LA FEMME DANS LES METAMORPHOSES D'APULEE:
UNE DESCENTE DANS L'ANIMALITE ?
Géraldine PUCCINI-DELBEY*
Résumé
Les Métamorphoses d’Apulée formulent un veritable ques
tionnement sur le condition humaine gui porte en particulier
sur la place que doit oceuper Vétre humain par rapport a
Vanimal et ta divinité dans Vunivers. La réflexion sur la
notion danimalité dans le comportement humain se développe
4 la fois dans la narration principale, par a métamorphose
‘tu hérosnarrateur Lucius en dne, ef dans la plupart des
récits métadiégétiques of ta relation amoureuse ext en jeu et
(08 fa femme acquiert un stat de puissance funeste. Ce n'est
‘pas par Vemploi d'un champ lexical concernant Panimal, mais
par le recours des mythes que le rapport entre la femme et
animal se met en place. En encadrant la metamorphose de
Lucius en dne par te mythe de Diane etd’Actéon et par le
Imythe de Psyche et de Cupidon, Apuléepressent et exploit
existence di len entre violence, mort et sexual et fait dun
certain type de personnage féninin- la magicienne~le sym
bole de Vinstinct incontraté qui eniraine fatalement lex
‘hommes a eur perteen les iran vers a sphere de Tanimalité
De méme qucActéon, dans son désircoupable de voseur, est
iransformé en Vanimal quit portait deja en lui, de meme
Lucius es1 métamorphosé en animal priapigue par excellence
ct devient Vobjer du désir feminin. Refusant de s'accoupler
avec une femme dans Lamphithédire de Corinthe, it fit par
‘efuser la confusion de Phumain et de Vanimal ~ comble de
Tinfarie et chosit de secouer le joug de sa condition servile
animal ef de reconquérir ta pleine souveraineté de soi sur
So, Mais cette chute dans Vanimeli« érénécessire pow li
permetire de selever vers la sphere du divin et d'embrasser
{a fin de Vaewvre la religion iiaque. Apulée se sie encore
‘dns fa lignée de la philosophic platonicienne en plagant te
Inés faced luiméme et ila recherche de sa vérité qui passe
pparune différenciation entre Uuanain et animal.
‘Au bonheur dela tigresse blanche et du chien noir’
Les Métamorphoses 4’ Apulée formulent un véritable
questionnement sur la condition de I'étre humain, & la fois
ddans sa vie physique et dans sa vie psychique. Cette interro-
gation porte en particulier sur les rapports& autrui, au divin
e¢ 8 animal - rapports tant horizontaux que verticaux - et
sur la place que doit occuper I'étre humain par rapport
Vanimal et & la divinité dans univers. La curiosité du
Summary
Woman in the Metamorphoses of Apuleius: a descent in
animatism?
The Metamorphoses of Apuleius present a questioning on
the human condition and particularly on the place of the man
compared with the animal and the divinity in the universe. The
“analysis ofthe notion of cnimatism is developing both im the
main story, bythe metamonphosis of Lacis i as. and in most
of secondary aes where women have a dangerous power. The
Tink berween woman and animal exists, not by the use of terms
‘about animals, but by the use of mths. By framing the story of
{Licus withthe myth of Diane and Acteon and with the myth of|
Pryche and Cupido, Apulelus exploits the link which exists
benveen violence, death and sexuality and makes the magician
‘women the symbol of the incantrotated instinct which draws
‘man tothe level of animal aa finally 1 death Lucius becomes
the prgpic animal that he was in fact wearing in him. But when
he refuses the copulation with the eriminal woman in the
dmphitheatre of Corinth, he refuses the confusion benween
‘onan and animal. This drop in animalism is necessary to £0
apo the divine sphere
Mots clés
Apulée, Femme, Animal, Magicienne, Actéon, Psyche.
Key Words
‘Apuleius, Woman, Animal Magician, Acton, Pache
héros-narrateur Lucius pour cerner ce qui est proprement
‘humain trouve pew & peu sa satisfaction dans le déroule-
ment de sa propre histoire - celle-ci développe un motif
nportant de l'euvre), opposition entre 1’étre humain et
animal (Schlam, 1992), par la métamorphose magique de
Lucius en fine, qui, outre des etfets comiques indéniables,
permet une réflexion sur la notion d’animalité dans le com
portement humain - et dans la thématique commune la
plupart des récits secondaires: la relation amoureuse, parce
* Université Michel de Montaigne - Bordeaus 3, Domaine universitaire, 33607 Pessac cedex, France.
