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Héritage de lesclavage [i transatlantique et conduites actuelles des travailleurs pauvres au Brési Valérie GANEM Résumé : Dans cet article, il s’agit de montrer @ grands traits les possibles liens entre des stratégies de défense collectives adoptées par les travailleurs et les travailleuses pauvres au Brésil et Uhistoire de Pesclavage transatlantique tel qu'il a été pratiqué dans ce pays. L’in- vestigation qui a permis d’identifier ces liens a été menée a partir de trois enquétes de psychodynamique du travail et d’une synthése histo~ Tique s’appuyant sur une analyse de textes publiés par des historiens sur ce sujet. I a ainsi pu étre montré que les conduites de soumission des travailleurs et des travailleuses pauvres et leur allégresse défen- sive pouvaient, au moins en partie, trouver leur origine dans Uhis toire de V'esclavage dans ce pays. La pratique du « tumnover » comme Stratégie de résistance utilisée par les travailleurs et les travailleuses énidié.e.s, quant & elle, n'a pas pu étre mise en lien avec histoire de Vesclavage. ors du 10° Cippr, j’ai présenté des enquétes de pot que j’ai réa- lisées auprés de travailleurs et de travailleuses pauyres au Bré- sil. Comme ces enquétes ont déja fait I’ objet d’un article publié dans la Nouvelle Revue de psychosociologie (Ganem, 2018), je n'y Teviendrai que de maniére tres synthétique. Ces enquétes s'inscrivent dans une recherche plus générale sur analyse des incidences de Vhéritage de l'esclavage transatlantique Sur les conduites actuelles au travail en Guage iee Ge Bs Hans Cet article, je vais tenter de mettre les résultats de ces enquétes en 53 Valérie Ganem ‘esclavage au Brésil et tenter d’analyser histoire de 1’ c Ha nae aie Jes conduites actuelles des travailleurs pauyres traits les sil et histoire de l’esclavage dans ce pays. Je n’évoquerai pas un chainon de comprehension qui s'est Pourtan, : comme indispensable dans 1 analyse de ce incidences : jeg Tela. pea les adultes et les enfants, du fait que l’analyse de cet Aspect ay Bali est encore en cours de finalisation. Pour tenter d’analyser Vhéritage de Vesclavage transatlantique Sur Jes conduites actuelles au travail, j’ai mis au point une méthode que ia qualifiée d’« historico-clinique ». Je la présenterai dans une premire pay. tie. Je reviendrai ensuite sur les éléments saillants qui Sont ressortis des enquétes de pp dans une deuxiéme partie. Je terminerai par I’histoire qe Tesclavage au Brésil telle que je l’ai comprise et analysée dans une tro; siéme partie et je conclurai sur les premiers liens qui se dessinent entre ce; deux éléments. Stands au Bre Une méthode historico-clinique Ma thése (Ganem, 2007) avait montré que, pour comprendre une situation de travail aujourd’hui, il fallait prendre en compte l’histoire de lz nation, en l’occurrence I’esclavage transatlantique, les relations entre les adultes et les enfants et le rapport subjectif au travail ; sinon on Tisquait de tomber dans des préjugés naturalisants, comme cela avait été le cas en Guadeloupe avec les conduites défensives de résistance et de désobsis Sance au travail salarié (Ganem, 2012). Vanalyse ne devait done pas seulement se focaliser sur le tavsil méme si cette premigre approche apparaissait primordiale. II fallait fin pat Prendre en compte la « situation dominante » des travailleurs *! travailleuses concemé.e.s comme I’écrivait L. Le Guillant (1984). P) Soe Poses de la Psychopathologie du travail, dans son étude « Ine Psychopathologique de la condition de bonne & tout faire » : «[.. ualifong dota soumes finalement venus a L’éude de situations pesent si lourdement quit et que je définirai tres b ment, Ce SoH Sion et que leur inftuerac t mPossible de se soustraire entirement I ce transparait presque toujours a travers la trae et souvent ‘ i h t ; mal dessinge oy indéchiffrable d’une existence » (p. 295): { Pour ii faire, celuj an ee Propos, il citait, au-dela du cas des bonnes Publique et des juts, #MS Musulmans A Paris, des pupilles de !’ Ass! Travailler, 2020, 44 : 53-70 La situation dominante qui m’intéressait en l’occurrence était celle de I’héritage de I’esclavage transatlantique. J’avais pu en effet montret, dans ma thése, toute I’horreur que constituait cette pratique en termes de transplantation et d’exploitation et I’analyse de cette situation extréme s°était donc avérée heuristique pour la clinique du travail. Pour mieux cerner les tenants et les aboutissants de la situation dominante de I’héritage de ’esclavage transatlantique, j'ai décidé, apres ma thse, d’analyser la situation du Brésil od l'esclavage avait sévi €gale- ment et oi, pourtant, les travailleurs et travailleuses me semblaient adopter des conduites trés différentes, vis-a-vis de la domination en particulier. Ces conduites, contrairement a celles qu’ adoptaient les Guadeloupéen.ne-s, me paraissaient trés soumises dans le cadre de l'emploi. Ma premitre rencontre avec un employeur, dans ce pays, m’avait confortée dans cette observation. II s’agissait du directeur d’un grand hotel ARio de Janeiro ; j’ ai €voqué avec lui les conduites de résistance et