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Dissertation : La limitation du pouvoir constituant

Proposition de corrigé

Introduction :

En Allemagne, l’article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale interdit explicitement


toute modification du texte qui porterait atteinte au principe du fédéralisme ou à la dignité
humaine. Les constituants ont donc cherché à poser une limite matérielle forte à tout pouvoir
constituant, originaire ou dérivé, qui chercherait à porter atteinte à ces deux éléments
fondamentaux de l’identité constitutionnelle allemande.

Toutefois, l’on peut s’interroger sur l’effectivité d’une telle disposition, dès lors qu’un
pouvoir constituant, suite à une révolution, un coup d’État ou un procédé plus démocratique,
pourrait être amené à revenir sur cette « clause d’éternité ». Le pouvoir constituant désigne le
pouvoir de modifier la Constitution ou d’en adopter une nouvelle. Il est dit originaire quand il
édicte une constitution complètement nouvelle, sans y être habilité par la Constitution
précédente. A l’inverse, il est dit dérivé lorsqu’il opère une révision de la constitution
existante, selon une procédure prévue par celle-ci. La limitation peut être entendue comme les
obstacles, les contraintes qui sont posées pour apporter de telles modifications à l’ordre
constitutionnel. Elles peuvent être juridiques, mais également morales ou implicites. Les
limitations juridiques peuvent être formelles, c’est-à-dire qu’une procédure spécifique est
imposée, ou matérielles, lorsque certains éléments de fond ne peuvent pas être remis en cause.

L’idée d’une limitation du pouvoir constituant – qu’il soit originaire ou dérivé – pose
question, dès lors que celui-ci est supposé souverain. En effet, puisque le pouvoir constituant
originaire n’est lié par aucune constitution précédente, il ne connaît en principe pas de limite.
Le pouvoir constituant dérivé quant à lui, connaît bien des limitations posées par le texte
constitutionnel existant, mais il peut lui-même les remettre en cause en modifiant une
première fois le texte constitutionnel, comme par exemple lors du passage de la IVème à la
Vème République en France.

Est-il possible de concevoir des limitations aux pouvoirs constituants originaire et


dérivés, dès lors que ceux-ci sont supposés souverains ?

S’il semble a priori quasiment impossible de limiter le pouvoir constituant originaire


(I), certaines limitations, néanmoins fragiles, peuvent s’imposer au pouvoir constituant
dérivé (II)

I. Une impossibilité quasi-totale de limiter le pouvoir constituant originaire


En principe, le pouvoir constituant originaire est par définition illimité et souverain,
puisqu’il organise un ordre nouveau et ne se base pas sur les textes juridiques antérieurs (A).
Toutefois, ce principe peut être nuancé au regard de certains principes moraux ou de droit
international, qui tendent de plus en plus à contraindre y compris le pouvoir constituant
originaire (B).

A. Un pouvoir souverain en principe illimité

- Procédé autoritaire, de l’octroi (Charte de 1814, 1830) ou procédés démocratiques :


dans les deux cas, le pouvoir qui en découle ne connaît en principe pas de limites.

- Dès lors qu’aucun droit ne régit le nouveau régime avant l’adoption de la Constitution,
le pouvoir n’a pas les mains liées.

- Raymond Carré de Malberg : considère pour cette raison qu’il ne s’agit pas d’une
question de droit constitutionnel (il s’intéresse uniquement au droit positif).

Exemple : en particulier pour les « vraies » révolutions, qui créent un ordre


totalement nouveau : France en 1789, Russie en 1917, Iran en 1979…

Transition : René Capitant : possibilité que ce pouvoir souverain soit limité par le droit non
écrit, les valeurs sur lesquelles il se fonde, et qui précèdent l’adoption de la constitution.

B. Un principe nuancé par le développement de l’État de droit et d’une communauté


internationale
• Idée d’État de droit s’est développée :

- Les droits fondamentaux pourraient être considérés comme s’imposant, y compris au


pouvoir constituant originaire.

- C’est l’idée de la clause d’éternité de la LF allemande.

- Carl Schmitt : idée d’une super-constitutionnalité, de principes fondamentaux


auxquels aucun constituant ne devrait pouvoir déroger.
• Développement d’une communauté internationale :

- La communauté internationale peut impliquer des limites : les États sont en général
signataires de conventions internationales, membres d’organisations internationales.
Une certaine forme de contrainte peut en découler.