"07H. Riefstahl (1938) nus semble ete un des premiers critiques & avoir montré que 'uilisation de motifs récurrents eonstitue un point
essentiel de la mthode narrative d'Apalée.86
4qu‘elle met en jeu la condition humaine en tant gu’activité
cessenticlle de la vie intérieure de homme.
Cet intérét pour le comportement amoureux se focalise
sur des personnages qui jusque-I4 étaient peu mis en valeur
par les écrivains latins: les femmes, qui deviennent dignes
observation et d'analyse. Elles occupent désormais Ia
premigre place aux e8tés de Lucius en étant, a plupart du
temps, des livres 1.4 X, le moteur des épisodes les plus
sombres,
L'image de la femme est fondamentalement ambiva-
lente: elle oscille entre condamnation et exaltation.
‘opposition est ts tranchée entre une femme maléfique
et criminelle, qui tire homme vers la sphére de I'anima-
lité, et une femme pure et idéale. C'est limage de cette
femme puissante et dangereuse qui domine Munivers des
Métamorphoses ct fait Scrire & Martin (1992 : 165) que
“dans cet imaginaire, de toute évidence, c'est le sexe fémi
nin qui est le sexe fort, et méme dominateur, pour le
meilleur comme pour Ie pire, mais surtout pour le pire.”
Crest ce “pire qui sera objet de notre analyse suivante
Ce statut de puissance funeste que la femme acquiert,
s'il est un phénoméne nouveau dans Pimaginaire des plus
grands écrivains du Haut-Empire de Séneque & Apulée,
comme Vaffirme René Martin, puise aussi ses racines dans
tune tradition hostile Ia femme qui se trouve & Torigine de
1a littérature & Rome: la méfiance vis-a-vis de la ferme,
tune des caractéristiques les plus visibles de la Néa, se
retrouve tout aussi développée, aprds elle, dans Ia comédie
latine. En témoigne un fragment de Ménandre (Koerte,
1953, frag. 422): “Il y a certes quantté d’animaux ter-
restres et marins, mais le plus mauvais dentre eux est la
femme”. La femme, dépossédée de son statut d’étre
hhumain pour étre abaissée au niveau de I'animal, devient &
Rome Mobjet d'un lieu commun - c"est eure humain par
‘excellence incapable de se maitriser - dont le discours de
Caton rapporé par Tite-Live®) se fait le véhicule le plus
Virulent: la femme est inpotens natura et indomitum ani
‘mal, “une nature non matrisable et un animal indompté”.
Ce discours misogyne conventionnel, qui rele un mode
de pensée “vieux romain” ainsi qu'une tradition littéraire,
celle de la diatribe humoristique et satirique contre les
femmes, le narrateur Lucius et les autres personnages mas-
culins des Mésamorphoses n’y échappent pas. Is puisent
aussi dans la tradition licencieuse du réeit milésien pour
mettre l'index impotentia muliebris,réduite souvent 2 la
sphere de leur appétit sexuel, qui les pousse a séduire les
"°Y, 1 VID, 295 1X, 25 IX, 405 X24,
hommes. Mais, 8 la suite de Pétrone et de sa céldbre
“matone d'Ephese", Apulée en élarit le cadre: ce ne sont
plus des courtisanes, mais d'honorables matrones ou des
femmes de basse condition (servante ou épouse artisan)
«qui se laissent aller & une sensualité dbride et manifestent
Vimpotentia d'une nature qui n'écoute que ses pulsions
sexuelles, 4 'instar de I'snimal. C'est le cas des magi-
ciennes des livres 1 3 IIL, des sceurs de Psyché dans le
rythe décrit dans les livres IV 3 VI, des 6pouses adultéres
4es livres IX et X et enfin de In matrone corinthienne
amoureuse de Lucius ane
Ces differents personnages sontis ravalés au tang de
Yranimal? Portencils en eux une part «animalité,suscep-
tible dete transmise & ceux qui les approchent”? Ou bien
ne fontils que révéler cette part sombre et inavouable
propre tout re humain, homme ou femme, qui se rele
parla relation amoureuse?
