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GIRAUDOUX

Électre

Préface de Jean-Pierre Giraudoux, commentaires


et notes de Jacques Body,
Le Livre de Poche « Classiques », no 1030, 160 pages.

Lecture

INTRODUCTION

L’édition offre une préface de Jean-Pierre Giraudoux,


fils de Jean, lui-même auteur d’une Électre en 1964, autre
version moderne du mythe qui accentue encore son carac-
tère de pièce policière. Le commentaire et les notes sont
de Jacques Body, auteur de plusieurs ouvrages importants
sur Giraudoux ainsi que des notes de l’édition de la biblio-
thèque de La Pléiade. Les personnages y sont bien caracté-
risés et les passages clés isolés. Les notes seront peut-être
un peu insuffisantes pour des lycéens, mais elles pourront
être complétées par celles de l’édition de La Pléiade. Le
dossier de textes critiques, en annexe, offre des éclairages
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nombreux et variés de l’œuvre et ouvre sur plusieurs types


d’interprétations.
L’Électre de Giraudoux, en qui l’auteur voyait une de ces
« statues éternelles » à « épousseter », conserve la complexité
et les implications symboliques du matériau antique. Autour
de la figure, une réflexion se noue sur les rapports entre la
pérennité mythique et l’actualité : la mise en scène de la
vérité, de la justice et de la passion est placée dans le contexte
contemporain de l’ambiguïté des valeurs et des paradoxes de
comportements – aucun des personnages n’est intégralement
positif ou négatif – qui permettent de nombreuses interpréta-
tions et en rendent l’étude particulièrement intéressante.

EXPLORATION

Le mythe d’Électre
Le mythe original d’Électre fait remonter la généalogie
des Atrides à l’un des fils de Pélops : Atrée, roi de Mycènes,
bannit son frère Thyeste qui avait séduit sa femme Aeropé,
mais il le fit revenir peu après sous prétexte de se réconcilier
avec lui. Il prépara un banquet où l’on servit à Thyeste la
chair de ses enfants : ce dernier s’enfuit en jetant une malé-
diction sur les Atrides. Grâce à sa propre fille, Pélopia, il
devint père d’un autre enfant, Égisthe. Selon la légende,
Égisthe et Agamemnon sont donc familialement ennemis,
cousins et rivaux. Cette histoire est à la base du mythe,
même si les différentes versions comportent des variantes
et si d’autres personnages viennent s’y ajouter. Ensuite, la
légende raconte comment la rivalité entre les cousins aboutit
au meurtre d’Agamemnon par Égisthe, avec la complicité de
Clytemnestre, épouse du premier, amante du second. Oreste
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revient sept ou huit ans plus tard pour venger son père. Si
Électre apparaît vite comme un acteur essentiel pour la réso-
lution de la vengeance (les pièces de Sophocle et d’Euripide
en font déjà une figure de premier plan), elle n’est qu’un
comparse dans la légende originelle.

La place du mythe dans Électre de Giraudoux


L’origine de l’inspiration de Giraudoux est incontes-
tablement la matière grecque (voir, à ce propos, Pierre
Brunel, Pour Électre et Lise Gauvin, Giraudoux et le thème
d’Électre). Il affirma, dans un entretien, n’avoir relu aucun
des ouvrages antiques mais ses études classiques (en khâgne
à Sceaux, puis à l’École normale supérieure, rue d’Ulm) en
faisaient un très fin helléniste, bon connaisseur des textes
anciens.
La version d’Euripide (413 av. J.-C.), qui comporte une
certaine distance par rapport au mythe, avec des éléments
parodiques que l’on retrouve chez Giraudoux, constitua sans
doute l’influence la plus directe. Comme chez Giraudoux,
la figure d’Électre y est dotée de caractères ambigus : l’achar-
nement dont elle fait preuve contre sa mère, son intransi-
geance, sa manière d’être en permanence au paroxysme de la
fureur obligent le lecteur ou le spectateur à nuancer sa vision
du personnage.
La différence principale entre les textes antiques et le texte
de Giraudoux tient cependant à la façon dont est centrée
l’action dramatique : la reconnaissance du frère et de la sœur
et la façon dont s’accomplira la vengeance sont les nœuds des
pièces antiques tandis que, dans la pièce de Giraudoux, l’action
est d’abord orientée autour de la manière dont la vérité va se
faire jour, sur l’enquête quasi policière qui vise à reconnaître les
coupables et à les châtier. La recherche d’indices, la conduite
d’interrogatoires serrés mènent l’ensemble du second acte
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selon les règles du roman de détection classique. La fatalité


