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Limagination créatrice : pour explorer l’inconnu imagination est la faculté de former des « images mentales «. En ce sens large, le mot est synonyme d’évocation. Elle condittonne donc Vexercice de tous les gestes mentaux. « Le geste mental lance les connais- sances a. acquérir devant soi, en les placant dans un cadre que Vimagination a structuré!. » (On distingue traditionnellement deux sortes d'imaginations : limagination repro- ductrice et limagination créatrice. 1. DE LA Garanoene Antoine, Les Profs pédegogiques, op. . Donner tout au moins la parole a la minors de voueméme, Soyez pote » Francs Ponge-@ Chacune tient un réle primordial dans Vacquisition des connaissances, mais chacune a son champ spécifique d'efficacité, L'imagination créatrice permet de S‘approprier les connaissances, de prendre Vinitiative, de faire naitre du nouveau et d’établir la disiance nécessaire pour ensuite inventer et découvrir. p33 34 QO EVOCATION ET GESTES MENTAUX : DES REGLES DU JEU POUR TOUS LES DEUX TYPES D’'IMAGINATION QO Vimagination Elle forme des images mentales imitant ce qui a été pergu. Elle est reproductrice en ceuvre dans le geste dattention (voir chapitre 2), qui génére la premitre évo- cation fidéle d'un objet percu lorsque cet objet est présent; ‘le geste de rappel (voir chapitre 4), qui raméne Tévocation d'un objet disparu, rencontré dans le passé ar Timagination reprodutrice, le sujet a le projet de se conformet a Tobjet quil copie, traduit, duplique le plus fidélement possible. O Limagination Elle transforme les images mentales issues du percu, en forme créatrice des combinaisons inédites et congoit des représentations nouvelles. Elle génére Pévocation d'un objet original. Flle nous incite 4 nous écarter ‘du pergu et du conau, 2 prendre Finitiative de détourer, transfor- ‘mer, contester pour faire naitre du nouveau et de l'inconnu, LLenseignant fait prendre conscience» D'abord percevotr objet et évo- « Limagination [réatice] de Iéleve ‘aux éléves de la forte imbrication quer fidelement. se developpera au temps premier ob des deux sortes d'imagination Ensuite transformer mentalement. lest en train &'acquenrr les connais- {Qui coexistent en permanence et Comparer les deux vocations. Chet- _sances et non aprés coup quand on se nourrissent l'une de l'autre. cher ressembiances et differences. [ul preserit de les faire fructfer’2.» Iles aide @ les reconnatte et ales» D’abord percevoir l'objet et le Habitue a cette gymnastique men- mettre en ceuvre successivement, transformer mentalement. tale, il mahtrse des operations men- fen leur indiquant deux procédures Ensuite Févoquer fdelement. tales quipermettent de mener 2 bien 2 appliquer en classe au cours Comparer les deux évocations. Cher- das travaux complexes. Gterercices divers cher ressemblances et differences. 2.0p. ct, p.99. L'DMAGINATION CREATRIGE POUR EXPLORER L'INCONNU O35 LIMAGINATION CREATRICE SUPPOSE LIMPLICATION PERSONNELLE imagination créatrice, dans tous les projets mentaux, permet Yanti- ‘pation, puisque amticiper Cest se représenter ce qui n’est pas encore 2. 1 | Le projet : une initiative personnelle En classe ou dans son travail personnel, Péléve évoque les situations et des tiches qui Vattendent. Il se représente 2 Tavance ses Emotions, ou Je déroulement de Vaction, ou son résultat. Vimagination stimule ou freine sa motivation, et influence la démarche qu'il va adopter. Autrement dit, elle détermine le projet qu'il va élaborer par rapport aux taches et aux connaissances fixées comme objectifs & atteindre. Léleve soriente vers un futur incertain en simpliquant totalement avec ses réussites et ses échecs passés. Au moment de résoudre des pro- blémes nouveaux, dlobserver par Iui-méme, dengager une action sans en connaitre tous les aspects a Vavance, dlinnover, ila besoin d'avoir suf- fisamment confiance en lui pour « mettre dans son projet celui de pou- voir intégrer a sa fagon les données de la perception». 3. De LA Ganaosne Antoine, Comprendre et imaginer, Le Centurion, Pars, 1987, p. 97. 