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불어 숙달 II

Semaine 4 : Cinéma

Document 1

ADÈLE HAENEL NOUS ÉCRIT

(Source : Télérama du 9 mai 2023)

5 Ce fut d’abord une interrogation : où


était donc passée l’actrice Adèle
Haenel, absente des écrans ? Suivie
d’une autre question : cette disparition
était-elle choisie ou subie, après son
10 coup d’éclat aux César 2020 qui divisa
le monde du cinéma et au-delà ? Pour
le savoir, nous avons enquêté, sollicité
des témoignages, essuyé de nombreux
refus à propos d’une personnalité considérée par beaucoup comme clivante. Ces
15 questions, nous souhaitions les lui poser. C’est finalement par une lettre qu’elle a
décidé de prendre la parole et d’expliquer pour la première fois ses choix politiques.
L’expression brutale tient du cri, son rejet d’un monde auquel elle ne veut plus
appartenir est sans appel, au risque de susciter à son tour le rejet. Fallait-il y donner
suite dans un magazine qui, fidèle à ses valeurs, s’inscrit dans la réforme de la société
20 et non dans la rupture ? Nous pensons que la radicalité de son discours éclaire sa
trajectoire et peut faire écho à d’autres dans sa génération. Nous avons pris la liberté
d’enquêter sur Adèle Haenel et d’interroger son parcours, nous lui laissons la liberté
d’y répondre.

« J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance


25 généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la
manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel
qu’il est. Disons-le clairement : alors que la biodiversité s’effondre, que la
militarisation de l’Europe s’emballe, que la faim et la misère ne cessent de se répandre,
quelle est cette obsession du monde du cinéma – collégialement réuni aux César, en
30 promotion pour ses films – de vouloir rester “léger” ? De ne surtout parler de “rien”.
Dans un contexte de mouvement social historique, on attend de voir si les pontes du
cinéma comptent – comme les sponsors de l’industrie du luxe – sur la police pour
que tout se passe comme d’habitude sur les tapis rouges du Festival de Cannes.
Remplir de vent l’espace médiatique a un but, celui de rendre l’ordre bourgeois aussi
35 naturel que le bleu du ciel et de rendre inaudibles, marginales, les voix de celleux qui
organisent la résistance pour que tous les humains puissent vivre dignement et qui
essayent d’arracher un avenir à cette planète. Continuer de rendre désirable ce
système est criminel. Il y a urgence : il n’y a plus d’avenir vivable pour personne à très
court terme dans le cadre du capitalisme. Il est urgent de vocaliser cette alarme le
40 plus fort possible. Mais elles et eux tous·tes ensemble pendant ce temps se donnent
la main pour sauver la face des Depardieu, des Polanski, des Boutonnat 1. Ça les
incommode, ça les dérange que les victimes fassent trop de bruit, ils préféraient qu’on
continue à disparaître et crever en silence. Ils sont prêts à tout pour défendre leurs
chefs violeurs, ceux qui sont si riches qu’ils se croient d’une espèce supérieure, ceux
45 qui spectacularisent cette supériorité en se vautrant dans des bruits de cochon, en
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chosifiant les femmes et les subalternes. Les chefs se lèvent et pètent, les larbins du
capital ricanent et applaudissent. Ils sont agrippés à leurs coupes de champagne rosé,
prêts à chanter à ces ultra-riches lobotomisés par le pouvoir toutes leurs plus belles
chansons pour leur dire qu’ils seront toujours les plus innocents. Que c’est vrai, les
50 pauvres sont pauvres et c’est malheureux, que les femmes sont violées et c’est
malheureux aussi, mais que ce n’est la faute ni des riches ni du système qui les
exploitent. Et d’ailleurs la grande industrie produit à dose homéopathique des films
sur les pauvres héroïques et des femmes exceptionnelles, histoire de capitaliser
toujours davantage sur notre dos sans donner aucune force à notre mouvement. Que
55 tout le monde reste bien à sa place. Je le redis : la HONTE. Face au monopole de la
parole et des finances de la bourgeoisie, je n’ai pas d’autres armes que mon corps et
mon intégrité.

