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Le Traumatisme Psychique Chez Ladulte
Le Traumatisme Psychique Chez Ladulte
Le traumatisme
psychique
chez l’adulte
PRÉFACE DE LOUIS CROCQ
POSTFACE D’ERIK DE SOIR
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Dépôt légal :
Bibliothèque nationale,
Paris : avril 2019
Bibliothèque royale de Belgique, ISSN 2030-4196
Bruxelles : 2019/13647/052 ISBN 978-2-8073-2039-0
Sommaire
Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement mon père pour son soutien
tout au long de cette aventure et pour la traque sans merci qu’il a livrée aux fautes
d’orthographe et de style. Ma gratitude à son égard dépasse bien largement le cadre de
la rédaction de cet ouvrage.
Mes plus vifs remerciements, pour sa préface et sa relecture, à Monsieur Louis Crocq,
psychiatre et docteur en psychologie, ancien médecin général des Armées, professeur
associé honoraire à l’Université René Descartes à Paris V, ancien président de la
Section de psychiatrie militaire et de catastrophes de l’Association mondiale de psy-
chiatrie, fondateur et président honoraire de l’Association de langue française pour
l’étude du stress et du trauma (ALFEST) et créateur du Réseau national des cellules
d’urgence médico-psychologiques. Le professeur Louis Crocq, dont les travaux sur la
névrose traumatique et la névrose de guerre font autorité internationalement, restera
toujours pour moi un mentor.
Ma sincère gratitude, pour sa postface et sa relecture, au major Erik de Soir, psy-
chologue et psychothérapeute rattaché à l’Institut royal supérieur pour la Défense
(Bruxelles, Belgique), fondateur et président honoraire de l’Association européenne des
psychologues sapeurs-pompiers.
Ma profonde reconnaissance, pour leur relecture, leurs remarques et leurs réflexions
pertinentes à Étienne Vermeiren, psychologue, criminologue, psychothérapeute et
expert en psychologie, responsable du Centre de référence pour le traumatisme
psychique aux Cliniques universitaires Saint-Luc, vice-président de l’Association de
langue française pour l’étude du stress et du trauma (ALFEST) ; à Jacques Roques, psy-
chanalyste, psychothérapeute, membre fondateur et vice-président de EMDR-France
et président du Centre de traitement des traumatismes psychiques de Montpellier ; et
à Bénédicte de Villers, docteur en philosophie de l’Université catholique de Louvain,
assistante et doctorante en anthropologie à l’Université de Liège et chargée de
recherche à l’Hôpital neuropsychiatrique Saint-Martin à Dave.
Pour terminer, je voudrais remercier toutes les victimes rencontrées en consultation
et lors de mes périples au service des organisations humanitaires qui m’ont inspiré ce
livre, ainsi qu’à mes collègues et amis qui, d’une manière ou d’une autre, m’ont encou-
ragé à l’écrire.
Préface
Voici encore un excellent ouvrage de notre amie Ève Josse, sur un sujet qu’elle
maîtrise parfaitement et qu’elle enrichit sans cesse de son expérience de terrain, Le
traumatisme psychique chez l’adulte. Il fait suite au petit manuel pédagogique Le
traumatisme psychique chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent, paru en 2011 chez
le même éditeur. On y retrouve le même souci didactique, avec la clarté du plan, la
concision du style, la simplicité du langage, les vignettes cliniques et les petits encarts
qui terminent chaque chapitre : « Résumé » et « Vérifiez vos connaissances ». Suivons
son parcours en faisant ressortir ses claires mises au point et sa vision originale, et
formulons les réflexions que cette lecture suscite.
On ne saurait reprocher à l’auteur d’avoir délibérément limité le volume de son pre-
mier chapitre sur l’histoire du trauma. Nous savons qu’elle a accumulé une abondante
documentation sur ce sujet et qu’elle projette d’écrire un ouvrage uniquement consacré
à cet historique. Mais, dans le présent ouvrage pédagogique, il fallait se limiter à déga-
ger les grandes étapes et la succession des concepts, des théories et des thérapeutiques
qui ont jalonné cette histoire. Nous survolons donc avec elle la préhistoire du trauma,
depuis l’Antiquité jusqu’aux guerres napoléoniennes ; puis l’histoire proprement dite,
à l’époque des premiers accidents de chemin de fer ayant suscité l’intérêt de Charcot
et inspiré à Oppenheim le vocable de « névrose traumatique » ; puis les réflexions
de Janet et de Freud sur le corps étranger trauma et la dissociation de la conscience ;
avant de suivre les travaux des psychiatres aux armées lors de la guerre russo-
japonaise de 1904-1905 et des deux guerres mondiales de 1914-1918 et 1939-1945 ;
ensuite, ce sera la guerre du Vietnam et l’avènement en 1980 du concept américain
de PTSD (acronyme pour Post-Traumatic Stress Disorder). En peu de mots, Ève Josse
nous brosse l’essentiel et nous profile les acquis cliniques, théoriques et thérapeutiques
de cette histoire. Signalons à ce sujet que beaucoup de cliniciens francophones (Barrois,
Crocq, Lebigot) se démarquent du concept de PTSD en défendant une conception
phénoménologique du trauma comme confrontation inopinée avec le réel de la mort,
irruption du non-sens et bouleversement de la personne. Notons enfin que l’auteur
termine son historique en prônant la technique EMDR de Francine Shapiro (1987).
Il s’agit là d’un choix, motivé par les bons résultats obtenus, effectué dans la gamme
variée des thérapies du trauma : techniques cognitivo-comportementales, relaxation,
hypnose, psychothérapie de soutien et psychanalyse ; thérapies couramment utilisées
de nos jours par les cliniciens de diverses écoles.
8 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte
et jusqu’à un mois). La phase à long terme n’apparaît qu’à l’issue du premier mois et
est de durée variable, pouvant perdurer toute la vie du patient. Nous nous devons
d’apporter quelques précisions à cescritères de temps, pour lesquels les avis autori-
sés divergent. Alors que le DSM-IV (1994) reste silencieux sur la phase immédiate,
la CIM-10, ou Classification Internationale des Maladies Mentales (1992), reconnaît
une « réaction aiguë à un facteur de stress » (F43.0), contenue dans des critères de
temps de « quelques heures tout au plus », mais pouvant toutefois s’étendre à 24 ou
48 heures, voire trois jours, « dans les cas où le facteur de stress persiste ». Face à
une telle divergence d’avis, et d’après notre propre expérience, nous assignons une
durée de 24 heures maximum à la réaction immédiate. Passé ce délai, on entre dans
la période post-immédiate, qui correspond au diagnostic d’« état de stress aigu » du
DSM, avec comme critères de durer « un minimum de deux jours » et un « maximum
de quatre semaines » suivant l’événement, voire plus si les troubles sont apparus plus
tard, « dans les quatre semaines qui suivent l’événement ». Il s’ensuit que la phase à
long terme, ou « différée-chronique », ne s’installe qu’au bout d’un mois, voire deux
(au terme du classique temps de latence ou de « méditation »), même si une partie
de ses symptômes a commencé à éclore pendant la phase post-immédiate (ou état de
stress aigu).