de déso- béissance dans le cadre du travail salarié en Guadeloupe (Ganem, 2012). Tiles avait bien connues pour avoir débuté dans ses fonctions de directeur dans cette ile, il avait vécu une grosse gréve au sein de I’hotel qu’il diri- geait et avait méme été séquestré a cette occasion. Tl avait alors affirmé : “Le Brésil, c’est le paradis pour un employeur », en faisant référence a la soumission des travailleurs et travailleuses. Crest ainsi que j’ai décidé d’ utiliser la démarche que javais mise en ceuvre en Guadeloupe pour analyser Ja situation au Brésil’. Dans la recherche comparative que j’ai entreprise, du fait de son objet bien parti- culier, ce sont les dynamiques historiques qui sont prises comme point de départ. Cependant, les possibilités d’emplois offertes dans Te milieu étu- dié se sont imposées dans le discours des participant.e.s comme une autre us le verrons. Le point d’entrée dans dynamique a prendre en compte. Not is de tenter de résoudre cette comparaison, I’énigme que je me propo Giait donc la suivante : comment expliquer les différences des conduites actuelles des travailleurs et des travailleuses qui avaient vécu l’esclavage -vis de la domination, sur ces deux terrains ? transatlantique vi Pour analyser les incidences de cette situation dominante que consti- tuait Phéritage de Vesclavage transatlantique sur les conduites actuelles ‘au Brésil sans la contribution de Selma Lane Francisco Moura Duarte, arouquella Brasil, Antonio 1. Je n’aurais pas pu mener ces investigatio man, Laerte Idal Sznelwar, Seiji Huchida, Ivete Da Souza Yavi Claudia Osario, Boubakar Sanfo, Kabemgélé Munanga, Kat Brasil et Martha Veras Rodrigues, je les remercie. Valérie Ganem es au Brésil, j'envisageais donc, comme 5 i s et travailleus ie i je des travailleurs et hode suivante, que j'ai qualifiée q,, his. Pavais fait en Guadeloupe, la mét torico-clinique » + Phase 1 : Investigations collectives de type clinique concernant le travail Rai, ise Objectif : Analyser le rapport subjectif au pul : 1a domination en particulier a partir de demandes issues de situations concrétes de trayaiy Public : Travailleurs et travailleuses Pauvies: qui, au Brésij taient, Ie plus souvent aussi, les plus noire.s de peau’ et, par conséquent, des descendante.s des personnes mises en esclavage. Les travailleurs et tra- vailleuses pauvres avaient été peu étudié. par les Partenaires historiques de I’équipe de recherche de Christophe Dejours au Brésil qui menaient pourtant des enquétes depuis plusieurs décennies dans ce pays. Méthode d’intervention : Celle de la psychodynamique du travail (pbr). Elle m’apparaissait clairement comme la plus pertinente pour a lyser le rapport subjectif au travail et a la domination en particulier. Je me suis suffisamment attardée sur cette méthode dans d’autres publications (ex. : Ganem, 2019) pour ne pas y revenir ici. Phase 2 : Etude documentaire historique sur les pratiques de travail au temps de l’esclavage Objectif : Rassembler des données sur 1’évolution, depuis l’esc! vage, des modalités d’organisation du travail et sur les nements m: quants qui ont ponetué l’histoire de la société concernée. Méthode : Réaliser une synthése de ces données i partir de revues et d’ouvrages qui cherchaient a reconstituer cette histoire ou qui abord: plus précisément ce theme du travail, Phase 3 : Investigation clinique indiyiduelle des relations entre Jes adultes et les enfants Profil des participant. tions collectives sur le travail, Participant.e.s volontaires des inves pM ia 2, Uaude 2018 de I'InGE sur Jes ings Par exemple que : 68,6 % 244% des députés fedér; galités sociales, selon Ia couleur et la des fonctions d’encadrement sont occupées pa aux élus sont Marrons (Pardos) ou Noirs (Pretos) Travailler, 2020, 44 : 53-70 Objectif : Comprendre comment le chainon des relations entre les adultes et les enfants opére dans le processus qui relie ’histoire de l'escla- vage et le rapport subjectif au travail et a la domination en particulier. Méthode : Réaliser un premier entretien de type clinique a partir d'une consigne initiale qui est définie au regard des résultats des deux premieres phases. Aprés I’entretien, réaliser un rapport a présenter et vali- der par les participant.e.s concerné.e.s. Lors du deuxigme entretien, valider ce rapport. II pouvait aussi étre l'occasion pour moi de poser d’ autres ques- tions, d’approfondir un peu les choses, de réparer les erreurs commises lors du premier entretien. Lors du 10° Ciprr, jai présenté les trois enquétes de ppt que j’avais pu faire auprés de travailleurs pauvres Brésiliens, et sur lesquelles je reviendrai bri¢vement maintenant. Rappel des éléments saillants ressortis des enquétes de ppT Comme je I’ai précisé, 1a psychodynamique du travail est prati- quée depuis de nombreuses années (trente ans environ) au Brésil. Mais, jusqu’a présent, les résultats des enquétes réalisées par les collegues bré- siliens montraient un rapport subjectif au travail tres proche de celui qui était décrit en France (Sznelwar et Massetti, 2002 ; Sznelwar, Moreira Leite et Bruno, 2011 ; Karam, 2010). Cela était étonnant, car d’autres recherches