De la cancel culture au sens premier : vous avez l’argent, la force et toute la gloire,
vous vous en gargarisez, mais vous ne m’aurez pas comme spectatrice. Je vous annule
60 de mon monde. Je pars, je me mets en grève, je rejoins mes camarades pour qui la
recherche du sens et de la dignité prime sur celle de l’argent et du pouvoir.
Depuis 2019, je poursuis mon travail artistique dans la collaboration théâtrale et
chorégraphique avec Gisèle Vienne. C’est une artiste qui construit une des œuvres les
plus puissantes que j’aie jamais rencontrées. Face au détachement, à la vacuité et à la
65 cruauté que l’industrie du cinéma érige en principe de fonctionnement, le sens, le
travail et la beauté qu’elle met en permanence en jeu sont une lumière qui me permet
de garder la foi dans ce que peut vouloir dire la puissance de l’art. » •

1Note de la rédaction : dans ces affaires, les trois hommes contestent les faits qui leur
sont reprochés.
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Document 2

Interview
Justine Triet et Sandra Hüller : «“Anatomie d’une chute” parle
de cette utopie qu’est l’égalité dans le couple»
5
La cinéaste Justine Triet et la comédienne Sandra Hüller, révélée par «Toni Erdmann»
évoquent un tournage où elles ont traqué le naturel et pourchassé les clichés, creusant
jusqu’au vertige le rapport de rivalité homme-femme au coeur du récit.

10 Le tourbillon des interviews depuis l’obtention


de la palme d’or ne s’est pas arrêté pour Justine
Triet, emportée dans le vent d’une polémique
avec Rima Abdul-Malak, la ministre de la
Culture, et l’anticipation d’une sortie du film la
15 dernière semaine d’août. Quant à la comédienne
principale, l’allemande Sandra Hüller, elle a été
certes moins exposée mais, elle-même très
sollicitée par ses nombreux projets
internationaux (en 2023, elle est dans deux
20 autres films, The Zone of Interest de Jonathan
Glazer, autre film de la compétition cannoise
et Sisi und Ich de Frauke Finsterwalder), ne
passait qu’une journée à Paris début juillet.
Complices et complémentaires dans le travail,
25 amies dans la vie, l’une et l’autre ont accepté
pour Libération de raconter le tournage d’un
film où la question de la place des femmes et du
regard qu’on porte sur elles a été omniprésente.
La comédienne Sandra Hüller (à gauche) et la
cinéaste Justine Triet, à Paris le 1er juillet. (Audoin
Comment vous êtes vous rencontrées ? Desforges/Libération)

30 Justine Triet : La première rencontre, c’est au festival de Berlin en 2012, Sandra


m’a remis un prix pour mon court métrage Vilaine Fille, Mauvais Garçon. Je me
souviens qu’on avait eu, non pas un crush, mais disons…

Sandra Hüller : Une connexion…

J.T. : On s’était dit qu’on se reverrait, mais ça n’a pas eu lieu. Puis la découverte
35 de Toni Erdmann de Maren Ade, en 2016, a été un énorme choc, j’ai vu le film
plusieurs fois et j’ai essayé de comprendre comment elles avaient travaillé jusqu’à
parvenir à une telle évidence entre la personne et le personnage. Puis je lui ai proposé
de rejoindre le tournage de Sibyl où il s’agissait d’un rôle secondaire, mais Sandra ne
pense pas du tout en termes de gros ou petits rôles, ce qui est assez rare dans ce milieu
40 où ça obsède les gens. Après Sibyl, j’avais l’impression qu’on avait commencé
quelque chose qu’il fallait poursuive. Tout comme j’avais déjà fait deux films avec
Lætitia Dosch, puis deux films avec Virginie Efira… Il y avait une sororité entre nous
que j’ai ressentie dès le début. J’aime sa façon d’être à la fois très précise sur ce qu’elle
fabrique et d’avoir un lâcher-prise total.
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45 S.H. : Je ne travaille jamais en me disant : «Ceci est mon personnage, il est comme
ça, il ne ferait jamais ça…» Sur le plateau, on modifie beaucoup d’inflexions,
d’attitudes et d’intentions d’une prise à l’autre et on se trompe aussi souvent car on
peut croire qu’on a été juste là et mauvaise là, alors qu’au final, c’est l’option qui
semblait ratée qui va l’emporter au montage. Il faut toujours s’efforcer de penser
50 contre l’angle qui nous paraissait a priori ou théoriquement le meilleur. Ce que j’ai
préféré, en travaillant avec toi, et c’est aussi le cas avec Maren Ade, c’est d’avoir la
liberté d’essayer de nombreuses options différentes pour le rôle.