Ève Josse décrit très bien la réaction immédiate de stress, adaptative et non patho-
logique, même si elle est suivie parfois d’une « queue de stress » ou de décharges
émotionnelles différées, chez des personnes qui ont dû réprimer en urgence toutes
leurs manifestations spectaculaires et qui « se mettent à jour » une fois à l’abri ; et les
réactions immédiates de stress dépassé (ou traumatique) dans leurs formes sidérées,
agitées ou d’action automatique, quand elles ne revêtent pas une allure névrotique ou
psychotique. Elle dégage ce qui caractérise le vécu traumatique de ce stress dépassé,
vécu, que certains auteurs américains, tel Marmar, ont dénommé « dissociation et
détresse péri-traumatiques » : sentiment d’impuissance, d’absence de secours, arrêt
de la pensée, distorsion des perceptions, suspension de la mémoire, désorientation,
déréalisation, orage neurovégétatif et même dépersonnalisation… Personnellement,
nous préférerions l’adjectif « per-traumatique » à « péri-traumatique », puisqu’à l’ins-
tant même de ce vécu immédiat, la victime est en plein « dans » le trauma, et non pas
« autour ». Tous les cliniciens s’accordent à reconnaître que ce vécu per-traumatique
est prédictif de l’installation ultérieure d’un PTSD (ou plus généralement d’un syn-
drome psychotraumatique). Cela étant, Ève Josse nous rappelle les études classiques
sur la dissociation dans la pathologie traumatique, principalement les observations
d’hystérie traumatique faites par Pierre Janet, dans lesquelles des souvenances
brutes de l’événement font bande à part dans un recoin du subconscient, provoquant
sursauts, cauchemars et actions automatiques, tandis que le reste de la conscience
continue de fonctionner de manière délibérée et circonstanciée. On va donc retrouver
la dissociation d’une part dans l’instant traumatique, et d’autre part dans les tableaux
cliniques à long terme.
Et cela nous conduit à l’étude de la phase à long terme, Ève Josse ne limite pas aux cri-
tères restrictifs du PTSD américain, mais à laquelle elle assigne un inventaire sémio-
logique élargi. Le DSM établit ses diagnostics sur un modèle kraepelinien, qui répond
bien aux variantes de la réalité clinique, par combinaisons possibles de symptômes
Préface ■ 11
Louis Crocq
Introduction
Les victimes existent depuis la nuit des temps. Depuis le début du xixe siècle, les
répercussions de la criminalité, des guerres, des accidents et des catastrophes natu-
relles sur leur équilibre psychique suscitent une attention croissante du monde scien-
tifique. Dans cet ouvrage, nous tenterons de récapituler l’essentiel des connaissances
actuelles.
Dans le premier chapitre, nous retracerons l’évolution de l’intérêt pour le trauma.
Dans le deuxième, nous relaterons succinctement le développement de la notion de
victime tout au long des siècles et nous présenterons quelques définitions contempo-
raines. Dans le troisième, nous préciserons le concept de traumatisme et nous nous
attarderons sur les caractéristiques des événements susceptibles de se révéler trauma-
tisants en illustrant notre propos d’exemples. Dans le quatrième chapitre, nous défini-
rons les traumatismes de type I, II et III, les traumatismes simples et complexes ainsi
que les traumatismes directs et indirects et nous aborderons la notion de victimisation
secondaire. Dans le cinquième, nous analyserons les différents paramètres influençant
l’apparition, la fréquence et l’intensité des symptômes ainsi que leur maintien dans le
temps. Dans le sixième, nous tenterons de comprendre la notion de résilience. Dans le
septième, nous rendrons compte de quelques études épidémiologiques révélant la pré-
valence du traumatisme dans la population générale et dans les groupes de personnes
exposées à des événements délétères. Dans le huitième, nous attirerons l’attention du
lecteur sur la dimension culturelle du traumatisme psychique. Le neuvième chapitre
résume les réactions physiques, émotionnelles, cognitives et comportementales que
peuvent présenter les personnes impliquées dans un événement potentiellement
traumatisant à court, moyen et long terme. Le suivant décrit de manière détaillée les
réponses immédiates et post-immédiates. Nous verrons qu’au moment des faits et dans
les heures suivantes, certaines victimes réagissent par un stress adapté, d’autres pré-
sentent des réactions de stress dépassé et les sujets prédisposés peuvent déclencher des
troubles psychopathologiques. Après quelques jours, certaines personnes voient leurs
troubles persister et d’autres commencent à souffrir de symptômes pathognomoniques
14 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte
1L’histoire du trauma
« Les survivants de cette saloperie de guerre seront dans mon esprit,
pareils à ces fantômes que les tombes conjurent et que les maisons renient,
et resteront suspendus entre ciel et terre, trop coupables pour se rapprocher
de Dieu et trop compromettants pour se joindre aux hommes. »
Yasmina Khadra, Morituri, 1997
SOMMAIRE
1. Nous informons le lecteur que l’histoire du traumatisme fera l’objet d’un prochain ouvrage à
paraître aux éditions De Boeck.
2. Trouble sans cause organique suggérant une affection neurologique ou une affection médicale et
déterminée par des facteurs psychologiques.
Du XVIIIe au milieu du XIXe siècle : premières observations scientifiques… ■ 17
Un millénaire plus tard, vers 1100 de l’ère chrétienne, on découvre dans La Chanson de
Roland les rêves traumatiques de Charlemagne (Gautier, 1895). Quelques siècles plus
tard, en 1572, au lendemain du massacre de la Saint-Barthélemy perpétré en son nom,
le roi Charles IX se plaint de flash-back à son médecin Ambroise Paré (Sully, 1822).
2. Du XVIIIe
au milieu du XIXe siècle :
premières observations scientifiques
et premières hypothèses étiologiques
Les xviie, xviiie et xixe siècles furent le théâtre de nombreux conflits armés qui
offrirent un vaste champ d’observation aux spécialistes des armées. Les médecins
militaires de l’Ancien Régime3 nomment « nostalgie » et « vent du boulet » les troubles
traumatiques présentés par les soldats en campagne effrayés par la fureur des combats
ou désespérés par la mort d’un camarade tombé sous le feu ennemi (Crocq, 2012).
La Révolution française (1789-1799) et les guerres de l’Empire (1799-1815) four-
nissent de nombreux cas cliniques à Philippe Pinel. C’est à cet aliéniste français que
l’on doit, dans son traité pour l’humanisation du traitement des aliénés paru en 1809,
la première description d’une névrose traumatique (Pinel, 1809).