toute-puissante qui régissait la tragédie, en quelque sorte au-
dessus des personnages, est délaissée au profit d’un rapport
plus moderne à la destinée humaine.
D’autres innovations de Giraudoux contribuent à croiser,
dans le mythe, la généralité des passions humaines et une
temporalité actualisée, notamment dans une certaine radica-
lisation des sentiments : Égisthe est sensiblement amoureux
d’Électre et il meurt en prononçant son nom ; de même, le
soupçon de l’inceste entre Oreste et Électre apparaît peu dans
les autres versions : il est ici symboliquement confirmé et ren-
force la violente mise en scène de la rivalité qui déchire la
mère et la fille. L’entremêlement des figures antiques avec des
personnages nouveaux fait jouer l’histoire sur deux niveaux,
mythique et social. Les éléments parodiques, les anachro-
nismes, les personnages bourgeois (le couple constitué par
Agathe et le Président est un avatar dégradé du couple formé
autrefois par Clytemnestre et Agamemnon) contribuent
parfois à actualiser la tragédie classique en « tragédie bour-
geoise » (Giraudoux présente lui-même ainsi son texte). Les
petits décalages entre le sujet et le contexte, qui s’emploient
à créer des effets d’humour dans la pièce, visent aussi à assu-
rer cet ancrage. C’est ainsi par exemple que, dans la bouche
d’Égisthe, Argos se transforme en une sorte de petite ville de
la province française, avec « ses tours, ses ponts, les fumées
qui montaient des silos des maraîchers, première haleine de
sa terre, et le pigeon qui s’éleva, son premier geste, et le grin-
cement de ses écluses, son premier cri ».
Les anachronismes, déjà présents dans Amphitryon 38 et
dans La guerre de Troie n’aura pas lieu, signalent une liberté
parfois impertinente et drôle par rapport à la légende, vis-
à-vis d’un sujet noble que l’auteur actualise aussi de cette
manière. Il ne succombe jamais aux prestiges d’une couleur
Électre 5

locale antique, à une accumulation de détails pittoresques


qui viendraient gêner la perception de la contemporanéité
de l’œuvre.

Le schéma dramatique de la pièce


La pièce est divisée en deux actes séparés par un
« entracte », constitué par le long lamento du jardinier, avec
lequel Giraudoux se vantait d’avoir produit « le plus long
monologue jamais écrit pour le théâtre ». Comme La guerre
de Troie n’aura pas lieu, Électre est donc une pièce en deux
actes. « J’ai centré vigoureusement l’action. Je décris la nuit
dans laquelle Électre découvre la vérité au sujet de la mort de
son père. L’action commence à 7 heures du soir et se termine
à 7 heures du matin. Deux actes, coupés par un interlude,
qui se déroulent dans un même décor […] représentant les
remparts d’Argos » (entretien avec André Warnod, Le Figaro,
11 mai 1937). L’action commence au soir du jour ou Électre,
princesse d’Argos, doit être donnée en mariage au jardinier
du palais. L’unité de lieu comme celle de temps sont respec-
tées : au lieu des vingt-quatre heures classiques, douze heures
suffisent même à l’accomplissement du mythe.
L’organisation en deux actes, si elle semble accélérer le
déroulement du drame, permet aussi de faire dépendre symé-
triquement les parties l’une de l’autre, les construire en miroir,
la première allant dans le sens de l’obscurcissement et la
seconde dans celui du lever de la lumière et de la vérité (par
ex. la scène 4, dans les deux actes, met en scène l’affrontement
de la mère et de la fille, et peut être étudiée de manière symé-
trique et opposée). Si l’on observe attentivement le déroule-
ment de l’intrigue, il semble aussi possible de rétablir une
construction classique en cinq actes, chacun des deux actes
pouvant être divisé en deux moments correspondant à des
étapes dans le déroulement narratif.
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– Première partie (« 1er acte ») : acte I, scènes 1 à 4, pp. 11 à


