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LA FEMME DANS LES METAMORPHOSES D'APULEE: UNE DESCENTE DANS L'ANIMALITE ? Géraldine PUCCINI-DELBEY* Résumé Les Métamorphoses d’Apulée formulent un veritable ques tionnement sur le condition humaine gui porte en particulier sur la place que doit oceuper Vétre humain par rapport a Vanimal et ta divinité dans Vunivers. La réflexion sur la notion danimalité dans le comportement humain se développe 4 la fois dans la narration principale, par a métamorphose ‘tu hérosnarrateur Lucius en dne, ef dans la plupart des récits métadiégétiques of ta relation amoureuse ext en jeu et (08 fa femme acquiert un stat de puissance funeste. Ce n'est ‘pas par Vemploi d'un champ lexical concernant Panimal, mais par le recours des mythes que le rapport entre la femme et animal se met en place. En encadrant la metamorphose de Lucius en dne par te mythe de Diane etd’Actéon et par le Imythe de Psyche et de Cupidon, Apuléepressent et exploit existence di len entre violence, mort et sexual et fait dun certain type de personnage féninin- la magicienne~le sym bole de Vinstinct incontraté qui eniraine fatalement lex ‘hommes a eur perteen les iran vers a sphere de Tanimalité De méme qucActéon, dans son désircoupable de voseur, est iransformé en Vanimal quit portait deja en lui, de meme Lucius es1 métamorphosé en animal priapigue par excellence ct devient Vobjer du désir feminin. Refusant de s'accoupler avec une femme dans Lamphithédire de Corinthe, it fit par ‘efuser la confusion de Phumain et de Vanimal ~ comble de Tinfarie et chosit de secouer le joug de sa condition servile animal ef de reconquérir ta pleine souveraineté de soi sur So, Mais cette chute dans Vanimeli« érénécessire pow li permetire de selever vers la sphere du divin et d'embrasser {a fin de Vaewvre la religion iiaque. Apulée se sie encore ‘dns fa lignée de la philosophic platonicienne en plagant te Inés faced luiméme et ila recherche de sa vérité qui passe pparune différenciation entre Uuanain et animal. ‘Au bonheur dela tigresse blanche et du chien noir’ Les Métamorphoses 4’ Apulée formulent un véritable questionnement sur la condition de I'étre humain, & la fois ddans sa vie physique et dans sa vie psychique. Cette interro- gation porte en particulier sur les rapports& autrui, au divin e¢ 8 animal - rapports tant horizontaux que verticaux - et sur la place que doit occuper I'étre humain par rapport Vanimal et & la divinité dans univers. La curiosité du Summary Woman in the Metamorphoses of Apuleius: a descent in animatism? The Metamorphoses of Apuleius present a questioning on the human condition and particularly on the place of the man compared with the animal and the divinity in the universe. The “analysis ofthe notion of cnimatism is developing both im the main story, bythe metamonphosis of Lacis i as. and in most of secondary aes where women have a dangerous power. The Tink berween woman and animal exists, not by the use of terms ‘about animals, but by the use of mths. By framing the story of {Licus withthe myth of Diane and Acteon and with the myth of| Pryche and Cupido, Apulelus exploits the link which exists benveen violence, death and sexuality and makes the magician ‘women the symbol of the incantrotated instinct which draws ‘man tothe level of animal aa finally 1 death Lucius becomes the prgpic animal that he was in fact wearing in him. But when he refuses the copulation with the eriminal woman in the dmphitheatre of Corinth, he refuses the confusion benween ‘onan and animal. This drop in animalism is necessary to £0 apo the divine sphere Mots clés Apulée, Femme, Animal, Magicienne, Actéon, Psyche. Key Words ‘Apuleius, Woman, Animal Magician, Acton, Pache héros-narrateur Lucius pour cerner ce qui est proprement ‘humain trouve pew & peu sa satisfaction