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FRYDMAN B.

et RORIVE Introduction au droit

Syllabus
Introduction au
droit

DROI-C-1001 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 1


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Présentation du cours

Le cours d’Introduction au droit a pour objectif d’initier les étudiants de


première année de bachelier en droit aux notions et aux règles fondamentales du
droit et à leurs applications.
Le cours enseigne les principes de l’État de droit, de la démocratie et les
droits fondamentaux. Il présente les principales institutions politiques de l’État
belge et de l’Union européenne ainsi que les règles de droit qu’elles produisent et
leur processus d’élaboration, de même que les rudiments du droit international et
de l’Organisation des Nations Unies. Il analyse les principales juridictions ainsi
que les bases du procès civil et du procès pénal. Il entraîne les étudiants à la
maîtrise du vocabulaire juridique, aux techniques du raisonnement et de
l’argumentation juridiques, ainsi que de la lutte pour le droit.
Ce cours d’Introduction au droit privilégie, conformément aux traditions de
la Faculté de Droit de l’ULB et de l’École de Bruxelles, une approche pragmatique
du droit. Il considère le droit positif, c’est-à-dire le droit en vigueur, non pas
seulement tel qu’il est écrit dans les livres, mais tel qu’il est effectivement appliqué
dans la pratique, ainsi que les effets qu’il produit sur la société et la situation des
personnes. Il considère le droit non comme un système figé, mais comme le produit
d’une lutte permanente qui engage les individus et les groupes au niveau politique,
judiciaire et au sein de la société pour la défense de leurs droits, de leurs intérêts
et de leurs valeurs. Les étudiants sont à cet égard invités à suivre plusieurs
dossiers d’actualité et à se plonger dans des enjeux juridiques qui dépassent les
frontières nationales.
Ce cours privilégie une approche pédagogique active. Celle-ci a pour objectif,
d’une part, de proposer une approche concrète et pratique de la matière et, d’autre
part, de favoriser l’implication directe et personnelle de l’étudiant tant au cours
oral que lors des exercices pratiques.
Pour ce faire, une panoplie d’outils est mise à la disposition des étudiants.

1. Le cours oral

Le cours oral, d’une durée de 72 heures, est délivré principalement par les
titulaires du cours en auditoire. Il privilégie une approche concrète, illustrée et
interactive de la matière, fondée notamment sur l’analyse de cas pratiques.
Il se compose de douze modules thématiques : 1. Introduction ; 2. Les droits
dans le monde ; 3. La démocratie ; 4. L’élaboration de la loi ; 5. L’État de droit ; 6.
L’Europe ; 7. Le droit international et l’ONU ; 8. Le procès ; 9. Le système
judiciaire ; 10. Les droits humains ; 11. Égalité et non-discrimination ; 12.
L’affaire.

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Le cours oral s’appuie sur des présentations PowerPoint, des documents


écrits, audios et vidéos, qui sont disponibles pour les étudiants sur l’université
virtuelle (infra 5). Les étudiants sont vivement invités à préparer les séances de
cours, à intervenir et à prendre part aux activités organisées à l’occasion de celles-
ci, à participer aux discussions qui s’y dérouleront, et à vérifier ainsi les
connaissances acquises lors de la préparation de ces séances.
La participation aux cours n’est pas obligatoire, mais est fortement
conseillée.

2. Les travaux pratiques

Les travaux pratiques (TP) se déroulent en petits groupes, placés sous la


direction d’un assistant. Ils permettent d’approfondir encore plus avant la matière
sous un angle concret dans un cadre favorisant les interactions de tous et la
participation de chacun.
Les exercices pratiques se déroulent sur 24 heures, réparties en 12 séances
de 2 heures. Le programme général du déroulement des séances est commun à tous
les assistants ainsi que les consignes de notation.
La présence et la participation active aux séances de travaux pratiques sont
obligatoires, de même que les préparations fixées par les assistants et l’exécution
des travaux, notamment dans le cadre du procès fictif. La sanction des absences
aux séances de travaux pratiques est lourde : trois absences non justifiées
entraînent une note de 0/20. Toute absence non justifiée est prise en compte dans
la note finale. Trois absences justifiées entraînent la réalisation par l’étudiant d’un
travail organisé par l’assistant. La justification des absences doit se faire
conformément au Règlement des exercices pratiques disponible sur le site de la
Faculté de droit et de criminologie.

3. Le syllabus

Le syllabus contient l’exposé systématique des principales notions,


institutions, procédures, règles et principes étudiés. Il constitue un instrument
central pour la préparation des cours et l’étude de la matière. Mais il n’est pas à
lui seul exhaustif ni suffisant, et il doit impérativement être complété par les
éléments du cours oral (infra 6).
Le syllabus est publié en format papier et disponible aux Presses de
l’Université (PUB). Il est accessible en format électronique sur l’université
virtuelle (UV).
Les termes du syllabus suivis d’un astérisque renvoient au glossaire (infra
4).

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4. Le glossaire

Le glossaire donne la définition des principaux termes du vocabulaire


juridique belge par ordre alphabétique. Il contient les termes du syllabus suivis
d’un astérisque, ainsi que d’autres notions que les étudiants peuvent être amenés
à rencontrer dans les documents qu’ils devront préparer pour le cours oral ou les
TP.
Les étudiants doivent pouvoir comprendre le sens des termes ainsi définis
et pouvoir les utiliser à bon escient. Par contre, il n’est pas demandé aux étudiants
d’étudier par cœur les définitions fournies dans le glossaire.
Le glossaire est publié en format papier et est disponible aux Presses de
l’Université (PUB). Il est accessible en format électronique sur l’université
virtuelle (UV).

5. L’université virtuelle

L’université virtuelle (UV) est la plateforme de l’ULB utilisée en appui aux


enseignements. Elle est accessible à tous les étudiants régulièrement inscrits à
l’adresse suivante : https://uv.ulb.ac.be.
La plateforme UV représente un outil indispensable pour l’ensemble des
activités du cours d’Introduction au droit. Les étudiants y trouveront
principalement les éléments suivants :
• Pour le cours oral, les présentations Powerpoint projetées au cours, les
documents afférents aux affaires, cas et exemples étudiés au cours, ainsi que
les enregistrements vidéos des séances de cours.
• Pour les travaux pratiques, les documents spécifiquement utilisés par leur
assistant dans le cadre de ces travaux et en vue de leur préparation.
• Le syllabus et le glossaire du cours.
• Des exemples de questions de test ou d’examen, ainsi que leur corrigé.
• Des informations pratiques diverses, notamment les coordonnées de contact
des professeurs et assistants, ainsi que des consignes, informations et avis
communiqués au cours de l’année.

6. Les évaluations

Les évaluations sont des outils qui permettent de vérifier si l’étudiant a bien
acquis les connaissances et les compétences nécessaires à la maîtrise du cours et à
la poursuite de son parcours en droit.
Les évaluations se composent de deux éléments :
1° La note de travaux pratiques, établie par l’assistant, sur la base d’un
contrôle continu des préparations et des interventions aux séances, ainsi que de
l’évaluation d’un travail écrit remis par l’étudiant, notamment dans le cadre du
procès fictif.

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2° Un examen final, organisé à trois reprises (sessions de janvier, de mai-


juin et d’août-septembre), destiné à vérifier si les connaissances et compétences
travaillées pendant l’ensemble du cours ont bien été acquises. La matière de
l’examen se compose tant du syllabus, que des éléments étudiés au cours oral
(affaires, cas, exemples) et les documents y afférant. L’examen prend la forme
d’une série de questions à choix multiples et à réponses multiples.
La note finale est composée pour ¾ de la note d’examen et pour ¼ de la note
des travaux pratiques.
Le seuil de réussite est fixé à 10/20. Les étudiants qui franchissent ce seuil
réussissent définitivement le cours et valident ainsi les 10 crédits (ECTS) qui lui
sont attachés.
Les étudiants qui n’ont pas validé le cours, mais obtenu une note d’au moins
10/20 pour les travaux pratiques conservent leur note et ne doivent plus participer
aux travaux pratiques lorsqu’ils représentent le cours lors d’une année suivante.
Les étudiants qui le souhaitent peuvent néanmoins renoncer définitivement à leur
note de TP auprès du secrétariat de la Faculté de droit et de criminologie. Dans ce
cas, ils sont à nouveau inscrits aux TP.
Seuls les étudiants régulièrement dispensés de travaux pratiques par le
Bureau de la Faculté (dans les conditions et suivant la procédure prévue par le
Règlement des exercices pratiques) devront passer une épreuve compensatoire le
jour de l’examen. Cette épreuve compensatoire consiste en une série de questions
posées à partir de la lecture d’un texte juridique. La matière est la même que celle
à étudier pour l’examen. Le résultat obtenu à cette épreuve compensatoire
équivaudra à une note de travaux pratiques et interviendra en première et seconde
sessions.
De manière générale, les étudiants sont invités à consulter le Règlement
général des études ainsi que le Règlement des exercices pratiques, tous deux
disponibles sur le site de la Faculté de droit et de criminologie, pour toute question
d’ordre administratif.

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L’État

SECTION 1 : LES ÉTATS

L’État* est la forme dominante d’organisation politique à l’époque


contemporaine. L’ensemble des terres de la planète, à l’exception de l’Antarctique,
est découpé en États. On en compte ainsi près de 200 à travers le monde qui sont
membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Chaque État se définit par
un territoire, délimité par des frontières avec les autres États ou par la mer. Les
États varient fortement entre eux quant à l’étendue de leur territoire, leur
population, la puissance de leurs moyens, leur régime politique et juridique.
Chaque État prétend à la souveraineté*, c’est-à-dire à l’exercice exclusif de
la puissance publique et au monopole de l’exercice de la violence légitime dans les
limites de son territoire, ainsi qu’à son autonomie par rapport aux autres États. Le
principe de souveraineté des États constitue la base du droit international
contemporain (infra, ch. 2). En pratique, la souveraineté est relative. Elle dépend
de la puissance réelle de l’État, de ses moyens, de son organisation politique, de sa
dépendance de fait ou de droit à d’autres États, de son intégration dans une
organisation plus large, comme l’Union européenne par exemple (infra, ch. 2).
Chaque État détermine son organisation politique (I) et les règles de droit
dont il impose le respect sur son territoire (II). Il détermine en particulier sa
constitution et l’organisation des pouvoirs publics en son sein (III).

Les régimes politiques

On distingue plusieurs formes de régime politique selon la manière dont les


pouvoirs de l’État sont organisés et distribués : les États unitaires ou fédéraux, les
monarchies ou les républiques, les régimes présidentiels ou parlementaires, les
régimes démocratiques ou autoritaires, les États de droit ou les États policiers.
Dans l’État unitaire, les pouvoirs sont exercés par des institutions centrales
uniques dont l’autorité s’applique à l’ensemble du territoire. Dans l’État fédéral*
au contraire, les pouvoirs sont répartis entre l’État fédéral et des entités fédérées,
qui exercent chacun des compétences propres, sans qu’il n’y ait de hiérarchie entre
eux.
Dans les Républiques, le chef d’État est un président, qui peut être désigné
de plusieurs manières et notamment élu au suffrage universel*.

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Les Républiques se déclinent généralement en deux types de régimes


politiques. On parle de régime présidentiel lorsque le président élu par le peuple
et son gouvernement jouissent de pouvoirs autonomes par rapport au parlement.
On parle de régime parlementaire lorsque le gouvernement doit jouir de la
confiance d’une majorité au parlement pour pouvoir exercer effectivement ses
compétences ; le président joue, lui, un rôle réduit, voire même protocolaire.
Dans les monarchies, le chef de l’État, souvent un roi, est désigné de manière
héréditaire. On distingue les monarchies absolue et constitutionnelle. Dans une
monarchie absolue, caractéristique de l’Ancien Régime en Europe, le pouvoir du
souverain est sans limite et l’emporte sur tous les autres. Dans une monarchie
constitutionnelle, les pouvoirs du roi sont attribués et limités par la constitution*
et le roi est tenu au respect de celle-ci et des compétences des autres pouvoirs. Les
monarchies constitutionnelles sont des régimes parlementaires : le gouvernement
doit jouir de la confiance d’une majorité au parlement pour pouvoir exercer
effectivement ses compétences.
Les démocraties sont des régimes où les pouvoirs sont exercés par le peuple
et sous son contrôle, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses représentants
élus au suffrage universel lors d’élections libres (infra, ch. 3, section 2).
L’État de droit* désigne un régime politique dans lequel l’État, et plus
généralement les pouvoirs publics, sont assujettis au droit, tant dans l’exercice de
la puissance publique que dans les relations avec les particuliers (voir ch. 3, section
1).
Le régime politique est déterminé par la constitution* de l’État mais aussi
par la pratique réelle de l’exercice des pouvoirs.
La plupart des régimes autoritaires masquent l’exercice réel du pouvoir sous
les apparences d’une constitution démocratique qui garantit les droits
fondamentaux des citoyens. Ainsi, un pouvoir autoritaire peut organiser des
élections tout en empêchant les opposants de se porter candidats ou de s’exprimer
ou encore en truquant les résultats. Les droits humains peuvent être garantis dans
un texte, mais absolument pas protégés en pratique ou même systématiquement
violés par les autorités au pouvoir et leurs agents. Ici, plus encore que dans tous
les domaines, il est essentiel de considérer le droit tel qu’il est effectivement
appliqué.
En outre, l’organisation politique et le respect du droit sont des réalités
mouvantes. L’État de droit démocratique n’est pas un statut garanti une fois pour
toutes. Il est toujours imparfait et exige des améliorations. Il peut aussi dériver
par des modifications du droit, des pratiques ou des comportements des personnes
et des groupes vers des formes autoritaires, liberticides ou négligentes. La
démocratie, le contrôle de l’État et des pouvoirs, la sauvegarde du droit en général
et des droits de chacun sont placés sous la surveillance de tous et de chacun. Les
juristes sont engagés en première ligne. Ils et elles mobilisent tous les instruments
juridiques pour faire prévaloir le respect des règles et des droits.

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L’application de la loi dans l’espace

Les règles de droit adoptées par chaque État varient en fonction de multiples
facteurs qui tiennent à des particularités politiques, culturelles, historiques,
sociales, économiques, géographiques, religieuses, etc. La détermination du champ
d’application des normes juridiques produites par les États s’effectue, en ordre
principal, sur la base de leur territoire. Dans certaines situations, le droit d’un État
produit également des effets extraterritoriaux.

Principe : le caractère territorial du droit

À chaque territoire, sa loi nationale. Tel est le principe découlant de la


souveraineté des États. Cette souveraineté s’exerçant sur un territoire donné, il
s’ensuit que l’ordre juridique d’un pays est limité à ses frontières. Le droit français
a donc pour vocation première de s’appliquer en France, comme le droit russe régit,
a priori, uniquement le territoire de la Russie.
Ce rattachement des droits étatiques à un territoire est particulièrement
marqué en droit pénal. Le caractère territorial du droit pénal signifie que la
législation fédérale pénale belge s’applique sur l’ensemble du territoire de la
Belgique pour toute infraction qui y est commise en tout ou en partie et quelle que
soit la nationalité de son auteur. Par ailleurs, en matière d’incrimination et de
peine, le juge pénal belge appliquera uniquement la loi belge. Il n’appartient donc
pas au magistrat belge d’appliquer la loi pénale étrangère ou de connaître des
infractions commises à l’étranger.
Le législateur déroge à ce principe de manière exceptionnelle. Il s’agit de cas
particuliers d’infractions commises à l’étranger où un lien de rattachement existe
avec la Belgique, soit au regard de la nationalité de la victime de l’infraction
(compétence personnelle passive) ou de son auteur (compétence personnelle
active), soit au regard de la nature de l’infraction qui menace certains intérêts
primordiaux de l’État belge (compétence réelle). Ainsi, par exemple, en matière de
crime ou de délit contre la sûreté de l’État, le juge belge est compétent pour des
actes commis à l’étranger par un Belge ou par un ressortissant étranger1. De
manière encore plus rare, le législateur, le plus souvent à la suite de la conclusion
d’un traité international, prévoit des cas de compétence universelle, c’est-à-dire des
situations où le juge belge peut connaître d’une infraction quel que soit le lieu où
elle a été commise et indépendamment de la nationalité des personnes en cause. Il
s’agit ici de faciliter la répression de certaines infractions particulièrement graves.

1Titre préliminaire du Code de procédure pénale, Chapitre II : « De l’exercice de l’action publique


à raison des crimes ou des délits commis hors du territoire du royaume », art. 6, 1° et art. 10, 1°.

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En l’absence d’un lien quelconque de rattachement avec la Belgique, une telle


compétence peut s’avérer délicate à mettre en œuvre2.

Tempérament : l’application de la loi étrangère

Dans un État souverain et indépendant, les autorités étatiques ne sont


tenues que par les règles appartenant à leur ordre juridique. Les pouvoirs publics
peuvent toutefois être amenés à faire application d’une « loi étrangère » pour régler
une situation privée comportant un élément d’extranéité.
La mondialisation qui affecte profondément la nature de nos échanges
contribue à la multiplication de telles situations privées à caractère international.
C’est le cas, par exemple, d’un mariage prononcé par un officier de l’état civil belge
entre un ressortissant américain et une ressortissante brésilienne. Il en va de
même, pour un défaut d’exécution d’un contrat conclu à Doha entre un belge et un
ressortissant anglais, porté devant le juge belge. Et que dire des relations
juridiques nouées sur Internet, lequel permet, du moins virtuellement, d’ignorer
toute barrière frontalière.
Les cas comportant un élément d’extranéité peuvent appeler l’application
d’une autre loi que la loi du for (lex fori), c’est-à-dire l’application d’une loi
appartenant à un ordre juridique différent de l’État dont les autorités doivent se
prononcer. Il y a conflit de lois quand les législations de deux ou plusieurs pays ont
chacune vocation à régir une même situation juridique. Les règles de conflit de lois
fixent la loi applicable dans les espèces comportant un élément d’extranéité.
Chaque ordre juridique contient de telles règles qui déterminent, en fonction de
critères de rattachement, le champ d’application du droit du for et des droits
étrangers. Ces règles de conflit de lois sont propres à chaque ordre juridique et
relèvent de son droit international privé*. Elles trouvent leur source dans le droit
national, mais aussi dans des traités internationaux dont la conclusion vise à
assurer une meilleure harmonisation dans l’application des droits.
Les critères de rattachement sélectionnés par les règles de conflit de lois
varient selon la nature des situations juridiques visées. On distingue
principalement trois critères de rattachement : le lieu de situation, la nationalité
et l’autonomie de la volonté.
1° Le lieu de situation. - La localisation des personnes, des biens, des actes ou
des faits juridiques dans l’espace peut constituer le facteur de rattachement
retenu par le droit international privé. Tel est le cas de la situation d’un bien
immobilier. Le régime de la propriété prévu par le Code civil belge régit ainsi
une querelle de voisinage entre deux ressortissants turcs revendiquant la

2 Voy. notamment le sort réservé à la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des infractions
graves aux Conventions de Genève de 1949 et aux Protocoles I et II de 1977 additionnels à ces
Conventions ainsi qu’à la loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves du
droit international humanitaire, par la loi du 5 août 2003 relative aux violation graves du droit
international humanitaire, M.B., 7 août, 2003.

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propriété d’un immeuble situé à Bruxelles3. Tel est également le cas de la


survenance d’un fait générateur de responsabilité quasi-délictuelle* lorsque
la personne responsable et la personne lésée n’ont pas leur résidence
habituelle dans le même État. Le dommage causé à un ressortissant
australien à la suite de la morsure, dans la province de Liège, d’un pitbull
importé des États-Unis dont le propriétaire vit en Roumanie, est donc
soumis aux articles 1382 et suivants du Code civil belge4. Si ces deux
personnes ont toutes deux établi leur lieu de vie en Allemagne, le critère de
rattachement, fondé cette fois sur la localisation des personnes, sera donné
par cette « résidence habituelle »5 et la loi allemande trouvera à s’appliquer6.
La résidence habituelle détermine également la loi applicable dans d’autres
matières. Pour l’autorité parentale, par exemple, il est tenu compte du lieu
où vit l’enfant au moment des faits7.
2° La nationalité. - Certaines règles juridiques sont appliquées en raison du
lien juridique qui unit une personne à un État dont elle a la nationalité, quel
que soit l’endroit où elle se trouve. L’état et la capacité des personnes sont
ainsi généralement rattachés à la loi nationale8. Il en est également ainsi
des conditions de validité du mariage qui sont régies, pour chacun des époux,
par le droit de l’État dont il/elle a la nationalité au moment de la célébration
du mariage9.
3° L’autonomie de la volonté. - Il est des cas où la détermination du droit
applicable peut être laissée au libre choix des acteurs de la vie juridique. La
matière des contrats constitue le terrain d’élection de l’autonomie de la
volonté10. Les parties à une convention présentant un ou plusieurs liens
d’extranéité disposent donc d’une grande discrétion pour fixer la loi
applicable à leur relation contractuelle. Cette liberté est cependant limitée

3 Art. 87, § 1er du Code de droit international privé contenu dans la loi du 16 juillet 2004, M.B., 27
juillet 2004. Cette disposition prévoit que « les droits réels sur un bien sont régis par le droit de
l'État sur le territoire duquel ce bien est situé au moment où ils sont invoqués ».
4 Art. 99, § 1er, 2° du Code de droit international privé qui prévoit que « l’obligation dérivant d’un
fait dommageable est régie : (…) à défaut de résidence habituelle sur le territoire d’un même État
[par la personne responsable et la personne lésée] par le droit de l'État sur le territoire duquel le
fait générateur et le dommage sont survenus ou menacent de survenir, en totalité ».
5 Le Code de droit international privé définit la résidence principale comme « le lieu où une
personne physique s’est établie à titre principal, même en l'absence de tout enregistrement et
indépendamment d'une autorisation de séjourner ou de s'établir ; pour déterminer ce lieu, il est
tenu compte, en particulier, de circonstances de nature personnelle ou professionnelle qui révèlent
des liens durables avec ce lieu ou la volonté de nouer de tels liens » (art. 4, § 2). Le domicile s’entend,
par contre, comme « le lieu où une personne physique est inscrite à titre principal, en Belgique, sur
les registres de la population, sur les registres des étrangers ou sur le registre d'attente » (art. 4, §
1er).
6 Art. 99, § 1er, 1° du Code de droit international privé.
7 Art. 35, § 1er du Code de droit international privé.
8 Art. 34, § 1er du Code de droit international privé.
9 Art. 46 du Code de droit international privé.
10 Art. 3, § 1er du Règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

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dans le cas de la fraude à la loi. Il s’agit de sanctionner la pratique du forum


shopping en vertu de laquelle les conditions d’application d’une loi étrangère
sont créées de manière artificielle pour éviter l’application de dispositions
d’ordre public ou impératives d’un droit national.

La constitution et l’organisation des pouvoirs

La constitution* est l’acte fondamental qui établit les bases du régime


politique et de l’ordre juridique de l’État.
L’ordre juridique* désigne l’ensemble des règles juridiques applicables dans
un État ou une organisation politique, ainsi que les institutions qui produisent,
appliquent et sanctionnent ces règles, le plus souvent dans un espace territorial
déterminé.
Le terme « constitution » trouve son origine dans la comparaison, autrefois
fréquente, entre la société, d’une part, et les organismes vivants ou les individus,
d’autre part. Dans cette analogie, la société est conçue comme un « corps social »
ou un « corps politique », doté de multiples « organes ». Des États, aux XVIIe et
XVIIIe siècles, on dit volontiers, comme des êtres humains, qu’ils ont « une bonne »
ou « une mauvaise constitution ». Pour chaque État, on prescrit également un type
de « régime » adapté à sa constitution spécifique. Tel est le sens que conserve à peu
près jusqu’à aujourd’hui la notion de constitution au Royaume-Uni, qui n’a pas
adopté jusqu’à ce jour de constitution écrite. Toutefois, dans la plupart des autres
États, la constitution a revêtu la forme d’un texte et a le statut d’une loi
fondamentale, qui l’emporte sur toute autre règle de l’ordre juridique interne.

La constitution énonce les règles premières de l’ordre juridique qu’elle


institue, et ce à plus d’un titre :
a. La constitution est d’abord première en tant qu’elle fonde ou refonde l’ordre
politique et juridique. La constitution est l’acte qui institue, qui instaure.
D’une part, elle organise les pouvoirs* publics ; elle crée les institutions les
plus importantes et fixe les règles essentielles de leur fonctionnement. Elle
distribue les différents pouvoirs entre ces institutions, dont elle détermine
les compétences*. D’autre part, la constitution garantit les droits
fondamentaux des citoyens et plus largement des sujets de l’ordre juridique.
Elle établit les principes juridiques de base qui régissent les relations entre
les particuliers et les gouvernants.
b. La règle constitutionnelle est encore première en tant qu’elle occupe
logiquement le premier rang de l’ordre juridique qu’elle organise. Les
normes constitutionnelles se caractérisent ainsi par leur primauté par
rapport à toutes les autres règles de l’ordre interne. Dans un État de droit,
le respect de cette supériorité est contrôlé par des juges.

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c. Enfin, la constitution est première en tant qu’elle fixe les grands principes
de l’ordre juridique, qui demandent souvent à être complétés ou précisés par
d’autres règles. La constitution délègue ainsi à la loi le soin de compléter ou
plus généralement d’élaborer des normes.

Les pouvoirs* désignent à la fois les compétences* attribuées aux


institutions publiques de l’État et ces institutions elles-mêmes. Les institutions
supérieures de l’État et leurs attributions sont définies par la constitution*.
L’élaboration de règles de droit constitue un moyen privilégié d’action pour
les pouvoirs publics, qui prescrivent ainsi aux personnes* ou sujets de droit* les
comportements qu’ils doivent observer, leur attribuent des droits ou leur imposent
des obligations.
Dans les États de droit démocratiques, les pouvoirs sont divisés entre
différentes institutions non seulement dans un but d’efficacité, mais aussi et
surtout afin de limiter les risques d’abus de pouvoirs (infra, ch. 3, section 1).
Les pouvoirs sont divisés de manière territoriale et fonctionnelle.
La division territoriale des institutions de l’État peut comprendre des
entités fédérées et/ou des provinces, départements ou counties, ainsi que des
entités locales comme les communes ou les villes.
La division fonctionnelle de l’État moderne comprend trois pouvoirs
distincts :
• le pouvoir législatif, composé d’une assemblée d’élus du peuple, qui fait la
loi et contrôle le pouvoir exécutif.
• le pouvoir exécutif, détenu par le chef de l’État ou son gouvernement,
exécute les lois, conduit l’action politique et gère les services publics.
• le pouvoir judiciaire, qui tranche les contestations qui naissent de
l’application de l’ensemble des règles juridiques, est exercé par des juges
indépendants et impartiaux.

La distribution des pouvoirs, les institutions à qui ils sont confiés et les
procédures suivant lesquelles ils doivent être exercés varient d’un État à l’autre.
Dans les sections suivantes, nous examinerons les institutions de la Belgique.
La Belgique est un État de droit démocratique fédéral, organisé sous la
forme d’une monarchie constitutionnelle et d’un régime parlementaire.
Dans la section 2, nous étudierons les institutions politiques de l’État fédéral
et la procédure d’élaboration des normes qu’elles produisent.
Dans la section 3, nous étudierons les institutions des entités fédérées,
appelées communautés et régions.
Dans la section 4, nous présenterons les pouvoirs locaux, appelés provinces
et communes, leurs compétences et leurs institutions.

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Dans la section 5, nous verrons comment des juridictions spécifiques, la


Cour constitutionnelle et le Conseil d’État, contrôlent la validité des normes
législatives et exécutives produites par l’État fédéral, les communautés, les
régions, les provinces et les communes.

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SECTION 2 : LES INSTITUTIONS FÉDÉRALES

L’État fédéral exerce ses pouvoirs sur l’ensemble du territoire national, mais
uniquement dans ses domaines de compétence. L’État fédéral dispose de la
compétence résiduelle, c’est-à-dire dans toutes les matières dont la compétence n’a
pas été attribuée aux communautés et aux régions.
Parmi ces compétences principales, citons :
- la justice et l’organisation du pouvoir judiciaire ;
- la défense et donc l’armée ;
- les affaires intérieures : la police fédérale, la sûreté publique, la sécurité
civile, la politique d’immigration, etc. ;
- la politique étrangère qui comprend notamment les relations diplomatiques
de la Belgique et la coopération au développement, sous réserve des
compétences internationales confiées aux communautés et aux régions ;
- l’union économique et monétaire : la politique monétaire, la protection de
l’épargne, la politique des prix et des revenus ;
- la sécurité sociale, à l’exception des allocations familiales ;
- le nucléaire ;
- certaines entreprises publiques, telles que la Société nationale des chemins
de fer belges, l’aéroport de Bruxelles-National, la Poste et certains
établissements culturels et scientifiques nationaux (Théâtre Royal de la
Monnaie, Palais des Beaux-Arts, Bibliothèque Royale, etc.).

Les principales institutions politiques fédérales sont la Chambre des


représentants, le Sénat, ainsi que le Roi et son gouvernement, qui exercent
ensemble le pouvoir législatif fédéral. Au Roi et au gouvernement appartient en
outre le pouvoir exécutif fédéral.
Nous présenterons d’abord ces institutions, leur composition, leur
formation, leurs relations réciproques (I). Nous étudierons ensuite les procédures
d’élaboration de la loi et des arrêtés de l’exécutif fédéral (II).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le Parlement, le Roi et le Gouvernement

Le Parlement

1. La Chambre des représentants

La Chambre des représentants est composée de 150 députés élus


directement, en principe tous les cinq ans11, au suffrage universel.
En Belgique, le vote est obligatoire. Les électeurs appelés à voter sont tous
citoyens belges âgés de 18 ans accomplis qui jouissent de leurs droits civils et
politiques12, c’est-à-dire qui n’en ont pas été déchus à la suite d’une condamnation
pénale13.
Tous les citoyens belges ont le droit de se présenter comme candidats à
l’élection. Pour être éligible, le candidat doit, au jour des élections, remplir quatre
conditions en vertu de la Constitution14 : être belge ; être domicilié en Belgique ;
avoir 18 ans ; jouir de ses droits civils et politiques. Les élections législatives et la
Chambre des représentants qui en est issue constituent l’institution démocratique
principale de l’État fédéral.
La Chambre des représentants exerce plusieurs missions essentielles dans
l’État. Elle participe à l’élaboration de la loi, elle contrôle le gouvernement fédéral,
elle vote le budget de l’État fédéral et approuve les comptes. Elle participe à la
révision de la Constitution et donne son assentiment aux traités internationaux
qui lient la Belgique.
En outre, elle dispose d’un droit d’enquête sur toute affaire d’État. Elle
accorde la naturalisation par laquelle la nationalité belge est conférée à un
ressortissant étranger.

2. Le Sénat

Le Sénat est l’institution par laquelle les entités fédérées participent à


l’exercice du pouvoir fédéral. Il se compose de 60 sénateurs dont 50 sont élus
indirectement par les parlements des communautés et des régions en leur sein :

11 Art. 65 de la Constitution.
12Au rang des droits civils se trouvent, notamment, le droit de faire partie d’un conseil de famille,
d’être tuteur, de remplir les fonctions de curateur de faillite ou d’administrateur provisoire de
société. Parmi les droits politiques figurent ceux d’être électeur ou éligible, d’être ministre, juge ou
juré en Cour d’assises, d’être nommé à un emploi public, de porter un titre de noblesse ou une
décoration, de servir dans l’armée ou de porter une arme. Au contraire des droits civils, l’exercice
des droits politiques reste largement lié à la nationalité belge.
13 Art. 61 de la Constitution.
14 Art. 64 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

o Le groupe linguistique néerlandais est composé de 29 sénateurs


désignés par le Parlement flamand en son sein ou au sein du groupe
linguistique néerlandais du Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale.
o Le groupe linguistique français est composé de 20 sénateurs : 10
sénateurs sont désignés par le Parlement de la Communauté
française, 8 par le Parlement de la Région wallonne et 2 par le groupe
linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale.
o Un sénateur est désigné par le Parlement de la Communauté
germanophone.

Ces 50 sénateurs désignent à leur tour 10 sénateurs supplémentaires dits


cooptés. Cette cooptation a lieu par groupe linguistique (les 29 sénateurs flamands
désignent 6 membres et les 20 francophones font de même pour 4). Pour assurer
un équilibre régional dans la composition du Sénat, les Bruxellois sont assurés
d’une représentation minimale.
Le Sénat participe au pouvoir législatif mais dans des domaines limités ou
de manière subordonnée à la Chambre des représentants (infra, point C). Il
participe également à la révision de la Constitution et donne son assentiment aux
traités internationaux.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Tableau récapitulatif de la composition des assemblées parlementaires en Belgique


Corps électoral

10 cooptés 10 Sénat Chambre des représentants 150


FÉDÉRAL

6 néerlandophones.
4 francophones 60 membres 150 membres

10 1
29

8
2 (fr.) Parlement de la
Parlement de la
COMM.

Vlaamse Raad Communauté


Communauté française
germanophone
124 membres
94 membres
25 membres
19

75 6
RÉGIONS

Parlement de la Région de
Parlement régional wallon
Bruxelles-Capitale 118 25
75 membres
89 membres

75 89

Corps électoral

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

3. Le statut des parlementaires

La fonction de parlementaire est d’abord un mandat politique. À certain


égard, elle est aussi considérée comme un « métier » particulier. En tant que
représentant de la nation, le parlementaire a un rôle fondamental à jouer dans le
façonnement de notre société. Le constituant a entouré le statut du parlementaire
d’une série de garanties pour assurer son indépendance et sa disponibilité, et lui
permettre ainsi de mener à bien les tâches pour lesquelles il a été élu. À cette fin,
son autonomie financière est assurée, des règles d’incompatibilité et un régime
d’immunité sont prévus. L’emprise de fait assurée par les partis politiques sur
« leurs » parlementaires oblige à nuancer fortement cette vision quelque peu
théorique de l’indépendance dont jouissent, dans la réalité, les parlementaires.

1°) Statut linguistique


Tous les députés et sénateurs relèvent d’un groupe linguistique soit
néerlandophone, soit francophone15. Ces groupes linguistiques sont importants car
ils sont impliqués dans des majorités qualifiées notamment pour le vote de lois
spéciales*, qui affectent directement les relations entre les communautés, la
consultation du Conseil d’État, le seuil de déclenchement de mesures de protection
de la minorité francophone et la désignation des sénateurs cooptés.

2°) Autonomie financière


Chaque parlementaire reçoit à titre de rémunération une indemnité
mensuelle et voit ses frais administratifs et de déplacement remboursés dans une
large mesure. Les parlementaires trop souvent absents de l’hémicycle sans motif
valable sont pénalisés financièrement.

3°) Incompatibilités
Le statut des parlementaires se caractérise par un régime assez strict
d’incompatibilités qui leur interdit de cumuler leur mandat avec une série d’autres
fonctions.
Certaines incompatibilités sont liées à la séparation des pouvoirs*. Un
parlementaire ne peut, par exemple, être en même temps ministre16 ou secrétaire
d’État d’un gouvernement, qu’il soit fédéral, communautaire ou régional. Il s’agit
d’empêcher que la même personne se retrouve à la fois dans le rôle du contrôleur
et du contrôlé.
D’autres règles d’incompatibilité visent à maintenir la répartition des
compétences entre les trois niveaux de pouvoirs. Un parlementaire fédéral ne peut
être membre d’une assemblée régionale ou communautaire, à l’exception des 50

15Les députés fédéraux germanophones et les sénateurs élus directs germanophones font partie du
groupe linguistique français de la Chambre ou du Sénat.
16 Art. 50 de la Constitution. Voy. aussi art. 51 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

sénateurs des entités fédérées. De même, un parlementaire fédéral ne peut exercer


aucune fonction au sein de la Cour constitutionnelle.
Enfin, l’objectif de certaines incompatibilités est d’empêcher les cumuls qui
mettraient à mal la disponibilité des parlementaires en leur laissant peu de temps
pour mener à bien leur tâche de représentants de la nation. À cette fin, un
parlementaire ne peut, par exemple, exercer une charge universitaire à temps
plein.

4°) Immunités
Afin d’assurer le bon fonctionnement des assemblées démocratiques, les
parlementaires bénéficient d’immunités qui garantissent, de manière spécifique,
la liberté de leur expression et les protègent, dans une certaine mesure, contre les
arrestations et les poursuites judiciaires pendant l’exercice de leur mandat.
Les parlementaires ne peuvent être poursuivis, ni au pénal ni au civil, pour
les opinions et les votes qu’ils expriment dans l’exercice de leur fonction17.
Les parlementaires ne peuvent être arrêtés ou renvoyés devant un juge
pénal, pour une infraction quelconque, que moyennant l’autorisation de
l’assemblée dont ils sont membres.
Quant aux autres actes de poursuite qui nécessitent l’intervention d’un juge
parce qu’ils portent atteinte aux libertés individuelles (mandat d’amener* pour un
interrogatoire, mise sur écoutes téléphoniques, etc.), la décision du premier
président de la cour d’appel* est requise et le président de l’assemblée à laquelle
appartient le parlementaire doit être informé de la procédure.
Ces protections ne s’appliquent pas en cas de flagrant délit, c’est-à-dire
lorsque le parlementaire est pris sur le fait. Le flagrant délit se définit comme
l’infraction qui se commet actuellement ou vient de se commettre et dont les
preuves sont encore saisissables.
Aucune autorisation n’est nécessaire aujourd’hui pour les actes
d’information* et d’instruction* posés par les autorités judiciaires qui n’impliquent
aucune contrainte. Sans formalité particulière, les officiers de police judiciaire*
peuvent procéder à l’interrogatoire volontaire, la confrontation volontaire, la saisie
ou la perquisition consenties par le parlementaire. Dans cette perspective, aucune
autorisation ne doit être sollicitée pour les amendes transactionnelles*,
fréquemment proposées pour les infractions au Code de la route. Ces dernières ne
supposent en effet pas l’intervention d’un juge et elles fonctionnent sur une base
volontaire.

17 Art. 58 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le Roi et le Gouvernement

La Belgique est une monarchie, mais en pratique la plus grande partie des
pouvoirs du Roi sont exercés par le gouvernement. Ce dernier tient sa légitimité
politique du fait qu’il bénéficie du soutien de la majorité des . Dans les régimes
contemporains, y compris les démocraties, le gouvernement, en tant qu’il exerce le
pouvoir exécutif, joue un rôle majeur dans la direction de l’État et la conduite de
la politique du pays.

1. Le Roi

Le Roi est le chef du pouvoir exécutif fédéral18. Le Roi n’exerce toutefois


aucun pouvoir personnel : « Le Roi règne mais ne gouverne pas ». Derrière le Roi,
il y a toujours le gouvernement ou, à tout le moins, un ministre. Dans l’exercice de
chacune de ses prérogatives institutionnelles, le Roi doit être couvert par un
ministre : « Aucun acte du Roi ne peut avoir d'effet, s'il n'est contresigné par un
ministre, qui, par cela seul, s'en rend responsable »19. En pratique, ceci signifie que
tout acte que le Roi s’apprête à poser en tant qu’institution (discours, visite
officielle, sanction d’une loi ou d’un arrêté royal, etc.) doit recevoir l’aval d’un
ministre qui accepte d’en assumer ainsi la responsabilité politique.
Cette responsabilité ministérielle est essentielle car la responsabilité du Roi
ne peut en aucune manière être mise en cause. En proclamant que « La personne
du Roi est inviolable ; ses ministres sont responsables »20, le constituant a donné
une portée juridique pleine et entière à l’adage « Le Roi ne peut mal faire ». Cette
inviolabilité politique du Roi se prolonge d’ailleurs sur le plan pénal et civil : la
personne du Roi n’est pas susceptible de faire l’objet de poursuites pour une
infraction pénale et aucune action civile ne peut mettre en cause le Roi, excepté
dans les litiges se rapportant à son patrimoine privé.

2. Le Gouvernement

1°) La formation du gouvernement


Contrairement au parlement, le gouvernement n’est pas composé de
représentants élus directement par le peuple. Il est formé, d’une part, par les
ministres qui, ensemble, forment le Conseil des ministres et, d’autre part, par les
secrétaires d’État qui sont rattachés à un ministre. Bien que la Constitution

18 Art. 37 de la Constitution.
19 Art. 106 de la Constitution.
20 Art. 88 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

dispose que le Roi nomme et révoque ses ministres et les secrétaires d’État21, dans
la réalité, il ne revient pas au Roi de composer effectivement le gouvernement.
Un nouveau gouvernement doit être formé principalement dans deux
hypothèses. Premièrement, au lendemain des élections législatives, il est de
coutume* que le Premier ministre présente la démission du gouvernement au Roi.
C’est l’hypothèse la plus fréquente. Deuxièmement, il arrive qu’en cas de « crise »,
notamment suite à des dissensions fortes au sein de la coalition, le gouvernement
démissionne sans que la Chambre ne soit dissoute. Il faut alors procéder à la
nomination d’un nouveau gouvernement. Dans ces deux cas de figure, le principe
de la continuité et de la permanence de l’État et des services publics* exige que le
gouvernement sortant continue à gérer les affaires courantes jusqu’à ce qu’une
nouvelle équipe, disposant de la majorité parlementaire, soit prête à entrer en
fonction. Le Roi n’accepte d’ailleurs formellement la démission d’un gouvernement
qu’après que le Premier ministre du gouvernement entrant a prêté serment.
La formation du gouvernement fédéral est un moment fort dans la vie
politique du pays. L’objectif est de trouver une coalition entre des partis politiques
dont les députés forment la majorité de la Chambre. Pour ce faire, les partis
pressentis doivent s’accorder sur une politique à suivre et une équipe pour la
mener. Les négociations s’étalent souvent sur plusieurs mois et, ces derniers
temps, parfois sur plusieurs années, ce qui est problématique pour la direction du
pays.
Le processus procède de coutume selon les étapes suivantes :
Les consultations royales et le rôle de l’’informateur. - Le plus souvent, la
formation d’un gouvernement commence par la tenue de consultations royales. Le
Roi, qui exerce une réelle influence personnelle dans ce processus, reçoit des
personnalités importantes du monde politique (comme les présidents des
assemblées, les dirigeants des partis) ou du monde économique et social (comme
des représentants des milieux syndicaux ou patronaux). Ces consultations visent
en définitive à « prendre le pouls » de la situation du pays et à envisager une
coalition gouvernementale possible. Après ces consultations, le Roi nomme
généralement un informateur chargé de lui proposer une coalition majoritaire
possible.
Le formateur. - Une fois la coalition trouvée, le Roi nomme un formateur
qui, en cas de succès, accède généralement au poste de Premier ministre. Sa
mission essentielle consiste à négocier l’accord de gouvernement avec les partis
pressentis pour « être au pouvoir », c’est-à-dire les partis qui vont soutenir le
gouvernement. Cet accord de gouvernement est un document fondamental. Il
définit les actions politiques qui vont être menées au cours des cinq années de la
législature. C’est également au formateur qu’il incombe de mener à bien les
négociations relatives à la répartition des portefeuilles ministériels avec les
différents présidents de partis.
La nomination des ministres et des secrétaires d’État. - Une fois que le
formateur a mené à bien sa mission, le Roi nomme les ministres et les secrétaires

21 Art. 96, al. 1er et art. 104, al. 4 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

d’État22. Le gouvernement fédéral ne peut compter plus de quinze ministres et la


parité linguistique doit être respectée, excepté pour le Premier ministre qui peut
être « neutre » sur ce plan si le gouvernement compte un nombre impair de
membres. Le Premier ministre est nommé par un arrêté royal contresigné par son
prédécesseur, le Premier ministre démissionnaire. Cette signature est connue sous
le nom de contreseing de courtoisie et n’implique pas de responsabilité politique.
Ensuite, le nouveau Premier ministre contresigne l’arrêté royal acceptant la
démission de l’ancien gouvernement. Il contresigne enfin l’arrêté nommant les
nouveaux ministres. Ce chassé-croisé évite toute vacance du pouvoir.
La déclaration gouvernementale. - Une fois nommé, le Premier ministre, en
tant que porte-parole du gouvernement, délivre la déclaration gouvernementale
devant la Chambre des représentants. Il s’agit du résumé de l’accord de
gouvernement. Cette communication vise à exposer la politique que compte mener
le gouvernement au cours de la législature.
Le vote de confiance. - Un vote d’investiture suit la déclaration
gouvernementale du Premier ministre. Il s’agit, pour le Parlement, d’accorder sa
confiance au gouvernement. Ce vote de confiance se fait à la Chambre des
représentants à qui revient la tâche essentielle de contrôler la politique menée par
le gouvernement.

2°) Le statut des ministres


a) Les ministres doivent être de nationalité belge, ne pas être membres de
la famille royale, jouir de leurs droits civils et politiques et être domiciliés en
Belgique23.
b) Les ministres sont soumis à un régime d’incompatibilités qui repose sur
plusieurs considérations :
1° le principe de la séparation des pouvoirs* : un ministre ne peut être en même
temps parlementaire24 ou magistrat ;
2° la répartition des compétences entre le pouvoir fédéral et les entités
fédérées : un ministre fédéral ne peut être membre d’un gouvernement
régional ou communautaire, ni exercer une fonction à la Cour
constitutionnelle* ;
3° la disponibilité que requiert la fonction de ministre et qui, par exemple, n’est
pas cumulable avec une charge universitaire à temps plein.
c) Les ministres bénéficient également de certaines règles dérogatoires pour
les protéger contre certaines poursuites dans l’exercice de leurs fonctions :

22Remarquez que, dans une large mesure, les dispositions constitutionnelles applicables aux
ministres valent pour les secrétaires d’État. Voy. l’art. 104, al. 4 de la Constitution.
23 Art. 97 et 98 de la Constitution.
24 Art. 51 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

1° Ils ne peuvent être poursuivis pour les opinions qu’ils émettent dans
l’exercice de leurs fonctions, même en dehors des hémicycles parlementaires
(interview, conférence de presse, etc.)25.
2° L’accord de la Chambre des représentants est requis pour certains actes
importants comme l’arrestation d’un membre du gouvernement en fonction
ou sa citation directe* par un particulier devant un tribunal pénal26.
3° Les ministres qui sont poursuivis devant les tribunaux pour des infractions
commises dans l’exercice de leurs fonctions ou jugés pendant l’exercice de
leurs fonctions sont jugés directement par la Cour d’appel27. Il s’agit d’un
« privilège de juridiction », qui ne comporte pas que des avantages puisqu’il
prive les parties au procès de la possibilité d’un appel (infra, ch. 5).
d) Pour accomplir leurs missions, les ministres ne sont pas seuls. Chaque
ministre s’entoure de conseillers qui forment son cabinet. Les membres de ces
cabinets suivent le sort du ministre auquel ils sont rattachés. Par ailleurs, chaque
ministre dirige également une administration en charge d’un service public. On
parle des services publics fédéraux pour désigner ces administrations.

3. Les fonctions du pouvoir exécutif

Le pouvoir exécutif conduit les affaires du pays. Au niveau fédéral, le


Premier ministre en constitue la figure emblématique. Il représente la Belgique
dans les grandes réunions internationales. À ce titre, il participe notamment aux
sommets des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne*.
La conduite des affaires de l’État par le gouvernement s’opère de manière
collégiale, dans le respect de la procédure du consensus. Le consensus* est un
accord unanime qui constitue le résultat, non pas d’un vote, mais d’un compromis
négocié. La procédure du consensus qui préside aux débats au sein du
gouvernement et du Conseil des ministres concrétise la solidarité gouvernementale
dans la direction du pays.
Le gouvernement mène sa politique en ayant principalement recours à
plusieurs instruments. Premièrement, il dépose des projets de loi au parlement
dont bon nombre sont coulés dans un texte législatif. Deuxièmement, il dirige les
services publics fédéraux. Troisièmement, il exerce la fonction réglementaire.

25 Art. 101, al. 2 de la Constitution.


26 Voy. les détails dans l’article 103 de la Constitution. Sur la responsabilité des ministres, voy.
infra, ch. 4.
27 Art. 102 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les relations entre le Parlement et le Gouvernement

Les relations entre le parlement, en particulier la Chambre des


représentants, et le gouvernement sont basées sur la notion de confiance et cette
confiance repose sur des mécanismes de contrôle.

1. Les moyens de contrôle de la Chambre sur le Gouvernement

Pour administrer le pays, le gouvernement fédéral doit bénéficier de la


confiance de la majorité des députés de la Chambre, qui est censée poser un œil
critique sur la politique menée par les ministres. La confiance s’exprime dès
l’installation du gouvernement, par le vote d’investiture qui se fait sur la
déclaration gouvernementale. Ensuite, le contrôle se poursuit tout au long de la
législature selon différentes modalités :
1° Les députés peuvent poser des questions écrites ou orales à un ministre qui
est tenu d’y répondre. Les sénateurs peuvent poser des questions écrites
pour les matières relevant des compétences du Sénat.
2° Les députés peuvent requérir la présence des ministres dans les assemblées
pour obtenir les explications qu’ils souhaitent. Les sénateurs disposent de
ce droit uniquement pour les matières relevant du bicaméralisme strict.
3° Les députés peuvent interpeller un ministre ou le gouvernement sur un
point particulier. La procédure d’interpellation permet de soumettre une
position prise par le gouvernement ou par l’un de ses membres à un débat
et à un vote. Ce vote porte sur un texte de motion qui peut être, soit une
motion de confiance, soit une motion de méfiance, soit une motion de
recommandation :
a) Par une motion de confiance, la Chambre renouvelle sa confiance au
gouvernement et la vie politique continue.
b) Par une motion de méfiance, la Chambre retire sa confiance au
gouvernement. Elle ne peut contraindre le gouvernement à démissionner
que par une motion de méfiance constructive, c’est-à-dire une motion de
méfiance assortie de la proposition au Roi d’un successeur au Premier
ministre. Dans cette hypothèse, le Premier ministre désavoué est tenu de
présenter sa démission au Roi qui nomme le successeur désigné. Ce dernier
sera chargé de former un nouveau gouvernement. Les députés peuvent
parvenir au même résultat en rejetant une motion de confiance déposée par
le gouvernement, à la condition de faire suivre ce vote par une proposition
adressée, dans les trois jours, au Roi d’un successeur au Premier ministre.
c) Par une motion de recommandation, la Chambre se borne à donner un
avertissement au gouvernement sans se prononcer sur la confiance ou sur
la méfiance.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

2. Un moyen de pression du pouvoir exécutif sur le Parlement

Le pouvoir exécutif dispose également d’un moyen de pression contre la


Chambre des représentants : la dissolution anticipée de la Chambre prononcée par
le Roi. Le gouvernement peut ainsi provoquer la tenue de nouvelles élections
législatives avant le terme de la législature.
Aujourd’hui, les cas de dissolution anticipée sont nettement circonscrits par
la Constitution28. Premièrement, dans l’hypothèse d’une crise à l’occasion de
laquelle le Premier ministre présente sa démission au Roi, la Chambre des
représentants peut se retrouver contrainte, sous la pression des événements, à
accepter sa dissolution. Deuxièmement, la Chambre sera dissoute dans tous les cas
où la motion de méfiance constructive est un échec : vote d’une motion de méfiance
sans proposition d’un successeur au Premier ministre, rejet d’une motion de
confiance sans proposition dans les trois jours d’un formateur ou incapacité pour
le formateur désigné par la Chambre des représentants de constituer un nouveau
gouvernement.
La dissolution de la Chambre provoque l’organisation d’élections législatives
fédérales dans les 40 jours lors desquelles les citoyens désigneront de nouveaux
représentants.

L’élaboration des règles

L’une des compétences essentielles des institutions politiques est d’élaborer


les règles de droit dont le respect s’imposera obligatoirement à tous, citoyens
comme gouvernants. Les règles établies par le pouvoir législatif fédéral se
nomment « lois ». Les règles établies par le pouvoir exécutif fédéral se nomment
« arrêtés royaux » ou parfois « règlements ».
Dans cette partie, nous allons examiner la procédure d’élaboration des lois
(A) et des arrêtés royaux (C), ainsi que la procédure de révision de la Constitution
(B).

L’élaboration de la loi

La loi s’élabore suivant une procédure particulière qui se déroule en trois


temps29 : (1) la phase préparlementaire ; (2) la phase parlementaire et (3) la phase
postparlementaire.

28 Art. 46 de la Constitution.
29Voy. le schéma récapitulatif consacré à la procédure d’élaboration de la loi à la fin des
développements de ce point 3.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

1. La phase préparlementaire

Le droit d’initiative

Le droit d’initiative législative, c’est-à-dire le droit de soumettre un texte à


l’examen des chambres, appartient, d’une part, à tout parlementaire30 et, d’autre
part, au Roi31. Lorsque l’initiative émane d’un ou de plusieurs parlementaires32, le
texte sur lequel vont porter les débats s’appelle une proposition de loi. On parle
d’un projet de loi lorsque l’initiative vient du Roi c’est-à-dire du gouvernement.
Cette différence terminologique est importante dans la mesure où la procédure
d’élaboration de la loi est sensiblement différente dans l’un ou l’autre cas.

Les étapes spécifiques à l’avant-projet de loi

Lorsque l’initiative parlementaire émane du gouvernement, trois étapes


doivent être franchies avant que le texte ne soit déposé sur le bureau de la
Chambre des représentants : une première délibération en Conseil des ministres,
la saisine pour avis du Conseil d’État et une seconde délibération au Conseil des
ministres.
Conseil des ministres. - Le texte initialement rédigé (qui s’appelle à ce stade
un avant-projet de loi) peut être l’œuvre de différentes personnes : des
fonctionnaires de l’administration, des membres de cabinets ministériels, des
experts des centres d’études des partis politiques et même, de plus en plus souvent,
des consultants privés parmi lesquels se trouvent au premier rang les cabinets
d’avocats. Le texte ainsi élaboré, sous la responsabilité d’un ministre, est alors
déposé sur la table du Conseil des ministres. Cette délibération au sein du Conseil
des ministres* est fondamentale. Elle a pour but de réaliser un accord politique
par consensus du gouvernement sur le texte, qui sera éventuellement modifié ou
abandonné. Les projets de loi présentés par le gouvernement doivent être établis
dans les deux langues néerlandaise et française.
Conseil d’État. - Une fois délibéré en Conseil des ministres, l’avant-projet de
loi doit être soumis à la section de législation du Conseil d’État* qui va émettre un
avis. Ce dernier porte tant sur la compatibilité du texte avec les normes juridiques
en vigueur que sur ses qualités légistiques et stylistiques. Il s’agit d’un examen
juridique et formel qui ne se prononce pas sur l’opportunité des mesures
envisagées. Sur le plan juridique, le Conseil d’État va vérifier : (1) si le texte qui
lui est soumis est conforme à la Constitution et aux normes internationales
applicables en Belgique ; (2) s’il respecte les règles de répartition de compétences ;
et (3) s’il n’est pas contraire à d’autres dispositions législatives en vigueur qu’il
conviendrait, le cas échéant, d’abroger. Sur le plan formel, le Conseil d’État vérifie

30 Pour les sénateurs, le droit d’initiative est toutefois limité aux matières relevant du
bicaméralisme strict (infra, ce chapitre).
31 Art. 75 de la Constitution.
32Il peut s’agir d’un ou plusieurs parlementaires issus d’un même parti ou de formations politiques
différentes.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

que la conformité des différentes versions linguistiques du texte et peut suggérer


des aménagements terminologiques et grammaticaux propres à en améliorer la
lisibilité.
Tout avant-projet de loi doit être soumis au Conseil d’État. Dans les cas
d’urgence spécialement motivés par le gouvernement, le Conseil d’État examinera
uniquement si l’avant-projet de loi respecte les règles de répartition de
compétences et si le texte relève de la compétence de la seule Chambre des
représentants, du bicaméralisme aménagé* ou du bicaméralisme intégral*.
Il est obligatoire de solliciter l’avis du Conseil d’État mais la portée de celui-
ci est non contraignante. Le Conseil des ministres est donc libre de le suivre ou de
l’ignorer, sauf si le Conseil d’État pointe une violation des règles de répartition de
compétences. Dans ce cas, le Comité de concertation* est saisi et, à défaut d’accord
politique en son sein, la copie devra être impérativement revue avant d’être
déposée au parlement.
Retour au Conseil des ministres. - Une fois que le Conseil d’État a rendu son
avis, le texte de l’avant-projet de loi, le cas échéant modifié pour tenir compte des
observations ainsi émises, retourne devant le Conseil des ministres où il est
contresigné* par les ministres qui en prennent ainsi la responsabilité. Il est ensuite
signé par le Roi. Il se dénomme désormais projet de loi, et il est déposé dans les
deux langues sur le bureau de la Chambre des représentants sous la forme d’un
arrêté royal*. Deux documents y sont joints : l’avis du Conseil d’État et un exposé
des motifs dans lequel le gouvernement expose la portée et les objectifs des
dispositions qu’il soumet aux débats parlementaires.
En pratique, plus de 90% des lois sont initiées sous la forme de projets de
lois déposés par le gouvernement. Le gouvernement joue un rôle moteur dans la
détermination de la politique du pays, dont les lois constituent un instrument
essentiel. En outre, l’adoption de l’avant-projet de loi par le Conseil des ministres
garantit qu’il existe un accord politique entre les membres du gouvernement qui
commande en principe le soutien d’une majorité des parlementaires.

2. La phase parlementaire

Préliminaires propres aux propositions de loi

Toute proposition de loi est directement déposée sur le bureau de la


Chambre des représentants ou du Sénat selon que son auteur est député ou
sénateur. L’auteur la rédige dans la langue de son choix. La proposition est
accompagnée de développements qui sont l’équivalent de l’exposé des motifs. Avant
d’être discutée, elle doit être prise en considération, c’est-à-dire qu’elle fait l’objet
d’un vote sur le point de savoir si l’assemblée qui en est saisie accepte ou non de
débattre de son contenu. Il s’agit uniquement ici d’écarter les propositions de loi
complètement farfelues ou manifestement contraires à la Constitution. La prise en
considération ne préjuge en rien du sort qui sera réservé en définitive à la
proposition de loi. Dans la quasi-totalité des cas, cette prise en considération est
d’ailleurs votée à l’unanimité.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

À la différence des avant-projets, beaucoup de propositions de lois ne sont


jamais votées ni même discutées au Parlement. Nombre d’entre elles sont déposées
dans le cadre d’un débat politique, pour afficher une position de principe, parfois
en raison de préoccupations électorales. Elles ne bénéficient pas nécessairement
du soutien des autres parlementaires et leur examen peut ne pas être jugé
prioritaire par rapport aux projets du gouvernement, qui occupent la majeure
partie de l’agenda.
La situation change cependant lorsque le gouvernement est démissionnaire.
Dans ce cas, le gouvernement n’a plus la confiance du parlement. Son action se
réduit dès lors à la gestion des affaires courantes et urgentes. Il ne lance plus de
nouvelles politiques et de nouveaux projets ambitieux. Les textes nouveaux sont
alors souvent présentés directement par des parlementaires sous forme de
propositions de lois.
Si la saisine pour avis du Conseil d’État ne s’impose pas d’office pour les
propositions de loi, le président de l’assemblée concernée devra y procéder,
notamment lorsqu’un tiers de ses membres le requiert ou à la demande de la moitié
des membres d’un groupe linguistique.

