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EPHEMERIDES MARIOLOGICAE VOL. XVI 1966 Fase. 1-2 — SUMMARIUM gine devant les exigences de la réno- | | ‘Lavrentin, R.; Le chapitre de Beata Vir- | vation conciliare (5). | | FrrnAnvez, D., C. M. F.: Fundamentos pa- tristicos del cap. VIII de la Constitucién | “Lumen gentium” (33). Soni, F. de P., S. L: Maria, Madre e Hija de la Iglesia segin Paulo VI (95). Esquerpa, J.: La Maternidad espiritual de | Maria en el cap. VIII (95). Grenen, G., O. P.: Mater nobis in ordine gratiae (139). | | (Sequitur altera opereali pagina) | LE CHAPITRE DE BEATA VIRGINE DEVANT LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE Un Concile oecuménique est un événement universel de por- tée durable et, a divers degrés, irréversible ou irréformable, qui transcende & ce titre la mouvance du temps. Mais c’est aussi un événement historique. Un Concile est fonction d’une situation en quelque maniére exceptionnelle & laquelle il s’agit de répondre. La conjoncture en question provoque et conditionne, dans une large mesure, les décisions conciliaires. Aussi est-on en droit de poser la question: Quelle situation, quelle problématique a commandé telle décision conciliaire? Le présent article a. pour objet de répondre a cette question en ce qui concerne le huititme chapitre de la Constitution Lumen gentium, consacré a la Vierge. Cet article n’a pas l’ambition de résoudre tous les problémes, dont le Concile méme n’a pas entendu proposer une solution dé- finitive et qu’il n’a pas toujours posés explicitement. Il s’agit d’en prendre conscience, d’en manifester l’existence encore trop sou- vent méconnue, de dégager les axes fondamentaux de la problé- matique en fonction de laquelle le Concile a pris position, d’en évaluer les divergences apparentes et leurs convergences pro- fondes, de promouvoir ainsi les études plus détaillées qui con- duiront peu a peu aux solutions définitives, selon les orientations données par le document conciliaire. Jean XXIII a décidé Vatican II pour répondre non a une. crise ouverte comme 4 Nicée ou A Trente, mais & des exigences de renouvellement qui s’imposaient de toutes parts. Précisons bien tout d’abord trois points: 7 (es exigences ne sont pas propres 4 la mariologie. Elles. : dans tous les domaines: théolegiques a pelea Re pouvait y échapper. 6 RENE LAURENTIN Ces exigences ne sont pas tant négatives que positives, quoi- que l’aspect positif ne soit pas d’emblée perceptible & ceux qui vivent dans le cadre d’un systéme. Elles visent 4 un renouvelle- ment qui est moins nouveauté que ressourcement. Enfin, ces exigences sont de deux sortes: Les unes proviennent de l’évolution actuelle du monde ot lEglise se trouve impliquée. Les naissent de |’intérieur méme de I’Eglise, de sa‘ vie propre, 86 sa relation au depét de la Révélation. eel yey Le présent article aura pour ‘objet éaaentiel ces dernitres exi- gences: celles qui re ce Toutefois, il n’est pas inutile de signaler briévement 1a’ : catégorie de problemes ne serait-ce que pour bien marquer cette distinction. Problémes posés par le mouvement du monde Le monde actuel traverse une mutation sans précédent. Nos maniéres de vivre ont plus changé depuis un siécle que durant Jes millénaires antérieurs. Ce changement s’opére a une cadence accélérée, et il est peu probable qu’il nous laisse du répit. Ce qui frappe le plus nos contemporains, ce sont la conquéte de l’espace interplanétaire et les progés matériels de notre temps, mais ce qui nous concerne le plus, nous théologiens, c’est que la révolution scientifique et technique modifie les représentations et modes de pensée des hommes, par l’exercice nouveau qu'elle impose comme par les objets nouveaux qu’elle découvre. La théologie en général et la théologie mariale en particulier subissent donc, qu’elles le veuillent ou non, le contre-coup de cette évolution: cette évolution qui modifie irrésistiblement, & bien des égards, les structures mentales des nouvelles généra- tions. Refuser cette évolution, ce n’est pas le moyen de résoudre les problémes qu'elle pose. C’est au contraire l’'abandonner a son mouvement. Se laisser aller a la dérive'n’est pas davantage une solution. Il s’agit de faire ce que les Péres de ]’Eglise ont fait pour adapter le message de la Révélation, né dans un milieu sémitique, a la pensée gréco-latine. Il s’agit de baptiser les con- quétes nouvelles de la pensée humaine, c’est-a-dire de les purifier et de les accomplir, ce qui suppose un effort d’invention. Pour que le dogme garde son identité a l'intérieur des métamorphoses de la culture et du langage humains, il faut trouver, sans cesse, LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 1 des formulations adaptées aux nouveaux modes de pensée. Et mieux vaudrait prendre les devants et résoudre les problémes au niveau scientifique dés qu’ils se posent, plutét que d’attendre qu’ils aient déja troublé les esprits. : Prenons quelques exemples.en. théologie mariale. La psychologie, science trés jeune, qu’on peut dater, selon le critére qu’on adoptera, fin XIXe ou début KXe siécle, a ouvert des horizons insoupconnés sur le conditionnement de la foi et de Ja piété. La psychologie des profondeurs notamment, ou psychana- lyse, a révélé les sources cachées et les déterminismes secrets qui se mélent & nos mobiles, méme religieux. On ne peut plus ignorer ce conditionnement. Cette étude n’est pas destructrice de la foi. Bien conduite, elle ne peut que la rendre plus exigeante, et la purifier de cer- taines contaminations ou déviations. Les dimensions psychologi- ques de la dévotion mariale appellent une étude sérieuse; cer- tes, ’essentiel n'est pas 1a. L’essentiel cest la doctrine, mais on ne peut plus ignorer ce qu’est ce conditionnement psychologique de la doctrine et de la piété mariales, objectivement issues de la Révélation. On ne peut ignorer davantage les conditionnements sociolo- giques. Autre exemple: Nos contemporains se sont penchés sur ce qu’ils appellent les «mythess, c’est-a-dire ces formes de repré- sentations dynamiques, chargées d’un fort potentiel émotif et imaginatif, qui conditionnent l’exercice de la pensée humaine, non seulement dans le domaine social ou politique, mais’ dans le domaine religieux. En ce qui concerne la mariologie, ce pro- pléme a été posé explicitement par Bultmann, et, de toute autre maniére, par Jung. En 1958, Geiselmann a consacré a ce théme, une étude trés engagée, assurément intéressante, mais excessi- vement critique et insuffisante en sa partie constructive (1). La Société mariale américaine a consacré au méme théme, de ma- niére indépendante, une étude objective et pondérée (2). Ce fac- teur-la, nous sentons bien qu’il est présent dans l’ombre, méme lorsque nous travaillons selon la technique théologique la plus objective, méme lorsque nous préchons a nos contemporains en- gagés dans la vie et la mentalité de ce monde, car ces prises de () Gusmuuann, J. R., Marien-Mythos und Marien-Giaube, dans Maria in Glaw- de und Frimmigkeit, Rottenburg, Herausgegeben vom Bischéflichen Seelsorgesms, 1964, DD. 30-92. s (2) O'uuans, Thomas Aquinas, O. P., Marian Theology and the contemporers problem of myth, dans Marian Studies 15, 1964, pp. 127-156. ‘ 8 RENE 1AtRaNTEN SS conscience atteignent, par osmose, tantét en bien, tantét en mal, ceux-la méme qui n’ont pas perct explicitement les nouveaux Problémes. C’est ainsi que certaines manféres de parler, certains thémés utilisés au XXVIle et # XVIHe siécles ont spontanément régressé 4 notre époque, du fait de ces prises de consciencela: qu’il s’agisse du mariage mystique avec la Vierge, préconisé par certains spirituels du XVile sidcle, du aretour au sein maternel», ou méme de la maternité sponsale proposée par Scheeben. Les réalités dogmatiques