50 : Exposition.
– Deuxième partie (« 2e acte ») : acte I, scènes 5 à 13, pp. 50
à 70 : La reconnaissance.
– Troisième partie (« 3e acte ») : Entracte, pp. 71 à 74 : Le
Lamento du jardinier.
– Quatrième partie (« 4e acte ») : acte II, scènes 1 à 6, pp. 75
à 99 : La conquête de la vérité.
– Cinquième partie (« 5e acte ») : acte II, scènes 7 à 10,
pp. 100 à 132 : Dénouement et châtiment.
Tel qu’apparaît le cheminement du contenu, le premier
acte présente successivement les actants du drame et le fil qui
progressivement se dénoue, l’enquête à mener. C’est un acte
crépusculaire, qui conduit le spectateur de la tombée du jour
à la nuit complète. Le second est celui de l’avènement de la
vérité et du dénouement inévitable : il est, au contraire du
premier, celui de la lumière naissante, des premiers rayons de
l’aube à la pleine aurore (notons une inversion du schéma de
Phèdre qui commence au lever du jour et s’achève au crépus-
cule). La légende ne joue que sur un second plan, conviant la
pièce à un dénouement nécessaire, prévu, écrit d’avance. Au
premier plan, Giraudoux place un aveuglement humain, des
débats humains, une quête humaine qui semblent repousser
bien loin l’histoire ancienne. Ces deux plans se rejoignent
dans le monologue du Mendiant, à l’avant-dernière scène,
quand le temps présent de l’histoire « rattrape » le temps
ancien de la légende.

Les personnages : couples et duos


Les huit personnages principaux de la pièce peuvent, pour
la plupart, être présentés par couples, tant les relations qui se
nouent importent pour le déroulement de l’action. Ces rela-
tions existent, en amont, dans les liens familiaux ou sociaux
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et, en aval, par les rôles de chacun dans l’intrigue. En outre,


il est possible d’enrichir encore leurs significations en mon-
trant comment ces couples se font et se défont, comment
d’autres se forment temporairement (par ex. Électre et le Jar-
dinier, au commencement de la pièce, ou Électre et Égisthe,
à la fin). On compte trois couples, un duo et un quatuor,
ce dernier pouvant aussi se ramener à un duo puisque les
petites Euménides, bien que trois, ne constituent qu’une
même figure triplée.

Les couples
– Électre et Oreste : le frère et la sœur (enfants de Clytemnestre
et d’Agamemnon), ils sont aussi symboliquement mari et
femme (I, 7), définitivement liés par le meurtre, voulu par
l’une, commis par l’autre.
– Clytemnestre et Égisthe : ils sont amants et les principaux
acteurs de l’histoire racontée de façon rétrospective. La
lumière se fait progressivement sur leur rôle dans le meurtre
d’Agamemnon et sur leurs rapports. Dans le drame présent,
ils sont passifs, en attente de l’accomplissement de leur des-
tin, identifié à la vengeance d’Électre et d’Oreste.
– Agathe et le Président : ils constituent, par rapport aux
couples précédents, le couple légitime, incarnation des vertus
bourgeoises. Le développement de l’intrigue va révéler l’alté-
ration de ces solides valeurs en avérant l’infidélité d’Agathe
et en dévoilant ses nombreux mensonges. La vérité, si elle
est au cœur de l’intrigue principale, fonctionne aussi par rap-
port aux histoires secondaires.

Les duos
– Le Jardinier et la femme Narsès : tous deux représentent
les humbles contre les rois. Tous deux font, à un moment de
la pièce, le lien entre les deux groupes, le Jardinier en accep-
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tant d’épouser Électre, au début de la pièce, et la femme


Narsès en la considérant comme sa fille à la fin. Aucun de ces
liens ne peut se réaliser vraiment : ainsi, étrangers au monde
des rois, le Jardinier et la femme Narsès font le lien avec
l’extérieur tout en ayant conscience de l’impossible corres-
pondance entre ces deux mondes.
– Le Mendiant et les petites Euménides : ces personnages
occupent la place laissée vacante par la disparition du chœur
antique. Le Mendiant apparaît tantôt comme un dieu
déguisé venu intervenir momentanément dans la vie des
hommes, tantôt, plus symboliquement, comme le récitant
de la légende ancienne. Les petites Euménides, variantes
des Érinyes qui apparaissent dans d’autres versions, sont les
figures du destin : en minant sans cesse l’action et en préci-
sant ses dénouements, elles précipitent la tragédie. Plus posi-
tive, la vision du Mendiant compense leur négativité.

