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II Semaine 4 - Cinéma
II Semaine 4 - Cinéma
Semaine 4 : Cinéma
Document 1
De la cancel culture au sens premier : vous avez l’argent, la force et toute la gloire,
vous vous en gargarisez, mais vous ne m’aurez pas comme spectatrice. Je vous annule
60 de mon monde. Je pars, je me mets en grève, je rejoins mes camarades pour qui la
recherche du sens et de la dignité prime sur celle de l’argent et du pouvoir.
Depuis 2019, je poursuis mon travail artistique dans la collaboration théâtrale et
chorégraphique avec Gisèle Vienne. C’est une artiste qui construit une des œuvres les
plus puissantes que j’aie jamais rencontrées. Face au détachement, à la vacuité et à la
65 cruauté que l’industrie du cinéma érige en principe de fonctionnement, le sens, le
travail et la beauté qu’elle met en permanence en jeu sont une lumière qui me permet
de garder la foi dans ce que peut vouloir dire la puissance de l’art. » •
1Note de la rédaction : dans ces affaires, les trois hommes contestent les faits qui leur
sont reprochés.
불어 숙달 II
Semaine 4 : Cinéma
Document 2
Interview
Justine Triet et Sandra Hüller : «“Anatomie d’une chute” parle
de cette utopie qu’est l’égalité dans le couple»
5
La cinéaste Justine Triet et la comédienne Sandra Hüller, révélée par «Toni Erdmann»
évoquent un tournage où elles ont traqué le naturel et pourchassé les clichés, creusant
jusqu’au vertige le rapport de rivalité homme-femme au coeur du récit.
J.T. : On s’était dit qu’on se reverrait, mais ça n’a pas eu lieu. Puis la découverte
35 de Toni Erdmann de Maren Ade, en 2016, a été un énorme choc, j’ai vu le film
plusieurs fois et j’ai essayé de comprendre comment elles avaient travaillé jusqu’à
parvenir à une telle évidence entre la personne et le personnage. Puis je lui ai proposé
de rejoindre le tournage de Sibyl où il s’agissait d’un rôle secondaire, mais Sandra ne
pense pas du tout en termes de gros ou petits rôles, ce qui est assez rare dans ce milieu
40 où ça obsède les gens. Après Sibyl, j’avais l’impression qu’on avait commencé
quelque chose qu’il fallait poursuive. Tout comme j’avais déjà fait deux films avec
Lætitia Dosch, puis deux films avec Virginie Efira… Il y avait une sororité entre nous
que j’ai ressentie dès le début. J’aime sa façon d’être à la fois très précise sur ce qu’elle
fabrique et d’avoir un lâcher-prise total.
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45 S.H. : Je ne travaille jamais en me disant : «Ceci est mon personnage, il est comme
ça, il ne ferait jamais ça…» Sur le plateau, on modifie beaucoup d’inflexions,
d’attitudes et d’intentions d’une prise à l’autre et on se trompe aussi souvent car on
peut croire qu’on a été juste là et mauvaise là, alors qu’au final, c’est l’option qui
semblait ratée qui va l’emporter au montage. Il faut toujours s’efforcer de penser
50 contre l’angle qui nous paraissait a priori ou théoriquement le meilleur. Ce que j’ai
préféré, en travaillant avec toi, et c’est aussi le cas avec Maren Ade, c’est d’avoir la
liberté d’essayer de nombreuses options différentes pour le rôle.
— Justine Triet
80 S.H. : Oui sur Toni Erdmann, c’était une vingtaine ou jusqu’à 30 prises pour une
même scène.
— Sandra Hüller
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Le film donne tout le temps une grande impression de prise à vif sur des
situations très tendues, comment l’obtenez-vous ?
S.H. : Non, quand on répète au théâtre bien sûr, c’est pareil, pourquoi serait-ce
différent au cinéma ? On se réunit et on cherche à trouver le bon trajet. La seule
105 différence avec le cinéma c’est que tout est filmé, les erreurs aussi. Mais ça, ça devient
ton problème au montage, ce n’est plus le mien.