Examen des projets et des propositions de loi à la Chambre des


représentants

Le renvoi en commission. - Lorsqu’un projet ou une proposition de loi est


déposé à la Chambre des représentants, celle-ci commence par le renvoyer en
commission. Chaque assemblée est divisée en un certain nombre de commissions
spécialisées où se déroule l’essentiel du travail parlementaire (commission de la
Justice, de la Défense nationale, des Relations extérieures, de l’Intérieur, des
Affaires générales et de la Fonction publique, etc.). Les ministres concernés par la
matière du texte soumis à examen, ou leurs délégués, participent généralement
aux discussions.
Les parlementaires de la commission ainsi saisie commencent par une
discussion générale sur l’ensemble du texte. Ensuite, débuteront la discussion et
le vote article par article. Au cours de ces débats, les parlementaires peuvent
solliciter l’audition d’experts qui ne sont ni députés, ni sénateurs, pour les éclairer
sur le contexte dans lequel s’inscrit le texte soumis à leur analyse ainsi que sur ses
implications. Ces « experts » sont susceptibles de venir de tous les horizons en
fonction du domaine traité : avocats, médecins, professeurs d’université,
représentants des mondes syndical et patronal, directeurs de prison, ingénieurs,
etc.
Pendant la durée des débats, les parlementaires et les ministres ont la
possibilité de déposer, à tout moment, des amendements, c’est-à-dire des
modifications, des ajouts ou des suppressions au texte initial.
Les débats en commission sont généralement publics. Un rapport relatant
les discussions est rédigé par un membre de la commission nommé à cette fin : le
rapporteur. Ce rapport est accessible à tous et fait partie des documents
parlementaires*. Il constitue une source précieuse pour l’interprétation* du texte
de loi s’il est adopté.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le débat en séance plénière. - En séance plénière, la discussion générale sur


le texte tel qu’il a été adopté en commission (et non plus sur le texte initial)
commence par l’intervention du rapporteur qui commente publiquement son
rapport. Ensuite, comme en commission, la discussion générale, puis article par
article et le dépôt éventuel d’amendements ont lieu. La discussion d’un article se
clôt généralement par son vote, même si le vote des articles qui sont sources de
difficultés est parfois réservé pour la fin, quand un accord sur la plus grande partie
du texte est déjà intervenu.
La procédure de sonnette d’alarme. - Cette procédure exceptionnelle crée
une garantie constitutionnelle33 au profit des minorités linguistiques, c’est-à-dire
en pratique du groupe linguistique francophone. Elle peut être enclenchée par les
trois quarts des membres d’un groupe linguistique lorsqu’ils estiment qu’un projet
ou une proposition de loi déposé à la Chambre ou au Sénat est de nature à porter
gravement atteinte aux relations entre les communautés.
La sonnette d’alarme consiste en une motion motivée et signée, introduite
après le dépôt du rapport et avant le vote final. Elle peut porter sur n’importe quel
proposition ou projet de loi, à l’exception du budget* et des lois spéciales* et doit
indiquer spécifiquement les dispositions critiquées. Le dépôt d’une telle motion a
pour effet de suspendre temporairement les travaux parlementaires. Le projet ou
la proposition est déféré au Conseil des ministres qui, dans les 30 jours, rend un
avis motivé sur la motion ou propose un texte amendé de la proposition ou du
projet. La Chambre concernée est invitée à se prononcer sur l’avis ou l’amendement
et la procédure parlementaire peut ensuite en principe reprendre son cours
normal.
La procédure de sonnette d’alarme n’a été déclenchée que très rarement.
Elle joue un rôle essentiellement dissuasif. Elle décourage éventuellement la
majorité flamande d’imposer sa volonté au groupe linguistique francophone, en
permettant à celui-ci de porter l’affaire au niveau gouvernemental, de manière à
régler le problème ou à déclencher une crise, qui pourrait éventuellement conduire
à la démission du gouvernement ou à la dissolution de la Chambre et à
l’organisation de nouvelles élections.
Le quorum et le vote. - Les Chambres ne peuvent valablement délibérer que
si la moitié des membres sont présents (quorum de présence). Le vote se fait
d’abord article par article et puis sur l’ensemble du texte. Le texte est adopté s’il
recueille la majorité des suffrages, c’est-à-dire si les votes OUI recueillent au moins
une voix de plus que les NON, les abstentions n’étant pas prises en compte. En cas
d’égalité, le texte est rejeté. Quant à la terminologie, on parle tantôt de majorité
simple, tantôt de majorité absolue, mais il s’agit en réalité de la même règle
énoncée ci-dessus.
Il y a deux manières de procéder au vote. D’une part, le vote par assis et
levé. C’est une procédure très rapide lorsqu’il existe une majorité marquée. D’autre
part, le vote par appel nominal qui se réalise au moyen d’un appareil muni de trois
boutons (rouge, vert, blanc) situé en face de chaque parlementaire pour signifier

33 Art. 54 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

un OUI, un NON ou une abstention. Le vote nominatif est toujours requis pour le
vote de la loi dans son ensemble. Les résultats sont centralisés sur un tableau
lumineux et tirés sous la forme d’une liste nominative. Le public peut ainsi savoir
exactement la manière dont chacun des députés a voté.

Le bicaméralisme aménagé

Lorsqu’un texte de loi est adopté par la Chambre des représentants, il se


dénomme projet de loi, quel que soit son auteur. Le sort qui lui est réservé dépend
de la matière sur laquelle il porte.
Compétence exclusive. - La Chambre des représentants est exclusivement
compétente dans toute matière, sauf lorsque la Constitution en dispose autrement
pour imposer ou permettre l’intervention du Sénat. Dans la majorité des cas,
l’adoption du texte par la Chambre des représentants clôture la phase
parlementaire.
Bicaméralisme strict. - Dans certains cas exceptionnels, le Sénat est
compétent à l’égal de la Chambre. Il s’agit notamment des lois spéciales*, de la
déclaration de révision de la Constitution*, de la révision de la Constitution*, des
matières qui conformément à la Constitution doivent être réglées par les deux
assemblées (notamment en ce qui concerne la monarchie), de certains cas très
limités de lois ordinaires bien déterminées qui revêtent un caractère institutionnel
(institutions et financement de la Communauté germanophone, financement des
partis politiques et contrôle des dépenses électorales, organisation du Sénat et du
statut du sénateur)34. Le texte adopté à la Chambre des représentants doit dès lors
être transmis au Sénat où il subira le même parcours que précédemment : renvoi
en commission, débat en séance plénière, vote. Si le texte adopté au Sénat diffère
de celui voté à la Chambre, il sera à nouveau soumis à l’examen de cette dernière.
La navette parlementaire ne s’arrêtera qu’au moment où les deux assemblées
voteront exactement le même texte.
Bicaméralisme optionnel. - Pour certaines matières strictement énumérées
dans la Constitution35, le Sénat dispose d’un droit d’évocation c’est-à-dire qu’il peut
décider de débattre ou non du projet de loi dans son enceinte. Il en est notamment
ainsi pour les lois prises en exécution des lois spéciales et les lois relatives au
Conseil d’État et aux juridictions administratives fédérales. Dans ces matières, le
projet de loi adopté à la Chambre des représentants est transmis au Sénat qui
dispose de quinze jours pour l’évoquer, à la demande d’une majorité absolue de
sénateurs, incluant au moins un tiers de sénateurs de chaque groupe
linguistique36. Si ce délai s’écoule sans que le Sénat ne manifeste la moindre
réaction, la phase parlementaire se termine et le texte est soumis au Roi. Par
contre, si le droit d’évocation est mis en œuvre, le Sénat dispose alors de trente
jours soit pour décider qu'il n'y a pas lieu d'amender le projet de loi, soit pour

34 Voy. l’art. 77 de la Constitution.


35Art. 78 de la Constitution. La liste de ces matières peut également être complétée au moyen d'une
loi adoptée à la majorité spéciale.
36 Art. 78, § 2 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

adopter le projet de loi après l'avoir amendé. Dans ce dernier cas, la Chambre se
prononce définitivement en adoptant ou en amendant à nouveau le projet de loi.

Les propositions de loi déposées par des sénateurs

Dans les matières qui relèvent du bicaméralisme strict37, les sénateurs


peuvent déposer des propositions de loi. Dans cette hypothèse, la procédure
d’élaboration de la loi commence au Sénat. Son déroulement est entièrement
calqué sur celui de la Chambre des représentants (prise en considération, renvoi
en commission, débat en séance plénière, vote). La proposition de loi adoptée au
Sénat est ensuite transmise à la Chambre sous le nom de projet de loi. La
procédure se poursuit selon les règles du bicaméralisme strict jusqu’à ce que les
deux chambres votent sur un texte identique.

Les lois spéciales

Les lois spéciales* sont des lois qui aménagent les relations entre les
différentes communautés au sein de l’ordre juridique belge. Par exemple, des lois
spéciales définissent les compétences des communautés et des régions. Les
matières réglées par les lois spéciales sont déterminées par la Constitution.
Les lois spéciales ne peuvent être adoptées qu’à des conditions particulières
de majorité et de quorum38. Ces lois sont soumises au bicaméralisme strict. Au sein
de chaque chambre, la majorité des membres de chacun des deux groupes
linguistiques (francophone et néerlandophone) doit être présente. Le vote doit en
outre recueillir une majorité qualifiée : il doit réunir les 2/3 des suffrages de chaque
chambre, ainsi que la majorité absolue des voix au sein de chaque groupe
linguistique dans chaque chambre.
Les lois spéciales occupent une position intermédiaire, tant par leur objet
que par leur statut, entre la Constitution et les lois ordinaires. En tant qu’elles
précisent les règles du jeu du fédéralisme belge et les compétences respectives des
différentes entités, elles l’emportent sur les lois ordinaires.

3. La phase postparlementaire

La sanction

La sanction* est l’acte par lequel le Roi, en tant que branche du pouvoir
législatif, marque son accord avec la volonté exprimée par le parlement fédéral. La
formulation en français de la sanction, par laquelle commence toute loi fédérale,
est la suivante : « Philippe, Roi des Belges, A tous présents et à venir, Salut. Les
Chambres ont adopté et Nous sanctionnons ce qui suit ».

37 Voy. l’art. 75 de la Constitution.


38 Art. 4, al. 3 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le refus de sanctionner un texte adopté par le parlement confère au Roi le


pouvoir de bloquer le processus législatif. Ce « droit de veto » est plus théorique
que réel dans la mesure où, sur le plan institutionnel, il ne se conçoit qu’avec
l’accord d’un ministre qui est lui-même responsable devant le parlement.
L'incident d’avril 1990 au cours duquel le Roi Baudouin refusa de sanctionner le
texte relatif à l’interruption volontaire de grossesse, pourtant voté par les deux
chambres, révèle toutefois qu’une telle situation n’est pas à exclure. À cette
occasion, le Roi demanda au Premier ministre de l’époque, W. Martens, d’élaborer
« une construction juridique » lui permettant de concilier les devoirs de sa fonction
et ceux de sa conscience. En d’autres termes, Baudouin Ier considéra que ses
convictions personnelles ne lui permettaient pas de sanctionner une loi
dépénalisant partiellement l’avortement. Il demanda au gouvernement de trouver
une solution pour ne pas bloquer la volonté des représentants de la nation. Elle fut
trouvée dans la combinaison de plusieurs articles de la Constitution.
Les ministres commencèrent par constater l’impossibilité de régner de
Baudouin Ier par application de l’article 93 de la Constitution : « Si le Roi se trouve
dans l'impossibilité de régner, les ministres, après avoir fait constater cette
impossibilité, convoquent immédiatement les Chambres. Il est pourvu à la tutelle
et à la régence par les Chambres réunies ». Ensuite, les ministres réunis en Conseil
exercèrent les pouvoirs du Roi en vertu de l’article 90 de la Constitution qui prévoit
que « A dater de la mort du Roi et jusqu'à la prestation du serment de son
successeur au trône ou du Régent, les pouvoirs constitutionnels du Roi sont
exercés, au nom du peuple belge, par les ministres réunis en conseil, et sous leur
responsabilité ». La loi relative à l’interruption volontaire de grossesse fut ainsi
sanctionnée par l’ensemble des ministres39. Enfin, les chambres réunies, saisies en
vertu de l’article 93 de la Constitution, n’eurent plus qu’à constater que
l’impossibilité de régner avait pris fin.
Ce refus de sanction royale provoqua une crise politique au sein de l’État.
De nombreuses voix s’élevèrent pour demander la suppression ou la révision des
pouvoirs du Roi, la transformation de la Belgique en une « monarchie protocolaire »
de type britannique, voire la suppression pure et simple de la monarchie.

La promulgation

La promulgation* est l’acte par lequel le Roi, en tant que chef du pouvoir
exécutif, atteste que la loi a été régulièrement votée selon la procédure prévue à
cet effet. La promulgation rend la loi exécutoire, c’est-à-dire que, en promulguant
la loi, le Roi ordonne à toute autorité publique de veiller à son application. En
pratique, la promulgation intervient au même moment que la sanction, par la
signature du Roi.

39Loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption volontaire de grossesse, modifiant les articles 348,
350, 351 et 352 du Code pénal et abrogeant l’article 353 du même Code.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La publication et l’entrée en vigueur

Les lois sont publiées en néerlandais et en français. Il en est établi une


traduction allemande. La publication au journal officiel, le Moniteur belge, est
ordonnée par le Roi. Elle permet à tous de prendre connaissance de la loi nouvelle.
Cette publication est fondamentale dans la mesure où elle conditionne l’entrée en
vigueur de la loi qui la rend opposable aux citoyens.
La formule relative à la promulgation et à la publication se situe à la fin du
texte de la loi, avant la signature du Roi et du contreseing ministériel. Elle est
libellée en français comme suit : « Promulguons la présente loi, ordonnons qu’elle
soit revêtue du sceau de l’État et publiée au Moniteur belge ».
La loi entre en principe en vigueur dix jours après sa publication Il se peut
cependant que la loi elle-même détermine un autre délai, soit plus court, soit plus
lointain. La loi peut ainsi moduler son entrée en vigueur et prévoir des dispositions
transitoires pour aménager son application dans le temps.
En principe, la loi, de même que toutes les autres normes juridiques, ne
disposent que pour l’avenir. Elle ne produit pas d’effet rétroactif, sauf situation
exceptionnelle. En droit pénal, la norme juridique ne peut jamais être appliquée
rétroactivement sauf si la loi nouvelle est plus favorable à la personne poursuivie.
Ce principe de la légalité des délits et des peines, essentiel dans un État de droit,
est garanti tant par la Constitution (art. 14) que par la Convention européenne des
droits de l’homme (art. 7).

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FRYDMAN B. et RORIVE I.
DROI-C-1001

Préparlementaire Parlementaire Postparlementaire

Roi/Gouvernement fédéral Chambre des représentants Roi/Gouvernement fédéral


Avant-projet de loi Projet de loi Projet de loi
1. Délibération en CM 1. Débats en commission ; 1. Sanction (en tant que branche du
2. Avis de la section de législation du a. Discussion générale ; pouvoir législatif) = accord ;
CE (obligatoire, mais non b. Discussion article par 2. Promulgation (en tant que
contraignant) ; éventuellement, article ; branche du pouvoir exécutif) =
Comité de concertation c. Auditions ; exécutoire ;
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(compétences) ; d. Amendements et vote ; 3. Publication = conditionne l’entrée


Roi (= Gouv. Féd) 3. Délibération en CM ; dépôt sur le e. Rapport ; en vigueur et l’opposabilité ; en
bureau de la Chambre des 2. Débats en séance plénière ; principe, 10 jours après la
Représentants, sous forme a. Discussion générale (sur le publication au Moniteur belge ;
d’arrêté royal ; + exposé des texte adopté en commission) ;
motifs ; + avis de la SL du CE ; b. Discussion article par Loi
article ;
c. Amendements et vote ;
3. Monocaméralisme ?
Bicaméralisme ?
Droit d’initiative

Chambre des Représentants


Proposition de loi
1. Dépôt bureau Chambre +
développements ;
2. Prise en considération ;
3. Avis de la SL du CE, à la demande
du Président de la Chambre :
à peut saisir d’initiative ;
Députés à doit saisir si 1/3 des membres de
l’assemblée ou si moitié d’un groupe
linguistique le demandent ;
4. Débats en commission ;

Introduction au droit
5. Débats en séance plénière ;
6. Monocaméralisme ?
Bicaméralisme ?
Parlementaires
Sénat
Proposition de loi
1. Dépôt bureau Sénat +
développements ;
Uniquement bicaméralisme strict 2. Prise en considération ;
3. Avis de la SL du CE (// conditions
Sénateurs
que pour la Chambre);
4. Débats en commission ;
5. Débats en séance plénière ;
6. Transmission à la Chambre
34

(projet de loi) ;
FRYDMAN B. et RORIVE I.
Bicaméralisme aménagé (Parlement fédéral)
DROI-C-1001

• Chambre des représentants à titre exclusif.


Principe Monocaméralisme 74 C.
• Dans toutes les matières (compétence résiduelle), sauf 2 exceptions.
• Chambre des représentants et Sénat sur un même pied d’égalité.
• Certaines matières : (proposition de) révision de la Constitution, lois
Exception n°1 Bicaméralisme strict 77 C.
spéciales, lois organisant le Sénat, etc.
• Procédure : navette parlementaire.
• Chambre des représentants avec droit d’évocation du Sénat.
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• Certaines matières : lois relatives au Conseil d’État et aux juridictions


administratives fédérales, etc.
• Procédure :
o Projet de loi adopté par la Chambre des représentants ;
o Projet de loi transmis au Sénat ;
o Le Sénat peut évoquer le projet de loi dans les 15 jours ;
§ Si pas d’évocation : projet de loi transmis au Roi par la Chambre
des représentants (pour sanction et promulgation) ;
Bicaméralisme § Si évocation, le Sénat peut amender le projet de loi dans les 30
Exception n°2 78 C.
optionnel jours :
- Si n’amende pas : projet de loi transmis au Roi par la
Chambre des représentants (pour sanction et promulgation) ;
- Si amende : le projet de loi amendé par le Sénat est transmis
à la Chambre des représentants qui se prononce
définitivement (pouvoir du dernier mot) et peut :
Þ Adopter le projet de loi amendé qui est alors transmis au
Roi (pour sanction et promulgation) ;

Introduction au droit
Þ Amender et adopter le projet de loi amendé qui est alors
transmis au Roi (pour sanction et promulgation).

Quid des entités fédérées ? TOUJOURS monocaméralisme.


35
FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La révision de la Constitution

Dans un État de droit, la stabilité de la Constitution doit être assurée car


elle définit les règles essentielles au fonctionnement de l’État et les garanties des
droits des citoyens. Même dans une démocratie, ces règles fondamentales sont le
plus souvent mises à l’abri d’une modification par une simple majorité à la
différence des lois ordinaires. En même temps, il importe, dans des sociétés en
évolution rapide, que la Constitution ne reste pas figée une fois pour toutes et
puisse être adaptée. La procédure de révision de la Constitution recherche un
compromis entre la stabilité et le changement par une procédure qui exige une
majorité qualifiée et requiert la consultation des citoyens par la voie des élections.
La Constitution belge règle elle-même la procédure de sa révision40. La
procédure se déroule en trois temps : 1. la déclaration de révision, 2. la dissolution
de plein droit des chambres et l’élection de nouvelles chambres dites
« constituantes », 3. la révision proprement dite.

1. Déclaration de révision

La procédure de révision de la Constitution est initiée par une triple


déclaration des branches du pouvoir législatif. Le Roi, la Chambre et le Sénat
établissent des listes identiques des dispositions constitutionnelles soumises à
révision ou précisent l’endroit où de nouvelles dispositions devraient être insérées.
Par contre, personne ne dispose à ce stade du moindre pouvoir de fixer le sens dans
lequel la révision pourra intervenir. Ces déclarations sont publiées au Moniteur
belge.

2. Dissolution des chambres et élections

Suite à cette publication, la Chambre des représentants et le Sénat sont


dissous de plein droit. La raison d’être de cette procédure (ratio legis ) est d’éviter
que les parlementaires ne s’engagent à la légère dans une révision de la
Constitution et de consulter les citoyens en les appelant aux urnes.
Dans les quarante jours de la dissolution des chambres, le Roi organise les
élections législatives. Les chambres nouvellement élues sont convoquées dans les
trois mois de la dissolution.

40 Art. 195 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

3. Révision proprement dite

Les nouvelles chambres sont dites « constituantes » car elles ont le pouvoir,
mais non l’obligation de voter la révision des articles de la Constitution repris dans
la liste.
La révision suit une procédure très proche de celle de l’élaboration de la loi
soumise au bicaméralisme strict. L’initiative de présenter une proposition de
révision (on ne parle pas ici de « projet ») appartient au gouvernement et aux
parlementaires. La proposition ne doit pas être soumise au Conseil d’État. Le
quorum est fixé à deux tiers des membres de chaque assemblée et le vote doit
recueillir dans chaque chambre la majorité qualifiée des deux tiers des membres
présents. La révision de la Constitution doit être sanctionnée et promulguée par le
Roi et n’entre en vigueur qu’après sa publication au Moniteur belge.
En pratique, la Constitution belge a été régulièrement modifiée depuis un
demi-siècle pour transformer le pays en un État fédéral où les compétences des
régions et communautés sont à chaque fois étendues. Les chambres et le
gouvernement ont pris l’habitude de voter des déclarations de révision
systématiquement en fin de législature pour rendre les chambres nouvelles
constituantes. Dès lors, la seule contrainte de la révision, mais qui demeure très
importante, est la réunion d’une majorité des deux tiers.

Les arrêtés royaux

Outre son rôle majeur dans l’élaboration des lois, le pouvoir exécutif dispose
d’un pouvoir propre d’élaborer des règles de droit. Ces règlements sont appelés
« arrêté royal ». Ils sont adoptés selon une procédure nettement plus simple que
les lois (1). On distingue plusieurs sortes d’arrêtés-royaux (2), qui traduisent la
part de plus en plus importante donnée au gouvernement dans l’exercice du
pouvoir normatif.

1. Procédure d’adoption

Les arrêtés royaux sont préparés sous la responsabilité du ministre en


charge de la matière traitée. Ils sont élaborés au sein de l’administration, du
cabinet ou à l’aide de conseils extérieurs, à la manière des avant-projets de loi. Les
arrêtés royaux importants, ou politiquement significatifs, sont ensuite délibérés en
Conseil des ministres. La loi peut également exiger que les arrêtés d’exécution
fassent l’objet d’une telle délibération.
Sauf les cas d’urgence spécialement motivés, les projets d’arrêtés sont
soumis à l’avis de la section de législation du Conseil d’État. Cet avis ne lie pas le
gouvernement. Il est publié en même temps que l’arrêté royal au Moniteur belge.
L’arrêté royal est contresigné par le ministre compétent et signé par le Roi.
Il est rédigé en français et en néerlandais, sauf s’il concerne exclusivement une

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

région unilingue du pays. Il est publié au Moniteur belge, en principe dans le mois
de son adoption. Il devient obligatoire dix jours après sa publication, sauf
disposition contraire.
Les arrêtés royaux importants sont accompagnés en préambule de
considérants qui en précisent les motifs. Lorsque ces considérations liminaires sont
très développées, elles font l’objet d’un document spécifique : le rapport au Roi. Ce
rapport constitue l’équivalent de l’exposé des motifs* en matière législative. Le
rapport au Roi ne fait pas partie intégrante de l’arrêté royal et il ne fait pas
autorité. Il est cependant publié avec l’arrêté royal au Moniteur belge. Le juriste y
trouvera des indications, notamment sur la volonté du gouvernement, de nature à
éclairer la portée de l’acte et à favoriser son interprétation.

2. Les catégories d’arrêtés royaux

Les arrêtés royaux d’exécution des lois

Au pouvoir exécutif revient la mission de prendre les mesures nécessaires à


la bonne application des lois. Les arrêtés royaux d’exécution* édictent des règles
complémentaires aux règles légales afin d’en préciser la portée, les détails ou les
modalités de mise en œuvre. L’arrêté d’exécution est subordonné à la loi. Il ne peut
suspendre celle-ci, ni dispenser de son exécution41. Il ne peut davantage
contrecarrer ni violer ses dispositions42.
Le Roi tient le pouvoir de prendre des arrêtés d’exécution directement de la
Constitution même, sans qu’il soit besoin d’une habilitation législative spéciale.
Cependant, nombre de lois habilitent expressément le Roi à prendre telle ou telle
mesure d’exécution.
En pratique, la grande majorité des arrêtés royaux sont des arrêtés
d’exécution des lois.
Il arrive que le législateur habilite le gouvernement à prendre des arrêtés
qui dépassent la simple exécution des lois. Tel est le cas des lois-cadres qui se
bornent à définir les grands principes d’une législation, à en fixer le « cadre légal »,
tout en délégant au Roi le soin d’en formuler les règles précises. Cette pratique va
bien au-delà de la simple exécution de la loi.
Il a été admis que cette délégation était conforme à la Constitution sur base
d’une interprétation de l’article 105 de la Constitution. Celui-ci limite les pouvoirs
du gouvernement en précisant que « Le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui
attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu
de la Constitution même ». On en a déduit que des lois particulières peuvent
attribuer des pouvoirs supplémentaires au Roi. Sur cette base ont également été
validées les lois qui accordent au Roi des pouvoirs spéciaux* ou extraordinaires*.

41 Art. 108 de la Constitution.


42 Art. 159 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les arrêtés royaux pris en vertu du pouvoir réglementaire


propre du Roi

On reconnaît en outre au pouvoir exécutif, le pouvoir d’édicter des


règlements dans les domaines qui relèvent de ses compétences d’attribution. Ainsi,
il est admis que le Roi, en tant que chef de l’administration, règle le statut des
agents de l’État. De même, le Roi peut prendre des arrêtés de police pour
l’exécution de sa mission de maintien de l’ordre et de la sécurité publique.

Les arrêtés de pouvoirs spéciaux

Durant les périodes de crise économique ou sanitaire, il est arrivé que la loi
étende considérablement le pouvoir réglementaire du Roi afin de lui permettre de
prendre directement, en lieu et place du pouvoir législatif, de manière rapide et
énergique, les mesures imposées par l’urgence ou la gravité de la situation,
notamment dans les domaines économique, financier, social et sanitaire. Une telle
loi d’habilitation est dite « loi de pouvoirs spéciaux ».
Dans les limites de l’habilitation, les arrêtés de pouvoirs spéciaux peuvent
édicter des normes de portée législative. Ils peuvent ainsi modifier, compléter ou
abroger des lois établies. Ils n’en demeurent pas moins des actes réglementaires,
dont la conformité à la Constitution et à la loi d’habilitation peut être contrôlée par
les juridictions ordinaires43.
Les lois de pouvoirs spéciaux fixent généralement des règles de procédure
supplémentaires, de nature à renforcer le contrôle sur ces arrêtés, eu égard à
l’importance des dispositions qu’ils peuvent contenir. Ainsi, les arrêtés de pouvoirs
spéciaux doivent systématiquement être délibérés en Conseil des ministres et
soumis à l’avis du Conseil d’État. Ils doivent faire l’objet d’un rapport motivé au
parlement et être confirmés par le législateur à l’expiration des pouvoirs spéciaux.
Formellement, les arrêtés de pouvoirs spéciaux se reconnaissent au fait
qu’ils sont numérotés dans l’ordre de leur adoption.

Les arrêtés royaux de pouvoirs extraordinaires

À deux reprises, à l’issue des deux guerres mondiales, pendant les périodes
de reconstruction, le législateur a accordé au Roi des pouvoirs extraordinaires. Le
fondement de cette habilitation est identique à celui des pouvoirs spéciaux.
L’habilitation législative est donnée en termes moins précis et beaucoup plus
larges que les pouvoirs spéciaux. Comme ces derniers, les arrêtés de pouvoirs
extraordinaires peuvent modifier, abroger ou remplacer les lois. Ils sont des actes
du pouvoir exécutif soumis au même contrôle que les autres arrêtés royaux.

43 Art. 159 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les arrêtés-lois

Les arrêtés-lois* sont des actes du pouvoir législatif pris par le Roi ou le
gouvernement dans des circonstances extraordinaires pendant les deux guerres
mondiales.
Durant le conflit de 1914-1918, la plus grande partie du territoire belge était
occupée par l’ennemi et le parlement ne fonctionnait plus. Le Roi Albert Ier prit,
avec le contreseing de son gouvernement, des mesures de nature et de portée
législatives. Au lendemain de la guerre, la validité de ces actes fut contestée devant
les juridictions par certains justiciables à qui on prétendait les opposer. Ce point
de droit fut porté devant la Cour de cassation qui décida que :
« En temps de guerre, lorsque le territoire est occupé, le Roi peut,
dans l’impossibilité de réunir les Chambres, prendre seul les mesures
législatives que commande l’intérêt du pays » 44

En 1940, le pays fut cette fois totalement envahi et le gouvernement se


réfugia à Londres. Le Roi Léopold III refusa toutefois de le suivre et demeura sous
la botte de l’occupant nazi. Les ministres réunis à Londres constatèrent que le Roi,
devenu prisonnier de l’ennemi, se trouvait dans l’impossibilité de régner en
application de la Constitution45. Les ministres réunis en Conseil exercèrent seuls
le pouvoir exécutif à Londres dans l’attente de la désignation d’un régent46, qui
intervint après la libération du territoire. Le Conseil des ministres légiféra
également seul sous la forme d’arrêtés-lois. A nouveau, la Cour de cassation valida
le procédé :
« Le même pouvoir est reconnu aux ministres réunis en Conseil dans
les mêmes circonstances, le Roi se trouvant dans l’impossibilité de
régner » .47

Les arrêtés-lois sont des actes du pouvoir législatif. Ils ont la même valeur
et la même portée qu’une loi ordinaire.
S’ils peuvent apparaître comme une curiosité historique, les arrêtés-lois
sont néanmoins riches d’enseignement. En premier lieu, ils démontrent
l’extraordinaire faculté d’adaptation des règles juridiques aux changements de
circonstances et même aux bouleversements sociaux et les ressources des juristes
pour faire preuve d’inventivité et d’ingénierie. Nécessité fait loi. La pertinence de
la règle et sa capacité à régir le réel sont à ce prix. L’ordre juridique fait montre en
cette occasion d’une souplesse que le texte formel de la Constitution sur l’exercice
collégial du pouvoir législatif ne laissait pas présager. Ensuite, la solution retenue
consacre le principe de la continuité de l’État et du service public* qui l’emporte
sur les règles de procédure, même constitutionnelles, et contraint, au moins

44 Cass., 11 février 1919, Pas.,1919, I, p. 10 ; Cass. 27 avril 1920, Pas., 1929, I, p. 124.
45 Art. 93 de la Constitution.
46 Par analogie au régime prévu lors de la mort du Roi afin d’éviter la vacance du pouvoir (art. 90

de la Constitution).
47 Cass., 6 novembre et 11 novembre 1944, Pas., 1945, I, pp. 23 et 65.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

temporairement, à les adapter. Enfin, l’affaire met bien en lumière le rôle


important des juridictions, appelées à dire le droit et à apprécier a posteriori la
validité des applications qui en sont faites.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

SECTION 3 : LES COMMUNAUTÉS ET LES RÉGIONS

Selon l’article 1er de la Constitution, « La Belgique est un État fédéral qui se


compose des communautés et des régions ».
Les communautés divisent les Belges selon leur langue et leur culture. La
Belgique compte trois communautés : la communauté flamande, la communauté
française, qui se fait appeler « fédération Wallonie-Bruxelles », et la communauté
germanophone.
Les régions constituent une division territoriale. La Belgique compte trois
régions : la région flamande, qui a fusionné avec la communauté flamande pour
former une seule entité, la région wallonne et la région Bruxelles-Capitale.
Le principe fondamental de l’organisation fédérale est l’absence de
hiérarchie entre l’État fédéral et les entités fédérées, chacun exerçant le pouvoir
dans les limites de ses compétences. Cela signifie également que les normes
juridiques produites par les entités fédérées ne sont pas inférieures aux normes
fédérales. Le bon fonctionnement de l’État fédéral suppose une bonne coopération
entre les différentes entités et des moyens de résoudre les conflits qui les opposent
éventuellement.
Nous examinons successivement les compétences attribuées aux
communautés et régions (I), leurs institutions politiques et les normes qu’elles
produisent (II), ainsi que les moyens politiques d’éviter et de résoudre les conflits
du fédéralisme belge (III).

Compétences

Les communautés et les régions n’ont de compétences que celles qui leur
sont attribuées par la Constitution ou les lois spéciales*. Ces compétences, dites
d’attribution, sont limitativement énumérées.

Les communautés

Les communautés ont des compétences liées à la langue et la culture des


habitants.
Sur le plan territorial, les communautés agissent dans la région linguistique
pour lesquelles elles sont compétentes. À Bruxelles, région bilingue, les
compétences des communautés sont exercées à la fois par les communautés
flamande et française.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les quatre régions linguistiques48

48 Cartes tirées du site de l’Institut géographique national : http://www.ngi.be/FR/FR2-11-4.shtm.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Sur le plan matériel, les communautés sont compétentes pour :


- l’enseignement, de la maternelle à l’université ;
- les matières culturelles ;
- l’emploi des langues dans les matières administratives, dans l’enseignement
et dans les relations de travail ;
- les matières dites personnalisables (par opposition aux matières localisables
qui sont du ressort des régions). Celles-ci comprennent notamment la
politique de la santé, l’aide aux personnes et les prestations familiales ;
- la recherche scientifique dans les domaines qui relèvent des compétences
précédemment citées ;
- les relations internationales dans les domaines qui relèvent des
compétences précédemment mentionnées. Ceci signifie que les compétences
internes des communautés se prolongent sur la scène internationale. Les
communautés sont donc habilitées, au même titre que l’État fédéral (et les
régions), à conclure des traités* et à envoyer des représentants dans les
organisations internationales*.

DROI-C-1001 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 44


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les régions

La Belgique des régions49

49 Carte tirée du site de l’Institut géographique national : http://www.ngi.be/FR/FR2-11-3.shtm.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les régions exercent dans les limites de leur territoire, des compétences
dans les quatre domaines suivants :

1. Le cadre de vie

- l’aménagement du territoire et l’urbanisme ;


- l’environnement et la politique de l’eau ;
- la rénovation rurale et la protection et la conservation de la nature ;
- le logement.

2. Les compétences à caractère économique et social

- la politique économique : les aides publiques aux entreprises, le crédit, la


politique des débouchés et les exportations, le commerce des armes, etc. ;
- la politique de l’emploi : placement des travailleurs, programmes de remise
au travail des demandeurs d’emploi, etc. ;
- la politique de l’énergie : distribution d’électricité et de gaz, développement
des énergies renouvelables, etc. ;
- la politique agricole et la pêche maritime ;
- le tourisme.

3. Les transports et les travaux publics

Construction de routes et d’autoroutes, réglementation des transports en


commun urbains et vicinaux, voies navigables et ports, certains aéroports, sécurité
routière (notamment pour la détermination des limites de vitesse sur la voie
publique, à l’exception des autoroutes), etc.

4. Les pouvoirs locaux

Notamment la tutelle* sur les provinces et les communes et le financement


général des pouvoirs locaux.

Au même titre que les communautés, les régions sont compétentes pour la
recherche scientifique et les relations internationales dans la sphère de leurs
attributions.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Institutions et normes

Les institutions politiques régionales et communautaires comprennent pour


chacune un parlement et un gouvernement. Elles fonctionnent comme des régimes
parlementaires de manière similaire à l’État fédéral.
Le Roi n’intervient pas au niveau des entités fédérées, sauf pour recevoir le
serment de leur ministre-président au moment de leur entrée en fonction.
Le parlement se compose d’une seule chambre dont les députés sont élus
pour 5 ans au suffrage universel. Le parlement ne peut pas être dissous en cours
de législature.
Le gouvernement est élu par le parlement. En pratique, comme pour la
formation du gouvernement fédéral, les partis politiques négocient une coalition
majoritaire au sein du parlement. Le gouvernement est dirigé par un ministre-
président.
Les communautés et régions prennent des normes législatives, appelées
« décrets »*, sauf pour la région bruxelloise où elles sont appelées « ordonnances »*.
Ces règles sont élaborées selon une procédure équivalente à l’élaboration de la loi.
Les décrets et ordonnances sont sanctionnés, promulgués et publiés par le
gouvernement.
Les gouvernements des communautés et régions disposent d’un pouvoir
réglementaire qui s’exerce de manière équivalente à celui du Roi au niveau fédéral.
Ces normes sont appelées « arrêtés du gouvernement ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Schéma de l’organisation institutionnelle de la Belgique

LOIS DECRETS ORDONNANCES

Matières
Compétences Matières communautaires Matières régionales
fédérales

Parlement
fédéral Parlement de la
Parlement de la Parlement de la
Pouvoir Parlement Parlement Région de
(Chambre des Communauté Communauté
législatif flamand wallon Bruxelles-
représentants germanophone française
Capitale
et Sénat)

Gouvernement
Gouvernement Gouvernement Gouvernement
fédéral (Roi, Gouvernement Gouvernement
Pouvoir de la de la de la Région de
ministres et de la Région
exécutif Communauté Communauté flamand Bruxelles-
secrétaires wallonne
germanophone française Capitale
d’État)

Niveau fédéral Niveau communautaire et régional

DROI-C-1001 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 48


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Prévention et solution des conflits

Tout système fédéral, où coexistent au sein d’un même État plusieurs


entités dotées de pouvoirs égaux dans des domaines de compétences et sur des
territoires différents, nécessite pour bien fonctionner une coopération efficace
entre les différentes entités. Il nécessite également des procédures de règlement
des conflits entre les entités.
Si le règlement judiciaire des conflits de compétence est attribuée à la Cour
constitutionnelle (infra, section 5), le fédéralisme belge a inventé plusieurs
procédures politiques pour tenter d’éviter ou aplanir les conflits. Il s’agit des
accords de coopération (A), de la procédure en conflit d’intérêts (B) et du Comité de
concertation (C). En dépit de ces moyens, le fédéralisme belge connaît des
difficultés importantes de fonctionnement (D).

Les accords de coopération

Afin d’assurer une gestion cohérente de certains secteurs interdépendants,


des accords de coopération* peuvent être conclus entre l’autorité fédérale, les
communautés et les régions. Ils permettent aux différentes entités politiques du
royaume d’exercer conjointement des compétences propres ou de développer des
initiatives en commun. De tels accords de coopération ont notamment été conclus
entre les régions pour régler les questions relatives aux routes et autoroutes, aux
voies hydrauliques et aux services de transport en commun dépassant les limites
territoriales d’une seule région ou encore pour gérer certaines conséquences de la
pandémie de covid-19.

La procédure en conflit d’intérêts

Lorsqu’un parlement estime qu’il peut être gravement lésé par un projet ou
une proposition de norme législative discuté devant un autre parlement belge, il
peut demander, par un vote à la majorité des 3/4 des voix, que la procédure soit
suspendue en vue d’une concertation50. Par ce vote, la procédure d’élaboration
législative est suspendue de plein droit pour permettre une concertation entre les
entités. Si la concertation n’aboutit pas, le Sénat est saisi et rend un avis motivé
au Comité de concertation*. Celui-ci prend une décision par consensus. La

50Art. 143 de la Constitution et art. 32, § 1-1quater de la Loi ordinaire de réformes institutionnelles
du 9 août 1980.

DROI-C-1001 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 49


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

procédure ne peut être engagée qu’une seule fois par la même assemblée au sujet
d’un même texte51.

Le Comité de concertation

Le Comité de concertation est un organe politique qui a pour mission de


régler par la négociation les conflits de compétence qui surviennent entre l’État,
les communautés et les régions.
Le comité est composé de douze membres selon une double parité
linguistique (entre flamands et francophones) et entre le niveau fédéral et les
entités fédérées. Il compte 6 membres du gouvernement fédéral dont le premier
ministre et 6 ministres issus des entités fédérées.
Le Comité de concertation intervient notamment lors de la procédure en
règlement des conflits d’intérêts (supra, section B). Il est également saisi lorsque
la section de législation du Conseil d’État considère qu’un avant-projet ou qu’une
proposition de texte législatif viole les règles de répartition de compétences. Si le
Comité de concertation confirme l’incompétence de l’auteur du texte, ce dernier est
contraint de lui apporter les amendements nécessaires pour faire cesser la
violation des règles de répartition des compétences.

Les difficultés du fédéralisme belge

En dépit de ces instruments, de l’avis presque unanime, le fédéralisme belge


est compliqué en pratique et ne fonctionne pas de manière efficace. Il n’est pas
facile de faire coexister, dans un aussi petit pays, 6 parlements et 6 gouvernements
sur un pied d’égalité.
Certes, chacun a ses compétences propres, mais en pratique celles-ci sont
souvent enchevêtrées ce qui complique la prise de décisions politiques. Ainsi, pour
la lutte contre le réchauffement climatique, les 6 entités ont chacune des parties
de compétences et doivent parvenir à se mettre d’accord sur les plans de réduction
des émissions de gaz à effet de serre, ce qui conduit à des impasses, à des retards
importants et de manière générale à un manque d’ambitions.
En outre, les principales communautés du pays poursuivent des projets
politiques de plus en plus divergents, ce qui se traduit depuis quelque temps par
la difficulté extrême à former un gouvernement fédéral et à s’accorder sur un
programme de gouvernement.

51Une procédure similaire est établie pour régler les conflits d’intérêts entre les différents
gouvernements.

DROI-C-1001 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 50


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

En conclusion, le système n’a pas acquis sa maturité et il faut donc


s’attendre à de nouvelles évolutions politiques et institutionnelles importantes
dans un futur proche.

SECTION 4 : LES PROVINCES ET LES COMMUNES

Les communes

La Belgique compte encore près de 600 communes, qui sont compétentes


dans toutes les matières d’intérêt local. Elles assument de nombreuses tâches de
service public en matière d’état civil, d’enseignement, de culture, d’aide sociale,
d’accueil des candidats réfugiés politiques, d’entretien de la voirie, d’aménagement
du territoire, de distribution de l’eau, du gaz, de l’électricité, etc.
Les communes disposent de leurs propres organes, qui sont désignés par
l’effet d’un processus démocratique.
Les élections communales sont organisées tous les 6 ans au suffrage
universel. Alors que seuls les citoyens belges peuvent voter et être élus aux
assemblées fédérales, communautaires ou régionales et provinciales, les étrangers
domiciliés dans la commune peuvent voter aux élections communales. Les
ressortissants de l’Union européenne sont en outre éligibles à ces élections, mais
ne peuvent occuper la fonction de bourgmestre.
Les candidats élus forment l’organe délibératif de la commune, appelé à
Bruxelles « conseil communal ». Ce conseil dispose du pouvoir de prendre des
règlements. Il a aussi pour mission de surveiller l’exécutif de la commune, qui
procède d’une majorité en son sein.
L’organe exécutif est chargé de la gestion quotidienne de la commune et des
services publics qu’elle organise. À Bruxelles, on l’appelle « collège des
Bourgmestre et échevins ».
Le conseil et l’exécutif sont présidés par le bourgmestre, dont la désignation
dépend également du nombre de voix obtenues aux élections. Le bourgmestre
représente la commune. Il dispose d’un pouvoir de police et de maintien de l’ordre
important en pratique. Il dirige la police communale et peut prendre seul des
règlements sous forme d’ordonnances de police*.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les provinces

La Belgique compte 10 provinces, dont 5 en Flandre et 5 en Wallonie. Elles


disposent de compétences limitées. Leur suppression est régulièrement envisagée.
La Région Bruxelles-Capitale est en dehors de toute province.
Les institutions provinciales sont comparables à celles des communes : un
organe délibératif élu au suffrage universel tous les 6 ans, appelé en Wallonie
« conseil provincial », un organe exécutif, appelé en Wallonie, collège provincial et
un représentant central, le gouverneur. Le conseil provincial dispose du pouvoir de
prendre des règlements.

Le statut des communes et provinces

Les communes et les provinces sont des pouvoirs locaux démocratiques,


décentralisés et subordonnés.
Elles sont locales car elles exercent leurs compétences sur une portion
limitée du territoire, en particulier les communes. Elles sont démocratiques car
leurs organes procèdent d’une élection au suffrage universel. Elles sont
décentralisées* car elles disposent d’un pouvoir autonome de prendre des décisions
et des règles de droit.
Contrairement aux communautés et régions, les provinces et les communes
sont toutefois des pouvoirs subordonnés. L’autonomie qui leur est reconnue n’est
que relative. Les règlements communaux et provinciaux ont une valeur inférieure
à celle des normes législatives et exécutives de l’État, des communautés et des
régions. Des contrôles juridiques et politiques sont mis en œuvre aux fins de
préserver le respect de la légalité et la sauvegarde de l’intérêt général52. De tels
contrôles sont désignés sous le terme générique de tutelle*. La tutelle sur les
collectivités locales relève, dans une large mesure, de la compétence des régions.

52 Art. 162, 6° de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

SECTION 5 : LE CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DES ACTES DES POUVOIRS


PUBLICS

Les cours et tribunaux relèvent du pouvoir judiciaire. Ils sont en charge


d’assurer le respect du droit et des droits tant par les citoyens que par les
gouvernants dans les causes qui leur sont soumises. Ils seront étudiés en détail
dans le chapitre 5 consacré spécialement aux procès.
Il existe en outre des juridictions particulières en charge de contrôler la
validité des actes posés par les autorités publiques, en particulier des règles de
droit qu’elles édictent.
La Cour constitutionnelle contrôle la conformité des normes législatives à la
Constitution et le respect des règles de répartition des compétences entre l’État,
les communautés et les régions (I).
Le Conseil d’État contrôle la conformité des normes administratives de
l’État, des communautés et régions et des pouvoirs locaux aux règles qui leur sont
supérieures. En outre, il donne un avis sur les projets de textes législatifs et de
règlements (II).
Ces juridictions ont le pouvoir d’annuler les normes qui ne sont pas
conformes aux normes supérieures. L’annulation* est la sanction qui frappe un
acte juridique contraire au droit. Elle opère, en principe, avec effet rétroactif (ex
tunc). On appelle ce type de contentieux « objectif » car le procès est intenté contre
un acte, non contre une personne, contrairement au contentieux dit « subjectif »
qui est traité par les cours et tribunaux dans les procès civils et pénaux.

La Cour constitutionnelle

Mission

La Cour constitutionnelle a pour mission de contrôler la conformité des


normes législatives avec, d’une part, les règles de répartition de compétences entre
l’autorité fédérale et les entités fédérées fixées dans des lois spéciales* et, d’autre
part, avec une partie de la Constitution. Avec la Cour de cassation et le Conseil
d’État, la Cour constitutionnelle est l’une des trois Cours suprêmes du pays. La
Cour constitutionnelle s’est d’abord appelée, depuis sa création en 1983 jusqu’en
2007, la « Cour d’arbitrage ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La Cour constitutionnelle contrôle le respect par les normes législatives des


articles du titre II de la Constitution53 qui garantissent les droits fondamentaux et
notamment le principe d’égalité et de non-discrimination54. Elle contrôle
également le respect de la légalité de l’impôt55, de l’égalité devant l’impôt56 et de
l’égalité entre Belges et étrangers57.
La Cour supervise également les consultations populaires régionales ainsi
que le contrôle des dépenses électorales pour les élections fédérales58, de même que
le respect de la loyauté fédérale59.

Composition

La Cour constitutionnelle est composée de douze juges paritairement


flamands et francophones. La Cour comprend 6 juristes chevronnés (anciens
magistrats, professeurs d’université, anciens référendaires*, etc.) et 6 anciens
parlementaires. La présence d’anciens parlementaires traduit la volonté que le
contrôle de constitutionnalité ne repose pas sur la seule technique juridique mais
soit également informé par l’expérience politique.
Pour chaque affaire, le siège de la Cour constitutionnelle comprend au moins
sept juges. Ses arrêts sont publiés au Moniteur belge*.

Modalités du contrôle

La Cour constitutionnelle peut être saisie de deux manières : par la voie d’un
recours en annulation ou par celui d’une question préjudicielle.

1°) Contentieux de l’annulation


Toute personne justifiant d’un intérêt peut demander à la Cour
constitutionnelle l’annulation d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance de la
région bruxelloise pour contravention à une partie de la Constitution ou aux règles
de répartition des compétences. Chacun des six gouvernements dispose également
de cette faculté ainsi que les présidents des assemblées parlementaires à la
demande de deux tiers de leurs membres.

53 Art. 8 à 32 de la Constitution.
54 Art. 10 et 11 de la Constitution.
55 Art. 170 de la Constitution.
56 Art. 172 de la Constitution.
57 Art. 191 de la Constitution.
58Nouvel alinéa de l’article 142 de la Constitution, révision votée le 6 janvier 2014, M.B. 31 janvier
2014, p. 8546
59Voy. l’article 143, § 1er, de la Constitution et les articles 47 et 48 de la loi spéciale du 6 janvier
2014 relative à la Sixième Réforme de l’État.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Afin d’éviter que la sécurité juridique ne soit mise à mal, le recours en


annulation doit être introduit dans un délai de six mois à dater de la publication
de la norme attaquée. L’effet de l’annulation est radical : la norme législative
disparaît de manière rétroactive, comme si elle n’avait jamais existé. La Cour peut
cependant aménager les effets de cette annulation en maintenant, par exemple, la
validité d’actes posés sous l’empire de la loi, du décret ou de l’ordonnance annulés.
Un recours en annulation peut être assorti d’un recours en suspension. La
Cour constitutionnelle peut suspendre, en tout ou en partie, la norme législative
qui fait l’objet d’un recours en annulation, à la demande de la partie requérante.
La suspension peut être décidée dans deux cas : soit si des moyens sérieux
d’annulation sont invoqués et que l’exécution immédiate de la norme est de nature
à causer un préjudice grave, difficilement réparable ; soit si une norme identique
adoptée par le même législateur a déjà été annulée par la Cour constitutionnelle.
En cas de suspension de la norme législative attaquée, la Cour constitutionnelle
doit se prononcer dans les trois mois sur le recours en annulation60.

2°) Contentieux préjudiciel


Le contentieux préjudiciel instaure un dialogue entre deux juges. Dans le
cadre des affaires qui leur sont soumises, les cours et tribunaux et le Conseil d’État
sont amenés à appliquer des normes législatives susceptibles d’être
anticonstitutionnelles ou de violer les règles répartissant les compétences entre
l’autorité fédérale et les entités fédérées. Lorsqu’elles soupçonnent une telle
violation, ces juridictions ne peuvent pas, de leur propre initiative, écarter la
disposition législative incriminée. Elles doivent soumettre cette question à la Cour
constitutionnelle. Au contentieux préjudiciel, la Cour constitutionnelle connaît
donc des questions que lui posent les juridictions sur la conformité de la loi
applicable dans leur litige aux normes dont elle est la gardienne. On parle de
contentieux préjudiciel (c’est-à-dire avant de juger), car la juridiction qui a posé
une question à la Cour constitutionnelle doit surseoir à statuer, c’est-à-dire qu’elle
doit attendre la réponse de la Cour constitutionnelle pour trancher le litige
pendant devant elle.
La Cour constitutionnelle est susceptible de donner trois réponses à une
telle question préjudicielle : soit la disposition législative soumise à son contrôle
est jugée conforme aux articles visés de la Constitution ou aux lois spéciales ; soit
elle est jugée contraire à ceux-ci ; soit elle est jugée conforme à ces articles à la
condition d’être interprétée dans un certain sens, indiqué par la Cour
(interprétation conciliante).
L’arrêt rendu sur question préjudicielle lie le juge qui a posé la question.
Celui-ci est tenu d’écarter la disposition législative anticonstitutionnelle. Il sera de
même tenu d’appliquer la norme jugée conforme à la Constitution.

60Art. 19 à 25 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, M.B., 7 janvier
1989.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

L’arrêt constatant l’inconstitutionnalité d’une norme n’entraîne pas


l’annulation de celle-ci. Cependant, il ouvre un nouveau délai de six mois pour
introduire un recours en annulation. Il est toutefois évident que la norme
législative ainsi mise à mal voit son autorité fortement diminuée. Dans les litiges
ultérieurs, elle pourra être écartée par simple référence à l’arrêt de la Cour
constitutionnelle. En ce sens, l’effet de l’arrêt rendu sur question préjudicielle
dépasse le cadre de l’affaire à l’occasion de laquelle il a été rendu. On dit qu’il a
l’autorité de la chose interprétée.

Le Conseil d’État

Le Conseil d’État est divisé en deux sections qui remplissent des fonctions
différentes. La section de législation donne un avis sur les projets de loi et de
règlement (A). La section du contentieux connaît principalement du contentieux
de l’annulation des actes administratifs et réglementaires (B).

La section de législation du Conseil d’État

Rappelons que la section de législation du Conseil d’État rend des avis sur
tout avant-projet* de loi, de décret, d’ordonnance ou projet d’arrêté royal ou de
gouvernement ou d’arrêté ministériel dans lesquels elle dénonce, le cas échéant,
les violations de la Constitution. Elle connaît également de certaines propositions*
de texte législatif, notamment à la demande d’un tiers des membres de l’assemblée
de laquelle émane la proposition ou, pour le parlement fédéral et le parlement
bruxellois, à la demande de la moitié des membres d’un groupe linguistique. Pour
les textes législatifs, même dans les cas d’urgence spécialement motivés par un
gouvernement, le Conseil d’État doit être saisi, mais son avis portera uniquement
sur le respect des règles de répartition de compétences ainsi que, au niveau fédéral,
sur le type de procédure législative qui doit être suivi dans le cadre du
bicaméralisme aménagé.
L’avis du Conseil d’État est obligatoire, mais non contraignant, sauf s’il
dénonce une violation des règles de répartition de compétences. Dans cette
hypothèse intervient le Comité de concertation.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La section du contentieux administratif du Conseil d’État

1. Le contentieux de l’annulation

La mission principale de la section du contentieux administratif du Conseil


d’État61 consiste à examiner les recours qui visent à l’annulation des arrêtés, des
règlements et des décisions individuelles pris par le pouvoir exécutif et par
l’administration en général. Le Conseil d’État a ainsi le pouvoir d’annuler les
arrêtés royaux et les règlements de l’État fédéral, des communautés et des régions,
ainsi que les règlements provinciaux et communaux.
L’annulation sera prononcée si l’acte attaqué est illégal ou constitutif d’un
excès de pouvoir. Un acte illégal est pris en violation d’une norme supérieure. Un
acte est notamment constitutif d’un excès de pouvoir lorsqu’il est pris par une
autorité incompétente.
Les conditions de recevabilité d’un recours en annulation devant le Conseil
d’État sont les suivantes :
- seule une personne justifiant d’un intérêt légitime à voir l’acte attaqué
disparaître peut introduire une requête en annulation ;
- l’acte visé par la requête doit émaner d’une « autorité administrative ». Cette
notion est interprétée de manière extensive par le Conseil d’État. Peuvent
ainsi être soumis à son contrôle les actes des organes de droit privé chargés
d’une mission de service public, comme les décisions de certains jurys
d’examen ;
- la requête en annulation doit être introduite dans les 60 jours de la
publication ou de la notification de l’acte incriminé ou, à défaut, du moment
où le requérant en a pris connaissance.
Cette dernière condition vise à préserver la sécurité juridique. Il s’agit
d’éviter que les règlements ou les décisions du pouvoir exécutif et de
l’administration ne puissent être perpétuellement remis en question. L’acte annulé
est en effet complètement rayé du paysage juridique. L’annulation opère par
définition de manière rétroactive : l’acte annulé est réputé n’avoir jamais existé.

Comme devant la Cour constitutionnelle, le recours en annulation devant le


Conseil d’État peut être assorti d’un recours en suspension. On parle ici d’une
procédure de référé administratif qui répond à des conditions un peu différentes
de celles régissant le recours en suspension devant la Cour constitutionnelle. Dans
le cadre du référé administratif, le Conseil d’État a le pouvoir d’ordonner la
suspension des règlements et actes administratifs susceptibles d’être annulés
lorsque des moyens sérieux sont invoqués à l’appui du recours en annulation et s’il

61 Jusqu’en 2007, elle se nommait la « section d’administration » du Conseil d’État.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

existe une urgence incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation62. La


demande en suspension est en principe déférée à un juge unique. Celui-ci peut
assortir la décision de suspension d’une astreinte et de toute mesure provisoire
nécessaire pour assurer la sauvegarde des intérêts des parties.

2. Les autres contentieux

D’autres contentieux sont également confiés au Conseil d’État. Il est parfois


appelé à statuer en qualité de juge d’appel ou de juge de cassation des décisions de
certaines juridictions administratives*. La loi lui confie également des contentieux
divers comme celui de statuer en équité sur les demandes en indemnisation des
particuliers qui ont subi un dommage exceptionnel du fait de l’action non fautive
de l’administration (contentieux de l’indemnité), ou encore celui d’examiner les
plaintes introduites en vue de réduire la dotation publique des partis politiques
liberticides.

62Art. 17 des lois coordonnées sur le Conseil d’État du 12 janvier 1973, tel que modifié par la loi du
20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du Conseil
d'État modifiant l’article 38 des lois coordonnées sur le Conseil d’État, M.B., 3 février 2014.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les institutions européennes et


internationales

Sur le grand échiquier du monde juridique, la Belgique et ses institutions


forment un ordre juridique parmi des centaines. Chaque État est lié à un ordre
juridique qui lui est propre, avec des institutions spécifiques qui produisent et
appliquent des normes, mais aussi avec des règles de procédure particulières qui
définissent la manière dont ces normes sont élaborées et appliquées. Le monde
juridique n’est toutefois pas uniquement peuplé d’États et d’institutions
nationales. Il est aussi constitué d’organisations internationales* qui sont des
groupements créés et imaginés par les États pour poursuivre un objectif déterminé.
Certaines organisations internationales tendent à former des ordres
juridiques nouveaux qui sont plus larges que les ordres juridiques étatiques et qui
peuvent se concevoir à différentes échelles. La Belgique fait ainsi partie de l’Union
européenne qui compte 27 États depuis le Brexit. La Belgique est également un
État membre du Conseil de l’Europe, la « grande Europe » de l’Atlantique à l’Oural,
qui rassemble 47 États. Enfin, comme presque tous les États du monde, la Belgique
est membre de l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui regroupe 193 États.
Des organisations régionales dont la Belgique ne fait pas partie sont constituées
sur d’autres continents. Il s’agit, notamment, de l’Organisation des États
américains (OEA) qui englobe 35 États d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale
et d’Amérique du Sud ; de l’Union africaine qui regroupe l’ensemble des États
africains (UA) ; de l’Organisation de la Conférence islamique qui rassemble tous
les pays musulmans ou du MERCOSUR (marché commun du Sud) qui regroupe
plusieurs pays d’Amérique latine.
Outre ces organisations internationales régionales (ou universelle pour
l’ONU), nombreuses sont les organisations internationales qui sont des
institutions spécialisées. Ces dernières sont des organisations reliées à l’ONU et
pourvues d’attributions internationales étendues dans des domaines variés :
l’économie, les matières sociales ou culturelles, l’éducation, la santé publique, etc.
Il s’agit par exemple de l’Organisation internationale du travail (OIT), de
l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
(UNESCO), du Fonds monétaire international (FMI) ou du Haut-Commissariat
pour les réfugiés (HCR).
Les organisations internationales sont donc multiples. Elles sont créées par
les États en vue de remplir des objectifs définis par eux qui sont extrêmement
variés : coopération policière, suppression ou réduction des barrières douanières,
promotion de la paix et de la sécurité, protection des droits humains, des droits
d’auteur, du patrimoine culturel, des réfugiés et apatrides, etc.
Tout en participant activement à la mise sur pied de ces organisations
internationales, les États en subissent également les effets, notamment lorsqu’ils
délèguent certains de leurs pouvoirs et compétences à ces organisations. Dans cette

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

hypothèse, ils abandonnent une partie de leur souveraineté et acceptent de se


soumettre à des règles juridiques dont ils n’ont plus l’entière maîtrise. L’emprise
qu’ils gardent sur les normes produites par les institutions des organisations
internationales est tributaire de la composition des organes de ces institutions et
du mode de décision qui les régit. Conférer à une organisation internationale le
pouvoir de prendre des décisions autrement qu’à l’unanimité des représentants des
États membres ou selon la procédure du consensus* est une concession importante
en termes de souveraineté puisqu’elle implique la renonciation au droit de veto.
De manière très schématique, les organisations internationales oscillent
entre deux tendances :
- celles qui sont de type « supranational » et qui impliquent de véritables
délégations de pouvoirs dans le sens où les États confient des compétences
d’attribution aux institutions de ces organisations qui adoptent certaines
décisions à la majorité ;
- celles qui sont de type « intergouvernemental » où les États restent
étroitement associés à la production de normes juridiques au travers de
leurs représentants qui siègent dans les institutions des organisations
internationales. La collaboration intergouvernementale est bien
évidemment la plus aisée à mettre en place et elle caractérise la très grande
majorité des organisations internationales.
Dans la pratique, cette distinction n’est toutefois pas étanche. Certaines
organisations internationales cumulent des aspects « supranationaux » et
« intergouvernementaux ». L’Union européenne en constitue un excellent exemple.

L’Union européenne

Les étapes de la construction européenne

La construction de l’ordre juridique de l’Union européenne est le fruit d’une


évolution qui a conduit des Communautés européennes à vocation initialement
économique rassemblant six États vers une organisation plus intégrée aux
compétences et au champ géographique beaucoup plus vaste.
L’Union européenne compte parmi les constructions institutionnelles les
plus ambitieuses, les plus importantes, les plus originales et les plus dynamiques
de notre époque. Initiée au lendemain de la seconde guerre mondiale, la
construction européenne s’est développée au fil d’étapes successives qui ont conduit
à la fois à son élargissement à un nombre croissant d’États membres (de 6 à 28,
puis à 27 suite au Brexit) et à l’intensification de la collaboration dans le sens
d’une plus grande intégration sur les plans économique, politique et juridique.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

1. Les Communautés européennes

En 1951, six États (l’Allemagne, la France, l’Italie et les trois États du


Benelux) décident de mettre en place un système de gestion commune des
ressources du charbon et de l’acier. Ils signent un traité instituant la Communauté
européenne du charbon et de l’acier (CECA). Cette dernière repose sur un système
institutionnel de type supranational dans la mesure où les principaux pouvoirs de
décision sont confiés à une Haute Autorité composée de personnalités
indépendantes des États membres.
La construction communautaire ne s’arrête pas là. Les ministres des affaires
étrangères des pays membres de la CECA se réunissent à plusieurs reprises et
expriment « la volonté politique des Six de franchir une nouvelle étape dans la voie
de la construction européenne dans le domaine économique grâce à des institutions
communes »63. Dans cette perspective deux traités sont signés par les Six en 1957 :
- le Traité instituant la Communauté économique européenne (dit « traité de
Rome ») qui vise à mettre en place un « marché commun » sous la forme
d’une union douanière à l’intérieure des frontières des Six avec un tarif
extérieur commun ;
- le Traité Euratom qui met sur pied une organisation spécifique dans le
domaine de l’énergie atomique.
Pendant des années, la Communauté économique européenne travaille avec
les États membres à la mise en place d’un marché intérieur autour de quatre
grandes libertés :
- la libre circulation des marchandises, qui vise aussi bien les « importations »
que les « exportations » entre États membres. Cette libre circulation des
marchandises suppose notamment la suppression des droits de douane ainsi
que la prohibition des taxes intérieures discriminatoires ;
- les libertés professionnelles, qui garantissent à tout ressortissant d’un État
membre de l’Union l’accès sans entrave à une activité professionnelle dans
un autre État membre ainsi que la possibilité de l’exercer dans les mêmes
conditions que les nationaux. Elles regroupent l’accès à un emploi salarié
via la libre circulation des travailleurs ainsi que l’exercice d’une activité
indépendante à travers la libre circulation des services et la liberté
d’établissement ;
- la libre circulation et de séjour des citoyens européens, qui constitue l’un des
droits attachés à la citoyenneté européenne. Elle peut, toutefois, faire l’objet
de limitations et de conditions. Elle trouve une expression spécifique à
travers la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement ;
- la libre circulation des capitaux, qui impose progressivement la levée des
mesures de contrôle des changes et des restrictions imposées aux
mouvements sur les marchés financiers.