Une pluralité d’interprétations


La complexité du texte ouvre la lecture à une pluralité
d’interprétations : lecture mythologique, lecture politique,
lecture psychanalytique, toutes ont quelque chose à apporter
à la compréhension globale du texte qui, parfois, ne peut se
faire sans une réunion de plusieurs approches.

– Interprétation mythique
Elle juxtapose plusieurs versions du mythe d’Électre pour
dégager l’actualité de celle de Giraudoux, en insistant parti-
culièrement sur le déroulement de deux temporalités, à la
fois superposées et distinctes.

– Interprétation psychanalytique
Elle permet de lire, dans Électre, une histoire parallèle à
celle qui est au fondement du complexe d’Œdipe, d’une fille
Électre 9

amoureuse de son père et haïssant sa mère et, dans les divers


déplacements et expressions de cette relation au cours de la
pièce, les fondements symboliques du drame qui se noue.

– Interprétation politique
Elle oblige à lire la tragédie non plus en termes de destin
et de justice divine mais en fonction de valeurs humaines
inconciliables, la pureté et la raison d’État. L’opposition
entre deux types de justice, l’une humaine et politique, repré-
sentée par le Président du tribunal Théocathoclès et l’autre,
immanente et mythique, incarnée par Électre, permet de
déplacer le tragique de la transcendance vers l’humain. L’inté-
rêt du personnage d’Électre, dans la version de Giraudoux,
tient à ses ambiguïtés : figure paradoxale du conservatisme
et de la révolte, elle trouve des correspondances aujourd’hui
dans certaines rigueurs idéologiques. Égisthe, métamor-
phosé de manière inédite par l’auteur en « grand roi » fait
passer la raison d’État avant une justice divine estimée suran-
née, moins urgente que la paix et la sauvegarde de la patrie.
Gérard Genette, dans Palimpsestes, voit en lui « l’une des pre-
mières figures modernes de l’homme d’État, peu scrupuleux
sur les moyens, mais dévoué à sa cause ».

Études

EXPLICATIONS DE TEXTES

Acte I, scène 6 (pp. 51-52) : la reconnaissance d’Oreste


Introduction
Les versions antiques du mythe faisaient de la scène de
reconnaissance entre le frère et la sœur le sommet drama-
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tique de la pièce, celui où tout se dénouait et ce vers quoi


toute l’intrigue tendait. Giraudoux s’oppose à la tradition
en plaçant la scène dès le premier acte, comme si elle était
le passage obligé dont il fallait se débarrasser au plus vite.
Rien n’est encore joué : Électre n’a pas encore découvert les
raisons de sa haine et le mystère sur la mort d’Agamemnon
pèse toujours comme un poids obscur sur la pièce.

Rapidité d’exécution
Le dialogue entre Électre et l’Étranger enchaîne des
phrases brèves, comme les stichomythies de la tragédie clas-
sique (moments où les interlocuteurs se répondent vers pour
vers). Cette brièveté augmente la rapidité du rythme. Le dia-
logue se fait en quinze répliques et la reconnaissance survient
à la quatorzième ; cependant, la scène se joue en trois temps
bien distincts. Le premier (les huit premières répliques)
conjugue lutte physique et lutte verbale ; le deuxième (les
cinq répliques suivantes) présente l’énigme de l’identité de
l’Étranger ; le troisième (les deux répliques finales) impose la
reconnaissance du frère et de la sœur.

De la lutte à la résignation
Les deux premières répliques évoquent concrètement la
lutte entre Électre et l’Étranger : la clôture par le substan-
tif « mort » insiste sur la gravité du combat. La polysémie
du terme utilisé (« débattre ») signale qu’il s’agit à la fois
d’une lutte physique et d’une lutte verbale par laquelle se
poursuit le dialogue. La figure de l’antanaclase (quand le
personnage reprend le mot de l’interlocuteur et tente de le
charger d’un sens différent) donne à ce dialogue les carac-
tères d’une lutte verbale (« mot » / « mensonge », « mon
nom » / « un nom »). Dans la fin de la scène, Électre rend
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les armes, se laisse aller au désespoir, puis à la surprise ravie


(« Tu es Oreste ! »).