‘Nous commencerons notre analyse par une évocation
rapide du champ lexical de animal tel qu'il se présente dans
les Métamorphoses. Le terme animalitasn'existe pas encore,
‘mais le fait d'@re un animal se dfinit en creux, en contaste
vee la notion aus gu pari, premiére vue, impor
tante dans es Metamorphoses du fit du nombre élevé de es
occurrences (44 au total) mais qui, apres étude. se révele~
une utilisation banale et peu earaetéristique. Une «res
range majorité fait référence & une qualité propre la nature
humaine qui se différencie ainsi de animal. Onze fois, le
fait d'appanenie au genre humain est noté en contrast avec
le genre animal et ces différences de nature concernent
aspect physique, intelligence, la nourriture et le some
Les 7 occurrences danimal, les 49 occurrences de fera
x de sa famille, et les 42 occurrences de bestia ne concer-
nent jamais des personnages féminins: eles désignent de
‘éritables animaux (castor, ours, chiens, chevaur, loups,
sanglie,belette, betes sauvages destinges 3 combatte dans
Trane), deux fois Lucius sous sa forme animale, une fos
Jupiter et sept fois Cupidon. Les adjectits fru, ferinas,
eros ainsi que le substanifferocitas ne caractérisent que
des animaux violents et meurviers (chiens, chevaux, ours
loups) ou es brigands qui sont le premiers maires de
Lucius ne. C'est dans les lives IV et VII que la présence
de ces animaux est fa plus importante; vient ensuite le ivre
YV oi le jew entre le dieu Cupidon et bestia se poursuit tout
au long du myth
Sur les cing occurrences du verbe efferare), ois
ceoncernent des personnages; deux nous intéressent parte
iteLive, 24,2, 13: date frenos impotent natura et indomito animalligrement, parce qu'elles sont liges a la présence du desir
lubido( VIM, 29): les prétres de la déesse sytienne tentent
abuser sexuellement d'un robuste paysan; ils éprouvent
un désir monstrueux qui va a encontre de la nature. Tout
le vocabulaire dit I'ignominie et la dépravation de leurs
ates:
Spurcissimi itla propudia ad inlicitae libidinis
extrema flagitiainfandis uriginibus efferantur
"Ces infimes tout & fait immondes sont transformés
‘en bétes sauvages et entrainés par leurs désirs
‘monsirueus & commette les pires des forfaits suscl
(és par un désirillicite.”
La ferme condamnée aux bétes du livee X, jalouse de
Ja seeur de son époux qu'elle crit éte sa maftresse, Ia tue
en X, 24: elle “se transforme en béte sauvage sous les
aiguillons de son désir fou furieux", libidinosae furiae sti-
amulis efferata
Ce passage dans la sphere animale, qu'indique
emploi de ce verbe, est lié & Ia sexualité, & un déborde-
‘ment de désir sexuel non mai
libido. Le substantif libido, dans ses vingt et une occur-
rences, ne représente dans les Métamorphoses qu'un seul
type de dési: le désir sexuel qui se manifeste toujours de
maniére violent, irépressible et est condamné de manigre
explicite par le narrateur, parce qu'il apparait dans des
otiques marqués par la violence meurtiére, la folie
furieuse ou la perversité*
‘Nous constatons done que le personage féminin n’est
pas lié a animal par le vocabulaire. C'est & travers ce que
Durand (1979) appelle Ia “onetion fantastique” de Veuvre
litéraire, qui procéde dans Vimaginaire sous forme de sym-
boles et de mythes, que le rapport entre Ia femme et I'animal
se met en place. Le mythe résout en son dire indicible de ce
‘questionncment et indique les enjeux fondateurs du texte,
Le mythe d’Actéon et de Diane, représenté sous forme
‘euvre sculptée dans Vatrium de Byrthéne, la parente de
Lucius, en Il, 4 ouvre Vitinéraire initatique de Lucius et se
présente comme un mythe fondateur. Apulée choisit de
mettre accent sur "interprétation sexuelle du crime
’Actéon, celle qui a connu le plus de succes. En effet,
Fauvre d'art décrite n'exprime que la setne de voyeurisme
et son chatiment, en omettant une grande partie de I'his-
toire du chasseur: elle se focalise entiérement sur le désir
«'Actéon de voir la dSesse Diane nue et qui la guett, “d'un
regard curieux” dans son bain, puis sur sa transformation
en cerf. C'est done un mythe du voyeurisme qui associe
sé. Ce désir est nommé
87
regard, sexualté et animalité et qui est un avertissement,
parmi d'autres, des dangers que court Lucius & vouloir re
top curieux et & se laisse fasciner par l'art magique que
pratiquent nombre de femmes thessaiennes qu'il prend
pour les guides de la connaissance.