63 M. DONY, Droit de l’Union européenne, éd. de l’Université de Bruxelles, 2018, 7e éd., p. 10.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le bon fonctionnement du marché européen suppose en outre


l’établissement d’un régime de contrôle garantissant le respect des règles de la
concurrence au sein de ce marché.
Par ailleurs, toujours dans le domaine économique, la Communauté
européenne va mener une série de politiques communes, en particulier en matière
agricole (la P.A.C.), mais aussi dans les transports, ainsi que dans le domaine de
la monnaie et des changes.

2. Le système des piliers

Au début des années nonante, la Communauté économique européenne


subit des transformations profondes. Le Traité de Maastricht transforme la C.E.E.
en une véritable Union politique que l’on appelle désormais « Union européenne ».
De nouveaux domaines de collaboration sont créés, comme en matière de sécurité
intérieure, de justice ou de politique extérieure.
Si les États membres ont accepté de renforcer leur coopération dans ces
domaines, ils ne sont cependant pas prêts à soumettre ceux-ci à un processus de
décision supranational mais uniquement à établir des procédures de coopération
intergouvernementale plus classiques, qui sauvegardent pour l’essentiel les
prérogatives de chaque État et requièrent en tout cas leur consentement.
En conséquence, l’Union européenne est alors bâtie autour de trois piliers
en fonction du « degré d’intégration » dont ces matières font l’objet.
Le premier pilier se nomme la « Communauté européenne ». Il englobe le
traditionnel « marché commun », devenu le « marché unique » qui est considéré
comme réalisé depuis 1993. Il sert également de cadre à l’Union économique et
monétaire, qui a conduit, depuis le 1er janvier 2002, à la circulation d’une monnaie
unique, l’euro, dans une série d’États de l’Union.
Mais la Communauté européenne comprend également des domaines qui ne
sont pas directement de type économique comme la notion de citoyenneté
européenne qui confère notamment le droit à tout ressortissant d’un État membre
d’élire et d’être élu aux élections locales d’un autre État membre dans lequel il
réside. En outre, la Communauté européenne développe des compétences dans les
domaines de la culture, de la santé, de l’éducation, de l’égalité de traitement et de
la lutte contre les discriminations.
Le deuxième pilier est constitué par la politique extérieure et de sécurité
commune, en abrégé PESC. Cette politique se fonde sur cinq objectifs définis en
termes très larges : la défense des valeurs communes et des intérêts fondamentaux
de l'Union, ainsi que le renforcement de sa sécurité, le maintien de la paix et le
renforcement de la sécurité internationale ; la promotion de la coopération
internationale ; le renforcement de la démocratie et de l'État de droit, ainsi que le
respect des droits de l'homme. L’Union s’est dotée pour poursuivre cette politique
de certains outils institutionnels, en particulier la nomination d’un haut
représentant, familièrement appelé « Monsieur ou Madame PESC ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le troisième pilier concerne la coopération dans le domaine de la justice et


des affaires intérieures et vise particulièrement la coopération judiciaire en
matière civile et pénale, la coopération douanière, ainsi que la coopération dans le
domaine de la politique d’asile, la lutte contre le terrorisme, le trafic illicite de
drogue et d'autres formes graves de criminalité internationale. Dans ce cadre, les
accords de Schengen ont créé un espace de coopération renforcé, mais qui ne réunit
pas l’ensemble des États membres.

3. L’Union européenne du Traité de Lisbonne

L’Europe avait l’ambition de se doter d’une Constitution, à l’instar des États.


Un traité avait d’ailleurs été signé, en 2004, établissant cette Constitution. Ce
traité n’a cependant pas été ratifié par plusieurs États et n’est donc pas entré en
vigueur. Par la suite, le projet a été enterré au profit d’un nouveau traité
modificatif adopté à la suite de longues négociations à Lisbonne en 2007 et entré
en vigueur le 1er décembre 2009. Ce Traité de Lisbonne abandonne la structure en
piliers. Les Communautés européennes disparaissent et sont intégrées pleinement
à l’Union européenne qui est désormais dotée d’une personnalité juridique propre.
Dans le but de rationaliser le fonctionnement des institutions européennes,
le Traité de Lisbonne a innové sur plusieurs plans. Il instaure une présidence
stable pour le Conseil européen. Le Président du Conseil européen est ainsi nommé
pour un mandat d’une durée de deux ans et demi. De plus, l’Union se dote d’un
Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, dans le
cadre conjoint du Conseil et de la Commission. Enfin, le Traité de Lisbonne entend
pallier le déficit démocratique de l’Union en renforçant le rôle des parlements
nationaux, en donnant un droit de pétition aux citoyens européens ainsi qu’en
intégrant aux traités la Charte européenne des droits fondamentaux.

Un ordre politique et juridique spécifique

Sur le plan politique, l’Union européenne demeure un objet mal identifié.


Parfois qualifiée de « fédération d’États-nations », elle tient par certains côtés de
la collaboration intergouvernementale classique dans l’ordre juridique
international, tandis qu’elle s’apparente par d’autres aspects à un système fédéral.
Elle institue entre ses membres des formes de collaboration multiples, à géométrie
variable, qui semblent aller globalement dans le sens d’une plus grande intégration
des États membres, mais sans tendre réellement vers l’institution d’un État
fédéral.
Sur le plan juridique, les choses sont plus claires. La Cour de justice des
Communautés européennes, renommée Cour de justice de l’Union européenne par
le Traité de Lisbonne, qui siège à Luxembourg, a affirmé, dès 1964, dans l’arrêt
Costa c. Enel, l’existence d’un ordre juridique européen spécifique, en des termes
forts qui méritent d’être cités :

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

« Attendu qu’à la différence des traités internationaux ordinaires, le


Traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au
système juridique des États membres lors de l’entrée en vigueur du
Traité et qui s’impose à leurs juridictions ;

Qu’en effet, en instituant une Communauté de durée illimitée, dotée


d’institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique,
d’une capacité de représentation internationale et plus
particulièrement de pouvoirs réels issus d’une limitation de
compétences ou d’un transfert d’attributions des États à la
Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines
restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit
applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes ;

(…) (qu’) issu d’une source autonome, le droit né du traité ne peut se


voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit sans
perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause
la base juridique de la communauté elle-même »64.

Les règles juridiques européennes jouissent donc de la primauté* par


rapport aux règles de droit national. Elles produisent, selon des modalités que l’on
envisagera plus loin, des effets dans l’ordre juridique interne auquel elles
s’intègrent d’ailleurs . Mentionnons dès à présent leur effet le plus remarquable,
en l’occurrence « l’effet direct », provenant d’une jurisprudence constante depuis
l’arrêt Van Gend en Loos65. Il résulte de cette jurisprudence que le droit de l’Union
européenne dans son ensemble a la capacité d’engendrer des droits et des
obligations dans le patrimoine juridique des justiciables à condition que la norme
en question soit (i) suffisamment claire et précise, (ii) présente un caractère
inconditionnel et (iii) puisse produire ses effets en l’absence de toute mesure
nationale ou européenne complémentaire.
L’Union européenne constitue une construction politique et juridique tout à
fait originale, avec un système institutionnel et juridictionnel particulièrement
élaboré. Il faut cependant se garder de vouloir trouver, au sein des institutions
européennes, des organes équivalents au parlement ou au gouvernement
nationaux. L’exercice des fonctions législative et exécutive est en réalité éclaté
entre différentes institutions.
Le socle européen se compose aujourd’hui du Traité sur l’Union européenne
(TUE) et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Ces traités ont, à l’égard de l’ordre juridique européen et de ses institutions,
une véritable portée constitutionnelle. La Cour de justice de l’Union européenne

64Arrêt de la Cour du 15 juillet 1964, Costa c. E.N.E.L., 6/64, EU:C:1964:66, pp. 1159-1160, notre
accent.
Arrêt de la Cour du 5 février 1963, Van Gend and Loos c. Administratie der Belastingen , 26/62,
65

EU:C:1963:1, Rec., p.1.

DROI-C-1001 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 64


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

assimile d’ailleurs les traités à « la charte constitutionnelle d’une Communauté de


droit »66.
Les traités instituent l’ordre juridique de l’Union européenne* et en
définissent le champ d’application. Ils créent les institutions européennes, en
déterminent les procédures de fonctionnement, distribuent les pouvoirs de décision
et aménagent ainsi les relations entre les différents organes.
Le Traité de Lisbonne intègre en outre les droits fondamentaux des citoyens
de l’Union européenne, comme c’est le cas pour les constitutions des États de
droit*. Il confère une valeur contraignante de droit primaire à la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne, adoptée le 7 décembre 2000, qui n’avait
initialement qu’une valeur de déclaration.

Les institutions de l’Union européenne

1. Le Conseil des ministres de l’Union européenne

Le Conseil des ministres de l’Union européenne est un organe de décision


composé d’un représentant de niveau ministériel par État membre. L’exercice du
pouvoir législatif constitue sa mission principale.
La composition du Conseil des ministres de l’Union européenne varie en
fonction de l’ordre du jour des travaux : le « Conseil des affaires générales » est
formé par les ministres des affaires européennes des États membres ; le « Conseil
des affaires économiques et financières » rassemble les ministres de l’économie ou
des finances, etc.
Le Conseil des ministres de l’Union européenne se réunit principalement à
Bruxelles et fait l’objet d’une présidence tournante tous les 6 mois.

2. La Commission européenne

La Commission européenne est composée du collège des commissaires qui


compte 27 membres, y compris le président et les vice-présidents. Les
commissaires, un par État membre, sont nommés tous les cinq ans, d’un commun
accord par les gouvernements nationaux avec l’approbation du Parlement
européen.
De nombreux services administratifs, dont la plupart sont situés à
Bruxelles, dépendent de la Commission européenne. Cette administration est
divisée en Directions générales et des milliers de fonctionnaires travaillent dans
cette administration.

66 Arrêt de la Cour du 3 avril 1986, Les Verts c. Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 23.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les missions principales de la Commission européenne sont au nombre de


trois. Premièrement, la Commission dispose du quasi-monopole de l’initiative
législative. Deuxièmement, il revient à la Commission de mettre en œuvre la
politique de l’Union européenne, conjointement avec les États membres et,
notamment, d’exécuter les décisions du Conseil. Troisièmement, la Commission est
la gardienne des traités (qui forment le droit primaire*) sur lesquels se fonde
l’Union européenne et le droit européen dérivé qui en découle. Elle veille donc au
respect des traités par les institutions européennes et par les États membres, le
cas échéant en saisissant la Cour de justice de l’Union européenne.
La Commission européenne ne s’est pas vu attribuer le monopole de la
fonction exécutive. Elle n’est pas comparable à un gouvernement national.
Le Traité de Lisbonne crée par ailleurs le poste de Haut représentant pour
les affaires étrangères et la politique de sécurité. À cheval entre la Commission et
le Conseil, le Haut représentant a pour mandat de coordonner l’action extérieure
de l’Union. À cette fin, il préside le Conseil des affaires étrangères, et devient le
Vice-Président aux affaires étrangères de la Commission. Il est à la tête du service
européen pour l’action extérieure, qui réunit des fonctionnaires du Conseil et de la
Commission, ainsi que des représentants des services diplomatiques nationaux.

3. Le Parlement européen

Depuis 1979, le Parlement européen est composé des représentants élus par
les peuples des États membres tous les cinq ans. Il se réunit à Bruxelles ou à
Strasbourg et est composé aujourd’hui de plus de 700 députés. La citoyenneté
européenne consacrée par le Traité de Maastricht de 1992 implique que tout
ressortissant d’un État membre de l’Union a le droit de prendre part aux élections
européennes quel que soit le pays de l’Union où il est domicilié. Un citoyen belge
résidant en France participera à l’élection des députés européens en France, sans
passer par l’ambassade belge.
Les missions principales du Parlement européen sont au nombre de trois.
Premièrement, il participe au pouvoir législatif sans détenir l’essentiel de la
fonction législative. Si, initialement, le Parlement disposait uniquement d’un
embryon de pouvoir législatif, au fil des traités, les pouvoirs du Parlement dans la
prise de décision ont été renforcés. Deuxièmement, il partage le contrôle budgétaire
avec le Conseil. Il lui revient d’arrêter le budget et les comptes annuels.
Troisièmement, le Parlement européen exerce un contrôle politique sur la
Commission. Il dispose notamment du droit de créer des commissions d’enquête
sur les activités de la Commission européenne et même de renverser collectivement
cette dernière par une motion de censure (2/3 des voix).

4. Le Conseil européen ou « Sommet européen »

Les Sommets européens réunissent les chefs d’État ou de gouvernement,


accompagnés d’un ministre de leur choix ainsi que le président de la Commission.
Ils ont généralement lieu quatre fois par an.

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Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le Conseil européen est


désormais doté d’une présidence stable, d’une durée de deux ans et demi.
Jusqu’alors la présidence du Conseil européen était exercée de fait par l’État
présidant le Conseil des ministres par rotation semestrielle.
Le Conseil européen est l’organe moteur de la construction européenne. En
vertu de l’article 4 du Traité de l’Union européenne, « le Conseil européen donne à
l’Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les
orientations générales ». Le Conseil européen fixe ainsi les objectifs majeurs de la
construction européenne et tranche les questions essentielles à cet égard. Il
fonctionne selon la méthode intergouvernementale, par consensus*.
Sur le plan terminologique, le mot « Conseil » utilisé seul renvoie au Conseil
des ministres de l’Union européenne et non au Sommet européen.

La production des normes dans l’Union européenne

1. Règlements et directives

Les normes législatives européennes s’appellent règlements ou directives.


Les règlements et les directives se distinguent par la différence de la manière dont
elles produisent leurs effets obligatoires.
Le règlement* est un acte des institutions européennes qui édicte des règles
générales et obligatoires qui s’appliquent de manière directe et immédiate dans
l’ensemble de l’Union.
Les règlements sont élaborés en principe suivant la procédure législative
ordinaire (anciennement la procédure de codécision). Ils sont publiés au Journal
officiel de l’Union européenne. Cette publication en conditionne le caractère
obligatoire.
La directive* est un acte des institutions européennes adressé aux États de
l’Union, qui « lie tout état membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout
en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux
moyens » (art. 288 TFUE). Elle est également publiée au Journal officiel de l’Union
européenne.
La directive constitue en ordre principal un instrument juridique
d’harmonisation des droits des différents États de l’Union. Elle contribue ainsi à
l’intégration juridique européenne.
La directive est la résultante d’un certain équilibre entre les pouvoirs
normatifs respectifs des instances européennes et des États. La directive établit
des règles communes dans une matière déterminée. Cependant, contrairement au
règlement, ces dispositions ne s’appliquent pas de manière immédiate à tous les
sujets de droit de l’Union. La directive s’adresse aux États à qui elle enjoint
d’intégrer ces règles dans leur ordre juridique interne et ce, dans un délai
déterminé. L’État choisit librement les formes et les moyens appropriés. Il peut

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

s’agir d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance, accompagné le cas échéant
d’arrêtés d’exécution, voire même d’un simple arrêté de l’exécutif concerné.
Les directives ne créent donc pas immédiatement des droits et des
obligations dans le chef des particuliers. Toutefois, lorsqu’un État n’intègre pas
dans son ordre juridique interne les dispositions d’une directive dans le délai requis
et que cette défaillance prive les sujets de droit d’un droit subjectif qui aurait dû
leur être reconnu, les personnes préjudiciées peuvent, dans certaines conditions,
se prévaloir à l’égard de l’État des dispositions de la directive. C’est ce qu’on appelle
l’effet direct vertical* des directives. La reconnaissance d’un tel effet direct suppose
que les dispositions de la directive soient inconditionnelles et suffisamment
précises.
Par contre, les directives sont normalement dépourvues d’ effet direct
horizontal*, ce qui signifie qu’un particulier ne peut en principe se prévaloir des
dispositions d’une directive non ou mal transposée à l’encontre d’un autre
particulier pour lui imposer une obligation. S’il en était autrement, la directive
serait d’application immédiate à la manière d’un règlement. Toutefois, le juge
national peut être tenu de prendre la directive en considération pour trancher un
litige entre particuliers, notamment pour écarter l’application d’une législation
nationale contraire à la norme européenne ou pour interpréter le droit interne dans
un sens conforme à la directive (interprétation conciliante). En pratique, cela
revient en quelque sorte à reconnaître un certain effet direct horizontal aux
directives.
L’État qui ne transpose pas une directive dans le délai requis engage en
outre sa responsabilité* et s’expose à une action en manquement* au niveau
européen.

2. La procédure législative ordinaire

La procédure législative ordinaire constitue la procédure de droit commun


pour l’adoption des règlements et des directives67. Fondée sur un principe de parité
entre le Parlement européen et le Conseil, elle implique qu'aucune décision ne
puisse se prendre sans l’accord commun des deux institutions.

La procédure législative ordinaire se déroule suivant les étapes suivantes :

(1) La Commission présente une proposition de texte.


(2) Le Parlement arrête une position sur cette proposition.
(3) Le Conseil statue à la majorité qualifiée :
• s’il suit entièrement la position du Parlement, le texte est adopté ;
• sinon, il adopte sa position en première lecture et la transmet au
Parlement.

67 Art. 294 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

(4) Dans un délai de trois mois, le Parlement :


• soit approuve la position du Conseil à la majorité des suffrages ou ne se
prononce pas, et le texte est adopté ;
• soit la rejette à la majorité des suffrages, et le texte est réputé non
adopté ;
• soit propose, à la majorité des suffrages, des amendements.

(5) La Commission émet un avis sur le texte amendé et :


• soit le Conseil approuve le texte amendé à la majorité qualifiée, et le texte
est adopté ;
• soit le Conseil n’approuve pas tous les amendements à la majorité
qualifiée, et le comité de conciliation est convoqué.
(6) Le comité de conciliation est composé de manière paritaire entre membres
du Conseil et parlementaires. Il a pour mission d’aboutir à un accord sur un
texte commun dans un délai de six semaines. Pour cela, il faut réunir une
majorité qualifiée parmi les membres du Conseil et une majorité absolue
parmi les parlementaires. Dans ce processus de rapprochement, le comité de
conciliation est assisté par la Commission.
Ainsi, dans la procédure législative ordinaire, la Commission est seule à disposer
de l’initiative législative. Le Conseil a une place prépondérante dans la prise de
décision, mais le Parlement est en mesure de bloquer le processus de décision. La
procédure législative ordinaire requiert la réunion d’une majorité qualifiée au
niveau du Conseil. La majorité qualifiée doit rassembler 55 % des États membres
(soit au moins 16 États) qui doivent représenter 65 % de la population
européenne68. Les États acceptent donc de limiter leur autonomie à deux points de
vue : d’une part, ils perdent l’initiative de la norme ; d’autre part, ils renoncent à
leur droit de veto au Conseil.

Le contrôle juridictionnel

1. La Cour de justice de l’Union européenne

L’Union européenne compte une juridiction permanente, la Cour de justice


de l’Union européenne (CJUE) qui comprend la Cour de justice (au sens strict) et
le Tribunal de l’Union.
La Cour de justice de l’Union européenne, parfois désignée sous l’appellation
« Cour de Luxembourg » en raison de la localisation de son siège, a pour fonction

68 Art. 16 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

essentielle d’interpréter le droit de l’Union européenne et de maintenir une


interprétation uniforme de ce droit.
La Cour de justice (au sens strict) est composée d’un magistrat par État
membre et de 11 avocats généraux, nommés pour 6 ans, renouvelable. Elle est
appelée à connaitre des contentieux les plus importants, tels que les renvois
préjudiciels, les recours en manquement ou les pourvois contre les décisions du
Tribunal.
Créé en 1988 pour désengorger la Cour de justice, le Tribunal de l’Union est
principalement saisi dans le cadre de recours en annulation, de recours en
responsabilité extracontractuelle ou encore de recours en lien avec la fonction
publique européenne. Il connaît notamment de tous les litiges liés à l’application
des règles européennes de concurrence (constitution de monopoles, abus de
position dominante, etc.). Dans ce cadre, il peut être saisi par les particuliers
(personnes physiques et morales) qui introduisent des recours contre les décisions
prises à leur encontre par la Commission européenne. Les décisions du Tribunal
de première instance ne sont susceptibles de recours devant la Cour de justice que
de manière exceptionnelle. Le Tribunal de l’Union compte deux juges par État
membre, nommés pour 6 ans, renouvelable.

2. Les contentieux de l’Union européenne

La Cour de justice de l’Union européenne connait de recours liés au maintien


de l’ordre juridique de l’Union européenne. Ceux-ci peuvent être regroupés en trois
catégories en fonction de l’objectif qu’ils poursuivent :
- les recours destinés à sanctionner les infractions des États membres au droit
de l’Union européenne : les recours en manquement ;
- les recours introduits contre les actes (ou les abstentions) des institutions
européennes : les recours en annulation, les recours en carence et les recours
en responsabilité ;
- la procédure de coopération entre le juge national et le juge européen : le
renvoi préjudiciel en interprétation et le renvoi préjudiciel en appréciation
de validité.

Recours en manquement

Les États membres violent parfois le droit de l’Union, par exemple en


adoptant une législation nationale contraire au droit européen ou en ne
transposant pas une directive* dans le délai imparti. La Commission a pour
mission de remédier à de telles situations. Dans l’hypothèse où l’État refuse
d’obtempérer suite à une procédure « à l’amiable », la Commission est habilitée à
introduire un recours en manquement devant la Cour de justice. Si la violation du
droit européen est avérée, la Cour prononce un arrêt en constatation de
manquement. En cas de non-respect de cette décision, l’État pourra à nouveau être
condamné par la Cour qui cette fois pourra assortir sa décision d’une astreinte*

DROI-C-1001 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 70


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

qui consiste en une somme d’argent à payer chaque jour par l’État tant qu’il
n’obtempère pas.

Recours en annulation, recours en carence et recours en


responsabilité

Lorsque les institutions européennes ne respectent pas le droit européen, les


États membres, les autres institutions et les particuliers concernés disposent de
plusieurs recours adaptés à différents cas de figure.
Le recours en annulation tend à faire annuler une norme ou un acte
juridique pris par une institution européenne en violation du traité. Cette violation
peut être tirée de l’incompétence de l’institution, du non-respect de la procédure de
l’acte incriminé, etc.
Le recours en carence vise à faire constater une abstention fautive de statuer
dans le chef d’une institution européenne. En d’autres termes, il s’agit de
stigmatiser une institution qui s’abstient de prendre un acte ou une décision alors
qu’elle est tenue de le faire.
Le recours en responsabilité permet de condamner les institutions
européennes pour les dommages causés par les institutions européennes ou leurs
agents dans l’exercice de leurs fonctions. Ce recours suppose que le requérant
établisse les trois éléments de la responsabilité : la faute*, le dommage* et le lien
de causalité* entre la faute et le dommage.

Renvoi préjudiciel

Le droit de l’Union européenne est en vigueur sur le territoire des États


membres et est donc appliqué, au premier chef, par les juridictions de ces États. Il
importe donc de veiller à l’application uniforme de ce droit par ces juges nationaux.
Autrement dit, les interprétations divergentes du droit européen doivent être
évitées sous peine d’en compromettre l’intégrité.
Le renvoi préjudiciel vise à répondre à cette exigence. Lorsqu’une disposition
de droit européen est applicable au litige soumis à un juge national et que ce
dernier s’interroge sur la portée de cette disposition, il posera une question
préjudicielle en interprétation à la Cour de justice. En attendant la réponse, il
devra surseoir à statuer. Il sera lié par l’arrêt de la Cour de justice.
Le juge national peut également poser une question préjudicielle à la Cour
de justice lorsqu’il se demande si la disposition européenne de droit dérivé*
applicable au litige viole les traités (droit primaire*). Dans une telle hypothèse, il
posera une question en appréciation de validité à la Cour et sera tenu d’écarter la
disposition incriminée si la Cour conclut à son incompatibilité avec les traités.
Cette dernière procédure a inspiré le législateur belge lorsqu’il a institué la
Cour constitutionnelle*. Le contentieux des questions préjudicielles dont connaît
cette juridiction a été calqué sur le contentieux préjudiciel en appréciation de
validité devant la Cour de justice.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le Conseil de l’Europe

Origine et finalité du Conseil de l’Europe

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une dizaine d’États


européens69 ont souhaité renforcer les valeurs démocratiques dans un continent
particulièrement éprouvé par le totalitarisme nazi et l’horreur de l’Holocauste. Ils
se sont réunis à Londres en 1949 pour créer le Conseil de l’Europe, une
organisation internationale dont la vocation première est de promouvoir et de
favoriser la liberté et la démocratie en Europe. À cette occasion, il a clairement été
affirmé que le respect des droits fondamentaux constitue une condition sine qua
non à l’instauration d’un régime démocratique.
Seuls les pays qui répondent aux conditions d'adhésion, à savoir une
démocratie pluraliste, la primauté du droit et le respect des droits de l'homme,
peuvent devenir membres du Conseil de l’Europe. À partir du début des années
nonante, le Conseil de l’Europe a connu une grande avancée avec l’adhésion de plus
de vingt pays d’Europe centrale et orientale. Aujourd’hui 47 États en font partie70.
Le Conseil de l’Europe est une organisation intergouvernementale de
coopération, c’est-à-dire un lieu d’impulsion pour l’élaboration de nouveaux traités.
In fine, il appartient à chaque État membre de signer et d’adhérer aux conventions
internationales élaborées au sein du Conseil de l’Europe. Ces traités entendent
promouvoir l’action commune des États membres dans les domaines économique,
social, culturel, juridique ou administratif. Ces thèmes sont toujours abordés avec
les droits de l’homme en toile de fond.
Le rayonnement international du Conseil de l’Europe est lié, au premier
chef, à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (communément appelée Convention européenne des droits
de l’homme), signée à Rome le 4 novembre 1950. Cette Convention met en place un
système régional de protection des droits de l’homme particulièrement abouti dont
l’effectivité est largement tributaire du contrôle juridictionnel assuré par la Cour
européenne des droits de l’homme. Les individus peuvent directement saisir cette
juridiction pour dénoncer les violations de la Convention par les États.
La Convention européenne des droits de l’homme est si étroitement associée
au Conseil de l’Europe qu’aucun État ne peut prétendre appartenir à cette
organisation sans avoir signé et ratifié ce texte. Cette Convention est, par ailleurs,
complétée par des protocoles additionnels qui sont soumis à la libre signature des
États membres71.

69Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et


Suède.
70 Voy. la liste à la fin des développements de ce point II.
71 Voy., par exemple, le Protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l'homme, relatif à
l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances (2 mai 2002).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La Cour européenne des droits de l’homme

1. Recours

Les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme sont


directement applicables dans tous les États membres du Conseil de l’Europe, et
donc notamment en Belgique. Ceci signifie que tout un chacun peut invoquer,
devant le juge belge, une violation, par l’État belge, des droits de l’homme
consacrés par cette Convention. La Cour européenne des droits de l’homme
chapeaute le système juridictionnel de la Belgique, comme celui de l’ensemble des
États membres du Conseil de l’Europe. Établie à Strasbourg (et souvent désignée
sous le terme « Cour de Strasbourg »), la Cour européenne des droits de l’homme
garantit l’application effective de la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans l’hypothèse où un particulier n’a pas obtenu qu’un juge national
reconnaisse la violation alléguée d’une disposition de la Convention européenne
des droits de l’homme, il peut, en ultime recours, saisir la Cour européenne des
droits de l’homme. Pour ce faire, deux conditions de recevabilité doivent être
remplies. D’une part, un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme
n’est recevable que si le requérant a épuisé toutes les voies de recours internes, en
ce sens qu’il a porté son affaire devant les différents degrés de juridiction mis à sa
disposition à l’échelle nationale. D’autre part, afin de protéger la sécurité
juridique*, un recours n’est recevable que dans un délai de 6 mois à compter de la
décision de l’instance nationale qui a statué en dernier ressort.
Le procès oppose le plus souvent un particulier à un État. Les États
membres du Conseil de l’Europe sont toutefois habilités à introduire des recours
contre d’autres États membres pour dénoncer des violations à la Convention
européenne des droits de l’homme. En pratique, les requêtes étatiques sont
rarissimes. Afin de maintenir de bonnes relations diplomatiques, les États sont
très réticents à critiquer ce qui se passe chez leurs voisins.

2. Arrêt, opinions dissidentes et opinions concordantes

La Cour européenne des droits de l’homme est composée d’autant de juges


que d’États membres. Le siège est généralement formé par sept juges dont le
magistrat ressortissant de l’État attaqué. En Grande Chambre, le siège compte 17
juges. La décision se prend à la majorité, avec la particularité que chaque juge est
habilité à joindre à l’arrêt sa propre « opinion », c’est-à-dire une argumentation
relative à l’affaire qui n’est pas reprise dans la motivation de l’arrêt. On appelle
cette opinion particulière, une opinion séparée. Il s’agit le plus souvent d’une
opinion dissidente émanant d’un juge de la minorité, mais ce peut être une opinion
concordante émanant d’un juge qui se rallie à l’avis majoritaire, mais pour des
motifs spécifiques différents de la motivation* de l’arrêt.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Si la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’État attaqué a


violé un des droits garantis par la Convention, elle lui ordonne de mettre fin à cette
violation et, parfois, elle le condamne à verser une « satisfaction équitable » au
requérant. Elle n’est par contre aucunement habilitée à casser ou à réformer la
décision de l’État condamné. L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
n’en est pas moins contraignant. Il appartient à l’État de mettre un terme à la
violation dénoncée par la mesure qu’il juge appropriée : changer la loi, verser une
indemnité, modifier la situation du requérant, etc.
Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne sont pas toujours
exécutés même si nombreux sont les États qui ne souhaitent pas s’exposer à une
deuxième condamnation et être stigmatisé comme le « mauvais élève » au sein du
Conseil de l’Europe.

3. Jurisprudence

La Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle fondamental dans la


pratique, non seulement pour veiller à l’application effective de la Convention,
mais aussi pour interpréter ses dispositions de manière constructive et uniforme
dans l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Elle répète à l’envi
que la Convention européenne des droits de l’homme est « un instrument vivant »
qui doit se lire « à la lumière des conditions de vie actuelle ». On dit que ses arrêts
sont revêtus de l’autorité de la chose interprétée. Ainsi, lorsqu’elle condamne un
États au motif que son droit national n’est pas conforme à la Convention, tous les
États dont le droit national est semblable sur le point considéré par la Cour sont
également amenés à le réformer pour éviter une condamnation ultérieure.
Sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne, la Belgique a dû
modifier certains de ses textes législatifs. Ainsi, par exemple, la loi du 31 mars
198772, octroyant les mêmes droits aux enfants qu’ils soient nés (enfants légitimes)
ou pas (enfants naturels) dans les liens du mariage fait suite à une condamnation
de la Belgique par la Cour de Strasbourg dans l’arrêt Marckx73. À cette occasion,
la Cour européenne a considéré que l’État belge violait le droit au respect de la vie
familiale en refusant l’établissement du lien de filiation entre un enfant naturel et
ses grands-parents. De même, c’est au nom du respect du droit à la vie privée que
l’Irlande du Nord a dû, dans les années quatre-vingt, modifier sa législation qui
érigeait en infraction les relations homosexuelles entre adultes consentants74.
L’absence d’un cadre légal spécifique permettant d’apporter des restrictions
à un droit protégé par la Convention est également un motif de condamnation.
Dans l’arrêt RTBF75, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la
Belgique pour avoir interdit préventivement, par décision de justice, la diffusion

72 Loi du 31 mars 1987 sur la filiation, MB, 27 mai 1987.


73 Cour eur. dr. h., Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, Série A, n°31.
74 Cour eur. dr. h., Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981.
75 Cour eur. dr. h., RTBF c. Belgique, 29 mars 2011.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

d’un documentaire au motif qu’il portait atteinte à la réputation professionnelle


d’un médecin. La Cour a considéré que cette ingérence constituait une violation du
droit à la liberté d’expression, car elle n’était pas prévue par la loi mais reposait
au contraire sur une jurisprudence contestée des juges des référés76.

76Sur cet arrêt, voy. B. FRYDMAN et C. BRICTEUX, « L’arrêt RTBF c. Belgique : un coup d’arrêt au
contrôle judiciaire préventif de la presse et des médias », Revue trimestrielle des droits de l’homme,
2013, pp. 331-350.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les 47 États membres du Conseil de l'Europe


Voy. le site officiel du Conseil de l’Europe : http://www.coe.int/web/portal/country-profiles

Albanie (13.07.1995) Liechtenstein (23.11.1978)


Allemagne (13.7.1950) Lituanie (14.5.1993)
Andorre (10.11.1994) Luxembourg (5.5.1949)
Arménie (25.1.2001) Malte (29.4.1965)
Autriche (16.04.1956) Moldova (13.7.1995)
Azerbaïdjan (25.1.2001) Monaco (5.10.2004)
Belgique (5.5.1949) Monténégro (11.05.2007)
Bosnie-Herzégovine (24.04.2002) Norvège (5.5.1949)
Bulgarie (7.5.1992) Pays-Bas (5.5.1949)
Chypre (24.5.1961) Pologne (26.11.1991)
Croatie (6.11.1996) Portugal (22.9.1976)
Danemark (5.5.1949) République tchèque
Espagne (24.11.1977) (30.6.1993)
Estonie (14.5.1993) Roumanie (7.10.1993)
Finlande (5.5.1989) Royaume-Uni (5.5.1949)
France (5.5.1949) Fédération de Russie
Géorgie (27.4.1999) (28.2.1996)
Grèce (9.8.1949) Saint-Marin (16.11.1988)
Hongrie (6.11.1990) Serbie [*] (3.4.2003)
Irlande (5.5.1949) Slovaquie (30.6.1993)
Islande (7.3.1950) Slovénie (14.5.1993)
Italie (5.5.1949) Suède (5.5.1949)
Lettonie (10.2.1995) Suisse (6.5.1963)
Macédoine du Nord (9.11.1995) Turquie (9.8.1949)
Ukraine (9.11.1995)

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L’Organisation des Nations Unies

Le droit international public

1. Notion

Le droit international public* est « le droit applicable à la société


internationale »77. Il désigne le « ius inter gentes », c’est-à-dire le droit applicable
dans les relations entre les États.
Le droit international, dans la forme où nous le connaissons, s’est développé
en Europe à partir des XVIe et XVIIe siècles. La Réforme et les guerres de religion
ont finalement eu raison du rêve de l’Empire européen chrétien et conduit à la
reconnaissance d’États-nations indépendants et souverains, dont les relations,
tant dans la paix que dans la guerre, sont désormais réglées, en dehors des
instances religieuses, par le droit. Le droit international coordonne les relations
entre ces entités souveraines, spécialement par la voie des traités.
Au XXe siècle, le développement du droit international s’accélère de manière
spectaculaire. Les traités se multiplient et s’étendent à toutes les matières, tandis
qu’ils s’élargissent à un nombre croissant d’États indépendants. En outre, ces
États créent de nombreuses organisations internationales auxquelles ils confient,
avec des pouvoirs et des institutions très variables, la gestion d’intérêts communs.
L’Organisation des Nations Unies, qui a pris le relais de la Société des Nations à
la fin de la seconde guerre mondiale, rassemble presque tous les États et symbolise
la « communauté internationale » formée par ceux-ci.
L’élaboration des normes dans l’ordre international diffère sensiblement de
l’ordre interne. Cette différence est fonction de l’équilibre et de l’organisation
politiques. L’ordre international repose sur les principes de souveraineté et
d’égalité des États, qui en sont les principaux sujets de droit. Il n’existe pas dans
l’ordre international d’autorité centrale dotée de pouvoirs comparables à ceux de
l’État dans l’ordre interne. Aussi, la source écrite la plus importante dans l’ordre
international est le traité ou la convention, qui enregistre l’accord de deux ou
plusieurs États. Cependant, les organisations internationales, créées par les États,
peuvent se voir reconnaître un pouvoir réglementaire spécifique.

77 Q.D. NGYEN et P. DAILLIER, Droit international public, Paris, L.G.D.J., 6e éd., 1999, p. 35.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

2. Les traités ou conventions internationales

Un traité international* est « un accord international conclu par écrit entre


États et régi par le droit international »78.
Dans la pratique internationale, les traités reçoivent des dénominations très
variables : convention, pacte, charte, protocole, accord, etc. Ces différentes
qualifications n’influent pas sur la nature juridique de l’acte. Par contre, les traités
doivent être distingués de simples déclarations dépourvues d’effet juridique
obligatoire. Tel est le cas, par exemple, de la Déclaration universelle des droits de
l’homme (1948).
Dans son principe, le traité ressemble à un contrat. Toutefois, en raison de
la qualité des parties et de l’importance de leurs responsabilités, les traités
internationaux obéissent à un régime spécifique, notamment sur le plan de leur
procédure d’élaboration. Le régime juridique des traités internationaux est lui-
même régi par une convention internationale particulière : la Convention de
Vienne sur le droit des traités (1969). On distingue en outre plusieurs catégories
de traités.

Catégories de traités

Quant à leur objet, on peut distinguer trois catégories de traités.


1°) Les traités-contrats, un peu à la manière des conventions de droit privé,
fixent des obligations et des prestations réciproques aux parties. Tel est le
cas, par exemple, d’un traité de paix, qui peut prévoir la cession ou
l’attribution d’un territoire contesté, ou d’un traité de commerce, qui prévoit
l’octroi d’avantages particuliers réservés aux ressortissants des États
parties.
2°) Les traités-lois ont pour objet d’établir des règles communes que les États
s’engagent, soit à respecter entre eux dans l’ordre international, soit à
intégrer dans leur ordre interne, par exemple sous la forme d’une loi
uniforme. La matière des droits humains est ainsi couverte par d’importants
traités-lois : au niveau mondial, le Pacte de l’ONU sur les droits civils et
politiques (1966) et le Pacte de l’ONU sur les droits économiques, sociaux et
culturels (1966) ; au niveau européen, la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1950).
3°) Il existe enfin des traités-institutions par lesquels les États parties créent
et adhèrent à une nouvelle organisation internationale. Tel est le cas de la
Charte des Nations Unies (1945) ou des traités instituant les Communautés
et l’Union Européenne. Les traités-institutions ont à l’égard des
organisations qu’ils instituent la valeur d’un acte constitutionnel. Ils
peuvent attribuer à ces organisations le pouvoir d’édicter elles-mêmes des
actes réglementaires.

78 Art. 2. 1. a. de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Sur le plan formel, on distingue les traités bilatéraux*, conclus entre deux
États, et les traités multilatéraux*, qui en lient plusieurs. Les traités-lois et les
traités-institutions sont logiquement multilatéraux. Les traités-contrats peuvent
être soit bilatéraux, soit multilatéraux, en fonction de leur objet ou de la politique
suivie par l’État dans le domaine des relations internationales. Ainsi, en matière
de commerce, les traités bilatéraux constituent des accords particuliers, qui
favorisent des relations privilégiées, alors que les traités multilatéraux tendent à
constituer des zones d’échange pour le développement du commerce international.
La tendance de ce point de vue est sans aucun doute au multilatéralisme. Les
traités multilatéraux d’abaissement des barrières douanières et autres obstacles
aux échanges79 ont débouché sur la création d’une institution spécifique chargée
de libéraliser le commerce international : l’Organisation Mondiale du Commerce
(Traité de Marrakech, 1991).

Procédure d’élaboration des traités


1°) Dans l’ordre international
La conclusion d’un traité s’effectue en principe en deux temps : la signature
et la ratification.
Lorsque les négociations aboutissent, les représentants plénipotentiaires
des États procèdent à la signature du traité. La signature détermine la date du
traité.
En principe, la signature ne lie pas encore les États signataires80. Ceux-ci
ne s’engagent véritablement que par la ratification du traité. Un intervalle plus ou
moins long, parfois de plusieurs années, peut séparer la signature de la
ratification. Certains traités ne sont jamais ratifiés par leurs signataires.
Toutefois, les traités conclus en forme simplifiée, qui sont de plus en plus
nombreux, suppriment l’exigence de ratification et engagent par leur seule
signature.
Lorsqu’un État adhère à un traité, il peut assortir son accord de réserves
par lesquelles il limite son engagement, par exemple en s’exonérant de telle ou telle
clause du traité. Il faut être particulièrement attentif à ces réserves qui sont de
pratique courante dans l’ordre international. Il ne suffit donc pas de constater
qu’un État est partie à un traité pour en déduire qu’il est automatiquement lié par
l’ensemble de ses clauses. Encore faudra-t-il vérifier qu’il n’a pas formulé telle ou
telle réserve sur le point en discussion.
Enfin, il faut encore distinguer la signature et la ratification des traités de
leur entrée en vigueur effective. Les conditions d’entrée en vigueur sont fixées par
les traités eux-mêmes. En ce qui concerne les traités multilatéraux, spécialement
les traités-lois et les traités-institutions, l’entrée en vigueur est généralement

79 Négociés généralement dans le cadre du G.A.T.T. ( General Agreement on Tariffs and Trade).
80Si ce n’est qu’il engage les États signataires à ne pas adopter de comportement contraire à l’objet
et au but du traité (art. 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

subordonnée à l’enregistrement d’un nombre significatif de signatures ou de


ratifications.

2°) Dans l’ordre interne


La procédure de conclusion en deux temps a pour but de permettre, dans
l’intervalle entre la signature et la ratification, l’acceptation du traité dans l’ordre
interne. Le pouvoir de négocier et de conclure des traités constitue généralement
une prérogative de l’exécutif. En Belgique, au niveau fédéral, il appartient au Roi
de conclure les traités (art. 167, § 2, de la Constitution). Les traités sont soumis à
la Chambre des représentants qui donne son accord sous la forme d’une loi
d’assentiment. Il s’agit d’une loi formelle*, qui ne peut modifier ou amender les
clauses du traité. Il n’est en effet plus concevable à ce stade de revenir sur les
clauses du traité lui-même. L’assentiment de la Chambre permet à l’exécutif de
procéder à la ratification* du traité au niveau international.
Pour être obligatoires dans l’ordre interne, les traités doivent encore être
publiés. Ils sont publiés au Moniteur belge, en annexe de la loi d’assentiment. La
Cour de cassation a décidé qu’un traité non publié, ou publié seulement par
mention, ne liait pas les sujets de droit belge81.
Les régions et les communautés ont également le pouvoir de conclure des
traités dans leur domaine de compétence propre (art. 167, § 3, de la Constitution).
Les traités sont conclus par le gouvernement régional ou communautaire, et
soumis à l’assentiment de l’assemblée.
Le Roi dirige cependant les relations internationales (art. 167, § 1 er, de la
Constitution) et conserve la haute main en cas de difficulté. Il dispose ainsi du
pouvoir de se substituer temporairement aux autorités fédérées pour garantir le
respect des engagements supranationaux ou internationaux du pays (art. 169 de
la Constitution). Cette disposition se justifie par l’unité de la personnalité juridique
de l’État belge sur le plan international, qui doit éviter que la multiplicité des
autorités habilitées à conclure des traités ne l’amène à contracter des engagements
contradictoires.

3. Les actes des organisations internationales

Les traités instituant des organisations internationales peuvent conférer à


celles-ci ou à certains de leurs organes le pouvoir d’édicter des actes de portée
réglementaire. Ces actes sont susceptibles d’engager les États membres, mais
aussi les particuliers. Les actes législatifs des institutions européennes en
fournissent d’excellents exemples.
Comme dans l’ordre interne, il faut distinguer les véritables actes législatifs
ou réglementaires des décisions ou injonctions à caractère individuel. En pratique
toutefois, cette distinction n’est pas toujours aisée. Ainsi, les résolutions du Conseil

81Cass., 11 décembre 1953 (Pas., 1954, I, p. 298) et Cass., 19 mars 1981 (J.T., 1982, p. 565, note
Verhoeven).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

de sécurité de l’ONU dans le cadre de sa mission de maintien de la paix (chapitre


VII de la Charte des Nations Unies) constituent des mesures ou actions à caractère
ponctuel. Tel est le cas, notamment, d’une résolution condamnant l’agression
commise par un État contre un autre, imposant l’arrêt des hostilités ou
contraignant un État à subir une mesure d’inspection. On note cependant depuis
quelques temps une tendance au Conseil de sécurité à édicter, à l’occasion de
l’exercice de sa mission, des normes à caractère réglementaire qui prétendent régir
les comportements des États dans l’ordre international.

Origine et finalité de l’ONU

L’Organisation des Nations Unies (ONU) a été fondée au lendemain de la


seconde guerre mondiale, le 24 octobre 1945, par 51 pays en vue principalement de
préserver la paix au moyen de la coopération internationale. Aujourd’hui, l’ONU
compte 193 membres, c’est-à-dire presque l’ensemble des États du monde. Alors
que l’Union européenne ou le Conseil de l’Europe sont des organisations
internationales régionales, l’ONU constitue véritablement une organisation
universelle.
Tout État membre de l’ONU est lié par le traité fondateur de cette
institution, à savoir la Charte des Nations Unies. En ratifiant cette Charte, chaque
État s’engage à régler ses différends par des moyens pacifiques et à s’abstenir de
recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre d’autres États. En vertu de
l’article 1er de cette Charte, les objectifs poursuivis par l’ONU sont les suivants :
« 1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin :
prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et
d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou
autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques,
conformément aux principes de la justice et du droit international,
l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de
caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la
paix ;

2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le


respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à
disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à
consolider la paix du monde ;

3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes


internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou
humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits
de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction
de race, de sexe, de langue ou de religion ;

4. Être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins
communes ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Dans cette perspective, les actions de l’ONU sont multiples et variées :


1° élaboration de conventions internationales ou soutien à des négociations
multilatérales entre États ;
2° actions de maintien de la paix, et notamment, l’envoi de casques bleus pour
assurer la surveillance d’un cessez-le-feu, pour créer une zone tampon, etc. ;
3° autorisation du recours à la force ;
4° soutien ou assistance à la tenue d’élections nationales au lendemain d’un
conflit ;
5° mobilisation de fonds à la suite d’une catastrophe naturelle ; etc.

Principaux organes de l’ONU

L’Organisation des Nations Unies n’est pas un « super État mondial » doté
d’un pouvoir législatif, d’un pouvoir exécutif et d’un pouvoir judiciaire, mais une
enceinte privilégiée de concertation et de collaboration entre les États de la
communauté internationale. Afin de remplir ses différentes missions, l’ONU
dispose de plusieurs organes permanents à New-York. Les principaux sont
l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Secrétaire général et la Cour
internationale de justice qui siège à La Haye.

1. L’Assemblée générale

L’Assemblée générale compte un représentant par État membre. Elle est


volontiers désignée comme le « parlement des nations » puisque tout État se voit
attribuer une voix. Les représentants des États ne sont cependant pas élus et
l’Assemblée générale ne dispose d’aucun pouvoir réel de sanction. L’Assemblée
générale ne peut imposer aucune mesure à un État. Elle agit uniquement par voie
de recommandation ou de déclaration. Dans la pratique, elle émet, au moyen de
résolutions*, de nombreuses recommandations sur des questions variées : les
conséquences de la mondialisation, les mesures de lutte contre le sida, les
différents conflits armés dans le monde, etc.

2. Le Conseil de sécurité

Le Conseil de sécurité constitue le véritable organe de décision. Il est


responsable, au premier chef, du maintien de la paix et de la sécurité
internationale. Il dispose d’un pouvoir de coercition en ce sens qu’il peut prendre
des mesures pour faire appliquer ses décisions : imposer des sanctions
économiques, décider d’un embargo, envoyer des casques bleus, autoriser les États
à recourir à la force, etc.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le Conseil de sécurité compte quinze membres, parmi lesquels figurent cinq


membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) et dix
membres non permanents élus par l’Assemblée générale pour deux ans.
Les normes juridiques adoptées par le Conseil de sécurité sont dénommées
résolutions*. Celles-ci sont prises à la majorité de neuf membres, mais chaque
membre permanent dispose d’un droit de veto.

3. Le Secrétaire général

Le Secrétaire général est la figure emblématique de l’ONU. Il est nommé


par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité pour 5 ans,
renouvelable une fois.
Le Secrétaire général joue un rôle important dans le maintien de la paix : il
attire l’attention du Conseil de sécurité sur des conflits potentiels ; il joue le rôle
de médiateur ; il recourt à la diplomatie discrète, dans les coulisses, soit
personnellement, soit par l’intermédiaire d’envoyés spéciaux ; etc.

4. La Cour internationale de justice

La Cour internationale de justice est chargée de régler, conformément au


droit international, les différends d’ordre juridique qui opposent des États. Elle est
composée de quinze juges élus conjointement par le Conseil de sécurité et
l’Assemblée générale pour neuf ans, sans qu’un État membre ne puisse compter
plus d’un ressortissant parmi les magistrats. Elle a son siège à La Haye.

Le système des Nations Unies

Un nombre considérable d’organisations et d’organes gravite dans la sphère


de l’ONU. On parle à cet égard du système des Nations Unies. Parmi ces organes
figurent des juridictions ainsi que de multiples organisations internationales.

1. Des juridictions

En réponse à des conflits où de nombreuses violations du droit humanitaire


ont été dénoncées, des juridictions non permanentes ont été créées par le Conseil
de sécurité. Ainsi le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie établi à La
Haye et le Tribunal pénal international pour le Rwanda basé à Arusha ont jugé
certaines des personnes accusées d’avoir commis, à l’occasion de ces conflits
particuliers, des crimes contre l’humanité ou des actes de génocide.
Par ailleurs, après d'intenses négociations et beaucoup d'efforts, la Cour
pénale internationale a formellement vu le jour en juillet 2002. Il s’agit d’une
juridiction permanente établie à La Haye qui a pour mission de connaître des

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

infractions les plus graves au droit humanitaire commises à travers le monde. Elle
est habilitée à juger toute personne accusée de crime de guerre, de crime contre
l’humanité ou de génocide dans l’hypothèse où les systèmes nationaux sont
défaillants pour en connaître. Tous les États ne reconnaissent toutefois pas la
compétence de cette nouvelle juridiction. Tel est le cas, notamment, des États-
Unis, de l’Inde, de la Chine et de la Russie qui comprennent la moitié de la
population de la planète. Les représentants de ces pays refusent que leurs
ressortissants soient déférés à la juridiction de la Cour pénale internationale pour
y être jugés.

2. De multiples organisations internationales

Une série d’organisations internationales, toutes liées d’une manière ou


d’une autre à l’ONU, forment dans une large mesure cet ensemble complexe et
multiforme qu’est le système des Nations Unies82.
Parmi celles-ci, on peut en distinguer de plusieurs sortes.
1° Les programmes et fonds des Nations Unies dont le but affirmé est d’améliorer
la situation économique et sociale des peuples :
- le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ;
- le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) ;
- le Programme alimentaire mondial (PAM) ; etc.
2° Les institutions spécialisées de l’ONU qui sont des organisations autonomes
créées par des accords intergouvernementaux et qui sont liées à l’ONU par des
accords de coopération :
- l’Organisation internationale du travail (OIT) qui tend à améliorer les
conditions de travail de par le monde ;
- l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
(UNESCO) qui œuvre notamment pour la protection du patrimoine culturel
mondial, la liberté de presse et de communication ;
- l’Office mondial de la santé (OMS) ;
- le Fonds monétaire international (FMI) ; etc.
3° Aux côtés de ces institutions spécialisées se trouvent également des
organisations apparentées à l’ONU comme :
- l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ;
- l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) ; etc.

82Voy. l’organigramme représentant le système des Nations Unies, disponible en ligne à l’adresse
suivante : https://www.un.org/fr/pdf/un_system_chart.pdf.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

État de droit et démocratie

L’importance de l’État de droit et de la démocratie doivent être compris en


relation avec la notion de puissance publique*. Ils en constituent les limitations
fondamentales.
La puissance publique désigne le pouvoir de l’État et des institutions
publiques de donner des ordres aux sujets de droit et de les faire exécuter par la
contrainte si nécessaire. La puissance publique recouvre :
1. les compétences reconnues aux pouvoirs publics d’édicter des règles, de
prendre des décisions à caractère obligatoire et de faire exécuter ces
décisions, le cas échéant par la contrainte ;
2. le monopole de la violence légitime reconnu aux pouvoirs publics, par l’usage
de la force publique ;
3. les moyens d’action considérables, humains, matériels et financiers dont
dispose l’administration, à savoir : les ressources fiscales, le personnel de la
fonction publique, et les biens du domaine public*. Le domaine public est la
partie du patrimoine des personnes publiques* qui est laissée à la
disposition du public ou affectée au service public*.
Les prérogatives des autorités publiques et de l’administration sont donc
considérables et sans commune mesure avec la position des particuliers. Il est donc
essentiel de veiller à ce que cette puissance publique soit exercée dans l’intérêt et
le respect de la société, des citoyens et de leurs droits. Trois notions juridiques
fondamentales permettent de veiller à cet objectif.
1. Le service public* qui impose que la puissance publique soit exercée
exclusivement dans l’intérêt général ou pour l’utilité publique. Le principe
de continuité du service public ou la loi d’égalité des usagers du service
public sont des déclinaisons fondamentales, en droit administratif*, de cette
exigence du respect de l’intérêt général par les autorités publiques.
2. L’État de droit*, c’est-à-dire un État dans lequel les pouvoirs publics ne
peuvent agir que sur la base et dans le respect des règles juridiques
auxquelles ils sont assujettis dans l’ensemble de leurs actions.
3. Enfin la démocratie* qui implique que les gouvernants n’exercent pas le
pouvoir pour leur compte propre, mais en tant que représentants des
citoyens, lesquels contrôlent l’exercice de la puissance publique et
participent dans certains cas à la décision publique.

Ce chapitre est plus particulièrement consacré aux notions d’État de droit


et de démocratie.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

SECTION 1 : ÉTAT DE DROIT

I. Notion

L’État de droit* désigne un régime politique dans lequel l’État, et plus


généralement les pouvoirs publics, sont assujettis au droit, tant dans l’exercice de
la puissance publique que dans les relations avec les particuliers. Dans l’État de
droit, l’action des pouvoirs publics est entièrement canalisée par le droit. Les
pouvoirs publics et l’administration n’ont d’autres pouvoirs que ceux qui leur sont
attribués par l’ordre juridique. L’exercice de la puissance publique suppose
toujours une compétence, qui procède d’une habilitation. La compétence doit en
outre être exercée dans le respect de la procédure et des conditions prévues par le
droit. En outre, les pouvoirs publics et l’administration doivent respecter, dans
l’exercice de leur action, les droits des particuliers, tels que ceux-ci sont garantis
par l’ordre juridique.
Dans sa définition classique, l’État de droit s’oppose à l’État de police*.
L’État de police utilise le droit comme un instrument d’action et un moyen de
commandement à l’égard des sujets de droit, mais s’exonère lui-même du respect
des règles qu’il édicte. Dans l’État de police, le droit ne limite donc pas les pouvoirs
d’appréciation et d’action du souverain qui utilise les moyens qu’il juge appropriés
pour atteindre les fins qu’il se propose83.
Dans un sens plus récent, l’État de droit ne désigne plus l’État qui se soumet
formellement à une règle quelconque, mais l’État qui respecte des règles
matérielles inspirées par un système de valeurs dont l’expression actuelle repose
sur les droits de l’homme (ou droits humains)* et la démocratie*.
Les trois notions d’État de droit, droits humains et démocratie apparaissent
donc souvent aujourd’hui comme indissociablement liées. Elles expriment
cependant, sur le plan juridique, des exigences distinctes, que l’on se gardera de
confondre. Ainsi, les rapports de l’État de droit et de la démocratie sont
complexes84. D’un côté, l’État de droit est une condition nécessaire au bon
fonctionnement d’une véritable démocratie. Cependant, l’État de droit apparaît
aussi comme « un dispositif d’encadrement et de canalisation du jeu politique »85,
qui est de nature à limiter la mise en œuvre de la volonté exprimée par la majorité.
L’État de droit est un concept dynamique, dont les exigences ne se sont
imposées que progressivement dans le fonctionnement de l’État, au cours d’un
processus long qui n’est pas encore achevé à ce jour. Parallèlement, la notion
rencontre un succès croissant, qui déborde à présent la sphère de l’État pour

83 R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, Paris, Sirey, 2 vol., 1920-
1922.
84 J. HABERMAS, Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1992.
85 J. CHEVALLIER, L’État de droit, Paris, Montchrestien, 1999, 3ème éd., pp. 7-8. Voy. aussi, mais
avec une autre formulation, 2010, 5ème éd., pp. 7-8.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

s’imposer au niveau des ordres juridiques européen et international. Ainsi, depuis


le Traité de Maastricht de 1992, l’Union européenne se définit comme une « Union
de droit » fondée sur les « principes de la liberté, de la démocratie, du respect des
droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’État de droit »86. Dans
l’ordre international, notamment au niveau des Nations Unies, l’État de droit est
désormais considéré comme une garantie essentielle et un élément de la bonne
gouvernance*. L’idée d’État de droit rejoint, au plan international, la notion
voisine mais distincte de « rule of law » issue de la common law, pour désigner une
société de droit gouvernée par le droit international et notamment le respect des
droits de l’homme.
Plus concrètement, en droit positif, le respect de l’État de droit implique la
réunion de quatre éléments principaux :
1. la séparation des pouvoirs ou, à tout le moins, leur division, en particulier
l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant, de nature à garantir
l’existence d’un recours effectif en cas de violation des normes juridiques par
les pouvoirs publics ou d’engagement de leur responsabilité (II) ;
2. le respect des principes généraux du droit qui constituent les fondements
nécessaires de l’ordre juridique ou qui apparaissent indispensables à sa mise
en œuvre et au respect des valeurs qu’il véhicule (III) ;
3. le respect de la hiérarchie des normes (IV) ;
4. la responsabilité des pouvoirs publics pour les dommages causés aux
particuliers (V).