ow spirituelles sous-jacentes 4 ces expres- sions-la se cherchent un autre vocabulaire. Ce ne sont IA que des exemples superficiels. Nous avons & compter aussi avec Je changement des modes de conceptualisation. Le type d’abstraction médiéval qui, aprés saint Thomas d’Aquin, était pea & peu tombé en décadence, sur la pente du rationaliame, du nominalisine, de la «réification», se trouve supplanté dans l’esprit de nos contemporains, par un ~ mode de persée plus existentiel, soucieux d’éxprimer sans arti- fice le mystére de la personne et des relations interpersonnelles, et encore a la recherche de ses moyens d’expression. Nous ne pouvons pas ignorer l’apport de ces modes de pensée pour l’expression de nos rapports avec Dieu, et de nos rapports avec la Vierge Marie dans le Corps mystique. Certaine maniére réifiante et matérielle d’exprimer la médiation mariale se trouve en quelque maniére dépassée par ces exigences-la. Ce n’est pas notre relation réelle, vivante et bénéfique avec la Vierge qui est remise en question, mais seulement des modes de concepiualisa- tion élémentaires et approximatifs. Si ces problémes-la ont été présents a l’élaboration du docu- ment conciliaire, qui se montre averti des piéges et difficultés en la matiére, c’est de maniére diffuse, 4 l’arrigre-plan, et en-deca de toute étude systématique et technique. La mariologie post- conciliaire ne pourra éviter ces problémes nouveaux dont l’exa- men approfondi entrainera comme toujours, non seulement la solution des «difficultés», mais des progrés inattendus. LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 9 Problémes posés par les emouvements» intérieurs a I’ Eglise Passons 4 l’objet propre de notre étude: les courants ou mou- vements qui caractérisent le renouveau catholique du XX° siécle et qui ont trouvé au Concile leur point de convergence: mouve- ment ecclésiologique, mouvement biblique, mouvement oecumé- nique, par exemple. Ces impulsions organiques et spontanées ont appelé, et appellent encore, bien des révisions et des reconver- sions, en mariologie comme ailleurs. ‘ Mais d’abord qu’est-ce qu’un mouvement pris en ce sens-la? Cette acception est des plus récéntes. Elle est ignorée du diction- naire frangais de Littré et je n’ai pu la trouver que dans le plus moderne et le plus savant des Dictionnaires de la langue fran- ¢aise, celui de Paul Robert, publié 4 Paris en 1963. L’acception nouvelle est apparue peu & peu, en ces derniéres décennies, pour désigner les grands courants sociaux qui se sont manifestés au XXe siécle: mouvement ouvrier, mouvement féministe. L’usage svest étendu rétrospectivement au «mouvement humaniste» du XVIe siécle, au «mouvement» de la Réforme, aux «mouvements romantiques <¢t «surréalistes: Un mouvement, c’est un courant collectif qui surgit spontanément du besoin de remédier & une situation humaine ressentie comme défectueuse, de promouvoir un secteur négligé de la vie et de Ia pensée. La multiplication des «mouvements» est caractéristique de l’évolution accélérée de la société moderne, et de sa socialisation. Cette acception du mot s'est tout récemment étendue aux «mouvements» intra-catho- liques. Ceux-ci, par la force des choses, sont ou veulent étre, non une nouveauté absolue, mais la remise en valeur et le développement d’un aspect négligé de la Révélation. Ainsi, ce qu’on appelle depuis peu d’années ale mouvement marial» ¢st-il né, dans une large mesure, du besoin de défendre, de fonder, de promouvoir la doc- trine et le culte de Marie, affadis au XV siécle et remis en question par les réformateurs au XVI°, et plus encore au XVIII* siécles. Les mouvements ou courants dont nous allons parler sont nés, dans une large mesure également, du besoin de compenser les étroitesses et les excés de la contre-réforme. Et c’est pourquoi orientation de ces mouvements parait a certains égards opposée a celle du mouvement marial. 10 RENE LAURENTIN Plus profondément, le mouvement marial fut, dans une cer- taine mesure, un effort compensateur pour remédier A l’abstrac- tion impersonnelle de la scolastique décadente; les autres mou- vements tentent de restaurer et de revivifier la théologie (ainsi entrée en décadence) au contact des sources vivantes et de la réa- lité des problémes du monde. Gardons-nous toutefois de nous en tenir 4 cette apparence et d’exagérer cette opposition. A cet effet, comprenons bien le carac- tere relatif des «mouvementss, ou ecourants d’idée» quels qu’ils soient. : En effet,'il ne faut pas confondre ces processus historiques, si important que soit leur fonction momentanée, avec la Révé- lation, la Tradition, la foi ou le dogme comme tels. Le dogme est permanent et ne Passe pas, Les mouvements sont momentanés comme leur nom l’indique. Ils répondent a des situations de crise ou de transition. Ils tendent a remédier A une carence, a restaurer ce qui est méconnu, a promouvoir ce qui est défaillant, Ils .perdent leur raison d’étre en atteignant leur but. Ainsi le mouvement liturgique, né du besoin de restaurer la pleine valeur de la priére communautaire de I'Rglise tend-il & perdre son existence de emouvements pour se résorber dans la vie essen- tielle de I’Eglise. Pour un mouvement, ce n’est pas 14 une dimi- nution, mais un accomplissement. Comme Jean-Baptiste s’effaca devant le Christ, tout mouvement est appelé 4 s’effacer aprés avoir accompli. son oeuvre historique. C’est 1A un premier facteur de la relativité des mouvements, Ty en a un autre: Un «mouvement» risque plus ou moins de tomber du défaut qu’il tente de corriger dans I’excés contraire. 1 connait, a divers degrés,-les accidents qui sont inhérents a tout effort unilatéral ou spécialisé, & toute recherche sur terrain mal connu, A toute conviction intense. Il a tendance a dépasser son propre but, a méconnaitre ce qui n’est pas dans son axe. Et cela explique, pour une part, les difficultés d’accord et dajus- tement entre les divers mouvements. Il serait donc abusif de mettre, entre les mouvements nés dans le courant de la contre-réforme et les mouvements compensateurs de la contre-réforme, une opposition absolue. Les deux catégories de mouvements (mouvement marial, mouvement eucharistique d’une part; mouvement ecclésiologique, biblique, liturgique, etc., d’autre part), ont toujours poursuivi une méme fin fondamentale: la défense ¢t l'illustration de la Révélation venue du Christ. Mais ils répondent a des aspects différents de cette méme. Révélation. LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 11 ontre-réforme était polarisée par le souci de défendre les 's menacées par la Réforme protestante; les mouvements compensateurs de la période moderne cherchent a retrouver la plénitude des valeurs négligées dans la tension des luttes et des polémiques. Il s’agit donc de deux valorisations complémentaires du méme dépot de la Foi. C’est pourquoi il ne faut ni exagérer, ni dramatiser les difficultés d’ajustement entre mouvements di- versement orientés. Ces difficultés trouveront leur solution, en référence a la régle de Foi, et 4 la plénitude de la Révélation. Si nous gardons présente cette vérité fondamentale, nous pour- rons aborder de maniére irénique, constructive et fructueuse le probléme que posent les difficultés d’ajustement entre la mario- logié issue du mouvement marial, et les requétes des sept courants et mouvements que nous allons examiner. eae 1. Le MOUVEMENT ECCLESIOLOGIQUE Le mouvement ecclésiologique, dont la Constitution Lumen Gentium, document central de Vatican II est, a bien des égards, Vaboutissement, a des origines lointaines. Moehler (1794-1837) en est le précurseur. C’est un penseur discutable et discuté. Son apport positif, celui qui devait porter ses fruits, tient en trois points principaux. 1.