36 0 Evocsmion Er GESTES MENTAUX : DES REGLES DU JEU POUR TOUS O Se conformer & Les créateurs connaissent, dans leurs parcours imaginatifs, des ‘soi plut6t qu’a autrui phases ot ils sont aux commandes et des phases oi les idées ont lair de 1 Acquérir te goat des défis simposer toutes seules; des phases oit ils exercent Jeur contrdle et des phases od ils relachent leur controle pour laisser jouer des processus qui Jeur échappent, Cependant, cest le sujet qui reste maitre de choisir ou de rejeter les évocations qui se présentent, de les agencer, de les orienter ilestime, il décide, il détient le pouvoir. Limagination eréatrice repose sur le projet de s'impliquer personnellement et de se fier 2 ce que Von ressent, a ce que l'on juge, a ce que l'on veut obtenir soi-méme. Lne s'agit pas de se conformer a l'objet, de se conformer & autrui, mais de se conformer a soi. Cela implique que la personne se sache unique, capable d'un point de vue original irréductible a celui des autres, auteur. Une telle audace, tune telle liberté — celle qui repose sur le sentiment de sa propre valeur, sur la confiance en soi — n’est pas toujours encouragée dans le syst@me éducatif familial ou scolaire. Stefan Zweig décrit avec indignation « Lécole au sicle passé +, celle itil dut passer avec dégott treize années d'enfance et de jeunesse. Son attaque garde, hélas, une certaine actualité, malgré l'évolution favorable signalée par l'auteur. «J prouve toujours une impression d'invraisemblance quand Jobserve avec quel abandon les enfants daujourd but bavar- dent avec leurs maitres, presque d'égal a égal, quand je les vois courira leur école sans manifester aucune crainte, au lieu que nous vivions dans le sentiment de notre insuffisance, quand je ois qu’ils peuvent exprimer ouvertement, tant a Vécole qu’a la ‘maison, les voeux, les inclinations de leur jeune ame curieuse — en créatures libres, indépendantes, naturelles, au lieu qu’a eine franchi le seuil duu batiment détesté il nous fallait en ‘quelgive sorte nous courber en nous-mémes pour né pas don- nner di front contre le joug invisible. 'école était pour nous la contrainte, ta tristesse, Vennui, un lieu oft nous devions ingur- {iter en portions exactement mesurées ‘la science de ce qui ne ‘mérite pas détre su”, matiores scolaires ou rendues scolaires dont nous sentions qu elles ne pouvaient pas avoir le moindre rapport avec le réel ou avec nos centres dintérét personnels’. » ‘Wygotski® constata que, dans les institutions spécialisées qu'il obser- vait, les retardés mentaux non seulement gardaient leur retard mais régressaient. En effet, on ne leur proposait que des activités trop faciles, 4. 2wac Stefan, Le Monde hier, Selfond, Pars, 1993, p. 47. 5. Vycors LS. Pansée et langage, La Dispute, Pars, 1997. IMAGINATION CREATRICE POUR EXPLORER L'INCONNU Q 37 quils maitrisaient sans peine, sous pré- texte de les faire réussir quelque chose. Il en tira ses recommandations sur une pédagogic consistant a présenter & Tenfant un défi a sa mesure. Il défint cette mesure en préconisant de situer la ache a Tintéricur de la « zone proximale de développement » de Venfant : entre son «niveau de développement actuel + (ce ‘quill réussit tout seul) et son «niveau de développement potentiel- (ce quill peut réussir avec une aide). Le tort des institu- tions incriminées était de bloquer I’évolu- tion de leurs pensionnaires en les sollici tant uniquement & leur niveau actuel. Pour échapper aux déterminations affectives et sociales, aux prévisions extérieures sur son devenir, I'individu en projet créatif etermine lui-méme dans quelle mesure il accepte ou refuse la connais- ‘sance proposée, Il la référe 2 ses propres criteres, ses regles,& sa loi personnelle, & sa représentation de la vie, de sa vie. Il apprend ce Gui lui permet d'échapper 3 la dépendance, de déterminer Iui-méme Ses choix et orientations. Il expérimente ainsi sa volonté et apprend 2 se dépasser Lattitude de enseignant est tres erreurs comme des fautes et ne les D'une maniere générale, l'ensel- importante sl side Wop 'éleve, li traite pas comme une ressource gnant refuse d'utliser lasservisse- mache top le travail linduitchezliessentelle dans I'apprentissage. ment et humiliation. i établt un ci- Une image dévalorsée de soi, celle Latbtude surprotectrice et Iatitude mat de liberté, en reconnatssant la dun incapable, et inhibe son déve- culpabilisante sont les deux faces dversité des processus d'apprenti foppement Il cbiient le meme effet d'une méme monnaie, quinesaurait sage et en instaurant la confiance Sledge uniquement des reponses avoir cours chez les explorateurs