- Forme de soft-power : difficile d’imaginer qu’un processus de création d’une


constitution se fasse aujourd’hui sans aucune prise en compte de ces principes.

Par exemple, lors du processus de rédaction d’une nouvelle constitution en Tunisie


après le Printemps arabe, l’assemblée nationale constituante a dû accepter l’idée que
certains principes, issus de textes internationaux, s’imposaient à elle (on en voit la
trace dans la Constitution adoptée en 2014 : égalité H/F, liberté de conscience…).

⇨ Le pouvoir constituant originaire, bien qu’il ne connaisse en principe pas de


limitations juridiques puisqu’il crée une constitution en rupture avec l’ordre précédent,
peut toutefois rencontrer des limites morales ou extra-juridiques dont la force peut être
importante. A l’inverse, le pouvoir constituant dérivé connaît lui des limitations
instituées par le texte constitutionnel existant.

II. Des limitations existantes mais fragiles du pouvoir constituant dérivé

Le pouvoir constituant dérivé, puisqu’il est prévu par le texte de la constitution existante,
connaît en principe des limitations formelles et matérielles (A). Toutefois, celui-ci peut
éventuellement s’en émanciper, en modifiant d’abord la Constitution, ce qui invite à
relativiser la distinction entre pouvoir constituant originaire et pouvoir constituant dérivé (B).

A. L’existence de limites formelles et matérielles à la révision constitutionnelle


• Limites formelles : la Constitution prévoit une procédure spécifique pour la révision
constitutionnelle, distincte de celle prévue pour l’adoption d’une loi ordinaire (rigidité
constitutionnelle).
- La Constitution de 1958 (art. 89) prévoit par exemple que la constitution ne peut être
révisée qu’après approbation par référendum ou convocation des assemblées en
Congrès sur demande du président de la République.
- + limites temporelles : lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire (art. 89, al.
4 C)
- La Constitution de 1789 prévoyait que trois législatures successives se prononcent en
faveur d’une révision constitutionnelle.
• Limites matérielles : certaines dispositions de fond ne peuvent pas être remises en
cause
- Clause d’éternité allemande (dignité humaine et forme fédérale du gouvernement)
- Forme républicaine du gouvernement en France (art. 89 C). Cette disposition est
inchangée depuis 1848.
Transition : Carl Schmitt considère que dès lors que le pouvoir constituant est souverain,
l’organe de révision lui est subordonné, donc ce dernier n’est pas quant à lui souverain. Le
pouvoir constituant dérivé serait en fait un pouvoir constitué. Ainsi, ce qu’on appelle le
pouvoir constituant dérivé peut éventuellement s’émanciper de ces limitations et devenir
pouvoir constituant originaire.
B. L’éventualité d’une émancipation du pouvoir constituant dérivé vis-à-vis de ces limite

- Constitution souple : le législateur ordinaire peut modifier la constitution. Il n’y a


donc pas de limitations.

Exemple : Loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, adoptée par le Parlement, qui


octroie au Général Pétain les pleins pouvoirs pour adopter une nouvelle constitution,
dans le contexte de la IIIème République qui a une constitution souple.

- Le pouvoir constituant dérivé peut modifier la Constitution, y compris la procédure de


révision, et donc s’en émanciper

Exemple 1 : utilisation de l’article 11 pour une révision constitutionnelle par le


Général de Gaulle.

Exemple 2 : modification de la procédure de révision de l’article 90 de la


Constitution de 1946 à l’initiative du Général de Gaulle pour pouvoir adopter une
révision constitutionnelle plus rapidement et sans l’aval du Parlement ! le pouvoir
constituant dérivé devient pouvoir constituant originaire puisqu’une nouvelle
Constitution est rédigée.

- Cela invite à s’interroger sur la pertinence de la distinction entre pouvoir constituant


originaire et pouvoir constituant dérivé.

Conclusion : Ainsi, le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé peuvent


tous deux connaître un certain degré de limitations, qui découlent d’obligations
internationales, de valeurs morales ou de dispositions constitutionnelles. Toutefois, dans les
deux cas, ces limitations peuvent être remises en cause par le constituant lui-même, qui peut
s’en affranchir de manière démocratique (avec l’accord du peuple) ou autoritaire (par la
force), comme l’ont montré certains exemples historiques. Ce constat invite à nuancer la
distinction entre pouvoir constituant originaire et pouvoir constituant dérivé.

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