86Préambule du Traité UE reprenant les termes de l’art. 6, § 1er du Traité CE. Voy. aussi art. 2, 6
et 21 TUE.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

II. La division des pouvoirs

Si la notion d’État de droit implique la soumission au droit de l’État et des


pouvoirs publics, qui en assurera l’effectivité dès lors que la puissance publique
concentre entre ses mains des forces considérables, sans commune mesure avec les
moyens des particuliers ? Faut-il faire confiance à l’État et à ceux qui le gouvernent
pour s’autolimiter ? Et comment garantir les citoyens contre les entreprises de
détournement de la puissance publique dirigées contre eux, au mépris du droit ?
La réponse à ces questions tient dans le principe de la séparation des
pouvoirs* dont Montesquieu a donné, dans L’Esprit des lois, la formule classique :
« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses,
le pouvoir arrête le pouvoir »87. C’est en vertu de ce principe que la Constitution
belge institue et organise trois pouvoirs indépendants : le pouvoir législatif, le
pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
De par sa formulation même, le principe de séparation des pouvoirs prête
cependant à une certaine confusion. Il a été longtemps interprété comme
impliquant un véritable cloisonnement entre les différents pouvoirs, empêchant
chacun de ceux-ci, en particulier le pouvoir judiciaire, d’interférer dans l’action des
autres pouvoirs, notamment du pouvoir exécutif. Ainsi comprise, la séparation des
pouvoirs ne favorise pas l’État de droit ; bien au contraire, elle y fait obstacle. À
une époque où ni le Conseil d’État ni la Cour constitutionnelle n’existaient, le
principe de séparation des pouvoirs fut mis en avant pour justifier l’absence du
contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, l’impossibilité pour le
pouvoir judiciaire d’annuler les actes illégaux de l’administration et l’impossibilité
de mettre en cause la responsabilité des pouvoirs publics en cas de faute. Dans ce
contexte, les particuliers se trouvaient bien démunis face aux excès et aux
manquements de la puissance publique. Ils n’avaient comme seule arme que
l’exception d’illégalité* (tirée de l’article 159 de la Constitution) pour demander au
juge de faire obstacle à l’application à leur endroit d’un règlement illégal ou
inconstitutionnel (infra, point IV).
Cette conception rigide de la séparation des pouvoirs a été reconnue
incorrecte. Elle ne correspond pas au système organisé par notre Constitution.
Celle-ci met en place des pouvoirs indépendants certes, mais qui collaborent et
interagissent. La Constitution divise les pouvoirs, bien plus qu’elle ne les sépare.
Elle confie des compétences spécifiques à des organes distincts, instaurant par là
même un système de freins et contrepoids (checks and balances) de nature à faire
obstacle aux abus. C’est ainsi que notre système institutionnel aménage les
relations entre le parlement et le gouvernement de manière à instaurer un
équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. La Constitution institue
en outre et surtout un pouvoir judiciaire indépendant, ainsi que d’autres
juridictions comme le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle, qui assurent aux

87 De l’Esprit des lois, L. XI, ch. 4.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

particuliers des recours effectifs en cas de violation du droit, d’excès ou de


manquements de la puissance publique.
Une telle conception de la division des pouvoirs et de leur soumission au
droit semble incompatible avec la notion de souveraineté*, du moins dans l’ordre
interne88. En droit international public*, la souveraineté constitue un principe
fondamental garantissant l’égalité formelle et l’indépendance des États. En droit
interne, elle désigne un pouvoir illimité, indivisible, permanent et absolu, qui
l’emporte sur tous les autres et que s’étaient attribués les monarques de l’Ancien
Régime89. À la Révolution, la souveraineté est symboliquement transférée du Roi
vers le peuple ou la nation, qui prennent ainsi leur destin politique entre leurs
mains. Au XIXe siècle, le pouvoir législatif, parce qu’il est composé notamment des
représentants de la nation, accapare cette souveraineté et revendique une
primauté à l’égard des autres pouvoirs, qui lui est d’ailleurs généralement
reconnue. Cette théorie ne trouve cependant aucun fondement dans la
Constitution90. Elle est incompatible avec l’État de droit dans la mesure où la
souveraineté, pour celui qui l’invoque, constitue toujours un moyen de s’affranchir
du respect du droit.
Au cours des dernières décennies, l’affirmation du pouvoir judiciaire et la
création de juridictions nouvelles, comme le Conseil d’État et la Cour
constitutionnelle, ont permis de renforcer sensiblement le contrôle effectif de la
hiérarchie des normes et la mise en œuvre de la responsabilité de la puissance
publique, marquant ainsi des progrès considérables dans la concrétisation de l’État
de droit.
L’indépendance acquise par le pouvoir judiciaire est toutefois remise en
cause, dans un contexte de déficit des finances publiques, par les politiques de
l’Exécutif qui, d’une part, réduisent sans cesse les moyens de la justice d’assurer
des missions de plus en plus nombreuses et, d’autre part, mettent en place un
contrôle managérial des juges et des juridictions, tout en modifiant les équilibres
et les garanties de la procédure.
La réduction drastique du budget de la justice en Belgique place celle-ci au
dernier rang des pays développés. Le gouvernement refuse, par exemple, de
nommer le nombre de magistrats fixés par la loi et n’accorde pas les financements
nécessaires à un traitement des détenus conformes à leurs droits et à la dignité
humaine. Cette pénurie ne permet plus aux institutions judiciaires d’exercer en
pratique leurs missions et de garantir l’effectivité de l’État de droit. Cette situation
provoque la colère du personnel pénitentiaire, des avocats et aussi des magistrats,
qui ont fait grève symboliquement pour la première fois depuis la première guerre

88 En ce sens, voy. notamment M. LEROY, « Requiem pour la souveraineté, anachronisme


pernicieux », Présence du droit public et des droits de l’homme, Mélanges offerts à Jacques Velu, t.
1er, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 91-106.
89 Le concept de souveraineté a été forgé au XVI e siècle par Jean Bodin (Les six livres de la
République, Livre I, ch. 8 « De la souveraineté »).
90 J. VELU, Droit public I. Le statut des gouvernants, Bruxelles, Bruylant, 1986, pp. 245 et s.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

mondiale, lorsqu’ils protestaient contre l’occupant allemand91. Le premier


président de la Cour de cassation en exercice a ainsi publiquement accusé le
gouvernement de détruire la Justice et de transformer le pays d’un État de droit
en un « État voyou »92.
En outre, le souci d’assurer une justice plus efficace et plus rentable conduit
à des réformes qui peuvent compromettre les garanties de la procédure et donc de
l’État de droit. Tel est le cas lorsqu’on porte atteinte aux garanties du procès
équitable comme le principe de l’égalité des armes entre la partie poursuivie au
pénal et le ministère public ou que l’on donne au ministère public des prérogatives
de plus en plus larges dans le règlement des affaires, qui devrait demeurer de la
seule responsabilité du juge.
Ce problème dépasse de loin la Belgique comme le montre la recrudescence
de mouvements populistes au XXIe et leur accession au pouvoir. Même dans des
pays où les fondements de l’État de droit étaient réputés solides, on assiste à des
guerres ouvertes entre le pouvoir exécutif et les juges, quand ce n’est pas des
attaques frontales contre l’indépendance de la justice ou un noyautage
systématique des institutions judiciaires.

III. Les principes généraux du droit

Définition et exemples

Les principes généraux du droit* sont des normes obligatoires qui procèdent
de l’ordre juridique lui-même, soit qu’ils en constituent les fondements nécessaires,
soit qu’ils apparaissent indispensables à sa mise en œuvre et au respect des valeurs
qu’il véhicule.
Les principes généraux du droit occupent une place très importante dans les
droits positifs contemporains. D’une part, les principes reconnus sont nombreux et
tendent à se multiplier ; d’autre part, ils sont très souvent invoqués par les juges
à l’appui de leurs décisions.
Parmi les principes généraux du droit reconnus, on peut citer par exemple :
▪ le principe de la souveraineté des États* en droit international ;
▪ le principe de subsidiarité* en droit européen ;
▪ le principe de continuité de l’État et du service public* ;

91 Les magistrats francophones se sont notamment mis en grève les 2 et 7 juin 2016.
92Propos du Premier président de la Cour de cassation, M. Jean Codt, tenus sur le plateau de la
RTBF : « Justice et État, c’est la même chose […] L’État se disloque en déchirant sa Justice (…)
Quel respect donner à un État qui marchande sa fonction la plus archaïque, qui est de rendre la
Justice ? Cet État n’est plus un État de droit, mais un État voyou » (rapportés par Le Soir, 15 mai
2016).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

▪ la séparation des pouvoirs* ;


▪ les principes d’égalité* et de non-discrimination* ;
▪ le principe de non-rétroactivité* des lois et règlements ;
▪ l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire* ;
▪ les droits de la défense* ;
▪ non bis in idem* (on ne peut pas juger deux fois au pénal une personne pour
les mêmes faits) ;
▪ l’abus de droit*.
Comme on le voit, les principes généraux du droit empruntent des formes
diverses.
1° Le principe peut être formulé dans un texte constitutionnel ou légal ou dans
une convention internationale. C’est le cas, par exemple, pour les droits de
la défense et plus largement pour le droit au procès équitable (art. 6 de la
Convention européenne des droits de l’homme), pour le principe d’égalité et
de non-discrimination (art. 10 et 11 de la Constitution), et pour le principe
de non-rétroactivité des lois (art. 2 du Code pénal et art. 2 du Code civil).
2° Le principe peut également prendre la forme d’une maxime ou d’un adage,
généralement en latin : non bis in idem. Cependant, tous les adages latins
ne constituent pas des principes généraux du droit, loin s’en faut.
3° Le principe s’exprime également fréquemment sous la forme d’un concept,
comme la continuité du service public ou l’abus de droit.
Les termes utilisés pour désigner ces principes accusent également un
certain flottement : « principes fondamentaux », « règles essentielles », « principes
généraux de droit », ou encore « principes » tout court. Il ne faut pas accorder une
trop grande importance à ces qualifications qui ne recouvrent pas des significations
différentes. On préférera cependant l’expression « principes généraux du droit »,
qui paraît la mieux fixée en pratique et est entérinée par la Cour de cassation.

Principes et règles

Les principes généraux du droit sont des normes juridiques. Ce sont donc
des règles de droit au sens large. Ils diffèrent cependant des règles de droit
ordinaires à la fois par leur champ d’application, leur source et leur mise en œuvre.
Sur le plan du champ d’application, les principes se signalent normalement
par leur caractère général. Les règles s’appliquent à des situations déterminées,
spécifiées dans l’hypothèse* de la règle ou son champ d’application. Au contraire,
les principes peuvent faire l’objet d’un nombre indéfini d’applications dans des
domaines variés.
Toutefois, si certains principes sont absolument généraux, d’autres sont
spécifiques à une branche du droit* particulière. Ainsi, le principe non bis in idem

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

en matière pénale et le principe de l’autonomie de la volonté en matière


contractuelle. Parfois même, on nomme « principes » des règles qui s’appliquent à
des situations déterminées. Tel est le cas, par exemple, de l’exception
d’inexécution* dans les contrats synallagmatiques*, qui a été qualifiée par la Cour
de cassation de principe général du droit93. L’appellation de principe exprime ici
soit l’importance de la règle, soit qu’elle ne trouve pas sa source dans la législation.
Les principes généraux du droit se distinguent encore des règles de droit
ordinaires par leur origine et leur rapport aux sources formelles, ainsi que par les
modalités de leur mise en œuvre dans la solution des contestations et des questions
de droit.

Origine et découverte

Les principes généraux du droit se distinguent des règles non seulement par
leur portée mais encore par leur origine. Alors que les règles sont normalement
établies par la législation au sens large*, les principes généraux du droit procèdent
directement de l’ordre juridique considéré comme système. Ces normes sont en
quelque sorte exigées par le système juridique, où elles existent en puissance.
Comme la mission de systématiser le droit lui incombe, la doctrine*
contribue de manière importante à la découverte des principes généraux du droit.
Elle est puissamment aidée dans cette tâche par la jurisprudence* qui joue un rôle
de filtre dans la formulation et la consécration des principes dont elle a besoin pour
assurer la mise en œuvre du droit.

Reconnaissance et force obligatoire

Si les principes généraux peuvent trouver un support dans les textes


législatifs, qui soit les énoncent, soit en fournissent une application particulière,
soit y renvoient, tel n’est pas le cas pour tous les principes. Les principes généraux
du droit apparaissent ainsi comme des normes obligatoires et importantes, au
champ d’application très étendu, mais établies en dehors et indépendamment des
procédures définies par la Constitution pour l’élaboration des normes juridiques.
L’existence, la validité et l’effectivité des principes généraux du droit sont
néanmoins certaines. Ils sont consacrés par la jurisprudence qui leur confère
« force législative »94, voire une portée constitutionnelle.

93 Cass., 15 juin 2000, Pas., 2000, I, n° 372 et notes.


94 L’expression « force législative » a été utilisée par le procureur général GANSHOF VAN DER
MEERSCH dans sa mercuriale précitée de 1970. Reprise par le procureur général VELU, elle l’est
également par la meilleure doctrine, notamment l’étude précitée de P. VAN OMMESLAGHE sur les
principes généraux ainsi que l’ouvrage de X. DIEUX, Le respect dû aux anticipations légitimes
d’autrui, essai sur la genèse d’un principe général de droit, Paris-Bruxelles, L.G.D.J.-Bruylant, 1995.

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Les principes généraux du droit sont officiellement reconnus à la fois dans


l’ordre juridique interne, dans l’ordre européen et dans l’ordre international.
1° En droit international, les « principes généraux du droit reconnus par les
nations civilisées » sont visés à l’article 38 du statut de la Cour
internationale de justice* au nombre des normes juridiques auxquelles cette
Cour a égard dans l’application du droit international public.
2° En droit européen, avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, les
principes généraux du droit n’apparaissaient qu’une seule fois dans les
traités constitutifs des Communautés et de l’Union européenne, dans une
disposition relative à la responsabilité extracontractuelle des institutions
européennes : « En matière de responsabilité non contractuelle, la
communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs
au droit des États membres, les dommages causés par ses institutions ou
par ses agents dans leurs fonctions »95. Malgré cette unique référence
incidente, les principes généraux du droit ont constitué « une épine dorsale »
de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes96.
Ils sont toujours une source de droit importante dans l’ordre juridique de
l’Union européenne.
3° En droit interne, les principes généraux du droit ont été largement consacrés
par les trois juridictions suprêmes du pays. Dans la ligne de son homologue
et prédécesseur français, le Conseil d’État belge a eu recours aux principes
généraux pour structurer et développer le droit administratif.
Parallèlement, la Cour de cassation admet la recevabilité d’un pourvoi
contre une décision de justice pour violation d’un principe général du droit.
Toutefois, lorsque le principe est, totalement ou partiellement, reconnu par
une disposition légale, la Cour exige la mention de cette référence légale
pour exercer son contrôle. Enfin, la Cour constitutionnelle fait une large
place aux principes généraux du droit. Les principes d’égalité et de non-
discrimination constituent d’ailleurs le socle de sa jurisprudence en matière
de droits fondamentaux et du contrôle de constitutionnalité qu’elle opère en
cette matière.

IV. La hiérarchie des normes

Plusieurs normes juridiques concurrentes peuvent être applicables à un


moment donné sur le même territoire. Afin de résoudre le conflit, il existe des
principes destinés à instaurer une hiérarchie entre les normes juridiques en
assurant la primauté d’une règle sur l’autre. Il s’agit d’assigner à chaque norme sa
place en fonction de la qualité de son auteur. Le système sera d’autant plus

95 Ancien art. 288, al. 2 du Traité C.E.


96 P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, t. Ier, Bruxelles, Bruylant, 2010, §§ 38 et s., pp. 85 et
s.

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performant qu’il sera relayé par des mécanismes de contrôle visant à assurer le
respect des principes de la hiérarchie des normes.
L’État de droit suppose le respect de la hiérarchie des normes. Celle-ci
présuppose d’abord le principe de légalité en vertu duquel l’action et le
comportement des pouvoirs publics et de leurs agents doivent toujours être
conformes au droit et fondés sur une base juridique. Elle implique en outre que les
pouvoirs publics, lorsqu’ils édictent des règles juridiques, respectent les normes
supérieures. Techniquement, la hiérarchie des normes peut être comprise comme
un principe d’organisation rationnelle de l’action administrative dans lequel le
pouvoir hiérarchique des autorités est respecté. En réalité, elle porte beaucoup
plus loin dans la mesure où les droits fondamentaux des citoyens sont garantis par
les normes juridiques les plus élevées dans la hiérarchie (essentiellement les
normes internationales et la Constitution). La hiérarchie des normes permet ainsi
la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés des individus face aux
empiétements éventuels de la puissance publique.
Le contrôle effectif de la hiérarchie des normes est assuré par des organes
juridictionnels.
1. La Cour constitutionnelle* assure le contrôle de conformité des lois, des
décrets et des ordonnances de la Région de Bruxelles-Capitale par rapport
à une partie de la Constitution.
2. Le Conseil d’État* connaît de l’annulation des actes administratifs pris en
violation de normes supérieures.
3. Les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire et la section du contentieux
administratif du Conseil d’État refusent d’appliquer les actes administratifs
(dont les arrêtés et règlements) non conformes aux règles supérieures (art.
159 de la Constitution) et assurent la primauté des normes internationales
directement applicables sur le droit interne (jurisprudence Le Ski).
4. Certaines juridictions régionales, comme, pour l’Europe, la Cour européenne
des droits de l’homme* et la Cour de justice de l’Union européenne*,
contrôlent le respect par les États de leurs obligations internationales en
matière de droits de l’homme et de droit européen.
En outre, compte tenu du délai nécessaire à l’obtention d’une décision de
justice, notamment l’annulation d’un acte illégal, des mécanismes de suspension
des actes ont été prévus pour empêcher, dans certaines conditions, que l’acte
apparemment illégal ne sorte ses effets à l’égard des particuliers pendant la
procédure.
1. La Cour constitutionnelle peut, comme nous l’avons vu, suspendre, en tout
ou en partie, la norme législative qui fait l’objet d’un recours en annulation,
à la demande de la partie requérante (supra, ch. 1).
2. Le Conseil d’État a également le pouvoir d’ordonner la suspension des
règlements et actes administratifs dont l’annulation est demandée dans le
cadre d’une procédure dite de référé administratif (supra, ch. 1).
3. Enfin, les cours et tribunaux se sont reconnus compétents pour adresser des
injonctions à l’administration qui agit ou s’apprête à agir de manière à

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

première vue (prima facie) illégale. Le juge peut intervenir lorsqu’il y a des
apparences d’illégalité suffisantes pour justifier une décision et que
l’exécution de l’acte est de nature à causer au demandeur* un préjudice hors
de proportion avec l’avantage que peuvent en retirer l’administration et les
citoyens. Cette compétence est exercée par le président du tribunal civil de
première instance, siégeant en référé*. Celui-ci peut assortir son injonction,
positive ou négative, d’une astreinte*97.

Les cas de conflit entre les normes juridiques doivent être envisagés en
tenant compte des ordres juridiques dont elles émanent ainsi que de la nature de
chacune d’elle. Nous envisageons ici les différents cas de conflits de normes qui
peuvent se poser en pratique et les modalités de recours en vertu desquelles une
norme juridique incompatible avec une norme qui lui est supérieure peut être
écartée, voire annulée.

Norme de droit international v. norme de droit interne

1. Le principe de la primauté du droit international

Contrairement à d’autres Constitutions comme celles de la France, des


Pays-Bas ou de l’Allemagne, la Constitution belge est muette sur la place des
normes de droit international dans l’ordre juridique interne. Il est donc revenu à
la jurisprudence de trancher cette question. Dans un premier temps, le traité
ratifié par le parlement fut considéré comme un « acte équipollent à la loi ». Un
conflit entre un traité et une loi se réglait donc comme un conflit entre deux lois,
par application de l’adage lex posterior derogat priori. Une loi postérieure devait
donc être, suivant la Cour de cassation, préférée au traité :
« Attendu qu’il appartient au législateur belge, lorsqu’il édicte des
dispositions en exécution d’une convention internationale, d’apprécier
la conformité des règles qu’il adopte avec les obligations liant la
Belgique par traité ; que les tribunaux n’ont pas le pouvoir de refuser
d’appliquer une loi pour le motif qu’elle ne serait pas conforme,
prétendument, à ces obligations »98.

Avec la construction européenne et la mise en place progressive d’un ordre


juridique supranational, une telle position était difficilement tenable. Elle était
d’ailleurs contraire à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes qui, dès 1964, dans sa célèbre affaire Costa c. Enel, affirma sans
détour la supériorité de la norme communautaire sur la loi interne99. Les

97 M. LEROY, Contentieux administratif, Limal, Anthemis, 2011, 5ème éd., pp. 741 et s.
98 Cass., 26 novembre 1925, Pas., 1926, I, p. 76, spéc. 77.
99 Arrêt de la Cour du 15 juillet 1964, Costa c. E.N.E.L., 6/64, EU:C:1964:66.

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procureurs généraux* de l’époque, R. Hayoit de Termicourt et W. Ganshof van der


Meersch, s’attachèrent alors, dans plusieurs mercuriales*, à convaincre la Cour de
cassation de revenir sur sa position100. Elle le fit, en 1971, dans l’arrêt Le Ski101,
un arrêt qui figure parmi les « grands classiques » de sa jurisprudence.
Il s’agissait d’un différend entre la S.A. Fromageries Franco-suisse « Le Ski »
et l’État belge au sujet de la perception de droits spéciaux à l’importation de
produits laitiers. Au départ, un arrêté royal imposait la perception de tels droits
en violation du principe de la libre circulation des marchandises au sein de la
Communauté économique européenne102. Après une condamnation de la Belgique
à Luxembourg103, les droits illégaux furent supprimés, mais une loi disposa que les
sommes versées en application du droit antérieur étaient « définitivement
acquises » et que « leur paiement est irrévocable et ne peut donner lieu à
contestation devant quelque autorité que ce soit »104. La fromagerie Le Ski, qui
souhaitait récupérer les droits payés, introduisit une action en répétition de l’indu
devant les tribunaux belges en soulevant l’incompatibilité de cette loi avec le Traité
de Rome. L’affaire aboutit en cassation. La Cour procède en deux temps pour
reconnaître la primauté du droit international sur le droit interne.
Tout d’abord, elle écarte l’assimilation traditionnelle du traité à la loi en
statuant sur la nature de l’acte d’assentiment. Ce dernier n’est pas le siège de
normes juridiques. C’est le traité qui l’est :
« Attendu que même lorsque l’assentiment à un traité (…) est donné
dans la forme d’une loi, le pouvoir législatif, en accomplissant cet acte,
n’exerce pas une fonction normative ;
Que le conflit qui existe entre une norme de droit établie par un traité
international et une loi établie par une loi postérieure n’est pas un
conflit entre deux lois ;

Attendu que la règle d’après laquelle une loi abroge une loi antérieure
dans la mesure où elle la contredit est sans application au cas où le
conflit oppose un traité à une loi »105.

100H. DE TERMICOURT, « Le conflit “ Traité-Loi interne” », J.T., 1963, pp. 481 et s. ; W.J. GANSHOF
VAN DER MEERSCH, « Réflexions sur le droit international et la révision de la Constitution », J.T.,
1968, pp. 485 et s. ; W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Le juge belge à l’heure du droit
international et du droit communautaire », J.T., 1969, pp. 537 et s.
101Cass. (1ère Ch.), 27 mai 1971, Pas., 1971, I, p. 886 et les conclusions conformes du Procureur
général Ganshof van der Meersch.
102En particulier, l’article 12 du Traité C.E.E. de l’époque qui disposait que « Les États membres
s’abstiennent d’introduire entre eux de nouveaux droits de douane à l’importation et à l’exportation
ou taxes d’effet équivalent, et d’augmenter ceux qu’ils appliquent dans leurs relations commerciales
mutuelles ».
103Arrêt de la Cour du 13 novembre 1964, Commission c. Grand-Duché de Luxembourg et Royaume
de Belgique, aff. jointes 90/63 et 91/63, EU:C:1964:80.
Loi du 19 mars 1968 portant ratification d’arrêtés royaux pris en application de la loi du 30 juin
104

1931 et 30 juillet 1934 abrogés par la loi du 11 septembre 1962, M.B., 21 mars 1968.
105 Pas., 1971, I, p. 919.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le conflit entre un traité et une loi ne se règle dès lors plus sur la base d’un
critère chronologique. La Cour poursuit son raisonnement en conférant une
primauté au droit international en raison de sa « nature » intrinsèque :
« Attendu que lorsque le conflit existe entre une norme de droit
interne et une norme de droit international qui a des effets directs
dans l’ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit
prévaloir ; que la prééminence de celle-ci résulte de la nature même
du droit international conventionnel ».

Et la Cour de souligner, s’agissant du droit européen :

« Attendu qu’il en est a fortiori ainsi lorsque le conflit existe, comme


en l’espèce, entre une norme de droit interne et une norme de droit
communautaire ;
Qu’en effet les traités qui ont créé le droit communautaire ont institué
un nouvel ordre juridique au profit duquel les États membres ont
limité l’exercice de leur pouvoir souverain dans les domaines que ces
traités déterminent »106.

Il découle de l’arrêt Le Ski et, depuis lors, de la jurisprudence constante de


la Cour de cassation, que le droit international prime le droit interne. Pour jouir
de cette supériorité, la règle de droit international doit avoir des effets directs* à
l’égard des particuliers, c’est-à-dire qu’elle doit être suffisamment claire et précise
pour être créatrice de droits et d’obligations dans le chef des particuliers. Pour
remplir cette condition, la règle de droit doit désigner de manière dénuée
d’ambiguïté les particuliers titulaires des droits qu’elle prévoit et définir à
suffisance la teneur de ces droits. Ainsi, par exemple, l’article 6, § 1 du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre
1966 ne remplit pas une telle condition. Il stipule que « Les États parties au
présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu’a toute
personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi
ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit ». Les
personnes au chômage ne pourraient pas se prévaloir de cette disposition pour
mettre en cause la politique de l’emploi de l’État belge et l’assigner en
responsabilité, ni pour invoquer un droit de trouver du travail dans la mesure où
son libellé est trop général pour déployer des effets directs vis-à-vis des
particuliers.

2. Le cas particulier de la Constitution

La question de savoir si la primauté de la norme internationale sur le droit


interne s’étend également à la Constitution est controversée en Belgique. La Cour
de justice de l’Union européenne considère que le droit européen l’emporte sur le
droit constitutionnel des États membres. Contrairement à la Cour

106 Pas., 1971, I, p. 919.

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constitutionnelle, le Conseil d’État suit, dans une large mesure, cette


jurisprudence. La Cour de cassation semble lui avoir emboîté le pas à l’occasion de
l’affaire qui a vu trois asbl satellites du Vlaams Blok condamnées pour violation de
la loi Moureaux réprimant le racisme et la xénophobie107. Et la doctrine est divisée.
Alors que certains considèrent que la nature même du droit international plaide
pour sa primauté sur l’ensemble du droit interne, d’autres sont plus circonspects
et suivent la position défendue par la Cour constitutionnelle. Ils estiment qu’une
telle position revient à donner au pouvoir constitué qu’est le pouvoir législatif la
faculté de violer la Constitution en ratifiant des traités qui lui sont contraires. En
d’autres termes, il paraît difficilement concevable à ces auteurs que le traité, qui
n’a pu entrer en vigueur dans l’ordre interne que selon les formes prévues par la
Constitution, soit supérieur à cette dernière. La voie la plus sage, qui se retrouve
dans certains avis du Conseil d’État et dans la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle, consiste à réviser la Constitution avant de ratifier un traité qui
lui serait incompatible.
Au sein des pays de l’Union européenne, la question de la primauté du droit
européen sur les droits constitutionnels nationaux ne reçoit pas non plus de
réponse unanime. Les cours constitutionnelles allemande et italienne se sont
notamment prononcées à ce sujet. Elles n’ont admis une certaine prééminence du
droit européen sur leur Constitution qu’avec le développement de la protection des
droits fondamentaux dans l’ordre juridique européen. La controverse n’est
cependant pas close : ces juridictions suprêmes se réservent toujours le droit de
préférer leur Constitution au droit de l’Union dans les hypothèses où un niveau
satisfaisant de protection des droits fondamentaux n’est pas atteint dans l’ordre
juridique européen.

3. L’exercice du contrôle

Le principe de la primauté du droit international sur le droit interne est


garanti à différents niveaux. En droit interne, depuis l’arrêt Le Ski, les cours et
tribunaux ont le devoir d’écarter les dispositions du droit interne qui sont
contraires aux dispositions d’un traité108. Il ne revient pas aux juridictions
ordinaires d’annuler la règle de droit interne prise en violation d’une règle de droit
international, mais bien, dans chaque cas d’espèce, de la déclarer inapplicable. On
dit que ce contrôle est diffus ou qu’il est exercé par voie d’exception.
La section de législation du Conseil d’État exerce en amont le contrôle que
les cours et tribunaux effectuent en aval. Dans ses avis sur les avant-projets de
texte législatif ou réglementaire, le Conseil d’État est attentif au respect, par ces
derniers, des dispositions du droit international applicable en Belgique.

107Cass., 9 novembre 2004, R.G. : P.04.0849.N. Voy. la réponse de la Cour au moyen 14, première
branche, dans laquelle elle affirme que « la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales prime la Constitution ». Sur cet arrêt, voy. notamment M. VERDUSSEN, « Les
rétroactes de l’arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2004 dans l’affaire du Vlaams Blok »,
R.B.D.C., 2005, p. 371 et s.
108 Cass., 27 mai 1971, Pas., 1971, I, p. 919.

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Par ailleurs, il existe différents mécanismes institutionnels qui garantissent


la primauté de certaines règles du droit international.
Pour ce qui est du droit de l’Union européenne, la Cour de justice peut
prononcer des arrêts en constatation de manquement* contre les États membres
qui ne respectent pas le droit européen. Dans la même perspective, les juridictions
nationales peuvent juger un État responsable pour des dommages causés aux
particuliers à la suite de violations du droit européen par ses autorités 109. Par
ailleurs, la Cour de justice considère que les tribunaux nationaux doivent, dans
toute la mesure du possible, donner au droit national qu’elles appliquent, une
interprétation conforme au droit européen110. Face à plusieurs interprétations
possibles du droit national, il s’agit de choisir celle qui respecte le droit européen 111.
Quant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales, les décisions de la Cour européenne des droits de
l’homme contribuent à en assurer la primauté. Un arrêt de condamnation de cette
juridiction européenne peut conduire la Belgique à devoir modifier sa législation si
elle ne veut pas s’exposer à une nouvelle condamnation. Du reste, le droit belge est
parfois modifié suite à la condamnation d’un État dont le droit positif est
comparable au droit belge sur le point ayant fait l’objet de la condamnation. Ainsi,
par exemple, c’est l’arrêt Salduz c. Turquie112 qui a conduit à la reconnaissance du
droit à l’assistance d’un avocat dès le premier interrogatoire pour assurer
l’effectivité du droit au silence.
La Cour constitutionnelle joue également un rôle important pour assurer le
respect, par le législateur belge, des traités relatifs à la protection des droits de
l’homme. Lorsqu’elle exerce son contrôle de constitutionnalité des textes législatifs
en rapport avec des droits fondamentaux également protégés par des traités
internationaux, elle vérifie si le texte législatif soumis à son examen respecte, non
seulement la disposition concernée du Titre II de la Constitution, mais également
les règles de droit international ayant le même objet. Dans l’hypothèse où le droit
fondamental garanti ne se trouve pas inscrit au Titre II, la Cour constitutionnelle
reçoit le moyen fondé sur sa violation à la condition qu’il combine la norme
supranationale pertinente aux articles 10 et 11 de la Constitution.

109Arrêts de la Cour du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur, aff. jointes C-46/93 et, Factortame, C-
48/93, EU:C:1996:79.
110Arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, EU:C:1990:395,. Au moment où
cet arrêt a été rendu, on parlait d’une interprétation conforme au droit communautaire.
111 Comp. avec la notion d’interprétation conciliante ( supra, ch. 2).
112 Cour eur. dr. h. (GC), Salduz c. Turquie, 27 novembre 2008.

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Conflit entre normes européennes de rangs différents

1. La primauté du droit primaire sur le droit dérivé

Parmi les règles de droit international, le droit européen forme un véritable


ordre juridique supranational à l’intérieur duquel des conflits de normes sont
susceptibles de se poser. Ils sont réglés par le principe de la primauté du droit
primaire* (les traités) sur le droit dérivé* (les règlements, les directives, les
décisions, les avis et les recommandations).

2. L’exercice du contrôle

La primauté du droit primaire sur le droit dérivé est assurée à deux niveaux.
Dans l’ordre européen, la Cour de justice de l’Union connaît des recours en
annulation* dirigés contre les actes des institutions de l’Union européenne. Par
ailleurs, les juridictions nationales jouent également un rôle important en posant,
à cette même Cour de justice, des questions préjudicielles en appréciation de
validité*.

Constitution v. autre norme de droit interne

1. Le principe de la primauté de la Constitution dans l’ordre interne

La supériorité de la Constitution découle de sa nature. Elle incarne le


pouvoir constituant qui fonde les autres pouvoirs. Dans cette perspective l’article
187 dispose que « La Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie ». Et
l’article 188 déclare : « À compter du jour où la Constitution sera exécutoire, toutes
les lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires sont
abrogés ». Sans oublier l’article 33 selon lequel « Tous les pouvoirs émanent de la
Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution ».

2. L’exercice du contrôle de la constitutionnalité des textes législatifs

La section de législation du Conseil d’État exerce un contrôle préventif pour


assurer le respect de la Constitution par le pouvoir législatif. Dans ses avis, elle ne
manque pas de dénoncer les contrariétés des avant-projets et propositions de texte
législatif qui lui sont soumis à la Constitution.
Quant au contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois, il n’a pas
existé pendant plus de cent cinquante ans. Avant la création de la Cour
constitutionnelle dans les années 1980 (à l’époque appelée Cour d’arbitrage),
aucune disposition de la Constitution ne prévoyait, ni n’excluait un tel contrôle. La

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Cour de cassation, dans une jurisprudence constante113, a toutefois considéré qu’il


n’appartenait pas au pouvoir judiciaire de trancher un conflit entre une loi et la
Constitution. Elle a, à de nombreuses reprises, décidé que les cours et tribunaux
n’étaient pas compétents pour écarter l’application d’une loi anticonstitutionnelle.
Une telle position reposait notamment sur une conception étroite du principe de la
séparation des pouvoirs. Sur le plan symbolique, il n’apparaissait pas légitime
qu’un organe juridictionnel sanctionne l’œuvre des représentants de la Nation. Il
n’en va pas de même partout. Les États-Unis, le Canada, la Suisse et l’Australie
connaissent notamment un contrôle diffus de constitutionnalité des lois. Toutes les
juridictions sont habilitées à vérifier si la loi applicable au litige qui leur est soumis
ne méconnaît pas la Constitution.
La Cour de cassation a néanmoins apporté un tempérament notable à cette
jurisprudence. Dans son arrêt Waleffe du 25 avril 1950114, elle a décidé que le
législateur est présumé respecter la Constitution et que la loi doit être interprétée
par les juges dans un sens conforme aux dispositions de celle-ci. En l’espèce, une
loi de pouvoirs spéciaux visant à redresser les finances de l’État autorisait le Roi à
« modifier ou compléter la législation relative aux rétributions, subventions,
indemnités et allocations de toute nature qui sont à charge de l’État ». Se fondant
sur le libellé très large de cette législation, un arrêté royal fixa des plafonds pour
la pension des magistrats émérites. Monsieur Waleffe, magistrat émérite, porta
l’affaire en justice et invoqua l’inconstitutionnalité de cet arrêté royal au regard de
l’article 152 de la Constitution qui stipule que la pension des juges est fixée par la
loi. La Cour de cassation écarta cet arrêté royal en raison de son
inconstitutionnalité tout en donnant une interprétation de la loi de pouvoirs
spéciaux conforme à la Constitution. Ainsi, alors que la formulation large de cette
législation ne permettait pas d’exclure a priori la situation pécuniaire des
magistrats émérites, la Cour de cassation lui donne une portée plus étroite en
postulant que le législateur a nécessairement respecté la Constitution.
Depuis 1989, un contrôle partiel de constitutionnalité des textes législatifs
est instauré en Belgique. Au contentieux de l’annulation et au contentieux
préjudiciel, la Cour constitutionnelle est aujourd’hui compétente pour vérifier si
une norme législative est conforme aux dispositions suivantes de la Constitution :
- le Titre II (« Des Belges et de leurs droits ») qui comprend les articles 8 à
32 ;
- les articles 143, § 1er (loyauté fédérale), 170 (légalité de l’impôt), 172 (égalité
devant l’impôt) et 191 (égalité entre Belges et étrangers).

113 Du moins, jusqu’à son arrêt controversé du 3 mai 1974, Pas., 1974, I, p. 911. Sur les
interprétations multiples auxquelles a donné lieu cet arrêt, voy. I. RORIVE, Le revirement de
jurisprudence. Étude de droit anglais et de droit belge , Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 227-234, n°
202-205.
114 Pas., 1950, I, p. 560 et les conclusions du procureur général L. CORNIL.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Norme de nature législative v. norme de nature réglementaire

1. Le principe de la primauté du texte législatif sur le règlement

Dans l’exercice de leur fonction réglementaire, les organes du pouvoir


exécutif sont tenus de respecter les normes législatives. Cette subordination des
arrêtés et règlements aux lois découle notamment de l’article 108 de la
Constitution qui dispose que « Le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires
pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni
dispenser de leur exécution ».

2. L’exercice du contrôle

Ici aussi, la section de législation du Conseil d’État exerce un contrôle


préventif en amont. Dans les avis qu’elle rend sur les projets de règlement et
d’arrêté, elle vérifie la compatibilité des textes qui lui sont soumis avec les normes
législatives en vigueur.
En aval, les cours et tribunaux jouent un rôle fondamental pour garantir le
respect du principe de la primauté de la norme législative sur la norme
réglementaire. Dans les litiges qui leur sont soumis, ils sont tenus d’écarter les
règlements illégaux. Ce contrôle de la légalité qui s’effectue ainsi par voie
d’exception leur est confié par l’article 159 de la Constitution : « Les cours et
tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et
locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois ». Dans la pratique, toutes les
juridictions sont habilitées à refuser d’appliquer un règlement illégal sur la base
de l’article 159 de la Constitution.
Toujours en aval, un deuxième contrôle est prévu, mais cette fois par voie
d’action et devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État. Cette
haute juridiction administrative est compétente pour connaître des recours en
annulation contre des normes prises par des autorités administratives dans les
soixante jours de leur entrée en vigueur.

Conflit entre normes de nature réglementaire de rangs différents

1. Le principe de la subordination hiérarchique

Les normes réglementaires sont subordonnées les unes ou autres en fonction


de la position hiérarchique qu’occupe leur auteur. Les règlements communaux
doivent être conformes aux règlements provinciaux qui eux-mêmes doivent
respecter les arrêtés et règlements de l’autorité fédérale ou des autorités régionales
et communautaires. Les arrêtés ministériels doivent être conformes aux arrêtés
royaux.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Quant aux actes administratifs à caractère individuel, ils sont dépourvus de


portée normative. Ils sont tenus de respecter les règles sur lesquelles ils se fondent.

2. L’exercice du contrôle

Le principe de la subordination hiérarchique des normes réglementaires est


mis en œuvre par voie d’exception devant l’ensemble des juridictions. Au
contentieux objectif*, un recours en annulation est prévu devant la section du
contentieux administratif du Conseil d’État. Enfin, les règlements des pouvoirs
locaux sont soumis à la tutelle* des autorités régionales.

La place des principes généraux du droit

La plupart des principes généraux du droit ont « force législative ». Leur


valeur dans la hiérarchie des normes s’identifie à celle d’un texte législatif. Le
législateur peut y déroger comme il peut déroger à toute disposition législative115.
Certains principes généraux du droit ont une valeur constitutionnelle et
donc supérieure à celle de la loi. Ils peuvent être exprimés dans le texte même de
la Constitution comme le principe d’égalité (art. 10) ou celui de non-discrimination
(art. 11). Ils peuvent également être dégagés par la jurisprudence.
Enfin, la valeur de certains principes généraux du droit s’apparente au droit
international, soit qu’ils sont formulés dans des textes internationaux, soit qu’ils
sont consacrés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
ou de la Cour de justice de l’Union européenne. Ainsi, par exemple, si la non-
rétroactivité de la loi est un principe général du droit en toutes matières, il a une
force particulière en droit pénal en vertu de l’article 7 de la Convention européenne
des droits de l’homme qui interdit qu’une action ou une omission puisse être érigée
en infraction alors qu’elle n’avait pas ce caractère au moment des faits.

115W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du
droit », Discours prononcé à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le 1 er
septembre 1970, J.T., 1970, p. 568.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La responsabilité des pouvoirs publics

Il ne suffit pas de pouvoir annuler ou faire obstacle à l’application des actes


et règlements illégaux des pouvoirs publics. Il faut encore assurer la réparation
des dommages causés aux particuliers à cette occasion et des atteintes éventuelles
portées à leurs droits. Ceci suppose la possibilité d’engager et de mettre en œuvre
la responsabilité* des pouvoirs publics. À cet égard, la jurisprudence des cours et
tribunaux, et singulièrement de la Cour de cassation, a connu une évolution
progressive, qui est au total considérable, même si elle ne semble pas encore
totalement achevée. Il est nécessaire de distinguer ici en fonction des différents
pouvoirs. Il faut également distinguer, au sein de chaque pouvoir, la mise en cause
directe de la personne fautive (le ministre, le fonctionnaire, le juge, …) et
l’engagement de la responsabilité de l’État lui-même ou de la personne morale de
droit public dont l’agent dépend.

1. La responsabilité du pouvoir exécutif et de l’administration

La responsabilité des agents de l’État

De manière générale, les fonctionnaires et les agents des pouvoirs publics


sont personnellement responsables des fautes qu’ils commettent dans l’exercice de
leurs fonctions et attributions. Cette responsabilité est établie conformément au
droit commun par la démonstration d’une faute dans le chef de l’agent public, d’un
dommage et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage. Elle est toutefois
limitée dans la mesure où les agents publics ne répondent que de leur dol et de leur
faute lourde. Ils ne répondent de leur faute légère que si celle-ci présente dans leur
chef un caractère habituel plutôt qu’accidentel116.
En pratique, les justiciables poursuivent rarement les fonctionnaires en
personne et préfèrent, pour des raisons de solvabilité, attaquer directement l’État
ou la personne morale de droit public dont ils relèvent.

La responsabilité de l’État et des personnes morales de droit


public du fait de l’administration
1°) Principe
Si les organes et les agents sont responsables des fautes qu’ils commettent
dans l’exercice de leurs fonctions, la question se pose de savoir si la responsabilité
de l’État lui-même ou d’une autre personne de droit public peut être engagée à

116 Art. 2 de la loi du 10 février 2003 relative à la responsabilité des et pour les membres du
personnel au service des personnes publiques, M.B., 27 février 2003. Cette disposition est calquée
sur le régime de responsabilité applicable aux travailleurs dans les liens d’un contrat de travail
(art. 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail).

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cette occasion et, dans l’affirmative, suivant quelles modalités. La loi étant muette
sur la question, les principes de la responsabilité des pouvoirs publics ont été
progressivement dégagés par la jurisprudence sur la base du droit commun de la
responsabilité aquilienne.
Avant 1920, la jurisprudence reposait sur une distinction entre les actes
privés et les actes de puissance publique accomplis par une personne publique. Les
actes privés, par exemple les actes de gestion du domaine privé*, étaient soumis à
la responsabilité de droit commun. Par contre, le pouvoir judiciaire se montrait
réticent à condamner l’administration et se déclarait incompétent pour connaître
des actions engagées contre l’État et les autres personnes publiques à la suite d’une
faute commise dans l’exercice de la puissance publique*. Cette jurisprudence
s’appuyait sur une conception étroite de la séparation des pouvoirs*. En l’absence
de voie de recours, les pouvoirs publics jouissaient donc de fait d’une immunité
presque totale. Les particuliers ne disposaient d’aucun moyen d’indemnisation des
dommages causés par les actes illégaux et fautifs de l’administration, si ce n’était
le bon plaisir de celle-ci.
Il fut mis fin à ce régime d’impunité par un arrêt de la Cour de cassation du
5 novembre 1920, dit arrêt La Flandria*117, qui marque un revirement* important
de la haute juridiction par rapport à sa jurisprudence* antérieure. Un arbre planté
par la ville de Bruges s’était abattu sur le terrain de la société horticole La
Flandria, causant de menus dégâts aux plantations. La société en demandait
réparation à la ville au motif qu’elle avait négligé de prendre les mesures
adéquates pour empêcher l’arbre, visiblement en piteux état, de s’abattre. En
appel, le tribunal civil de Bruges avait autorisé, par un jugement avant dire droit*,
le demandeur* à prouver l’existence d’une faute dans le chef de la ville. La ville de
Bruges introduisit un pourvoi en cassation contre cette décision au motif que
l’arbre était planté sur le domaine public* de la ville et qu’il s’agissait donc d’un
acte de puissance publique dont les cours et tribunaux étaient incompétents à
connaître. Encouragée par son Premier avocat général, Paul Leclercq, qui, dans
ses conclusions*, n’avait pas hésité à qualifier la jurisprudence traditionnelle de
« pathologique »118, la Cour de cassation affirme pour la première fois la
compétence des cours et tribunaux en matière d’action en responsabilité contre
l’État et les pouvoirs publics. Elle fonde cette compétence sur l’article 144 de la
Constitution119 qui confiait aux cours et tribunaux le pouvoir exclusif de connaître
des contestations portant sur un droit civil*120. La Cour de cassation précise que
« la Constitution n’a égard ni à la qualité des parties contendantes, ni à la nature
des actes qui auraient causé une lésion de droit, mais uniquement à la nature du
droit lésé »121. La Cour réinterprète à cette occasion le principe de la séparation des

117 Cass., 5 nov. 1920, Pas. 1920, I, pp. 192 et s., spéc. pp. 239-240.
118 Conclusions précédant Cass., 5 nov. 1920, Pas., 1920, I, pp. 193-239.
119 À l’époque, art. 92.
120Un deuxième alinéa a depuis été ajouté à l’article 144 de la Constitution pour permettre au
Conseil d’État et aux juridictions administratives fédérales de statuer sur les effets civils de leurs
décisions.
121 Cass., 5 nov. 1920, op cit., p. 239.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

pouvoirs et affirme, sans le nommer, le principe de l’État de droit : « … les


gouvernants ne peuvent rien faire que ce qu’ils sont chargés de faire et sont, comme
les gouvernés, soumis à la loi »122.

2°) Critères
Depuis l’arrêt La Flandria, la jurisprudence a confirmé de manière
constante la responsabilité des pouvoirs publics, dans un sens toujours plus
étendu. Il ressort de cette jurisprudence que l’administration n’est pas exemptée,
dans l’exercice de la puissance publique, de l’obligation de diligence et de prudence
qui s’impose à tous en vertu du Code civil. En réalité, compte tenu de l’importance
des missions de service public assumées par l’administration, cette obligation fait
peser sur les pouvoirs publics une responsabilité particulièrement étendue.
1. Les pouvoirs publics sont d’abord responsables des fautes commises par
leurs agents et organes dans l’exercice de leur mission. L’État a, par
exemple, été reconnu responsable du comportement maladroit d’un
gendarme qui, en ouvrant la circulation d’un carrefour simultanément dans
toutes les directions, avait provoqué plusieurs accidents.
2. La responsabilité de l’administration a aussi été engagée en raison de
renseignements erronés donnés à la légère à des administrés. Ainsi, un
officier avait mis fin à sa carrière sur la base des assurances données par les
services du ministère de la Défense qu’il aurait droit à une pension complète.
Ces renseignements étaient inexacts et le militaire n’avait obtenu une
pension que pour une carrière incomplète. L’État est condamné à réparer le
préjudice car les juges constatent que les pouvoirs publics ont méconnu en
l’espèce leur obligation de renseignement, en donnant des informations
« sans investigations suffisantes ou sans laisser apparaître l’incertitude
quant à la solution indiquée »123.
3. Les pouvoirs publics sont également responsables lorsque l’administration
a pris une décision et que celle-ci a été mal ou pas exécutée par ses agents.
Dans un tel cas, la jurisprudence considère que la légitime confiance des
usagers est trompée.
4. L’administration est responsable non seulement lorsqu’elle exécute mal une
décision mais également lorsqu’elle prend une décision fautive ou
imprudente. La Cour de cassation l’a affirmé dans un arrêt de principe du 7
mars 1963124. En l’espèce, l’administration avait placé sur une route un
nouveau revêtement qui s’était révélé extrêmement glissant, occasionnant
une série impressionnante d’accidents. L’administration avait réagi en se
contentant d’apposer au début de la section dangereuse un signal ordinaire
indiquant « attention route glissante ». Les accidents continuèrent de plus
belle jusqu’à ce que l’administration se décide enfin à poser un tapis
antidérapant. Saisi par la victime d’un de ces accidents, le juge du fond avait

122 Cass., 5 nov. 1920, op cit., p. 240.


123 Cass., 4 janv. 1973, Pas., 1973, I, p. 434.
124 R.C.J.B., 1963, pp. 93 et s., et note J. DABIN.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

constaté que « la faute de l’État belge (…) est la cause exclusive de


l’accident » et que « la seule précaution qui fut prise, la position du signal
n°12 [route glissante], était absolument insuffisante ». La Cour de cassation
rejette le pourvoi de l’État belge en affirmant que « les pouvoirs publics ont
l’obligation de n’établir et de n’ouvrir à la circulation publique que des voies
suffisamment sûres ». Ils assument une obligation de sécurité à l’égard de
l’état de la voirie, qui est une obligation de résultat*.
5. La responsabilité de l’administration peut encore être engagée lorsque celle-
ci omet fautivement de prendre un règlement, spécialement un arrêté
d’exécution d’une disposition légale ou réglementaire, même lorsqu’aucun
délai n’a été fixé par l’autorité habilitante pour prendre un tel acte. Ce
principe fut posé pour la première fois dans une affaire relative au logement
de fonction de certains agents de l’État125. Un arrêté royal avait prévu le
logement gratuit des fonctionnaires astreints à une présence permanente
sur les lieux de leur travail. Des arrêtés d’exécution devaient dresser, par
ministère, la liste des agents concernés. Le ministre des Postes et des
Télécommunications avait négligé de soumettre à la signature du Roi un tel
arrêté. Monsieur Goffin, percepteur des postes, et à ce titre astreint à une
présence permanente sur les lieux de son travail, assigna l’État et obtint des
dommages et intérêts compensant les frais de loyers qu’il n’aurait pas dû
exposer si l’arrêté avait été pris. Même si le droit au logement gratuit est en
l’occurrence un droit politique*, le fonctionnaire n’en avait pas moins un
droit subjectif à la réparation de l’atteinte portée à ce droit par la négligence
fautive de l’administration.
6. La responsabilité de l’administration peut même être engagée si elle commet
une faute dans l’exercice de son pouvoir réglementaire. Ce principe se déduit
d’un arrêt de la Cour de cassation du 26 avril 1963126. En l’espèce, une petite
fille avait été frappée de paralysie et de débilité mentale à la suite d’un
vaccin contre la variole. Le juge du fond avait reconnu l’État coupable de
faute pour avoir rendu un tel vaccin obligatoire, sachant que celui-ci peut,
dans des circonstances exceptionnelles, entraîner de graves complications,
alors que la maladie de la variole avait déjà pratiquement disparu à
l’époque. La Cour de cassation admet le principe d’une responsabilité pour
imprudence dans l’exercice de la fonction réglementaire, mais elle en précise
aussitôt les limites. Les règlements sont pris dans l’intérêt général. Les
nécessités de l’intérêt général peuvent conduire la puissance publique à
causer des dommages à certains particuliers pour le bien de tous. C’est là
une question d’opportunité de l’action publique, qu’il appartient à
l’administration d’apprécier. Le juge n’intervient que pour contrôler la
légalité de l’action publique. À l’occasion de ce contrôle, la responsabilité de
l’autorité publique ne pourra être engagée que s’il est démontré que
l’administration a commis une faute ou une imprudence dans l’appréciation
de l’intérêt général. Par exemple, l’autorité aurait négligé de tenir compte

125 Cass., 23 avril 1971, Pas., 1971, I, p. 752.


126 R.C.J.B., 1963, pp. 116 et s., note J. DABIN.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

des informations médicales disponibles relatives aux graves effets


secondaires nuisibles de tel vaccin. Dans l’espèce du vaccin antivariolique,
la Cour de cassation estime qu’aucune faute de ce type n’a été constatée dans
le chef de l’administration et que la responsabilité de celle-ci ne pouvait donc
être engagée. On comprend cependant que la matière est délicate et que par
le biais de l’action en responsabilité les juges peuvent être tentés de
s’immiscer dans la gestion des affaires publiques. La distinction entre
l’opportunité et la légalité n’est pas toujours aisée, même si celle-ci marque,
dans son état actuel, la limite imposée au pouvoir judiciaire par le principe
de la séparation des pouvoirs*.
7. Enfin, de manière générale, la responsabilité de l’administration peut être
engagée lorsqu’elle prend un règlement qui viole une norme supérieure dans
la hiérarchie des sources. Sauf si elle procède d’une erreur invincible ou
d’une autre cause de justification, l’illégalité du règlement est susceptible
d’être constitutive de faute127.

2. La responsabilité du pouvoir judiciaire

Si l’État ou les pouvoirs publics peuvent être condamnés pour des fautes
commises par leur administration, ne devraient-ils pas en être de même pour les
dommages causés par le service public de la justice ? La Cour d’appel de Bruxelles
a ainsi condamné l’État belge pour avoir rendu en mauvais état un véhicule saisi
dans le cadre d’une instruction* judiciaire128. La question est cependant plus
délicate lorsque l’acte fautif consiste en une décision de justice*. Dans ce cas, les
principes de la responsabilité civile doivent être conciliés avec ceux de
l’indépendance* du juge et de l’autorité de la chose jugée*. Il faut distinguer à cet
égard, la responsabilité personnelle des magistrats de la responsabilité de l’État
dont ils sont les organes*.

La responsabilité des magistrats

Afin de protéger leur indépendance, la responsabilité civile des magistrats


tant du siège* que du ministère public*, pour des actes commis dans l’exercice de
leurs fonctions, ne peut être engagée que de manière exceptionnelle dans le cadre
de la procédure de prise à partie* (art. 1140 à 1147 du Code judiciaire). Cette
procédure, introduite par requête* devant la Cour de cassation, n’est ouverte que
dans des hypothèses très limitées, dont les principales sont le dol ou la fraude du
magistrat et le déni de justice*129.

127 Cass., 13 mai 1982, Pas., 1982, I, p. 1056 et les conclusions conformes de J. Velu. Si la nature de
l’obligation pour l’administration de faire une application correcte du droit était de résultat dans
l’arrêt de la Cour de cassation de 1982, des arrêts ultérieurs la qualifient d’obligation de moyen
(Cass., 25 octobre 2004 et Cass., 8 février 2008).
128 Bruxelles, 18 février 2000, J.L.M.B., 2000, p. 608.
129 Les hypothèses sont limitativement énumérées à l’article 1140 du Code judiciaire.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

En ce qui concerne leur responsabilité pénale, les magistrats sont soumis


aux règles du droit commun, sous réserve de leur privilège de juridiction. Ils sont
également soumis à un régime spécifique de responsabilité disciplinaire130.
En pratique, la responsabilité personnelle des magistrats n’est que très
rarement engagée.

La responsabilité de l’État du fait des jugements

En l’absence de législation, la responsabilité de l’État du fait du pouvoir


judiciaire a été précisée par la jurisprudence de la Cour de cassation131.
Lorsque l’acte prétendument fautif est une décision de justice, les principes
de l’indépendance des juges et de l’autorité de la chose jugée subordonnent la
reconnaissance d’une faute à certaines limites et conditions132.
1. En principe, la décision de justice critiquée ne doit plus être revêtue de
l’autorité de la chose jugée* (par exemple, parce qu’elle a été réformée en
appel)133.
2. La décision doit être effectivement fautive, ce qui résulte :
- soit d’une erreur de conduite du magistrat qui s’apprécie par rapport
au magistrat normalement soigneux et prudent placé dans les mêmes
conditions ;
- soit de la violation d’une règle de droit établie 134 imposant au
magistrat de s’abstenir ou d’agir de manière déterminée, sauf lorsque
cette violation est la conséquence d’une erreur invincible ou d’une
autre cause de justification135.
Les différentes conditions apportées à la responsabilité de l’État, ajoutées à
une certaine difficulté pour les juges de reconnaître que d’autres magistrats ont

130 CH. MATRAY, « La responsabilité déontologique des magistrats – Pour une déontologie positive »,
in les Actes du colloque organisé le 15 février 2007 à l’Université catholique de Louvain sur le thème
de La responsabilité professionnelle des magistrats, Série « Les cahiers de l’Institut d'études sur la
Justice », n° 10, Bruxelles, Bruylant, 2007.
131Cass., 19 décembre 1991, J.T., 1992, p.142, ainsi que des extraits des conclusions conformes de
J. VELU et Cass. 8 décembre 1994, J.T., 1995, p. 497 et observations R.O. D ALCQ. Voy. aussi Cass.,
26 juin 1998, R.C.J.B., 2001, p. 21 et la note de B. DUBUISSON : « Faute, illégalité et erreur
d’interprétation en droit de la responsabilité civile ». Ce dernier arrêt concerne une affaire mettant
en cause un directeur des contributions qui, dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, avait
notamment omis de prendre en considération une disposition légale.
132 Cass, 5 juin 2008, (2 arrêts) n° rôle C.06.0366N et C.070073.N.
133 La Cour constitutionnelle a toutefois apporté des assouplissements à ce principe, qui dépassent
le cadre de ce cours d’Introduction au droit.
134 En ce sens qu’elle doit être connue au moment où l’acte juridictionnel incriminé est intervenu.
Notez que la doctrine classique du double fondement de la faute est remise en cause par certains
135

auteurs. Voy., par exemple, la contribution de J. WILDEMEERSCH in Droit de la responsabilité, B.


KOHL (dir.), C.U.P., Université de Liège, 2009.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

commis une faute, limitent en pratique la possibilité pour les particuliers lésés par
une décision judiciaire d’obtenir réparation.
La responsabilité de l’État s’étend du reste à l’ensemble du service public de
la justice, et dès lors également aux actes du ministère public lequel engage, par
exemple, la responsabilité de l’État lorsqu’il fait appel d’une ordonnance de non-
lieu* ce qui impose aux personnes poursuivies « une nouvelle étape de procédure
et un allongement de cette procédure » alors que le dossier était « quasiment
vide »136.

3. La responsabilité du pouvoir législatif

La responsabilité des parlementaires

Les parlementaires bénéficient d’une immunité absolue pour les votes et les
opinions émises à la tribune (supra, ch. 1). Aussi, leur responsabilité personnelle
ne saurait être engagée dans leur participation à l’exercice du pouvoir législatif.
Les parlementaires jouissent également d’une protection lorsqu’ils font l’objet de
poursuites pénales pour des actes étrangers à leurs fonction afin d’éviter les
procédures partisanes (supra, ch. 1)137.

La responsabilité de l’État du fait du pouvoir législatif

Si le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire peuvent commettre des fautes


engageant la responsabilité de l’État, qu’en est-il du pouvoir législatif138 ?
Dans l’arrêt Ferrara du 28 septembre 2006139, la Cour de cassation a posé le
principe selon lequel l’État peut être condamné pour les fautes commises par ses
organes agissant dans le cadre de la fonction législative. Cette décision s’inscrit
dans le prolongement de la jurisprudence relative à la responsabilité des pouvoirs
publics développée depuis l’arrêt La Flandria. Elle entérine également la fin de la
position « souveraine » autrefois reconnue au législateur, ce qui est dans la logique
des différents contrôles de validité dont la loi fait désormais l’objet et est conforme
au principe de l’État de droit.
La responsabilité de l’État fédéral, et par analogie des législateurs des
entités fédérées, pourra normalement être engagée dans plusieurs situations.
D’abord, lorsque le législateur prend une norme contraire aux normes supérieures,
à savoir la Constitution (ou la loi spéciale), ainsi que les normes internationales et
européennes, et que la norme législative illicite cause un dommage au

136 Civ. Liège, 9 septembre 2008, J.T., 2008, pp. 604 et s.


137 Art. 59 de la Constitution.
138 Lire à ce propos l’excellent rapport de M. MAHIEU et S. VAN DROOGHENBROECK, « La
responsabilité de l’Etat législateur », J.T., 1998, pp. 825 et s.
139 R.G.: C.02.0570.F.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

justiciable140. Ensuite, lorsque le législateur néglige ou tarde à prendre une norme


alors qu’il était contraint de le faire par une norme supérieure (par exemple, une
directive européenne). Enfin, la responsabilité de l’État (ou des pouvoirs publics
régionaux et communautaires) est également susceptible d’être engagée lorsque le
parlement commet une faute dans l’exercice d’une de ses autres missions ou
prérogatives, par exemple à l’occasion des travaux d’une commission d’enquête
parlementaire*141.

4. La responsabilité internationale de la Belgique

Enfin, la responsabilité de l’État belge peut encore être engagée en cas de


violation de ses obligations internationales. L’État belge peut, à ce titre, être
condamné par une juridiction internationale ou régionale, telle la Cour
internationale de justice*, la Cour de justice de l’Union européenne* ou la Cour
européenne des droits de l’homme*.
Le droit de l’Union européenne se montre particulièrement performant pour
mettre en œuvre cette responsabilité. Dans son arrêt Francovich du 19 novembre
1991142, la Cour de justice des Communautés européennes a élevé, au rang de
principe, la responsabilité de l’État à l’égard des particuliers pour les dommages
encourus à la suite d’une violation du droit européen par celui-ci. Une telle
responsabilité, estime la Cour, est nécessaire à « la pleine efficacité des normes
communautaires ».
Lorsqu’une juridiction internationale ou régionale engage la responsabilité
d’un État, elle ne fait aucune distinction en fonction de l’auteur de l’acte. La
responsabilité de l’État sera engagée dans les mêmes termes que l’acte fautif ait
été commis par le pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire.

140 Dans son arrêt Jung du 10 septembre 2010 ( J.T., 2011, p. 811), la Cour de cassation est venue
nuancer le principe d’unicité de l’illégalité et de la faute : l’établissement de la responsabilité du
législateur requiert « une appréciation propre » au regard du législateur normalement prudent et
diligent.
141 Cass., 1er juin 2006, R.G. : C050494N.
142 Arrêt de la Cour du 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, C-6/90 et 9/90, EU:C:1991:428.

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SECTION 2 : LA DÉMOCRATIE

Notion

La démocratie est le gouvernement du peuple. Le peuple exerce les fonctions


du gouvernement soit directement (démocratie directe), soit par l’intermédiaire de
ses représentants (démocratie représentative).
Dans tous les cas, la démocratie repose sur le principe majoritaire. Le peuple
étant composé d’individus aux opinions diverses, la démocratie fait prévaloir la
volonté politique de la majorité. Elle permet ainsi aux citoyens de prendre eux-
mêmes en charge leur destin politique. Le pouvoir politique de la majorité est
cependant limité et encadré par les garanties de l’État de droit*. Ce dernier impose
à la majorité du moment le respect de normes supérieures (notamment la
Constitution) et la garantie des droits des individus, ainsi que la protection des
minorités et de l’opposition politique.
La quasi-totalité des démocraties contemporaines sont des démocraties
représentatives. Elles réservent cependant une certaine place, variable selon les
régimes, à la participation directe des citoyens au contrôle, voire à l’exercice de la
puissance publique.

La démocratie représentative

Les élections

La démocratie représentative repose sur le principe d’une élection au


suffrage universel dans un contexte politique de pluralisme et de concurrence.
Le principe du suffrage universel est logiquement inscrit dans l’idée même
de démocratie. Il s’exprime par l’adage : « Un homme, une voix ». Le suffrage
universel ne s’est cependant imposé que lentement et progressivement par
l’élimination des conditions de fortune (suffrage censitaire), de capacité (suffrage
capacitaire), de race143 et de sexe, ainsi que par l’abaissement des conditions d’âge
et de nationalité144.
La démocratie repose donc sur l’octroi à tous les citoyens du droit de vote.
Presque partout, le vote est facultatif. Dans certains pays, comme la Belgique et
l’Australie, il est obligatoire. Pour que les électeurs puissent effectuer un véritable

143 Dans le cadre de l’esclavage, de l’apartheid et de la ségrégation.


144L’article 3 du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme
consacre désormais l’élection des corps législatifs au suffrage universel.