en Colombie (Molinier et Cepeda, 2012) ou en Guadeloupe (Ganem, 2012) avaient montré que le rapport subjectif au travail pou- vait étre lié & espace historique, social et-ou culturel dans lequel il existait. Fai done formulé l’hypothése que cette similitude des observa- tions au Brésil et en France pouvait s’expliquer par le fait que, jusqu’a présent, les interventions effectuées antérieurement au Brésil par nos collégues brésiliens, avaient porté sur des populations de travailleurs de niveau de qualification moyen ou élevé (banquiers, ouyriers de la « Petrobras », juges...). J’ai donc entrepris, depuis 2013, trois enquétes portant sur des travailleurs pauvres afin de vérifier cette hypothése Ventends par travailleur pauvre, un travailleur qui gagnerait un salaire minimal ou moins, La preuve qu’un salaire minimal de suffit pas pour vivre, au Brésil : il est d’usage de mentionner les revenus en nombre de salaire minimal. 37 Valérie Ganem fs Faeroe La premiére enquéte concernait des ouvriers recuiee en i vaillaient dans une grande entreprise de oe pers ers : in- ding a Brasilia. La demande d’ intervention De ee ae anaes i grand employeur du secteur et d’un syndicat charg meme” la santé et de la sécurité des travailleurs de la Co . La deu. res* membres d’une coopérative de xidme enquéte portait sur des catador aes porate sélection ig déchets non alimentaires dans une petite ule la périphérie de Brasilia, Celle-ci était demandée par le secrétariat 4 l’environnemeny een tion, elle s’intéressait aux de la commune, Quant a Ja troisiéme intervention, es ctpiyees d’un hotel a Rio de Janeiro. Cette derniére avait été initiée par Ja direction du groupe auquel appartenait cet hotel. A issue de ces trois enquétes sont apparues des stratégies de défense spécifiques aux travailleurs pauvres (Ganem, 2018). Est réappa. rue, ainsi, une stratégie défensive déja décrite par C. Dejours dans son ouvrage Travail ; usure mentale (1980) concernant le « sous-proléta- riat » et qu’il avait caractérisée comme « Idéologie de la honte », faisant référence aux conduites de ces personnes vis-a-vis de la maladie. Je l’ai tebaptisée pour l’occasion comme une stratégie de défense de la « lutte pour la survie ». Elle se caractériserait par la mise a distance du risque de mise hors d’état du corps au travail pour lutter contre l’anxiété susceptible d’étre provoquée par cette situation qui engagerait la survie des travailleurs et des travailleuses ainsi que celle de leur famille. Elle se manifesterait chez les travailleurs et travailleuses pauyres au Brésil lorsque leur activité massurerait que leur survie. Elle s’accompagnerait d’un désintérét pour Je contenu du travail et pour la santé de son corps et prendrait la place des stratégies de défenses liées au métier, comme j’ai pu l’observer pour le collectif d’ouvrier.e.s du batiment, Lorsque les travailleurs et travail- leuses n’auraient pas d’autres Opportunités de travail A proximité, ils/elles seraient parallélement contraint.e.s de se soumettre et d’adopter une autre stratégie de défense qui passerait par I’allégresse dans les rapports sociaux de travail, celle-ci leur éviterait de penser leur condition de travailleur et travailleuse exploité.e, comme nous avions pu nous en rendre compte lors de V'enquéte auprés des catadores. Lorsque les travailleurs et travailleuses auraient d’autres opportunités de travail proximité, ils/elles pourraicnt alors user du turnover comme stratégie de résistance, cette fois, et cela serait effectivement de nature & handicaper beaucoup le fonctionnemen Torganisation de travail ; ’avais pu m’en rendre compte lors de I’ _ tion dans I’hétel de Rio de Janeiro, Sila été considéré comme une prati onli emasculin, car ce sont majortarement des hommes qui Honnier ou sélecteur de déchets, aillent dans ce Se Travailler, 2020, 44 : 53-70 des entreprises dans le secteur de la construction civile (Ferreira da Cunha, 2015), il s’avére que, dans I’hotellerie, le turnover puisse relever d’une stratégie de résistance des travailleurs et travailleuses. Je vais maintenant rendre compte de I’étude de l’esclavage tel qu'il a &é pratiqué au Brésil et qui constitue la deuxiéme étape de la méthode historico-clinique. Histoire de l’esclavage au Brésil Létude que j'ai menée A propos de I’histoire de l'esclavage ne constitue pas un travail d’historien. 11 s’agit d’un recueil d’informations & partir de travaux d’historiens publiés dans les revues ou dans des ouvrages oi ilséelles font eux-mémes cette synthése, ou dans d’autres études histo- riques qui analysent plus particuligrement les éléments qui m’intéressent Mes recherches bibliographiques m’ont amenée a constater que le travail des esclaves dans les plantations et les grandes maisons ne diffé- rait pas beaucoup de celui que j’avais décrit pour la Guadeloupe ; je n’y reviendrai donc pas. Par ailleurs, je ne traiterai pas non plus des rébel- lions d’esclaves qui ont pourtant eu lieu au Brésil, plusieurs ouvrages en témoignent®. J°ai fait également le choix de ne pas évoquer dans cette étude les suicides et infanticides parmi les esclaves qui furent pourtant fréquents tant en