dans le déroule- ment de sa propre histoire - celle-ci développe un motif nportant de l'euvre), opposition entre 1’étre humain et animal (Schlam, 1992), par la métamorphose magique de Lucius en fine, qui, outre des etfets comiques indéniables, permet une réflexion sur la notion d’animalité dans le com portement humain - et dans la thématique commune la plupart des récits secondaires: la relation amoureuse, parce * Université Michel de Montaigne - Bordeaus 3, Domaine universitaire, 33607 Pessac cedex, France. "07H. Riefstahl (1938) nus semble ete un des premiers critiques & avoir montré que 'uilisation de motifs récurrents eonstitue un point essentiel de la mthode narrative d'Apalée. 86 4qu‘elle met en jeu la condition humaine en tant gu’activité cessenticlle de la vie intérieure de homme. Cet intérét pour le comportement amoureux se focalise sur des personnages qui jusque-I4 étaient peu mis en valeur par les écrivains latins: les femmes, qui deviennent dignes observation et d'analyse. Elles occupent désormais Ia premigre place aux e8tés de Lucius en étant, a plupart du temps, des livres 1.4 X, le moteur des épisodes les plus sombres, L'image de la femme est fondamentalement ambiva- lente: elle oscille entre condamnation et exaltation. ‘opposition est ts tranchée entre une femme maléfique et criminelle, qui tire homme vers la sphére de I'anima- lité, et une femme pure et idéale. C'est limage de cette femme puissante et dangereuse qui domine Munivers des Métamorphoses ct fait Scrire & Martin (1992 : 165) que “dans cet imaginaire, de toute évidence, c'est le sexe fémi nin qui est le sexe fort, et méme dominateur, pour le meilleur comme pour Ie pire, mais surtout pour le pire.” Crest ce “pire qui sera objet de notre analyse suivante Ce statut de puissance funeste que la femme acquiert, s'il est un phénoméne nouveau dans Pimaginaire des plus grands écrivains du Haut-Empire de Séneque & Apulée, comme Vaffirme René Martin, puise aussi ses racines dans tune tradition hostile Ia femme qui se trouve & Torigine de 1a littérature & Rome: la méfiance vis-a-vis de la ferme, tune des caractéristiques les plus visibles de la Néa, se retrouve tout aussi développée, aprds elle, dans Ia comédie latine. En témoigne un fragment de Ménandre (Koerte, 1953, frag. 422): “Il y a certes quantté d’animaux ter- restres et marins, mais le plus mauvais dentre eux est la femme”. La femme, dépossédée de son statut d’étre hhumain pour étre abaissée au niveau de I'animal, devient & Rome Mobjet d'un lieu commun - c"est eure humain par ‘excellence incapable de se maitriser - dont le discours de Caton rapporé par Tite-Live®) se fait le véhicule le plus Virulent: la femme est inpotens natura et indomitum ani ‘mal, “une nature non matrisable et un animal indompté”. Ce discours misogyne conventionnel, qui rele un mode de pensée “vieux romain” ainsi qu'une tradition littéraire, celle de la diatribe humoristique et satirique contre les femmes, le narrateur Lucius et les autres personnages mas- culins des Mésamorphoses n’y échappent pas. Is puisent aussi dans la tradition licencieuse du réeit milésien pour mettre l'index impotentia muliebris,réduite souvent 2 la sphere de leur appétit sexuel, qui les pousse a séduire les "°Y, 1 VID, 295 1X, 25 IX, 405 X24, hommes. Mais, 8 la suite de Pétrone et de sa céldbre “matone d'Ephese", Apulée en élarit le cadre: ce ne sont plus des courtisanes, mais d'honorables matrones ou des femmes de basse condition (servante ou épouse artisan) «qui se laissent aller & une sensualité dbride et manifestent Vimpotentia d'une nature qui n'écoute que ses pulsions sexuelles, 4 'instar de I'snimal. C'est le cas des magi- ciennes des livres 1 3 IIL, des sceurs de Psyché dans le rythe décrit dans les livres IV 3 VI, des 6pouses adultéres 4es livres IX et X et enfin