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choix, il est en outre nécessaire de garantir le pluralisme des candidatures. Cela


suppose que la possibilité soit largement reconnue aux citoyens de se présenter
aux élections. Ce droit d’être candidat (éligibilité*) est cependant parfois soumis à
des conditions plus restrictives que le droit de vote145.
Le pluralisme exige en outre la concurrence des partis politiques. Les partis
politiques sont des groupements ou associations défendant une certaine tendance
idéologique, qui ont pour but de participer à l’exercice du pouvoir en s’assurant du
soutien populaire. Il s’agit d’organisations durables qui regroupent et mobilisent
des moyens financiers importants, notamment à l’occasion des élections
(« machines électorales »). Les partis politiques sont apparus dès les débuts des
régimes représentatifs par l’effet quasi mécanique de bipolarisation entraîné par
le principe majoritaire. En d’autres termes, les élus ont tendance à se regrouper en
majorité et opposition politiques. Les partis politiques jouent un rôle important,
sinon essentiel, non seulement dans les élections, mais également dans l’exercice
du pouvoir politique. Toutefois, ce sont généralement des organisations de fait,
ignorées par les Constitutions classiques, comme celles de la Belgique. Les
Constitutions récentes, comme celles de l’Italie et de l’Allemagne après la seconde
guerre mondiale, leur accordent un véritable statut juridique. En Belgique, les
finances des partis politiques sont contrôlées depuis 1989146 et ceux-ci se sont vu
octroyer des financements publics, de manière à lutter contre les modes de
financement illégaux.

La représentation

Les élections permettent la désignation des gouvernants. Cependant, dans


les régimes parlementaires, le peuple ne participe à la désignation des gouvernants
que de manière indirecte. Les citoyens élisent leurs représentants au sein d’une ou
plusieurs assemblées délibérantes. Le mandat des élus est général et représentatif.
Il est général en tant que chaque élu représente l’ensemble du peuple et non ses
propres électeurs. Il est représentatif en tant que chaque élu se détermine
librement dans ses votes et non en vertu d’un mandat impératif donné par les
électeurs. La ou les assemblées délibérantes participent à l’exercice du pouvoir
législatif. Elles exercent en outre le contrôle politique des gouvernants dont la
majorité a les moyens de provoquer la chute.
Les régimes présidentiels ajoutent à la représentation parlementaire
l’élection du chef de l’État ou de l’exécutif au suffrage universel. Tel est le cas
notamment aux États-Unis et en France, moyennant certains filtres147.

145 Notamment d’âge et d’origine nationale.


146Loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales engagées
pour les élections des Chambres fédérales, ainsi qu’au financement et à la comptabilité ouverte des
partis politiques, M.B., 20 juillet 1989.
147L’intervention du Collège des grands électeurs aux États-Unis et le mécanisme de présentation
des candidats par les élus en France.

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Dans l’Union européenne, les citoyens des États membres élisent leurs
députés au Parlement européen* au suffrage universel. Cependant, ce Parlement
ne jouit encore que de pouvoirs restreints (supra, ch. 2). Il n’a ni l’initiative des
propositions de règlement et de directive, ni le pouvoir du dernier mot. C’est
pourquoi, on évoque fréquemment le déficit démocratique des institutions
européennes.
Quant à l’ordre juridique international, il ne comporte pas d’institutions
véritablement démocratiques. Les représentants qui siègent à l’Assemblée
générale des Nations Unies ou dans les autres organisations internationales sont
des représentants des États. Ils ne procèdent pas d’une élection au suffrage
universel.

La participation des citoyens au contrôle et à l’exercice de la


puissance publique.

Il a souvent été soutenu que « la démocratie représentative exclut toute


intervention directe du peuple autre que celle de la désignation de
représentants »148. Cette affirmation est incorrecte et ne correspond pas aux
dispositions constitutionnelles des régimes démocratiques. Celles-ci organisent :
1. le contrôle permanent des gouvernants par l’opinion publique ;
2. le recours éventuel à des procédures de démocratie directe, comme le
referendum ;
3. la participation directe de certains citoyens ou associations à l’exercice de
certaines compétences relevant des pouvoirs constitués.

Le contrôle des gouvernants par l’opinion publique

La démocratie représentative ne repose pas exclusivement sur l’octroi aux


citoyens d’un droit de vote exercé à intervalles réguliers plus ou moins longs. La
Constitution permet et organise en outre les moyens d’un contrôle permanent des
gouvernants par l’opinion publique, c’est-à-dire par les citoyens. Ce système de
contrôle repose sur trois piliers essentiels.
1. Le principe de publicité* conditionne la validité ou la force obligatoire des
actes des gouvernants à leur publication. En application de ce principe,
l’article 190 de la Constitution prescrit que « aucune loi, aucun arrêté ou
règlement d’administration général, provincial ou communal, n’est
obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi ».
De même, les articles 148 et 149 de la Constitution prévoient que les
audiences des tribunaux sont en principe publiques et que les décisions de
justice sont prononcées en audience publique. En outre, l’article 32 de la

148 P. LAUVAUX, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF, 2004, 2ème éd., p. 92.

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Constitution confère à chaque citoyen le droit de consulter et d’obtenir copie


de n’importe quel document public ou administratif, sauf les exceptions
établies par la loi. Ces dispositions, dans lesquelles nous ne voyons trop
souvent que de simples formalités, sont en réalité essentielles au contrôle
démocratique, dont elles constituent le préalable indispensable. Elles font
obstacle au secret dont s’entoure si naturellement le pouvoir arbitraire et
placent les gouvernants dans une sorte de « tour de verre » en mettant leurs
actes en permanence sous le regard du public. Le principe de publicité
constitue à ce titre une garantie primordiale de l’État de droit.
2. Il ne suffit cependant pas que les citoyens aient la possibilité de prendre
connaissance des actes du pouvoir. Il faut encore qu’ils soient en mesure de
discuter et de critiquer librement ceux-ci, voire de manifester aux
gouvernants leur opposition ou leur mécontentement. Ces moyens sont
garantis par un faisceau de dispositions constitutionnelles qui interdisent
aux gouvernants de museler ou de faire pression sur l’opinion publique. Ces
dispositions consacrent et garantissent les libertés publiques, notamment la
liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de réunion. Ces
libertés constituent des droits humains internationalement reconnus (infra,
ch. 4).
3. La liberté de l’information, de la presse et des médias constitue le dernier
élément de ce triptyque constitutionnel. Dans les démocraties modernes,
même de taille modeste, le débat public ne peut se développer sans recourir
aux médias. Ceux-ci remplissent une fonction politique indispensable, non
seulement en informant le public des actes, décisions et opinions des
gouvernants, mais aussi en élargissant virtuellement le cercle de la
discussion publique à l’ensemble de la population. Ressources stratégiques
de la vie démocratique, les médias sont particulièrement exposés aux
tentatives de contrôle, ce qui nécessite des mesures de protection
spécifiques. Au premier rang de celles-ci, on citera l’interdiction de la
censure, ainsi que les dispositions de nature à garantir le pluralisme des
médias.
L’ensemble de ce dispositif instaure, au sein même des systèmes
représentatifs, le régime de la démocratie d’opinion*. Les représentants du peuple
et les gouvernants, qui tiennent directement ou indirectement leurs pouvoirs de la
faveur populaire, sont particulièrement sensibles aux mouvements de l’opinion
publique, c’est-à-dire à l’opinion des citoyens desquels ils solliciteront à terme le
renouvellement de leur mandat. La démocratie représentative ne repose donc pas
exclusivement sur les pouvoirs constitués, mais établit une interaction entre ceux-
ci et les citoyens, dont les pouvoirs constitués sont censés être l’émanation et
exprimer la volonté politique.

Les procédés de démocratie directe : le referendum

La démocratie directe* est un régime dans lequel les citoyens exercent


directement, au sein de l’assemblée populaire, les différentes fonctions du
gouvernement. C’était le régime des démocraties antiques. Nombre de

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Constitutions contemporaines combinent la démocratie représentative avec le


recours à certains procédés de démocratie directe, essentiellement le referendum.
On distingue plusieurs catégories de referendum et principalement :
1. Le referendum* au sens général est une expression de la volonté des
citoyens qui fait partie du processus d’élaboration de la législation au sens
large. Le referendum peut avoir une valeur de décision ou de simple
consultation ou encore de ratification d’un traité international. Ainsi, des
États membres de l’Union européenne ont soumis à referendum la
ratification (avortée) de la Constitution européenne ou encore celle (réussie)
du Traité de Lisbonne.
2. L’initiative populaire* est l’acte par lequel une fraction des citoyens
intervient pour proposer une loi ou une révision constitutionnelle. Cette
initiative peut être suivie d’une procédure parlementaire classique ou faire
l’objet d’une consultation populaire. Afin de renforcer la notion de
citoyenneté européenne, le Traité de Lisbonne prévoit un droit d’initiative
populaire (appelé initiative citoyenne) par lequel au moins un million de
ressortissants d’un nombre significatif d’États membres sont habilités à
inviter (pas à contraindre) la Commission à soumettre une proposition de
texte aux institutions compétentes149.

En Belgique, l’article 41 de la Constitution consacre expressément la


possibilité pour les provinces et les communes d’organiser des consultations
populaires. La loi provinciale et la loi communale en fixent les modalités. On relève
notamment un droit d’initiative des citoyens, la possibilité de participer dès 16 ans
à la consultation et le caractère facultatif du vote, les bulletins n’étant pas
dépouillés en dessous d’un certain seuil de participation150.
Jusqu’en 2014, la Constitution était muette quant à l’organisation de
referendum au niveau fédéral, des communautés et des régions. La doctrine en
déduisait généralement que de telles consultations sont inconstitutionnelles151. Il
existait cependant un précédent puisque la loi du 11 février 1950 a institué une
consultation populaire demandant aux électeurs s’ils étaient d’avis « que le Roi
Léopold III reprenne l’exercice de ses pouvoirs constitutionnels » : 57, 68 % des
électeurs répondirent par l’affirmative. Cependant, si les votes favorables
atteignaient 72,2 % en Flandre, ils n’étaient que de 48,16 % dans l’arrondissement
de Bruxelles et de 42 % en Wallonie. En conséquence, les chambres constatèrent
la fin de l’impossibilité de régner du Roi, mais celui-ci, tirant les leçons du scrutin,
abdiqua quelques jours plus tard152.

149Art. 11, § 4 du TUE ; Règlement (UE) n° 211/2011 du Parlement et du Conseil du 16 février 2011
relatif à l’initiative citoyenne, J.O. L 65 du 11 mars 2011, p. 1.
150M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, Bruxelles, Anthemis - Bruylant, 2014,
2ème éd., pp.149-150.
151 M. UYTTENDAELE, op. cit., pp. 146-148 et les références citées notes 7 et 8.
152 M. UYTTENDAELE, op. cit., pp. 155-156.

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Depuis la sixième réforme de l’État entrée en vigueur en 2014, un article


39bis a été ajouté dans la Constitution pour permettre aux Régions d’organiser des
consultations populaires sur des matières qui ont été exclusivement attribuées à
des organes régionaux, avec certaines exceptions (notamment les matières
relatives aux finances et au budget). Ces consultations populaires ne peuvent dès
lors pas porter sur des questions qui relèvent de l’autorité fédérale (comme la
répartition des compétences ou les facilités accordées aux francophones en
périphérie bruxelloise) ou des communautés. Les modalités et l’organisation de la
consultation populaire sont réglées par décret ou ordonnance, adopté à la majorité
des deux tiers des suffrages exprimés, à condition que la majorité des membres du
Parlement concerné se trouve réunie.

La participation des citoyens à l’exercice des pouvoirs

Dans un certain nombre de cas, d’ailleurs de plus en plus nombreux, des


citoyens ou des associations sont appelés à siéger dans des organes qui participent,
par voie d’avis, parfois même de décision, à l’exercice des pouvoirs constitués. Ce
phénomène en pleine croissance se rencontre aussi bien dans l’ordre juridique
interne, que dans les ordres européen et international. On distinguera ici la
participation des citoyens au pouvoir judiciaire, d’une part, et aux pouvoirs
législatif et exécutif, d’autre part.

1. La participation des citoyens à l’exercice de la justice

Le cas le plus important et le plus classique de participation des citoyens à


l’exercice de la justice est l’institution du jury populaire. L’origine de cette
institution remonte aux démocraties directes de l’Antiquité. En Belgique, le jury
est établi par l’article 150 de la Constitution dans les affaires pénales les plus
graves ou les plus sensibles pour la démocratie : les crimes, les délits politiques et
les délits de presse. Le jury siège au sein de la cour d’assises. Il est composé de 12
jurés effectifs, tirés au sort sur le registre des électeurs. Les jurés doivent jouir de
leurs droits civils et politiques, être âgés de 30 à 60 ans, savoir lire et écrire et
connaître la langue des débats. La loi prévoit en outre certaines incompatibilités,
notamment pour les mandataires politiques et les magistrats professionnels153.
D’autres juridictions recourent également à des juges non professionnels. Il
s’agit notamment des juges et conseillers sociaux dans les juridictions du travail,
qui sont présentés par les organisations représentatives des travailleurs et des
employeurs, ainsi que des juges consulaires dans les tribunaux de l’entreprise, qui
sont des entrepreneurs, des administrateurs de société, des comptables, des
réviseurs d’entreprises, etc. La composition du tribunal d’application des peines
est calquée sur le même modèle, à savoir un magistrat professionnel qui préside,
entouré de deux assesseurs, l’un spécialisé en matière d’exécution des peines et
l’autre en réinsertion sociale.

153 Art. 217 et 224 du Code judiciaire.

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2. La participation des citoyens à l’exercice de la fonction législative ou


constitutionnelle

Ces dernières années, les expériences de démocratie participative se sont


multipliées, souvent afin de donner un nouveau souffle à nos démocraties. Parmi
celles-ci, le tirage au sort de représentants, un principe qui a connu son apogée
dans l’Athènes classique, a à nouveau le vent en poupe.
En Communauté germanophone, un conseil citoyen a été instauré au sein
du parlement. Ce conseil permanent est composé de 24 citoyens tirés au sort
appelés à siéger durant 18 mois154. Au maximum trois fois par an, ce conseil peut
convoquer une assemblée citoyenne, elle-même composée de 25 à 50 personnes
tirées au sort, « en tenant compte d’une représentation équilibrée des sexes et des
tranches d’âge, d’un équilibre géographique et d’une mixité socio-économique » sur
un sujet particulier qu’il a défini. Des recommandations peuvent ensuite être
communiquées au parlement qui doit s’en saisir. Une justification motivée doit être
fournie par le parlement pour chaque recommandation qui ne serait pas suivie155.
Notez que le décret prévoit l’interdiction « de proposer des thèmes en contradiction
avec les droits de l’homme et les libertés fondamentales qui figurent au titre 2 de
la Constitution ainsi que dans les traités internationaux ratifiés par la Belgique ».
En 2019, le Parlement de la Région Bruxelles-Capitale a créé en son sein
des commissions délibératives mixtes, composées de 45 citoyens tirés au sort et de
15 députés. Ces commissions pourront débattre de sujets d’intérêt régional
proposés par le Parlement ou par au moins 1.000 citoyens. Elles pourront formuler
des recommandations au Parlement.
En Islande, à la suite de la grave crise financière qui a frappé le pays en
2008 et qui a donné naissance à la révolution dite « des casseroles », une assemblée
nationale composée de 1000 personnes tirées au sort a été chargée de produire un
cahier des charges précisant les points de la Constitution de 1944 qui devaient être
révisés. Ensuite, une assemblée constituante élue a été chargée de poursuivre les
travaux.
En Irlande, une Convention sur la Constitution, composée notamment de 66
citoyens tirés au sort dans un échantillon représentatif (âge, genre, domiciliation)
a siégé entre 2012 et 2014 pour débattre d’une série de propositions de révision
constitutionnelle. Les autres membres de cette Convention, composée de 100
personnes au total, étaient principalement des députés. Le gouvernement
irlandais était tenu de répondre à chacune des propositions de la Convention et
d’en débattre au parlement. à la suite des travaux de cette Convention que l’accès
au mariage entre personnes de même sexe a été soumis au referendum en 2015 et
que la Constitution a été modifiée pour permettre ce mariage.

154Décret du 25 février 2019 instituant un dialogue citoyen permanent en Communauté


Germanophone, M.B., 12 avril 2019.
Ce système est directement inspiré du mécanisme du G1000 promu par l’écrivain David Van
155

Reybrouck dans son ouvrage Contre les élections (Babel, 2014).

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3. Les organisations de la société civile associées aux pouvoirs législatif


et exécutif

Du niveau local au niveau international, des comités de quartiers aux


agences des Nations Unies, on ne compte plus les conseils, comités et autres
organisations qui participent, généralement à titre d’avis, dans le cadre des
procédures d’élaboration et d’exécution des normes juridiques dans l’ordre interne,
l’ordre européen et l’ordre international. Parmi ceux-ci, on peut prendre l’exemple
des conseils économiques et sociaux, qui interviennent dans le cadre de la politique
sociale, laquelle fait souvent l’objet de négociations menées par ou avec les
« partenaires sociaux ». Ces conseils sont traditionnellement composés
paritairement de représentants des organisations syndicales et patronales. Ils
s’élargissent aujourd’hui de plus en plus souvent à certains représentants
d’organisations non gouvernementales.

La protection juridique de l’ordre démocratique

La démocratie est un régime politique qui compte beaucoup de partisans


mais aussi des adversaires. Aujourd’hui, elle est généralement considérée comme
le seul mode de gouvernement juste et légitime, indissociable du respect des droits
de l’homme et de l’État de droit. Cependant, les démocraties font face à un véritable
dilemme lorsqu’elles sont confrontées à des activités liberticides qui visent à
remettre en cause l’ordre démocratique et les droits et libertés qui en sont le
corollaire : soit la démocratie renie ses principes en refusant à certains la liberté
dont elle fait son but, soit elle concourt à sa propre destruction en laissant à ses
ennemis les moyens de la renverser156.
En Belgique, la loi sur le financement des partis politiques habilite, depuis
1999157, le Conseil d’État à supprimer ou à réduire la dotation d’un parti politique
qui, directement ou par la voie de ses candidats ou mandataires, « montre de
manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants son hostilité envers
les droits et libertés garantis par la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Jusqu’en 2005, cette loi était
dépourvue de tout effet à défaut de définition d’une procédure précise pour ce
faire158. En pratique, elle reste très compliquée à mettre en œuvre.

156 P. LAUVAUX, op. cit., p. 163.


157Loi du 12 février 1999 insérant un article 15ter dans la loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation
et au contrôle des dépenses électorales des partis politiques et un article 16 bis dans les lois
coordonnées sur le Conseil d’État, M.B., 18 mars 1999.
158 Loi du 17 février 2005 modifiant les lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973, et
la loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales engagées pour
les élections des chambres fédérales, ainsi qu'au financement et à la comptabilité ouverte des partis
politiques M.B., 13 octobre 2005.

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L’article 150 de la Constitution a été modifié en 1999159 pour soustraire les


délits de presse à caractère raciste et xénophobe à la compétence de la cour
d’assises. Ils sont désormais confiés au tribunal correctionnel, afin de faciliter
l’exercice des poursuites et la répression. Celle-ci trouve son fondement dans la loi
du 30 juillet 1981, tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la
xénophobie (dite loi Moureaux), qui institue, entre autres, le délit d’incitation à la
haine raciale.
Le Conseil d’État a donné raison à la RTBF qui, lors de la campagne de 1999
pour les élections législatives, a refusé d’offrir une tribune médiatique à un parti
d’extrême droite160.
La Cour européenne des droits de l’homme, tout en réaffirmant le caractère
essentiel et consubstantiel à la démocratie de libertés fondamentales telles que la
liberté d’expression, la liberté d’association ou encore la liberté de réunion, a admis
que les États limitent ces libertés à certaines conditions strictes, notamment
lorsqu’elles sont utilisées pour porter atteinte à l’ordre démocratique. Ainsi, la
Cour a autorisé la dissolution d’un parti politique dont l’objet social était de mettre
fin à la démocratie par la violence et d’instaurer un régime discriminatoire161. La
Cour a, par contre, condamné la Turquie pour avoir dissout le parti communiste
unifié de Turquie avant même ses premières activités, rien n’indiquant dans son
objet social ou les activités préalables de ses dirigeants que ce parti porterait
atteinte à la démocratie162. La Cour européenne des droits de l’homme a également
admis certaines limitations au discours politique, notamment lorsque la liberté
d’expression est utilisée par le président du Front National en Belgique pour
inciter à la haine qui constitue une négation des valeurs fondamentales d’un État
démocratique163. De manière générale, la Cour souligne que « la tolérance et le
respect de l'égale dignité de tous les êtres humains constituent le fondement d'une
société démocratique et pluraliste. Il en résulte qu’en principe on peut juger
nécessaire, dans les sociétés démocratiques, de sanctionner voire de prévenir
toutes les formes d'expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient
la haine fondée sur l'intolérance (y compris l'intolérance religieuse), si l'on veille à
ce que les ‘formalités’, ‘conditions’, ‘restrictions’ ou ‘sanctions’ imposées soient
proportionnées au but légitime poursuivi »164. En Belgique cependant, la Cour
européenne des droits de l’homme a considéré qu’il n’existe pas actuellement de loi
qui autorise la censure préalable, l’interdiction d’une telle censure se trouvant au
contraire inscrite dans la Constitution belge165.

159 Article unique de la modification de la Constitution du 7 mai 1999 ( M.B., 27 mai 1999).
160 C.E. n° 80.787 du 9 juin 1999, arrêt Bastien.
161 Cour eur.dr.h. (GC), Refah Partisi (parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, 13 février 2003.
162 Cour eur.dr.h.,Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998.
163 Cour eur.dr.h., Féret c. Belgique, 16 juillet 2009.
164Cour eur.dr.h.,Gündüz c. Turquie, 4 décembre 2003, § 40 ; et Erbakan c. Turquie, 6 juillet 2006,
§ 56.
165Cour eur.dr.h., RTBF c. Belgique, 22 mars 2011. L’article 25 al. 1er de la Constitution belge
prescrit : « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ; (…) ».

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Les droits humains

Ancrés dans les valeurs de la liberté et de l’égalité, elles-mêmes déclinées à


l’aune de celle de la dignité, les droits humains constituent un socle de droits
universels, inaliénables et indivisibles à tout être humain. Leur reconnaissance et
leur protection sont consubstantielles à l’existence d’un l’État de droit.
Le droit international et européen des droits humains, construit sur les
ruines et les atrocités commises pendant la seconde guerre mondiale, est
aujourd’hui ouvertement mis en cause dans les régimes démocratiques. Hier
encore, l’affirmation du respect des droits humains restait un standard
incontestable de l’action publique, même s’il pouvait l’être de manière hypocrite.
Aujourd’hui, des chefs d’État ou des membres de gouvernements démocratiques
contestent explicitement les droits humains et s’appuient sur des constructions
théoriques visant à en saper les fondements. Les concepts de « démocratie sans
droits » ou de « démocratie illibérale » font florès en oubliant trop facilement que
les droits humains sont indissociables d’une démocratie conçue dans le cadre de
l’État de droit166.
Ce chapitre vise à donner les fondements de la protection juridique des
droits humains qui vise tant les libertés fondamentales (I) que le principe d’égalité
et de non-discrimination (II). Dans le contexte des droits humains, liberté et égalité
sont intrinsèquement liées et se complètent l’une l’autre. Ainsi, le principe d’égalité
et de non-discrimination s’applique à l’exercice de chaque liberté fondamentale
dans la mesure où celle-ci doit être reconnue sans discrimination.

SECTION 1 : DROITS HUMAINS ET LIBERTÉS FONDAMENTALES

L’État libéral et la garantie des libertés individuelles

L’histoire des droits humains est liée à celle des idées politiques et
notamment, en Occident, à l’affirmation de l’autonomie individuelle qui pose que
l’individu soit pensé comme un sujet de droit à part entière. Cet individu naît avec
des droits qui sont inhérents à sa nature. Les philosophes des Lumières les
désigneront sous le terme de droits naturels* de l’homme. Ce concept
philosophique est également une revendication politique forte qui tend à protéger

166 Voy. les excellents ouvrages de J. LACROIX et de J.-Y. PRANCHÈRE, Le procès des droits de
l’homme, Paris, éd. du Seuil, 2016 ; Les droits de l’homme rendent-ils idiots ?, Paris, éd. du Seuil,
2019.

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la liberté des individus contre la tyrannie et les abus du pouvoir. Les individus ne
doivent pas seulement être protégés par l’État, mais également, le cas échéant,
contre lui. Le respect des droits et des libertés des individus doit être assuré face à
quelque autorité que ce soit. Selon la philosophie libérale, qui a inspiré les
révolutions de la fin du XVIIIe siècle, leur garantie et leur protection sont le but
ultime de toute association politique167 et donc de l’État.
C’est dans cet esprit qu’ont été conçues les déclarations révolutionnaires des
droits de l’homme, comme le Bill of Rights de 1791 qui comprend les dix premiers
amendements à la Constitution des États-Unis adoptée en 1789, ou la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen adoptée en France en 1789. De même, la
Constitution belge a notamment garanti, dès 1831, la liberté individuelle (article
12), la légalité des peines (article 14), l’inviolabilité du domicile (article 15), la
liberté des cultes et la liberté de manifester ses opinions (article 19), le respect de
la vie privée et familiale (article 22) ou la liberté de la presse (article 25).
Ces droits ont toujours été justiciables devant les cours et tribunaux en
Belgique, mais ces derniers ne censuraient pas les lois qui y contrevenaient au nom
d’un principe de la séparation des pouvoirs entendu trop restrictivement. La
protection de ces droits fondamentaux s’est trouvée sensiblement accrue par
l’instauration d’un contrôle de constitutionnalité des normes législatives devant la
Cour constitutionnelle* à la fin du XXe siècle.
La garantie internationale des droits de l’homme est née sur les ruines de
la seconde guerre mondiale et pour répondre à la barbarie de l’holocauste. C’est
dans la foulée de la création de l’ONU que la Déclaration universelle des droits de
l’homme a été adoptée, en 1948, marquant l’engagement des 58 États parties de
l’époque de proclamer des libertés fondamentales à l’échelle universelle. Le
préambule de cette Déclaration s’ouvre par ces mots : « Considérant que la
reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine
et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la
justice et de la paix dans le monde ».
Un mouvement similaire a conduit à la mise sur pied d’un système régional
de protection des droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe en 1950, avec
l’adoption de la Convention européenne des droits de l’homme (Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
connue sous l’acronyme CEDH). Cette Convention s’accompagne de l’instauration
de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg et prévoit une
disposition procédurale remarquable qui garantit un droit de recours individuel
devant cette juridiction européenne.
Aujourd’hui les termes « droits de l’homme », « droits humains » (forgés plus
récemment pour répondre à la critique de l’androcentrisme), droits fondamentaux
ou libertés fondamentales sont, le plus souvent, utilisés comme des synonymes168.
Ils désignent les fondements essentiels de l’État de droit, sont reconnus

167Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, art. 2 : « Le but de toute association
politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme ».
168 Au Canada, on parle de « droits de la personne ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

constitutionnellement et sont largement tributaires de nombreuses conventions


internationales.

Droits absolus et droit relatifs

Le fait que l’on parle de droits fondamentaux n’impliquent pas que tous ces
droits soient absolus, en ce sens qu’ils ne souffriraient d’aucune restriction. La
plupart sont en réalité des droits relatifs, en ce sens qu’ils peuvent être limités
mais à des conditions bien précises.
Le système de la Convention européenne des droits de l’homme distingue
clairement ces deux catégories de droit. Parmi les quelques droits absolus, l’on
compte notamment l’interdiction de la torture : « Nul ne peut être soumis à la
torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » (article 3
CEDH). Une telle interdiction vaut même en cas de guerre ou de tout danger
menaçant la vie de la nation169. Les circonstances les plus difficiles, comme la lutte
contre le terrorisme et le crime organisé, ne peuvent jamais justifier le recours à
ces traitements qui se rangent sur une échelle de gravité croissante. Est dégradant,
l’acte de nature à humilier grossièrement l’individu devant autrui ou à ses propres
yeux, ou le poussant à agir contre sa volonté ou sa conscience. Est inhumain, l’acte
qui provoque volontairement des souffrances mentales ou physiques d’une
intensité particulière. La qualification de torture marque d’une spéciale infamie
les traitements inhumains qui provoquent délibérément des souffrances
particulièrement graves et cruelles.
La majorité des droits consacrés par la Convention européenne des droits de
l’homme sont « relatifs », c’est-à-dire qu’ils peuvent faire l’objet de restrictions par
les États membres. Ainsi, l’article 10 de cette Convention qui consacre le droit à la
liberté d’expression dispose que :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit
comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de
communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir
ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.
(…)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des


responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions,
restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des
mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à l’intégrité territoriale, ou à la sûreté publique, à la
défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la
santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits

169 Voy. l’article 15 CEDH et la jurisprudence y afférente.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles


ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

Sur le modèle de l’article 10, une série de dispositions de la Convention


européenne des droits de l’homme qui portent sur des droits « relatifs » sont
libellées en deux paragraphes : le premier consacre le droit en tant que tel, tandis
que le second expose à quelles conditions des restrictions à ce droit sont permises.
N’importe quelle limitation n’est en effet pas admise170. Trois conditions
cumulatives doivent être réunies.
1° La restriction doit être prévue par la loi. Ce terme est entendu de façon assez
large par la Cour européenne des droits de l’homme afin de prendre en
compte les traditions juridiques des différents États membres. S’il n’est pas
requis que la restriction soit contenue dans un texte de loi au sens formel du
terme, la Cour exige que la restriction soit formulée de manière à permettre
aux citoyens d’adapter leurs comportements en conséquence. Elle va donc
vérifier si l’application de la règle emportant la restriction à un droit
fondamental est suffisamment prévisible et si la règle est suffisamment
accessible.
2° La restriction doit poursuivre un but légitime, c’est-à-dire un des objectifs
spécifiés dans chaque cas par la Convention européenne. Ces objectifs sont
nombreux et souvent entendus largement. L’article 10 de la Convention
prévoit ainsi que des limites peuvent être apportées à la liberté d’expression
afin de protéger la sécurité nationale, l’intégrité territoriale, la sûreté
publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime, la santé ou la
morale, la réputation ou les droits d’autrui, la confidentialité d’informations,
l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
3° La restriction doit être nécessaire dans une société démocratique. Cette
condition est celle qui suscite le plus de débats dans la pratique. La Cour
européenne des droits de l’homme joue ici un rôle fondamental
d’interprétation* de la Convention. Elle la considère comme « un instrument
vivant à interpréter à la lumière des conditions actuelles »171.
C’est l’étude de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme qui permet de comprendre comment elle exerce un contrôle à géométrie
variable sur les atteintes et les différentes limitations apportées à la liberté
d’expression. Ainsi, les mesures préventives (c’est-à-dire de censure), si elles ne
sont pas absolument interdites par la Convention, sont néanmoins suspectes aux
yeux de la Cour et font l’objet du contrôle le plus rigoureux. Par contre, pour les
mesures a posteriori, répressives (sanctions pénales) ou de réparation
(responsabilité civile), la Cour accorde aux États une large marge d’appréciation

170 Notez que la Charte des droit fondamentaux de l’Union européenne contient, elle, une
disposition particulière, l’article 52, intitulée « portée et interprétation des droits et des principes ».
Cette disposition prévoit les conditions que doivent remplir les limitations aux droits et libertés qui
sont énoncés dans la Charte.
171 Cette expression fréquemment utilisée aujourd’hui par la Cour européenne des droits de
l’homme l’était déjà dans l’arrêt Tyrer c. Royaume-Uni de 1978.

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lorsque ces mesures concernent des particuliers et visent à protéger l’ordre public
ou les droits d’autrui. Cependant, la Cour se montre beaucoup plus sévère lorsque
de telles mesures touchent la presse, sous toutes ses formes, notamment écrite et
audiovisuelle. La Cour justifie ce régime spécial par la fonction indispensable de
« chien de garde de la démocratie » que remplit la presse. La presse doit pouvoir
rendre compte librement, et sur le ton qui lui convient, des débats politiques et des
questions présentant un intérêt pour le public. Cette liberté ne s’accommode
pratiquement d’aucune restriction lorsqu’il s’agit de rendre compte ou de critiquer
l’action du gouvernement.

III. Obligations générales des États

Les États doivent d’abord s’abstenir d’agir pour ne pas interférer de façon
injustifiée avec les droits humains garantis (obligation de ne pas faire). Ainsi, par
exemple, le respect de la liberté de la presse impose d’éviter tout acte de censure
de la part des autorités.
La protection des droits humains n’est pas toujours assurée par une simple
abstention des autorités publiques. L'État peut alors être contraint de prendre des
mesures particulières afin d'assurer le respect de ces droits : c'est ce qu'on appelle
les obligations positives* mises à charge de l’État (obligation de faire). Ainsi, par
exemple, le respect de la liberté de la presse et celui du droit à la vie peuvent
contraindre les autorités à mettre en place les mesures nécessaires à la protection
de journalistes qui seraient menacés.
Par ailleurs, la protection des droits humains peut également comporter une
dimension procédurale. Le décès d’une personne sous l’action des forces de l’ordre
exige qu’une enquête officielle, indépendante et effective soit menée pour garantir
le droit à la vie dans sa dimension procédurale. Il en est de même si le décès est
causé par un particulier dans certaines circonstances (torture ou traitements
inhumains, mobile abject, traite des êtres humains, servitude domestique, etc.)
d’autant plus si la victime se sentait menacée et avait sollicité l’aide de la police.
Si les droits fondamentaux sont traditionnellement conçus comme des
normes qui s’appliquent dans les relations verticales, à savoir entre l’État et les
particuliers, la conception européenne de la protection des droits humains impose,
dans une certaine mesure, leur respect dans les relations entre les particuliers.
C’est ce que l’on appelle l’effet horizontal* des droits de l’homme qui rend ces
derniers opposables dans les relations entre personnes privées. En conséquence,
l’État doit également agir pour protéger les droits fondamentaux d’une personne
menacée par l’action d’autres individus. Par exemple, l’État doit intervenir pour
mettre fin à des traitements inhumains ou dégradants infligés par des particuliers
ou encore pour s’opposer à des atteintes injustifiées à la liberté d’expression ou de
culte dans des relations de travail impliquant un employeur privé.
Enfin, de manière générale, les États doivent mettre leur droit interne en
conformité avec les exigences du droit international et régional des droits humains
qui s’impose à eux. Celles-ci évoluent sous l’action des juridictions et des organes

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chargés de les interpréter (infra, point IV. exposant la variété des systèmes de
recours). Pour prendre un exemple, il s’agit alors de se demander quelle est la
portée d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Il est clair que la
Belgique condamnée par la Cour européenne devra modifier sa législation si celle-
ci est à l’origine de la violation. Dans ce cas, il s’agira d’ exécuter l’arrêt de
condamnation. Qu’en est-il lorsque la condamnation vise un autre État, en raison
d’une législation analogue à celle en vigueur en Belgique ? Pour la Cour
européenne, les interprétations contenues dans ses arrêts s’incorporent au texte
de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses protocoles qui sont,
nous l’avons vu, des « instruments vivants » qui doivent s’interpréter « à la lumière
des conditions actuelles ». Cette doctrine, connue sous le nom de l’autorité de la
chose interprétée (pour la distinguer de l’autorité de la chose jugée* qui se limite
aux parties au procès), oblige ainsi tous les États membres du Conseil de l’Europe
qui aurait une législation analogue à celle de l’État condamné à la modifier. Dans
l’intervalle, les juridictions nationales peuvent être amenées à ne pas appliquer la
législation controversée en vertu du principe de la primauté du droit international.
Pour renforcer l’interaction entre la Cour européenne et les juridictions nationales,
le Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme, entré en
vigueur en 2018172, permet aux plus hautes juridictions d’un État partie à ce
Protocole d’« adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifs sur des questions
de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés
définis par la Convention ou ses protocoles ».

IV. Un système national, régional et international de protection des


droits fondamentaux

La variété des textes de protection

En Belgique, les droits fondamentaux sont énoncés au titre II de la


Constitution (« Des Belges et de leurs droits », articles 8 à 32).
Depuis la seconde guerre mondiale, ils sont également consacrés par des
traités internationaux, ayant pour la plupart de leurs dispositions des effets directs
dans l’ordre interne. Au niveau du Conseil de l’Europe, la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, 1950)
et ses protocoles additionnels sont les plus célèbres. Au niveau des Nations Unies,
le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP, 1966) et le Pacte
international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC, 1966) sont
également très connus. Au niveau de l’Union européenne, il s’agit principalement
de la Charte européenne des droits fondamentaux, adoptée en 2000 et devenue
contraignante avec l’entrée en vigueur en 2009 du Traité de Lisbonne qui lui
confère valeur de droit primaire*.

172 Notez que ce Protocole a été signé mais non pas ratifié par la Belgique.

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L’Europe n’est pas le seul cadre régional dans lequel des Conventions à
portée générale pour la protection des droits humains ont été élaborées. Ainsi, par
exemple, la Convention américaine des droits de l’homme a été adoptée en 1969
par l’Organisation des États américains et la Charte Africaine des droits de
l’homme et des peuples a été adoptée en 1981 par l’Union africaine.
Aujourd’hui, le droit international des droits humains se caractérise par une
grande variété de conventions. Certaines sont de portée générale comme le Pacte
international des Nations Unis sur les droits civils et politiques (PIDCP, 1966).
D’autres sont des Conventions spécialisées des droits humains qui vont :
• soit protéger certaines catégories de personnes (par exemple, au niveau des
Nations Unies, la Convention de 1951 sur le statut de réfugié ou la
Convention de 1979 sur l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes ou encore la Convention de 1989 relative aux droits de l’enfant) ;
• soit viser un comportement spécifique de violations des droits humains (par
exemple, au niveau des Nations Unies, la Convention de 1948 pour la
prévention et la répression du crime de génocide, la Convention de 1966 pour
l’élimination de la discrimination raciale ou la Convention de 2006 pour la
protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées).
L’existence de traités relatifs aux droits fondamentaux à portée générale ou
spécialisés se retrouvent dans les différents systèmes régionaux de protection des
droits humains.

La variété des droits protégés : les générations de droits de


l’homme

Dans le contexte des libertés individuelles, les droits civils et politiques*


sont des droits qui visent à l’origine à protéger les individus par rapport à l’État et
aux abus du pouvoir. On parle parfois de droits de l’homme de la première
génération, car ils puisent leur inspiration dans le libéralisme et ont trouvé une
première consécration suite aux révolutions américaine (1787) et française (1789).
Parmi les droits humains fondamentaux qui consacrent des droits civils et
politiques, on trouve notamment l’interdiction de la torture et des traitements
inhumains et dégradants, le droit à la vie, la liberté d’expression et d’opinion, la
liberté de conscience et de religion, la liberté d’association ou le droit au respect de
la vie privée et familiale.
Aux côtés des droits civils et politiques, le droit international et régional des
droits fondamentaux a consacré des droits économiques, sociaux et culturels qui
visent à assurer un niveau de vie digne et adéquat aux individus. Ils recouvrent
des droits tels que le droit au travail, le droit de grève, le droit à la santé, le droit
à l’éducation, le droit à l’identité culturelle. Historiquement, leur reconnaissance
est postérieure à celle des droits civils et politiques, c’est pourquoi ils sont parfois
désignés comme les droits de l’homme de la deuxième génération, mais ils sont en
réalité absolument nécessaires à la réalisation des premiers. Quel sens aurait, en
effet, la liberté d’expression quand les conditions minimales d’une vie digne ne sont

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pas remplies ? C’est dans ce sens que l’on parle d’une indivisibilité des droits de
l’homme (infra, ce chapitre, section II consacrée à l’égalité).

Les droits économiques, sociaux et culturels sont consacrés dans des traités
spécifiques comme le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et
culturels adopté dans le cadre des Nations Unies (PIDESC, 1966) ou la Charte
sociale européenne adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe (1961, révisée en
1996). Parfois, les droits économiques, sociaux et culturels figurent dans les mêmes
textes que les droits civils et politiques. Ainsi, la Déclaration universelle des droits
de l’homme (1948) comprenait déjà le droit au travail et au libre choix de son
travail, le droit à la sécurité sociale ou le droit de prendre part à la vie culturelle
de la communauté. De plus, certaines organisations internationales, comme
l’Organisation internationale du travail (OIT) ou l’Organisation des Nations Unies
pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) élaborent des conventions
destinées à renforcer certains droits économiques, sociaux ou culturels. Ces droits
ont également été introduits dans des Constitutions nationales. En Belgique, le
constituant a jouté un article 23 à la Constitution en 1994 (infra, ce chapitre,
section II consacrée à l’égalité).
Enfin, les années 1970 ont vu s’organiser, sous l’action des défenseurs des
droits humains du « Sud » (Global South), les revendications pour la
reconnaissance de droits dits de solidarité relatifs aux droits collectifs des sociétés
ou des peuples. Ils comprennent notamment les droits à l’autodétermination des
peuples, à un développement durable, à la paix, à un environnement sain, au
partage dans l’exploitation du patrimoine commun de l’humanité ou à l’assistance
humanitaire.
Qualifiés de droits de la troisième génération, ils suscitent beaucoup de
débats au motif que les droits humains seraient nécessairement individuels et que
la reconnaissance de droits collectifs de cette nature risquerait d’affaiblir les droits
humains dans leur ensemble. Ainsi, on pourrait craindre qu’au nom de mesures
destinées à promouvoir le développement économique et lutter contre la pauvreté,
des États réduisent les libertés publiques. Il est également souligné que le débiteur
de ces droits est d’une nature différente. Il s’agit de la communauté internationale,
et non plus des États, ce qui complique encore leur mise en œuvre. Régulièrement
mis à l’ordre du jour de l’agenda des Nations Unies, le droit au développement jouit
aujourd’hui d’une certaine reconnaissance. Quoiqu’il en soit, l’ampleur de la crise
climatique et ses effets dévastateurs sur l’habitabilité de notre planète et sur les
écosystèmes, ainsi que la multiplication de réfugiés climatiques devraient remettre
ces droits au centre des préoccupations internationales.

La variété des systèmes de recours

Dans un État de droit, la protection des droits fondamentaux doit donner


lieu à un recours effectif dans l’ordre interne de chaque État, même si la violation
a été commise par les autorités officielles.

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Le droit international des droits humains offre également différentes formes


de recours (juridictionnel ou quasi-juridictionnel) dont les modalités diffèrent
(requête individuelle ou collective, délai de recours, sélection des recours, autorité
de la décision, etc.). Ces recours sont pour la plupart subsidiaires à ceux qui
peuvent être exercés dans l’État où la violation a été commise. Ce principe de
subsidiarité tend également à concilier les spécificités nationales et les standards
internationaux.
Au sein du Conseil de l’Europe, le système instauré par la Convention
européenne des droits de l’homme est célèbre car c’est le premier qui a mis en place
un droit de recours individuel devant une juridiction supranationale. Ainsi, les
personnes dont les droits auraient été violés disposent ultimement, après
l’épuisement des voies de recours internes et moyennant le respect d’un délai de
six mois, d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (article 34
CEDH). La Cour est chargée d’appliquer et d’interpréter la Convention. En cas de
violation, elle condamne l’État responsable, qui doit « effacer » les conséquences de
la violation. Cela implique parfois pour l’État l’obligation de modifier sa législation.
Si les conséquences de la violation ne peuvent être effacées, la Cour allouera à la
victime une « satisfaction équitable » (article 41 CEDH). Les violations de la
Charte sociale européenne peuvent faire l’objet d’un recours collectif devant le
Comité européen des droits sociaux.
Dans l’Union européenne, c’est la Cour de justice de l’Union européenne qui
va connaître des questions en appréciation de validité du droit dérivé par rapport
à la Charte des droits fondamentaux, mais également des questions en
interprétation mobilisant cet instrument dans le respect des limites des
compétences de l’Union (article 51 de la Charte).
L’Organisation interaméricaine des droits de l’homme s’est également dotée
d’un organe juridictionnel en 1979 avec l’établissement de la Cour interaméricaine
des droits de l’homme située à San José au Costa Rica. Cette juridiction peut
statuer sur des affaires de violations individuelles des droits de l’homme si l’État
concerné de l’Organisation des États américains a reconnu sa compétence.
Contrairement à la Cour européenne des droits de l’homme, les particuliers ne
peuvent pas la saisir directement. Ils doivent d’abord déposer une plainte auprès
de la Commission interaméricaine des droits de l’homme à qui il appartient de se
prononcer sur la recevabilité de la requête et d’adresser, le cas échéant, des
recommandations à l’État qui serait déclaré en faute. Les premières affaires
soumises à sa juridiction dans les années nonante concernaient des exécutions
extrajudiciaires d’enfants des rues au Guatemala par des officiers de police.
Pour l’Union africaine, c’est la Cour africaine des droits de l’homme et des
peuples qui est chargée notamment des différends concernant l'interprétation et
l'application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Son
premier arrêt au fond, prononcé en 2013, sanctionna les conditions d’éligibilité en

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Tanzanie qui excluaient les candidats indépendants (à savoir, les candidats non
affiliés à un parti politique) des élections173.
Au niveau des Nations Unies, c’est le Comité des droits de l’homme qui est
chargé de connaître des plaintes individuelles émanant de particuliers dénonçant
une violation des droits consacrés par le Pacte international sur les droits civils et
politiques. C’est un organe quasi-juridictionnel, composé d’experts indépendants
dont la compétence n’a pas été reconnue par tous les États. Le fait qu’il s’agit d’une
quasi-juridiction implique que ses décisions (appelées « constatations » ou
« observations finales ») n’ont pas la même force contraignante que celles d’une
juridiction comme la Cour européenne des droits de l’homme. Plus récemment, un
organe similaire a été mis sur pied au sein des Nations Unies pour permettre le
dépôt de plaintes individuelles concernant des violation des droits consacrés par le
Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (Comité des
droits économiques, sociaux et culturels). Il en existe également d’autres du même
type, comme le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale , le Comité
pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes ou le Comité des droits
des personnes handicapées.

Influences croisées et stratégies contentieuses

À partir du moment où les différents organes de protection des droits


fondamentaux sont les gardiens de l’application de droits fondamentaux au
contenu très similaire consacrés dans différents textes juridiques, il est normal
qu’ils s’inspirent les uns des autres, d’autant plus que les plaideurs ne manquent
pas d’attirer leur attention sur une jurisprudence pertinente pour leur cause. Ces
influences croisées jouent entre organes internationaux ou européens, mais
également nationaux. Ainsi, il n’est pas rare pour la Cour européenne des droits
de l’homme d’évoquer explicitement des décisions de la Cour de justice de l’Union
européenne, mais également de précédents des Comités onusiens, de la Cour
interaméricaine des droits de l’homme, voire de décisions de juridictions nationales
de pays membres du Conseil de l’Europe ou même de pays non-européens.
Certains requérants utilisent également les potentialités des différentes
voies de recours offertes par un espace fragmenté de protection des droits
fondamentaux. Ainsi, en matière d’interdiction du port de signes religieux, le
Comité des droits de l’homme a développé un contrôle de proportionnalité plus
exigeant que la Cour européenne des droits de l’homme ayant entraîné des
stratégies de forum shopping174.
Un des enjeux majeurs de la protection internationale et régionale des droits
humains concerne l’exécution des décisions rendues et leur force contraignante.

173 Arrêt du 14 juin 2013 rendu dans les affaires jointes Tangayika Law Society & The Legal and
Human Rights Centre c. Tanzanie et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie.
174Voy., par exemple, E. BRIBOSIA, G. CACERES et I. RORIVE, « Les signes religieux au cœur d’un
bras de fer : la saga Singh », Rev. trim. dr. h., 2014, pp. 495 et s.

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SECTION 2 : DROITS HUMAINS ET ÉGALITÉ

Égalité formelle et inégalités matérielles

De l’État libéral à l’État social

L’égalité constitue, à l’instar de la liberté, une revendication des révolutions


libérales et une valeur fondamentale du droit qui en est le produit. Cette
revendication conduisit à l’abolition des ordres, qui structuraient la société de
l’Ancien Régime, et à la suppression des privilèges (de privae leges, signifiant lois
privées) qui en étaient le corollaire et profitaient principalement aux membres des
ordres privilégiés (le clergé et la noblesse), mais aussi à certaines entités du Tiers-
État soumis à des statuts spécifiques (les corporations professionnelles et certaines
villes, par exemple). Dès 1831, la Constitution belge a affirmé que : « « Il n’y a dans
l’État aucune distinction d’ordres. Tous les Belges sont égaux devant la loi »
(ancien article 6, aujourd’hui, article 10 de la Constitution). Le Roi a certes le droit
de conférer des titres de noblesse, mais il ne peut jamais y attacher aucun privilège
(article 113 de la Constitution).
Cette égalité juridique des individus trouve sa garantie dans la formulation
de la loi*, qui énonce des règles générales et abstraites, donc universelles, sans
établir de différences selon les individus auxquels elle s’applique. Cette conception
purement formelle de l’égalité va cependant trouver ses limites dans l’évolution
des conditions sociales, provoquée au XIXe siècle par la révolution industrielle. Une
main-d’œuvre de plus en plus nombreuse quitte les champs pour les manufactures
et les usines et vient ainsi grossir les rangs d’un prolétariat urbain aux conditions
de vie et de travail misérables et précaires. Tandis que la bourgeoisie prospère,
toutes les mesures, au-delà de la charité privée, qui pourraient pourvoir à
l’amélioration du sort et de la condition ouvrière se heurtent aux dogmes de l’État
libéral et de ses principes constitutionnels. Au nom de la liberté et du « laissez-
faire »175, l’État se refuse à toute intervention dans la vie économique, y compris
dans l’organisation sociale du travail. Au nom de la liberté contractuelle et de
l’égalité formelle des cocontractants, il rejette tout aménagement légal des
conditions de travail, fut-ce pour interdire ou corriger les abus les plus criants,
comme l’exploitation du travail des enfants dès leur plus jeune âge. L’État libéral
demeure sourd aux revendications sociales de la classe ouvrière. Celle-ci est
d’ailleurs réduite au silence : les travailleurs sont privés du droit de vote que le
suffrage censitaire réserve aux riches propriétaires et les syndicats sont interdits,
prétendument au nom de la protection de la liberté individuelle.
Cette attitude rigide amena les défenseurs de la classe ouvrière et du
prolétariat à dénoncer l’ordre juridique libéral comme un discours idéologique,

175 Mot d’ordre de la pensée économique libérale aux termes duquel l’État doit s’abstenir
d’intervenir dans la vie économique et laisser agir les acteurs économiques.

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destiné à travestir, sous les apparences de la liberté, de l’égalité et de la justice,


l’exploitation odieuse de la grande majorité du peuple par la classe privilégiée des
bourgeois. L’État libéral et son droit sont également dénoncés comme des
instruments d’oppression tout acquis aux intérêts de la bourgeoisie. Cette analyse
les conduit à une condamnation radicale du droit et de l’État et à l’appel à la
révolution prolétarienne qui débouchera, au XXe siècle, sur l’instauration de
régimes communistes dans plusieurs parties du globe.
En Europe occidentale, un compromis historique est finalement scellé entre
les classes populaires et la bourgeoisie aux termes duquel le prolétariat renonce à
la révolution moyennant d’importantes contreparties. D’une part, les classes
laborieuses se voient enfin reconnaître le droit de vote (suffrage universel
masculin), c’est-à-dire l’égalité politique, et la liberté syndicale. D’autre part, l’État
renonce au dogme du « laissez-faire » et accepte de prendre part activement aux
progrès des conditions de vie et de travail. Cette modification de la mission de
l’État et l’implication de celui-ci dans la réforme de la société conduira
progressivement à la transformation de l’État libéral en État social, parfois qualifié
au moment de son apogée d’État providence. Cette transformation du rôle du droit
et de l’État introduit des changements très importants dans l’ordre juridique.
D’une part, cela conduit à une intervention accrue des pouvoirs publics dans
l’activité économique pour en stimuler la croissance tout en assurant, par le moyen
de l’impôt et des prestations sociales, une certaine redistribution de ses fruits,
idéalement dans le sens d’une réduction des inégalités.
D’autre part, cela conduit également à l’émergence et au développement
d’une nouvelle branche du droit : le droit social* qui comprend le droit du travail*
et le droit de la sécurité sociale*. Le droit du travail* réglemente tant la relation
individuelle entre le travailleur et l’employeur que les relations collectives entre
les organisations qui représentent leurs intérêts. Des dispositions impératives* et
parfois même d’ordre public*, garantissent certains droits aux travailleurs, par
exemple un délai de préavis en cas de licenciement. Le droit de la sécurité sociale*
vise les mécanismes d’assurance sociale destinés à protéger les travailleurs et leur
famille contre certains risques du travail et de la vie par le versement de
prestations compensant ou complétant leurs revenus professionnels (allocations de
chômage, indemnités pour incapacité de travail, pécule de vacances, allocations
familiales, etc.). Ces mécanismes de sécurité sociale ont également été étendus aux
fonctionnaires, aux travailleurs indépendants et, dans une certaine mesure, à des
personnes dans le besoin (notamment le revenu d’intégration ou le revenu garanti
aux personnes âgées dit Grapa). Ces prestations sont financées par des cotisations
versées à la fois par les travailleurs et les employeurs, éventuellement complétées
par une dotation de l’État. L’équilibre du système de sécurité sociale est un enjeu
majeur des États de droit contemporains.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels

Les revendications économiques et sociales, voire culturelles, en faveur


d’une plus grande égalité vont chercher elles aussi, à l’instar des droits civils et
politiques en ce qui concerne la liberté, à se formuler en termes de droits humains.
Comme nous l’avons vu, on parle souvent à cet égard de droits humains de la
deuxième génération, soulignant par là le caractère plus tardif de leur
reconnaissance. Cependant, d’aucuns soulignent, non sans raison, le caractère
primordial de ces droits. En effet, la jouissance de certains droits civils et politiques
dits de première génération, comme la liberté d’expression ou d’association,
suppose que les individus aient d’abord accès à un minimum de moyens d’existence
leur permettant de survivre, de se nourrir ainsi que leur famille et de s’épanouir
dans leur vie personnelle, sociale et culturelle. C’est pourquoi, beaucoup
s’accordent à proclamer le caractère indivisible des droits humains.
Toutefois, cette indivisibilité proclamée ne doit pas occulter les différences
fondamentales de leurs statuts. Les droits de première et de deuxième générations
ont des natures juridiques et des implications économiques tout à fait différentes.
Les libertés civiles et politiques requièrent au premier chef de l’État, on s’en
souvient, qu’il s’abstienne d’intervenir dans la vie des individus, lui imposant
d’abord une obligation de ne pas faire. À l’inverse, les droits économiques et sociaux
supposent au premier chef une intervention active de l’État et des services publics
auxquels les individus s’adressent, comme autant de créanciers, pour exiger
l’exécution en nature (obligation de faire) ou le paiement en argent (obligation de
donner) des prestations garanties. Cette différence entraîne des disparités
considérables dans la formulation, la mise en œuvre et l’effectivité des droits
économiques et sociaux, par rapport aux droits civils et politiques.
Les droits économiques, sociaux et culturels sont notamment proclamés, au
niveau international, par le Pacte international de New York relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (1966) et, au niveau du Conseil de l’Europe, par
la Charte sociale européenne révisée (1996). Ils sont également reconnus, au plan
interne, par l’article 23 de la Constitution, inséré en 1994.
De manière non limitative, l’article 23 de la Constitution proclame les droits
suivants :
1. le droit au travail, en ce compris le libre choix d’une activité professionnelle,
le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi
que le droit d’information, de consultation et de négociation collective ;
2. le droit à la sécurité sociale, en ce compris la protection de la santé et le droit
à l’aide sociale, médicale et juridique ;
3. le droit à un logement décent ;
4. le droit à la protection d’un environnement sain ;
5. le droit à l’épanouissement culturel et social ;
6. le droit aux prestations familiales.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Il convient d’ajouter à cette liste le droit à l’éducation, qui est garanti dans
l’article 24 de la Constitution, consacrant la liberté de l’enseignement. Le
paragraphe 3 de cette disposition prévoit en effet de manière précise que : « L’accès
à l’enseignement est gratuit jusqu’à la fin de l’obligation scolaire ».
Enfin, l’énumération de ces différents droits est précédée de la déclaration
générale selon laquelle : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité
humaine » (article 23, al. 1er, de la Constitution). En réalité, la dignité humaine est
au fondement de tous les droits de l’homme. Elle proclame la valeur sacrée de
l’individu et le droit pour chacun de conduire sa vie de manière autonome.
La portée de la consécration des droits économiques, sociaux et culturels
demeure relative. Ainsi, l’article 23 de la Constitution s’en remet-il à la loi, au
décret ou à l’ordonnance pour « garantir » les droits proclamés, en tenant compte
des « obligations correspondantes ». Cette différence dans le degré de protection
juridique avec les droits civils et politiques reste un défi majeur pour assurer une
réelle effectivité de droits économiques, sociaux et culturels en droit positif. Pour
autant, les dispositions proclamant les droits économiques et sociaux ne sont pas
dépourvues d’effets.
1. Il est admis que l’adhésion d’un État aux conventions internationales
proclamant les droits économiques et sociaux crée dans le chef de celui-ci
une obligation de stand still (traduite souvent par clause de non-régression),
qui fait obstacle à ce que l’État revienne en arrière par rapport au degré de
protection sociale garanti dans son droit positif au moment de l’adhésion.
Ainsi, la jurisprudence belge a permis aux particuliers de se prévaloir de
l’obligation pour l’État d’instaurer progressivement la gratuité de
l’enseignement secondaire et supérieur prévue à l’article 13 du Pacte de New
York relatif aux droits économiques, sociaux et culturels pour en tirer un
droit subjectif, invocable devant le juge, à ce que l’État ne prenne pas de
mesure régressive, se traduisant par une hausse du minerval. L’effectivité
de cette protection est cependant relative en tant qu’elle n’empêche pas les
États de réduire le degré de protection pour assurer l’équilibre financier du
système.
2. Ensuite, les droits économiques et sociaux peuvent acquérir une plus grande
effectivité quand ils sont combinés à certains droits civils et politiques. C’est
ainsi que le droit à un environnement sain a reçu une certaine application
dans le cadre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme relative à la protection de la vie privée et familiale.
3. Les droits économiques et sociaux peuvent également être protégés sous
l’angle du respect du principe d’égalité et de non-discrimination, par la voie
du contentieux objectif devant la Cour constitutionnelle, mais également en
mettant en œuvre la clause d'égalité contenue dans les textes européens et
internationaux qui les garantissent.
4. Enfin, certaines décisions judiciaires pionnières donnent une application
positive de ces droits. Ainsi, le Président du tribunal de Namur s’est-il fondé
sur le droit au logement de l’article 23 de la Constitution pour interdire à
l’administration de procéder à l’expulsion d’une locataire indigente d’un
immeuble insalubre afin de procéder à des améliorations, sans avoir trouvé

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

de solution satisfaisante quant au relogement de cette personne176. Le


Comité des Nations Unies pour les droits économiques, sociaux et culturels
a développé une jurisprudence dans le même sens.

La sanction des discriminations

Au-delà d’un principe général d’égalité et de non-discrimination177

Dans les démocraties modernes, l’égalité est érigée au rang de norme


constitutionnelle. Elle figure dans une série de textes internationaux et régionaux
de protection des droits humains adoptés après la seconde guerre mondiale. Il
s’agit plus précisément du principe d’égalité de traitement en droit dont le principe
de non-discrimination est le corollaire. Ce principe d’égalité et de non-
discrimination est érigé au rang des principes généraux du droit* en droit belge et
en droit européen. Il recouvre à la fois l’interdiction de traiter de manière différente
des situations comparables que l’interdiction de traiter de manière similaire des
situations différentes, sauf justification objective et raisonnable.
Ceci fait dire à Chaïm Perelman que « depuis Aristote on associe l’égalité à
la justice »178. En effet, définir l’égalité comme une exigence d’égalité de traitement
revient à la confondre avec le principe de justice qui appelle le traitement
semblable de situations semblables et le traitement différent des situations
différentes. Ce principe de justice, a priori simple à saisir, prend en réalité toute
sa mesure à l’aune de situations d’espèce. Ce que Perelman appelle l’« usage
pratique de l’égalité » débouche, en effet, sur « un problème de valeur » qui se
matérialise dans l’acception ou la mise hors la loi de catégories179. Ces catégories
donnent toute sa substance au principe de non-discrimination. Or, la construction
de ces catégories est loin d’être figée. De nombreux exemples permettent de
confirmer l’ampleur de ces évolutions juridiques et des combats politiques qui les
sous-tendent.
En Belgique, l’affaire Marie Popelin en constitue certainement une
illustration emblématique. Première femme docteur en droit, diplômée de
l’Université libre de Bruxelles, Marie Popelin se verra refuser la prestation de
serment qui donne accès au métier d’avocat au motif qu’elle est une femme. Aucune
disposition expresse n’écartait la gente féminine du barreau, mais pour nos
magistrats il était évident que la clause d’égalité constitutionnelle était respectée.