du mutuelle dans le dalogue. tjustes»etlessurvalorse,reetteles savoir O Reconnattre ‘Limplication personnelle se traduit dans les rOles que satrbue la seo Oles privilégiés personne imaginative, et ces rbles apparaissent dans ses vocations, Il es possible den distingver quelques-uns : les acteurs se voient agit dans Vmage mentale ou entendent leur propre voix: = les auteurs, scénaristes, peintres, chorégraphes, sculpteurs créent le texte ou le tableau imaginaire; — les réalisateurs font la mise en scéne, organisent les déplacements; les ingénieurs ou artisans prennent des initiatives techniques, créent ddes dispositifs matériels qui conviennent a l'usage quils veulent en faire; — les spectateurs ou auditeurs de leur propre création ont limpression {que le tableau ou le discours surgit rout seul, sans quills se sentent agir. Mais ils marquent toujours quiils sont la, et peuvent décrire comment ils se situent par rapport & ce quills évoquent : & lextérieur ou & Vintérieus, loignés ou rapprochés. 38 Q EVOCATION ET GESTES MENTAUX : DES REGLES DU JEU POUR TOUS Le sujet représente mentalement son intervention dans le Processus créatif, Cette intervention peut dailleurs changer ‘aspect selon les phases. La personne slimagine dabord exté- rieure puis siimplique davantage a mesure qu'elle trouve V'idée vraiment originale, Ou inversement : les préparatifs mobilisent Ja représentation de soi tandis que le surgissement de l'idée neuve se fait comme par miracle, comme si la personne reli~ chait le controle qu’elle exerce et laissait agir I'inspiration comme une puissance extérieure. 2 | Du doute surgit la connaissance =U n'est que trop manifeste que c'est par le doute que Ton sachemine vers la découverte de la vérité », affirmait Galilée en dépit de Mnquisition. Une pédagogie de la créativité ne se félicite pas qu'un éléve suive bien en classe les propositions toutes faites, mais quill précéde et élabore lu-méme. Francis Bacon a affirmé que lessentiel, pour développer la capacité de bien se comporter devant l'inconnu, Cest de se libérer des idoles, Cest-2-dire des opinions établies. Le mouvement de Ja pensée créatrice consiste A passer outre ‘ce qui tombe directement sous le sens. 12 perception immediate, la conviction rapide sont mises en doute, détoumnées, combattues ou fuies. La déférence vis-d-vis des savoirs instinués et des autorités fait place a esprit critique. Lignorance elle-méme est source de créativité, en ce sens qu'elle évite intimidation par des modéles et que le sujet explore L'IMAGINATION CREATRIGE POUR EXPLORER L'INCONNU O39 O Favoriser le Q Elaborer uniquement avec ses propres forces. Cette prise de distance se révéle dans toutes sortes activités : =e questionnement; =! élaboration d’hypotheses; —le changement de point de vue; — les transformations imaginaires de lobjet pergu. Les sujets imaginatifS résistent & la perspective denregistrer et de reproduire un savoir tout fait. Ils refusent un rapport déférent a la connaissance parce quils sentent que celle-ci se construit, évolue, Dans un cours stricturé uniquement sur la transmission reproductrice du savoir constitué, ils deviennent inertes ou s’évadent dans l'inattention. Une clé de la motivation chez de tels éleves, c'est l'élaboration de questions personnelles préalables 3 la perception de l'information. Des quils disposent du theme du cours, ou d'un document d'appui, ils construisent leur questionnement. Devant une carte de la diffusion de la peste noire en France, entre 1347 et 1351, ils peuvent se demander pourquoi la peste est venue de Corse, quel & été le role des transports maritimes, pourquoi certaines zones ont été épargnées, etc. Le cours, les autres documents, seront trai- 16s comme des sources oi: chercher des r€ponses, et comme Poccasion de nouvelles questions qui relancent lintérét. Ils attendent du professeur quill écoute leurs questions et les mette sur la voie pour trouver les Féponses. Les sujets imaginatifs considérent le savoir avec Voeil du cher- ‘cheur : comme une théorie provisoite, en construction, dynamique, sou- mise & un processus de transformation et de réfutation. Ils Formulent des explications provisoires aux phénomenes rencontrés. Ces explications provisoires, ou hypothéses, ont pour role d'orienter leur apprentissage, en fournissant des propositions 4 vérifier ou a réfuter en cours de route. 