de In matrone corinthienne amoureuse de Lucius ane Ces differents personnages sontis ravalés au tang de Yranimal? Portencils en eux une part «animalité,suscep- tible dete transmise & ceux qui les approchent”? Ou bien ne fontils que révéler cette part sombre et inavouable propre tout re humain, homme ou femme, qui se rele parla relation amoureuse? ‘Nous commencerons notre analyse par une évocation rapide du champ lexical de animal tel qu'il se présente dans les Métamorphoses. Le terme animalitasn'existe pas encore, ‘mais le fait d'@re un animal se dfinit en creux, en contaste vee la notion aus gu pari, premiére vue, impor tante dans es Metamorphoses du fit du nombre élevé de es occurrences (44 au total) mais qui, apres étude. se révele~ une utilisation banale et peu earaetéristique. Une «res range majorité fait référence & une qualité propre la nature humaine qui se différencie ainsi de animal. Onze fois, le fait d'appanenie au genre humain est noté en contrast avec le genre animal et ces différences de nature concernent aspect physique, intelligence, la nourriture et le some Les 7 occurrences danimal, les 49 occurrences de fera x de sa famille, et les 42 occurrences de bestia ne concer- nent jamais des personnages féminins: eles désignent de ‘éritables animaux (castor, ours, chiens, chevaur, loups, sanglie,belette, betes sauvages destinges 3 combatte dans Trane), deux fois Lucius sous sa forme animale, une fos Jupiter et sept fois Cupidon. Les adjectits fru, ferinas, eros ainsi que le substanifferocitas ne caractérisent que des animaux violents et meurviers (chiens, chevaux, ours loups) ou es brigands qui sont le premiers maires de Lucius ne. C'est dans les lives IV et VII que la présence de ces animaux est fa plus importante; vient ensuite le ivre YV oi le jew entre le dieu Cupidon et bestia se poursuit tout au long du myth Sur les cing occurrences du verbe efferare), ois ceoncernent des personnages; deux nous intéressent parte iteLive, 24,2, 13: date frenos impotent natura et indomito animal ligrement, parce qu'elles sont liges a la présence du desir lubido( VIM, 29): les prétres de la déesse sytienne tentent abuser sexuellement d'un robuste paysan; ils éprouvent un désir monstrueux qui va a encontre de la nature. Tout le vocabulaire dit I'ignominie et la dépravation de leurs ates: Spurcissimi itla propudia ad inlicitae libidinis extrema flagitiainfandis uriginibus efferantur "Ces infimes tout & fait immondes sont transformés ‘en bétes sauvages et entrainés par leurs désirs ‘monsirueus & commette les pires des forfaits suscl (és par un désirillicite.” La ferme condamnée aux bétes du livee X, jalouse de Ja seeur de son époux qu'elle crit éte sa maftresse, Ia tue en X, 24: elle “se transforme en béte sauvage sous les aiguillons de son désir fou furieux", libidinosae furiae sti- amulis efferata Ce passage dans la sphere animale, qu'indique emploi de ce verbe, est lié & Ia sexualité, & un déborde- ‘ment de désir sexuel non mai libido. Le substantif libido, dans ses vingt et une occur- rences, ne représente dans les Métamorphoses qu'un seul type de dési: le désir sexuel qui se manifeste toujours de maniére violent, irépressible et est condamné de manigre explicite par le narrateur, parce qu'il apparait dans des otiques marqués par la violence meurtiére, la folie furieuse ou la perversité* ‘Nous constatons done que le personage féminin n’est pas lié a animal par le vocabulaire. C'est & travers ce que Durand (1979) appelle Ia “onetion fantastique” de Veuvre litéraire, qui procéde dans Vimaginaire sous forme de sym- boles et de mythes, que le rapport entre Ia femme et I'animal se met en place. Le mythe résout en son dire indicible de ce ‘questionncment et indique les enjeux fondateurs du texte, Le mythe d’Actéon et de Diane, représenté sous forme ‘euvre