« Ce qui m’obsède en arrivant sur le plateau, c’est trouver comment casser la


machine pour retrouver de la vie, enrayer la petite musique parfaite qui pourrait
55 s’enclencher à partir d’un scénario très écrit. »

— Justine Triet

On peut s’autoriser à traiter le tournage comme un laboratoire ou un


chantier ?

J.T. : Le plateau est un endroit de doute où on peut tout s’autoriser. On cherche


60 ensemble et je ne veux pas être dans la position de metteuse en scène qui sait tout et
passe sa journée à donner des ordres. C’est au montage que je deviens un vrai tyran
parce que c’est la phase où je sais très précisément ce que je veux. Mais avant, il faut
faire semblant de dire qu’on sait où on va alors qu’en fait, t’es complètement
perdue ! (rires). On pipote pour avoir des financements puis, sur le tournage, faut
65 encore créer l’impression aux acteurs, qui n’aiment pas l’incertitude, qu’on sait
exactement ce qu’on fait et où on va, ce qui est faux. C’est vachement fatigant. Ce qui
m’obsède en arrivant sur le plateau, c’est trouver comment casser la machine pour
retrouver de la vie, enrayer la petite musique parfaite qui pourrait s’enclencher à
partir d’un scénario très écrit. On tournait un film de genre, un film de procès avec
70 beaucoup de références et de clichés qu’il fallait ne pas reproduire. C’est très ringard
de jouer le genre, d’adopter les codes comme si c’était ça qui était efficace. Tout ce
que Sandra pouvait faire, même de minuscule, qui évoque la duplicité, je lui
disais «Non, sois vraiment le plus proche de quelque chose de très documentaire,
très proche de toi, sois très brute, très simple.» Ce type de scénario a beau arriver de
75 manière un peu autoritaire, une fois que l’histoire est là, ce qui m’intéresse, c’est de
la transcender. Ce n’est pas très original ce que je dis, tous les metteurs en scène
pensent ça. Je sais que Maren Ade travaille en faisant énormément de prises en
attendant le moment de l’abandon absolu, où vraiment ton cerveau n’est plus
connecté, tu arrêtes de penser.

80 S.H. : Oui sur Toni Erdmann, c’était une vingtaine ou jusqu’à 30 prises pour une
même scène.

J.T. : Je devais être autour d’une dizaine ou 15… Parfois plus…

« Certaines prises étaient très compatissantes et émotionnelles, d’autres bien plus


froides, pour qu’on puisse choisir entre ces deux états. Que Justine puisse ajuster le
85 degré de froideur, sans en faire trop, sans en faire trop peu. »

— Sandra Hüller
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Le film donne tout le temps une grande impression de prise à vif sur des
situations très tendues, comment l’obtenez-vous ?

J.T : Normalement sur un tournage, on commence en faisant une mise en place, le


90 chef op fait sa lumière, et moi je suis en train de faire chier mon équipe pour aller
plus vite. Ce que j’adore c’est que Sandra arrive et se met à jouer vraiment pendant la
répétition. J’ai eu des moments de crise à me dire : «Merde, tu avais eu ce truc
parfait en répétition, que tu ne pourras plus jamais retrouver, tu viens de le louper
parce qu’il y a une marche à suivre.» Donc, faut s’adapter, casser le protocole. Le
95 chef op était furieux : «J’ai pas le temps de faire la lumière. Comment veux-tu que je
fasse ? L’image va être pourrie.» Mais je m’en foutais. Et d’ailleurs on a gardé
beaucoup de choses au montage où mon chef op trouvait l’image bizarre, le cadre
bougeait… Mais c’est dangereux pour le film de devenir un objet glacé, trop ficelé…
Sandra m’a aidée à empêcher ça avec une espèce de confrontation d’idées incessantes.
100 Je pense que ça lui vient du théâtre. Quand tu es un acteur qui va jouer Hamlet trois
heures le soir, tu prends en charge quelque chose aussi de la mise en scène. Je me
trompe ?

