Hassan al-
Bakr du parti Baath, avec l’aide de la CIA, ouvrant ainsi la porte du pouvoir à
Saddam Hussein4. La collaboration entre les États-Unis et le régime de Saddam
Hussein continuera, en particulier après l’accession au pouvoir de l’ayatollah
Khomeiny en Iran, que leurs services de renseignement n’avaient pas su anticiper.
Les États-Unis – et les États du Golfe – soutiendront Saddam financièrement et
matériellement. Cette assistance ira jusqu’à l’aider lorsqu’il engagera des armes
chimiques contre l’Iran5 au début des années 806 ce que les États-Unis lui
reprocheront 20 ans plus tard !
En 1990, l’intervention irakienne contre le Koweït n’avait pas été perçue
comme complètement illégitime dans le monde arabe. L’Irak, qui sortait d’un
conflit coûteux contre l’Iran, et qui avait été assez largement soutenu par les
monarchies sunnites (qui craignaient alors la menace de la Révolution iranienne
chiite), comptait rembourser sa dette d’environ 30 milliards de dollars envers le
Koweït grâce à ses ressources pétrolières. Mais, en 1988-1989, le cours du pétrole
s’effondre – en partie à cause du dépassement de près de 40 % par le Koweït des
quotas de production définis par l’OPEP – remettant ainsi en question le
remboursement de la dette irakienne. À ceci s’ajoute le fait que le Koweït pompait
son pétrole dans des nappes pétrolifères communes avec l’Irak, mais que ce dernier
exploitait en respectant les limites autorisées par l’OPEP ! Il était évident que le
Koweït outrepassait ses droits dans cette affaire.
À la fin juillet 1990, alors que les négociations avec le Koweït sont au point
mort, l’Irak masse des troupes le long de la frontière koweïtienne afin de faire
pression sur son voisin. Le 25 juillet 1990, Saddam Hussein rencontre
l’ambassadrice américaine en Irak, Mme April Glaspie, afin de lui faire part de son
intention d’engager la force. L’ambassadrice lui répond alors :
Nous n’avons pas d’opinion sur les conflits arabo-arabes,
comme votre dispute de frontière avec le Koweït. Cette affaire ne
concerne pas les États-Unis. Tout ce que nous souhaitons est que
cette affaire soit réglée rapidement7.

laissant ainsi entendre que les États-Unis ne réagiraient pas en cas de coup de force
contre le Koweït. Cette réponse sera lourde de conséquences et de malentendus, car
c’est fort de cette « carte blanche » des États-Unis que Saddam Hussein décide
d’envahir le Koweït, afin de le contraindre à cesser ce qu’il considérait comme le
vol de son pétrole.
Après l’invasion irakienne, l’option d’une réponse militaire internationale était
loin d’être acquise au Conseil de sécurité des Nations unies. Malgré cette évidente
infraction au droit international, il était clair que l’Irak voulait simplement « mettre
au pas » son ancienne province8 et ne cherchait pas à conquérir le Moyen-Orient, et
qu’une solution politique était donc possible. Plusieurs pays, dont la Russie, étaient
d’ailleurs opposés à une intervention militaire internationale.
Afin de créer les conditions politiques favorables à une intervention
internationale, le gouvernement koweïtien et le gouvernement américain s’associent
alors dans une opération de désinformation, destinée à influencer l’opinion publique
internationale. Aujourd’hui oublié en Occident, ce mensonge organisé reste encore
très présent dans la mémoire des pays arabes, qui continuent à y voir – non sans
raison – une intention délibérée des Occidentaux pour intervenir dans la région.

Ainsi donc, le 10 août 1990, la firme de relations publiques Hill &


Knowlton est mandatée par une organisation privée, dénommée
« Citoyens pour un Koweït libre », avec un budget de 10,7 millions de dollars, afin
de développer une sympathie américaine pour le Koweït. L’organisation est basée à
Washington, dans le même immeuble que Hill & Knowlton, dont la succursale est
dirigée par Craig L. Fuller, ancien chef d’état-major de George Bush (père) lorsqu’il
était vice-président. Est alors créé de toutes pièces un événement qui ne s’est jamais
déroulé : la mise à sac de la maternité Al-Adan de Koweït City par l’armée
irakienne. Une vidéo est tournée, des « témoins » sont « trouvés » et des photos sont
distribuées. Tout est mis en scène, sans morts, sans victimes. Le 10 octobre 1990,
devant le Congressional Human Rights Caucus9, comparait la jeune Nayirah (dont
seul le prénom est alors divulgué « pour des raisons de sécurité ») qui témoigne, en
qualité d’infirmière de l’hôpital, avoir vu les militaires irakiens enlever les
incubateurs de la maternité et jeter les bébés à terre10. L’affaire est largement
répercutée dans la presse. Son impact mondial est immédiat et suscite la colère.
Les conclusions américaines de cet événement sont présentées au Conseil de
sécurité des Nations unies, qui accepte alors quelques jours plus tard, le 29
novembre 1990, l’idée d’une intervention militaire. Comme le diront les
commentateurs :

De toutes les accusations contre le dictateur, aucune n’a eu


plus d’impact dans l’opinion publique américaine que celle de
militaires irakiens retirant 312 bébés de leurs incubateurs et
laissés mourants sur le sol froid de la maternité de Koweït City11.

Très rapidement, la supercherie sera mise à jour et il s’avérera que la petite


« Nayirah » n’était autre que la fille de Saud Nasir al-Sabah, ambassadeur du
Koweït aux ÉtatsUnis, membre de la famille royale et qu’elle ne se trouvait pas au
Koweït au moment des prétendus événements12.
Parallèlement, à la mi-septembre 1990, afin de rendre la menace irakienne sur la
péninsule arabique plus crédible, le Pentagone affirme, citant des sources
satellitaires, que l’Irak a concentré 250 000 hommes et près de 1500 chars de
combat le long de la frontière saoudienne et s’apprête à attaquer l’Arabie saoudite,
principal fournisseur de pétrole des ÉtatsUnis. La machine est lancée et la marche
vers la guerre est enclenchée, malgré la publication, le 6 janvier 1991, par The St.
Petersburg Times, en Floride, de photos prises par des satellites russes couvrant la
même région à la même période, constatant qu’aucune troupe irakienne n’est
déployée le long de la frontière13 !
Mais il est trop tard, la guerre aura lieu. L’offensive DESERT STORM contre
l’Irak sera fulgurante et s’arrêtera après 100 heures, avant que les forces coalisées
n’atteignent Bagdad. Anticipant les problèmes liés à un éventuel renversement du
régime de Saddam Hussein, les Américains se retirent non sans avoir détruit
l’essentiel de la capacité militaire irakienne. Interrogé en 1994 afin de savoir si la
coalition occidentale aurait dû pousser son offensive jusqu’à Bagdad en 1991,
Richard (Dick) Cheney, secrétaire à la Défense lors de la guerre répondit :

Non […] Si vous renversez le gouvernement central


en Irak, vous verrez facilement l’Irak voler en éclats. Les
Syriens en voudront une partie à l’Ouest, les Iraniens en
réclameront la partie orientale pour laquelle ils ont combattu
durant 8 ans.
Au Nord, vous avez les Kurdes, et les Kurdes peuvent se
joindre avec les Kurdes turcs et menacer l’intégrité territoriale de
la Turquie. Envahir l’Irak est un cauchemar14.

énumérant ainsi les problèmes qu’il rencontrera 10 ans plus tard, comme vice-
président des États-Unis, après avoir prôné exactement l’inverse !
La naissance d’une doctrine djihadiste

Après DESERT STORM, les forces britanniques et américaines, stationnées en


Arabie saoudite et au Koweït, assurent la surveillance de l’embargo décrété par les
Nations unies. Aux yeux de l’opinion publique arabe, non seulement l’intervention
coalisée contre l’Irak avait une légitimité douteuse, mais le maintien de la présence
occidentale en Arabie saoudite après la guerre n’avait pas de raison d’être pour une
large frange de la population arabe, et des islamistes en particulier.
Les autorités saoudiennes s’inquiètent des effets de cette présence et du risque
qu’elle ne réveille les mouvements islamistes. Lors de son adresse au Congrès, le 6
mars 1991, le Président Bush annonce clairement que les troupes américaines seront
retirées d’Arabie saoudite. Pourtant, 24 000 militaires resteront sur place. Les États-
Unis tenteront à plusieurs reprises d’obtenir l’autorisation des Saoudiens pour
augmenter ce nombre, mais ces derniers souhaitent au contraire en limiter l’étendue
et les prérogatives conformément aux accords de coopération de 197715.
Finalement, une date butoir est fixée en 1995, qui ne sera toujours pas respectée.
C’est à ce moment que les attentats terroristes contre les États-Unis commenceront.
Les exigences saoudiennes de retrait seront réitérées à plusieurs reprises, afin
d’inciter les Américains à tenir leur promesse. Mais, par ignorance ou par
arrogance, l’Amérique méprise ces demandes, nourrissant ainsi l’opposition
saoudienne islamiste qui gagne en popularité en soulignant la « complaisance » des
autorités. Le 13 novembre 1995, un attentat à la bombe frappe la Garde nationale
saoudienne et la Vinnell Corporation, une compagnie privée américaine, chargée de
former les militaires saoudiens. L’attentat est alors revendiqué par deux
organisations de l’opposition radicale saoudienne – les Tigres du Golfe et le
Mouvement islamique pour le changement16 – et marquera le début d’une série
d’attentats anti-américains dans la région.
À ce stade, l’opposition islamiste en Arabie saoudite est forte et le
gouvernement craint d’être débordé « par sa droite », qui est également représentée
au sein même de l’élite dirigeante. Oussama Ben Laden n’est alors que l’un des
représentants de cette opposition radicale. En août 1996, il publie une « Déclaration
de Guerre » contre les États-Unis, considérés comme des occupants illégitimes du
territoire d’Arabie saoudite.

Il n’est plus actuel et plus acceptable de clamer que la


présence des Croisés est une nécessité et seulement une mesure
temporaire pour protéger [l’Arabie saoudite], spécialement si les
infrastructures civiles et militaires de l’Irak ont été sauvagement
détruites17 […]
Après l’attentat de juin 1996 contre les tours Khobar, Oussama Ben Laden est
expulsé du Soudan sous la pression des États-Unis. Il se réfugie en Afghanistan,
dans la région de Kandahar, où il poursuit sa lutte contre la présence américaine en
Arabie saoudite. Avec un bémol toutefois, car dès 1998, les Taliban lui imposent
comme condition, pour rester dans le pays, de n’entreprendre aucun acte
d’agression contre les États-Unis18 ; et comme nous l’avons vu, rien n’indique que
Ben Laden ait rompu cet accord. Pourtant, les efforts des Taliban n’empêcheront par
les États-Unis d’attaquer en octobre 2001, ce qui alimentera l’idée que la capture de
Ben Laden n’était qu’un prétexte pour mener une Croisade.
Au début 1998, Ben Laden crée un mouvement, nommé « Front islamique
mondial pour le combat contre les Juifs et les Croisés » (Al-Jabhah al-Islamiya
al-’Alamiyah li-Qital al-Yahud wal-Salibiyyin), qui rassemble plusieurs groupes
djihadistes, dont les motivations sont énoncées dans une déclaration (« fatwa ») du
23 février 1998 :

Premièrement, depuis plus de 7 ans les États-Unis occupent la


terre d’Islam dans sa partie la plus sainte, la péninsule arabique,
pillant ses richesses, imposant leur volonté aux dirigeants,
humiliant sa population, terrorisant ses voisins et utilisant ses
bases de la péninsule comme fer de lance pour attaquer les
peuples musulmans voisins.
Si quelques personnes ont dans le passé mis en cause
l’occupation, toute la population de la péninsule l’a maintenant
reconnue. La meilleure preuve de ceci est l’agression continue des
Américains contre le peuple irakien, en utilisant la péninsule
comme poste avancé, malgré le fait que les dirigeants soient
opposés à l’usage de leur territoire à cette fin, mais ils sont sans
aide.
Deuxièmement, malgré la grande dévastation infligée au
peuple irakien par l’alliance des croisés sionistes, et malgré le
nombre élevé de tués, qui a atteint plus d’un million… malgré tout
cela, les Américains sont de nouveau en train de répéter ces
massacres horribles, car ils ne sont pas satisfaits du blocus
prolongé imposé après une guerre féroce et dévastatrice. Ainsi, ils
sont prêts à anéantir ce qui reste de ce peuple et à humilier leurs
voisins musulmans.
Troisièmement, si les objectifs des Américains derrière ces
guerres sont religieux et économiques, ils servent aussi les intérêts
de l’état juif en détournant l’attention de son occupation de
Jérusalem et du meurtre de musulmans. La meilleure preuve en est
leur acharnement à vouloir détruire l’Irak, le voisin arabe le plus
puissant, et leur manœuvre pour fractionner tous les états de la
région comme l’Irak, l’Arabie saoudite, l’Égypte et le Soudan en
de petits états de papier et qui par leur désunion et leur faiblesse
garantissent la survie d’Israël, et permettent la poursuite de la
brutale occupation croisée de la péninsule19.

Cette déclaration constitue en fait la base doctrinale de ce que l’Occident


appellera par la suite « Al-Qaïda ». Les attentats de la seconde moitié des années 90
attribués à Ben Laden montreront une grande cohérence stratégique avec cette
déclaration, d’où l’on pouvait déjà dégager les principales revendications des
Djihadistes :
- Le retrait de la présence américaine du territoire de l’Arabie saoudite, car des
non-croyants (chrétiens) ne sauraient occuper tout ou partie de la terre sacrée
d’Arabie.
- La levée de l’embargo contre l’Irak, car il est alors considéré comme une
manifestation de l’arrogance occidentale contre un pays musulman (et non pour le
soutien du régime de Saddam Hussein, considéré comme un « traître » en raison de
son hostilité à un régime islamiste).
- La cessation du soutien à l’État d’Israël, vu comme un outil pour maintenir la
division de la nation arabe.
Ainsi, contrairement aux affirmations fantaisistes qui ont suivi le 11 Septembre,
et qui persistent depuis, on ne trouvait ici ni ambition mondiale d’extension de
l’Islam, ni Califat, ni guerre sainte contre la chrétienté dans le monde, ni contre le
monde Occidental, mais uniquement la lutte contre une présence américaine au
Moyen-Orient, perçue comme envahissante, arrogante et déstabilisante. Le message
était simple, clair et cohérent.
Mais à ce moment, le manque de sensibilité et d’intelligence politique du
gouvernement américain se manifeste dans une rhétorique maladroite qui utilise très
rapidement après le 11 Septembre le terme de « croisade » pour encadrer sa lutte
contre le terrorisme, plaçant une lutte légitime contre des activités criminelles dans
un contexte de lutte entre des sociétés différentes :

On aurait difficilement pu faire une gaffe aussi


indélicate. Le président Bush a juré dimanche « de
débarrasser le monde des malfaisants », et a averti : « Cette
croisade, cette guerre contre le terrorisme, prendra du temps20. »

Il ne s’agit pas ici d’une simple erreur de vocabulaire, mais d’une idée plus
profonde, qu’illustre l’affirmation de George W. Bush à la délégation palestinienne,
lors des négociations avec Abou Mazen, Premier ministre palestinien et Nabil
Shaath, son ministre des Affaires étrangères, à Charm el-Cheikh, en juin 2003 :
Je suis guidé par une mission de Dieu. Dieu m’a dit George,
va et combats ces terroristes en Afghanistan. Et je l’ai fait. Alors
Dieu m’a dit George, va et mets une fin à cette tyrannie en Irak. Et
je l’ai fait.

M. Erik Prince, fondateur et directeur de la compagnie de sécurité privée


Blackwater, mandatée pour exécuter les basses-œuvres de l’armée américaine en
Irak, et inculpé – mais jamais condamné – pour les meurtres causés par ses
employés, se déclarait lui-même comme un « croisé chrétien chargé d’éliminer les
musulmans et la foi musulmane de la surface du globe21 ».

Cette notion de « croisade » est relayée au sein des forces armées


américaines par des organisations comme l’Officer’s christian fellowship
(OCF) qui rassemble quelque 15 000 officiers supérieurs répartis sur plus de 80 %
des bases américaines, et dont le chef, le lieutenant général Bruce Fister, définit les
forces américaines comme des « ambassadeurs du Christ en uniforme22 ». Dans les
plus hautes sphères du commandement, cette idée est portée par des officiers
comme le lieutenant général Jerry Boykin, vice-sous-secrétaire à la Défense, qui
pense que George Bush a été choisi par Dieu et devait dire à propos du terrorisme :

Notre ennemi spirituel sera vaincu seulement si nous allons le


combattre au nom de Jésus23.

Il en est même résulté un cours au Joint Forces Staff College de Norfolk sur la
« Guerre totale contre l’islam », qui préconisait la destruction par l’arme nucléaire
des villes comme Médine et La Mecque et soulignant l’invalidité des conventions
de Genève dans cette situation. Préparé par un cabinet de consultants proches du
parti républicain, le Strategic Engagement Group, le cours a finalement été retiré du
programme en avril 2012 après les plaintes de plusieurs élèves, mais souligne que la
lutte contre le terrorisme aux États-Unis se base sur des notions extrêmement
simplistes24.
Mais ce n’est pas tout, et l’idée d’une guerre religieuse contre l’islam s’infiltre
jusque dans les plus petits détails. La firme Trijicon, qui fournit des dispositifs de
visée pour les fusils d’assaut, a gravé sur tous ses viseurs ACOG des références aux
évangiles, à tel point que les fusils ainsi équipés ont été surnommés « fusils de
Jésus » en Afghanistan25 !
Après les attentats « hors normes » du 11 Septembre, le geste des terroristes a
été analysé de manière simpliste, comme un « acte de folie » ou le « début d’une
nouvelle guerre » contre l’Occident. Le point commun à toutes ces « analyses » est
qu’elles ont vu ces attentats hors contexte. Comme c’est le cas aujourd’hui encore,
afin d’éviter de confondre « explication » et « justification », on a esquivé la
nécessité d’en trouver les causes profondes. Les interprétations de l’événement sont
alors empreintes de naïveté, et jouxtent la bêtise :

La télévision par satellite projette la société d’abondance de


l’Occident dans chaque hutte, dans chaque tente bédouine. Il n’est
donc pas surprenant que cela suscite des sentiments de jalousie et
de frustration26.

Or, pour les auteurs des attentats, il ne s’agissait pas de commencer une guerre,
mais plutôt de la terminer. La guerre avait commencé 10 ans plus tôt, en 1991, par
une présence américaine ressentie comme illégitime. L’Occident a une mémoire
courte et une grande indulgence par rapport à ses propres actions. Comme nous le
verrons, les diverses interventions occidentales au Proche et Moyen-Orient ont
toutes été entourées d’une atmosphère de mensonges et de tromperies, rapidement
oubliée par l’opinion publique occidentale, mais bien connue et très présente dans
la mémoire des populations concernées. Ainsi, depuis plus de 25 ans, avec une
candeur affligeante, l’Occident n’a pas même envisagé que ses tricheries et ses
meurtres puissent provoquer une réaction.
Cette forme de déni n’est pas une exclusivité américaine. On se rappellera que
le même phénomène s’est produit après les attentats de janvier et novembre 2015 en
France, où non seulement la politique extérieure n’a à aucun moment fait l’objet
d’une évaluation critique, mais en plus on a persisté dans une direction qui ne
pouvait que conduire à une aggravation dans le futur. Et pourtant, Amédy Coulibaly
dans sa vidéo posthume expliquait clairement que son geste – et celui des frères
Kouachi – était une conséquence directe de la politique du gouvernement Hollande.
Les groupes djihadistes qui arriveront plus tard, après l’intervention américaine
en Irak, avec des structures plus ou moins définies, seront assimilés à « Al-Qaïda ».
Issus du combat, leur doctrine, cependant, sera très différente : orientée sur la
résistance à l’occupant. Leur action internationale visera essentiellement à exercer
une pression sur les forces occidentales déployées sur le terrain en Irak. Elle sera
exemplifiée en 2004 à Madrid, avec l’apparition d’un nouveau concept avant la
lettre : le « terrorisme de dissuasion », qui frappe les pays impliqués dans la guerre
sur leurs arrières (en Europe), afin de les inciter à se retirer du conflit. Le même
exemple sera repris un an plus tard à Londres. Formalisée et définie de manière
doctrinale, c’est une dynamique semblable qui animera les attentats de 2015 à Paris.

Les frappes de 1998 – La route vers le 11 Septembre

Que les Américains aient compris ou non le message qui leur avait été martelé à
coup d’attentats dès 1995, pour retirer leurs troupes d’Arabie saoudite, reste une
question ouverte, même si les indices suggèrent que les États-Unis ont préféré
ignorer les divers coups de semonce des terroristes. Plus le temps passait, plus il
devenait difficile d’envisager un retrait des troupes américaines sans sembler céder
aux exigences terroristes et perdre la face. Il est toutefois évident que les islamistes
ont progressivement augmenté la pression jusqu’au 7 août 1998, avec deux frappes
simultanées sur les ambassades américaines de Nairobi et de Dar-Es-Salam.
La réponse américaine à ces attentats a été deux groupes de frappes ordonnées
par le président Bill Clinton et exécutées le 20 août 1998 sous le nom de code
INFINITE REACH. Effectuées au moyen de 79 missiles de croisière lancés depuis
des navires situés dans le Golfe persique, ces attaques visaient 4 camps
d’entraînement dans la région de Khost-Jala-labad (Afghanistan) et le complexe
pharmaceutique Al-Shifa, près de Khartoum (Soudan). Basées sur des informations
non vérifiées et dépassées, aucune de ces frappes n’a touché de cibles terroristes,
mais elles ont causé plusieurs dizaines de victimes civiles. Au Soudan, selon
l’ancien ambassadeur d’Allemagne à Khartoum, Werner Daum, la destruction du
complexe Al-Shifa – principal centre de production de médicaments pour le Soudan
– a causé « la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes civiles27 ».
En fait, ces frappes ont été planifiées sur la base d’informations mal analysées
et, au final, n’ont pas atteint les objectifs visés. En 1999, un rapport officiel du
Département de l’énergie américain concluait – entre autres – que ces frappes…
- Constituaient une justice douteuse, car elles n’avaient touché que des
innocents ;
- Avaient eu une efficacité discutable sur les capacités opérationnelles d’Al-
Qaïda ;
- Tendaient à démontrer que les USA avaient peur d’affronter directement les
terroristes ;
- Avaient suscité plus de projets terroristes ;
- Avaient frappé les Taliban, qui n’avaient probablement eu aucune
responsabilité sur les activités terroristes vu leur autorité limitée sur le territoire28.
Rapidement oubliés en Occident, ces bombardements indiscriminés et touchant
exclusivement des victimes innocentes, depuis plusieurs milliers de kilomètres, sans
permettre aucune parade, et sans que leurs auteurs ne s’exposent physiquement, ont
généralement été perçus comme un acte de lâcheté :

Les attaques [de 1998] n’ont pas amélioré l’image de


l’Amérique auprès des moudjahidines que j’ai interviewés, qui
décrivent les missiles Tomahawk comme des armes de lâches, qui
ont trop peur de risquer leur vie au combat ou de regarder leur
ennemi dans les yeux29.

Ces attaques n’ont donc frappé que des innocents, qui n’avaient ni de près ni de
loin un lien avec les attentats de Nairobi et Dar-es-Salam. Les États-Unis n’ont
jamais fourni d’excuses ou de dédommagements aux victimes30.

L’Amérique – comme les autres pays occidentaux qui l’imitent – n’a pas
compris qu’on se situe déjà dans une logique asymétrique. En voulant montrer sa
force, elle a montré sa faiblesse aux yeux des islamistes : a) en manifestant le fait
qu’elle n’était pas disposée à mettre en jeu ses combattants (l’expérience de la
Somalie est encore proche) ; b) parce qu’elle n’avait pas été capable de savoir d’où
« venaient les coups » et c) parce qu’elle n’avait pas été capable de reconnaître son
erreur. Sans parler du fait qu’en frappant de manière aveugle des populations
civiles, les États-Unis se plaçaient dans la même posture que les terroristes qu’ils
voulaient combattre. Quelques jours après les frappes, le magazine The Economist
prophétisait que les bombardements avaient « créé 10 000 nouveaux fanatiques là
où il n’y en aurait eu aucun31 ». Tandis que Louis Freeh, directeur du Federal
Bureau of Investigation (FBI) devait d’ailleurs déclarer qu’après ces frappes « il y
aura[it] probablement plus d’attaques [terroristes] et plus de morts32 ».
De plus, dans l’opinion publique américaine, ces frappes semblaient constituer
une manœuvre politique du Président Bill Clinton, alors empêtré dans l’affaire
Lewinsky et qui venait de comparaître devant le « Grand Jury » le 17 août. Pour de
nombreux commentateurs de la politique intérieure américaine, les attaques contre
l’Afghanistan et le Soudan, le 20 août avaient pour objectif « stratégique » de
restaurer l’image du Président face à son opinion et de « gommer » les
contradictions de son témoignage. Si cette interprétation est correcte, l’objectif réel
des frappes n’aurait pas été le terrorisme, mais l’opposition républicaine33. On
évoque alors la « théorie du Wag The Dog », du nom d’un film de fiction (diffusé
en français sous le titre Des Hommes d’influence) de 1997, réalisé par Barry
Levinson, où l’état-major du Prési-dent des États-Unis crée une situation de guerre
afin de couvrir un scandale de mœurs impliquant le Président.
Les commentateurs avaient raison. Le 25 août, le restaurant Planet Hollywood
du Cap, en Afrique du Sud, fait l’objet d’un attentat à la bombe qui fait 25 morts et
26 blessés, revendiqué par les « musulmans contre une oppression globale, un
groupe islamiste inconnu, en représailles des bombardements américains. Mais plus
grave, on sait aujourd’hui que les attentats du 11 Septembre ont été conçus comme
une réplique de ces frappes par les missiles de croisière.

Le 11 Septembre

On a beaucoup écrit sur les attentats du 11 Septembre (« 9/11»), qui ont


traumatisé les États-Unis et, par ricochet, le monde entier. Les nombreux points
d’ombre et les incohérences de la version officielle pour expliquer le déroulement
des événements ont suscité de multiples doutes et questionnements. Quelques jours
déjà après les attentats, une version alternative des événements circulait, qui se
retrouvera presque intégralement dans le livre de Thierry Meyssan, L’Effroyable
imposture34. Malgré les aspects troublants de la version officielle, les explications
alternatives restent très vagues sur le « Pourquoi ? » d’un complot et encore trop
floues pour permettre une remise en cause sérieuse de la version officielle. Au
risque de paraître superficiel, nous préférons mettre ce débat entre parenthèses, afin
de nous concentrer sur les aspects factuels qui ont conduit à la dépréciation de notre
environnement sécuritaire.
Un élément est certain : les islamistes revendiquent les attentats du 11
septembre et les considèrent comme « la plus grande opération spéciale de tous les
temps35 ». L’Occident a vu le 11 Septembre comme le début d’une nouvelle guerre :
les journaux titraient « Déclaration de Guerre », « L’Amérique en Guerre »
suggérant que l’événement était un point de départ. Nous avons vu les événements
qui ont motivé et conduit au 11 Septembre, qui confirment ce que les islamistes
disent eux-mêmes :

Le «9/11» n’était ni le début d’une guerre entre les musulmans


et l’Occident, ni la fin. C’était simplement un épisode d’une
longue guerre36 […]

Il est essentiel de comprendre la continuité dans laquelle s’inscrivent ces


événements, car elle signifie que les attentats « ne tombent pas du ciel », mais sont
fondamentalement prévisibles. Certes, le lieu, le mode d’action, l’objectif
opérationnel restent difficiles à anticiper (et sont alors du ressort du renseignement
opérationnel), mais il est possible de prévoir si un attentat a des chances de se
produire et, éventuellement, quelles sont les politiques à adopter pour éviter que
l’on arrive au point où des attentats sont commis, et c’est là le rôle du
renseignement stratégique. C’est aussi là que tous les services de renseignement
occidentaux ont failli. Incapables de lier les événements entre eux, ils n’ont pas su
en tirer les conclusions qui auraient permis d’élaborer de véritables stratégies
antiterroristes, au lieu de s’engager tête baissée dans des conflits nouveaux.

LA GUERRE EN AFGHANISTAN

Les Taliban et « Al-Qaïda »

Malgré notre accès quasi illimité à l’information, nous avons évacué des pans
complets de l’Histoire pour ne garder qu’une « histoire officielle » qui transcende
les clivages politiques. C’est le cas du terrorisme, du rôle des Taliban, de Ben Laden
et autres, qui échappent désormais à un regard critique et autorisent l’adoption de
politiques absurdes et contre-productives avec des conséquences dramatiques dans
le long terme. C’est le cas de la guerre en Afghanistan.

On attribue souvent la responsabilité de l’apparition du Djihadisme et


d’« Al-Qaïda » à l’intervention soviétique en Afghanistan, le 24 décembre
1979, qui aurait provoqué l’émergence d’un mouvement de résistance islamique37.
Or, la réalité est bien différente, et on oublie que l’intervention soviétique était elle-
même une réaction à une tentative occidentale de déstabilisation.
On oublie également que l’Afghanistan des années 50-70 était probablement le
pays le plus avancé socialement en Asie centrale. Les femmes étudiaient, pouvaient
sortir seules dans les rues de Kaboul en portant des jupes jusqu’aux genoux et sans
voile38.
Mais cela était sans compter avec les États-Unis…
En février 1979, l’Ayatollah Khomeiny prend le pouvoir en Iran et fait fermer
en avril la station d’écoute électronique de la CIA à Tacksman. Simultanément en
Afghanistan, la réforme agraire provoque un mécontentement croissant, et malgré
les demandes répétées du président Taraki, l’URSS refuse d’intervenir pour rétablir
l’ordre. Il y a donc alors une opportunité pour les Américains de stimuler une
rébellion islamique en Afghanistan afin de provoquer un renversement de régime et
tenir en échec la présence soviétique dans la région. Accessoirement, la CIA
envisage d’y redéployer sa station d’écoute, qui permet de surveiller tout le flanc
sud de l’URSS. C’est ainsi que le 3 juillet 1979, comme le rappelle Robert M.
Gates, ancien directeur de la CIA, dans ses mémoires39, le Président Carter signe
une directive qui autorise la CIA à appuyer les moudjahidines en Afghanistan par
des opérations psychologiques clandestines et un soutien matériel40. C’est le début
de l’Opération CYCLONE, qui bénéficiera d’un budget de 4 milliards de dollars41
et par laquelle la CIA équipera les islamistes afghans. La brutale montée de la
violence islamiste qui en résulte déborde dans les républiques méridionales de
l’URSS et provoque le coup d’État d’Hafizullah Amin à Kaboul en septembre
1979. C’est cette situation qui force l’Union soviétique à intervenir en décembre
1979, provoquant le début d’une guerre de 10 ans.
Dans un premier temps (jusqu’en 1983), les Soviétiques déploient au pied levé
leur 40e armée, configurée pour une guerre conventionnelle et mal préparée pour un
combat de contre-insurrection : leurs pertes sont élevées et leurs résultats maigres.
Progressivement, la 40e armée est totalement restructurée et, dans un second temps
(dès 1983), adopte de nouveaux concepts opératifs : les unités blindées ont été
supprimées et son ossature est désormais constituée d’artillerie, d’unités de
transmissions, de forces spéciales et d’hélicoptères. L’autonomie des petites unités
indépendantes est accrue, l’intégration des moyens de combat est améliorée,
provoquant assez rapidement une diminution des pertes et une augmentation de
l’efficacité opérationnelle42. À tel point que les États-Unis décident dès 1986 de
fournir à la résistance afghane des missiles antiaériens portables Stinger dans le
cadre de l’Opération CYCLONE. En tout, quelque 2300 missiles seront fournis.
L’objectif des Soviétiques est de maintenir le gouvernement du président Amin et,
après les tentatives infructueuses de prendre le contrôle de certaines vallées au
début des années 80, ils se contenteront de superviser les principaux axes routiers et
les grandes villes. Ils abandonnent ainsi les vallées aux moudjahidines soutenus par
l’Ouest, qui développeront la culture industrielle de l’opium pour se financer, en
l’absence d’investissements gouvernementaux, dans une politique agricole
cohérente. D’un autre côté, comme auparavant les Français en Indochine et les
Américains au Laos et en Amérique du Sud face aux guérillas communistes, les
Occidentaux peuvent ainsi s’appuyer sur la loyauté des « seigneurs de la guerre »
vivant du trafic de la drogue.
En 1989, lorsque les Soviétiques quittent le pays, les multiples groupes de
moudjahidines, qui ne sont plus unis par un ennemi commun, règlent leurs comptes
entre eux et luttent pour le pouvoir. Des dizaines de mouvements insurrectionnels
du sous-continent indien se retrouvent rapidement en possession des armes fournies
par les Américains. Il en est ainsi des 200-300 Stingers non utilisés qui ont une
histoire incertaine et arriveront dans les mains de divers groupes terroristes, en Iran,
aux Philippines et au Tadjikistan43.
À cette époque, l’Afghanistan – et plus particulièrement sa capitale – est livré
aux combats entre factions. Comme souvent, les luttes fratricides sont les plus
brutales et les plus cruelles. Les lynchages et exécutions publiques – parfois même
dans un luxe de cruauté – sont quotidiens44. C’est dans cette atmosphère que les
Taliban (« Étudiants en religion »), partis du sud, conquièrent rapidement et
pratiquement sans combat l’ensemble du pays, à l’exception du nord qui reste alors
dans les mains du Tajik Ahmed Shah Massoud.

Les Taliban

D’origine sunnite, le mouvement des Taliban est apparu en septembre 1994 et


est issu des écoles coraniques du sud de l’Afghanistan. Il se veut rassembleur des
différentes ethnies, tendances religieuses et familles politiques qui avaient fait de la
résistance afghane un amalgame hétéroclite de tendances souvent opposées. Afin
d’atteindre leur objectif d’unification de l’Afghanistan, les Taliban ont basé leur
doctrine sur une approche fondamentaliste. Leur conquête de l’Afghanistan depuis
la région de Kandahar s’effectue avec un large soutien populaire. Dès leur
installation au pouvoir, ils mettent en place un régime rigoureux, qui a pour objectif
– dans un premier temps tout au moins – de rétablir la paix civile et l’ordre,
supprimer le factionnalisme et permettre la gestion de l’État.
Le régime de la charia – la loi islamique – est imposé et appliqué sévèrement. Et
même si la corruption, endémique et enracinée dans la culture afghane, subsiste, le
pouvoir des seigneurs de la guerre locaux est réduit et les péages locaux sont
supprimés. Le mouvement reçoit un assez large soutien populaire, principalement
parce qu’il apporte une forme de sécurité et élimine l’anarchie et l’arbitraire qui
régnaient sous le pouvoir des milices. Toutefois le nouveau gouvernement taliban
ne parvient pas à obtenir la reconnaissance internationale qui permettrait un
développement du pays45. Ses représentations diplomatiques à l’étranger, y compris
aux Nations unies, restent aux mains de l’opposition de l’Alliance du Nord, et ne
contribuent pas à générer le soutien international nécessaire.
À la fin 1999, sous la pression extérieure, les Taliban acceptent d’interdire la
culture de l’opium, pourtant source de revenus importante depuis que la guerre avec
les Soviétiques a empêché tout effort pour le développement agricole dans les zones
montagneuses et fait de l’opium une lucrative exploitation de substitution. Un
décret interdisant la culture d’opium est publié le 27 juillet 2000. En 2000, les
surfaces cultivées tombent de 82 000 ha à un minimum historique de 8000 ha en
2001, et la production passe de 3000 tonnes en 2000 à 74 tonnes en octobre 200146.
On notera qu’en 2014, après 13 ans de présence occidentale, les surfaces cultivées
atteindront 224 000 ha, faisant passer l’Afghanistan du dernier au premier rang des
pays producteurs en Asie du Sud47. Mais les efforts des Taliban seront rattrapés par
le 11 Septembre et ne serviront à rien. Des sanctions seront imposées à
l’Afghanistan pour ne pas avoir détruit les stocks d’opium existants (qui, dans cette
région, constituent l’équivalent d’une épargne pour les petits paysans) et pour ne
pas accepter de livrer Oussama Ben Laden (dont personne ne pouvait – et ne peut
encore aujourd’hui – démontrer la culpabilité dans les divers attentats terroristes).
La conséquence de cette intransigeance occidentale a été de décrédibiliser la
frange modérée des Taliban, qui étaient favorables à des réformes, afin d’obtenir
une reconnaissance internationale et développer le pays. Ainsi, l’Occident a
largement contribué à renforcer l’aile dure du mouvement des Taliban en
Afghanistan.

Le « djihadisme » afghan

Les Taliban ne sont pas des Djihadistes, et n’ont jamais eu pour objectif de
diffuser leur doctrine à travers le monde. On peut noter ici qu’ils n’ont jamais été
désignés comme une organisation terroriste, ni par les États-Unis (pourtant très
prompts à enrichir leurs listes), ni par les Nations unies48.En revanche, ils
soutiennent – plus par conviction religieuse que par ambition politique ou
territoriale – les efforts des combattants islamistes de la région49, notamment le
conflit du Jammu-et-Cachemire, opposant l’Inde au Pakistan, et qui draine alors des
combattants islamistes du monde entier, qui s’installent dans les « zones tribales » à
la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Ce sont ces combattants qui seront
capturés à la fin 2001 début 2002 par les forces spéciales américaines et
constitueront le premier contingent de prisonniers à Guantanamo.
En fait, les Taliban sont essentiellement concentrés sur les affaires afghanes et
luttent contre les chefs djihadistes locaux :

Les Taliban et Mollah Omar, en fait, se sont souvent définis


contre les autres leaders afghans qu’ils considèrent représenter
une pensée radicale panislamiste. Les Taliban se moquaient de
ces musulmans, qui comprennent Gulbuddin Hekmatyar et Abdoul
Rassoul Sayyaf, en les désignant d’« Ikhwanis50 », leur expression
pour désigner les panislamistes radicaux51.

Les frappes américaines d’août 1998 changent quelque peu cette


posture, et rapprochent les Taliban des Djihadistes panislamistes dans une
défense de l’Islam52, sans toutefois les pousser dans le Djihad global. Le 21 février
2001, les Taliban offrent aux États-Unis d’extrader Oussama Ben Laden en échange
d’un accord sur les sanctions qui touchent le pays, mais, pour des raisons qui n’ont
jamais vraiment été éclaircies par la suite, le gouvernement américain refuse.
Dans ce contexte, lorsque les Américains demandent aux Taliban de livrer Ben
Laden après le 11 Septembre, leur émissaire déclare au chargé d’affaires américain
d’Islamabad que si les États-Unis apportaient des preuves de l’implication
d’Oussama Ben Laden, le « problème pourrait être facilement résolu53 ».
Manifestement, à ce stade, les Taliban étaient prêts à extrader Oussama Ben Laden
dans un autre pays54, malgré des réticences de fond à remettre un musulman à la
justice « chrétienne ».
Mais les accusations de la communauté internationale contre Oussama Ben
Laden sont spéculatives et les documents américains fournis aux Taliban ne sont
pas convaincants. La Haute Cour de justice afghane, saisie de la question, juge qu’il
n’y a pas de preuve démontrant son implication dans les divers attentats dont il est
accusé, et refuse de le livrer. Alors, les Taliban demandent aux Américains de faire
une « proposition constructive » afin de résoudre la crise55. Mais cette demande des
Taliban ne sera jamais relatée comme telle dans les médias occidentaux et il n’y
aura pas de proposition américaine. C’est le président américain qui « a refusé de
manière péremptoire de fournir des preuves que M. Ben Laden était derrière les
agressions du 11 Septembre56 ». Probablement pour la simple raison qu’à ce stade –
comme jusqu’à ce jour – ces preuves n’existaient pas.
Le 4 octobre 2001, afin de convaincre le Parlement et l’opinion publique
britannique, le gouvernement de Tony Blair produit un document de 70 points sur
« Al-Qaïda » et Oussama Ben Laden. Publié, ce document est considéré par la
presse britannique comme un tissu de « conjectures, suppositions et affirmations de
faits57 » et « presque sans valeur d’un point de vue juridique58 ». La plupart des
accusations sont des extrapolations à partir d’observations faites en 1998 et dont
très peu concernent les attentats du 11 Septembre. On y peut lire, par exemple, que
Ben Laden était impliqué dans le trafic de drogue (ce qui n’a jamais été le cas, ni de
près, ni de loin), ce qui permet à Tony Blair d’invoquer l’interruption de la
production d’opium comme une raison d’intervenir en Afghanistan.
En réalité, les preuves de l’implication d’Oussama Ben Laden n’intéressent
personne. Le 16 octobre 2001, les Taliban proposent une nouvelle fois au
gouvernement américain d’extrader Oussama Ben Laden, sans même alors exiger
les preuves de son implication, en échange de l’arrêt des bombardements qui
affectent les populations civiles59. Mais une fois de plus, le gouvernement
américain refuse.
L’invocation par l’OTAN de l’article 5 de sa Charte, le 12 septembre 2001 –
« […] une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles […] sera considérée
comme une attaque dirigée contre toutes les parties […] », qui permet l’usage de la
force dans le cadre de l’article 51 de la Charte des Nations unies sur la légitime
défense, pour attaquer l’Afghanistan – était pour le moins tirée par les cheveux. Cet
article avait été établi pour la situation où un membre de l’Alliance aurait été
victime d’une agression de la part d’un autre pays. Mais pour le cas de
l’Afghanistan, il s’agissait de répondre à une agression menée contre les États-Unis
par un petit groupe d’individus de nationalité saoudienne, sans liens avec le
gouvernement afghan, qui avaient préparé leurs attentats en Allemagne et aux États-
Unis.

La confusion des genres

L’opération ENDURING FREEDOM en Afghanistan (OEF-A), conduite par les


États-Unis avec la participation de la Grande-Bretagne, a été lancée unilatéralement
le 5 octobre 2001, sans autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle
sera suivie d’une seconde opération, mandatée par les Nations unies le 20 décembre
2001 par la Résolution 1386, qui sera conduite par l’OTAN dès le 11 août 2003
sous l’appellation d’International Security Assistance Force (ISAF). L’ISAF n’a pas
un mandat de combat, mais uniquement d’assistance aux autorités intérimaires
afghanes pour instaurer la sécurité dans une zone initialement limitée à Kaboul.
Entre 2004 et 2006, l’ISAF étendra progressivement ses activités à toutes les
provinces du pays.
Ainsi, l’intervention en Afghanistan a une composante légitime (l’ISAF) sous
mandat des Nations unies, et une composante « illégale » aux yeux du droit
international (l’OEF-A) sous commandement américain. La première a un mandat
de consolidation de la paix, tandis que la seconde mène une guerre. La coexistence
de deux opérations militaires d’envergure, avec des objectifs différents, sous des
commandements différents, sur le même théâtre d’opérations, s’est rapidement
traduite par l’utilisation d’éléments logistiques communs et a abouti, en août 2009,
à une fusion des deux opérations. Ainsi le mandat initial de consolidation de la paix
a-t-il été considérablement dilué, comme le confirme le général américain David
McKiernan, commandant de l’ISAF :

Le fait est que nous sommes en guerre en Afghanistan. Ce


n’est pas du maintien de la paix. Ce ne sont pas des opérations de
stabilité. Ce n’est pas de l’assistance humanitaire. C’est la
guerre60.

Cette collision de mandats au sein de l’ISAF suscitera de nombreuses


discussions d’ordre juridique et politique au sein de la coalition. Au final, les deux
missions, aux objectifs parfois contradictoires, étaient menées par les mêmes
nations. Comme cela avait été le cas à Beyrouth en 1983, et en Somalie en 1993, la
présence simultanée de combattants et de soldats de la paix – provenant parfois des
mêmes pays – ne pouvait assurer une cohérence propre à stabiliser la situation. Il en
est résulté une confusion pour la population locale et pour les forces en présence,
qui ne pouvait que conduire au désastre.
Non seulement l’Occident s’est engagé avec une légitimité contestable dans des
conflits aux objectifs vagues, mais il a été incapable de présenter une cohérence
stratégique qui aurait pu faciliter les opérations, voire générer l’adhésion des
populations locales. On retrouvera le même phénomène en Irak, en Libye et en
Syrie. Un autre exemple de confusion stratégique, qui a affecté la guerre
d’Afghanistan, a été la mise en place des « Provincial Reconstruction Teams »
(PRT).
En 2002, les États-Unis ont réalisé que les actions militaires de l’opération
ENDURING FREEDOM ne permettraient pas, à terme, de résoudre le problème
afghan. Est né alors le concept des PRT qui consiste à mettre en place des noyaux
de reconstruction économique et sociale dans les zones fraîchement libérées des
Taliban. Il s’agit d’exploiter une dynamique de succès et de faire passer le plus
rapidement possible les populations libérées dans une logique de développement et
les sortir d’une logique de combat.
Le concept – pertinent en soi – avait déjà été appliqué au Vietnam. Mais le
travail de fidélisation des populations avait là-bas fait l’objet d’un travail de
proximité, alors que les PRT en Afghanistan se sont concentrés sur certains centres
urbains et n’ont qu’un effet limité auprès des populations locales, largement
inféodées aux seigneurs de la guerre locaux61. Par ailleurs, dans la phase initiale du
projet, des PRT sont installés au nord du pays, dans des zones peu ou pas touchées
par le conflit et où les organisations humanitaires opèrent déjà sans obstacles
majeurs, créant ainsi une confusion. En termes de stratégie, alors que les PRT dans
les zones de combat constituent une tentative de « civiliser » une zone militaire, les
PRT des zones plus calmes « militarisent » une zone qui n’en n’a pas besoin. Ces
PRT sont donc exactement le type d’engagement qu’il faut éviter dans une stratégie
de lutte contre le terrorisme : ils ont donné le sentiment d’une occupation étrangère
du pays et assez rapidement provoqué une recrudescence des activités des Taliban.
Ainsi, l’extension progressive de la présence de l’OTAN en Afghanistan est
suivie presque « mathématiquement » d’une augmentation de l’activité terroriste, et
des attentats-suicides. Dès 2003, l’OTAN – qui n’avait jusque-là qu’une présence à
Kaboul – est autorisée à couvrir l’ensemble du pays. Cette extension s’effectue par
phases : Phase I : le nord (2004) ; Phase II : l’ouest (2005) ; Phase III : le Sud (été
2006) et Phase IV : l’est (automne 2006). Parallèlement, le nombre d’attaques-
suicides dans le pays, qui avaient été au nombre de 15 entre 2002 et 2005, passe à
93 en 2006, 137 en 2007 et 136 en 200862.
La guerre en Afghanistan présente les mêmes travers que l’on trouve dans les
autres conflits récents : des prétextes fallacieux, présentés par les États-Unis à une
communauté internationale peu critique et une action internationale aux objectifs
opaques, où se mélangent de manière désordonnée des aspects religieux, sociétaux
et sécuritaires. La prééminence des États-Unis dans des opérations internationales et
leur faible sensibilité culturelle pour affronter ces situations hybrides ont
considérablement nui à l’image et à la crédibilité de la communauté internationale
dans le monde, aggravant encore le clivage entre les mondes occidental et
musulman.

LA GUERRE EN IRAK
Après la guerre du Golfe en 1991, l’idée de renverser Saddam Hussein reste
vivace aux États-Unis. Immédiatement après le conflit, le gouvernement américain
entreprend une campagne de désinformation intense, afin de préparer le terrain pour
un renversement de pouvoir par l’opposition. La CIA mandate le Rendon Group63,
une entreprise de communication et de relations publiques basée à Boston, avec un
budget de 23 millions de dollars pour publier des brochures, livres et autres médias
destinés à ridiculiser Saddam Hussein et son régime et à encourager les membres de
ses forces de sécurité à déserter. En 1992, le Rendon Group contribue à la création
d’un mouvement d’opposition irakien appelé « Iraqi National Congress » (INC), à
la tête duquel est placé Ahmed Chalabi, en octobre. Au total, entre 1992 et 2004, la
CIA versera quelque 100 millions de dollars à l’INC par l’entremise du Rendon
Group.
L’INC est composé d’opposants au régime en Irak avec des antennes hors du
pays. Fortement contestés par la CIA qui leur reproche la mauvaise qualité de leurs
informations et leur absence de sens moral, Chalabi et son INC fourniront une
majorité des informations concernant les armes de destruction massive irakiennes.
En fait, l’INC a tout intérêt à provoquer une intervention occidentale et n’hésite pas
à désinformer l’Occident avec la complicité du vice-président Richard (Dick)
Cheney et du sous-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz, dont il s’attire les bonnes
grâces.
Déjà en 1990, les États-Unis ont réclamé un embargo contre l’Irak qui sera
entériné par le Conseil de sécurité des Nations unies. Son objectif premier est de
forcer l’Irak à se retirer du Koweït et à payer des réparations. Mais il y a un autre
but. Les objets sur lesquels porte l’embargo (notamment les médicaments) sont de
nature à provoquer une révolte de la population contre le régime de Saddam
Hussein.

Depuis que l’embargo a été imposé à l’Irak le 6 août [1990]


après l’invasion du Koweït, les États-Unis se sont opposés à tout
assouplissement en pensant qu’en rendant la vie difficile au
peuple irakien, cela l’encouragera à renverser Saddam Hussein
du pouvoir64.

Il s’agit, en fait, de la même stratégie que celle qui avait été appliquée à
l’Allemagne et au Japon durant la Seconde Guerre mondiale : frapper les
populations civiles afin de les couper de leurs dirigeants et de les monter contre
eux. Au final, non seulement la population irakienne ne s’est pas révoltée, mais les
conséquences humaines ont été terribles.
Selon les Nations unies, cet embargo aurait causé la mort de plus d’un demi-million
d’enfants irakiens65. Le 12 mai 1996, Madeleine Albright66, alors ambassadrice des
États-Unis auprès des Nations unies à New York, apparaît dans une émission
télévisée consacrée à l’embargo en Irak :

La journaliste : « Nous avons appris qu’un demi-


million d’enfants sont morts. C’est plus que le nombre
d’enfants morts à Hiroshima. Est-ce que le prix en vaut la
peine ? »
Réponse de Mme Albright :
« Je pense que c’est un choix difficile, mais nous pensons que
le prix en vaut la peine. »

Qu’il y ait eu effectivement 500 000 enfants victimes de l’embargo ou 170 000,
comme le prétendent d’autres, n’est pas la question ici. Il suffit de mettre cette
réponse en perspective avec l’émoi causé par la photographie du petit Eylan échoué
sur les côtes de Turquie en septembre 2015, pour constater l’hypocrisie dont
l’Occident fait parfois preuve et la complaisance à l’égard de la politique
américaine.
Si pour la grande partie de l’opinion publique occidentale, la guerre du Golfe
s’était terminée en 1991, il n’en était rien pour la population irakienne. Sitôt la
guerre finie, les ÉtatsUnis, la Grande-Bretagne et la France invoquent la Résolution
688 du Conseil de sécurité des Nations unies67 pour instaurer des zones
d’interdiction de vol au nord et au sud de l’Irak (Opérations NORTHERN WATCH
et SOUTHERN WATCH). En fait la « 688 » ne mentionne aucune mesure de la
sorte, et le secrétaire-général de l’ONU d’alors, Boutros Boutros Ghali, confirmera
en 2003 que la décision de ces trois pays était illégale. La définition de ces zones a
été le prétexte pour mener des frappes tous les deux jours sur l’Irak entre 1991 et
2003. Leur fonction « humanitaire » a, en réalité, essentiellement couvert les
incursions de l’armée turque contre les positions kurdes au nord de l’Irak.
Au début 1998, après que la présence d’agents de la CIA au sein de la
Commission de vérification des Nations unies (UNSCOM)68 a été mise à jour (et
qui sera confirmée par Bill Tierney, l’agent lui-même69), le gouvernement irakien
décide d’arrêter la coopération avec les Nations unies. Cette décision provoquera
dans un premier temps l’établissement par le président Bill Clinton de l’Iraq
Liberation Act en octobre 1998, qui vise au renversement de Saddam Hussein70.
Dans un deuxième temps, les États-Unis lanceront une campagne de frappes
contre l’Irak sous le nom d’Opération DESERT FOX, en prétextant que l’Irak a
expulsé la mission des Nations unies. Cette affirmation sera répétée par Colin
Powell le 5 février 2003 lors de la réunion du Conseil de sécurité qui décidera de la
guerre. Mais elle est mensongère. En effet, le chef de l’UNSCOM, Richard Butler,
écrira dans ses mémoires que le départ d’Irak lui a été suggéré par l’ambassadeur
américain, afin de protéger les inspecteurs onusiens des frappes américaines71.
L’objectif officiel de DESERT FOX était de dégrader les capacités irakiennes de
production d’armes de destruction massive. Or, en réalité, sur les 100 objectifs
identifiés pour l’opération, seuls 13 concernaient de près ou de loin d’éventuelles
installations liées aux armes de destruction massive. Les autres objectifs visaient le
gouvernement irakien et les forces armées irakiennes72. La déclaration de Saddam
Hussein de ne plus coopérer avec les pays occidentaux après ces frappes, qui
enfreignaient pourtant clairement le droit international, constituera l’un des
prétextes de l’invasion 5 ans plus tard.
Trop souvent, les crimes occidentaux – accomplis sous la bannière des Droits de
l’homme et du droit humanitaire – sont empreints de notre bonne conscience et sont
commodément évacués de notre mémoire collective. Mais ils restent encore vivaces
dans la mémoire des populations locales, comme l’illustre la fatwa du 23 février
1998 d’Oussama Ben Laden. Il était donc évident qu’une intervention en Irak allait
réveiller ces sentiments mitigés à l’égard de l’Occident :
[…] Ironiquement, une invasion et une occupation de l’Irak au
nom de la lutte contre le terrorisme causera probablement une
augmentation des attaques anti-américaines de la part de sources
islamiques fondamentalistes. L’administration Bush a simplement
remplacé une présence militaire dans une nation qui abrite les
lieux saints de l’Islam par une occupation armée dans une autre.
L’Irak a aussi des lieux saints, et est le berceau et le centre
académique et spirituel de l’Islam chiite. L’administration devrait
se rappeler que l’occupation soviétique « infidèle » de la nation
islamique d’Afghanistan durant les années 80 a attiré des
combattants fanatiques du monde entier dans l’opposition. […] Le
monde islamique perçoit la guerre américaine contre le terrorisme
comme une guerre contre la foi73.

C’est dans ces événements qu’il faut voir le point de dé-part des velléités
djihadistes. Un mélange d’incompréhension et de manœuvres, qui a mis en doute la
sincérité de l’intervention occidentale au Moyen-Orient et qui, renforcée par des
propos très maladroits à connotation religieuse, n’a fait que consolider les
conditions d’un Djihad pour les islamistes radicaux.
En octobre 2001, des envois postaux contenant des germes d’anthrax et adressés
à certaines personnalités (journalistes, juifs et affiliés au parti démocrate) sont
immédiatement perçus comme étant dans le prolongement des attaques de
septembre et l’incident est rapidement connu sous le nom d’« Amerithrax ». Dès
son apparition, l’Amerithrax présentait toutes les caractéristiques d’un problème
intérieur aux USA, mais sa coïncidence avec les événements de septembre 2001 a
orienté les recherches des services de renseignement vers l’Irak et les réseaux « Al-
Qaïda ». Or, la nature des objectifs et la séquence des attaques dans le temps, de
même que la nature des souches d’anthrax, tendaient à exclure l’implication de
l’Irak, qui avait pourtant été montré du doigt par le Federal Bureau of Investigation
(FBI) américain, et dont on avait évoqué les liens avec des agents d’« Al-Qaïda74 ».
Le 28 octobre, le FBI annonçait l’abandon des investigations en relation avec le
réseau « Al-Qaïda » et la réorientation de son enquête sur une piste criminelle
américaine.
Après le 11 Septembre, l’Irak devient pour les États-Unis la cause de toutes les
activités terroristes dans le monde. Alors que, dans les semaines qui ont suivi le
« 11 Septembre », le public américain n’y avait pas immédiatement associé l’Irak ;
début 2003, 44 % des Américains estimaient que les terroristes étaient irakiens,
tandis que 45 % étaient convaincus que Saddam Hussein était personnellement
impliqué dans ces attentats75.
Le message alors martelé par le président George Bush et les membres de son
administration imprime dans la tête des Américains l’idée d’un lien organique entre
le terrorisme et Saddam Hussein. Le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld
affirme détenir les preuves « irréfutables » de l’implication de l’Irak dans le 11
Septembre76. C’est évidemment un mensonge éhonté : on sait aujourd’hui que ces
liens sont sortis de l’imagination de l’administration Bush77. Pourtant, malgré la
publication du rapport de la commission d’enquête du Congrès qui souligne
l’absence de liens entre l’Irak et « Al-Qaïda », le vice-président Richard (Dick)
Cheney persiste dans une interview avec CBS News en 2004 :

Il y avait clairement une relation. Nous avons témoigné à ce


sujet. Les preuves sont accablantes […] « La presse, avec tout le
respect que je lui dois est souvent paresseuse, et souvent ne publie
que ce que quelqu’un d’autre a dit sans effectuer son travail78. »

avant de faire marche arrière en 2009, dans une interview avec NBC News, où il
déclare qu’il n’y a jamais eu aucun lien entre l’Irak et les terroristes djihadistes79.
Si aujourd’hui la manipulation liée aux armes de destruction massive apparaît
comme une raison majeure pour l’intervention américaine en Irak, l’importance du
lien fabriqué entre l’Irak et les auteurs des attentats du 11 Septembre ne doit pas
être sous-estimée. En fait, pour une majorité d’Américains, ce lien était une raison
beaucoup plus valable d’intervenir en Irak que les armes de destruction massive. Au
final, non seulement l’intervention en Irak a été soutenue par 72 % des Américains,
qui n’ont rien compris à la guerre dans laquelle ils s’engageaient, mais la cote de
popularité du président Bush a bondi à la fin mars 2003 pour atteindre 71 %
d’opinions positives80. Les mêmes causes ayant les mêmes effets, c’est le même
mécanisme que l’on observera en France en 2015.

Caprices américains – Incapacité européenne

L’imposture des armes de destruction massive irakienne, qui a fourni le prétexte


pour l’invasion américaine, a été très largement couverte dans les médias et la
littérature. La publication de faux rapports, le choix délibéré d’accorder un crédit
indu à des sources dont on savait déjà à ce moment qu’elles n’étaient pas fiables, et
la distorsion volontaire de faits qui étaient tous déjà connus et n’ont pas changé
depuis 2002, font de l’intervention des États-Unis (et de leurs alliés81) une
entreprise illégale, illégitime, et de nature criminelle. Nous n’y reviendrons donc
pas ici. Dans les faits, le président des États-Unis et ses acolytes voulaient attaquer
l’Irak déjà bien avant le 11 Septembre, et ils ont tout mis en œuvre pour y parvenir.
Le 11 septembre à 12 heures déjà, dans le National Military Command Center,
alors que le directeur de la CIA évoque l’interception d’une conversation
téléphonique d’Oussama Ben Laden pour désigner le coupable, le secrétaire à la
Défense Donald Rumsfeld déclare que l’information est « vague », « pourrait ne
rien signifier du tout » et être une « base trop fragile pour y accrocher son
chapeau » ; l’idée de riposter sur l’Irak est déjà présente. Dans le journal qu’il est
chargé de tenir, l’un des assistants du ministre prend note de l’ordre de préparer des
frappes sur l’Irak, avec la recommandation suivante :

Allez-y massivement ! Balayez tout, que cela soit lié [à


l’attentat] ou non82 !

Le 12 septembre 2001, lors d’une réunion de travail pour déterminer la


nature de la réponse à apporter au 11 Septembre, et alors que l’on évoque
le bombardement des infrastructures afghanes d’« Al-Qaïda », Donald Rumsfeld
répond qu’il n’y a pas assez d’objectifs en Afghanistan pour une campagne de
bombardements et qu’il faut donc bombarder l’Irak! Le chef de la lutte
antiterroriste, Richard Clarke, lui fait alors remarquer que l’Irak n’est pour rien dans
cette affaire « mais cela n’a fait aucune différence83».
L’éthique n’y trouve certes pas son compte, mais il faut admettre que
l’entreprise a été menée de manière cohérente. Ce qui est moins compréhensible est
l’absence de réaction des pays qui étaient opposés à cette intervention et
l’incapacité de leurs services de renseignement à démontrer la désinformation et les
mensonges produits par les États-Unis et la Grande-Bretagne, car toute
l’information était disponible avant l’invasion. La seule chose qu’a apportée
l’intervention américaine a été de confirmer des informations qui avaient déjà été
largement validées précédemment… mais délibérément mises de côté par les
services de renseignement, par les politiques et la presse. Ainsi, outre les pannes des
services américains, ce que révèle la genèse de la guerre en Irak est l’insuffisance
du renseignement stratégique des autres pays occidentaux.
La valeur exagérée accordée, par les services de renseignement américains et
britanniques, aux déclarations de réfugiés et membres de l’opposition irakienne en
ce qui concerne les armes de destruction massive, entre également dans la mauvaise
gestion du cycle du renseignement. Les déclarations de George Tenet, alors
directeur de la CIA, confirment indirectement ces faiblesses :

La question brutalement posée à propos de l’Irak est : avions-


nous « raison » ou avions-nous « tort » ? Dans le métier du
renseignement, vous n’avez presque jamais complètement tort ou
complètement raison… Comme professionnels du renseignement,
nous suivons l’information où elle nous conduit. Nous ne
craignons aucun fait ou information, qu’elle nous soutienne ou
non. […] Aurais-je dû ignorer ou rejeter ces rapports ?
Absolument pas84 !
Cette réponse peut satisfaire l’homme de la rue, mais pas le professionnel du
renseignement, car elle n’explique pas pourquoi on a utilisé des informations sans
savoir dans quelle mesure elles étaient correctes, comment on a déterminé qu’elles
étaient correctes et ce que l’on a fait pour les confirmer (ou les infirmer) avant
qu’elles n’arrivent dans l’environnement du président.
Le renseignement n’est efficace que s’il peut s’exprimer librement, en fonction
de la réalité du terrain et non en fonction des attentes du décideur. C’est un point
essentiel. Or, les services de renseignement ont souvent tendance à « précuire » et à
adapter le produit analytique pour qu’il corresponde mieux aux vues du décideur,
afin qu’il soit mieux accepté. C’est ainsi que Greg Thielmann, analyste du Bureau
de renseignement et de recherche85 (INR) du Département d’État, désigné comme
officier de liaison pour le renseignement auprès de John R. Bolton, sous-secrétaire
d’État pour le contrôle des armements, et dont les vues sur l’Irak ne correspondaient
pas à celles du sous-secrétaire d’État, a été rapidement écarté des réunions de travail
sur l’Irak86.
C’est aussi ce qui s’est produit avec les divers rapports adressés par les services
de renseignement américains et britanniques à leurs gouvernements respectifs avant
la guerre en Irak. Le 11 octobre 2002, le Congrès américain vote87 une résolution
autorisant le Président Bush à attaquer l’Irak, si l’Irak n’obtempère pas aux
décisions de l’ONU. Ce vote est basé sur un « National Intelligence Estimate »
(NIE)88 distribué aux parlementaires le 1er octobre 2002. Ce document, mal rédigé,
sans substance et sans réelle documentation des faits, fera – plus tard – l’objet de
vives critiques de la part de professionnels du renseignement. Début juillet 2004, la
Commission du Sénat sur le renseignement a publié un rapport relevant les
« distorsions » de l’information contenue dans les rapports de la CIA. Elle illustre
son propos en mentionnant le « White Paper » consacré aux armes de destruction
massive en Irak89, publié le 4 octobre 2002 à l’intention du public américain et basé
sur le NIE distribué au Congrès.
La commission sénatoriale relève que la version destinée au public est beaucoup
plus catégorique que la version classifiée. Les expressions telles que « nous
jugeons » ou « nous estimons », qui figurent dans la version classifiée, ont été
supprimées et laissent apparaître ces estimations comme des faits avérés dans la
version publique.
Par exemple, le NIE classifié mentionnait que :

La plupart des agences croient en l’intérêt personnel de


Saddam et les tentatives agressives de l’Irak pour obtenir des
tubes d’aluminium à haute résistance pour des rotors de
centrifugeuses – de même que les tentatives de l’Irak d’acquérir
des aimants, des machines d’équilibrage à haute vitesse, et des
machines-outils – fournissent des preuves accablantes que
Saddam est en train de reconstituer un effort pour enrichir de
l’uranium pour le programme d’armes nucléaires de Bagdad. (Le
Département de l’énergie (DoE) est d’accord avec le fait qu’un
programme nucléaire est en cours, mais estime que les tubes ne
font probablement pas partie de ce programme)90.

Alors que le document non classifié était plus catégorique:

Les tentatives agressives de l’Irak pour obtenir des tubes en


aluminium à haute résistance inter-dits sont un souci significatif.
Tous les experts du renseignement sont d’accord avec le fait que
l’Irak est en train de chercher des armes nucléaires et que ces
tubes pourraient être utilisés dans un programme
d’enrichissement d’uranium. La plupart des spécialistes du
renseignement estiment qu’il s’agit là de leur usage prévu, mais
quelques-uns pensent que ces tubes sont probablement destinés à
des programmes d’armes conventionnelles91.

Lorsque le NIE du 1er octobre 2002 cite « la plupart des agences », il se réfère
aux agences analytiques que sont la Central Intelligence Agency (CIA) et la
Defense Intelligence Agency (DIA) et aux agences de collecte que sont la National
Security Agency (NSA)92 et la National Geospatial-intelligence Agency (NGA).
Alors que ces deux dernières étaient d’accord avec l’idée que les tubes pouvaient
être destinés à un programme nucléaire, les agences analytiques étaient partagées
sur la question : la CIA et la DIA pensaient que les tubes étaient liés à un
programme nucléaire, alors que le Département de l’énergie et le Bureau de
renseignement et de recherche (INR) du Département d’État pensaient que les deux
objets n’étaient probablement pas liés.
Prétendre que le « White Paper » a été une tentative de manipuler l’opinion
reste cependant discutable. Dans le souci de rendre le document accessible à un
large public, le NIE a été raccourci, certaines réserves ont été dépersonnalisées – en
retirant la mention de l’agence de renseignement qui était dubitative –, faisant de
l’ensemble un document plus catégorique que l’analyse ne le permettait, même au
sein des services. Sans entrer ici dans la polémique, cet exemple montre la difficulté
pour un service de renseignement à retranscrire de manière concise toutes les
nuances d’une situation dans un document court. Ce problème se pose lorsqu’il
s’agit de donner au décideur politique un document à la fois complet et
suffisamment réduit pour qu’il puisse le lire : les subtilités de langage doivent
souvent être gommées et le message final peut apparaître plus tranché.
Les informations rendues publiques par Colin Powell, le 5 février 2003, devant
le Conseil de sécurité de l’ONU sur les « laboratoires mobiles d’armes biologiques
irakiennes », provenaient de 4 sources : une source désignée « Red River » par la
CIA, qui n’avait pas satisfait au test du détecteur de mensonges ; les sources
« Curveball » et « Red XXXX», dont la « fiabilité et les informations n’avaient pas
été évaluées », informations qui « contenaient des incohérences nécessitant des
vérifications supplémentaires », selon l’avertissement donné par l’Agence de
renseignement de la défense (DIA)93 à la CIA ; et une autre source que la DIA avait
taxée du qualificatif d’« affabulateur94 » !
Finalement, les États-Unis et la Grande-Bretagne décideront d’attaquer l’Irak
sans avoir l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, bafouant ainsi un
des fondements de la Charte de l’ONU, comme le précise le Secrétaire général de
l’ONU d’alors, Kofi Annan :

[L’attaque] n’était pas en conformité avec les règles


de la Charte des Nations unies. Du point de vue de la
Charte, c’était illégal 95.

L’invasion de l’Irak s’est avérée être un fiasco complet, à l’origine de la montée


des mouvements islamistes dans la région et de la déstabilisation de la Syrie. Or, ces
conséquences que l’on feint de voir comme une fatalité surprenante étaient
parfaitement prévisibles.
En effet, les rapports de forces entre chiites et sunnites étaient connus et, comme
l’avait évoqué Dick Cheney en 1994, plaçaient les États-Unis face à un choix entre
la peste et le choléra : soutenir la majorité chiite équivalait à valoriser le rôle
régional de l’Iran, tandis qu’un appui aux mouvements sunnites encourageait de
facto les groupes djihadistes. Les états-majors américains ont très clairement sous-
estimé l’importance du problème et sont entrés en Irak sans stratégie définie pour la
reconstruction du pays.
Le soutien inconditionnel des États-Unis au gouvernement Maliki96 et l’appui
matériel à ses exactions contre les dissidents politiques sunnites97 ont été un
formidable tremplin pour l’opposition djihadiste et ont largement contribué à
encourager les extrémistes98.

Mensonges et incompétences britanniques

La participation de la Grande-Bretagne sera largement le fait de la candeur et du


manque de rigueur éthique du Premier ministre Tony Blair, qui mentit à l’opinion
publique et au Parlement afin de suivre les États-Unis dans l’aventure irakienne. La
posture de Tony Blair est alors en grande partie due à ses échecs en politique
intérieure et les critiques dont il faisait l’objet pour n’avoir pas tenu ses promesses,
ainsi que le confirme un mémorandum secret écrit par Colin Powell – alors
secrétaire d’État – à George W. Bush en mars 2002, en vue du sommet de
Crawford, en avril 200299.
En Grande-Bretagne, dès 2002, le gouvernement Blair a fait face à une
opposition massive de sa population contre la guerre, car le bon sens populaire y
voyait une impasse. La mobilisation contre la guerre à travers le monde à ce
moment-là est considérée comme la plus importante de l’Histoire avec une
participation de 10 à 30 millions de personnes. À Londres, le 16 février 2003, 2
millions de citoyens se rassemblent pour protester contre la guerre100. La réponse
de Tony Blair est d’organiser, avec les services de renseignement britanniques, une
campagne de désinformation afin de convaincre son peuple et le Parlement du bien-
fondé de sa décision. Quant au ministre des Affaires étrangères, Jack Straw, il
rejette l’avis de son conseiller juridique qui confirmait que la guerre en Irak serait
illégale101.
Après l’attentat meurtrier du 7 juillet 2005 dans le métro londonien, puis la
tentative d’attentat du 21 juillet 2005, il faut éviter que le peuple ne fasse pression
sur le Parlement, comme cela avait été le cas un an plus tôt en Espagne. Questionné
sur les raisons des attentats, Tony Blair nie catégoriquement toute relation avec la
guerre en Irak102.
Le rapport officiel de la Commission du renseignement et de la sécurité
britannique, dans son évaluation des causes de l’attentat du 7 juillet 2005 à Londres,
se concentre sur les aspects policiers et n’évoque à aucun moment la politique
étrangère du gouvernement Blair, ni les mensonges – déjà connus alors – qui ont
servi à justifier l’alignement britannique sur les États-Unis pour attaquer l’Irak,
contribuant ainsi à l’illégitimité de cette guerre aux yeux des islamistes103. Parmi
les milliers d’ouvrages et d’articles consacrés au terrorisme, très peu étudient la
genèse des attentats, comme si chaque événement était unique, issu d’une impulsion
soudaine et aléatoire de quelque cerveau dérangé. Or, il n’en est rien. Le Djihad est
par essence une réponse et les attentats islamistes en sont des expressions
opérationnelles.
Un incident permettra au gouvernement britannique de littéralement mettre en
scène un complot islamiste en Grande-Bretagne et de tenter d’asseoir la crédibilité
de son engagement en Afghanistan et en Irak. Il s’agit de la découverte, le 9 août
2006, d’un « complot » visant à faire exploser simultanément 7 avions en vol à
l’aide d’explosifs liquides. Dans un premier temps et dans l’urgence, le Royaume-
Uni ferme tous ses aéroports, y compris celui de Heathrow (Londres), puis interdit
tous les liquides à bord des appareils décollant du territoire national.
Dès la « découverte » de ce complot, due à un prisonnier soumis à la torture au
Pakistan, dans le cadre du programme de torture des États-Unis, 24 personnes sont
arrêtées, y compris un bébé, dont 14 seront presque immédiatement libérées et 8
seront mises en accusation. Un premier procès a lieu en avril 2008, pour juger les 8
personnes accusées de conspiration terroriste et de tentative de meurtre sur des
milliers de passagers sur des vols à destination de l’Amérique du Nord. Le 9
septembre 2008, le tribunal condamne 3 d’entre elles pour tentative de meurtre,
mais ne parvient pas à émettre un verdict pour l’accusation la plus importante, celle
de faire exploser des avions. Le 17 février 2009, un deuxième procès s’ouvre pour
rejuger les 8 prévenus. Ne parvenant toujours pas à établir un verdict à l’issue du
deuxième procès, un troisième procès est organisé en 2010. Au final, des 8 accusés,
5 seront déclarées innocents, et 3 seront finalement accusés et jugés pour
terrorisme, pour des faits qui n’ont rien à voir avec la destruction d’avions.
Les manchettes des journaux ont fait leurs titres avec ces mères islamistes qui
prévoyaient d’utiliser les biberons de leurs bébés pour faire exploser les avions ! En
fait, il s’avérera que les produits chimiques trouvés dans les biberons étaient des
produits de stérilisation en vente dans les pharmacies. On notera qu’aucun des
protagonistes de cet « attentat imminent » n’avait acheté de billet d’avion, et que
certains d’entre eux n’avaient même pas de passeport et ne pouvaient donc pas se
présenter pour un vol extérieur, comme le rappelle l’ancien ambassadeur
britannique Craig Murray104…
Le complot « imaginé » par les services de renseignement britannique
envisageait l’usage d’explosifs de type binaire, c’est-à-dire réalisés avec deux
composants inoffensifs qui, réunis, deviennent hautement explosifs. Un fantasme de
cinéaste, car bien qu’on ait vu ce type d’explosifs dans de nombreux films, il est
irréalisable dans l’état actuel de nos connaissances105, dans des conditions
improvisées, comme par exemple à bord d’un avion, ainsi que le précisent des
experts en explosifs de l’armée britannique106.
Le scénario n’était donc pas réalisable, aucun des protagonistes n’a été jugé
coupable d’un complot à l’explosif contre des avions, et aucun d’entre eux n’aurait
pu même voyager. Pourtant des mesures de sécurité ont été mises en place. Elles
sont restées en vigueur dans tous les aéroports du monde et interdisent
l’embarquement dans les bagages à main de liquides au-delà d’un certain volume.
Mais elles n’ont pas permis de détecter une seule bouteille d’explosif sur les
quelque 32 milliards de passagers qui ont pris l’avion depuis 2006.
La menace était donc totalement imaginaire et fut « montée en épingle ». La
question – qui se reposera à de nombreuses autres reprises dans d’autres pays – est
d’évaluer jusqu’à quel point les services de renseignement souffrent d’un déficit
analytique et dans quelle mesure l’analyse de la menace n’est qu’une fuite en avant
pour asseoir l’autorité de gouvernements qui ne maîtrisent pas la situation.