La seconde moitié du xixe siècle voit s’accroître l’intérêt du monde médical pour les
souffrances morales des victimes. Ce sont les accidents de chemin de fer et de travail,
d’une part et les études sur l’hystérie d’autre part qui ouvriront véritablement la voie
aux premières hypothèses étiologiques des troubles traumatiques.
Les accidents ferroviaires font en une fois un grand nombre de victimes et causent aux
rescapés une frayeur immense. Toutefois, s’ils suscitent l’attention plus que d’autres
(accidents de calèche, incendies, séismes, etc.), c’est moins à cause de leur caractère
spectaculaire et dramatique qu’en raison du contexte dans lequel ils surviennent. En
effet, en 1846, en Angleterre, une nouvelle législation, The Fatal Accidents Act 1846,
appelée communément le Lord Camplell’s Act4, permet aux passagers blessés dans un
accident ainsi qu’aux familles des victimes décédées de réclamer réparation auprès
des responsables. Dans les suites de la loi, en 1849, la première compagnie d’assurance
générale5, la Railway Passengers Assurances Company, voit le jour, rapidement suivie
3. On entend par Ancien Régime les trois siècles allant de la Renaissance à la Révolution française
(1789).
4. Webb P.R.H. (1961), “The conflict of laws and the English fatal accidents”, The Modern Law Review
Volume 24, Issue 4, p. 467-474, July 1961.
5. L’histoire de l’assurance remonte à la nuit des temps. Une des plus anciennes législations, connue
sous le nom de « Code d’Hammurabi », réalisée vers 1730 avant Jésus-Christ à l’initiative d’Ham-
murabi, roi de Babylone, fait état des premières méthodes de transfert de risque. Le code stipule
qu’un marchand verse une prime au préteur lorsqu’il souscrit un prêt pour effectuer un transport
de marchandises. Le prêt ne doit pas être remboursé si la cargaison est volée ou si le navire a coulé.
L’assurance telle que nous la concevons aujourd’hui a vu le jour suite au grand incendie de Londres
18 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma
par d’autres. En 1864, un amendement étend le champ législatif à toute victime d’acci-
dent incitant des individus malhonnêtes à commettre des escroqueries à l’assurance
(Pignol, 2012). De nombreux litiges juridiques opposent dès lors les experts des com-
pagnies ferroviaires aux accidentés. Invités à apporter leur caution dans les expertises
légales, les médecins sont contraints d’affiner leur savoir sur la nature des dommages
dont se plaignent les accidentés. La question de l’authenticité des traumatismes fer-
roviaires et de leur étiologie fait l’objet de débats animés. Pour certains, les troubles
résultent de lésions ou de perturbations du système nerveux consécutives au choc de
l’accident ; pour d’autres, ils sont générés par l’espoir des accidentés d’obtenir une com-
pensation financière soutirée aux compagnies ferroviaires. Jean-Martin Charcot, méde-
cin à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, prend part occasionnellement à la controverse.
Selon lui, si des traumatismes sans conséquence sur la majorité des sujets provoquent
des effets spectaculaires sur certains individus, c’est en raison de leur « diathèse »,
c’est-à-dire leur prédisposition constitutionnelle ou héréditaire (Charcot, 1889).
Alors qu’en Angleterre et en France, les compagnies ferroviaires sont aux prises avec
les voyageurs accidentés réclamant des dédommagements financiers, en Allemagne, à
la même époque, les dirigeants d’usines et les assurances sont confrontés à la question
de l’indemnisation des accidents de travail. C’est dans ce contexte que l’Allemand
Hermann Oppenheim, neurologue à l’hôpital de la Charité de Berlin, se voue à partir de
1884 à l’étude des névroses. Cette année-là, il publie un premier article en collaboration
avec son confère berlinois Robert Thomsen6. Les auteurs regroupent dans une entité
nosographique spécifique, qu’ils nomment « névrose traumatique », les symptômes
disparates ayant pour point commun leur étio-pathogénie traumatique. La névrose
traumatique connaît rapidement de nombreux détracteurs. Oppenheim et Thomsen
se voient reprocher d’avoir négligé le risque de simulation alors que le contexte est
propice aux escroqueries, et ce, particulièrement depuis que le bureau de l’assurance
impériale a reconnu en 1889 le dédommagement de la névrose traumatique.
Paul Briquet, médecin à l’Hôpital de la Charité à Paris, est le premier à avoir décrit
l’hystérie de manière systématique dans son Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie
(Briquet, 1859). Il tient les « frayeurs », les mauvais traitements, les viols et les deuils
comme facteurs prédisposants, voire comme causes déterminantes de la pathologie.
de 1666. L’économiste Nicholas Barbon fonde la première compagnie d’assurance spécialisée dans les
assurances incendie, ancêtre de l’assurance habitation.
6. Arch. de Westphal. Bd XV Heft 2 et 3, cité par Guinon (1889).
Fin du XIXe siècle : vers une étiologie psychogénique ■ 19
7. Contrairement à l’idée reçue, Freud ne renoncera pas totalement à l’hypnose et l’utilisera au moins
jusqu’en 1924 (Bioy, 2008).
8. Cet article constituera, sous le titre « Communication préliminaire », le premier chapitre de
l’ouvrage Études sur l’hystérie édité deux ans plus tard.
20 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma
pour les autres, syndrome lésionnel pour les uns et névropathique pour les autres,
déterminé par une prédisposition constitutionnelle pour les uns et déclenché par les
circonstances spécifiques de la guerre pour les autres, etc. Tout au long de la guerre,
les observations cliniques des médecins et psychiatres s’affinent, leur compréhension
des phénomènes pathogéniques s’améliore et la dénomination des tableaux cliniques se
renouvelle ainsi que le résume le psychiatre militaire français Louis Crocq :
« Hypnose des batailles pour la guerre de mouvement d’août 1914 (Milian), puis shell-
shock9 (Myers, Chavigny, Gaupp, 1915) avec la stabilisation du front et les pilonnages
d’artillerie sur les tranchées, puis neurasthénie et hystérie de guerre avec l’enlisement
du conflit et la baisse du moral des soldats (Lépine, 1917), et enfin, névroses et psy-
chonévroses de guerre, voire névroses traumatiques, diagnostics qui reflètent plus
exactement la réalité (Roussy, Lhermitte, Milligan, Ferenczi, 1917-1918). Les hypo-
thèses pathogéniques ont suivi la même évolution : hypothèses organiques étiologiques
d’abord, dont celle de la confusion mentale de guerre (Capgras), et celle de la paraly-
sie nerveuse réflexe (Babinski, Oppenheim), ensuite hypothèse post-commotionnelle
(Mott, Mairet, Sarbo), puis hypothèse post-émotionnelle par effroi et autosuggestion
(Lépine, Birnbaum), et enfin hypothèses psychodynamiques du complexe de peur, de
l’effondrement narcissique et de la régression libidinale (Adrian, Ferenczi, Abraham,
Freud)» (Crocq, 2005).