40 EvocaTion ET GESTES MENTAUX : DES REGLES DU JEU POUR TOUS Ils apprennent dans la mesure oi ils peuvent soumetire le savoir en jew a des anticipations, a des conjectures et a une expérimentation, Tis se bloquent sils doivent ingurgiter des données, des théories, ds recettes pratiques, sans avoir pu élaborer un modéle personnel préa- lable auquel les conftonter, ou bien sils sont soumis & un guidage rigide {qui ne leur laisse pas le recul nécessaire ala construction des hypothéses Léleve tente de renégocier le contrat, déchapper 2 la loi quill juge inapplicable, cherche la connivence. Accepter sa proposi- tion le maintiendrait dans un ghetto od Yon n'a pas besoin de maitriser les accords orthographiques. En refi sant, Fenseignant lui propose de se libérer des rapports de connivence, dont Alain Bentolila® décrit limportance dans les difficul- tés d'acces au langage. Il l'aide 2 y quitter Ie point de vue familicr pour envisager d'autres perspectives. 6. Bevrous Alain, De ills en général et oe écoleen particulier, Plon, Pais, 1986. L IMAGINATION CREATRIGE POUR EXPLORER L'INCONNU Q 41. Depuis Bachelard, on sait combien les représentations issues de lexpérience quotidienne, par exemple, peuvent faire obstacle ala conception scientifique, et combien il est nécessaire de les contrarer. imagination créatrice permet de changer de point de vue, de considé- rer les choses sous des angles inhabituels, O Oser se détacher Mais comment se décaler? Comment s'éloigner des réalités percues des modeles appris et expérimentées? Artistes et scientifiques nous montrent que cela est possible. DP Betty Edwards” insiste, dans sa méthode de dessin, surla néces- sité de se détacher des symboles appris, des représentations installées, du langage vecteur de liewx communs, pour vraiment regarder le modele. Sil'on se dit : « Je vais dessiner cette chaise «, et que lon dessine tout en ‘nommant : - le dossier, le sige, le pied gauche... », ces dénominations piratent le regard et Yon a de grands risques dobienir un dessin conven- tionnel, en retracant des symboles et non des aspects authentiquement regardés. Par contre, si Yon regarde ce qui n'a pas de nom, c'est-i-dire le vide autour de la chaise, et que Cest ce vide que l'on entreprend de dessiner, alors le résultat révéle un renouvellement certain de la percep- tion. Un méme effet de déconditionnement est obtenu si le modale est présenté a Fenvers. Christine, professeur darts plastiques qui a entrepris de faire dessiner ses éléves selon cette technique affiche dans sa classe des travaux dont les auteurs peuvent étre fiers. D Lusage cl'instruments d'observation apporte aussi des révéla- tions. C'est pour avoir braqué pour la premitre fois une lunette astro- nomique vers la Lune que Galilée glissa vers Uhérésie : il déclara que la Lune était montueuse et fracturée, alors que tout le monde pensait a Vépoque qu'elle était un corps parfait, comme tout ce qui était au ciel, Monts, fractures et autres péchés étaient réservés a la Terre, au monde sublunaire. IL est intéressant, lorsque les conditions matérielles s'y prétent, de faciliter Yaccés des éléves a des instruments dinvestigation varies, ‘ou de leur présenter des films qui montrent les perceptions que ces instruments permettent. Ensuite, l'enseignant leur fait €voquer ce quils ‘ont découvert & ces occasions. Ils apprennent ainsi a se décaler, comme Jonathan quand il doit relire et corriger ses rédactions 1D transformer A instar de la souris qui, en informatique, permet de cliquer pour Fobjet ccouper, coller, rechercher, déplacer, notre imagination créatrice peut faire dapprentissage subir quatre sortes de transformations a Vobjet d'apprentissage : effacer, ajouter, substituer, déplacer des éléments. 