La deuxième naissance du Djihadisme


En 2003, les Américains entrent en Irak en libérateurs, mais sans avoir aucun
plan pour restaurer des institutions capables de prendre la relève du régime de
Saddam Hussein. Il n’y a alors pas de groupes islamistes militants en Irak, mais les
services de renseignement ont très largement sous-estimé le phénomène
communautariste. Ainsi, peu après leur arrivée à Bagdad, les forces américaines se
sont trouvées confrontées à une résistance populaire vigoureuse dont les objectifs
diffèrent significativement, mais dont les efforts convergent vers un rejet de la
présence américaine :
- Les forces islamistes sunnites, comme les Partisans de l’Islam (Ansar al-
Islam), les Partisans de la Sunna (Ansar al-Sunna), ou de l’État islamique d’Irak
(EII) (Dawlat al-’Eiraq al-Islamiyah), qui cherchent à instaurer un régime sunnite
sous la loi islamique en Irak ;
- Les forces associées au régime de Saddam Hussein et au parti Baath, comme
les Martyrs de Saddam (Feddayin Saddam), le Retour (al-Awda), ou la Flamme de
l’Irak (Wahaj al`Eiraq), dont l’objectif est de restaurer un régime laïc en Irak ;
- Les forces chiites – qui représentent la majorité de la population irakienne – et
visent à instaurer un régime islamique sur le modèle iranien, comme le Front
islamique de la résistance irakienne (al-Jabha al-Islamiyya al-Iraqiyya
alMuqawima).
La stratégie opérationnelle des Américains, lors de leur avancée vers Bagdad, a
été de disloquer la conduite irakienne et de couper les troupes de leur
commandement afin de les rendre plus vulnérables. Cette manière de procéder, déjà
utilisée lors de la Seconde Guerre mondiale et remise à jour du-rant la guerre
froide107, a pour conséquence une désagrégation du commandement des forces
irakiennes, et une atomisation des forces qui poussent les ex-militaires du régime
dans les divers groupes de résistance. La différence toutefois – totalement ignorée
du commandement américain – est que, durant la dernière guerre mondiale et la
guerre froide, le concept s’appliquait à des forces qui n’étaient pas sur leur sol
national. Or, en Irak, les Américains sont les envahisseurs et les populations locales
installent des mécanismes de résistance. Dès lors, les groupes de résistance se sont
multipliés – comme cela a été le cas en France après 1940 – mais les Américains en
2003 n’ont ni un de Gaulle, ni un Jean Moulin, pour unifier la résistance et la
maîtriser ! À ce stade, un maintien, voire une reconstitution, d’une structure armée
est quasi-impossible.
Après la prise de Bagdad, il ne s’agit plus de combattre, mais de rétablir la
sécurité. Convaincus que la chute de Saddam Hussein apportera ipso facto un vent
de liberté et de démocratie au peuple irakien, les Américains ne s’attendent pas à
devoir mener une « guerre d’occupation » contre une résistance populaire. Les
jeunes GI’s, formés pour opérer sur des champs de bataille dynamiques, ne sont pas
préparés à une guerre de type anti-insurrectionnel et il faut relativement rapidement
les appuyer par des unités de réservistes et par la Garde nationale américaine, plus
mûres.

Les nombreux membres des compagnies de sécurité privées, comme la


compagnie américaine Black-water ou la compagnie britannique Aegis,
ont un statut juridique qui leur permet d’échapper aux conventions applicables aux
militaires réguliers. Ces « mercenaires » de faible niveau opérationnel et mal
préparés pour mener une contre-insurrection, qui requiert intelligence et sensibilité
culturelle, se livrent à des meurtres et massacres peu compatibles avec les valeurs
occidentales que l’intervention voulait apporter dans cette région108. Leurs
nombreux abus contribuent significativement à encourager les actions de résistance
et terroristes.
Dès 2004 déjà, l’incapacité des Américains à maîtriser la situation en Irak
même favorise le développement d’un foyer terroriste international dans le pays,
comme devait le confesser en 2004 le gouverneur de la province de Ninive,
Oussama Kashmoula :

Maintenant, l’Irak est ouvert à tous les terroristes […] Nous


avons arrêté des Iraniens, des Jordaniens, des Palestiniens, des
Algériens – je n’en connais pas le nombre109.

Pour faire face à cette situation, les Américains se lancent hâtivement dans la
reconstitution des forces de sécurité. Entre juin 2004 et septembre 2005, ils
distribuent quelque 185 000 fusils d’assaut AKM/AK-47, 170 000 pistolets, 215
000 gilets pare-balles et 140 000 casques. Mais l’exécution s’effectue dans la
précipitation et, jusqu’en décembre 2004, les armes n’ont fait l’objet d’aucun
enregistrement (!). Au final, dans cette opération, 110 000 fusils d’assaut et plus de
80 000 pistolets importés en Irak par les États-Unis ont été disséminés, sans laisser
aucune trace, sans que l’on sache exactement à qui ils ont été distribués110. Notons
ici qu’en Afghanistan, la situation n’est guère meilleure. De fait, les États-Unis ne
sont pas en mesure de dire exactement où sont les quelque 465 000 armes légères
distribuées aux forces armées afghanes et autres factions « amies », selon un rapport
d’audit de l’inspecteur-général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan111,
publié en juillet 2014112.
La « stratégie » du général Petraeus, appliquée dès 2007, basée sur le
financement de milices sunnites locales, a souvent été qualifiée de novatrice et de
« solution ». En réalité, il n’en est rien. Le fait d’exploiter les rivalités et loyautés
locales pour régler des problèmes d’insurrection est vieux comme le monde et avait
déjà été utilisé au Vietnam et au Laos par les Français, puis par les Américains, avec
succès. La différence – et non des moindres – est qu’en Irak les loyautés ne
s’articulent plus autour d’une idéologie politique, du pouvoir des tribus ou de
l’argent, mais autour de rapports de force entre communautés religieuses, ce que les
stratèges américains n’ont pas compris. Ainsi, dans leur volonté de « diviser pour
régner » les États-Unis ont distribué très libéralement des armes à divers groupes
armés sunnites, qui seront connus collectivement sous le nom de « Mouvement du
Réveil » ou des « Fils d’Irak ». Ceux-là mêmes qui constitueront la base de ce qui
deviendra plus tard l’État islamique.
L’incapacité des Américains à remettre en place un régime dont l’autorité se
positionne au-dessus des nombreux clivages de la société irakienne a provoqué un
déplacement des enjeux du domaine politique vers le domaine religieux. Comme on
l’avait observé en Palestine après la chute du monde communiste – qui soutenait
jusqu’alors la cause palestinienne –, l’élément fédérateur est devenu la religion,
alimenté par un communautarisme latent que le régime de Saddam Hussein était
parvenu à contenir par la force. Ce déplacement du curseur sur un logiciel religieux
a été totalement sous-estimé par les stratèges américains, ce qui était logique
puisqu’ils n’avaient pas su en tirer les conclusions 10 ans auparavant. Ainsi, les
combattants nouvellement équipés par les États-Unis se sont assez rapidement
retrouvés dans une opposition armée113, faisant réapparaître ces armes dans les
mains de combattants islamistes.
Cette polarisation des forces en présence le long de clivages religieux est
catastrophique pour les populations chrétiennes et autres minorités, qui
constituaient l’une des richesses culturelles et humaines de cette région. Ainsi, par
une cruelle ironie de l’Histoire, la lutte contre l’islamisme déclenchée par les
« bigots » chrétiens américains a conduit à la perte des chrétiens d’Orient.

Sous Saddam Hussein, il y avait 1 million de chrétiens


protégés par la loi en Irak. Depuis l’invasion, un demi-million a
fui ou a été tué114.

LA GUERRE EN LIBYE
Les diverses révolutions dites « citoyennes », qui ont touché l’Afrique du Nord
en 2010-2012, ont toutes comme point commun d’avoir été inspirées et menées par
une volonté politico-religieuse, sous les impulsions concurrentes du Qatar et de
l’Arabie saoudite. Leur intensité a été modulée en fonction des cultures politiques
locales, mais toutes ont visé les régimes modernistes laïcs issus des années 50-60,
qui avaient notamment promu le rôle de la femme dans la société et prônaient un
mode de vie occidental. La révolution libyenne n’a pas fait exception et a été menée
dès son début par des groupes fondamentalistes sunnites.
Le régime du président Kadhafi n’était à l’évidence ni démocratique, ni
conforme à la définition d’un État de Droit. Néanmoins, en 2010, selon les
Nations unies, la Libye était le pays dont l’index de développement
humain était le plus élevé d’Afrique115. Elle ne figurait plus sur la liste des
pays soutenant le terrorisme depuis le 15 mai 2007116 et, au contraire, participait
activement à la lutte contre l’islamisme radical aux côtés de l’Occident. Le
gouvernement Sarkozy avait négocié avec Kadhafi la vente d’avions de combat
Rafale. En clair, tout imparfait qu’il fût, le régime du président Kadhafi ne
constituait pas une menace pour l’Occident en 2011, et rien ne justifiait une
intervention militaire extérieure pour renverser son gouvernement.
Dans son livre sur le désastre de la politique américaine en Libye117, Peter
Hoekstra, député et ancien président de la Commission du renseignement de la
Chambre des représentants américains, rappelle qu’en 2003, il avait participé à une
délégation parlementaire américaine auprès du dirigeant libyen, qui avait conclu
que la Libye « se dirigeait dans la bonne direction ». Il constate par ailleurs que,
même après les attentats de la discothèque La Belle à Berlin (1986) ou du vol 103
de la Pan Am (1989), aucun gouvernement américain n’avait sérieusement pris en
considération l’idée de renverser Kadhafi. Alors pourquoi en 2011 ?
En 2011, un facteur déterminant a été le rôle actif de la France dans la
destitution de Mouammar Kadhafi. Pour de nombreux commentateurs, cette
opération est davantage associée à une manœuvre de politique intérieure
(comparable à celle qui avait conduit le président Bill Clinton à ordonner les
bombardements de 1998) qu’à l’expression d’une politique extérieure cohérente118.
En mars 2011, le Président Sarkozy – en baisse constante dans les sondages – est
donné perdant pour les présidentielles de 2012119. Il saisit alors l’opportunité de
s’impliquer dans un printemps arabe qu’on lui avait reproché de ne pas avoir vu
arriver en Tunisie, et ce afin de restaurer son image.

Il est aidé dans cette entreprise par un personnage qui cherche –


malgré sa méconnaissance complète de la région – à se créer une stature
internationale, Bernard-Henri Lévy (BHL), qui se fera le porte-voix de l’opposition
islamiste libyenne et colportera de fausses informations de nature à provoquer une
réaction de l’Occident.

Ainsi, l’ex-dirigeant de la révolution libyenne et chef du Conseil national de


transition (CNT), Moustafa Abdul Jalil, en 2014, avouera que le massacre de
Benghazi, qui aurait eu lieu entre le 16 et le 26 février 2011 et a servi de prétexte
aux frappes aériennes françaises, britanniques, et américaines, n’a jamais été
ordonné par Kadhafi, mais, en fait, a été effectué par des mercenaires islamistes
alliés et en intelligence avec ceux qui ont prôné l’intervention occidentale120. Or,
c’est l’information sur ce massacre, rapportée par Bernard-Henri Lévy121, qui, de
son propre aveu, sera déterminante pour l’intervention internationale et de la
France. En fait, BHL n’est que la façade de manipulations en sous-main, qui ont
débuté dès février 2011 avec l’aide de la DGSE, comme l’ont dévoilé les emails
d’Hillary Clinton, découverts lors de l’enquête sur son rôle dans la crise122.

De fait, des documents déclassifiés depuis les événements montrent que la


Defense Intelligence Agency (DIA), responsable du renseignement militaire
américain et qui avait des agents sur place, n’avait constaté aucune indication d’un
génocide imminent : les forces envoyées par Kadhafi pour engager la rébellion de
Benghazi étaient relativement modestes, n’étaient pas de nature à causer des
massacres de grande ampleur et une grande partie de la population avait déjà quitté
la ville. Pourtant, Hillary Clinton évoquait des dizaines de milliers de morts sur les
ondes d’ABC News le 27 mars 2011123, mais les analyses qui ne soutenaient pas la
politique du gouvernement ont systématiquement été mises de côté124.
C’est donc sur la base de manipulations et de rumeurs de génocide colportées
par la France et les États-Unis que la Résolution 1973 sera établie par le Conseil de
sécurité des Nations unies125, définissant un mandat de protection des civils qui
fournira le cadre légal des frappes occidentales et le prétexte pour le renversement
de Kadhafi.

Un mandat détourné

Avant même le début des bombardements aériens de l’OTAN menés sous le


couvert de la Résolution 1973, les États-Unis126, la France127 et la Grande-
Bretagne128 ont déployé des forces spéciales et leurs services spéciaux pour établir
un lien avec les Djihadistes et leur livrer des armes. Il est déjà clair, à ce stade, que
le mandat des Nations unies n’est qu’un prétexte que les Occidentaux vont
outrepasser pour renverser le régime. L’embargo sur les armes décrété par le
Conseil de sécurité en février 2011129 n’est – évidemment – pas respecté par les
membres même du Conseil : dès le début juin, la France procède à des parachutages
au profit des rebelles d’Al-Zintan et qui permettront d’ouvrir un troisième front
contre les forces gouvernementales130.
La Résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies visait
essentiellement à interdire l’usage de l’espace aérien par les forces armées
libyennes afin de protéger les civils d’éventuels bombardements. Mais en réalité,
les Occidentaux ont fourni un appui aérien aux troupes rebelles au sol dans le cadre
d’actions de combat, et non pour protéger des civils131. Au final, non seulement ces
frappes n’ont pas atteint l’objectif de protection des civils défini par la Résolution
1973 de l’ONU, mais elles ont clairement dépassé leur mandat en cherchant à
renverser le régime libyen, sans stratégie cohérente pour la conduite du pays,
comme l’avait relevé Marcel André Boisard, ancien sous-secrétaire général de
l’ONU :

Rien n’a été respecté. Aucun cessez-le-feu n’a été


véritablement négocié. La domination exclusive du ciel fut utilisée
pour appuyer les insurgés. La protection des civils fut le prétexte
pour justifier n’importe quelle opération. Il ne s’agissait plus de
protéger, mais de changer de régime. Le principe de
« responsabilité de protéger » est mort en Libye, comme celui de
l’« intervention humanitaire » avait péri en Somalie, en 1992132.

En fait, la résolution des Nations unies n’a été, en l’occurrence, qu’une


couverture légale pour une opération de renversement du pouvoir avec l’aide des
rebelles. En juin 2011, l’Amiral américain Samuel Locklear, commandant du
NATO Joint Operations Command à Naples, Italie, confie au député Mike Turner
(Républicain), membre de la commission des Services armés, que la mission définie
par l’OTAN comprend l’anéantissement de la chaîne de commandement, y compris
Kadhafi133.
Quant à la mission de protection des civils, qui constituait la base du mandat des
Nations unies pour les frappes occidentales, elle n’a pas suscité la moindre analyse
ou réflexion au niveau de la conception des opérations. Soucieux d’affaiblir les
forces gouvernementales, les états-majors occidentaux ont réfléchi selon le canevas
des opérations conventionnelles et ont coupé les structures de conduite militaires,
laissant ainsi les troupes gouvernementales sur le terrain sans commandement et
livrées à elles-mêmes. Ainsi, paradoxalement, dès le début des bombardements, les
rapports sur les exactions contre les civils ont augmenté de manière dramatique134 !
Ceci, sans mentionner les victimes « collatérales » des frappes occidentales135, ni
les crimes commis par les rebelles avec l’appui des forces aériennes françaises et
britanniques, comme la ville de Tawarga entre le 11 et le 13 août 2011136 – forte de
plus de 30 000 habitants, essentiellement des travailleurs de race noire, dont la
population a été massacrée ou chassée de la ville et enfermée dans des camps par
les combattants rebelles de Misrata. Ce triste épisode est en partie le résultat de la
propagande occidentale et islamiste qui avait fait passer fallacieusement ces
travailleurs pour des mercenaires étrangers (« payés grassement », selon Bernard-
Henri Levy) et ainsi propager l’idée que Kadhafi cherchait à massacrer son propre
peuple. Les organisations comme Amnesty International – pas vraiment indulgentes
à l’égard du régime libyen, et qui avaient, dans un premier temps, soutenu ces
allégations – ont effectivement constaté cette manipulation137.
En fait, le mandat de protection des civils n’a été, en l’occurrence, qu’une
couverture légale pour une opération de renversement du pouvoir avec l’aide des
rebelles.
L’opposition libyenne, soutenue par la coalition internationale, est représentée
dans les médias occidentaux avec des contours adoucis, propres à créer l’adhésion
des opinions publiques :

Leur Conseil de Coordination est composé de professionnels


séculiers – avocats, universitaires, hommes d’affaires – qui
parlent de démocratie, de transparence, de droits humains, et
d’État de droit138.

Or, la nature islamiste de la rébellion était alors parfaitement connue. Non


seulement « les rebelles ne sont clairement pas des civils, mais une force
armée139 », mais il s’agissait des mêmes combattants que ceux qui affrontaient la
coalition occidentale en Irak. Une étude du Combating Terrorism Center de
l’Académie militaire de West Point aux États-Unis, datée de 2007140, démontrait
clairement que la majorité des combattants islamistes libyens en Irak provenait
principalement (88,6 %) de la région de Darnah-Benghazi, la région dans laquelle la
révolution libyenne avait commencé.
Dès mars 2011, les services de renseignement libyens constatent que des avions
de l’« OTAN » atterrissent à Benghazi et en Tunisie pour délivrer des armes à la
rébellion, et informent les services occidentaux – dans un rapport secret rédigé en
anglais – que les groupes qui reçoivent ces armes sont affiliés à « Al-Qaïda141 ».
Le fait était d’ailleurs confirmé en mars 2011 déjà par Abdel-Hakim al-
Hasidi142 et il jette une lumière bien crue sur la naïveté du discours de Bernard-
Henri Lévy à Benghazi, le 13 avril 2011143 (où il fait un parallèle entre la révolution
libyenne et les tribus d’Israël), et du gouvernement français d’alors.
La révolution libyenne, plus clairement que ce qui s’est passé en Tunisie, voire
en Égypte, n’est pas le fruit d’un mouvement populaire, mais s’est articulée autour
de groupes islamistes djihadistes, au centre desquels se trouvait le Groupe islamique
combattant en Libye (GICL) (Al-Jama’ah al-Islamiyyah al-Muqatilah bi-Libya). Le
GICL, soutenu par la coalition occidentale, est apparu en 1995, avec pour objectif le
renversement de Kadhafi, et avait fait partie du Comité du Djihad créé par Oussama
Ben Laden dans les années 90. Il était non seulement désigné comme organisation
terroriste par les États-Unis144, mais il s’agissait du second plus grand fournisseur
de combattants étrangers en Irak prêts à se battre contre la Coalition145. En
novembre 2007, Ayman al-Zawahiri, alors considéré comme le bras droit
d’Oussama Ben Laden, annonce que le GICL s’est associé à la mouvance
djihadiste, surnommée « Al-Qaïda146 ».
Abdel-Hakim al-Hasidi était un des chefs du GICL lorsqu’il a été capturé à
Peshawar (Pakistan), en 2002, remis aux Américains, puis livré à la Libye qui l’a
libéré en avril 2008 avec plusieurs dizaines de militants, à la suite d’un accord avec
Kadhafi pour que le mouvement abandonne la violence. Il a alors recruté des
combattants pour la résistance armée irakienne… pour lutter contre les
Occidentaux. Le chef du GICL, Abdel Hakim Belhadj, sera plus tard l’interlocuteur
des Américains pour assurer le transfert d’armes légères vers la Syrie.
Il était donc très clair, dès le début de l’insurrection libyenne, qu’il ne s’agissait
pas d’une révolution citoyenne pour la démocratie, mais d’une tentative des
islamistes pour s’emparer du pouvoir en profitant de la crédulité – et de l’ignorance
– des Occidentaux. Cette coopération ambiguë entre l’Occident et des groupes
terroristes islamistes n’est pas nouvelle, puisque les services secrets britanniques
avaient déjà coopéré en 1996 avec le GICL dans une tentative d’assassinat de
Mouammar Kadhafi147.
En fait, la révolution libyenne ne suit pas le schéma de la révolution tunisienne.
Kadhafi est détesté en Occident, mais il jouit toujours d’une importante popularité
en Libye même. Comme dans les conflits précédents, la révolution libyenne sera
l’objet d’une intense campagne de désinformation destinée à discréditer le régime.
Ainsi, afin d’encourager le soutien international et de décourager la résistance
populaire favorable à Kadhafi, la prise de Tripoli par les forces rebelles a été
falsifiée dans les studios d’Al-Jazira et diffusée sur les chaînes de télévision du
monde148.
Comme dans les crises précédentes, ce qui est choquant, ce n’est pas seulement
le dilettantisme et la naïveté dont ont fait preuve des acteurs de la crise – qui ni ne
connaissaient, ni ne comprenaient la réalité libyenne – mais l’absence d’esprit
critique qui aurait permis de déceler une manipulation et son corollaire : le fait que
les mécanismes républicains n’aient pas été en mesure d’amener les éléments
correcteurs à des décisions qui étaient à l’évidence erronées. Les développements
en Libye étaient bien suivis et évalués au siège des Nations unies à New York, et les
risques générés par cette intervention avaient été correctement anticipés. La
question se pose de savoir comment, en France, les services de renseignement – que
l’on crédite d’une bonne connaissance du monde africain – évaluaient alors la
situation et dans quelle mesure ils ont été intégrés au mécanisme de décision.
Trois ans après l’intervention occidentale, la Libye est considérée comme un
« État failli » en proie aux rivalités tribales149.

La préparation de la crise syrienne

À peine la Libye tombée aux mains des islamistes en octobre 2011, les États-
Unis et la France ont déjà un œil sur le prochain théâtre d’opérations : la Syrie.
Ce dessein sera servi par la quantité incroyable d’armes accumulées en Libye,
que certains experts expliquent de manière assez simpliste par la recherche d’un
« apanage de puissance150 » par le colonel Mouammar Kadhafi. En réalité, il faut
rappeler que – comme nous l’avons vu plus haut – depuis 2001, les États-Unis
avaient un plan qui devait conduire au renversement du régime libyen. Ainsi,
convaincu qu’il serait l’objet d’une agression occidentale, le colonel Kadhafi avait
organisé la défense de la Libye avec des dépôts d’armes répartis sur l’ensemble du
territoire, afin de constituer une véritable résistance par des milices et tribus locales,
comme l’avait fait naguère le Mahdi soudanais contre les Britanniques. Rappelons
ici que la Libye n’était pas un État au sens westphalien du terme, mais une
coordination entre les diverses tribus du pays. De même, après le raid américain
d’avril 1986, où il a perdu sa petite-fille, le président libyen s’est pris d’une
véritable obsession de la défense aérienne et a acquis plusieurs dizaines de milliers
de missiles antiaériens – portables ou non – également répartis sur une bonne partie
du territoire. Après les frappes aériennes occidentales qui ont disloqué les structures
de conduite de l’armée libyenne, ces armes se sont retrouvées à la portée des
groupes les plus divers.
L’ambassadeur américain Chris Stevens, mandaté dès mars 2011 par le
Département d’État pour assurer la liaison avec Abdel Hakim Belhadj du Groupe
islamique combattant en Libye (GICL) – qui est alors encore sur la liste des
mouvements terroristes étrangers du Département d’État américain151 –, négocie
pour racheter les armes découvertes dans les dépôts et caches des forces de sécurité
libyennes afin de les fournir aux rebelles syriens. En novembre 2011, Belhadj se
rend à Istanbul, où il rencontre les représentants de l’Armée syrienne libre, dans le
but officiel de leur fournir des armes et de les soutenir financièrement152. À la
même époque, le journal turc Milliyet rapporte que les services français sont à
Tripoli (au Liban) avec leurs homologues américains pour prendre contact avec les
rebelles syriens, afin d’organiser la révolte contre le gouvernement légal de Bachar
al-Assad et d’entraîner des milices rebelles153.
Dès le début 2012, la CIA met en place une « Rat Line » (« Couloir de rats »)
pour acheminer les armes libyennes vers la Syrie via la Turquie. Il s’agit
essentiellement d’une filière clandestine destinée à acheminer des armes vers
l’Arabie saoudite et le Qatar, puis vers la Turquie et la Croatie d’où elles sont
envoyées vers la Syrie. En Syrie, les armes sont prises en charge par des agents de
la CIA qui les répartissent entre les divers groupes de l’opposition armée154.
L’attaque du 11 septembre 2012 contre le « consulat » américain de Benghazi –
en réalité, l’antenne de la CIA en Libye, placée sous la protection de la Brigade des
martyrs du 17 février155, dont la page d’accueil sur Facebook est alors ornée d’un
combattant avec le drapeau djihadiste, et qui a donné naissance au groupe Ansar al-
Sharia, l’un des plus virulents groupes djihadistes de la région – avait pour objet les
missiles antiaériens SA 7156, que l’ambassadeur américain Chris Stevens (mort dans
l’attentat) avait convenu de faire transporter en Syrie par Abdel Hakim Belhadj,
chef du Conseil militaire de Tripoli et ancien chef du GICL157.
LA GUERRE EN SYRIE ET LA MONTÉE DE L’ÉTAT
ISLAMIQUE

La Syrie – La confusion entre les deux Assad

Le régime syrien est l’héritier des mouvements nationalistes arabes des années
50. Il combine nationalisme et socialisme et suit une évolution comparable à celle
de la Tunisie et de l’Égypte. Directement impliquée dans les divers conflits israélo-
arabes, et abritant une grande quantité de réfugiés palestiniens, la Syrie tente de
maintenir une stabilité dans la région frontalière avec Israël. En juillet 1976, c’est à
la demande des milices chrétiennes que la Syrie intervient au Liban pour combattre
la montée en puissance des Palestiniens qui déstabilisent le sud du Liban.
Lorsqu’Israël intervient au Liban en 1982 – également pour combattre les
Palestiniens – l’armée syrienne évite l’affrontement et se retire dans la région de la
Bekaa. À ce moment, la Syrie fait face à une autre menace interne : la montée des
Frères musulmans en Syrie (Ikhwan al-Muslimin fil-Suriya). Leur insurrection
comprend de multiples assassinats et attentats à la bombe. Le 16 juin 1979, le
massacre d’entre 32 et 83158 jeunes cadets de l’armée syrienne, déclenchera la
colère d’Hafez al-Assad, et conduira en 1982 à un siège de 27 jours de la ville de
Hama, aboutissant à la liquidation des Frères musulmans. Il en restera l’image d’un
régime brutal, qui sera accentuée par la propagande occidentale en raison de
l’alignement de la Syrie sur Moscou tout au long de la guerre froide. Pourtant, si le
régime syrien n’était certes pas romantique, il était loin d’être sanguinaire.
En 1990, la Syrie avait clairement pris le parti de la coalition occidentale contre
l’Irak. Des unités de combat syriennes avaient été déployées au sein de la coalition
pour l’Opération DESERT STORM, et des membres des forces spéciales
américaines avaient même été intégrés aux 14 500 militaires syriens afin d’aider les
officiers syriens pour la traduction. L’objectif des Syriens est alors de se rapprocher
des États-Unis afin de trouver une solution sur la question du Golan.
Durant la guerre froide, l’Union soviétique animait une véritable politique et
économie de guerre, qui justifiait une aide militaire exorbitante. La Syrie – ainsi
que la Libye et l’Algérie – était considérée comme essentielle pour prévenir un
encerclement stratégique en Méditerranée et éviter les effets néfastes d’une
fermeture des détroits turcs. Après la chute du régime communiste, la Russie donne
la priorité à sa propre reconstruction. Des pays comme Cuba et la Syrie –
jusqu’alors sous « perfusion » – ne peuvent plus compter sur son aide et doivent
s’engager dans une nouvelle voie, ce qui se traduit pour la Syrie par la volonté
affichée d’engager un dialogue avec l’Europe, les États-Unis et Israël.
Avec l’appui du président américain, la Syrie entame des négociations directes
avec Israël. Une première réunion secrète aura lieu le 8 décembre 1999, suivie le 15
décembre par une réunion plus officielle à Washington, entre le ministre des
Affaires étrangères syrien Farouk al-Sharaa et le Premier ministre israélien Ehud
Barak. Un retrait du Golan était en principe accepté par les Israéliens, avec toutefois
un maintien de souveraineté israélienne sur certains secteurs. La réunion du 26 mars
2000 entre Hafez al-Assad et le président Clinton ne permettra pas de conclure un
accord et restera considérée comme un échec. Une voie vers la paix existe donc,
mais elle ne sera approfondie.
La suite des événements contribuera à dégrader la situation : la mort d’Hafez al-
Assad (juin 2000), le début de la seconde Intifada en Israël, l’élection du président
Bush aux États-Unis, l’arrivée d’Ariel Sharon au pouvoir en Israël, puis le 11
Septembre sonneront le glas de ces tentatives de paix et figeront les positions anti-
syriennes en Occident, malgré les tentatives d’ouverture que Bachar al-Assad
poursuivra, dans la ligne de son père. Porté au pouvoir un peu malgré lui, Bachar
Al-Assad n’est pas l’homme barbare que l’on décrit habituellement. Sa culture
personnelle est celle d’un médecin ayant étudié et vécu en Occident. Il est l’héritier
d’un régime, avec lequel il doit fonctionner, mais qu’il a commencé à réformer,
avec de réels efforts d’ouverture159.
Peu après le 11 Septembre, les États-Unis définissent un « Axe du Mal », qui
n’inclut pas la Syrie. Mais le Département d’État continue à la décrire comme un
« État soutenant le terrorisme », tout en soulignant que la Syrie n’a plus été
directement impliquée dans les opérations terroristes depuis 1986160. Il est vrai
qu’un contentieux subsiste, car ont trouvé refuge en Syrie les chefs de certains
groupes palestiniens marxistes des années 70-80, mais, dont l’importance et
l’influence sont devenues quasi-nulles dans un environnement fortement imprégné
de Djihadisme. La lutte menée par le régime syrien contre les Frères musulmans au
début des années 80, et la guerre qui ravage le pays dès 2012, montrent que le
gouvernement syrien n’avait pas d’intérêt particulier à soutenir les extrémistes
sunnites.
Malgré l’impasse des négociations avec Israël, et le poids de sa présence au
Liban, la Syrie parvient à maintenir une image globalement neutre, qui se dégradera
cependant en. Les États-Unis cherchent alors à créer leur coalition contre l’Irak. Le
secrétaire d’État américain, Colin Powell, visite Bachar Al-Assad alors placé devant
le difficile choix « d’être pour les Américains ou contre les Américains ». À ce
moment, l’opinion publique arabe est consciente – tout comme la Turquie – du
danger d’une intervention en Irak et du risque de déstabilisation régionale qu’elle
impliquera nécessairement. Comme l’expliquait Bachar Al-Assad aux Américains :

J’ai dit aux Américains comment lutter contre Al-Qaïda après


le 11 septembre. Qu’il ne faut pas faire la guerre. Qu’il est
impossible de lutter contre le terrorisme si vous êtes en guerre. La
guerre ne fait que rendre service aux terroristes. C’est comme un
cancer, au lieu de retirer toute la tumeur, vous allez la découper.
Lorsque vous le découpez, le cancer se propage161.

La Syrie ne rejoindra donc pas la nouvelle coalition, mais elle subira l’impact de
la guerre en accueillant entre 1 et 1,5 million de réfugiés irakiens, essentiellement
des sunnites – dont certains radicalisés par la présence occidentale –, qui
contribueront à sa déstabilisation quelques années plus tard. La frontière avec
l’Irak, qui avait été fermée en 1991, a été rouverte en 1997, permettant à plusieurs
centaines de milliers d’Irakiens d’échapper aux effets de l’embargo occidental
contre l’Irak. En 2003, le flot de réfugiés est massif et les tentatives syriennes pour
maîtriser la situation le long des 600 km de frontière avec l’Irak sont vaines. Sous la
pression américaine, la Syrie ferme ses 5 postes frontières avec l’Irak afin
d’empêcher les rebelles irakiens d’alimenter la résistance contre l’occupation
américaine.
À ce stade, bien que neutre dans ce conflit, la Syrie essaie de se rapprocher de
l’Occident. Dès le 11 Septembre, la Syrie coopère activement à la lutte contre les
mouvements islamistes radicaux et djihadistes (« Al-Qaïda ») avec le
Commandement des opérations spéciales américain. En 2002, Bachar al-Assad
autorise le partage de centaines de documents avec les services occidentaux sur les
activités des Frères musulmans en Syrie et en Allemagne. La Syrie participe au
programme de détention secrète de la CIA américaine et accueille les prisonniers
qu’elle lui livre162. Elle fournit également des centaines de documents à la CIA qui
avoue que « la qualité et la quantité des informations en provenance de Syrie ont
dépassé les attentes de l’Agence », mais également que la Syrie « a reçu bien peu en
retour163 ».
Ne participant pas à la coalition occidentale en Irak, la Syrie est isolée.
L’ouverture voulue par le président Bachar ne se fait pas et l’éventail de ses alliés se
réduit. La situation sera encore plus problématique après l’attentat contre l’ex-
Premier ministre libanais Rafic Hariki, le 14 février 2005 à Beyrouth, qui placera –
opportunément – la Syrie dans le collimateur de la communauté internationale et
obligera son retrait du Liban. L’isolement de la Syrie renforce les liens avec l’Iran –
où Mahmoud Ahmadinejad est porté au pouvoir grâce à l’intervention américaine
en Irak – créant un nouveau problème.
Le tribunal international chargé d’instruire l’assassinat de Rafic Hariri a dirigé
ses investigations vers la Syrie, avant de se tourner vers le Hezbollah libanais. Mais
les bonnes relations entre le Hezbollah et Rafic Hariri (entre autres le fait que Rafic
Hariri et Nasrallah venaient de constituer un « comité permanent conjoint
regroupant le Courant du futur et des cadres du Hezbollah dans le but de préparer
les élections parlementaires de 2005164 »), les dénégations de la Syrie et l’absence
de motifs réels ont rendu ces accusations extrêmement fragiles165. En fait, le
tribunal international a d’emblée exclu d’autres auteurs probables de l’assassinat et
notamment Israël, qui en est le principal bénéficiaire. Malgré le fait que de
nombreux éléments techniques et politiques tendent à démontrer son implication,
l’enquête ne se dirigera jamais dans cette direction. En effet, les manœuvres de
rapprochement de la Syrie vers l’Occident et son attitude coopérative vis-à-vis des
États-Unis dans la lutte contre le terrorisme sunnite étaient de nature à affaiblir la
position d’Israël dans la région166.
Un autre phénomène, qui entre dans l’équation de la stabilité de la Syrie dans
cette région troublée, est l’impact de la sécheresse qui affecte la Syrie entre 2005 et
2010, touchant en majeure partie l’agriculture et les zones sunnites du pays,
s’ajoutant à l’immigration en provenance d’Irak, et qui accentue la pression sur une
économie syrienne affaiblie167.
Un changement – que les « stratèges » américains, qui voulaient renverser
Saddam Hussein en s’appuyant sur la majorité chiite en Irak, n’avaient pas anticipé
– est l’émergence d’une ceinture chiite autour de l’Arabie saoudite, entre l’Iran et le
Liban, modifiant ainsi l’équilibre géostratégique entre les communautés chiite et
sunnite dans la région. Le sentiment d’encerclement qui en résulte poussera
l’Arabie saoudite – et le Qatar – à réaffirmer la prépondérance du sunnisme dans le
monde islamique grâce aux « révolutions arabes » ou « révolutions citoyennes » : ce
sont les interventions militaires au Bahreïn et au Yémen, et le soutien aux
révolutions contre les gouvernements « laïcs » issus du nationalisme arabe dans les
années 50-60 (la Tunisie, l’Égypte, la Libye, l’Irak et la Syrie).
Il est certain que la Syrie n’est pas un État démocratique au sens où nous
l’entendons en Europe et qu’elle nécessite des réformes. Mais, comme la Tunisie et
l’Égypte, elle n’est pas non plus une tyrannie méthodique et impitoyable comme
l’était l’Union soviétique sous Staline.

Le fait est que le peuple syrien est très amical et tolérant avec
les communautés minoritaires. Le citoyen syrien doit faire son
service militaire obligatoire et ainsi les différentes religions sont
brassées et les liens se créent au-delà des barrières religieuses.
C’est une société très cosmopolite168.

En fait, le principal défaut de la Syrie est d’être un ennemi d’Israël. Un


document stratégique établi en 1996 par un Think Tank américain pour le Premier
ministre israélien, Benjamin Netanyahu, définit la stratégie israélienne pour la
région169 : une déstabilisation de la région, y compris le renversement des
gouvernements irakien et syrien, au lieu d’une paix générale ; un droit de poursuite
et d’intervention accru dans les territoires palestiniens ; et une coopération
renforcée avec les États-Unis. Il est intéressant de constater que ce document a été
rejeté par Netanyahu, alors Premier ministre ; mais ses auteurs, qui seront largement
représentés dans le gouvernement Bush, s’en inspireront pour façonner leur
politique au Moyen-Orient170.

La rébellion syrienne et son soutien occidental

Comme nous l’avons vu, apparemment, les États-Unis avaient déjà un


plan pour renverser toute une série de gouvernements au Proche-Orient, y
compris le régime syrien, dès septembre 2001. Avec le début des prétendues
« révolutions citoyennes » de 2010-2012, les intérêts saoudiens et américains
semblent alors se rejoindre. Le caractère préparé de la révolution syrienne – et
l’absence totale de dimension populaire – est confirmé par Roland Dumas, ancien
ministre des Affaires étrangères de la France, qui déclarait avoir été contacté deux
ans avant la crise syrienne par les services secrets britanniques en vue d’une
opération destinée à renverser le régime de Bachar Al-Assad. Au début 2011 donc,
conformément au plan dévoilé par le général Wesley Clark en 2006, que nous avons
évoqué auparavant, se préparait déjà en Grande-Bretagne, avec les États-Unis, une
insurrection qui visait à mettre au pouvoir une faction dissidente de l’armée
syrienne171.

Des messages diplomatiques entre l’ambassade américaine de Damas


et Washington, publiés par WikiLeaks, témoignent d’un effort de
l’administration américaine afin de déstabiliser le gouvernement syrien dès 2006,
en esquissant toute une série d’opérations possibles pour soutenir une stratégie de
subversion172 dont l’objectif est de créer une situation qui vise à mettre « Bachar
personnellement dans une situation d’anxiété, qui le pousse à agir de manière
irrationnelle173 ». Il s’agissait donc de pousser Bachar al-Assad à commettre des
crimes, afin d’en prendre prétexte pour intervenir.
Les premières manifestations en Syrie ont éclaté le 15 mars 2011 dans la ville
de Daraa, au sud du pays à proximité de la frontière israélienne. Il est important de
mentionner ici qu’à l’inverse des autres révolutions arabes – notamment en Tunisie
et en Égypte – qui avaient débuté dans les grandes villes, grâce aux étudiants et aux
réseaux sociaux, ces derniers n’ont pratiquement pas été utilisés en Syrie. On a
largement caché en Occident – et en France en particulier – que le Président Assad
n’a pas ressenti le besoin d’interrompre l’accès à l’Internet et aux réseaux sociaux
qui ont fonctionné normalement, depuis qu’ils ont été totalement libérés de toute
censure en février 2011, malgré l’insurrection. La seule interruption du trafic sur
Internet a été en novembre 2012, ce que es médias « alignés », comme le quotidien
belge Le Soir174 ou Le Monde175, ont immédiatement interprété comme une
tentative du gouvernement syrien de brider l’opposition. Or, il s’agissait en fait,
comme l’explique Edward Snowden176, d’une erreur de manipulation de l’unité de
sabotage informatique de la National Security Agency (NSA) américaine – la S32
Tailored Access Operations (TAO) – lors de leur tentative d’implanter des virus sur
les serveurs syriens177 !
Symptomatiquement, sur la page Facebook de la révolution syrienne, le point de
départ de l’insurrection est placé au 18 janvier 2011178, c’est-à-dire deux mois
avant les manifestations de Daraa, indiquant que les manifestations de Daraa puis
d’Homs et d’autres villes du pays n’étaient pas si spontanées que les médias
occidentaux ont tenté de le présenter, mais ont fait l’objet d’une planification
soigneuse. La manifestation de Daraa, présentée dans les médias occidentaux
comme « pacifique », fut en réalité particulièrement violente, ainsi que le rapporte
le journal israélien Arutz Sheva179.
Le Père jésuite néerlandais Frans van der Lugt, vivant en Syrie depuis les
années 60, est un témoin oculaire des premières manifestations de 2011 en Syrie. Il
écrit :

Dès le début, les manifestations n’étaient pas purement


pacifiques. Dès le début, j’ai vu des manifestants armés marchant
avec les autres manifestants, et qui ont tiré sur les policiers en
premier. Très souvent, la violence des forces de sécurité a été une
réaction à des actes de violence brutaux de la part des rebelles180.

L’engagement de provocateurs au sein des manifestants pour éliminer des


agents des forces de police, provoquer une escalade de la répression afin de stimuler
une insurrection populaire, et faire porter la responsabilité au gouvernement, semble
avoir été la stratégie utilisée.

De plus, dès le début il y a eu le problème des groupes armés,


qui sont aussi partis de l’opposition… L’opposition de la rue est
beaucoup plus forte que toute autre forme d’opposition. Et cette
opposition est armée et emploie fréquemment la brutalité et la
violence, de sorte à en faire porter la responsabilité au
gouvernement. De nombreux représentants du gouvernement ont
été torturés et tués par eux181.

Pourtant, le gouvernement syrien montre une grande retenue dès le départ des
événements. En septembre 2011, le groupe d’analyse américain Stratfor, basé au
Texas et spécialisé dans l’analyse stratégique des conflits, écrivait à propos de la
situation en Syrie :

L’opposition doit trouver une manière de maintenir le discours


du « Printemps arabe », et il faut s’attendre donc à un flot
d’informations sur la brutalité du régime et de la valeur de
l’opposition. Bien qu’il soit certain que des manifestants et des
civils aient été tués, il n’y a pas d’information évidente sur une
brutalité massive, comme il y avait eu en 1982 ou dans d’autres
remises à l’ordre de la région. Stratfor n’a décelé aucun signe
d’usage d’armes lourdes pour massacrer des civils ou créer des
dégâts de combat significatifs, bien que des mitrailleuses de 12,7
mm montées sur des véhicules blindés aient été utilisées pour
disperser la foule182.

C’est donc plus tard, comme nous le verrons, que le conflit se durcit, après que
les pays occidentaux, notamment la France183, la Grande-Bretagne et les États-
Unis, ont formé des combattants et fourni des armes aux insurgés. À ce moment,
l’État islamique n’est pas encore apparu en Syrie, mais les atrocités commises par
les rebelles – notamment les décapitations de chrétiens –, elles, sont bien réelles184,
et les armes livrées par les Occidentaux ne sont pas utilisées comme levier pour
moraliser le conflit, bien au contraire.
Afin de justifier son intervention en Syrie, le gouvernement français a simplifié
à l’extrême la situation sur le terrain, en divisant les intervenants en deux catégories
principales : le gouvernement et les opposants, qui se subdivisent en l’État
islamique (« Daech »), les islamistes modérés et les Kurdes. L’opposition étant
considérée par définition comme légitime, toutes les pertes (soit environ 220 000
personnes – chiffre qui n’a jamais fait l’objet d’une quelconque vérification) sont
ainsi attribuées au gouvernement syrien.
La réalité est plus complexe. En 2015, on peut évaluer le nombre des groupes
armés combattant en Syrie à environ 1200, toutes tendances confondues. Avant
l’émergence de l’État islamique, ces groupes peuvent être catégorisés comme suit :
- L’opposition islamiste, qui se subdivise de la manière suivante, d’après les
islamistes eux-mêmes185 :
• Les factions islamiques, qui regroupaient les groupes djihadistes y compris
les combattants étrangers (« Muhajirin »), comme l’État islamique en Irak, issues de
l’État-Islamique en Irak et en Syrie, apparus comme groupes de résistance à
l’occupation occidentale de l’Irak ;
• Les factions « islamiques » avec un agenda nationaliste, qui privilégiaient la
dimension islamique, dans un contexte nationaliste. Elles sont fondées sur une
doctrine salafiste, et leurs combattants ont une pratique religieuse plus assidue.
Dans cette catégorie, on compte les Hommes libres du levant (Ahrar al-Sham),
l’Armée de l’Islam (Jaysh al-Islam), le Front al-Nosrah (Jabhat al-Nosrah186 ou
Jabhat al-Jawlānī) ;
• Les factions nationalistes avec un agenda « islamique », qui sont
essentiellement nationalistes, mais ont un langage islamiste. Dans cette catégorie se
trouvent, notamment, le Front islamique (Jabhat al-Islamiya), l’Armée des
moudjahidines (Jaïsh al-Moudjahidin), le Front levantin (Jabhat al-Shamiyyah), le
Corps du levant (Faylaq ash-Sham), etc.
• Les factions laïques avec un agenda séculier, qui comprend l’Armée
syrienne libre (ASL), dont l’existence effective sur le terrain reste un objet de
controverses.
- Des acteurs, qui ne sont pas le gouvernement syrien, qui ne partagent pas
nécessairement les vues du gouvernement, mais qui sont de son côté car il s’agit de
leur sécurité – et de leur survie – face aux islamistes sunnites :
• Les milices locales d’auto-défense villageoises laïques, sans coloration
religieuse particulière ;
• Les milices locales chiites ;
• Les milices chrétiennes, assyriennes, ou syriaques ;
• Les milices du Hezbollah ;
• Les milices kurdes.
La « sur-simplification » de cette réalité par le gouvernement français a ouvert
la porte à une critique virulente contre Bachar al-Assad, en délimitant de manière
plus nette et artificielle le camp des « méchants » et celui des « gentils ». Le
problème est que cette simplification appliquée au terrain, à travers un soutien
matériel, financier et militaire à l’opposition au régime, a tout simplement sacrifié
les communautés chrétiennes comme nous le verrons.
Il faut rappeler ici que la Syrie est le berceau des plus anciennes formes de
chrétienté. Dès 2004, le pays a accueilli ces populations persécutées – et délaissées
par les pays occidentaux – depuis l’intervention américaine en Irak. Dès 2011, en
Syrie, avec le soutien occidental à l’insurrection sunnite, les massacres des
populations syriaques, chiites, chrétiennes, alaouites, kurdes, assyriennes,
ismaéliennes et autres ont suivi le même schéma qu’en Irak. Dénoncés par Amnesty
International187, ces massacres n’ont suscité aucune réaction, tandis que les
tentatives occidentales de renverser le gouvernement syrien – qui les protège –
provoqueront l’explosion de l’émigration syrienne (en grande partie chrétienne) dès
l’été 2014.
Très tôt, l’absence de chiffres précis et fiables sur le nombre total de victimes du
conflit syrien devient un outil politique en Amérique et en Europe. Assez
logiquement, le gouvernement syrien ne fait pas d’annonce sur ses pertes afin de ne
pas démoraliser ses troupes – le crédit des rebelles en la matière est plus que
discutable –, tandis que l’absence de la présence internationale rend l’évaluation du
nombre des morts extrêmement hasardeuse et ouvre la porte à la propagande et la
désinformation.
En fait, une seule source d’information s’est imposée dès le début de
l’insurrection syrienne : l’Observatoire syrien des Droits de l’homme (OSDH). Un
nom pompeux qui cache une réalité bien modeste. Basé dans un appartement de
deux pièces à Londres, l’OSDH est géré par un seul individu, Rami Abder Rahman,
ancien opposant sunnite au régime syrien, qui tient une boutique de vêtements188.
La qualité relative des informations de l’OSDH est relevée par l’ancien chef du
renseignement de sécurité de la DGSE, Alain Chouet189 :

Si vous vous informez sur la Syrie par les médias écrits et


audiovisuels, en particulier en France, vous n’aurez pas manqué
de constater que toutes les informations concernant la situation
sont sourcées « Observatoire syrien des droits de l’homme »
(OSDH) ou plus laconiquement « ONG », ce qui revient au même,
l’ONG en question étant toujours l’Observatoire syrien des Droits
de l’homme.
L’Observatoire syrien des Droits de l’homme, c’est une
dénomination qui sonne bien aux oreilles occidentales dont il est
devenu la source d’information privilégiée voire unique. Il n’a
pourtant rien à voir avec la respectable Ligue internationale des
Droits de l’homme. C’est en fait une émanation de l’Association
des Frères musulmans et il est dirigé par des militants islamistes
dont certains ont été autrefois condamnés pour activisme violent,
en particulier son fondateur et premier président, Monsieur Ryadh
el-Maleh. L’OSDH s’est installé à la fin des années 80 à Londres
sous la houlette bienveillante des services anglo-saxons et
fonctionne en quasi-totalité sur fonds saoudiens et maintenant
qataris190.

L’absence totale d’analyse et de capacité de recoupements n’a absolument pas


dérangé les médias et services de renseignement des pays occidentaux, qui ont
quantifié de manière invérifiable la répression du gouvernement de Bachar alAssad,
justifiant ainsi leur politique à l’égard du régime. Le député démocrate Tulsi
Gabbard, membre de la Commission des services armés de la Chambre des
représentants américaine, souligne :

Les histoires que l’on raconte sur Assad actuellement sont les
mêmes que ce que l’on racontait sur Kadhafi, les mêmes que l’on
racontait sur Saddam Hussein, par ceux qui défendaient les États-
Unis pour renverser ces régimes. Si cela devait arriver en Syrie,
nous finirions par avoir une situation de beaucoup plus grandes
souf-frances encore, beaucoup plus de persécutions de minorités
religieuses et de chrétiens en Syrie, et notre ennemi deviendrait
considérablement plus puissant191.
Au Conseil de sécurité des Nations unies, la discussion est bloquée. La Russie
et la Chine, qui s’étaient senties trompées en 2011 par la France et ses alliés
occidentaux avec la Résolution 1973 sur la Libye, ne sont plus disposées à accepter
des interventions sans stratégie de long terme et la politique occidentale du fait
accompli, qui se solde par le chaos, comme en Libye. D’autant plus que les
commentaires de Laurent Fabius, en août 2012, laissent peu de place à
l’imagination, et montrent clairement que l’objectif de la France est de renverser le
pouvoir syrien :

Le régime syrien doit être abattu, et rapidement […] Bachar


el-Assad ne mériterait pas d’être sur la terre192.

La presse occidentale s’est volontiers déchaînée contre ces deux


superpuissances, en restant cependant silencieuse sur la désinvolture avec laquelle
les Occidentaux ont appliqué les décisions du Conseil de sécurité sur la Libye, qui
ont amené les blocages sur la question syrienne.

Le soutien occidental

Les activités de subversion contre le gouvernement de Bachar al-Assad ont


commencé dès 2005-2006 sous le Président George W. Bush, et se sont poursuivies
sous Barak Obama. C’est à l’occasion de l’intervention israélienne au Liban, en
2006, qu’émerge réellement l’idée d’interrompre l’espace continu qui relie l’Iran au
Hezbollah. Cette même année, le gouvernement américain finance le Mouvement
pour la justice et le développement (MJD), une organisation d’opposition à
l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie, qui reçoit quelque 6 millions de dollars pour
mettre en place une station de télévision destinée à diffuser de la propagande contre
le gouvernement syrien. Dès avril 2009, la chaîne Barada TV – basée à Londres –
commence à diffuser des messages destinés à soutenir un renversement du régime.
Elle sera instrumentale en 2011 par sa couverture des émeutes du début de la
révolution, et ses messages destinés à enflammer l’opinion publique193. En avril
2009, cependant, l’ambassadeur américain de Damas dans un câble secret envoyé à
Washington, fait part de ses doutes sur la capacité des États-Unis à maîtriser les
mouvements d’opposition en Syrie :

Avec la réévaluation de la politique à l’égard de la Syrie, et


avec l’effondrement apparent de la principale organisation
d’opposition syrienne extérieure194, une chose apparaît
clairement : la politique américaine devrait moins insister sur un
« changement de régime » et aller davantage vers un
encouragement à un « comportement de réformes ». Si cette
hypothèse se confirme, alors une réévaluation des programmes
actuels de soutien aux factions antigouvernementales à l’intérieur
et à l’extérieur de la Syrie pourrait s’avérer plus productive195.

Il fait part de ses inquiétudes sur le fait que les services de renseignement
syriens se doutent du soutien de Washington à l’opposition :

Jusqu’à quel point le renseignement [syrien] a compris que le


financement du gouvernement américain entre en Syrie et par
quelles organisations, n’est pas clair. […] Ce qui est clair,
cependant, est que la sécurité s’intéresse toujours davantage à
cette question196.

Très tôt, la révolution en Syrie apparaît différente des insurrections tunisienne et


égyptienne. Les revendications initiales en faveur d’une démocratisation du régime
sont rapidement tombées pour se concentrer – dès le 7 avril 2011 – sur le
renversement du gouvernement de Bachar al-Assad. En juillet 2011, la création de
l’Armée syrienne libre (ASL), avec d’ex-officiers de l’armée syrienne et son
armement avec l’aide des États-Unis et de la France, a constitué un pas décisif vers
la militarisation et l’escalade du conflit.
Dès le début des incidents dans le sud du pays, on trouve des traces d’une
implication d’Israël, qui espérait ainsi pouvoir se débarrasser du régime syrien,
comme on l’avait vu en Tunisie, en Égypte et en Libye. La découverte d’armes
d’origine israélienne en 2012 auprès d’insurgés syriens sera suivie de nombreuses
indications de l’implication d’Israël dans le conflit, visant à renverser le régime en
place.
Dès le début 2012, des transports organisés par la Central Intelligence Agency
(CIA), et exécutés par des avions-cargos saoudiens, croates, jordaniens et
américains vers la base aérienne turque d’Esenboga, acheminent des tonnes de
matériel militaires vers les rebelles syriens. Ces livraisons, qui s’accroissent dès
novembre – après les élections présidentielles américaines –, comprennent des
armes collectives antichars et des missiles portables antiaériens en provenance de
Libye197.
Mais très rapidement d’autres puissances apparaissent aussi sur le théâtre des
opérations, outre l’Arabie saoudite et le Qatar : la France et les États-Unis. En mars
2012, 13 officiers français sont capturés par l’armée syrienne à Baba Amr à Homs
dans un quartier jusqu’alors tenu par les Phalanges Al-Farouq et Khalid Bin al-
Walid initialement parties de l’Armée syrienne libre (ASL) et soutenues par la
France. En mai 2014, le Président Hollande, confirme que la France a commencé à
livrer des armes aux rebelles syriens dès 2012 (malgré l’embargo sur les armes
décrété par l’Union européenne198 en mai 2011199). Pourtant, le 28 mars 2013, il
affirmait :

Il ne peut y avoir de livraison d’armes à la fin de l’embargo


[…] s’il n’y a pas la certitude que ces armes seront utilisées par
des opposants légitimes et coupés de toute emprise terroriste […]
Pour l’instant, nous n’avons pas cette certitude.

Et il ajoute :

Aujourd’hui, il y a un embargo, nous le respectons […] [mais


cette règle est] violée par les Russes qui envoient des armes à
Bachar el-Assad, c’est un problème200.

Les Occidentaux proclament naturellement qu’ils soutiennent les factions


armées modérées, et notamment l’ASL. Mais les limites d’une politique cohérente
en l’absence d’un renseignement solide sont ici clairement illustrées : la Phalange
Khalid Bin al-Walid, armée et entraînée par la France, est aujourd’hui une unité de
l’État islamique201, et en mars 2012 déjà, la Phalange al-Farouq, également
entraînée par la France, procède à une épuration ethnique contre la population
chrétienne de la ville, généralement considérée favorable au régime syrien, comme
le rapporte l’Église orthodoxe chrétienne de Syrie202.
Bien que la dimension islamiste radicale ait été identifiée dès le début de
l’insurrection, elle a été masquée au profit d’un discours occidental lénifiant,
orienté sur son côté populaire et l’établissement de la démocratie. Pour la France et
les États-Unis, l’ennemi est alors clairement Bachar al-Assad.
Afin de justifier sa posture incohérente, le gouvernement français a été contraint
d’accentuer la responsabilité de Bachar al-Assad sur la situation en Syrie. Ce sont la
France et les États-Unis, bien avant d’aller bombarder l’État islamique en Syrie, qui
ont militarisé le « printemps syrien », par leur soutien matériel aux factions
« modérées », qui sont loin de représenter les valeurs humanistes que l’on clame. Le
12 décembre 2012, le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius,
déclarait203, lors d’une conférence de presse, regretter que les états-Unis aient porté
le Front al-Nosrah204 sur la liste des organisations terroristes de leur département
d’État205 !
Et 2 semaines plus tard, on apprenait que des éléments de l’ASL – soutenue par
l’Occident, et réputée encore plus « modérée » – avaient décapité un chrétien et
donné son cadavre comme nourriture à des chiens206.
Mais en plus de cela, la formation donnée par les États-Unis aux combattants
des groupes rebelles « modérés » semble bien peu compatible avec ce que
l’intervention occidentale veut promouvoir :
Ils nous ont entraînés à tendre des embuscades à des véhicules
ennemis du régime et à couper les routes […] Ils nous ont
également formés à attaquer des véhicules, à les fouiller, à trouver
des informations, des armes ou des munitions, et à achever les
soldats encore vivants après une embuscade207.

Autre exemple du caractère très discutable des choix de la France et


des États-Unis en ce qui concerne le soutien des rebelles contre le régime
de Bachar al-Assad, est que ces groupes « modérés » n’ont guère plus de
considération pour les Droits de l’homme que les autres acteurs du conflit, comme
naguère les groupes qu’ils avaient soutenus en Libye. Ainsi, l’Armée de l’Islam
(Jaïsh al-Islam) – soutenue par l’Arabie saoudite, les États-Unis et la France –
utilise-t-elle des cages dans lesquelles ses miliciens enferment des chrétiens, afin de
les exposer comme boucliers humains mobiles contre les frappes occidentales et
russes.
La bataille de Kobane (Aïn al-Arab) a été proclamée comme un des succès des
bombardements américains en Syrie. Si effectivement, l’appui américain a permis
aux Kurdes de se dégager de la menace islamiste durant un moment, il a également
eu comme effet stratégique de donner aux factions rivales islamistes (en particulier
le Front al-Nosrah et l’État islamique) un ennemi commun, et les a conduits à unir
leurs forces208.

En fait, on savait déjà, dès 2012, que l’Armée syrienne libre (ASL)
était dominée par les islamistes209 et que les armes fournies par l’Occident
arrivaient immanquablement dans les mains des Djihadistes210. On observe dès
cette période une modification des logos des diverses factions de l’ASL vers une
symbolique plus islamiste211 ; il s’agissait alors aussi pour ces groupes d’accentuer
leur image sunnite pour bénéficier de l’aide de l’Arabie saoudite et du Qatar.
En 2013, l’OTAN considère que l’ASL ne combat plus contre Assad et que
seuls les islamistes assurent ce combat212. En effet, la présence écrasante
d’islamistes radicaux au sein de l’ASL remet en question son existence-même213.
Ainsi, en octobre 2015, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov,
répondant aux critiques occidentales sur les premières vagues de bombardements
russes contre les rebelles syriens, déclarait :

Personne ne nous a dit où l’Armée syrienne libre opère, ni


comment et où les unités de l’opposition modérée agissent.
Nous sommes prêts à établir des contacts avec elle, s’il s’agit
effectivement de groupes armés efficaces de l’opposition
patriotique modérée composée de Syriens.
Jusqu’à présent, l’Armée syrienne libre reste un groupe
fantôme […] Rien n’est connu sur elle214.

Au début 2014, la livraison de missiles antichars américains BQM-71 TOW-2


est annoncée officiellement. L’apparition de ces missiles soulève quelques
questions. Non seulement, il est aujourd’hui démontré que certains de ces missiles
(d’une portée utile de 4,2 km) sont engagés régulièrement depuis le territoire turc
par-dessus la frontière contre des positions fortifiées et des blindés syriens, mais
encore que les unités rebelles qui les ont reçus – déclarées « modérées » par les
Américains, comme le Harakat al-Hazm – collaborent régulièrement avec des
formations rebelles considérablement plus radicales, comme le Front al-Nosrah, à
qui elles prêtent leurs armes. Puis, au début 2015, à la suite d’un différend, le
Harakat al-Hazm sera défait par le Front al-Nosrah, qui reprendra ses armes
sophistiquées fournies par les Américains.
Comme on le constate, la structure de la rébellion syrienne ne s’apparente en
aucune manière à une structure de rébellion traditionnelle, mais se transforme au
gré des opportunités et des situations tactiques, sans considération pour les
questions idéologiques. Des groupes ennemis un jour peuvent être alliés le
lendemain, ce qui rend le soutien matériel à ces mouvements extrêmement
aléatoire, particulièrement lorsqu’on les connaît mal, ce qui est le cas.
Les Occidentaux (comprendre : les États-Unis et la France) tendent à maintenir
la fiction d’une opposition laïque en Syrie afin de justifier leur aide contre le régime
de Bachar al-Assad. Il en est ainsi du « Front Sud » « apparu » le 13 février 2014
dans les gouvernorats de Daraa, Damas, Quneitra, et Suweydah à partir de la
désagrégation de l’Armée syrienne libre (ASL) dans le sud du pays. Du moins, c’est
ce qui est rapporté par les canaux occidentaux. Il serait composé d’une cinquantaine
de groupes armés (les analyses oscillent entre 49 et 56), parmi lesquels les Liwa al-
Yarmouk et Liwa al-Muhajirin wa Ansar. Il serait dirigé par Bachar al-Zoubi,
également commandant de la Liwa al-Yarmouk. Le communiqué de presse pour sa
fondation insiste sur son caractère non islamiste et l’autonomie opérationnelle de
ses composantes, qui ne disposeraient pas d’un état-major conjoint. Cette apparition
du « Front Sud », juste avant la décision du Congrès américain du 18 septembre
2014, qui autorise le financement et le soutien à la rébellion syrienne215, est
troublante et, pour de nombreux observateurs, ne semble ne pas être le fruit du
hasard. En effet, aucun commandement ni aucune unité de ce front n’a montré une
activité coordonnée. Selon certains, il pourrait s’agir d’une création factice,
encouragée par les Américains, qui serait en fait une simple déclaration d’intention
(et de bonne conduite) destinée à pousser les députés américains à délier les
cordons de la bourse216.
En réalité, il est impossible de distinguer clairement entre opposition modérée et
opposition radicale. En décembre 2015, un rapport produit par la fondation
britannique « Tony Blair » relève l’impossibilité d’une telle distinction217 :

Quelles que soient les tentatives des puissances


internationales pour distinguer entre « modérés » acceptables et
« extrémistes» inacceptables, cela est incohérent. Les
superpositions sont sans fin. Lors d’une bataille à Jisr al-
Shughour cette année, les forces du Front al-Nosrah ont été
utilisées comme troupes de choc, avec un appui de feu par des
rebelles soutenus par l’Occident. Parallèlement, un groupe de
l’Armée syrienne libre, vérifié et soutenu par les États-Unis, a été
rapporté comme ayant menti à propos de sa collaboration avec le
Front al-Nosrah.

En avril 2015, l’armée américaine lance un programme de 500


millions de dollars pour entraîner 5400 rebelles syriens par an pour lutter
contre le régime de Bachar alAssad et l’État islamique218. La formation d’une
première volée de rebelles « soigneusement sélectionnés » est annoncée par le
Central Command le 7 mai 2015219. Mais, le 16 septembre 2015, le général Lloyd
Austin, commandant de l’US Central Command, responsable de la mise en œuvre
du programme, rapporte que déjà 42 millions ont été dépensés, et que les 54
premiers soldats formés ont été tués, ont fui ou sont passés à l’ennemi (c’est-à-dire
à l’État islamique) lors de leur premier engagement en Syrie et que seuls restent…
« 4 ou 5 » combattants220 !
L’obsession de la France et des États-Unis à satisfaire Israël dans sa volonté de
faire tomber le gouvernement syrien a conduit ces pays à soutenir l’opposition
islamiste – qui s’est avérée très tôt être associée à l’État islamique – au détriment
des centaines de groupes et milices d’auto-défense des communautés chrétiennes et
chiites (dont les médias ne parlent jamais !) qui constituent aujourd’hui une bonne
partie des réfugiés syriens. Ainsi, à cause d’une obstination peu compréhensible de
la France et des États-Unis à soutenir les différents groupes islamistes, les forces
vives chrétiennes et chiites sont progressivement décimées et la Syrie se vide des
forces qui permettraient un vrai renouveau après le conflit. Les minorités
chrétiennes de Syrie sont aujourd’hui abandonnées, comme l’ont été les minorités
chrétiennes irakiennes après 2004.
Il apparaît assez rapidement que l’intervention des pays occidentaux a eu un
effet déstabilisateur sur la situation, comme l’avaient prophétisé très tôt des
organisations chrétiennes américaines et européennes :

Le problème pour la Syrie est que s’il y a des interférences de


gouvernements étrangers, ce sont les chrétiens et les autres
minorités qui en souffriront le plus221.
Essentiellement parce que les États-Unis et la France se placent dans une
relation triangulaire contre le régime du président Assad, ils constituent une menace
pour les communautés chrétiennes de Syrie. C’est le message lancé en 2014 par
l’évêque Armash Nalbandian, primat de l’Église arménienne de Damas :

Les États-Unis doivent changer leur politique et choisir la


voie de la diplomatie et du dialogue, non soutenir les rebelles et
les appeler combattants de la liberté222.

La particularité des interventions coalisées en Syrie est qu’elles ne sont


intégrées dans aucune stratégie d’ensemble. Menées indépendamment du
gouvernement syrien – voire contre lui –, les frappes ne font partie d’aucun concept
global qui permette, par exemple, d’exploiter les effets de ces frappes ou de
restaurer une autorité quelconque. L’objectif est simplement de frapper.
Le gouvernement français, plus que le gouvernement américain a mis l’accent
sur le renversement du régime Assad. Alors que la responsabilité morale des États-
Unis pour soutenir le gouvernement irakien contre les islamistes se conçoit
facilement, les raisons françaises s’expliquent mal. En admettant que les
déclarations de François Hollande en août 2015 constituent un objectif, la manière
de l’atteindre semble totalement dépourvue de stratégie cohérente223 :

Un dialogue peut être engagé, faut-il en fixer les conditions.


La première, c’est la neutralisation de Bachar al-Assad. La
seconde, c’est d’offrir des garanties solides à toutes les forces de
l’opposition modérée, notamment sunnites et kurdes, et de
préserver les structures étatiques et l’unité de la Syrie.

En outre, la déclaration d’illégitimité du président Assad sur laquelle se base


cette détermination à le renverser semble être contredite par l’OTAN même, qui
affirmait en 2013 que Bachar al-Assad bénéficiait du soutien de 70 % de la
population syrienne224. On soulignera ici le côté paradoxal de la situation quand on
constate que l’indice de popularité du président français se situait alors à 29 %225…
avant de retomber à 15 % la même année ! En fait, la raison pour laquelle les
Occidentaux – États-Unis et France en tête – sont réticents à favoriser un
développement vers la démocratie et une élection populaire pour le successeur de
Bachar al-Assad, est que ce dernier pourrait bien gagner une telle élection226 ! Cela
explique – au moins en partie – le jeu pervers mené par la France et les États-Unis,
qui ont tout fait pour vider la Syrie de ses éléments chiites et chrétiens,
généralement favorables au régime, en soutenant les milices sunnites.
Il est intéressant de noter ici qu’aux États-Unis, c’est le pouvoir politique qui
pousse à la guerre. En juillet 2013, dans une présentation au Congrès, le Chef de
l’état-major conjoint, Martin E. Dempsey, recommande que les États-Unis
n’interviennent pas dans le conflit syrien et affirme que les tentatives de renverser
Assad ne peuvent conduire qu’à une détérioration de la situation sécuritaire227.
L’analyse confidentielle sur laquelle il s’appuie confirme que l’aide fournie aux
rebelles « modérés » s’est transformée en une aide aux mouvements djihadistes
radicaux comme le Jabhat al-Nosrah et plus tard l’État islamique228.

L’État islamique

Comme on l’avait constaté pour « Al-Qaïda », l’apparition de l’État islamique


(EI) (al-Dawlah al-Islamiyah) est souvent perçue comme l’expression d’un plan
machiavélique élaboré entre Washington DC et Tel Aviv pour des raisons aussi
diverses qu’obscures. Il ne fait aucun doute que les Occidentaux sont à l’origine de
l’émergence de l’EI, mais pour des raisons beaucoup plus triviales. Des visions à
court terme, une connaissance médiocre du contexte culturel et une lecture
ethnocentrique des conflits latents de la région ont conduit à sous-estimer les
conséquences des actions politiques et militaires occidentales. En clair, la sottise et
l’aveuglement sont les causes les plus certaines de cette émergence.
L’EI a ses racines en Irak dans le Groupe de l’unicité et du Djihad (Jama’at al-
Tawhid wal-Djihad), apparu le 24 avril 2004 comme groupe de résistance à
l’occupation américaine. Cette origine irakienne, aujourd’hui déniée par le
gouvernement français qui cherche à attribuer l’émergence de l’EI à Bachar al-
Assad, est clairement assumée par les islamistes eux-mêmes, comme l’affirmait
Abou Moussab al-Zarkawi en septembre 2004229 :

L’étincelle est apparue ici en Irak et sa chaleur continuera à


se développer – si Allah le permet – jusqu’à ce qu’elle brûle les
Croisés à Dabiq230.

Le 17 octobre de la même année, le groupe décide de se donner une base plus


large et prend le nom d’Organisation de la base du Djihad en Mésopotamie
(OBDM) (Tanzim Qaïdat al-Djihad fi Bilad al-Rafidaïn). Le mot « base »
(« Qaïdah ») est alors immédiatement interprété comme une décla-ration
d’affiliation à « Al-Qaïda », en dépit du fait que sa genèse et ses objectifs sont
différents des revendications initiales d’Oussama Ben Laden : il ne s’agit plus de
forcer les États-Unis à quitter la terre sainte d’Arabie saoudite, mais de résistance
militaire face à une occupation. En janvier 2006, le chef de l’OBDM, Abou
Moussab al-Zarkawi, élargit son groupe en y intégrant divers groupes sunnites,
créant ainsi le Conseil consultatif des moudjahidines en Iraq (Majlis Shura al-
Mujahidin fi’l-Eiraq). En octobre 2006, 4 mois après la mort d’Al-Zarkawi, son
successeur, Abou Hamza al-Mouhajir, intègre ses forces dans un groupe
nouvellement créé et dirigé par Abou Omar al-Baghdadi : l’État islamique d’Irak
(EII) (Dawlat al-’Eiraq al-Islamiyah).
Les Lettres d’Abbottabad231 nous dévoilent qu’à ce stade Oussama Ben Laden
ne se réjouit pas à l’idée de la création d’un « État islamique » et que, critique quant
à la manière dont l’OBDM avait fonctionné sur le terrain, il ne voit pas d’un bon
œil le renforcement de l’État islamique d’Irak232.
Il estime alors que les capacités d’une telle structure ne sont pas de nature à
protéger les populations contre l’intervention occidentale, ni à fournir les
prestations attendues d’un État. Il adoptera la même position par rapport à des
initiatives similaires provenant d’autres groupes (comme la Base du Djihad dans la
péninsule arabique, au Yémen, ou Al-Shabaab, en Somalie).
Dès 2011, grâce à l’appui militaire et aux livraisons d’armes des États-Unis233,
de la Turquie et de la France, les groupes djihadistes commencent à se développer
dans la partie sunnite de la Syrie, à l’est du pays, contraignant le gouvernement
syrien à resserrer son dispositif sur la partie ouest du pays. Il en résulte un vide du
pouvoir dans l’est de la Syrie, avec, comme corollaire, la perte de contrôle de la
frontière irakosyrienne qui constituera un appel d’air pour l’État islamique d’Irak
(EII). A priori, le combat de l’EII, qui n’est ni syrien ni composé de Syriens, n’est
pas dirigé contre le régime du président Assad, mais il se situe dans une perspective
plus large de lutte d’influence entre sunnisme et chiisme. C’est un prolongement du
conflit irakien, où l’arrivée au pouvoir des chiites, grâce à l’intervention américaine,
a rompu l’équilibre régional qui existait.
Pour les États-Unis, la France et Israël, l’émergence de cette insurrection
sunnite, dont l’État islamique, permet de s’attaquer à l’influence de l’Iran dans la
région et de couper la Syrie et le Hezbollah libanais de leur allié. C’est ainsi que,
début août 2012, la DIA américaine publie un « rapport d’information » classifié
SECRET sur la situation en Syrie, qui identifie clairement l’avantage de soutenir les
islamistes syriens, et ce malgré les risques de voir apparaître un État islamique234 :

Si la situation le permet, il y a la possibilité d’établir


une zone déclarée salafiste ou non dans l’est de la Syrie
(Hasaka et Deir Zor), et c’est exactement ce que les pays qui
soutiennent l’opposition veulent afin d’isoler le régime syrien, qui
est considéré comme la profondeur stratégique de l’expansion
chiite (Irak et Iran)235.

Le lendemain de la publication de ce rapport, le Conseil pour les relations


internationales, basé à New York et à Washington, publie un article qui s’en inspire
et souligne le fait que l’opposition « modérée » ne parviendra pas à subsister sans
une alliance avec les islamistes d’« Al-Qaïda ». Il était donc parfaitement connu que
l’opposition syrienne – déjà très radicalisée – ne pouvait qu’évoluer vers un
Djihadisme encore plus radical236.
Rappelons qu’en 2012, les aspirations de l’État islamique d’Irak sont
exclusivement locales, comme le souligne le rapport annuel de la police européenne
EUROPOL sur le terrorisme dans son édition de 2013 (donc portant sur 2012, avant
les frappes occidentales en Syrie) :

L’État islamique en Irak237 a accentué la nature locale de son


combat et a délibérément abandonné l’idéologie et l’empreinte
d’Al-Qaïda et son Djihad global 238.

À ce stade, l’État islamique ne constitue donc pas une menace pour l’Occident.
Mais l’intérêt pour les États-Unis – comme pour la France, d’ailleurs – est d’avoir
une force rebelle suffisamment puissante, violente et radicale, capable de provoquer
une réponse brutale du gouvernement syrien, qui puisse justifier son
renversement239. Car l’objectif de ces deux pays, nous l’avons dit, est de renverser
le régime syrien, dans la ligne de ce que souhaite le gouvernement israélien.
En avril 2013, après s’être bien implanté dans l’est de la Syrie, et avoir financé
le Front al-Nosrah (Jabhat al-Nosrah) l’EII tente de l’absorber et prend le nom
d’État islamique en Iraq et au Levant (EIIL) (Dawlah al-Islamiyah fil-’Eiraq wal-
Sham)240. Les relations entre les deux groupes connaissent des hauts et des bas,
mais la désapprobation, en mars 2014, d’Ayman al-Zawahiri (considéré comme le
successeur d’Oussama Ben Laden) sur la question de la création d’un Califat,
consacrera leur division. Il y aura encore une brève tentative de fusion à la fin juin
2014241, avant que l’EIIL ne devienne simplement l’État islamique (EI) (Dawlah al-
Islamiyah) au 29 juin 2014. Au niveau opérationnel, les deux groupes sont
essentiellement divisés par des rivalités de personnes, même si la propagande de
l’État islamique met en avant des différences d’interprétation dans l’application du
Coran. Toutefois, au niveau régional, leur objectif stratégique est le même, comme
le précise le chef du Front al-Nosrah, Abou Mohammed al-Jaulani :

En tout cas, l’État islamique en Syrie sera construit par tout le


monde, sans exclusion d’aucune partie ayant participé au Djihad
et au combat en Syrie242.

Après les attentats de Paris en janvier et novembre 2015, le gouvernement


français répétera à l’envi que l’État islamique est un allié du régime du président
Bachar al-Assad et a été créé par lui243. En janvier 2014 déjà, Laurent Fabius, alors
ministre des Affaires étrangères, affirmait à Genève :
Je crois qu’il y a une alliance objective entre M. Bachar el-
Assad et les terroristes. Une alliance objective, pourquoi ? C’est
le revers et l’avers d’une même médaille244.