Au fil du conflit, le nombre d’engagés atteints d’affections post-traumatiques prend
des proportions inquiétantes. La perte d’effectifs entraînée par ces blessés psychiques
menace l’armée d’impéritie. Un soupçon permanent de duperie pèse sur les soldats
traumatisés, l’état-major les suspectant de mimer l’aliénation mentale pour échapper
à leur devoir militaire. Dès 1915, les neurologues et les aliénistes sont invités à mettre
leur expertise au service des comités de réforme et des conseils de guerre. Ils sont char-
gés de distinguer les « simulateurs » et les « exagérateurs » des combattants souffrant
de réels troubles psychopathologiques. Les médecins militaires et les hautes autorités
s’abstiennent de reconnaître une pathologie déclenchée spécifiquement par les trauma-
tismes de la guerre qui les contraindrait à indemniser ou à réformer les soldats atteints.
Ils préfèrent généralement imputer les troubles à la mauvaise volonté de leurs recrues
à retourner au front ou à leur prédisposition héréditaire, et notamment à leur propen-
sion à l’hystérie. Rappelons qu’à l’époque, la frontière entre hystérie et simulation est
si ténue qu’il est aisé de confondre la première avec la seconde. Certains aliénistes font
preuve d’un patriotisme exalté. Ils semblent ne pas prendre la mesure de la souffrance
psychique des névrosés et se montrent sans pitié, n’hésitant pas à mettre aux fers les
malheureux, à les dénoncer au Conseil de guerre ou à leur infliger des traitements
douloureux tel le traitement faradique. En France, l’électrothérapie faisait partie depuis
longtemps de l’arsenal thérapeutique dédié aux hystériques. Ainsi, Paul Briquet l’utili-
sait déjà en 1850, Jean-Martin Charcot avait fait installer un « laboratoire d’électricité »
à la Salpêtrière et Sigmund Freud y avait recouru pour ses patientes Emmy von N. et
9. Nombre d’affections mentales présentées par les combattants étant subséquentes à l’explosion de
mines et d’obus, les scientifiques sont convaincus que la déflagration exerce des effets mécaniques sur
le système nerveux. Cette thèse étiologique explique la dénomination de Shell Shock accordée aux
pathologies post-traumatiques (note de l’auteur).
22 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma
plus longtemps les contraintes extrêmes de la guerre (Grinker, Spiegel, 1945). Même
les combattants les plus aguerris, en service actif depuis longtemps, rescapés à diverses
reprises d’unités décimées, finissent par s’effondrer. Le psychiatre américain Raymond
Sobel baptise ce phénomène « le syndrome du vieux sergent » (Sobel, 1945). Les
psychiatres militaires découvrent ainsi que les pertes psychiatriques sont une consé-
quence inévitable des situations mettant la vie en péril.
Dans la survenue des troubles psychiques, on souligne également les facteurs affec-
tant le moral des troupes : conflits interpersonnels (entre soldats, entre soldats et
officiers), manque de cohésion au sein de l’unité (isolement des combattants détachés
en patrouille, absence de soutien mutuel, déficit de liens affectifs entre pairs, etc.) et
commandement défaillant (carence de soutien, méfiance ou conflit au sein de la troupe
avec les officiers ou entre le front et l’arrière, etc.) (Spiegel, 1944 ; Stouffer et al., 1949).
Les psychiatres et les autorités militaires découvrent le rôle essentiel de la cohésion
du groupe non seulement pour prévenir l’exhaustion, mais également pour accroître
l’efficacité des unités au combat.
Au début des hostilités, les armées ne sont pas préparées à prendre en charge les bles-
sés psychiques. Du côté allié, la désorganisation provoquée par la défaite éclair infligée
en juin 1940 par les forces allemandes occulte les traumatisés des préoccupations des
états-majors. Du côté de l’Axe, la souffrance psychique est considérée comme l’apanage
des faibles et non comme une conséquence fréquente, inhérente aux conflits armés. Les
leçons des guerres précédentes ont été oubliées. Aussi, aucun dispositif de psychiatrie
de l’avant n’est mis en place. Aucun psychiatre n’est attaché aux divisions de combat et
aucune disposition n’existe pour assurer des soins psychiatriques à proximité du front.
En décembre 1941, avec l’entrée en guerre des États-Unis, une politique visant à traiter
la question des pertes psychiques se met lentement en place. Dans un premier temps,
dans l’espoir d’écarter les individus prédisposés à la décompensation psychique, les
efforts se concentrent sur la sélection des soldats. Ce dépistage s’avère rapidement
inefficace. L’échec de la sélection discrédite l’hypothèse de facteurs prédisposants à
l’origine des troubles mentaux développés au cours du déploiement. Les psychiatres
doivent revoir leur copie ; ils invoquent d’autres étiologies à l’origine des symptômes
traumatiques tels le stress et les contraintes de la guerre.
Peu à peu, les armées redécouvrent les principes de la psychiatrie de l’avant (Menninger,
Nemiah, 2000); une stratégie d’intervention précoce visant à écrêter les syndromes d’ex-
haustion voit ainsi le jour. Pour les cas les plus graves, les médecins recourent à l’hypnose,
à la narco-analyse10 et à la cure de sommeil11. Ils innovent également des nouveaux pro-
cédés comme les thérapies de groupe et testent des traitements inédits, potentiellement
à haut risque, tels que les thérapies par le choc12, les électrochocs ou les leucotomies13.
10. Méthode d’investigation du matériel inconscient après injection d’une substance narcotique.
11. La cure de sommeil est induite par des barbituriques et des sédatifs.
12. Cette méthode consiste à provoquer un coma artificiel par injection d’insuline ou d’une autre
substance.
13. La leucotomie consiste à sectionner les fibres nerveuses reliant les lobes frontaux au thalamus.
24 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma
L’urgence de la guerre a mobilisé les forces vives, laissant de côté la question des trau-
matismes manifestés par les civils. Ce n’est qu’après la fin des hostilités que les scien-
tifiques se pencheront sur le sort des milliers d’enfants et d’adultes en souffrance. En
1952, le psychologue et psychanalyste autrichien Bruno Bettelheim décrit la culpabilité
du survivant et en 1957, le psychanalyste allemand William Niederland, le syndrome
du survivant (survivor syndrome). En 1954, le psychiatre français René Targowla définit
le syndrome asthénique des déportés et dix ans plus tard, son collègue norvégien Leo
Eitinger développe la notion de KZ syndrome, Konzentrationläger syndrome (syndrome
des camps de concentration). Les psychiatres et psychanalystes découvrent ainsi que
les séquelles psychiques persistent longtemps après la fin des hostilités.
La psychanalyse, grâce aux apports de Sigmund Freud, Sándor Ferenczi, Abram
Kardiner, Otto Fenichel, Karl Abraham et bien d’autres, a le vent en poupe. Dans
l’après-guerre, les théories et techniques thérapeutiques suscitent un intérêt sans pré-
cédent au sein de la communauté scientifique et des cliniciens. La psychanalyse connaît
de nouveaux développements ; des thérapies apparentées voient le jour.
