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Population et démographie (diapos 13-16)

Comment peut-on compter les hommes dans une période qui voit l’expansion de
l’espace français du pentagone médiéval à l’hexagone moderne ? Deux problèmes se posent.
D’abord, l’espace français évolue pendant l’époque moderne nous l’avons vu. Sur ce point, la
démographie historique s’est mise d’accord sur deux cadres conventionnels : d’une part celui
des frontières louis-quatorziemes, c’est-à-dire la France vers 1715, d’autre part la France dans
ses frontières actuelles. C’est bien sûr un procédé discutable ; ces cadres fictifs permettent
toutefois des comparaisons entre des périodes éloignées et permettent ainsi de rendre compte
de l’évolution démographique.
La deuxième difficulté est particulièrement grave pour le XVIe siècle, c’est le problème
des sources. D’abord, il n’y a pas de recensement général et individuel avant le XIX e siècle.
Les dénombrements partiels dont on dispose sont faits par « feux » ou foyers, calculés par unité
familiale, ou comme en Provence, strictement des unités fiscales sans rapport direct avec le
nombre des hommes concernés. Pour les foyers comme unité familiale, les estimations des
historiens-démographes tournent autour de chiffres un peu au-dessous de 5 personnes par feu,
mais la marge d’incertitude est importante et les calculs restent controversés. Les sources les
plus riches pour la démographie historique, les registres paroissiaux (baptêmes, mariages,
sépultures), existent rarement pour le XVIe siècle : les grandes exceptions sont la Bretagne
(remontant au XVe siècle) et la France de l’ouest ainsi que la Provence (toujours de sources
plus ou moins isolées). L’ordonnance de Villers-Cotterêts ordonne en 1539 dont j’ai parlé déjà
demande au curé de tenir un registre pour les baptêmes, un autre pour les sépultures, les
registres devant être signés par un notaire et portés au greffe royal du bailliage ou de la
sénéchaussée. Or la pratique ne sud que très lentement l’ordre royal. Le pouvoir royal ordonne
finalement - dans l’ordonnance de Blois (1579) - l’enregistrement des mariages (pour lutter
contre les mariages clandestins). Il s’agit dans tous les cas toujours de registres tenus par le
curé catholique - les protestants n’y apparaissent pas. Ceux-ci commence à partir de 1559, de
manière irrégulière, à tenir leurs propres registres (souvent difficilement à cause de la
répression). Ces différentes ordonnances sont cependant mal appliquées, les registres
paroissiaux ne deviennent des sources plus fiables, utilisables de manière systématique et
massive qu’à partir du XVIIe siècle (ordonnance de Saint-Germain, 1667).
Le rassemblement et l’analyse des données par les historiens-démographes,
relativement sûr pour le XVIIIe siècle, est moins sûr pour les siècles précédents, toutefois ils
nous ont livré les courbes d’un mouvement démographique pluriséculaire. Vers 1330, la
population « française » approchait les vingt millions d’âmes. De 1340 à 1440, une série de
catastrophes, phénomène à l’échelle européen, fait tomber la population à une dizaine de
millions (pestes, guerres, famines, crises économiques qui s’aggravent les unes les autres). Le
« beau XVIe siècle » (expliquer cette expression) démographique, de 1450 à 1560, voit une
reprise lente, mais ininterrompue, malgré les famines des années 1520-1530 (les guerres sont,
pour l’essentiel, menées à l’extérieur). Vers 1560, la population atteint de nouveau les vingt
millions (dans les frontières louis-quatorziennes). Pour la France dans les frontières de 1559,
après la paix de Cateau-Cambrésis, on a estimé la population à 18 millions (dont 2 millions en
ville).
Pour la période suivante, de 1560 à 1715, les fluctuations sont plus importantes, avec
des pertes régionales pendant les famines de 1694 et le "grand hiver" de 1709 allant
respectivement jusqu’à 15% et 9% de la population, mais ce sont, dans une perspective globale,
des phénomènes éphémères, suivis d’une reprise rapide. La population oscille toujours autour
des vingt millions, avec une légère tendance à la hausse : 21 millions au milieu du XVIIe siècle,
on compte d’environ 22 millions vers 1715. Voilà donc, en version atténuée, le célèbre « seuil »