L’affirmation est mensongère, absurde et destinée à justifier la politique


française envers le gouvernement syrien. Mais elle est reprise par certains
exégètes245 dans des montages alambiqués, attribuant à Bachar al-Assad la création
de l’État islamique comme « contre-feu » face à l’opposition. Colportées par le
gouvernement Hollande, ces allégations sont démenties par les faits : elles se basent
sur l’hypothèse que les divers mouvements insurgés en Syrie se battent avec une
égale violence entre eux et contre le régime. Or, c’est inexact. Il y a en Syrie
environ 130 organisations combat-tantes majeures et plus de 1000 phalanges, dont
les loyautés sont fluctuantes et qui s’affrontent au gré des opportunités pour des
motifs plus politiciens que politiques, mais qui présentent les mêmes degrés de
virulence. Faire une distinction entre les uns et les autres, tant au plan de la doctrine
que de la brutalité, relève du sophisme.
La désinformation occidentale vise ici plusieurs objectifs. En premier lieu, elle
veut masquer le fait que la politique française s’aligne sur la politique israélienne
(tout au moins est-elle perçue comme telle), ce qui constituera l’une des rai-sons
des attentats de janvier 2015 à Paris, comme le soulignera la vidéo de revendication
laissée par Amédy Coulibaly. En deuxième lieu, elle cherche à imposer une
distinction entre les « mauvais » et les « bons » rebelles – que l’on peut
légitimement soutenir. En troisième lieu, il s’agit de culpa-biliser davantage le
régime syrien au niveau des victimes de la guerre et de déplacer la responsabilité
des attentats de Paris en 2015 sur le régime syrien, afin d’exonérer les Occidentaux
pour leurs erreurs de jugement en aidant les oppositions islamistes libyennes et
syriennes. C’est pourtant bien l’action occidentale – et non la Syrie de Bachar al-
Assad – qui a permis l’apparition de l’État islamique. Même les États-Unis le
reconnaissent246 et l’État islamique lui-même le confirme dans son organe officiel :

Le 12 juin 2014, le croisé John McCain vient à la tribune du


Sénat pour vitupérer sur les victoires de l’État islamique en Irak.
Il a oublié qu’il a lui-même participé à l’invasion de l’Irak qui a
conduit aux événements bénis, qui se déroulent aujourd’hui par la
bonté et la justice d’Allah […]247

Il faut cependant bien comprendre que cette « création » n’est pas le


produit d’une intelligence supérieure, mais bien au contraire, le cumul de
plusieurs problèmes tels que le manque de renseignement et de planification, un
grand opportunisme et l’absence de contrôle parlementaire en matière de politique
étrangère. En fait, les États-Unis – comme la France – ont observé l’émergence de
l’État islamique avec une bienveillance mêlée de naïveté, mais sans réaliser la
portée de cette évolution, et l’ont délibérément laissé se dérouler en pensant que
cela servirait leurs objectifs, comme le confessait le lieutenant-général Michael
Flynn, ex-Commandant du commandement conjoint des opérations spéciales (2004-
2007) et ex-directeur de la Defense Intelligence Agency (DIA) américaine (2007-
2014).

Je pense que c’était une décision délibérée [du


gouvernement]248 !

La qualité de l’État islamique comme force militaire et sa capacité à conquérir


ont été largement médiatisées et servent aujourd’hui de prétexte aux interventions
de la coalition internationale. La réalité est plus prosaïque. La rapide et
impressionnante progression de l’État islamique à travers l’Irak et la Syrie, que l’on
peut visualiser sur la carte, est trompeuse. En fait, la progression ne s’est limitée
uniquement qu’aux grands axes routiers, le reste du territoire « conquis » étant en
majeure partie désertique. On a souvent comparé son avance rapide à la
« Blitzkrieg » allemande de la Seconde Guerre mondiale. Il n’en est rien. Les
opérations allemandes étaient le résultat de l’intégration des différentes
composantes aériennes et terrestres dans un seul concept opératif. Ce n’est pas le
cas avec l’État islamique, qui joue sur une réputation de brutalité pour effrayer ses
adversaires.
Toujours dans le but d’expliquer les succès de l’État islamique, on a également
tenté de le présenter comme une alliance entre les Djihadistes et les anciens
militaires de l’armée de Saddam Hussein249. Une fois encore, il s’agit de dégager
les Occidentaux de leurs responsabilités dans des programmes de formation aussi
exorbitants qu’inefficaces250. Mais là aussi, les affirmations gratuites ne résistent
pas à l’analyse. Les tactiques utilisées par l’État islamique n’ont rien à voir avec
celles, très conventionnelles, utilisées par l’exarmée irakienne, mais sont bien
davantage liées aux tactiques utilisées en Tchétchénie et au Daguestan par les
islamistes contre les forces russes. C’est l’apport des Djihadistes de l’Émirat du
Caucase251 qui a été déterminant252.
Une partie du problème est qu’en Irak, les forces armées, supposées maintenir la
souveraineté de l’État et contenir les rebelles, formées et armées par les États-Unis,
ont été incapables de remplir leur mission. Leur manque de détermination à
combattre a donné à l’État islamique des victoires pratiquement sans combats,
comme à Mossoul, où 30 000 militaires irakiens ont capitulé devant 800
combattants de l’État islamique253. En Syrie, comme nous l’avons vu, c’est la
militarisation de l’opposition – avec l’aide des États-Unis et de la France – qui a
favorisé la progression de l’État islamique.
À partir de là, il fallait représenter l’État islamique comme suffisamment faible
pour pouvoir être combattu par les frappes de la coalition internationale, et
suffisamment fort pour expliquer les échecs des forces soutenues par l’Occident. Il
en est résulté une distorsion délibérée des renseignements en provenance du Central
Command (CENTCOM), responsable des opérations militaires américaines au
Proche et Moyen-Orient, qui a été dénoncée par les analystes de renseignement
eux-mêmes, dans une lettre adressée à l’inspecteur général des forces armées
américaines254.
Il faut également noter que la distinction faite en Occident entre l’État islamique
et « Al-Qaïda » avec d’autres factions islamistes, comme le Front al-Nosrah, même
si elle est effective sur le terrain, reste très académique et très conjoncturelle. Leurs
fondements doctrinaux, ainsi que leurs méthodes de combat et d’influence
opérative, sont très proches et ils coopèrent régulièrement au niveau opérationnel.
Leurs différences au niveau de l’interprétation de certains textes et principes
religieux et de leur traduction opérationnelle tendent à s’effacer de manière
opportuniste, en fonction de la situation tactique. Les relations « transitives » que
l’on reconstitue sur la base de notre logique ne fonctionnent pas exactement comme
nous le voyons. La Base du Djihad dans la péninsule arabique (que l’on considère
généralement dans la « constellation d’Al-Qaïda »), tout comme l’État islamique,
n’avaient pas reçu la bénédiction d’Ayman al-Zawahiri, considéré comme le chef
d’« Al-Qaïda », mais les deux utilisent les mêmes principes doctrinaux quant à
l’usage du terrorisme, que nous détaillerons plus loin.
À ceci s’ajoute le fait que l’approche sélective des Occidentaux dans leur
intervention en Irak et en Syrie en 2014-2015 a conduit à une véritable surenchère
dans la violence. Les défections observées de militants de l’État islamique vers
d’autres factions ne sont pas motivées par un rejet de l’EI, mais plutôt par l’idée que
leurs chances de survie sont plus élevées. En clair, ces défections ne sont pas
nécessairement l’expression de rivalités entre l’EI et les autres groupes, et tendent à
généraliser les pratiques de l’EI. Ainsi, l’idée de « diviser pour régner » qui domine
la réflexion stratégique israélienne et occidentale semble conduire à une plus grande
convergence entre les groupes armés, où les rivalités partisanes (« Hizbiyya ») ne
deviennent que des combats de chefs, mais avec des militants de base aux
comportements relativement similaires.

L’usage d’armes chimiques

Les diverses attaques à l’arme chimique dont les populations civiles syriennes
ont été l’objet ont suscité un émoi considérable en Occident. Fortement médiatisées
et très rapidement attribuées au gouvernement syrien, dans le but évident de
justifier une intervention militaire contre le régime, ces attaques méritent d’être
replacées dans leur contexte.
Au milieu des années 80, après qu’Israël se fut doté de l’arme atomique, la
Syrie entreprend de s’équiper d’un moyen de dissuasion contre une éventuelle
agression nucléaire. Le soutien des États-Unis et la capacité de seconde frappe
qu’ils peuvent offrir, font d’Israël le seul pays du Moyen-Orient virtuellement
capable de déclencher un conflit nucléaire. C’est le refus d’Israël, en 1981,
d’appliquer la Résolution 487 du Conseil de sécurité des Nations unies l’enjoignant
de mettre son arsenal nucléaire sous la supervision de l’Agence internationale de
l’énergie atomique (AIEA)255 qui pousse la Syrie à se doter de l’arme chimique
comme moyen de dissuasion. La Syrie est signataire du Traité de non-prolifération
nucléaire et respecte les clauses de sauvegarde de l’AIEA. Par ailleurs, il convient
de rappeler ici que la Syrie n’a jamais utilisé ses armes chimiques, comme l’avait
fait l’Irak durant sa guerre contre l’Iran avec l’aide active des États-Unis256.
Dès la fin 2012, des rapports non confirmés font état de l’usage d’armes
chimiques en Syrie. Assez curieusement, ils font suite à une déclaration du
président Obama, du 20 août 2012, dans une entrevue avec des journalistes, qui
émet l’idée d’une « ligne rouge » et suggère que les États-Unis pourraient intervenir
au profit de la rébellion en Syrie sous certaines conditions :

Nous avons été très clairs envers le régime Assad, ainsi qu’avec
d’autres acteurs sur le terrain, qu’une ligne rouge est pour nous le fait de
voir une quantité d’armes chimiques être déployée ou utilisée. Cela changerait mon
calcul. Cela modifierait mon équation257.
Mais les prétendues attaques de 2012 ne déclenchent rien : les observations
rapportées par les services de renseignement français et britanniques ne sont pas
solides. Il faudra attendre le 19 mars 2013, avec une attaque chimique qui frappe le
village de Khan al-Assal, suivie de plusieurs attaques confirmées et non confirmées
en avril, pour avoir des informations plus consistantes sur l’usage d’armes
chimiques.
Toutefois à ce stade, et en dépit des accusations des gouvernements français et
américain contre le régime syrien, l’usage des armes chimiques par les rebelles ne
fait guère de doute. Début mai 2013, il est déjà établi que les groupes rebelles
syriens sont en possession d’armes chimiques. Des informations concordantes
indiquent que les attaques de mars et avril viennent des rebelles. Le 6 mai 2013,
Mme Carla del Ponte, membre de la Commission d’enquête des Nations unies sur la
Syrie258 déclare que les rebelles ont utilisé des armes chimiques lors des attaques de
mars et avril 2013259. Les conclusions des Nations unies sont confirmées par
l’ambassadeur russe auprès des Nations unies, Vladimir Churkin, qui a fait analyser
des échantillons récupérés à Khan al-Assal par un laboratoire agréé par
l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) : on constate alors
l’absence de stabilisateur dans les composants chimiques des munitions, confirmant
une fabrication artisanale par la brigade rebelle Bashair al-Nasr260.
Le 31 mai 2013, un fût de 2 kg de produit toxique chimique de type Sarin est
découvert dans le sud de la Turquie, par les forces de sécurité, dans l’appartement
d’un islamiste syrien affilié au Jabhat al-Nosrah li-Ahli al-Sham (Front pour la
protection du peuple du Levant, plus connu sous l’appellation courte de Front al-
Nosrah)261 un des groupes rebelles syriens soutenus par les États-Unis, Israël et la
France (!). Le 20 juin, un rapport secret de la Defense Intelligence Agency (DIA)
américaine – l’équivalent de la Direction du renseignement militaire (DRM)
française – confirme que le Front al-Nosrah a établi une capacité de production de
toxiques chimiques sans précédent262. Comme pour confirmer les conclusions
américaines, le 7 juillet, l’armée syrienne découvre à Banias un laboratoire
clandestin destiné à la fabrication de toxiques chimiques, avec 281 fûts pleins,
entreposés à l’intérieur263.
Mais ce sont les événements de la nuit du 20 au 21 août 2013 à Al-Ghouta, où
des armes chimiques auraient été utilisées contre la population civile syrienne,
causant quelque 1500 morts, qui ont frappé l’opinion mondiale. Les Prési-dents
Obama et Hollande sont alors prêts à intervenir militairement avec des frappes
aériennes contre le gouvernement syrien. En France, le 2 septembre, une « Synthèse
nationale de renseignement déclassifié » est rendue publique afin d’appuyer la
position du président Hollande. Proposant une analyse très sommaire, elle contredit
les informations disponibles à ce moment et conclut :

Il est clair, à l’étude des points d’application de


l’attaque, que nul autre que le régime ne pouvait s’en
prendre ainsi à des positions stratégiques pour l’opposition.
Nous estimons enfin que l’opposition syrienne n’a pas les
capacités de conduire une opération d’une telle ampleur avec des
agents chimiques. Aucun groupe appartenant à l’insurrection
syrienne ne détient, à ce stade, la capacité de stocker et d’utiliser
ces agents, a fortiori dans une proportion similaire à celle
employée dans la nuit du 21 août 2013 à Damas. Ces groupes
n’ont ni l’expérience ni le savoir-faire pour les mettre en œuvre,
en particulier par des vecteurs tels que ceux utilisés lors de
l’attaque du 21 août264.

Cette note de renseignement s’appuie exclusivement sur les capacités estimées


de la Syrie et ne comporte aucune analyse stratégique (intérêt de la Syrie, cohérence
d’une telle attaque le jour de la visite annoncée d’experts des Nations unies sur les
armes chimiques, etc.). Elle ne mentionne aucun indice qui aurait pu ressortir du
trafic des transmissions, de déploiement d’unités militaires particulières dans le
secteur (unités d’artillerie ou chimiques), ou de mesures de protection qui auraient
pu être prises par les unités militaires syriennes engagées dans les combats. Elle se
base en partie sur des vidéos des forces rebelles, dont certaines avaient été mises en
ligne plusieurs heures avant les événements (!) et qui montraient – entre autres – les
mêmes victimes en plusieurs endroits différents et des infirmières faisant des
injections à des cadavres265 ! Par ailleurs, la note ne fait aucune référence à la
découverte du laboratoire clandestin de Banias, pourtant annoncé au Bureau des
affaires du désarmement des Nations unies et visité par des experts internationaux,
ni ne prend en compte les conclusions établies en mai par les Nations unies, et
n’émet donc aucune réserve sur son jugement catégorique contre le régime syrien.
Parmi les nombreuses carences que comporte la note des services français, la
plus importante est une estimation des trajectoires basée sur des roquettes
d’artillerie convention-nelles de 122 mm dont la portée maximale est de 20 km. Or,
le Massachussetts Institute of Technology (MIT) de Boston a pu établir que les
roquettes chimiques utilisées, réalisées artisanalement et plus lourdes, ont une
balistique totalement différente avec une portée maximale de 2,5-3 km, et n’ont
donc pu être tirées – apparemment – que des zones alors occupées par les
rebelles266. De fait, les roquettes retrouvées se présentent comme une fabrication
locale, qui ne correspond pas aux roquettes chimiques d’ordonnance, conçues pour
être utilisées avec ce système d’arme, et dont les forces syriennes disposent sans
aucun doute. Les conclusions du MIT seront confirmées plus tard par d’autres
analyses techniques267, même si le rapport établi par les Nations unies en septembre
2013 reste prudent sur les auteurs de l’attaque, et tend à écarter l’hypothèse d’une
action gouvernementale.
L’analyse américaine est confirmée par divers témoignages crédibles : le
journaliste belge Pierre Piccinin, retenu comme otage en Syrie et libéré le 8
septembre, affirme avoir entendu une conversation confirmant la responsabilité des
rebelles dans l’attaque chimique268. Parallèlement, diverses analyses issues de la
région apparaissent, mettant clairement à jour la désinformation organisée par les
États-Unis et la France269.
De plus, depuis mai 2013, Bachar al-Assad était en train de reprendre l’avantage
sur les rebelles, il n’était pas aux abois. Le 18 juillet 2013, le général Martin E.
Dempsey, Chef d’état-major des armées270, témoignant devant la Commission du
Sénat pour les forces armées, affirmait qu’Assad avait repris la main dans le
conflit271. Ainsi, sur le plan opérationnel, l’engagement d’armes chimique par le
régime syrien était-il totalement incongru à ce moment : non seulement l’armée
syrienne avait l’avantage sur le terrain272 – et n’avait donc aucune raison d’utiliser
des armes de « dernier recours » – mais la date de ces événements (le jour de
l’arrivée en Syrie d’experts des Nations unies pour discuter la question des armes
chimiques) aurait été particulièrement mal choisie. Mais là encore, la note
« déclassifiée » produite par le gouvernement français ne fait aucune mention de ces
éléments essentiels d’appréciation, il est difficile ici de ne pas y voir un mensonge
par omission afin d’induire en erreur le Parlement et l’opinion publique.
Ce sont finalement les prudentes hésitations d’Obama – le 31 août 2013 – qui
feront reculer le président Hollande, prêt à partir en guerre sur la base
d’informations mal vérifiées, voire fausses273. Finalement, l’acceptation par le
régime syrien de la proposition russe de démanteler son arsenal chimique sous
supervision internationale, finira de couper l’herbe sous les pieds des « va-t-en-
guerre » américains et français.
Dans une interview donnée le 10 juin 2013 à la chaîne de télévision Al-Jazeera,
le commandant du Front nord de l’Armée syrienne libre (ASL), le colonel Abd al-
Basset alTawil, donnait un mois à l’Occident pour fournir des armes lourdes à
l’ASL sans quoi il dévoilerait la vérité sur les armes chimiques274 :

[…] En toute sincérité, nous voudrions un État


civilisé avec la loi islamique. Laissez-moi vous donner
un exemple : nous voulons pour notre armée une claire nature
islamique. Je laisse à la communauté internationale un mois pour
four-nir aux rebelles et à l’ASL les armes et les munitions de sorte
à ce que nous puissions vaincre ce régime criminel. Nous leur
donnons un mois. Si nous voyons que la communauté
internationale continue à ignorer notre révolution, nous
révélerons toutes les preuves que nous avons [sur l’emploi des
armes chimiques]. Je pense que vous comprenez très bien ce que
je veux dire.

Coïncidence ou non, 9 jours plus tard, la presse rapportait que les rebelles
recevaient leurs premières armes lourdes275…
Il apparaît très clairement aujourd’hui que les armes chimiques utilisées en 2013
en Syrie, l’ont été par les rebelles. Une opération « sous fausse bannière » afin de
donner aux États-Unis et à la France une raison pour intervenir contre le régime de
Bachar al-Assad.
Le 8 décembre 2012, le gouvernement syrien avait informé les Nations unies276
que le Front al-Nosrah s’était emparé d’une usine chimique à Al-Safira, près
d’Alep, avec près de 200 tonnes de chlore277. Le 1er octobre 2014, les Nations unies
annoncent que les stocks syriens déclarés d’armes chimiques ont été détruits et que
les sites destinés à la production et au stockage seront démantelés sous contrôle
international le même mois, indiquant que le gouvernement syrien remplit ses
obligations278. Pourtant, le 6 mars 2015, à l’instigation de la France, le Conseil de
sécurité des Nations unies adopte la Résolution 2209, qui condamne l’usage
d’armes chimiques au chlore en Syrie279, malgré le fait que jusqu’à cette date
aucune attaque au chlore n’avait été rapportée280. Or, dans les 2 mois qui suivent la
promulgation de la résolution, 35 attaques au chlore par le gouvernement syrien
sont rapportées281. Bachar al-Assad attendait-il donc une résolution des Nations
unies pour engager des armes qui le condamneraient ?

En réalité, malgré le fait que le secrétaire d’État John Kerry se déclare


« absolument certain » que le régime syrien utilise des armes chimiques
contre sa popu-lation, les enquêtes menées par l’Organisation pour l’interdiction des
armes chimiques (OIAC) n’ont pas permis de confirmer l’usage de chlore par les
forces armées syriennes282, mais elles confirment l’usage de « gaz moutarde » –
nom courant de l’ypérite283 – et de chlore lors de combats entre forces rebelles284.
Bachar al-Assad sait que cette question est déterminante pour une intervention
internationale, car la Russie et la Chine auraient alors du mal à s’y opposer au
Conseil de sécurité. De manière très conséquente, il a donc fait en sorte que la
coopération syrienne soit totale dans cette affaire. Ce n’est pas le cas des rebelles
soutenus par la coalition occidentale, qui cherchent à provoquer une implication
internationale contre le régime. Un rapport confidentiel de l’OIAC, publié le 29
octobre 2015, confirme l’usage de gaz moutarde par les rebelles285.
Finalement, le 8 janvier 2016, la presse rapportait que l’OIAC, après avoir
analysé les échantillons de toxiques trouvés à Ghouta, avait conclu qu’ils ne
correspondaient pas à la structure des agents chimiques des stocks de l’armée
syrienne, disculpant ainsi le régime de Bachar al-Assad, mais incriminant les
groupes islamistes soutenus par la France et les États-Unis286.
Outre les armes chimiques, et dans une dynamique de désinformation similaire,
l’usage des « barils explosifs326 » est régulièrement attribué aux forces armées
syriennes, malgré le fait qu’aucune enquête sérieuse n’ait été faite sur ce sujet. Il
s’agit de bombes artisanales réalisées à partir de cylindres d’acier ou de barils de
pétrole et remplis d’explosif et de projectiles divers (clous, écrous, etc.), tirées à
partir de mortiers improvisés ou larguées à partir d’hélicoptères. Ces bombes – qui
sont toutes de facture différente – ont frappé la population civile dès août 2012.
Toute l’accusation contre les forces armées syriennes repose sur l’hypothèse que les
rebelles n’ont pas de moyens aériens. Or, c’est faux. On sait que de nombreux
pilotes ont déserté l’armée régulière au début du conflit pour rejoindre l’Armée
syrienne libre et que les rebelles ont été en mesure d’employer plusieurs
aéronefs288. Par ailleurs, en dépit des témoignages oraux, les observations effectives
et documents filmés de largages à partir d’hélicoptères datent de la fin 2012, et
coïncident avec la prise par les forces rebelles de plusieurs bases d’hélicoptères de
l’armée syrienne (Majr as-Sultan – 25 novembre 2012 ; Majr as-Sultan – 11 janvier
2013 ; Mennegh – 6 août 2013)289.
Par ailleurs, on se demande pourquoi l’armée syrienne s’engagerait dans la
manufacture de barils explosifs au fonctionnement incertain (comme le montrent les
nombreuses photos de bombes non explosées290), alors qu’elle dispose de bombes
russes OFAB-100 et OFAB-250-270 qui rempliraient plus sûrement la même
fonction291.
Ces armes terribles ont donc, selon toute vraisemblance, été utilisées par les
rebelles contre leurs propres populations, laissant la rumeur faire le reste. L’aspect
tragique de cette situation est qu’il est la conséquence des déclarations imprudentes
– pour ne pas dire criminelles – de pays occidentaux qui ont fait comprendre aux
rebelles que leur soutien et leur intervention était fonction des massacres attribués
au régime. Au final, les vrais promoteurs de ces massacres sont donc les membres
de la coalition internationale. Comme naguère en Libye, où les « sonneurs
d’alerte » étaient de connivence avec les rebelles pour présenter une situation qui
puisse justifier une intervention, les mêmes recettes ont les mêmes effets. Une fois
de plus, les pays occidentaux n’ont pas compris le sens des conflits asymétriques où
– à l’inverse des guerres symétriques – ce sont les pertes qui apportent la victoire !
Comme 10 ans plus tôt avec la question des armes de destruction massive
irakiennes, l’affirmation de l’usage des armes chimiques par l’armée syrienne, sans
aucun élément probant et basée uniquement sur les allégations des organisations
islamistes rebelles, est relayée sans vergogne par des « experts » dans la presse
internationale292, dans le but de soutenir une intervention occidentale dans le
conflit. Une fois de plus, dans quelle mesure cela reflète-t-il l’inca-pacité des
services de renseignement à analyser correctement l’information disponible ou la
mauvaise foi des gouvernements à utiliser les renseignements produits, est une
question ouverte.
Pour le cas de la France, cet incident pourrait être révélateur de graves
faiblesses au sein de l’appareil gouvernemental et aurait mérité une attention plus
professionnelle de la part des organes parlementaires. On aurait pu en déduire, par
exemple, des indices pour renforcer les capacités analytiques des services de
renseignement, ou constater que l’administration de l’État a été utilisée
délibérément pour tromper la population française et ses parlementaires.

Le Groupe « Khorasan »

Le 22 juin 2014, lors d’une conférence de presse, inter-rogé sur l’émergence de


l’État islamique, le Président Obama déclarait qu’il pouvait représenter une menace
dans le « moyen et long-terme », mais suggérait qu’il ne constituait, pour les États-
Unis, ni une menace immédiate ni une menace nécessaire et suffisante pour les
autoriser à engager des opérations militaires extérieures sans l’accord du Congrès.
Le 10 septembre, pressé par l’opposition républicaine, le Président Obama
déclare :
[…] j’ai clairement dit que nous chasserons les terroristes qui
menacent notre pays, où qu’ils soient. Ce qui signifie que je
n’hésiterai pas à agir contre l’ISIL en Syrie et en Irak293.

C’est alors qu’apparaît de manière très opportune dans les médias un groupe
terroriste d’une virulence encore inconnue :

Alors que l’État islamique attire l’attention, un autre groupe


d’extrémistes en Syrie – un mé-lange de Djihadistes expérimentés
d’Afghanistan, du Yémen, de la Syrie et d’Europe – constitue une
menace plus directe et plus imminente pour les États-Unis,
travaillant avec des fabricants de bombes yéménites pour viser
l’aviation américaine, affirme un officiel américain. Au centre est
une cellule connue comme le groupe Khorasan, un groupe de
vétérans de combattant d’Al-Qaïda d’Afghanistan et du Pakistan
qui ont été en Syrie pour se connecter avec la filiale d’Al-Qaïda,
le Front al-Nosrah.
Mais les militants de Khorasan ne sont pas allés en Syrie
principalement pour combattre le gouvernement du Président
Bachar al-Assad, affirme l’officiel américain. Mais ils ont été
envoyés par le chef d’Al-Qaïda, Aïman al-Zawahiri, pour recruter
des Européens et des Américains, dont le passeport leur permet de
s’embarquer dans des avions américains sans attirer l’attention
des membres de la sécurité.
De plus, selon des analyses classifiées du renseignement
américain, les militants de Khorasan ont travaillé avec les
constructeurs de bombes d’Al-Qaïda au Yémen, afin de tester de
nouvelles méthodes pour faire passer des explosifs à travers la
sécurité des aéroports. La crainte est que les militants de
Khorasan fournissent ces explosifs sophistiqués à leurs recrues
européennes, afin qu’elles puissent les introduire dans des vols
vers les États-Unis294.

Quelques jours plus tard, CBS News rapporte :

L’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL) peut bien dominer


les affiches et capter l’attention avec sa propagande prolifique,
mais Bob Orr de CBS News écrit sur un autre groupe en Syrie –
un dont peu ont entendu parler parce que l’information le
concernant a été tenue secrète – qui est considéré comme un
problème urgent. Des sources ont confié à CBS News que des
agents et experts en explosifs de l’ancien réseau d’Al-Qaïda
d’Oussama Ben Laden pourraient représenter à nouveau une
menace immédiate pour les ÉtatsUnis.
Les sources confirment que la cellule d’AlQaïda est appelée
« Khorasan » […]
Selon un membre de la CIA, la menace posée par le nouveau
groupe syrien est plus dangereuse que l’ISIL295.

Le 20 septembre, on apprend que le groupe Khorasan296 est dirigé par Muhsin


al-Fadhli (un islamiste proche d’Oussama Ben Laden), qui aurait participé à la
préparation des attentats du 11 Septembre297, et aurait financé l’opération contre le
navire français M/V Limburg en 2002. À noter qu’Al-Fadhli, vétéran de la guerre en
Tchétchénie et d’Afghanistan, sera tué lors d’un raid américain le 8 juillet 2015 à
l’âge de 33 ans, ce qui signifie qu’âgé d’une vingtaine d’années il aurait déjà été
l’un des « seniors » dans la hiérarchie d’« Al-Qaïda » avec des collègues ayant deux
à trois fois son âge. Possible, mais douteux.
On attribue même à ce nouveau groupe l’utilisation de « vêtements
explosifs298 ». Les organes contre-terroristes américains lui prêtent une
« aspiration » à commettre un attentat semblable à celui du 11 Septembre et
suggèrent une relation avec le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran299. C’est sur cette
base que, le 23 septembre 2014, le Président Obama déclenche les frappes aériennes
sur le territoire syrien :

La nuit dernière, nous avons également mené des attaques


pour détruire les complots contre les États-Unis par des agents
expérimentés d’AlQaïda, connus sous le nom de groupe
Khorasan. Une fois de plus, il doit être clair pour quiconque
chercherait à comploter contre l’Amérique et pour faire du mal
aux Américains, que nous ne tolérerons pas de sanctuaires pour
les terroristes qui menacent notre peuple300.

Il se place ainsi dans une situation de légitime défense en suggérant par là que la
Syrie accordait des sanctuaires pour des terroristes préparant des actions contre les
États-Unis. Le Washington Post, citant des sources du Pentagone, mentionne que le
groupe était proche de la mise en œuvre de frappes « imminentes » contre l’Europe
ou les États-Unis301.
Pourtant, le même jour des doutes apparaissent, et le magazine Foreign Policy
s’interroge :

Quel renseignement concret – s’il y en a – a permis aux États-


Unis de frapper maintenant ? Les officiels qui ont parlé aux
journalistes au sujet des frappes en Syrie n’ont apporté aucune
information sur un complot particulier. Ils n’ont pas non plus
expliqué pourquoi la menace actuelle, qui aurait été décrite aux
membres du Congrès il y a une année, est plus dangereuse
maintenant qu’au mois de juillet, lorsque les efforts de Khorasan
pour recruter des Occidentaux avaient conduit à renforcer les
contrôles de sécurité dans certains aéroports étrangers avec des
vols directs vers les États-Unis302.

Et l’article de citer un officiel de la lutte antiterroriste américaine : « Khorasan a


l’intention de frapper, mais nous ne savons pas si leurs capacités correspondent à
leurs désirs303. » Peu à peu, l’affaire se dégonfle. Il apparaît que le groupe (qui avait
préparé des attaques imminentes) n’avait défini aucune cible et le New York Times
rapporte les déclarations d’un officiel américain qui décrit le groupe comme ayant
« des aspirations » à commettre des attentats et précise qu’il semblait que le groupe
n’ait pas même eu de plans concrets304.

James Comey, le directeur du FBI, et le contreamiral John


Kirby, porte-parole du Pentagone, ont chacun reconnu que les
États-Unis n’avaient pas de renseignements précis sur le lieu ou
la date choisie par la cellule, connue sous le nom de groupe
Khorasan, pour attaquer une cible occidentale.
Nous pouvons débattre du fait qu’il fallait ou non les frapper
et si cela était trop tôt ou trop tard […] Je ne pense pas qu’il faille
discuter du fait que c’étaient de mauvais garçons305.

À la fin septembre 2014, un article dans la National Review confirme :

Vous n’avez jamais entendu parler d’un groupe appelé


Khorasan parce qu’il n’y en a jamais eu. C’est un nom créé par
l’administration, qui avait calculé que Khorasan – une région
située dans la région frontalière de l’Iran et de l’Afghanistan –
avait suffisamment de liens avec le contexte djihadiste pour que
personne ne remette en question la parole du Président306.

Finalement, au début octobre 2014, le vice-président Joseph R. « Joe » Biden,


lors d’une allocution à la prestigieuse université de Harvard, souligne cette absence
de menace existentielle :

La menace posée par l’extrémisme violent est réelle.


Et je veux dire ici sur le campus de l’université de
Harvard : notre réponse doit être très sérieuse, mais nous devons
la garder en perspective. Les États-Unis font aujourd’hui face à
de menaces qui exigent une attention. Mais nous ne faisons pas
face à des menaces existentielles par rapport à notre mode de vie
ou notre sécurité. Permettez-moi de répéter : nous ne faisons face
à aucune menace existentielle – aucune – par rapport à notre
mode de vie ou notre sécurité. Vous avez deux fois plus de risques
d’être frappé par la foudre que d’être touché par un événement
terroriste aux États-Unis307.

En clair, les États-Unis ont simplement créé de toutes pièces une raison –
légitime aux yeux du Congrès, mais qui reste illégale au regard du droit
international – pour intervenir militairement en Syrie. En inventant une menace
imminente, l’administration Obama plaçait les frappes américaines sous le label de
la légitime défense. Un an plus tard, la France fera exactement la même chose –
sans aller jusqu’à inventer l’existence d’un groupe pour la circonstance – afin de
justifier ses frappes – illégales – en Syrie.
L’intervention russe

En février 2016, Alexander Yakovenko, ambassadeur de Russie en


Grande-Bretagne, révèle que la décision d’intervenir en Syrie a été
provoquée par la prévision de la coalition occidentale, en été 2015, que
l’État islamique, qui avait alors atteint la ville de Palmyre, entrerait dans
Damas en octobre, et que les États-Unis s’apprêtaient à instaurer une zone
d’exclusion aérienne au-dessus de la ville. L’intervention russe avait ainsi
pour but d’empêcher la création de cette zone, qui aurait livré la capitale
aux Djihadistes308.
Dès le début des frappes russes, les États-Unis et la France se sont
empressés de mettre en avant leur caractère déstabilisant. En fait, la
particularité de l’intervention russe est qu’elle résulte d’une demande
d’assistance du gouvernement légal syrien. En d’autres termes, à la
différence de la coalition occidentale, la Russie intervient légalement en
Syrie au sens de la Charte des Nations unies. Outre la légalité, la nature de
cette action place la Russie dans une posture stratégique cohérente en Syrie.
Intervenant à titre subsidiaire à la demande et au profit du
gouvernement syrien, la Russie se positionne stratégiquement et
politiquement en second plan, alors que l’action américaine ou française est
en premier plan et s’expose, comme naguère en Libye, à devoir supporter
tout le poids d’un échec. Par ailleurs, le gouvernement russe n’a pas
formulé de jugement officiel sur le gouvernement syrien, qui puisse
contredire son engagement. Cette posture lui confère un crédit considérable
auprès d’autres pays du monde qui n’ont qu’une confiance limitée dans les
pays occidentaux, même s’ils sont proches d’eux. La crainte d’être l’objet
d’un renversement par les États-Unis ou l’un de ses alliés est un obstacle
considérable au dialogue et à une éventuelle démocratisation du régime,
comme l’auteur du présent ouvrage a pu le noter au Soudan.
Un avantage de la position russe est de s’affranchir des difficultés d’un
« ménage à trois » en se débattant avec des définitions spécieuses et des
contorsions sémantiques sur la définition de l’islamisme dit « modéré ».
Comme nous l’avons vu, avec quelque 1200 groupes armés présents en
Syrie, couvrant un spectre continu de tendances mouvantes et des alliances
qui se font et défont au gré des besoins, l’identification du caractère
« modéré » d’un groupe relève de la gageure ou… du mensonge.
Un autre avantage de la nature de l’intervention russe est qu’elle
bénéficie des fameuses « boots-on-the-ground » (bottes sur le terrain) dont
manquent les forces de la coalition occidentale : il s’agit simplement de
l’armée syrienne, dont les actions sont coordonnées avec les frappes
aériennes russes, ce qui permet d’entrevoir un succès. De fait, quelques
semaines après le début des frappes russes, l’armée syrienne enregistre des
succès marquants, alors que deux ans de frappes occidentales n’ont pas fait
évoluer la situation sur le terrain.
Finalement, la position russe a l’avantage indiscutable de ne pas
abandonner les groupes et milices d’auto-défense chrétiens, ismaéliens ou
assyriens, qui protègent leurs communautés en combattant aux côtés du
gouvernement sans nécessairement en partager les fondements politiques.
En combattant les forces favorables au régime et l’État islamique, les forces
coalisées (France et États-Unis) ont contribué à l’affaiblissement de la
communauté chrétienne309 face aux islamistes. Ainsi, le début des frappes
occidentales sur la Syrie en été 2014 sera la principale cause du flux
d’émigration massive vers l’Europe observé dès ce moment.
Sur un plan plus large – mais non moins important au niveau stratégique
– la Russie consolide sa position comme contrepoids à l’interventionnisme
américain. En déployant des capacités militaires substantielles et efficaces,
elle envoie un message clair aux interventionnistes occidentaux qui ont
cherché impunément durant deux décennies à déstabiliser toute une région.
Sur un plan opératif, le fait que les Russes agissent à la demande de la
Syrie et en coopération avec son gouvernement a pour conséquence
immédiate qu’elle s’intègre dans une stratégie d’action : il ne s’agit pas
simplement de frapper, mais aussi de reconquérir des territoires perdus et de
restaurer une autorité. Les critiques occidentales sont assez surprenantes : il
s’agit simplement de frapper les positions de l’État islamique, sans avoir
aucun moyen de restaurer une autorité ; dès lors, on peut probablement
choisir quels combattants on tentera d’éliminer, mais au risque de n’avoir
rigoureusement aucun résultat, car on ne peut savoir qui aura finalement la
maîtrise du terrain. Pour le gouvernement syrien, il s’agit de reprendre du
terrain, restaurer une autorité et rétablir les services de l’État. Dès lors, il est
difficile de simplement frapper un acteur et d’ignorer les autres. Le mérite
majeur de l’intervention russe en Syrie est d’apporter une cohérence dans la
lutte contre les forces islamistes. En outre, quelle que soit l’opinion que l’on
puisse avoir du régime syrien, la restauration de l’autorité de l’État légal
permet d’avoir un point de départ clair pour une nouvelle évolution. Jusqu’à
présent, les vides créés par les interventions occidentales en Libye et en
Syrie n’ont fait que favoriser le développement de la violence terroriste. Il
apparaît difficilement concevable que la stabilisation d’une région puisse se
limiter à des frappes aériennes, sans même savoir quel sera leur effet !
La France et les États-Unis ont vivement critiqué les frappes russes en
alléguant qu’elles ne visent pas l’État islamique, notamment lors de la
bataille d’Alep au début 2016. Ces critiques ne sont pas pertinentes. Tout
d’abord, à la différence des pays occidentaux qui pratiquent des frappes au
gré des objectifs identifiés, les Russes mènent des frappes synchronisées
avec des opérations terrestres dans une cohérence opérative, que les
Occidentaux ont négligée. Les attaques russes contre les voies de
ravitaillement des rebelles islamistes témoigne d’une planification en
fonction d’objectifs opérationnels clairs ; alors que les frappes américaines
et françaises sont dictées par l’opportunité et ne s’intègrent pas dans un plan
d’ensemble interarmées. Par ailleurs, l’examen de la carte montre que, pour
la reprise d’Alep en février 2016, les adversaires à prendre en compte
étaient les divers groupes islamistes et non l’État islamique.

Le reproche adressé aux Russes fait écho aux allégations


colportées par le ministre français des Affaires étrangères selon
lesquelles l’État islamique aurait été créé par le régime syrien. Pourtant,
alors que le général d’Armée Lloyd J. Austin, commandant du Central
command (CENTCOM) – responsable des opérations au Proche-Orient –
déclarait en octobre 2014 que l’État islamique retirait une part importante
de ses ressources du commerce du pétrole310 !

Les frappes américaines et françaises ont soigneusement évité


de toucher ces sources de revenu, pour des raisons spécieuses,
parmi lesquelles le fait de maintenir une infrastructure en vue de la
reconstruction du pays et des considérations sur l’environnement(!), selon
l’ex-vice-directeur de la CIA Michael Morell311 ! Il faudra attendre la fin
2015 pour que les Russes frappent les colonnes de camions-citernes au nord
de la Syrie !
Ensuite, en subdivisant grossièrement l’opposition syrienne entre
rebelles modérés et État islamique, les pays occidentaux ont occulté les
divers groupes islamistes qu’ils soutiennent contre Bachar al-Assad. En fait,
la Russie est le seul pays à respecter à la lettre la résolution 2254 du Conseil
de sécurité des Nations unies, et en particulier son point 8 :

[…] Demande aux États Membres, comme il l’a déjà


fait dans sa résolution 2249 (2015), de prévenir et de
réprimer les actes de terrorisme commis en particulier par
l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL, également
connu sous le nom de Daech), ainsi que par le Front el-
Nosra et tous les autres individus, groupes, entreprises et
entités associés à Al-Qaida ou à l’EIIL, ainsi que les
autres groupes terroristes qu’il a désignés comme tels ou
qui pourraient par la suite être considérés comme tels
[…], et d’éliminer le sanctuaire qu’ils ont créé sur une
grande partie des territoires de la Syrie, et note que le
cessez-le-feu susmentionné ne s’appliquera pas aux
actions offensives ou défensives dirigées contre ces
individus, groupes, entreprises et entités312[…]

Le « ménage à trois » inventé par les États-Unis et la France pour


justifier leur initiative de déstabilisation de la Syrie se heurte à la logique de
la position russe. En outre, en aidant les rebelles, les Occidentaux entrent en
confrontation avec la Turquie, pour qui le soutien aux Kurdes constitue un
danger pour son unité nationale.
L’action russe en Syrie a également eu un impact stratégique important
dans les pays de la région. À l’opposé des interventions occidentales qui
répondaient manifestement à leurs propres intérêts nationaux, l’engagement
de la Russie est fondé sur un intérêt qu’elle partage avec la Syrie. Dès lors,
sa crédibilité est considérable. Au point que l’Irak commence à se tourner
vers la Russie dans sa lutte contre l’État islamique313 ; une évolution qui est
à rapprocher de son refus catégorique d’accepter un déploiement terrestre
américain sur son sol314. Une position similaire à celle des rebelles libyens,
qui avaient naguère demandé l’appui aérien occidental pour venir à bout du
régime de Kadhafi, mais s’étaient farouchement opposés à toute présence
physique occidentale, y compris dans le cadre d’une opération de maintien
de la paix.

CARICATURES ET DÉMOCRATIE

Qui maîtrise le passé, maîtrise le présent

Le 7 janvier 2015, vers 11 h 30, les frères Chérif et Saïd Kouachi font
irruption dans la salle de rédaction du journal Charlie Hebdo, à Paris. Ils
exécutent froidement 11 personnes et abattront encore un gardien de la paix
dans leur fuite. Ils parviennent à s’extraire avant l’arrivée des forces de
l’ordre et une chasse à l’homme s’engage, qui se terminera deux jours plus
tard à Dammartin-en-Goële, au nord de Paris, par la mort des deux
terroristes. Afin de couvrir leur cavale, des actions de diversion sont menées
par un troisième protagoniste, Amédy Coulibaly, qui attaque l’Hyper
Cacher de la porte de Vincennes le 9 janvier après avoir abattu, la veille,
une gardienne de la paix.
L’émotion considérable, suscitée par ces événements, se traduira le 11
janvier par de gigantesques manifestations à Paris et en province pour
dénoncer le terrorisme et défendre la liberté d’expression.
Cet épisode tragique est l’expression du décalage culturel qui alimente
et envenime la situation que l’on connaît au Proche et Moyen-Orient. Nous
le répétons : sans, bien évidemment, exonérer les auteurs des attentats, dont
les actes sont manifestement criminels, ces actions sont des réponses. En
d’autres termes, cet événement aurait aisément pu être évité grâce à une
meilleure compréhension de ce qui était réellement en jeu et par une
politique extérieure plus judicieuse, sans remettre en cause en aucune
manière nos valeurs, nos libertés et ce que la démocratie représente.
Cet attentat trouve son origine le 30 septembre 2005, dans la
publication, par le journal danois Jyllands-Posten, des résultats d’un
concours où 12 dessinateurs présentaient des caricatures du Prophète
Mohammed, sous le titre « Le visage de Mohammed315 ».
Les réactions sont vives dans certains milieux islamiques danois. Le 12
octobre 2005, une entrevue avec le Premier ministre danois, Fogh
Rasmussen, est alors sollicitée par des imams. Mais elle n’aura pas lieu. La
raison avancée officiellement est que la presse est libre et qu’il n’entre pas
dans les attributions du gouvernement de l’influencer, ni a fortiori de
s’excuser pour ses possibles écarts. Le 27 octobre, une plainte est alors
déposée à Copenhague contre le journal, mais elle n’aboutira à aucun
résultat, bien que le droit danois condamne le blasphème. Le 6 décembre,
l’Organisation de la conférence islamique tente, sans succès, de porter la
question devant le Conseil de sécurité des Nations unies.
En Norvège, le 13 janvier 2006, un magazine chrétien publie à son tour
les dessins en question. Mais l’Église luthérienne de Norvège condamne
cette publication, tandis que le gouvernement, alors dirigé par Jens
Stoltenberg, présente des excuses officielles, non pour la publication
ellemême – la liberté de la presse est même soulignée – mais pour l’offense
qu’elle pourrait constituer envers certains316. C’est ce qu’attendaient les
musulmans : pas une interdiction, mais une reconnaissance.
Les caricatures provoquent des accès de violence dans le monde entier à
la fin janvier-début février 2006. Ils toucheront principalement le
Danemark, dont les produits font même l’objet de boycotts et, dans une très
moindre mesure, la Norvège. Répercutés au Proche et Moyen-Orient, ces
troubles causeront la mort de plus de 150 personnes à travers le monde317.
C’est ce moment-là, le 8 février, après des journaux comme France Soir et
Le Soir, que Charlie Hebdo choisit pour publier ces mêmes caricatures, ne
pouvant ainsi que mettre de l’huile sur le feu. Cette deuxième vague de
publications en Europe, au moment où éclataient ces réactions violentes un
peu partout dans le monde, a été perçue par les musul-mans comme un acte
d’hostilité. Ceci d’autant plus que le monde occidental était engagé – sur
des bases clairement mensongères – dans une « croisade » (selon les termes
de George W. Bush) en Afghanistan et en Irak, guerre alors soutenue par
Charlie Hebdo ! L’affaire prenait alors une dimension quasi-puérile et
provocatrice avec l’intention manifeste de blesser, sous le couvert d’un
débat sur la liberté de la presse et de la laïcité. Le Président Chirac déclare
alors avec sagesse :

Je condamne toutes les provocations manifestes,


susceptibles d’attiser dangereusement les passions318.

La passion se répand pourtant dans le monde et touche le Soudan, où la


Mission des Nations unies au Soudan (MINUS) est menacée ouvertement
par des islamistes par voie radiophonique. L’auteur du présent ouvrage,
alors chef du Renseignement conjoint de la mission des Nations unies319,
est chargé par le Représentant spécial du Secrétaire général de clarifier la
situation et d’évaluer la menace sur la mission et ses personnels. Une
réunion discrète est donc organisée avec des représentants de groupes
islamistes soudanais – proches de la mouvance djihadiste. Cette réunion se
déroule dans une grande sérénité et notre interlocuteur nous confie alors :
« Nous savons que vos pays sont démocratiques, et nous ne contestons pas
votre droit de publier ce que vous voulez ; mais lorsque vous voyez que
cela nous blesse, pourquoi ne vous excusez-vous pas ? » Et il devait
ajouter : « Si la même chose s’était passée avec des juifs vous vous seriez
excusés ! »
À aucun moment durant cette rencontre, la liberté d’expression et de la
presse ne sont remises en cause. Toute la discussion tourne autour du
respect et du vivre ensemble. À la question de savoir si la MINUS devait
s’attendre à des actes de violence – qui était l’objet de la réunion – notre
interlocuteur nous répond : « Nous avons parlé, il n’y aura pas de
violence ! » Et effectivement, aucune violence, ni verbale, ni physique ne
sera portée contre la MINUS en relation avec les caricatures.
Comme en Norvège, l’écoute et le dialogue ont apaisé les passions, sans
remettre en cause à aucun moment – même de la part des islamistes – les
libertés fondamentales et spécifiquement celles de la presse. Alors qu’en
Europe la discussion a porté sur la liberté d’expression, la question des
musulmans portait sur le respect des sensibilités. Cette asymétrie reflète
exactement la nature du conflit qui oppose l’islamisme à l’Occident.
À la fin janvier 2008, le parlementaire d’extrême droite néerlandais
Geert Wilders dévoile son film, Fitna, très critique envers la communauté
musulmane aux Pays-Bas. La liberté d’expression existe aux Pays-Bas et il
n’est pas question d’interdire ce film de 17 minutes. Mais, afin de prévenir
tout problème, sa diffusion est précédée d’un intense effort de
communication de la part du gouvernement auprès des pays musulmans et
des organisations islamiques en Hollande et à l’étranger. Résultat : malgré
sa virulence, le film ne soulèvera ni violences, ni animosité particulière320.
En d’autres termes, par leur volonté de provoquer, aveuglés par leur
propre vision des choses, sans essayer de comprendre les motivations
profondes de la colère, Charlie Hebdo et ses confrères n’ont pas compris la
nature de l’enjeu. Leur combat était inutile parce que le champ de bataille
se situait ailleurs…
Aux questions qui divisent musulmans et chrétiens, l’Occident tend à
apporter des réponses froides et légalistes. Nous vivons certes dans des
États de Droit, mais où le bon sens, la sensibilité et le respect tendent à être
sélectifs321. Or, c’est ce manque de sensibilité et de respect, très fortement
ressenti, qui génère le Djihad. L’exemple hollandais montre qu’il est
possible d’accommoder intelligemment des principes et valeurs
occidentales – et même les critiques les plus virulentes – sans remettre en
question la liberté de pensée ou de la presse, et sans émeutes, mais
simplement en expliquant…
Les exemples de la Norvège et des Pays-Bas illustrent également le rôle
structurant de l’État dans la gestion des problèmes en amont de la crise.
Paradoxalement, le gouvernement socialiste de François Hollande a traité le
problème comme l’avait fait avant lui le très conservateur Fogh Rasmussen
au Danemark : sans le gérer. La violence qui en a découlé et les morts
qu’elle a provoqués ont toutefois permis au président français de mieux se
positionner – temporairement – dans les sondages, tout comme pour son
prédécesseur, Nicolas Sarkozy en bombardant la Libye…
Les démocraties occidentales doivent se défendre fermement contre la
tyrannie que constitue le terrorisme. Mais la fermeté ne doit pas exclure
l’intelligence et la sensibilité. Il s’agit d’éviter de générer de nouvelles
velléités terroristes sans mettre en péril les valeurs mêmes qui font la force
de la démocratie. Or, nous tendons à faire exactement l’inverse, parce que
nos mesures ne sont pas intégrées dans une cohérence stratégique, mais ne
sont qu’une suite d’actions « tactiques ».
Les lois et coutumes des pays occidentaux sont issues de l’Histoire et de
la culture de leurs nations respectives. Elles sont ainsi en adéquation avec
une certaine évolution de la société et l’on conçoit aisément que tous ces
éléments fassent partie d’une identité individuelle, régionale et/ou
nationale. On peut également admettre que l’identité n’est pas une
constante, mais qu’elle est composée d’une multitude de facteurs qui
évoluent dans le temps. Cette évolution n’est probablement pas faite d’« à-
coups » soudains, mais d’une lente adaptation qui se fait dans les cœurs et
les esprits. Dès lors, et plus spécialement lorsque l’on prône la multi-
culturalité, on doit en assumer un certain nombre de conséquences. La
question n’est pas triviale, car l’Islam est une religion plus complexe que
les religions et confessions chrétiennes, et intègre des aspects à la fois
spirituels, sociétaux et politiques, qu’il est difficile de dissocier par essence.
En France, force est de constater que la notion de multi-culturalité reste
fortement teintée de marxisme, comme le débat sur le « foulard islamique »
dans les écoles l’avait illustré. À bien des égards, on est resté sur des
modèles internationalistes de la fin du XIXe siècle, qui s’adressaient à des
populations vivant dans un espace culturel relativement homogène. Ainsi,
ceux qui sont si prompts à encourager l’immigration refusent-ils pourtant
d’en assumer les conséquences socié-tales.
Ce manque de cohérence face à la situation, qui frise parfois la
provocation à tous les niveaux, entraîne des réactions de violence et fait le
terreau de la radicalisation islamiste. Ainsi, lors de la crise de Gaza, le 9
juillet 2014, le Président Hollande adresse un message de soutien au
Premier ministre Netanyahu soulignant qu’il « appartient au gouvernement
israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux
menaces322 ». Cette formulation, bien peu apaisante, sera certes suivie par
un timide rectificatif de l’Élysée quelques jours plus tard, mais ce « cri du
cœur » initial restera en mémoire d’une large partie de la population
française323.
C’est dans ces détails que se cachent les bases de la radicalisation, et ce
sont eux que les stratégies de déradicalisation devraient cibler en première
priorité. Particulièrement dans un contexte asymétrique, la politique
étrangère n’est pas détachée des autres aspects de la politique, mais
concourt à la stabilité intérieure du pays. Ceci est d’autant plus vrai
lorsqu’une partie importante de la société se positionne dans un contexte
culturel qui dépasse la notion de frontière et voit un continuum entre
l’intérieur et l’extérieur du pays.

L’Occident dans son carcan intellectuel

En août 2005, c’est la « croisade » occidentale en Afghanistan et en Irak


qui propulse Mahmoud Ahmadinejad au pouvoir en Iran. Dans un contexte
régional tendu, le président iranien sera poussé dans un « Djihad verbal »,
qui alimentera une désinformation active contre l’Iran tout en renforçant
une unité nationale fragile. L’une des premières manifestations de ce
« Djihad verbal » est apportée par l’affaire des caricatures à la fin 2005.
Face à l’argumentation occidentale centrée sur la liberté de la presse, les
milieux islamistes soutiennent que la liberté d’expression en Occident est à
deux vitesses et s’exerce au détriment de l’Islam. Dans les milieux
islamistes, on relève que la liberté d’expression ne s’applique pas avec la
même insistance dès lors qu’il s’agit de critiquer Israël. C’est dans cet esprit
qu’Ahmadinejad propose la tenue d’une conférence les 11 et 12 décembre
2006 à Téhéran, intitulée « Review of the Holocaust : Global Vision ».
Malgré son titre, cette conférence est davantage dirigée contre l’Europe que
contre Israël. À cette conférence assistaient des membres d’un groupe de
juifs orthodoxes – dont certains appartenaient au courant hassidique – qui
ne nient certainement pas la réalité de l’Holocauste, mais qui en contestent
l’exploitation politique. Cette conférence était donc un piège ; pas contre les
juifs, mais contre les Occidentaux. Même si cet objectif a été dévoyé de part
et d’autre par les commentateurs extérieurs, au profit d’un discours
politique souvent déplacé, il importait aux organisateurs iraniens de
démontrer à l’opinion internationale que la liberté d’expression s’applique
inégalement dès lors que l’on froisse les musulmans ou les juifs :

Le gouvernement iranien insiste sur le fait que la


conférence qui se tient actuellement à Téhéran n’a rien à
voir avec la négation de l’holocauste. Mais cette réunion
de deux jours, appelée « Review of the Holocaust : Global
Vision », est en fait destinée à « créer une opportunité
pour les chercheurs qui ne peuvent exprimer leur opinion
librement en Europe sur l’Holocauste », a déclaré le
ministre iranien des Affaires étrangères Manouchehr
Mottaki324.

Et en effet, la tenue de cette conférence a déclenché une vague de


protestations en Occident, démontrant ainsi pour les organisateurs la
partialité occidentale à l’égard des musulmans325.
Dans le même esprit, en février 2006, le journal iranien Hamshahri
organise un concours de caricatures sur l’Holocauste. Contrairement à ce
qui a été rapporté dans les médias occidentaux, l’objectif n’était pas de
contester la réalité de l’Holocauste, mais de mettre en évidence le fait que
les Occidentaux soient autorisés à blesser les musulmans, alors qu’il est
interdit dans de nombreux pays de simplement discuter la question de
l’Holocauste. Il s’agissait simplement de souligner l’inégalité de traitement,
comme en témoignaient les règles du concours et les trois questions qui
devaient guider les dessinateurs : aucune d’entre elles ne niait, de près ou de
loin, le fait historique326. D’ailleurs, le vainqueur de ce concours ne
contestait pas l’existence de l’Holocauste, bien au contraire, puisqu’il le
plaçait sur le même plan que la situation des Palestiniens d’aujourd’hui327.
Après les attentats de Charlie Hebdo, un deuxième concours de même
nature a été organisé par le Sarcheshmeh Cultural Complex iranien328.
La question du « bon goût » de ces concours est hors de propos ici. Il est
important en revanche d’en retenir le message de fond : à tort ou à raison, il
nous faut accepter que des sociétés vivant côte à côte aient des perceptions
différentes. Nous avons tendance à rejeter ces différences au nom de
« l’intégration » et de la « laïcité » mais elles existent. Dans l’Histoire (et
jusqu’à ce jour), le Judaïsme et l’Islam ont toujours mieux coexisté qu’avec
le christianisme. C’est l’Occident qui va renverser les régimes, envahir des
pays, et appliquer la « politique de la canonnière ». Malgré les récents – et
controversés – propos du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu,
qui affirmait que l’extermination des juifs avait été inspirée à Hitler par le
Grand Mufti de Jérusalem – tentant ainsi de rejeter la responsabilité de
l’Holocauste sur les Palestiniens329 (!) –, la cohabitation entre juifs et
musulmans, sur tout le pourtour de la Méditerranée et au Moyen-Orient a
toujours été pacifique.
On oppose fréquemment la tolérance européenne au rigorisme saoudien
en ce qui concerne la pratique des religions. Mais là encore, nous tendons à
pécher par manque de cohérence. En Arabie saoudite, à tort ou à raison, la
politique est claire d’entrée de jeu : c’est une terre d’Islam et les autres
cultes n’y sont pas tolérés. À l’opposé, les États-Unis protègent férocement
une liberté d’expression qui s’exerce dans les registres les plus étendus,
voire les plus extrêmes. En Europe, les positions sont moins nettes. Certes
nous protégeons les libertés de pensée et de religion, mais seulement
jusqu’à un certain point, comme en témoignent les discussions sur le voile
islamique ou la « burqa », ce qui est perçu comme une sorte de démocratie
à géométrie variable. Les choses seraient beau-coup plus simples si l’on
énonçait de manière explicite, les conditions strictes des pratiques
religieuses ou culturelles acceptables pour entrer dans un pays et s’y établir.
Ces restrictions seraient sans doute mieux acceptées si elles n’étaient pas
appliquées (et donc perçues) comme des punitions.

LES ATTENTATS DE 2015 EN FRANCE


[…] Et la France et ceux qui suivent sa voie doivent
savoir qu’ils restent les principales cibles de l’État
islamique et qu’ils continueront à sentir l’odeur de la
mort pour avoir pris la tête de la croisade, avoir osé
insulter notre Prophète, s’être vantés de combattre l’islam
en France et frapper les musulmans en terre du califat
avec leurs avions330 […]

Le 10 juillet 2014, témoignant devant le Sénat américain, le secrétaire à


la sécurité du territoire331, Jeh Johnson, déclarait que « les États Unis
n’avaient pas connaissance d’une menace particulière de l’État islamique
sur le territoire américain332 ». Son avis sera confirmé quelques jours plus
tard, début septembre, par le directeur du Centre national de contre-
terrorisme333 américain, Matthew Olsen334. Comme nous l’avons déjà vu,
c’est la situation qui prévaut en été 2014, lors de l’apparition formelle de
l’État islamique. C’est cette absence de menace concrète qui conduit les
États-Unis à créer de toutes pièces l’existence du groupe « Khorasan » vu
plus haut.
En clair, l’Occident, à ce stade n’est pas menacé et n’a aucune raison
pour intervenir contre l’État islamique en Syrie, et a fortiori dans un État
souverain sans son consentement. Le 10 août 2014, interrogé par France 2
sur l’action de la France en Irak, le ministre des Affaires étrangères, Laurent
Fabius, affirme même :

Est-ce que, nous-mêmes, nous allons nous impliquer


militairement ? La réponse pour le moment est non, je
vous le dis clairement, puisque notre doctrine est que nous
n’intervenons pas s’il n’y a pas un feu vert du Conseil de
sécurité des Nations unies et s’il n’y a pas une menace
directe pour nos ressortissants. Mais nous saluons le
travail que font les Américains. C’est un premier point. Et,
de toutes les manières, il n’est pas question d’envoyer des
gens au sol335.

Pourtant, cette position changera très rapidement après cette déclaration,


qui cache que des militaires français sont déjà déployés en Syrie, comme
nous l’avons vu. Ceci étant, le ministre ne ment pas vraiment, puisqu’à ce
stade, ces militaires sont là pour contribuer à un renversement de régime et
non pas pour lutter contre l’État islamique, qui partage le même objectif.
Le 5 septembre 2014, en marge du Sommet de l’OTAN du Pays de
Galles, les États-Unis réunissent 9 pays336 autour d’eux dans une coalition
destinée à lutter contre l’État islamique tout d’abord en Irak, puis en Syrie,
non pas pour protéger l’Occident – qui n’est pas menacé – mais pour
préserver la fragile stabilité de l’Irak Cette coalition sera augmentée de 18
pays337 lors de la conférence de Paris du 15 septembre 2014. Le 18
septembre 2014, lors de sa conférence de presse, le président Hollande
informe qu’à la demande du gouvernement irakien, l’armée française
frappera les groupes terroristes en Irak. Formellement effectuées à la
demande du gouvernement irakien, les frappes en Irak contre l’État
islamique n’ont pas besoin de l’aval des Nations unies. Ainsi, le 19
septembre, François Hollande annonce que la France a mené ses premières
frappes sur des cibles en Irak :

Ce matin à 9 h 40, conformément aux ordres que


j’avais donnés, les avions Rafale ont pilonné un objectif et
l’ont entièrement détruit […] En aucun cas il n’y a de
troupes françaises au sol 338 […]

Lors de la réunion ministérielle de l’OTAN à Bruxelles, le 4 décembre


2014, la coalition est élargie de 33 autres pays339. Après les images
obscènes des égorgements et décapitations, le langage de la fermeté plaît en
Occident. Toutefois, la décision de mener ces bombardements en Syrie,
sans mandat et sans l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies – et
donc, sans légalité internationale – n’était justifiée par aucune menace
directe contre l’Occident340.
Ceci étant, si l’on peut concevoir une « responsabilité morale » de la
part des États-Unis et de la Grande-Bretagne à aider le gouvernement
irakien dans la lutte contre l’État islamique, les raisons de la France et de la
Belgique, qui étaient restées judicieusement à l’écart de la guerre de 2003,
les protégeant ainsi du terrorisme djihadiste jusqu’alors, apparais-sent
moins clairement. Se renforce alors l’hypothèse d’une manœuvre
politicienne destinée à resserrer l’unité nationale autour d’une menace
extérieure. Pour ces deux gouvernements, alors très impopulaires et sujets à
de nombreux mouvements sociaux, un scénario semblable au film Des
Hommes d’influence341 se dessine, avec le risque de conséquences mal
évaluées sur la vie et la sécurité de leurs concitoyens.
À ceci s’ajoute le fait que les bombardements occidentaux n’ont pas la
précision qu’on leur attribue généralement. Dès lors, les « dommages
collatéraux » deviennent une justification pour utiliser des méthodes
terroristes :

L’artillerie, tout comme le terrorisme, conduit à des


pertes de vies de non-combattants. Un missile qui frappe
une ville, et qui n’est à l’évidence pas une arme précise,
n’est pas différent d’une bombe dans une ville d’un pays
qui est en guerre contre les musulmans.
Dès lors, […] il est clair que les musulmans sont
autorisés à cibler des populations des pays qui sont en
guerre avec les musulmans, par des bombes, des armes à
feu ou d’autres formes d’attaques qui conduisent
inévitablement à la mort de non-combattants342.

En fait, les pays occidentaux n’ont pas réalisé qu’ils s’engageaient dans
un combat asymétrique : l’usage de la force n’a eu pas d’effet dissuasif –
comme dans la logique des conflits symétriques – mais au contraire a
renforcé la posture de l’État islamique :

Ne soyez pas lâches en nous attaquant avec des


drones. Envoyez-nous vos troupes à la place, ceux que
nous avons humiliés en Irak343 !

Lors de sa conférence de presse du 18 septembre 2014, le Président


Hollande avait précisé que la France n’interviendrait pas en Syrie. Il fallait
donc trouver une raison valable pour intervenir en Syrie, en alléguant que la
France avait été attaquée la première en janvier 2015. C’est le message de
Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères :

On a été parmi les premiers à lutter contre Daech


parce que ce sont des terroristes qui veulent nous détruire.
C’est parce qu’ils veulent nous détruire que nous sommes
en Syrie. D’ailleurs, le premier attentat contre Charlie
Hebdo, nous n’étions pas en Syrie. Donc c’est vraiment
nous, notre existence qui est visée344.

Il faut certes placer cette lecture dans son contexte. Nous passerons
rapidement sur l’affirmation factuellement fausse selon laquelle l’attentat
contre Charlie Hebdo aurait été conçu ou décidé en Syrie, puisque – de
l’aveu même des terroristes – cette action a été commanditée et financée par
la Base du Djihad dans la péninsule arabique (BDPA) au Yémen et non par
l’État islamique en Irak et en Syrie. Juste à l’aube d’une période électorale,
il était difficile de reconnaître que les attentats étaient une conséquence
directe de la politique française en Irak et en Syrie. Mais il est évident,
d’autre part, que les terroristes ne sont pas irrationnels au point de penser
que des attentats puissent « détruire » la France, et mettre en danger son
« existence » ou celle de sa société. C’est absurde et appelle plusieurs
remarques.
En premier lieu, cette affirmation tend à révéler une erreur stratégique :
que les décideurs français ont considéré les parties irakienne et syrienne du
groupe État islamique (« DAECH345») comme deux entités différentes,
ignorant que les islamistes réfléchissent en termes de « communauté » sans
frontière délimitée. Ainsi, si le fait de bombarder l’État islamique en Syrie
ou en Irak fait une différence considérable aux yeux des Occidentaux et du
Droit international, il n’en fait aucune pour les islamistes et au niveau
stratégique.
En deuxième lieu, en liant les attentats à l’existence même de la France
ou de sa société, non seulement on ignore les revendications et multiples
explications données par les terroristes, mais, plus grave, on tend à les
placer dans le cadre d’une fatalité contre laquelle on ne peut rien, puisque la
France existe. C’est le même type d’explication que l’on entend de la part
des autorités israéliennes pour expliquer le conflit avec les Palestiniens, et
qui permet d’éviter d’y répondre de manière stratégique et d’y trouver des
solutions.
En troisième lieu, en définissant pour les attentats un objectif (à savoir
la destruction de la France et de sa société) sans commune mesure avec les
moyens utilisés, on place la discussion dans un registre totalement
irrationnel, qui est générateur de panique et dégage la responsabilité du
gouvernement. Aucune des revendications pour les attentats de Paris ne
mentionne la destruction de la France, de sa société, voire l’imposition de la
loi islamique. Cette démarche est particulièrement grave, car elle conduit à
créer un amalgame entre les revendications des populations immigrées et
celles – imaginaires – des terroristes. Or, ce sont deux problèmes distincts et
qui demandent des solutions différenciées. C’est exactement la même
démarche qui avait été adoptée par le gouvernement Bush aux États-Unis
après le 11 Septembre, qui visait à créer délibérément une psychose qu’il
puisse exploiter politiquement.
Cette explication de Laurent Fabius doit être rapprochée d’une autre
simplification qu’il avait déjà évoquée en 2014 et que nous avons vue plus
haut : l’affirmation d’une « alliance objective » entre le régime de Bachar
al-Assad et les terroristes, évidemment fallacieuse, mais qui fournit le
prétexte d’une intervention en Syrie sous le label de la « légitime défense ».
Ici également, on retrouve les mêmes ingrédients qui avaient permis aux
Américains d’associer Saddam Hussein à « Al-Qaïda », ouvrant ainsi la
porte à la guerre.
Ces sophismes – pour ne pas dire cette désinformation – ont alimenté
l’aveuglement de la conduite française, et empêché les décisions
stratégiques qui auraient pu prévenir les attentats de novembre 2015, et ont
rendu le gouvernement français incapable de maîtriser l’escalade
déclenchée en 2014: les attentats de janvier 2015 étaient une réponse aux
frappes françaises de 2014 en Irak, puis la réaction française en Syrie a
constitué la motivation pour les attentats de novembre 2015.

La politique de l’autruche

Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le gouvernement


français a réagi comme le gouvernement espagnol en 2004 et le Premier
ministre britannique Tony Blair en 2005, qui avaient menti à leurs
Parlements et à l’opinion publique, afin de masquer l’impact de leur
politique étrangère dans les attentats. Le Premier ministre Manuel Valls
manifeste le même déni devant l’Assemblée nationale, le 19 novembre
2015, en tentant de dégager la responsabilité du gouvernement dans la
motivation des terroristes en affirmant :

Ne nous y trompons pas : un totalitarisme a frappé la


France non pas pour ce qu’elle fait, mais pour ce qu’elle
est346.
Le discours plaît par sa fermeté et la glorification de notre société, mais
il est faux, car il pose le terrorisme comme une fatalité. La conséquence
d’une telle lecture est que nous voyons les diverses vagues d’attentats qu’a
subies la France (1985-1986, 1994-1996, 2004) placées sur le même plan.
Or, elles ont toutes des causes différentes. Si les bombardements en Irak
avaient été correctement identifiés en janvier 2015 comme une source de
radicalisation et une justification possible pour d’éventuels attentats, la
France se serait-elle engagée en Syrie 8 mois plus tard, prenant ainsi le
risque de générer de nouveaux attentats ?
En Espagne, la politique de déni a fait perdre les élections au parti du
Premier ministre Aznar en 2004. En Grande-Bretagne, la guerre en Irak fait
l’objet d’une enquête (« Chilcot Inquiry347 ») que certains veulent voir
aboutir à une mise en accusation de l’ex-Premier ministre Tony Blair pour
crime de guerre348.
Au-delà des mots, si l’on refuse d’énoncer les causes réelles de la
radicalisation et des attentats, il n’y a aucune chance de résoudre le
problème et les mesures prises ne feront probablement que l’amplifier. Les
revendications des attentats de janvier 2015 n’évoquent pas les caricatures
de 2005-2006 ou la liberté d’expression, tandis que les revendications
émises par l’État islamique le 14 novembre 2015, puis dans le numéro 12
de son organe officiel, Dabiq – paru le 18 novembre – et dans sa revue Dar
al-Islam de novembre 2015 n’évoquent ni le caractère chrétien de la France,
ni sa démocratie, ni son mode de vie, comme justification pour les attaques,
mais mentionnent clairement une réponse aux frappes aériennes en Irak et
en Syrie. Les Djihadistes justifient ces ripostes d’autant plus « facilement »
qu’à leurs yeux – comme sans doute pour une bonne partie de l’opinion –
l’intervention française n’était pas justifiée en premier lieu :

Le vendredi 19 septembre 2014 – soit plus de trois


mois avant les opérations de l’Hyper Casher et de Charlie
Hebdo, et plus d’un an avant les opérations de Paris et
Saint-Denis – les Rafales français ont bombardé l’État
islamique par haine de l’islam et de la Charia et non pas
en représailles à des attentats qui auraient été perpétrés
par l’État islamique contre la France349.
À l’appui de cette constatation, on pourrait arguer que les attentats de
l’État islamique ne touchent pas (pour l’instant) l’Allemagne, la très
catholique Pologne, la Grèce orthodoxe ou même l’Autriche. La vidéo
posthume laissée par Amédy Coulibaly est elle aussi éloquente quant à la
motivation des terroristes, et nous explique assez clairement les raisons des
choix, qui seront confirmés par les revendications écrites des groupes
islamistes et leurs analyses après l’événement. Dans cette vidéo, pas de
conquête du monde, pas de lutte contre la liberté d’expression, mais une
réponse à des bombardements :

Ce que l’on est en train de faire c’est tout


à fait légitime, vu ce qu’ils font […] C’est
amplement mérité depuis le temps.
Vous attaquez le Khalifat, vous attaquez
l’État islamique, on vous attaque. Vous ne
pouvez pas attaquer et ne rien avoir en
retour. Alors vous faites votre victime,
comme si vous ne compreniez pas ce qui se
passe, pour quelques morts, alors que vous
et votre coalition, vous en tête presque
même, vous bombardez régulièrement là-bas,
vous avez investi des forces, vous tuez des
civils, vous tuez des combattants, vous tuez…
Pourquoi ? Parce qu’on applique la
Charia ? Même chez nous on a peur
d’appliquer la Charia maintenant. C’est
vous qui décidez de ce qui va se passer sur
la terre. […] On ne va pas laisser faire ça.
On va se battre. Inch’ Allah350 […]

L’interview téléphonique donnée par Chérif Kouachi351 durant


les événements explique clairement ses objectifs. Ici aussi, pas de
lutte contre la chrétienté ou sa destruction, mais une « vengeance » contre
les « femmes et les enfants tués en Irak, en Syrie et en Afghanistan ». Il est
aussi intéressant de constater qu’il introduit une confusion entre « civil » et
« innocent », suggérant que les dessinateurs de Charlie Hebdo ne sont pas
des « civils » (et donc pas « innocents »).
On pourrait même voir dans le texte de la revendication que les attentats
ont été effectués pour défendre leur propre liberté de religion dans leur pays
(ou zone) et non la liberté d’exercer leur religion dans nos pays. C’est donc
bien une action tactique offensive qui s’inscrit dans une posture stratégique
défensive cohérente avec le discours et les écrits de l’État islamique et des
autres théoriciens du Djihad.
Il faut insister ici sur le fait qu’il ne s’agit pas de justifier d’une
quelconque manière les attentats terroristes, mais de comprendre sans
préjugés la réflexion qui y conduit. Ainsi, les attentats de janvier 2015 sont
la combinaison de deux opérations menées conjointement par deux cellules
indépendantes, appelée « Djihad individuel hybride » dans la doctrine
terroriste djihadiste : l’action des frères Kouachi contre Charlie Hebdo,
placée sous la bannière de la Base du Djihad dans la péninsule arabique
(BDPA), comme l’expliquent son magazine Inspire352 et les déclarations
téléphoniques de Chérif Kouachi353 ; et l’action d’Amédy Coulibaly contre
l’Hyper Cacher placée sous la bannière de l’État islamique (EI), comme le
confirment sa vidéo et Dabiq354, le magazine de l’EI. Il est important de
noter ici que ces deux actions sont coordonnées par leurs acteurs eux-
mêmes, sans intervention d’une autorité extérieure. Les informations
retrouvées sur l’ordinateur de Coulibaly355 ne sont que des conseils
techniques (et non des « ordres », comme la presse l’a interprété). Mais les
décisions opérationnelles ont été prises avec un apport extérieur minimal,
conformément à la doctrine moderne du terrorisme djihadiste que nous
verrons plus loin.
Il est intéressant de noter que, même si les attentats nous ont été
insupportables et nous ont semblé aveugles, il y a, dans l’optique des
islamistes, le sentiment d’une réponse maîtrisée ; à la fois par le choix des
victimes, qui – à leurs yeux – portaient une responsabilité par rapport aux
bombardements de civils, et dans l’intensité de l’action. Cette perception est
clairement exprimée dans le magazine Inspire, qui est l’organe de la Base
du Djihad dans la péninsule arabique (BDPA) et constitue une référence
doctrinale pour le Djihadisme moderne :

Malgré la publication de vos dessins insultants, vous


n’avez pas vu de réactions insultantes de la part du
milliard et demi de musulmans envers le Prophète d’Allah,
Jésus, fils de Marie […]. Parce que nous croyons dans
tous les prophètes […] et que quiconque se moque ou les
détracte est un apostat et un incroyant356.

Sur un plan doctrinal, on peut constater qu’à l’inverse du message qui a


été compris en Occident, les inspirateurs des attentats de janvier 2015 à
Paris ne cherchent pas à « détruire ce que nous sommes » ou à « combattre
notre religion » :

[…] Une remarque finale en ce qui concerne le


ciblage au cœur des pays ennemis, l’Amérique et ses
Alliés occidentaux, est qu’il faut éviter de cibler les lieux
de prière de n’importe quelle religion ou foi, qu’elle soit
chrétienne, juive ou autre. On doit éviter de blesser des
civils qui sont citoyens de pays qui n’ont pas de relation
avec le conflit, même s’ils ne sont pas musulmans. Ceci
doit être fait de sorte à maintenir la réputation de la
Résistance dans les différents cercles de l’opinion
publique357.