° Il est revenu aux sources vives de toute théologie: l’Ecriture et les Péres, compris en eux-mémes dans toute leur richesse, et non comme arsenal d’arguments pour des théses préétablies. Il s'est efforcé de comprendre et d’assumer ce en quoi la théologie protestante était fidéle 4 la Révélation. 3.° (et c'est par 1a qu’il est formellent le précurseur du mouvement ecclésiologique): il a élargi la considération de I'Eglise que la théologie post-tridentine tendait a reduire 4 une hiérarchologie. Ila resitué l’Eglise-hiérarchie dans |’Eglise-Communauté, dans le corps mystique ot elle est un ministére et un service. Moehler ne s’est pas arrété aux conséquences mariologiques de sa perspective. Celles-ci se manifestérent lorsque le mouvement ecclésiologique prit son essor, au lendemain de la premiére guerre mondiale. Dans l’importante série d’ouvrages d’ensemble sur l’Eglise qui furent publiés dans les divers pays d’Europe, notam- ment en Allemagne, France, Espagne, Belgique, Suisse, on voit apparaitre un chapitre ou paragraphe consacré a la Vierge Marie, 12 RENE LAURENTIN membre et organe privilégié du corps mystique (3). L’Encyclique Mystici Corporis a pareillement-consacré une importante section a la Mére du Christ. (4). Dans ces développements issus de la perspective nouvelle, la Vierge est considérée moins dans ses pri- viléges que dans ses fonctions, moins pour elle-méme que dans sa relation au Christ et 4 l'Eglise. On remédiait ainsi a l'une des étroitesses de la mariologie post-tridentine qui tendait A exalter la Vierge pour elleméme sans se référer suffisamment a sa place dans l'ensemble du plan de Salut. Ce courant significatif ne rallia pas d’emblée l’intérét des cercles mariologiques. alors plus préoc- cupés d’ériger la mariologie en «ordre scientifique» relevant de principes propres que de T'intégrer au reste de la théologie. Mais il ne souleva pas.d’objections. Le probléme d’ajustement entre mouvement ecclésiologique et Mouvement mariologique fut ouvertement posé lorsqu’apparurent les ouvrages spécialisés consacrés & Marie et l’Eglise. La premiére étude d’ensemble sur le sujet, et la plus radicale sans doute, celle de O. Semmelroth, Urbild der Kirche, publiée en 1950, voyait dans Ja formule typus Ecclesiae le principe fondamental de toute la théologie mariale. Ainsi la rencontre entre ecclésiologie et mario- logie prenait-elle la forme d’une sorte de conflit, comme si l’ecclé- siologie voulait annexer la mariologie et la réduire & son objet. C’est ce qu’on a appelé le conflit entre la «perspective christoty- Pique» et la «perspective ecclésiotypique» (5). Est-ce un conflit? Je ne le pense pas, en ce sens que sous certains rapports, la Vierge ressemble davantage au Christ, et sous d’autres rapports, a I’Hglise, comme rachetée par exemple. C’est pourquoi la Constitution dogmatique n’a éliminé aucune des deux perspectives, mais les a utilisées dans la juste hiérarchie selon laquelle Marie et I’Eglise sont toutes relatives au Christ, la Vierge devancant I’Eglise, et exercant a l’égard de tous les autres membres de |’Eglise, un réle maternel. Il ne saurait y avoir de (8) Pour le relevé de ces nombreuses études ecclésiologiques sur Is Vierge, Ie nociens Francs emmrenhe erittaue aur, Maris et Fete, dans Bulletin Ia Société frangsise d'Etudes mariakes, 9 (1951), pp. 145-162, et eee bi 176-171. Les‘ princtpeux ‘oh un Géveloppement de quelque Stendue consacré @ Muttict Conports, 29, juin 1948, AAS 28. 1043, pp. 247-248. (5), ,O2s formutes ont ¢t6 propostes par ater ling Taser de Lourdes: Maria ct Beclesia Home , Academia mariana, t. 2 (1959), LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 13 conflit entre l’étude objective de la Vierge et l'étude objective de l’Eglise; c’est accidentellement que la perspective ecclésiolo- gique et la perspective mariologique ont connu des points de friction. Pourquoi? La perspective ecclésiologique revalorisait des ques- tions qui avaient perdu de leur impertance en théologie mariale: toutes celles qui concernent la signification de la Vierge dans le plan de Dieu. Elle dévalorisait du méme coup une autre série de questions: certains aspects particuliers de la grace de Marie, de sa science religieuse et profane, de sa beauté corporelle, des pré- cisions physiologiques relatives a la virginité in partu, etc. Plus profondément, la mariologie tendait A valoriser les ressemblances entre le Christ et la Vierge; Vecclésiologie, 4 manifester la trans- cendance du Christ-Chef vis-a-vis de l'ensemble du corps mystique, ce qui entrainait des divergences dans la maniére d’envisager la part de Marie a la Rédemption. Il ne me revient pas de porter un jugement dernier sur ces tensions. Cet exposé a pour objet de manifester les causes des difficultés et de susciter un dialogue qui fraie les voies A leur dépassement. Une chose tout d’abord est claire. La perspective ecclésiolo- gique n'est pas, de soi, un facteur négatif pour la mariologie. Elle est plutét le moyen de mieux découvrir la Vierge a sa vraie place dans le corps du Christ, ce qui n’est pas diminution, mais mise en pleine valeur, Cela remédie & certaines tentations d’isoler la Vierge en sa grandeur et en sa situation d’exception. La pers- pective ecclésiologique invite A mieux comprendre que les privilé- ges de Marie sont un aspect de ses fonctions, qu’ils ne sont pas seulement des exceptions mais un idéal proposé a notre imitation, quoiqu’ils nous dépassent. In odorem unguentorum tuorum curri- mus, sancta Dei genitrix. De plus, cette perspective offre ainsi aux chrétiens séparés une voie d’accés moins abrupte. Ce n'est pas par hasard que Max Thurian a intitulé son livre: Marie, figure de l’Eglise. Une des clés du raprochement de ces derniéres années tient en ceci: Cer- tains milieux protestants ont redécouvert la Vierge par I’Eglise, tandis que de larges milieux catholiques la situent mieux dans lEglise. La_ perspective ecclésiologique a déja produit ses fruits depuis quelques années. Les sociétés mariales espagnole, alle- mande, francaise, américaine, ont consacré une ou plusieurs années d’études & la question: Marie et V'Eglise. Ce theme est 14 RENE LAURENTIN devenu, sur le désir personnel de Mgr Théas le sujet du Congrés marial international de Lourdes. I] a suscité, a divers degrés, enthousiasme et réticences, accueil et critiques. Quoiqu’il en soit des diverses attitudes, il en est résulté une meilleure intégration de la mariologie au reste de la théologie. Le processus s’est poursuivi au Concile oecuménique. Le pro- bléme y fut un signe de contradiction. Il donna lieu au seul vote qui ait partagé l’assemblée en deux parties presque égales, dans le climat assez tendu dont le souvenir nous reste présent (29 octo- bre 1963) (6). Finalement, le vote qui ralliait les préoccupations plusieurs fois exprimées par Paul VI (7) décida, de justesse l’in- tégration de la Vierge au schéma sur I’Eglise, et obligea ainsi & mieux prendre en considération sa place et sa fonction dans le corps mystique. Cette intégration ne signifie pas que le Concile ait opté pour la perspective ecclésiotypique, ni qu’il ait réduit la Vierge a l'Eglise. Bien au contraire, il a manifesté en quoi la Vierge de- vancait et dépassait le reste de l’Eglise. Et c’est en partie pour bien affirmer ce dépassement-la que Paul VI a tenu a proclamer Marie «Mére de |’Eglise» (8). On ne saurait dire pour autant que le Concile ait été jusqu’au bout des exigences de la perspective ecclésiologique. Le souci de faire un texte qui soit acceptable par toutes les tendances, et puisse étre voté unanimement, a limité la possibilité de tirer toutes ces conséquences, en ce domaine comme en bien d’autres dailleurs. Tl reste done du travail a faire, tant pour aller jusqu’au bout des possibilités ouvertes par cette perspective que pour ajuster sans artifice les requétes authentiques de ce mouvement et celles du mouvement marial. 