S.H. : Non, quand on répète au théâtre bien sûr, c’est pareil, pourquoi serait-ce
différent au cinéma ? On se réunit et on cherche à trouver le bon trajet. La seule
105 différence avec le cinéma c’est que tout est filmé, les erreurs aussi. Mais ça, ça devient
ton problème au montage, ce n’est plus le mien.

Ça devait être un défi de trouver les modulations de ce personnage, qui


paraît souvent froid sans que ça ne fasse obstacle à l’empathie qu’on
éprouve pour elle, à sa vulnérabilité…

110 S.H. : C’est très lié à ces différentes versions d’une même scène qu’on a testées.
Certaines prises étaient très compatissantes et émotionnelles, d’autres bien plus
froides, pour qu’on puisse choisir entre ces deux états. Que Justine puisse ajuster le
degré de froideur, sans en faire trop, sans en faire trop peu, parce que ce personnage
doit évidemment être sous contrôle tout le temps, sa vie est en jeu, elle peut aller en
115 prison et tout perdre. Je pense que c’est une personne qui est capable de contrôler
ses sentiments, mais on la voit aussi pleurer dans une scène. Tu me disais
toujours : «Elle pourrait être un peu plus vulnérable, à cet endroit, elle n’est pas si
sûre qu’elle peut faire le poids contre cet avocat général…» Il y avait une version très
violente avec l’experte psychiatre où elle lui hurlait dessus «Comment osez-vous me
120 dire des choses pareilles sur mon mari ?»

J.T. : Sandra est très rigolote, parce qu’elle est très passionnelle dans sa façon de
réagir au script. Elle a vraiment une idée morale des choses, elle a des réactions très
fortes. Elle était très énervée par moments, et il fallait lui dire attention, ça déborde…
Et puis il y avait la grande scène de ménage qui était le centre nerveux du film.

125 Parlons-en. Comment on l’écrit et comment on la joue ?

J.T. : Elle me stressait énormément parce que c’est une scène qui a été longue à écrire
avec Arthur [Harari], mon coscénariste [et compagnon de Justine Triet, ndlr]. On
n’était jamais d’accord, à tel point que j’ai fini par l’écrire seule… Ça parle vraiment
de la répartition des charges dans un couple avec enfant et je pense que ça parle
130 profondément de l’égalité dans le couple et de cette utopie, de cette possibilité de
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vivre ensemble. Qu’est-ce qu’on se donne, qu’est-ce qu’on se doit ? Est-ce qu’une
réciprocité est possible ? J’ai le sentiment que, même aujourd’hui, dans beaucoup de
couples, l’un ou l’autre démissionne. J’accepte de me faire bouffer. Mais si deux
personnes ne veulent rien lâcher, est-ce que l’amour est encore possible ? Telle que
135 j’avais écrit la scène, j’avais imaginé une maîtrise qui irait davantage dans l’humour.
Et puis Sandra est arrivée avec quelque chose de très passionnel que j’ai adoré, je ne
m’y attendais pas. Elle était high d’emblée, à son maximum, elle s’est mise dans un
tel état physique que sa peau était transformée…

Comment construisez-vous ces pics émotionnels ?

140 S.H. : Je n’en ai pas la moindre idée. J’ai mes petits trucs secrets bien entendu. Je
crois que le personnage essaye depuis si longtemps d’avoir cette conversation avec
son mari – interprété par Samuel Theis – donc elle essaye de se retenir, de rester
calme, de construire ses arguments en prenant du recul sur cette vie en commun
depuis tant d’années. Mais quand il essaye de la blesser en lui parlant de leur fils, là
145 elle lâche les chiens : «Ok là on va se battre». Il fallait pas être à bloc tout de suite,
ça aurait été ennuyeux. Il fallait être dans le contrôle puis le lâchage. Il y a un certain
point où vous ne pouvez plus vous retenir, soit vous partez, vous claquez la porte, soit
vous vous attaquez et c’est terrible. Donc c’est pas tant comment moi je le construis,
c’est juste que c’est écrit de cette manière-là. D’ailleurs, Justine, tu as changé pas mal
150 de choses dans le rythme de l’échange au montage, parce qu’il y avait beaucoup plus
de temps de pause dans nos échanges, donc le film accélère la dispute, la rend plus
intense, plus aiguë, que sur le plateau.