176 Civ. Namur, 11 mai 1994, Dr. Quart Monde, 1995, n° 7, p. 54 et note Fierens.
177 Les développements qui suivent sont tirés en partie de I. RORIVE, « La lutte contre les
discriminations », in C. BRICTEUX et B. FRYDMAN (dir.), Les grands défis du droit global, Bruxelles,
Bruylant, coll. Penser le droit, 2018.
178CH. PERELMAN, « Égalité et valeurs », in H. BUCH, P. FORIERS et CH. PERELMAN, L’Égalité,
Bruxelles, Bruylant, 1971, vol. 1, p. 318.
179 Ibidem.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La femme est, par « nature », dans une situation différente de l’homme comme
l’atteste la « faiblesse de sa constitution », ses obligations domestiques ou celles
tenant à la maternité et l’éducation des enfants180. L’évidence était telle qu’une
interdiction expresse d’incapacité d’exercer la profession n’était pas plus nécessaire
pour écarter la femme du barreau qu’elle ne l’était « pour l’indigne, l’interdit, le
condamné, l’homme perdu de vices ou le tenancier de maison de débauche »181.
Dans les démocraties de par le monde, la même logique ancrée dans la
construction d’une normalité tirée d’une nature des choses et qui permet de
distinguer ce qui est comparable de ce qui ne l’est pas a permis de refuser des droits
élémentaires à de nombreuses catégories de personnes. Sans même parler de
l’esclavage ou des lois de Nuremberg, n’oublions pas que la Cour suprême des
États-Unis a légitimé la ségrégation raciale au regard de la clause d’égalité en
consacrant la doctrine constitutionnelle « separate but equal »182. L’American Civil
Liberties Union (ACLU), une des principales organisations de défense des libertés
individuelles aux États-Unis, a pu, encore en 1957, considérer que les personnes
homosexuelles étaient « hérétiques ou déviantes » (« socially heritical or deviant »)
et que la criminalisation de leur comportement était justifiée. La psychiatrisation
de groupes de personnes en raison d’une orientation sexuelle ou d’une identité de
genre minoritaire a ainsi contribué à justifier un traitement différent dans la
mesure où elles ne seraient pas comparables aux personnes de groupes
majoritaires.
L’on comprend donc les enjeux de la reconnaissance juridique de catégories
protégées au regard de motifs de discrimination interdits. Certains auteurs parlent
ainsi du « cercle magique » pour les désigner. Le droit de la non-discrimination
tend donc à lutter contre des situations particulières d’inégalité. Il repose sur l’idée
que certains motifs, comme la « race » (« prétendue race » en droit belge183), le sexe
ou le genre, l’orientation sexuelle (parmi d’autres motifs protégés), sont
inacceptables à la prise de décision. Cependant, certaines catégories de personnes
exigent, au contraire, un traitement différent. L’on songe notamment aux
personnes en situation de handicap pour lesquelles le handicap doit être pris en
compte pour que l’égalité de traitement soit assurée. Dans ce cas, la discrimination
naîtrait du refus de mettre en place un aménagement raisonnable (par exemple,

180 Cass. (2ème ch.), 11 novembre 1889, Pas., 1890, I., p. 10.
181« Election du plus grand juriste belge : Nicole Gallus choisit Marie Popelin », LegalWorld, 30
octobre 2009 (en ligne).
182 Plessy v. Ferguson, 163 U.S. 537 (1896), écarté dans Brown v. Board of Education, 347 U.S. 483
(1954).
183L’expression « prétendue race » vise à éviter toute ambiguïté : ce qui est visé, c’est le construit
social, pas une division des êtres humains sur un critère racial dépourvu de toute assise
scientifique. En d’autres termes, les races n’existent pas, mais le racisme est bien présent dans nos
sociétés.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

organiser un examen oral pour un étudiant aveugle alors que l’examen écrit est la
modalité d’évaluation prévue pour le cours universitaire en question) 184.
De manière générale, le droit de la non-discrimination vise à dépasser le
respect de l’égalité formelle, à savoir l’égalité devant la loi, en consacrant des
mécanismes d’égalité substantielle. Pour ce faire, il ne peut se cantonner au
respect de l’impératif procédural du traitement semblable de cas semblables. En
plus de cette approche de justice procédurale, le droit de la non-discrimination
repose sur des fondements de redistribution, de reconnaissance, de transformation
et de participation185.
Les programmes dits d’actions positives* relèvent, par exemple, de la notion
de redistribution. Ils sont licites à certaines conditions. Il s’agit d’actions en faveur
de certaines catégories de personnes qui ont fait l'objet de discriminations
structurelles de manière à briser le cycle du désavantage et rétablir une plus
grande égalité dans la pratique186.
Quant à la reconnaissance, elle peut s’illustrer par l’interdiction du
nivellement par le bas. En cas de traitement différent de cas semblables, c’est le
standard du traitement le plus protecteur qui doit s’appliquer à toutes les
situations. La notion de reconnaissance est également présente dans le fait que le
harcèlement est aussi une forme de discrimination. Il se définit comme un
comportement indésirable, lié à un critère protégé, qui porte atteinte à la dignité
d’une personne et qui crée un environnement hostile, dégradant et humiliant.
La notion de transformation exige de prendre en compte le contexte et
d’aménager la différence pour dépasser la dimension systémique de certaines
formes de discrimination.
Enfin, la notion de participation fait notamment référence à l’importance de
la participation politique et de la visibilité médiatique des groupes minorisés.

L’émergence du droit de la non-discrimination

En Europe, le droit de la non-discrimination est de facture récente. Il est en


pleine efflorescence depuis le tournant du XXIème siècle. Une fois n’est pas coutume
dans une matière de droits fondamentaux, c’est le droit de l’Union européenne, et
non celui du Conseil de l’Europe, qui a mené la danse. Au XXème siècle l’action des
institutions européennes contre la discrimination était restée limitée aux motifs
du sexe et de la nationalité d’un État membre, les seuls à être évoqués dans le

184Pour d’autres exemples concrets, voy. E. BRIBOSIA et I. RORIVE, Guide pour l’inclusion des
étudiant·e·s en situation de handicap dans l’enseignement supérieur, Equality Law Clinic, 2019
(disponible en ligne sur le site de l’Equality Law Clinic : https://equalitylawclinic.ulb.be).
185 Voy. notamment, S. FREDMAN, Discrimination Law, Oxford, OUP, 2011, 2ème éd., pp. 8-33.
186Voy., par exemple, la loi du 28 juillet 2011 visant à garantir la présence des femmes dans le
conseil d’administration des entreprises publiques autonomes, des sociétés cotées et de la Loterie
Nationale, M.B., 14 novembre 2011.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

traité de Rome de 1957187. Avec le Traité d’Amsterdam adopté en 1997, la


Communauté européenne s’est vu reconnaître le pouvoir d’adopter des mesures
contre la discrimination liée à une série d’autres critères : la race ou l’origine
ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation
sexuelle188.
Plusieurs directives* ont été adoptées qui complètent des directives
antérieures consacrées principalement à l’égalité entre hommes et femme dans
l’emploi. Est ainsi notamment interdite toute forme de discrimination fondée sur
la race ou l’origine ethnique dans le domaine de l’emploi, de l’éducation, du
logement ou de l’accès aux biens et aux services189. Il en va de même, dans le
domaine de l’emploi uniquement, pour les discriminations fondées sur la religion
ou les convictions, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle190.
Dès les années 1980, le droit belge a mis en œuvre des dispositions pénales
relatives à la lutte contre les incitations à la haine et à la discrimination raciale. Il
s’agissait notamment de donner suite à la ratification de la Convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciales
adoptée en 1965. En vertu de cette Convention, « Les États parties condamnent la
discrimination raciale et s'engagent à poursuivre par tous les moyens appropriés
et sans retard une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination
raciale et à favoriser l'entente entre toutes les races » (article 2). Des infractions,
parmi lesquelles l’interdiction des discriminations raciales, ont été introduites
dans le droit belge par la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes
inspirés par le racisme et la xénophobie (dite loi Moureaux). Mais le droit pénal,
qui exige que l’intention discriminatoire soit prouvée (élément moral de
l’infraction), s’est avéré impuissant à lutter contre les pratiques discriminatoires
qui gangrènent le marché de l’emploi ou le secteur du logement en Belgique.
À la suite des directives européennes entrées en vigueur au début du XXIe
siècle, le législateur fédéral a adopté, en mai 2007, de nouvelles lois tendant de
manière générale à lutter contre les discriminations191 et chaque entité fédérée a
adopté des dispositions législatives dans la sphère de ses compétences. Les critères
de discrimination en droit belge sont plus nombreux que ceux visés par ces
directives européennes. Outre le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion et

187 L’article 119 du Traité instituant la Communauté économique européenne (CEE) (devenu
l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)) posait déjà le principe
de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. Son article 48 (devenu l’article 157
TFUE) interdisait la discrimination à raison de la nationalité, en tant que corollaire de la liberté
de circulation reconnue aux ressortissants des États membres.
188Article 13 du Traité CE (article 19 TFUE). E. BRIBOSIA, J. RINGELHEIM et I. RORIVE, « Le droit de
la non-discrimination: promesses tenues ? », in G. HERMAN, A. REA et J. RINGELHEIM (éd.), L'impact
des politiques anti-discriminatoires. Regards interdisciplinaires, Bruxelles, De Boeck, 2014, p. 67.
189 Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000, J.O. L 180 du 19 juillet 2000, p. 22.
190 Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, J.O. L 303 du 2 décembre 2000, p. 16.
191Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ; Loi du 10 mai
2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les hommes et les femmes ; Loi du 10 mai 2007
modifiant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la
xénophobie, M.B., 30 mai 2007.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

les convictions, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle, l’on trouve notamment


l’état de santé, une caractéristique physique, la fortune, l’ascendance,
l’appartenance syndicale ou la langue. Et, conformément aux directives
européennes, ces législations comportent un important volet procédural destiné à
assurer leur effectivité. Il en est notamment ainsi du mécanisme d’aménagement
de la charge de la preuve et de la mise sur pied d'organismes indépendants de
promotion de l'égalité de traitement. En Belgique, il s'agit de Unia (Centre
interfédéral pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme et les
discriminations) et de l'Institut pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Ceci
étant, l’effectivité du droit de la non-discrimination reste un enjeu majeur
aujourd’hui.

Les formes de discriminations interdites

Quand on parle de discrimination interdite, on ne vise pas uniquement la


discrimination intentionnelle en raison d'un motif de discrimination prohibé. Si
certains employeurs ou propriétaires refusent toujours ouvertement et
illégalement un candidat à un emploi ou à un logement en raison de son origine
ethnique, de son sexe ou de son orientation sexuelle, il est des mécanismes de
discrimination moins évidents qui se logent dans les stéréotypes que nous avons
internalisés et que les psychologues sociaux associent à des biais cognitifs
inconscients192. Du reste, ces stéréotypes traversent nos sociétés à tel point que l'on
parle du caractère systémique ou structurel de certaines formes de discrimination.
En Europe, c’est notamment le cas de l'écart salarial qui existe encore entre les
hommes et les femmes alors que la règle « à travail égal, salaire égal » est
juridiquement contraignante depuis le Traité de Rome et que les diplômées des
universités européennes sont plus nombreuses que les diplômés. En Belgique, c’est
notamment le cas de certaines discriminations raciales qu’Unia, le Centre
interfédéral pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, ne cesse de
dénoncer193.
Pour saisir ces phénomènes, le droit de la non-discrimination est aujourd'hui
un droit essentiellement civil, car le droit pénal requiert un élément intentionnel
qu'il est très difficile de prouver. À côté de de l'injonction de discriminer, du
harcèlement, du refus d’aménagement raisonnable ou de la discrimination directe
qui vise une différence de traitement directement fondée sur un motif protégé (une
annonce locative réservée aux « Belges de souche », par exemple), d'autres formes
de discrimination sont interdites.
Il est ainsi de la discrimination indirecte qui permet de prendre en compte
les effets discriminatoires d'une pratique, d'une mesure ou d'une règle

192Voy. le « Implicit Project » mis sur pied par l'Université de Harvard et qui propose à chacun et à
chacune d'évaluer gratuitement en ligne l'étendue de ses propres biais implicites en fonction de
différents motifs (https://implicit.harvard.edu/implicit/takeatest.html).
Voy. notamment le rapport annuel 2019 d’Unia, « Contribuer à une société égale pour tous »,
193

publié en juin 2020 et disponible en ligne.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

apparemment neutre, mais qui aboutit, dans ses effets, à désavantager les
membres d’un groupe déterminé. Par exemple, un règlement de travail imposant
un code vestimentaire incompatible avec le port d’un couvre-chef affectera
particulièrement certains croyants : les femmes musulmanes portant le hidjab
ainsi que les hommes portant la kippa ou le turban. Cela étant, la différence de
traitement fondée sur la religion (un motif de discrimination protégé) qu’entraine
ce règlement de travail n’est pas interdite pour autant. Pareille différence sera
admise si elle est « objectivement justifiée par un objectif légitime ». Il faudra
également que les moyens pour réaliser cet objectif soient « appropriés et
nécessaires » et donc passent un test de proportionnalité.
Ce qui précède montre que toute différence de traitement n’est pas
interdite. Elle doit au minimum être fondée sur un objectif légitime et raisonnable
tout en étant raisonnablement justifiée par des moyens appropriés et
nécessaires. Mais ceci ne suffit pas toujours. En vertu du droit européen de la non-
discrimination, certaines discriminations directes sont soumises à un régime de
justification spécifique. Par exemple, il est totalement interdit de tenir compte de
certains motifs, comme le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion,
l’orientation sexuelle pour évaluer les candidats à un emploi sauf, à démontrer qu’il
s’agirait d’une « exigence professionnelle essentielle et déterminante ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les procès

SECTION 1 : LES RÈGLES DU DÉBAT ARGUMENTÉ

Le procès est le cadre dans lequel un litige est soumis au débat


contradictoire pour permettre au juge de le trancher, en connaissance de cause,
conformément au droit, par une décision motivée.
La structure élémentaire du procès est triangulaire : sont mises en présence
des parties qui défendent des prétentions contraires et un juge, indépendant et
impartial, chargé de régler la contestation.
Toutes les étapes du procès sont organisées par les règles de la procédure
(I).
Le débat contradictoire, organisé dans le cadre du procès, fournit l’occasion
aux parties de confronter leurs arguments respectifs en vue de convaincre le juge
de trancher le litige en leur faveur (II).

La procédure

La procédure fixe les règles du jeu du procès (A). Ces règles sont fixées par
la loi de chaque État, mais doivent être conformes en Europe aux principes du
procès équitable (B).

Les règles du procès

Le déroulement de l’instance ainsi que l’organisation du débat contradictoire


obéissent à des règles juridiques spécifiques et précises : les règles de procédure*.
Ces règles tendent à établir un compromis entre deux exigences divergentes : d’une
part, le souci de vérité et de justice qui impose d’accorder le maximum de temps et
de ressources à l’examen et à la discussion des questions de fait et de droit ; d’autre
part, l’exigence de sécurité juridique qui commande de mettre fin au litige de
manière définitive dans un délai raisonnable.
La procédure est déterminée par une règle essentielle : le principe du
contradictoire. Ce principe implique que tous les éléments sujets à contestation
doivent être soumis à la discussion contradictoire des parties. Ce principe implique
également l’égalité des armes entre les parties à la cause, qui doivent pouvoir
participer au débat dans les mêmes conditions.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La procédure façonne et organise le procès, de son introduction à l’exécution


de la décision qui le clôture. Elle règle notamment la compétence des juridictions,
la forme dans laquelle les actions en justice sont intentées, la présentation des
moyens* par les parties en cause, les pièces invoquées à l’appui de ces moyens, les
modes d’intervention des parties à l’audience, les éléments sur lesquels le juge peut
fonder sa décision, l’autorité de la décision judiciaire, les voies par lesquelles cette
autorité peut être mise en question, les modes de contrainte pour exécuter la
décision, l’ensemble des délais qui ponctuent le déroulement du procès, etc. À tous
les stades de l’instance, la procédure tend à mettre en œuvre le principe du
contradictoire qui est l’âme et le cœur du procès et de la raison judiciaire.
Mais la procédure a également un coût, celui de l’administration de la
justice. Dans un contexte de déficit budgétaire récurrent, le gouvernement cherche
systématiquement à réduire ce coût. Il est aussi confronté de la part des citoyens
à une demande croissante de justice, qui est un service public. La loi met dès lors
en place des réformes managériales qui visent à augmenter le « rendement » des
institutions judiciaires. Il s’agit en substance de traiter davantage d’affaires en
moins de temps et avec un personnel réduit. Ces réformes s’inscrivent dans le cadre
du « nouveau management public » de la justice, qui pose des problèmes délicats
en particulier quant à l’indépendance des juges et du pouvoir judiciaire. Elles
affectent également en profondeur les règles de la procédure judiciaire qui font
l’objet de réformes substantielles194. La préoccupation d’efficacité et de rendement
tend ici à remettre en cause des équilibres, des principes et des garanties qui
avaient été acquis et marque un recul certain de l’État de droit, d’ailleurs dénoncé
par la doctrine et les magistrats eux-mêmes, jusqu’au plus haut niveau de la
pyramide judiciaire. On constate ainsi, au niveau pénal, un accroissement des
prérogatives du ministère public qui perturbe, d’une part, l’équilibre délicat entre
les parties au procès (l’accusation et la défense) et, d’autre part, la répartition des
rôles entre la partie poursuivante et le juge.
Les règles de procédure varient suivant la nature de la contestation. Devant
les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, la distinction pertinente repose sur le
caractère civil ou pénal du litige. En Belgique, l’instance civile est régie par les
règles de procédure civile*, appelées aussi règles de droit judiciaire*, qui sont
contenues pour l’essentiel dans le Code judiciaire195. Ce Code édicte le droit
commun* de la procédure en ce sens qu’il a vocation à régir l’ensemble des procès.
Sauf dérogation expresse, il s’applique à tous les litiges196. Les spécificités du
procès pénal appellent néanmoins de nombreux aménagements aux dispositions

194Voyez en particulier, les lois de réforme de la justice, intitulées élégamment « Pot-pourri »,


adoptées notamment le 19 octobre 2015 ( M.B., 22 octobre 2015 – « pot-pourri I »), le 5 février 2016
(M.B., 19 février 2016 – « pot-pourri II »), le 4 mai 2016 ( M.B., 13 mai 2016 – « pot-pourri III »), le
22 décembre 2016 (M.B., 30 décembre 2016 – « pot-pourri IV »), le 6 juillet 2017 ( M.B., 24 juillet
2017 – « pot-pourri IV »), le 25 mai 2018 (M.B., 13 mai 2016 – « pot-pourri VI »).
195 Loi organique du 10 octobre 1967, M.B., 31 octobre 1967, ci-après C.J.
196 Art. 2 du Code judiciaire.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

du Code judiciaire. Le procès pénal est plus particulièrement soumis aux règles de
la procédure pénale* qui figurent dans le Code d’instruction criminelle197.

Les garanties du procès équitable

Les principes généraux* de la procédure sont constitués par les garanties


du procès équitable qui s’imposent notamment aux instances civiles et pénales.
Ces garanties sont énoncées dans l’important article 6, § 1er, de la Convention
européenne des droits de l’homme qui a donné lieu à une jurisprudence* abondante
de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette disposition s’articule autour
de six garanties procédurales.
1. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ». En vertu de cette
garantie, toute personne doit être en mesure d’accéder à un tribunal pour y
porter sa cause. Ce droit d’accès à un tribunal doit être effectif. Il implique
notamment la mise sur pied d’un système d’assistance judiciaire* par lequel
une personne dépourvue de moyens financiers peut être dispensée, en tout
ou en partie, des frais de procédure (frais liés aux exploits* d’huissier, à
l’inscription de la cause au rôle*, etc.).
2. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ».
Cette garantie comprend deux volets : le principe du contradictoire et
l’égalité des armes qui relèvent du principe général de droit relatif au
respect des droits de la défense, d’une part ; la motivation circonstanciée des
décisions de justice, d’autre part. En vertu du principe du contradictoire et
de l’égalité des armes, chaque partie doit (1°) disposer de la faculté de
développer les éléments qui soutiennent sa position, (2°) connaître
exactement la demande et les prétentions de son adversaire, (3°) avoir
connaissance et être en mesure de discuter les pièces et observations
présentées au juge en vue d’influencer sa décision. Les droits de la défense
d’une partie ne seraient dès lors pas respectés si elle ne recevait pas
communication de tous les documents transmis au juge ou qu’elle ne
disposait pas du temps nécessaire pour y répondre.
3. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement ». La
publicité des audiences et des jugements est également garantie par la
Constitution belge (art. 148 et 149). Ce principe fondamental vise à éviter
l’arbitraire en permettant au public et à la presse de suivre le déroulement
du procès et d’assurer le contrôle de l’activité des cours et tribunaux. Le
principe de publicité n’est toutefois pas absolu. L’article 6, § 1er, de la
Convention européenne des droits de l’homme dispose à cet égard que « le
jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience
peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie

Le Code d’instruction criminelle a été adopté, sous Napoléon, par un « décret » du 17 novembre
197

1808. Il est précédé d’un important titre préliminaire qui a fait l’objet d’une loi datant du 17 avril
1878 (M.B., 25 avril 1878).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité


nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs
ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la
mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des
circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux
intérêts de la justice ». La Constitution belge adopte une position similaire
dans son article 148 : « Les audiences des tribunaux sont publiques, à moins
que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les mœurs ; et, dans ce
cas, le tribunal le déclare par un jugement ». Lorsque le tribunal prononce
le huis clos pour tout ou partie des débats, le juge, son greffier, les parties
et/ou leurs avocats ainsi que, le cas échéant, le ministère public se retirent
en chambre du conseil*, c’est-à-dire, le plus souvent, dans le bureau du juge.
4. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai
raisonnable ». Pour mesurer le respect de cette garantie, la Cour européenne
des droits de l’homme a égard à différents critères. L’importance de l’enjeu
du litige peut entrer en ligne de compte. La Belgique, comme d’autres pays,
connaît un arriéré judiciaire important qui la met souvent en contravention
avec les exigences du délai raisonnable.
5. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal
indépendant et impartial établi par la loi ». Cette indépendance est assurée
vis-à-vis du pouvoir exécutif par une série de principes : la nomination à vie
des magistrats assis*, l’inamovibilité de ceux-ci, la fixation de leur statut
pécuniaire par la loi et le régime strict d’incompatibilités auquel ils sont
soumis. L’indépendance à l’égard des parties est assurée par les causes de
récusation et la procédure de dessaisissement198. L’absence de préjugé qui
doit caractériser le travail des juges s’apprécie également sur un plan
objectif dans la mesure où le juge doit offrir toutes les apparences de
l’impartialité. D’après une importante jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, il ne suffit pas que le juge soit personnellement
dépourvu de préjugés, il importe en outre qu’il « ait l’air » de ne pas en avoir.
6. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal établi
par la loi ».

L’argumentation juridique

Le procès organise un débat contradictoire entre les parties qui s’opposent.


Ces parties et leurs avocats tentent de convaincre le juge de leur donner raison et
de trancher la ou les questions litigieuses en leur faveur. Elles recourent pour cela
à différentes sortes d’arguments ou moyens. Ces moyens varient notamment selon

198Voy. l’art. 828 du Code judiciaire qui énumère les causes de récusation et l’article 542 du Code
d’instruction criminelle qui prévoit le renvoi d’un tribunal à un autre tribunal pour cause de
suspicion légitime.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

le type de question à trancher. Ces questions se divisent en deux grandes


catégories : les questions de fait (A) et les questions de droit (B).

Les questions de fait

Les questions de fait ont pour objet de déterminer la réalité des faits
auxquels le droit doit s’appliquer. Les faits doivent être établis dès lors qu’ils sont
contestés par l’une des parties et pertinents pour trancher la cause. La décision
des questions de fait permet d’établir la vérité judiciaire*.
Dans la masse infinie des données et des circonstances contingentes de la
vie, le juriste ne s’intéresse qu’à certains éléments déterminés, qu’il sélectionne
comme pertinents pour établir son récit et ses prétentions juridiques.
La sélection des faits pertinents d’une situation dépend directement de leur
qualification*, c’est-à-dire du statut juridique qu’on prétend leur appliquer. Par
exemple, la mort d’un homme peut donner lieu à un procès criminel pour
assassinat ou pour meurtre, ou à un procès correctionnel pour homicide par
imprudence ou encore à une action civile en dommages-intérêts fondée sur la
responsabilité civile. Dans chaque cas, en fonction de l’action engagée et de la
qualification juridique qu’elle suppose, les éléments de faits pertinents à prendre
en considération seront différents. Ainsi, outre le fait du décès, le procès criminel
impliquera la preuve du caractère volontaire de l’homicide, l’assassinat exigeant
en outre la démonstration de son caractère prémédité. L’action en dommages-
intérêts supposera la prise en compte d’autres éléments : il suffira de prouver la
faute, même involontaire, de l’auteur de l’homicide, mais il faudra également faire
la preuve d’un dommage en relation causale directe avec le décès.
Plus généralement, le procès pénal* supposera l’établissement des faits
constitutifs de l’infraction reprochée. Le procès civil* exigera la réunion des
conditions requises pour la reconnaissance du droit subjectif invoqué et plus
généralement encore la démonstration, par une partie, de tous les éléments qu’elle
allègue et qui sont contestés par l’autre.
Les arguments ou moyens pour trancher des questions de fait s’appellent
des preuves. Le droit réglemente la charge de la preuve c’est-à-dire la partie à qui
la preuve du fait incombe et les modes de preuve admissibles, c’est-à-dire les types
de moyens auquel le juge peut avoir égard pour considérer que le fait est établi ou
non.

1. La charge de la preuve

La charge de la preuve* détermine la partie au procès à qui la preuve


incombe. Elle détermine par là même la partie qui supportera les conséquences de
l’échec dans l’administration de la preuve.
Dans le procès pénal (infra, section 6), la charge de la preuve incombe au
ministère public. Ce principe est le corollaire de la présomption d’innocence*. Elle

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

implique que le doute profite à l’accusé. Le standard de preuve est particulièrement


élevé. La loi prévoit que nul ne peut être condamné pénalement si la preuve de sa
culpabilité n’a pas été rapportée par la partie poursuivante au-delà de tout doute
raisonnable.
L’accusation doit prouver la réunion de tous les éléments de fait constitutifs
de l’infraction. En outre, lorsque le prévenu invoque, avec des éléments de nature
à donner quelque crédit à son affirmation, une cause de justification (comme la
légitime défense, l’erreur invincible ou l’état de nécessité), il appartient à
l’accusation de montrer que cette cause n’est pas établie.
Dans le procès civil (infra, section 4), la charge de la preuve incombe en
principe au demandeur*. Celui-ci doit prouver les éléments de fait contestés qui
fondent sa prétention. Lorsque le défendeur soulève une exception* (c’est-à-dire un
moyen de défense), il lui appartient d’en apporter la preuve.
Les parties doivent en outre collaborer loyalement à la production des
preuves dans le cours du procès. Ainsi, la tromperie ou la dissimulation d’un
élément de preuve ne saurait être admis. Le juge pourra, le cas échéant, ordonner
la production d’un élément de preuve (un écrit, par exemple) qu’une partie retient
par-devers elle.
Dans certains cas, la loi crée des présomptions qui renversent la charge de
la preuve ou même considère un fait comme établi indépendamment de toute
preuve. Il y a deux sortes de présomptions légales : les présomptions simples et
les présomptions irréfragables.
Les présomptions simples* sont susceptibles d’une preuve contraire. On les
appelle aussi présomptions non-irréfragables ou iuris tantum. Elles ont pour effet
de transférer la charge de la preuve à la partie adverse. Ainsi, en ce qui concerne
les cas de responsabilité pour autrui des parents ou des instituteurs pour les fautes
commises par les enfants mineurs qui sont sous leur garde ou leur surveillance
(art. 1384, al. 2 et al. 4 du Code civil), ces dispositions créent une présomption de
faute à charge des parents et des instituteurs. S’il appartient au demandeur en
réparation de prouver la faute de l’enfant, il est cependant dispensé d’apporter la
preuve d’un défaut de surveillance et/ou d’éducation de la part des parents ou de
l’instituteur. Il appartient, par contre, aux parents et aux instituteurs de renverser
la présomption en apportant la preuve qu’ils ont bien gardé et surveillé l’enfant
(art. 1384, al. 5 du Code civil).
Les présomptions irréfragables* dispensent de prouver un fait qui est
considéré comme établi par la loi, nonobstant toute preuve contraire. Tel est le cas
de la présomption de faute établie à la charge des commettants (les employeurs)
en ce qui concerne les fautes commises par leurs préposés (les travailleurs) en
vertu de l’article 1384 alinéa 3 du Code civil. Si la faute du travailleur est établie,
et que celle-ci se déroule à l’occasion des fonctions, la faute de l’employeur sera
reconnue ipso facto sans qu’il soit permis à l’employeur de démontrer le caractère
irréprochable de la surveillance qui lui incombait.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

2. Les modes de preuve

La preuve est soit libre, soit réglementée. La preuve est libre lorsqu’elle peut
être apportée par toute voie de droit, c’est-à-dire par tout moyen régulier de nature
à emporter rationnellement la conviction. La preuve est réglementée lorsque la loi
détermine, et donc limite, les modes de preuve admissibles.
En matière pénale, la preuve est en principe libre, sauf lorsque la loi en
dispose autrement. Les éléments de preuve produits doivent avoir été
régulièrement obtenus et, à tout le moins, respecter les exigences du procès
équitable.
En matière civile, il faut distinguer le régime des faits et des actes
juridiques. La preuve des faits juridiques* peut être établie par toute voie de droit.
La preuve des actes juridiques*, comme les contrats et les testaments, doit en
principe être établie par un écrit* signé lorsqu’elle porte sur une somme ou une
valeur égale ou supérieure à un montant prévu par la loi, actuellement 3.500 €.
Cette règle ne s’applique pas en matière commerciale et sociale. Même en matière
civile, il est parfois fait exception à l’obligation de la preuve par écrit, notamment
lorsqu’il apparaissait physiquement ou moralement impossible pour le demandeur
de se procurer un écrit. Dans certains cas, la loi exige la preuve par un acte
authentique, dressé par un officier ministériel, comme l’officier d’état civil, un
notaire ou un huissier de justice.
Outre les écrits, les principaux autres modes de preuve admissibles sont :
• les témoignages sont la certification sous serment d’un fait par une personne
qui en a une connaissance personnelle ;
• l’aveu est la reconnaissance d’un fait par la personne à qui on l’oppose ;
• les écrits non signés, qu’on appelle aussi « commencements de preuve par
écrit » ;
• les présomptions de l’homme : à ne pas confondre avec les présomptions
légales, il s’agit de toute déduction jugée pertinente que l’on fait d’un fait
connu vers un fait inconnu. Par exemple, lorsque l’ADN d’une personne est
retrouvé dans une pièce, il peut être présumé, sauf preuve contraire, que la
personne s’est trouvée à un moment présente dans cette pièce.

Les questions de droit

On appelle questions de droit les contestations qui portent sur la règle à


appliquer ou sur le contenu ou le sens de celle-ci. Les questions de droit consistent
en deux opérations complémentaires. D’une part, la qualification (1) qui vise à
déterminer le régime juridique applicable aux faits de la cause et, d’autre part,
l’interprétation de la règle applicable (2), c’est-à-dire la détermination de son sens
en vue de son application au cas d’espèce.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

1. La qualification des faits

La qualification* est l’attribution d’un statut juridique aux faits établis ou


prétendus.
En matière pénale, il revient au juge et à la juridiction d’instruction de
qualifier les faits reprochés à une personne, c’est-à-dire de déterminer la nature de
l’infraction que ces faits constituent. Le juge du fond devra vérifier cette
qualification et, le cas échéant, requalifier les faits qui auront été établis dans le
cours de la procédure199.
La qualification peut donner lieu à un certain pouvoir d’appréciation,
spécialement lorsqu’elle porte sur des « standards » ou des notions à contenu
variable. Tel est le cas, par exemple en matière civile, le juge doit apprécier si tel
acte ou omission constitue ou non une faute* ou encore si un comportement est ou
non conforme aux bonnes mœurs*.
La qualification opère le rapprochement du fait et du droit. Elle peut donner
lieu au contrôle et à la censure de la Cour de cassation lorsque le juge, en qualifiant
le fait, méconnaît ou viole la notion légale qu’il applique.
À supposer les faits établis, le juge doit appliquer le droit, c’est-à-dire
déterminer les règles juridiques qui sont appelées à régir la situation ou le cas.
L’application du droit aux faits correspond à la qualification juridique des faits.

2. L’interprétation de la règle

La détermination du contenu ou du sens d’une règle de droit s’appelle


l’interprétation juridique. Dans le cadre judiciaire, l’interprétation a pour objet de
déterminer comment la règle doit être comprise en rapport avec le cas d’espèce à
trancher, autrement dit quelle solution elle impose à ce cas.
Les juristes appellent « méthodes d’interprétation » les moyens auxquels ils
recourent usuellement pour déterminer les significations possibles d’un texte
juridique. Ces méthodes sont en réalité des arguments habituellement considérés
comme légitimes pour convaincre le juge. Les méthodes principales sont les
suivantes200 :
a. L’interprétation littérale : l’interprétation de la formule de la loi
considérée isolément.
b. L’interprétation historique : l’interprétation de la loi en fonction de la
volonté du législateur, c’est-à-dire de l’intention de l’auteur de l’acte au
moment de son établissement. Pour reconstituer cette volonté, l’interprète
se réfère le plus souvent aux travaux préparatoires, qui collectent toutes

199 Sous réserve des particularités de la procédure devant la cour d’assises.


Ces méthodes d’interprétation seront étudiées de manière approfondie dans le cadre du cours
200

Droit naturel et argumentation juridique.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

les pièces et discussions dans le cours de la procédure d’élaboration de la


loi.
c. L’interprétation systématique : l’interprétation de la loi en fonction de la
cohérence de l’ordre juridique considéré dans son ensemble. L’interprète
peut ainsi proposer une interprétation qui vise à concilier plusieurs textes
différents qui s’appliquent en même temps à l’espèce.
d. L’interprétation sociologique : l’interprétation de la loi en fonction du cas
d’application de manière à donner à celle-ci un effet utile et de donner à
l’affaire en discussion une solution juste, optimale, qui résulte d’une mise
en balance des intérêts et des valeurs en conflit.
Les mêmes méthodes s’appliquent mutatis mutandis à l’interprétation des
autres actes juridiques*, comme les traités internationaux ou les contrats entre
personnes privées par exemple201.

201L’interprétation des conventions internationales est réglée dans la Convention de Vienne sur le
droit des traités (1969). L’interprétation des contrats privés est réglée dans les articles 1156 à 1164
du Code civil.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

SECTION 2 : LES ACTEURS DU PROCÈS

Les acteurs de la justice que l’on rencontre dans les salles d’audience sont
principalement les juges (I), les officiers du ministère public (II), les avocats (III)
et les greffiers (IV).

Les juges

Les juges, chargés d’arbitrer le débat contradictoire et de trancher le conflit,


occupent une place centrale dans le procès. Appelés juges* ou conseillers* suivant
généralement qu’ils siègent dans un tribunal ou dans une cour202, ils relèvent tous
de la magistrature assise*, une terminologie inspirée du fait qu’ils ne doivent pas
se lever quand ils prennent la parole à l’audience. On les appelle aussi les
magistrats du siège*. En fonction des juridictions, le siège est composé d’un juge
unique ou d’un collège de plusieurs magistrats. L’institution du « juge unique »
s’est généralisée dans la mouvance des mesures adoptées par le législateur pour
lutter contre l’arriéré judiciaire en réduisant encore les moyens limités alloués au
service public de la justice.
Les magistrats prennent des décisions susceptibles d’influer profondément
sur la vie et la situation des citoyens. C’est le juge qui décide l’acquittement ou la
condamnation à une peine d’emprisonnement, qui statue sur la garde d’un enfant,
ou qui prononce la faillite d’une société. Il est essentiel que, dans l’exercice de sa
mission, le juge soit indépendant et impartial. Le statut des juges est organisé de
sorte à garantir leur indépendance (A) et leur impartialité (B), qui font partie des
garanties du procès équitable et participent de l’État de droit.

L’indépendance

Dans son article 151, la Constitution proclame que « Les juges sont
indépendants dans l'exercice de leurs compétences juridictionnelles ». Afin de
garantir cette indépendance, quatre principes sont posés par la Constitution : la
nomination à vie des magistrats, leur inamovibilité, la fixation par la loi de leur
statut pécuniaire et un régime strict d’incompatibilités. Ces principes visent avant
tout à garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir
exécutif.

202Il existe des exceptions. On parle ainsi des juges à la Cour constitutionnelle, et non des
conseillers.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

1. La nomination à vie

Ce principe est exprimé par la Constitution : « Les juges sont nommés à vie.
Ils sont mis à la retraite à un âge déterminé par la loi (…) »203.
En Belgique, les juges ne sont pas élus, mais nommés par le Roi sur
présentation de candidats par le Conseil supérieur de la Justice204. Pendant
longtemps, la Constitution n’a pas organisé la procédure de nomination des
magistrats. La politisation en ce domaine était généralisée. Les partis politiques
exerçaient une réelle mainmise tant sur les nominations que sur les promotions
des magistrats. La création du Conseil supérieur de la Justice en 1998 tend à
remédier à cette situation ainsi qu’à réagir contre les déficiences de l’appareil
judiciaire en général. Composé de magistrats assis*, de membres du ministère
public*, de professeurs d’université et d’avocats expérimentés, le Conseil supérieur
de la Justice joue désormais un rôle essentiel dans la présentation des candidats
magistrats, dans la formation des magistrats ainsi que dans la surveillance
générale de l’appareil judiciaire, notamment pour l’attribution des promotions. Il
revient au Conseil supérieur de la Justice d’organiser le concours qui permet aux
candidats magistrats de poursuivre un stage de trois ans avant d’être
définitivement nommés.

2. L’inamovibilité

« Aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un


jugement. Le déplacement d'un juge ne peut avoir lieu que par une nomination
nouvelle et de son consentement »205.
Dans l’hypothèse où un magistrat aurait manqué aux devoirs ou à la dignité
de sa charge, seul un jugement, se prononçant sur un plan disciplinaire, peut
suspendre un magistrat de sa fonction. La destitution d’un juge peut uniquement
être décidée par la Cour de cassation.

3. Fixation du statut pécuniaire par la loi

En vertu de la Constitution, « Les traitements des membres de l'ordre


judiciaire sont fixés par la loi »206. Par ailleurs, ils « bénéficient de la pension
prévue par la loi ».

203 Art. 152, al. 1er, de la Constitution.


204 Art. 151, § 2, de la Constitution.
205 Art. 152, al. 1er, de la Constitution.
206 Art. 154 de la Constitution.

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4. Les incompatibilités

La Constitution dispose que « Aucun juge ne peut accepter d'un


gouvernement des fonctions salariées, à moins qu'il ne les exerce gratuitement et
sauf les cas d'incompatibilité déterminés par la loi »207.
Si les juges sont habilités à exercer des fonctions d’enseignement,
notamment comme professeurs d’universités, ils ne peuvent pas donner des
consultations à des parties ou pendre part à des arbitrages* rémunérés. Leurs sont
également interdites les activités commerciales ou la participation à la direction
ou à l’administration de sociétés commerciales.

L’impartialité

Afin d’exercer sa fonction, le juge doit être dépourvu de préjugés à l’égard


des parties. Le procès place en effet le juge au centre du litige pour qu’il tranche le
conflit. Une telle mission ne peut être menée à bien si le juge est prévenu en faveur
ou à l’encontre d’une partie ou si, en raison de la situation, une des parties peut
raisonnablement craindre qu’il en soit ainsi. La loi édicte plusieurs règles destinées
à créer les conditions de cette impartialité. Elle prévoit notamment que le juge ne
peut statuer dans une affaire dont il a précédemment eu à connaître, que ce soit
dans l’exercice d’une autre fonction judiciaire ou en tant qu’avocat. Le juge ne peut
trancher une contestation dans laquelle lui-même ou un parent proche a un intérêt
personnel. Le juge ne peut pas non plus statuer s’il existe entre lui et l’une des
parties une « inimitié capitale ».
Non seulement le juge doit être libre de tout a priori sur l’affaire dont il est
saisi, sous peine de faire l’objet d’une décision de récusation ou de dessaisissement,
mais il doit également offrir toutes les apparences de l’impartialité. La Cour
européenne des droits de l’homme* a répété, dans une jurisprudence* constante,
que pour qu’un juge réponde au principe d’impartialité, il ne suffisait pas qu’il soit
dépourvu de préjugés, il fallait en outre qu’il ait l’air de ne pas en avoir. Cette
exigence s’est cristallisée dans une formule désormais célèbre, inspirée de la
jurisprudence anglaise : « Justice must not only be done, it must also appear to be
done ». Dans l’esprit de cette juridiction, le bon fonctionnement de la justice exige
qu’aucun soupçon de partialité ne ternisse l’activité des magistrats.

207 Art. 155 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Les officiers du ministère public

Organisation et fonctions

Le ministère public ou parquet est un corps hiérarchisé composé de


procureurs, d’avocats généraux et d’auditeurs. Ces officiers du ministère public*,
appelés aussi membres du parquet, ont la qualité de magistrat. À la différence des
juges du siège, ils relèvent de la magistrature debout car, dans le procès, ils se
lèvent pour prendre la parole à l’audience.
L’organisation des parquets suit, dans une large mesure, celle des
juridictions de l’ordre judiciaire : parquet général près de la Cour de cassation,
parquets généraux près des cours d’appel, auditorats généraux du travail près des
cours du travail, parquets des procureurs du Roi près des tribunaux de première
instance et de police, auditorats du travail près des tribunaux du travail.
Par ailleurs, il existe un parquet fédéral, composé d’un procureur fédéral et
de magistrats fédéraux, qui sont compétents sur l’ensemble du territoire national.
Le parquet fédéral se substitue aux magistrats ordinaires des parquets pour
certaines poursuites notamment en matière de terrorisme, de crime organisé, de
trafic d’êtres humains et de violations du droit humanitaire. Le parquet fédéral
coordonne également l’exercice de l’action publique entre les différents parquets et
facilite la coopération judiciaire internationale. Il surveille également la police
fédérale.
Bien qu’ils aient la qualité de magistrat, les membres du ministère public
exercent une fonction très différente de celle des magistrats du siège. Il ne leur
appartient pas de trancher les litiges. Ils ne sont pas titulaires d’un pouvoir
juridictionnel. Ils représentent la société devant les cours et tribunaux, contrôlent
le bon fonctionnement et la régularité du service public de la justice et veillent au
respect des lois et de l’ordre public.
Les missions des officiers du ministère public sont principalement exercées
au pénal. Le ministère public, et plus particulièrement le procureur du Roi, est
chargé de rechercher les infractions, de diriger l’enquête (information* pénale), de
poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction, de requérir
l’application de la loi pénale à l’audience et de veiller à l’exécution des
condamnations pénales.
Le ministère public est la partie nécessaire au procès pénal à laquelle
s’oppose, dans le cadre du débat contradictoire, la personne soupçonnée d’avoir
commis une infraction. En tant que partie poursuivante, il lui revient d’exercer
l’action publique* pour la répression des infractions. Afin de mener à bien cette
tâche, la loi reconnaît à différents membres du ministère public, la qualité d’officier
de police judiciaire*.
Le parquet général près la Cour de cassation remplit une mission spécifique.
Il n’exerce pas l’action publique, même devant les chambres pénales de la Cour. Il
joue un rôle tout à fait particulier de « conseiller » en donnant, sous forme de

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conclusions*, un avis à la Cour de cassation sur l’issue du litige. C’est pourquoi, on


dit généralement qu’il remplit une fonction d’amicus curiae (littéralement : « ami
de la Cour »).

Statut

Les officiers du ministère public sont soumis à un statut très différent de


celui des magistrats du siège. Ils ne sont ni irrévocables, ni inamovibles. Ils sont
constitués en un corps hiérarchisé et, dans une certaine mesure, ils dépendent du
pouvoir exécutif.

1. Pas d’irrévocabilité, ni d’inamovibilité

Aux termes de la Constitution, « Le Roi nomme et révoque les officiers du


ministère public près des cours et des tribunaux »208. Comme pour les magistrats
du siège, le Conseil supérieur de la Justice* joue un rôle fondamental en organisant
tant le concours qui ouvre l’accès au stage (qui est d’un an pour les magistrats
debout, au lieu de trois pour les magistrats assis), que l’examen d’aptitude pour les
candidats qui ont déjà une pratique du monde judiciaire. Il revient également à ce
Conseil de présenter les candidats retenus au ministre de la Justice ainsi que
d’intervenir lors de l’octroi des promotions.
En pratique, il n’est pas courant de déplacer d’autorité un officier du
ministère public d’un parquet à un autre selon les besoins du service ou pour des
raisons d’opportunité. Par ailleurs, la révocation qui constitue la sanction
disciplinaire la plus grave est rarissime.

2. Hiérarchie et unité

Le ministère public est organisé en un corps hiérarchisé, placé sous


l’autorité du ministre de la Justice. Ce dernier est politiquement responsable
devant la Chambre des représentants des agissements des membres du ministère
public. Chaque membre du ministère public exerce son autorité sur ceux qui lui
sont hiérarchiquement inférieurs. Il en va, par exemple, ainsi du procureur du Roi
sur ses substituts, ou du procureur général près la cour d’appel sur les procureurs
du Roi situés dans son ressort. Cette subordination hiérarchique n’est pas sans
limite. Elle est relâchée à l’audience où les officiers du ministère public retrouvent,
du moins théoriquement, une liberté d’expression pleine et entière, à la condition
de faire part au tribunal des ordres écrits qu’ils ont reçus. C’est pourquoi, on dit
généralement des membres du parquet que « leur plume est serve mais leur parole
est libre ». Cette subordination hiérarchique est également conçue de manière à
éviter que le ministre de la Justice ne puisse paralyser l’application de la loi pénale.

208 Art. 153.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Ainsi, si le ministre de la Justice peut toujours, en vertu de son droit d’injonction


positive*, intimer l’ordre au procureur du Roi de poursuivre un suspect, il ne lui
est reconnu aucun pouvoir d’injonction négative. Il ne peut donc pas intimer l’ordre
au procureur du Roi de classer un dossier sans suite*.
Quant à l’unité qui caractérise le ministère public, elle se manifeste par la
concentration, entre les mains du procureur général près la cour d’appel, de la
direction de l’activité des magistrats qui relèvent des parquets situés dans son
ressort. Dans la pratique, les procureurs généraux près les cours d’appel jouent un
rôle prépondérant dans la surveillance et la conduite des officiers du ministère
public qui dépendent de leur ressort territorial. Les procureurs généraux des cinq
cours d’appel forment ensemble le Collège des procureurs généraux. Ce collège est
en charge d’établir une politique criminelle cohérente sur l’ensemble du territoire.
Il élabore à cette fin des circulaires qui ont beaucoup d’importance en pratique.

3. Indivisibilité

L’indivisibilité du ministère public repose sur le principe que chacun de ses


membres n’agit pas en son nom personnel, mais au nom d’un parquet dont il est,
en quelque sorte, l’organe*. Cette indivisibilité a pour conséquence que,
contrairement aux juges, les magistrats du parquet peuvent se suppléer et se
succéder dans la même cause.

Les avocats

Fonctions

Intermédiaires entre les justiciables et les institutions judiciaires, les


avocats assurent en ordre principal la représentation et la défense de leurs clients
en justice. Ils remplissent en outre des missions multiples. En amont du procès, ils
informent les justiciables de leurs droits et obligations et jouent par là un rôle de
filtre entre les citoyens et les cours et tribunaux en évitant que les prétoires ne
soient envahis par des litiges auxquels une solution négociée peut être donnée. Ce
rôle de conseil se concrétise le plus souvent par la rédaction d’une consultation
juridique* dans laquelle l’avocat va informer son client sur sa situation au regard
du droit positif.
Outre ce rôle de conseil, la fonction d’avocat se caractérise plus spécialement
par la représentation en justice. Cette position stratégique dans le jeu judiciaire,
occupée par des experts du droit, permet une mise en œuvre effective des droits de
la défense. Devant les cours et tribunaux, les avocats sont les porte-parole naturels
des justiciables. Ils disposent, et c’est ce qui les distingue des consultants, du
monopole de plaidoirie. Ils sont les seuls habilités à représenter les justiciables en
justice. Ce principe connaît plusieurs exceptions prévues par la loi. Ainsi, par
exemple, devant le juge de paix, le tribunal de l’entreprise et les juridictions du

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

travail, les parties peuvent être représentées par leur conjoint ou un parent
porteur d’une procuration écrite. Devant les juridictions du travail, les travailleurs
peuvent également se faire représenter par un délégué syndical, porteur d’une
même procuration.
Devant la grande majorité des cours et tribunaux, les parties peuvent
toujours choisir de ne pas recourir à un avocat et assurer elles-mêmes leur défense.
Afin de protéger la sérénité des débats, le juge peut néanmoins interdire à un
justiciable de plaider sa cause et l’inviter à faire appel à un avocat lorsqu’il constate
que « la passion ou l’inexpérience (l’) empêche de discuter (sa) cause avec la décence
convenable ou la clarté nécessaire »209. Devant certaines juridictions, le recours à
un avocat s’impose néanmoins. Il en est ainsi devant la cour d’assises et le juge de
la jeunesse où, le cas échéant, un avocat sera désigné d’office. Pour introduire un
pourvoi en cassation, la loi exige, sauf en matière pénale, de faire appel à un avocat
à la Cour de cassation qui est seule habilité à représenter les parties devant cette
juridiction.

Organisation

Le barreau a pour tâche de veiller à ce que les règles qui entourent la


profession d’avocat, dont les règles de déontologie, soient respectées. Il s’agit d’un
ordre professionnel qui regroupe les avocats et les avocates d’un arrondissement.
Pour exercer leur profession, les avocats et les avocates doivent appartenir à un
barreau. Chaque barreau est encadré par un Conseil de l’Ordre et est présidé par
un bâtonnier. Les membres du Conseil de l’Ordre ainsi que le bâtonnier sont élus
directement par l’ensemble des avocats et des avocates inscrits au barreau
concerné.
Les règles de déontologie de la profession d’avocat relèvent à la fois de
l’éthique et de la procédure. Sur le plan éthique, un avocat doit plaider « en son
âme et conscience »210. Sur le plan procédural, les règles de déontologie
déterminent notamment la manière dont se règlent les conflits qui surgissent
parfois entre les avocats eux-mêmes dans le cadre d’un procès. Ces incidents ne
sont jamais soumis au juge mais au bâtonnier de l’Ordre qui en assure le
règlement. Le Conseil de l’Ordre est également un organe disciplinaire. Il lui
appartient de sanctionner les avocats qui ne respectent pas la déontologie de la
profession. Les sanctions vont de l’avertissement à la radiation.
Au sein de chaque barreau doit être mis en place un bureau d’aide juridique
pour assister les justiciables dont les revenus sont insuffisants pour supporter en
tout ou en partie les honoraires d’un avocat. Les avocats désignés par le bureau
d’aide juridique prêtent leurs services gratuitement « pro deo ». En pratique, ils
reçoivent une indemnité du service public fédéral de la justice. Le droit à l’aide

209 Art. 758 C.J.


210 Art. 429 C.J.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

juridique* est aujourd’hui garanti par la Constitution parmi les droits


économiques, sociaux et culturels fondamentaux211.
Au niveau fédéral, cohabitent l’Ordre des barreaux francophones et
germanophone et l’Orde van Vlaamse Balies. Ces deux ordres, qui regroupent
notamment les différents bâtonniers, visent à promouvoir la concertation et
l’harmonisation des règles et usages de la profession.
En outre, il existe un ordre des avocats à la Cour de cassation, appelé aussi
barreau de cassation dont l’intervention est indispensable pour saisir valablement
la Cour de cassation d’un pourvoi en matière civile, commerciale et sociale. Il
comprend vingt avocats qui sont nommés par le ministre de la Justice sur une liste
de trois candidats arrêtée par la Cour de cassation.

Accès à la profession

L’accès à la profession d’avocat est réglementé. Il faut être titulaire d’un


Master en droit (ou d’un diplôme équivalent dans l’Union européenne), avoir un
casier judiciaire vierge et réaliser un stage de trois ans chez un avocat
expérimenté, appelé maître de stage. Durant ces trois années, l’avocat stagiaire
doit également suivre une série de cours juridiques, parmi lesquels figure en bonne
place celui de déontologie, afin de décrocher un certificat d’aptitude à la profession
d’avocat (C.A.P.A.).
Le candidat stagiaire commence par prêter serment devant la cour d’appel :
« Je jure fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge,
de ne point m’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques, de
ne conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirai pas juste en mon âme et
conscience »212. Cette prestation de serment entraîne l’inscription du candidat sur
la liste des stagiaires et lui permet d’exercer le métier d’avocat et d’en porter le
titre. À l’issue du stage, moyennant la réussite des examens liés « aux cours
C.A.P.A. », à celle d’une épreuve de plaidoirie et à la prise en charge d’un certain
nombre de dossiers dans le cadre de l’aide juridique, l’avocat quitte la liste des
stagiaires pour être inscrit au tableau.

Les greffiers

Les greffes constituent les secrétariats des juridictions. Juriste ou détenteur


d’un certificat d’accès à la profession, le greffier joue un rôle essentiel dans le bon
fonctionnement de la justice. Il tient le dossier de la procédure* qui rassemble tous
les actes de la procédure, de l’introduction de l’instance au prononcé de la décision.

211 Art. 23, al. 3, 2°, de la Constitution.


212 Art. 429 C.J.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Il est en charge du rôle général*, à savoir le registre des causes pendantes devant
le tribunal qui constitue un acte authentique* public. Il assiste les juges lorsqu’ils
siègent, notamment en tenant la feuille d’audience qui constitue le compte rendu
de l’audience. Il délivre les expéditions* des décisions de justice qui en sont les
copies officielles et intégrales, nécessaires pour en permettre l’exécution.

SECTION 3 : LES COURS ET TRIBUNAUX BELGES

Les cours et tribunaux sont des institutions qui participent à l’exercice du


pouvoir judiciaire. Les juridictions* se distinguent par l’objet ou la matière des
litiges qu’elles ont compétence de trancher (compétence d’attribution), le territoire
sur lequel elle exerce leur juridiction (compétence territoriale) et le niveau qu’elles
occupent dans la pyramide judiciaire, selon qu’elles examinent le litige en première
instance, en appel ou en cassation.
Quant à leur objet et aux règles de la procédure, on distingue en premier
lieu entre deux catégories principales de juridiction : d’une part, les juridictions
civiles qui ont compétence pour trancher les contestations entre les personnes
portant sur des droits subjectifs (I.) et, d’autre part, les juridictions pénales, qui
ont pour mission de juger les personnes poursuivies pour un comportement
constitutif d’une infraction* (II.).
Au niveau territorial, la Belgique est divisée en 187 cantons judiciaires*, en
12 arrondissements judiciaires* et en 5 ressorts de cours d’appel, qui ont chacun
leur juridiction propre.

Les juridictions civiles

Les juridictions susceptibles de connaître d’une contestation civile sont les


suivantes : la justice de paix, le tribunal civil, le tribunal de l’entreprise, le tribunal
du travail, le tribunal de la famille et de la jeunesse, la cour d’appel, la cour du
travail et la Cour de cassation. Quatre critères permettent de fixer la compétence
d’attribution de ces juridictions : la valeur du litige, la qualité des parties en cause,
l’objet du litige et le niveau du recours.

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La valeur du litige

La justice de paix. - Le juge de paix connaît de tous les litiges civils dont le
montant n’excède pas 5000 € 213, à l’exception de ceux qui relèvent de la compétence
spéciale d’un autre tribunal. Le juge de paix s’est également vu confier des
compétences liées à son statut de juge de proximité comme, par exemple, la
matière des baux en général. Les justices de paix sont établies par cantons
judiciaires. La Belgique compte 187 juges de paix, qui sont compétents pour un
canton judiciaire.

La qualité des parties en cause

Le tribunal de l’entreprise. - Le tribunal de l’entreprise connaît des


contestations entre entreprises, à savoir entre toutes personnes qui poursuivent
de manière durable un but économique, concernant un acte accompli dans la
poursuite de ce but et qui ne relève pas de la compétence spéciale d’une autre
juridiction. Il peut également connaître des demandes dirigées contre une
entreprise, relativement à une opération économique, introduites par un
demandeur qui n’est pas une entreprise, si ce demandeur en fait le choix. Le
tribunal de l’entreprise est établi au niveau du ressort de cour d’appel 214 et est
divisé en plusieurs chambres. Dans chacune d’elles siègent trois juges : un
magistrat professionnel et deux juges consulaires non professionnels, nommés
pour 5 ans par le Roi parmi des personnes liées au monde de l’entreprise qui lui
sont proposées (entrepreneurs, administrateurs de sociétés, comptables, réviseurs
d’entreprises, etc.).

L’objet du litige

Le tribunal du travail. - Le tribunal du travail est compétent pour statuer


sur les conflits du travail (conditions de travail, rémunération, harcèlement au
travail, égalité hommes-femmes, etc.) et relatifs à la sécurité sociale* (chômage,
accidents de travail, pensions de retraite, vacances annuelles, etc.). Il est établi au
niveau du ressort de cour d’appel215 et est divisé en plusieurs chambres. Dans
chacune d’elles siègent trois juges : un magistrat professionnel et deux juges
sociaux non professionnels, l’un travailleur et l’autre employeur. Ils sont nommés

213 Art. 590 du C.J.


214 Avec plusieurs exceptions : Bruxelles (un tribunal de l’entreprise francophone et un tribunal de
l’entreprise néerlandophone), Louvain, Nivelles et Eupen.
215Avec plusieurs exceptions : Bruxelles (un tribunal du travail francophone et un tribunal du
travail néerlandophone), Louvain, Nivelles et Eupen.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

pour 5 ans par le Roi parmi les représentants des travailleurs et des employeurs
qui lui sont proposés par les syndicats et organisations professionnelles.

Le tribunal de la famille et de la jeunesse. - Le tribunal de la famille est


compétent pour connaître, de manière générale, de tous les litiges et affaires de
nature familiale. Il connaît notamment de la cohabitation légale, du mariage et du
divorce ; de la filiation, de l’adoption et de l’autorité parentale ; des pensions
alimentaires, des donations, successions et testaments. Au sein du tribunal, une
chambre de la jeunesse est spécialement compétente pour prendre toutes les
mesures utiles pour protéger les « mineurs en danger ». Il s’agit souvent en
pratique de questions liées à l’exercice de l’autorité parentale.

Le reste du contentieux civil en premier ressort

Le tribunal civil. - L’ensemble des litiges civils dont la valeur excède 5000 €
et qui ne relèvent ni de la compétence du tribunal de l’entreprise, ni de celle du
tribunal du travail, ni de celle du tribunal de la famille et de la jeunesse sont portés
devant le tribunal civil. Dans la pratique, le contentieux dont est saisi le tribunal
civil est considérable. Ce tribunal dispose de la plénitude de juridiction. En
d’autres termes, c’est le juge ordinaire, de tous les conflits civils. Il est établi au
niveau de l’arrondissement judiciaire216 et, avec le tribunal de la jeunesse, le
tribunal de la famille et le tribunal correctionnel, il forme le tribunal de première
instance. Chaque tribunal civil est divisé en chambres où siège le plus souvent un
juge unique.

Le niveau du recours

Le tribunal civil. - Le tribunal civil peut également être amené à statuer au


second degré. Il est en effet compétent pour connaître des appels interjetés contre
les décisions rendues par le juge de paix. Il n’y a cependant pas d’appel possible à
l’encontre des jugements des juges de paix concernant des litiges dont la demande*
porte sur un montant inférieur à 2000 €.
La cour d’appel. - En tant que juridiction du second degré, la cour d’appel
connaît des appels interjetés contre les décisions du tribunal civil, du tribunal de
la famille et de la jeunesse et du tribunal de l’entreprise. Il n’y a cependant pas
d’appel possible contre les jugements rendus par le tribunal civil statuant lui-
même en appel d’un jugement rendu par le juge de paix car l’appel n’est possible
qu’une seule fois. Il n’y a pas non plus d’appel possible contre les jugements rendus
par le tribunal civil, le tribunal de la famille et de la jeunesse et le tribunal de

216Le tribunal de première instance est dédoublé à Bruxelles : il y a un tribunal de première


instance francophone et un tribunal de première instance néerlandophone.

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l’entreprise lorsqu’ils statuent sur une demande dont le montant ne dépasse pas
2.500 euros217. Il y a cinq cours d’appel en Belgique, établies dans les grandes villes
du pays : Anvers, Bruxelles, Gand, Mons et Liège. La cour d’appel est divisée en
chambres spécialisées selon les matières. Chaque chambre est composée d’un
conseiller unique ou exceptionnellement d’une chambre de 3 conseillers.
La cour du travail. - La cour du travail est une juridiction du second degré
qui connaît des appels interjetés contre les décisions du tribunal du travail. Le
ressort de la cour du travail est le même que celui de la cour d’appel. Il y a donc
cinq cours du travail en Belgique218. Comme le tribunal du travail, elle est
composée d’un magistrat professionnel et de deux magistrats non professionnels :
les conseillers sociaux.
La Cour de cassation. - Il y a pour la Belgique une seule Cour de cassation,
qui connaît à la fois des affaires civiles et pénales. La Cour connaît des pourvois en
cassation introduits contre les jugements et arrêts rendus en dernier ressort, c’est-
à-dire qui ne sont pas ou plus susceptibles d’appel. La Cour de cassation est divisée
en chambres spécialisées entre lesquelles sont répartis les pourvois en fonction de
la matière sur laquelle ils portent.