Guadeloupe qu’au Brésil et qui constituent une forme de résistance au systéme esclavagiste bien particuligre. Je ne traiterai pas non plus de deux autres éléments constitutifs du rapport de force entre esclaves et pro- priétaires en Guadeloupe comme au Brésil : l’automutilation et 'usage du poison. Tous ces aspects étant communs aux deux terrains, il ne m’a pas semblé prioritaire de les approfondir dans le cadre de cette comparaison. En analysant Vhistoire de l'esclavage au Brésil, il m'est apparu plus clairement que les pratiques du jardin (roca), de lescravo de ganho et de laffranchissement entraient dans toute une stratégie de la part des Propri¢taires. Par V’intermédiaire de ces pratiques, il s'agissait pour ces demiers d’ obtenir I’ obéissance et l’engagement des esclaves dans leur tra- vail, indispensable au fonctionnement de leu merces. C’est pourquoi j’ai analysé, Ces pratiques au temps de I’e ss industries et de leurs com- en particulier, la forme que prenaient lavage au Brésil. Je m’intéresserai ensuite 5, Noir notamment Reis J. (1988) ; Reis J. & Silva E, (1989) ; Schwartz S,, 1992, roceiros € rebeldes. EDusc, Sio Paulo ; Steiger de Assis Moura C., 2014, Rel sencala: quilombos, insurreigdes, guerrilhas, Sio Paulo, Anita Garibal ravos, belides da di Valérie Ganem historiens portant sur deux autres jg, taux et originaux, caractéristiques, de fuite et les quilombos. plus particuligrement aux textes des ments qui me semblaient fondament Thistoire de l’esclavage au Brésil : 1a Le jardin des esclayes au Brésil : les rogas Dans son ouvrage Roceiros e Rebeldes, Stuart Schwartz (1999) écrit : in qu’il ait existé un droit des esclaves & la proprigys «Il est presque certain qu’il ait exist i ae (Rogas} et dun pertain degré d'autonomie résultant dune série constante et mu tive accords et de négociations qui variaient d’une région a autre, ov mémg une plantation a Pautre, avec le temps®. » (P. 105.) Toute la documentation montre, il est vrai, que les esclaves ont sy mettre a profit tous les moyens possibles et imaginables pour atténuer Ja faim et le déséquilibre de leur ration alimentaire. «Les narrateurs de I’époque ainsi que les historiens modernes rappelient [..-] que les esclayes complétaient leurs maigres rations par la cueillette de fruits sauvages, par la chasse de petits animaux et que la plupart des maitres les autor: saient 8 cultiver de petits potagers (Rocas) ou a élever quelques animaux (poules, canards, pores, etc.). » (Mario Maestri, 1991, p. 97.) Pour Mario Maestri, c’est probablement a partir du xvr siecle que certains propriétaires permirent d leurs esclaves d’exploiter de petits pota- gers ou d’élever des animaux domestiques pour leur propre compte. Mais. Pour cet auteur, il est indiscutable que l’importance de ce phénoméne a été Surestimée. Aussi bien au Brésil que dans le reste de DP Amérique, de nom- breuses exploitations esclavagistes n’ont concédé aux esclaves ni le temps ni le droit d’exploiter ces Potagers. Joao José Reis (1988), quant A lui, déclare que la pratique de per mettre aux esclaves ruraux de cultiver ces rocas et de vendre les excé dents Sur les marchés locaux était trés généralisée. Dans l’ouvrage qu'il signe avec Eduardo Silva : Negociagao e conflito. A resisténcia ne, Brasil escravista en 1989, les auteurs, sans nier que la bréche paysanne ait joué un réle économique important (minimiser les coats de maintiet et de reproduction de la force de travail des e: ont cherché § Y ote He role des rogas comme mécanisme de controle de la forve ‘ano ——___ 6, Traduit i Hh i ape en stoi part i texte suivant : « E quase certo que ae 3 “mutdvel deacordore lide ¢ certo grau de autonomia resultassem de uma séria const ee aes que variayam de uma tegiao para outra, ou mes!" ‘atifndio para outro, Como tempo. » (P. 105, Travailler, 2020, 44 : 53-70 Pour appuyer leurs propos, ils citent le Baron de Pati dans un recueil de conseil de gestion de la plantation a I’attention de son fils : " «Lillusion de la propriété “distrait” de I'esclavage et enchaine plus que tout autre vigilance féroce et dispendieuse, I'esclave a la plantation. Il “distrait” aussi, en méme temps le maitre de son rdle social, le rendant plus humain & ses propres yeux’. » (P. 31,) Reis et Pena (1989) précisent que les esclaves luttent tant pour maintenir que pour développer ce droit. Pour illustrer leur propos ils citent Vexemple «des esclaves qui se sont rebellés au xvi sitele, sur la plantation Santana de IIhéus (nord-est) Ils exigeaient clairement, parmi leurs con: le travail, augmentation de “la bréche paysanne campagnarde’ Schwartz nous en dit plus sur cette rébellion ; il s’agit de l'ensemble ives d’une plantation qui a volé une partie des installations et s’est réfugié dans les bois sans qu’ils ne puissent en étre délogés. Les esclaves fugitifs et fugitives ont ensuite proposé un « traité de paix » au propriétaire. Schwartz revient sur ce traité, rédigé par les rebelles fugitifs et fugitives en 1789, qui listait leurs conditions pour reprendre le travail : «Plus intéressant, du point de vue de l'autonomie des esclaves, sont les paragraphes relatifs & l'un de ses aspects : la subsistance. Premigrement, les esclaves demandaient Je vendredi et le samedi sans travailler afin que ces jours, et les dimanches auxquels ils avaient déja le droit, ils puissent se dédier au travail sur leurs propres terres. Ils voulaient le droit de cultiver du riz et de couper du bois autant qu’ils le youlaient, Ils demandaient aussi que leur soient fournis des canots et des filets, pour leur permettre de compléter leur subsistance. [...] A c6té de leur désir de “se divertir®, d’étre en congé, et de chanter sans demander I'autorisation”, Tes exigences relatives aux horaires de travail indiquent une forte inclinaison vers les opportunités offertes par l'économie et le travail autonome ". » (P. 113.) 