Même si, au niveau tactique, les actes terroristes djihadistes ont un


caractère offensif, sur le plan stratégique, ils ont essentiellement un
caractère de « réponse » (un concept pas très éloigné de ce que les
Soviétiques appelaient « offense-défensive »). Notre analyse du phénomène
terroriste tend à extrapoler linéairement l’action tactique pour en tirer une
image stratégique. Cette démarche est manifestement fausse et nous pousse
vers des stratégies erronées. De fait, l’étude des diverses revendications et
les analyses des Djihadistes eux-mêmes nous montrent un discours
beaucoup plus sobre que celui qui est colporté par les dirigeants politiques
occidentaux. Comme nous l’avons vu, il ne s’agit pas de détruire
l’Occident, mais d’apporter une réponse à ses actions.
Il est d’ailleurs significatif de constater que l’attentat multiple du 13
novembre 2015, qui a bouleversé la politique française au point de pousser
le gouvernement à demander l’aide militaire de l’Union européenne, n’est
mentionné qu’en quelques lignes dans Dabiq (l’organe « officiel » de l’État
islamique) à la 13e place, après 12 autres opérations en Syrie, au Sinaï et
ailleurs358.
On a vu, dans les divers attentats parisiens de 2015, un ciblage récurrent
« d’objectifs » juifs, comme un fil rouge qui semble les lier. C’est certes un
point commun. Pourtant, les textes de revendications et analyses
« officielles » publiées par l’EI – en janvier comme en novembre – ne
singularisent pas les « juifs », et mettent l’accent sur la réponse aux
bombardements français. Ce choix semble d’autant plus surprenant qu’à
l’exception de la situation en Palestine (que les Palestiniens eux-mêmes ne
considèrent pas comme un conflit religieux) les communautés juives et
musulmanes coexistent généralement bien et de manière pacifique dans les
pays musulmans. Alors, pourquoi cet accent porté sur des objectifs juifs ?
De fait, dans sa revendication des attentats du 13 novembre 2015 pour
répondre aux bombardements français, l’État islamique a bien précisé que
les objectifs avaient été « choisis minutieusement », et donc que les
terroristes n’avaient pas frappé au hasard dans Paris (comme dans le métro
ou dans une gare) :

Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des


fusils d’assaut ont pris pour cibles des endroits choisis
minutieusement à l’avance au cœur de la capitale
française359 […]

Ainsi, au lieu de frapper au hasard, les terroristes ont frappé ceux qui
leur semblaient les « plus coupables » : en janvier, Charlie Hebdo qui avait
attisé les violences en 2006 était la cible principale ; l’Hyper Cacher de
Vincennes, que l’on a « minutieusement choisi360 », vraisemblablement en
raison des événements de Gaza en juillet-août 2014 (si l’on en croit le
terroriste Amédy Coulibaly) et probablement parce que l’on n’y trouverait
pas de musulmans, n’était en réalité qu’une diversion pour diminuer la
pression policière sur les frères Kouachi. En novembre, on trouve un
scénario analogue : le Bataclan, qui était fréquenté par la Ligue de défense
juive (LDJ) et le Bétar – deux organisations extrémistes juives – étaient
l’objectif principal avec le Stade de France ; c’est sur ces deux objectifs
qu’étaient placées les bombes et où les terroristes étaient prêts à causer un
maximum de dommages. Quant aux mitraillages dans les rues de Paris, ils
semblent avoir eu la même fonction que l’attaque contre l’Hyper Cacher en
janvier, à savoir des actions de diversion afin d’empêcher les forces de
l’ordre de se concentrer sur les objectifs principaux. Ce qui a d’ailleurs bien
fonctionné, puisque les forces d’intervention de la police sont arrivées au
Bataclan une demi-heure après le début de la prise d’otages, après avoir été
engagées sur les « mitraillages » qui étaient déjà terminés.
Concernant le Bataclan, certains « experts » ont évoqué un lien avec
l’attentat du 22 février 2009 à Khan el-Khalili, au Caire, car certains acteurs
associés à cet événement se retrouvent en novembre 2015361. C’est un
exemple de la différence entre l’analyse de renseignement stratégique et
tactique. Sur le plan tactique, on trouve évidemment des points communs à
travers les personnes, l’évocation du Bataclan comme objectif possible d’un
attentat. Mais au niveau stratégique, aucune similitude n’apparaît.
Considéré comme un attentat « anti-français » par la France362, les motifs
de l’attentat du Caire restent cependant inconnus à ce jour et s’apparentent
davantage à une opération « anti-touristes », dirigé contre le gouvernement
égyptien, qui avait cédé aux pressions américaines et israéliennes dans sa
politique à l’égard de la Bande de Gaza. Les attentats de novembre 2015,
eux, sont de manière évidente « anti-français » avec des motifs clairement
exprimés : les frappes en Syrie et en Irak. Le fait que le Bataclan soit
mentionné dans les deux affaires tend à accréditer l’idée que les Djihadistes
ont une sorte de « catalogue » informel d’objectifs possibles. Ainsi, pour
toucher la France, les terroristes n’ont pas frappé n’importe quel citoyen
« au hasard », mais ont choisi ceux qui – à leurs yeux – étaient les plus
« coupables », les clients de l’établissement étant des victimes
« collatérales ». Il s’agissait donc, vraisemblablement, plus d’un « choix par
défaut » qu’une attaque contre Israël ou des intérêts juifs, ainsi que l’ont
d’ailleurs confirmé les témoignages des survivants du Bataclan363.
La lutte contre le terrorisme est trop souvent comprise comme une
affaire de police et d’accumulation de données. C’est vrai en ce qui
concerne la chasse aux individus. Mais pour combattre efficacement le
phénomène lui-même, il est essentiel de commencer en amont, avec des
stratégies et des postures telles qu’elles empêchent des individus de
basculer dans une stratégie terroriste. Naturellement, une telle démarche
n’est possible que si l’on admet que le terrorisme n’est pas une fatalité…
Dans ce contexte, la teneur du message de soutien adressé par le
président Hollande au gouvernement israélien en juillet 2014364, ou le lien
affiché et affirmé du Premier ministre Manuel Valls avec la communauté
juive365, ont sans doute eu plus de conséquences qu’on n’imagine, en
suggé-rant une posture plus généralement partisane du gouvernement
français en faveur d’Israël et impliquant une certaine « connivence » entre
les deux pays. Même s’il est légitime pour une personnalité politique
d’avoir des affinités pour une communauté, celles-ci devraient
s’accompagner de la retenue nécessaire, afin d’inspirer la confiance et de ne
pas suggérer un manque d’impartialité. C’est le sens fondamental de la
laïcité républicaine.
Si l’on écarte la multitude de ceux – que Lénine appelait les « idiots
utiles » – qui se sont félicités des attentats sans réellement en connaître le
contexte, pour se concentrer sur les textes « officiels » de l’EI, on peut en
déduire que la sélection des objectifs (Charlie Hebdo, Hyper Cacher,
Bataclan) a probablement suivi une démarche plus fine qu’il n’y paraît.
Il n’en demeure pas moins que les morts et les blessés sont des victimes
innocentes, et donnent le sentiment de cibles choisies au hasard. Mais il
semble, malgré tout, qu’il y ait un processus de sélection des objectifs, ainsi
que le précise la doctrine djihadiste :

[…] concernant ces opérations, il y a certains facteurs


qui doivent être pris en considération afin d’assurer leur
succès. La vie des musulmans doit retenir la plus grande
attention. Les bons objectifs sont des lieux où il ne devrait
pas y avoir de musulmans, comme les lieux de perdition,
les night-clubs comme à Bali, Mardi Gras, les lieux de
jeux d’argent, ou les établissements financiers qui vivent
de l’usure comme les tours jumelles. Il faut viser des
partis politiques ou des organisations qui persécutent les
musulmans366.

En clair, à leurs yeux, les victimes des actes terroristes sont des
« dommages collatéraux » – au même titre que les victimes civiles en Irak
et en Syrie. La similitude avec les victimes collatérales provoquées par les
bombardements occidentaux est exploitée par les terroristes islamistes
depuis le début des années 90.
Pour comprendre ce raisonnement, il faut rappeler qu’exception faite
des bombardements alliés contre l’Allemagne durant la Seconde Guerre
mondiale, de l’usage des bombes atomiques contre le Japon, de l’usage
indiscriminé de bombes à sous-munitions lors du bombardement de la ville
de Bagdad en 2003, ou du bombardement délibéré de l’hôpital de Qunduz
en Afghanistan (3 octobre 2015), les frappes aériennes occidentales ne
visent généralement pas des civils. Mais la nature des méthodes de ciblage
et leur capacité limitée de distinguer entre civils et militaires font que l’on
peut raisonnablement estimer que les frappes toucheront des civils. Ce sont
alors des « dommages collatéraux ». Or, on oublie volontiers de mentionner
en Occident que les frappes de la coalition internationale, dont fait partie la
France, auraient fait entre 2232 et 2958 victimes civiles « collatérales » en
Irak et Syrie entre août 2014 et mars 2016 selon le site Air-wars, une
plateforme coopérative sur l’analyse des frappes aériennes
internationales367.
Contrairement à la rhétorique officielle et aussi à celle de nombreux
« experts », les opérations de janvier et novembre 2015 à Paris présentaient
toutes les caractéristiques des « opérations de dissuasion », qui ont pour
objectif déclaré de forcer les pays occidentaux à stopper leurs frappes,
comme le précise l’organe « officiel » de l’État islamique :

Je crois qu’on ne peut pas faire plus clair. Ce sont


donc les bombardements aveugles français qui sont la
cause de cette menace. Menace qui a été mise à exécution
le 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis368.

L’affirmation du président François Hollande de « légitime


défense », avancée le 27 septembre 2015 pour justifier
officiellement le début des bombardements français en Syrie, est sujette à
caution. Les attentats terroristes individuels sont vus par les islamistes
comme des drones ou des missiles de croisière, qui frappent sur nos
arrières :

Nous n’avons pas d’avions pour vous bombarder


comme vous nous bombardez. Nous avons des hommes qui
aiment la mort comme vous aimez la vie369.

Le moment choisi pour les attentats de 2015 n’était pas complètement


imprévisible. Il faisait suite, d’une part, à plusieurs articles doctrinaux dans
la littérature djihadiste sur la question des « opérations de dissuasion370 » et,
d’autre part, s’appuyait assez significativement sur l’impopularité du
gouvernement du président Hollande, pour le forcer à revoir sa politique au
Proche-Orient (comme cela avait été le cas en Espagne en 2004)371. La
faiblesse politique du gouvernement et son faible soutien populaire sont des
facteurs de décision pour les terroristes.
On peut comprendre que nous percevions l’intention des terroristes à
travers leurs actes, avec le danger d’appliquer une grille de lecture faussée
par notre culture et nos objectifs politiques, mais cela est insuffisant pour
articuler des stratégies. Une stratégie de lutte contre le terrorisme doit
comprendre une analyse objective des objectifs que l’on cherche à atteindre
et leurs conséquences avant de s’engager dans des opérations hasardeuses.

1. Robert A. Pape, « It’s the Occupation, Stupid », Foreign Policy, 18 octobre 2010.
2. Nelly Lahoud et al., Letters from Abbottabad: Bin Ladin Sidelined ?, (op. cit.)
3. Dr. Aiman Al-Zawahiny, « Iman Defeats Arrogance », Inspire Magazine, n° 12, printemps 2014
(1435), p.12.
4. Roger Morris, « A Tyrant 40 Years in the Making », New York Times, 14 mars 2003.
5. Shane Harris & Matthew M. Aid, « Exclusive: CIA Files Prove America Helped Saddam as He
Gassed Iran », Foreign Policy, 26 août 2013.
6. Tyler, Patrick E., « Officers Say U.S. Aided Iraq in War Despite Use of Gas », The New York Times,
18 août 2002.
7. Source : la transcription originale de la discussion entre Saddam Hussein et l’ambassadrice Glaspie,
fournie par elle au Département d’État, (New York Times, « Confrontation In The Gulf – Excerpts
From Iraqi Document on Meeting With U.S. Envoy », 23 septembre 1990, récupéré sur le web le
20 juin 2015). Plus tard, cependant, lors de l’enquête parlementaire sur cet événement,
l’ambassadrice Glaspie donnera une autre version de sa discussion, prétendant qu’elle aurait
ajouté que la solution de la crise devait être pacifique.
8. Jusqu’en 1963, avant la scission et son indépendance, le Koweït faisait partie de la province
irakienne de Bassorah. Cette scission a été incitée par les Britanniques, afin de préserver leurs
intérêts pétroliers, nationalisés en Irak.
9. Le Congressional Human Rights Caucus n’est pas une institution officielle, mais une association de
politiciens du Congrès américain, dirigé par le démocrate Tom Lantos (CA) et le républicain John
Porter (IL). Porter et Lantos sont également à la tête de la Congressional Human Rights
Foundation, qui incidemment occupe gratuitement des locaux dans les locaux de Hill &
Knowlton. (Source : Center for Media & Democracy, Madison, WI). Lors de la présentation du 10
octobre 1990, Lantos est au courant de la supercherie, alors que Porter ignore que l’événement est
fabriqué.
10. Ce faux témoignage peut être vu sur Youtube: https://www.youtube.com/watch?v=LmfVs3WaE9Y
11. John R. MacArthur, Second Front: Censorship and Propaganda in the Gulf War, University of CA
Press, Berkeley (CA), 1992, p. 54.
12. Le Congressional Human Rights Caucus n’étant pas une commission ou un organe officiel du
Congrès américain, le témoignage de la jeune Nayirah a été considéré comme une conversation
privée, et son mensonge n’a pu être poursuivi pénalement.
13. Jean Heller, « Photos don’t show buildup », The St. Petersburg Times, 6 janvier 1991 ; The
Christian Science Monitor, 6 septembre 2002.
14. Interview de Richard (Dick) Cheney sur C-Span, 15 avril 1994.
15. Il s’agit en essence de limiter les activités américaines à des activités d’entraînement,
conformément au « 1977 Military Training Mission Treaty » (Gwyn Prins, « Blood and Sand »,
The Guardian, 21 décembre 2001).
16. William O. Beeman, « Saudi bombings were a carefully calculated act », The Daily Star, 16 mai
2003.
17. Oussama Ben Laden, « Déclaration de guerre contre les Américains occupant le pays des deux
Lieux Saints », 23 août 1996 (publié dans Al-Quds al-Arabi).
18. Mark Matthews, « U.S. sets conditions for killing terrorist Cohen says bin Laden may be hit in line
of fire », The Baltimore Sun, 24 août 1998.
19. Déclaration du front Islamique mondial, 23 février 1998, signée par le cheikh Oussama Bin
Mohammad ben Laden, Aïman al-Zawahiri, émir du Gama’a al-Jihad en Égypte, Abou-Yasir
Rifa’i Ahmad Taha, du Gama’a alIslamiyya égyptien, cheikh Mir Hamzah, secrétaire du Jamiat-
ul-Ulema-e-Pakistan et Fazlur Rahman, émir du Mouvement islamique au Bangladesh.
20. Peter Waldman & Hugh Pope, « ‘Crusade’ Reference Reinforces Fears War on Terrorism Is
Against Muslims », The Wall Street Journal, 21 septembre 2001. Voir aussi: « 9/11 George Bush -
This Crusade Is Gonna Take A While », YouTube, 17 septembre 2001.
21. Erik Prince and the last crusade, The Economist, 6 août 2009.
22. Alan Cooperman, « Marching as to War », The Washington Post, 16 juillet 2006.
23. William M. Arkin, « The Pentagon Unleashes a Holy Warrior », Los Angeles Times, 16 octobre
2003.
24. Pauline Jelinek & Robert Burns, « Joint Forces Staff College Class Suspended After Teaching
America’s Enemy Is Islam », www.huffingtonpost.com, 10 juillet 2012.
25. Les références délibérées à « Jean 8:12 » et « 2 Corinthiens 4:6 » sur les lunettes de visées Trijicon
ACOG ont fait grand bruit aux États-Unis, où la laïcité est la règle dans les forces armées. (Joseph
Rhee, Tahman Bradley & Brian Ross, « U.S. Military Weapons Inscribed With Secret ‘Jesus’
Bible Codes », ABC News, 18 janvier 2010).
26. Prof. Kurt R. Spillmann, entretien dans « Terrorisme islamiste : causes et conséquences », Bulletin
SIT, 2/2002, Berne.
27. Werner Daum (ambassadeur d’Allemagne au Soudan entre 1996 et 2000), Universalism and the
West — An Agenda for Understanding, Harvard International Review, 2001.
28. Sandia National Laboratories, Osama Ben Laden : A Case Study, US Department of Energy,
Livermore (CA), 1999.
29. Jessica Stern, « Being Feared Is Not Enough to Keep Us Safe », Washington Post, 15 septembre
2001.
30. Lacey Marc, « Look at the Place! Sudan Says, ‘Say Sorry,’ but U.S. Won’t », The New York Times,
20 octobre 2005 (consulté le 1er octobre 2015).
31. Editorial, « Punish and Be Damned », The Economist, 29 août 1998.
32. Ronald K. Noble, « A Neglected Anti-Terror Weapon », New York Times, 9 septembre 1998.
33. Après les frappes d’août 1998, le chef de la Commission sénatoriale aux services armés, le
sénateur Dan Coats (Républicain) devait déclarer : « Nous devons manifestement en savoir plus
sur cette attaque et pourquoi elle a été ordonnée aujourd’hui. Compte tenu des problèmes
personnels du Président cette semaine, il est légitime de soulever la question du calendrier de cette
action. », CNN, 20 août 1998.
34. Thierry Meyssan, L’Effroyable imposture : 11 Septembre, Chatou, Carnot, 2002.
35. Inspire Magazine, n° 7, automne 2011.
36. Yahya Ibrahim, « Letter from the Editor », Inspire Magazine, n° 7, automne 2011 (1432), p. 3.
37. Par exemple, François Clemenceau, au cours de l’émission « C dans l’air », France 5, 29
septembre 2015.
38. Ted Thornhill, « When women lived FREE in Afghanistan : Pictures show how they were once
able to study, wear skirts and mix freely with men – before civil war, invasion and the Taliban
enslaved them », The Daily Mail, 22 janvier 2014. (http://www.dailymail.co.uk/news/article-
2543902/Photos-just-free-women-Afghanistan-Taliban-rule.html) voir également:
https://afghanistannow.wordpress.com/tag/1970/
39. Robert M. Gates, From the Shadows : The Ultimate Insider’s Story of Five Presidents and How
They Won the Cold War, Simon and Schuster, 20 décembre 2011, p. 608, p. 132.
40. Cette version est également confirmée par une interview de Zbigniew Brzezinski, Conseiller à la
sécurité nationale du Président Carter, au Nouvel Observateur (Le Nouvel Observateur, Paris, 15-
21 janvier 1998).
41. « The CIA’s “Operation Cyclone” – Stirring The Hornet’s Nest Of Islamic Unrest », Rense.com,
27 février 2010 (http://rense.com/general31/cyc.htm).
42. Lester W. Grau, Mine Warfare and Counterinsurgency : The Russian View, Foreign Military
Studies Office, Fort Leavenworth (KS), 1999.
43. Au milieu des années 90, soucieuse de l’utilisation que pourraient en faire des mouvements
terroristes, la Central Intelligence Agency (CIA) américaine a lancé un programme de rachat de
ces missiles. L’offre de 68 000 dollars pour chaque Stinger rendu, semble n’avoir pas connu un
grand succès, car ces missiles se vendaient alors sur le marché clandestin à des prix situés entre
120 000 et 208 000 dollars l’unité.
44. Selon des témoignages visuels transmis directement à l’auteur.
45. Le gouvernement taliban n’a été reconnu que par l’Arabie saoudite, les Émi-rats arabes unis et le
Pakistan.
46. Raphael F. Perl (Foreign Affairs, Defense, and Trade Division), Taliban and the Drug Trade,
Congressional Research Service, Report RS21041, 5 octobre 2001 (accessible à
https://file.wikileaks.org/file/crs/RS21041.pdf).
47. Chiffres: UNODC Afghanistan Opium Survey 2014, United Nations Office on Drugs and Crime
& Islamic Republic of Afghanistan – Ministry of Counter Narcotics, 2015.
48. Voir, par exemple: https://web.stanford.edu/group/mappingmilitants/cgibin/groups/view/367?
highlight=taliban
49. Rapport de l’Ambassade américaine d’Islamabad au Département d’État, daté du 22 octobre 1998
(SECRET).
50. NdA : Le terme d’Ikhwani désigne dans cette région les adeptes des Frères musulmans.
51. Rapport de l’Ambassade américaine d’Islamabad, op. cit.
52. Ibid.
53. Alex Strick van Linschoten & Felix Kuehn, An Enemy We Created : The Myth of the Taliban / Al-
Qaeda Merger in Afghanistan, 1970-2010, C Hurst & Co Publishers Ltd, 18 janvier 2012.
54. Mollah Abdul Salaam Zaeef, ambassadeur des Taliban au Pakistan, Times, 22 septembre 2001.
55. Rapport de l’ambassade américaine d’Islamabad au Département d’État, daté du 28 novembre
1998 (SECRET), (Chiffres 6-10).
56. The Independent, 22 septembre 2001, p. 1.
57. The Independent, 7 octobre 2001, p. 7.
58. The Guardian, 5 octobre 2001, p. 23.
59. Rory McCarthy, « New offer on Bin Laden », The Guardian, 17 octobre 2001.
60. General David McKiernan, Atlantic Council, Washington DC, 18 novembre 2008.
61. The United Kingdom Parliament, Examination of Witnesses, 16 mars 2003.
62. Robert A. Pape & James K. Feldman, Cutting the Fuse, University of Chicago Press, 2010, pp. 34-
37.
63. Fondé et dirigé par John W. Rendon, ancien consultant en communication pour les campagnes
électorales des candidats démocrates Michael Dukakis et Jimmy Carter, le Rendon Group travaille
régulièrement avec le gouvernement américain dans des actions de propagande et de
désinformation. Peu après le 11 Septembre, le Rendon Group a reçu un mandat de 397 000 dollars
sur quatre mois pour traiter toutes les questions de relations publiques liées à l’intervention
américaine en Afghanistan.
64. Paul H. Lewis, « After The War; U.N. Survey Calls Iraq’s War Damage Near-Apocalyptic », New
York Times, 22 mars 1991.
65. Chiffres du Fonds international de secours à l’enfance des Nations unies. « UNICEF – Results of
the 1999 Iraq Child and Maternal Mortality Surveys », Federation of American Scientists,
(https://fas.org/news/iraq/1999/08/990812-unicef.htm). Ces chiffres ont fait l’objet de discussions,
les estimations variant selon les auteurs entre 170 000 et 567 000.
66. En 1997, Madeleine Albright deviendra la première secrétaire d’État (ministre des Affaires
étrangères) féminine des États-Unis.
67. http://daccess-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/596/24/IMG/NR059624.pdf?
OpenElement
68. La Commission spéciale des Nation unies (UNSCOM) avait pour mission de vérifier le respect par
l’Irak des résolutions concernant la production des armes de destruction massive.
69. Oonagh Blackman, « Weapons inspector is US spy », The Mirror-UK, 23 octobre 2002 et
également Richard Wallace, « UN Inspectors Angry About US Intelligence ‘Garbage’ », The
Mirror-UK, 23 février 2003.
70. H.R.4655-Iraq Liberation Act of 1998 – ENR, (http://thomas.loc.gov/cgi-bin/query/z?
c105:H.R.4655.ENR:)
71. Butler, Richard « Saddam Defiant: The Threat of Weapons of Mass Destruction, and the Crisis of
Global Security » Weidenfeld & Nicholson, 2000, p.224. ISBN 978-0753811160
72. William M. Arkin, “The Difference Was in the Details”, The Washington Post, 17 janvier 1999,
Page B1.
73. Eland Ivan, « Is Withdrawal of US Forces from Saudi Arabia Enough ? », The Independent
Institute, 30 avril 2003 (www.independent.org).
74. Le 26 octobre 2001, l’auteur annonçait, au journal télévisé de la Télévision suisse romande,
l’implication de mouvements d’extrême droite américains dans les attaques d’anthrax, alors que
les services de renseignements y voyaient encore une action d’« Al-Qaïda ».
75. Ari Berman, « Polls Suggest Media Failure in Pre-War Coverage », 26 mars 2003, Editor &
Publisher (http://www.editorandpublisher.com/Print Article/Polls-Suggest-Media-Failure-in-Pre-
War-Coverage.
76. Eric Schmitt, « Rumsfeld Says U.S. Has ‘Bulletproof’ Evidence of Iraq’s Links to Al Qaeda »,
The New York Times – International Edition, 28 septembre 2002.
77. « U.S. Officials Guilty of War Crimes for Using 9/11 As a False Justification for the Iraq War »,
WashingtonsBlog, 24 octobre 2012.
78. CNBC « Capitol Report », « Cheney blasts media on al Qaeda-Iraq link », CNN.com, 18 juin
2004.
79. Caitlin Millat, « Cheney Admits No 9/11, Iraq Link », NBC News, 2 juin 2009.
80. Frank Newport, « Seventy-Two Percent of Americans Support War Against Iraq », Gallup News
Service, 24 mars 2003.
81. Il s’agit des pays suivants : Albanie, Arménie, Australie, Azerbaïdjan, BosnieHerzégovine,
Bulgarie, Corée du Sud, Danemark, Estonie, États-Unis, Géorgie, Kazakhstan, Lettonie,
Macédoine, Mongolie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Salvador, Tonga,
Ukraine.
82. Joel Roberts, « Plans for Iraq Attack Began On 9/11 », CBS News, 4 septembre 2002.
83. Interview de Richard Clarke à la télévision américaine (« Richard Clarke explains George W Bush
was LUSTING to Bomb Iraq », YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=nTBx7hrkA7E)
84. George Tenet lors d’une allocution à l’université de Georgetown, le 5 février 2004 (Jane’s
Intelligence Review, avril 2004).
85. Bureau of Intelligence and Research (INR)
86. Greg Thielmann, The New Yorker, 20 octobre 2003.
87. Vote accepté par 296 voix contre 133 à la Chambre des représentants et par 77 voix contre 23 au
Sénat (CNN, 11 octobre 2002).
88. La CIA définit le National Intelligence Estimate comme suit : « Le NIE est le jugement qui fait le
plus autorité en matière de sécurité nationale préparée par le Director of Central Intelligence. À la
différence des produits de « renseignement de situation », qui décrivent essentiellement le présent,
la plupart des NIE prévoient des développements futurs et le plus souvent traitent leurs
implications pour les États-Unis. Les NIE couvrent une vaste palette de questions qui va des
tendances militaires, jusqu’aux tendances technologiques, économiques ou politiques. Les NIE
s’adressent au plus haut niveau des décideurs politiques – y compris le Président. Ils sont souvent
établis en réponse à une question spécifique d’un décideur politique. Les évaluations ne sont pas
destinées à juste fournir des informations, mais à aider les décideurs politiques à évaluer les
problèmes. Ils sont préparés par la CIA → → avec la participation d’autres agences de la
Communauté du renseignement et sont coordonnés avec ces agences. Lorsque des vues différentes
apparaissent au sein de la Communauté du renseignement, elles sont reflétées dans le NIE »
(www.foia.cia.gov, juillet 2004).
89. White Paper on Iraq’s Weapons of Mass Destruction Programs, non classifié, source : CIA public
release, octobre 2002.
90. National Intelligence Estimate, (S//NF) Iraq’s Continuing Programs for Weapons of Mass
Destruction, NIE 2002-16HC, octobe 2002 (TOP SECRET), p. 6 (Approved for release 12
septembre 2014).
91. White Paper on Iraq’s Weapons of Mass Destruction Programs, non classifié, source : CIA public
release, octobre 2002.
92. La NSA est l’organe des États-Unis responsable du renseignement d’origine électromagnétique et
la sécurité électronique du département de la Défense. En France, ces fonctions sont partagées
entre la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement
militaire (DRM) et d’autres entités.
93. Defense Intelligence Agency.
94. Final Report of the National Commission on Terrorist Attacks upon the United States, The 9/11,
Commission Report, Authorized Edition, W.W. Norton & Company, New York, 2004; Douglas
Jehl, « Intelligence report questions credibility of Iraqi defector », International Herald Tribune,
14 juillet 2004.
95. https://www.youtube.com/watch?v=EitbzTAJWws
96. Ali Khedery, « Why we stuck with Maliki — and lost Iraq », The Washington Post, 3 juillet 2014.
97. Chelsea Manning, « The Fog Machine of War », International New York Times, 14 juin 2014.
98. Ben Reynolds, « Iran Didn’t Create ISIS; We Did », The Diplomat, 31 août 2014.
99. Document secret daté du 28 mars 2002, découvert dans le cadre de l’enquête du Congrès sur
Hillary Clinton, sur son ordinateur. Source : Glen Owen & William Lowther, « Smoking gun
emails reveal Blair’s ‘deal in blood’ with George Bush over Iraq war was forged a YEAR before
the invasion had even started », The Mail On Sunday, 17 octobre 2015 (updated 18 octobre 2015).
100. Patrick Barkham, « Iraq war 10 years on: mass protest that defined a generation », The Guardian,
15 février 2013.
101. Richard Norton-Taylor, « Chilcot report likely to cast net of criticism far and wide », The
Guardian, 26 octobre 2015.
102. Matt Dathan, « Iraq war not to blame for 7/7 bombings, insists Tony Blair », The Independent
UK, 7 juillet 2015.
103. « Could 7/7 Have Been Prevented? Review of the Intelligence on the London Terrorist Attacks
on 7 July 2005 », Intelligence and Security Committee, London, May 2009.
104. Craig Murray, « Liquid Lies Revisited », 3 juillet 2014 (https://www.craig-
murray.org.uk/archives/2014/07/liquid-lies-revisited/)
105. Thomas C Greene, « Mass murder in the skies : was the plot feasible? », The Register, 17 août
2006.
106. Nafeez Ahmed, « Sources: August terror plot is a ‘fiction’ underscoring police failures »,
rawstory.com, 18 septembre 2006
(http://www.rawstory.com/news/2006/Sources_August_Terror_Plot_Fiction_Underscoring_0918.
html).
107. Voir les travaux du colonel Warden, Col John A., III, « The Enemy as a system », Air & Space
Power Journal, n° 1, printemps 1995, pp. 40-55.
108. Video of Aegis contractors killing Iraq civilians (http://www.liveleak.com/view?
i=c15_1333825385)
109. Ann Scott Tyson, « Iraq battles its leaking borders », The Christian Science Monitor, 6 juillet
2004.
110. « US “loses track” of Iraq weapons », BBC News, 6 août 2007 (consulté le 20 juin 2014).
111. Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR).
112. Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction, SIGAR 14-84 Audit Report - Afghan
National Security Forces: Actions Needed to Improve Weapons Accountability, (SIGAR 14-84-
AR/ANSF Weapons Accountability), juillet 2014.
113. Timothy Williams and Duraid Adnan, « Sunnis in Iraq Allied With U.S. Rejoin Rebels », New
York Times, 16 octobre 2010.
114. Kaley Payne, Syrian Christians fear overturn of Assad regime, http://www.biblesociety.org.au
115. https://en.wikipedia.org/wiki/History_of_Libya_under_Muammar_Gad dafi
116. Eben Kaplan, « How Libya Got Off the List », Council on Foreign Relations (CFR), 16 octobre
2007.
117. Peter Hoekstra, Architects of Disaster: The Destruction of Libya, The Calamo Press, 2 octobre
2015.
118. Anne Applebaum, « Wag le Chien – Did French President Nicolas Sarkozy push the Libyan
intervention to boost his re-election bid? »,
(http://www.slate.com/articles/news_and_politics/foreigners/2011/03/wag_le_chien.html?
from=rss) (consulté le 22.01.2015), 28 mars 2011
119. Pauline Fréour, « 2012 : un sondage donne Le Pen devant DSK et Sarkozy», lefigaro.fr, mis à
jour le 8 mars 2011.
120. Voir l’interview de Moustafa Abdul Jalil sur Youtube, mise en ligne le 31 mai 2014
(https://www.youtube.com/watch?v=Jjf5MTKHbqw)
121. Steven Erlanger, « By His Own Reckoning, One Man Made Libya a French Cause », The New
York Times, 1er avril 2011.
122. http://www.al-
monitor.com/pulse/files/live/sites/almonitor/files/documents/2015/France_created_NLC.pdf
123. « ‘This Week’ Transcript: Hillary Clinton, Robert Gates and Donald Rumsfeld », ABC News.
124. Kelly Riddell & Jeffrey Scott Shapiro, « Hillary Clinton’s ‘WMD’ moment: U.S. intelligence
saw false narrative in Libya », The Washington Times, 29 janvier 2015.
125. S/RES/1973(2011), 17 mars 2011.
126. Adam Goldman & Donna Cassata, « CIA sends teams to Libya; US considers rebel aid »,
Associated Press, 31 mars 2011.
127. Canard Enchaîné, 16 mars 2011.
128. « Les services secrets britanniques humiliés en Libye », liberation.fr, 7 mars 2011.
129. UN Security Council Resolution 1970 (2011) (S/RES/1970), 26 février 2011.
130. Philippe Gélie, « La France a parachuté des armes aux rebelles libyens », lefigaro.fr, 28 juin
2011.
131. Ibid.
132. Marcel André Boisard, ancien Sous-secrétaire général de l’ONU, « La responsabilité de protéger,
un principe jetable et à usage unique », Le Temps, 28 octobre 2011, cité par Bruno Pommier dans
« Le recours à la force pour protéger les civils et l’action humanitaire : le cas libyen et au-delà »,
Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 884 – L’avenir de l’action humanitaire, 31 décembre
2011.
133. Josh Rogin, « Top U.S. admiral admits we are trying to kill Qaddafi », Foreign Policy, 24 juin
2011.
134. Conçues comme pour un conflit conventionnel, ces frappes ont en fait péjoré la situation des
populations civiles (sans compter les inévitables « dommages collatéraux » liés à ce type d’action)
ainsi que l’auteur – alors en poste aux Nations unies – a pu le constater au quartier-général des
opérations de maintien de la paix.
135. C. J. Chivers & Eric Schmitt, « In Strikes on Libya by NATO, an Unspoken Civilian Toll », The
New York Times, 17 février 2011.
136. Intervention en Libye : précipitation et approximations (2), France Inter, 21 septembre 2013.
137. Human Rights Investigations, « Libyan rebel ethnic cleansing and lynching of black people », 7
juillet 2011 (http://humanrightsinvestigations.org/2011/07/07/libya-ethnic-cleansing/)
138. David D. Kirkpatrick, « Hopes for a Qaddafi Exit, and Worries of What Comes Next », The
International New York Times, 21 mars 2011.
139. Webster G. Tarpley, PhD, « The CIA’s Libya Rebels : The Same Terrorists who Killed US,
NATO Troops in Iraq », TARPLEY.net, 24 février 2011.
140. Joseph Felter and Brian Fishman, Al Qa’ida’s Foreign Fighters in Iraq: A First Look at the
Sinjar Records, Combating Terrorism Center, Department of Social Sciences, US Military
Academy, West Point, New York, 2007.
141. Jeffrey Scott Shapiro, « Secret Benghazi report reveals Hillary’s Libya war push armed al Qaeda-
tied terrorists », The Washington Times, 1er février 2015.
142. Praveen Swami, Nick Squires and Duncan Gardham, « Libyan rebel commander admits his
fighters have al-Qaeda links », The Telegraph, 25 mars 2011.
143. « Libye : BHL s’est engagé “en tant que juif” », Le Figaro/AFP, 20 novembre 2011.
144. Le GCIL a été désigné groupe terroriste le 27 décembre 2004 par le Département d’État
américain, et en octobre 2005 par la Grande-Bretagne.
145. Praveen Swami, Nick Squires, and Duncan Gardham, op. cit.
146. « Libya releases scores of prisoners », Aljazeera, 9 avril 2008
(http://www.aljazeera.com/news/africa/2008/04/200861502740131239.html)
147. Shaw, Dallas E. (Maj, USMC), Libyan Former Foreign Fighters and Their Effects on the Libyan
Revolution, USMC Command and Staff College, 12 mars 2012.
148. Paul Joseph Watson, « Aljazeera FAKED the Green Square Celebration in Libya »,
LiveLeak.com (http://www.liveleak.com/view?i=077_1314759488)
149. Alastair Jamieson, « Deadly Libya Violence Pushes Country Toward ‘Failed State’ », NBC News,
31 juillet 2014.
150. « C dans l’air – Daech : Et Maintenant la Libye », France 5, 18 décembre 2015.
151. Country Reports on Terrorism 2014, US Department of State Publication, Bureau of
Counterterrorism, juin 2015.
152. Ruth Sherlock, « Libya’s new rulers offer weapons to Syrian rebels », The Daily Telegraph, 25
novembre 2011; Ruth Sherlock, « Leading Libyan Islamist met Free Syrian Army opposition
group », The Daily Telegraph, 27 novembre 2011.
153. « France training rebels to fight Syria », Press TV, 26 novembre 2011 (page archivée et consultée
le 20 octobre 2015).
154. Eric Schmitt, « C.I.A. Said to Aid in Steering Arms to Syrian Opposition», The New York Times,
21 juin 2012.
155. http://www.state.gov/documents/organization/202446.pdf
156. Elad Benari, « Benghazi Attack Also Targeted CIA Installation », Arutz
Sheva/israelnationalnews, 23 octobre 2012.
157. Michael B Kelley, « How US Ambassador Chris Stevens May Have Been Linked To Jihadist
Rebels In Syria », Business Insider UK, 19 octobre 2012.
158. Les chiffres concernant ce massacre sont controversés. Voir Patrick Seale, « Asad, the Struggle
for the Middle East », University of California Press, 1989.
159. Bachar Al-Assad, Dictateur ou Visionnaire Démocrate ?, YouTube, 10 novembre 2013,
(https://www.youtube.com/watch?v=3wOsXTKvKzc)
160. Country Reports on Terrorism, Department of State, updated 30 avril 2007.
161. Bachar Al-Assad, Dictateur ou Visionnaire Démocrate ?, op. cit.
162. Seymour Hersh, « Military to Military », London Review of Books, Vol. 38, n° 1, 7 janvier 2016.
163. Seymour Hersh, « The Syrian Bet », The New Yorker, 27 juillet 2003.
164. Bulletin du Tribunal Spécial pour le Liban, décembre 2014 – janvier 2015, Section de
l’information et de la communication du Tribunal spécial pour le Liban, (http://www.stl-
tsl.org/fr/).
165. Nicholas Blanford, « Did Hezbollah Kill Hariri? », Foreign Policy, 1er avril 2010.
166. Jürgen Cain Külbel, Mordakte Hariri. Unterdrückte Spuren im Libanon, Éditions Kai Homilius,
2006.
167. Joe Romm, « Human-Caused Warming Helped Trigger Current Syrian Conflict and Rise of
ISIS », thinkprogress.org, 3 mars 2015.
168. Kaley Payne, Syrian Christians fear overturn of Assad regime, http://www.biblesociety.org.au
169. « A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm », The Institute for Advanced Strategic
and Political Studies, July 1996, (http://www.informationclearinghouse.info/article1438.htm)
170. Brian Whitaker, « Playing skittles with Saddam », The Guardian, 3 septembre 2002.
171. Interview de Roland Dumas sur Radio Courtoisie, le 24 septembre 2013. « Syrie : Roland Dumas
dit tout ! (octobre 2013) », YouTube, 12 novembre 2013 (https://www.youtube.com/watch?v=Is8o-
wiRY4s) et « Roland Dumas : les Anglais préparaient la guerre en Syrie deux ans avant les
manifestations en 2011 », YouTube, 20 juin 2013 (https://www.youtube.com/watch?
v=HI23UkYl3Eo)
172. « Influencing the SARG in the End of 2006 », 13 décembre 2006 (SARG = Syria Republic
Government) (https://wikileaks.org/plusd/cables/06DAMASCUS5399_a.html)
173. “Influencing the SARG in the End of 2006”, 13 décembre 2006 (SARG = Syria Republic
Government) (https://wikileaks.org/plusd/cables/06DAMASCUS5399_a.html)
174. Didier Zacharie, « L’accès internet coupé en Syrie », Le Soir/AP/AFP, 29 novembre 2012.
175. « Internet : la Syrie coupée du reste du monde », Le Monde/Reuters, 15 mai 2013.
176. Edward Snowden est un ex-employé de la Central Intelligence Agency (CIA), puis consultant
employé par La National Security Agency (NSA) américaine, qui a copié des milliers de
documents de la NSA et du Government Communication Headquarters (GCHQ) britannique
relatifs à des activités clandestines de ces agences, et en a publié certains par l’entremise du
journal britannique The Guardian dès 2013. Poursuivi pour espionnage par les autorités
américaines, Snowden vit en Russie.
177. http://www.wired.com/2014/08/edward-snowden/ ; voir également Spencer Ackerman,
« Snowden : NSA accidentally caused Syria’s internet blackout in 2012 », The Guardian, 12 août
2014.
178. https://www.facebook.com/photo.php?
fbid=10151232961170727&set=a.10150308582340727.567536.420796315726&type=3&theater
(consultée le 28 février 2016)
179. Gabe Kahn, « Syria : Seven Police Killed, Buildings Torched in Protests », Israel National
News/Arutz Sheva, 21 mars 2011.
180. John Rosenthal, « An Eyewitness to the Syrian Rebellion: Father Frans in His Own Words », The
BRICS Post, 19 avril 2014.
181. Ibid.
182. « Syria Opposition, take half », Stratfor, 14 septembre 2011 (publié le 11 mars 2013 par
Wikileaks dans The Global Intelligence Files).
183. « Syrie : La France a livré des armes aux rebelles syriens », 20 Minutes/AFP, 21 août 2014 (mis à
jour le 22 août 2014).
184. Cheryl K. Chumley, « Syrians behead Christians for helping military, as CIA ships in arms », The
Washington Times, 27 juin 2013.
185. D’après Dar al-Islam, n°6, septembre 2015 (Dhou al-Hijjah 1436)
186. Nom complet : Jabhat an-Nu?rah li-Ahl ash-Sham (Front pour la victoire du peuple du Levant)
187. Background - Religious Minorities in Iraq Face Persecution, (http://www.amnestyusa.org/our-
work/countries/middle-east-and-north-africa/iraq/background-religious-minorities-in-iraq-face-
persecution)
188. « A Very Busy Man Behind the Syrian Civil War’s Casualty Count », New York Times, 9 avril
2013, (consulté le 26 juin 2014).
189. Alain Chouet a été chef du Service de renseignement de sécurité à la Direction générale de la
sécurité extérieure (DGSE) (2000-2001).
190. http://blog.lefigaro.fr/malbrunot/2012/09/alain-chouet-nos-ministresson.html
191. Seymour Hersh, « Military to Military », London Review of Books, vol. 38, n° 1, 7 janvier 2016.
192. lepoint.fr, « Fabius : “Le régime syrien doit être abattu, et rapidement” », AFP, 17 août 2012.
193. Craig Whitlock, « WikiLeaks : U.S. secretly backed Syria opposition », Washington Post, 18
novembre 2011.
194. Il s’agit du MJD.
195. Câble diplomatique du 28 avril 2009 de l’ambassade américaine de Damas à destination de
Washington (SECRET), 09DAMASCUS306
(https://wikileaks.org/plusd/cables/09DAMASCUS306_a.html)
196. Ibid.
197. C. J. Chivers and Eric Schmitt, « Arms Airlift to Syria Rebels Expands, With Aid From C.I.A. »,
New York Times, 24 mars 2013.
198. http://www.sipri.org/databases/embargoes/eu_arms_embargoes/syria_LAS/eu-embargo-on-Syria
199. Xavier Panon, Dans les coulisses de la diplomatie française, L’Archipel, mai 2014.
200. « Syrie : Hollande a-t-il rétropédalé sur la livraison d’armes aux rebelles ? », lexpress.fr, 29 mars
2013.
201. « Khalid Bin Al-Waleed Brigade-one of the largest brigades in Homs splits from FSA and IS
frees 3 Syrians in Lebanon », LiveLeak, 2 août 2014.
202. Frank Crimi, « Ethnic Cleansing Of Syrian Christians », FrontPageMag.com, 28 mars 2012
(http://www.frontpagemag.com/fpm/127087/ethnic-cleansing-syrian-christians-frank-crimi)
203. Isabelle Maudraud, « Pression militaire et succès diplomatique pour les rebelles syriens », Le
Monde, 13 décembre 2012.
204. On prête même au ministre des Affaires étrangères le fait d’avoir dit que le Front al-Nosrah
« faisait du bon boulot ». En l’absence du verbatim de la déclaration du ministre, en raison du
manque de clareté des citations évoquées dans la presse, nous laisserons le lecteur juge. (ibid.)
205. Le Front al-Nosrah a été placé sur la liste des organisations terroristes du Département d’État US
le 11 décembre 2012, et sur celle des Nations unies le 30 mai 2013.
206. Nick Fagge, « Syria rebels “beheaded a Christian and fed him to the dogs” as fears grow over
Islamist atrocities », Daily Mail, 30 décembre 2015.
207. Nancy A. Youssef McClatchy, « Syrian Rebels Describe U.S.-Backed Training in Qatar »,
Frontline, 26 mai 2014 (http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/foreign-affairs-defense/syria-
arming-the-rebels/syrian-rebels-describe-u-s-backed-training-in-qatar/).
208. Reyhanli & Urfa, « The War against Islamic State – Unintended consequences ? », The
Economist, 4 octobre 2014
209. Reuters, « Syrian rebels elect Islamist-dominated unified command », 8 décembre 2012.
210. David E. Sanger, « Rebel Arms Flow Is Said to Benefit Jihadists in Syria », The New York Times,
14 octobre 2012.
211. http://www.syr-now.net/index.php?d=26&id=104061
212. « NATO: Assad, Russia and Iran are prevailing in Syria », WorldTribune.com, 21 juillet 2013.
213. Richard Engel, Jim Miklaszewski, Ghazi Balkiz and Robert Windrem, « Extremist element
among Syrian rebels a growing worry », NBC News, 10 septembre 2013.
214. TASS, « Lavrov: Show Us Your Fake “Free Syrian Army” », 7 octobre 2015.
215. Patricia Zengerle & David Lawder, « U.S. Congress approves arming Syrian rebels, funding
government », Reuters, 18 septembre 2014.
216. Aron Lund, « Does the “Southern Front” Exist ? », Carnegie Endowment for International
Peace, Washington DC, 21 mars 2014.
217. If the Castle Falls, Tony Blair Faith Foundation, décembre 2015, p. 8.
218. « Les États-Unis entraînent des rebelles syriens modérés en Jordanie », RFI, 8 mai 2015.
219. « Initial Class of Syrian Opposition Forces Begin Training », U.S. Central Command News
Release, 7 mai 2015 http://www.defense.gov/Portals/1/features/2014/0814_iraq/docs/20150503-
_CENTCOM_News_Release_-_Initial_Class_of_Syrian_Opposition_Forces_Begin_Training.pdf
220. Thomas Gibbons-Neff, « Only 4 to 5 American-trained Syrians fighting against the Islamic
State », The Washington Post, 16 septembre 2015.
221. Kaley Payne, « Syrian Christians fear overturn of Assad regime »,
http://www.biblesociety.org.au, 2012.
222. Elizabeth Dias, « Syrian Christian Leaders Call on U.S. To End Support for Anti-Assad Rebels »,
Time Magazine, 30 janvier 2014.
223. Allocution du président Hollande lors de la Conférence des ambassadeurs du 25 août 2015.
224. « NATO data: Assad winning the war for Syrians’ hearts and minds », WorldTribune.com, 31 mai
2013 (http://www.worldtribune.com/nato-data-assad-winning-the-war-for-syrians-hearts-and-
minds/)
225. « La cote de popularité de François Hollande en hausse », AFP/L’Obs, 26 mai 2013.
226. Jonathan Steele, « Most Syrians back President Assad, but you’d never know from western
media », The Guardian, 17 janvier 2012.
227. Mark Landler and Thom Shanker, « Pentagon Lays Out Options for U.S.Military Effort in
Syria », The New York Times, 22 juillet 2013.
228. Seymour Hersh, « Military to Military », London Review of Books, vol. 38 n° 1, 7 janvier 2016.
229. Dabiq Magazine, n° 8, mars 2015 (Jumada al-Akhira 1436), p. 2.
230. Dabiq est une petite ville de quelque 3000 habitants en Syrie, à proximité de la frontière turque,
où Mohammed avait prédit un combat final avec les Turcs. Il est un peu l’équivalent de Meggido
dans la Bible (certains pen-sent qu’il s’agit de la même ville) où devrait se dérouler la bataille
finale (Armageddon) contre Satan. « Dabiq » est également le nom choisi pour le magazine
officiel de l’État islamique.
231. Nelly Lahoud et al., op. cit.
232. The Group That Calls Itself a State: Understanding the Evolution and Challenges of the Islamic
State, U.S. Military Academy, Combating Terrorism Center, (West Point), décembre 2014.
233. David E. Sanger, « Rebel Arms Flow Is Said to Benefit Jihadists in Syria », The New York Times,
14 octobre 2012.
234. http://www.judicialwatch.org/wp-content/uploads/2015/05/Pg.-291-Pgs.-287-293-JW-v-DOD-
and-State-14-812-DOD-Release-2015-04-10-final-version11.pdf
235. Brad Hoff, « West will facilitate rise of Islamic State “in order to isolate the Syrian regime: 2012
DIA document », Foreign Policy Journal, 21 mai 2015; voir également:
http://www.judicialwatch.org/wp-content/uploads/2015/05/Pg.-291-Pgs.-287-293-JW-v-DOD-
and-State-14-812-DOD-Release-2015-04-10-final-version11.pdf
236. Ed Husain, « Al-Qaeda’s Specter in Syria », Council on Foreign Relations (CFR), 6 août 2012.
237. NdA : Strictement parlé, il s’agit en fait de l’État islamique d’Irak (Dawlat al-’Eiraq al-
Islamiyah) et non « en » Irak (Dawlah al-Islamiyah fil-’Eiraq)
238. TE-SAT 2013 - EU Terrorism Situation and Trend Report, European Police Office, 2013, p. 21
(https://www.europol.europa.eu/content/te-sat-2013-eu-terrorism-situation-and-trend-report)
239. « Former DIA Chief Michael Flynn Says Rise of ISIS Was a “Willful Decision” of US
Government », YouTube, 6 octobre 2015.
240. C’est l’abréviation DAIESh (prononcée « DASH » par les officiels français) qui ne désigne
qu’une forme antérieure de l’État islamique. Il est cependant intéressant de constater que l’usage
occidental de l’ancienne abréviation du mouvement (ISIS, ISIL ou DAIESh) tend à s’imposer
dans la littérature des islamistes eux-mêmes, comme naguère « Al-Qaïda ».
241. Al-Qaeda merges with Isis at Syria-Iraq border town, The Telegraph/AFP, 25 juin 2014.
242. « La fulgurante ascension du Front Al-Nosra en Syrie », lemonde.fr/AFP Reuters, 10 avril 2013
(http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/04/10/la-fulgurante-ascension-du-front-al-
nosra-en-syrie_3157351_3218.html#0DgjKhluqIpSqzHa.99)
243. L’Express, « Hollande à l’ONU : en Syrie, “Assad est une partie du problème, pas de la
solution” », publié le 28 septembre 2015, mis à jour le 29 septembre 2015.
(http://www.lexpress.fr/actualite/politique/hollandea-l-onu-en-syrie-assad-est-une-partie-du-
probleme-pas-de-la-solution_1720366.html)
244. Syrie – Conférence de Genève II (Montreux, 22 janvier 2014), France Diplomatie
(http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/conference-geneve-ii/article/syrie-
conference-de-geneve-ii)
245. Coralie Muller, Enquête sur l’État islamique, Éditions du Moment, Paris, 2015, p. 160.
246. Sean Adl-Tabatabai, « Rick Santorum Bombshell : US Created ISIS And Caused Paris Attacks »,
YourNewsWire.com, 15 novembre 2015.
247. Dabiq Magazine, n° 2, Ramadan 1435 (juin 2014), p. 31.
248. « Ex-DIA boss Michael Flynn: White House took “willful decision” to fund, train Syria Islamists
ISIS », YouTube, 23 août 2015.
249. Paul McLeary, « Pourquoi les généraux de l’État islamique sont meilleurs que ceux de l’armée
irakienne », Slate.fr/Foreign Policy (trad. Peggy Sastre), 19 juin 2015.
250. Il s’agit essentiellement de la Mission de Formation de l’OTAN en Irak (2004-2011).
251. L’Émirat du Caucase a été créé formellement le 7 octobre 2007 dans l’indifférence générale. Il a
été un grand pourvoyeur de combattants étrangers en Syrie et est soutenu par certains pays
occidentaux. Son ralliement à l’État islamique, le 23 juin 2015 a été un élément déterminant pour
la décision russe de s’impliquer militairement en Syrie aux côtés du gouvernement.
252. Barak Barfi, « The Military Doctrine of the Islamic State and the Limits of Ba’athist Influence »,
CTC Sentinel, Combating Terrorism Center (West Point), 19 février 2016, pp. 18-22.
253. https://www.quora.com/Why-is-the-Iraqi-military-unable-to-handle-fighting-ISIS-without-US-
intervention.
254. Mark Mazzetti and Matt Apuzzo, « Analysts Detail Claims That Reports on ISIS Were
Distorted », The New York Times, 15 septembre 2015.
255. S/RES/487 (1981) du 19 juin 1981. Cette résolution a été prise après l’attaque israélienne contre
la centrale irakienne d’Osirak, déclarée contraire au droit international et en violation de la Charte
des Nations unies.
256. Shane Harris & Matthew M. Aid, « Exclusive: CIA Files Prove America Helped Saddam as He
Gassed Iran », Foreign Policy, 26 août 2013.
257. Glenn Kessler, « President Obama and the ‘red line’ on Syria’s chemical weapons », The
Washington Post, 6 septembre 2013.
258. Nom complet : Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe
syrienne. Elle a été instituée par le Conseil des Droits de l’homme (ONU) en 2011 et comprend
M. Paulo Sérgio Pinheiro (Prési-dent), Karen Koning AbuZayd, Vitit Muntarbhorn et Carla Del
Ponte.
259. Damien McElroy and agencies, « UN accuses Syrian rebels of chemical weapons use », The
Telegraph, 6 mai 2013.
260. « Russian Inquiry to UN: Rebels, not Army, Behind Syria Aleppo Sarin Attack », Information
Clearing House/RT, 10 juillet 2013.
261. OE Watch, « Turkey – Al Nusra With Sarin Gas? », Foreign Military Studies Office, Fort
Leavenworth, (http://fmso.leavenworth.army.mil/OEWatch/201307/Turkey_02.html)
262. Seymour M. Hersh, « The Red Line and the Rat Line », London Review of Books, vol. 36 n°8, 17
avril 2014.
263. Christof Lehmann, « Syrian Army seizes Massive Chemical Stockpile from Insurgents. Enough
to Wipe Out Entire Country », NSNBC, 10 juillet 2013.
264. Synthèse nationale de renseignement déclassifié – Programme chimique syrien – Cas d’emplois
passés d’agents chimiques par le régime – Attaque chimique conduite par le régime le 21 août
2013, Paris, août 2013. Cette note, apparemment réalisée par le Secrétariat générale de la défense
et de la sécurité nationale (SGDSN), sur la base de notes réalisées par la → →Direction générale
de la sécurité extérieure (DGSE) et de la Direction du renseignement militaire (DRM)
(http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Syrie_Synthese_nationale_de_renseignement_declassi
fie_le_02_09_2013_cle01b7e8.pdf)
265. Symptomatiquement, les 6 vidéos postées sur le site du ministère de la Défense en appui de la
synthèse de renseignement ont été retirées depuis.
(http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/programme-chimique-syrien-et-attaque-du-21-aout-
2013)
266. Richard Lloyd (Former UN Weapons Inspector) & Theodore A. Postol (Professor of Science,
Technology, and National Security Policy, Massachusetts Institute of Technology), Possible
Implications of Faulty US Technical Intelligence in the Damascus Nerve Agent Attack of August
21, 2013, MIT, Washington DC, 14 janvier 2014.
https://s3.amazonaws.com/s3.documentcloud.org/documents/1006045/possible-implications-
ofbad-intelligence.pdf
267. Matthew Schofield, « New analysis of rocket used in Syria chemical attack undercuts U.S.
claims », McClatchy Foreign Staff, Washington DC, 15 jan-vier 2014.
268. Rédaction Numérique de RTL, « Armes chimiques en Syrie : l’otage belge libéré dédouane le
régime d’Assad », RTL/AFP, 9 septembre 2013.
269. Sœur Agnès Miriam de la Croix et al., The Chemical Attacks on East Ghouta – To Justify
Military Right to Protect Intervention in Syria, International Support Team for Mussalaha in Syria
(ISTEAMS), Monastère St Jacques (Syrie), publié par l’Institut international pour la paix, la
justice et les Droits de l’homme (Genève), 15 septembre 2013.
270. Aux États-Unis : Chairman of the Joint Chiefs of Staff.
271. John Grady, « Testy Dempsey Reconfirmation Hearing Dominated by Syria », U.S. Naval
Institute’s News 19 juillet 2013 (http://news.usni.org/2013/07/19/testy-dempsey-reconfirmation-
hearing-dominated-bysyria#more-4055)
272. Richard Spencer, Aleppo and Ruth Sherlock, « Is Bashar al-Assad winning the civil war in
Syria ? », The Telegraph, 23 mai 2013.
273. http://www.lemonde.fr/international/article/2014/02/15/intervention-ensyrie-comment-les-
americains-ont-lache-les-francais-3-3_4367078_3210.html
274. https://www.youtube.com/watch?v=HYIdmlk2gAU
275. Richard Spencer, « Syrian rebels get first heavy weapons on the front line of Aleppo », The
Telegraph, 19 juin 2013.
276. UN document 917/2012 S 628/ 67
277. NdA: soit quatre jours après que le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius déclare que
Front al-Nosrah « fait du bon boulot » !
278. « OPCW-UN Joint Mission Draws to a Close », OPCW (Communiqué de l’Organisation pour
l’Interdiction des Armes Chimiques), 1er octobre 2014.
279. SC/11810, Adopting Resolution 2209 (2015), Security Council Condemns Use of Chlorine Gas
as Weapon in Syria, 7401st Meeting, Security Council, 6 mars 2015.
280. https://en.wikipedia.org/wiki/Use_of_chemical_weapons_in_the_Syrian_Civil_War
281. Ibid.
282. Jerry Smith, « The challenge of assessing Syria’s chemical weapons », BBC News, 23 mai 2015.
283. Il s’agit du même gaz que celui utilisé pour la première fois durant la Première Guerre mondiale
à Ypres.
284. Andrew V. Pestano, « U.N. confirms use of mustard, chlorine gas in Syrian civil war », UPI, 8
novembre 2015.
285. Anthony Deutsch, « Exclusive: Chemical weapons used by fighters in Syria – sources », Reuters,
6 novembre 2015.
286. GPD, « Official Report: US Backed Groups Proven to Use Sarin Gas in Syria from 2013
Onward », Veterans Today, 8 janvier 2016; et « Scientific report: it was not the Syrian army to use
chemical weapons in Ghouta », Vatican News, 8 janvier 2016.
287. Mieux connues sous leur appellation anglaise de « Barrel Bomb ».
288. « Video shows Syrian govt aircraft in rebel hands », Al-Arabiya, 1er mai 2014.
289. https://www.bellingcat.com/news/mena/2015/01/16/the-syrian-arab-air-force-beware-of-its-
wings/
290. Eliot Higgins, « A Brief Open Source History of the Syrian Barrel Bomb », ByLine, 7 juillet
2015.
291. http://brown-moses.blogspot.com/2012/06/evidence-of-unguided-bombs-being.html
292. Voir, par exemple, les allégations péremptoires – et totalement infondées – de Frédéric Encel
dans l’émission « C dans l’air » sur France 5, le 28 août 2013. (https://www.youtube.com/watch?
v=BXDh6YHCpLQ&index=28&list=WL)
293. « President Obama : “We Will Degrade and Ultimately Destroy ISIL” ». White House office of
the Press Secretary. 10 septembre 2014. Consulté le 1er octobre 2015.
294. Ken Dilanian & Eileen Sullivan, « Syrian extremists may pose more direct threat to US than
Islamic State », Associated Press, 13 septembre 2014.
295. « Al Qaeda’s quiet plan to outdo ISIS and hit U.S. », CBS News, 18 septembre 2014.
296. Ce groupe ne doit pas être confondu avec le groupe « Province de Khorasan », apparu le 12
janvier 2015 au Pakistan à partir d’une dissidence des Taliban et rallié à l’État islamique, et qui
sera porté sur la liste des mouvements terroristes étrangers des États-Unis le 16 janvier 2016.
297. Mark Mazzetti, Michael S. Schmidt & Ben Hubbard, « U.S. Suspects More Direct Threats
Beyond ISIS », 20 septembre 2014.
298. Josh Levs, Paul Cruickshank & Tim Lister, « Source : Al Qaeda group in Syria plotted attack
against U.S. with explosive clothes », CNN, 24 septembre 2014.
299. Eli Lake, « Al Qaeda Plotters in Syria ‘Went Dark’ U.S. Spies Say », The Daily Beast, 23
septembre 2014.
300. « Statement by the President on Airstrikes in Syria », The White House, Office of the Press
Secretary, 23 septembre 2014.
301. Terrence McCoy, « Targeted by U.S. airstrikes : The secretive al-Qaeda cell was plotting an
imminent attack », The Washington Post, 23 septembre 2014.
302. Shane Harris, « We’re Not Sure Their Capabilities Match Their Desire », Foreign Policy, 23
septembre 2014.
303. Ibid.
304. Mark Mazzetti, « A Terror Cell That Avoided the Spotlight », The New York Times, 24 septembre
2014.
305. CBS News, « U.S. offers more nuanced take on Khorasan threat », Associated Press, 25
septembre 2014.
306. Andrew C. McCarthy, The Khorosan Group Does Not Exist, National Review, 27 septembre
2014.
307. Biden at Harvard : America « Faces No Existential Threat » From Islamic Terrorism, YouTube,
(https://www.youtube.com/watch?v=dOZfom5rI2U)
308. Alexander Yakovenko, « Russia and the US are partners in trying to end the war in Syria », The
Evening Standard, 15 février 2016.
309. Nodisinfo.com, « Syria Christians targeted for supporting Assad », 30 octobre 2013.
310. « “ISIL Derives Significant Revenue from Oil Productions” Army Gen. Lloyd J. Austin III »,
YouTube, 20 octobre 2014.
311. « CIA On ISIS Oil », YouTube, 29 novembre 2015.
312. Résolution 2254 (2015), Conseil de sécurité, 18 décembre 2015 (S/RES/2254 (2015)).
313. Ahmed Rasheed & Saif Hameed, « Iraq leans toward Russia in war on Islamic State », Reuters, 7
octobre 2015.
314. Rebecca Kheel, « Iraqi government says it doesn’t want US ground operations », The Hill, 28
octobre 2015.
315. Rose Fleming, « Muhammeds ansigt », Jyllands-Posten, 30 septembre 2005.
316. Filip van Laenen, « Norway Apologizes over Muhammad Cartoons », The Brussels Journal, 27
janvier 2006.
317. Per Anders Rudling, « Denmark as the Big Satan : Projections of Scandinavia in the Arab World
and the Future of Multiculturalism », Review of European and Russian Affairs, vol. 2, issue
3/2006.
318. Béatrice Gurrey, « M. Chirac condamne “toute provocation”, Charlie Hebdo réimprime », Le
Monde, 9 février 2006.
319. Joint Mission Analysis Center (JMAC).
320. Hillel Fendel, « Movie Portrays Islam as Violent and Bloodthirsty », Arutz Sheva, 28 mars 2008.
321. En ce qui concerne la liberté d’expression à géométrie variable, on pourrait également rappeler
ici le contentieux qui a opposé le caricaturiste Siné au magazine Charlie Hebdo, qui l’avait
licencié le 15 juillet 2008 pour anti-sémitisme. L’affaire donnera lieu à un procès face à la Ligue
contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) pour antisémitisme et incitation à la haine raciale.
Le dessinateur sera relaxé de l’accusation d’antisémitisme le 24 février 2009 et Charlie Hebdo
sera condamné le 30 novembre 2010, à verser 40 000 euros de dommage et intérêts à Siné. Ces
indemnités seront portées à 90 000 euros en décembre 2012 par la cour d’appel.
322. Libération, 22 juillet 2014.
323. Grégoire Biseau et Jonathan Bouchet-Petersen, « Soutien à Israël : Hollande ou le péché
originel », Libération, 22 juillet 2014 ; « Le soutien de Hollande à Israël agace une partie de la
gauche », Le JDD, 11 juillet 2014.
324. Anna Reimann, « Berlin Counters Holocaust Conference : “This Is What Happened” », Der
Spiegel Online - International, 11 décembre 2006.
325. BBC News, « Why are Jews at the “Holocaust denial” conference? », 13 décembre 2006.
326. http://www.irancartoon.com/the-second-holocaust-international-cartoon-contest-2015/
327. Voir les caricatures dans Wikipédia, « International Holocaust Cartoon Competition ».
328. Le délai pour participer était fixé au 1er avril 2015 et le premier prix s’élevait à 12 000 dollars
(The Times of Israel, « Iran Holocaust cartoon contest draws 839 entries – Over 300 artists,
including from France, Turkey and Brazil, turn in works for competition derided by UNESCO », 7
avril 2015.
329. Jodi Rudoren, « Netanyahu Denounced for Saying Palestinian Inspired Holocaust », The New
York Times, 21 octobre 2015.
330. Texte de revendication de l’État islamique pour les attentats du 13 novembre 2015 (14 novembre
2015).
331. US Department of Homeland Security (DHS).
332. Doina Chiacu & Mark Hosenball, « U.S. says no precise threat to home-land from Islamic
State », Reuters, 29 août 2014.
333. National Counterterrorism Center (NCTC)
334. Shane Harris, « United States Counterterrorism Chief Says Islamic State Is Not Planning an
Attack on the U.S. », Foreign Policy, 3 septembre 2014.
335. Déclarations officielles de politique étrangère du 11 août 2014, Direction de la Communication et
de la Presse (www.diplomatie.gouv.fr).
336. Allemagne, Australie, Canada, Danemark, France, Italie, Pologne, Royaume-Uni, Turquie.
337. Arabie Saoudite, Bahreïn, Belgique, Chine, Emirats Arabes Unis, Égypte, l’Irak, Japon, Jordanie,
Koweït, Liban, Oman, Qatar, République tchèque, Pays-Bas, Norvège, Russie et Espagne.
338. Premier bombardement français contre l’État islamique en Irak, Le Monde.fr/AFP/Reuters, 26
septembre 2014.
339. Albanie, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Corée du Sud, Croatie, Estonie,
Finlande, Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Kosovo, Lettonie, Lituanie, Luxembourg,
Macédoine, Moldavie, Monténégro, Maroc, Nouvelle-Zélande, Portugal, Roumanie, Serbie,
Singapour, Slovaquie, Slovénie, Somalie, Suède, Taiwan et Ukraine.
340. Jacqueline Klimas, « Islamic State no threat to U.S. homeland: Air Force general », The
Washington Times, 14 juillet 2015.
341. Des Hommes d’influence (Wag the Dog) est un film américain réalisé par Barry Levinson, sorti
en 1997.
342. Inspire Magazine, n° 8, Automne 2011, p. 42.
343. Porte-parole de l’État islamique (http://dailycaller.com/2014/08/08/isis-threatens-america-we-
will-raise-the-flag-of-allah-in-the-white-house /#ixzz3n1ziZgJ5)
344. « Laurent Fabius : “Il faut s’unir et vaincre ces gens-là” », interview par Jean-François Achilli,
France Info, 19 novembre 2015 (http://www.franceinfo.fr/emission/l-interview-politique/2015-
2016/laurent-fabius-il-faut-s-unir-etvaincre-ces-gens-la-19-11-2015-08-04)
345. La France a choisi de ne pas utiliser le nom officiel du groupe « État islamique » afin de ne pas
lui donner la légitimité d’un État. Or, l’appellation « DAECH » signifie « État islamique en Irak et
au Levant », ce qui implique que le bombarder en Irak ou en Syrie revient au même.
346. « Discours devant l’Assemblée Nationale - Manuel Valls : “Un risque d’armes chimiques ou
bactériologiques” », www.parismatch.com, 19 novembre 2015
(http://www.parismatch.com/Actu/Politique/Manuel-Vallsun-risque-d-armes-chimiques-ou-
bacteriologiques-868053) et https://twitter.com/manuelvalls/status/667260865092173824/photo/1
347. http://www.iraqinquiry.org.uk/
348. Christopher Hope, « Tony Blair “could face war crimes charges” over Iraq War », The Telegraph,
6 janvier 2015.
349. Dar al-Islam Magazine, n° 7, novembre 2015 (Safar 1437), p. 4.
350. Vidéo en français, présentée sous un titre anglais « Amedy Coulibaly & Islamic State », Youtube,
11 janvier 2015, (https://www.youtube.com/watch?v=_VUoQ39lpbE)
351. https://www.youtube.com/watch?v=KNFbfnPBKdY
352. Inspire Magazine, n° 14, été 2015, p. 38.
353. Message audio de la part des frères Kouachi, YouTube, 9 janvier 2015.
(https://www.youtube.com/watch?v=KNFbfnPBKdY)
354. Dabiq Magazine, n°7, janvier-février 2915, p. 50 et p. 68.
355. « Amédy Coulibaly : les instructions retrouvées dans son ordinateur en partie dévoilées »,
Hufftington Post/AFP, 14 octobre 2015.
356. Inspire Magazine, n° 14, été 2015, p. 16.
357. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experience », Inspire Magazine, n° 9, hiver 2012.
358. Dabiq Magazine, n° 12, p. 28.
359. Texte de la revendication “officielle” de l’État islamique : « Communiqué sur l’attaque bénie de
Paris contre la France croisée », 2 Safar 1437. (14 novembre 2015).
360. Ibid.
361. En résumé, il s’agit de Farouk Ben Abbes, associé aux événements de 2009, qui serait proche
d’un Djihadiste de l’État islamique, Fabien Clain. (« Terrorisme : des menaces d’attentats contre
le Bataclan dès 2010 », France Soir, 16 décembre 2015).
362. Tangi Sala, « Un an après la mort d’une jeune Française, l’enquête n’est toujours pas bouclée »,
Le Figaro, 23 février 2010.
363. Céline Berthon, émission « C dans l’air », France 5, 16 décembre 2015.
364. Cf. supra.
365. Voir https://www.youtube.com/watch?v=Y9Bs3tF1jj0
366. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism »,
Inspire Magazine, n° 10, printemps 2013, p. 23.
367. Voir http://airwars.org/civilian-casualty-claims/. Mais, en novembre 2015, le Pentagone ne
comptait que 6 victimes civiles (!) « US air strike on IS in Iraq ‘killed civilians’ », BBC News, 20
novembre 2015) tandis que le secrétaire à la Défense britannique Michael Fallon soutenait que les
frappes occidentales n’avaient fait aucune victime civile (!!) (Mikey Smith, « Michael Fallon
claims there have been ZERO civilian casualties from air strikes in Iraq », The Mirror, 29
novembre 2015.
368. Dar al-Islam Magazine, n° 7, novembre 2015 (safar 1437), p. 4.
369. Dar Al-Islam Magazine, n° 2, 2015, p. 2.
370. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience : The Strategy of Deterring with Terrorism »,
Inspire Magazine, n° 10, printemps 2013.
371. Voir Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism »,
op. cit.
Le terrorisme djihadiste aujourd’hui
L’incompréhension de l’Occident face aux mécanismes du terrorisme
islamiste, composante du « Djihad », est due à plusieurs facteurs :
- La logique d’un conflit qui a pour référence Dieu (Allah) et cherche à
défendre non un territoire, mais une identité contenue dans la foi, qui prend
ainsi un caractère « absolu », dépassant la logique capacitaire occidentale,
qui voit les conflits à travers des logiques économiques (guerres coloniales,
etc.), politiques (Algérie, Viêt-Nam), ethniques (Rwanda) ou autres (jusqu’à
la « guerre du football » entre le Honduras et le Salvador en 1969 !). Dans
certains pays déjà touchés par le terrorisme dans les années 70-80 (comme
la France, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne), la réflexion et la lutte
contre le terrorisme islamiste se sont largement articulées autour d’une
grille de lecture dépassée, établie par analogie aux expériences des années
70-80, qui n’a pas permis d’en saisir la logique et d’en dégager une réponse
stratégique.
- Le souci – bien compréhensible – de certains gouvernements
occidentaux (dont la France) et des communautés musulmanes basées en
Occident d’éviter de donner une image radicale de l’islam et de se
distancier des terroristes. Il en est résulté une interprétation édulcorée de
certains aspects de l’islam – comme le Djihad lui-même ou la notion de
martyr – plus orientée sur une justification de leur existence dans la pensée
islamique que sur une explication de leurs mécanismes dans la stratégie
islamiste.
- L’ignorance occidentale en ce qui concerne la mentalité et la culture de
l’Islam, et qui trouve des explications simplistes en fonction d’obscures
réminiscences moyenâgeuses, a conduit à une lecture émotionnelle du
Djihad. Ainsi, les notions de « guerre sainte » et d’« Islam conquérant »
continuent à fausser la perception de l’Occident sur le Djihad et
l’empêchent de se concentrer sur des solutions rationnelles, adéquates et
efficaces !
- L’absence d’informations objectives sur un certain nombre
d’événements-clés – comme le 11 Septembre – a permis à la désinformation
américaine d’imposer une forme de « pensée unique » quant à la nature de
la menace terroriste et ses acteurs. Les attentats du 11 Septembre ont généré
une pléthore d’experts incapables de saisir la logique du terrorisme et de la
pensée islamique, qui ont réarrangé des faits afin de fabriquer des
explications plus acceptables pour la logique occidentale. Loués pour leur
condamnation du terrorisme, ces « experts » n’ont souvent fait que pousser
l’Occident dans de fausses réflexions, qui le rendent aujourd’hui plus
vulnérable au terrorisme.
- Une approche juridique de la violence politique, mue par un souci de
punir durement les auteurs d’actes terroristes, a inhibé notre capacité à
adopter une lecture stratégique du Djihad, par souci d’écarter toute
complaisance à l’égard des terroristes.
La réticence occidentale à comprendre les mécanismes asymétriques du
Djihad a conduit à l’engagement de stratégies « dures » à l’égard du
terrorisme. Cette fermeté – pour ne pas dire intransigeance – à l’égard des
islamistes est comprise en Occident comme un gage d’efficacité et de
dissuasion, or l’expérience montre qu’elle comporte en elle-même les
germes d’un encouragement au Djihad.
Au lieu de concevoir des stratégies qui dissuadent l’émergence de ces
groupes, nous concentrons nos efforts sur l’action en aval des attentats.
Nous tentons d’expliquer les réseaux à travers notre manière de fonctionner,
avec des hiérarchies claires, des structures similaires à celles de nos états-
majors. Ce qui n’entre pas dans un schéma connu ou les faits inexpliqués
tend à être interprété comme des dysfonctionnements, des phénomènes
marginaux, voire comme un affaiblissement de « l’organisation », alors
qu’il n’en est rien.
Les terroristes ont bien compris que nous les comprenons mal,
puisqu’ils ont même conceptualisé la déstructuration de leurs réseaux,
précisément pour mettre en échec le travail des services de renseignement
occidentaux, qui sont très prévisibles dans leur manière de lire les
événements, de réfléchir et de comprendre le phénomène terroriste.
Un pas important – mais tardif – dans la compréhension du phénomène
« Al-Qaïda » a été fait avec l’exploitation des documents trouvées à
Abbottābād en 2011, qui démontrent que ce que beaucoup d’experts
occidentaux appellent « Al-Qaïda Central » était en décalage complet par
rapport aux autres structures attribuées à l’organisation : Ben Laden n’avait
aucune fonction de coordination, et désapprouvait même les activités de la
plupart des organisations avec lesquelles on lui attribuait une relation
hiérarchique.