7. Eoranos Betty, Dessner are au cerveau drat, Mardaga, Sprimont (Belgique), 1979, 42.0 EVOCAMION EF GESTES MENTAUX : DES REGLES DU JEU POUR TOUS Béatrice, pendant un cours de musique en CM2, fait écouter aux leves Venregistrement sonore d'un air de jazz joué par un orchestre. Elle les entraine a faire tour 8 tour les diverses opérations : * (premiére écoute) AJOUTER En écoutant la musique, imaginez les musictens sur scene, leurs cos- tumes, les couleurs des lumiéres et des vétements. + (deuxitme écoute) EFFACER Ecouiez et Svoquez seulement les percussions. Faites taire mentale- ‘ment les autres instruments ou entendez-les motns fort * (troisiéme écoute) SUBSTITUER Repérez un passage au rythme rapide et remplacez-le dans votre téte ar un rytbome lent + (quatritme écoute) DEPLACER Le solo de guitare vient apres le solo de clarinette. Inversez Vordre de ‘passage en les repassant dans votre mémoire. Les modifications peuvent étre associées entre elles. On peut & la fois effacer une chose et en ajouter une autre : Maes anan Ew 1545 VET ARE bE FRANCES I contre es wiss€s ! L'MAGINATION CREATRICE POUR EXPLORER L'INCONNU O 43 Limagination eréatrice peut aussi modifier les relations de Vobjet avec son environnement, ou détourner son usage pour lui faire assumer de nouvelles fonctions : De tels exercices libérent beaucoup d'éléves qui se sentent parfois coupables de - partir en esprit - vers des rivages inconnus alors quil leur ‘semble que le travail en classe suppose une présence de tous les instants eee INTs i / 7 SS ~ lay 3) Limagination créatrice au service de l’invention et de la découverte imagination créatrice cherche faire apparaitre un monde (méme tout peti) nouveau, original, dont le sujet est V'auteur. Elle se confronte a Mnconnu. Fille ne sait pas d'avance ce qu’elle va trouver, ni toujours ce qu'elle cherche. Elle peut viser deux directions diffé- rentes : l'invention ou la découverte. I! ne s'agit pas pour autant de cloisonner de maniére étanche les deux orientations de la pensée créa- trice : découverte et invention s'entretiennent mutuellement, 44 O EVocarion ET GESTES MENTAUX : DES REGLES DU JEU POUR TOUS Elle a besoin de temps « perdu «, de réverie, et se déploie dans les fictions et non dans Vexpérience du monde. La réverie donne naissance a des formes libres et non assi- ‘gnables devant les tribunaux de la logique et de Pefficacité. Mais ces formes épousent le projet diinconnu, le désordre, Pobscu- rité des mondes en gestation Elle répondent au défi du pourquoi pas ? Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer des arbres qui discutent la nuit ? Pourquoi ne pas entrer en classe avec une araignée en plastique ssur le nez? Gest le moment de la pen- sée aventureuse, de la pensée buissonniere, de la pensée hors reperes. Expérience essentielle pour le créateur qui ne sait pas toujours ob ill va, ni ce quil cherche. Le pédagogue averti, loin de la considérer comme inutile ou néfaste, sait qu'elle favorise les projets mentaux. LLactivité des découvreurs est guidée par lintuition qu'une chose ignorée existe, latente, et qu'l faut la discemer. Il peut s'agir d'un étre, diun objet, d'un phénomene, d'une loi, dune signification. Un soldat de Vexpédition d'Baypte découvre la pierre de Rosette en 1799. Champol- lion découvre une troisieme écriture €gyptienne : Vhigratique. fs mettent ‘au jour quelque chose qui existe et qui nvavait pas encore été percu. Certins découvreurs veulent trouver une explication théorique. Pour donner du sens aux données quiles surprennent, isles confrontent aux théories quils connaissent ou quils élaborent 2 tire hypotheses. La confrontation fait évoluer la théorie et les observations jusqu’a ce que le nouveau modéle explicatif soit validé pour sa similitude avec les fats traités. Alors, ces découvreurs tiennent la réponse @ leurs + pourquoi +? Crest ainsi qu’Antoine de La Garanderie a découvert des lois duu fonctionnement cognitif en partant de lyypothése que les réussites dans les apprentissages étaient dus a des processus mentaux cachés mais sus- ceptibles d’re mis au jour. L'IMAGINATION CREATRICE POUR EXPLORER L'INCONNU OQ 45 A'école, les occasions de 'exercer 8 d'une figure de géométre, les points plusieurs pendant des décennies ou laidécouverte ne manquent pas. communs entre la mouche droso- des sitces. Entendons ici le mot, non dans 32 phile et I’homme, lidentité des Lenseignant leur fournit beaucoup Portée sociale (découvrir quelque plantes pendant la sortie botanique, d'nformations toutes faite. Il atire ‘hose que personne na encore cif- les possbiltés musicales d'un tube leur attention sur un aspect limite & fuse), mais comme activité privée de bambou rempli de grines...Cela _traiter eux-mémes. Mais sur cet (découvrir par soememe quelque veut dire quils les cherchent eux- aspect il les lise tatonner, faire chose que l'on n'avait pas encore memes, que la réponse ne leur est des erreurs et imaginer