2. LA THSOLOGIE D'HISTOIRE DU SALUT Un deuxiéme courant doctrinal a contribué a remettre en ques- tion les méthodes théologiques de ces derniers siécles et celles de la mariologie en particulier: la théologie d’histoire du Salut. Ce courant, qui s’est développé dans les pays germaniques, est ©) R. Laurent, La Vierge au Concile, Paris, 1965, pp. 13-16. (7) Tid. pp. 11, 18-20, 170-171. ( Tid, pp. 35-49. LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 15 lié & un processus caractéristique de notre époque: la redécouverte de l'histoire comme dimension de l'homme et de la civilisation. Cette importance nouvelle accordée a V’histoire est, sous certains rapports, une réaction contre les limites de la culture des siécles précédents, portée a I’abstraction intemporelle. Elle est surtout une conséquence de I’accélération qui a commencé 8 saisir le monde au XIX siécle, du fait du progrés des sciences: découverte de Vélectricité et de la locomotion & vapeur, notamment. On a porté un intérét nouveau 4 la dynamique de l'homme et des sociétés, aux progrés de la civilisation, 4 sa signification. Cette signification a été interprétée de diverses maniéres. D'un cété les courants, scientiste ou marxiste, par exemple, qui ont une sorte de foi au progrés. De I’autre, les conceptions existentialistes selon lesquelles le monde est absurde. A ces questions contradictoires que posait la dimension historique de l’homme, la Révélation apporte une réponse profonde. L’histoire a un sens dans le Christ selon la dialectique: création, péché, Rédemption, promesse escha- tologique. La perspective historique récupére ainsi quantité de données positives négligées par la théologie post-tridentine: des données bibliques et patristiques, la théologie d’Irénée, par exem- ple, et rejoint la réalité vivante du monde actuel. En ce qui concerne la Vierge, elle remet en lumiére des données dignes d'intérét: Marie appartient 4 tous les moments de l’histoire du Salut: l’Ancien Testament, le temps du Christ, le temps de l'Eglise (Act., 1, 14) l’Eschatologie. Elle inaugure ¢t devance par sa sainteté immaculée, par sa foi, par sa charité, par son accueil 4 la grace du Christ, la communion de la sainte Eglise au Verbe incarné. Elle devance aussi l’Eglise dans la communion de gloire. Néanmoins, cette perspective ne s’ajustait pas d’elle-méme & celle de la mariologie classique. I] y eut, sur ce terrain aussi, des divergences et des points de friction. L'apport de la perspective histoire du Salut, comme celui de la perspective ecclésiologique, ne consistait pas, en effet, en des éléments statiques (notions, théses abstraites, etc.) qu’on puisse matériellement ajouter aux éléments classiques contenus dans les manuels de mariologie. Cette perspective, en effet, ne conduit pas a découvrir de nouvelles prérogatives de la Vierge, mais 4 considérer sous un autre angle celles qui sont déja connues. Elle invite 4 reconsidérer le mystére du Christ dans son élan, dans sa dynamique, dans ses progrés. Selon cette perspective, certains éléments: ceux qui touchent l’Economie du Salut passent au premier plan. Ils sont revalorisés. D’autres passent au second plan: les aspects ontologiques et stati- 16 RENE LAURENTIN ques notamment. C’est pourquoi la perspective d’histoire du Salut n’a pas rencontré un accueil enthousiaste dans la plupart des mi- lieux mariologiques. On a été plus sensible aux dévalorisations, aux remises en question apparentes, qu’aux éclairages et apports positifs. Que toute la préparation de l’Ancien Testament culmine dans le Mystére de l’Annonciation, que cette perspective mette dans une lumiére nouvelle (celle de Vhistoire), la richesse vitale de la maternité divine, que Marie apparaisse ainsi comme |’exemplaire de la foi par laquelle le croyant «congoit Dieu dans son coeur», ces enrichissements n’ont pas frappé d’emblée certains milieux mariologiques. Par contre cette perspective leur a semblé compor- ter deux risques: 1° Elle diminuerait le relief de la maternité divine, dont la grandeur ontologique serait ainsi noyée dans le flot de l'histoire. 2. Elle diminuerait son caractére de principe des autres pri- viléges. Ainsi cette perspective a-t-elle pu paraitre un facteur de mini- misme, de confusion et d’obscurcissement. Ici encore, je ne me poserai pas en juge de ces difficultés d’ajustement. Objectivement, perspective historique et perspective théologique ne sont pas antinomiques, de méme que l’economia et la theologia des anciens. I! est légitime d’approfondir la doctrine selon ces deux dimensions complémentaires. Et pourtant, c’est un fait que les spéculatifs sont rarement au fait des valeurs histo- riques engagées par la théologie, et, qu’inversement, les historiens sont peu doués pour la spéculation. Cette différenciation ne tient pas a l’objet, me semble-t-il, mais aux bornes de l’esprit humain, toujours plus ou moins limité par un point de vue particulier. Comme l'oeil de l'homme appréhende mal la troisiéme dimension des objets, et en a des perceptions fort diverses selon l’angle de vue, ainsi l'intelligence humaine face & son objet. Iei encore, il ne s’agit pas de choisir une des deux perspectives en laissant tomber l’autre. L’intelligence de l'histoire et l’intelli- gence métaphysique sont légitimes et complémentaires. I] faut en chercher patiemment et laborieusement la synthése, en essayant de surmonter humblement nos limites. Le texte conciliaire s’est engagé dans cette voie de synthése, sans diminuer l'importance de la maternité divine et son caractére fondamental en mariologie, il a fait une large place a l’histoire du Salut: notamment la seconde partie du chapitre qui est intitu- lée: Du réle de la Vierge dans l’Economie, et le dernier, qui pré- LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 17 sente Marie comme Signe de ferme espérance pour le peuple de Dieu en marche. Ajoutons que la théologie d’histoire du Salut n’en est qu’a ses premiers pas. Paul VI projette de fonder a J érusalem, un centre destiné @ la promouvoir, a V’échelle oecuménique: ce fut le theme de ses deux audiences, aux observateurs, a la seconde et a la troi- si@me session du Concile oecuménique (15 octobre 1963 et 29 sep- tembre 1964). ee * Les deux premiers courants que nous avons examinés se ca- ractérisent par une maniére de considérer l'objet du dogme: selon sa dimension communautaire (perspective ecclésiologique), selon sa dimension historique (perspective Whistoire du Salut). Ceux que nous allons examiner maintenant se caractérisent par un re- tour aux sources. 3. LE MOUVEMENT BIBLIQUE Tout d’abord le mouvement biblique. On ne saurait nier que les trois siécles qui ont suivi la Réforme (XVII-XIX° siécles) soient la période ot la Bible a été le moins en honneur dans l’Eglise catholique. C’est alors que l’Ecriture inspirée cessa d’étre ce qu’elle était encore au XIIIe siécle et resta dans une large mesure durant les siécles suivants: le tissu et la base méme de Venseignement. Les commentaires pibliques de saint Thomas ne le cédent pas matériellement en importance A ses oeuvres spécu- latives qui gardent d’ailleurs un contact avec la Bible. A partir du XVIé siécle, la crainte du libre examen, la réaction contre Vimportance exclusive donnée a l'Ecriture par le protestantisme (Scriptura sola) donnérent naissance 4 une sorte de crainte devant la Bible. En France, ott l’on péche facilement par exces, il était courant d’entendre dire, il y a encore une trentaine d’années, que la Bible était a l'index. Certes, cette désaffection ne fut jamais totale. La Bible gardait sa place. Elle continuait détre lue dans Ja liturgie, et etudiée par des spécialistes. La situation n’était pas satisfaisante pour autant. Elle appelait reméde. Ainsi le mouvement biblique apparut-il dans l'Eglise avec la vigueur d’un printemps aprés l’hiver. On y peut discerner deux composantes : ~ 18 RENE LAURENTIN 1° L’application des techniques scientifiques: critique tex- tuelle, littéraire, historique, 4 lEcriture inspirée, A partir de la fin du XIXe siécle, ces méthodes, nées en dehors de la foi, firent leur chemin dans I’Eglise catholique, mais lentement, non sang difficul- tés pour les pionniers qui en saisirent les possibilités et les promes- ses. Les grandes étapes en la matiére furent l’oeuvre du Pére La- grange, sa fondation d’une Ecole biblique a Jérusalem ( 1890), puis celle de l'Institut biblique 4 Rome, et lencyclique Divino Afflan- te (1943) qui donna son statut A l'étude scientifique de la Bible. 