sculptée dans Vatrium de Byrthéne, la parente de Lucius, en Il, 4 ouvre Vitinéraire initatique de Lucius et se présente comme un mythe fondateur. Apulée choisit de mettre accent sur "interprétation sexuelle du crime ’Actéon, celle qui a connu le plus de succes. En effet, Fauvre d'art décrite n'exprime que la setne de voyeurisme et son chatiment, en omettant une grande partie de I'his- toire du chasseur: elle se focalise entiérement sur le désir «'Actéon de voir la dSesse Diane nue et qui la guett, “d'un regard curieux” dans son bain, puis sur sa transformation en cerf. C'est done un mythe du voyeurisme qui associe sé. Ce désir est nommé 87 regard, sexualté et animalité et qui est un avertissement, parmi d'autres, des dangers que court Lucius & vouloir re top curieux et & se laisse fasciner par l'art magique que pratiquent nombre de femmes thessaiennes qu'il prend pour les guides de la connaissance. ‘Actéon regarde, plein de convoitise, le corps nu de Diane la déesse qui a renoneé la sexualié. Ce egard es sacrifége & double titre: d'une part il franchit une limit terdite 4 1'éte humain en osant se porter sur le divin, et ‘autre part il pie et surprend le secret du corps féminin - puisque les dieux sont sexués. C'est sa curisité sexuelle qui est &origine de son regard sur la nuité feminine: “ee que vise le regard, cst toujours le sexe, non pas ou non pas seulement comme organe ou absence d'organe, mais ‘comme question posée & homme.” (Milner, 1991 : $8). Le secret dondre sexuel gu'entrevoit Actéon n'est ren ui doive se voir ou dite, Le voyeur ne peut die condannné qu’ devenir un regard sans parole. La imite qu'il a franchie, i a paie parson passage iméversible av monde animal, 3 la vie sauvage 2 laquelle sa conduite de voyeur V'a assim ‘Actéon, devenant cer, quite son humanit,e'estdire pend son nom, son identi, sa parol, pou rejoin le monde an inal, celui de Vinstint pur et incontslé et de V'absence de langage. Pus il perd méme la vie, démembré peu & peu par ses propres chiens: ce qui le te, c'est Pobseurté du secret féminin mis jour dans sa forme la plus terifiane En effet, pour résumer T'analyse de Durand (1969 :109-113), Diane est le “prototype de In féminité sanglante et négetivement valoisée”, un “archétype de la femme fatale", une image de la “mére terrible” qui cristae lise les symboles de la féminité redoutable (ea, toilette feminine, atmosphere de tereur, car la déesse est anguée de chiens féroces, préts 8 mordre). Elle est le modéle Inconscient de toutes les femmes magiciennes qui illustre les dangers de la sexualité ct qui attire "homme dans la sphere de 'animalité en éveillant en tui un désir qu'il est incapable de mitrse. En effet, ce sont les femmes qui pratiquent art de ta ‘magic en Thessalie (Méroé, sa sour Pantha, Pampilé et sa servante Photis. une veuve quia empoisonné son mari, aux livres 1, Het ID gui sont les premiers personnages a illastrer dans le roman la part négative de la nature Féminine, dspen- satrice de violence et de mor, quia ecours la magie noire criminelle 2 des fins érotiques immédiates et égoites. L’ ori sinalté 4° Apulée est de ruire les motivations de ces per- sonnages familiers aux Romains & Massouvissement d'un esi sexueldebridé. Aux substantis cupid et libido wilisés “Pour une analyse dil ds vocabulice du sic voit Puccini (195). 