los, sans Femarqué soi jeme, méme si pes donne. lest bien certain qu’ls_ les remettre d'urgence dans le droit autres étaient dé au courant). ne vont pas « découvrir » en deux chemin, car ce qUi est en jeu pricrl= Les devessontinvités découmtr:le heures et tout seuls ce que des _tairement c'est leur pouvoir créatif sens G'un texte, les carectéristiques artistes et des savants ont Slaboré @ personnel ~et non le savoir O Comment? ou le projet des « inventeurs » Les inventeurs, a inverse des découvreurs, sont guidés par Vintui- tion qu'il manque quelque chose dans les dispositifs et les maniéres de faire et quil sagit de trouver un procédé pratique. Ils observent d'un Gril critique les organisations existantes et cherchent a en créer d'autres, marquées par leur différence. Ils les élaborent et les expérimentent, en les confrontant aux exemples matériels et aux essais existants. Lorsqu'ils aboutissent, ils tiennent la réponse & leurs « comment? + Les pédagogues créatifs cherchent 8 inventer des pratiques scolaires en fonction d'un besoin identifé. Cest ainsi que Célestin Freinet, revenu des tranchées avec des problémes respiratoires dus aux gaz de combat, constata quill manquait & 'école les moyens d’enscigner en se taisant. 11 en profita pour inventer plusieurs fagons de faire parler et agir les Ecoliers en classe Inventer 8 I'école? C'est quand les éléves cherchent : un plan pour Jeur argumentation, comment tracer un cercle quand on n'a pas de com- pas, dix moyens différents d'entrer dans la salle de classe, la suite d'un texte, comment s'organiser pour se servir & trois du méme microscope... Inutile de répéter les remarques précédentes sur le fait quis cherchent eux-mémes et que les solutions ne leur sont pas données. 46 EVocATION ET GESTES MENTAUX + DES REGLES DU JEU POUR TOUS COMMENT GUIDER LE GESTE D'IMAGINATION CREATRICE Q Favoriser Tinitiative des éleves Lenseignant entretient sa propre créativité, Cesta-dire quill ne S‘appuie pas uniquement sur des constructions toutes faites, sur des rou- tines — bien qu’elles soient fort utiles. Il fait une place, dans ses scénarios de cours, a limpréva, y compris dans ses minutages serrés. Ine controle pour lui-méme et ne guide pour ses éleves quune partie du processus créatif, celle qui est accessible a la conscience et la volonté du sujet. Certaines phases essentielles échappent completement cette volonté consciente, elles naissent au contraire comme par enchan- tement, a des moments od le sujet abandonne les commands. D> Lenseignant ne se considére pas comme la source quasi exclu- sive d'informations, en dehors des documents scolaires. I fait appel aux contributions de la classe ct intégre récllement celles-ci dans le dérou- Jement du cours, D> i incite les éléves, avant la présentation d'un objet d'apprentis- sage, 2 projeter de se Fapproprier, 2 se donner le droit dy toucher ‘mentalement et 2 en faire un usage créatif, Il leur demande d'évoquer & Ia premiére personne’, c'est-i-dire de simpliquer personnellement dans 'évocation, de transformer mentalement objet de fagon a y lais- ser leur marque : — reformuler un énoncé avec leurs propres termes; ~transposer les sons en images et les images en sons; ~ faire un dessin personnel pour représenter ce qui est vu; = écrire de leur main; ~se donner un réle dans une scene oi se trouve l'objet; = simaginer en train dutiliser Pobjet, ’agir sur lui, de le modifier; mete. 8. Ce point est développé dans la dewsiéme parte du Ive sous le ttre «l‘évocateur dans evocation » p. 131 L'MAGINATION CREATRIGE POUR EXPLORER L'iNcoNN’ OQ 47 D> I donne la priorité aux essais des éleves et réiréne la com: munication de ses propres interprétations ou de celles des grands maitres, pour ne pas étoulfer les tentatives des débutants par exposition de modétes intimicants. Les éleves imaginent d’abord librement et s’expriment en premier. Ensuite seulement, on examine des proposi- tions dautres origines et on recourt enfin aux eréateurs renommés. Cette ragle de condute n’est toute: immuables, mais d'instituer la accucile de mane actve, Cest2-dre fos praticable qu aprés une inition variet ddés le départ, pour fevor- en en cholsissant une et en neg suffisante. Il arrive que ignorance ser 'accés la veriaton personnel, _geant les autres, OU en sélection- faciite exploration créatrice, en dés que possible. Au