‘Actéon regarde, plein de convoitise, le corps nu de
Diane la déesse qui a renoneé la sexualié. Ce egard es
sacrifége & double titre: d'une part il franchit une limit
terdite 4 1'éte humain en osant se porter sur le divin, et
‘autre part il pie et surprend le secret du corps féminin -
puisque les dieux sont sexués. C'est sa curisité sexuelle
qui est &origine de son regard sur la nuité feminine: “ee
que vise le regard, cst toujours le sexe, non pas ou non
pas seulement comme organe ou absence d'organe, mais
‘comme question posée & homme.” (Milner, 1991 : $8).
Le secret dondre sexuel gu'entrevoit Actéon n'est ren
ui doive se voir ou dite, Le voyeur ne peut die condannné
qu’ devenir un regard sans parole. La imite qu'il a franchie,
i a paie parson passage iméversible av monde animal, 3 la
vie sauvage 2 laquelle sa conduite de voyeur V'a assim
‘Actéon, devenant cer, quite son humanit,e'estdire pend
son nom, son identi, sa parol, pou rejoin le monde an
inal, celui de Vinstint pur et incontslé et de V'absence de
langage. Pus il perd méme la vie, démembré peu & peu par
ses propres chiens: ce qui le te, c'est Pobseurté du secret
féminin mis jour dans sa forme la plus terifiane
En effet, pour résumer T'analyse de Durand
(1969 :109-113), Diane est le “prototype de In féminité
sanglante et négetivement valoisée”, un “archétype de la
femme fatale", une image de la “mére terrible” qui cristae
lise les symboles de la féminité redoutable (ea, toilette
feminine, atmosphere de tereur, car la déesse est anguée
de chiens féroces, préts 8 mordre). Elle est le modéle
Inconscient de toutes les femmes magiciennes qui illustre
les dangers de la sexualité ct qui attire "homme dans la
sphere de 'animalité en éveillant en tui un désir qu'il est
incapable de mitrse.
En effet, ce sont les femmes qui pratiquent art de ta
‘magic en Thessalie (Méroé, sa sour Pantha, Pampilé et sa
servante Photis. une veuve quia empoisonné son mari, aux
livres 1, Het ID gui sont les premiers personnages a illastrer
dans le roman la part négative de la nature Féminine, dspen-
satrice de violence et de mor, quia ecours la magie noire
criminelle 2 des fins érotiques immédiates et égoites. L’ ori
sinalté 4° Apulée est de ruire les motivations de ces per-
sonnages familiers aux Romains & Massouvissement d'un
esi sexueldebridé. Aux substantis cupid et libido wilisés
“Pour une analyse dil ds vocabulice du sic voit Puccini (195).88.
pour nommer ce désir,s’ajoute urigo, utilisé avec une forte
valeur négative et condamné explicitement par le narrateur,
Le prénom Pamphilé (“qui aime tout”) renforce Tobsession|
érotique attribuée aux magiciennes. Ces demigres usent de
leurs artes familiares feminarum (Met., IX, 29, 1) qualifies
de malae (Mer., II, 29, 5) par le narrateur pour réduire
homme sur lequel elles ont jeté leur dévolu & un pur objet
sexuel. Cest le eas, par exemple, de Méroé:
(..) nam simul quemgue conspexerit speciosae
formae iuuenem, uenustate eius sumitur et ilico in
‘eum et oculum et animum detorquet. Serit blandi-
tias, inuadit spiritum, amoris profundi pedicis
cacternisalligat.
(2) dBs qu'elle apergoit un beau jeune homme,
clle est saisie par sa grdce et jete aussit6t sur lui
ses yeux et ses pensées, Ellie lui prodigue des
caresses, s’empare de son esprit, enchatne par les
liens étemels "un amour sans fond.”
Le symbole du lien représente Ia puissance magique et
néfaste de la magicienne, femme fatale qui part & la
ccongquéte du mle, comme en témoigne le vocabulaire de la
chasse et de la guerre utilisé pour déerre les entreprises
Grotiques de Pamphilé (Met, Il, 16, 1). L'amour que pro-
‘voquent les magiciennes chez les hommes est en réalité un
sentiment alignant et dévorant qu’indiquent image de la
chaine et celle du gouffre sans fond. Pamphilé “bre sans
répit” (Met, Il, 5, 8: ila uritur perpetuun) et cette méta-
phore du feu dévorant est l'image de Iinsatiabilité qui
aligne la femme et Ia pousse & prendre des décisions
funestes lorsque son désir n'est pas satisfait, Les relations
sexuelles des magiciennes se nouent comme celles des ani-
‘mau, au gré du hasard, soumises 2 un instinet sexvel non
contrblé”. Ces femmes portent & son point culminant le
<élire passionnel de la femme.