DÉFINITION
La traduction de « Djihad » par « guerre sainte », que l’on rencontre
fréquemment en Occident, est inexacte et nous renvoie, en fait, à un
vocabulaire utilisé par les chrétiens lors des Croisades, alimentant la
perception d’un islam offensif, dont l’objectif est la conquête et la
destruction de l’Occident. Cette perception est très largement conditionnée
par le fait que l’Occident, comme nous l’avons vu plus haut, a
systématiquement occulté ses propres interventions, dont le Djihad est la
conséquence. Un exemple significatif est la résistance (Djihad) qui s’est
constituée après l’intervention occidentale en Irak, que l’on continue à
qualifier de rebelle, au caractère plus offensif.
Le mot « Djihad » est étymologiquement lié à la notion de s’efforcer
(djahada), d’effort (djouhd), dans le sens de résistance et de refus
d’abandon aux tentations. Le Djihad est donc essentiellement une attitude
de l’esprit, qui cherche à préserver un ensemble de valeurs et qui suppose
un certain nombre de sacrifices pour y parvenir. En arabe, le mot « guerre »,
dans son sens militaire, se traduit par « harb » ou « qital ».
Le « Djihad dans la voie de Dieu » (Djihad fi Sabil Allah ou Djihad fi
sabilillah) peut prendre des formes diverses et de nombreux exégètes
islamiques ont exprimé des vues différentes à ce sujet, qui ne sont pas
nécessairement contradictoires et appartiennent au débat intellectuel
normal. Les deux principales formes du Djihad sont :
- le Djihad al-Akbar (« Grand Djihad1 »), qui est une démarche
individuelle et permanente et un devoir (fard ay’n), qui vise à élever son
esprit en dépit des tentations du monde matériel, à travers une recherche de
Dieu (Djihad bil-Nafs). Pour les musulmans pratiquants, le (grand) Djihad
est une démarche quotidienne et essentiellement individuelle et pacifique,
par laquelle il s’efforce de maintenir une ligne de conduite en accord avec
sa foi.
- le Djihad al-Asghar (« petit Djihad2 ») – le « plus facile » selon
Mohammed – qui s’inscrit dans une démarche collective et vise à protéger
l’islam contre des agressions extérieures (Djihad bis-Sayf). Il désigne avant
tout la volonté de défendre à titre individuel ou collectif l’Islam contre une
agression extérieure, que celle-ci soit d’ordre moral ou physique.
Lorsqu’il conduit à la guerre (harb), le Djihad a, avant tout, une
connotation défensive et militaire. Mais, comme dans toute conception de la
guerre, la notion de « défense » ne se limite pas à attendre passivement
l’action de l’adversaire, mais peut aussi avoir une forme offensive (en
termes opérationnels modernes on parlerait de « guerre préemptive3 »). Il ne
constitue alors qu’une obligation collective pour l’Oummah4, dont la
responsabilité incombe au chef de guerre. Les croyants peuvent donc s’y
soustraire à titre individuel5. En revanche, selon l’État islamique, face à une
agression frontale et une « invasion », la Résistance (Djihad) devient un
devoir individuel (fard’ayn6).

Le point central est que le Djihad restera fard’ayn [un


devoir] tant que les États-Unis et leurs alliés apostats
n’auront pas été boutés hors des pays musulmans7.

Celui qui accomplit le Djihad est le « moudjahid » (« celui qui


s’efforce » ou « celui qui résiste8 »). Ainsi, il apparaît assez clairement que
le concept de Djihad n’exprime pas a priori l’intention d’imposer l’islam,
mais simplement la volonté de le défendre contre une agression. On cite
volontiers les sourates qui prônent la guerre et on les associe au terrorisme
avec, en filigrane, l’idée d’imposer l’islam à travers la violence. Or :

Si ton Seigneur l’avait voulu, tous les habitants de la


terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les hommes
à être croyants9 ?

Comme dans toutes les autres religions, le discours fondamentaliste


n’est pas nouveau dans l’islam. Mais il s’est radicalisé à cause de la
présence occidentale croissante dans le monde, qui s’est accompagnée
d’une volonté d’imposer des cadres normatifs perçus comme déconnectés
du contexte culturel musulman, comme les Droits de l’homme ou des
modèles de gouvernance occidentaux. Le Djihadisme est la forme
exacerbée d’une résistance à ce qui est perçu comme une ingérence dans le
cœur des sociétés.
Naturellement, et particulièrement dans la multiplicité des sources et
textes disponibles, on trouvera aisément des interprétations plus offensives
du Djihad, qui dépassent très nettement la notion de « défense » dans une
vision de domination du monde. Mais ces interprétations sont le fait
d’individus relativement isolés. L’expérience et l’examen des écrits publiés
par les groupes ou mouvements djihadistes, ainsi que les interrogatoires de
combattants djihadistes montrent que leur réflexion s’inscrit dans des
sentiments assez largement répandus dans les populations, même si elles
n’en partagent pas la violence.

DJIHAD ET GUERRE ASYMÉTRIQUE


Le Djihad, qui constitue l’ossature idéologique du terrorisme
contemporain, est souvent compris en Occident comme une « guerre
sainte » destinée à conquérir l’Occident. Cette vision occidentale est
alimentée par une immigration croissante en provenance de pays
musulmans, qui n’a aucun lien de quelque manière que ce soit avec un
« Djihad », mais que la perception occidentale associe en un seul
phénomène, notamment à cause des difficultés économiques qui bousculent
souvent les plus fragiles dans les sociétés européennes, et génèrent un
populisme qui se nourrit d’amalgames.
En admettant l’existence d’un hypothétique projet global pour
transformer la société occidentale en une société musulmane, on ne voit pas
très bien quel serait le rôle joué par les attentats terroristes dans cette
démarche. La progression de l’islam en Europe s’est faite à travers une
immigration largement consentie par les pays européens eux-mêmes, et
l’apport des bombes dans ce processus apparaît aller plutôt à contresens…
Par ailleurs, en admettant que l’objectif des Djihadistes – comme on
l’évoque souvent en Occident – soit de restaurer le Califat10, il impliquerait
logiquement d’abord des changements fondamentaux dans les pays
musulmans eux-mêmes et plus qu’en Occident. C’est d’ailleurs ce que nous
disent les écrits doctrinaux actuels, que nous verrons plus loin. De plus, les
pays occidentaux victimes du terrorisme aujourd’hui sont essentiellement
des pays qui n’ont jamais fait partie du Califat historique, et ceux des pays
occidentaux qui ont fait partie du Califat11 ne sont pas particulièrement
visés par les Djihadistes.
En fait, nous continuons à comprendre le terrorisme moderne à travers
l’expérience terroriste marxiste d’il y a 50 ans. Par analogie au processus
marxiste, nous voyons le terrorisme Djihadiste comme l’élément d’un
processus révolutionnaire qui viserait à remplacer la culture occidentale
(judéo-chrétienne) par une culture musulmane. Les théories selon lesquelles
la stratégie djihadiste12 serait dérivée des stratégies révolutionnaires
trotskistes ou maoïstes des années de guerre froide sont inexactes. On
trouve certes certaines similitudes superficielles, mais les théories
révolutionnaires marxistes visaient à donner le pouvoir à une classe de la
société et, sur le plan opérationnel, à pousser le gouvernement à se
positionner de telle manière qu’il devienne totalement illégitime pour la
population. Ce processus, qui fait du terrorisme l’étape essentielle de la
révolution marxiste, avait été décrit par Carlos Marighella et a été appliqué
en Amérique Latine :

Le gouvernement ne pourra plus qu’intensifier la


répression, ce qui rendra la vie des citoyens plus
insupportable. Les foyers seront violés, des battues de
police organisées, des innocents arrêtés, des voies de
communication fermées. La terreur policière s’installera,
les assassinats politiques se multiplieront ; ce sera la
persécution politique massive. La population refusera de
collaborer avec les autorités qui ne pourront plus, pour
vaincre les difficultés, que recourir à la liquidation
physique des opposants. La situation politique du pays se
transformera en situation militaire et les « gorilles »
passeront pour être les responsables de toutes les
violences, des erreurs et des calamités qui pèsent sur le
peuple13.

Or, il n’y a rien de semblable avec le terrorisme islamiste. On ne


construit pas une conquête sur une somme d’actions individuelles non-
coordonnées et aléatoires ! L’exploitation opérative ou stratégique des
actions tactiques dans un mécanisme révolutionnaire n’apparaît pas dans les
doctrines djihadistes islamistes. On ne constate pas, à partir de l’action
terroriste, de mécanismes de mobilisation des masses ou d’enclenchement
d’une violence plus large pouvant déboucher sur une déstabilisation
profonde de l’État. Le terrorisme djihadiste n’est pas configuré pour la
révolution, ne seraitce que parce que ses combattants sont destinés à mourir
et non pas à vivre dans des « lendemains qui chantent ». Les actions
terroristes menées actuellement ont des objectifs beaucoup plus directs,
comme un désengagement des pays occidentaux dans les pays musulmans,
aux niveaux politique, humanitaire, militaire, religieux, etc.
Ceci se confirme par l’absence de structures capables de prendre le
relais des attentats dans une dynamique politique ou stratégique. Les
organisations terroristes marxistes étaient structurées pour une éventuelle
prise du pouvoir, alors que le terrorisme djihadiste tend à s’affranchir des
structures, ce qui est encore plus marqué dans le concept de « terrorisme
individuel ».
Ceci étant, parallèlement aux attentats menés en Occident, les
mouvements islamistes en Irak, en Syrie ou en Libye sont dans un
processus de conquête du pouvoir, où il s’agit d’imposer une idéologie et où
d’autres mécanismes entrent en jeu. Ils ont donc, dans ces pays, des
structures destinées à assurer la conduite des opérations et à gérer les
espaces conquis.
Il est donc important de distinguer entre le régime de terreur appliqué
dans les territoires tenus par l’État islamique et le terrorisme djihadiste
utilisé contre les pays occidentaux.

Le régime de terreur

De nombreux ouvrages américains – mais aussi de plus en plus


d’ouvrages français – font remonter l’origine du terrorisme au régime de
« Terreur » instauré durant la Révolution française. Or, « la Terreur » ne
visait pas la destruction de l’État, mais au contraire son renforcement. Les
décapitations publiques avaient pour objet de démontrer la détermination du
pouvoir révolutionnaire et de décourager les tentatives contre-
révolutionnaires. Les Bolchéviques utiliseront le même moyen (« la Terreur
rouge ») pour consolider leur pouvoir en Union soviétique dans les années
20.
L’État islamique utilise le même principe. Les décapitations ont
exactement la même fonction que celles pratiquées durant la Révolution
française. Il s’agit avant tout de montrer une détermination sans faille, dans
un pays où les groupes armés pullulent et où les tentations centrifuges sont
très fortes ; la dureté des images doit contribuer à décourager les brebis qui
tenteraient de s’écarter du troupeau. Les peines infligées pour les délits sont
inspirées par une certaine lecture de la tradition islamique, et sont presque
identiques à celles pratiquées par l’Arabie saoudite14 – largement soutenue
par l’Occident – et avec les mêmes objectifs dissuasifs. On prétend, sur la
base des données fournies par Amnesty International15 et Wikipédia16, que
l’Arabie saoudite a pratiqué deux fois plus d’exécutions que l’État
islamique en 2015. Les informations disponibles sur ces exécutions étant
presque exclusivement issues des vidéos publiées sur Internet, et donc
partielles, la comparaison est discutable, mais elle fournit un ordre de
grandeur et illustre notre manière sélective d’accommoder la réalité afin de
conforter nos alliances.

Le terrorisme djihadiste

L’usage du terrorisme par les Djihadistes en Occident, depuis les années


90, a une finalité différente. Il a pour seul objectif de nous inciter à nous
désengager du Proche et Moyen-Orient. Les théories selon lesquelles
l’objectif du terrorisme serait de nous inciter à nous engager au Moyen-
Orient afin de générer l’exaspération et la haine nécessaires pour alimenter
une reconquista islamique, comme le suggère Yuval Noah Harari de
l’université de Jérusalem17, n’est pas crédible, car elle ne tient pas compte
de l’absence de moyens pour réaliser cette reconquête. En fait, l’Occident
accueille toujours plus d’émigrés en provenance de pays musulmans et la
manière la plus sûre d’effectuer cette reconquête serait de capitaliser sur la
démographie. Or, le terrorisme aurait plutôt tendance à faire ralentir ce
processus qu’à l’accélérer.
Nous avons la mémoire courte et avons le sentiment que l’Histoire
recommence à chaque événement terroriste ou avec l’apparition de chaque
groupe terroriste. La complexité du terrorisme djihadiste vient de notre
difficulté à voir la simplicité des relations de cause à effets qui lient ces
événements.
Les islamistes sont loin d’être des idiots ou des fous. Ils savent qu’ils
n’ont pas le soutien populaire pour restaurer un califat sur tout le pourtour
de la Méditerranée. Ils savent aussi qu’ils n’auront pas besoin de la violence
pour l’instaurer. Les modèles à partir desquels nous basons nos réflexions
sont les expériences faites par l’État islamique en Irak, qui ont été traduites
en une doctrine pour être employées en Syrie. Le processus qui y est
décrit18 s’appuie sur les conséquences d’une agression par une coalition
occidentale, provoquant un mouvement de résistance armée qui s’est
ensuite transformée en une lutte fratricide pour le pouvoir. C’est l’exemple
irakien, qui se prolonge en Syrie, et où les agresseurs occidentaux –
essentiellement les États-Unis et la France – permettent de maintenir la
« flamme ». Ici, le rôle des Occidentaux a été celui d’un catalyseur, qui a
permis une consolidation de l’État islamique et lui donnant l’image de la
seule structure « gardienne » de l’Islam contre les « Croisés ». Ceci
explique les déclarations ambiguës des islamistes – déjà bien avant l’État
islamique – qui « remercient » l’intervention occidentale, mais la
combattent en même temps. Car en définitive, comme nous l’avons vu, ce
n’est pas le résultat, mais le fait de combattre (pour la défense de l’Islam)
qui est important.
Par définition, la résistance n’existe que du fait d’une agression. C’est la
raison pour laquelle le mollah Omar, un des chefs des Taliban, avait
remercié ouvertement George W. Bush :

Vraiment nous sommes bénis. Jamais dans nos vœux


les plus fous nous n’avons espéré un cadeau aussi
précieux que Bush. Il est la tête d’affiche de notre
mouvement international19.

Comme nous l’avons dit, l’impressionnant déploiement de forces


occidentales au Moyen-Orient et en Afghanistan entre 2001 et 2014 n’a non
seulement eu aucun effet dissuasif sur la volonté des islamistes de s’engager
sur la voie du terrorisme, mais a eu au contraire un effet multiplicateur sur
la volonté de combattre l’Occident. Et le phénomène s’est encore accentué
avec l’annonce des bombardements américains et français sur l’Irak et la
Syrie à partir de l’été 2014 : d’après un rapport du Conseil de sécurité des
Nations unies, publié en mai 2015, le nombre de volontaires combattants
étrangers dans ces pays a augmenté de 71 % entre l’été 2014 et mars
201520. En été 2014, on estimait à 15 000 le nombre de combattants
étrangers venant de 80 pays ; or en été 2015, 30 000 combattants en
provenance de 100 pays se trouvaient en Syrie21, soulignant l’inefficacité de
la stratégie occidentale, comme le rappelle l’organe officiel de l’État
islamique :

En prenant le chemin de la guerre, les gouvernements


se sont mis eux-mêmes sur une voie mortelle. Chaque
bombe larguée en Syrie ou en Irak sert comme un moyen
de recrutement pour l’État islamique. C’est un choix peu
sage lorsque des millions de musulmans vivent dans ces
mêmes pays, qui seront rapidement poussés en avant par
l’appel du Djihad22 […]

Nous lisons trop souvent les messages de victoire des terroristes comme
des bravades et de la rhétorique propagandiste et écartons ainsi les
messages qu’ils contiennent. Après les attentats de Paris, en novembre
2015, on pouvait lire dans la version française de la revue de l’État
islamique :

Les nombreux bénéfices de ces opérations [de Paris]


ne pourront être entièrement cernés que dans les mois à
venir et, plus particulièrement, suite à la position de la
France et à sa réaction forcément stupide. En effet, s’il est
une chose que l’Histoire a démontrée, c’est que les croisés
ne tirent aucune leçon de leurs échecs face aux
moudjahidines23.

En clair, les terroristes ont compris que nous refusons – volens nolens –
d’expliquer et de comprendre la nature du terrorisme, et que, par
conséquent, nos réactions sont prévisibles, « forcément stupides(s) », et
nous placent dans une posture négative. Force est de constater que les
Djihadistes nous comprennent mieux que nous les comprenons, ce qui est la
pire des situations stratégiques selon le stratège chinois Sun Tsu.

La prééminence de l’intention sur le résultat

Dans l’Islam, d’une manière générale,


Les actes ne valent qu’en fonction de leur intention. Et
à chaque homme revient ce dont il a eu l’intention24.

Une lecture que l’on retrouvera dans la notion de victoire. Pour


simplifier et reprendre une terminologie occidentale, l’action n’a pas
d’obligation de résultat, mais une obligation d’effort.
Ceci explique en partie le fait que des islamistes soupçonnés de
terrorisme s’attribuent la paternité d’un nombre incalculable – et souvent
bien peu réaliste – d’attentats. Cela a été notamment le cas dans les affaires
de Khalid Sheikh Mohammed (surnommé « KSM »), de Zacarias
Moussaoui et de José Padilla aux États-Unis. KSM a « avoué » sa
participation à plus de 30 attentats terroristes dans le monde (y compris le
11 Septembre, les chaussures-bombes de Reid, l’attentat de Bali et bien
d’autres), si invraisemblable qu’il a été surnommé le « One-Stop Shopping
Terrorist Super Store25 ».
Au-delà du fait que ces aveux ont été obtenus sous la torture, le refus de
l’assistance d’un conseil juridique (à défaut d’un avocat) par les
« coupables » souligne le caractère djihadiste de leurs « aveux ». Sans doute
innocents pour la plupart des crimes dont ils s’accusent, ils en assument une
responsabilité au niveau de l’intention. Ainsi, le système judiciaire
américain leur donne l’opportunité de poursuivre leur Djihad et de servir de
modèle pour de nouvelles générations de terroristes ! Ici également, cette
démarche éclaire une dimension asymétrique. Le système des
« Commissions militaires », mis en place par les États-Unis en 2006 pour
juger les terroristes présumés, ne permet pas de produire des témoins ou des
discussions contradictoires par rapport aux charges retenues contre les
accusés. Il n’y a ainsi aucun moyen de déterminer la véracité des crimes
dont s’accusent les détenus, et ces procès ne permettent pas de faire toute la
lumière sur les faits réels. Ces « tribunaux », qui se veulent plus durs,
permettent ainsi aux inculpés de s’attribuer des succès et, dans cette logique
asymétrique, contribuent à donner un sens au Djihadisme.
La prééminence de l’intention sur l’action, que l’on retrouve assez
largement dans la culture des pays musulmans, tend à encourager une forme
de résilience qui rend les musulmans généralement plus « philosophes » par
rapport aux événements politiques ou militaires. Ce décalage entre
l’intention et l’action – souvent traduit par le terme d’« irja » – tend à
déborder sur la pratique religieuse, qui est ainsi souvent interprétée de
manière flexible. Or, récemment, on constate une importance accrue portée
sur une cohérence plus rigide entre l’intention et l’action dans la littérature
de l’État islamique. En d’autres termes, il ne s’agit plus seulement d’être en
accord avec le Djihad, mais de le pratiquer effectivement et concrètement
dans tous ses aspects. La raison de ce recentrage est double et vise d’une
part à lutter contre les islamistes qui préfèrent rejoindre les factions
islamistes voisines – pour éviter d’être bombardés par la coalition
occidentale – et d’autre part à pousser les militants à un engagement plus
concret et plus radical.

La notion de victoire

Il découle de la définition même du Djihad et de l’importance donnée à


l’intention de l’action, une notion de victoire fondamentalement différente
de celle généralement comprise en Occident. Alors qu’en Occident la
victoire est associée à la destruction de l’adversaire, dans l’islam, elle est
associée à la détermination à ne pas abandonner le combat. Nul ne peut
vaincre un adversaire plus fort que lui, mais il est de son devoir de tenter de
le faire. Ainsi, dans le Grand Djihad comme dans le Petit Djihad, la notion
de victoire est analogue : c’est essentiellement une victoire sur soi-même,
une victoire sur la facilité apparente et sur le découragement.
En d’autres termes, la victoire dans l’islam n’a pas de caractère absolu,
mais relatif : il suffit de marquer sa volonté de combattre pour être
victorieux. Concrètement, la victoire se résume souvent au fait d’« avoir le
dernier mot », même si celui-ci n’a pas de caractère décisif.
Cette lecture de la victoire n’est pas propre aux islamistes, mais se
retrouve plus largement dans la pensée musulmane. C’est pourquoi les
Égyptiens célèbrent leur franchissement du Canal de Suez en octobre 1973
et la rupture de la ligne Bar-Lev comme une victoire26 – même s’ils ont été
vaincus par la suite. Ceci explique aussi la victoire proclamée de Saddam
Hussein à Bagdad en 1991 malgré l’anéantissement d’une grande partie de
ses capacités militaires ; les cris de victoire et défilés des milices de
l’Ayatollah Moqtada al-Sadr dans la Mosquée d’Ali à Nadjaf, en août 2004,
après la fin des combats négociée par l’Ayatollah Sistani27, et la victoire
d’Hassan Nasrallah au Liban en 2006, malgré les destructions massives
causées par les bombardements israéliens. Vus en Occident comme des
« fanfarons », ils avaient acquis leurs victoires non pas par la destruction de
l’adversaire, mais par leur refus de céder devant la pression de forces
considérablement plus puissantes, malgré des pertes et des destructions
majeures. Leur victoire – dans l’esprit du Djihad – est donc d’avoir gardé la
tête haute quelle qu’ait pu être l’issue de la bataille.
Les tirs palestiniens contre Israël constituent un autre exemple de la
manière dont est comprise la victoire. Le nombre de projectiles tirés depuis
la bande de Gaza sur Israël entre 2001 et 2015 serait de 18 92828, avec des
pointes lors des opérations israéliennes PLOMB DURCI (2007-2008),
COLONNE DE NUAGE (2012) et BORDURE PROTECTRICE (2014),
avec un nombre de morts qui s’élève à 44, dont la majorité durant ces 3
opérations (respectivement 4, 6 et 17 victimes)29. Sans vouloir justifier ces
tirs, force est de constater qu’avec un rapport de 1 mort pour 280 tirs,
l’efficacité n’est pas l’objectif ici. L’objectif est de maintenir la confiance
de la population à travers une activité de résistance, avec le danger que –
comme on le constate déjà à Gaza – des structures comme le Hamas, qui
cherchent à obtenir une reconnaissance internationale, se fassent déborder
par leur droite par des groupes considérablement plus dangereux, stimulés
par ce qui se passe en Égypte et en Syrie.
Le terrorisme palestinien des années 60-80 avait des objectifs de portée
très opérationnelle (forcer la libération de prisonniers, éliminer une
personnalité, etc.) Aujourd’hui, avec le concept de terrorisme individuel, la
démonstration d’une détermination par la violence constitue un objectif,
plus que son résultat effectif. L’acte terrorisme djihadiste contemporain est
important parce qu’il a lieu, mais pas nécessairement à cause du nombre de
victimes. La vague d’attaques au poignard, en Israël à la fin 2015 - début
2016, illustre ce phénomène. Typiquement, l’attaque d’un commissariat
parisien le 7 janvier 2016 par un jeune ressortissant marocain est un
exemple de ce type de terrorisme. Un exemple encore plus extrême est
l’événement de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), du 26 juin 2015, où un
meurtre, probablement à caractère personnel, a été mis en scène pour lui
donner l’apparence d’un attentat. Toutes ces « petites » attaques s’inscrivent
dans un concept terroriste qui fait planer une menace qui n’a pas besoin
d’être spectaculaire, mais qui est diffuse et permanente.

La notion d’espace
Parce que nous projetons nos propres schémas sur l’adversaire, nous lui
attribuons des stratégies dérivées de notre compréhension des choses. Ainsi,
dans l’esprit occidental, la notion de guerre est indissociable de celle de
« gain ». Dès lors, nous comprenons mal ceux qui partent au combat prêts à
mourir et à mener des actions qui s’inscrivent dans une discontinuité
géographique : l’action militaire dans le cadre du Djihad ne s’inscrit en effet
pas nécessairement dans une logique territoriale mais dans celle d’une
communauté.
Ainsi, le Djihad transcende la notion de « frontières », car il se
positionne dans le cadre de la défense de l’Islam et donc au niveau de la
communauté musulmane, l’Oummah. Il ne s’agit pas d’une dimension
« multinationale » comme nous le comprenons, mais d’une dimension
encore plus large, qui se comprend comme un seul espace religieux et
sociétal qui transcende la notion de « nation » et les questions ethniques,
administratives et linguistiques.
C’est la raison pour laquelle l’absence d’attentats sur le sol américain
depuis 2001 tend à accréditer l’efficacité des mesures de protection. Ce
n’est pas tout à fait exact. Dans l’esprit des Djihadistes, le Djihad s’est
poursuivi, mais en Afghanistan et en Irak, avec une extension de la zone de
guerre voulue par les États-Unis, où les « victimes » ont été amenées aux
Djihadistes, et non l’inverse. Dès lors, frapper un Américain en Irak
équivaut à aller le frapper sur le sol des États-Unis :

Tout pays qui entre en guerre contre les musulmans,


ou participe à l’invasion d’un pays musulman est devenu
de facto une Zone de guerre (Dar al-Harb). C’est
pourquoi tous les pays occidentaux qui ont une
participation active à l’occupation de l’Afghanistan, de
l’Irak ou de quelque pays musulmans sont considérés
comme zones de guerre30.

Ainsi, peu importe l’endroit où l’on combat son adversaire. L’important


est de le combattre. Cette lecture est d’autant plus légitime aux yeux des
terroristes, que les États-Unis et les autres pays occidentaux ne respectent
pas non plus les frontières nationales (comme au Pakistan, par exemple)
pour mener leurs guerres.
L’émergence du Califat

La crainte exprimée par certains d’un Califat, qui s’emparerait de tout le


pourtour de la Méditerranée en lançant de vastes opérations militaires, n’a
pas de fondement. En fait, cette idée a émergé au sein du gouvernement
américain. En septembre 2004, à Lake Elmo, le vice-président Dick Cheney
émet pour la première fois la notion d’un Califat qui menacerait directement
l’Europe occidentale et qu’il attribue à « Al-Qaïda » :

Ils parlent de vouloir rétablir ce que vous pourriez


appeler le Califat du VIIe siècle. C’est comme le monde
était organisé il y a 1200-1300 ans, alors que l’Islam ou
les Musulmans contrôlaient tout du Portugal et l’Espagne
à l’Ouest ; à travers la Méditerranée jusqu’à l’Afrique du
Nord ; toute l’Afrique du Nord ; le Moyen-Orient ; jusque
dans les Balkans ; les républiques d’Asie centrale ; la
pointe sud de la Russie ; une bonne partie de l’Inde ; et
jusqu’à l’Indonésie moderne. Dans un sens, de Bali et
Djakarta à un bout jusqu’à Madrid à l’autre31.

L’idée est reprise dans un rapport du Conseil national du


renseignement américain – un conseil consultatif, qui fait partie de
la Communauté du renseignement – publié en décembre 2004. Intitulé
« Modélisation du Futur du Monde », il présente 4 scénarios pour
l’évolution possible du monde à l’horizon 2020, parmi lesquels la
reconstitution du Califat. Ce rapport, qui est un modèle hypothétique, sera
cependant présenté par le gouvernement Bush – et en premier lieu par le
secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld – comme étant l’objectif d’« Al-
Qaïda32 » :

Ils ont constaté que la grande résonance de l’usage du


mot « califat » [a] un impact de terreur presque
instinctive.

Ce modèle permettra de fournir une explication pour définir la stratégie


djihadiste, que l’on ne veut pas comprendre dans son sens de « résistance »,
en lui donnant une dimension plus inquiétante, et il alimentera désormais la
crainte de l’Occident et justifiera ses interventions. La carte du Califat que
l’on attribue à l’État islamique33, et qui représenterait selon les experts
occidentaux son objectif recherché, est un mirage. En réalité, cette carte –
publiée par la chaîne américaine ABC News le 3 juillet 2014, suggérant
qu’elle représente la progression prévue par l’État islamique pour les 5
années suivantes34 – a été reprise du compte Twitter de l’organisation
nationaliste américaine d’extrême droite American Third Position (A3P)35.
Rien n’indique cependant qu’elle soit liée effectivement à une planification
de l’État islamique.
En admettant, par hypothèse, qu’il s’agisse d’un objectif de très long
terme, il est clair que les islamistes ne voient pas le terrorisme comme un
moyen de l’établir. Que certains islamistes caressent l’idée de reconstituer
un Califat est probable, mais il ne faut pas confondre deux processus
distincts :
- Le premier, l’extension de la terre d’islam (Dar al-Islam), s’effectuera
le plus sûrement sans terrorisme, à travers l’émigration, dans un processus
déjà amorcé il y a plusieurs décennies. Il n’est pas même certain qu’il
s’agisse d’un processus délibéré, même si les avis divergent sur ce point. Il
s’agit plus certainement d’un mécanisme opportuniste, basé sur la
perméabilité de la société occidentale, qui a servi les intérêts des partis et
organisations de gauche européennes, et qui sera appuyé par les
investissements croissants des monarchies du Golfe dans les pays
occidentaux.
- Le second, que nous avons déjà évoqué, qui est l’utilisation du
terrorisme (« opérations de dissuasion »), afin de forcer les pays
occidentaux à renoncer à imposer à la communauté musulmane des modes
de vie, une manière de voir et de faire. C’est exactement le sens du mot
« Djihad » dans son contexte militaire.
Mais l’amalgame de ces deux processus, pourtant très distincts, dans
l’idée « d’imposer » une religion, conforte les esprits occidentaux qui
refusent de voir dans le terrorisme une simple réponse à leurs actions de
déstabilisation.
Ensuite, toujours en admettant l’hypothèse de la reconstitution du
Califat, ses priorités de développement concerneront en premier lieu le
monde musulman, comme nous le verrons. Par ailleurs, l’extension de
l’État islamique ne se fera probablement pas par une colonisation venant de
Syrie, mais par le ralliement de groupes islamistes orphelins (parfois créés
par l’action occidentale, comme en Libye) en quête d’une légitimité,
comme en Tunisie, en Libye ou en Égypte. Un phénomène rigoureusement
identique à ce que l’on avait observé avec « Al-Qaïda » 10 ans auparavant.
Aujourd’hui, grâce à la « publicité » que lui ont faite les gouvernements
occidentaux et l’importance qu’ils lui ont donnée, l’État islamique est
devenu la référence, alors que ses objectifs sont clairement limités à l’Irak
et à la Syrie, du moins pour l’instant.

La nature du terrorisme

Il est intéressant de constater qu’en Occident le mot « terrorisme » est


largement défini en fonction de ses modes d’action et ses effets. Cela en
facilite son traitement judiciaire, mais rend difficile une différenciation en
fonction des objectifs recherchés et des motivations, et donc un traitement
stratégique. De fait, le terrorisme n’est pas combattu de manière stratégique
mais uniquement de manière tactique et policière. Pour les théoriciens du
Djihad, le « terrorisme » est une technique, avec un sens beaucoup plus
neutre, dont la valeur morale est donnée par le contexte dans lequel il est
utilisé ou l’objectif qu’il poursuit :

Nous refusons de comprendre ce terme en fonction de


sa définition américaine. « Terrorisme » est un mot
abstrait, et comme beaucoup de mots abstraits, il peut
porter des significations bonnes ou mauvaises selon le
contexte, ce qu’on lui attache et ce à quoi on l’associe. Le
mot est un terme abstrait, qui n’a une signification ni
positive, ni négative36.

Cette interprétation est proche du débat qui oppose l’Occident et les


pays en voie de développement depuis plus de 40 ans, et pourrait se
résumer à la distinction entre le « combattant de la liberté » et le
« terroriste ». Sur un plan sémantique, il s’agit de deux choses
fondamentalement différentes : « combattant de la liberté » définit une
finalité, alors que « terroriste » définit un mode d’action. On peut
« résister » par le « terrorisme » et donc être à la fois « résistant » et
« terroriste ». Techniquement, l’un n’exclut donc pas l’autre, mais bien peu
font cette analyse, par crainte de donner une justification au terrorisme, ou
de ternir l’image d’une « résistance » légitime (comme la Résistance en
France, par exemple).
Les Djihadistes définissent donc le terrorisme à travers ses motivations
et distinguent deux types fondamentaux de terrorisme37 :
- Le terrorisme blâmable (irhab madhmum), qui est le terrorisme du
mensonge (irhab al-batil) et de l’usage de la force du mensonge (quwwat al-
batil). Il concerne les actions, discours ou comportements qui ont pour but
de blesser ou de terroriser les innocents sans une juste cause. Ce type de
terrorisme comprend le terrorisme associé au vol, au brigandage, aux
envahisseurs, aux assaillants, aux oppresseurs et aux dirigeants illégitimes
des peuples. L’auteur d’un acte de terrorisme de cette sorte doit être puni en
fonction de ses actes et de leurs effets. (Nota : cette définition proche de la
notion de « terrorisme d’État » souvent évoquée en Occident, concerne plus
particulièrement les bombardements occidentaux par drones ou missiles de
croisière, contre lesquels on ne peut se prémunir et qui frappent, de manière
« très mal discriminée », combattants et non-combattants, et sont vus
comme particulièrement lâches dans le monde islamique.)
- Le terrorisme louable (irhab mahmud) est le terrorisme du juste qui a
été injustement traité. Il vise à combattre l’injustice dont est victime
l’oppressé et est pratiqué de sorte à terroriser et repousser l’oppresseur. Le
terrorisme du personnel de sécurité qui combat les voleurs et les brigands
est de même nature que le terrorisme de ceux qui résistent à une occupation,
et le terrorisme des peuples « qui se défendent contre les servants de
Satan ». (Nota : Cette lecture du terrorisme rejoint la position de certains
pays en voie de développement dans les discussions sur la définition du
terrorisme dans les enceintes internationales comme l’ONU, avec en point
de mire des situations telles que l’occupation israélienne des territoires
palestiniens).
Si cette lecture rend la répression et la condamnation du terrorisme plus
difficiles, elle en facilite la cohérence stratégique. Or, cette cohérence
stratégique constitue le principal problème de l’Occident. C’est exactement
le dilemme – et l’impasse – des positions américaine et française en Syrie,
qui soutiennent, pour déstabiliser des États légaux, des groupes comme le
Jabhat al-Nosrah, ou le Groupe combattant islamique en Libye (GICL), et
bien d’autres, qui sont clairement de nature terroriste.
Le terrorisme est une méthode et non une finalité. Le problème de fond
est que dans le cadre du terrorisme islamiste, la méthode se place dans un
référentiel religieux, plus large que celui dans lequel la mentalité
occidentale place la guerre – ce qui explique aussi pourquoi le terrorisme
est devenu plus meurtrier. Assez paradoxalement, on pourrait voir ici une
interprétation extrême de la relation « rousseauiste » entre intérêt particulier
et intérêt général, où l’individu s’efface – et accepte de se sacrifier – dans
l’intérêt de la communauté des croyants (Oummah).
L’incapacité des Occidentaux à maintenir leurs interventions dans une
cohérence stratégique a permis aux islamistes de placer leur combat dans le
cadre d’un Djihad, renforçant l’idée du « choc des civilisations ». Le même
phénomène s’est produit en Israël avec les Palestiniens, dont le combat est
essentiellement territorial et séculier, mais où l’absence de résultat dans ces
domaines les a poussés à placer leur lutte dans un référentiel religieux,
ouvrant la porte à une action plus radicale du Hamas. Aujourd’hui, un
phénomène analogue se produit à nouveau, qui tend à déborder le Hamas
par sa droite, et pourrait conduire à terme à un terrorisme encore plus brutal
et ainsi constituer alors une menace sur l’existence même d’Israël.
Même lorsqu’ils présentent des caractéristiques et méthodes similaires,
les attentats terroristes s’inscrivent dans une logique qui leur est propre. Le
terrorisme islamiste en Algérie, les vagues d’attentat de 1995 et de 2005 en
France, les actions de Mohammed Merah (2012) ont tous des objectifs très
différents. Si les terroristes islamistes utilisent la religion comme plateforme
(leur « système d’exploitation », en quelque sorte), leur objectif peut être de
nature très séculière, comme nous l’avons vu pour les attentats de Madrid
(2004), de Londres (2005) et de Paris (2015)
Il serait faux de voir dans l’approche islamiste un caractère inéluctable
dicté par la volonté de s’attaquer irrémédiablement aux démocraties
occidentales et « d’imposer » une manière de voir ou un système. Si c’était
le cas, les terroristes nous diraient ce qu’ils veulent imposer à notre société.
Les revendications des attentats terroristes ne reflètent pas cette « volonté
d’imposer » l’islam ou autre chose. En revanche, les conflits et tensions
issues de notre politique d’assimilation laïque, qui tend à gommer
l’appartenance religieuse (comme le voile islamique, par exemple),
permettent de définir une « image de l’ennemi », justifiant – ou excusant –
l’emploi de la violence.
En réalité, les actes terroristes sont une combinaison variable de
vengeance et de dissuasion, la première alimentant fréquemment la
seconde :
Les moudjahidines ou la Résistance ne doivent pas
négliger l’importance de la dissuasion contre ces ennemis.
Ils doivent s’efforcer de créer l’impression que leur bras
est prêt à les atteindre et à frapper quiconque pense
prendre part à une agression. Généralement, la plupart de
nos ennemis, du président aux troupes, sont en fait de
lâches rats. Ils peuvent être dissuadés si un exemple fort
est fait en frappant et punissant quelques-uns d’entre eux.
Cette dissuasion vise à faire se retirer ceux qui sont
engagés ou à agir préventivement contre ceux qui pensent
s’engager38.

Pourtant, après les attentats de Paris, la rhétorique officielle ressemble


étrangement à celle des autorités américaines 14 ans plus tôt et tente de
présenter l’image d’un terrorisme conquérant, qui cherche à imposer un
modèle de société ou une idéologie, automatiquement totalitaire puisque
contre la démocratie.
De nombreux commentateurs ont alors été choqués par l’usage du mot
« guerre » par le président Hollande (certains jugeant que le mot « guerre »
élevait les terroristes au rang de « combattants », ce qu’ils ne peuvent pas
être). Il semblait que les commentateurs n’avaient pas compris que les
Occidentaux avaient déclaré la guerre à l’État islamique en septembre 2014
déjà – lui conférant par la même occasion un statut qu’il n’aurait pas dû
avoir. Le Figaro en ligne avait d’ailleurs titré « À Paris, les alliés déclarent
la guerre à l’État islamique39 ». Quelques jours plus tard François Hollande
avait rappelé cette déclaration de guerre devant l’Assemblée générale des
Nations unies, à New York :

Notre meilleure réponse à cette menace, à cette


agression, c’est l’unité nationale dans cette guerre, car
c’en est une, contre le terrorisme40.

Une guerre initiée par une coalition occidentale en Irak et en Syrie,


contre un adversaire qui alors ne constituait pas une menace contre
l’Occident. Pourtant, à aucun moment, l’action française au Moyen-Orient
n’a été remise en question. Or, au 14 novembre 2015, la coalition
occidentale avait largué au total 28 578 bombes en Irak et en Syrie, au cours
de 8174 sorties et provoqué la mort de 639 à 1974 civils innocents, dont
plus d’une centaine d’enfants41. Victimes collatérales, probablement. Mais
au nom de quel objectif stratégique ?
Sur les réseaux sociaux, les sympathisants des terroristes ne se sont pas
appuyés sur des arguments religieux, mais sur des considérations
géostratégiques. Plus exactement, l’argument religieux est venu en appui du
raisonnement géostratégique et non l’inverse. Les attaques de Paris ont été
fréquemment désignées « ghazawat » (razzias), un terme militaire qui se
réfère aux raids menés par les partisans de Mohammed au VIIe siècle, et qui
continue à désigner les opérations entre tribus que l’on observe en Afrique
du Nord, par exemple. On a ainsi une violence qui trouve sa justification à
travers l’histoire religieuse, mais qui n’a pas un objectif religieux en soi. Un
raisonnement pas très différent de la réflexion occidentale, qui accepte
l’usage de la torture au nom des Droits de l’homme et des valeurs
occidentales. Les victimes collatérales des bombardements occidentaux en
Afghanistan, au Pakistan, en Irak, en Syrie, au Yémen, etc. sont des sujets
récurrents dans les messages des organisations islamistes et non la diffusion
de la foi islamique.

LES DJIHADISTES – PSYCHOPATHES OU FOUS ?


Pour expliquer les attentats du 11 Septembre, ou ceux de
novembre 2015 à Paris, on a présenté les terroristes comme des
psychopathes assoiffés de sang ou sexuellement frustrés, arguant que ces
actes étaient le résultat de troubles mentaux. D’où le mythe des « 72
vierges », auxquelles le martyr aurait accès dans l’au-delà, qui relève
davantage de l’impuissance occidentale à expliquer et répondre à ce type
d’attentat que de la réalité. En fait, même si le Coran décrit avec beaucoup
de détails le paradis, la légende des « 72 vierges » ne s’y trouve pas, comme
le confirme la brillante explication donnée par Lesley Hazleton, qui n’est ni
arabe, ni musulmane, mais juive américano-britannique42. On en rencontre
une forme dans les hadiths (tradition) et encore, elle ne s’applique pas
qu’aux martyrs, mais à tous les musulmans. On peut donc difficilement
trouver là une motivation pour devenir martyr. Cela n’expliquerait pas non
plus les bombes humaines en Indonésie, où cette croyance n’est pas
répandue dans la population musulmane et où les études ont montré que les
terroristes concernés vivaient généralement dans des ménages heureux43.
Par ailleurs, la légende des « 72 vierges » si elle constituait une motivation
majeure, n’expliquerait pas l’importance des femmes martyres. Celles-ci, si
l’on ne peut exclure dans certains cas isolés que leur action soit le fait d’une
pression extérieure, ont généralement une démarche volontaire. En
Tchétchénie, des jeunes femmes – souvent épouses, fiancées ou sœurs de
combattants tchétchènes tués au combat – ont rejoint les rangs des
terroristes islamistes, afin de commettre des attentats, cette fois dans un
esprit de « vendetta ». Également surnommées « veuves noires » (en russe :
« shakhidki » ou « smertnitsy »), elles sont impliquées dans la plupart des
attentats les plus spectaculaires réalisés par les terroristes tchétchènes
depuis 2000.

Un profil inattendu

Nous aimons voir dans les terroristes des individus « paumés » ou des
« branleurs »44 et leur appliquons les qualificatifs les plus divers. Sous-
estimer son ennemi est une grave erreur stratégique… que nous nous
complaisons à répéter. La réalité est bien différente. On trouve certes aussi
des individus avec peu d’éducation et un passé criminel, mais il serait faux
d’en tirer une règle. L’État islamique, par exemple attire un grand nombre
d’universitaires et d’individus ayant une formation supérieure45.
Dans leur majorité, les « martyrs » sont jeunes. En Israël, environ 67 %
des auteurs d’attentats-suicide avaient entre 17 et 23 ans, tandis que les
« martyrs » du Hamas sont en moyenne plus âgés que ceux du Djihad
islamique. Le plus jeune « martyr » palestinien avait 16 ans, mais les forces
de sécurité ont arrêté des volontaires de 13 ans ! En revanche, leur niveau
intellectuel et de formation est élevé. Un chercheur de la RAND
Corporation, Berrebi, a relevé qu’en Israël, sur 208 cas où une biographie
des terroristes était disponible, 96 % d’entre eux (200) avaient au moins une
formation universitaire, 65 % (135) avaient une éducation supérieure, alors
que dans la population « normale » ces chiffres étaient de 51 % et 15 %46.
Ce qui s’explique en partie par le fait que les mouvements islamistes, et
particulièrement le Hamas, recrutent dans l’université Al-Najah de
Naplouse et à l’université islamique de Gaza47.
Ces observations sont confirmées par d’autres études sur les terroristes
islamistes, où l’on constate également un niveau intellectuel et social
relativement élevé. Un document SECRET de 200 pages, établi par le
Service de sécurité (MI-5) britannique en 2011, constate que plus de 60 %
des 200 personnes arrêtées en Grande-Bretagne pour des affaires liées au
terrorisme, proviennent de la classe moyenne, la plupart ayant bénéficié
d’une éducation dans le supérieur. Par ailleurs, 90 % d’entre eux étaient
qualifiés de « sociables » et avaient une vie de famille normale et des amis
nombreux, contredisant ainsi l’image répandue du « loup solitaire »,
psychopathe et mal intégré48.
Ces constatations sont corroborées par une étude de deux chercheurs en
sociologie de l’université d’Oxford, en Grande-Bretagne, qui ont étudié les
profils psychologiques de 404 terroristes impliqués dans des attentats
islamistes et le plus souvent des attentats-suicides. Ils observent qu’entre
48,5 % et 69 % des terroristes avaient reçu une éducation académique
supérieure. Parmi ceux-ci, une majorité (56,7 %) avait fait des études en
sciences, médecine et ingénierie, non pas parce que les études d’ingénierie
sont populaires dans les zones de recrutement ou parce que les
organisations terroristes ont besoin de concepteurs de bombes, mais en
raison du manque de débouchés après les études d’une part, et du caractère
plutôt conservateur et religieux des ingénieurs. Par ailleurs, les chercheurs
notent que la plupart des terroristes provenaient de milieux aisés et avaient
une vie familiale stable49.
On est donc bien loin des diatribes occidentales sur les « fous de Dieu »
et les théories selon lesquelles la pauvreté serait un moteur du Djihad. Ce
qui ne signifie pas qu’une situation économique florissante n’aurait pas
d’influence sur le terrorisme ; ni que les combattants du Jabhat al-Nosrah
ou de l’État islamique en Syrie ont un profil similaire. Il faut néanmoins
considérer que les terroristes qui mènent des opérations d’importance, ont
probablement un niveau d’éducation plus élevé que les « combattants de
base » déployés sur le champ de bataille.
Ceci étant, les nouveaux concepts de « Djihad ouvert » et de
« terrorisme individuel », qui émergent actuellement en réponse à
l’omniprésence des moyens de surveillance des services de renseignement,
pourraient changer radicalement ces constatations dans le futur. En effet, on
observe d’une part une capacité stratégique et doctrinale des terroristes qui
s’améliore, mais qui reste localisée au Moyen et Proche-Orient, et d’autre
part, comme on a pu le constater avec les attentats en France en 2015, un
niveau opérationnel qui tend à recruter des jeunes qui ont grandi en
Occident, qui ne peuvent se valoriser ou obtenir une reconnaissance sociale
au niveau professionnel, et sont ainsi plus vulnérables au « romantisme
guerrier », comme nous le verrons ultérieurement.

Une dimension religieuse mal comprise en Occident

On attribue souvent aux terroristes islamistes la qualification de « fous


de Dieu », et la volonté d’« imposer leur religion » ou « leur manière de
voir » de façon « totalitaire ». On débat sur la question de savoir si l’Islam
est une religion de guerre ou de paix, en comparant la fréquence
d’apparition des mots « guerre » ou « amour » entre le Coran et la Bible…
À cette approche souvent simpliste, s’ajoutent paradoxalement les tentatives
d’exégètes musulmans pour distinguer le « bon islam » du « mauvais
islam », qui contribuent à cette confusion. Toutes ces polémiques sont
spécieuses. D’ailleurs, de récentes études un peu moins superficielles et
basées sur l’analyse du langage tendent à démontrer que la Bible est un
ouvrage plus guerrier que le Coran50…
Ce même catholicisme qui promeut l’amour et le respect du prochain, a
exterminé des peuples entiers aux Amériques aux XVe et XVIe siècles au
nom de l’Église et a sauvagement massacré ceux dont la pensée n’était pas
alignée sur celle de l’Église à travers la Sainte Inquisition, entre le XIIIe et
le XIXe siècle (soit durant 600 ans !). Le problème n’est donc pas la
religion en soi, mais la manière de la lire et de la pratiquer. Il n’y a qu’un
islam, mais diverses manières de le comprendre, de l’interpréter et de le
pratiquer. Il y a des millions de musulmans – y compris fondamentalistes –
qui vivent normalement sans être terroristes, ni en Occident, ni ailleurs. Nos
biais culturels sont utiles pour justifier des politiques étrangères agressives
et tendent parfois à occulter la réalité. Par exemple, selon le Federal Bureau
of Investigation (FBI) américain, il y a eu entre 1980 et 2005 aux États-
Unis plus d’attentats terroristes juifs (7 %) que musulmans (6 %)51 ! même
si – comparaison n’est pas raison – la mortalité due aux attentats islamistes
a été incomparablement plus élevée.
La religion n’est donc que l’équivalent d’un « système d’exploitation »
pour l’action terroriste, et qui lui donne les éléments pour fonctionner, mais
ne constitue pas automatiquement la finalité de l’acte terroriste. En réalité,
les motivations pour les auteurs d’attentats terroristes sont à chercher dans
des registres sociaux, sociétaux, économiques, historiques, légaux ou
politiques et les agglutiner sous la rubrique « violence religieuse », comme
le font le gouvernement français et de nombreux experts, n’est pas vraiment
constructif et constitue un obstacle majeur à l’identification des solutions.
Ainsi l’auteur de la tentative d’attentat du 1er janvier 2016 à Valence, n’était
pas un islamiste – ou du moins n’en avait-il pas les caractéristiques52. Dans
l’étude des mécanismes de radicalisation, on peut noter que la motivation
des actes terroristes observés amène un constat plus orienté sur
l’islamisation d’individus radicaux, que sur la radicalisation de musulmans.
En Palestine, les futurs « martyrs » ne subissent pas de « lavage de
cerveau », comme on le prétend souvent. Les interrogatoires des jeunes
Palestiniens, qui ont pu être arrêtés avant de perpétrer leur acte, montrent
que les « combattantssuicide » ne se sacrifient pas « pour » la religion, mais
que celle-ci offre un cadre culturel propice à ce mode d’action53. Les
motivations sont le plus souvent liées à des revendications identitaires, un
sentiment d’humiliation nationale, etc.54. La qualification « antisémite »
que nous donnons aux attentats est « confortable » car elle place le
terrorisme dans une fatalité immuable, qui nous dégage de nos
responsabilités. Dans le cas palestinien, il s’agit essentiellement d’un
combat contre un ennemi dont l’occupation territoriale n’a fait que
s’étendre au fil des ans et a ainsi alimenté une exaspération croissante dans
le monde. En Occident, cette évolution s’est traduite par une sympathie plus
marquée à l’égard des Palestiniens, mais dans le monde musulman, avec la
« guerre contre le terrorisme », elle a permis de singulariser une
communauté, perçue comme plus « coupable » que les autres. Mais il ne
s’agit pas d’un antisémitisme à caractère religieux, comparable à celui que
l’on a connu en Europe jusqu’à la période nazie, par exemple. Dans ce
contexte, il faut relever que l’usage indistinct des mots « Israélien » et
« Juif » tend à empêcher une distinction entre ce qui est du ressort de l’État
d’Israël et ce qui appartient au judaïsme, facilitant les amalgames meurtriers
pour les terroristes.
Les motifs de la violence ne sont donc pas la religion. La tendance de
l’Occident à vouloir tout maîtriser et décider pour tous est l’élément moteur
de la révolte qui appelle la violence. Le Dr Marc Sageman – un sociologue
et psychiatre, ancien membre de la CIA – a étudié près de 500 cas de
terroristes djihadistes, dans le cadre de son ouvrage Leaderless Jihad et
constate que le processus de radicalisation d’un individu est favorisé par 4
facteurs55 :
1 - Un sentiment de colère issu de sa perception des souffrances subies
par ses coreligionnaires dans le monde ;
2 - La manière dont l’individu place cette colère dans le contexte d’une
guerre plus globale contre l’islam ;
3 - Si cette « colère » fait écho à son expérience personnelle au sein de
la société occidentale (comme les discriminations ou une difficulté à
s’intégrer) ;
4 - L’embrigadement dans un groupe, dont la dynamique peut lui faire
traduire sa « colère » en acte violent.
Ces observations répondent aux écrits doctrinaux du Djihad moderne et
sont en cohérence avec les revendications des actes terroristes observés ces
dernières années. Encore une fois, nous sommes très loin d’une volonté de
changer la société occidentale ou d’imposer le salafisme en Europe. Le
problème est que, convaincus par les « experts » que le terrorisme est un
phénomène religieux dont l’objectif est lui aussi religieux, les
gouvernements occidentaux lui appliquent une thérapie inadaptée.
Pris au piège de leurs décisions, les gouvernements préfèrent propager
l’idée d’un terrorisme servant une finalité religieuse et donc inéluctable,
refusant même de tenter de comprendre la motivation des terroristes,
exprimée dans leurs messages. Ainsi, l’un des 4 auteurs de la tentative
d’attentat du 21 juillet 2005 à Londres, arrêté en Italie et interrogé par les
services italiens, devait leur avouer :

Cela n’a rien à voir avec la religion… nous avons vu


des images et des vidéos de la guerre en Irak56 !

Mais nous refusons d’écouter les terroristes et de comprendre leurs


motivations. Par crainte d’excuser, on n’écoute pas, on n’explique pas et,
donc, on ne comprend pas. Ainsi, les mécanismes de la radicalisation sont
interprétés au gré des croyances. Selon l’ex-Garde des Sceaux, Christiane
Taubira, seuls 15 % des extrémistes sont radicalisés en prison, tandis que
leur grande majorité est radicalisée sur Internet57; selon l’Unité de
coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), 95 % des cas de
radicalisation seraient dus à des contacts humains58 ; selon Pierre Conesa,
professeur à Science-Po « les services judiciaires antiterroristes disent que
80 % des personnes revenues de Syrie n’ont fréquenté ni la mosquée, ni la
prison59». Par ailleurs, on constate que les frères Kouachi n’avaient pas été
en prison avant leur ultime forfait et qu’aucun des auteurs des attentats du
13 novembre n’avait eu à faire avec la justice avant ces événements60.
La radicalisation est un processus complexe dans lequel les mosquées,
les prisons ou Internet ne sont que des éléments facilitateurs. Les
conclusions du Dr Sageman apparaissent pertinentes et confirment les
observations effectuées en Israël, en Irak ou en Europe. Les attentats
terroristes ne sont pas issus du néant, mais sont une conséquence
d’événements, le plus souvent provoqués par l’Occident, comme le constate
l’un des plus importants « think tanks » américains, le CATO Institute :

Au lieu de la religion, presque tous les attentats-


suicide dans le monde ont en commun un objectif politique
déterminé : forcer un pays démocratique à retirer ses
forces militaires d’un territoire, que les terroristes
considèrent comme leur patrie ou estiment
particulièrement61.

Pour simplifier, et en se basant sur le concept de « Djihad individuel »


on pourrait esquisser le schéma suivant : l’action occidentale est l’élément
déclencheur du processus ; la religion fournit le « système d’exploitation »
et permettra de définir le niveau d’engagement et sa cohérence dans l’action
d’ensemble ; les contacts personnels ou la prison contribuent au réseau
logistique et d’appui ; tandis qu’Internet apporte des éléments doctrinaux,
les méthodes et la partie didactique.
L’élément déterminant dans le processus de radicalisation et la raison
fondamentale du Djihad armé est notre ingérence dans le mode de vie des
musulmans par la force ou par la politique. Les autres aspects ne concernent
que les modalités de l’action terroriste.
Dès lors que cette radicalisation affecte la sécurité intérieure de l’État,
force est de constater que les pays occidentaux ne se sont jamais vraiment
préoccupés de l’impact de leurs politiques extérieures sur leurs
communautés immigrées. En fait, on part implicitement de l’idée qu’il y a
un consensus national – toutes communautés confondues – sur la politique
étrangère. En France, malgré les attentats de 2015, la lutte contre la
radicalisation reste sécuritaire en nature et n’a pas de caractère holistique, et
ce en partie délibérément, afin de ne pas mettre en évidence des
incohérences de la politique globale du gouvernement. Les initiatives sont
nombreuses, mais manquent souvent de cohérence au risque d’accroître les
tensions qu’elles voudraient combattre. Ainsi, au plan stratégique, les
tentatives – en France et en Belgique – pour « certifier » les imams et autres
prédicateurs, risquent au contraire d’accentuer le sentiment d’un Occident
qui tente de s’immiscer dans tous les aspects de la vie civile et religieuse
des musulmans.

LE « DJIHAD OUVERT »
La Base du Djihad dans la péninsule arabique (BDPA) (Qa’idat al-Jihad
fi Jazirat al-Arab – plus connue sous l’appellation d’Al-Qaïda dans la
péninsule arabique (AQPA)62 – fait partie de ces « franchises » qui n’ont
jamais reçu l’approbation d’Oussama Ben Laden. Elle est pourtant devenue,
depuis 2010, la principale source doctrinale du mouvement djihadiste. Elle
a notamment développé le concept de « Djihad Ouvert » (« Open Jihad »),
qui allège considérablement les activités terroristes et rend les structures, les
réseaux, les voyages inutiles. Basé sur l’exploitation des ressources offertes
par les nouvelles technologies et Internet, il s’agit d’un concept de
décentralisation extrême du Djihad qui fait de chaque Djihadiste une cellule
indépendante. La connaissance technique et doctrinale est fournie à travers
les réseaux sociaux et Internet, tandis que le moteur et le déclencheur de
l’action terroriste est fonction de l’action occidentale (bombardements,
action clandestine, etc.) qui agit comme un catalyseur.
À la différence des fatwas d’Oussama Ben Laden, qui avaient un
objectif et des intentions limitées dans l’espace et dans le temps, le Djihad
moderne s’est adapté aux interventions globales et plus agressives de
l’Occident. Ainsi le Djihad est-il devenu l’Appel à la résistance islamique
globale (Da’wat al-Muqāwamah al-Islāmīyyah al-’Alāmīyyah), un concept
générique dans lequel prend place l’action djihadiste. On en retiendra le
terme de « Résistance » qui suggère – dans l’esprit de ses auteurs – qu’il
s’agit d’un combat répondant à une agression (ou ce qui est ressenti comme
tel), ainsi que le précise très clairement un dirigeant de la BDPA :
À mon avis, ce type de méthode djihadiste peut être
l’un des principaux motifs pour faire cesser la guerre
agressive contre les Musulmans […] Le Djihad individuel
contre l’Occident, particulièrement lorsqu’il
s’intensifiera, créera un climat de terreur et d’anxiété, un
ressentiment public et des plaintes contre les
gouvernements et les politiques qui ont amené le Djihad
individuel 63 […]

On peut constater ici une cohérence avec les revendications des divers
attentats qui ont frappé l’Occident, et la France en particulier. Le terrorisme
qui frappe l’Occident n’est pas une fatalité, fruit de quelque esprit dérangé,
et il serait, par conséquent, possible de mettre un frein à cette violence. En
théorie cependant, car l’action américaine et française – notamment en Irak,
en Libye et en Syrie, en sou-tenant et stimulant l’éclosion de mouvements
islamistes – a créé des déséquilibres durables et des tendances
probablement irréversibles dans le moyen terme.

Principes de base

Les théoriciens du Djihad ont identifié 4 facteurs qui créent une


dissymétrie entre les moyens utilisés par les Occidentaux et ceux utilisés
par la Résistance et qui exigent une adaptation de leur stratégie d’action64 :
- La vulnérabilité des organisations clandestines structurées, face aux
moyens sécuritaires internationaux et à des coalitions internationales et
régionales ; et donc la nécessité de disposer de structures plus souples
capables de résister à l’arrestation de leurs membres et à l’usage de la
torture ;
- L’incapacité des structures clandestines à atteindre et à intégrer tout le
potentiel des ressources de la jeunesse de l’Oummah (Communauté des
croyants) qui voudrait s’engager dans le Djihad et à participer à toutes
sortes d’activités sans vouloir assumer des responsabilités dans une
structure centralisée ;
- La présence d’un adversaire (l’Occident) réparti sur de très larges
zones, avec des objectifs variés et sur des sites très distants, rendant difficile
un combat sur des fronts ouverts et par des structures centralisées ;
- L’utilisation par l’Occident de moyens aériens et de missiles pour
mener des frappes aériennes, pilotées par des satellites, qui peuvent
également voir des objets et installations cachées, rendent difficiles des
confrontations ouvertes à partir de positions permanentes, et sont des
facteurs qui doivent être pris en considération dans la planification du
combat.
De ces constatations découlent les principes généraux d’une théorie plus
large, qui utilise la violence de manière plus diffuse par l’action djihadiste
individuelle et dénommée « Appel à la résistance islamique globale »
(ARIG) (Da’wat al-Muqa-wamah al-Islāmīyyah al-’Alāmīyyah). Ses
principes sont65 :
- Propager la culture de la Résistance et en faire un phénomène
stratégique cohérent et pas seulement un ensemble de réactions
individuelles ;
- Propager l’idéologie de la Résistance, son programme, ses bases
légales et politiques, et ses théories opérationnelles afin qu’elles soient
accessibles à la jeunesse de la communauté islamique (Oummah), qui veut
fortement participer au Djihad et à la Résistance ;
- Diriger les combattants de la Résistance vers des zones d’opération
adaptées au « Djihad par terrorisme individuel » ;
- Diriger les combattants de la Résistance vers les objectifs les plus
significatifs qu’il faut viser dans des opérations de Résistance et le Djihad
de petites unités ;
- Propager les sciences et les connaissances légales, politiques,
militaires et autres nécessaires aux moudjahidines pour mener des
opérations de Résistance, sans courir le risque d’une dislocation des réseaux
comme cela peut être le cas avec des structures centralisées ;
- Instruire les jeunes en matière de méthodes opérationnelles pour
l’établissement de cellules de Résistance comme un « système d’action »
(nizam al-amal) et non comme une « organisation d’action clandestine »
(tanzim lil-amal) ;
- Coordonner les efforts de façon à combiner leurs résultats en un
mécanisme qui désoriente l’ennemi et l’épuise, tout en stimulant l’esprit de
la Nation islamique afin qu’il s’associe au phénomène de Résistance.

Théorie militaire de l’Appel à la Résistance Islamique


Globale (ARIG)
Les constatations énoncées plus haut conduisent à une réflexion sur une
nouvelle articulation de la lutte armée fondée sur 2 formes de Djihad
(militaire) :
- Le « Djihad par terrorisme individuel » (Djihad al-Irhab al-Fardi) qui
comprend des activités clandestines menées par de très petites unités
indépendantes ; il constitue une première étape vers la seconde forme de
Djihad qu’il appuie ;
- Le « Djihad par front ouvert » qui est un affrontement sur le champ de
bataille à partir de positions établies contre un agresseur, et qui permet,
lorsque les conditions le permettent, la confrontation sur le terrain et la
saisie de territoires indispensables à l’émergence d’un État – objectif final
de la Résistance.
Cette doctrine est issue de l’occupation occidentale en Irak et ailleurs,
elle a ici clairement un objectif de reconquête, face à l’occupation étrangère
et aux gouvernements mis en place par l’Occident. On pourrait voir dans ce
passage fluide entre le terrorisme et l’action sur le champ de bataille, une
similitude avec la doctrine du général vietna-mien Nguyen Vô Giap. Mais
elle ne s’applique que sur un territoire occupé par des puissances illégitimes
et, en l’état, ne concerne que l’Irak et la Syrie. Cependant, ce schéma pourra
assez facilement s’étendre à d’autres régions où l’Occident s’efforce de
promouvoir des régimes qui lui sont favorables, comme en Égypte ou en
Tunisie.

Le Djihad par terrorisme individuel (Djihad al-Irhab al-Fardi)

Le Djihad par terrorisme individuel (également évoqué dans la


littérature djihadiste sous les appellations de « Djihad individuel » ou
« Terrorisme individuel ») est une forme de combat mise en œuvre par des
individus seuls ou par de très petits groupes, indépendants. Il correspond
approximativement à ce que les Occidentaux appellent « loup solitaire ».
Mais là où les Occidentaux tendent à voir l’action d’un individu asocial et
retiré du monde, les Djihadistes y voient simplement le mode opératoire
d’un individu avec une vie sociale parfaitement normale, qui constitue une
forme de « terrorisme furtif » destiné à contourner – voire saturer – les
moyens de surveillance des services de renseignement occidentaux. Les
terroristes montrent ainsi leur capacité à maintenir l’initiative par rapport
aux organes de sécurité occidentaux.
Totalement déconnecté de toute organisation et structure de conduite, le
terroriste ne reçoit aucun ordre ou instruction : il organise son action au
niveau local avec ses propres moyens et réseaux individuels. Les apprentis
terroristes sont même découragés à se rendre dans des pays ou zones
islamistes pour se former. Grâce au Djihad ouvert, ils doivent pouvoir se
former seuls, de manière discrète, à la maison, sans contact avec des
réseaux extérieurs, en utilisant des cours, manuels, et documents accessibles
sur le net pour acquérir la connaissance technique nécessaire au Djihad.
L’aspect le plus important de ce concept est que le déclenchement de
l’action terroriste – ou son inspiration – vient du pays-cible luimême,
plaçant ainsi la responsabilité de l’acte terroriste sur l’agresseur des
musulmans. C’est d’ailleurs l’origine du nom du magazine de la BDPA :
Inspire.
Le Djihad individuel n’est pas un phénomène nouveau en soi, mais il a
été conceptualisé par la BDPA récemment et a acquis une dimension
doctrinale, dont l’idée-maîtresse est clairement orientée sur la réponse aux
actions occidentales :

[Ces opérations] portent la guerre vers le territoire de


l’ennemi, exactement comme il le fait en tuant nos frères
et sœurs musulmans dans les pays islamiques, en
détruisant leurs maisons et brûlant leurs plantations.
Elles obligent l’ennemi à revoir ses politiques
agressives contre les musulmans. Lorsqu’il est frappé sur
son sol à cause de sa guerre contre l’Islam et l’occupation
de terres musulmanes, il doit modifier sa posture. Celui
qui est à l’abri des châtiments, se conduit mal 66.

Dans sa forme la plus « aboutie », le terrorisme par Djihad individuel ou


terrorisme individuel tire son efficacité stratégique d’un ensemble d’actions
déclenchées de manière individuelle et non-coordonnée, contre des objectifs
variés, qui prend l’apparence d’une insurrection.

Le principe de base de cette activité opérationnelle est


que le moudjahid, le membre de la Résistance, pratique le
Djihad individuel dans son pays, là où il vit et réside, sans
que le Djihad lui coûte le problème de voyager, de migrer
et de se déplacer là où le Djihad est possible. L’ennemi
aujourd’hui est un, et il est partout67.

Le recours au terrorisme68 individuel est donc mené « dans des


situations ou les moudjahidines repoussent leurs ennemis et la terreur
ennemie par un Djihad défensif69 ».
Ces concepts, qui ont été développés à l’origine par la Base du Djihad
dans la péninsule arabique (BDPA), ne sont pas exclusifs à ce groupe, mais
– comme le suggère l’idée de Djihad ouvert – sont utilisés par d’autres
structures terroristes, comme l’État islamique :
Premièrement, les structures opérationnelles clandestines complexes
(dans le pays-cible) sont abandonnées au profit d’individus (ou de très petits
groupes) indépendants et qui peuvent communiquer sans passer par des
moyens techniques, et avoir ainsi des activités qui échappent aux services
de renseignement.
Deuxièmement, l’action terroriste est totalement déconnectée des
structures existant en Syrie ou ailleurs. Elle est conçue, financée, et
exécutée par les militants eux-mêmes. Ses objectifs sont définis de manière
générique, parfois par l’entremise des médias conventionnels. Par exemple,
pour les attentats de janvier (Paris) et février (Copenhague) 2015, une liste
des « cibles » avait été publiée dans l’organe de la BDPA, dans son numéro
du printemps 201370 à l’intention des « terroristes individuels ».
Troisièmement, les attentats ne sont pas activés par une structure
centrale, mais par la réaction du militant à l’action occidentale. Ainsi, ce
sont de facto les Occidentaux qui détiennent en quelque sorte la clé de
déclenchement des attentats.
Son principe de fonctionnement est la quasi-suppression de toute
structure de conduite et logistique entre le terroriste et ceux au profit
desquels il opère. La subtilité ici est qu’il n’y a pas de chaîne logistique
complexe, pas de financement qui passe par des canaux observables, et que
l’on amène le terroriste individuel à décider lui-même, de manière
autonome – et donc indétectable – à entreprendre son action. Il n’y a donc
pas de « donneur d’ordre », ou plus exactement cette fonction est
implicitement laissée à… l’ennemi. Ceci a plusieurs avantages outre une
« empreinte » plus discrète : elle permet plus facilement de décharger la
responsabilité de l’action terroriste sur le pays-cible lui-même. C’est une
application radicale de la mécanique asymétrique, que nous avons encore et
toujours du mal à saisir en Occident :

Quant à la méthode spontanée, [elle] a commencé à se


répandre avec l’intensification des attaques des
campagnes américaines contre les pays musulmans,
l’adoption du projet sioniste en Palestine, et la diffusion
des nouvelles par les satellites et réseaux de
communication71 […]

Le Djihad individuel n’est pas une nouveauté totale. Il a été utilisé dans
les attaques dites « vert-contre-bleu » (« green-on-blue »), qui sont les
attaques de militaires afghans ou irakiens contre leurs instructeurs
occidentaux. En Afghanistan seulement, ces attaques ont fait 16 morts en
2012, 35 en 2011 et 61 en 201272. Outre les attentats de Paris en 2015, les
exemples les plus spectaculaires ont été l’attentat de Boston (2012),
l’attentat contre le Musée juif de Bruxelles (2014), l’attentat contre le
Thalys (2015), l’attentat de San Bernardino (Californie) (2015) et l’attentat
de Londres (6 décembre 2015).
Du fait que le terrorisme est considéré par les islamistes comme un
témoignage du refus d’abandonner le combat face à des puissances
numériquement supérieures, l’action est déjà une victoire en soi. Il en
résulte que les frappes aériennes en Irak et en Syrie constituent certes des
victoires tactiques pour les Occidentaux, mais chaque réponse à ces frappes,
sous forme attentat ou tentative d’attentat constituera une nouvelle victoire
stratégique pour les Djihadistes.

Les priorités géographiques

En ce qui concerne la mise en œuvre du Djihad individuel, la BDPA a


articulé la liste des théâtres d’opérations possibles et les a classés par ordre
d’importance :
« 1 - Les pays de la péninsule arabique (Émirats arabes unis, Arabie
saoudite, Yémen, etc.), du Levant (Liban, Syrie, Jordanie, Israël), l’Égypte
et l’Irak. Cette zone comprend les lieux saints, le pétrole, Israël, et la
présence militaire et économique américaine. Elle accueillera l’Assemblée
victorieuse (Al-Taïfah al-Mansourah) qui dirigera l’Islam.
2 - Les pays d’Afrique du Nord de la Libye à la Mauritanie (Maghreb).
Cette zone est riche en intérêts occidentaux, notamment pour les principaux
pays européens, alliés des États-Unis et de l’OTAN.
3 - La Turquie, le Pakistan et les pays d’Asie centrale. Ils représentent la
deuxième plus grande réserve de pétrole du monde, ainsi que les intérêts
militaires, économiques et stratégiques américains. Ils comportent des
mouvements islamistes importants et ancrés dans l’Histoire, qui constituent
la profondeur stratégique des mouvements djihadistes et de Résistance
arabes.
4 - Le reste du monde islamique : les Américains et leurs alliés y ont des
intérêts importants. Cette partie du monde islamique comprend l’essence de
la Résistance, à savoir des centaines de millions de musulmans, de jeunes
membres de la Nation islamique, qui sympathise avec sa cause et est prête à
s’engager dans le Djihad et la Résistance.
5 - Les intérêts américains et alliés dans les pays du tiers-monde, en
particulier dans les pays qui participent aux campagnes des Croisés. En
raison des faibles mesures de sécurité qui règnent dans ces pays, le Djihad
peut se reposer sur les moudjahidines qui y vivent et y ont une vie normale.
Ils peuvent se déplacer librement, se cacher et acquérir des informations sur
l’adversaire et s’en occuper facilement.
6 - Les pays européens alliés des États-Unis et qui participent à leurs
guerres. N’oublions pas la présence d’anciennes et grandes communautés
musulmanes en Europe, dont le nombre dépasse 45 millions d’individus,
auxquels s’ajoutent des communautés de plusieurs millions en Australie, au
Canada, et en Amérique du Sud. L’Europe est particulièrement importante
en raison de sa proximité avec le monde arabe et musulman et les intérêts
multiples qui les lient, ainsi que des nombreuses communications entre eux.
Les musul-mans dans ces pays sont comme les autres musulmans, leur
devoir de Djihad de repousser l’adversaire et de lui résister leur incombe,
tout comme aux musulmans des autres pays du monde (par exemple les
musulmans résidant dans le monde arabe et islamique). L’action dans ces
pays est sujette aux règles de l’équilibre entre le gain politique et les pertes
politiques, au regard des positions européennes. Il s’agit d’avoir des
stratégies qui permettent de gagner le soutien des populations tout en
évitant de leur porter préjudice.
7 - Le cœur de l’Amérique elle-même, en le ciblant par des actions
stratégiques efficaces73. »
La mise en œuvre

Les bombardements de la coalition occidentale ont donc répondu aux


attentes des islamistes de l’État islamique en élevant une démarche
« normale » de respect des préceptes de l’islam à un niveau de combat.
Clairement énoncé dans les publications des théoriciens islamistes, le
mécanisme de déclenchement du « Djihad individuel » ne dépend plus
d’instructions en provenance d’une centrale, mais il est laissé au jugement
des militants :

Il y a des différences entre les théoriciens au sein du


mouvement djihadiste sur la mise en œuvre du « Djihad
individuel ». Certains considèrent que ce terme est
applicable à tous les individus et groupes qui sont
indépendants d’un groupe plus large ou d’une
organisation, qu’elle soit administrative ou armée. Parmi
ceux qui adhèrent à cette approche, il y a Abou Moussab
al-Suri. D’autres attribuent ce terme à quiconque exécute
une opération seul, même s’il a été envoyé par un groupe
ou une organisation, comme lors de l’opération d’Omar
al-Farouq74 […]

Mon opinion est qu’un moudjahid individuel est celui


qui combine les deux caractéristiques mentionnées plus
haut : être indépendant d’un groupe ou d’une
organisation, qu’elle soit administrative ou armée, et qui
agit seul. Ce mode de Djihad est imprévisible pour les
services de renseignement occidentaux. C’est ce qu’ils
appellent un « loup solitaire ». Il est difficile à découvrir,
car il est connu d’Allah seul. Il n’a pas de relation avec
aucun groupe ou individu. C’est ce que nous cherchons75.

Cette manière de procéder a été adoptée afin de contourner les


dispositifs de surveillance des services de renseignement occidentaux, qui
peuvent facilement reconstituer des réseaux ou structure de conduite. Cette
décentralisation extrême semble incongrue pour un esprit militaire
occidental, car elle exclut pratiquement toute coordination.
Toutefois, cette « coordination » n’est nécessaire qu’en fonction de
l’objectif que l’État islamique se fixe. Si l’État islamique avait pour objectif
la conquête de l’Occident, il lui faudrait une approche opérative plus
élaborée.

Le Djihad par front ouvert

Le Djihad par Front ouvert76 peut être assimilé à la guerre de guérilla et


il n’a des chances de succès que s’il intervient dans un environnement géo-
militaire particulier. Selon la doctrine, il peut être précédé par une phase de
Djihad par terrorisme individuel, mais les conditions fixées pour un tel
développement ne s’appliquent qu’au Proche-Orient, en Irak ou en Syrie
aujourd’hui, là où l’autorité de l’État ne s’exerce que de manière très
limitée et où le soutien populaire permet à la résistance de se mouvoir
« comme un poisson dans l’eau », selon l’expression de Mao.

Il y a une abondance d’armes et d’équipements dans


la région, qui a également une grande diversité de
frontières, de côtes et de cols. Israël constitue un motif
pour la cause islamique globale, et l’occupation
américaine permet d’y ajouter une dimension
révolutionnaire, qui est une excellente clé pour le
Djihad77.

Les critères géographiques optimaux pour le Djihad par Front ouvert,


identifiés par la doctrine djihadiste, sont assez classiques pour une guerre de
guérilla et décrivent assez précisément l’environnement irako-syrien. On
n’y trouve pas les bases pour un conflit qui s’étendrait au-delà du Proche et
Moyen-Orient.

Les facteurs [favorables] comprennent l’existence


d’une cause dans laquelle la population peut croire de
manière suffisamment forte pour embrasser la cause du
Djihad. Cette cause doit pouvoir mobiliser la nation
islamique [dans le monde] de façon à ce qu’elle apporte
au Djihad son soutien moral, financier… et autre. La
cause la plus appropriée entre toutes est la résistance en
réponse à une agression étrangère, à laquelle on peut
ajouter des raisons religieuses, politiques, économiques et
sociales pour en faire une révolution et le Djihad. C’est ce
que la littérature sur la guérilla appelle le « climat
révolutionnaire », et c’est ce que nous appellerons ici le
« climat du Djihad 78 ».