2° La revalorisation de Vimportance primordiale du sens lit- téral de l’Ecriture dans la théologie et la catéchése, avec large diffusion de la Bible et de la culture biblique parmi les chrétiens. C'est un des phénoménes les plus spectaculaires de ces vingt der- niéres années. II a facilité le rapprochement oecuménique, car la relative désaffection du catholicisme pour la Bible était un scan- dale pour les protestants. Le renouveau biblique catholique a re- créé chez eux un climat de compréhension et d’estime. Le mouvement mariologique qui se développe A V’issue du XVie siécle était, comme la théologie avoisinante, peu pénétré de lEcriture. Chose curieuse, aux XV-XVIe siécles, des auteurs comme Al- Phonse Tostat (Tostado), saint Thomas de Villeneuve et saint Laurent de Brindes commencent A parler du asilence de 'Ecri- ture» sur la Vierge (9). Le théme fit fortune. Catholiques et pro- testants acceptérent tacitement cette formule regrettable: les pro- testants, pour abandonner peu a peu toute doctrine relative & la Vierge selon le principe Scriptura sola, les catholiques, pour cul- tiver une mariologie parascripturaire ov le sens littéral de la Bible avait peu de place. La surabondance des sens accommodatices est assurément un des caractéres frappants de la littérature mariale des XVII-XVIIle siécles. Je songe a Guy Scheffer consacrant six tomes in-folio A Il’Immaculée Conception dans le livre de la Ge- nése (Prague, 1711-1722). Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le renouveau biblique ait fait son chemin avec une certaine difficulté dans les milieux mariologiques, et qu’il ait parfois été accueilli avec ré- {2 Tostano, libro intitulado «Las catorze questionesy del Tostado a las quatro Gellas, que la principal es de la Virgen Ntra. Sefora, por maravilloso estilo re- Owye 18 Sagrada Escritura... Burgos, 1545, fol. 50-60. 8 Trower ‘VinLaNova, Beer Concio 2 de testo Nativitatis, Venetiis, 1740, col, 405. e. LAURENTIE A PauNpusto, OFM. CaP. Opera Omnia, ‘vol. I, Mariale,’ Pavavit’ 196g, D. 8.9. Voir Feletentt G. Roscuinr, Mariologia, t. 1, 2.° editio, Romae, 1947, » 3, oS Evan- Rclistac quare nos tanto gaudio vestro’ silentio privastiss ait Soins Thomas de Villeneuve, LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 19 ticence. La perspective biblique ne rejoignait pas nombre de thémes sur lesquels, de fait, la Bible est silencieuse. Les mario- logues étaient donc portés a trouver les travaux bibliques mini- mistes; ou méme, a reprocher aux exégétes d’avoir négligé la Vierge (10). On a été jusqu’a parler des versets «antimariologi- ques» de 1I’Ecriture comme si l’opposition venait de la Bible méme. I] est superflu de critiquer pareille formule. Le reproche de négligence ne parait pas fondé non plus. Dans le cadre méme du mouvement biblique, les péricopes et versets marials de l’Ecriture ont été l'objet de commentaires scientifi- ques particuligrement nombreux et approfondis, trés spéciale- ment: Gen. 3, 15; Is. 14; Michée 5, 1-4; l’Annonciation, la Visi- tation (11), Cana, la scéne du Calvaire et l'Apocalypse (12). Ces études ont remis en lumiére des aspects trés importants de la doctrine mariale: la signification et la profondeur du message de l’Annonciation, la présence et le réle actif de la Vierge aux moments-clés de la carriére du Christ: depuis l’Incarnation jusqu’a la Pentecéte, en passant par l’enfance du Sauveur, ses pre- miéres manifestations 4 Bethléem et au temple de Jérusalem et son premier miracle. Sans doute de telles études, illustrées par les noms d'exégétes de premier plan, tels que Lyonnet, Feuillet, Cerfaux, Benoit, Boismard. Braun, et tant d'autres, sont-elles perfectibles, comme toujours dans le domaine de la science. Leurs conclusions com- Portent une part d’hypothéses encore en cours de discussion. Du moins ont-elles apporté a la théologie mariale un incontesta- (10) Voir par exemple «Ephemerides mariologicaen, 14 (1964), p. 111: «Los movimientos en que se ha concretado el universal movimiento de renovacién han Dreseindido practicamente de los aspectos marianos: movimientos liturgico, bi- blico, patristico, etc., todos se han desarrollado sin atender apenas a lo mariano, considerado como ajeno a sus preocupaciones compensadoras. Hemos Megado asi @ una crisis anéloga a la protestante, aunque a escala reducida, dentro del ca- tolicismo. Existen en la Iglesia una doctrina y una devocién mariana que son esenciales a la vida cristiana, pero que se presentan com unas apariencias sos. Pechosas @ quienes viven en contacto con el protestantismo, que participan en algo de su exagerada susceptibilidad para ciertos aspectos del dogma y estan em- Pefiados en suprimir todo motivo innecesario de roce con los hermanos que creen en el mismo Cristo.» (11) _R. LAURENTIN, Structure et Théologie de Luc 1-2, Paris, Gabalda, 1957. Bibliographie, pp. 191-223, voir notamment aux noms de Feuillet, Gachter, Hebert. Lyonnet, ete. Id., Jésus au temple. Mystere de Paques et foi de Marie en Lue 2. 48-50, Ibid., 1966, Bibliographie en’ fin de volume. (12) Je renvoie ici & la sélection bibliographique que j'ai donnée, dans Court Traité de Théologie mariale, 4e éd., 1953, p. 151, sur l'Ancien Testament, Jean et T'Apocalypse, En dépouillant les bibliographies annuelles de Biblica, j'ai le sentiment que les versets marials de l'Ecriture sont parmi les plus étudiés qui soient: Gen. 3, 15; Is. 7, 4; Mich. 1, 1-6; Le. 1-2; Jn. 2, 1-12 (Cana); 19, 25-27 (Ecce mater tua), et Apoc. 12 font Yobjet de nouvelles études presque chaque année. 20 RENE LAURENTIN ble enrichissement qui fut largement assumé par le texte conci- liaire, En effet, dés 1962, de nombreux Péres de Vatican II deman- dérent que le schéma De Beata soit plus biblique. Satisfaction fut donnée a cette requéte. La deuxiéme partie du chapitre pré- sente synthétiquement les données doctrinales de la Bible, qui n’est pas absente du reste (n.° 52 et 66). Le texte conciliaire reste discret sur certaines questions importantes: Jean 19, 25-27 enseigne-t-il la maternité spirituelle? Le chapitre 12 de l’Apoca- lypse concerne-t-il Marie? Ce n’est pas du minimisme, mais un souci de ne pas anticiper sur les conclusions scientifiques. C'est surtout une invitation & continuer 1a-dessus un travail déja bien orienté. La commission a tenu a faire état des versets dits «an- timariologiques» de l’Ecriture, afin de manifester qu’ils ont une signification importante et positive. Quoique relative a I’Incar- nation, la grandeur de Marie est de l’ordre de la grace et non dordre charnel. La Constitution dégage surtout les richesses po- sitives de la Bible: Elle a fait un écho trés constructif aux the- mes mis en valeur par le renouveau biblique: Marie Fille de Sion, sa foi exemplaire, sa communion au Christ, notamment dans les mystéres de l’enfance. 