110 S.H. : C’est très lié à ces différentes versions d’une même scène qu’on a testées.
Certaines prises étaient très compatissantes et émotionnelles, d’autres bien plus
froides, pour qu’on puisse choisir entre ces deux états. Que Justine puisse ajuster le
degré de froideur, sans en faire trop, sans en faire trop peu, parce que ce personnage
doit évidemment être sous contrôle tout le temps, sa vie est en jeu, elle peut aller en
115 prison et tout perdre. Je pense que c’est une personne qui est capable de contrôler
ses sentiments, mais on la voit aussi pleurer dans une scène. Tu me disais
toujours : «Elle pourrait être un peu plus vulnérable, à cet endroit, elle n’est pas si
sûre qu’elle peut faire le poids contre cet avocat général…» Il y avait une version très
violente avec l’experte psychiatre où elle lui hurlait dessus «Comment osez-vous me
120 dire des choses pareilles sur mon mari ?»
J.T. : Sandra est très rigolote, parce qu’elle est très passionnelle dans sa façon de
réagir au script. Elle a vraiment une idée morale des choses, elle a des réactions très
fortes. Elle était très énervée par moments, et il fallait lui dire attention, ça déborde…
Et puis il y avait la grande scène de ménage qui était le centre nerveux du film.
J.T. : Elle me stressait énormément parce que c’est une scène qui a été longue à écrire
avec Arthur [Harari], mon coscénariste [et compagnon de Justine Triet, ndlr]. On
n’était jamais d’accord, à tel point que j’ai fini par l’écrire seule… Ça parle vraiment
de la répartition des charges dans un couple avec enfant et je pense que ça parle
130 profondément de l’égalité dans le couple et de cette utopie, de cette possibilité de
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vivre ensemble. Qu’est-ce qu’on se donne, qu’est-ce qu’on se doit ? Est-ce qu’une
réciprocité est possible ? J’ai le sentiment que, même aujourd’hui, dans beaucoup de
couples, l’un ou l’autre démissionne. J’accepte de me faire bouffer. Mais si deux
personnes ne veulent rien lâcher, est-ce que l’amour est encore possible ? Telle que
135 j’avais écrit la scène, j’avais imaginé une maîtrise qui irait davantage dans l’humour.
Et puis Sandra est arrivée avec quelque chose de très passionnel que j’ai adoré, je ne
m’y attendais pas. Elle était high d’emblée, à son maximum, elle s’est mise dans un
tel état physique que sa peau était transformée…
140 S.H. : Je n’en ai pas la moindre idée. J’ai mes petits trucs secrets bien entendu. Je
crois que le personnage essaye depuis si longtemps d’avoir cette conversation avec
son mari – interprété par Samuel Theis – donc elle essaye de se retenir, de rester
calme, de construire ses arguments en prenant du recul sur cette vie en commun
depuis tant d’années. Mais quand il essaye de la blesser en lui parlant de leur fils, là
145 elle lâche les chiens : «Ok là on va se battre». Il fallait pas être à bloc tout de suite,
ça aurait été ennuyeux. Il fallait être dans le contrôle puis le lâchage. Il y a un certain
point où vous ne pouvez plus vous retenir, soit vous partez, vous claquez la porte, soit
vous vous attaquez et c’est terrible. Donc c’est pas tant comment moi je le construis,
c’est juste que c’est écrit de cette manière-là. D’ailleurs, Justine, tu as changé pas mal
150 de choses dans le rythme de l’échange au montage, parce qu’il y avait beaucoup plus
de temps de pause dans nos échanges, donc le film accélère la dispute, la rend plus
intense, plus aiguë, que sur le plateau.
J.T. : Il y a des choses que je fais dire à Sandra qui serait d’une misogynie ignoble si
je le faisais dire à Samuel Theis. Quand elle lui dit par exemple : «Je ne connais aucun
155 écrivain qui ne peut pas écrire parce qu’il a des courses à faire», tu fais dire ça à un
mec, tu annules l’histoire de la moitié de l’humanité où la femme a été esclavagisée à
la maison avec la bouffe, les gamins, etc.