1. Littéralement : Djihad al-Akbar : Djihad majeur.


2. Littéralement : Djihad al-Asghar : Djihad mineur.
3. On pourrait rapprocher cette notion à celle de « défense offensive » prônée par les Soviétiques en
1987-89, qui plaçait l’action militaire offensive dans un contexte stratégique défensif.
4. Oummah = Communauté des croyants.
5. Ici également de nombreuses lectures différentes de cette obligation existent. Ainsi, pour certains,
dès lors que des populations (civiles) musulmanes sont menacées, il y a un devoir individuel (fard
ay’n) de prendre les armes.
6. Abou Moussab al-Suri, « The Jihadi Experiences – The strategy of deterring with Terrorism »,
Inspire Magazine, n° 10, printemps 2013, p. 22.
7. Inspire Magazine, n° 4, p. 16.
8. Les combattants algériens qui s’affrontaient à l’armée française durant la guerre d’Algérie (1954-
63) étaient aussi désignés « moudjahid » ou « moudjahidoun » (Schmidt Jean-Jacques, Vers une
approche du monde arabe, Éditions du Dauphin, Paris, 2000), en dépit du caractère évidemment
laïc de leur révolte.
9. Q’uran, Sourate 10, Verset 99.
10. En réalité, il n’y a pas eu « un » Califat, mais une succession de Califats entre 632 et 1924 et, dont
l’extension maximale a été de l’Inde à l’Andalousie, sans frontières intérieures. Les configurations
politiques et religieuses de ces « empires » musulmans ont très largement varié durant cette
période.
11. Il s’agit essentiellement de la Turquie, de la Grèce, des Balkans et de l’Espagne.
12. Voir l’ouvrage : Michael W. S. Ryan, Decoding Al-Qaeda’s Strategy: The Deep Battle Against
America, Columbia University Press, 2013.
13. Carlos Marighella, Manuel du guérillero urbain, juin 1969, Chapitre « Appui de la population »
(www.terrorisme.net)
14. Rori Donaghy, « Crime and punishment: Islamic State vs Saudi Arabia », Middle East Eye, 13
octobre 2015 (http://www.middleeasteye.net/news/crime-and-punishment-islamic-state-vs-saudi-
arabia-1588245666)
15. « Killing in The Name of Justice : The Death Penalty in Saudi Arabia », Amnesty International, 24
août 2015, Index number: MDE 23/2092/2015.
16. ISIL beheading incidents, Wikipédia.
17. Voir Yuval Noah Harari, “The theatre of terror, The Guardian, 31 janvier 2015.
18. Voir http://www.globalterrorwatch.ch/index.php/califat/
19. Tom Goeller, « Playing Devil’s Advocate », Egypt Today, octobre 2004.
20. S/2015/358, Letter dated 19 May 2015 from the Chair of the Security Council Committee pursuant
to resolutions 1267 (1999) and 1989 (2011) concerning Al-Qaida and associated individuals and
entities addressed to the President of the Security Council, UN, New York, 19 mai 2015.
21. Eric Schmitt & Somini Sengupta, « Thousands Enter Syria to Join ISIS Despite Global Efforts »,
The New York Times, 26 septembre 2015.
22. Dabiq Magazine, n° 7, février 2015, p. 79.
23. Dar al-Islam Magazine, n° 7, novembre 2015 (Safar 1437), p. 4.
24. Hadith attribué à Mohammed, rapporté par Al-Boukhari, Imam, 41. Cité dans le Livre des Haltes,
Abd Al-Qadir Al-Djazairi, traduit par Michel Lagarde, Brill, 2000, ISBN 9004115676.
25. http://mayday.blogsome.com/2007/03/19/khalid-sheikh-mohammed-thewally-world-of-
wickedness/
26. Un musée au Caire (« Panorama de la guerre d’Octobre ») est spécialement dédié à cette
opération.
27. Reportage de Grégoire Deniau, « La Bataille de Najjaf », France 2, 2 septembre 2004.
28. Wikipedia, « Palestinian rocket attacks on Israel », (consulté le 20 mars 2015).
29. Mondoweiss, « How many people have died from Gaza rockets into Israel ? »
(http://mondoweiss.net/2014/07/rocket-deaths-israel), (consulté le 20 mars 2015).
30. Sheikh Anwar al-Awlaki, « Les Règles pour Déposséder les Incroyants de leurs Richesses en Zone
de Guerre », Inspire Magazine, n° 4, hiver 2010 (1431).
31. Vice President’s Remarks and Q&A at a BC’04 Roundtable in Lake Elmo, Minnesota, Office of the
Vice President, 29.09.2004
(http://georgewbushwhitehouse.archives.gov/news/releases/2004/09/text/20040929-5.html)
32. Elisabeth Bumiller, « 21st-Century Warnings of a Threat Rooted in the 7th », The New York Times,
12 décembre 2005.
33. http://www.vox.com/2014/7/10/5884593/9-questions-about-the-caliphate-you-were-too-
embarrassed-to-ask
34. Colleen Curry, « See the Terrifying ISIS Map Showing Its 5-Year Expansion Plan », ABC News, 3
juillet 2014.
35. Voir: https://twitter.com/Third_Position/status/478626230418173952/photo/1?
ref_src=twsrc%5Etfw
36. Inspire Magazine, n° 5, printemps 2011 (1431), p. 29.
37. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences: Individual Terrorism Jihad and the Global Islamic
Resistance Units », Inspire Magazine, n° 5, printemps 2011, p. 29.
38. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism »,
Inspire Magazine, n° 10, printemps 2013, p. 23.
39. Isabelle Lasserre, « À Paris, les alliés déclarent la guerre à l’État islamique », lefigaro.fr, 15
septembre 2014.
40. Cordélia Bonal, « La France est-elle vraiment en “guerre” ? », Libération, 26 septembre 2014.
41. http://airwars.org/index.html
42. Lesley Hazleton : mythe des 72 vierges et le paradis dans le Coran, YouTube,
(https://www.youtube.com/watch?v=yyV2aipCnMI&list=WL&index=147)
43. Sarlito Wirawan Sarwono, What is in their minds? The psychology of suicide bombers in
Indonesia, Université d’Indonésie, 20 novembre 2007.
44. Pierre Servent, Extension du domaine de la guerre, Robert Laffont, Paris, 2015, p. 152.
45. Caroline Piquet, « Comment Daech attire de jeunes médecins et ingénieurs », lefigaro.fr, 16
février 2016.
46. Claude Berrebi, « Evidence about the Link Between Education, Poverty and Terrorism among
Palestinians », Peace Economics, Peace Science and Public Policy, Volume 13, Issue 1, 2007
Article 2.
47. Nachman Tal, « Suicide Attacks : Israel and Islamic Terrorism », Strategic Assessment, Volume 5,
n°1, juin 2002.
48. Abul Taher, « The middle-class terrorists: More than 60pc of suspects are well educated and from
comfortable backgrounds, says secret M15 file », The Mail on Sunday, 15 octobre 2011.
49. Diego Gambetta & Steffen Hertog, Engineers of Jihad, Sociology Working Papers, Paper Number
2007-10, Department of Sociology, University of Oxford, 2007.
50. Samuel Osborne, « ‘Violence more common’ in Bible than Quran, text analysis reveals », The
Independent.uk, 10 février 2016; Christine Talos, « La Bible est bien plus violente que le Coran »,
Tribune de Genève, 11 février 2016.
51. https://www.fbi.gov/stats-services/publications/terrorism-2002-2005/terror02_05.pdf
52. Alain Leger, « Une première inquiétante en France : l’auteur franco-tunisien de l’attentat de
Valence n’est pas islamiste », Dreuz.info, 2 janvier 2016.
53. The Atlantic Council, Topics in Terrorism: Toward a Transatlantic Consensus on the Nature of the
Threat, « Understanding Suicide Terrorism : Countering Human Bombs and Their Senders »,
Anne Speckhard, Ph.D., juillet 2005.
54. NATO Research & Technology Organisation, Report – Suicide Terrorism : The Strategic Threat
and Countermeasures, août 2004.
55. Marc Sageman, Leaderless Jihad : Terror Networks in the Twenty First Century, University of
Pennsylvania Press, 2008, 208 pages.
56. David Leppard & John Follain, « The Third Terror Cell on the Loose? », The Times, 31 juillet
2008.
57. Interview avec Christiane Taubira, Le Temps, 20 décembre 2015.
58. Christophe Cornevin, « Islamisme : 8250 individus radicalisés en France », lefigaro.fr, 2 février
2016.
59. Pierre Conesa, Rapport fait pour la fondation d’aide aux victimes du terrorisme - « Quelle
politique de contre-radicalisation en France ? », décembre 2014.
60. Christiane Taubira, émission « On n’est pas couché », France 2, 6 février 2016
(https://www.youtube.com/watch?v=Q2zAmWfoUEU)
61. Robert A. Pape, « Suicide Terrorism and Democracy - What We’ve Learned Since 9/11 », Policy
Analysis (CATO Institute), 1er novembre 2006.
62. Egalement appelée : Organisation de la base du Djihad dans la Péninsule Arabique (OBDPA)
(Tanzim Qa’idat al-Jihad fi Jazirat al-Arab) et, depuis avril 2015, « Les Fils d’Hadramaut »
(Abna Hadramawt).
63. « Interview with the AQ-Chief », Inspire Magazine, n° 13, hiver 2014, p. 19.
64. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences: Conditions for the Resistance to Use Individual
Jihad », Inspire Magazine, n° 6, automne 2011, p.15.
65. Ibid.
66. Inspire Magazine, n° 10, printemps 2013 (1434), p. 10.
67. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences : The most important enemy targets aimed at by the
individual jihad », Inspire Magazine, n° 9, hiver 2012 (1433), p.23.
68. En arabe, le mot terrorisme (« irhab ») vient du verbe « arhaba » (terroriser) et la terreur est « al-
rahab ». Celui qui terrorise est donc l’« irhabi » et sa victime est le « murharb » ou « marhub ».
Ibid.
69. Ibid. p. 31
70. Inspire Magazine, n° 10, printemps 2013, pp. 14-15.
71. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences : Open Fronts and Individual Initiative », Inspire
Magazine, n° 2, automne 2010 (1431), p. 20.
72. Jacey Fortin, « Green-On-Blue, Fade To Black : Are Insider Attacks Drawing Down In
Afghanistan ? », International Business Times, 12 mars 2013.
73. D’après Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences: The main arenas of operation for
individual jihad », Inspire Magazine, n° 8, automne 2011, p.18.
74. NdA : Omar al-Farouq a fait une tentative d’attentat en 2009 contre un avion de ligne américain en
cachant des explosifs dans ses sous-vêtements, déjouant ainsi tous les systèmes de détection.
Finalement la tentative échouera en raison d’un dysfonctionnement dans le système de mise à feu
de l’explosif.
75. Interview du chef de la Base du Djihad dans la péninsule arabique, Inspire Magazine, n° 13, hiver
2014, p. 19.
76. D’après Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences : The Military Theory of Open Fronts »,
Inspire Magazine, n° 4, hiver 2010, p.31.
77. Ibid.
78. Ibid.
Le constat
Durant ce dernier quart de siècle, l’Occident s’est attaché à combattre
avec vigueur le terrorisme. Les États-Unis seuls auraient dépensé plus de 5
trillions de dollars1 dans cette guerre qui finalement n’a fait – nolens volens
– qu’encourager le terrorisme. Parallèlement, dans tous les pays
occidentaux, on observe un recul constant des libertés individuelles, une
intrusion toujours plus marquée de l’État et des services de renseignement
dans la vie privée des individus, une action politique souvent incohérente –
qui échappe toujours plus aux principes de l’État de Droit –, et une
compromission des pays « démocratiques » dans des pratiques – comme la
torture – en contradiction avec les fondements mêmes des valeurs de la
société occidentale. Nous pouvons saisir la logique de cette « fuite en
avant », mais nous arriverons un jour au point où les valeurs que nous
prétendons défendre auront simplement disparu derrière les besoins
sécuritaires que nous aurons créés de toutes pièces : que défendronsnous
alors ? Et tout se passe dans une indifférence populaire qui surprend et
alimente des tendances extrémistes qui pour-raient menacer, à terme, nos
démocraties. C’est d’ailleurs en substance le message transmis par la
présidente de la Commission du renseignement du Sénat américain, en
décembre 2014, lors de la publication du Rapport sur l’usage de la torture
par la CIA2. Nous y reviendrons.
Comme nous l’avons vu, depuis plus de 35 ans, les conflits du Moyen et
Proche-Orient se sont enchaînés de manière incrémentale, liés entre eux par
des manipulations et des falsifications qui ont toutes leur origine en
Occident et qui visaient systématiquement à induire les opinions publiques
en erreur :
- L’intervention soviétique de 1979 est une conséquence de l’action
clandestine des services secrets américains en Afghanistan, qui cherchait à
créer des foyers insurrectionnels islamistes, financés et soutenus par les
États-Unis, pour renverser le gouvernement prosoviétique ; ces foyers ont
ouvert la voie à une « conscience islamique », qui est arrivée à point pour
prendre le relais des idéologies révolutionnaires marxistes, en perte de
vitesse dès les années 90 ;
- L’offensive irakienne contre le Koweït en 1990 résulte d’une carte
blanche donnée par les Américains à Saddam Hussein, après qu’il leur a
demandé leur avis ;
- L’intervention américaine en Irak de 1991 a été autorisée par le
Conseil de sécurité des Nations unies sur la base d’un crime attribué à l’Irak
et fabriqué de toutes pièces par les États-Unis ;
- La fin de non-recevoir adressée par les Américains aux Saoudiens qui
leur demandaient de quitter leur pays après la première guerre du Golfe a
motivé les attentats islamistes contre les États-Unis dès 1995 ;
- Les frappes américaines aveugles de 1998 sur l’Afghanistan et le
Soudan, sans savoir qui étaient les réels coupables des attentats de Nairobi
et Dar-es-Salaam, qui ne toucheront que des civils et inspireront les
attentats du 11 Septembre ;
- L’intervention américaine – puis de l’OTAN – contre l’Afghanistan,
qui n’est pas autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies, et est
motivée par le soi-disant refus des Taliban d’extrader Oussama Ben Laden,
alors que de l’aveu même du ministre de la Défense américain, celui-ci
n’est pas considéré comme impliqué dans les attentats du 11 Septembre ;
- L’intervention américaine en Irak, qui n’a pas été auto-risée par le
Conseil de sécurité des Nations unies, était motivée par les affirmations
fallacieuses selon lesquelles, d’une part, l’Irak aurait détenu des armes de
destruction massive et, d’autre part, qu’il aurait eu des liens avec « Al-
Qaïda » ; le tout après un embargo qui avait causé des milliers de morts
parmi les civils irakiens ;
- L’offensive américano-britannique en Irak en 2003, et l’incapacité de
mettre en place une gouvernance, génère un mouvement de résistance en
Irak, s’articulant autour de clivages religieux qui conduiront aux attentats de
Madrid (2004) et de Londres (2005) ;
- L’intervention de la France et des États-Unis en Libye, qui outrepassait
clairement le mandat des Nations unies pour renverser le gouvernement
sans alternative viable, et qui a ainsi poussé le pays dans le chaos et généré
des massacres de populations ;
- L’intervention clandestine des États-Unis, puis de la France, en Syrie,
afin de soutenir des rebelles islamistes avec pour objectif le renversement
du gouvernement de Bachar Al-Assad ;
- Le déclenchement des frappes américaines en Syrie – sans
l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies – contre un État
Islamique qui n’avait pas été considéré comme une menace pour les États-
Unis – a été motivée par l’existence d’une menace « imminente » contre les
États-Unis, qui a été créée de toutes pièces et qui s’est avérée être
inexistante.
Au total, en 2015, le nombre de victimes civiles innocentes directement
provoquées par les coalitions occidentales a été de 26 000 en Afghanistan et
de 165 000 en Irak, deux pays contre lesquels l’Occident s’est engagé et
dont il s’est retiré sans aucun résultat après y avoir installé le chaos,
auxquels s’ajoutent 21 500 civils au Pakistan, un pays contre lequel nous ne
sommes pas en guerre3.
Ainsi, à l’origine de chaque étape de la crise qui enflamme aujourd’hui
le Proche-Orient, on trouve une action occidentale, le plus souvent
américaine. Mais on trouve aussi le « silence assourdissant » des pays
européens et de leurs services de renseignement, l’absence de retour
d’expérience et une méconnaissance profonde des conflits. Par l’importance
de leurs aspects sociétaux, sociaux ou culturels, les conflits modernes ont
une cohérence particulière que l’esprit occidental a de la peine à suivre. Il
en résulte que l’intuition, plus que la connaissance, nous guide dans la
compréhension et la conduite de ces conflits. Dès lors, chaque incident ou
attentat est perçu comme déconnecté d’une logique et du passé, et donc
gratuit, seulement animé par la volonté de détruire.
En fait, pour chacune de ces crises que nous venons de lister, nous
pouvons constater que les pays du monde occidental ont agi selon les
principes de la dialectique hégélienne :
1 - Créer le problème en armant ou provocant un groupe ou un parti, et
le pousser à adopter une posture violente ;
2 - Générer une réaction dans l’opinion publique et dans la classe
politique par de la désinformation ou en diabolisant le groupe pour le rendre
particulièrement odieux ;
3 - Proposer une solution pour résoudre le problème (une intervention
militaire, l’établissement d’un état d’urgence, une réduction des libertés ou
des droits fondamentaux, etc.).
Ce qui est troublant et doit interpeller le citoyen est le fait que ces
mécanismes se déroulent sous nos yeux, avec une information globalement
ouvertement disponible, mais que l’on ne parvient pas intégrer dans les
mécanismes de prise de décision démocratiques.
Toutes ces constatations doivent être ramenées au droit et usages
internationaux. Il ne s’agit pas ici de faire une analyse juridique de l’action
occidentale. Néanmoins, on constate que les deux grands principes qui ont
guidé les nations après la Seconde Guerre mondiale – et qui restent
parfaitement valables aujourd’hui – ont systématiquement été bafoués pour
des raisons politiciennes : le respect de la souveraineté des États et
l’interdiction du crime d’agression. Ces deux principes résident dans deux
règles fondamentales de Droit international qui permettent de mettre en
perspective 35 années de politique étrangère américaine, britannique et
française.
La première règle est l’article 2 de la Charte des Nations unies :

Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans


leurs relations internationales, de recourir à la menace ou
à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou
l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations unies4.

La seconde est issue des jugements prononcés par le tribunal de


Nuremberg – qui jugea les criminels de guerre nazis – et qui furent
transformés en principes de droit international, afin que l’expérience du
passé permette d’éviter de répéter la catastrophe de la Seconde Guerre
mondiale. En 1950, ces principes sont formalisés dans une liste, parmi
lesquels le principe VI, pertinent pour notre propos :

[…] Les crimes énumérés ci-après sont punis en tant


que crimes de droit international :
a) Crimes contre la paix :
i) Projeter, préparer, déclencher ou poursuivre une
guerre d’agression ou une guerre faite en violation de
traités, accords et engagements inter-nationaux ;
ii) Participer à un plan concerté ou à un com-plot
pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes
mentionnés à l’alinéa i5[…]
Ainsi, lorsque l’on parle de la montée du terrorisme, il est essentiel d’en
comprendre les raisons sous-jacentes, et – sans justifier en aucune manière
le recours à la violence terroriste – de réaliser que toutes les actions
occidentales qui nous y ont menés ont enfreint l’une ou l’autre de ces
règles. Seule notre arrogance occidentale peut nous amener à penser que les
autres peuples accepteront docilement d’être frappés de manière répétitive
pour des motifs qui leur sont étrangers, sans réagir.

UNE SOCIÉTÉ EN MUTATION


Depuis les années 70, les traditions, les valeurs spirituelles, religieuses
et culturelles de notre société se sont lentement estompées au profit de
valeurs plus « universelles ». La conséquence majeure de cette évolution,
qui privilégie l’échange et la mobilité, est la difficulté à trouver ses racines
et à se définir par rapport aux autres. Aux États-Unis, pays d’immigration
par excellence, la société s’est construite autour d’un respect quasi-religieux
du drapeau national et de traditions religieuses diverses, dont la fonction de
ciment social est essentielle pour une cohésion au niveau local, qui se
répercute au niveau national.
En France, la laïcité a contribué à maintenir une cohésion nationale dans
les turbulences du XXe siècle, mais elle a aussi étouffé les sensibilités
religieuses et occulté leur impact sur la politique nationale. Dans
l’immigration venant du Sud, la religion occupe une place différente, que
les conflits ré-cents ont exacerbée. Or la laïcité n’est pas un ciment, mais un
aplanisseur de différences. Les autorités n’ont donc pas été en mesure de
suivre – ni, a fortiori, d’anticiper – les changements de perception au sein
de la population française en relation avec le Proche-Orient, comme en
témoigne le soutien aveugle affiché par le gouvernement Hollande/Valls à la
politique israélienne dans les territoires occupés.
Ces mutations au cœur de la société ne sont perçues qu’en creux à
travers la progression du Front national. Mais l’impact d’une multitude de
petits événements, qui, pris individuellement n’ont que peu de portée,
s’additionnent jusqu’à créer une saturation. Ainsi, par exemple, certains
politiciens – comme Jean-François Copé – se sont offusqués de la demande
des communautés musulmanes d’horaires distincts pour hommes et femmes
dans les piscines, au nom de la laïcité. Mais peu d’opposants à cette
pratique savent que cette question a déjà été soulevée bien avant, dès la fin
des années 70, sans faire l’objet de polémiques… mais pour la communauté
juive6. Les problèmes intercommunautaires se sont radicalisés sous les
présidences de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, perçus – à tort ou
à raison – comme très partiaux dans leur approche des questions
communautaires.
Ainsi, même si les conflits actuels résultent essentiellement de décisions
politiques opportunistes, politiciennes, sans vision de long terme et sans
stratégie, la séquence des événements et des opérations menées par les pays
occidentaux a conforté la perception d’une guerre de religion, créant ainsi la
motivation pour le Djihad.

Une vision ethnocentrique du monde

Il semble inéluctable que nos sociétés aient une lecture ethnocentrique


des réalités. Nous voyons ce que nous voulons bien voir ou comprendre et
nous interprétons la réalité selon nos codes comme le font les autres
sociétés en nous observant. La différence fondamentale entre le reste du
monde et l’Occident est que ce dernier tend à imposer ses valeurs et sa
manière de voir aux autres sociétés. C’est d’ailleurs en substance la
signification de la « mondialisation » qui, ironiquement dans ce contexte,
présente de grandes similitudes avec les principes marxistes que défendent
ses détracteurs. Depuis la Seconde Guerre mondiale, à gauche comme à
droite, les Occidentaux ont cultivé une vocation missionnaire.
Nous voyons nos morts mais fermons les yeux sur les milliers d’autres
que nous générons. Il est ainsi symptomatique – et cela a été relevé par
certains internautes africains – que la tuerie de Garissa, au Kenya, qui avait
fait 148 victimes, le 2 avril 2015, a été à peine qualifiée de « terroriste » et
n’a évidemment pas été l’objet de la même couverture médiatique que les
attentats de Paris7. Les Kenyans ont « été Charlie », mais les Français n’ont
pas « été Garissa » et bien sûr, il a fallu les attentats de Paris (130 morts)
pour avoir un « mark safe button » dans Facebook… Rappelons ici que la
France mène une guerre en Syrie, sans l’accord de son gouvernement, et
contraire aux dispositions de la Charte des Nations unies, alors que le
Kenya est engagé dans une mission de soutien à la paix en Somalie.
La destruction du vol de ligne Iran Air 655 causant 290 morts, dont 66
enfants, le 3 juillet 1988, « par une méprise » (c’est-à-dire par une suite
d’incompétences tout au long de la chaîne de commandement) du navire de
guerre américain USS Vincennes, n’a jamais fait l’objet ni d’excuses de la
part du gouvernement américain, ni de protestations en Europe. Aucun pays
occidental ne s’est élevé contre les frappes américaines d’août 1998, alors
que l’on savait qu’elles avaient touché des populations totalement
innocentes. On pourrait multiplier les exemples.
Notre approche des questions humanitaires, des conflits et de la paix, est
égocentrique et égoïste. La compassion est corrompue par les intérêts
politiques, à tous les niveaux. Dans la guerre comme dans la paix, nos
politiques ont l’horizon des échéances électorales, et satisfont notre
indignation du moment, sans regard sur l’avenir. Le renversement du
régime de Saddam Hussein, de Mouammar Kadhafi et l’acharnement contre
Bachar al-Assad en sont des exemples caricaturaux. Mais cela s’applique
aussi à des domaines qui semblent mineurs. Des interventions qui se
voulaient humanitaires et humanistes ont provoqué des désastres. Ainsi,
lorsque l’on a lutté contre la mortalité infantile des pays du tiers-monde
dans les années 70-80 – une noble cause en soi – les conséquences à long
terme d’une brutale augmentation de la population n’ont pas été prises en
compte. Pas plus que l’on a adapté les programmes de construction
d’infrastructures, ni prévu l’encadrement nécessaire pour cette masse de
jeunes, afin de transformer ce bouleversement sociétal en richesse
économique. On a ainsi condamné des pays déjà pauvres à une asphyxie
démographique meurtrière. Ce sont eux qui, aujourd’hui, constituent les
migrants qui affluent en Europe.
Cette vision s’applique également au terrorisme. On a annoncé des
attentats pour le 11 septembre 2002, pour le 11 septembre 2011 – dixième
anniversaire du 11 Septembre – pour les fêtes chrétiennes de Noël, pour les
grands rassemblements du Nouvel An, etc. Il n’est guère besoin de beau-
coup d’imagination pour constater qu’il serait possible de faire relativement
facilement un nombre considérable de victimes dans nos grands magasins,
dans des paquebots, dans des aérogares, etc. Or, rien de tel ne s’est produit.
Même au Stade de France, en novembre 2015, les trois explosions n’ont fait
qu’une victime (en plus des terroristes). Tout simplement parce que nous
voyons le terrorisme comme un but en soi, qui cherche à faire simplement
un maximum de victimes. Parce ce que nous avons une approche
quantitative de la guerre.
La société occidentale n’est plus perçue comme « exemplaire ». Son
modèle économique montre des signes de vulnérabilité, tandis que la
substance même de sa société – l’Homme – apparaît comme profondément
faible. Cette faiblesse est attribuée, à tort ou à raison, à un manque de
développement spirituel et à l’abandon de valeurs dont la religion est la
garante, selon les islamistes, et est apparente au sein des forces armées.
Une vidéo de propagande diffusée par l’État Islamique en novembre
2015, et intitulée « No Respite » rappelle ces faiblesses américaines8, qui
reflètent – aux yeux des islamistes – les faiblesses de la société occidentale
et justifient la nécessité de leur résistance à l’influence occidentale sur leur
société. Entre le 7 octobre 2001 et le 28 juillet 2015, les forces armées
américaines ont été engagées dans 5 opérations majeures, et ont déploré au
total 6855 morts9 mais chaque année 8000 vétérans des guerres d’Irak et
d’Afghanistan se donnent la mort (soit 22 par jour)10. En clair, l’Amérique
perd plus de militaires chaque année par suicide, qu’en 14 ans de guerre.
Le raisonnement est simpliste, mais pas complètement faux. La perte de
repères, l’ambiguïté autour de nos « valeurs » et des notions de morale qui
évoluent très – voire trop – rapidement, ont souvent un caractère
déstructurant et déstabilisant. Ces changements se traduisent trop souvent
chez nous par le suicide, la violence ou d’autres dérives, et rendent notre
« modèle occidental » peu attirant pour d’autres sociétés.

Le nouveau logiciel de nos sociétés

Dès l’été 2014, l’Europe fait face à une vague d’immigration sans
précédent en provenance de Syrie, du Kosovo, d’Afghanistan, d’Albanie,
d’Irak, du Pakistan, d’Érythrée, de Serbie, d’Ukraine et du Nigéria11. Nous
ne nous attarderons pas sur le fait que le Kosovo, l’Albanie, la Serbie et
l’Ukraine sont des pays qui vivent déjà largement de l’aide occidentale. En
Afghanistan et en Irak, deux pays où les Droits de l’homme, la démocratie
et le mode de vie occidental devaient amener le développement, la
corruption règne, alimentée par ceux-là mêmes qui voulaient l’éliminer12.
Quinze ans de guerre et des milliards de dollars d’investissements n’ont
apporté que l’insécurité et le désespoir.
De la Syrie, arrivent soudainement des chrétiens qui étaient protégés par
le régime de Bachar Al-Assad. Les bombardements occidentaux contre le
régime syrien – et accessoirement contre l’État islamique – favorisent en
effet la progression des multiples factions islamistes tout aussi radicales que
l’EI (mais dont les gouvernements américains, français ou belges ne parlent
jamais) et qui menacent aussi sûrement les nombreuses communautés non-
musulmanes. L’étrange et difficile distinction faite par la France et les
États-Unis entre islamistes modérés et radicaux, afin de justifier le
renversement du régime de Bachar al-Assad, a ainsi accru le danger contre
les populations chrétiennes depuis l’été 2014. Les Yazidis, Ismaéliens,
Assyriens et autres communautés chrétiennes sont persécutés depuis 2004
par les islamistes sunnites soutenus par les Occidentaux en Irak et en Syrie.
Jusqu’en 2014, ces populations – protégées par la Syrie – avaient l’espoir
de survivre. Un espoir qui a été ruiné dès l’été 2014 par les Occidentaux, et
la France en particulier, à cause d’une politique qui visait clairement à
renverser le régime syrien, provoquant ainsi une vague d’émigration vers
l’Europe, dans laquelle se sont engouffrés d’autres migrants – économiques
ceux-là – en provenance d’autres régions du monde.
Nul doute que l’Occident et l’Europe arriveront, d’une manière ou
d’une autre, à accueillir et à faire survivre ces migrants. Mais en voulant les
intégrer trop vite, nous créerons des défis et des bouleversements culturels
et sociétaux considérables. En réalité, la vague massive d’émigration de
2014-2015 cache un phénomène plus insidieux. Très largement soutenu par
les diverses gauches européennes, il est ce que nous pouvons appeler un
« colonialisme négatif ». Animé par une compassion occidentale, souvent
de bonne foi, face au différentiel de développement croissant entre
l’hémisphère nord et l’hémisphère sud, l’accueil de migrants s’est accéléré
et s’est accompagné, dans de nombreux pays, de mécanismes de
naturalisation qui préviennent le retour éventuel de ces immigrés dans leur
pays d’origine. Il a le mérite d’apporter une aide immédiate à ceux qui en
ont besoin. Mais qu’en est-il des effets dans le long terme ?
En visite au Kosovo en 2002, l’auteur rencontrait le maire de la ville de
Suva-Reka au sud du pays. À la question de savoir pourquoi l’économie du
Kosovo ne parvenait pas à « décoller », le maire a répondu sans hésiter :
« Parce que les gens dont nous aurions besoin sont partis chez vous ! » Or,
l’émigration depuis les pays en phase de développement ne devrait pas être
permanente, mais être mise à profit par les pays occidentaux pour former
les migrants, de sorte à créer des capacités offrant un potentiel de croissance
pour leurs pays d’origine. Or trop souvent, l’Occident rechigne à former ces
ressources et à les restituer lorsqu’il les a formées. On assiste ainsi à une
sorte de « colonisation en creux », où des pays comme la France, la
Belgique et la Grande-Bretagne, utilisent la main-d’œuvre immigrée pour
des travaux dédaignés par les Européens, mais ne créent aucun potentiel de
développement pour les pays qui en auraient besoin. Des pays comme le
Kosovo – et bien des pays africains – vivent dès lors des rentes en
provenance de leurs expatriés, mais ne se développent jamais et restent dans
une forme de dépendance à l’Occident.
L’appel prononcé par Mgr Nicolas Djomo, évêque de Tshumbe et
président de la Conférence épiscopale de la République démocratique du
Congo à Kinshasa en août 2015, va dans la même direction :

Ne vous laissez pas berner par l’illusion de quitter le


pays à la recherche d’un emploi qui n’existe pas en
Europe ou en Amérique […] Vous êtes le trésor de
l’Afrique. L’Église compte sur vous, votre continent a
besoin de vous13.

En clair, l’effet pervers de l’émigration est qu’elle vide les pays


d’émigration de leur substance culturelle, intellectuelle et laborieuse. De
plus, dans le cas de la Syrie, cette émigration laisse le champ libre aux
islamistes, permettant ainsi à la France et aux États-Unis de satisfaire leur
objectif de renverser le régime de Bachar al-Assad. Mais à quel prix ?
Quelles qu’en aient été les motivations, l’engagement de la France et des
États-Unis pour renverser le gouvernement syrien par la force ne pouvait
que générer une catastrophe humanitaire dans le court, moyen et long
terme. C’est ce qui explique la vague d’émigration sans précédent qui a
suivi la décision des États-Unis et de la France d’intervenir en Syrie pour
renverser le gouvernement en place.
Au-delà du fait que nos politiques d’immigration incohérentes et
davantage motivées par un sentiment de culpa-bilité que par une réelle
volonté d’aider, provoquent l’appauvrissement des pays d’émigration en
« aspirant » la portion la plus dynamique et la plus industrieuse de leurs
populations, c’est un changement sociétal profond qui guette les pays
occidentaux, et européens en particulier. En effet, le « système
d’exploitation » judéo-chrétien sur lequel fonctionnait l’Occident est en
train de migrer vers un logiciel plus musulman. En France, ce changement
est déjà amorcé, il se développe derrière le paravent de la laïcité et le
désintérêt des autorités, qui ne veulent pas faire écho aux revendications de
ce que l’on appelle l’« extrême-droite ». Or, ce lent changement fait
résonner différemment les décisions politiques et entre dans l’équation de la
radicalisation, notamment lorsqu’elle se combine avec ce qui est perçu
comme de l’injustice. Ainsi, le soutien de François Hollande au
gouvernement israélien lors de l’intervention de Gaza et la bruyante
campagne du Premier ministre Valls contre l’humoriste Dieudonné, seraient
sans doute passés inaperçus il y a quelques décennies. Mais aujourd’hui, sur
un fond d’interventions associées à des croisades, elles ont sans aucun
doute un impact que nous évaluons mal sur la radicalisation des jeunes et
sur la montée de l’antisémitisme.
En France, comme on l’avait observé après le 11 Septembre aux États-
Unis, des médias acritiques qui relaient le message officiel partagent de
facto la responsabilité du gouvernement dans la radicalisation d’une partie
de la société.
Une analyse des flux de messages (en arabe) sur les réseaux sociaux
effectuée par des chercheurs italiens, à la fin 2014, montre que le soutien à
l’État islamique est plus fort en Europe qu’en Syrie même ! En Occident, la
proportion de messages positifs envers l’EI s’articule comme suit :
Belgique, 31 % ; Grande Bretagne, 23,8 % ; États-Unis, 21,4 % ; France,
20,8 % ; Canada, 15,3 % ; Italie, 9,8 %. Par ailleurs, il est intéressant de
constater que, selon la même étude, les sentiments négatifs envers l’État
islamique dus aux attentats terroristes ne sont que de 4,7 %, tandis que les
sentiments positifs sont à 37,5 %, dus au fait que l’EI est perçu comme
défendant l’islam14.
La première phase d’une vraie stratégie de lutte contre le terrorisme
devrait s’attacher à corriger ces chiffres, et ils ne le seront pas simplement
en limitant l’accès à certains sites web. Or, en Belgique comme en France,
qui ont toutes deux une présence musulmane importante et une politique
sociale qui encourage l’inaction et les activités parallèles, aucune stratégie
contre-terroriste globale n’est réellement mise en place.
Aujourd’hui, Israël peut compter sur le soutien de l’Europe et des États-
Unis. Mais qu’en sera-t-il demain, lorsque les « logiciels » culturels auront
changé15 ? Sans vouloir dramatiser une évolution qui reste hypothétique à
ce stade, il faut compter avec une opinion publique dont les sensibilités
seront sans doute différentes dans quelques décennies, et plus critiques à
l’égard de certains pays et de leur politique étrangère. Dans un contexte
comme celui-là, le fait d’entrer en guerre sans raison majeure en Syrie
favorise plus que ne ralentit le terrorisme.
Les manigances de l’Occident envers le Moyen et Proche-Orient ont été
absorbées par le fatalisme du plus grand nombre, et provoqué la violence
d’une minorité. Mais nous approchons lentement la limite de la résilience
des populations. « Al-Qaïda » ne représentait qu’une idée, mais
aujourd’hui, les rebelles syriens et irakiens (y compris l’État islamique),
représentent des entités palpables, qui cristallisent l’indignation des jeunes
islamistes et poussent vers une « popularisation » du radicalisme. Ce
mécanisme déclenche des effets parallèles – qui s’observent déjà – à travers
une montée des extrêmes occidentaux, avec le danger de voir la
communauté juive se trouver prise en étau entre les deux.

LE MYTHE DE LA PUISSANCE AMÉRICAINE

Le mirage du renseignement électronique

Avec plus de 200 000 personnes, 17 agences, et un budget annuel


compris entre 50 et 60 milliards de dollars, la communauté du
renseignement américain est sans doute la plus importante du monde. Elle
surveille en permanence quelque 700 000 personnes dans le monde, tandis
que sa composante électronique, la National Security Agency (NSA),
récoltait en 2013, à elle seule, plus de 220 milliards d’éléments
d’information par mois16. Selon le journal britannique The Guardian (qui a
publié les documents divulgués par Edward Snowden), son équivalent
britannique, le Government Communication Headquarters (GCHQ), récolte
toutes les 7 minutes et demie l’équivalent de la bibliothèque nationale, soit
21 pétaoctets de données par jour, uniquement en espionnant le flux dans
les fibres optiques entre le Royaume Uni, l’Europe et les États-Unis (projet
TEMPORA)17.
Les chiffres donnent le vertige et suggèrent un savoir quasi illimité,
propre à maîtriser toutes les crises. Le cinéma prend le relais de la réalité en
montrant des satellites auxquels rien n’échappe, la conduite d’opérations en
temps réel où satellites et drones identifient des individus et les suivent pour
les frapper sans coup férir.
Il n’en est rien.
La réaction aux attentats terroristes est d’accumuler le plus
d’informations possibles sur les citoyens. Or, nous atteignons le point où la
granularité de l’information nécessaire à prévenir l’acte terroriste est telle
que même les moyens techniques les plus sophistiqués ne permettent plus
de l’obtenir. De plus, la masse d’informations acquises croît de manière
exponentielle et finit par asphyxier les mécanismes analytiques. Le
problème qui en découle est que l’analyse n’est plus faite par des hommes,
mais par des ordinateurs. La masse des données récoltées est étudiée au
moyen d’algorithmes basés sur des « comportements-types » qui, dans le
meilleur des cas, définiront un suspect, et dans le pire des cas, le
condamneront à mort. C’est de cette manière que sont sélectionnés les
cibles des drones et les suspects de terrorisme au États-Unis : la
combinaison d’une série de critères (par exemple : musulman, célibataire, a
fait X voyages dans la zone Y, gagne tant par mois, fréquente A, B et C,
téléphone à B et D, a emprunté tel et tel livre à la bibliothèque municipale,
etc.) permet d’identifier un comportement terroriste susceptible d’être placé
sous surveillance.
Durant les débats qui ont accompagné la procédure d’adoption des lois
sur le renseignement en France et en Suisse durant 2015, on a largement
insisté sur l’importance de la surveillance des réseaux sociaux et des
réseaux de communication dans un but de prévention. En fait, le
gigantesque programme de recueil d’informations sur les réseaux sociaux et
autres moyens de communication électronique par la NSA, et les trillions
d’éléments d’informations recueillis depuis le début des années 2000 par les
services de renseignement américains, n’ont pas permis de prévenir un seul
attentat terroriste…
Dès 2013, avec les divulgations d’Edward Snowden, l’establishment
américain a tenté de justifier ces écoutes des citoyens américains. En juin
2013, le général Keith Alexander, Directeur de la NSA, affirmait que 54
attentats terroristes avaient ainsi été prévenus, dont 13 aux États-Unis, 9
contre des intérêts américains à l’étranger, 25 en Europe, 11 en Asie et 5 en
Afrique18. Mais lors de l’enquête parlementaire diligentée par la suite, le
général Alexander a dû reconnaître que cette affirmation avait été
exagérée19 et que l’information récoltée n’avait permis que de confirmer
l’information déjà existante, et que seulement un, peut-être deux cas de
« complots » « auraient » pu être identifiés20. En réalité, il s’avérera qu’il ne
s’agissait que d’un seul cas : l’arrestation de Basaaly Moalin, un chauffeur
de taxi de San Diego (Californie) qui avait versé 500 dollars entre 2007 et
2008 à un correspondant somalien soupçonné d’être associé à Al-Shabaab.
Mais dans un rapport de 2009, le FBI a même reconnu que ces versements
n’avaient aucun rapport avec le terrorisme et étaient dus à des liens
tribaux21. Ainsi, au final, les 200 milliards d’éléments d’informations
recueillis chaque mois par la NSA à cette époque22 n’ont pas permis de
prévenir un seul attentat terroriste…
L’attentat de Boston en 2012 n’avait pas été détecté, pas plus que celui
de San Bernardino en 2015… Alors que les moyens de collecte américains
couvrent par la force des choses l’ensemble du globe, y compris la France,
les attentats de janvier et novembre 2015 n’ont pu être détectés. Le
renseignement électronique n’a pu que donner des éléments utiles à
l’enquête, en aval des attentats… et encore, très tardivement, permettant
aux principaux protagonistes encore vivants de s’éclipser.
Un résultat bien modeste, qui s’explique statistiquement par le fait que
les algorithmes de détection des terroristes utilisés conjointement avec les
systèmes d’écoute et de collecte massive sont incapables de faire ce qu’on
attend d’eux. Cette affirmation peut être démontrée mathématiquement et
découle simplement du très faible nombre de « terroristes » potentiels et de
l’absence de comportements significatifs pour une analyse. Les algorithmes
qui sont, par exemple, efficaces pour lutter contre les fraudes à la carte
bancaire sont ainsi inopérants contre le terrorisme23, en grande partie parce
que l’on attribue aux terroristes des comportements « occidentaux » et
« symétriques ». Ainsi, les diverses mesures réclamées par les « services »
en France ou en Suisse à la suite des attentats de 2015 ne sont donc qu’un
miroir aux alouettes dès lors qu’il s’agit d’anticiper le crime. Mais elles
peuvent avoir une utilité dans les enquêtes qui suivent le crime…

Quelle sécurité ?

Le terrorisme provoque des réactions émotionnelles et fonctionne par


effet d’amplification. Il est certes une menace importante, mais qui reste
très largement instrumentalisée à des fins politiciennes. Entre 1968 et 1998,
le terrorisme en Irlande du Nord – qui a été l’un des plus meurtriers en
Europe – a tué 3526 personnes24, soit approximativement le même nombre
de victimes qu’en 2014 sur les routes de France (3384 victimes)25.
Aux États-Unis, entre le 11 Septembre et juin 2015, 26 citoyens ont été
victimes du terrorisme djihadiste26, mais 48 ont été victimes du terrorisme
d’extrême-droite27. Ainsi, en moyenne par année durant cette période, plus
de 1300 personnes ont été tuées lors d’une tuerie, 27 sont mortes écrasées
par un meuble dans leur appartement, et 2 seulement ont été tuées lors d’un
attentat djihadiste28. Toujours aux États-Unis, entre 2001 et 2013, le
terrorisme a fait 3380 victimes, un chiffre très en-deçà des 406 496 victimes
de la violence par armes à feu durant la même période29. Entre décembre
2012 et décembre 2015, en 1066 jours, les États Unis ont connu 1052
tueries qui ont causé 1347 décès et 3817 blessés30. Aucune n’a pu être
prévenue et détectée à l’avance.
La tuerie de San Bernardino, en Californie (2 décembre 2015), qui a
soulevé un émoi considérable, n’était « que » la 353e tuerie aux États-Unis
en 201531 ! Elle est exemplaire car elle correspond au concept de « Djihad
individuel » ou « terrorisme individuel » qui, nous l’avons vu, est en train
d’émerger et va rendre la violence terroriste quasi-indétectable :

Chaque musulman devrait sortir de chez lui, trouver


un croisé et le tuer. Il est important que le meurtre soit
attribué à un membre de l’État islamique, qui a suivi les
ordres de ses chefs. Ceci peut facilement se faire de
manière anonyme. Sinon, les médias croisés feront
apparaître ces attaques comme des meurtres aléatoires32.

Il ne s’agit pas ici de minimiser la menace terroriste, mais de la placer


en perspective et de constater que d’autres formes de menaces que l’on a
délaissées – souvent par commodité – peuvent potentiellement masquer de
nouvelles configurations du terrorisme.
Après le 11 Septembre les pays occidentaux ont mis en place un
dispositif surdimensionné par rapport à la menace effective. Aux États-
Unis, des milliards de dollars ont été dépensés par les services de police
locaux pour s’armer contre le terrorisme. Des véhicules blindés anti-mines
développés pour la guerre en Irak ont été fournis à plus de 500 services de
police. La police de la petite ville de North Little Rock, en Arkansas, s’est
dotée d’équipements et d’armements conçus pour la guerre en
Afghanistan33.
Cette perception de la menace n’est pas nécessairement issue des
organes de sécurité, mais plutôt des politiques. Une enquête menée en 2015,
auprès de 382 services de police américains, fait ressortir que 74 % d’entre
eux voient la violence anti-gouvernementale comme la menace la plus
importante, mais seulement 39 % craignent la menace djihadiste34. Une
observation similaire peut être faite concernant la réaction des autorités
belges en janvier et en novembre 2015, mal pensée et potentiellement
source de nouveaux attentats.
Par ailleurs, au-delà des chiffres, la sécurité a un coût social. Les
organes de sécurité tendent à regrouper des individus au niveau de
formation relativement bas (voire plus bas que le niveau des terroristes),
mais qui se sentent investis d’un pouvoir considérable, qui autorise tous les
abus, au nom de la sécurité. Sans entrer dans les détails des excès dans
l’usage des armes et du droit de légitime défense, de nombreux cas laissent
songeurs sur l’éthique véhiculée par les organes de sécurité. Aux États-
Unis, la Transportation Security Administration (TSA), responsable de la
sécurité dans les aéroports, créée au lendemain des attentats du 11
Septembre pour lutter contre le terrorisme, a certes intercepté de
nombreuses armes et autres objets contondants dans les bagages, mais n’a
jamais fait arrêter un seul terroriste. En revanche, ses agents ont été
responsables de plus de 25 000 vols dans les bagages des passagers
totalisant quelque 3 millions de dollars entre 2010 et 2014 seulement, et 500
d’entre eux ont été renvoyés pour vol35 !
La promulgation de l’État d’urgence, et le rétablissement de pratiques
qui semblaient avoir été enterrées avec le régime de Vichy – comme la
promotion de la dénonciation –, conduisent à des dérives qui pourraient
aller à l’opposé des effets recherchés, particulièrement si ces mesures sont
mal encadrées et mal conduites. C’est ainsi qu’après le 13 novembre 2015
en France, on a assigné à résidence des individus qui n’étaient pas fichés
comme dangereux ou ne faisaient pas l’objet d’une surveillance
particulière, sur simple dénonciation parce que leur comportement intriguait
les voisins ou qu’ils venaient de se raser la barbe (sic !). On a également
utilisé l’opportunité des mesures d’urgence pour mener des opérations
contre des écologistes, en les plaçant dans le cadre de la lutte contre le
terrorisme. Ce faisant, on court deux risques majeurs.
Le premier – qui est celui escompté par la nouvelle doctrine des
Djihadistes – est de saturer les capacités des services de sécurité : lorsqu’on
« s’occupe » d’un écologiste inoffensif, on distrait des ressources qui
pourraient chercher une cible plus dangereuse.
Le second, plus fondamental, est de s’écarter des principes de liberté qui
sont à la base même de la sécurité dans les sociétés occidentales, et qui est
illustré par le fait que la France a informé le Conseil de l’Europe qu’elle
dérogerait aux termes de la Convention européenne des Droits de l’homme
après les attentats de novembre 201536. Dès lors, quelles sont les valeurs
que l’on défend ? Et dans ce contexte, quelles sont les raisons d’intervenir
si d’emblée on admet que l’on enfreindra les règles… comme ceux que l’on
veut combattre ?
L’incapacité à définir la nature de la menace et à prendre des vraies
mesures de sécurité conduit à des gesticulations dont chacun subit les
conséquences, sans avoir un accroissement significatif de sécurité. Il en est
ainsi de la chasse aux liquides dans les bagages à main dans les aéroports,
déjà évoquée plus haut. À pourchasser des fioles de parfum dans les
trousses de toilette, ou les bouteilles de cognac, on en vient à ignorer les
vraies menaces : les Djihadistes ont mis au point des explosifs improvisés
qui échappent à ces détecteurs et dont les recettes dont disponibles sur
internet. Mieux : les Djihadistes ont effectué leurs propres tests « grandeur
nature » pour contourner les systèmes de détection aux États-Unis et
affichent un taux de réussite de 95,7 %37 ! D’ailleurs, même les agents de
sécurité n’y croient pas : lorsqu’avec un regard victorieux on vous prend
une bouteille de limonade, on la jette de manière bien peu respectueuse
dans un sac en plastique, alors qu’en fait il s’agit potentiellement d’un objet
explosif qui devrait être neutralisé sans mettre en danger les tiers ! Sans
entrer dans les détails ici, qui pourraient éclairer d’éventuels terroristes, on
peut affirmer que s’il y a eu peu d’attentats dans les aéroports, ce n’est pas
une conséquence des « mesures de sécurité » (bien au contraire), mais du
fait que les terroristes n’ont pas eu l’intention d’en commettre.
Alors que les terroristes ont des profils qui les placent généralement au-
dessus de la moyenne en termes d’éducation, au niveau opérationnel, la
sécurité semble, elle, perdre en qualité de réflexion. Manifestement, la
structure de la sécurité en Europe ne s’est pas adaptée à la nature de la
menace et continue à combattre le terrorisme comme elle le faisait il y a 40
ans. Les moyens technologiques ont évolué, certes, mais la manière de les
utiliser, d’articuler les forces, n’a pas réellement changé. Ainsi, le 13
novembre 2015, le premier policier est arrivé au Bataclan un quart d’heure
après le début de l’attaque, suivi une demi-heure plus tard par les hommes
d’élite de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI), qui avaient été
envoyés précédemment sur les autres lieux où la violence avait déjà cessé
depuis près de 20 minutes38. En clair, on n’a pas tiré les leçons des attentats
de janvier, et de la doctrine des terroristes. On a renforcé les structures
centrales, au lieu de s’adapter à une menace qui se décentralisera toujours
davantage. La nature de cette sécurité sort du cadre de cet ouvrage, mais il
faut retenir l’incapacité des organes de l’État à évoluer, en grande partie en
raison du refus des autorités politiques d’accepter l’évolution de la menace.
Les régimes d’exception se traduisent souvent par une liberté plus
grande accordée aux forces de sécurité, qui permettent de contourner
certains « garde-fous » légaux ou pour étendre leur domaine d’action, afin
de gagner en efficacité. Or le risque, ici, est que la sécurité adopte une
dynamique propre et déborde des objectifs de la lutte contre le terrorisme.
Ainsi, en France, après l’instauration de l’état d’urgence, la police a mené
des perquisitions sans mandat particulièrement brutales, en fracassant des
portes d’entrée et en occasionnant des dégâts à l’intérieur des habitations –
alors qu’ils n’avaient pas rencontré de résistance –, pour quitter les lieux…
sans même avoir vérifié les identités des occupants (!). Depuis novembre
2015, la police française a mené 3289 perquisitions, dont seulement 10 %
ont conduit à une procédure judiciaire. Parmi celles-ci, 28 avaient un lien
avec le terrorisme, dont 23 seulement pour « apologie du terrorisme » et 5
étaient liées à des préparatifs pour partir au Moyen-Orient. Parmi les 407
assignations à résidence prononcées, 108 sont en appel, 41 au moins étaient
des « erreurs » et ont été annulées par la suite, 27 concernaient la
conférence COP21 et n’avaient aucun rapport avec le terrorisme islamiste.
On arguera que les perquisitions ont permis de saisir plus de 500 armes,
mais dans l’ensemble, le résultat est faible39.
Plus grave, les forces de police tendent à se comporter comme aux
États-Unis et à fonder leur relation avec le citoyen sur un rapport de force.
Après l’assaut contre les terroristes à Saint-Denis, le 18 novembre 2015, le
Procureur de Paris, François Molins, déclarait que les forces de police
avaient essuyé des « tirs très nourris et quasi-ininterrompus » de la part des
terroristes. En réalité, si la police a effectivement tiré environ 1500 coups,
les terroristes n’en n’ont tiré que 11 (!) avec un seul pistolet. Les terroristes
sont morts de l’explosion de leur bombe et aucun d’entre eux n’a été touché
par la police, tandis que les blessés policiers ont tous été le fait de tirs
croisés (« BLUE on BLUE40 »).
En d’autres termes, les moyens se sont accrus, mais l’efficacité globale
et l’efficience ont diminué. Les conclusions que l’on peut tirer – outre
l’impréparation des échelons de conduite à tous les niveaux – est un très
large déficit du renseignement. Non pas dans la quantité d’informations
qu’ils collectent, car les individus dangereux étaient connus et faisaient
l’objet d’une surveillance, et les autres ont su se maintenir en-dessous des
radars policiers. L’incapacité à comprendre le problème est au cœur de cette
inefficacité, qui tend à mettre en évidence l’insuffisance de l’analyse. Les
arrestations et mesures judiciaires inutiles ne sont que la partie apparente de
cette inefficacité. Le vrai risque est que l’injustice de ces « erreurs » génère
un sentiment de révolte qui crée de futurs terroristes. Les forces de l’ordre –
et le gouvernement – n’ont toujours pas compris qu’ils travaillent dans un
contexte asymétrique et qu’ils contribuent activement au processus de
radicalisation.
Loin d’avoir un effet dissuasif, les coalitions internationales contre le
terrorisme, tendent donc à le stimuler. L’insistance des États-Unis pour
former ces coalitions n’est pas liée à l’efficacité ou au besoin de synergies
pour traiter le problème de manière plus holistique. Il s’agit simplement
d’impliquer d’autres nations de sorte que la menace terroriste ne soit plus
concentrée sur les Américains, mais soit répartie sur les membres des
coalitions. Au début mars 2016, les frappes françaises représentaient 4,7 %
et les frappes belges 1 % du nombre total de frappes menées par la coalition
internationale, les États-Unis en assurant 68,1 %41. Dès lors, l’impact des
nations européennes est marginal sur le terrorisme, mais les place en
première ligne quant à la menace.
La sécurité est devenue un lucratif domaine économique, qui recrute
toujours plus et toujours moins bien. En Europe, des appareils sécuritaires
et des systèmes de police corrompus, des policiers qui surestiment leurs
capacités, délaissent les tâches de proximité pour les actions plus « viriles »
et prestigieuses, ne génèrent pas de sécurité, alors que, d’un autre côté, les
terroristes ont clairement fait évoluer leur doctrine et leurs méthodes
d’action. Ici, la guerre asymétrique s’est aggravée d’une dissymétrie
intellectuelle et conceptuelle qui n’est pas en faveur de nos démocraties.
LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT
Il semble découler du bon sens que, face à un adversaire qui utilise la
surprise comme arme essentielle, les démocra-ties doivent disposer
d’instruments qui leur permettent de déceler en temps utile les indices
nécessaires à prévenir (au mieux) ou intercepter (au pire) l’entreprise
terroriste. Or, l’expérience montre que l’efficacité des services de
renseignement s’est essentiellement manifestée en aval des actions
terroristes. Autrement dit, l’arsenal déployé au nom de la prévention a, en
réalité, été essentiellement utile pour capturer les terroristes après coup,
mais n’a pas contribué à prévenir le terrorisme, ni à freiner son
développement.
Nous opposons volontiers notre société libre et respectueuse de l’État de
Droit, à l’action des terroristes de tout poil. Et c’est juste. Mais alors
pourquoi abandonnons-nous toujours plus ces valeurs au nom de la lutte
contre ceux qui veulent les détruire ? Pourquoi ne cherchons-nous pas à
mieux comprendre les raisons qui poussent de jeunes Européens, ayant
grandi chez nous, dans notre société libre et démocratique, à s’engager dans
des opérations suicides ? Pour-quoi nos services de renseignement ont-ils
été incapables d’apporter ces réponses depuis plus de 35 ans, et nous ontils
poussés à nous engager sans objectifs clairs dans des guerres sans espoir ?
Pourquoi n’intégrons-nous pas mieux le renseignement en amont des
décisions politiques afin qu’elles soient plus rationnelles, plus respectueuses
du long terme ?
Si les services de renseignement sont effectivement un point central de
la lutte contre le terrorisme, ils sont cependant également un élément central
des échecs, faillites, et absurdités de ce dernier quart de siècle. L’évolution
récente du renseignement n’a pas toujours été gérée en fonction d’une idée
claire de ce que l’on en attendait. En fait, les problèmes du renseignement
sont loin d’être nouveaux, mais ils sont rarement traités parce qu’ils
échappent au radar des « experts » en renseignement qui, pour la plupart,
n’ont jamais fait partie d’un service de renseignement, ou n’ont été acteurs
que d’une partie infime de la mécanique du renseignement sans en avoir
jamais la vue d’ensemble, et qui n’en connaissent pas les subtilités. Les
réformes entreprises n’ont touché que la surface du problème, et il est peu
probable que la situation s’améliore dans le futur proche.
Depuis 2001, le renseignement est considéré comme un élément central
de la solution au terrorisme. C’est certainement vrai, à condition de
comprendre ce que l’on entend par le mot « renseignement ». Le terrorisme
utilise l’action tactique pour atteindre des objectifs stratégiques. Par
conséquent, c’est sur ces deux niveaux que le terrorisme doit être combattu.
Le renseignement stratégique doit mettre en évidence les objectifs que
recherchent les terroristes, identifier leurs vulnérabilités à ce niveau et ainsi
éclairer la décision politique. Le renseignement tactique a pour objectif de
planifier l’action, d’interférer dans l’action terroriste et d’empêcher
l’exécution des attentats. Traduit en termes opérationnels, le renseignement
stratégique permet de développer des stratégies de prévention, alors que le
renseignement tactique permet d’agir de manière préemptive et – le plus
souvent – d’alimenter l’instruction des cas après coup. Les deux niveaux
sont donc complémentaires et ne doivent donc pas être confondus… ce qui
est malheureusement devenu la règle.

Un déficit analytique chronique

En anglais, « renseignement » se traduit par le mot « intelligence », qui


contient à lui seul l’essence de ce qu’il doit être. « Intelligence » vient du
verbe latin « intellegere », « comprendre ». Or, c’est là la principale
faiblesse du renseignement : alors qu’il avait permis de comprendre par une
approche méthodique la logique et la conception de la guerre du Pacte de
Varsovie, nous ne sommes plus en mesure aujourd’hui de saisir les logiques
terroristes autrement que par des préjugés et des intuitions ; et de cette
incapacité découle celle d’anticiper.
Certains pourront arguer que le décideur politique est seul responsable
de l’action quelle qu’ait pu être l’analyse des « services ». Mais si ces
services sont constamment contournés par les décisions politiques malgré la
pertinence de leur analyse, alors on touche un problème fondamental de
l’État de Droit. La fonctionnalité première des services de renseignement
est d’éviter l’arbitraire dans les décisions, de faire en sorte que ces décisions
soient « traçables » (en tenant compte, bien sûr, des questions de
confidentialité). Or si les services assurent eux-mêmes l’action et si le
décideur ne tient pas compte des analyses de ses spécialistes, nous nous
retrouvons dans l’arbitraire des régimes autocratiques.
À la fin de la guerre froide, avec la montée de la criminalité organisée et
du terrorisme, les services de renseignement occidentaux ont développé
leurs capacités tactiques, qui se sont ainsi rapprochées du renseignement de
police (« law enforcement intelligence »). Outre des chevauchements de
compétences qui ont généré des conflits entre services, cette tendance a
abouti à un affaiblissement progressif du renseignement stratégique, comme
le relevait Georges Tenet, ex-Directeur de la Central intelligence Agency
(CIA) américaine dans un rapport du Kerr Group :

En réponse à un changement de priorités et des


ressources décroissantes, le potentiel analytique de la
communauté du renseignement a subi des changements à
la fois dans son organisation et dans son orientation
méthodologique. Le changement probablement le plus
significatif a été le glissement de l’analyse en profondeur
et de long terme en faveur de produits de court terme,
destinés à appuyer directement la politique42.

Cette évolution a conduit à une impasse, car la nature toujours plus


décentralisée des réseaux terroristes rend l’anticipation toujours plus
difficile, voire impossible, à ce niveau. Le renseignement tactique permet
donc, dans le meilleur des cas, d’agir de manière préemptive et, le plus
souvent, d’arrêter les coupables après l’action. C’est certes un résultat, mais
il n’empêche pas les morts. Cette fonction de prévention est du ressort du
renseignement stratégique. L’analyse des doctrines, des cultures, des
contextes et des capacités devrait permettre d’orienter la décision politique
de sorte à minimiser le risque et, au mieux, d’éviter l’éclosion du
phénomène.
Bien qu’ils frappent des innocents, les attentats terroristes ne sont pas
complètement aveugles. Ils sont perçus comme tels en Occident car on a
systématiquement occulté les facteurs qui les avaient provoqués. L’horreur
des attentats et de leurs conséquences ne doit pas nous faire perdre la
raison. Ainsi, l’interprétation du 11 Septembre comme étant une attaque
contre le monde entier était une erreur. L’attentat méritait certes une juste
réprobation et une condamnation mondiale, mais il ne concernait pas le
monde entier. Il a été dirigé contre les États-Unis et eux seuls, et constituait
une réponse à des crimes déjà commis par les États-Unis contre des
populations civiles innocentes. En reprenant cet attentat à un niveau global,
on a exonéré les États-Unis de leur responsabilité, et implicitement assumé
leurs erreurs. On a donc simplement accentué le problème au lieu de le
résoudre. Certains rétorquent que les attentats attaquaient des innocents et
touchaient ainsi des valeurs essentielles et universelles. L’objection est
valable, mais alors pourquoi ne pas avoir fait valoir ces mêmes arguments
en 1996, en 1998 ou en 2003 ?
Ce qui est inacceptable, c’est la manipulation et la désin-formation qui
visent à transformer des intérêts particuliers en intérêts communs. Par la
tricherie et le mensonge, on a fait en sorte que le problème soit devenu si
grave qu’il ne peut plus être traité par la négociation ou la diplomatie, et
que sa résolution n’implique que des solutions extrêmes imposées à la
communauté internationale. Il est inadmissible de détourner les institutions
multilatérales, comme l’ONU ou l’OTAN, qui ont été conçues pour
stabiliser l’environnement sécuritaire global à des fins particulières, sans
qu’aucun pays ne réagisse. Il est ironique de constater que les pays
européens, qui sont aujourd’hui les plus farouchement opposés à accueillir
des réfugiés du Moyen-Orient, sont précisément ceux qui constituaient la
« Nouvelle Europe » de Georges Bush et ont le plus contribué à créer le
problème pour des raisons simplement lucratives, car ils n’étaient ni
menacés ni concernés par les problèmes de cette région.
Paradoxalement, l’extension des capacités de recueil des informations
que le PATRIOT Act a prévue par ses Sections 215 et 702, ne s’est ainsi pas
traduite par une amélioration des capacités des services. La Section 215
autorise le gouvernement américain à collecter des données par l’entremise
de tiers (fournisseurs d’accès, compagnies de téléphone, bibliothèques, etc.)
et la Section 702 autorise le gouvernement à écouter les communications de
personnes étrangères résidant à l’étranger. Dans un rapport produit par
l’Inspecteur-général du FBI le 21 mai 2015, le service américain doit
constater que cette législation, pourtant évoquée en exemple en Europe, n’a
pas permis d’empêcher un seul attentat, en raison du fait que l’abondance
d’informations noie les capacités d’exploitation des services43.
Avec plus de 200 000 employés réguliers, on pourrait imaginer que les
services de renseignement américains aient une vision claire et cohérente du
monde. Il n’en est rien. À titre d’illustration, 14 des 19 terroristes
soupçonnés d’avoir mené les attentats du 11 Septembre sont encore
aujourd’hui sur des listes d’interdiction de vol44. Ni conspiration, ni
manipulation ici. La raison en est simplement que les services de
renseignement américains ignorent encore exactement qui étaient ces
auteurs, si leur identité connue correspond à leur identité réelle, etc.
La confusion entre les renseignements stratégique et tactique ou
opérationnel est également due au fait que des ressources, qui appartiennent
traditionnellement au niveau stratégique – comme l’écoute électronique
dans tous ses domaines spécifiques –, ont été placées au service du
renseignement tactique. Autrefois, les écoutes électroniques servaient à
recréer « l’ordre de bataille » de l’adversaire, afin d’en déduire ses
intentions à partir de la configuration des réseaux et, naturellement, à
détecter ses actions à partir du déchiffrage de ses messages. Il y avait donc
un intense travail analytique qui pouvait s’exercer dans un contexte
relativement bien structuré. Aujourd’hui – et ce sera encore plus le cas dans
l’avenir – les réseaux sont fluctuants, voire inexistants, et il est quasiment
impossible de détecter une action à partir de l’analyse des réseaux, sans
connaître le contenu même des messages échangés. Il en est résulté un
transfert fonctionnel entre les deux niveaux de renseignement, qui s’est fait
au détriment du renseignement stratégique.
On pourrait résumer la situation en constatant que le renseignement
durant la guerre froide devait percer des secrets (autrement dit, des
informations qui existaient, mais étaient difficilement accessibles) alors
qu’aujourd’hui ils doivent découvrir des « mystères » (c’est-à-dire des
informations qui n’existent peut-être pas). Ce phénomène s’est
considérablement accentué avec l’adoption de doctrines telles que le
« terrorisme individuel » qui atomise les processus de planification et de
décision, au point qu’ils se retrouvent hors de portée des services de
renseignement.
Une des conséquences de cet état de fait est la confusion croissante
entre « information » et « renseignement ». L’information est une matière
première, tandis que le renseignement est le produit d’un processus
analytique qui utilise des informations. Le problème est que, dans les
situations de crise et en particulier dans les situations terroristes, les
informations pertinentes pour alimenter un processus de renseignement
complet sont rares. Il en résulte que, souvent, l’information constitue le
renseignement, fragilisant ainsi la base même de la décision.
Pour répondre à cette situation, les services de renseignements
américains et européens ont développé des outils technologiques et légaux
qui leur permettent d’acquérir le plus d’informations possible, en plongeant
dans l’intimité des individus. Ils pensent ainsi disposer de la masse critique
permettant de générer du renseignement, mais c’est un miroir aux alouettes.
En réalité, les terroristes sont généralement découverts de manière fortuite
et les moyens considérables mis en œuvre pour les détecter s’avèrent peu
efficaces.
La conclusion logique de cet état de fait serait de développer les
mécanismes de renseignement en amont de la décision politique, et ainsi
mieux rationaliser cette dernière.
Dans l’ensemble, on observe des organes exécutifs et législatifs peu
exigeants, qui n’ont pas cherché à faire améliorer le produit analytique des
services de renseignement et ainsi la qualité des décisions stratégiques ;
mais qui ont privilégié des outils qui réduisent l’espace des libertés
individuelles, sans augmenter significativement la sécurité des citoyens.
La fuite en avant des gouvernements occidentaux a conduit volens
nolens à une déstabilisation croissante du monde musulman. Ce phénomène
est très largement dû à notre incompréhension de la réalité islamiste – nous
l’avons vu – mais aussi à l’incapacité des services à détecter la
désinformation qui guide le plus souvent les décisions stratégiques des
grandes puissances. Les exemples abondent parmi lesquels la guerre des
chiffres destinés à stigmatiser des gouvernements afin de justifier des
« interventions humanitaires ».
Au début 2007, Gérard Prunier, chercheur au CNRS, écrivait dans un
article du Monde Diplomatique que le conflit du Darfour avait déjà fait 400
000 morts depuis 200345. En avril 2005, lorsque l’auteur est arrivé au début
de la Mission des Nations unies au Soudan (MINUS), comme chef du
renseignement conjoint de la Mission, et directement subordonné au
représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, la communauté
humanitaire parlait de 200 000 morts. Donc, en 2 ans, malgré une absence
quasi totale de combats, de batailles, de massacres, avec un accès
humanitaire globalement bon et un approvisionnement sans accrocs des
populations civiles, le nombre de morts avait « doublé » ! Or, durant cette
période, trois enquêtes sur la mortalité violente au Darfour – menées par la
MINUS avec le concours des organisations humanitaires, de la police des
Nations unies, des forces de la Mission de maintien de la paix de l’Union
africaine (AMIS), de diverses agences des Nations unies en été 2005, en
hiver 2005 et au printemps 2006 – ont toutes montré un nombre de morts de
l’ordre de 500 par année. Les rapports mensuels des Nations unies sur le
Darfour confirment une mortalité comprise entre 30 et 100 morts par mois
entre 2004 et 201346, soit une mortalité assez proche de celle de New York
entre 2004 et 200847.

D’où viennent donc ces 200 000 morts additionnels, qui ont
été largement utilisés pour accuser le Prési-dent Omar al-Bachir de
génocide ? Rappelons ici que le Soudan était l’un des 7 pays visés par le
plan américain de déstabilisation établi en 2001, mentionné plus haut.
Le même phénomène se produit aujourd’hui avec le Président Bachar
al-Assad.
Le gouvernement français a abondamment mentionné les quelque 55
000 photos de prisonniers torturés par le régime de Bachar al-Assad,
copiées par « César », pseudonyme d’un ex-agent qui aurait volé ces
fichiers alors qu’il était au service de la police de sécurité syrienne.
Pourtant, malgré leur caractère « irréfutable », selon les termes de Laurent
Fabius, les documents posent question. Publiées le 20 janvier 2014 par CNN
et le Guardian, deux jours avant l’ouverture des négociations de paix sur la
Syrie à Genève, les photos sont accompagnées d’un rapport48. Ce rapport,
élaboré par le cabinet juridique Carter-Ruck & Co à Londres, est financé
par le Qatar, qui soutient l’opposition syrienne djihadiste. Il affirme que les
photographies représentent quelque 11 000 détenus des prisons du
gouvernement syrien. Toutefois, une analyse plus approfondie menée par
Human Rights Investigations (HRI) démontre que 24 568 images
représentent des militaires et des policiers syriens morts au combat. Les 28
707 photos restantes n’ont pu être vérifiées à ce jour par HRI, sauf pour 27
détenus, qui semblent avoir été effectivement torturés dans les geôles
syriennes. Mais là encore, des questions subsistent car un certain nombre de
cas de tortures avaient été externalisés en Syrie par les États-Unis avant
2011…
Dans cette guerre des chiffres et des horreurs, beaucoup de
commentateurs ont alors flairé la réédition de la source « Curveball », un
transfuge irakien, dont le témoignage avait été central dans la « décision »
d’envahir l’Irak49. Si effectivement des atrocités ont eu lieu,
l’authentification des « preuves » et surtout l’attribution des crimes à une
des parties restent très sujettes à caution, et ne devraient – en l’état –
constituer une justification pour entrer en guerre. Cela ne signifie pas qu’il
faut les ignorer, mais qu’il est difficile de les exploiter pour porter des
jugements catégoriques.
Comme pour les armes chimiques de 2013, les échantillons d’armes
chimiques irakiennes de 2003, les incubateurs de 1990, les services de
renseignement restent trop souvent passifs devant ces informations, qui sont
lancées « gratuitement» en appui à des fins de détournement du droit
international.

« Intelligence-led Operations »

Dans un état-major, la fonction du renseignement est d’apporter des


éléments de connaissance indépendants et de fournir une image de la
situation la plus objective possible au décideur militaire ou civil. Cette
« image » (renseignement) est le résultat d’un processus analytique et est
configurée pour répondre au besoin effectif du décideur. Le renseignement
constitue donc un élément central de la décision, puisqu’il concerne
l’adversaire et l’environnement de l’action.
Dès lors que le renseignement s’attache à altérer cette image, il prend le
risque de pousser le décideur dans une direction qui n’est pas souhaitable.
C’est la raison pour laquelle les services de renseignements doivent faire
preuve de la plus grande rigueur intellectuelle.
Le processus qui aboutit à la production du renseignement peut être
relativement long. C’est ainsi que, dans un effort pour raccourcir l’intervalle
de temps entre l’acquisition d’informations et l’action, a émergé le concept
anglo-saxon d’« opérations fondées sur le renseignement » (Intelligence-led
Operations). Il s’agit en réalité d’un pléonasme, puisqu’on imagine mal une
opération militaire qui ne s’appuierait pas sur une représentation de
l’adversaire. Mais cette terminologie tend à suggérer que le renseignement
génère ses propres décisions, indépendantes du processus décisionnel
principal.
Ce glissement progressif du renseignement vers un rôle plus
opérationnel témoigne ainsi de la faiblesse croissante de l’analyse
stratégique sur le terrorisme. Entre autres conséquences, alors que le rôle du
renseignement devrait se situer en amont de la décision, on constate que les
services semblent de plus en plus devenir des acteurs autonomes en aval de
la décision. Il s’agit d’un retour à une forme d’engagement proche de ce
que les services américains, britanniques et fran-çais pratiquaient lors de la
Seconde Guerre mondiale. Sous un angle systémique, on pourrait
schématiser cette situation en disant que les services sont alors en mesure
de modifier eux-mêmes l’environnement qu’ils analysent. La différence
avec la Seconde Guerre mondiale est qu’aujourd’hui, dans un contexte
asymétrique, les conséquences des actions des services peuvent être
dramatiques.

Les drones – Une nouvelle forme de terrorisme ?

En 1998, le Président Bill Clinton avait signé un « presidential


finding50 » classifié autorisant la CIA à utiliser la force de manière
clandestine pour éliminer Oussama ben Laden. Pourtant, l’Ordre Exécutif
12 33351, signé par le Président Ronald Reagan en 1981 et qui définit les
rôles et missions de la communauté du renseignement américain, stipule
qu’« aucune personne employée ou agissant au nom du Gouvernement des
États-Unis ne sera engagée, ou ne conspirera pour être engagée dans des
assassinats », formalisant ainsi une politique déjà établie par le Président
Gerald Ford en 1976. Mais de nombreux juristes américains justifient le
recours à l’assassinat en avançant qu’une directive présidentielle n’a pas
valeur de loi (elle peut en effet être modifiée ou annulée par un autre ordre
exécutif) et par le principe de la « guerre juste » qui préconise que
l’élimination de personnalités adverses permet d’épargner la vie de
nombreux innocents.
Le problème est que, dans un contexte asymétrique islamiste,
l’assassinat de dirigeants n’a pas d’effets dissuasifs. Il n’affaiblit pas
nécessairement le groupe terroriste et permet aux hiérarchies terroristes de
se renouveler beaucoup plus rapidement, et d’adopter de nouvelles
méthodes et doctrines. C’est ce qui s’est passé avec l’État islamique, qui ne
serait peut-être jamais apparu dans sa forme actuelle si Abou Moussab al-
Zarkawi n’avait pas été éliminé par les Américains. En outre, les
éliminations extrajudiciaires légitiment la violence et le terrorisme, comme
en témoigne le magazine Inspire de la Base du Djihad dans la péninsule
arabique :

[L’assassinat de dirigeants des incroyants civils et


militaires] est l’un des arts les plus importants du
terrorisme et l’un des types d’opérations les plus
avantageuses et les plus dissuasives. Ce sont des méthodes
également utilisées par les ennemis d’Allah. La CIA a
l’autorisation du gouvernement américain pour assassiner
des présidents, si cela est dans l’intérêt national des
États-Unis, et ils l’ont utilisée plus d’une fois. Dans la
CIA, il y a un département spécial pour cela ! Par
conséquent je ne sais pas pourquoi on nous empêche de le
faire52 ?