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ou « plafond » démographique des « vingt millions d’âmes » entre 1300 et 1715, une barrière
qui ne sera levée qu’au XVIIIe siècle.
On atteint avec ce chiffre de 20 millions, les limites d’un certain équilibre entre la
population et les ressources limitées du pays : vingt millions, quarante hommes par kilomètre
carré, « c’est ce que la France peut porter, étant donné son type de production, son niveau
technique, ses modes de consommation et de commerce, ses habitudes physiques et mentales »
(Pierre Goubert).
La « régulation » du nombre des hommes se fait selon un « régime démographique »,
un modèle plutôt, sur lequel les historiens-démographes ont tant discuté depuis des décennies
(qui serait propre à l’Europe de l’ouest, à l’exclusion de l’Angleterre, pour le bas Moyen Age
et l’époque moderne). On explique la croissance des populations ou inversement la chute du
nombre des hommes par quatre paramètres principaux, la fécondité, la nuptialité, la natalité et
la mortalité et par leurs interrelations 1. La démographie ancienne est, dans l’ensemble,
caractérisée par la chasteté préconjugale (à nuancer pour le monde urbain), l’âge tardif au
mariage, une forte fécondité et une forte mortalité. Les fluctuations démographiques, croissance
ou déclin, sont dus à des changements de ces paramètres qui s’influencent les uns les autres.
Ainsi s’explique la phase de récupération (1450-1520) rapide : l’âge au mariage baisse
sensiblement (selon des études de cas ou régionales) : en Ile-de-France, les filles se marient
entre 16 et 20 ans, en Bretagne et en Normandie la moyenne baisse pour les femmes à 21 ans,
pour les hommes à 24-25 ans (à la fin du XVIIe siècle, les moyennes se situent à 24-25 ans
pour les femmes et 27-28 ans pour les hommes). Cela s’explique dans un système de famille
conjugale (exigeant dans le monde rural une exploitation afin de pouvoir marier et s’installer)
par les possibilités offertes aux jeunes dans une période de repeuplement.
La baisse de l’âge au mariage (nuptialité plus précoce) prolonge la période de fécondité
de la femme ; la reprise de la population se fait grâce à un taux de natalité d’à peu près 40 °/°°
(le triple du taux actuel).
En outre, l’absence de grande famine de 1470 à 1520, le repli temporaire des épidémies
ont rendu la population plus résistante aux maladies car assez bien nourrie. Malgré une très
forte mortalité infantile (un quart des enfants n’atteint même pas son premier anniversaire, et
la moitié l’âge adulte), on voit pendant cette période un recul temporaire de la mortalité (le taux
global de mortalité doit avoir été inférieur ou égal au taux de natalité pour que la population ait
pu s’accroître pendant certaines périodes ou, pour le moins, se maintenir dans l’ensemble).
Il faut cependant insister sur cette apparition quasi-régulière de crises démographiques
très graves, appelées par les contemporains simplement « mortalités ». Elles ont été étudiées
pour des raisons déjà évoquées surtout pour le XVIe et XVIIe siècle. L’apparition de maladies
épidémiques paraît la cause principale et directe de la mortalité de crise. La lèpre disparaît
quasiment dans la seconde moitié du XVe siècle, le rythme des « pestes » se ralentit (tous les
15 ans). Il y a cependant des maladies nouvelles qui apparaissent : le typhus (vers 1470) qui va
décimer l’armée française devant Naples en 1528 (en 1557, une épidémie sévit en Poitou, dans
l’Angoumois et le Bordelais). Et à la fin du XV e siècle apparaît le « mal de Naples » (ramené
par l’armée de Charles VIII d’Italie), la syphilis.
Quels sont les signes du redressement démographique au « beau XVIe siècle » ?
D’abord la réoccupation des terres, le repeuplement de villages abandonnés au XIVe siècle, les
défrichements, puis la migration vers des contrées plus prometteuses. Ces mouvements, une
sorte d’immigration intérieure, comblent les vides humains et occupent les espaces délaissés
au sein du royaume, un phénomène déjà décrit et analysé par les contemporains (par exemple
Claude de Seyssel ou Jean Bodin). La « reconquête » se fait bien sûr de façon inégale : ce sont
évidemment les terres les plus fertiles qui sont les premières à être mises sous la charrue ou
1
Il faut ajouter trois facteurs complémentaires: le célibat, l’âge au mariage des femmes, l’intervalle intergénésique
(intervalle entre deux naissances).

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l’araire, ensuite les terres de qualité inférieure. Si l’on regarde la distribution des densités de
population française (en moyenne 30-40 habitants au km2 au XVIe siècle) telle qu’elle se
présente plus tard, au XVIIe siècle, on retrouve la densité la plus forte dans le Nord-Ouest
(jusqu’à 70 habitants ou plus au km2), la plus faible dans le centre, autour de Bourges et
Moulins, ainsi qu’au Sud-Est (30 habitants/km2 ou au-dessous). Dans l’Ouest, la hausse de la
population peut atteindre des chiffres impressionnants : des villages en Bretagne connaissent
jusqu’à 100, voire 176 % de croissance entre 1500 et 1560/1570.
L’autre fait majeur dans l’évolution démographique c’est la croissance des villes, monde
urbain sur lequel nous reviendrons. Le « triomphe de la ville » constitue sans doute l’élément
le plus novateur et dynamique de cette période qui a vu doubler, voire tripler dans les meilleurs
cas, la population des villes : Paris a environ 200 000 habitants avant les grandes pestes du
XIVe siècle, vers 1550, la population est passée à 400 000 âmes - ce n’est pas une ville, c’est
un continent, disent les ambassadeurs vénitiens, c’est un monde, surenchérit Charles-Quint lors
de son passage à Paris. Même progression pour les capitales régionales : Lyon passe de 40 000
âmes à la fin du XVe siècle à 70-80 000 habitants vers 1550 ; Rouen de 20 000 à 60 000 âmes
dans la même période ; Marseille passe de 15 000 en 1520 à 30 000 habitants au milieu du
XVIe siècle, pour atteindre 45 000 habitants en 1610.
Or, le régime démographique n’est qu’un élément d’un ensemble de facteurs qui
déterminent ce qu’un espace « peut porter ». La théorie écologique du mouvement
démographique, développée par des historiens suisses comme Chr. Pfister et M. Mattmüller,
esquisse le modèle d’un équilibre, dans lequel le système agraire, le système démographique,
le système du climat et le système de la production artisanale sont liés entre eux et s’influencent
les uns les autres. Les données géographiques, naturelles, des facteurs que l’homme ne peut (ou
ne pouvait...) guère influencer comme le climat et le temps, et les formes du travail de la terre
et de la production humaine constituent les éléments de plusieurs « écosystèmes » sur le sol de
la France.

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