88. pour nommer ce désir,s’ajoute urigo, utilisé avec une forte valeur négative et condamné explicitement par le narrateur, Le prénom Pamphilé (“qui aime tout”) renforce Tobsession| érotique attribuée aux magiciennes. Ces demigres usent de leurs artes familiares feminarum (Met., IX, 29, 1) qualifies de malae (Mer., II, 29, 5) par le narrateur pour réduire homme sur lequel elles ont jeté leur dévolu & un pur objet sexuel. Cest le eas, par exemple, de Méroé: (..) nam simul quemgue conspexerit speciosae formae iuuenem, uenustate eius sumitur et ilico in ‘eum et oculum et animum detorquet. Serit blandi- tias, inuadit spiritum, amoris profundi pedicis cacternisalligat. (2) dBs qu'elle apergoit un beau jeune homme, clle est saisie par sa grdce et jete aussit6t sur lui ses yeux et ses pensées, Ellie lui prodigue des caresses, s’empare de son esprit, enchatne par les liens étemels "un amour sans fond.” Le symbole du lien représente Ia puissance magique et néfaste de la magicienne, femme fatale qui part & la ccongquéte du mle, comme en témoigne le vocabulaire de la chasse et de la guerre utilisé pour déerre les entreprises Grotiques de Pamphilé (Met, Il, 16, 1). L'amour que pro- ‘voquent les magiciennes chez les hommes est en réalité un sentiment alignant et dévorant qu’indiquent image de la chaine et celle du gouffre sans fond. Pamphilé “bre sans répit” (Met, Il, 5, 8: ila uritur perpetuun) et cette méta- phore du feu dévorant est l'image de Iinsatiabilité qui aligne la femme et Ia pousse & prendre des décisions funestes lorsque son désir n'est pas satisfait, Les relations sexuelles des magiciennes se nouent comme celles des ani- ‘mau, au gré du hasard, soumises 2 un instinet sexvel non contrblé”. Ces femmes portent & son point culminant le <élire passionnel de la femme. La toute-puissance que détiennent les magiciennes sur univers, sur leurs rivales et leurs amants, qui s'apparente & tun délire de domination, leur violence sexuelle non cat sée sont sources d'angoisse pour "homme, surtout lorsque la force castratice de la femme est mise en valeur. Panthia cherche comment se venger de Socrate, 'amant de sa socur gui s‘est enfui: “pourquoi, ma sur, ne pas le mettre D'apres Juvénal, Sar, VI, 334, de elles unions ne seraient pas ares dans Ia société romaine, ‘6 Psyché & Cupidon en V, 13, 5: feneo te, meum lumen; la matrone & 'ine en X, 22,3: eneo te, ingui,feneo, mewn patumbulum, ‘mewn passerem ("Martial pig. Lib. 5. |, ite la repésentation dune sorte de “mnime de Pasiphaé” dans Varéne. leur curiosité. Elle nous semble étre posée de la maniére la plus cruciale par le personnage mythique de Psyché. En effet, son histoire, au contre méme des Métamorphoses, file les motifs de Ia bestia, du serpent, de la zoophilie et de la mort par dévoration animale, que nous venons analyser au niveau du récitréaliste. Elle exprime claire- ‘ment le mystére angoissant de la relation amoureuse en associant fortement sexualité et animalité. Le mar inconnu qu'elle doit épouser, d'aprés l'oracle d° Apollon en TV, 33, est “un mal eruel, sauvage et vipérin” (saewum ‘atque ferum uipereum matun) qui “est né pour la ruine de univers” (sorius orbis exitio natus est). Malgré la connaissance, certes partielle, qu'elle a du comps de celui ‘qui la posséde chaque nuit dans le noir elle se laisse per- suader par ses méchantes swurs qu'il est en réalité “un ‘monstrucu serpent, un reptile aux repli tortueux, gonflé d’une bave sanglante, d'un venin redoutable” (Met. V, 17) qui Vengraisse pour mieux la dévorer (Met V, 18: saeuissimae bestiae sepeliri uisceribus). La 200- philie de Psyché est suggérée par les seeurs en V, 18: “Tes étreintes Pun serpent venimeux te charment”, lui repro- cchentelles. De son c6té, Cupidon ne cesse de mettre en garde Psy- ‘ehé contre la malignité de ses deux seeurs comparées elles aussi des monstres mythologiques ou & des serpents malfai- sants, comme nous l'avons relevé précédemment. Oit est réellement la bestia’? Psyché se révele incapable de discemer veéritablement od se situent animalité et le danger qui lui est inhérent, et décide de ter ce “mari dont elle ignore la condi- tion”. Elle est alors violemment déchirée entre iments opposés: “dans le méme comps, elle hait la béte, mais chérit Pépoux” en V, 21 (in eodem corpore edit bestiam dili- it maritum), Le d&sir de mort qui "habite constitue Pambi- valence essentille de tout amour. Il est le lieu de toutes les violences tout en étant en méme temps doux comme le miel, Psych ne pergoit que la part négative de F'amour: il lui reste découvrir autre facette que lui révele la lampe: elle vit “de toutes les bates sauvages la plus tendre et la plus douce, ‘Cupidon en personne, le dieu beau reposant bellement” en V. 22, Le secret que vient de perver Psyche, c'est le fait que la douceur et la beauté sont au eur de la relation amoureuse. 