La toute-puissance que détiennent les magiciennes sur
univers, sur leurs rivales et leurs amants, qui s'apparente &
tun délire de domination, leur violence sexuelle non cat
sée sont sources d'angoisse pour "homme, surtout lorsque
la force castratice de la femme est mise en valeur. Panthia
cherche comment se venger de Socrate, 'amant de sa socur
gui s‘est enfui: “pourquoi, ma sur, ne pas le mettre
D'apres Juvénal, Sar, VI, 334, de elles unions ne seraient pas ares dans Ia société romaine,
‘6 Psyché & Cupidon en V, 13, 5: feneo te, meum lumen; la matrone & 'ine en X, 22,3: eneo te, ingui,feneo, mewn patumbulum,
‘mewn passerem
("Martial pig. Lib. 5. |, ite la repésentation dune sorte de “mnime de Pasiphaé” dans Varéne.leur curiosité. Elle nous semble étre posée de la maniére
la plus cruciale par le personnage mythique de Psyché. En
effet, son histoire, au contre méme des Métamorphoses,
file les motifs de Ia bestia, du serpent, de la zoophilie et
de la mort par dévoration animale, que nous venons
analyser au niveau du récitréaliste. Elle exprime claire-
‘ment le mystére angoissant de la relation amoureuse en
associant fortement sexualité et animalité. Le mar
inconnu qu'elle doit épouser, d'aprés l'oracle d° Apollon
en TV, 33, est “un mal eruel, sauvage et vipérin” (saewum
‘atque ferum uipereum matun) qui “est né pour la ruine de
univers” (sorius orbis exitio natus est). Malgré la
connaissance, certes partielle, qu'elle a du comps de celui
‘qui la posséde chaque nuit dans le noir elle se laisse per-
suader par ses méchantes swurs qu'il est en réalité “un
‘monstrucu serpent, un reptile aux repli tortueux,
gonflé d’une bave sanglante, d'un venin redoutable”
(Met. V, 17) qui Vengraisse pour mieux la dévorer (Met
V, 18: saeuissimae bestiae sepeliri uisceribus). La 200-
philie de Psyché est suggérée par les seeurs en V, 18: “Tes
étreintes Pun serpent venimeux te charment”, lui repro-
cchentelles.
De son c6té, Cupidon ne cesse de mettre en garde Psy-
‘ehé contre la malignité de ses deux seeurs comparées elles
aussi des monstres mythologiques ou & des serpents malfai-
sants, comme nous l'avons relevé précédemment. Oit est
réellement la bestia’? Psyché se révele incapable de discemer
veéritablement od se situent animalité et le danger qui lui est
inhérent, et décide de ter ce “mari dont elle ignore la condi-
tion”. Elle est alors violemment déchirée entre
iments opposés: “dans le méme comps, elle hait la béte, mais
chérit Pépoux” en V, 21 (in eodem corpore edit bestiam dili-
it maritum), Le d&sir de mort qui "habite constitue Pambi-
valence essentille de tout amour. Il est le lieu de toutes les
violences tout en étant en méme temps doux comme le miel,
Psych ne pergoit que la part négative de F'amour: il lui reste
découvrir autre facette que lui révele la lampe: elle vit
“de toutes les bates sauvages la plus tendre et la plus douce,
‘Cupidon en personne, le dieu beau reposant bellement” en V.
22, Le secret que vient de perver Psyche, c'est le fait que la
douceur et la beauté sont au eur de la relation amoureuse.