Des sentiments extrêmes


Électre, dans l’ignorance où elle est de l’identité de l’Étran-
ger, fait preuve d’une attitude de défense : elle se débat, lui
répond sèchement (« Pas d’insulte ! » ; « Honte à vous… »),
et use d’un vocabulaire de la violence (« mort », « infamie »,
« mensonge ») et d’expressions radicales (« Adieu pour tou-
jours ! » ; « il n’est plus au monde qu’un nom… »). Paral-
lèlement Oreste, qui comprend l’attitude de sa sœur, sait
aussi tout ce qui les lie : son discours dessine, en creux la
figure d’une Électre tendre, « douce » et annonce de manière
proleptique leur rapport dans les scènes suivantes : (« tout
à l’heure, tu vas me prendre toi-même dans tes bras » ; « un
seul mot et tu vas sangloter dans mes bras »). Électre est dans
les deux cas tout aussi passionnée, tantôt mue par la haine,
tantôt par l’amour. Le seul moment où Oreste exprime son
propre sentiment survient dans la dernière réplique où il
marque son dépit de n’être point reconnu pour lui-même,
mais pour son nom seul.

Conclusion
Comme pour compenser une certaine rapidité d’exé-
cution, Giraudoux fait rejouer plusieurs fois la scène de la
reconnaissance dans cette partie de la pièce : elle se repro-
duit en effet, scène 11, entre la mère (qui survient à la fin
de la scène étudiée) et le fils. Là encore, la reconnaissance
se fait en deux répliques : « Clytemnestre. – Ainsi c’est toi,
Oreste ? / Oreste. – Oui, mère, c’est moi. » Le parallèle est
sensible puisque, chaque fois, Oreste répond en nommant le
lien de sang qu’il entretient avec son interlocutrice (« mère »
et « sœur »). Enfin, la scène est répétée une troisième fois,
12 Giraudoux

scène 12, dans un rejeu de la scène précédente par les petites


Euménides : « Première Euménide. – Ainsi c’est toi, Oreste ? /
Deuxième Euménide. – Oui, mère, c’est moi » (p. 66). Les
répliques de la reconnaissance sont identiques mais la suite
diffère car les Euménides remplacent les paroles douces
échangées par la mère et le fils par l’expression de l’angoisse
de mort de Clytemnestre craignant que son fils ne soit
revenu pour la tuer. C’est dans la démultiplication que cette
reconnaissance prend ainsi tout son sens.

Entracte, Lamento du jardinier (pp. 71-73) du début jus-


qu’à « Et tout cela s’applique à la pièce » : antithèse et réver-
sibilité.
Introduction
Bien que souvent considéré comme un monologue, ce
« lamento » n’en est pas vraiment un puisqu’il est récité hors
scène, devant le rideau. Le jardinier n’est « plus dans le jeu ».
Ce jeu du théâtre hors du théâtre est le lieu d’une adresse
privilégiée au public : « je suis libre de venir vous dire ce que
la pièce ne pourra pas vous dire ». Il convie l’ensemble des
spectateurs à son mariage fantoche (« Merci d’être là »). Il
en fait les témoins privilégiés d’une comédie pathétique où
s’exprime sa profonde tristesse. Porteur d’une vérité qui lui a
été révélée par l’événement, le jardinier entreprend alors de
dire celle de la vie et celle de la tragédie, vérité qui, dans les
deux cas, se nomme amour.

Une parodie de nuit de noces


Le jardinier passe seul sa nuit de noces, Clytemnestre
ayant refusé qu’il épouse Électre. Il avait tout préparé, le jar-
din, le sirop d’oranges, les mots qu’il dirait à Électre entrant
dans sa maison ; il avait revêtu son bel habit blanc. Dans la
solitude et l’abandon, le sirop paraît amer et l’habit blanc
Électre 13

le rend presque aussi fantomatique, au triste clair de lune,


que son épouse qui n’est plus qu’un mot : « Il nous a promis
une mariée, pensait le chien, et il nous amène un mot. »
L’évocation de tous ces éléments renforce le vide laissé par
l’absence d’Électre. Tout n’est plus qu’ombres, chouette aveu-
glée, arbres pétrifiés et collines immobiles.