91 En encadrant la métamorphose de Lucius en ne par le imythe de Diane etd’ Actéon et parle mythe de Psyché et de Cupidon, Apulée pressent et explote Vexistence du ien entre violence, mort et sexualté parle bais d'un questionnement sure frontigres entre humain, animal etl divin. Ml rompt avee la représetation idyllique du rapport entre la femme et Vanimal tlle que Willie une scéne de Ia fresque dite des “Mystéres & Pompei une adolescente donne le sein & une be, quite siles apres les Baechantes d°Euripide, ces femmes drapées dans la peau un faon, comme dans “idyll dion siaque” de Tadolescente" (Veyne era, 1998, p 103) Pyché et Lucius, eux, vivent de maniére analogue la hhantse de Panimalité tout en €prouvant une fascination qui les pousse 2 transgresser une limite qui leur a 6 assignée entant que morte. Mais cette chute dans 'animatité quis provoguent est nécessaire pour pouvoir s'élever vers la sphére du divin, Elle est, avant V'heure, une sorte de fei eulpa (Lancel, 1961)" qui repose sur Vantithése du Phedre, celle du Haut et du Bas". Cette descente dans I'animalité passe par un certain type de femme, puissante et maléfique, qui représente la tentation de instinct qui entraine fatalement les hommes 4 leur perte, qui les tre vers Manimalit. Phot en est le meilleur exemple. Mais & cette femme fatale, funeste au héros, s‘oppose la femme salvatrice, gu'sis inearne a la fin du roman dans toute sa perfection. Cette structure ant thétique, que nous pourrions appeler, & la suite de Bau- doin (1952), le “mythe des deux femmes” fait voyager Lucius de Manimalité & 1a divinité, image de la mére idéale"”, Isis, “mére des dieux”, “dispense aux malheu- roux la douce affection d'une mére” (XI, 25) et aréte le mouvement de I"humain vers I'animal, Sa fonction est de garder les trois niveaux de la nature distinets bien qu’unis| niveau animal, humain, divin et de permettre Tharmo- nice unitaire du cosmos; dans eet univers harmonieus, animal cesse d°étre une menace pour I'étre humain et sintegre parfaitement. Apulée se situe encore dans la lignée de la philosophie platonicienne en plagant le héros face & Iui-méme et & la recherche de sa vérit qui passe par une différenciation entre I'humain, "animal et le divin”. Purpide, Rac, v. 699: “Elles portent dans leurs bras un hice ou un Toute Farouche et leur donnent da ait” (Le thame de la flix culpa apparait pou la remit Fischer Ambroise, Inst vir. 17, WM et fa: it. beat. 1, 6,21 ° Pour une étude apprfondie dela “ate” de Pyyché, cons "Le voyage est une image de Vaspiration, du desis perdu”, C. G Jung (1967: p. 345}. ucini (1995). jamais tent, qui ne rencontre jams son objet, de la recherche de la mre ‘La présence de Ianimalité qu est persue dans l'ce humain rappelle la triparition de I’ame humaine énoncée dans la République oi apart rationnlles oppose & la partie appatitiv, parte beste et sauvage 92 Bibliographie BAUDOIN C,, 1952~ Le riomphe du hévos, Paris: Plon. DOWDEN K., 1993.~ The unity of Apuleius’ Eight Book and the danger of beasts. GCN, S : 91-109, DURAND G., 1969 Les stractures anthropotogiques de Vimaginaire. Paris : Bordas (9°édition). DURAND G., 1979.— Figures mythiques et figures de eure. ile vere, Berg International JUNG C. 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