L’accroissement du rôle opérationnel des services de renseignement


s’est traduit par un recours toujours plus grand à leurs moyens pour
éliminer des individus. Pour de nombreux pays, Israël et États-Unis en tête,
ces exécutions sont le plus souvent effectuées par des drones.
Or, il est important de comprendre que ces exécutions s’effectuent
rarement sur la base d’une identification positive des individus (comme
tendent à le suggérer les films et séries télévisées), mais sur la base de
comportements mesurés à partir des données fournies par les téléphones
portables ou autres. En d’autres termes, c’est le téléphone portable qui est la
cible et non pas l’individu, sur la base d’un certain nombre d’appels dans
des zones données, d’une durée donnée, avec des individus donnés. Depuis
2012, la CIA et l’US Joint Special Operations Command (JSOC)
américains sont ainsi autorisés à mener des frappes sur des individus qu’ils
n’ont pas identifiés, et sont simplement visés en fonction de la nature de
leurs empreintes53. Ceci explique qu’en janvier 2015, un drone américain a
tué deux otages d’« Al-Qaïda » au Pakistan, qui n’avaient même pas été
détectés malgré plusieurs « centaines d’heures de surveillance », lors d’une
frappe de la CIA, où les cibles visées n’ont pas même été touchées54.
Le ciblage dit « signature-based » (littéralement : « basé sur la trace
numérique ») utilise les « métadonnées » collectées par les services de
renseignement, combinées à des « profils » caractéristiques établis par des
algorithmes mathématiques censés représenter le comportement-type de
terroristes. Ainsi, pour simplifier, un téléphone qui se connecte
fréquemment avec des téléphones soupçonnés d’appartenir à des terroristes
ou situés dans des zones où se situent des terroristes, sera considéré comme
appartenant à un terroriste. Le téléphone ciblé par un drone ne prend pas en
considération qui est l’utilisateur actuel du téléphone ou qui est autour de
lui (par exemple son épouse ou un parent).
Par ailleurs, il faut également comprendre que, contrairement à ce qui se
passait dans les années 60-80 avec des écoutes téléphoniques, où l’on
plaçait des « bretelles » sur des lignes spécifiques, les « écoutes » sur les
réseaux numériques nous concernent tous. En effet, les « lignes »
téléphoniques sont des fréquences électromagnétiques (ou des canaux dans
des fibres optiques) partagées simultanément par des milliers d’usagers,
dont les communications sont découpées et insérées, un peu comme dans
une fermeture-éclair, à d’autres communications. Cette caractéristique, que
l’on retrouve à la fois dans les communications satellitaires, les téléphones
portables et l’Internet, impose aux services de renseignement de
littéralement « ramasser » tout ce qui se trouve dans l’espace
électromagnétique, pour recoller ensuite les bribes de communications et
reconstituer des messages, afin de détecter d’éventuelles activités
terroristes. Ce travail est effectué par des ordinateurs, et concerne donc
l’ensemble des usagers et pas uniquement les personnes surveillées. En
d’autres termes, donner le pouvoir aux services de renseignement de
surveiller les communications sans mandat spécifique signifie que tous les
citoyens, les entreprises, les hauts fonctionnaires, les hommes politiques, les
avocats, les parlementaires, etc. auront leurs communications
automatiquement enregistrées ; tandis que l’usage qui en est fait sera
couvert par le « secret-défense », donc hors de contrôle des intéressés.
L’enjeu est donc considérable, mais souvent très mal compris du
citoyen, comme en a témoigné l’affaire Snowden, qui avait dévoilé le
scandale aux États-Unis, et qui a conduit la Cour suprême à déclarer
illégales les activités d’écoute en masse de l’agence55.

Comme devait l’avouer l’ex-chef de la National Security


Agency (NSA) et de la Central Intelligence Agency (CIA), le
général Michael Hayden :
« Nous tuons sur la base de métadonnées56 ! »

En d’autres termes, on tue un peu à l’aveugle avec une méthode qui est
de manière inhérente imprécise et qui crée des dommages collatéraux. En
moyenne, selon des documents secrets américains dévoilés en 201557, le
nombre de victimes collatérales atteint environ 90 % des engagements.
Selon le Bureau of Investigative Journalism (BIJ), entre 2009 et 2014, les
actions des drones américains au Pakistan (pays qui n’est pas en guerre
avec les États-Unis) ont tué quelques 2379 personnes, dont seules 84 ont été
identifiées comme appartenant à « Al-Qaïda ». En clair, 4 % seulement des
victimes relèvent de la lutte contre le terrorisme, les 96 % restants sont au
mieux des sympathisants inconnus et au pire des innocents58. Ainsi,
l’élimination du terroriste algérien Mokhtar Belmokhtar59 par un raid aérien
américain60 sur la ville libyenne d’Ajdabyia, le 14 juin 2015, célébrée
comme une victoire dans les médias61, s’est avérée 5 jours plus tard être
une fausse information62 mais les victimes, elles, sont bien réelles, et il n’y
aura aucune excuse ou dédommagement pour elles.
Comme la campagne d’Irak l’avait montré, le renseignement
électronique, qui constitue traditionnellement une source essentielle
d’information, devient extrêmement peu utile dans un environnement qui a
compris comment y échapper, et doit être complété par du renseignement
d’origine humaine, sous peine de générer des victimes collatérales
nombreuses.
Durant les 5 premières années de la présidence de Barack Obama, les
États-Unis ont mené 8 fois plus de raids de drones que durant toute la
présidence de Georges Bush, mais ces attaques ont également réduit de
moitié le nombre de civils tués à chaque frappe63. Les chiffres sont pourtant
trompeurs. En réalité, l’insistance du Président Obama pour épargner les
civils lors de ces frappes ne s’est pas traduite par un changement dans les
procédures et modes d’action, mais simplement par une manière différente
de compter les victimes. Ainsi, les États-Unis considèrent que tous

[…] les mâles en âge d’être combattants dans une


zone de frappe sont des combattants, sauf si on peut
démontrer explicitement de manière posthume qu’ils ne
l’étaient pas64.

À ceci s’ajoutent des procédures parfois discutables sur le choix des


cibles. Aux États-Unis, les frappes de drones sont exécutées par deux
entités principales : l’US Air Force et la Central Intelligence Agency (CIA).
Lorsqu’elle est effectuée par les militaires, la sélection des cibles
(« targeting ») obéit à des critères et des procédures strictes, transparentes
(même si elles sont classifiées) et faisant l’objet de contrôles sévères. Il en
va autrement des frappes de la CIA, qui applique des procédures de ciblage
dont le processus est totalement opaque, et – comme cela est déjà arrivé –
peut être effectué par un simple contractant sans aucune supervision.
Lorsque l’on est dans une zone de combat où des forces nationales sont
engagées, la définition des combattants – et donc des cibles – est une tâche
relativement justifiable légalement. Il en va autrement sur des théâtres
d’opérations qui ne sont pas des zones où les forces (occidentales)
combattent : il est alors plus difficile de justifier le choix des cibles par une
« menace imminente » ou d’en faire un cas de « légitime défense ». Dès
lors, les éliminations sont simplement une manière détournée d’appliquer la
peine de mort sans jugement préalable. Aux États-Unis, l’élimination de
Sheikh Anwar al-Awlaki65, un citoyen américain, radicalisé après l’invasion
de l’Irak, et abattu par un drone américain le 30 septembre 2011, a été
l’occasion d’un débat sur la question des exécutions extra-judiciaires.
La même question se pose pour un pays qui utiliserait les ressources
d’un autre pays afin d’éliminer un individu, comme la France, qui utilise
apparemment aussi les services de drones américains pour supprimer des
terroristes, comme cela a été le cas en Somalie pour l’élimination d’Ahmed
Abdi Godane d’al-Shabaab en septembre 2014.
Aux États-Unis, on notera que l’usage de la force létale contre des
terroristes – et a fortiori contre des terroristes de nationalité américaine –
est généralement justifié par le caractère « imminent » de la menace. Cette
notion suggère deux choses : que l’action terroriste est proche dans le temps
et que l’on dispose d’un faisceau d’indices qui le confirment. Or, malgré
leurs ressources considérables, les services de renseignement américains ne
sont pas en mesure de détecter l’imminence d’une attaque, ce qui implique
que l’élimination d’un terroriste au Pakistan serait légalement virtuellement
impossible. Mais c’est évidemment sans compter sur le fait que le Président
Obama est un juriste ! En février 2013, la chaîne de télévision NBC News a
rendu public un « Papier Blanc » du département de la Justice, qui fournit
les interprétations nécessaires à l’usage de la « force létale » contre des
citoyens américains associés à « Al-Qaïda », et qui redéfinit le mot
« imminent ». Ainsi, en application de la « Doctrine du 1 % », le
département de la Justice considère que la nature même d’un groupe
terroriste fait que ses actions peuvent toujours être considérées comme
imminentes. Dès lors :

La menace imminente d’une attaque violente contre


les États-Unis n’exige pas de la part des États-Unis
d’avoir la preuve qu’une attaque spécifique contre des
personnes ou des intérêts américains va se dérouler dans
le futur immédiat66.

En France, si les drones sont également utilisés à des fins d’élimination,


on continue – héritage de la Seconde Guerre mondiale oblige – à utiliser les
services spéciaux. L’avantage de la méthode, si elle est plus risquée, est de
minimiser les effets collatéraux. Selon le journaliste Vincent Nouzille67, le
président Hollande est le président de la Ve République qui recourt le plus
aux opérations clandestines pour éliminer physiquement des individus par
le Service Action de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)
(opérations HOMO).
Ainsi, dans le même ordre d’idée, durant la nuit du 8 au 9 octobre 2015,
les Rafales de l’Armée de l’air française frappent Raqqa, en Syrie,
considéré comme abritant le quar-tier-général de l’État Islamique et – selon
la presse68 – tuent 6 ressortissants français. La question est alors soulevée
de savoir si ces frappes sont une manière déguisée d’appliquer la peine de
mort. Pour certains, on se situe dans une guerre ; ces éliminations
interviennent dans le cadre d’un combat entre adversaires, et sont donc
légitimes.
Mais il faudrait pour cela que l’on puisse déterminer que ces terroristes
sont effectivement en train de planifier une action contre la France. Or nous
ne sommes pas en mesure de le déterminer. Que les attentats de Paris aient
servi les intérêts des Djihadistes est une cause entendue. Quant aux activités
de planification, d’organisation et de préparation, malgré les affirmations
péremptoires du Premier ministre français, il semble qu’elles se sont
déroulées sur les sols fran-çais et belges avec un financement participatif.
Dès lors, la justification par la « légitime défense » pour aller bombarder en
Irak et en Syrie apparaît bien fragile.
De même, le programme d’éliminations ciblées au Yémen (2002-2016)
a été l’objet de vives critiques aux États-Unis. Pour plusieurs raisons. En
premier lieu, il est difficile de le justifier par un impératif de légitime
défense, du fait que le Yémen ne menace pas les États-Unis et que les deux
pays ne sont pas en guerre. En deuxième lieu, parce que les cadres éliminés
sont très rapidement remplacés et les capacités opérationnelles des
Djihadistes ne semblent pas en être affectées. En troisième lieu, parce que –
selon une étude du Centre d’études stratégiques de l’université de Jordanie,
en coopération avec les universités américaines de Princeton et du
Michigan69 – cette forme d’implication des États-Unis dans la région
justifie, pour 73,5 % des Yéménites interrogés, le fait de frapper des
Américains partout dans le monde.
Sur le plan stratégique, il est certain que ces frappes touchent des
terroristes et c’est un gain tactique. Mais dans un contexte asymétrique, ces
éliminations sont en fait une consécration pour les victimes (en
l’occurrence, les terroristes) – qui y voient l’aboutissement de leur
engagement pour leur foi – et deviennent une source de radicalisation pour
les survivants et les familles de ceux qui ont été indûment frappés. Ainsi,
punir un individu signifie également générer du terrorisme. C’est ici que le
renseignement stratégique trouve sa vraie utilité, pour éclairer les décideurs
sur les mécanismes fondamentaux du terrorisme, afin d’anticiper – compte
tenu des faits, des individus, de leur passé, de leur caractère, de leur
environnement politique, etc. – les conséquences possibles des décisions
prises, et d’évaluer le gain ou le coût stratégique d’éliminer un ou des
individus.

Le renseignement – juge et partie

Dès lors qu’il définit qui est la menace et qu’il a la liberté de la


neutraliser, un service de renseignement devient juge et partie, et les risques
de compromission et de corruption sont importants. En effet, les services
peuvent alors créer eux-mêmes les conditions qui leur permettent
d’intervenir. Et ce n’est plus de la fiction !
Une étude de Human Rights Watch de 201470 constate que les
principales opérations terroristes mises à jour aux États-Unis impliquent des
agents du gouvernement71 ! Suivant une pratique qui a été développée pour
la lutte contre la drogue – qui autorise des agents infiltrés à inciter des
criminels potentiels à accomplir des actes illégaux afin de les prendre « la
main dans le sac » –, la police américaine et le FBI ont engagé plus de 15
000 informateurs et infiltrés, qu’ils utilisent pour générer des actes
terroristes et arrêter ensuite les coupables. Une pratique qui a conduit en
prison des individus relativement simples d’esprit, qui n’avaient à l’origine
aucune intention de mener des actions violentes, qui ne constituaient aucune
menace pour la sécurité nationale, souvent sans emploi, à s’engager dans
des opérations qui ne leur seraient même pas venues à l’esprit, mais à qui
on a fait miroiter une somme d’argent pouvant aller jusqu’à un quart de
million de dollars72. Dans certains cas, le FBI a fourni des explosifs et
armes factices à l’apprenti-terroriste, qui n’aurait en aucun cas été une
menace pour qui que ce soit, ce qui n’a pas empêché qu’il soit condamné à
25 ans de prison. Jusqu’en 2012, sur 22 tentatives d’attentat jugées aux
États-Unis, 14 – soit deux tiers – avaient été provoquées par le FBI73 !
L’un des plus récents exemples de ces « attentats », organisés par le FBI
est l’arrestation, très opportune, le 30 décembre 2015, d’Emanuel
Lutchman, un chrétien récemment converti à l’islam et sujet à des troubles
psychiques. Il a été attiré dans un complot par des informateurs du FBI et
toute la préparation de l’« attentat » – y compris l’achat de la machette et de
la cagoule qu’il devait utiliser – avait été effectuée par le FBI74!
Ainsi, aussi étrange et paradoxal qu’il y paraisse, le FBI est devenu le
principal organisateur d’attentats terroristes aux USA, avant même « Al-
Qaïda » ou l’État islamique75 !
Le rôle du renseignement dans la lutte contre le terrorisme tel qu’il s’est
développé depuis 2001 s’insère dans une dynamique qui réside dans un
axiome : « La sécurité ou la liberté individuelle. » On peut en effet
concevoir que la sécurité exige une présence un peu plus appuyée de l’État.
Le problème est qu’elle tend à placer lentement les forces de sécurité
audessus des lois. Un phénomène qui apparaît relativement clairement aux
États-Unis et qui commence à prendre pied en Europe.
On retrouve ainsi, de plus en plus, les caractéristiques des pays de l’Est
durant la guerre froide : un rétrécissement toujours plus grand de la sphère
privée au bénéfice de l’État, des restrictions toujours plus grandes à la
liberté de pensée, des restrictions naissantes à la liberté de religion, etc. On
peut certes accepter ces restrictions, mais il arrivera un jour où il sera
difficile d’expliquer les valeurs que l’on défend si on y renonce. Or, ce
grignotage progressif des valeurs qui font la démocratie crée une demande
pour de nouvelles valeurs. Ce débat, qui a commencé seulement à se
développer aux États-Unis, notamment après la publication du rapport sur
l’usage de la torture (que nous verrons plus loin), est encore totalement
inexistant en France, où il est occulté par un débat politicien qui vise à lutter
non pas contre le terrorisme, mais contre l’extrême droite.

Le renseignement et la lutte contre le terrorisme


Au lendemain des attentats du 11 Septembre, les services de
renseignement américains ont immédiatement été cloués au pilori pour leur
incapacité à prévoir l’événement. Quinze ans plus tard, malgré un
accroissement significatif des moyens de renseignement dans tous les pays
occidentaux, les mêmes critiques restent valables.
On avait alors reproché aux services américains d’avoir délaissé le
renseignement humain au profit des systèmes de collecte technique. Or, s’il
est manifeste qu’un renseignement humain plus dense aurait été nécessaire,
il est inexact de prétendre qu’il avait été délaissé. Dès la fin de la guerre
froide, les services de renseignement américains ont reporté leur attention
dans un premier temps sur la lutte contre la criminalité organisée ainsi que
contre les trafics de stupéfiants, de matières premières et de matières
nucléaires. L’infiltration de ces réseaux complexes et entrelacés a nécessité
le recrutement accéléré d’agents de groupes ethniques spécifiques, d’origine
asiatique et latino-américaine dès le début des années 90. Dans un
deuxième temps, après la guerre du Golfe, des réseaux de renseignement
ont été installés en Irak, afin de soutenir l’opposition à Saddam Hussein.
En fait, le problème est que la nature des réseaux terroristes a changé.
Depuis la fin des années 90, le terrorisme islamiste est le fait de « micro-
réseaux » constitué par des « bandes de copains » ou des fratries, quasiment
impossibles à infiltrer. Même les familles de terroristes sont surprises de
l’appartenance de leur frère, fils ou cousin à des réseaux. Comme nous
l’avons vu, la doctrine du « Djihad individuel » ne fait que prôner une
pratique déjà largement répandue, qui se développe en-dessous du seuil de
détection des services de renseignement.
La solution semble donc être un recours toujours plus marqué à la
surveillance des réseaux téléphoniques et dans le cyberespace. Mais les
groupes terroristes privilégient des systèmes de conduite simples et la
communication orale, en appliquant strictement le principe de « need-to-
know » dans des structures compartimentées, rendant l’accès à
l’information souvent impraticable.
Dans cet environnement, la lutte contre un problème commun, le
terrorisme, a resserré les liens entre les services de renseignements
occidentaux. Les instances et organes de concertation, de coordination,
d’harmonisation des services se sont multipliés depuis la fin des années 70,
de telle sorte que la non-détection d’un événement terroriste majeur
représente davantage la faillite de la coopération occidentale, que l’échec
des services américains ou français seuls, même s’ils ne sont pas exempts
de dysfonctionnements. Le Système d’information de Schengen (SIS), le
Club de Berne76, le Groupe Kilowatt77 sont quelques-uns uns des forums
d’échange d’informations entre services dans le domaine du terrorisme.
C’est donc l’insuffisance de tous les services occidentaux qui est en
cause, car aucun n’a été en mesure d’anticiper les attentats. On lit volontiers
dans les médias que les services de renseignement de plusieurs pays avaient
informé les services américains qu’une opération terroriste de grande
envergure était en préparation. Cela n’est que partiellement vrai, car en fait,
aucun service n’a réellement fait son travail, à savoir fournir du
renseignement. Ils ont transmis des informations qui, même mises bout à
bout, n’étaient pas de nature à renvoyer une image précise, et donc à
prendre des décisions.
Comme 14 ans plus tard avec les attentats de Paris, les
« avertissements » fournis par certains services européens étaient
généralement si vagues qu’ils ne permettaient pas de prendre des mesures
concrètes. Certes, avec le recul, il apparaît que ces informations encadrent
bien ces tragiques événements, mais permettaient-elles réellement de les
anticiper ? Le rapport des services de renseignement britanniques en 1999,
annonçant qu’Al-Qaïda envisageait d’utiliser des « avions commerciaux »
de « manière non conventionnelle » « possiblement comme des bombes
volantes78 », l’avertissement du 3 septembre 2001 adressé par le major-
général Omar Suleyman, chef de l’Al-Mukhabarat al-Ammah
(renseignements généraux) égyptien au chef de station de la CIA au Caire
sur « l’état avancé de l’exécution d’une opération importante contre une
cible américaine79 », ou la note de la DGSE française datée du 5 janvier
2001, dont l’existence est révélée par le journal Le Monde en 200780, seront
probablement intéressants pour les historiens, mais en 2001, avec quelque
11,5 millions de mouvements aériens par année sur les principaux aéroports
américains, des informations aussi peu précises étaient virtuellement
inutilisables pour prendre des mesures préemptives ou de protection
concrète. Trop souvent les services de renseignement (et le grand public)
confondent « prédiction » et « prévision ». La première résulte d’une
intuition ou d’une profession de foi (par exemple : « Le terrorisme
augmentera ces 10 prochaines années ! »), la seconde se base sur des faits
(par exemple : « Le nombre de volontaires étrangers en Syrie laisse
supposer une augmentation des actes terroristes ces prochaines années »).
Cette confusion est souvent exacerbée par l’absence d’informations solides
sur les activités terroristes et le « besoin » de créer une menace.
La fonction première des services de renseignement est d’anticiper le
cours des événements, afin d’aider les décideurs politiques, militaires,
économiques et autres, à prendre leur décision et à façonner leur stratégie.
Or, par la nature des choses, le renseignement ne peut (malheureusement
pas) s’appuyer sur des certitudes, en matière de prévision. Très rarement,
les services disposent de toutes les informations nécessaires à prévoir avec
certitude un événement. Bien plus souvent, ils disposent d’un faisceau
d’indices et d’indicateurs, qui permettent d’esquisser un certain nombre
d’évolutions possibles auxquelles certaines techniques et l’expérience des
analystes garantissent attribuer une probabilité de réalisation. Mais il ne
peut y avoir ni de certitudes, ni d’infaillibilité. Dès lors, un certain
« risque » de la prévision doit être assumé tant au niveau des services que
des décideurs politiques.
Un des problèmes révélé par le 11 Septembre est la capacité des
services d’une grande communauté du renseignement à partager les
informations disponibles afin de les assembler en une image cohérente de la
menace et propre à prendre des décisions concrètes. Selon le rapport des
commissions parlementaires qui ont enquêté sur les pannes ayant précédé le
11 Septembre, si tous les détails n’étaient pas alors effectivement connus,
en revanche, l’information disponible correctement assemblée aurait sans
doute permis d’accroître la vigilance et ainsi la probabilité d’éviter les
attentats81.
La principale leçon du 11 Septembre est que l’anticipation de l’action
tactique est souvent impossible, ce qui donne à l’anticipation stratégique un
rôle déterminant. Autrement dit, s’il est quasi impossible de savoir ce qu’il
y a dans la tête du terroriste, on peut en revanche identifier les situations qui
encourageront les individus à devenir terroristes. La lutte contre le
terrorisme ne saurait donc se limiter à l’interception des terroristes. Mais
doit s’effectuer en amont par l’identification des points de rupture
susceptibles de remettre en cause la sécurité internationale. Ce travail est
d’autant plus facile à effectuer que, comme nous l’avons vu, pratiquement
toutes les situations conflictuelles du dernier quart de siècle ont été créées
par les Occidentaux eux-mêmes.
En fait, dans les années 80, dans un environnement terroriste plus
structuré, il est vrai, une distinction plus nette existait entre les notions de
« contre-terrorisme » et d’« anti-terrorisme ». Le contre-terrorisme étant
une entreprise stratégique visant à lutter contre l’émergence du terrorisme,
alors que l’antiterrorisme était la partie opérationnelle et visait à combattre
les terroristes. Aujourd’hui, en grande partie parce que l’on continue à ne
pas comprendre la nature même du phénomène, ces deux notions sont
utilisées comme synonymes et – en dépit de ce que prétendent les organes
de sécurité – il n’y a pas de travail stratégique réel et la lutte contre le
terrorisme se résume à des mesures de nature opérationnelle. L’usage plus
aisé de ressources stratégiques (comme l’imagerie satellitaire ou le
renseignement électronique sous des multiples formes) fait croire que le
problème est traité de manière stratégique. Il n’en est rien, car ces
ressources sont utilisées avec une finalité strictement opérationnelle et non
pas pour alimenter une stratégie d’action.

Guantánamo

Nous ne voulons pas entrer dans une discussion juridique détaillée des
problèmes liés à l’extra-territorialité de la base de Guantánamo, et leurs
conséquences sur les Droits de l’homme, qui sortent du cadre de cet
ouvrage. Nous nous concentrerons sur la gestion des activités de
renseignement qui y ont été menées dans le cadre de la lutte contre le
terrorisme. Relativement peu d’information factuelle a transpiré sur son
fonctionnement, et seuls quelques articles ont rendu compte de
l’inefficience et de l’inefficacité dans l’usage qui en a été fait82.
Ici également, le dilettantisme a régné en maître derrière l’apparence
d’une mécanique bien rodée, et les Américains, dans leur esprit de revanche
aveugle, se sont engagés dans une voie qui leur a certainement plus coûté
politiquement et opérationnellement qu’elle ne leur a rapporté, à part,
peutêtre, la satisfaction des gardiens. Tout d’abord, il faut relever que les
premiers pensionnaires du « Camp-X » avaient combattu aux côtés des
Taliban lors de l’intervention américaine – illégale aux yeux du droit
international – en Afghanistan. Il s’agissait de simples combattants, parmi
lesquels certains avaient été formés pour combattre au Jammu-Cachemire,
mais aucun n’avait été formé pour combattre en Occident.
Un premier problème était la question de la finalité de ce camp de
détention. Pour les diverses agences de renseignement qui géraient les
prisonniers – le Federal Bureau of Investigation (FBI) du département de la
Justice, la Central Intelligence Agency (CIA) dépendant du Président, et la
Defense Intelligence Agency (DIA) du département de la Défense – il
s’agissait d’une installation permettant de regrouper des individus porteurs
d’informations. Pour l’US Southern Command (US SOUTHCOM)
responsable de la gestion de la base, il s’agissait d’une installation abritant
des prisonniers, dont le traitement devait être conforme à un certain nombre
de règles (notamment l’interdiction de l’usage de la torture).
Le statut des prisonniers capturés en Afghanistan et détenus à
Guantánamo est un exemple d’inadéquation des bases juridiques de la lutte
contre le terrorisme, de l’absence de séparation des pouvoirs aux États-Unis
ainsi que l’absence de respect du droit international et humanitaire par les
ÉtatsUnis, puisqu’ils ont refusé aux captifs le traitement de prisonniers de
guerre83. Selon Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la Défense, ces
détentions devaient avoir un effet préventif :

Détenir des combattants ennemis […] peut nous aider


à prévenir des futurs actes de terrorisme. Cela peut sauver
des vies et je suis convaincu que cela peut accélérer
[notre] victoire84.

Or, ces détentions semblent n’avoir prévenu aucune action terroriste85.


Depuis l’ouverture du camp le 11 janvier 2002, au total, 779 prisonniers ont
été incarcérés à Guantanamo, dont le plus jeune avait 13 ans et le plus âgé
89 ans. Selon les données du gouvernement américain, 92 % d’entre eux
n’étaient pas liés à « Al-Qaïda », 21 étaient des enfants, et 9 sont morts en
détention. En fait seuls 5 % des prisonniers ont été capturés par les forces
américaines et 86 % ont été livrés par des pays alliés des États-Unis, des
seigneurs de la guerre afghans et des chasseurs de primes pakistanais contre
paiement. En janvier 2016, 91 y sont encore incarcérés, dont 3 qui ont été
reconnus coupable d’un crime, 45 sont « considérés comme dangereux et
non libérables », même si aucune charge ni aucune preuve ne pèse sur eux,
et 32 qui ont été libérables… mais ne sont pas libérés86, car les Américains
ont trop peur que ces individus, innocents, mais torturés et privés de liberté
pour rien, ne se retournent contre eux…
En d’autres termes, la majorité de ces prisonniers, incarcérés sans égard
au droit international, étaient innocents des crimes dont on les accusait.
Certains prisonniers, comme Abdullah Kamel Al Kandari, ont été arrêtés et
incarcérés pour le simple « crime » de posséder une montre numérique
Casio F91W (modèle réputé favori des artificiers d’« Al-Qaïda »), avant
d’être libérés après plusieurs années d’incarcération sans qu’aucune charge
ne soit retenue contre eux ! Selon un rapport confidentiel de département de
la Défense environ 1 prisonnier libéré sur 7 a pris les armes contre les
Américains87. Leur histoire continue à alimenter la propagande islamiste
pour le recrutement de nouveaux combattants.
En revanche, dans le contexte d’un conflit asymétrique, dont la
légitimité constitue le noyau, de tels traitements peuvent favoriser la
légitimité des terroristes.

La conduite de la guerre

Après l’attaque américaine en Irak, en 2003, on a accusé les services


américains de ne pas avoir eu les informations sur les armes de destruction
massive irakienne. C’est faux. Les services américains savaient exactement
de quoi il retournait.
Là aussi, toutefois, il a fallu tricher. On a ainsi détourné le caractère non
partisan du renseignement pour en faire un instrument d’influence. Peu
après le 11 Septembre, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, a créé
au Pentagone l’Office des plans spéciaux (OSP), une sorte de petit organe
d’analyse sous son contrôle direct, destiné à produire les éléments de
renseignement de nature à soutenir la décision d’une intervention militaire.
Il s’agissait de la réponse du ministre de la Défense au manque de preuves
fournies par la CIA pouvant incriminer l’Irak, l’OSP devait fournir des
analyses sur les « intentions hostiles de l’Irak et ses liens avec le terrorisme
[…] qui auraient été négligés88 » par la CIA. De fait, la CIA s’est attachée à
démontrer l’absence de liens entre l’Irak et le terrorisme. Juste après le 11
Septembre, un rapport journalier au Président (President’s Daily Brief ou
PDB), qui était un rapport alors coordonné par la CIA sur la base
d’informations de l’ensemble de la Communauté du renseignement
(Intelligence Community), soulignait l’absence de liens entre les attentats et
l’Irak89.
Au sein de l’OSP, un petit groupe confidentiel d’analystes triés sur le
volet – également connu sous le sobriquet de « Cabale » ou « Cabale de
Wolfowitz » – informait directement et exclusivement le secrétaire à la
Défense et son sous-secrétaire, Paul Wolfowitz. Relayant à Donald
Rumsfeld, sans réel filtre, les informations fournies par l’opposition
irakienne, la « Cabale » est, en outre, à l’origine de diverses opérations de
désinformation, comme l’affaire de l’uranium du Niger.
Les enquêtes des commissions parlementaires américaines, menées dès
2002, sur les pannes du renseignement, ont montré que l’un des éléments
déterminants de l’échec des renseignements était l’absence de stratégie
globale de lutte contre le terrorisme et l’incapacité du Director of Central
Intelligence (DCI) à gérer l’ensemble des ressources de la Communauté du
renseignement contre cette menace. En outre, l’accumulation des priorités
et des besoins en renseignements rendait difficile la planification de
l’engagement des ressources du renseignement américain, tandis que les
mécanismes de financement et les processus administratifs de libération des
moyens étaient trop lourds et insuffisamment réactifs pour des menaces
aussi multiformes que le terrorisme.
En revanche, absorbés qu’ils étaient à justifier une intervention, ils
n’ont pas su évaluer l’importance du communautarisme, de la résistance de
la population et leurs conséquences sur l’unité nationale.
Le rôle premier des services de renseignement est… de renseigner.
L’affirmation semble triviale, mais elle ne l’est pas. En premier lieu, pour
des raisons culturelles. En France, le renseignement est vu comme
indissociable de « l’action » : héritage de la Seconde Guerre mondiale, il est
compris et utilisé comme un outil d’influence et d’action ; avec pour
conséquence des capacités analytiques modestes. En Allemagne, le
renseignement a toujours fait la part belle à l’analyse. C’est au chef du
renseignement allemand de la Première Guerre mondiale, le colonel
Walther Nicolaï, que l’on attribue la maxime « Nachrichtendienst ist
Herrendienst » (« Le service de renseignement est le service des
seigneurs »). Travaillant de manière méthodique, les services allemands
sont sans doute les mieux armés pour affronter les défis actuels. Aux États-
Unis, la rivalité entre l’analyse et l’action tend à varier en fonction des
présidents et des coordinateurs du renseignement national90. En Israël, le
renseignement est fortement idéologique, et a toujours privilégié l’action, et
ce dans un contexte sécuritaire : ceci explique sa légendaire capacité à
localiser et à éliminer des terroristes. Ses aptitudes analytiques,
d’anticipation des menaces stratégiques et de compréhension des logiques
terroristes sont intrinsèquement bonnes, mais sont trop souvent
« étouffées » par la politique et l’idéologie.
En second lieu, la complexité des facteurs qui influencent le terrorisme
moderne, et la tentation de vouloir prévenir chaque attentat
individuellement, ont poussé les services de renseignement à mettre
l’accent sur l’accumulation de données en instituant une surveillance
toujours plus étendue sur les citoyens. Ainsi, les services de renseignement,
dont la fonction primaire est précisément de « renseigner », sont
progressivement devenus incapables de le faire, et ont mis l’accent sur « se
renseigner ».
Ce phénomène touche l’ensemble des services de renseignement
occidentaux. La surévaluation des capacités des services de renseignement
américains par leurs homologues européens a largement contribué à écarter
une approche critique de leurs affirmations. Ainsi, en février 2003, lors de
la session du Conseil de sécurité des Nations unies où le secrétaire d’État
américain Colin Powell énumérait les infractions de l’Irak justifiant une
intervention militaire, aucun pays européen n’a été en mesure d’apporter
des éléments de renseignement qui auraient permis d’infirmer les
allégations mensongères des États-Unis. Pas même la France, qui n’a pu
s’appuyer que sur les qualités rhétoriques de son ministre des Affaires
étrangères de l’époque, Dominique de Villepin, et n’a pas présenté
d’éléments concrets pour contrer les affirmations américaines.
Au lieu de stimuler les capacités d’analyse en amont des décisions,
l’insuffisance des capacités d’anticipation des services de renseignement,
provoquera une fuite en avant pour tenter d’entrer dans « l’intimité » des
terroristes potentiels. Cette évolution conduira à divers abus, dont la
pratique de la torture aux États-Unis, mais avec le soutien de très nombreux
pays européens, qui combattent le terrorisme au nom de valeurs
universelles !

La torture – Erreur tactique et trahison stratégique

Le terrorisme, comme son nom le suggère, cherche son effet à travers


les émotions, et l’Occident y a répondu de manière émotionnelle. Une peur
irrationnelle, basée sur une absence totale d’analyse du phénomène
terroriste, a conduit l’Occident à se retrancher derrière des murailles
sécuritaires.
Aux États-Unis, en plus de la peur, est né un sentiment de revanche
quasi-animal, qui s’est traduit principalement par l’intervention en
Afghanistan et en Irak, mais aussi par une gesticulation sans aucun effet
sécuritaire, mais qui pèse lourd dans les relations entre cultures. La torture,
telle qu’elle a été utilisée par l’armée et la CIA américaines, en est un
exemple.
Le 7 février 2002, Georges W. Bush signe un ordre exécutif qui dégage
les Etats-Unis de leurs obligations internationales en vertu des Conventions
de Genève :

Je décide qu’aucune des dispositions [des


Conventions] de Genève ne s’applique à notre conflit avec
Al-Qaïda, en Afghanistan ou ailleurs dans le monde car,
entre autres raisons, Al-Qaïda n’est pas une partie
contractante [des Conventions] de Genève […] J’ai
l’autorité, en vertu de la Constitution, de suspendre [les
Conventions de] Genève entre les Etats-Unis et
l’Afghanistan […] L’Article 3 [des Conventions] de
Genève ne s’applique ni à Al-Qaïda, ni aux Taliban, parce
que, entre autres raisons, le conflit en question est de
nature internationale et l’Article 3 « est applicable aux
conflits armés non internationaux » uniquement […] Je
décide que les détenus Taliban91 sont des combattants
illégaux et donc, ne peuvent prétendre au critère de
prisonnier de guerre selon l’Article 4 [des Conventions]
de Genève. Je remarque que du fait que [des Conventions]
de Genève ne s’applique pas à notre conflit avec Al-
Qaïda, les détenus d’Al-Qaïda eux non plus ne peuvent
être considérés comme prisonniers de guerre92.

Le même jour, il décide la mise en place du système des prisons secrètes


de la CIA, dont la première sera opérationnelle dès mars 2002 en
Thaïlande93. Il s’agissait de prisons dans lesquelles la CIA sous-traitait les
activités de torture qu’elle ne pouvait pratiquer sur le territoire américain.
Relevons ici que le PATRIOT Act autorise l’utilisation d’aveux obtenus sur
la torture si ceux-ci sont obtenus à l’étranger. Ainsi, plusieurs pays
européens contribueront au programme américain en laissant le libre
passage aux avions de la CIA qui convoyaient les prisonniers, et d’autres –
forts de leur expérience de l’époque communiste, comme la Pologne et la
Roumanie – ont pratiqué la torture pour plaire, cette fois-ci, aux
Américains.
Rappelons qu’il existe deux formes fondamentales de torture : la torture
à caractère punitif et la torture destinée à obtenir une information ou une
action du supplicié.
La première n’a aucun rapport avec le renseignement. Elle est
fréquemment rencontrée en Amérique latine et en Afrique, où elle est un
moyen d’humilier le « vaincu » par des traitements dégradants (souvent à
connotation sexuelle) et prend souvent la forme d’un tragique et stupide jeu
sadique.
La seconde peut avoir des objectifs divers, parmi lesquels la collecte
d’informations. Elle est appliquée de manière « plus froide » et est
généralement orientée vers un résultat opérationnel et non sur
l’assouvissement de fantasmes personnels.
Pour l’obtention de renseignements, il y a deux principales méthodes de
torture, qui peuvent évidemment être combinées :
- Les méthodes coercitives (usage de la douleur physique) et les
méthodes de privation sensorielle (torture psychique), qui ont été
développées aux États-Unis et en Grande-Bretagne durant les années 60, et
ont été utilisées en Irlande du Nord par l’armée britannique. Issues de la
recherche en matière de psychologie et de science du comportement, ces
techniques d’interrogation sont basées sur la désorientation du prisonnier en
manipulant ses perceptions sensorielles, et sont très efficaces. Ces méthodes
n’utilisent pas de violence physique mais des variations de sons et de
lumière pour déstabiliser et désorienter le détenu et le rendre plus
coopératif.
L’examen des tortures infligées aux prisonniers afghans et arabes
détenus par les Américains montre non seulement que les techniques
utilisées étaient plus primitives et moins efficaces que celles des
Britanniques en Irlande du Nord, 40 ans plus tôt, mais également que leur
manière d’utiliser la torture avait un caractère punitif et de revanche
personnelle. Ceci est confirmé par la Commission d’enquête du Sénat
américain sur le Programme d’interrogation et de détention, qui constatait
que la torture avait même été pratiquée dans des cas où l’on savait qu’elle
était inutile !
Abu Ghraïb

Les actes révélés par la presse en avril 2004 sur les traitements infligés
par les forces armées américaines aux prisonniers irakiens dans la prison
d’Abou Ghraïb à Bagdad, avaient – en réalité – pour objectif de
« préparer » les prisonniers à des interrogatoires non coercitifs. Toutefois,
dans l’esprit et dans la manière de faire, ils s’apparentent davantage aux
tortures « sadiques » telles qu’elles sont pratiquées dans le tiers-monde et
qui cherchent à avilir l’ennemi. Le rapport SECRET établi par le major-
général Antonio M. Taguba et publié en mai 2004 indique clairement :

[J’observe :] Qu’entre octobre et décembre 2003,


dans l’établissement d’isolement d’Abou Ghraïb, de
nombreux incidents impliquant des sévices sadiques,
flagrants et gratuits infligés sur plusieurs détenus. Ces
maltraitances systémiques et illégales des détenus ont été
perpétrées intentionnellement par plusieurs membres des
surveillants de la Police Militaire94 […]

Ainsi, le fait d’avoir d’une part rejeté l’application des Conventions de


Genève aux prisonniers et d’autre part le fait d’avoir établi un lien entre la
guerre contre l’Irak et la lutte contre le terrorisme a ici clairement créé une
« légitimité » pour la menée d’interrogatoires contraires aux lois
internationales et aux valeurs occidentales en Irak. Cela illustre, une fois de
plus, le manque de vision stratégique américaine dans un contexte
djihadiste.
Ainsi, la décapitation de Nicolas Berg, montrée sur un website islamiste
le 11 mai 2004, est une évidente réponse aux pratiques américaines, ainsi
que l’exprime un des terroristes avant la mise à mort :

Pour les mères et femmes des militaires américains,


sachez que nous avons demandé à l’administration
américaine d’échanger ces otages avec des détenus à
Abou Ghraïb et ils ont refusé. Ainsi, la dignité des
hommes et des femmes musulmans d’Abou Ghraïb ne sera
restaurée que par le sang […] Al-Qaïda a-t-elle besoin
d’autres excuses ? Et comment un musulman libre peut-il
dormir confortablement en voyant l’Islam être massacré
et sa dignité bafouée95 ?

Ainsi, les techniques de torture utilisées par l’armée américaine,


destinées à humilier les prisonniers, en plus d’avoir déshonoré l’ensemble
des forces américaines et la mémoire de ceux qui se sont loyalement battus,
n’ont fait que stimuler l’activité terroriste, voire lui donner une légitimité !
Amy Goodman, interrogateur américain qui a mené quelque 300
interrogatoires en Irak en 2006, écrivait 2 ans plus tard :

Il n’est pas exagéré de dire qu’au moins la moitié de


nos pertes et de nos blessés [en Irak] ont été le fait de
[combattants] étrangers qui ont rejoint la lutte à cause de
notre politique de traitement des prisonniers. Le nombre
de soldats US qui sont morts à cause de notre politique de
torture ne sera jamais définitivement connu, mais il est
raisonnable de dire que ce nombre avoisine le nombre de
vies perdues le 11 Septembre. Comment peuton prétendre
que l’usage de la torture permet de protéger les
Américains – sauf si l’on ne considère pas les soldats
américains comme Américains96 ?

Dans ce type de conflit, où la notion même de victoire est différente de


part et d’autre, les logiques traditionnelles de la guerre ne sont plus
applicables. Nous sommes au cœur même de la définition de la guerre
asymétrique : le « succès » d’une partie alimente le succès de la partie
adverse. Dans un tel contexte, les tortionnaires américains n’ont fait
qu’aider les terroristes en leur donnant des justifications pour commettre de
nouveaux attentats. Dans ce type de conflits, les « dommages collatéraux »,
les erreurs de communication et les injustices alimentent le centre de gravité
de l’adversaire et transforment le « patriote » en un complice objectif de
l’adversaire ! En fait, ces tortionnaires auraient dû être jugés comme des
traîtres à leur propre pays… Or, ceux qui ont été condamnés l’ont été à des
peines étonnamment légères, témoignant ainsi du fait que les États-Unis
n’ont pas vraiment compris la nature du combat qu’ils mènent.
Paradoxe ultime, Bradley E. Manning, le soldat qui a dévoilé certains de
ces crimes – en enfreignant certes les règles de la confidentialité – a été plus
sévèrement puni que les criminels eux-mêmes, d’une peine de 35
ans en prison de haute sécurité. Parmi les 700 000 documents
transmis par Manning et dévoilés par Wikileaks, le film97 du meurtre de
deux journalistes de l’agence Reuters par l’équipage d’un hélicoptère AH-
64 Apache… qui n’ont jamais été inculpés98. L’officier responsable de la
prison d’Abu Ghraïb, la générale-brigadier Janis Karpinski, a
« simplement » été relevée de son commandement (pour une autre raison
que sa fonction dans la prison) et rétrogradée au rang de colonel.

Le programme de torture de la CIA

Le 9 décembre 2014, un document de 500 pages sur le « Programme de


détention et d’interrogation » de la CIA est publié par le Congrès
américain99. Il résume plus de 6000 pages d’un rapport classifié, lui-même
basé sur l’examen de 6,3 millions de pages de documents produits par la
CIA sur ce programme. La sénatrice Dianne Feinstein, rapporteur de la
commission d’enquête, qualifie le programme de torture de la CIA de
« tache sur les valeurs et l’Histoire [des États-Unis]» et constate qu’il n’a
produit aucune information qui n’aurait pu être obtenue par d’autres
moyens, et de nature à améliorer la sécurité nationale. Elle rappelle qu’en
1990, le Sénat des États-Unis a ratifié la Convention internationale sur la
torture, qui précise :

Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle


soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de
guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre
état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la
torture100.

Le programme a été conçu par deux « experts », qui en réalité n’avaient


aucune expérience dans les techniques d’interrogatoire. Non seulement ils
étaient chargés de concevoir et d’évaluer les résultats du programme, mais
ils ont également participé aux interrogations elles-mêmes, ce qui
constituait un évident conflit d’intérêts. Au total, ces deux experts ont reçu
de la CIA la somme de 80 millions de dollars ! Non seulement les
techniques préconisées par ces « experts » étaient des impostures au regard
des résultats obtenus, mais elles étaient empreintes de perversités sexuelles
semblables à ce qui avait été observé à Abu Ghraïb. Par une ironie de
l’Histoire, pour concevoir ce programme, ils se sont basés sur les
techniques mises au point dans les années 60, afin de contrer les
interrogatoires menés par des pays ne respectant pas les Conventions de
Genève, et ont opéré par ingénierie inverse101.
Malgré les affirmations initiales selon lesquelles le programme
d’interrogation aurait été efficace pour obtenir des informations ou pour
pousser les détenus à plus de coopération, le rapport de la commission
d’enquête du Sénat a établi que le programme dans son ensemble a été
contreproductif et n’a pas permis de sauver une seule vie humaine. Aucun
des divers succès revendiqués par la CIA pour justifier son programme de
torture n’a pu être confirmé par la commission :
- Parce que l’information conduisant à une arrestation ou à la
neutralisation avait été acquise séparément de l’interrogation ;
- Parce que l’information obtenue de la part de l’interrogé n’avait joué
aucun rôle dans l’arrestation ou la neutralisation de terroristes ;
- Parce que le complot terroriste en question n’existait pas ou ne
constituait aucune menace pour des Américains ou des intérêts américains.
La Commission n’a pas trouvé un seul exemple où l’usage de la torture
aurait permis de prévenir un complot terroriste en cours (« ticking time
bomb ») ou un danger imminent. La plupart du temps, l’usage de la torture
a conduit à des informations fabriquées de toutes pièces. Ainsi, Ibn al-
Shaykh al-Libi, ancien chef d’un camp d’entraînement en Afghanistan et
soupçonné d’appartenir à Al-Qaïda, aurait été « inter-rogé » par des
spécialistes de la CIA et du FBI. Il a révélé les préparations d’attentats
contre l’ambassade américaine au Yémen et contre le quartier-général de la
5e Flotte à Bahreïn, qui n’ont jamais pu être démontrées102 ; il a également
« avoué » les liens existant entre l’Irak et « Al-Qaeda103 »,
information fausse, comme nous l’avons vu. On pourrait mentionner
Zaïn al-Abidin Muhammad Husaïn (alias Abou Zoubeïda), capturé lors
d’un raid conjoint américano-pakistanais le 28 mars 2002, qui a fait l’objet
d’interrogations coercitives et dont les « confessions » restent très
discutables : « Il parle, mais le problème est de trier ce qui est vrai et ce qui
ne l’est pas, ce qui est la réalité et ce qui est de la fanfaronnade104. » Cité
par Georges Bush dans une interview comme un exemple de succès de sa
politique de torture, Abou Zoubeïda a également « avoué » une tentative
d’attentat à la « bombe nucléaire sale » à Washington, qui n’a jamais eu
lieu105.
Un des problèmes pointés par la Commission sénatoriale est que la CIA
a agi sur la base de fausses informations obtenues sous la torture, affectant
ainsi des ressources précieuses pour des actions inutiles. Accessoirement, il
a été noté que les doutes exprimés par certains analystes sur la validité et la
véracité des informations acquises ont été presque systématiquement mis de
côté.
Afin de ne pas encourir les foudres du domaine politique, la CIA a
caché l’étendue de son programme au président Georges Bush jusqu’en
avril 2006. De même, Colin Powell, alors secrétaire d’État, n’en a pas été
informé car la CIA craignait qu’il « pète un plomb106 ». Même l’Inspecteur-
général de la CIA n’avait pas été mis au courant des méthodes utilisées par
la CIA. Plus grave, l’Agence savait que les informations recueillies au
moyen de la torture étaient de mauvaise qualité et le plus souvent fausses.
Le rapport de la Commission d’enquête relève que l’Agence n’avait pas
même remis en question les méthodes pratiquées, malgré les mauvaises
expériences effectuées. Les détenus étaient le plus souvent interrogés sans
supervision par des agents de la CIA qui n’avaient reçu aucune formation
aux techniques d’interrogatoire et qui utilisaient des méthodes qui n’étaient
pas dans le catalogue officiel du programme d’interrogatoire !
Comme dans le cas d’Abou Ghraïb, le personnel engagé pour faire
parler les prisonniers avait souvent une histoire personnelle qui aurait dû les
écarter d’un engagement pour le gouvernement.
Ainsi, le 11 août 2004, la Cour d’appel britannique – la plus haute
instance de justice du royaume, juste avant la Chambre des lords – a déclaré
recevables en justice les informations obtenues sous la torture pour des
procès dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, à condition que des
agents britanniques n’y aient pas pris part107. L’US PATRIOT Act108
américain autorise également les tribunaux à utiliser des informations, qui
auraient été recueillies selon des méthodes prohibées aux États-Unis. Bien
qu’ici le législateur ait eu à l’esprit des méthodes d’espionnage
(« autorisées » pour recueillir des informations à l’étranger, mais inter-dites
dans les procédures judiciaires pénales aux États-Unis même), la porte était
ouverte à la recevabilité d’informations obtenues de manière contraire aux
règles internationales et aux Droits de l’homme.
Ceci explique sans doute également le fait que des islamistes
soupçonnés de terrorisme s’attribuent la paternité d’un nombre incalculable
– et souvent bien peu réaliste – d’attentats. Cela a été notamment le cas
dans les affaires de Khalid Sheikh Mohammed (surnommé « KSM »), de
Zacarias Moussaoui et de José Padilla aux États-Unis. KSM a subi 183 fois
le supplice du « waterboarding109 », a « avoué » sa participation à plus de
30 attentats terroristes dans le monde (y compris le 11 Septembre, les
chaussures-bombes de Reid, l’attentat de Bali et bien d’autres) il a constitué
l’une des principales « sources » de la CIA en abreuvant ses tortionnaires
des réponses qu’ils voulaient entendre… toutes fausses110 !
La gestion et la conduite du programme d’interrogatoire de la CIA ont
été quasi inexistantes. L’usage de techniques non approuvées par des
interrogateurs qui n’étaient pas formés pour cette tâche était monnaie
courante. La CIA est même allée jusqu’à torturer ses propres
informateurs… par erreur !
Ainsi, d’un strict point de vue du renseignement – et en faisant
abstraction des questions morales et humanitaires –, le fait d’accepter des
informations provenant d’interrogatoires coercitifs et sans exactement
savoir dans quelles conditions ces informations ont été obtenues, ouvre la
porte à l’intoxication et à la désinformation. Sur un plan plus stratégique, le
centre de gravité de mouvements terroristes – et particulièrement les
mouvements islamistes – est très souvent lié à la légitimité de l’action.
L’État ou l’autorité qui fait face à une situation terroriste doit en tenir
compte et éviter de permettre à l’adversaire de légitimer sa violence. Le
respect de la justice et du droit devient ainsi un impératif stratégique, alors
que son non-respect ne peut au mieux qu’apporter des bénéfices tactiques.
La publication du rapport de la commission sénatoriale a été critiquée,
sous prétexte qu’elle pourrait provoquer des réactions violentes à travers le
monde, comme l’évoque Mike Rogers, président de la Commission du
renseignement de la Chambre des représentants :

Bien qu’il soit totalement approprié pour les


commissions du Congrès sur le renseignement de conduire
une évaluation rigoureuse de programmes classifiés, je
crains que la publication de détails de ce programme
classifié – qui était légal, autorisé et dûment présenté aux
commissions du renseignement – ne fera qu’enflammer
nos ennemis, risquer la vie de ceux qui se sacrifient pour
nous, et affaiblir l’organisation même à qui nous
demandons d’accomplir les tâches les plus dures dans les
endroits les plus difficiles111.

Le souci est bien évidemment légitime. Ceci étant, le problème n’est pas
le rapport lui-même, mais bien les activités tout à la fois mal conçues, mal
gérées, mal conduites, et inefficaces qui ont été menées au mépris des
valeurs que l’on défend. Au-delà des aspects légaux, un aspect stratégique
en ressort, comme en témoigne le Dr Ayman al-Zawahiri, ancien bras droit
d’Oussama Ben Laden, dans une interview sur la chaîne islamiste Al-
Sahab :

Le fait que l’Amérique a négligé ce qu’elle a signé


dans les conventions de Genève ; l’interdiction de la
torture physique et psychologique de prisonniers
musulmans, leur détention dans des sites clandestins en
laissant leurs familles ignorantes de leur sort, les détenir
indéfiniment sans accusation, tous ces crimes donnent
plus de droits aux musulmans pour se dresser contre
l’agression américaine et traiter l’Amérique de la même
manière112.

L’inefficacité de la torture et son caractère contreproductif auraient dû


être identifiés avant que ce programme ne soit engagé. Les États-Unis
auraient ainsi pu facilement éviter de se créer de nouveaux opposants, voire
renforcer leur propre légitimité (en termes stratégiques : leur centre de
gravité) en épargnant l’argent du contribuable, sans perdre ni leur dignité ni
leur honneur, et en retirant à l’adversaire des rai-sons supplémentaires pour
commettre des actes terroristes, le tout sans diminuer l’efficacité globale de
la lutte contre ce fléau !

CONTRE-TERRORISME OU ANTITERRORISME ?
Depuis la fin des années 90, et en particulier depuis le 11 Septembre, la
multiplicité des « experts » – souvent sans expérience aucune – a noyé les
notions de « contre-terrorisme » et d’« antiterrorisme » dans une confusion
qui explique en partie l’échec dans la lutte contre le terrorisme. D’ex-
« agents » du service Action ou des indicateurs de la DGSE deviennent des
analystes, et des « experts », qui n’ont qu’une connaissance livresque du
terrorisme, deviennent des concepteurs de systèmes opérationnels de
sécurité, qui apportent après chaque attentat des jugements davantage basés
sur des impressions et des professions de foi que sur des faits.
Le terrorisme ne pourra être jugulé qu’à partir d’une connaissance
froide et objective du phénomène. Il nous faut sortir des analyses qui
satisfont notre sentiment de revanche, pour nous attacher à ce qui est. Cela
commence par avoir de la rigueur dans les termes utilisés, afin d’assurer
une cohérence d’ensemble matérialisée par une stratégie. La « stratégie »
est globalement le point faible des diverses postures que l’on trouve en
Occident. Ce que l’on appelle « stratégie » est le plus souvent un ensemble
plus ou moins heureux de mesures tactiques et policières, sans cohérence
stratégique.
La France n’a pas réagi différemment après les attentats de janvier et
novembre 2015. Les mesures du gouvernement se sont limitées au niveau
tactique et policier mais ne furent pas intégrées à une stratégie globale. De
cette incurie découlent les attentats de novembre. En réalité, en l’absence de
stratégie, les mesures prises (celles qui ont été appliquées) n’ont fait
qu’alimenter les processus de radicalisation. Significativement, les mesures
prises après le 13 novembre et les ressources engagées ont surtout servi à
assurer le calme autour de la Conférence sur le climat (COP 21) en luttant
contre les militants écologistes, au lieu de se concentrer sur les Djihadistes,
qui ont ainsi eu l’opportunité de se déplacer, voire de retourner en Syrie113.
La fermeture des mosquées jugées radicales ne va-t-elle pas alimenter le
discours des Djihadistes qui reprochent à l’Occident précisément de vouloir
imposer ses propres normes en matière d’ordre religieux ?
Largement galvaudée d’une manière générale, et en particulier à
l’occasion de la guerre de 2003 en Irak, la notion de « prévention » est mal
intégrée dans les doctrines de lutte contre le terrorisme. Elle est utilisée
aussi bien pour qualifier des mesures visant à lutter contre la radicalisation
que pour l’élimination d’un terroriste. En réalité, il s’agit d’une notion
« fourre-tout » si large qu’elle exclut la mise en place de stratégies
efficaces.
Le point critique qu’il faut définir en premier lieu est celui de la prise de
décision terroriste : le moment où le terroriste ou la structure terroriste
décide de mener une action terroriste. Tout ce qui permet d’influencer cette
décision tombe dans le domaine de la prévention et du contre-terrorisme. Si
la décision terroriste est prise malgré tout, alors tout ce qui permet
d’empêcher la mise en œuvre de cette décision relève de la préemption et de
l’anti-terrorisme.

L’action préventive : le contre-terrorisme

Le contre-terrorisme est constitué de l’ensemble des mesures visant à


lutter contre le terrorisme de manière active, en amont de la décision
terroriste, et constitue la vraie dimension offensive de la lutte contre le
terrorisme. Il comprend en premier lieu toutes les mesures visant à éviter
l’éclosion de la violence terroriste, comme la lutte contre la radicalisation.
La prévention du terrorisme exige une parfaite compréhension du
mouvement terroriste, de sa stratégie et de sa doctrine d’action, de ses
mécanismes de légitimation, de son ancrage populaire et de son soutien
politique local et international. Elle vise à désamorcer les conflits
potentiels, à éviter qu’ils alimentent des revendications terroristes et se
transforment en violence. Elle cherche à amener les terroristes potentiels
dans une autre direction que celle des attentats.
Au plan intérieur, le contre-terrorisme concerne tous les aspects de la
société. Particulièrement dans nos sociétés, dont la composante musulmane
s’est accrue durant le dernier demisiècle, les sensibilités ont changé et les
lames de fond identitaires qui touchent le monde musulman ne les
épargnent plus. L’identité elle-même s’exprime différemment. Il s’agit de
mieux comprendre les dynamiques engendrées par la multi culturalité. Pas
seulement sous l’angle policier, mais aussi – et surtout – sous l’angle
sociétal et culturel. Les questions liées à la radicalisation dépassent de loin
la question des « mosquées radicales » ou le radicalisme carcéral.
En France, au nom de la laïcité, personne n’est en mesure de quantifier
la partie de la société qui mérite une attention particulière. Ainsi, la notion
de « radicalisation » est floue et elle se greffe sur des notions qui relèvent
plus de la profession de foi que de l’analyse. En l’absence de statistiques
précises, le contre-terrorisme ne peut valablement être traduit par des
stratégies efficaces, et il reste à l’appréciation du niveau opérationnel.
Au plan extérieur, notre manière de conduire des conflits résonne
différemment dans les communautés islamiques et chrétiennes : là où nous
entendons « État de Droit » et « Droits de l’homme », d’autres y voient une
poursuite des croisades. Le champ des perceptions dépasse largement la
dimension sociale, pour toucher le sociétal. Au-delà de la manière d’y
répondre, c’est la compréhension même du problème qui pose question.
Ainsi, dans un contexte asymétrique islamiste, les actions humanitaires
ne « compensent » pas nos actions militaires, mais s’y ajoutent ! Cela ne
signifie pas que nos actions humanitaires doivent être abandonnées, mais
qu’elles doivent être conçues de manière plus subtile, en particulier pour les
organisations d’inspiration religieuse. Ainsi, la missionnaire suisse Béatrice
Stockly, enlevée une première fois par Ansar al-Dine au Mali le 14 avril
2012, avait été libérée sous condition de ne plus revenir dans le pays ; mais
la missionnaire est revenue, rompant ainsi l’accord conclu et a, à nouveau,
été enlevée le 7 janvier 2016.

La maîtrise de la mondialisation

On sous-estime en Occident l’impact de la mondialisation dans le reste


du monde. Son ambition est sans doute économique, et se veut porteuse de
prospérité – et du bien-être qui en découle – pour le reste du monde. Mais,
plus que jamais, sous ce label, la société occidentale s’infiltre aujourd’hui
profondément dans les cultures locales et bouscule les fondements mêmes
de ces sociétés. On peut s’en féliciter ou le déplorer, mais on doit le
constater. Bon ou mauvais, le phénomène apparaît comme inéluctable et la
question est de savoir s’il est géré de manière cohérente. Avec le « choc des
civilisations », la montée des fondamentalismes et du terrorisme, il s’agit
d’aborder une réflexion nouvelle sur notre manière de gérer et de faire
progresser le phénomène de mondialisation au contact de cultures et de
sociétés différentes.
Dans la plupart des pays défavorisés, l’évolution continue à être
imposée de l’extérieur et ne résulte pas d’un développement
« harmonieux » de la société. La décolonisation s’est engagée avec une
dynamique révolutionnaire servant les intérêts de la politique étrangère de
l’URSS, puis s’est prolongée par une sorte d’utopie humanitaire centrée sur
un bien-être matériel et non sur une évolution des esprits. L’accélé-ration
des processus démocratiques ou économiques dans le tiers-monde donne
souvent l’illusion d’un aboutissement, mais les progrès restent cependant
très superficiels et mal ancrés dans les cœurs et les cultures.
Animés d’intentions peut-être louables, les Occidentaux tentent – avec
des succès variables – d’éradiquer des pratiques et croyances ancestrales
qu’ils perçoivent comme des obstacles à l’accession à la démocratie et à
l’universalisme des Droits de l’homme. Ce faisant, toutefois, ils créent
souvent de nouveaux déséquilibres culturels à l’intérieur même de ces
sociétés, difficiles à gérer et générateurs de tensions.
Après le 11 Septembre, notre vision globalement marxiste des
problèmes nous a conduits à trouver dans l’inégalité des richesses dans le
monde la cause du terrorisme. Nous adaptons les causes du terrorisme à nos
réponses, au lieu d’adapter les réponses aux causes :

La pauvreté est le nid du terrorisme. Même si les


attentats du 11 septembre ont été réalisés par des
intellectuels aisés, un des fondements de leur action réside
dans les conséquences des inégalités socio-économiques
existant entre pays industrialisés et pays pauvres. La
sécurité internationale et la lutte contre le terrorisme
seraient sensiblement améliorées si Américains et
Occidentaux se préoccupaient davantage du sort des
populations des pays pauvres en réorientant leur politique
économique et financière et en augmentant l’aide et la
coopération au développement114.

Aujourd’hui pourtant, de très nombreux experts s’accordent sur le fait


que la répartition des richesses et la pauvreté ne sont pas à l’origine du
terrorisme islamiste. Les 19 auteurs des attentats du 11 Septembre étaient
issus de familles plutôt aisées et avaient bénéficié d’une formation en
Europe. Le Dr Aïman al-Zawahiri, second d’Oussama ben Laden, a suivi
des études de médecine, comme Abd el-Rantisi, ancien chef du Hamas
palestinien. Oussama Ben Laden était luimême millionnaire et issu d’une
famille privilégiée. Le cheikh Anwar al-Awlaki, l’un des théoriciens du
Djihadisme moderne, était fils d’un diplomate yéménite, etc.

La politique étrangère – arme stratégique


Dans le monde musulman, où l’environnement culturel et religieux
prédispose à un certain fatalisme, la richesse et la prospérité – au sens
occidental du terme – ne constituent pas des objectifs en soi. La prospérité
n’est évidemment pas rejetée, mais elle est subordonnée à la conservation
d’un certain nombre de repères culturels essentiels pour la cohésion de la
société115. À l’inverse, en Occident, le matérialisme et la science ont
profondément modifié notre regard sur la tradition et la religion.
Ce n’est donc pas la « jalousie ni la frustration » qui animent
l’agressivité envers l’Occident, mais plutôt un réflexe de protection contre
ce qui est perçu comme un « impérialisme culturel » pouvant mettre en péril
l’essence même des sociétés. Le devoir d’« ingérence humanitaire » prôné
par Bernard Kouchner116 et qui motive bien souvent notre intervention, est
malheureusement à double tranchant et doit être mis en pratique sans
aveuglement missionnaire, mais avec tact et circonspection. C’est d’ailleurs
l’organisation Médecins sans frontières qui a été poussée hors
d’Afghanistan à la fin juillet 2004, après l’attaque délibérée de 5 de ses
collaborateurs au nord de l’Afghanistan.
L’Occident a vu à travers les attentats du 11 Septembre la nécessité de
lutter contre la pauvreté et de s’impliquer da-vantage dans le tiers-monde.
Or, c’est probablement exactement l’inverse que voulait nous signaler le
message terroriste djihadiste. À tort ou à raison, ils veulent moins
d’Occident dans leur culture et dans leur quotidien. Il est symptomatique de
noter que la Suisse, qui n’est pourtant pas associée à la coalition
internationale contre l’État islamique, mais a fourni une l’aide humanitaire
à l’Irak (et était indiquée à ce titre comme contribuant à la coalition sur
Wikipédia117) a été menacée par l’État islamique, indirectement il est vrai,
dans sa vidéo « No Respite » publiée en novembre 2015118.
Le phénomène de mondialisation implique des bonds culturels
importants, que certaines sociétés ne peuvent pas ou ne veulent pas faire.
L’évolution des sociétés est le résultat d’un compromis sans cesse renouvelé
entre la tradition et l’innovation. C’est même ce mélange, propre à chaque
communauté, qui crée la diversité. Or, le poids de la tradition (dans ses
dimensions historique, culturelle, religieuse, etc.) est différent d’une société
à l’autre, et sa « vitesse d’accession » à la prospérité, dans son acception
occidentale, varie de manière considérable. Ainsi, la mondialisation que
nous comprenons comme une manière de diffuser des principes et des
« bonnes pratiques » est souvent perçue comme une interférence, pour ne
pas dire une ingérence, et même une agression culturelle.
Cette perception est d’autant plus marquée que notre connaissance et
notre sensibilité pour les autres cultures – dont l’islam – sont partielles et
simplifiées à l’extrême. Par exemple, les mutilations génitales chez la
femme (excision), que l’on associe généralement à l’islam, sont en fait un
problème africain et non pas un problème musulman. Certes, la plupart des
pays où l’on observe ces pratiques cumulent les deux attributs, mais pas
dans une relation de cause à effet. Ainsi, parmi les pays africains
(essentiellement au Sahel) où la prévalence de l’excision est la plus élevée,
on trouve l’Érythrée avec 83 % (2014) et l’Éthiopie avec 74,3 % (2014),
deux pays chrétiens119.
En refusant – volontairement ou non – d’écouter ces messages,
l’Occident se place lui-même dans une situation asymétrique. La situation
des femmes sous le régime des Taliban, l’excision dans certains pays
d’Afrique, le travail des enfants en Asie du Sud-Est et la culture de coca en
Amérique latine nous choquent à juste titre, mais s’intègrent dans une
cohérence sociale, culturelle ou économique, qui s’est établie au fil des
siècles, tout comme un écosystème. En traitant ces questions de manière
ponctuelle et sans stratégie globale, nous bouleversons ces équilibres,
réveillons les consciences et stimulons un réflexe identitaire.
Nos rapports avec ces cultures et ces civilisations doivent être repensés.
Il nous faut définir des priorités dans l’action d’entraide et nous limiter à
créer des conditions favorables à leur développement plus qu’à l’imposer.
Le problème est que la gestion des interactions entre les pays du tiers-
monde et l’Occident est dispersée entre les mains de nombreux acteurs :
gouvernements, organisations internationales, compagnies privées,
organisations non-gouvernementales (ONG) et individus. Parmi ceux-ci, les
ONG sont devenues des acteurs puissants et échappant à tout contrôle,
flexibles et efficaces120, mais qui poursuivent des objectifs différents et peu
coordonnés. En septembre 2015, il y avait quelque 416 ONG
internationales actives en Afghanistan121 ! Or,

Sans le vouloir, les ONG renforcent les stéréo-types


racistes et mettent l’accent sur les succès, les avantages et
la compassion (aimante et sévère) de la civilisation
occidentale. Elles sont les missionnaires séculaires du
monde moderne122.

Cette situation est encore accentuée par l’importance considérable des


ONG américaines, souvent financées par des églises et autres communautés
religieuses chrétiennes, ce qui stimule évidemment le Djihad. Il s’agirait de
développer un dialogue avec la société civile – dont font partie les ONG –
en vue d’une meilleure coordination de sa présence et son action afin
qu’elle puisse s’intégrer dans une politique globale, qui tienne aussi compte
d’une stratégie contre-terroriste.
En appui de l’action de politique étrangère diplomatique, les services de
renseignement peuvent aussi apporter une contribution précieuse. Leur
avantage est de combiner la crédibilité due à une relation étroite avec le
pouvoir, la disponibilité de réseaux qui ont un accès aux acteurs de la
violence et la possibilité d’utiliser des canaux « discrets ». Ils constituent
ainsi une sorte de « porte dérobée » pour communiquer avec un adversaire.

La lutte contre la radicalisation

La radicalisation n’est pas le point de départ de la violence, mais n’est


qu’une étape d’un processus. C’est le point de départ de ce processus qui
devrait retenir notre attention. On pourrait définir ce point de départ comme
une « indignation » initiale, qui s’amplifiera au gré des contacts humains,
de l’information reçue à travers les médias traditionnels et les injustices du
quotidien. Après les attentats de janvier 2015 en France, on a affirmé que la
prison était une composante centrale de la radicalisation, simplement parce
que les terroristes avaient pu se rencontrer en prison. C’est une
extrapolation hâtive. Si la prison peut constituer un point de rencontre pour
des individus ayant une propension similaire à enfreindre la loi, ce n’est pas
nécessairement en prison qu’intervient le processus d’islamisation ou de
radicalisation religieuse.
Il est sans doute difficile d’émettre un jugement définitif sur la question.
Toutefois, plusieurs rapports établis dans les pays anglo-saxons montrent
que la prison n’est pas un foyer de radicalisation123. Ils sont confirmés par
des études effectuées en Europe, qui mettent en évidence la multiplicité de
facteurs intervenant dans la radicalisation et qui sortent du cadre de cet
ouvrage124. Toutefois, le point commun de ces études est qu’elles font
systématiquement abstraction des interventions occidentales comme facteur
de radicalisation et cause possible des actes de terrorisme, alors que tout
aussi systématiquement, les terroristes les mentionnent explicitement causes
dans leurs revendications.
L’insistance à mettre la religion au centre du phénomène terroriste nous
conduit à insister sur la notion de « laïcité », et à l’imposer comme une
solution au terrorisme djihadiste. Or, elle est perçue comme de l’apostasie –
le pire « péché » selon les islamistes – par certains musulmans. Mal
expliquée et souvent mal appliquée, la laïcité est donc interprétée comme
une composante de la « croisade » menée par les pays occidentaux et un
moyen de faire abandonner leur foi aux musulmans. En d’autres termes,
conformément à la nature particulière de l’asymétrie djihadiste, ce qui nous
semble être une solution contribue à accroître le problème.

L’action préemptive : l’antiterrorisme

Au sens propre, l’antiterrorisme s’inscrit dans une stratégie d’action


contre le terrorisme, en aval de la décision terroriste. Autrement dit, il
concerne toutes les mesures prises pour contrer les terroristes, après qu’ils
ont pris la décision de commettre un attentat, et les empêche de mettre en
œuvre leur projet. L’antiterrorisme est donc complémentaire du
contreterrorisme qui, lui, cherche à combattre le terrorisme en amont de la
décision terroriste.
L’antiterrorisme comprend : - Un dispositif juridique permettant de
poursuivre, juger et condamner des terroristes ;
- Les mesures de protection et de sécurité matérielles (création de
périmètres de sécurité, mesures anti-intrusions, renforcement des points
vulnérables, etc.) ;
- Les mesures de protection personnelle (adaptation des comportements,
personnel de protection rapprochée, etc.) ;
- Les dispositifs de détection et d’alerte (détection des explosifs, des
armes, etc.) ;
- Les mécanismes et moyens d’intervention (contre des intrus, des
preneurs d’otages, etc.)
Pour être efficaces, les mesures antiterroristes doivent s’intégrer dans un
plan d’ensemble et ne pas porter préjudice aux mesures contre-terroristes.
Ainsi, la « barrière de sécurité » mise en place par Israël est un exemple de
manque de cohérence stratégique : si effectivement la barrière a amélioré la
sécurité tactique, elle renforce simultanément le sentiment des Palestiniens
de voir leurs terres « grignotées », ce qui est la cause même de leur combat,
et accroît leur volonté de lutte. En d’autres termes, il s’agit d’un outil
efficace pour l’anti-terrorisme, mais pas pour le contre-terrorisme.
Une des difficultés fondamentales de l’antiterrorisme est qu’il est
souvent perçu dans le cadre d’une stratégie préventive. Ainsi, quelques
mois après la tentative d’attentat contre le Thalys, en mai 2015, le
gouvernement Hollande inaugure en grande fanfare, en décembre, des
portiques de détection des métaux entre Paris et Bruxelles125. Dont acte…
Mais quid de la coordination avec la Belgique et les Pays-Bas (où les
passagers du Thalys à destination de Paris ne font pas l’objet de contrôles) ?
Et pourquoi seulement sur cette ligne ? N’y a-t-il donc aucun risque sur les
autres trains ? La comparaison avec l’Eurostar – qui fait déjà l’objet de
mesures de sécurité particulières – frise la sottise : l’Eurostar est l’unique
train qui passe sous la Manche, dont le trajet est un tunnel et qui relie la
Grande-Bretagne, à l’évidence l’un des acteurs majeurs des conflits au
Moyen-Orient, alors que le Thalys n’a aucun attribut qui en fasse une cible
plus attractive. Pourquoi ne pas adopter les mêmes mesures sur le TGV
entre Marseille et Paris ?
Une vraie prévention doit s’inscrire dans une vision plus large, sous
peine de créer de nouvelles vulnérabilités, comme on l’a fait dans les
aéroports.

L’adaptation de l’appareil juridique

Le dilemme permanent de la démocratie est qu’elle permet l’éclosion


d’individus ou d’organisations qui cherchent à la détruire, à gauche comme
à droite. La tentation est donc forte de restreindre les opportunités offertes
par la société démocratique, afin de mieux contrôler les forces d’opposition.
La démocratie impose la tolérance… même à l’égard des intolérants. Dès
lors, une des difficultés essentielles de la lutte contre des forces subversives
est de trouver un juste équilibre entre le nécessaire et légitime besoin de
sécurité et le respect des valeurs que l’on cherche à défendre. Comment
imposer les règles de la démocratie en la limitant ?
L’US PATRIOT Act (USAPA)126 signé le 26 octobre 2001 par le
président George W. Bush a été adopté afin de donner les instruments
légaux nécessaires à la lutte contre le terrorisme aux États-Unis après les
attentats du 11 Septembre. Il confère de nouveaux pouvoirs aux forces de
l’ordre et aux organes de renseignement et allège les restrictions aux
activités de surveillance des citoyens. En substance, l’USAPA ouvre
l’éventail des cas dans lesquels la surveillance d’un citoyen peut être
engagée sur la simple base d’une suspicion. Ainsi, par exemple, il est
possible au FBI ou à la CIA de surveiller les mots recherchés sur Internet au
moyen de moteurs de recherche comme Google et les courriels. Il permet la
surveillance d’un individu pour des délits qui ne sont pas directement liés
au terrorisme. L’USAPA donne également l’autorisation aux agences
fédérales d’accéder aux fichiers des bibliothèques et des librairies pour voir
qui aurait consulté ou acheté des ouvrages suspects (concernant, par
exemple le terrorisme ou des activités clandestines) ! L’une des innovations
majeures du PATRIOT Act est d’assouplir les règles d’application du
Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), adopté en 1978, en
élargissant les possibilités d’utilisation des renseignements extérieurs pour
des investigations dans les affaires criminelles, et de restreindre les
possibilités de contrôle parlementaire sur son utilisation. Ainsi, par
exemple, tout fonctionnaire du gouvernement américain non-membre des
forces de sécurité est habilité à mener des activités de surveil-lance sur des
citoyens s’il y a « de bonnes raisons de penser que le contenu des
communications justifiera une intrusion d’investigation dans un
ordinateur ».
Outre l’extension des pouvoirs des organes de renseignements,
l’USAPA facilite également l’emprisonnement et la confiscation de biens
d’individus et vise à lutter contre les sources et mécanismes de financement
du terrorisme.
Lors de l’enquête parlementaire sur les événements du 11 Septembre, le
général Michael Hayden, directeur de la NSA, devait terminer sa
déclaration en ces termes :

Permettez-moi de conclure en vous


disant ce que j’attends de ce dialogue
national, que ces commissions veulent
encourager. Je ne suis pas vraiment
aidé lorsqu’on me rappelle que j’ai
besoin de plus de linguistes arabisants,
ou par l’interprétation d’une obscure
interception perdue dans nos dossiers et
qui aurait plus de sens aujourd’hui
qu’elle n’en avait il y a 2 ans. Ce dont
j’ai réellement besoin est que vous
discutiez avec vos électeurs à fin de
découvrir où le peuple américain est
prêt à tracer la ligne qui sépare la
sécurité de la liberté127.

Le problème des mesures de lutte contre le terrorisme –


particulièrement lorsqu’il s’agit de mesures préventives – est qu’elles
impliquent presque obligatoirement une adaptation des bases légales, afin
de disposer d’instruments permettant de surveiller de manière intrusive
avant la réalisation d’un acte terroriste. La question est de savoir comment
en minimiser les effets par l’adoption de mesures en amont (contre-
terrorisme).