J.T. : Il y a des choses que je fais dire à Sandra qui serait d’une misogynie ignoble si
je le faisais dire à Samuel Theis. Quand elle lui dit par exemple : «Je ne connais aucun
155 écrivain qui ne peut pas écrire parce qu’il a des courses à faire», tu fais dire ça à un
mec, tu annules l’histoire de la moitié de l’humanité où la femme a été esclavagisée à
la maison avec la bouffe, les gamins, etc.

Précisément, Justine Triet, il est difficile de pas évoquer l’étrangeté de


cette coécriture avec votre compagnon Arthur Harari pour un projet qui
160 raconte l’épreuve du pire au sein d’un couple où les deux sont, non pas
écrivains, mais cinéastes comme c’est le cas…

J. T. : (Rires). Je vais, d’emblée, casser le mythe. Au début, je pensais juste


demander à Arthur de m’aider sur l’élaboration d’un séquencier [document qui
rassemble toutes les séquences d’un scénario, ndlr] et le Covid est arrivé, on s’est
165 retrouvé coincé à la maison. En toute honnêteté, je pense qu’on a vraiment une forme
d’inconscience là-dessus, parce qu’on n’a pas vraiment théorisé sur ce qu’impliquait,
pour nous, un tel projet commun. Il y a une phrase que j’adore de Joan Didion qui dit
qu’elle résout ses problèmes dans ses fictions. Il y a une part d’inconscience, sans
doute, en tout cas, quelque chose qui défie chez moi l’analyse. On a travaillé ensemble,
170 c’était chouette mais je ne sais pas si on le refera. Le scénario était lourd, dès le début,
j’avais peur qu’il nous mange, qu’il n’y avait pas assez de légèreté, mais ça n’est pas
nos vies.

« Par exemple un film que j’aime énormément, «Marriage Story» de Noah


Baumbach, sur Netflix. La grande scène de règlements de compte du couple à la fin
175 entre Adam Driver et Scarlett Johansson, on en a beaucoup parlé avant de faire
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«Anatomie» parce que je la trouve géniale. [...] Mais j’ai un énorme problème moral
sur la partition de Scarlett Johansson, chaque mot qu’elle dit, j’ai envie de les
réécrire. »

— Justine Triet

180 S.H. : Ils sont ensemble depuis longtemps, ils ont une espèce d’intelligence
commune, et que Justine et Arthur soient capables de fictionner très frontalement
ces tensions internes au couple sans se détruire l’un l’autre relève quasiment pour
moi du miracle. Tout le monde connaît ou a vécu ces situations de discordes dans son
couple, ce sont des questions très contemporaines, et d’autant plus qu’on ne transige
185 plus sur la dimension de l’égalité.

J.T. : Cette scène se construit aussi contre plein d’autres scènes équivalentes dans
l’histoire du cinéma où les femmes sont mises dans une posture qui ne me plaît pas.
Par exemple un film que j’aime énormément, Marriage Story de Noah Baumbach,
sur Netflix. La grande scène de règlements de compte du couple à la fin entre Adam
190 Driver et Scarlett Johansson, on en a beaucoup parlé avant de faire Anatomie parce
que je la trouve géniale. Je suis totalement en adoration devant Adam Driver mais j’ai
un énorme problème moral sur la partition de Scarlett Johansson. Chaque mot qu’elle
dit, j’ai envie de les réécrire. L’histoire du cinéma est faite de beaucoup de scènes où
les hommes sont extrêmement valorisés dans leur parcours, dans leur complexité,
195 dans la profondeur de leurs états d’âme et, en face, le personnage féminin est juste là
pour leur faire péter les plombs.