Résumé
1 Les premiers témoignages relatifs aux réactions psychotraumatiques datent de deux
mille ans avant Jésus-Christ.
2 Le traumatisme psychique commence à susciter l’intérêt du monde médical au début
du XIXe siècle. Les accidents ferroviaires de la seconde moitié du XIXe siècle et les guerres
du XXe siècle le renforcent.
3 Fin du XIXe début du XXe siècle, les scientifiques militaires et civils se penchent sur les
processus psychiques en jeu dans les réactions traumatiques et initient les premières
prises en charge psychothérapeutiques.
4 En 1980, l’American Psychiatric Association introduit le Post-Traumatic Stress
SOMMAIRE
1. 1485 : « Sacrifice » (Mistere du Viel Testament, éd. J. de Rothschild, 10 129 : [Isaac à son père
Abraham] Et qu’on sacrifie autrement Que par victime si terrible ?), 1495 : « créature vivante offerte
en sacrifice au (x) dieu (x), à Dieu » (Jean de Vignay, Miroir historial, IX, 98, éd. 1531 ds DELB. « Quant
ilz vouloient offrir olocaustes et victimes a icelluy dieu incongneu)», Trésor de la Langue Française
informatisé [version simplifiée], Laboratoire d’Analyse et de Traitement Informatique de la Langue
Française. En ligne : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/fast.exe?victime.
2. Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française. Paris : Le Robert, 1992.
3. Du Choul. Discours sur la Castrametation et discipline militaire des Romains, p. 25 : Sacrifice du
Consul, accompagné de ses Sacerdotes, Victimaires, et Ministre qui porte l’acerra, Trésor de la Langue
Française informatisé, op. cit.
L’évolution de la notion de victime ■ 29
L’immolation d’un des deux boucs reliait les humains au divin dans un axe vertical.
La victime émissaire quant à elle unissait les hommes entre eux dans un plan horizontal
en assurant la paix et l’ordre social. En effet, une union sacrée se forgeait sur cette
victime expiatoire et permettait de rejeter la violence endémique à l’extérieur de la
communauté. Cette définition sacrée et sacrificielle prédominera jusqu’à la fin du
xve siècle.
À partir du xviie siècle (1642)8, « victime » est employé en théologie pour désigner le
Christ9. La communauté chrétienne repose sur le sacrifice d’un homme, Jésus-Christ.
Celui-ci endosse un rôle rédempteur, il est la « supervictime » (Fillizzola, Lopez, 1995),
la « victime parfaite »10 souffrant et mourant pour racheter les péchés des hommes.
Il reste présent par l’eucharistie dans le sacrifice de la messe. Dès le début du siècle, le
mot commence à prendre son sens actuel. Ainsi, il se dote d’une connotation morale
et d’une définition infractionnelle. La victime ne s’inscrit plus uniquement dans un
rapport vertical au sacré, mais aussi dans une relation horizontale interhumaine. En
effet, à la notion de sacrifice s’ajoute une définition infractionnelle de la victimisation,
le terme désignant aussi « la personne qui a subi la haine, les tourments, les injustices
de quelqu’un » (1606)11, « la personne qui souffre des agissements d’autrui » (1617)12.
Par extension, le mot se dit d’« une personne qui souffre d’événements néfastes »
(1617)13. Aux facteurs infractionnels s’ajoute également la victimisation fortuite et
accidentelle. La victime est « une personne tuée ou blessée à la suite d’un cataclysme,
d’un accident ou d’une violence quelconque » (1604)14. Sous la plume des écrivains
français JacquesBénigne Bossuet et Nicolas Boileau, en 1687, le mot désigne également
une personne qui pâtit de ses propres actes, respectivement, victime de soi-même15
et victime de sa valeur (Garnot, 2001). À la fin du xviie siècle, dans le Dictionnaire de
Furetière, le mot comprend aussi « les victimes de la guerre, de la tyrannie politique
et les jeunes personnes sacrifiées à l’ambition familiale et contraintes d’entrer en reli-
gion » (1690) (Garnot, 2001).
Au xviiie siècle, dans la littérature, on voit apparaître aussi les victimes de l’amour et
celles de la médecine (Languin, 2005).
Au xixe siècle, la victime est également « la personne arbitrairement condamnée à
mort ». Durant la Révolution française, ce terme fut appliqué aux personnes qui périrent
20. Assemblée générale des Nations unies. Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs
aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. Résolution 40/34 du 29 novembre
1985, en ligne : http://www2.ohchr.org/french/law/victimes.htm.
Victime, définitions actuelles ■ 33
physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte
grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui ne consti-
tuent pas encore une violation de la législation pénale nationale, mais qui représentent
des violations des normes internationalement reconnues en matière de droits de
l’homme. »
En 1998, le Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale
(Statut de Rome)21 déclare : « Aux fins du Statut et du Règlement, a) le terme “victime”
s’entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission
d’un crime relevant de la compétence de la Cour ; b) Le terme “victime” peut aussi
s’entendre de toute organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, à
l’enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique, un
hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dom-
mage direct. »
Plus récemment, en 2001, le Conseil de l’Union européenne22 définit la victime comme
« la personne qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique
ou mentale, ou une souffrance morale ou une perte matérielle, directement causé par
des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre ».
Ces définitions infractionnelles s’articulent sur les textes de loi et forcément ignorent
les victimes de catastrophes naturelles, mais elles omettent également les violences
psychologiques (harcèlement conjugal, familial ou professionnel).
Retenons la définition de Robert Cario (2001, 2006), à la fois infractionnelle et vic-
timologique : « Doit être considérée comme victime toute personne en souffrance(s).
De telles souffrances doivent être personnelles (que la victimisation soit directe ou
indirecte), réelles (c’est-à-dire se traduire par des traumatismes psychiques ou psy-
chologiques et/ou des dommages matériels avérés), socialement reconnues comme
inacceptables et de nature à justifier une prise en charge des personnes concernées,
passant, selon les cas, par la nomination de l’acte ou de l’événement par l’autorité
judiciaire, administrative, médicale ou civile, par l’accompagnement psychologique et
social de la (des) victime(s) et par son/leur indemnisation. Cette définition se cristallise
sur les traumatismes et les souffrances de toutes origines, intensités et durées infligés
de manière illégitime et injuste aux victimes dans leur corps, leur dignité, leurs droits
et leurs biens. Elle inclut également les proches des victimes dont les souffrances sont
consécutives à l’acte infractionnel (disparition d’un être cher, enfant témoin de vio-
lences familiales, manques à gagner, pertes matérielles diverses, etc.). »
Cette définition introduit l’idée intéressante que certaines victimes ne sont pas en
mesure de reconnaître qu’elles ont subi un dommage du fait de leur état physique
(personnes plongées dans le coma, décédées) ou mental (handicapés mentaux, débiles
mentaux, autistes, etc.), de leur immaturité (jeunes enfants) ou de l’ignorance dans
laquelle elles sont tenues (victimes d’une erreur médicale dissimulée ou d’une opéra-
tion chirurgicale abusive, personnes victimes de pratiques culturelles nuisibles, par
exemple, de mutilations sexuelles considérées comme légitimes), etc.