— Justine Triet
180 S.H. : Ils sont ensemble depuis longtemps, ils ont une espèce d’intelligence
commune, et que Justine et Arthur soient capables de fictionner très frontalement
ces tensions internes au couple sans se détruire l’un l’autre relève quasiment pour
moi du miracle. Tout le monde connaît ou a vécu ces situations de discordes dans son
couple, ce sont des questions très contemporaines, et d’autant plus qu’on ne transige
185 plus sur la dimension de l’égalité.
J.T. : Cette scène se construit aussi contre plein d’autres scènes équivalentes dans
l’histoire du cinéma où les femmes sont mises dans une posture qui ne me plaît pas.
Par exemple un film que j’aime énormément, Marriage Story de Noah Baumbach,
sur Netflix. La grande scène de règlements de compte du couple à la fin entre Adam
190 Driver et Scarlett Johansson, on en a beaucoup parlé avant de faire Anatomie parce
que je la trouve géniale. Je suis totalement en adoration devant Adam Driver mais j’ai
un énorme problème moral sur la partition de Scarlett Johansson. Chaque mot qu’elle
dit, j’ai envie de les réécrire. L’histoire du cinéma est faite de beaucoup de scènes où
les hommes sont extrêmement valorisés dans leur parcours, dans leur complexité,
195 dans la profondeur de leurs états d’âme et, en face, le personnage féminin est juste là
pour leur faire péter les plombs.
S.H. : Les acteurs ont cette tendance, quand il y a une dispute écrite, ils adorent y
aller à fond. Mais ce n’est pas comme ça qu’on s’engueule. Quand on s’engueule, on
s’efforce d’être poli, pendant très longtemps. On essaye de trouver une solution,
200 parfois on ne peut pas…
J.T. : (Rires) Moi quand je m’engueule, c’est pas aussi organisé. Mais je voulais éviter
l’écueil lié à la fascination qu’on peut avoir pour un cinéma de pulsion, la veine Pialat.
Et attention, j’adore Pialat. Mais je voulais écrire une dispute comme une bataille
d’idées, une lutte théorique entre deux personnes, en repoussant la pulsion le plus
205 tard possible, puisque la violence arrivera de toute façon. Il fallait que le match soit
beau. Et pourtant, il explore les ressentiments les plus ignobles du couple.
S.H. : Je crois que dans Anatomie, ce n’est pas seulement que ni l’homme ni la
femme ne veut lâcher quoique ce soit de ce qu’il ou elle désire, de ses ambitions, mais
c’est aussi le fait que ce qui n’a pas fonctionné, ou les critères même des problèmes
210 qui se sont accumulés au fil du temps, doivent être repris et résolus complètement
différemment. C’est tout le problème le plus souvent dans le couple, on ne parvient
pas à se débarrasser de toutes les années passées, on ne peut pas les revivre ni défaire
les erreurs commises. Alors comment repartir sur des bases nouvelles, c’est peut-être
la capacité à se pardonner aussi…
J.T. : J’ai triché. Comme le film aurait dû faire trois heures, j’ai réduit la police de
caractères pour que ça ait l’air de n’en faire que deux… J’avais peur qu’on ne me
donne pas d’argent. Au début, je voulais faire une série, faire quelque chose
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Semaine 4 : Cinéma
d’exhaustif, prendre mon temps et fouiller dans les méandres de la justice. Les
220 producteurs, Marie-Ange Luciani et David Thion, ont fini par me convaincre de faire
plutôt un film. J’ai dit que c’était jouable s’ils me laissaient libre du timing. La durée
des films est devenue une obsession générale aujourd’hui, c’est un match en
permanence pour ne pas céder sur l’essentiel au nom d’un impératif de vitesse, de
format, tenir dans moins de deux heures, etc. C’est toujours une angoisse des
225 partenaires financiers et j’avais prévenu que je ne ferai aucune concession. J’en ai fait
à l’arrivée, puisqu’il y a eu un montage à 2 h 50 et que j’ai jeté des trucs que j’aimais
beaucoup. Mais on arrivait au procès après une heure et demie de film, et on était
déjà exténués (rires).
— Justine Triet
235 J.T. : J’aimerais bien, une comédie. Sandra est très drôle.
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Production orale