Une structure antithétique


Le désespoir du Jardinier face « au grand malheur de
la vie » va peu à peu, au cours de ce monologue de près de
quatre pages, se transformer en expérience bénéfique, selon
l’effet d’une loi dont il découvre qu’elle gouverne le monde :
la réversibilité. « Vous auriez compris le jour […] où vous étiez
abandonné, que le monde entier se précipitait sur vous dans
l’élan et la tendresse. C’est justement ce qui m’arrivait dans ce
faubourg vide et muet. » Le lamento est entièrement fondé sur
le paradoxe et l’antithèse. « Je dis toujours un peu le contraire
de ce que je veux dire », admet-il. Pourtant, cet empêchement
qui frappe sa parole n’en est pas un puisqu’il permet de décou-
vrir, dans les énoncés paradoxaux, des vérités plus profondes
et plus fondamentales. Elles touchent à la vie, mais aussi au
sens de la tragédie : « Et tout cela s’applique à la pièce. »

Conclusion
Ce discours oblige ainsi le spectateur à avoir une autre
lecture des événements, une lecture double. La haine de la
tragédie dit, aussi bien que la tendresse, l’amour pour autrui.
L’optimisme apparent et constamment paradoxal du Jardi-
nier dit en même temps, et peut-être encore mieux ainsi, son
émouvante tristesse.
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Perspectives d’analyses

PLAN 1 – LE COUPLE ÉLECTRE / ÉGISTHE.


DES VALEURS INCONCILIABLES

La vérité d’Électre est opposée à celle d’Égisthe. Leur


affrontement est à la fois une lutte de personnes et un
combat d’idées. L’une met au premier plan la vérité et la jus-
tice au nom de la pureté, et l’autre reconnaît comme valeurs
suprêmes la paix et la liberté au nom de la raison d’État. La
métamorphose d’Égisthe, innovation de Giraudoux par rap-
port à la légende, donne au régent une importance nouvelle
qui lui assure, à partir du second acte, une importance dra-
matique égale à celle d’Électre.

Un rôle dramatique parallèle


• Électre et Égisthe doivent tous deux « se déclarer »
(I, 3).
• Ils se déclarent au même moment, à l’aube du même
jour.
• Parallélisme entre la tirade d’Égisthe (II, 7) et celle
d’Électre (II, 8).

Un affrontement sans pitié


• L’antagonisme des valeurs (II, 8).
• L’intransigeance d’Électre.

Un amour impossible
• L’amour d’Égisthe pour Électre.
• Les raisons de la haine d’Électre.
Électre 15

PLAN 2 – LE LANGAGE DRAMATIQUE DANS ÉLECTRE

Giraudoux disait, vers 1930 : « Ce que le monde cherche


en ce moment, c’est beaucoup moins un équilibre, que son
langage. » Il serait intéressant de montrer comment le lan-
gage d’Électre correspond à l’exigence moderne de trouver
une langue et que celle-ci fonde son actualité.

Métaphores
• La faune et la flore (importance du bestiaire comme
instrument analogique).
• Un langage parabolique (le Mendiant et le Jardinier).

Jeux de mots et anachronismes


• Nombreuses références intertextuelles, à d’autres œuvres
ou à son œuvre propre.
• Travail sur le matériau mythique.
• De nombreux anachronismes (dans les discours d’Agathe
et d’Égisthe, notamment).

Un langage polysémique
• La polysémie de la lumière (jour et vérité).
• Des distinctions sur le genre : par exemple, au début
du deuxième acte : « Le Mendiant. – Il n’est plus bien loin,
n’est-ce pas, Électre ? / Électre. – Oui. Elle n’est plus bien
loin » : l’un parle du jour et l’autre de la lumière.
• Les ambiguïtés de l’emploi du présent.

Des variations rythmiques


• Alternance monologues / dialogues.
• Importance quantitative des répliques brèves.
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Pour l’étude du langage, on se reportera utilement à


l’ouvrage de Pierre LARTHOMAS, Le Langage dramatique, sa
nature, ses procédés, PUF, 1980.

EXERCICES, RECHERCHES ET TRAVAUX

Exposés ou lectures méthodiques


Le traitement du temps
Étude de l’attente (II, 5), de la superposition du temps
mythique et du temps réel (II, 9), de l’impact du présent à
la fin de la pièce.
Giraudoux est fidèle à la règle des trois unités de la tra-
gédie classique, unités de temps, de lieu et d’action. Il joue
cependant avec ces règles traditionnelles en faisant subir
des distorsions au temps (les divers phénomènes d’accéléra-
tion) et à l’action, grâce à la découverte progressive des cir-
constances du meurtre d’Agamemnon. L’action se situe ainsi
sur deux plans, l’un passé, rappelé et éclairé de manière rétros-
pective et l’autre, présent, traité de manière progressive.