Retenons encore la définition de Louis Crocq : « Toute personne qui, du fait de
l’action (intentionnelle ou non) d’une autre personne, ou d’un groupe de personnes,
ou du fait d’un événement non causé par une personne (catastrophe naturelle ou
accident sans auteur), a subi une atteinte à son intégrité physique ou mentale, ou à
ses droits fondamentaux, ou une perte matérielle, ou tout autre préjudice (scolaire,
Types de victimes et degré d’implication dans l’événement traumatisant ■ 35
Résumé
1 Dans les civilisations anciennes, le terme « victime » avait une forte connotation sacrifi-
cielle. À partir du XVIIe siècle, il s’additionne à de nouvelles définitions et prend peu à peu son
sens actuel. Au XXe siècle, le mot se généralise, attestant de la visibilité sociale du concept.
2 D’un point de vue juridique, les personnes sont reconnues victimes lorsqu’elles ont subi un
délit ou un crime relevant du droit pénal. Les définitions victimologiques tiennent compte
également des victimes d’accidents, d’accidents sans auteur et de catastrophes naturelles.
3 Le degré d’implication de la victime dans l’événement traumatisant amène à distinguer
victimes directes et indirectes. La victime directe ou primaire a été directement expo-
sée à un événement de nature traumatisante (expérience sensorielle et émotionnelle)
comme sujet, acteur ou témoin. La victime indirecte est concernée par lui et/ou par ses
conséquences du fait de sa proximité émotionnelle avec les victimes directes.
L’événement
3
potentiellement
traumatisant
« Au-dehors, le monde rugit ou s’endort, les guerres s’embrasent,
les hommes vivent et meurent, des nations périssent, d’autres surgissent
qui seront bientôt englouties et, dans tout ce bruit et toute cette fureur,
dans ces éruptions et ces ressacs, tandis que le monde va, s’enflamme,
se déchire, renaît, s’agite la vie humaine. »
Muriel Barbery, L’élégance du hérisson (2006)
SOMMAIRE
1. Le traumatisme psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2. Les événements traumatogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
3. Les paramètres des événements traumatisants . . . . . . . . . . . . . . . . 43
38 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant
1. Le traumatisme psychique
Le mot « traumatisme » vient du grec « trauma », τραυμα, blessure. En médecine,
il définit la « transmission d’un choc mécanique exercé par un agent physique exté-
rieur sur une partie du corps et y provoquant une blessure ou une contusion » (Crocq,
2007). Transposé à la psychopathologie, il devient traumatisme psychologique ou
trauma, soit « la transmission d’un choc psychique exercé par un agent psychologique
extérieur sur le psychisme, y provoquant des perturbations psychopathologiques
transitoires ou définitives » (Crocq, 2007).
Le traumatisme est donc un choc psychologique important, généralement lié à une
situation où une personne a été confrontée à la mort ou à la menace de mort, à des
blessures graves ou au péril de tels dommages, à des violences sexuelles ou au risque
de telles agressions.
En 1917, dans Introduction à la psychanalyse, Sigmund Freud précise que le trauma
provoque dans l’appareil psychique un afflux d’excitation impossible à assimiler et à
liquider : « Et même, le terme traumatique n’a pas d’autre sens qu’un sens économique.
Nous appelons ainsi un événement vécu qui, en l’espace de peu de temps, apporte dans
la vie psychique un tel surcroît d’excitation que sa suppression ou son assimilation
par les voies normales devient une tâche impossible, ce qui a pour effet des troubles
durables dans l’utilisation de l’énergie » (Freud, 1917). En 1920, dans son ouvrage
Au-delà du principe de plaisir, il définit le traumatisme comme « toutes excitations
externes assez fortes pour faire effraction dans la vie psychique du sujet » (Freud,
1920). En 2007, Louis Crocq confirme que le trauma est « un phénomène d’effraction
du psychisme, et le débordement de ses défenses par les excitations violentes affé-
rentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou l’intégrité
(physique ou psychique) d’un individu, qui y est exposé comme victime, témoin ou
acteur » (Crocq, 2007).
Les médecins psychiatres militaires français Claude Barrois, Louis Crocq et François
Lebigot ont développé un modèle phénoménologique du traumatisme. Pour Claude
Barrois, le moment inaugural du trauma est un « accident vécu comme brutal et sou-
dain », une « catastrophe intime, singulière » qui conduit la victime dans le tragique.
Le « facteur traumatisant s’avère toujours une apocalypse », un « dévoilement », une
« révélation » : celle du Réel ; la scène traumatisante est une rencontre avec le « réel
de la mort ». « Le sujet assiste à l’épiphanie », il « entend l’oracle de son destin », « la
mort de soi comme vérité ultime », ce qui le saisit d’« l’effroi ». « L’affect d’effroi, avec
l’attaque et le dévoilement, la révélation, sont l’annonce faite au sujet qu’il n’est finale-
ment rien ». Barrois insiste également sur la perte de sens éprouvée par les victimes :
« le traumatisme psychique est un effondrement de l’illusion de sens et de significa-
tions autrefois échangées, stabilisées, dont l’immense treillis se prêtait généralement à
tous » (Barrois, 1998).
Selon Louis Crocq, l’événement traumatisant est « porteur de sens et vécu comme
une rupture et un enjeu : rupture par rapport à la continuité du passé, enjeu comme
annonce de changements potentiels importants » (Crocq, 1999). Plus encore, il est
une expérience de non-sens, car, précise-t-il : « le sujet entrevoit, sans y être préparé
Les événements traumatogènes ■ 39
et sans pouvoir discerner plus nettement, non pas tellement sa mort (ou la mort de
l’autre), mais sa disparition et son effacement de la vie, c’est-à-dire le retour au néant
mystérieux et redouté, ce néant dont il a toujours eu la certitude sans jamais pouvoir
acquérir la connaissance et sur la négation passionnée de quoi il a sans cesse fondé
sa foi dans la vie : le néant, envers de la vie et des valeurs, non-sens ». Crocq sou-
ligne également le bouleversement de la temporalité du sujet, marquée du sceau de
l’omniprésence du trauma horrifiant. Il rejoint ainsi Pierre Janet pour qui l’individu
traumatisé reste accroché à un obstacle qu’il ne parvient pas à franchir. À l’origine
de cet accrochage, Janet incrimine une carence de la réponse par le langage, et sur-
tout par le langage intérieur qui eut maîtrisé ou réduit, en l’objectivant par des mots,
une situation omniprésente, envahissante et imprécise. Il illustre cette considération
par la parabole de la sentinelle. « Une sentinelle placée en dehors du camp surveille
l’arrivée de l’ennemi : quand cet ennemi survient, elle doit d’abord faire des actes par-
ticuliers en rapport avec l’arrivée de l’ennemi, se défendre ou se cacher, se coucher
par terre, ramper pour échapper à l’attention et rentrer au camp. […] Mais en même
temps qu’elle fait ces actes d’adaptation personnelle, la sentinelle doit faire une autre
réaction tout à fait nouvelle qui caractérise la mémoire, elle doit préparer un discours,
elle doit suivant certaines règles traduire l’événement en paroles afin de pouvoir tout
à l’heure le raconter devant le chef. » Pour Janet, la mémoire est une action, « elle
consiste essentiellement dans l’acte de raconter », aussi conclut-il : « Une situation
n’est bien liquidée, bien assimilée que lorsque nous avons réagi non seulement exté-
rieurement par nos mouvements, mais encore intérieurement par les paroles que nous
nous adressons à nous-mêmes, par l’organisation du récit de l’événement aux autres et
à nous-mêmes et par la mise en place de ce récit comme un chapitre de notre propre
histoire » (Janet, 1919).