1. Mark Thompson, « The $5 Trillion War on Terror », Time Magazine, 29 juin 2011.
2. Feinstein : CIA torture techniques far more brutal than approved (full speech), YouTube, 9
décembre 2014 (https://www.youtube.com/watch?v=BgSiUbw%20SQbs).
3. Chiffres du Watson Institute for International and Public Affairs, Brown University, Providence
(USA) (http://watson.brown.edu/costsofwar/costs/human/civilians).
4. Charte de l’Organisation des Nations Unies, Chapitre I, Article 2, Alinéa 4
(http://www.un.org/fr/documents/charter/chap1.shtml).
5. Principe VI, Principes du Droit International consacrés par le statut du tribunal de Nuremberg et
dans le jugement de ce Tribunal, 1950,
(http://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/draft_articles/7_1_1950.pdf).
6. Muriel Bernard, « Des créneaux réservés aux élèves des écoles juives », ledauphine.com, 20
octobre 2011.
7. Maria Malagardis, « Les Kényans condamnés à mourir dans l’indifférence ? », Libération, 7 avril
2015.
8. https://ia801507.us.archive.org/35/items/NoRespiteEN/No%20Respite%20%28EN%29.mp4
9. Hannah Fischer, A Guide to U.S. Military Casualty Statistics: Operation Free-dom’s Sentinel,
Operation Inherent Resolve, Operation New Dawn, Operation Iraqi Freedom, and Operation
Enduring Freedom, Congressional Research Service (www.crs.gov), RS22452, 7 août 2015.
10. Janet Kemp, RN PhD & Robert Bossarte, PhD, Suicide Data Report, 2012, Department of
Veterans Affairs, Mental Health Services, Suicide Prevention Program.
11. Migrant crisis: Migration to Europe explained in graphics, BBC News, 27 octobre 2015
(http://www.bbc.com/news/world-europe-34131911)
12. Dan Wright, Special Investigator’s Report Details US Corruption In Afghanistan, Shadowproof, 6
août 2015 (http://www.mintpressnews.com/special-investigators-report-details-us-corruption-in-
afghanistan/208365/)
13. Nsango ya Bisu, « Immigration – L’Église catholique appelle la jeunesse afri-caine à ne pas céder
à la tentation migratoire », Médias-Presse-Info, 28 août 2015 (http://www.medias-
presse.info/immigration-leglise-catholique-appelle-la-jeunesse-africaine-a-ne-pas-ceder-a-la-
tentation-migratoire/37659)
14. Shiv Malik, « Support for Isis stronger in Arabic social media in Europe than in Syria », The
Guardian, 28 novembre 2014.
15. Julien Damon et Telos, « Le monde sera-t-il musulman? », slate.fr, 1er novembre 2015.
16. Glenn Greenwald and Ewen MacAskill, « Boundless Informant: the NSA’s secret tool to track
global surveillance data », The Guardian, 11 juin 2013.
17. Kadhim Shubber, « A simple guide to GCHQ’s internet surveillance programme Tempora »,
wired.com, 24 juin 2013.
18. Dianne Feinstein, “The NSA’s Watchfulness Protects America”, The Wall Street Journal, 13
octobre 2013.
Courtney Kube, “NSA chief says surveillance programs helped foil 54 plots”, NBC News, 27 juin
2013.
19. Travis Gettys, “Patrick Leahy calls out Obama administration on terror plots thwarted by NSA
spying”, rawstory.com, 2 octobre 2013.
20. Noel Brinkerhoff, “NSA Director Alexander Admits He Lied about Phone Surveillance Stopping
54 Terror Plots”, AllGov.com, 7 octobre 2013.
21. https://www.emptywheel.net/2013/07/17/what-does-the-government-consider-protected-first-
amendment-activities/
22. https://nsa.gov1.info/dni/boundless-informant.html
23. Floyd Rudmin, « Why Does the NSA Engage in Mass Surveillance of Americans When It’s
Statistically Impossible for Such Spying to Detect Terrorists ? », Counterpunch, 24 mai 2006.
24. https://fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_nord-irlandais
25. http://www.preventionroutiere.asso.fr/Nos-publications/Statistiques-d-accidents
26. NdA: Ce chiffre est monté à 45 avec la tuerie de Chattanooga (juillet 2015) et San Bernardino
(décembre 2015).
27. Scott Shane, « Homegrown Extremists Tied to Deadlier Toll than Jihadists in U.S. Since 9/11” »,
The New York Times, 24 juin 2015.
28. Glenn Greenwald, « The Greatest Obstacle to Anti-Muslim Fearmongering and Bigotry: Reality »,
The Intercept, 24 juin 2015.
29. Julia Jones and Eve Bower, « American deaths in terrorism vs. gun violence in one graph », CNN,
3 octobre 2015.
30. « 1,052 mass shootings in 1,066 days: this is what America’s gun crisis looks like », The
Guardian, 3 décembre 2015.
31. Mass Shooting Tracker, Mass Shootings in 2015 (http://shootingtracker.
com/wiki/Mass_Shootings_in_2015).
32. « Rush to Support – Your State O Muslim », Dabiq Magazine, n° 4, septembre/octobre 2014
(1435), p. 44.
33. Lorenzo Franceschi-Bicchierai, “Small-Town Cops Pile Up On Useless Military Gear”,
Wired.com, 06.26.2012; Josh Sanburn, « This Is Why Your Local Police Department Might Have
a Tank », Time Magazine, 24 juin 2014.
34. Charles Kurzman and David Schanzer, Law Enforcement Assessment of the Violent Extremism
Threat, Triangle Center on Terrorism and Homeland Security, 25 juin 2015.
35. Nick Penzenstadler, « Lost, stolen, broken: TSA pays millions for bag claims, USA TODAY
investigation finds », USA Today, 2 juillet 2015.
36. « État d’urgence : la France prévient qu’elle ne respectera pas les Droits de l’homme »,
AFP/lepoint.fr, 27 novembre 2015.
37. Inspire Magazine, n° 14, été 2015, p. 61.
38. Adam Nossiter, « Response to Paris Attacks Points to Weaknesses in French Police Structure »,
The New York Times, 31 décembre 2015.
39. Alissa J. Rubin, « Muslims feel weight of French State of emergency », The International New
York Times, 18 février 2016, p. 1.
40. Quentin Warlop, « Assaut de Saint-Denis: le RAID s’est tiré dessus », RTBF, 3 février 2016.
41. http://airwars.org/data/(consulté le 6 mars 2016)
42. « In response to changed priorities, and decreased resources, the intelligence community’s analytic
cadre underwent changes in both its organization and its methodological orientation. Perhaps the
most significant change was the shift from long-term in-depth analysis in favor of more short-term
products intended to provide direct support to policy. » (Kerr Group, Intelligence and Analysis on
Iraq : Issues for the Intelligence Community, 29 juillet 2004)
43. Maggie Ybarra, « FBI admits no major cases cracked with Patriot Act snooping powers », The
Washington Times, 21 mai 2015 ; et Peter Bergen, David Sterman, Emily Schneider, and Bailey
Cahall, Do NSA’s Bulk Surveillance Programs Stop Terrorists ?, New America Foundation,
janvier 2014.
44. BBC News, « 9/11 hijackers on US no-fly list », 6 octobre 2006.
45. Gérard Prunier, « Sudan: genocide in Darfur », Le Monde Diplomatique, mars 2007.
46. UN Documents for Sudan (Darfur): Secretary-General’s Reports,
http://www.securitycouncilreport.org/un-documents/search.php?
ctype=Sudan%20(Darfur)&rtype=Secretary-General%27s%20Reports&cbtype=sudan-
darfur&search=%22Secretary-
General%27s%20Reports%22%20AND%20%22Sudan%20%28Darfur%29%22&__mode=tag&I
ncludeBlogs=10&limit=15&page=6
47. « Murder : New York City, Homicides 2003-2011 », The New York Times,
(http://projects.nytimes.com/crime/homicides/map)
48. « A Report into the credibility of certain evidence with regard to Torture and Execution of Persons
Incarcerated by the current Syrian regime », Carter-Ruck and Co. Solicitors, London
(CONFIDENTIEL) (http://static. guim.co.uk/ni/1390226674736/syria-report-execution-tort.pdf)
49. Bob Drogin, Nom de code: CURVEBALL, Altipresse, Levalois-Perret, juin 2014
50. Équivalent d’une directive présidentielle, mais de portée ponctuelle.
51. L’Executive Order 12333 du 4 décembre 1981.
52. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences: Individual Terrorism Jihad and the Global Islamic
Resistance Units », Inspire Magazine, n° 5, printemps 2011, p. 32.
53. Greg Miller, « White House approves broader Yemen drone campaign », The Washington Post, 25
avril 2012.
54. Peter Baker, « Obama Apologizes After Drone Kills American and Italian Held by Al Qaeda »,
The New York Times, 23 avril 2015
55. Dan Roberts & Spencer Ackerman, « NSA mass phone surveillance revealed by Edward Snowden
ruled illegal », The Guardian, 7 mai 2015.
56. « Former NSA & CIA director : “We kill people based on metadata” », You-Tube, 11 jun 2014.
57. Andrew Blake, « Obama-led drone strikes kill innocents 90 % of the time: report », The
Washington Times, 15 octobre 2015.
58. http://www.thebureauinvestigates.com/2014/10/16/only-4-of-drone-victims-in-pakistan-named-as-
al-qaeda-members/(consulté le 25 janvier 2015)
59. NdA : Mokhtar Belmokhtar est réputé être un terroriste de la Base du Djihad au Maghreb
islamique. En réalité, c’est un personnage mal connu, dont la spécialité était la contrebande de
marchandises (y compris des cigarettes et des armes) dans le sud algérien. Son rôle exact dans des
entreprises terroristes n’a jamais été formellement établi et on lui « attribue » de nombreuses
actions, comme l’attaque de la base pétrolière d’Amenas en Libye. Incidemment, les opérations
qu’on lui attribue ne cadrent pas avec les autres actions islamistes et s’apparentent davantage à des
opérations de « simple » banditisme.
60. NdA : cette action a été menée par des avions F-15 et non par des drones, mais elle illustre la
politique américaine à l’égard des victimes.
61. « Mokhtar Belmokhtar : Top Islamist ‘killed’ in US strike », BBC News (US & Canada), 15 juin
2015.
62. Richard Spencer, « Mokhtar Belmokhtar has survived several previous claims to have killed
him », The Telegraph, 19 juin 2015 (http://www.telegraph.
co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/libya/11686244/One-eyed-sheikh-Mokhtar-
Belmokhtar-alive-says-al-Qaeda.html)
63. Jack Serle, « More than 2400 dead as Obama’s drone campaign marks five years comments », The
Bureau of Investigative Journalism, 23 janvier 2014.
64. Jo Becker et Scott Shane, « Secret ‘Kill List’ Proves a Test of Obama’s Principles and Will », The
New York Times, 29 mai 2012.
65. Le cheikh Anwar al-Awlaki est un imam né aux États-Unis, considéré comme un spécialiste de
l’islamisme, il est invité au Pentagone peu après le 11 Septembre afin de présenter à des hauts
fonctionnaires la situation de l’islam radical dans le monde. Pon de l’Irak, le scandale d’Abou
Ghraïb et l’usage de la torture par les États-Unis le radicalisent et il s’expatrie au Yémen où il
devient l’un des théoriciens du Djihadisme. Il échappe à plusieurs attaques de drones jusqu’au 30
septembre 2011.
66. Department of Justice White Paper, « Lawfulness of a Lethal Operation Directed Against a U.S.
Citizen Who Is a Senior Operational Leader of AlQa’ida or an Associated Force », 4 février 2013.
67. Vincent Nouzille, Les Tueurs de la République, Fayard, 21 janvier 2015.
68. « Les frappes françaises en Syrie ont tué au moins 6 Français djihadistes », BFM TV, 17 octobre
2015.
69. Arab Barometer Survey Project - Yemen Report
(http://www.arabbarometer.org/sites/default/files/Yemenreport1.pdf)
70. Illusion of Justice : Human Rights Abuses in US Terrorism Prosecutions, Human Rights Watch, 21
juillet 2014.
71. Spencer Ackerman, « Government agents ‘directly involved’ in most high-profile US terror
plots », The Guardian, 21 juillet 2014.
72. « Report finds government agents ‘directly involved’ in many U.S. terror plots », Police State
USA, 31 juillet 2014. (http://www.policestateusa.com/2014/report-finds-fbi-plans-its-own-terror-
plots/)
73. David K. Shipler, « Terrorist Plots, Hatched by the F.B.I. », The New York Times, 29 avril 2012.
74. Jonathan Dienst, Tom Winter and Tracy Connor, « ISIS Lover Emanuel Lutchman Planned New
Year’s Machete Attack:FBI », CBS News, 31 décembre 2015.
75. Trevor Aaronson, The Terror Factory: Inside the FBI’s Manufactured War on Terrorism, Ig
Publishing, January 2013; voir également la video : « The FBI is Responsible for More Terrorism
Plots in the United States than any other Organization. More Than Al Qaeda, More Than Al
Shabaab, More Than the Islamic State, More Than All Of Them Combined », WashingtonsBlog, 5
juin 2015.
76. Groupe des 28 pays de l’Union européenne, plus la Norvège et la Suisse, créé en 1971 pour
échanger des renseignements sur le terrorisme international.
77. Groupe de pays, créé en 1977, échangeant régulièrement des informations sur le terrorisme
international. Ses réunions sont secrètes. Les pays membres de Kilowatt sont : l’Allemagne, la
Belgique, le Canada, le Danemark, la France, l’Irlande, Israël, l’Italie, la Grande-Bretagne, le
Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse et les USA.
78. Sunday Times, 6 septembre 2002.
79. Gordon Thomas, Globe-Intel, 6 septembre 2002.
80. Guillaume Dasquié, « 11 Septembre : les Français en savaient long », Le Monde, 16 avril 2007.
81. Final Report of the National Commission on Terrorist Attacks upon the United States, The 9/11
Commission Report, Authorized Edition, W.W. Norton & Company, New York, 2004.
82. Voir James R. Van de Velde, « Camp Chaos : U.S. Counterterrorism Operations at Guantanamo
Bay, Cuba », International Journal of Intelligence and CounterIntelligence (IJIC), 23 février
2005, vol. 18, Nr. 3, automne 2005.
83. Selon les conventions de Genève, lorsqu’il y a un doute sur le statut de prisonniers capturés au
combat, ceux-ci doivent être traités comme des prisonniers de guerre, en attendant qu’un tribunal
compétent précise leur statut. (Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de
guerre du 12 août 1949, article 5)
84. Martin Bright, « Guantanamo has « failed to prevent terror attacks » », The Observer, 3 octobre
2004.
85. Ibid.
86. https://www.aclu.org/feature/close-guantanamo?redirect=closegitmo
87. Elizabeth Bumiller, « Later Terror Link Cited for 1 in 7 Freed Detainees », The New York Times,
20 mai 2009.
88. Seymour M. Hersh, « Selective Intelligence », The New Yorker, 12 mai 2003.
89. Pour la petite Histoire, la Maison Blanche a refusé de remettre à la Commission d’enquête du
Sénat le PDB en question – même sous la protection d’une classification – et n’a fait qu’en
reconnaître l’existence.
90. Aux États-Unis, la coordination de la Communauté du Renseignement (Intelligence Community)
était l’affaire du directeur de la Central Intelligence Agency jusqu’en 2004, puis – conséquences
des réformes consécutives au 11 Septembre – cette tâche a été attribuée à un directeur du
Renseignement national (Director of National Intelligence – DNI).
91. Il faut noter ici que les Taliban afghans n’ont jamais été considérés comme une organisation
terroriste par la Maison Blanche, ni par le Département d’État (voir
http://www.state.gov/j/ct/rls/other/des/123085.htm), même si le Département du Trésor les
considère comme un groupe qui mérite les mêmes sanctions qu’un groupe terroriste.
92. Memorandum du 7 février 2002, qui sera réaffirmé dans l’Ordre Exécutif 13440 du 20 juillet
2007. Voir le document original : https://www.gpo.gov/fdsys/pkg/FR-2007-07-24/pdf/07-3656.pdf
93. John Barry, Michael Hirsh & Michael Isikoff, « The Roots of Torture », Newsweek, 24 mai 2004.
94. AR 15-6 Investigation of the 800th Military Police Brigade, Investigating Officer MG ANTONIO
M. TAGUBA, Deputy Commanding General Support, Coalition Forces Land Component
Command, DODD0A-000248, 27.05.2004. (NdA: Le (S) signifie que le paragraphe est secret)
95. Déclaration de l’un des terroristes sur la vidéo de la décapitation de Nicolas Berg (Iraq
Occupation Watch Center, San Francisco, Californie).
96. Mattew Alexander (pseudonyme d’Amy Goodman), « I’m Still Tortured by What I Saw in Iraq »,
Washington Post, 30 novembre 2008.
97. https://www.youtube.com/watch?v=5rXPrfnU3G0 (vu plus de 15 millions de fois au 20 février
2016)
98. Bradley Manning: a sentence both unjust and unfair, The Guardian, 21 août 2013.
99. Senate Select Committee on Intelligence, « Committee Study of the Central Intelligence Agency’s
Detention and Interrogation Program », 3 décembre 2014 (téléchargeable sur
http://fas.org/irp/congress/2014_rpt/ssci-rdi.pdf).
100. Art 2, al. 2, « Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants », adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée
générale des Nations unies le 10 décembre 1984, entrée en vigueur: le 26 juin 1987.
(http://www.ohchr. org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CAT.aspx)
101. Philip Ross, « Who Are Jim Mitchell And Bruce Jessen? CIA Torture Psychologists Were
Experts In Communist Chinese Interrogation », International Business Time, 10 décembre 2014.
102. Associated Press, 24 avril 2002.
103. Richard Norton-Taylor, « Waterboarding is no basis for truth », The Guardian, 9 novembre 2010.
104. Interview de l’un des interrogateurs (Associated Press, 24 avril 2002).
105. Richard Norton-Taylor, op. cit.
106. Email du 31 juillet 2003 de John Rizzo, cité par Mme Feinstein devant le Congrès le 9 décembre
2014.
107. Audrey Gillan, « Judges in row over torture ruling », The Guardian, 12 août 2004.
108. Son nom complet est « Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools
Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act of 2001 » (Acte de 2001 pour unir et renforcer
l’Amérique en fournissant les outils adaptés nécessaires pour intercepter et empêcher le
terrorisme).
109. Ce supplice, souvent traduit par « simulation de noyade », correspond au supplice de la
« baignoire » jadis utilisé par la Gestapo.
110. Dexter Filkins, « Khalid Sheikh Mohammed and the C.I.A. », The New Yorker, 31 décembre
2014.
111. Spencer Ackerman, Dominic Rushe, & Julian Borger, « Senate report on CIA torture claims spy
agency lied about ‘ineffective’ program », The Guardian, 9 décembre 2014.
112. « Iman Defeats Arrogance », Inspire Magazine, n° 12, printemps 2014, p. 11.
113. Eliott C. McLaughlin, « Paris terror attack suspect may be in Syria », CNN, 30 novembre 2015.
114. Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), note d’analyse,
« Comment lutter efficacement et durablement contre le terrorisme ? », Bruxelles, 27 septembre
2001.
115. La simple notion d’« assurance » est controversée par certains fondamentalistes islamiques, car
interprétée comme une tentative de corriger la décision de Dieu.
116. La notion de « droit » ou « devoir d’ingérence humanitaire » est attribuée à Bernard Kouchner,
homme politique français, co-fondateur de Médecins sans frontières et à Mario Bettati, professeur
de droit international public à l’université Paris II à la fin des années 80.
117. Military intervention against ISIL
(https://en.wikipedia.org/wiki/Military_intervention_against_ISIL) (Note de l’auteur : après
détection de cette erreur de Wikipédia par l’auteur, suite à une action du ministère suisse des
Affaires étrangères, la mention de la Suisse a été supprimée de la page en question le 11 décembre
2015)
118. Op. cit.
119. Female genital mutilation (https://en.wikipedia.org/wiki/Female_genital_mutilation)
120. C’est notamment grâce aux ONG que l’élimination des mines antipersonnel a pu faire l’objet
d’un accord international (Traité d’Ottawa – 1997).
121. International Center for Not-for-Profit Law (ICNL), NGO Law Monitor: Afghanistan, 6
novembre 2015 (http://www.icnl.org/research/monitor/afghanistan.html).
122. Arundhati Roy, « Les périls du tout-humanitaire », Le Monde Diploma-tique, octobre 2004, p. 24.
123. Sarah V. Marsden, « Little evidence to show that prisons have become ‘universities of terror’ »,
Radicalisation Research, 24 novembre 2015
(http://www.radicalisationresearch.org/debate/marsden-prisons-radicalisation/)
124. Voir, par exemple : Expert Group on Violent Radicalisation, « Radicalisation Processes Leading
to Acts of Terrorism », Submitted to the European Commission, 15 mai 2008.
125. « Portiques de sécurité pour les Thalys : ce sera comme pour l’Eurostar de Londres », RTBF, 25
novembre 2015.
126. Son nom complet est « Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools
Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act of 2001 » (acte de 2001 pour unir et renforcer
l’Amérique en fournissant les outils adaptés nécessaires pour intercepter et empêcher le
terrorisme).
127. Témoignage du lieutenant-général Michael V. Hayden (USAF), Directeur de la National Security
Agency (NSA) et Chef du Central Security Service devant la Commission d’Enquête Conjointe de
la Commission Spéciale du Sénat sur le Renseignement et la Commission Spéciale de la Chambre
des Représentants sur le Renseignement (Joint Inquiry of the Senate Select Committee on
Intelligence and House Permanent Select Committee on Intelligence), 17.10.2002, paragraphe 39.
(https://www.nsa.gov/public_ info/speeches_testimonies/17oct02_dirnsa.shtml)
Conclusions

L’AGRESSIVITÉ, SYMPTÔME DE FAIBLESSE


GOUVERNEMENTALE

« Ceux qui sont habiles dans l’exécution de la Stratégie,


Font ployer la stratégie des autres sans conflit ;
Ils sapent les défenses des autres sans les attaquer ;
Ils absorbent leurs structures sans opérations de longue
durée. »

Sun Tsu1

Nous avons constaté que le terrorisme islamiste depuis 1990 est la


conséquence des interventions occidentales au Proche et Moyen-Orient,
mais pour quelles raisons ces interventions ont-elles eu lieu ? Comme nous
l’avons vu, les intérêts nationaux constituent une partie seulement de
l’explication. Pourquoi les États-Unis ont-ils attaqué l’Afghanistan et
l’Irak ? Quels bénéfices en ont-ils tiré ? Pourquoi la France s’est-elle
impliquée par la force en Libye ou en Irak, déstabilisant ainsi une région en
générant une situation de guerre ?
Comme on l’a observé, un des facteurs déclencheurs de conflits est
l’affaiblissement de gouvernements qui doivent restaurer leur crédibilité, ou
simplement installer leur image, comme cela a été le cas pour Georges W.
Bush (qui avait passé 42 % de son mandat avant le 11 Septembre en congé
ou en voyage), Barack Obama (incapable de mener à bien les réformes qu’il
souhaitait en raison de la composition du Congrès lors de son second
mandat), Tony Blair (dont la popularité s’effritait en raison de son manque
de résultats2),
Nicolas Sarkozy (qui s’effondrait dans les sondages à la veille de
l’élection présidentielle de 20123), François Hollande (qui a été incapable
de remplir sa promesse d’infléchir la courbe du chômage, qui s’est accrue
de près de 600 000 chômeurs sous son mandat4) ou Charles Michel (dont la
coalition gouvernementale nouvellement formée génère une certaine
incrédulité dans la population belge).
Le 11 Septembre, Georges W. Bush est en visite dans une école
primaire en Floride. Malgré l’impact du premier avion dans une des tours
du World Trade Center à New York, il poursuit sa visite de l’école. Il assiste
au cours, assis devant la classe, lorsqu’un autre avion frappe la seconde
tour. Son chef d’État-major Andrew Card se précipite alors vers le Président
et lui glisse à l’oreille : « Un second avion a percuté les tours. L’Amérique
est attaquée ! » Le Président, le regard vide, ne réagit pas et, ne sachant que
faire, s’empare d’un livre d’enfant intitulé Ma Biquette, et commence à le
feuilleter. Durant 7 minutes, alors que le Président ne connaît pas la nature
de l’attaque contre la nation, il n’y aura aucune réaction, aucun ordre,
aucune demande d’information supplémentaire…
Il est tentant, à l’approche d’échéances électorales, de s’engager dans
des opérations de diversion afin de reconstituer une unité nationale ou de
faire oublier les promesses non tenues. Particulièrement lorsqu’il n’y a pas
de menace imminente – comme cela était le cas en 2014 lorsque la France
et la Belgique5 se sont engagées dans la coalition occidentale pour
combattre l’État islamique en Irak –, la tentation est forte de faire jouer un
scénario à la Wag The Dog. Cet effet, alors que le gouvernement
Ayrault/Hollande s’effondrait dans les sondages, a été identifié par de
nombreux observateurs d’outre-Atlantique lors de l’intervention française
au Mali6 en 2013. C’est ici que les mécanismes parlementaires doivent
pouvoir jouer, afin d’empêcher qu’un pays ne soit entraîné dans une guerre
pour de simples raisons politiciennes.
De fait, les événements du 13 novembre 2015 ont été exploités par le
gouvernement Hollande/Valls à de multiples occasions, comme durant la
Conférence sur le climat (COP 21) et la campagne des élections régionales
en France, en suggé-rant même que la France pourrait aller combattre l’État
islamique en Libye7 – ce qui, compte tenu des capacités tendues des forces
armées françaises à ce moment, n’est guère plus qu’un discours politicien –
afin de retirer des voix à la droite. Le problème est que ces discours
engendrent objectivement la « radicalisation » que l’on souhaiterait éviter.
Au final, la faiblesse des gouvernements tend à stimuler le terrorisme de
deux manières : par la tentation du gouvernement de distraire l’opinion
publique des problèmes intérieurs en menant la guerre à l’extérieur, et par
l’espoir pour les terroristes qu’une faible popularité du gouvernement
multiplie l’effet d’une « opération de dissuasion ». Les gouvernements
faibles sont alors pris dans un cercle vicieux dont ils ne peuvent s’extraire
sans donner l’impression de céder aux terroristes.
Immigration et terrorisme sont deux phénomènes clairement distincts
mais qui, par opportunisme politicien et tactique, tendent à se rejoindre. En
fait, cette convergence n’est que le résultat de l’incapacité et de
l’incompétence des gouvernements à gérer ces deux phénomènes depuis des
décennies.

COMPRENDRE N’EST PAS ACCEPTER


« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-
vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez
victorieux.
« Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toimême,
tes chances de perdre et de gagner seront égales. « Si tu
ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras
tes combats que par tes défaites. »

Sun Tsu8

L’Occident se bat – et perd – contre un ennemi qu’il refuse de connaitre.


La réaction occidentale face au terrorisme reste très empreinte d’émotion et
de testostérone. Des expressions telles que « langage de la fermeté »,
« inacceptable », « sans compromis » font partie du quotidien dès lors que
l’on parle du terrorisme, mais s’apparentent bien souvent à une forme de
vengeance du faible, sans stratégie et sans cohérence. On se rappelle la
foison de caricatures obscènes d’Oussama Ben Laden après le 11
Septembre, sorte de bras d’honneur fait par ceux qui n’avaient réussi ni à
anticiper, ni à prévoir, ni à empêcher malgré des ressources technologiques,
humaines et financières quasi-démesurées. Après les attaques de novembre
2015, le Premier ministre Manuel Valls déclarait :
Rien ne peut expliquer que l’on tue à des terrasses de
cafés ! Rien ne peut expliquer que l’on tue dans une salle
de concert ! Rien ne peut expliquer que l’on tue des
journalistes et des policiers ! Et rien ne peut expliquer que
l’on tue des juifs ! Rien ne pourra jamais l’expliquer9 !

Lors de la cérémonie de commémoration de l’attaque du 9 janvier 2015


contre l’Hyper Cacher de Paris, il insiste :

Pour ces ennemis qui s’en prennent à leurs


compatriotes, qui déchirent ce contrat qui nous unit, il ne
peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer,
c’est déjà vouloir un peu excuser10 !

C’est évidemment absurde, voire idiot. Il ne faut pas confondre


« expliquer » et « excuser ». Ceci étant, cette posture de refuser une
explication révèle sans doute en partie pourquoi les mesures annoncées par
le président François Hollande, le 16 novembre 2015, pour lutter contre le
terrorisme, n’ont aucune cohérence stratégique et aucun effet préventif.
Elles sont orientées sur des actions de portée tactique et, au mieux,
préemptive, et ne s’attaquent pas à ce qui provoque la radicalisation et
aboutit au terrorisme, qui pourra ainsi frapper à nouveau.
Nous nous connaissons mal, nous surévaluons nos capacités et la force
de nos « valeurs », nous intégrons mal la substance changeante de nos
sociétés (notamment en raison de l’immigration) et nous nous cachons
derrière des principes, certes nobles, mais dont – à tort ou à raison – la
lecture est progressivement relativisée par l’apport de cultures nouvelles.
Le terrorisme doit se combattre avec intelligence, alors que c’est
l’ignorance qui domine. Nos messages sont contradictoires et
incompréhensibles pour l’adversaire. Nous l’avons vu au Liban, en
Somalie, en Afghanistan et en Syrie : nous mélangeons des finalités
différentes dans nos opérations militaires et n’avons donc pas de stratégies
claires. Nous avons peur de nos propres contradictions et de regarder notre
adversaire en face. En ne tenant compte que de ses faiblesses, nous en
oublions ses forces et nous nous faisons surprendre.
En fait, les leçons de l’Histoire n’ont pas été apprises. Dans notre souci
de maintenir une distinction claire entre les « gentils » et les « méchants »
durant la dernière guerre mondiale, on a esquivé – pour ne pas dire évacué –
une partie de l’Histoire. Se souvient-on que l’une des raisons de l’attaque
allemande contre la Pologne a été le massacre de la minorité allemande de
la ville de Bamberg par les Polonais ? Que la raison pour l’annexion des
Sudètes par l’Allemagne nazie a été l’appel au secours des populations
allemandes face aux discriminations linguistiques violentes dont ils
faisaient l’objet ? Les mêmes causes provoquent les mêmes effets :
l’interdiction de l’usage du russe comme langue officielle en Ukraine en
2013 sera le déclencheur des troubles en Crimée et dans le Donbass… et là
encore l’Occident – avec les mêmes acteurs – est bien plus impliqué dans le
déclenchement du conflit que la Russie, contrairement aux apparences…
mais nous sortons de notre propos.
Depuis plus de deux décennies, l’analyse qui conduit à l’élaboration de
nos stratégies est clairement faussée par une perception simpliste de l’action
terroriste. Il est trop commode de qualifier les terroristes de « fous
sanguinaires », de subordonner leur action à des troubles mentaux, ou de
leur attribuer l’objectif vague de détruire notre société et ses vertus. Comme
nous l’avons vu, les événements et leur formation montrent que les
terroristes sont des individus très rationnels qui poursuivent des objectifs
précis, mais dans le cadre d’une logique particulière, que nous devons
apprendre à décrypter. Une fois encore, il ne s’agit évidemment pas de
justifier les attentats terroristes, mais de comprendre dans quel contexte
politique, militaire et doctrinal ils se conçoivent, afin d’y apporter les
réponses adéquates.
Notre regard sur la violence est partisan. Nous voyons nos invasions,
nos occupations, nos bombardements – le plus souvent au mépris du Droit
international – comme une violence légitime, puisque laïque et porteuse des
« valeurs de l’Humanité ». Nous en donnons une image « propre » à travers
des vidéos qui montrent des objectifs détruits avec précision. Alors que la
violence des autres est « barbare » et le fait de « psychopathes », nos
victimes sont importantes, mais pas celles que nous causons.
Les théoriciens de l’État islamique voient dans les actions de l’Occident
la disparition progressive et programmée par l’Occident de la « zone
grise », ce qui correspond à la « zone de paix contractuelle » (Dar al-Ahd)
entre les communautés musulmanes et non musulmanes. Cette perception
est dérivée de la déclaration de Georges W. Bush du 20 septembre 2001 :
« Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes11 ! », qui a été
traduite par les islamistes par « Soit vous êtes avec la Croisade, soit vous
êtes avec l’Islam12 ». Il en est découlé pour les islamistes la compréhension
d’un affrontement inéluctable entre les mondes musulman et chrétien, initié
par l’Occident, que nos interventions ont confirmé.
Le terrorisme des années 1995-2001 n’avait aucune ambition globale. Il
cherchait simplement à faire sortir les États-Unis de l’Arabie saoudite et du
Moyen-Orient. C’est la rhétorique américaine qui a placé ce terrorisme dans
un contexte d’affrontement entre deux systèmes de pensée, afin de dégager
leur propre responsabilité dans la conduite de leur politique conduite au
Moyen-Orient. Le terrorisme à partir de 2001 est de nature différente, car il
s’inscrit dans la dynamique de l’affrontement entre Occident et Islam,
définie par le gouvernement américain.
Lorsque l’Occident perçoit le terrorisme comme un moyen de créer et
d’étendre un Califat, l’État islamique y voit exactement l’inverse : un
monde occidental qui cherche à christianiser de force les musulmans qui y
vivent ; compréhension qui est confortée par notre vision laïque de la
société et qui tend à réprimer les pratiques religieuses (ou assimilées) qui ne
correspondent pas à certaines valeurs occidentales :

Les musulmans dans les pays croisés se trouveront


contraints à quitter leurs maisons pour un endroit où ils
pourront vivre dans le Califat, alors que les croisés
augmenteront leur persécution contre les musulmans
vivant dans les pays occidentaux et les forceront à des
pratiques apostates tolérables au nom de l’« islam »,
avant de les forcer à embrasser la chrétienté et la
démocratie13.

Ainsi nos réponses, comme par exemple la formation d’imams « made


in France », participent à alimenter l’idée – chez les Djihadistes – d’un
Occident qui décide de tout pour tout le monde, et contre lequel il faut
résister (Djihad).
Aujourd’hui, l’État islamique est entré dans la logique énoncée par le
Président Bush, et est en guerre contre les régimes politiques alliés à
l’Occident. Dans cette démarche, il doit également affronter d’autres
factions islamiques. Il en résulte une forme de compétition, où il doit faire
valoir la « qualité » de l’islam qu’il défend, ce qui le pousse à désigner
certains musulmans comme ses ennemis. La conséquence en est une
politique rigide de définitions et d’exclusions (takfir), qui s’exprime
notamment par la lutte contre les musulmans apostats, etc. Mais sa stratégie
n’implique pas (au moins pour l’instant) la déstabilisation de l’Occident ou
la lutte contre les démocraties occidentales. Encore une fois, il ne s’agit pas
d’envahir l’Occident, bien au contraire, comme le suggère Sheikh Abou
Soufiane, vice-émir de la Base du Djihad dans la péninsule arabique :

Ils [les musulmans] doivent s’efforcer de suivre le


commandement du Messager d’Allah, qui avait prévenu
les musulmans de ne pas vivre au milieu des non-
musulmans. Ils doivent soit immigrer [vers l’Etat
islamique], soit mener le Djihad en Occident par le
Djihad individuel ou avec leurs frères dans le pays du
Djihad [NdA : la Syrie] 14.

Mener le Djihad en Occident n’est donc qu’une manière d’agir sur nos
arrières, exactement comme les Alliés l’ont fait en bombardant les
populations civiles allemandes en 1942-1945, afin d’affaiblir leur soutien au
régime nazi. Ainsi, comme on l’a vu, les priorités du terrorisme individuel
ne sont pas en Occident, mais au Proche et Moyen-Orient. Actuellement,
l’objectif de l’État islamique est de s’installer comme « État » et de
consolider sa présence. Dans le processus de genèse du Califat défini par
l’État islamique, on se situe entre les phases de déstabilisation et de
consolidation (Tamkin). Ces phases décrivent clairement un mécanisme
dans un environnement proche-oriental – avec des forces rivales, des
gouvernements à la solde de l’étranger et une présence militaire étrangère –,
et non en Occident15.
Les motifs pour lesquels la France a voulu s’engager en Irak et ses
objectifs stratégiques n’ont pas vraiment fait l’objet d’un débat politique.
Aucune personnalité politique (à l’exception du Front National) n’a remis
en question ces déplorables et coupables décisions de politique étrangère…
Bien au contraire, on tend à s’enfoncer davantage dans les mêmes
errements.
Aux États-Unis, le débat sur la politique à l’égard du Moyen et Proche-
Orient se développe au gré des rivalités politiciennes, et suit le calendrier
des élections présidentielles. En 2014-2015, l’approche de la fin du second
mandat du Président Obama engendre les plus vives critiques de la part des
Républicains, qui n’ont cependant aucun regard critique sur les causes de la
situation actuelle, clairement imputables au « ticket Bush-Cheney ».
Il est urgent de comprendre que nous nous sommes engagés dans une
spirale de la violence, déterminée par l’asymétrie de la stratégie adverse et
alimentée par nos actions, et qui ne nous conduit nulle part. Pour la casser,
il nous faudrait admettre que notre usage de la force ne conduit à rien, et
accepter que ceux que nous combattons installent leur propre manière de
gouverner, qu’elle nous plaise ou non. Le problème est que, ce faisant, nos
décideurs courraient le risque de donner l’impression de céder aux
« terroristes ». À moins de saisir l’opportunité de changements politiques
dans les puissances occidentales, nous sommes condamnés à vivre avec des
crises que nous avons créées, et que nous sommes conduits à envenimer.

Comprendre le changement de paradigme

« Nous n’aimons pas les Taliban, mais si nous devons


choisir entre les Occidentaux et eux, nous choisirons les
Taliban. »

Muhammad
Chauffeur à Kaboul

Notre incapacité à répondre valablement à la menace terroriste moderne


est due au fait que le terrorisme islamiste s’est développé en fonction de
critères nouveaux. Nous travaillons encore avec des modèles stratégiques
obsolètes qui pourraient être illustrés par la question « Comment dissuader,
en punissant de mort, des individus prêt à mourir ? »
La culture occidentale tend à s’attacher à l’apparence des choses, alors
que la mentalité islamique est plus attachée à leur substance. Phénomène
qui est illustré, partiellement au moins, par la notion de prééminence de
l’intention sur le résultat. Ainsi, notre manière de juger le terrorisme à partir
de ses effets plus qu’à partir de ses causes nous pousse à porter les mêmes
jugements – et les mêmes réponses – qu’il y a 50 ans. Tant que nous
n’aurons pas intégré les conséquences de ces changements dans nos
stratégies, nous continuerons à générer du terrorisme en voulant l’éradiquer.
Pire, nous confortons les islamistes en leur donnant l’occasion de montrer
aux musulmans modérés – mais malgré tout conscients des erreurs et de
l’hypocrisie des Occidentaux – qu’ils sont ceux qui ont le courage de
s’élever contre l’arrogance et l’incohérence de l’Occident.
Il ne s’agit pas ici de dégager les terroristes de leurs responsabilités,
mais il faut également se poser des questions sur les gouvernements
occidentaux qui, par leur action – souvent inconsidérée et presque toujours
illégale – exposent leurs propres concitoyens à des actes de rétorsion.
Comment peuton penser que l’on puisse bombarder des populations avec un
risque minimal, sans s’exposer au sol, créant jusqu’à 96 % de « dommages
collatéraux » (comprenez : des femmes, des enfants et autres civils
innocents) sans qu’il n’y ait aucune réaction de l’adversaire ? Les actes
terroristes sont certainement condamnables, mais aller bombarder sans
raison des objectifs, qui mettent en danger des populations civiles, est une
provocation délibérée sans doute tout aussi condamnable.
En Afghanistan seulement, il y aurait eu plus de 18 000 civils tués lors
de raids aériens16 dont l’un des incidents les plus médiatisés a été le
bombardement de l’hôpital de Kunduz, par un avion AC-130 Spectre, le 3
octobre 2015, dû à l’incompétence des militaires américains, dont on sait
qu’ils auraient pu éviter le massacre17. Il faut bien saisir ici que, dans un
contexte asymétrique, au-delà de la question humanitaire, ces victimes
alimentent la légitimité des actes terroristes qui en sont la réponse. On
pourrait pratiquement dire que les fautifs, par leur négligence ou leur
désinvolture, ont objectivement soutenu le terrorisme contre leur propre
pays.
L’affirmation est moins saugrenue qu’elle n’y paraît. L’ex-Premier
ministre britannique Tony Blair est actuellement l’objet d’une enquête pour
déterminer son degré de culpabilité dans le déclenchement sans raison
d’une guerre18. Une pétition, qui a récolté plus de 84 000 avis positifs, sur
le site du parlement britannique, demandait au gouvernement d’arrêter le
Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour crime de guerre, lors
de sa visite en Grande-Bretagne19.
En l’état, ces initiatives ont peu de chances d’aboutir, mais elles sont
assez inédites dans l’environnement politique européen et pourraient fort
bien se développer dans l’avenir, en raison d’une population globalement
plus sensibilisée à cause de sa culture.

La dimension asymétrique de la guerre


« Notre situation est donc telle que “plus nous travaillons
dur, plus nous reculons” ? »

Donald Rumsfeld20

La guerre asymétrique a de multiples définitions, qui se basent pour la


plupart sur la différence des méthodes ou des armes utilisées. Elles
constituent le plus souvent un emballage nouveau pour une compréhension
très conventionnelle du terrorisme, qui en ignore les ressorts essentiels et
empêche la définition de stratégies adéquates pour le combattre.
Or, dans un conflit asymétrique, l’adversaire peut être comparé à un
fluide dit « non newtonien » : plus l’énergie qu’on lui applique est grande,
plus il devient dur et résistant à la déformation. Cette caractéristique,
typique de l’asymétrie islamiste, est totalement ignorée dans les doctrines
occidentales. Pourtant, elle explique que les mouvements terroristes se
renforcent au gré des interventions occidentales au lieu de se désagréger. En
fait, nous traitons le terrorisme, comme un phénomène symétrique, comme
si son affaiblissement était proportionnel à la force utilisée.

C’est ainsi que les frappes occidentales en Irak et en Syrie, dès


l’été 2014, se sont sans doute super-posées à l’intervention
israélienne à Gaza pour provoquer une recrudescence des combattants
étrangers et un doublement des combattants français21 dans ces deux pays,
comme devait le constater le ministre de l’Intérieur français Bernard
Cazeneuve, le 19 mai 201522. Il nous faut une fois pour toutes regarder la
réalité en face et repenser nos politiques, afin de prévenir une extension du
terrorisme. Le problème, dans cette situation, est de pouvoir se remettre en
question sans sembler céder aux pressions des terroristes. Cette difficulté à
revenir en arrière sur des décisions stratégiques devrait inciter à avoir un
renseignement stratégique plus efficace et capable d’anticiper.
Notre immobilisme stratégique est compensé par une suractivité
tactique, coûteuse, dangereuse et stérile, qui a poussé les Djihadistes à
développer des stratégies nouvelles pour contourner nos moyens techniques
et tactiques, exemplifiées par le concept de « terrorisme individuel » ou
« Djihad individuel ». Le problème se complique encore lorsque les États
occidentaux eux-mêmes ne respectent plus le Droit, le Droit international,
ou l’État de Droit, cassant ainsi les référentiels légaux, éthiques et moraux
qui sont à la base de la démocratie et justifient un « État de Jungle » où tout
est permis.

UNE FAIBLESSE CHRONIQUE LE RENSEIGNEMENT


STRATÉGIQUE

« Nous ne comprenons pas ce mouvement [N.D.A. :


l’État Islamique], et tant que nous ne le comprendrons
pas, nous ne le vaincrons pas ».

Major-général Michael K. Nagata, Commandant des


Opérations spéciales de l’US Central Command (décembre
2014)23

Le paradoxe de la situation actuelle est que les moyens technologiques


et financiers dont disposent les services de renseignement n’ont jamais été
plus importants qu’aujourd’hui, mais que notre capacité à anticiper n’a
jamais été plus faible. Ce qui pourrait sans doute aussi s’expliquer par la
« loi de Parkinson24 », est plus sûrement lié à l’absence de compréhension
stratégique du terrorisme islamiste. Après les attentats de novembre 2015 à
Paris, l’ex-chef des services de renseignement suisse, Peter Regli,
affirmait :

L’État Islamique a, entre autres buts, la mission


d’éliminer les « non-croyants ». La Suisse fait partie du
monde occidental et de culture judéochrétienne. Elle est
donc une cible potentielle. Les citoyens doivent être
conscients qu’un terroriste peut se faire exploser à 7 h 30
du matin à la gare de Zurich25.

Manifestement, après un quart de siècle de lutte contre le terrorisme


islamiste, ce genre de déclaration illustre la faiblesse d’un renseignement
qui se prétend stratégique, mais a plus de points communs avec la voyance
qu’avec le renseignement lui-même. Experts en radicalisation, en
islamisme, en terrorisme et autres se sont multipliés depuis 2001, mais
n’ont pas apporté la rationalité du renseignement dans le débat : les
analyses restent basées sur des professions de foi et des impressions,
souvent inspirées d’expériences dépassées et le plus souvent guidées par
l’émotion.
Le rôle premier du renseignement n’est pas de tuer, d’assassiner, de
saboter ou de pratiquer la subversion, mais de renseigner et éclairer la
décision. Nous ne disposons pas de « boule de cristal », et donc notre
capacité à voir le futur est par essence limitée. Mais nous pouvons identifier
les paramètres qui influenceront l’avenir et évaluer leur importance relative
dans la configuration des événements futurs. Un élément essentiel de cette
démarche est de comprendre comment « pense » l’adversaire, quels sont ses
schémas de réflexion et sa manière de réagir aux événements. Cette
compréhension doit se faire sans état d’âme et dans l’objectivité la plus
complète possible, car elle n’est pas destinée à nous conforter, mais à
comprendre le monde avec les yeux de l’adversaire. Même si cette manière
de voir nous déplaît. C’est le rôle fondamental du renseignement.
La qualité du renseignement et des « services » est difficile à juger sur
la base de quelques documents seulement. Dans un État de droit, les
mécanismes de surveillance parlementaire ne doivent pas se limiter à des
contrôles de gestion, mais aussi être en mesure de remettre en question la
qualité des produits. En démocratie, où les décisions sont prises ration-
nellement en fonction de processus de décision transparents, on peut
s’attendre à ce que les dirigeants politiques consultent leurs organes de
renseignement avant de prendre des décisions de politique étrangère. La
pertinence des décisions devrait alors – en théorie au moins – donner une
indication sur la qualité du renseignement stratégique. Or, la chaîne de ces
événements, qui va de l’Afghanistan au Bataclan, démontre que l’on se
trouve dans des processus décisionnels itératifs, alimentés par une absence
chronique d’analyse prévisionnelle de la part des instances de
renseignement.
Toutefois, avant de blâmer les services de renseignement ou leurs
analyses, il convient d’examiner soigneusement la qualité de l’interaction
entre le gouvernement et ses services. Sans véritable communication entre
eux, la meilleure analyse du monde ne servira à rien. Dans la situation
actuelle, le risque est que le traitement du terrorisme ne soit pas guidé par
un souci d’efficacité, mais par des considérations politiciennes cadencées au
rythme du calendrier électoral : peu importe la nature de l’ennemi ou la
pertinence de la solution, l’essentiel est que le discours soit suffisamment
musclé pour convaincre l’électorat.
Ces considérations pourraient expliquer que, si une évaluation
stratégique a manqué avant les interventions en Afghanistan, en Irak, en
Libye et en Syrie, les exécutions extra-judiciaires se sont multipliées sous
les présidences respectives de Barack Obama aux États-Unis, et de François
Hollande en France. Il apparaît clairement que les priorités des réformes et
améliorations engagées ces dernières années dans les services occidentaux
ont privilégié les organes de collecte et d’action tactiques au détriment des
structures de renseignement et d’analyse stratégique. Les débats sur les lois
sur le renseignement en France et en Suisse en 2015 ont clairement
démontré que les parlements de ces deux pays n’ont pas compris les enjeux
et ont probablement accru la vulnérabilité de leurs pays respectifs au
terrorisme, comme l’avaient fait les États-Unis et la Grande-Bretagne au
début des années 2000.
Dans la pratique, en règle générale, plus on se rapproche du « champ de
bataille » (ce terme devant être compris dans son sens le plus large) dans le
temps et dans l’espace, plus les sources confidentielles prennent de
l’importance, mais à l’inverse, plus on s’en éloigne, plus l’information
ouverte est significative. Comme nous l’avons vu, toutes les crises de ce
dernier quart de siècle étaient prévisibles, à partir d’informations
ouvertement disponibles à ce moment-là. Cette constatation devrait
conforter le travail des services de renseignement stratégiques nationaux26
et surtout les organes de renseignement des organisations supranationales
comme les Nations unies ou l’OTAN, qui devraient pouvoir se situer au-
dessus des intérêts nationaux. Or il n’en est rien.
Le renseignement dont manquent manifestement les Occidentaux est un
véritable outil stratégique, capable de comprendre la pensée des terroristes
et d’en restituer une image cohérente. En matière de lutte contre le
terrorisme, le renseignement stratégique comprend l’identification des
points de rupture – qui déterminent le moment où un mouvement est prêt à
passer de l’action politique à l’action violente –, des centres de gravité, qui
permettent de déterminer les points vulnérables du mouvement terroriste et
de sa stratégie, (notamment la définition, les éléments asymétriques de la
stratégie terroriste et les champs dans lesquels elle s’applique). Il doit
apporter les éléments pertinents pour la prévention du terrorisme et
contribue à la prise de décisions visant à éviter le développement d’une
situation génératrice de plus de terrorisme.
La principale difficulté ici est, la plupart du temps, d’obtenir l’écoute
des décideurs politiques. En effet, il s’agit souvent d’alimenter des
décisions de long terme, auxquelles les décideurs politiques sont peu
sensibles, trop concentrés sur le calendrier des échéances électorales. On
affirme souvent que le renseignement ne peut avoir d’état d’âme, mais on
comprend trop souvent cette expression comme la capacité d’agir
froidement. Or, la vraie signification est quelque peu différente : il faut
savoir présenter les faits au décideur, même s’ils ne lui conviennent pas, car
le renseignement doit apporter une image à la fois claire et la plus objective
possible de la situation. C’est au décideur de formuler des options
politiques sur cette base et de prendre ou non les décisions qui s’imposent.
Malheureusement, dans le renseignement contemporain, on trouve plus de
courageux pour bombarder à partir d’un drone que pour faire face au
décideur avec une analyse qui contredit sa politique.

À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS
S’il y avait le plein-emploi à des salaires décents en
Irlande du Nord, l’IRA serait-elle aussi active ? Si le
gouvernement d’Israël autorisait simplement la liberté de
commerce sur une base égale avec les Palestiniens, est-ce
que leur inclination envers le terrorisme serait aussi
grande ? […] Le terrorisme est probablement faux dans
toutes les circonstances, mais il y en a trop dans lesquelles
il peut être compréhensible, peut-être même pardonnable.
Nous devons faire ce que nous pouvons pour minimiser les
« circonstances » de cette sorte27.

Jan Narveson

Poser le problème correctement

« La tactique sans stratégie n’est que du bruit avant la


défaite. »
Sun Tsu

Les évidences sur lesquelles nous basons nos jugements ne sont souvent
que des perceptions et ne reflètent pas nécessairement la réalité objective
des choses. Mais on peut admettre que d’autres – en particulier nos
adversaires – puissent avoir une lecture différente de la réalité, voire
développer une vision plus objective que nous de cette même réalité.
L’opinion publique occidentale reste convaincue de la culpabilité
d’Oussama Ben Laden dans le 11 Septembre, malgré l’absence totale de
preuves matérielles et les affirmations mêmes des Américains qui le
disculpent depuis 2006 au moins. Ce simple fait devrait éveiller notre
attention et nous rendre plus prudents.
Si les Européens continuent à se faire littéralement mener par le « bout
du nez » par les États-Unis, c’est essentiellement parce qu’ils n’ont pas su,
en plus de 20 ans, développer des capacités analytiques de renseignement
capables de question-ner les divers aspects stratégiques de la guerre. Dans
chaque cas, les répercussions et conséquences des crises étaient connues ou
prévisibles.
Les événements de 2001, 2004, 2005 ou 2015 ont, à juste titre,
provoqué notre émoi et notre compassion. Mais fai-sons-nous preuve de la
même sollicitude à l’égard des victimes innocentes que nous causons, sans
aucune raison, dans des opérations que nous avons déclenchées ou
autorisées en toute connaissance de cause ? Nous entraînons des
combattants à achever les prisonniers, nous attaquons des pays et
renversons des gouvernements au mépris du droit international. Si les armes
deviennent plus précises, les méthodes de ciblage par des « combattants »,
bien à l’abri à des milliers de kilomètres du champ de bataille, ont accru le
nombre de victimes civiles en nous forgeant une image de lâches… pas très
différente de ce que recouvre la notion de « terroristes »…
Le problème ne se situe pas seulement dans les conflits ouverts, mais
également dans la multitude d’actions politiques maladroites qui
contribuent à la radicalisation des jeunes et dont nous avons déjà mentionné
certaines. À cela s’ajoutent des événements mineurs dans leur essence, mais
qui tendent à alimenter ce processus, comme les images de ces Israéliens,
qui viennent se distraire en regardant et en applaudissant les
bombardements sur Gaza28, ou l’audition au commissariat de police de
Nice d’un enfant de 8 ans, qui aurait tenu des propos solidaires des auteurs
des attentats de janvier 2015 à Paris29.
Le monde occidental – et donc, en majorité chrétien – est certes
considéré comme un ennemi par les Djihadistes, pour les raisons vues
précédemment. Toutefois, dans cette situation, il faut se garder de faire des
amalgames trop faciles, qui ne font qu’accroître les tensions avec les
communautés musulmanes. Trois points méritent d’être soulignés :
En premier lieu, les musulmans – y compris les Djihadistes – ont du
respect pour les croyants quels qu’ils soient. Juifs, chrétiens et musulmans
sont tous des « peuples du livre » (Ahl al-Kitab) selon le Coran. Ainsi, des
personnages comme Jésus (Issa) ou Marie (Maryam) font aussi partie de la
religion musulmane, avec des rôles évidemment différents, mais importants.
En Syrie, le Front al-Nosrah, par exemple, comprend des Phalanges de
Jésus fils de Marie (Kataeb Issa bin Maryam). Dans le Califat tel qu’il
existait entre le VIIe et le XVe siècle, les chrétiens et les juifs avaient un
statut particulier (dhimmi), qui les dispensait de l’impôt religieux
obligatoire pour les musulmans (zakat), mais les soumettait à un impôt
particulier (jizyah) et leur interdisait de faire partie de l’armée. Mais il n’y
avait pas de politiques de conversions forcées, comme les ont pratiquées les
Chrétiens en Amérique du Sud ou en Espagne.
En deuxième lieu, et dans le prolongement de ce qui vient d’être dit, ce
que les Djihadistes reprochent aux Occidentaux en général est leur abandon
des pratiques religieuses, raison pour laquelle ils nous qualifient volontiers
d’« apostats ». La notion de laïcité est souvent perçue et instrumentalisée
dans une perspective « marxiste ». Nous avons tendance à comprendre la
laïcité comme une sorte de « page blanche » qui doit faciliter la
communication entre communautés et qui nous conduit parfois à « laïciser »
des fêtes religieuses chrétiennes et en oublier leur sens profond. C’est une
erreur que d’abandonner les symboles traditionnels chrétiens, (comme la
crèche de Noël), ou de renommer des manifestations comme on l’a vu dans
certaines communes de France et de Belgique (comme le « marché de
Noël » à Bruxelles, qui devient les « Plaisirs d’Hiver »). Dans des régions
où l’on a délibérément encouragé une immigration musulmane, il faut
l’assumer, mais pas au détriment des autres croyances, bien au contraire.
Sans quoi, nous alimentons l’image que les islamistes ont de notre
« apostasie », et contribuons – sur le plan stratégique – à leur radicalisation.
La diversité n’est pas un choix entre deux cultures, mais leur coexistence
acceptée et raisonnable.
En troisième lieu, à tort ou à raison, le monde tend à fonctionner au
diapason occidental : en droit international, dans le commerce, dans la
culture, dans les habitudes alimentaires, en économie, dans les mœurs, etc.
En Europe, cette « uniformisation » génère un sentiment croissant de perte
d’identité et de souveraineté au profit d’une situation qui n’est pas
meilleure, alimentant ainsi les mouvements politiques souverainistes et
indépendantistes. Au Proche-Orient, cette tendance a été accentuée par des
interventions militaires, dont le but avoué était de transformer les sociétés et
d’y imposer des standards occidentaux. Dès lors, l’objectif du Djihad est
d’empêcher cette « occidentalisation » forcée de la société ; même si dans
ce contexte les Chrétiens représentent l’ennemi, il ne s’agit pas de détruire
leur (notre) société.
Actuellement en Occident, nous avons tendance à mélanger deux
phénomènes pourtant distincts par essence : l’immigration musulmane et le
terrorisme. Les deux ont été et continuent à être piètrement gérés, et leur
convergence aujourd’hui à travers des actes violents n’est que la
conséquence du manque de vision politique à long terme de nos dirigeants,
plus le résultat d’une grande stratégie islamiste pour subjuguer l’Occident.
En refusant de chercher à expliquer le terrorisme – comme Manuel Valls le
préconise – les gouvernements occidentaux entretiennent une confusion qui
masque leurs erreurs stratégiques. Ce déni accentue les tensions internes de
la société, et autorise des affirmations simples (comme l’interdiction du
territoire américain aux musulmans proposée par le candidat à la présidence
des États-Unis, Donald Trump30) qui tendent à encourager la radicalisation
et, à terme, le terrorisme.

Adopter une attitude critique

« À force de tout voir on finit par tout supporter…


À force de tout supporter on finit par tout tolérer…
À force de tout tolérer on finit par tout accepter…
À force de tout accepter on finit par tout approuver ! »

Saint Augustin
La dimension asymétrique des conflits est exacerbée par un accès
illimité à l’information et doit nous inciter à avoir une réflexion stratégique
« en creux ». La liberté d’expression n’est pas un but en soi. Elle a pour
objectif de lutter contre l’obscurantisme et la dictature. Elle n’est pas à
géométrie variable et la limiter ne fait que favoriser la radicalisation, les
sentiments d’injustice. En France, c’est la leçon des épisodes Dieudonné et
Charlie Hebdo : ce qui génère les postures radicales n’est pas le discours
lui-même, mais le « deux-poidsdeux-mesures » qui accompagne son
jugement. La démocratie et ses arguments doivent être suffisamment forts
pour être amenés dans la discussion, sans nécessiter des législations qui
canalisent les points de vue – comme les lois mémorielles. Le problème est
qu’à force d’avoir dissimulé les réalités derrière des apparences de vérités,
nos démocraties ont perdu de leur force.
Le terrorisme est une chose inadmissible, mais ne faisonsnous pas tout
pour le provoquer ? L’étude de ces 35 dernières années nous montre
qu’aucune de nos interventions militaires n’était nécessaire, que toutes ont
été des tentatives de régler des problèmes créés précédemment et justifiées
par des mensonges, que nous avons acceptés et diffusés, sans nous poser de
questions, et pour lesquels nous, citoyens, n’avons demandé aucun compte
à nos autorités. Nous ne connaîtrons jamais le nombre de victimes
innocentes que nous avons tuées en Afghanistan, en Irak et en Syrie, les
estimations (sans compter les effets des embargos) tournent autour de 250
000 femmes, enfants, mères, sœurs, maris, fils… sans raison ! et sans
résultat, car tous ces engagements se sont soldés par des défaites et une
aggravation du sort de ceux que l’on voulait aider.
L’indifférence qu’oppose l’Occident aux victimes qu’il génère dans le
monde, et le souci qu’il a d’exalter ses propres victimes dans un « deux-
poids-deux-mesures » flagrant ici aussi, ne sont plus acceptés par des
opinions publiques qui suivent en détail les évolutions du monde et
perçoivent ces incohérences.
Combien avons-nous déposé de fleurs, allumé de bougies, et versé de
larmes pour les 500 000 enfants irakiens morts à cause de notre embargo,
seulement coupables d’être nés sous une dictature ?

Anticiper
« Plutôt que de penser qu’ils ne viendront pas, Nous
attendrons qu’ils apparaissent. »
« Plutôt que de penser qu’ils n’attaqueront pas, Nous
apparaîtrons à l’endroit qu’ils ne pourront pas attaquer. »

Sun Tsu
L’Art de la Stratégie (Livre
Vlll)

On pourrait se limiter à affirmer que la particularité du terrorisme est


précisément d’être imprévisible. Mais ce n’est que partiellement vrai. Sur le
plan tactique, il est extrêmement difficile de prévoir un attentat terroriste
sans être dans l’intimité des terroristes eux-mêmes ; et les diverses mesures
prises par tous les services de renseignement occidentaux pour accéder à
cette intimité à travers le renseignement électronique en montrent les
limites. Mais au niveau stratégique, la chose est différente : on peut assez
bien anticiper les situations qui favoriseront l’éclosion du terrorisme. Et si
l’on écoute la doctrine des groupes islamistes, qui expliquent – et
démontrent – que le terrorisme n’est qu’une réponse aux actions de
l’Occident, on peut tenter d’admettre qu’il existe une manière de stopper
cette violence.
Cela implique la mise en place d’une stratégie de lutte contre le
terrorisme. Or, étrangement, aucun pays majeur, touché par le terrorisme,
n’en a établi. L’Union européenne a adopté en 2005 une « stratégie31 », qui
n’est cependant qu’une accumulation de mesures sans réelle cohérence
stratégique, et qui suit dans les grandes lignes ce qui a été adopté au niveau
de quelques nations.
Il faut donc réfléchir au niveau stratégique et non plus au niveau
opérationnel. Cette démarche devrait être d’autant plus importante dans les
pays occidentaux, où une partie toujours plus large de l’opinion est
susceptible d’avoir des sympathies pour l’adversaire. Que les menaces
d’Al-Baghdadi d’infiltrer des terroristes parmi un demi-million de réfugiés
se vérifient ou pas, il est clair que la sensibilité de la population résidente en
Europe est de plus en plus proche du monde islamique et deviendra donc
toujours plus critique par rapport à nos politiques étrangères dans cette
région. Cette évolution des sensibilités est lente et sera sans doute affectée
par l’évolution démographique plutôt favorable aux populations immigrées.
Ainsi, on peut s’attendre, à terme, à des changements significatifs
d’orientation dans des politiques qui semblent aujourd’hui acquises, comme
par exemple le soutien occidental inconditionnel à Israël.
La réflexion stratégique doit s’accompagner d’une plus grande
cohérence et d’une plus grande justice dans nos relations avec les uns et les
autres au niveau international. Si l’on peut admettre la fermeté à l’égard des
dictatures et régimes autoritaires de l’hémisphère sud, il faut également
adopter la même rigueur à l’égard des pays qui violent délibérément et
systématiquement le droit international et les droits humains – comme les
États-Unis – ou bafouent les décisions des Nations unies – comme Israël,
qui détient le record mondial en la matière32.
La France et les États-Unis ont une approche très similaire dans leur
lutte contre le terrorisme. En insistant sur son caractère religieux et en
ignorant qu’il n’a fait que répondre aux erreurs politiques de l’Occident, ces
deux pays ont créé davantage de terrorisme. Sans stratégie d’ensemble, des
opérations présentées comme des succès comme les opérations SERVAL et
BARKHANE n’ont eu que des effets tactiques et superficiels et n’ont pas
traité la racine du mal. Une approche qui s’appuie sur des alliances avec des
régimes antidémocratiques, perçus comme plus efficaces dans la lutte
contre le terrorisme, a fait de l’islamisme violent une plateforme « idéale »
pour l’expression des revendications sociales ou politiques – comme avec
Boko Haram au Nigeria – et fédéré des mouvements de natures diverses,
comme au Mali.
On ne pourra pas éliminer le terrorisme avec des tactiques réactives, qui
implicitement refusent d’anticiper la possibilité d’attentats et se limitent à
les punir. On ne pourra pas éli-miner le terrorisme si les parlements
acceptent que des exécutifs faibles tentent de restaurer leur image de leader
en allant porter la guerre dans des zones déjà fragiles. On ne pourra pas
éliminer le terrorisme si les parlements et les opinions publiques acceptent
sans esprit critique les justifications qu’on leur donne, pour mettre en jeu
des vies humaines. En n’exigeant pas de la part de l’exécutif des stratégies
d’action claires et orientées sur le long terme, les parlements se font
complices objectifs de manœuvres politiciennes et contribuent au
délitement de la société.
Quelle qu’ait été la genèse des évènements actuels, nous ne pouvons
rester passifs devant cette situation. C’est un fait, mais la réponse ne peut
être simple.
Premièrement, nous sommes toujours la veille d’un lendemain. Jusqu’à
présent, nos réponses ont été uniquement de nature tactique, prenant en
compte des situations passées ou présentes, mais jamais leurs conséquences
dans l’avenir. Le futur se construit aujourd’hui et nos réponses aux
problèmes d’hier doivent être prises en fonction des répercussions qu’elles
auront demain. Elles doivent s’inscrire dans une cohérence de long terme et
éviter de générer des problèmes supplémentaires. En admettant que nous
arrivions à éliminer l’État islamique, quelle sera la situation en Syrie ?
L’opposition restante (qualifiée de « modérée ») sera-t-elle moins radicale
que ne l’était l’État islamique ? Nous connaissons déjà la réponse à cette
question : « Non », et la Libye nous en fournit un exemple. Nous trouverons
les mêmes forces islamistes – sous un autre nom – contre le régime syrien,
surtout s’il a été changé sous la pression des Occidentaux. En admettant que
le régime de Bachar al-Assad soit éliminé, comment le pouvoir sera-t-il
configuré ? Qui sera alors l’interlocuteur de l’Occident dans un processus
de reconstruction ? Ici également nous connaissons la réponse : dans l’état
actuel des choses, ce seront des islamistes.
Deuxièmement, concernant le Proche et Moyen-Orient, nous devons –
et devrons toujours plus – comprendre et tenir compte de perceptions basées
sur une lecture différente des réalités. En considérant que nous avons
significativement déformé la réalité des choses jusqu’à présent, nous
devrons admettre que nos adversaires puissent avoir une autre vision, qui
peut être plus pertinente, du passé. Ceci d’autant plus que cette perception
sera toujours plus présente au sein même de nos propres sociétés et, avec
humilité et subtilité, nous devons l’accepter, pas nécessairement pour
changer nos objectifs, mais pour les formuler et les atteindre plus
intelligemment.
Finalement, l’histoire de ces 35 dernières années montre que nous avons
systématiquement répondu à un problème en en créant un nouveau. En
particulier, parce que nous n’avons pas su moduler nos outils de réponse.
Nous répétons à l’envi qu’il « n’y a pas de solution militaire » aux conflits
irakien, afghan, libyen et syrien. Mais nous n’avons jamais été capables
d’engager d’autres moyens que la guerre. Or, pour contenir l’islamisme il
faut en amortir le choc, plus que tenter de le bloquer net. Par analogie avec
les arts martiaux, on constate que l’Occident privilégie le karaté – en cher-
chant à frapper un adversaire trop agile pour lui – alors qu’il devrait
pratiquer l’aïkido – en utilisant la force de l’adversaire lui-même pour le
neutraliser. Il est significatif de constater que le seul pays où la « révolution
arabe » semble avoir fonctionné est le seul pays où l’Occident ne soit pas
intervenu : la Tunisie.
Nous ne pouvons pas vaincre le terrorisme en pourchassant des
terroristes. C’est un véritable rocher de Sisyphe, rendu quasiment
impossible par la nouvelle doctrine des Djihadistes. Si nous voulons avoir
un succès contre le terrorisme, il nous faut nous pencher sur ses causes
réelles, et non sur les causes que nous avons imaginées ces dernières
années.
Par leurs errements, les gouvernements américain, britannique et
français ont été les principaux promoteurs du terrorisme islamiste. Il n’y a
pas de remède miracle à cet état de fait, mais nous pouvons éviter qu’il se
développe dans le futur en portant un regard plus objectif, plus critique et
mieux informé sur nos propres activités dans le monde et l’intégrer dans
nos décisions. Il nous faut adopter une attitude plus retenue, plus mesurée et
plus intelligente, dont le but est de retirer aux terroristes la substance qui
nourrit leur détermination et leur audience.

« Ceux qui peuvent vous faire croire en des absurdités


pourront vous faire commettre des atrocités. »
Voltaire

1. Sun Tsu, The Art of Strategy, (traduit par R.L. WING), New York, 1988, Livre III.
2. Philip Smith, Why War? - The Cultural Logic of Iraq, the Gulf War, and Suez, University of
Chicago Press, 2005.
3. Pauline Fréour, « 2012 : un sondage donne Le Pen devant DSK et Sarkozy », lefigaro.fr, mis à jour
le 8 mars 2011.
4. Maxime Vaudano, « Chômage : le biais de François Hollande », lemonde.fr, 29 juillet 2015.
5. Nous admettrons ici que pour les États-Unis, l’intervention en Irak pouvait constituer une sorte
d’obligation morale, compte tenu que le problème est arrivé en raison de leur manque de
jugement.
6. The XX Committee, The Lessons of Mali, 16 janvier 2013
(http://20committee.com/2013/01/16/the-lessons-of-mali/)
7. Interview de Manuel Valls, France Inter, 11 décembre 2015.
8. Sun Tsu, L’art de la Guerre, Wikisource (https://fr.wikisource.org/wiki/L%E
2%80%99Art_de_la_guerre). (Sun Tsu, Chapitre 12 – L’essence du triomphe, The Art of Strategy,
traduction de R.L. Wing, Dolphin/Doubleday, New York, 1988).
9. « Pour Valls, il ne peut y avoir d’ “explication” possible aux actes des Djihadistes », lefigaro.fr, 9
janvier 2016.
10. Ibid.
11. « Either you are with us or you are with the terrorists », YouTube
(https://www.youtube.com/watch?v=cpPABLW6F_A)
12. « The Extinction of the Grayzone », Dabiq Magazine, n° 7, p.54.
13. « The Extinction of the Grayzone », Dabiq Magazine, n° 7, p.66.
14. Vice Emir de la Base du Djihad dans la Péninsule Arabique, Inspire Magazine, n° 2, automne
2010, p. 44.
15. Voir « From Hijra to Khilafat », Dabiq Magazine, n° 1, pp. 34-40.
16. « Afghan conflict: What we know about Kunduz hospital bombing », BBC News, 25 novembre
2015.
17. Rod Nordland, « U.S. General Says Kunduz Hospital Strike Was ‘Avoidable’ », The New York
Times, 25 novembre 2015.
18. Christopher Hope, « Tony Blair “could face war crimes charges” over Iraq War », The Telegraph,
6 janvier 2015.
19. « UK government dismisses petition to arrest Netanyahu », Times of Israel, 26 août 2015.
20. Mémorandum du 16 octobre 2003, de Donald Rumsfeld (Secrétaire à la Défense), adressé à
diverses personnalités du département de la Défense : général de l’Air Force Richard Myers, chef
du Joint Chiefs of Staff; vice-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz; général des Marine Peter
Pace, vice-chef du Joint Chiefs, et Douglas Feith, sous-secrétaire à la Défense pour la Stratégie
(USA Today, 22 octobre 2003).
21. NOVOpress, « Djihad : en 18 mois, +100 % de combattants Français en Syrie, +200 %
d’“impliquées” », 19 mai 2015.
22. http://www.dailymotion.com/video/x2qnlp1_Djihadisme-le-nombre-defrancais-impliques-en-
hausse-de-203-par-rapport-a-2014_news
23. Eric Schmitt, « In Battle to Defang ISIS, U.S. Targets Its Psychology », The New York Times, 28
décembre 2014.
24. La « Loi de Parkinson », énoncée en 1955, stipule qu’une « tâche nécessite toujours tout le temps
dont on dispose pour l’effectuer ».
25. « Le Renseignement est pieds et poings liés », 20 Minutes, 17 novembre 2015.
26. En France : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la Direction du
renseignement militaire (DRM) ; en Grande-Bretagne : le Secret Intelligence Service (SIS) ; en
Italie : l’Agenzia per le Informazioni e la Siccurezza Esterna (AISE) ; aux États-Unis : la Central
Intelligence Agency (CIA) ; en Allemagne : le Bundesnachrichtendienst (BND).
27. Jan Narveson, « Terrorism and Morality », Violence, Terrorism, and Justice, Ed by R.G. Frey &
Christopher W. Morris, Cambridge University Press, New York, 1991.
28. https://www.youtube.com/watch?v=pFdBtZgnHlE
29. « Âgé de 8 ans, il est entendu pour apologie du terrorisme », Europe 1, 29 janvier 2015.
30. Patrick Bèle, « Donald Trump veut interdire l’entrée des musulmans aux États-Unis », lefigaro.fr,
8 décembre 2015.
31. Conseil de l’Union européenne, 30 novembre 2005 – Stratégie de l’Union européenne visant à
lutter contre le terrorisme (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?
uri=URISERV%3Al33275).
32. Shlomo Shamir, « Study: Israel Leads in Ignoring Security Council Resolutions », Haaretz, 10
octobre 2002.
TABLE DES MATIÈRES

Préambule

LES ACTEURS
Les États-Unis
Une histoire de manipulations
Des intérêts sans stratégie
Le bouleversement programmé du Moyen-Orient
Israël
Une Histoire entre mythes et réalités
Territoires occupés et frontières
La stratégie du chaos
L’Iran
L’Iran et son environnement stratégique
Un contexte régional bouleversé
La Turquie
L’Arabie Saoudite et les Émirats

« AL-QAÏDA », LE MYTHE FONDATEUR


Les racines historiques
Une invention américaine
Oussama Ben Laden innocent ?
Après le « 9/11 » – Entre fantasmes et réalité
La dimension asymétrique du Djihadisme
Les attentats de Madrid et Londres
Une machinerie terroriste mal comprise

À LA SOURCE DES PROBLÈMES


La première guerre du Golfe – le péché originel
La naissance d’une doctrine djihadiste
Les frappes de 1998 – La route vers le 11 Septembre
Le 11 Septembre
La guerre en Afghanistan
Les Taliban et « Al-Qaïda »
La confusion des genres
La guerre en Irak
Caprices américains – Incapacité européenne
Mensonges et incompétences britanniques
La deuxième naissance du Djihadisme
La guerre en Libye
Un mandat détourné
La préparation de la crise syrienne
La guerre en Syrie et la montée de l’État islamique
La Syrie – La confusion entre les deux Assad
La rébellion syrienne et son soutien occidental
L’intervention russe
Caricatures et démocratie
Qui maîtrise le passé, maîtrise le présent
L’Occident dans son carcan intellectuel
Les attentats de 2015 en France
La politique de l’autruche

LE TERRORISME DJIHADISTE AUJOURD’HUI


Définition
Djihad et guerre asymétrique
La prééminence de l’intention sur le résultat
La notion de victoire
La notion d’espace
La nature du terrorisme
Les djihadistes – psychopathes ou fous ?
Un profil inattendu
Une dimension religieuse mal comprise en Occident
Le « Djihad ouvert »
Principes de base
Théorie militaire de l’Appel à la Résistance Islamique Globale
(ARIG)

LE CONSTAT
Une société en mutation
Une vision ethnocentrique du monde
Le nouveau logiciel de nos sociétés
Le mythe de la puissance américaine
Le mirage du renseignement électronique
Quelle sécurité ?
Les services de renseignement
Un déficit analytique chronique
« Intelligence-led Operations »
Le renseignement et la lutte contre le terrorisme
Guantánamo
La conduite de la guerre
La torture – Erreur tactique et trahison stratégique
Contre-terrorisme ou antiterrorisme ?
L’action préventive : le contre-terrorisme
L’action préemptive : l’antiterrorisme

CONCLUSIONS
L’agressivité, symptôme de faiblesse gouvernementale
Comprendre n’est pas accepter
Comprendre le changement de paradigme
La dimension asymétrique de la guerre
Une faiblesse chronique – le renseignement stratégique
À la recherche de solutions
Poser le problème correctement
Adopter une attitude critique
Anticiper
Achevé d’imprimer par
Laballery,
en avril 2016
N° d’imprimeur : 603411

Dépôt légal : avril 2016

Imprimé en France

Vous aimerez peut-être aussi