7. Traduit par mes soins & partir du texte suivant : «a ilusio de propriedade “distrai” da eserayidio e prende, mais que uma vigilincia feroz ¢ dispendiosa, o escravo a fazenda, “Distrai”, ao mesmo tempo, o senhor do seu papel social, tornando-o mais humano aos scus préprios olhos » ir du texte suivant : « dos escravos que se rebelaram no século XVill, no engenho Santana de Iihéus. Eles exigiam claramente, entre as condiges para vol- tarem ao trabalho, a ampliagdo da “brecha camponesa” » (p. 31). 9, Je reviendrai sur les éléments mentionnés en italiques. 10, Traduit par mes soins & partir du texte suivant : « Mais interessantes, do ponto de vista da autonomia dos escravos, sio 0s pardgrafos relativos a um de seus aspectos, a subsistén- ia, Primeiro, os escravos pediram sextas e sabados sem trabalhar na roga, para que ness dias, e1nos domingos, aos quais jé tn 0, pudessem dedicar-se ao trabalho em seus pr6prios lotes, Queriam o direito de plantar arroz e cortar madeira sempre que desejassem, ‘Também pediam que lhes fornecessem canoas ¢ redes, o que Ihes permitiria complementar 8. Traduit par mes soins & A subsisténcia, [...] Junto com seu desejo de “brinear, folgar e cantar sem precisar de auto- rizago”, as exigéncias relativas « horirio de trabalho indicam forte impulso na diregio de ‘oportunidades de economia ¢ trabalho autonomos. » (P. 113.) Valérie Ganem traité de paix Lhistoire s'est mal finie, le maitre a feint d’accepter al s r et a saisi la premidre occasion pour faire arréter les leaders ou les vendre. Pour Schwartz, mais on ne y i ilienne tyPid4er Mune série «Santana n’6tait_pas une plantation brésil sait toujours pas si les exigences de ses esclaves rebelles reps es ‘autres et aspirations qui indiquaient la direction des espérances esclaves brésiliens"'. » (P. 114.) iste, en don- La roca en ouvrant une bréche dans le sys pects ieee. nant aux esclaves V'illusion de la propriété et done e Ee ition Fifeaclave vail pour soi », aurait rendu un peu moins pénible Ia ee ral es au Brésil, comme je l’avais constaté en Curae fee afeiche qui esclaves n’avaient pas le samedi pour s’occuper de ce! ie re. leur était allouée. Du coup, le choix qui s’offre @ ay ou Be oe i voir se divertir et se reposer pendant leur temps de oad ae faim (nous avons vu que les propriétaires brésilien.ne.s rece « chiches » dans la ration allouée aux esclaves que les Guadel nie i 8), ou s'épuiser & cultiver leur roca, avoir ainsi une alimentation ce pe eure qualité et jouir de cette illusion de la propriété. Si on en croit Reis et Silva, les esclaves auraient été enclins 4 choisir la deuxiéme et auraient revendiqué le droit d’ avoir du temps pour s‘occuper de leur roca. Pour les esclaves, dés le départ, la quéte de liberté passera par le tra- vail. La culture d’un jardin pour se nourrir est le premier espace de liberté dans lequel ils peuvent réaliser un « travail pour soi ». Les esclaves l’inves- tissent comme tel en Guadeloupe comme au Brésil. Dans ce pays, les conditions semblent plus difficiles, le temps offert pour la culture de ce jardin est pris sur celui du loisir et du repos. Malgré cela, les esclaves sont capables de lutter pour obtenir plus de temps pour profiter de cet espace qui leur est offert. Le systéme d’escravos de ganho qui équivaut a celui de I’« esclave de journée - travailleur indépendant » existant en Guadeloupe est une autre modalité du « travail pour soi » pourvoyeuse de liberté. Mais ces deux modalités maintiennent les esclaves dans le systéme esclavagiste. Si ils/elles veulent s’en libérer vraiment. al 1 deux options. La perspective de l'affranchissement, qu’en Guadeloupe d’une part, la fuite d’autre part. tiie ait Pa mes Soins particu texte suivant: « Santana nfo era um engenho brasil ae cele ae lt io Se sabe se a8 exigéncias de seus escravos rebeldes representa uma série de aspiragdes que indicavam a direcao da * eserves brass (tne ava A eso das esperancas ¢ dos objetivos deca lors il leur reste plus présente au Brésil 62 Travailler, 2020, 44 : 53-70 Je vais done, maintenant, développer chacune de ces modalités (escravo de ganho, affranchissement, fuite) qui s’offrent aux esclaves pour conquérir tun peu plus de liberté et la place du « travail pour soi » dans cette conquéte. Escravo de ganho Mario Maestri (1991), & ce sujet, déclare : «11 était inconcevable qu'un Blanc travaille comme magon, forgeron, memuisier, etc. Si un Blanc