4. LE RENOUVEAU PATRISTIQUE Le retour aux sources patristiques qui a caractérisé notre siécle appellerait des constatations analogues, plus patentes encore. En effet, l’enseignement des Péres sur la Vierge fut long- temps négligé en mariologie (13). On les utilisait de temps a autre comme moyens de prouver telle ou telle thése, mais sans consi- dérer suffisamment leur pensée pour elle-méme. Leur mariologie paraissait minimiste. D'instinct on la passait sous silence. On la tenait secrétement pour peu honorable. L'étude de Mgr. Jouassard, un des premiers qui aient fran- chement exposé pour elle-méme la perspective des Péres sur les principaux points du dogme marial (14), a suscité des remous et des contradictions. Certaines réflexions des Peres, sur la (43) Je Vavais constaté en faisent Ia recensién des premiers recueils biblio- graphiques de G. Besurti. Le premier qui contient Ia bibliografia 1948-1950. Rome, Marianum, 1950, ne contient que 7 études patristiques sur 982 titres. La bibliografia 1950-1951, 2 études seulement sur plus de 2.000 titres. La proportion tend a saméliorer dans la bibliografia 1952-1957, 19 études patristiques sur 5.758 titres. (14) G. Jovassaap, Marie @ travers la patristique, dans Maria I, pp. 69-158. LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 21 sainteté de Marie, notamment, ont été l’objet d’étonnement et Wirritation, sinon de scandale. L’étude a paru négative. Elle a subi des critiques. L’objectivité de ses conclusions s'est imposée. Toutefois, cela n’a pas été sans poser a la mariologie classique, un probléme qui n’est pas au terme de ses solutions. De quoi s’agit-il? Pas de revenir en deca du dogme défini, ni de minimiser la Vierge. Il s’agit de comprendre de maniére objec- tive et désintéressée comment nos Péres dans la foi ont appré- hendé le mystére de la Mére de Dieu. II s’agit de ne pas rejeter en bloc leur doctrine, comme si elle était dépassée ou périmée; mais de comprendre qu’ils continuent d’étre les témoins privilé- giés de la Révélation, quoiqu’a divers degrés. Si on prend les choses par ce biais, on s’apercoit que leur doctrine n’est pas tellement moindre, qu’autrement orientée. Dans la ligne qui est la leur, ils développent des themes positifs et dignes d’intérét que notre scolastique latine avait négligés ou étriqués, surtout au temps de sa décadence, parce qwils n’entraient pas dans sa perspective. Le livre d’Alois Miiller, Maria-Ecclesia, paru en 1951 (15), a manifesté de facon saisissante le positif de cette théologie patris- tique. En le lisant lors de sa parution, j'ai été saisi de cette ri- chessé, et j’ai éprouvé, en toute sa densité, le sens du mot «sour- ce». Les themes remis en valeur par ce livre et par dautres: «Marie a concu en son coeur avant qu’en son corps» (16), c'est: dire par la foi; «le noeud de la désobéissancé d’Eve a été dénoué par l’obéissance de Marie» (17), ont commencé a faire leur chemin en théologie mariale. Ils ont trouvé leur place dans le chapitre conciliaire, qui fait une digne place aux Péres grecs et latins, notamment a saint Irénée et saint Ambroise qui sont explicite- ment nommés (18). (45) A. MULLER, Ecclesia-Maria, Collection Patadosis n. 5, Fribourg (Suisse) Paulusverlag, 1951. ‘Signaions dans la méme ligne Hugo Ranver, Maria und die Kirche, Innsbritck, 1951, et H. CoaTHatem, S. J., Le parallélisme entre la sainte Vierge et VEglise dans la tradition latine jusqwa la fin du Xie siécle, Rome, 1954. (16) Constitution Lumen Gentium (n. 53 et n. 63-65). GQ) Ibid. n. 56 et 63. (18) Saint Irénée est nommément cité aun. 56 (référence A la note 6 de fa Constitution); un autre de ses textes est cité entre guillemets au méme n. 56 (référence & la note 7). Saint Ambroise est nommément cité n. 63: «Ecclesiae typus ut jam docebat s Ambrosius» (Référence a la note 18. Tl est également cité aux notes 10, 17 et 20. Trois autres Péres sont cités en propres termes, mais leur nom n'apparait qu’en note: Saint Augustin (n. 53, note 2; autre citation implicite au n. 63, Sous reference en note); saint Epiphane (n. 58, note 8); saint Jérome (ib. note 9). Le texte conciliaire donne des références groupées aux Péres grecs sur la ssinteté immaculée de la Theotokos (n. 56, note 5), sur I'Assomption (n. 59, 22 RENE LAURENTIN Ici encore la Constitution est une étape, et non un terme. Il reste du travail a faire. Le progrés des études patristiques est de particuligre importance pour notre réconciliation avec les Orthodoxes, comme nous le verrons plus loin (19). ee Les deux mouvements que nous allons considérer maintenant sont essentiellement d’ordre pastoral et pratique. Ils concernent surtout le renouveau de la piété mariale. 5. Le MOUVEMENT LITURGIQUE C’est un fait que les expressions «piété mariale», dévotion mariale» sont usitées essentiellement pour désigner des dévotions particuliéres. Jusqu’a une date récente, la littérature mariale faisait peu de place, ou méme pas de place du tout a la liturgie. Cela était A ce point passé dans les moeurs qu’un théologien des plus ouverts 4 tous les aspects du renouveau actuel: Schille- beeckx, a pu écrire, en 1958, un ouvrage d’ensemble fort remar- quable, dont la seconde partie, consacrée a la piété mariale, ne fait aucune mention de la liturgie (20). Il faillit en étre de méme pour le chapitre conciliaire: C’est presque en derniére heure que fut ajoutée l’incise qui affirme, en écho & Ja Constitution De Li- turgia, la place primordiale de la Lex orandi (21). Le mouvement liturgique n’a pas été sans susciter, lui aussi, des inquiétudes que nous essaierons de comprendre et de rame- ner A leurs justes proportions. Le renouveau liturgique modifie, par la force des choses, l’im- plantation et le style de la piété mariale. Au XIXe siécle, celle-ci s'attachait A promouvoir des dévotions, des titres nouveaux. Si elle s’intéressait a la liturgie, c’était pour y introduire des fétes qui faisaient accéder ces formes de piété particuliéres au niveau note 13), sur la Royauté (n. 59, note 14), sur V'intercession (n. 62, note 15). Cf. aussi notes 20 et 21. (R. LAURENTIN, La Vierge au Concile, pp. 61 et 91). Enfin, le chapitre marial de Vatican II cite les anciens conciles aux notes 1, 10 et 22, et fait allusion au concile d’Ephése au n. 66. (19) ‘Cl-dessous, § 7. La convergence des divers mouvements est telle que nous rencontrons inévitablement les mémes questions en plusieurs endroits. (20) Soumursescxx, Marie Mére de la Rédemption, chapitre 4, Le culte de La Sainte Vierge, pp. 137-176: c'est le plus long de Vouvrage. (a1) No 67. Cette mention de la liturgie fut ajoutée en juin 1963, aueldues mois avant la promulgation. LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 23 @e le priére officielle de I'Eglise. La Congrégation des rites a da © GSener= durant trois siécles, contre ce zéle qui encombrait la ‘arse. & submergeait l’essentiel, a ce point qu’un livre qui Tassemble toutes les fétes accordées, fiit-ce momentanément, a etteins lieux ou familles religieuses, réussit & trouver une féte @e le Vierge pour chaque jour de l’année, A peu de chose prés (22). Le renouveau liturgique nous invite moins a innover qu’a restaurer une juste hiérarchie des valeurs, ot chaque chose soit @ sa place. 