La compétence territoriale

Mis à part la Cour de cassation, les juridictions sont multiples et se


répartissent sur l’ensemble du territoire pour être plus proches des citoyens. Ainsi,
il y a en Belgique 187 juges de paix, 12 tribunaux de première instance, 5 cours
d’appel etc. Chaque juridiction est compétente dans son ressort, c’est-à-dire la
partie du territoire soumise à sa juridiction. Pour les juridictions civiles, la règle
principale qui détermine la juridiction compétente est le domicile du défendeur*.
En d’autres termes, celui qui introduit l’action en justice doit citer la partie
attaquée devant le tribunal dont le ressort comprend le domicile de celle-ci.
Ces règles sont supplétives* de la volonté des parties. Celles-ci peuvent dès
lors convenir d’y déroger de commun accord soit avant soit après la naissance du
différend.
Quant à la compétence de la cour d’appel et de la cour du travail, elle est
déterminée par l’endroit où la cause a été jugée en première instance. Chaque cour
d’appel et du travail connaît des appels interjetés contre les décisions rendues par
les juridictions établies dans son ressort territorial.

217 Art. 617, al. 1er du C.J.


218Des divisions sont prévues : à Anvers (Anvers, Hasselt), à Gand (Bruges, Gand), et à Liège
(Liège, Namur, Neufchâteau). On parlera, par exemple, de la Cour du travail d’Anvers, division
Anvers.

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Les juridictions civiles

COUR DE
CASSATION

COUR D’APPEL

COUR DU TRAVAIL

TRIBUNAL DE LA
TRIBUNAL TRIBUNAL DE TRIBUNAL DU
FAMILLE ET DE LA
CIVIL L’ENTREPRISE TRAVAIL
JEUNESSE

APPEL
POURVOI
JUSTICE DE PAIX

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Les juridictions pénales

Les principales juridictions susceptibles de connaître d’une contestation


pénale sont le tribunal de police, le tribunal correctionnel, le tribunal de la
jeunesse, la cour d’assises, la cour d’appel et la Cour de cassation. Trois critères
permettent de fixer la compétence d’attribution de ces juridictions : la nature de
l’infraction, la qualité de la personne poursuivie et le niveau du recours.

La nature de l’infraction

Le principe. - La nature de l’infraction constitue le critère fondamental en


fonction duquel s’organise la compétence des juridictions pénales. La nature d’une
infraction est étroitement liée à la gravité du comportement incriminé. Il existe
trois catégories d’infractions en fonction de la peine prévue par la loi pour assurer
leur répression : les contraventions, les délits et les crimes. Le droit pénal* belge
ne prévoit jamais de peines fixes, mais une fourchette entre un minimum et un
maximum. Pour déterminer de quelle catégorie relève une infraction particulière,
le maximum de la peine prévue par le législateur doit être pris en considération.
Les contraventions n’emportent jamais plus de sept jours d’emprisonnement
et/ou vingt-cinq euros d’amende219. Le Code pénal érige notamment en
contravention l’abandon sur la voie publique de choses encombrantes ou
malodorantes, le fait de laisser « divaguer » des « animaux malfaisants ou féroces »
que l’on a sous sa garde, le tapage nocturne, la dégradation de clôtures, certaines
injures, etc.
Les délits sont punis de huit jours à cinq ans d’emprisonnement et/ou d’une
amende égale ou supérieure à vingt-six euros. Il s’agit, parmi beaucoup d’autres,
du vol simple, de l’homicide par imprudence, de l’escroquerie, du piratage
informatique, etc.
Les crimes emportent des peines de prison de cinq ans ou plus et/ou d’une
amende égale ou supérieure à vingt-six euros. Constituent notamment des crimes
dans ce sens : le vol avec violences, l’attentat à la pudeur commis sur un mineur,
le viol, l’incendie volontaire d’une maison habitée, le meurtre, l’assassinat, etc.

Le tribunal de police. - Les contraventions sont de la compétence du tribunal


de police. En outre, toutes les affaires relatives à la circulation routière sont
tranchées par le tribunal de police, quelle que soit sa gravité : du stationnement
irrégulier à la collision en chaîne sur une autoroute avec décès de personnes.

219Depuis le 1er janvier 2017, il faut multiplier par 8 le montant de la condamnation pour connaître
la somme qui devra être déboursée à titre d’amende (loi-programme du 25 décembre 2016). On
parle de « décimes additionnels » pour désigner ce coefficient multiplicateur destiné à prendre en
compte l’inflation.

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Depuis une loi du 20 mai 2020, cette juridiction est compétente, à titre temporaire,
pour connaitre du refus ou de la négligence de se conformer aux mesures prises
pour prévenir et gérer la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19220.
Le tribunal de police est composé d’un juge unique, appelé juge de police.
Les tribunaux de police sont au nombre de 15 en Belgique, qui siègent sur 35 sites.

Le tribunal correctionnel. - Les délits sont de la compétence du tribunal


correctionnel. Le tribunal correctionnel est également compétent pour le jugement
des crimes dès lors qu’ils sont correctionnalisés. La correctionnalisation* est la
transformation d’un crime en délit dès le stade de l’information ou de l’instruction
par la reconnaissance anticipée de circonstances atténuantes.
Le tribunal correctionnel fait partie du tribunal de première instance*, qui
est établi dans chaque arrondissement judiciaire du Royaume. Il est divisé en
chambres. Chaque chambre est composée d’un juge unique.

La cour d’assises. - Les crimes sont en principe de la compétence de la cour


d’assises, ainsi que les délits politiques et de presse.
La cour d’assises est une juridiction non permanente, établie au chef-lieu de
la province221, dont le siège se compose de trois magistrats professionnels : un
magistrat de la cour d’appel qui la préside et deux assesseurs, juges au tribunal de
première instance. Elle est également composée d’un jury de 12 citoyens belges, de
plus de 30 ans et moins de 60 ans, sachant lire et écrire, tirés au sort sur les listes
électorales.
La loi prévoit que la Cour et le jury délibèrent ensemble sur la culpabilité
(sans voix délibérative des magistrats professionnels) et sur la peine, ce qui en fait
un système d’échevinage où les magistrats professionnels sont associés à des
citoyens, plutôt qu’un véritable jury, où les citoyens délibèrent seuls. La
participation de magistrats professionnels influence en effet nécessairement le
déroulement des délibérations.
Les arrêts de la Cour d’assises ne sont pas susceptibles d’appel en droit
belge.
Le délit politique est celui qui porte atteinte à la structure, à la forme et à
la permanence des institutions politiques et qui, de ce fait, met en cause l’existence
du système politique en vigueur.
Le délit de presse est toute infraction (calomnies et diffamations, injures,
etc.) qui est commise par la voie de la presse.
La compétence de la cour d’assises pour les délits politiques et de presse
s’explique par la volonté du Constituant de 1830 de placer la répression de ce type

220Art. 13 de la loi du 20 mai 2020 portant des dispositions diverses en matière de justice dans le
cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 (M.B., 30 mai 2020).
221 Ainsi qu’à Bruxelles pour la Région Bruxelles-Capitale.

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d’infractions sous la protection des citoyens et non dans les mains du pouvoir, fût-
il judiciaire. En effet, la poursuite de délits d’opinion signale souvent une dérive
autoritaire de l’État et la menace des droits et libertés civils et politiques.
La Cour de cassation a toutefois donné une définition si restrictive des délits
politiques qu’elle l’a en pratique vidée de toute substance.
Quant aux délits de presse, ils ont été confiés par la Constitution à la
compétence du tribunal correctionnel lorsqu’ils sont inspirés par le racisme et la
xénophobie. Pour les autres, ils ne sont poursuivis que de manière extrêmement
rare et font le plus souvent l’objet d’un classement sans suite*. La principale raison
est que le ministère public est peu soucieux de saisir le jury de ce genre d’affaires,
les citoyens se montrant en outre réticents à condamner des journalistes pour des
délits d’opinion.

La qualité de la personne poursuivie

Le tribunal de la jeunesse. - Les mineurs qui ont commis des « faits qualifiés
infractions »222 relèvent de la compétence du tribunal de la jeunesse. En d’autres
termes, les personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits échappent en
principe aux juridictions pénales de droit commun. Elles ne se voient pas infliger
de peines, mais des mesures qui laissent intact leur casier judiciaire. Il arrive
cependant qu’en présence de mineurs âgés de 16 à 18 ans, le juge de la jeunesse se
dessaisisse au profit du tribunal correctionnel ou de la cour d’assises. Une telle
décision de dessaisissement ne peut se faire que sur la base d’un rapport médico-
psychologique qui permet au juge de démontrer que les mesures qui sont à sa
disposition ne sont pas adéquates vis-à-vis du mineur concerné. Comme le tribunal
correctionnel, le tribunal de la jeunesse est installé au niveau de l’arrondissement
judiciaire et fait également partie du tribunal de première instance*. Il est divisé
en chambres. Dans chacune d’elle siège un magistrat professionnel appelé le juge
de la jeunesse.

Le niveau du recours223

Le tribunal correctionnel. - Le tribunal correctionnel est compétent pour


connaître en appel des affaires tranchées en première instance par le tribunal de
police.
La cour d’appel. - La cour d’appel est une juridiction du second degré qui
connaît des appels interjetés contre les décisions du tribunal correctionnel
(rendues en première instance) et celles du tribunal de la jeunesse. La cour d’appel
est divisée en chambres entre lesquelles sont répartis les appels en fonction de la

222Pour les mineurs, on parle de « faits qualifiés infraction » et non d’infractions pour montrer qu’ils
relèvent d’un régime particulier qui les soustrait au droit pénal.
223 Voy. le schéma qui suit les développements.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

matière sur laquelle ils portent (chambres correctionnelles et chambres de la


jeunesse).
La Cour de cassation. - La Cour de cassation examine la légalité des
décisions des cours et tribunaux rendues en dernier ressort, c’est-à-dire celles qui
ont fait l’objet d’un appel ou qui ne sont pas susceptibles d’en faire l’objet. Elle
connaît donc des décisions prononcées par le tribunal correctionnel (quand lorsqu’il
statue en appel des jugements de police), par la cour d’appel et par la cour d’assises.
Au sein de la Cour de cassation existe une chambre pénale qui, comme les
autres chambres, statue le plus souvent à cinq conseillers. Un siège de trois
magistrats peut être formé dans les affaires dont la solution « paraît s’imposer »224.
De la même manière, un siège plus large est réuni (9 conseillers ou plus) dans les
affaires particulièrement délicates ou importantes.

La compétence territoriale

Pour déterminer la juridiction qui sera territorialement compétente, les


règles de procédure pénale* retiennent trois critères alternatifs : la juridiction du
lieu où l’infraction a été commise, celle du lieu de résidence225 de la personne
poursuivie, celle où la personne poursuivie a été trouvée. Ces règles relèvent de
l’ordre public*. Il appartient au procureur du Roi*, en fonction des indices de
localisation présents dans le dossier de retenir l’un ou l’autre critère.
Quant à la compétence de la cour d’appel, elle est déterminée par l’endroit
où la cause a été jugée en première instance. Chaque cour d’appel connaît des
appels interjetés contre les décisions rendues par les juridictions établies dans son
ressort territorial.

L’exécution de la peine privative de liberté.

Le tribunal de l’application des peines est compétent pour déterminer les


modalités d'exécution des peines privatives de liberté. Ces tribunaux sont
notamment compétents pour statuer sur les demandes d’assignation à résidence
sous surveillance électronique, de libération conditionnelle, de modification de la
peine (par exemple, la transformation d’une courte peine d’emprisonnement en une
peine de travail), etc.
Six tribunaux de l’application des peines ont été établis, sous la forme de
sections de certains tribunaux de première instance : un par ressort de Cour
d’appel, sauf à Bruxelles où deux tribunaux ont été mis en place pour respecter la
parité linguistique. Ces tribunaux sont présidés par un magistrat professionnel,

224 Art. 1105bis du C.J.


225La résidence est le lieu de vie d’une personne. Il s’agit d’une notion de fait qui ne s’identifie pas
nécessairement avec le domicile, lequel désigne le lieu où une personne est inscrite à titre principal
sur les registres de la population.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

entouré, dans certains cas, par deux assesseurs : l’un spécialisé en réinsertion
sociale, l’autre en matière pénitentiaire.

Les juridictions pénales

COUR DE
CASSATION

COUR D’APPEL

COUR
D’ASSISES

TRIBUNAL TRIBUNAL
CORRECTIONNEL DE LA JEUNESSE

TRIBUNAL
DE POLICE

APPEL
POURVOI

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Critères déterminant la compétence d’attribution


des juridictions de l’ordre judiciaire

Nature de la contestation Nature de la contestation


Contentieux civil Contentieux pénal

Objet du litige Nature de l’infraction


Contentieux familial Contravention
Contrat de travail ; sécurité sociale Délit
Baux Crime

Qualité des parties Qualité des parties


Entreprise Mineur
Mineur

Valeur du litige
< 5.000 euros

Niveau de recours
1ère instance
Appel
Cassation

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La pyramide judiciaire

COUR DE CASSATION

Chambre Chambre civile


Chambre pénale
sociale et commerciale

COUR DU COUR D’APPEL


TRAVAIL

Chambre
Chambre de la Chambre
civile et
jeunesse correctionnelle
commerciale

COUR D’ASSISES

TRIBUNAL DU TRIBUNAL DE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE


TRAVAIL L’ENTREPRISE

Tribunal de la
Tribunal
Tribunal civil famille et de
correctionnel
la jeunesse

JUSTICE TRIBUNAL DE
DE PAIX POLICE

Appel Pourvoi

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

SECTION 4 : LE PROCÈS CIVIL

En première instance, le procès civil oppose un demandeur*, c’est-à-dire le


justiciable qui entame le procès, à un défendeur* contre lequel le procès est intenté.
Plusieurs demandeurs et/ou plusieurs défendeurs peuvent s’affronter dans le cadre
du même procès.
Le procès se déroule en différentes étapes. Tout d’abord, le demandeur doit
convoquer son adversaire, le défendeur, devant le juge compétent et introduire
ainsi l’instance. Cet acte introductif d’instance* permet aux parties de « se fixer un
rendez-vous » devant le juge. Sauf pour les litiges pouvant être réglés en débats
succincts¸ c’est-à-dire susceptibles d’être instruits et plaidés dès l’audience
d’introduction, les parties doivent ensuite « mettre l’affaire en état *» d’être jugée.
Elles s’échangent leurs conclusions* c’est-à-dire leurs arguments par écrit.
Lorsque la cause est en état, une audience de plaidoiries* est fixée au cours de
laquelle le juge va entendre les parties ou leurs avocats. À l’issue de la phase
d’audience, le juge clôture les débats* et prend la cause en délibéré* afin d’élaborer
sa décision.
Le procès civil se caractérise essentiellement par le fait qu’il est « la chose
des parties ». Cette particularité, connue sous le nom de principe dispositif*,
implique que, dans une large mesure, la direction du procès est abandonnée aux
parties. Il revient au demandeur de libeller ses prétentions et les faits sur lesquels
il les fonde dans l’acte introductif d’instance. Il appartient ensuite au défendeur de
prendre attitude soit en s’inclinant, soit en présentant des moyens de défense*. Le
juge ne peut donc, en principe et sous réserve de moyens d’ordre public, élever des
contestations que les parties n’ont pas soulevées devant lui. Il lui incombe
uniquement de statuer sur la demande portée à sa connaissance. Le principe
dispositif signifie également qu’au cours de l’instance, les parties peuvent déroger,
de commun accord, aux règles du Code judiciaire qui ne sont pas d’ordre public*.
Elles peuvent, de surcroît, transiger, sous réserve des matières où une telle
possibilité ne leur est pas offerte, et se désister de l’instance ou de l’action.

La citation en justice

La citation à comparaître

En principe, la convocation de la partie défenderesse à l’instance civile se


fait par voie de citation*. La citation en justice est délivrée par exploit* d’huissier,
c’est-à-dire un acte authentique dressé par un huissier* de justice dans l’exercice
de son ministère. En pratique, la citation est rédigée par l’avocat qui la

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

communique à son huissier. Les huissiers de justice sont des officiers ministériels,
nommés par le ministre de la Justice qui leur attribue la charge d’une étude. Ils
jouent un rôle indispensable à différentes étapes de l’instance, notamment pour
assurer la communication de certains actes de procédure (citation à comparaître*,
signification* de la décision, etc.), pour exécuter les décisions judiciaires (saisie,
apposition de scellés, etc.) et pour rapporter des éléments de preuve fiables (constat
d’adultère, etc.).
La citation à comparaître est un document formel qui doit contenir un
certain nombre d’indications, parmi lesquelles figurent :
• l’identification du demandeur ;
• l’identification du défendeur ;
• l’identité du juge saisi de la demande, le lieu et l’heure de l’audience
d’introduction ;
• le libellé de la demande* c’est-à-dire la prétention du demandeur et les
éléments de fait et de droit sur lesquels elle repose. En d’autres termes, le
demandeur doit préciser ce qu’il réclame (par exemple, le paiement de loyers
échus) et le fondement de sa prétention (par exemple, le contrat de bail
conclu avec le défendeur).

La signification

La citation à comparaître doit être signifiée à la partie défenderesse. De


manière générale, la signification* est la remise, par un huissier de justice, d’un
acte de procédure à son destinataire pour l’en informer.

La mise au rôle

L’original de la citation est déposé au greffe et la cause inscrite sur un


registre, le rôle général* où elle est répertoriée sous un numéro d’ordre, le numéro
de rôle, qui lui servira de référence tout au long de l’instance. Au moment de
l’inscription de la cause au rôle, le greffier ouvre le dossier de la procédure* et y
glisse l’original de l’exploit de citation qui en constitue la première pièce. Ce dossier
permet de retracer l’historique de la procédure. Il est particulièrement utile au
magistrat du siège pour prendre connaissance, avant l’audience, des éléments de
la cause qui lui est soumise. En cas de recours, le dossier de la procédure est
transmis au greffe de la juridiction supérieure.

Autres modes d’introduction de l’instance

Le recours à un huissier est particulièrement performant dans la mise en


œuvre du principe du contradictoire. Ce procédé a, toutefois, un coût non
négligeable et est relativement contraignant. C’est pourquoi le Code judiciaire a,
dans certaines hypothèses, prévu des alternatives à la citation à comparaître
comme mode introductif d’instance. Dans certains cas, la procédure peut être

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

introduite par une requête signée par l’avocat du demandeur au greffe, qui
convoque ensuite lui-même les parties par pli judiciaire. Ce procédé de convocation
s’appelle la notification.
En application du principe dispositif*, les parties peuvent, de commun
accord, se présenter volontairement devant le juge compétent pour lui demander
de trancher le différend qui les oppose en déposant à cette fin une requête conjointe
au greffe de la juridiction (art. 706 C.J.). On parle alors de comparution volontaire.

L’audience d’introduction

A la date fixée par l’acte introductif d’instance, les parties se retrouvent


devant le juge saisi pour l’audience d’introduction.
Lors de l’audience d’introduction, comme pour les audiences ultérieures, les
parties comparaissent en personne ou par avocat (art. 728 C.J.). L’audience
s’ouvre, le plus souvent, par l’appel du rôle au cours duquel le juge passe en revue
les causes inscrites ce jour-là au rôle particulier de la chambre où il siège afin
d’organiser les débats.

Le défaut

Lorsque le défendeur néglige de répondre à la citation et ne comparaît pas


à l’audience d’introduction, le demandeur peut demander au juge de le condamner
par défaut*. Le juge est contraint de faire droit à la demande sauf s’il constate que
la procédure, la demande ou les moyens sont contraires à l’ordre public (art. 806
C.J.). Il s’agit clairement pour la loi de sanctionner celui qui ne comparaît pas.

Les débats succincts

Les causes qui n’appellent que des débats succincts et qui sont en état d’être
jugées sont retenues à l’audience d’introduction. La loi prévoit que certains types
d’affaires, comme la récupération de créances incontestées, ne nécessitent que des
débats succincts226.

226 Art. 735, § 2 du Code Judiciaire

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le calendrier

Si la cause n’est pas en état d’être jugée, le juge fixe un calendrier pour
l’échange des conclusions, en prenant acte le cas échéant de l’accord des parties. Il
fixe également la date de l’audience prévue pour les plaidoiries.

Mesures d’instruction

Le juge peut également, à la demande des parties, ordonner des mesures


d’instruction, comme une expertise, dès lors qu’il considère la demande recevable.
Il veille à n’ordonner que les mesures utiles et dont le coût est proportionné à
l’enjeu du litige, en privilégiant la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins
onéreuse.

La mise en état de la cause

Lorsque l’affaire n’est pas en état d’être jugée dès l’audience d’introduction,
il appartient aux parties de la mettre en état selon le calendrier fixé. La mise en
état suppose la communication des pièces (A.) et l’échange de conclusions (B.) ainsi
que, le cas échéant, la réalisation des mesures d’instruction* sollicitées par les
parties ou ordonnées d’office par le juge.

La communication des pièces

En application du principe du contradictoire, chacune des parties est tenue


de communiquer à l’autre toutes les pièces qu’elle entend produire au cours de
l’instance, ainsi que l’inventaire de celles-ci. La nature de ces pièces peut être très
variée : contrat, courrier, rapport d’expertise non ordonnée par le juge,
photographies, etc. Les pièces communiquées deviennent communes aux parties,
chacune pouvant les invoquer. Par contre, les pièces non communiquées devront
être écartées des débats, sous peine de violer les droits de la défense.

L’échange des conclusions

1. Conclusions et moyens

Les conclusions* consistent en un acte de procédure qui contient l’exposé


écrit des prétentions d’une partie, c’est-à-dire ce qu’elle demande au juge, ainsi que
les moyens qu’elle invoque à l’appui de celles-ci. Les conclusions doivent être

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

structurées de la manière suivante : 1° un exposé des faits pertinents de la cause ;


2° les « prétentions » du concluant, c’est-à-dire ce qu’il souhaite obtenir ou voir
reconnaître ; 3° les moyens qu’il invoque, en les numérotant s’il y en a plusieurs ;
4° le texte du dispositif qu’il souhaiterait que le juge adopte (art. 744 C.J.).
Quant au moyen*, il s’agit de l’énoncé d’un fait, d’un acte, d’une règle ou
d’un principe qui soutient, à la suite d’un raisonnement juridique, le bien-fondé
d’une demande* ou d’une défense*. Une défense* est une contre-attaque opposée à
la prétention du demandeur. On l’appelle aussi exception*.

2. Demandes incidentes

Dans certains cas, les conclusions comportent des demandes incidentes*,


c’est-à-dire des demandes qui s’ajoutent à la demande originaire* (dite aussi
demande principale*) contenue dans l’acte introductif d’instance.
Ces demandes incidentes peuvent émaner du demandeur ou du défendeur.
Il s’agit principalement de la demande nouvelle et de la demande
reconventionnelle.
1°) La demande nouvelle* est celle par laquelle le demandeur étend ou
modifie la demande originaire. Pour être recevable, cette nouvelle
prétention doit être fondée sur un fait ou un acte invoqué dans l’acte
introductif d’instance.
2°) La demande reconventionnelle* est celle par laquelle le défendeur,
mettant à profit l’instance engagée à son encontre, soumet au juge une
prétention contre le demandeur originaire. Celle-ci ne doit pas
nécessairement présenter un lien avec la demande principale.

3. L’organisation des débats écrits

Les avocats s’échangent leurs conclusions selon des délais déterminés en


principe par le calendrier fixé par le juge. Le défendeur conclut le premier, en
répondant aux moyens développés par le demandeur dans l’acte introductif
d’instance. Le demandeur lui répond. Le défendeur lui réplique et le demandeur à
son tour. Le défendeur peut demander, en toute hypothèse, à avoir le dernier mot.
Les conclusions remises au greffe ou envoyées tardivement à l’autre partie
sont en principe écartées d’office des débats.

Les plaidoiries

L’audience de plaidoiries est fixée par le juge en fonction du calendrier de


mise en état ou à la demande des parties.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

À l’audience, les parties sont entendues (souvent, par l’intermédiaire de


leurs avocats), sauf si elles ont décidé conjointement de s’en tenir à la procédure
écrite. Le demandeur plaide le premier, le défendeur ensuite et parfois un droit de
réplique est accordé aux parties. Le dernier mot revient toujours à la défense. La
durée des plaidoiries dépend de l’affaire à traiter. Pour les affaires importantes en
raison de leur enjeu, du nombre de parties impliquées ou de la longueur des
conclusions déposées, plusieurs heures de plaidoiries peuvent être accordées par le
juge. Il n’est dès lors pas rare qu’une ou plusieurs audiences soient intégralement
consacrées à une seule affaire.
Les débats se fondent sur les pièces écrites déposées dans le dossier de la
procédure. Ce n’est que si le juge considère ces éléments écrits insuffisants au
regard des plaidoiries qu’il décidera de convoquer un témoin ou un expert à une
audience remise à une date rapprochée. Au civil, une telle initiative est peu
fréquente, comme il est rare que le juge pose directement des questions aux parties
lorsqu’elles sont présentes dans la salle d’audience.

La clôture des débats et la mise en délibéré

Après avoir entendu les parties, le juge prononce la clôture des débats et
prend la cause en délibéré. À ce moment la cause est en état d’être jugée. Le
délibéré* est la phase non publique du procès au cours de laquelle les juges, s’ils
sont plusieurs à siéger, débattent entre eux des mérites des arguments respectifs
et décident de la solution à donner à l’affaire. Le débat contradictoire entre les
parties se double alors d’un autre débat, entre les juges. Lorsque le juge siège seul,
le délibéré est le moment de la réflexion et de la relecture des pièces et des
conclusions. C’est au cours du délibéré que la décision est élaborée et rédigée.

Le jugement

Les jugements sont toutes les décisions prises par les juges dans le cadre des
litiges qui leur sont soumis. Au cours du procès, le juge est amené à prendre un
certain nombre de décisions, par exemple ordonner une expertise. Cette décision
intermédiaire est appelée jugement interlocutoire* (c’est-à-dire pendant le cours
des débats) ou jugement avant dire droit*. À la fin du procès, le juge rend son
jugement définitif*, par lequel il tranche le litige en faveur de l’une ou l’autre des
parties. Dans la terminologie judiciaire, on distingue les jugements proprement
dits rendus par les tribunaux des arrêts* rendus par les cours.
Le juge a l’obligation de juger, sous peine d’engager sa responsabilité
personnelle. C’est sa mission principale. En vertu de l’article 5 du Code judiciaire,
« il y a déni de justice* lorsque le juge refuse de juger sous quelque prétexte que ce
soit, même du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi ». Le juge doit

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

donc suppléer tout ce que la règle écrite ne contient pas pour assurer son
application au cas qui lui est soumis.
En vertu de la Constitution, le juge doit motiver sa décision en justifiant les
raisons de fait et de droit qui la commandent. Il doit répondre aux moyens
développés par les parties dans leurs conclusions.
Dans l’élaboration de sa décision, le juge doit également respecter le principe
dispositif*. Il lui est défendu de statuer ultra petita*, c’est-à-dire au-delà de ce qui
lui a été demandé. Strictement tenu par la demande qui lui a été faite, le juge ne
peut en modifier l’objet soit en l’amplifiant, soit en substituant une prétention à
une autre, soit même en réduisant l’objet de la demande alors que celui-ci n’a pas
été contesté par le défendeur.
Le juge condamne, en vertu de la loi, la partie qui a succombé, c’est-à-dire
perdu le procès, à supporter les frais et dépens* (frais d’huissier, droits de greffe,
coût de l’expédition* du jugement, coût d’expertise, etc.) ainsi qu’à verser à la
partie gagnante une indemnité de procédure, qui couvre de manière forfaitaire une
partie des frais d’avocat.
Le juge rend, en principe, sa décision dans le mois de la mise en délibéré. Ce
délai n’est pas toujours respecté en pratique.
La Constitution prévoit que le juge prononce sa décision en audience
publique (art. 149). En pratique, en matière civile, les parties sont averties de la
décision par le greffe qui leur en communique une copie.
Tout jugement définitif est revêtu, dès son prononcé, de l’autorité de la chose
jugée*. En vertu de cette autorité, ce qui a été jugé est présumé correspondre à la
vérité et ne peut être remis en cause que par l’exercice des voies de recours.
Les jugements définitifs contradictoires sont en principe exécutoires par
provision, c’est-à-dire que la partie qui triomphe peut faire exécuter la décision du
juge, sans attendre que la décision ne soit coulée en force de chose jugée. Il n’en va
autrement que lorsque le juge en décide ainsi, avec une motivation spéciale. La
partie qui exécute ainsi la décision le fait toutefois à ses risques et périls, c’est-à-
dire qu’elle devra restituer et remettre en état si la décision est réformée en appel
ou cassée.
Un jugement définitif est susceptible de faire l’objet de recours*. Il sera coulé
en force de chose jugée* (ou passé en force de chose jugée) lorsqu’il n’est plus
susceptible d’appel. Ce jugement deviendra irrévocable* lorsqu’il ne sera plus
susceptible de pourvoi en cassation*.

Les voies de recours

La seule manière de contester l’autorité d’un jugement consiste à mettre en


œuvre les voies de recours prévues par la loi dans les délais qu’elle prescrit. Les
voies de recours* sont donc les procédures ouvertes par le Code judiciaire en vue

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

d’obtenir une nouvelle décision dans un litige déjà jugé. Les plus courantes sont
l’appel et le pourvoi en cassation, ainsi que, dans une moindre mesure, l’opposition.
L’appel est la voie de recours ordinaire* parce qu’il est de droit, sauf lorsque
la loi l’interdit. Une telle exception concerne, par exemple, les décisions du juge de
paix lorsqu’il statue sur une demande dont le montant ne dépasse pas 2000 euros.
Dans ce cas, on dit que le juge de paix statue en premier et dernier ressort* : sa
décision n’est pas susceptible d’appel.
L’opposition est la voie de recours spécifique contre les condamnations
rendues par défaut. Elle est ouverte uniquement contre les décisions rendues en
dernier ressort, c’est-à-dire qui ne sont pas susceptibles d’appel. L’opposition
ramène l’affaire devant le juge qui a rendu le jugement par défaut. Dans les autres
cas, la partie condamnée par défaut pourra seulement faire appel de la décision.
Le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire* : il n’est
ouvert que pour les causes déterminées par la loi.

L’appel

L’appel permet à la partie qui se considère lésée par un jugement de


demander à la juridiction supérieure compétente de le réformer. L’appel ouvre un
deuxième degré de juridiction et permet le réexamen complet du litige. Il peut être
interjeté contre un jugement contradictoire ou contre un jugement rendu par
défaut.
Les parties disposent d’un mois pour faire appel à dater de la signification
de la décision rendue en première instance. L’instance d’appel est, dans une large
mesure, calquée sur celle de première instance. L’appel n’a pas en principe d’effet
suspensif de la décision attaquée.
Bien que fondamental, le droit au double degré de juridiction n’est pas
garanti par la Constitution ni la Convention européenne des droits de l’homme. Il
ne s’agit ni d’un principe général du droit*, ni d’une garantie du procès équitable*.
Dans la pratique, la grande majorité des décisions sont susceptibles d’appel. La
partie qui interjette appel se nomme l’appelant*. Celle contre qui l’appel est formé,
l’intimé*.

Le pourvoi en cassation

Le pourvoi en cassation ouvre une voie de recours extraordinaire devant la


Cour de cassation contre les décisions rendues en dernier ressort. Devant cette
juridiction suprême, le fond de l’affaire n’est plus examiné, les faits ne sont plus
débattus et aucune mesure d’instruction n’est ordonnée. La Cour de cassation
connaît des faits tels qu’ils ont été constatés par le juge du fond. Sa tâche consiste
à examiner si, de ces faits, le juge a fait une correcte application de la loi. La
mission de la Cour de cassation se distingue donc de celle des juges du fond.

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Gardienne de la légalité, la Cour de cassation est chargée de veiller à l’application


exacte de la loi et des principes généraux du droit. Ce faisant, elle assure
l’uniformité de la jurisprudence, tout en contribuant, par le jeu de l’interprétation*,
à son évolution.
Seuls des moyens tirés d’une « contravention à la loi » ou d’une « violation
des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité » peuvent être soumis à
la Cour de cassation. Parmi les formes particulièrement importantes dont la
violation est sanctionnée en cassation, l’on trouve notamment une motivation
insuffisante déduite d’une réponse parcellaire du juge aux moyens soulevés par les
parties dans leurs conclusions.
Les parties disposent de trois mois pour se pourvoir en cassation, à dater
de la signification de la décision attaquée. L’introduction d’un pourvoi en cassation
n’a pas d’effet suspensif. À l’issue du délibéré, la Cour de cassation peut rejeter le
pourvoi et la décision du juge fond devient irrévocable. Elle peut aussi casser,
totalement ou partiellement, la décision du juge du fond et les parties se retrouvent
dans la situation antérieure au prononcé de la décision attaquée. La Cour de
cassation ne décide en principe jamais elle-même du sort à réserver à la demande.
Elle renvoie la cause devant une autre juridiction du fond de même degré que celle
qui a rendu la décision attaquée. Cette juridiction, dite de renvoi, se conforme à
l'arrêt de la Cour de cassation sur le point de droit jugé par cette Cour. La décision
de la juridiction de renvoi peut à son tour faire l’objet d’un pourvoi en cassation,
sauf sur le point de droit déjà tranché par la Cour.

L’exécution du jugement

La décision de justice qui ne fait pas l’objet d’un recours ou n’est plus
susceptible de recours (coulée en force de chose jugée ou irrévocable) doit être
exécutée par les parties. L’exécution est soit volontaire, soit forcée.
La partie qui veut procéder à l’exécution forcée fait signifier à l’adversaire
la décision (par exploit d’huissier). Elle se fait délivrer par le greffe une copie de la
décision, revêtue de la formule exécutoire227. Elle pourra sur cette base faire
exécuter la décision par les autorités publiques et le cas échéant faire saisir les
biens du débiteur par un huissier. Les biens saisis seront mis en vente publique et
le créancier sera payé sur le produit de la vente.

227Arrêté royal du 9 août 1993 modifiant l’arrêté royal du 27 mai 1971 déterminant la formule
exécutoire des arrêts, jugements, ordonnances, mandats de justice ou actes comportant exécution
parée, M.B., 9 août 1993 : « Nous, Philippe, Roi des Belges, A tous présents et à venir, faisons
savoir : [suivent les motifs et le dispositif de la décision]. Mandons et ordonnons à tous huissiers de
justice et à ce requis de mettre le présent (…) jugement (…) à exécution ; A Nos procureurs généraux
et à Nos procureurs du Roi près les tribunaux de première instance, d’y tenir la main, et à tous
commandants et officiers de la force publique d’y prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement
requis ; En foi de quoi le présent (…) jugement (…) a été signé et scellé du sceau (…) du tribunal
(…) ».

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SECTION 5 : LES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES CONFLITS CIVILS

Plutôt que de s’engager dans un procès civil, les parties peuvent convenir de
recourir à d’autres modes dits alternatifs de règlement des conflits qui les
opposent. Leur mise en œuvre peut répondre à un souci de rapidité et d’efficacité
ou à éviter les affrontements et le formalisme qui sont souvent le lot des procédures
judiciaires.
Une telle démarche est particulièrement efficace dans les conflits entre
personnes qui sont amenées à rester en contact ou pour régler des différends
humainement délicats (famille, voisinage, travail, relations d’affaires régulières,
etc.). De surcroît, les solutions auxquelles aboutissent les modes alternatifs de
règlement des conflits posent, par définition, peu de problèmes d’exécution
puisqu’elles sont souvent le résultat d’une négociation. Depuis le début du 21e
siècle, le législateur et les différents acteurs du monde judiciaire tentent de
favoriser l’essor de ces modes alternatifs afin de désengorger les tribunaux.
Nous aborderons successivement, la médiation qui connaît un essor
considérable dans de nombreux pays, et l’arbitrage dont l’implantation est plus
ancienne.

La médiation

Notion

La médiation* est un processus volontaire et confidentiel de gestion et de


résolution des conflits par l’intermédiaire d’un tiers indépendant et impartial, le
médiateur. Avec le concours du médiateur, les parties vont tenter d’élaborer une
solution équitable, prise en pleine connaissance de cause, dans le respect des
intérêts de chacun des intervenants.
Le rôle du médiateur est d’écouter les parties, aidées ou non par leurs
avocats, de rétablir un climat de confiance pour permettre un dialogue en vue de
trouver une solution amiable au litige. Dans le cadre d’une médiation, les questions
abordées par les parties pour régler leur différend de manière globale ne se limitent
pas aux aspects purement juridiques. D’autres aspects sont souvent pris en compte
afin d’aborder le conflit dans sa dimension relationnelle ou émotionnelle et de tenir
compte des intérêts commerciaux en présence ainsi que, par exemple, de la
réputation d’une des parties.
Dans le cadre de la médiation, contrairement à l’arbitrage* ou à une
procédure judiciaire, aucune décision n’est imposée par le médiateur. Ce sont les
parties qui recherchent, construisent et trouvent, avec l’aide du médiateur, la
solution à leur différend.

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En Belgique, la médiation s’est développée dans plusieurs domaines et sous


des formes différentes. Dans les matières familiales, sociales, civiles et
commerciales, la médiation, soit se déroule de manière privée (médiation
volontaire), soit même se greffe sur une procédure judiciaire déjà engagée
(médiation judiciaire). Le législateur est également intervenu pour mettre en place
des mécanismes spécifiques de médiation judiciaire (médiation de dette, par
exemple). Par ailleurs, la médiation s’est développée au sein de certaines
entreprises publiques et institutions (médiation institutionnelle).
L’engouement pour la médiation est également présent au sein des
instances européennes. Une directive sur la médiation en matière civile et
commerciale applicable aux litiges transfrontaliers a ainsi été adoptée en 2008228.
Elle vise à promouvoir le recours à la médiation et tend à harmoniser, à l’échelle
de l’Union européenne, le cadre réglementaire dans lequel la médiation doit se
dérouler.

De quelques mécanismes de médiation

1. La médiation civile, commerciale et sociale

Les parties à un contrat peuvent s’engager par avance à recourir à la


médiation en cas de litige (clause de médiation) ou décider d’y recourir de commun
accord après la survenance du litige.
Lorsque le litige qui oppose les parties est déjà soumis à un juge, on parle
de médiation judiciaire. Le juge suspend l’examen de la cause, à son initiative ou
celle des parties, jusqu’à l’issue de la médiation. L’affaire est confiée à un
médiateur agréé. La procédure est confidentielle et les documents et
communications échangés dans ce cadre ne peuvent servir de preuve en justice. En
cas d’accord, le juge acte les termes de celui-ci dans un jugement. Il ne peut refuser
d’homologuer l’accord que lorsque celui-ci est contraire à l’ordre public ou, en
matière de médiation familiale*, à l’intérêt des enfants mineurs. En cas d’échec, la
procédure judiciaire reprend son cours.
Depuis le 1er juin 2015, le SPF Économie a mis en place un Service de
Médiation pour le Consommateur, qui est un service public auquel tout
consommateur peut s’adresser pour résoudre un conflit l’opposant à une
entreprise229.

228Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, sur certains aspects
de la médiation en matière civile et commerciale.
229Loi du 4 avril 2014 portant insertion du Livre XVI, « Règlement extrajudiciaire des litiges de
consommation » dans le Code de droit économique, M.B., 12 mai 2014.

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2. La médiation familiale

La médiation familiale* est en pratique la forme la plus fréquente de recours


à la médiation en matière civile. Elle tend à apporter des solutions négociées aux
conflits qui surgissent dans le cadre des familles. La médiation se conçoit soit à
titre privé, soit dans le cadre d’une procédure judiciaire. Dans le premier cas, les
personnes font appel à un médiateur reconnu qui les aidera à trouver une solution
au problème qu’elles rencontrent. Les médiateurs familiaux ont suivi une
formation spécialisée et sont agréés par des organismes indépendants. Dans le
cadre d’une médiation judiciaire, c’est le juge qui, saisi d’un litige, désigne un
médiateur. Les parties doivent marquer leur accord sur le recours à la médiation
et sur la désignation du médiateur. Si la médiation aboutit, le juge se contente
d’acter la solution. Si la médiation échoue, le différend sera tranché par le juge
dans le cadre d’une instance civile.
Le recours à la médiation en matière familiale permet de résoudre des
conflits souvent extrêmement complexes et chargés d’émotions de façon plus souple
et évolutive. Les parties peuvent, par exemple, convenir d’une solution pour la
garde des enfants et se retrouver quelques mois plus tard, avec le médiateur, pour
réévaluer la situation et modifier la solution retenue ou la maintenir dans l’intérêt
de tous.

3. La médiation de dettes

La médiation de dettes* vise à apporter une réponse au surendettement


d’une partie importante de la population. Il s’agit d’une médiation judiciaire.
Lorsqu’une personne se trouve dans l’impossibilité d’honorer ses dettes et qu’elle
n’a pas organisé son insolvabilité, elle peut introduire une requête* devant le juge
pour obtenir un règlement collectif de dettes. Si le juge accède à cette demande, il
désigne un médiateur de dettes chargé d’élaborer un plan de règlement amiable
des dettes du débiteur. Ce plan est soumis à l’ensemble des créanciers* et,
moyennant l’accord de toutes les parties en cause, il sera acté par le juge sans débat
judiciaire.

L’arbitrage

En Belgique, comme dans de nombreux pays, l’arbitrage a toujours coexisté


avec le contentieux judiciaire, contrairement aux autres modes alternatifs de
règlement de conflits dont l’essor est plus récent. Le recours à l’arbitrage suppose
que les parties se mettent d’accord, dans une convention, nommée convention
d’arbitrage* ou clause compromissoire*, de soumettre le litige qui les oppose (ou
qui pourrait les opposer dans l’avenir) à un ou plusieurs arbitres dont elles
s’engagent à respecter la décision, appelée sentence arbitrale*. Dans la convention
d’arbitrage, les parties s’engagent donc à ne pas soumettre leur litige aux cours et
tribunaux.

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L’arbitrage s’est considérablement développé durant ces dernières


décennies, notamment en droit économique*, et ce malgré son coût relativement
élevé en raison des honoraires que chaque partie doit payer aux arbitres. Le ou les
arbitres sont désignés par un mécanisme convenu par les parties. Il s’agit le plus
souvent d’experts et très souvent des juristes, en particulier des avocats. Les
avantages généralement reconnus à l’arbitrage, par rapport à la voie judiciaire,
sont la rapidité et la confidentialité, deux atouts majeurs dans la vie des affaires.
La sentence* arbitrale a autorité de chose jugée et peut être exécutée par la
contrainte moyennant demande au juge de lui conférer force exécutoire*
(procédure d’exequatur).

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SECTION 6 : LE PROCÈS PÉNAL

Le procès pénal constitue le cadre dans lequel sont jugées les personnes
soupçonnées d’avoir commis une infraction. Les sanctions pénales ont pour objet
de punir l’auteur de l’infraction, notamment dans un but de défense sociale.
Suivant la Cour de cassation, la peine* est « un mal infligé par la justice répressive,
en vertu de la loi à titre de punition [ou de sanction] d’un acte que la loi défend »230.
Il s’agit principalement de l’emprisonnement, de la peine de travail et de l’amende.
La condamnation pénale est conçue comme un acte grave, qui ne peut être
prononcée qu’à l’issue d’une procédure qui protège les droits de la défense* et est
entourée d’un maximum de garanties. Ces garanties du procès équitable*
constituent un des droits humains fondamentaux.
À la différence du procès civil qui traite d’un conflit relatif aux intérêts
privés des parties en cause, le procès pénal relève de l’ordre public dans la mesure
où il oppose un particulier à la collectivité représentée par un membre du ministère
public. Cette asymétrie du procès pénal influence profondément les règles relatives
à son administration et à la charge de la preuve*. La procédure pénale tend à
rétablir un certain équilibre en dotant la personne à qui une infraction est
reprochée d’une série de droits qui viennent s’ajouter aux garanties du procès
équitable. Mais la procédure pénale est également organisée de manière à assurer
une répression efficace des infractions en conférant notamment aux enquêteurs
des moyens spécifiques pour accomplir au mieux leur tâche d’investigation
(perquisitions, détentions préventives, écoutes téléphoniques, etc.). De telles
prérogatives sont susceptibles de mettre à mal les libertés fondamentales (droit à
la vie privée et à l’inviolabilité du domicile, droit à la liberté individuelle, droit au
secret de la correspondance, etc.). Dans un État de droit, tout l’art de la procédure
pénale consiste à concilier, en amont et au cours du procès, ces deux impératifs qui
tiennent à l’efficacité des poursuites pénales, d’une part, et au respect des libertés
fondamentales, d’autre part.

Les principes fondamentaux propres à la procédure pénale

Outre les garanties du procès équitable prévues par l’article 6, § 1 er, de la


Convention européenne des droits de l’homme qui s’appliquent aux instances
pénales comme aux instances civiles, le procès pénal est entouré de garanties
particulières en raison de sa nature spécifique.

230Cass., 14 juillet 1924, Pas., 1924, I, p. 474 (« punition ») et Cass., 16 mars 1970, Pas., 1970, I, p.
632 (« sanction »).

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La présomption d’innocence

En vertu de l’article 6, § 2 de la Convention européenne des droits de


l’homme : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente
jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Ce principe de la
présomption d’innocence a de nombreuses implications, notamment :
- l’interdiction du recours à la détention préventive pour exercer une
répression immédiate ;
- le fait que la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante et que
le doute profite à la personne poursuivie ;
- le fait que les preuves doivent, en principe, être recueillies de manière
loyale ;
- le devoir de réserve des magistrats dans les communications à la presse.

Le droit au silence

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacre


expressément le droit au silence : « Toute personne accusée d’une infraction pénale
a droit (…) à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer
coupable »231. Le droit au silence est également consacré par la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme. Ce droit au silence a des implications
fondamentales dans le procès pénal, notamment :
- la personne soupçonnée d’une infraction est libre de répondre ou non aux
questions qui lui sont posées ;
- elle ne peut être contrainte de collaborer à la production d’éléments de
preuve ;
- le silence de l’inculpé ne peut entraîner aucune sanction, notamment
sous la forme d’une détention préventive ;
- l’assistance d’un avocat dès le premier interrogatoire est de nature à
assurer l’effectivité du droit au silence232.

Art. 14.3.g du Pacte signé à New-York le 19 décembre 1966 et ratifié par la Belgique le 15 mai
231

1981.
232 Cour eur. dr. h., Salduz c. Turquie, 27 novembre 2008.

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Droits de la défense renforcés

Dans son article 6, § 3, la Convention européenne des droits de l’homme


énumère, de manière non limitative, les droits de la défense qui doivent être
reconnus à la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction :
« Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il
comprend et de manière détaillée, de la nature et de la cause de
l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de
sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son
choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur,
pouvoir être assisté gratuitement par un avocat désigné d’office,
lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la
convocation et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les
mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas
ou ne parle pas la langue employée à l’audience ».

Les violations caractérisées des droits de la défense entachent l’instance, en


principe, de manière irrémédiable. Les autorités publiques se privent de la
possibilité d’exercer des poursuites si elles ne se plient pas aux règles du jeu qui
doivent encadrer un procès pénal dans un État de droit. Ce principe vise à
sanctionner les autorités, notamment policières, lorsqu’elles se livrent à des
manœuvres ou à des actes illégaux pour confondre les délinquants ou forger des
preuves contre eux. Toutefois, ce principe a été largement vidé de sa substance en
Belgique par une série d’évolutions jurisprudentielles et législatives qui
privilégient nettement le souci de la répression sur celui du respect de la légalité.

La phase préliminaire

Une fois qu’une infraction a été commise, il s’agit d’en rechercher l’auteur
et, le cas échéant, de le juger. Cette double démarche, l’enquête et le jugement,
correspond aux deux étapes du procès pénal : la phase préliminaire, qui prend la
forme d’une information* ou d’une instruction*, et la phase de jugement
proprement dite.
La phase préliminaire du procès pénal est consacrée à la recherche des
infractions et de leurs auteurs, au rassemblement des preuves ainsi qu’à la
constitution du dossier répressif*. Pour mener à bonne fin pareille entreprise, deux
voies sont prévues par la loi :

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- l’ouverture d’une information* sous la direction du procureur du Roi*.


Cette forme d’enquête préliminaire concerne toutes les contraventions*,
certains délits* et les crimes* correctionnalisés* par le ministère public ;
- l’ouverture d’une instruction* sous la responsabilité du juge
d’instruction*. Cette forme d’enquête préliminaire concerne certains
délits et certains crimes. Les crimes qui relèvent de la cour d’assises
doivent impérativement faire l’objet d’une instruction.

Lorsque les besoins de l’enquête relative à la commission d’un crime ou d’un


délit conduisent à poser des actes attentatoires aux libertés individuelles,
l’intervention du juge d’instruction est en principe requise, sauf dans les cas où la
loi autorise le procureur du Roi à les poser. Les réformes récentes de la procédure
pénale accroissent de manière considérable les prérogatives du ministère public,
qui prend de plus en plus le pas sur le juge d’instruction, dont la suppression est
envisagée.

L’information

1. L’ouverture de l’information

Lorsqu’une infraction est constatée, elle est le plus souvent portée à la


connaissance du procureur du Roi par l’intermédiaire des services de police
judiciaire*233. Ceux-ci dressent des procès-verbaux* qui constatent les infractions
à la commission desquelles ils assistent directement, enregistrent les plaintes des
personnes qui en sont victimes ou recueillent les déclarations des témoins d’actes
pénalement répréhensibles. Les fonctionnaires de police sont tenus d’informer le
procureur du Roi de l’existence d’un crime ou d’un délit.

2. L’objet de l’information

L’information est définie par la loi comme « l’ensemble des actes destinés à
rechercher les infractions, leurs auteurs et les preuves et à rassembler les éléments
utiles à l’exercice de l’action publique ». Ces actes sont de nature très diverse. Il
peut s’agir d’une descente sur les lieux par laquelle le procureur du Roi, assisté des
fonctionnaires de police, se déplace à l’endroit des faits pour y procéder à toutes les
constatations utiles. Les magistrats du parquet ainsi que les fonctionnaires de
police peuvent également procéder à l’audition de personnes, qu’elles soient
suspectes, témoins ou tiers, à la condition qu’elles comparaissent volontairement.
Comme tous les autres modes de preuve, les auditions de personnes sont soumises

233Parmi les fonctions de police, on distingue celles de police judiciaire qui visent la recherche et la
constatation des infractions et celles de police administrative qui ont pour objet principal le
maintien de l’ordre public.

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au principe de loyauté de l’administration de la preuve. Sont donc proscrites toutes


formes de menace tant verbale que physique à l’égard de la personne entendue
ainsi que toute ruse ou tromperie destinée à induire en erreur la personne
entendue pour obtenir une version particulière des faits.
Des règles spécifiques existent depuis l’arrêt Salduz de la Cour européenne
des droits de l’homme concernant les droits des personnes auditionnées en qualité
de suspects. Celles-ci se voient informées qu’elles ont le droit de faire une
déclaration, de répondre aux questions qui leur sont posées ou de se taire. Elles
ont le droit de se concerter confidentiellement avec un avocat avant leur audition.
Elles peuvent se faire assister par leur avocat pendant leur audition, si les faits
concernent une infraction punissable d’une peine privative de liberté ou si elles
sont sous le coup d’une arrestation judiciaire.
Outre les auditions, le procureur du Roi peut ordonner la saisie des pièces à
conviction. Il peut aussi commander l’arrestation d’une personne à l’égard de
laquelle existent des indices sérieux de culpabilité relatifs à un crime ou à un délit.
Il s’agit de l’arrestation judiciaire qui ne peut jamais entraîner une privation de
liberté pour une durée supérieure à quarante-huit heures. Au-delà de ce délai, une
personne ne peut être privée de sa liberté qu’en vertu d’un mandat d’arrêt* décerné
par un juge d’instruction234.

3. Les actes attentatoires aux libertés individuelles

En principe, les actes posés dans le cadre de l’information ne peuvent


comporter de mesures de contrainte, ni porter atteinte aux libertés et aux droits
individuels. Il n’y a donc pas, à ce stade, de perquisition sans le consentement de
la personne disposant de la jouissance des lieux (inviolabilité du domicile), pas
d’exploration corporelle sans le consentement écrit et préalable de la personne
majeure concernée (droit à l’intégrité physique), pas de mise sur écoute
téléphonique (droit au respect de la vie privée et au secret des « lettres »).
Dans certaines circonstances, la loi habilite expressément le procureur du
Roi à poser des actes attentatoires aux libertés individuelles. En cas de flagrant
délit*, par exemple, le procureur du Roi et les fonctionnaires de police peuvent
procéder à des perquisitions, même nocturnes, à l’exploration corporelle, à la mise
sur écoute téléphonique, etc.
Le législateur a également organisé la mini-instruction qui permet au
procureur du Roi de solliciter du juge d’instruction l’accomplissement de certains
actes attentatoires aux libertés individuelles sans ouvrir de véritable instruction.
Au fil des réformes de la justice, ces actes sont de plus en plus nombreux, même si

234 L’arrestation judiciaire ne doit pas être confondue avec l’arrestation administrative. Cette
dernière relève de la décision d’un fonctionnaire de police et ne peut être ordonnée qu’en cas
« d’absolue nécessité » et dans les circonstances prévues par la loi, comme le trouble effectif pour la
tranquillité publique. L’arrestation administrative ne peut entraîner une privation de liberté
excédant 12 heures (la fameuse « nuit au poste »).

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la Cour constitutionnelle a sanctionné certaines réformes235. Le procureur du Roi


peut ainsi demander au juge d’instruction d’entendre un témoin sous serment, de
décerner un mandat d’amener* à charge d’un suspect ou d’un témoin, de réaliser
une enquête bancaire ou d’ordonner un prélèvement forcé en vue d’une analyse
ADN. Le juge d’instruction peut accepter ou refuser d’exécuter l’acte demandé.
Dans ces deux hypothèses, le juge d’instruction décide également de la suite à
réserver à l’enquête : soit il renvoie le dossier au procureur du Roi, soit il se saisit
de l’affaire et poursuit lui-même les investigations en ouvrant une instruction en
bonne et due forme.

4. La fin de l’information

L’information peut se clôturer de différentes manières qui vont du


classement sans suite à la citation devant le juge en passant par différentes
solutions intermédiaires où le ministère public joue un rôle décisif dans le
règlement de l’affaire.

1°) Le classement sans suite


Une des prérogatives fondamentales du procureur du Roi est d’être seul juge
de l’opportunité des poursuites*. La décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre
un suspect devant les cours et tribunaux relève donc de l’entière discrétion du
procureur du Roi. Ce dernier peut, au terme de l’enquête, prendre une décision
motivée de classement sans suite* où il exprime les motifs pour lesquels il
s’abstient de mettre l’action publique en mouvement à l’égard d’une personne
suspectée d’avoir commis une infraction. En pratique, cette motivation est limitée
et standardisée. Il s’agit d’une décision d’opportunité qui ne repose pas sur des
critères définis par la loi et qui ne préjuge en rien de la culpabilité ou de la non-
culpabilité de la personne ayant fait l’objet de l’information.
L’opportunité des poursuites joue un rôle de tri. Elle permet d’éviter le
procès pénal dans des cas où il ne s’avère pas indispensable en raison, par exemple,
de l’évolution des mœurs ou de la situation particulière de la personne suspecte.
Elle permet également d’éviter l’asphyxie des tribunaux. Dans la pratique, une
très large majorité des affaires soumises au parquet fait l’objet d’un classement
sans suite.
La décision de classement sans suite est provisoire tant que l’action publique
n’est pas éteinte. Le dossier peut toujours être rouvert soit par une autre décision
d’opportunité s’il survient des éléments nouveaux, soit sur injonction positive du
procureur général près de la cour d’appel ou du ministre de la Justice, soit enfin
en cas de constitution de partie civile* de la victime entre les mains du juge
d’instruction. Dans ces deux derniers cas, le procureur du Roi est obligé de
poursuivre et de mettre l’action publique en mouvement. Si les cas d’injonction

235Voy., par exemple, l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 148/2017 du 21 décembre 2017 qui
retire au procureur du Roi la possibilité de requérir du juge d’instruction une perquisition dans le
cadre d’une mini-instruction.

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positive sont rarissimes en pratique, ceux de constitution de partie civile sont


nombreux et constituent un tempérament important au pouvoir discrétionnaire du
ministère public.
La décision de classement sans suite est définitive à partir du moment où
l’action publique est éteinte.
- Il en est ainsi lorsque l’auteur de l’infraction est décédé puisque le droit
belge ne connaît pas de principe de responsabilité pénale pour autrui.
Les héritiers ne peuvent donc ni être poursuivis, ni être punis pour les
infractions commises par le défunt.
- Il en va de même par le jeu de la prescription de l’action publique suite à
l’écoulement du temps. La durée de prescription augmente en fonction
de la gravité de l’infraction. Ainsi, les contraventions se prescrivent par
6 mois, les délits et certains crimes correctionnalisés par 5 ans. La
prescription des autres crimes varie de 10 à 20 ans selon leur nature et
la gravité des peines prévues par la loi. Enfin, les crimes du droit
humanitaire, comme le génocide ou les autres crimes contre l’humanité,
sont imprescriptibles. Ils peuvent toujours être poursuivis tant que leur
auteur est vivant.

2°) La médiation pénale


L’action publique peut également être définitivement éteinte en cas de
médiation pénale* réussie. Pour autant que les faits constatés ne lui paraissent
pas de nature à être punis d’un emprisonnement de plus de deux ans, le procureur
du Roi peut inviter l’auteur présumé à réparer le dommage qu’il a causé à la
victime en lieu et place de poursuites devant les juridictions pénales. Le procureur
peut également convoquer la victime et mener une médiation entre les parties sur
l’indemnisation et ses modalités. Cette dernière peut prendre les formes les plus
diverses : réparation en nature, réparation par équivalent, réparation symbolique,
excuses orales ou écrites, etc. Le procureur du Roi peut subordonner l’extinction
des poursuites à d’autres mesures comme le suivi d’une formation ou d’un
traitement médical quand l’assuétude à l’alcool ou aux stupéfiants est une des
causes de l’infraction. Le procureur du Roi peut également poser comme condition
l’exécution d’un travail d’intérêt général. Une procédure d’homologation est prévue
devant le juge du fond qui devra ainsi contrôler, d’une part, si les conditions
d’application légales de la médiation sont respectées et, d’autre part, si les mesures
proposées sont proportionnées à la gravité des faits et à la personnalité du suspect.

3°) La transaction pénale236


Pour autant que les faits constatés ne lui paraissent pas de nature à être
punis d’un emprisonnement de plus de deux ans et qu’ils ne comportent pas
d’atteinte grave à l’intégrité physique, le procureur du Roi peut proposer
l’extinction de l’action publique contre le paiement d’une somme d’argent. Cette

236 Il ne faut pas confondre la transaction pénale avec la transaction civile qui est un contrat par
lequel les parties mettent fin à un litige par des concessions réciproques. Le point commun est le
fait de mettre fin à un litige, mais les moyens et les circonstances diffèrent complètement.

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proposition nécessite que les victimes de l’infraction aient été préalablement


dédommagées par l’auteur. Le juge chargé d’homologuer cette transaction pénale
doit vérifier le caractère proportionné de celle-ci par rapport à la personnalité du
suspect ainsi qu’à la gravité des faits, et si le suspect a bien accepté la transaction
proposée de manière libre et éclairée. L’objectif de la transaction pénale est de
permettre un règlement rapide des affaires dans le but d’éviter l’encombrement
des tribunaux.

4°) La reconnaissance préalable de culpabilité


Pour autant que les faits constatés ne lui paraissent pas de nature à être
punis d’un emprisonnement de plus de cinq ans et qu’aucun jugement définitif au
pénal n’ait été prononcé, le procureur du Roi peut proposer au suspect ou au
prévenu de reconnaître sa culpabilité moyennant l’application d’une peine
inférieure à celle que le parquet aurait normalement requise. Cette proposition
peut être effectuée à la demande du suspect ou prévenu ou de son avocat ou bien
d’office. Le suspect ou prévenu qui accepte doit être assisté d’un avocat. Les
déclarations par lesquelles il reconnaît sa culpabilité et accepte la peine proposée
sont consignées dans une convention dressée par le ministère public et
communiquées aux victimes connues.
La convention est déférée au tribunal compétent à une audience dite
d’« homologation ». Le juge vérifie, à cette occasion, si la procédure remplit les
conditions légales, si l’auteur a donné son consentement de manière libre et
éclairée, que les faits sont réels et leur qualification correcte et que la peine est
proportionnelle à la gravité des faits, à la personnalité de l’auteur et à sa volonté
de réparer le dommage. Si ces conditions sont réunies, le juge prononce les peines
prévues.
Dans le cas contraire, le juge rejette la requête en homologation de la
convention par une décision motivée. L’affaire est renvoyée devant une chambre
du tribunal autrement composée. La convention et les autres pièces relatives à la
reconnaissance de culpabilité sont écartées du dossier et ne peuvent être retenues
à charge du prévenu.

5°) La citation devant le tribunal


Dans les affaires où il décide d’entamer des poursuites, le procureur du Roi
va, le plus souvent, citer directement* le suspect devant le tribunal de police ou le
tribunal correctionnel en fonction de leurs compétences respectives.
Le procureur du Roi peut contraventionnaliser* les délits et
correctionnaliser* les crimes par l’admission de circonstances atténuantes. Le
Collège des procureurs généraux donne instruction de présumer l’existence de
circonstances atténuantes. Le ministère public peut ainsi directement citer les
personnes soupçonnées d’un crime devant le tribunal correctionnel.

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L’instruction

1. La mise à l’instruction

L’ouverture d’une instruction fait suite soit à la décision du procureur du


Roi d’introduire un réquisitoire aux fins d’instruire*, soit à la décision du juge
d’instruction de se saisir de l’affaire dont il a eu à connaître dans le cadre d’une
mini-instruction*, soit à la décision de la victime de mettre l’action publique en
mouvement en se constituant partie civile* entre les mains du juge d’instruction.
Si la loi ne fixe aucun critère pour déterminer quelles affaires doivent être mises à
l’instruction, les prérogatives conférées au juge d’instruction plaident pour
réserver son intervention aux affaires importantes susceptibles de mettre en cause
les droits et libertés individuels. À compter du jour où le juge d’instruction est saisi
d’un dossier, la direction et la responsabilité de l’enquête lui reviennent et les
services de police exécutent les devoirs judiciaires utiles à la manifestation de la
vérité sous sa direction.