91
En encadrant la métamorphose de Lucius en ne par le
imythe de Diane etd’ Actéon et parle mythe de Psyché et de
Cupidon, Apulée pressent et explote Vexistence du ien entre
violence, mort et sexualté parle bais d'un questionnement
sure frontigres entre humain, animal etl divin. Ml rompt
avee la représetation idyllique du rapport entre la femme et
Vanimal tlle que Willie une scéne de Ia fresque dite des
“Mystéres & Pompei une adolescente donne le sein & une be,
quite siles apres les Baechantes d°Euripide, ces femmes
drapées dans la peau un faon, comme dans “idyll dion
siaque” de Tadolescente" (Veyne era, 1998, p 103)
Pyché et Lucius, eux, vivent de maniére analogue la
hhantse de Panimalité tout en €prouvant une fascination qui
les pousse 2 transgresser une limite qui leur a 6 assignée
entant que morte. Mais cette chute dans 'animatité quis
provoguent est nécessaire pour pouvoir s'élever vers la
sphére du divin, Elle est, avant V'heure, une sorte de fei
eulpa (Lancel, 1961)" qui repose sur Vantithése du
Phedre, celle du Haut et du Bas".
Cette descente dans I'animalité passe par un certain
type de femme, puissante et maléfique, qui représente la
tentation de instinct qui entraine fatalement les hommes
4 leur perte, qui les tre vers Manimalit. Phot en est le
meilleur exemple. Mais & cette femme fatale, funeste au
héros, s‘oppose la femme salvatrice, gu'sis inearne a la
fin du roman dans toute sa perfection. Cette structure ant
thétique, que nous pourrions appeler, & la suite de Bau-
doin (1952), le “mythe des deux femmes” fait voyager
Lucius de Manimalité & 1a divinité, image de la mére
idéale"”, Isis, “mére des dieux”, “dispense aux malheu-
roux la douce affection d'une mére” (XI, 25) et aréte le
mouvement de I"humain vers I'animal, Sa fonction est de
garder les trois niveaux de la nature distinets bien qu’unis|
niveau animal, humain, divin et de permettre Tharmo-
nice unitaire du cosmos; dans eet univers harmonieus,
animal cesse d°étre une menace pour I'étre humain et
sintegre parfaitement.
Apulée se situe encore dans la lignée de la philosophie
platonicienne en plagant le héros face & Iui-méme et & la
recherche de sa vérit qui passe par une différenciation
entre I'humain, "animal et le divin”.
Purpide, Rac, v. 699: “Elles portent dans leurs bras un hice ou un Toute Farouche et leur donnent da ait”
(Le thame de la flix culpa apparait pou la remit Fischer Ambroise, Inst vir. 17, WM et fa: it. beat. 1, 6,21
° Pour une étude apprfondie dela “ate” de Pyyché, cons
"Le voyage est une image de Vaspiration, du desis
perdu”, C. G Jung (1967: p. 345}.
ucini (1995).
jamais tent, qui ne rencontre jams son objet, de la recherche de la mre
‘La présence de Ianimalité qu est persue dans l'ce humain rappelle la triparition de I’ame humaine énoncée dans la République oi
apart rationnlles oppose & la partie appatitiv, parte beste et sauvage92
Bibliographie
BAUDOIN C,, 1952~ Le riomphe du hévos, Paris: Plon.
DOWDEN K., 1993.~ The unity of Apuleius’ Eight Book and the danger of beasts. GCN, S : 91-109,
DURAND G., 1969 Les stractures anthropotogiques de Vimaginaire. Paris : Bordas (9°édition).
DURAND G., 1979.— Figures mythiques et figures de eure. ile vere, Berg International
JUNG C. G., 1967.~ Metamorphoses de l’dme e1 ses symboles, Geneve : Buchet-Chastel
KOERTE A., 1953.~Menander, Religuiae, Pars Il Leipzig : coll. Teubner.
LANCEL S., 1961.~ Curiostas et préoccupations spirituelles chez Apulée. RHR, 160: 36.
MARTIN R,, 1992.~ La Femme dans 'imaginaire romain de Sénéque & Apulée, fn : J. Thomas 64.. Les Imaginaires des Latins
(Actes du Colloque International de Perpignan, 12-14 Novembre 1991). Perpignan : Presses Universitaires
MILNER M., 1991.~ On est prié de fermer les yeux. Pais: Gallimard
PUCCINI G., 1995. Amour et désir dans les Métamorphoses d’ Apu. Thése de doctorat, Univ. Pars IV.
RIEFSTAHL H,, 1938.— Der Roman des Apuleius. Frankfun.
SCHLAM C. C,, 1992. The Metamorphoses of Apuleius. On making an Ass of oneself. Londres : Chapel Hill,
\VEYNE P., LISSARRAGUE F. et FRONTISI DUCROUX F., 1998. Les mystéres du gynécée, Pais: Gallimard.