1° II restaure la primauté du temporal sur le sanctoral, de Yarmature des fétes majeures: Noél-Epiphanie, Paques-Pente- ete, et des dimanches qui les prolongent, sur les fétes des saints, La place de ceux-ci et celle de la Vierge peut en paraitre dimi- nuée, mais cette «diminution» est toute relative, car elle manifeste la vraie grandeur des saints. Cette grandeur est un pur reflet de la lumiére du Christ qui, en couronnant leurs mérites, couronne ses dons (23). Il s’agit donc d’une revalorisation et non d’une dévaluation. En ce qui concerne la Vierge, il y a plus: Elle a sa place dans le temporal: Evangile de Cana dans le cycle de lEpi- phanie, Passion selon saint Jean (19, 25-27) le vendredi-saint, et surtout, Quatre-temps de l’Avent, féte et octave de Noél qui appellent une remise en valeur (24). La dévotion envers Marie ne sera pas diminuée, mais recentrée et restaurée, si l’on com prend que 1a se trouve le haut lieu par excellence de notre piété envers la Mére de Dieu. 2° Le renouveau liturgique restaure la primauté de la piété objective, c’est-a-dire la liturgie, prigre normative de l’Eglise, sur la piété subjective qui lui est subordonnée. On a pu s’inquiéter de la diminution des dévotions particuliéres qui semble en résul- ter (et qui avait d’ailleurs devancé la réforme conciliaire), On a été jusqu’a penser que la réforme liturgique nuisait a la piété envers la Vierge. Certaines réactions excessives ont pu donner prétexte a de telles impressions. Mais s’en tenir 1a, ce serait pas- ser a cété de l’essentiel: le probléme d’adaptation que le renou- veau liturgique pose a la piété mariale de ces derniers siécles. Ici encore, ce qui parait dévaluation n’est que restructura- tion au profit de l’essentiel. (22) Joseph Escota, Breviarum maianum, Terdae, Sol, 1859. (23) Préface des saints au missel romain. (24) La féte du ler janvier a toujours gardé son caractére de commémoration de ls Vierge dans l'octave de Noél. Oe caractére avait été voilé en ces derniers siécles Dar le nom de «féte de Ia circoncision» qui lui avait été assigné; 11 devient plus manifeste aujourd’hui. 24 RENE LAURENTIN 3. Il faut ajouter autre chose: La multiplication des dévo- tons particuliéres avait été, en partie, compensation a |’inadapta- tion de la liturgie, devenue lointaine, abstraite et incomprise. La restauration de la liturgie rend donc inutiles les dévotions de suppléance. Certes, cette restauration de la liturgie comme priére communautaire universelle ne supprime pas les dévotions parti- culiéres qui gardent leur place et leur fonction, utile quoique secondaire. Le chapitre Dé Beata (1964) I’a rappelé explicitement et avec insistance, a la suite de la Constitution sur la liturgie (1963). Mais, vu la multiplication foisonnante de ces derniers siécles, une certaine diminution quantitative des dévotions par- ticuliéres est un phénoméne normal. Cette «diminution» toute relative est la rancon d’un progrés, comme le remplacement d’un ersatz par une nourriture plus saine et plus substantielle en ma- tiére d’alimentation. Bref, le renouveau liturgique recentre la piété mariale, et par la, il la restructure et la revalorise. Mettre quelque chose ou quelqu’un & sa vraie et juste place, c'est le mettre en valeur: surtout s’il s’agit de la glorieuse Mére de Dieu. La transition qui s'opére est néanmoins délicate. Elle appelle ouverture d’esprit et parfois renoncement, discernement des esprits, enfin, une activité pastorale pacifique et constructive. 6. LE MOUVEMENT MISSIONNAIRE L’interférence du mouvement missionnaire avec le mouve- ment marial est une question plus neuve, plus difficile 4 formuler parce que récente et moins évoluée. Par «mouvement missionnaire», on entend trés spécialement le courant doctrinal et pastoral qui découvre a quel point le ca- tholicisme est devenu minoritaire, et, dans une large mesure, «diaspora» de petits groupes clairsemés 4 travers le monde. Cela est vrai, non seulement pour I’Asie qui compte la moitié du genre humain, mais dans bien des nations chrétiennes, qu’il s’agisse de l’Allemagne ou de la France, «pays de mission», selon l’abbé Godin (25). Le mouvement missionnaire désire que I’Eglise tout entiére, pasteurs et fidéles, prenne en considération cette dimension du (25) Le livre de l'abbé Henri Gootx, France, pays de mission? parut comme on sait, en Prance, @ la fin de la derniére guerre mondiale, Paris, Cerf, 1943. 26 RENE LAURENTIN Les inévitables frictions de cette période de transition ne doivent pas nous faire méconnaitre la valeur du mouvement mis- sionnaire, et les exigences authentiques de sa recherche. Ces exigences et cette orientation ont été assumées au Concile. dans le cadre du schéma 13, et ceux qui comptent dans ce mouvement se préoccupent effectivement de donner sa place a.la Vierge. Bien plus, le mouvement missionnaire, dans son souci méme d’authenticité, rejoint spontanément la Vierge, et commence a manifester, dans sa ligne, un apport positif digne d’attention. Ainsi Karl Rahner, dont l’ouvrage, Mission et grdce (26), répond a l’'axe méme de ce mouvement, a-t-il consacré un chapitre a la Vierge, exemplaire privilégié de l’esprit de l’Eglise en situation missionnaire, notamment par sa foi, par son humilité, par !'élan de la Visitation (28). L’intérét de cette orientation trés construc- tive, c'est qu’elle aide la doctrine a déboucher sur la vie. Cela prouve toujours la méme chose: les mouvements com- pensateurs de la contre-réforme ne doivent pas étre considérés comme contraires a la Vierge et négatifs 4 son égard. Leurs exi- gences bien comprises rejoignent ce qu’il y a d’essentiel dans l’élan du mouvement marial. Il serait vain de se laisser aller a des conflits. La vraie tache, toute positive, c’est de promouvoir cette jonction, au-dela des déficiences et des excés qui masquent encore, de part et d’autre, la convergence. Personnes dont l'équilibre humsin et la maturité mentale laissent gravement & désirer. 3) Perte du sens de la responsabilité... Marie devient alers une sorte de talisman spirituel, qui régle tous les problémes, toutes les difficultés de quelque ordre qu’ils solent, pourvu que l'apétre ait Iheureuse idée de solliciter au bon moment son aide... Ces tendances a des solutions automatistes en matiére religieuse trahissent une grave méconnaissance du caractére infiniment mystérieux des voies divines; elles révélent aussi un refus d’affronter, de chercher 4 comprendre et a vivre les problémes de la vie concréte sur um pied d’égalité avec les autres hommes, dans un esprit de recherche humble et communautaire des lois de la nature et des exigences de la justice & tel moment de Ihistoire, dans tel contexte bien précis. 4) Utilitarisme ‘et... propension & la quantité, accompagnée dune grande pauvreté doctrinaley. ‘Un certain nombre de ces défaillances sont critiquées avec non moins de vigueur par Grignion de Montfort dans son Traité de la vraie dévotion. La vraie dé vition @ toujours en effet une grande exigence de pureté et d’authenticité. L'inau- thenticité en matiére d'amour blesse l'amour guére moins que ne le feratent 1a haine ou la tiédeur. De 1a certaines réactions, dures et excessives peut étre, mais qui procédent tout de méme de l'amour. Ces réflexions ne sont pas un cas isol6. On en trouverait de non moins vigou- reuses au Chili: F. Auvear, Refleziones sobre la Pastoral mariana en Chile, dans Teologia y vida, 5 (1964), n° 3, Dp. 159-206. (27) K. Ranwer, Mission et grace, t. 1, XX. siécle, siécle de grace, traduction éditée & Paris, Mame, 1962, pp. 229-240. De mame le livre de S. E. Mgr. G. Huyghe, Conduits por VEsprit, Paris, Cerf, 1964, pp. 71-127: Toute 1a troisiéme partie de ce livre engagé dans le sens missionnaire est consacrée a la Vierge. (28) Voir aussi R. Laventin, La Question mariale, réédition de 1964, p. 186, note 4. LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 27 7. LE MOUVEMENT OECUMENIQUE C’est sans doute le mouvement oecuménique qui a posé aux mariologues les problémes les plus aigus de la maniére la plus abrupte. Il faut aller aux racines historiques de cette situation délicate. C'est un fait que la théologie catholique a pris, a la suite de la réforme, un style défensif et parfois polémique. La sauvegarde des positions catholiques sur les points mendcés absorbait toute attention. Cette défense était assurément légitime, mais elle avait un cardactére trop exclusif qui appelait un dépassement. En effet, cette perspective close comprenait