acceptait un travail, c'était ses esclaves qui Vexécutaient. » (P. 55.) Maestri (1991) souligne que les esclaves de métier constituaient un segment de l’esclavage urbain trés représentatif dans la société esclavagiste brésilienne. Dans les villes, ces esclaves avaient des possibilités qui, pour un. esclave de la campagne, étaient inconcevables. Is/elles furent les pro- tagonistes de moments singuliers de l'histoire sociale brésilienne et, selon cet auteur, ils/elles constituérent certainement les catégories d’esclaves qui modelérent de la maniére la plus significative la culture nationale. Pour gagner leur vie, ces esclaves pouvaient étre amené.e.s & exer- cer des métiers tres variés, L'auteur déclare que I’ approvisionnement des villes dépendait en grande partie de ces esclaves. IIs/elles vendaient des marchandises tres variées, selon la quantité déterminée par leurs maitres ou leurs maitresses, afin d’éviter les chatiments corporels. Certains Noirs libres vivaient également de ces humbles occupations. Katia M. de Queiros Mattoso (1979) précise que ces esclaves pouvaient réaliser des métiers tres précis comme cuisinier, cocher, brodeuse, couturiére, calfat, magon, chau- dronnier, charpentier ou lavandiére. Mario Maestri ajoute que les transports constituaient un véritable monopole esclave et une occupation traditionnelle pour les Noirs au gain. Ils/elles transportaient de tout dans des fardeaux, du plus petit au plus volu- mineux. Les bonnes maniéres interdisaient qu’un homme ou une femme libre se proméne dans les rues en portant un objet quelconque. Ce genre de travail, allié 4 une mauvaise alimentation, causait le rachitisme, des défor- mations physiques et un taux de mortalité tres élevé. Il ajoute que bon nombre de marins travaillant dans les ports fluviaux iers étaient des esclaves. Sur les marchés, d’aprés lui, on trouvait presque exclusivement des Noirs, esclaves ou libres, offrant fruits et bgumes, Jodo Reis (1988), quant A lui, déclare que les escravos de ganho tra- vaillaient dur pour arriver & obtenir un gain supéricur a ce qu’ils devaient & leur propriétaire afin d’assurer leur subsistance. II précise que ces excédents 63 Valérie Ganem ae ie ‘ teur lil 4 Gtaient aussi souvent investis dans le rachat par ces esclaves de réelle- Unique moyen pour eux de devenir des travailleurs et travail Ment autonomes, Laffranchissement De Alencastro (2011) déclare & ce sujet que + ii cipale soupape sur laquelle tablent Jes propriétaires {franchissement » (p. 42). éviter des «la pri est révoltes ir prix est fixé par arché. Beaucoup mort du ou de la Les esclaves peuvent acheter leur liberté. Mais be leur propriétaire qui peut le surévaluer par rapport os (affranchissements se font également par testament, propriétaire. . 106) rap- Dans un de ses textes, Daniele Santos de Souza (2014, p. 106) rap pelle que Stuart Schwartz (2001, p. 197) écrivait : 4 «Lexpectative de liberté favorisait les maitres dans leur eon edu maintien de la main-d’ceuvre dans une conduite ordonnée, obéissante os engagée dans l’obtention du pécule nécessaire 4 son iene a tant réve — vu que de “bons services rendus” était le prérequis fondamental pour le commen- cement d'une quelconque négociation 2, » De Souza (2014) ajoute, en s’appuyant sur les travaux de Eduardo Franga Paiva (2009) que : « Rapidement, la charte de liberté signifie pour beaucoup d’esclaves la forme a moins risquée d’obtenir la suppression immeédiate de leur captivité, portant avec elle une possibilité, au moins a terme, d’ascension sociale au sein du monde blanc En méme temps, cette stratégie finit par élaborer et modeler des comportements, dans certains cas pragmatiques eVou représentatifs, tant pour les esclaves que pour les maitres"*. » (P. 106.) Katia M. de Queiros Mattoso (1979), quant a elle, précise que le travail bien fait satisfait le ou la propriétaire dont l’esclave rémunére le capital et peut lui permettre de se constituer le pécule nécessaire au rachat de la liberté. Selon cette auteure, Pour étre libérée, il est donc indispensable Wavoir été une personne travailleuse, fidéle et obéissante. 12, Traduit par mes soins d partir du texte suivant: « A expectativa da liberdade fw o senhor no controle ¢ na manutengao de uma mio de Obre ordeira, obediente e morize engajada na obtengto de pecilio para a tao sonhada alforria visto que “bons servigos” Pre-requisito fundamental para o inicio de qualquer negociagio, » 15, Traduit par mes soins a partir du texte suivant: « Logo, a carta de liberdade sis scada de obter a supressio imediata do cativ que remota, de ascensao social dentro do mi sta estratégia acabou por elaborar ¢ moldar comp 98 €/ou Tepresentativos, tanto de escravos quanto de se Travailler, 2020, 44 : 53-10. Cependant, dans les faits, I’affranchissement s’avérait long et cod- teux A obtenir, au prix d’une fidélité et d’une obéissance sans faille au maitre ou a la maftresse. Ainsi au Brésil, la fuite apparait comme un autre moyen fréquent pour les esclaves d’accéder & la liberté, La fuite Lesclavage au Brésil a été pratiqué dans des métiers plus diversifiés qu’en Guadeloupe : extraction de l’or, élevage