moment méme nant les aspects qu lui conviennent. pargnant aux éléves ceraines imi dacquérir des connalssances pre- Lenseignant. sil disceme le desarro| ités devant savoir institue, Maisla cses, il introduit la perspective de de certains éléves, propose créativite se nourrit avant tout Tévolution, de a transformation, du & Vous powver faire un essai : pro- acquis, de modbles et dlautoma- transfert de ce savoir, noncer réellement les mots, les tismes nés dela repetition. Sil'léve Si éléve n’arive pas & siimpliquer cite, reformuler, commenter, dessi- déoute dans un domaine, ce n'est personnellement, a besoin dobser- net, faire action, vous deplacer.. » pas la peine d'attendre de lui bea Ver plusieurs modéles a confronter. «Deux ou tois dente vols veulent- Coup dinnovations. Il est prioritaire Four cela il peut fare une réponse ils presenter aux autres leur interpre de ll fare assimiler une bonne base d'essal pares, érre, dessinerréele- tation? » Au moment déndier un objet, Yenseignant engage les éleves & evoquer individuellement les questions ou les hypotheses que cet objet suscite chez eux. I leur demande de garder leurs idées en téte et de chercher dans le ‘cours ce qui y répondira, les confirmera ou les infirmera, ‘Au cas ob certains n’auraient rien trouvé tout seuls, Penseignant demande que quelques éléves expriment leur idées. Les autres les €cou- tent et les comparent avec les leurs, soit pour les intégrer dans leur modéle préalable, soit pour les rejeter, soit pour les adopter intégrale- ‘ment, La communication des idées et les choix personnels ne donnent pas lieu & discussion, lors de cette phase. Cest la suite du cours qui per- met a chacun de vénifier la fécondité de ses orientations de départ ct de les ajuster. Ala fin du parcours, l'enseignant peut organiser une bréve discus- sion : les questions ont-elles trouvé réponse? Les hypotheses ont-elles été confirmées ou contredites? Complétement ou partiellement? lista, erudiante en histoire de l'art venue d'ltalie pour préparer sa ‘maitrise en France, dans le cadre des échanges Erasmus, raconte son ‘onnement lors de ses premiers cours en amphithéatre. «Je voyais un ‘monsieur qui parlat dans un micro en lisant ses papiers et tous les étu- ddiants qui écrivaient, qui écrivaient... Je me demandais bien ce quills {isaient, De temps en temps, le professeur levait les yeux et avait 'air 48 0 Evocsmion £7 GESTES MENTAUX : DES REGLES DU JEU POUR TOUS Cette anecdote n’est pas destinée a illustrer une quelconque supé- riorité du systéme italien sur fe systme frangais, mais & montrer une variante dans laquelle le questionnement des étudiants tient une grande place. D Lenseignant encourage les éléves 2 modifier leur point de vue sur objet, en changeant de réle, en changeant de « paramétres » <évocation, en y cherchant des aspects insolites. Ces points sont déve- loppés dans la deuxieme partie du livre, au chapitre 8, p.130. Il peut, par exemple, demander d’évoquer l'objet d'apprentissage de maniére interrogative, ou d'un point de vue inhabituel = Comment Venvisageriez-vous si vous étiez quelqu tun d'autre? Ou sion avait ajouté, supprime, substitué ou déplacé quelque chose? - « Vous pourriez étre un marin, une institutrice, un chat, une bacté- rie invisible. ‘+ Vous pouvez supprimer des mots, afouter une dimension... « ++ « Vous pouvez vous demander:: qui? quoi? pourquoi? comment? on? quand? qu'est-ce que?... « D Lenseignant entraine les éleves & transformer mentalement les objets pergus —ajouter un élément, le mettre en valeur, le renforcer: imaginer des cou- Jeurs 2 un document en noir et blanc; surligner mentalement des mots ou des passages; entendre le bruit suggéré par un texte, faire sonnet plus fort la voix qui parle; grossir le trait d'un dessin. = supprimer un élément, le diminuer, Vaffaiblir: faire disparaitre dans tun texte tout ce qui n'est pas titres et soustttres; diminuer dans une figure la dimension des éléments jugés peu intéressants; baisser le son ‘mentalement; cacher une partie de la scéne observée... ; = substituer un élément 2 un autre, cest-2-dire @ la fois en supprimer lun et en ajouter un a sa place : voir une vraie montagne 2 la place des taches marron de la carte; entendre sa propre voix au lieu de celle du = déplacer un élément par rapport aux autres : commencer un récit par Ja fin; mettre le