Comme pour Barrois, pour François Lebigot, « le traumatisme psychique résulte
d’une rencontre avec le “réel” de la mort. Cela veut dire que le sujet s’est vu mort
ou il a perçu ce qu’est vraiment la mort comme anéantissement, et non sous cette
forme imaginaire qui caractérise le rapport des hommes à la mort. Freud faisait
remarquer que nous savons tous que nous allons mourir, mais que nous n’y croyons
pas. Il n’y a pas de représentation de la mort dans l’inconscient, et d’ailleurs com-
ment représenter le néant » (Lebigot, 2006 ; voir aussi De Clercq, Lebigot, 2001 ;
Lebigot, 2005).
La dernière version du DSM, le DSM-5, publiée en mai 2013, stipule que le sujet a
été exposé à la mort ou à la menace de mort, aux blessures graves ou à la menace
de telles blessures, à la violence sexuelle ou la menace d’une telle violence, de l’une
(ou de plusieurs) des façons suivantes :
1 Avoir été directement exposé à un ou des événements traumatiques
2 Avoir été témoin, en personne, de l’événement ou des événements survenu(s) à
d’autre(s)
3 Avoir appris qu’un ou des événements traumatiques sont survenus à un membre proche
de la famille ou à un ami proche
4 Avoir été exposé de façon répétée ou extrême aux détails aversifs du ou des
événements traumatiques (par ex., premiers intervenants collectant les restes de corps
humains ; policiers exposés de façon répétée à des détails de maltraitance des enfants)
(APA, 2013).
L’événement traumatique constitue donc une menace pour la vie (mort réelle ou pos-
sible) ou pour l’intégrité physique (lésions corporelles, violation de l’intimité) et/ou men-
tale (perte de biens personnels, outrage à l’honneur ou aux droits fondamentaux, etc.)
d’une personne ou d’un groupe de personnes.
Cet événement produit une peur intense et/ou un sentiment d’impuissance et/ou
d’horreur et/ou de honte et remet en cause les valeurs essentielles de l’existence que
sont la sécurité, le respect de la vie, la paix, la morale, la solidarité, etc. Notons cepen-
dant que, parfois, les victimes n’ont rien ressenti de tel. Il n’en reste pas moins que
certaines souffriront à long terme, de façon plus ou moins intense, de symptômes trau-
matiques invalidant leur quotidien et leur développement personnel. Ainsi, certaines
personnes réagissent avec sang-froid et adéquation durant la crise (par exemple, dans
le décours d’un hold-up, d’un incendie, d’un accident de la route, d’un viol, etc.), sans
éprouver ni effroi, ni impuissance, ni honte. Elles sont dissociées de leurs émotions1
au moment de l’événement, mais risquent cependant de manifester ultérieurement un
syndrome psychotraumatique.
Quoique certains événements dépassent la capacité de gestion de la majorité des indivi-
dus, ils peuvent néanmoins s’avérer traumatisants pour une personne et pas pour une
autre ou être traumatisants pour un individu aujourd’hui et ne pas l’être demain. Pour
cette raison, la dénomination « événement potentiellement traumatisant » devrait
être préférée à « événement traumatique » tant que l’impact traumatique n’a pas été
constaté sur le ou les individus concernés.
2. Un car-jacking est un vol de véhicule avec menace et/ou usage de violence à l’égard du conducteur.
3. Un home-jacking est un vol de véhicule, souvent violent, commis après s’être emparé des clés dans
une habitation.
4. Le tiger-kidnapping, terme emprunté de l’anglais, est un hold-up précédé d’une prise d’otage, sou-
vent violente, du gérant d’une agence bancaire, d’un bijoutier ou d’un autre commerce ainsi que de
ses proches, conjoint et enfants, dans le but de le forcer à ouvrir le coffre-fort de sa société. Ce terme
s’inspire de la façon dont le tigre observe sa proie avant de l’attaquer, car ce type de kidnapping néces-
site que les auteurs se livrent à des repérages préalables.
5. En France, fin de l’été 1899, le président du Conseil Waldeck-Rousseau, craignant une émeute à
l’occasion de la révision du procès d’Alfred Dreyfus, engage des poursuites contre les dirigeants des
ligues nationalistes. Jules Guérin, le président de la Ligue antisémite, refuse d’obtempérer au man-
dat d’amener lancé contre lui et se barricade avec une quinzaine de ses collaborateurs au « Grand
Occident de France » au 51, rue de Chabrol à Paris. Les insurgés se rendent après 38 jours de résis-
tance. Depuis cet événement, l’expression « un Fort Chabrol » désigne une situation où un individu
armé se retranche, parfois avec otages, dans un immeuble cerné par les forces de l’ordre.
6. Par exemple, des mouvements de panique collectifs meurtriers se produisent parfois au cours des
grands rassemblements populaires tels que les techno-parades et les festivals de musique ; les stades
de football sont fréquemment le théâtre de mouvements de foule fatals (par exemple, suite à l’effon-
drement d’une tribune); l’affluence massive de fidèles au pèlerinage de La Mecque provoque chaque
année des bousculades mortelles, etc.
42 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant
Une jeune femme violée durant son enfance manifeste une souffrance traumatique
au moment même où elle s’engage dans une relation sentimentale. Les relations
sexuelles ont ravivé un événement dont elle pensait ne pas avoir conservé de traces
pathologiques.
En Haïti, l’évacuation préventive d’une personne dans le cadre d’un risque d’oura-
gan réactive un événement qu’elle a vécu quelques années auparavant, un glisse-
ment de terrain qui a failli lui coûter la vie.
Une femme a fui les massacres perpétrés en Côte d’Ivoire et s’est réfugiée en Guinée.