S.H. : Les acteurs ont cette tendance, quand il y a une dispute écrite, ils adorent y
aller à fond. Mais ce n’est pas comme ça qu’on s’engueule. Quand on s’engueule, on
s’efforce d’être poli, pendant très longtemps. On essaye de trouver une solution,
200 parfois on ne peut pas…

J.T. : (Rires) Moi quand je m’engueule, c’est pas aussi organisé. Mais je voulais éviter
l’écueil lié à la fascination qu’on peut avoir pour un cinéma de pulsion, la veine Pialat.
Et attention, j’adore Pialat. Mais je voulais écrire une dispute comme une bataille
d’idées, une lutte théorique entre deux personnes, en repoussant la pulsion le plus
205 tard possible, puisque la violence arrivera de toute façon. Il fallait que le match soit
beau. Et pourtant, il explore les ressentiments les plus ignobles du couple.

S.H. : Je crois que dans Anatomie, ce n’est pas seulement que ni l’homme ni la
femme ne veut lâcher quoique ce soit de ce qu’il ou elle désire, de ses ambitions, mais
c’est aussi le fait que ce qui n’a pas fonctionné, ou les critères même des problèmes
210 qui se sont accumulés au fil du temps, doivent être repris et résolus complètement
différemment. C’est tout le problème le plus souvent dans le couple, on ne parvient
pas à se débarrasser de toutes les années passées, on ne peut pas les revivre ni défaire
les erreurs commises. Alors comment repartir sur des bases nouvelles, c’est peut-être
la capacité à se pardonner aussi…

215 Combien de pages faisait le scénario ?

J.T. : J’ai triché. Comme le film aurait dû faire trois heures, j’ai réduit la police de
caractères pour que ça ait l’air de n’en faire que deux… J’avais peur qu’on ne me
donne pas d’argent. Au début, je voulais faire une série, faire quelque chose
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d’exhaustif, prendre mon temps et fouiller dans les méandres de la justice. Les
220 producteurs, Marie-Ange Luciani et David Thion, ont fini par me convaincre de faire
plutôt un film. J’ai dit que c’était jouable s’ils me laissaient libre du timing. La durée
des films est devenue une obsession générale aujourd’hui, c’est un match en
permanence pour ne pas céder sur l’essentiel au nom d’un impératif de vitesse, de
format, tenir dans moins de deux heures, etc. C’est toujours une angoisse des
225 partenaires financiers et j’avais prévenu que je ne ferai aucune concession. J’en ai fait
à l’arrivée, puisqu’il y a eu un montage à 2 h 50 et que j’ai jeté des trucs que j’aimais
beaucoup. Mais on arrivait au procès après une heure et demie de film, et on était
déjà exténués (rires).

« Plein de films existants fabriquent une espèce de puzzle qu’il va s’agir de


230 reconstruire entièrement. Ce n’est pas ce qui m’intéressait. Je ne voulais pas de film
à twist. Toutes les affaires qui m’intéressent dans la vraie vie, sont des situations
dans lesquelles on finit dans le doute. »

— Justine Triet

Vous referez un film ensemble ?

235 J.T. : J’aimerais bien, une comédie. Sandra est très drôle.

S.H. : Pourquoi pas, mais tu me feras passer des essais…

J.T. : Oh, bullshit !

Interview mise à jour mercredi 23 août, jour de la sortie d’Anatomie d’une


chute.
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Compréhension écrite

Document 1

1. Adèle Haenel est considérée comme une actrice clivante. Expliquez.

2. Pourquoi Adèle Haenel choisit-t-elle de politiser son départ du monde du


cinéma ?

Document 2

3. Qu’est-ce qui a rapproché la réalisatrice et l’actrice lors de leur première


rencontre ?

4. Relevez les mots et expressions liés au monde du cinéma.


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5. Selon vous qu’est-ce qui semble politique dans le film présenté ?

Production orale

Un film est-il toujours politique selon vous ?


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Production écrite

Dans un article, présentez un film dont la portée politique vous a marqué.


Expliquez pourquoi et quelles ont été les répercussions dans votre vie. (250
mots minimum)

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