modéle a V'envers; garder pour la fin ce que l'on trouve le plus difficile a faire... © Lenseignant peut proposer de jouer 3 un jeu inspiré des travaux de Jean-Louis Paour?, dont voici la regle : '9. Pau Jean-Louis, « Retard mental et aides cognitives», in Psychologie cognitive : models et méthodes, sous la direction de Cavene, Masren, Motoasion,Tacacien, Presses univeritates de Grenoble, 1988, L'DMAGINATION CREATRICE POUR EXPLORER L'INCONNU O 49) Jou des transformations: Voici un objet. eae {sor moatté En connaissant deux étapes de la chine, nous pouvons imaginer logiquement la troisiéme ‘nous connaissons Vobjet de départ et l'objet modifié, nous pouvons deviner quelle transformation il a subie ; — si nous connaissons Vobjet transformé et la nature de la transformation, nous pouvons deviner quel est Lobjet de départ; = si nous connaissons l'objet de depart et la transformation, nous pou- vons deviner quel est Vobjet modifié, ‘Un exemple pris chez Lewis Carroll ® permettra de comprendre le jeu. auteur illustre son idée de rendre les mathématiques « moins arides » eny ajoutant « le facteur humain », jet mathématique mathémat eee Transformation a ad Tn Anglais obtus Maintenant, quelques illustrations du jeu 1. Quel est objet mathématique « aride » correspondant & objet mathé= matique humanisé de Lewis Carrol? ‘Ajouter le facteur human ‘8. Que devient la phrase aprés le changement de suet”? Substtuer 410. Canrou Lewis, « La ve & Oxford», in Logiaue sans peine, Herman, Paris, 1988. 50 O EVvocATION ET GESTES MENTAUX : DES REGLES DU JEU POUR TOUS En classe, il est possible de présenter de tels schémas au tableau, -mais aussi de matérialiser la situation en jouant avec des objets concrets, en Jes cachant dans de vraies boites, en dissimulant matériellement ce quill faut deviner. Genevieve et Marie, professeurs d'anglais qui ont essayé ce systéme dans leur classe, disent que les éléves apprennent mieux les ségles ‘grammaticales de cette fagon. OD alter vers D Etre muet comme la carpe Tinconnu... Pendant que les éléves explorent objet, Tenseignant ne donne devenir ‘pas de solution : il supporte jusqu’au bout de taire ce qu'il sait, 'assis- explorateur ter aux tatonnements, de voir apparaitre des idées bizarres ou absurdes 2 ses yeux. II observe sans intervenir ~ sauf en cas de danger. . DP Orienter sans se substituer & I’éléve ‘Sides éleves n’arrivent a rien, s'embourbent, deviennent anxieux ou agressifs, l'enseignant les met sur la voie en indiquant des points de repére = cherchez des resemblances, des points communs entre l'objet étudi€é cet dautres choses que vous connaisse2; = ou cherchez des differences; ou cherchez ce que vous n'avez pas encore remarqué, = ou cherchez ce qui manque 2 l'objet pour qu'il soit plus beau/drole/ pratique. D> Tolérer la réverie en classe Lenseignant laisse s‘installer des moments de pensée buissonniére pendant le temps scolaire. Ou, sl ne peut pas le fare, il encourage les éleves a les vivre pendant leur temps libre. Les idées neuves ont besoin, pour surgir, de phases ob la personne cesse de contréler ses connais- sances et ses processus mentaux. | LLenseignant laisse de linitiative * Il incite les élaves a prendre + Il incite les éléves & affronter aux élaves et la slicite par des leurs distances par rapport aux neannu de la découverte ou de signes spores informations percues ou deja invention ite leurs contributions avant connues i;ne communique pas la réponse; roposer des modeles extérieurs; = il suscite leurs questions et leurs il donne quelques indications qui ilesincte 8 simpliquer meniae: Fypatheses: metient sur ia vole; Ment pour percevoir objet —'ileu propose essyeraiferens—iasse ove les process invlon- lapprentissage & leur facon; points de we; talres, spontanés, intuitifs, en ces- =il met en évidence la diversi des ~ il leur propose de faire subir des sant ke guidage. possiblités, transformations mentales aux objets. Viimagination créatrice est, au méme ttre que attention, un geste mental initial: elle donne naissance & des évocations qui sont mises fen ceuvre dans dautres gestes mentaux. Ainsi, nous allons voir comment la mémorisation suppose de sauvegarder T'nformation exacte tout en la projetant dans un avenir & imagines L'IMAGINATION CREATRICE POUR EXPLORER L'INCONNU O ST

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