extensif, péche a la baleine par exemple. Dans le contexte de I’extraction de I’or et de I’élevage exten- sif, 1a possibilité de subtiliser de l’or et-ou la liberté accordée pour faire ce type de travail favorise les fuites d’esclaves. La fuite est aussi une maniére de conquérir sa liberté pour les esclaves dans tout le pays, le territoire étant rds grand, les possibilités de refuge au coeur de la nature sont nombreuses et il existe aussi des possibilités de coopération avec les Amérindiens. Pour Mario Maestri (1991), c’est la fuite des esclaves qui a le plus troublé le sommeil des propriétaires au Brésil. Pour lui, les dizaines de milliers d’annonces communiquant la fuite d’esclaves constituent, pour Ie xix sitcle, la preuve irréfutable du caractére endémique de ce phénoméne au Brésil. Katia de Queiros Mattoso partage ce point de vue (1979). Pour Isabelle Cristina Ferreira dos Reis (2001), Pidée de se libérer de la captivité était toujours dans les pensées de I’esclave. Elle raconte que de trés jeunes enfants esclaves disparaissaient seul.e.s. Elle ajoute que les esclaves s’ échappaient parfois en famille, en couple, avec leurs enfants ou non, entre fréres et sceurs ou entre amis et-ou collégues dune méme planta- tion. Elle raconte que les femmes étaient parfois amenées & fuir enceintes, avec d’autres enfants, seules ou avec leur compagnon. La plupart du temps, les esclaves fugitifs se réfugiaient dans des quilombos. Les quilombos D’aprés Mario Maestri (1991), les premiers quilombos sont appa~ rus au Brésil pen de temps apres introduction des premierere.s esclaves amené.e.s d’ Afrique. Pour cet auteur, l’existence de ces communautés, qui poss¢daient en général une population de l’ordre de 10 & 100 individus, a &é un phénomene systématique au cours de Vhistoite du Brésil, et ce, bien que 'historiographie traditionnelle ne se soit bomée qu’a en recon- naftre I’existence et n’ait conféré une certaine importance qu’au quilombo de Palmares, 65 Valérie Ganem Le quilombo de Palmares, fut effectivement le plus important. A Vintérieur de I’ Etat d’ Alagoas, il fut fondé au xvur siécle et devint, avec la figure Iégendaire de Zumbi (arrété et exécuté en 1695), le Comte a ia résistance contre’ T’ésclavape Il résista pentane esate immer contre les invasions des colons, invasions entte¢o Dep dey aamaaae oh paix et de prospérité, jusqu’a Ja chute de Macaco en 1694, Vassaut ae été mené par les mercenaires portugais appelés bandeirantes- Ce e a révolte d’esclaves la plus longue de I’histoire de Vhumanité. Zum ane aujourd’hui, pour les Brésiliens descendants d’esclaves noirs, symbole @orgueil et de fierté. Pour Mario Maestri (1991), les travaux des historiens des années 1970 ne sont pas parvenus & insérer les quilombos dans Te contexte plus général de V’histoire du Brésil. Les communautés Eeclave conti nuaient A étre pergues comme un phénoméne exotique, atypique a fondement afticain alors que, pour iui, des milliers d’hommes et de femmes ont vécu et sont morts dans ces communautés de producteurs libres. José Alipio Goulart (1972), quant @ lui, fait une reconstitution historique minutieuse de ce phénoméne au temps de V’esclavage. II affirme, a l’appui des travaux de Moreira Pinto (1899), que les qui- lombos étaient innombrables, qu’ ils se sont formés sur tout le territoire du Brésil ot se présentait la population d’esclaves la plus dense, les régions od on plantait la canne a sucre et le café, 1a od on pratiquait Vextraction miniére aussi. A tel point qu’ils ont fini par laisser une trace indélébile dans la toponymie" nationale. ; Lauteur précise aussi que beaucoup de quilombos, comme celui de Palmares, développaient sur leurs terres de véritables plan- tations 4 grande échelle ainsi que des ateliers de tissage, d’ artisanal ete. Les biens produits par ces quilombos étaient négociés avec ies commercant.e.s établi.e.s, le troc étant leur unique modalité d’ échanze Il s’appuie pour affirmer cela sur un texte de 1670 © Enfin, 1’ ‘ au folklore He constate que le quilombo a fini par étre incor shen, et qu'il a des réminiscences encore aujourd'h Travailler, 2020, 44 : 33-70 Conclusion Unhéritage principal de l'esclavage transatlantique en Guadeloupe comme au Brésil, c'est la hiérarchie sociale liée a la couleur de peau qui perdure aujourd'hui dans ces sociétés. Si on s'intéresse aux incidences de I’héritage de l'esclavage sur le rapport subjectif au travail actuel des travailleurs pauvres au Brésil, voici comment celles-ci pourraient étre analysées, Au bout du compte, dés le départ, dans le systtme esclavagiste transatlantique, en Guadeloupe comme au Brésil, le travail constitue Je meilleur instrument de conquéte de la liberté pour les esclaves. Ces dernier.e.s ainsi que leurs héritier.e.s l’ ont bien compris et mobilisent énor- mément d’énergie pour cela, contrairement au préjugé injustifié dont ils font I’ objet qui voudrait qu’ils soient fainéants. Le fait que les travailleurs et travailleuses brésilien.ne.s soient sou- mis.es dans leur emploi semble avoir un lien avec cette pratique de l’affran- chissement adoptée par les propriétaires esclavagistes brésilien.ne.s dans