2. Le rôle du juge d’instruction

Juge au tribunal de première instance, le juge d’instruction est désigné à


cette fonction particulière pour une durée déterminée. En charge de l’enquête, le
juge d’instruction doit mener toutes les investigations nécessaires au bon
déroulement de celle-ci. Mais, comme son nom l’indique, le juge d’instruction,
avant d’être un enquêteur, est un juge qui se caractérise par son indépendance et
son impartialité. Il n’a pas la qualité de partie à l’action publique. Au contraire du
ministère public, il n’exerce pas de poursuites. Il doit instruire tant à charge qu’à
décharge, c’est-à-dire qu’il lui incombe de rechercher les éléments de preuve qui
soutiennent à la fois les thèses de l’accusation et celles de la défense.
Dans la phase préliminaire du procès pénal, le juge d’instruction exerce des
fonctions juridictionnelles en adoptant des décisions, appelées ordonnances*, par
lesquelles il prescrit les mesures d’instruction nécessaires à la manifestation de la
vérité. Au cours de l’instruction, il est susceptible de prescrire de nombreux actes
attentatoires aux libertés et droits fondamentaux, notamment :
- Il peut décider d’entendre personnellement les personnes mises en cause
dans le cadre de l’instruction. Pour ce faire, il est habilité à décerner un
mandat d’amener* qui constitue une injonction, aux agents de la force
publique, de lui amener la personne qu’il désigne.
- Il peut convoquer un témoin à comparaître, si besoin est en décernant un
mandat d’amener*. Le juge d’instruction est habilité à entendre un
témoin sous serment au terme duquel la personne auditionnée jure, en
levant la main droite, de dire toute la vérité et rien que la vérité. À la
différence de l’auteur présumé qui bénéficie du droit au silence, le témoin
est tenu de répondre aux questions qui lui sont posées, sous peine de se
voir condamner aux peines prévues par la loi pour refus de témoignage.

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- Il peut inculper une personne contre laquelle existent des indices sérieux
de culpabilité et, de ce fait, l’impliquer dans la procédure pénale.
- Assisté de son greffier, il peut descendre sur les lieux pour faire procéder
aux premières constatations. Une telle descente sur les lieux est d’usage
pour les faits criminels particulièrement graves. Par ailleurs, le juge
d’instruction peut toujours revenir sur les lieux d’un crime pour en
organiser la reconstitution.
- Il peut rendre une ordonnance de perquisition* par laquelle, tout officier
de police judiciaire se voit habiliter à pénétrer dans un endroit protégé
par l’inviolabilité du domicile, en vue d’y rechercher des preuves et, le
cas échéant, de saisir les pièces à conviction d’un crime ou d’un délit. Sauf
exceptions prévues par la loi237, aucune perquisition ne peut avoir lieu
entre 21 heures et 5 heures du matin.
- Il peut exiger des organismes bancaires et financiers de lui communiquer
tout renseignement utile à l’enquête portant sur les comptes et avoirs de
leurs clients.
- Il peut décréter l’investigation d’un système informatique.
- Il peut ordonner qu’un médecin procède à une exploration corporelle.
Selon la définition qu’en donne la Cour de cassation, il s’agit de toute
mesure d’instruction susceptible de porter atteinte à la pudeur238.
- Il peut, à certaines conditions, ordonner, si besoin est sous la contrainte,
le prélèvement de cellules humaines (prélèvement sanguin, de
muqueuses de la joue, de bulbes pileux, etc.)239.
- Il peut faire procéder à toute expertise utile à la manifestation de la
vérité (autopsie, expertise en balistique, expertise comptable, expertise
psychiatrique, etc.).
- Il peut ordonner le repérage des données d’appels téléphoniques, leur
localisation et même la mise sur écoute et l’enregistrement de
communications privées.
- Il peut décerner un mandat d’arrêt* au terme duquel une personne sera
mise en détention préventive. Le mandat d’arrêt est l’ordonnance rendue
par le juge d’instruction qui permet de priver une personne de sa liberté
au-delà du délai de quarante-huit heures que ne peut dépasser
l’arrestation judiciaire*.

Pour mener à bien sa mission, le juge d’instruction dispose, on le voit, d’une


panoplie de mesures très variées, susceptibles de mettre directement à mal les

237Voyez par exemple la loi du 27 avril 2016 relative à des mesures complémentaires en matière de
lutte contre le terrorisme, M.B., 9 mai 2016.
238 Cass., 1er avril 1968, Pas., 1968, I, p. 939.
239 Art. 90undecies du C.I.C.

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libertés individuelles. Dans un État de droit, il incombe au législateur d’encadrer


strictement de telles atteintes sans céder aux dérives sécuritaires.

3. Le rôle du procureur du Roi et les droits de l’inculpé

Dans le cadre de l’instruction, le procureur du Roi qui est, rappelons-le,


partie à la cause, continue à jouer un rôle fondamental. En raison du caractère
asymétrique du procès pénal, le procureur du Roi se voit même, à ce stade,
reconnaître des prérogatives plus importantes que l’inculpé. Il dispose, par
exemple, du droit de se faire communiquer, par le juge d’instruction, toutes les
pièces du dossier, à n’importe quel moment de la procédure. Il dispose également
d’un pouvoir général de réquisition qui lui permet de solliciter l’accomplissement
de tous les actes qu’il considère utiles à l’instruction.
Quant à l’inculpé, il a le droit de demander au juge d’instruction d’accéder
au dossier et d’en obtenir une copie. Sauf lorsqu’il est détenu préventivement,
l’inculpé ne dispose pas d’un droit d’accès automatique au dossier. Le juge
d’instruction peut lui refuser la communication de certaines pièces au motif
notamment que « les nécessités de l’instruction le requièrent » ou que « la
communication présente un danger pour les personnes ou porte gravement atteinte
à leur vie privée ». Par ailleurs, à l’instar du procureur du Roi, l’inculpé peut
solliciter, de la part du juge d’instruction, l’accomplissement d’un acte d’instruction
complémentaire.

4. Le rôle des juridictions d’instruction

La mission du juge d’instruction est exercée sous le contrôle des juridictions


d’instruction*, c’est-à-dire de la Chambre du conseil* et de la Chambre des mises
en accusation*. La Chambre du conseil est une juridiction de première instance
rattachée au tribunal correctionnel. La Chambre des mises en accusation est une
juridiction d’appel rattachée à la cour d’appel.

1°) La Chambre du conseil


La Chambre du conseil intervient principalement à deux occasions :
premièrement, pour contrôler le maintien de la détention préventive* décidée par
le juge d’instruction ; deuxièmement, au moment de la clôture de l’instruction, pour
statuer sur le règlement de la procédure*.
(a) La détention préventive
La mise en détention préventive est particulièrement délicate dans la
mesure où elle implique la privation de liberté d’une personne présumée innocente
qui n’a pas encore eu l’occasion de défendre sa cause devant un juge, dans le cadre
d’un débat contradictoire. Il est cependant des cas où la protection de la sécurité
publique justifie une telle atteinte à la liberté individuelle. Dans un État de droit,
ces cas doivent rester exceptionnels. Si les législations qui se sont succédé en

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Belgique tendent à renforcer le caractère exceptionnel de la détention préventive,


dans la pratique, elle reste largement utilisée.
Le régime de la détention préventive est subordonné au principe de la liberté
individuelle, telle qu’elle est garantie par la Constitution et la Convention
européenne des droits de l’homme. L’article 12 de la Constitution prévoit que
« Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu'en vertu de l'ordonnance
motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l'arrestation, ou au plus tard
dans les quarante-huit heures ». Quant à la Convention européenne des droits de
l’homme, elle contient, dans son article 5, plusieurs dispositions destinées à
sauvegarder les droits de toute personne arrêtée et détenue dans le cadre d’une
instance pénale :
- « Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans
une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute
accusation portée contre elle ».
- « Toute personne arrêtée ou détenue (…) doit être aussitôt traduite devant
un juge (…) et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée
pendant la procédure ».
- « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit
d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur
la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est
illégale ».

Les garanties consacrées par la Convention européenne des droits de


l’homme sont reprises et précisées dans la loi belge relative à la détention
préventive240. En cas de non-respect de ces dispositions, la détention est illégale*
et la personne qui en est victime doit obtenir réparation intégrale de son dommage
contre l’État241.
Dans les quarante-huit heures de son arrestation, la personne privée de sa
liberté doit être déférée devant un juge d’instruction. À défaut, elle doit être libérée.
Le juge d’instruction peut, après avoir interrogé l’inculpé, décerner un mandat
d’arrêt « en cas d’absolue nécessité pour la sécurité publique seulement, et si le fait
est de nature à entraîner pour l’inculpé un emprisonnement correctionnel d’un an
ou une peine plus grave (…). Cette mesure ne peut être prise dans le but d’exercer
une répression immédiate ou toute autre forme de contrainte »242. Ce mandat
d’arrêt doit être motivé en visant « les circonstances de fait de la cause et celles
liées à la personnalité de l’inculpé qui justifient la détention préventive »243. Dès la
délivrance du mandat d’arrêt, la personne détenue a le droit de communiquer
librement avec son avocat. Le mandat d’arrêt est valable pour une durée maximale
de cinq jours.

240 Loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, M.B., 14 août 1990.
241 Art. 27 de la loi du 13 mars 1973 relative à l’indemnité en cas de détention préventive inopérante,
M.B., 10 avril 1973.
242 Art. 16, § 1er, de la loi du 20 juillet 1990 précitée.
243 Art. 16, § 5, de la loi du 20 juillet 1990 précitée.

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Endéans ces cinq jours, l’inculpé doit comparaître devant la Chambre du


conseil ou être libéré. La Chambre du conseil examine tant la légalité du mandat
d’arrêt que l’opportunité de maintenir la détention préventive au regard des
critères prévus par la loi. Elle statue à huis clos sur le rapport du juge d’instruction,
après avoir entendu les réquisitions du ministère public et les plaidoiries de la
défense. L’ordonnance de la Chambre du conseil est susceptible d’appel devant la
Chambre des mises en accusation dont l’arrêt peut également faire l’objet d’un
pourvoi en cassation.
Si l’inculpé est maintenu en détention préventive, la Chambre du conseil est
appelée à statuer régulièrement (de mois en mois, puis de deux en deux mois) sur
le maintien de la détention préventive. Elle contrôle la persistance d’indices
sérieux de culpabilité à charge de l’inculpé et vérifie si la détention préventive se
justifie toujours au regard d’une nécessité absolue pour la sécurité publique. À tout
moment de l’instruction, le juge d’instruction peut ordonner la remise en liberté de
l’inculpé en donnant mainlevée du mandat d’arrêt.
Comme la détention préventive s’applique toujours à une personne
présumée innocente en attente d’un procès, il est des affaires où une personne
détenue préventivement est ultérieurement acquittée au fond ou est condamnée à
une peine de prison inférieure à celle déjà purgée. Dans ce cas, on parle de
détention inopérante ou injustifiée* pour laquelle l’État est tenu de réparer le
préjudice subi par la personne qui a ainsi été détenue. Une telle réparation
demandée au ministre de la Justice n’est jamais intégrale, car, contrairement à la
détention illégale, le prescrit de la loi a été respecté. Son montant « est fixé en
équité en tenant compte de toutes les circonstances d’intérêt public et privé »244.
(b) Le règlement de la procédure
Au moment de la clôture de l’instruction, lorsque le juge d’instruction a
terminé son enquête, intervient le règlement de la procédure à l’occasion duquel la
Chambre du conseil statue sur les mérites de l’instruction et sur le sort à réserver
à l’affaire qui a été instruite. À cette occasion, la Chambre du conseil décide s’il
existe des charges suffisantes pour renvoyer l’inculpé devant la juridiction de fond
compétente, soit le tribunal de police, soit le tribunal correctionnel.
Dans l’affirmative, la Chambre du conseil prononce une ordonnance de
renvoi ; dans la négative, une ordonnance de non-lieu. Une telle décision est
motivée et est prise aux termes d’une procédure contradictoire. À l’audience, les
différents protagonistes sont entendus : le juge d’instruction fait rapport, le
procureur du Roi prend des réquisitions, la défense et la partie civile*, qui ont eu
dans l’intervalle accès au dossier répressif, présentent leurs plaidoiries.
Si la Chambre du conseil estime que la cour d’assises est compétente, il
renvoie l’affaire devant le procureur général qui saisit la chambre des mises en
accusation.

244Art. 28, 2, de la loi du 13 mars 1973 relative à l’indemnité en cas de détention préventive
inopérante, M.B., 10 avril 1973.

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2°) La Chambre des mises en accusation


Juridiction d’instruction du second degré, la Chambre des mises en
accusation connaît notamment des appels des décisions de la Chambre du conseil
statuant sur la détention préventive ou sur la clôture de l’instruction. Elle est
également seule compétente pour statuer sur les recours dirigés contre les
ordonnances du juge d’instruction. Elle est en outre seule compétente pour
renvoyer un prévenu devant la cour d’assises.
Le caractère asymétrique de la procédure pénale se manifeste à nouveau
dans les possibilités de saisine de la Chambre des mises en accusation. Le
ministère public dispose du droit de faire appel d’un acte juridictionnel posé au
cours de l’instruction dans des hypothèses plus nombreuses que l’inculpé. Un
recours n’est ouvert à ce dernier que dans les cas expressément prévus par la loi.
Par exemple, l’inculpé pourra interjeter appel contre une ordonnance de renvoi s’il
invoque une cause d’extinction de l’action publique, mais pas si la seule base de la
contestation porte sur l’existence de charges suffisantes.
La Chambre des mises en accusation est également compétente pour
contrôler, outre la régularité de la procédure, le bon déroulement de l’instruction
et peut décider d’étendre celle-ci à des faits ou des personnes non visés par les
poursuites, donner des injonctions au juge d’instruction voire même le décharger
de l’instruction en désignant un magistrat comme conseiller-instructeur.

La place de la victime

Dans le procès pénal, la victime occupe une place délicate. Sa présence n’est
pas nécessaire au bon déroulement de l’instance qui oppose au premier chef la
personne poursuivie et le ministère public. Pourtant, l’issue du procès pénal est,
dans une large mesure, déterminante pour la situation de la victime : si la
personne poursuivie est reconnue coupable d’avoir commis une infraction, elle aura
nécessairement commis une faute sur le plan civil, faute qu’elle devra réparer en
application des principes de la responsabilité aquilienne.
Pour obtenir réparation, la victime peut s’engager dans l’une des voies
suivantes :
- soit, elle introduit une action en responsabilité devant la
juridiction civile compétente qui, pour statuer, devra attendre la
décision du juge pénal (en application du principe suivant lequel
le criminel tient le civil en état) ;
- soit, elle se greffe à l’action publique en cours en se constituant
partie civile*. Cette constitution de partie civile peut s’opérer au
stade de l’instruction, mais également au stade du procès au fond ;
- soit, elle met l’action publique en mouvement en se constituant
directement partie civile entre les mains du juge d’instruction ou
en citant directement l’auteur présumé devant le tribunal
correctionnel ou devant le tribunal de police.

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Afin de permettre à la personne victime d’une infraction – mais qui n’est pas
(encore) partie civile – d’être avisée de l’évolution procédurale du dossier, une
« déclaration de personne lésée » peut être effectuée par ses soins. Une telle
déclaration fait naître dans le chef de la victime le droit d’être assistée ou
représentée par un avocat, de déposer au dossier tout document utile et surtout
d’être avisée du classement sans suite et de son motif, de la mise à l’instruction du
dossier et des actes de fixation devant les juridictions d’instruction et de jugement.
Cette information permet alors à la victime de se constituer partie civile.
Depuis les événements qui ont donné lieu à la « marche blanche » en octobre
1996 à la suite de l’affaire Dutroux, les responsables politiques ont le souci de
réserver une place plus importante à la victime s’étant constituée partie civile dans
le procès pénal. De nouvelles dispositions législatives ont été adoptées pour lui
permettre, au même titre que l’inculpé, d’accéder au dossier dans la phase
préliminaire du procès, de solliciter copie du dossier (art. 61ter C.I.C.) et, pour lui
donner un droit de regard, de demander un contrôle sur le bon déroulement de
l’instruction après une année (art. 136 C.I.C.). Elle peut également solliciter
l’accomplissement de devoirs complémentaires (art. 61quinquies C.I.C.).
Enfin, sauf à de très rares exceptions près (diffamation et calomnie, par
exemple), la victime ne peut jamais paralyser l’exercice de l’action publique.
Retirer une plainte ne permet pas en soi d’interrompre les poursuites pénales. Un
tel acte peut néanmoins conduire le procureur du Roi à classer un dossier sans
suite.

Les caractéristiques de la phase préliminaire du procès pénal

La phase préliminaire du procès pénal a un caractère inquisitoire en ce sens


qu’elle est, dans une large mesure, unilatérale et secrète. Ici, le procès n’est pas
« la chose des parties ». L’initiative revient au magistrat du ministère public ou au
juge d’instruction.

1. Caractère unilatéral

Dans la phase préliminaire du procès, les recherches sont menées d’autorité


par le parquet ou le juge d’instruction. Ces derniers dirigent, de manière
unilatérale, le cours de l’enquête. Ainsi, par exemple, alors que les expertises*
judiciaires sont en principe contradictoires, celles ordonnées par le parquet, au
stade de l’information, ou par le juge d’instruction, au cours de l’instruction, ne le
sont pas. La Cour constitutionnelle a pu considérer que cette différence de
traitement était raisonnablement justifiée : « le législateur a voulu que la
procédure pénale soit encore inquisitoire [au stade de l’information et de
l’instruction] afin, d’une part, compte tenu de la présomption d’innocence, d’éviter

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de jeter inutilement le discrédit sur les personnes, d’autre part, dans un souci
d’efficacité, d’être en mesure d’agir vite, sans alerter les coupables »245.
Si la phase préparatoire du procès pénal reste principalement unilatérale
plusieurs applications du principe du contradictoire ont été introduites dès ce
stade. Tant la défense que la partie civile disposent d’une certaine emprise sur la
phase préliminaire du procès : elles peuvent demander l’accès au dossier ; elles
peuvent solliciter des devoirs complémentaires du juge d’instruction ; elles sont
habilitées à saisir la Chambre des mises en accusation lorsque l’instruction n’est
pas clôturée après une année d’investigations.

2. Caractère secret

Les raisons qui justifient le caractère unilatéral de l’information et de


l’instruction en motivent également le caractère secret : d’une part, il s’agit de
respecter l’intégrité morale et la vie privée de toute personne présumée innocente ;
d’autre part, il importe de mener l’enquête de manière efficace.
Ce secret implique que, dans la phase préliminaire du procès pénal, toutes
les pièces du dossier sont réservées à une utilisation judiciaire par des acteurs
tenus au secret professionnel (magistrats, policiers, avocats, etc.). La violation du
secret professionnel constitue une infraction punie par le Code pénal (art. 458
C.P.). Même devant les juridictions d’instruction, la procédure se déroule en
principe à huis clos. Trois exceptions viennent tempérer la rigueur du secret de
l’information et de l’instruction246.
• Toute personne interrogée par le juge d’instruction, le procureur du Roi ou
les services de police peut demander une copie du procès-verbal de son
audition et doit être informée de ce droit.
• Les parties ont, dans certaines limites, la possibilité d’accéder au dossier et
d’en prendre copie.
• Tant le procureur du Roi, lorsque l’intérêt public l’exige, que l’avocat, dans
l’intérêt de son client, ont la faculté de communiquer des informations à la
presse. De tels communiqués doivent respecter la présomption d’innocence,
les droits de la défense des suspects, des victimes et des tiers, la vie privée
et la dignité de toute personne. Lorsque l’affaire est à l’instruction, le
procureur du Roi ne peut faire aucune déclaration à la presse sans l’accord
du juge d’instruction.
En outre, la presse et les médias ne sont pas tenus au respect du secret de
l’instruction, qui est une règle de la procédure. En vertu du principe de la liberté
de la presse, ils peuvent publier et rendre compte des informations qui leur
parviennent. Ils ne peuvent cependant, sous peine de diffamation ou de calomnie,

245 C.A., 13 janvier 1999, arrêt n° 1/99, point B.5.


246 Voy. les articles 28quiquies, 57 et 61ter du C.I.C.

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présenter comme coupables des personnes qui n’ont pas encore été jugées ni
condamnées.

La phase de jugement

La phase de jugement se déroule devant les juridictions du fond qui sont, en


première instance, le tribunal de police, le tribunal correctionnel et la cour
d’assises. Devant le tribunal de police et le tribunal correctionnel, la personne
poursuivie porte le nom de prévenu*. Devant la cour d’assises, on parle d’accusé*.
Le terme d’inculpé* est réservé à l’instruction.
Ces juridictions ont pour mission de connaître du fond de l’affaire, c’est-à-
dire de déclarer la prévention pénale établie ou non. Dans l’affirmative, elles
prononcent une peine ou une mesure substitutive de la peine et, si la victime s’est
constituée partie civile, elles statuent sur la réparation à lui accorder.
À la différence de la phase préliminaire du procès pénal qui a un caractère
inquisitoire, la phase de jugement repose sur une procédure de type accusatoire :
l’instance est contradictoire, publique et orale. L’oralité des débats n’interdit
cependant pas aux juges de fonder leur conviction sur les pièces du dossier
répressif constitué au cours de l’information ou de l’instruction. La règle de l’oralité
est toutefois plus stricte en assises où les jurés n’ont pas accès à l’ensemble du
dossier : ils ne peuvent pas avoir connaissance des déclarations faites par les
témoins au cours de l’instruction préparatoire ; ces témoins doivent être entendus
sous serment à l’audience.
La phase de jugement commence par la saisine de la juridiction compétente
qui conduit à la fixation d’une audience, laquelle débouche sur le prononcé d’un
jugement. Les spécificités de la procédure devant la cour d’assises ne seront pas
examinées ici de façon systématique.

L’introduction de l’instance et l’accès au dossier

Afin d’être valablement traduite devant les juridictions de jugement, la


personne poursuivie doit être avertie du procès pénal entamé à son encontre. Elle
le sera le plus souvent par citation dans des formes très proches de celles prévalant
en matière civile. La citation à comparaître doit énoncer les faits reprochés afin de
permettre au prévenu de préparer sa défense et, pour la même raison, elle doit
prévoir un délai de comparution suffisant. En règle, celui-ci est de dix jours, mais
il peut être abrégé par le juge, notamment si le prévenu est en détention
préventive.
À compter de la signification de la citation, le dossier répressif est déposé,
dans son intégralité, au greffe de la juridiction de jugement où il peut être consulté
par la personne poursuivie et par la partie civile. Ce dossier contient des éléments
très variés : procès-verbaux, réquisitoire de mise à l’instruction, constitution de

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partie civile, ordonnances du juge d’instruction, échanges de correspondance,


rapports d’expertise, plan des lieux de l’infraction et photographies, inventaire des
pièces à conviction, extrait du casier judiciaire de la personne poursuivie, rapport
de moralité établi par la police, etc. L’accès au dossier répressif est un élément
essentiel des droits de la défense. C’est en effet sur la base de ce dossier écrit de la
procédure, constitué dans le cadre de l’information ou de l’instruction, que le débat
judiciaire va se nouer devant la juridiction de fond.

L’audience

1. La comparution de la personne poursuivie

En règle et contrairement à l’instance civile, l’audience doit se dérouler en


présence de la personne poursuivie pour donner une effectivité pleine et entière à
l’instruction d’audience*. Le prévenu qui ne comparaît pas est jugé par défaut*. La
loi prévoit toutefois quelques tempéraments à cette règle en permettant au
prévenu de se faire représenter par son avocat notamment dans certaines affaires
de roulage.

2. L’instruction d’audience

L’instruction d’audience a pour but de mettre à plat les éléments du dossier


pénal. Comme ces derniers ont été recueillis au cours de la phase préparatoire du
procès qui se déroule, dans une large mesure de manière unilatérale et secrète,
l’instruction d’audience est l’occasion de les livrer au feu du débat contradictoire
afin qu’ils soient, le cas échéant, complétés ou réfutés.
L’instruction d’audience consiste tout d’abord en un face-à-face entre le juge
et le prévenu, en présence du ministère public, du greffier et, le cas échéant des
avocats de la défense et de la partie civile. C’est l’occasion pour le juge de mieux
cerner les tenants et les aboutissants de l’affaire qu’il doit trancher, tant sur le
plan des faits infractionnels eux-mêmes que sur celui de la personnalité du
prévenu.
Au cours de l’instruction d’audience, chaque partie peut demander que des
experts ou des témoins (agents verbalisant ou toute personne susceptible de
fournir des renseignements utiles) soient entendus. Le juge apprécie
souverainement si un témoin à charge ou à décharge doit être entendu pour former
sa conviction. Dans l’affirmative, le témoin est cité à comparaître et est tenu de
témoigner sous serment au risque d’encourir une peine pour refus de témoignage.
Le tribunal peut procéder à l’audition des témoins même s’ils ont déjà été entendus
au cours de l’information ou de l’instruction préparatoire.
Dès l’instruction d’audience, le juge doit contribuer activement à la
recherche de la vérité. Il n’est pas un spectateur passif des éléments qui sont portés
devant lui par les parties au procès. Contrairement au procès civil, le procès pénal

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n’est à aucun stade « la chose de parties ». Le juge doit prendre, d’office ou à la


demande des parties, toutes les initiatives nécessaires pour étayer les
investigations réalisées au cours de l’enquête si elles sont insuffisantes pour lui
permettre de trancher le litige. À la condition de respecter le principe du
contradictoire, le juge peut donc ordonner que soit accompli tout devoir
complémentaire utile à la manifestation de la vérité : expertise, descente sur les
lieux, etc.
En pratique cependant, les audiences devant le tribunal de police et le
tribunal correctionnel n’utilisent guère les possibilités offertes par la loi quant à
l’instruction de l’audience. Les tribunaux acceptent rarement d’entendre des
témoins à la barre et s’en réfèrent exclusivement aux déclarations de ceux-ci telles
qu’elles ont été consignées dans les procès-verbaux dressés par le juge
d’instruction, le représentant du ministère public, ou le plus souvent par des
officiers de police judiciaire. L’ordonnance de mesures d’instruction
complémentaires ou une descente sur les lieux sont extrêmement rares.
L’instruction d’audience s’effectue pour l’essentiel sur dossier entre professionnels
du droit. Les parties elles-mêmes, les prévenus et les victimes n’y comprennent pas
grand chose et se bornent généralement à faire de la figuration. Le principe de
l’oralité des débats est donc fortement tempéré par cet examen de l’affaire limité
aux pièces du dossier. L’instruction d’audience en est également très accélérée. En
réalité, seule l’audience d’instruction devant la Cour d’assises utilise pleinement
les possibilités d’examen des preuves prévues par la loi car il faut produire les
éléments de preuve de l’accusation et de la défense oralement devant les jurés.

3. Les débats

À la fin de l’instruction d’audience, le juge donne la parole aux parties. La


plaidoirie de la partie civile précède généralement le réquisitoire du ministère
public. La défense plaide toujours en dernier lieu. Outre cet exposé oral, les parties
peuvent déposer un document écrit qui reprend leur argumentation. Ce document
porte le nom de conclusions* lorsqu’il émane du prévenu ou de la partie civile et de
réquisitions* lorsqu’il provient du ministère public. Le dépôt de conclusions n’est
pas anodin. Il oblige le juge, dans sa décision, à rencontrer l’ensemble des moyens*
qui y sont soulevés pour qu’elle soit correctement motivée.

Le jugement

Le jugement pénal obéit aux mêmes règles que le jugement civil, sous
réserve de certaines règles particulières.
Le jugement doit être motivé. En vertu du principe de légalité* du droit
pénal, le juge doit constater la réunion des éléments constitutifs de l’infraction au
regard des dispositions légales applicables. La motivation doit porter tant sur la
question de la culpabilité que sur celle de la peine retenue. Le législateur reconnaît
au juge une large marge d’appréciation quant à la mesure (« fourchette » pour les

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

peines d’amende et de prison), à la nature (emprisonnement, travail, etc.) et aux


modalités (suspension du prononcé, sursis, etc.) de la peine. Il importe dès lors que
le juge justifie son choix : « le jugement indique, d’une manière qui peut être
succincte mais doit être précise, les raisons du choix que le juge fait de telle peine
ou mesure parmi celles que la loi lui permet de prononcer. Il justifie en outre le
degré de chacune des peines ou mesures prononcées »247.
Le jugement est prononcé en audience publique.
Il est revêtu de l’autorité de la chose jugée. En vertu du principe général du
droit* non bis in idem, une personne condamnée ou acquittée ne peut plus être
ultérieurement poursuivie pour les mêmes faits.
Le jugement pénal n’est en principe pas exécutoire immédiatement. Il ne le
devient qu’après l’écoulement des délais prévus pour exercer les voies de recours.
Au pénal, contrairement au civil, le pourvoi en cassation a un effet suspensif.

Les voies de recours

Comme au civil, les voies de recours au pénal sont l’opposition, l’appel et le


pourvoi en cassation. Dans une large mesure, les règles prévues par le Code
judiciaire s’appliquent également.

1. L’opposition

L’opposition est ouverte contre tout jugement rendu par défaut, c’est-à-dire,
au pénal, celui qui est pris contre la partie poursuivie qui n’a pas comparu ou qui
n’a pas présenté ses moyens de défense. En pratique, les possibilités de faire
opposition sont devenues très restreintes. Elles impliquent que la partie
défaillante qui a eu connaissance de la citation dans la procédure dans laquelle elle
a fait défaut fasse état d’un cas de force majeure ou d’une excuse légitime justifiant
son défaut lors de la procédure attaquée. Le délai pour faire opposition est de 15
jours à compter de la signification de la décision ou du moment où le condamné en
a eu connaissance.
L’opposition ramène l’affaire devant le juge qui a rendu le jugement par
défaut. L’opposition ne peut nuire à l’opposant : le tribunal ne peut jamais
prononcer une condamnation plus grave que celle portée par le jugement rendu
par défaut.

2. L’appel

Toutes les décisions judiciaires rendues en première instance sont en


principe susceptibles d’appel. La loi prévoit toutefois des exceptions à ce principe

247 Art. 195, al. 2 du C.I.C.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

dont la plus importante concerne la cour d’assises qui statue en premier et dernier
ressort. Les parties à l’instance du premier degré (prévenu, ministère public, partie
civile) peuvent interjeter appel dans un délai de 30 jours à dater du prononcé de la
décision. La partie qui fait appel, qu’il s’agisse du prévenu ou du ministère public,
doit préciser dans sa requête les griefs, c’est-à-dire les critiques qu’elle adresse au
jugement et préciser les points sur lesquels il y a lieu de modifier la décision prise
en première instance.
Comme en première instance, les différentes parties sont entendues à
l’audience et le juge d’appel peut ordonner toutes les mesures nécessaires à la
manifestation de la vérité : audition ou ré-audition de témoins, désignation
d’experts, etc. Si l’appel est interjeté uniquement par le prévenu, la juridiction
d’appel ne peut rendre une décision plus sévère que le juge de première instance.
Si, par contre, l’appel est interjeté par le ministère public, la décision de la
juridiction d’appel pourra être favorable ou défavorable au prévenu puisque le
ministère public agit, non pour son compte personnel, mais dans l’intérêt de la
bonne application de la loi. En pratique, le ministère public fait systématiquement
appel lorsque le prévenu fait appel de sa condamnation en première instance.
L’objectif est dissuasif : le condamné qui fait appel sait qu’il risque aussi une
aggravation de sa peine.

3. Le pourvoi en cassation

Un pourvoi en cassation peut être introduit contre toute décision rendue en


dernier ressort par toute partie au procès pénal. Le délai pour saisir la Cour de
cassation est de 15 jours à dater du prononcé de la décision. Le pourvoi doit être
motivé et introduit par un avocat qui a suivi une formation spécialisée à la
procédure en cassation pénale.

L’exécution du jugement

C’est au ministère public qu’il incombe d’exécuter le jugement rendu sur


l’action publique. En cas de condamnation à une peine d’emprisonnement sans
sursis (qui est une modalité d’exécution de la peine consistant à surseoir à son
exécution pendant un délai d’épreuve plus ou moins long), le ministère public
envoie au prévenu non détenu préventivement un billet d’écrou par lequel ce
dernier est invité à se présenter à la date indiquée dans l’établissement
pénitentiaire désigné pour y purger sa peine. Si ce billet d’écrou reste sans effet, le
ministère public délivre une ordonnance de capture aux termes de laquelle les
agents de la force publique sont habilités à arrêter le condamné et à le conduire de
force (manu militari) dans un établissement pénitentiaire.
Les tribunaux d’application des peines sont compétents pour statuer sur les
demandes relatives aux modifications des modalités d’exécution de la peine,
comme les demandes d’assignation à résidence sous surveillance électronique ou
de libération conditionnelle, ainsi que de modifications de la peine elle-même (par

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

exemple, la transformation d’une courte peine d’emprisonnement en une peine de


travail).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

SECTION 7 : LA JURISPRUDENCE

La jurisprudence* désigne l’ensemble des décisions de justice et les


enseignements qu’on en tire sur l’état du droit. Autrement dit, la jurisprudence
exprime le droit tel qu’il est appliqué par les juges.
De manière spécifique, le terme jurisprudence sert aussi à désigner les
décisions judiciaires propres à un État déterminé (la jurisprudence belge, par
exemple), à une juridiction déterminée (la jurisprudence de la Cour de cassation,
la jurisprudence du tribunal du travail de Bruxelles, la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, etc.), à une branche du droit, à une matière ou
à une question juridique précise (la jurisprudence administrative, la jurisprudence
commerciale, etc.).

Les décisions de justice

La jurisprudence trouve son siège dans les jugements et arrêts.


Ceux-ci sont des actes obligatoires, revêtus de l’autorité de la chose jugée*.
Cependant, l’effet obligatoire de la décision et son autorité sont limités à l’affaire
en cause. Le jugement énonce donc une décision obligatoire, concrète et
particulière. Les jugements n’ont pas et ne peuvent avoir la forme ou la portée d’un
règlement248.
Le jugement remplit une fonction indispensable. Il constitue l’intermédiaire
obligé entre la norme abstraite édictée dans la loi ou le règlement et son application
concrète à des situations singulières, en cas de litige ou de contestation. Il faut bien
mesurer toute la distance qui sépare, d’une part, les formules verbales consignées
dans les textes légaux ou réglementaires et, d’autre part, l’infinie diversité et la
complexité des situations où ces textes peuvent trouver à s’appliquer dans les
péripéties de la vie sociale. Le juriste, en général, et le juge, en particulier,
travaillent à combler cette distance. Il s’agit de comprendre le texte, d’en définir
concrètement la portée, d’en isoler les éléments pertinents, d’en fixer précisément
les conditions et les modalités d’application, de le compléter le cas échéant, en vue
d’ajuster la règle à la contestation à trancher.
Le juge est obligé de juger et de motiver sa décision même lorsque la loi
semble muette ou obscure au sujet du cas qui lui est soumis. Il participe ainsi à
l’élaboration du droit positif en imposant des solutions susceptibles d’intéresser,
au-delà des parties, tout ou partie des juristes, qu’il s’agisse d’autres juges,
d’avocats, de professeurs et savants du droit ou des étudiants.
C’est pourquoi, beaucoup de décisions font l’objet d’une publication à des fins
scientifiques, c’est-à-dire de connaissance du droit. Ces décisions anonymisées sont

248 Art. 6 du Code judiciaire.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

publiées sur des sites Internet et dans des bases de données, ainsi que dans des
revues spécialisées, souvent assorties d’un commentaire critique par un
spécialiste.

La dynamique jurisprudentielle

Les facteurs d’intégration

Si la force obligatoire d’un jugement est limitée à une affaire particulière, il


existe en revanche une tendance très forte, presque irrépressible à trancher les cas
nouveaux en référence et sur la base des enseignements puisés dans les décisions
antérieures. Ce phénomène s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs très
puissants.
1. La règle de justice* et le principe de l’égalité devant la loi* qui prescrivent
le traitement égal des cas semblables.
2. Le souci de la sécurité juridique*, qui commande que les justiciables
puissent raisonnablement anticiper les décisions des cours et tribunaux et
donc que celles-ci présentent toute la constance et la régularité possibles.
3. La structure hiérarchisée des juridictions. Les juges sont fortement incités
à se conformer à la jurisprudence des juridictions qui leur sont supérieures.
En cas de recours, ces juridictions supérieures seront appelées à contrôler
l’application du droit par le juge inférieur et le cas échéant, à réformer ou à
mettre à néant leur décision. Le juge ainsi désavoué le perçoit comme une
sanction, ce qui le conduit normalement à anticiper le contrôle en
conformant par avance son propre jugement aux indications qu’il puise dans
la lecture des décisions antérieures des juridictions supérieures. De ce point
de vue, les juridictions suprêmes occupent une position dominante et
déterminante, puisque leurs décisions prévalent en dernier ressort. En
outre, ces juridictions sont normalement en charge de contrôler la bonne
application du droit par les autres. Ainsi, la Cour de cassation* est la
« gardienne de la loi » et de son interprétation. Elle assure en pratique
l’unité de la jurisprudence des cours et tribunaux.
4. Le souci de cohérence et de logique qui contraint le raisonnement des juges
et les conduit à envisager les questions nouvelles dans le prolongement des
réponses précédemment données.
5. L’économie et l’efficacité dans le travail judiciaire. Il est somme toute
normal et de bonne pratique pour un juge ou une juridiction d’éviter des
efforts répétés en se reportant au travail accompli antérieurement de façon
satisfaisante pour trancher les questions de droit plutôt que de recommencer
à chaque occasion l’ensemble du raisonnement à nouveaux frais.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

La valeur des précédents

En raison de la tendance à trancher les cas nouveaux par référence aux


décisions antérieures, spécialement en ce qui concerne les questions de droit* qu’ils
soulèvent, l’enseignement de certaines décisions tend, à cause de leur qualité, c’est-
à-dire de leur force de conviction, ou de la position hiérarchique de leurs auteurs,
à être repris, voire à se généraliser pour la solution des cas semblables. Dans ce
cas, on dit que la décision « fait jurisprudence ». Elle devient « un précédent » sur
lequel s’appuient les décisions suivantes, qui s’y réfèrent habituellement.
Toutefois, dans notre droit, le précédent n’a aucune force obligatoire pour le
traitement des affaires ultérieures.
La force et la qualité d’un précédent ne sont donc pas décidées par l’auteur
de la décision, ni dans le jugement lui-même, mais toujours par ceux qui s’en
servent, les reprennent et les invoquent, spécialement dans les décisions
ultérieures. L’intérêt d’un précédent évolue également au fil du temps.
L’apparition de cas nouveaux et de décisions nouvelles provoque l’évolution
permanente de la jurisprudence. Celle-ci se développe, affine ses enseignements et
parfois même se renverse. On parle de revirement de jurisprudence* lorsqu’une
juridiction prend une décision qui implique, sur un point de droit, une position
incompatible ou même simplement différente de sa jurisprudence antérieure, sans
qu’une modification de la loi (au sens large) ne soit intervenue dans l’intervalle249.

Le rôle de la Cour de cassation

Il arrive que plusieurs jurisprudences contraires ou différentes coexistent


au sein de l’ordre juridique et que des avis divergents s’affrontent en doctrine. Dans
ce cas, on dit que la jurisprudence est divisée, qu’il y a absence de paix judiciaire
ou plus largement de paix juridique. Il appartient alors à la Cour de cassation,
dans l’ordre judiciaire de rétablir cette paix et d’imposer par sa décision l’unité de
la jurisprudence.
Cependant, même lorsqu’elle est bien établie, l’enseignement tiré de la
jurisprudence, y compris celle de la Cour de cassation, ne s’impose jamais au juge
de manière formellement obligatoire en ce qui concerne les cas nouveaux à
trancher. Le juge pourra toujours s’écarter des précédents, quitte à voir son
jugement mis à l’épreuve des voies de recours. La violation de la jurisprudence
n’est pas en soi un motif de cassation. La Cour de cassation déclare d’ailleurs
régulièrement irrecevable les pourvois pris de la violation de la jurisprudence, y
compris de la sienne. En pratique, le plaideur invoquera la violation de la loi ou du
règlement eux-mêmes lorsque l’application ou l’interprétation de ceux-ci par le
juge contredisent ou s’écartent de l’enseignement tiré de la jurisprudence.

249Sur cette question, I. RORIVE, Le revirement de jurisprudence. Etude de droit anglais et de droit
belge, Bruxelles, Bruylant, 2003.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit

Le rôle constructif de la jurisprudence

La jurisprudence s’ajoute à la loi et fait corps avec elle dans la mesure où la


loi ne pourra plus désormais être complètement comprise et mise en œuvre qu’en
tenant compte de l’application ou de l’interprétation qui lui a été donnée.
Dans certains cas, la jurisprudence ne se contente pas d’interpréter, de
préciser, de compléter telle ou telle disposition légale ou réglementaire
particulière. Il lui arrive parfois, notamment dans les situations de vide juridique
ou d’inadaptation de la loi, de créer de toute pièce, ou en tout cas de découvrir, une
nouvelle règle, un nouveau principe ou même une nouvelle institution juridique.
Au nombre de telles créations prétoriennes, on rangera notamment la découverte
de principes généraux du droit et le régime de la responsabilité civile de l’État et
des pouvoirs publics*.
Au total, la jurisprudence joue un rôle déterminant non seulement dans
l’application du droit, mais encore dans la compréhension et la connaissance de
celui-ci. À maints égards, la jurisprudence importe davantage encore aux juristes
que les lois et règlements eux-mêmes, dans la mesure où elle indique, de manière
concrète, comment ces lois et ces règlements, et plus largement le droit en général,
sont appliqués par les cours et les tribunaux.

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FRYDMAN B .et RORIVE I. Introduction au droit

Table des matières


Présentation du cours ------------------------------------------------------------------------------ 2
1. Le cours oral --------------------------------------------------------------------------------------------- 2
2. Les travaux pratiques --------------------------------------------------------------------------------- 3
3. Le syllabus ----------------------------------------------------------------------------------------------- 3
4. Le glossaire ---------------------------------------------------------------------------------------------- 4
5. L’université virtuelle ---------------------------------------------------------------------------------- 4
6. Les évaluations ----------------------------------------------------------------------------------------- 4
L’État ---------------------------------------------------------------------------------- 6
Section 1 : Les États ------------------------------------------------------------------------------------- 6
Les régimes politiques --------------------------------------------------------------------------------------- 6
L’application de la loi dans l’espace ---------------------------------------------------------------------- 8
Principe : le caractère territorial du droit ---------------------------------------------------------- 8
Tempérament : l’application de la loi étrangère -------------------------------------------------- 9
La constitution et l’organisation des pouvoirs ------------------------------------------------------ 11
Section 2 : Les institutions fédérales --------------------------------------------------------------- 14
Le Parlement, le Roi et le Gouvernement ------------------------------------------------------------ 15
Le Parlement ---------------------------------------------------------------------------------------------- 15
1. La Chambre des représentants ------------------------------------------------------------------ 15
2. Le Sénat ------------------------------------------------------------------------------------------------- 15
3. Le statut des parlementaires --------------------------------------------------------------------- 18
Le Roi et le Gouvernement ---------------------------------------------------------------------------- 20
1. Le Roi ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 20
2. Le Gouvernement ------------------------------------------------------------------------------------ 20
3. Les fonctions du pouvoir exécutif ---------------------------------------------------------------- 23
Les relations entre le Parlement et le Gouvernement ---------------------------------------- 24
1. Les moyens de contrôle de la Chambre sur le Gouvernement -------------------------- 24
2. Un moyen de pression du pouvoir exécutif sur le Parlement --------------------------- 25
L’élaboration des règles ----------------------------------------------------------------------------------- 25
L’élaboration de la loi ----------------------------------------------------------------------------------- 25
1. La phase préparlementaire ----------------------------------------------------------------------- 26
2. La phase parlementaire ---------------------------------------------------------------------------- 27
3. La phase postparlementaire ---------------------------------------------------------------------- 31
La révision de la Constitution ------------------------------------------------------------------------ 36
1. Déclaration de révision ----------------------------------------------------------------------------- 36
2. Dissolution des chambres et élections --------------------------------------------------------- 36
3. Révision proprement dite -------------------------------------------------------------------------- 37
Les arrêtés royaux --------------------------------------------------------------------------------------- 37
1. Procédure d’adoption -------------------------------------------------------------------------------- 37
2. Les catégories d’arrêtés royaux ------------------------------------------------------------------ 38
Section 3 : Les Communautés et les Régions----------------------------------------------------- 42
Compétences -------------------------------------------------------------------------------------------------- 42
Les communautés ---------------------------------------------------------------------------------------- 42
Les régions ------------------------------------------------------------------------------------------------- 45
1. Le cadre de vie ---------------------------------------------------------------------------------------- 46
2. Les compétences à caractère économique et social ----------------------------------------- 46
3. Les transports et les travaux publics ----------------------------------------------------------- 46
4. Les pouvoirs locaux ---------------------------------------------------------------------------------- 46
Institutions et normes ------------------------------------------------------------------------------------- 47
Prévention et solution des conflits --------------------------------------------------------------------- 49
Les accords de coopération ---------------------------------------------------------------------------- 49
La procédure en conflit d’intérêts ------------------------------------------------------------------- 49

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FRYDMAN B .et RORIVE I. Introduction au droit

Le Comité de concertation ----------------------------------------------------------------------------- 50


Les difficultés du fédéralisme belge ---------------------------------------------------------------- 50
Section 4 : Les provinces et les communes -------------------------------------------------------- 51
Les communes ------------------------------------------------------------------------------------------------ 51
Les provinces ------------------------------------------------------------------------------------------------- 52
Le statut des communes et provinces ----------------------------------------------------------------- 52
Section 5 : Le contrôle juridictionnel des actes des pouvoirs publics ----------------------- 53
La Cour constitutionnelle --------------------------------------------------------------------------------- 53
Mission ------------------------------------------------------------------------------------------------------ 53
Composition ----------------------------------------------------------------------------------------------- 54
Le Conseil d’État -------------------------------------------------------------------------------------------- 56
La section de législation du Conseil d’État ------------------------------------------------------- 56
La section du contentieux administratif du Conseil d’État --------------------------------- 57
1. Le contentieux de l’annulation ------------------------------------------------------------------- 57
2. Les autres contentieux ------------------------------------------------------------------------------ 58

Les institutions européennes et internationales ------------------------- 59


L’Union européenne ---------------------------------------------------------------------------------------- 60
Les étapes de la construction européenne -------------------------------------------------------- 60
1. Les Communautés européennes ----------------------------------------------------------------- 61
2. Le système des piliers ------------------------------------------------------------------------------- 62
3. L’Union européenne du Traité de Lisbonne -------------------------------------------------- 63
Un ordre politique et juridique spécifique -------------------------------------------------------- 63
Les institutions de l’Union européenne ----------------------------------------------------------- 65
1. Le Conseil des ministres de l’Union européenne -------------------------------------------- 65
2. La Commission européenne ----------------------------------------------------------------------- 65
3. Le Parlement européen ----------------------------------------------------------------------------- 66
4. Le Conseil européen ou « Sommet européen » ----------------------------------------------- 66
La production des normes dans l’Union européenne ------------------------------------------ 67
1. Règlements et directives --------------------------------------------------------------------------- 67
2. La procédure législative ordinaire -------------------------------------------------------------- 68
Le contrôle juridictionnel ------------------------------------------------------------------------------ 69
1. La Cour de justice de l’Union européenne ---------------------------------------------------- 69
2. Les contentieux de l’Union européenne -------------------------------------------------------- 70
Le Conseil de l’Europe ------------------------------------------------------------------------------------- 72
Origine et finalité du Conseil de l’Europe -------------------------------------------------------- 72
La Cour européenne des droits de l’homme ------------------------------------------------------ 73
1. Recours -------------------------------------------------------------------------------------------------- 73
2. Arrêt, opinions dissidentes et opinions concordantes ------------------------------------- 73
3. Jurisprudence ----------------------------------------------------------------------------------------- 74
L’Organisation des Nations Unies --------------------------------------------------------------------- 77
Le droit international public ------------------------------------------------------------------------- 77
1. Notion ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 77
2. Les traités ou conventions internationales --------------------------------------------------- 78
3. Les actes des organisations internationales -------------------------------------------------- 80
Origine et finalité de l’ONU -------------------------------------------------------------------------- 81
Principaux organes de l’ONU ------------------------------------------------------------------------ 82
1. L’Assemblée générale ------------------------------------------------------------------------------- 82
2. Le Conseil de sécurité ------------------------------------------------------------------------------- 82
3. Le Secrétaire général ------------------------------------------------------------------------------- 83
4. La Cour internationale de justice --------------------------------------------------------------- 83
Le système des Nations Unies ----------------------------------------------------------------------- 83
1. Des juridictions --------------------------------------------------------------------------------------- 83
2. De multiples organisations internationales -------------------------------------------------- 84
État de droit et démocratie ----------------------------------------------------- 85
Section 1 : État de droit ------------------------------------------------------------------------------- 86

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FRYDMAN B .et RORIVE I. Introduction au droit

I. Notion ----------------------------------------------------------------------------------------------------------- 86
II. La division des pouvoirs ----------------------------------------------------------------------------------- 88
III. Les principes généraux du droit ------------------------------------------------------------------------ 90
Définition et exemples ---------------------------------------------------------------------------------- 90
Principes et règles --------------------------------------------------------------------------------------- 91
Origine et découverte ----------------------------------------------------------------------------------- 92
Reconnaissance et force obligatoire ---------------------------------------------------------------- 92
IV. La hiérarchie des normes --------------------------------------------------------------------------------- 93
Norme de droit international v. norme de droit interne-------------------------------------- 95
1. Le principe de la primauté du droit international ------------------------------------------ 95
2. Le cas particulier de la Constitution ----------------------------------------------------------- 97
3. L’exercice du contrôle ------------------------------------------------------------------------------- 98
Conflit entre normes européennes de rangs différents ------------------------------------- 100
1. La primauté du droit primaire sur le droit dérivé ---------------------------------------- 100
2. L’exercice du contrôle ----------------------------------------------------------------------------- 100
Constitution v. autre norme de droit interne -------------------------------------------------- 100
1. Le principe de la primauté de la Constitution dans l’ordre interne ----------------- 100
2. L’exercice du contrôle de la constitutionnalité des lois---------------------------------- 100
Norme de nature législative v. norme de nature réglementaire ------------------------- 102
1. Le principe de la primauté de la loi sur le règlement ----------------------------------- 102
2. L’exercice du contrôle ----------------------------------------------------------------------------- 102
Conflit entre normes de nature réglementaire de rangs différents --------------------- 102
1. Le principe de la subordination hiérarchique ---------------------------------------------- 102
2. L’exercice du contrôle ----------------------------------------------------------------------------- 103
La place des principes généraux du droit ------------------------------------------------------- 103
La responsabilité des pouvoirs publics -------------------------------------------------------------- 104
1. La responsabilité du pouvoir exécutif et de l’administration-------------------------- 104
2. La responsabilité du pouvoir judiciaire ------------------------------------------------------ 108
3. La responsabilité du pouvoir législatif ------------------------------------------------------- 110
4. La responsabilité internationale de la Belgique ------------------------------------------ 111
Section 2 : La démocratie --------------------------------------------------------------------------- 112
Notion --------------------------------------------------------------------------------------------------------- 112
La démocratie représentative -------------------------------------------------------------------------- 112
Les élections --------------------------------------------------------------------------------------------- 112
La représentation -------------------------------------------------------------------------------------- 113
La participation des citoyens au contrôle et à l’exercice de la puissance publique.---- 114
Le contrôle des gouvernants par l’opinion publique ----------------------------------------- 114
Les procédés de démocratie directe : le referendum ----------------------------------------- 115
La participation des citoyens à l’exercice des pouvoirs ------------------------------------- 117
1. La participation des citoyens à l’exercice de la justice ---------------------------------- 117
2. La participation des citoyens à l’exercice de la fonction législative ou
constitutionnelle……… ---------------------------------------------------------------------------------- 118
3. Les organisations de la société civile associées aux pouvoirs législatif et exécutif
119
La protection juridique de l’ordre démocratique ------------------------------------------------- 119
Les droits humains ------------------------------------------------------------- 121
Section 1 : Droits humains et libertés fondamentales --------------------------------------- 121
L’État libéral et la garantie des libertés individuelles ----------------------------------------- 121
Droits absolus et droit relatifs ------------------------------------------------------------------------- 123
III. Obligations générales des États --------------------------------------------------------------------- 125
IV. Un système national, régional et international de protection des droits fondamentaux
126
La variété des textes de protection --------------------------------------------------------------- 126
La variété des droits protégés : les générations de droits de l’homme ----------------- 127
La variété des systèmes de recours --------------------------------------------------------------- 128
Influences croisées et stratégies contentieuses ----------------------------------------------- 130

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FRYDMAN B .et RORIVE I. Introduction au droit

Section 2 : Droits humains et égalité ------------------------------------------------------------- 131


Égalité formelle et inégalités matérielles ---------------------------------------------------------- 131
De l’État libéral à l’État social --------------------------------------------------------------------- 131
La reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels ------------------------ 133
La sanction des discriminations ---------------------------------------------------------------------- 135
Au-delà d’un principe général d’égalité et de non-discrimination ----------------------- 135
L’émergence du droit de la non-discrimination ----------------------------------------------- 137
Les formes de discriminations interdites ------------------------------------------------------- 139
Les procès ------------------------------------------------------------------------- 141
Section 1 : les règles du débat argumenté ------------------------------------------------------ 141
La procédure ------------------------------------------------------------------------------------------------ 141
Les règles du procès ----------------------------------------------------------------------------------- 141
Les garanties du procès équitable ---------------------------------------------------------------- 143
L’argumentation juridique ------------------------------------------------------------------------------ 144
Les questions de fait ---------------------------------------------------------------------------------- 145
1. La charge de la preuve ---------------------------------------------------------------------------- 145
2. Les modes de preuve ------------------------------------------------------------------------------ 147
Les questions de droit -------------------------------------------------------------------------------- 147
1. La qualification des faits ------------------------------------------------------------------------- 148
2. L’interprétation de la règle ---------------------------------------------------------------------- 148
Section 2 : Les acteurs du procès ------------------------------------------------------------------ 150
Les juges ----------------------------------------------------------------------------------------------------- 150
L’indépendance ----------------------------------------------------------------------------------------- 150
1. La nomination à vie ------------------------------------------------------------------------------- 151
2. L’inamovibilité -------------------------------------------------------------------------------------- 151
3. Fixation du statut pécuniaire par la loi ----------------------------------------------------- 151
4. Les incompatibilités ------------------------------------------------------------------------------- 152
L’impartialité ------------------------------------------------------------------------------------------- 152
Les officiers du ministère public ---------------------------------------------------------------------- 153
Organisation et fonctions ---------------------------------------------------------------------------- 153
Statut ------------------------------------------------------------------------------------------------------ 154
1. Pas d’irrévocabilité, ni d’inamovibilité ------------------------------------------------------- 154
2. Hiérarchie et unité --------------------------------------------------------------------------------- 154
3. Indivisibilité ----------------------------------------------------------------------------------------- 155
Les avocats -------------------------------------------------------------------------------------------------- 155
Fonctions ------------------------------------------------------------------------------------------------- 155
Organisation -------------------------------------------------------------------------------------------- 156
Accès à la profession ---------------------------------------------------------------------------------- 157
Les greffiers ------------------------------------------------------------------------------------------------- 157
Section 3 : Les cours et tribunaux belges ------------------------------------------------------- 158
Les juridictions civiles ----------------------------------------------------------------------------------- 158
La valeur du litige ------------------------------------------------------------------------------------- 159
La qualité des parties en cause -------------------------------------------------------------------- 159
L’objet du litige ----------------------------------------------------------------------------------------- 159
Le reste du contentieux civil en premier ressort --------------------------------------------- 160
Le niveau du recours ---------------------------------------------------------------------------------- 160
La compétence territoriale -------------------------------------------------------------------------- 161
Les juridictions pénales --------------------------------------------------------------------------------- 163
La nature de l’infraction ----------------------------------------------------------------------------- 163
La qualité de la personne poursuivie ------------------------------------------------------------ 165
Le niveau du recours ---------------------------------------------------------------------------------- 165
La compétence territoriale -------------------------------------------------------------------------- 166
L’exécution de la peine privative de liberté. --------------------------------------------------- 166
Section 4 : Le procès civil---------------------------------------------------------------------------- 170
La citation en justice ------------------------------------------------------------------------------------- 170

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FRYDMAN B .et RORIVE I. Introduction au droit

La citation à comparaître ---------------------------------------------------------------------------- 170


La signification ----------------------------------------------------------------------------------------- 171
La mise au rôle ----------------------------------------------------------------------------------------- 171
Autres modes d’introduction de l’instance ------------------------------------------------------ 171
L’audience d’introduction ------------------------------------------------------------------------------- 172
Le défaut ------------------------------------------------------------------------------------------------- 172
Les débats succincts----------------------------------------------------------------------------------- 172
Le calendrier -------------------------------------------------------------------------------------------- 173
Mesures d’instruction --------------------------------------------------------------------------------- 173
La mise en état de la cause ----------------------------------------------------------------------------- 173
La communication des pièces ---------------------------------------------------------------------- 173
L’échange des conclusions --------------------------------------------------------------------------- 173
1. Conclusions et moyens ---------------------------------------------------------------------------- 173
2. Demandes incidentes ------------------------------------------------------------------------------ 174
3. L’organisation des débats écrits --------------------------------------------------------------- 174
Les plaidoiries ---------------------------------------------------------------------------------------------- 174
La clôture des débats et la mise en délibéré ------------------------------------------------------- 175
Le jugement ------------------------------------------------------------------------------------------------- 175
Les voies de recours ----------------------------------------------------------------------------------- 176
L’appel ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 177
Le pourvoi en cassation ------------------------------------------------------------------------------ 177
L’exécution du jugement ----------------------------------------------------------------------------- 178
Section 5 : Les modes alternatifs de règlement des conflits civils ------------------------ 179
La médiation ------------------------------------------------------------------------------------------------ 179
Notion ----------------------------------------------------------------------------------------------------- 179
De quelques mécanismes de médiation --------------------------------------------------------- 180
1. La médiation civile, commerciale et sociale ------------------------------------------------ 180
2. La médiation familiale ---------------------------------------------------------------------------- 181
3. La médiation de dettes --------------------------------------------------------------------------- 181
L’arbitrage --------------------------------------------------------------------------------------------------- 181
Section 6 : Le procès pénal -------------------------------------------------------------------------- 183
Les principes fondamentaux propres à la procédure pénale ---------------------------------- 183
La présomption d’innocence ------------------------------------------------------------------------ 184
Le droit au silence ------------------------------------------------------------------------------------- 184
Droits de la défense renforcés ---------------------------------------------------------------------- 185
La phase préliminaire ------------------------------------------------------------------------------------ 185
L’information -------------------------------------------------------------------------------------------- 186
1. L’ouverture de l’information -------------------------------------------------------------------- 186
2. L’objet de l’information --------------------------------------------------------------------------- 186
3. Les actes attentatoires aux libertés individuelles ---------------------------------------- 187
4. La fin de l’information ---------------------------------------------------------------------------- 188
L’instruction --------------------------------------------------------------------------------------------- 191
1. La mise à l’instruction ---------------------------------------------------------------------------- 191
2. Le rôle du juge d’instruction -------------------------------------------------------------------- 191
3. Le rôle du procureur du Roi et les droits de l’inculpé ------------------------------------ 193
4. Le rôle des juridictions d’instruction --------------------------------------------------------- 193
La place de la victime --------------------------------------------------------------------------------- 196
Les caractéristiques de la phase préliminaire du procès pénal -------------------------- 197
1. Caractère unilatéral ------------------------------------------------------------------------------- 197
2. Caractère secret ------------------------------------------------------------------------------------ 198
La phase de jugement ------------------------------------------------------------------------------------ 199
L’introduction de l’instance et l’accès au dossier --------------------------------------------- 199
L’audience ------------------------------------------------------------------------------------------------ 200
1. La comparution de la personne poursuivie ------------------------------------------------- 200
2. L’instruction d’audience -------------------------------------------------------------------------- 200
3. Les débats -------------------------------------------------------------------------------------------- 201
Le jugement --------------------------------------------------------------------------------------------- 201

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FRYDMAN B .et RORIVE I. Introduction au droit

Les voies de recours ----------------------------------------------------------------------------------- 202


1. L’opposition ------------------------------------------------------------------------------------------ 202
2. L’appel ------------------------------------------------------------------------------------------------- 202
3. Le pourvoi en cassation --------------------------------------------------------------------------- 203
L’exécution du jugement ----------------------------------------------------------------------------- 203
Section 7 : la jurisprudence ------------------------------------------------------------------------- 205
Les décisions de justice ---------------------------------------------------------------------------------- 205
La dynamique jurisprudentielle ---------------------------------------------------------------------- 206
Les facteurs d’intégration --------------------------------------------------------------------------- 206
La valeur des précédents ---------------------------------------------------------------------------- 207
Le rôle de la Cour de cassation -------------------------------------------------------------------- 207
Le rôle constructif de la jurisprudence ---------------------------------------------------------- 208

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