souvent mal les posi- tions adverses, et négligeait de s’arréter aux justes requétes qui les inspiraient. Il en résultait un certain durcissement ou. un certain laisser-aller en sens contraire. A cette perspective d’opposition, une perspective de dialogue Sest substituée. Cette attitude nouvelle se cherche déja au XIXe Siécle (29); elle débouche A |’échelle du protéstantisme a Edim- bourg en 1910. Un mouvement oecuménique d’inspiration catho- ligue apperait 4 son tour, au lendemain de la derniére guerre, sous influence d"hommes comme dom Lambert Beauduin (30), qui avait &é aussi le promoteur du renouveau liturgique (tou- jours la convergence des divers mouvements). II] se manifeste d’emblée par les célébres «Conférences de Malines», 1921-1925, acte prophétique, mais prématuré, prestigieux mais discutable en ses modalités. L’échec de cette tentative fait sentir la nécessité d’une réflexion théologique en profondeur (31), d’un effort de dialogue, humble, patient, 4 long terme. Les pionniers de l’oecuménisme ont travaillé dans l’ombre, en butte a d’extrémes difficultés a pro- portion des inquiétudes que soulevait le changement d’attitudes. (29) N’oublions pas qu'ici encore, il ne s’agit pas d’um commencement absolu. Dune part, Vesprit de dialogue ocecuménique était vivant aux Conciles du La- tran IV (1215), de Lyon II (1274) et de Florence (1438). On a renoué avec ces attitudes-la. Diautre part, n’oublions pas les éléments précurseurs du mouvement oecumé- nique: les 34 documents de Léon XIII en faveur de l'unité (G. Baum, L'unité chréttenne d’apres la doctrine des Péres (Paris, Cerf, 1961), la fondation de la semaine de l'Unité en Angleterre par Spencer, Jones et Paul Wattson (1908) et déja, au XIX slécle, attitude de Moehler, et les premiéres tentatives anglaises, dont le développement fut arrété au point de départ, (30) L. Bouyer, Dom Lambert Beauduin, Paris, Casterman, 1964. (31) Ici se situe 1a contribution du P. Conaar, Chrétiens désunis. Principes Wun oecaménisme catholique, Paris, Cerf, 1937, Unam sanctam, no 1. 28 RENE LAURENTIN Beaucoup voyaient mal encore comment on peut «dialoguer sans se compromettre», selon une formule de Jean XXIII: L’effort de compréhension nécessaire au dialogue paraissait, et parait encore a certains, contamination et abandon. Le probléme se manifeste de maniére particuliérement aigué en ce qui concerne la Vierge qui est, avec la papauté, une des dif- ficultés majeures en matiére d’oecuménisme. La crainte qu’un tel dialogue porte au minimisme est donc bien compréhensible. Et certaines attitudes de facilité ont pu justifier ces craintes. Ici encore, pourtant, oecuménisme et dogme marial ne sont pas antinomiques. Les difficultés, les points de friction, les oppo- sitions qui se manifestent parfois entre milieux mariologiques et milieux oecuméniques, tiennent en ce qu'il y a d’unilatéral, d’excessif, de superficiel de part et d’autre. I] faut travailler a résoudre ces difficultés a partir de l’essentiel. Le mouvement cecuménique ne s’est pas désintéressé de la Vierge. Il a produit des réalisations constructives (32). Depuis une trentaine d’années, nous avons assisté une évolution de l’atti- tude protestante envers la Vierge. Celle-ci n’avait cessé de se durcir depuis les origines. Au XVIIe siécle, l’opposition au culte catholique, qui était couramment taxée de superstition et d’ido- latrie, allait souvent jusqu’a une sorte d’hostilité envers la Vierge elle-méme. Le dialogue oecuménique a conduit de largées milieux protestants 4 revaloriser les données de la Bible sur la Mére de Jésus, a reconnaitre la signification de son réle exemplaire & Yorigine méme de I’Eglise, sa place de premier plan dans la communion des saints. Cette recherche a conduit A mettre en lumiére le réle de la Vierge, Fille de Sion, figure de 1’Eglise, modéle de la foi, de l’espérance, de Vhumilité, des vertus évan- géliques et des béatitudes, notamment par son Magnificat. Le travail biblique qui est a la racine de ce rapprochement a été, dans une large mesure, l’oeuvre commune des protestants et des catholiques. Ainsi le theme Marie Fille de Sion lancé par le P. Lyonnet en 1939 (33) a-t-il été repris par des protestants: Stahlin en 1945 (34) et de maniére plus positive par A. G. Hebert (32) Ainsi par exemple, le recuel! collectif, Dialogue sur la Vierge, Lyon, Vitte, 1950, réunit des contributions protestantes et catholiques notament l'abbé Couturier, le P. Ganne, J. Guitton, le pasteur J. de Saussure (Méditation sur fa Vierge, figure de U'Eglise), M. Thurlan (Marie dans la Bible et dans l'Eplise) (83) 8. Lyonner, 8. J, yape xeyapitwnsy, dans «Bibl.» 20 (1939), pp. 181-141, Le récit de VAnnonciation et la maternité divine de la Sainte Vierge, conférence dactylographiée, Roma, Pontificio Istituto biblico (1954), édité dans Ami du clergé (1956), pp. 33-48. Traduction italienne: 1 racconto dell'Annunsiazione, dans Scuola Cattolica, 82 (1954), pp. 411-446. (34) Ganuin, H.. Der Messias und das Gottesvolk. Studien zur protolukanischen LES EXIGENCES DE LA RENOVATION CONCILIAIRE 29 en 1950 (35). Mon livre Structure ét Théologie de Luc. 1-2 (36) qui a tenté d'approfondir cette ligne, a eu son influence a son tour, chez un Max Thurian (37) par exemple. Cette investigation fut enrichissante pour les catholiques, me sem- ble-t-il, aussi bien que pour les protestants, quoique différem- ment. Les catholiques ont retrouvé la Vierge dans |’Ecriture, tandis que les protestants la retrouvaient par |’Ecriture. Certes, ici comme ailleurs et plus qu’ailleurs, ce n’est qu’un commencement. Il subsiste des difficultés considérablés, méme avec VOrient. De ce cété, il faudrait que nous réalisions ensemble une étu- de approfondie, non seulement de V’Ecriture, mais encore, et surtout, de la Tradition commune, notamment des Péres orien- taux et des auteurs byzantins; ceux-ci sont méconnus en effet, sauf rares exceptions, non seulement par les catholiques, mais par les Orientaux eux-mémes, qui ont A redécouvrir leur propre tradition (38). Les surprises qui résulteraient d’une telle étude ne seraient sans doute pas moindres (dans une autre ligne d’ailleurs) que celle des protestants au sujet de Luther. En étudiant de plus prés ce que leur fondateur a dit de la Vierge, ils ont mis a jour des éléments positifs et fervents qu’on avait trop oubliés. Ces éléments sont l’écho de la tradition commune, notamment l’'im- pressionnante série de sermons de Luther sur la Visitation et le commentaire sur le Magnificat, que Mgr Gawlina, polonais, citait le 17 septembre 1964, quelques jours avant sa mort, dans la basilique Saint Pierre de Rome. Avec les Orientaux, il yacela de plus que leurs sources sont les nétres et qu’elles ont méme une place privilégiée en ce qui concerne la Vierge. Quoiqu’il en soit du résultat encore imprévisible de ces tra- vaux futurs, c’est par cette voie d'un commun retour aux sour- ces bibliques et patristiques que nous pourrons parvenir a ré- soudre les difficultés apparemment insurmontables que posent, du point de vue oecuménique, les dogmes de I’Immaculée Con- Theologie, Uppsala. Almauist, 1945, et Jungfrau Maria Dottern Sion, dans Ny kyrklig Tidskrift, 18 (1949), pp. 102-124 (35) HEBERT, A. G., The Virgin Mary daugter of Sion, dans Theology, 53 (1950), Pp. 403-410: V'anglican Hebert s'inspire de l'article de Sahlin, mais accepte la ¥irginité de Marie que ce dernier éliminait, et La Vierge Marie, Fille de Sion, traduction du précédent par F. Roner, dans Vie Spirituelle, 85 (1951), pp. 127-139, (36) Paris, 1957. (37) THuntan, M., Marie Mere du Seigneur, figure de VEglise, Taizé, 1962, Pp. 19-95. (38) Sur ce programme de travail, voir R. Lavrexrin, La Vierge au Concile, Paris, 1965, pp. 92-93.

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