le but d’obtenir I’ obéissance et l’engagement dans le travail des esclaves. Lobéissance et la soumission indispensable pour obtenir |’affranchis- sement au temps de I’esclavage, nous I’avons vu, s’avéreraient toujours requises pour espérer une ascension sociale au sein du monde blanc, et cela expliquerait la soumission dans l'emploi que nous avons observée et qui nous a intriguée. On peut faire ’hypothése que ’allégresse défensive aussi serait héritée de ’esclavage, car il apparait que la Samba, qui célebre souvent Vallégresse, soit issue de l’esclavage et rappelons que parmi les conseils donnés a son fils pour la gestion de la plantation, un maitre esclavagiste écrit : ‘« Permettre et méme promouvoir le divertissement parmi les esclaves [...] qui se divertit ne conspire pas’” » (Reis & Silva, 1989, p. 29) Du cété des esclaves, rappelons que, dans leur « traité de paix » (1789), les esclaves fugitifs ct fugitives de la plantation Santana demandent : ‘ade se divertir, d’étre en congé, et de chanter sans demander 'autorisa~ tion" » (Schwartz, 1992, p. 113) 17, Traduit par mes soins a partir du texte suivant : « permitir ¢ mesmo promover diverti- mentos entre os escravos (...) quem se diverte nao conspira » 18, Traduit par mes soins & partir du texte suivant: « de “brinear, folgar e cantar sem pre~ cisar de autorizagio” » 67 GaNeM V., 2018, « Spécificités de straté GaneM V., 2012, La Désobé Théorie », Paris, Pur. Gane V,, 2007, Le Rapport s : 68 Valérie Ganem La stratégie de défense de la lutte pour la survie et le furnover comme stratégie de résistance adoptée par les travailleurs et ee ia) brésilien.ne.s semblent avant tout une réaction a V'exploitation dont f° elles étaient objet encore aujourd’hui. La pratique du mrnaver #0 quant a elle, ts lige aux possibilités d'emploi qui sont plus nommnE dans ce pays qu’en Guadeloupe. Cependant, cette stratégie ve a Hicé. @tre héritée de esclavage transatlantique tel qu’il a été Dadi reir sil. Notamment, la pratique de 1a fuite par les esclaves pour of Frist liberté, Mais je n’avais pas de terrain susceptible de le SE ee aiieurs pour cela, pouvoir mener une investigation collective avec ee As de et des trayailleuses qui pratiquent ce turnover, alors qu'il n’ a Aiaves possibilité d’emploi dans Ia région comme c'était le cas POUT Te? qui s’enfuyaient des plantations, sachant que leur survie en tant q gi et fugitives serait extrémement difficile & maintentt. Valérie Ganem Mature de conférence a l’université Sorbonne Paris-Nord, Unité transyersale de recherche psychogenése et psychopathologie cliniques, psychopathologie et psychanalyse (urrpp), (EA 4403), F-93430, Villetaneuse, France Associée a université Paris-5-Descartes, Sorbonne Paris Cité, Psychologie clinique, psychopathologie, psychanalyse (pcre), (Ea 4056) THEMA « Société, violence, travail » 92774 Boulogne-Billancourt, France Bibliographie ALENCASTRO de L.P., 2011, « Une société esclavagiste », in Revue L’Histoire, le Brésil, numéro spécial N° 366 : 40-47. Deiours C., 1980, Travail : usure mentale, Paris, Bayard (Réédition 1993, 2000). Ferrema da CunHA S., 2015, «Perfil do mercado de trabalho brasileiro ¢ dos trabalhadores na construgdo civil », in Da Silva A., Lima de Souza J., Fon seca de Souza I., Scienza L. 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Analyse ( es de Vhéritage de l’esclavage sur les conduites actuelles des s dans Vhétellerie, These de doctorat de psychologie Err, Paris Travailler, 2020, 44 : 53-70 GouLaRD 1A. 1972, Da fuga ao suictdio, Rio de Jane Si a janeiro, Cc le Kanan H 2010, ‘aga gntizeedo ao verbo, Brasilia, Parelon Le GUILANTL.. 1984, Quelle psychiatric pour none pee MAESTRIM:, 1991, L’Esclavage au Brésit, Paris, Karte,” onus ES: MOBNIERP, CePEDA M.-F. 2012, « “Comme un chien 4 careau” Quetkos MATTOSO DE K., 1979, Eire esclave au Brésil, xvr-xiK* siécles, Paris, Hachette. Oey Reis J, 1988, « Um balango dos estudos sobre as revoltas escravas da Bahia », in Reis, J (Orgs) Escravidao e invengdo da liberdade. Estutos sobs negro no Brasil, S80 Paulo, Editora Brasiliense. Rais J. & Siva E., 1989, Negociagao e conflito. 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Legacy of transatlantic slavery and current conduct of the wor- king poor in Brazil Abstract: This article aims to highlight the possible links between collective defensive strategies adopted by impoverished workers in Brazil and transatlantic slavery history as it was practised in this country. The investigation, which identified these links, was carried out based on three surveys of work psychodynamics and a historica synthesis made from texts published by historians on this subject. It has been shown that the submissive behaviours of impoverishe workers and defensive exaltation could, at least in part, have their origins in the history of slavery in this country. The practice of over as a strategy of resistance used by the workers studied, on the other hand, could not be linked to the history of s ry. satlantic slavery history Keywords : Brazil. Poor workers. Trans Subjective relationship to work 69

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