L’affrontement entre la mère et la fille


II, 5 (pp. 89-95) : étude de l’ambiguïté des personnages ;
du dédoublement de la figure féminine ; de la réflexion sur
la condition de la femme ; des modalités du procès et de
l’interrogatoire.

Le rapport à la nature
I, 3 (les paraboles du Mendiant) et II, 2 (l’éveil de l’aube) :
étude du bestiaire métaphorique, de la flore réelle (à travers
le personnage du Jardinier), de l’importance des rythmes
naturels (nuit, aurore…).
Électre 17

L’aveuglement dans Électre


Analyse, à travers la multiplicité des aveuglements sym-
boliques dans Électre, du rapport de la cécité à la vérité.

Les modalités de l’enquête policière


Acte I : un mystère à éclaircir ; acte II : les modalités de
l’enquête (quête des indices et interrogatoires) ; châtiment
final.

Giraudoux et Anouilh
Comment la figure giralducienne d’Électre tient à la
fois de l’Électre et de l’Antigone antiques ? Parallèlement, il
sera possible de montrer les traits communs que présentent
Égisthe et Créon.

Dissertations
• Le jardinier, dans son lamento de l’Entracte, donne une
définition de la tragédie : « On réussit chez les rois les expé-
riences qui ne réussissent jamais chez les humbles, la haine
pure, la colère pure. C’est toujours de la pureté. C’est cela
que c’est, la Tragédie, avec ses incestes, ses parricides : de
la pureté, c’est-à-dire de l’innocence » (p. 73). Que pensez-
vous de cette définition ? Trouvez-vous qu’elle convienne à
Électre de Giraudoux ?
• Si l’on définit la tragédie comme la confrontation de héros
avec la fatalité, pensez-vous qu’Électre de Giraudoux soit une
tragédie ?

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

L’édition de la Pléiade comporte la première version


d’Électre que Giraudoux avait donné à lire à Jouvet. L’éta-
18 Giraudoux

blissement précis du texte, la notice et les notes, fort nom-


breuses, contribuent à éclairer l’interprétation.
Jean GIRAUDOUX, Théâtre complet, éd. publiée sous la
direction de Jacques Body, Gallimard, « Bibliothèque de La
Pléiade », 1982.
On recommande aux élèves la lecture d’autres pièces
de Giraudoux, notamment celles qui empruntent, comme
Électre, leur sujet au matériau antique :
La guerre de Troie n’aura pas lieu, Le Livre de Poche,
no 945.
Amphitryon 38, Le Livre de Poche, no 2207.
Il peut être intéressant de leur conseiller la lecture d’autres
versions d’Électre, par exemple une variation antique et une
autre variation moderne :
EURIPIDE, Électre, Arléa, 1994.
Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, Gallimard, « Folio », 1971.
La mise en perspective de la figure d’Électre avec l’An-
tigone d’Anouilh peut être aussi l’occasion d’un parallèle inté-
ressant :
Jean ANOUILH, Antigone, Bordas/Poche, 1985.
Un ouvrage d’accès aisé peut être recommandé aux élèves
pour guider et approfondir leur lecture :
Tiphaine SAMOYAULT, « Électre » de Jean Giraudoux, Hachette,
« Repères », 1997.
Pour une lecture et une connaissance plus précises du
théâtre de Giraudoux, et d’Électre en particulier, on retien-
dra :
Pierre D’ALMEIDA, Lire « Électre » de Giraudoux, Dunod,
1994.
Jacques BODY, Jean Giraudoux, la légende et le secret, PUF,
1986.
Pierre BRUNEL, Pour Électre, Colin, 1982.
Électre 19

Lise GAUVIN, Giraudoux et le thème d’Électre, Archives de


Lettres modernes, Minard, 1969.
Gérard GENETTE, Palimpsestes, La Littérature au second
degré, Éd. du Seuil, 1982.
Michel RAIMOND, Sur trois pièces de Jean Giraudoux (La
guerre de Troie n’aura pas lieu, Électre, Ondine), Nizet, 1982.
Jacques ROBICHEZ, Le Théâtre de Giraudoux, CDU-
SEDES, 1976.

Dossier réalisé par Tiphaine SAMOYAULT.

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