Elle est installée depuis près de trois ans dans un camp de transit. Elle ne présente
pas de plaintes particulières jusqu’à ce que fuse la rumeur que les réfugiés vont être
déplacés dans un camp dit « durable » (baraquements offrant davantage de confort
et de commodité). Concomitamment à l’avènement des symptômes traumatiques
(état d’alerte, souvenirs intrusifs répétitifs et envahissants des tueries en Côte
d’Ivoire, cauchemars, vécu « comme si » les événements allaient se reproduire, etc.),
elle commence à pleurer le décès de son fils plus d’un an après sa disparition. Elle
dira : « Je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme si ça sortait de mon cœur. J’ai vécu
beaucoup de choses. On a déjà dit qu’on allait nous mettre ailleurs, mais j’étais forte.
Maintenant, le chagrin sort de mon cœur. »
Ruwan habitait à Hambantota, sur la côte, dans le sud du Sri Lanka. C’est un pal-
mier qui lui a sauvé la vie lorsque le tsunami a frappé la côte le 26 décembre 2004.
Emporté par les flots, sa déroute a croisé les branches de l’arbre salvateur.
Il s’y est accroché. Quand la vague meurtrière s’est retirée, il était au sommet, à
plusieurs mètres du sol !
Sinabang est la capitale de la petite île de Simeulue située au large de Sumatra
(Indonésie). Elle a été relativement épargnée par le tsunami, mais littéralement
anéantie trois mois plus tard [28 mars 2005], dans l’indifférence des médias, par un
tremblement de terre de magnitude 8,7 sur l’échelle de Richter. Mariati et Muliadin
habitaient une petite maison près de la mer. Au rez-de-chaussée, Mariati tenait un
petit restaurant. En décembre, le tsunami a emporté leur nid et leur gagne-pain. Ils
sont restés plusieurs jours avant de disposer de quoi construire une tente de fortune
en bâche plastique. La vie a continué. Chaque matin, Muliadin quittait le sommaire
abri pour se rendre au garage où il travaillait. Mais en mars, la terre a tremblé
détruisant son entreprise. Mariati et Muliadin ont tout perdu : leur logement, leur
moyen de subsistance, leurs objets personnels, leurs vêtements, leurs photos de
famille, etc. Lorsque je les rencontre trois mois après le tsunami et quelques jours
après le séisme, ils attendent que les autorités s’occupent de leur sort. Et ils ignorent
de quoi l’avenir sera fait.
En Haïti, après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, le cadavre de la fille de
Johanne est retrouvé lors du déblaiement des décombres de sa maison. Johanne a
été appelée à reconnaître le corps alors qu’il était déjà dans la pelleteuse prêt à être
versé dans le camion en partance pour la fosse commune.
8. Une pandémie est une épidémie qui s’étend à la quasi-totalité d’une population d’un ou de plusieurs
continents, voire dans certains cas de la planète entière.
9. Une épidémie est le développement ou la propagation rapide d’une maladie infectieuse aux effets
significatifs, le plus souvent par contagion, touchant simultanément un grand nombre de personnes.
10. Dysenterie bacillaire.
11. SARS est l’acronyme de Severe Acute Respiratory Syndrome. Cette pneumonie atypique, appa-
rue pour la première fois en Chine en novembre 2002, a provoqué une épidémie en mai 2003.
Les paramètres des événements traumatisants ■ 45
cousine dont l’état est critique ne succombe au virus, peur d’infecter des malades
souffrant d’une affection autre que le SARS, peur de surinfecter ses compagnons
d’infortune atteints comme lui de pneumopathie atypique, peur de réinfecter
des patients guéris lors de leurs visites de contrôle, peur de voir sa famille reje-
tée par les voisins par crainte du risque de contamination, etc. Il racontera aussi
l’ennui des longues journées, forcé à l’inactivité dans un environnement pauvre
en distraction.
Nkanku était une jeune fille de 13 ans. Elle est décédée le premier janvier 2009 au
Kasaï occidental (République démocratique du Congo) des suites d’Ebola. Elle était
membre d’une secte religieuse, l’Église des Apôtres élus. Lorsqu’elle est tombée
malade, sa famille l’a soupçonnée d’être sorcière. La sorcellerie lui aurait été « don-
née » par sa grand-mère. Sa grand-mère, qui s’est occupée d’elle jusqu’à son dernier
souffle, au risque de sa propre vie (risque de contamination), fut rejetée par toute sa
communauté. Handicapée par son grand âge et ne bénéficiant plus de l’aide pratique
nécessaire pour assurer sa subsistance, elle a rapidement commencé à souffrir de
la faim.
12. Outre les euphémiques « dégâts collatéraux » regrettables des guerres menées par les Américains,
il est déjà arrivé qu’une des parties en conflit attaque accidentellement ses propres troupes !
46 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant
Alors qu’il a bu plus que de raison, Albert entre en collision avec une voiture dans
laquelle les trois occupants sont tués.
Philippe est tombé d’une échelle alors qu’il réparait la corniche de sa maison. Sa
chute a causé des blessures graves nécessitant plusieurs semaines d’hospitalisation.
13. Bandeau oculaire, détention en chambre sourde ou dans une pièce plongée dans l’obscurité, etc.
14. Station debout prolongée sans pouvoir bouger, contention douloureuse par des liens serrés, etc.
15. Isolement total prolongé.
16. Confrontation à des bruits violents ou à une lumière aveuglante, lumière intense de jour comme
de nuit, etc.
17. Garder les bras levés ou liés dans le dos, rester durant de longues heures sans bouger assis,
accroupi, debout, en appui sur un pied, sur la pointe des pieds, etc.
18. Arrachage des ongles, fracture des dents, etc.
19. Suffocation par submersion dans des liquides naturels (eau, urine, selles, sang) ou chimiques
(essence, huile mécanique, produits d’entretien, etc.), par intromission de chiffons dans les orifices
buccaux et nasaux, par introduction de la tête dans un sac en plastique, etc.
20. Provoquées par des cigarettes, des produits acides, des liquides portés à ébullition (par exemple,
huile), des métaux chauffés à blanc, etc.
21. Substances expulsées du corps (urine, selles, vomissure) ou produits chimiques (essence, huile
mécanique, produits d’entretien, etc.).
22. Viol, inceste, grossesses forcées, mutilations sexuelles, etc.
23. Amok en malais « amuk », « mengamuk » en indonésien et « ngmaguk » en javanais signifient
« folie furieuse ». Autrefois rencontré dans les populations austronésiennes, l’amok désigne l’état
de rage destructrice et de folie meurtrière s’emparant subitement d’un homme sans antécédents de
violence. Dans une course frénétique, le coureur d’amok revêtu d’une tenue rituelle tue toutes les per-
sonnes qu’il croise jusqu’à ce qu’il soit lui-même tué. Ce phénomène s’est raréfié avec la colonisation
hollandaise. (Ehrenberg A., Lovell A. (2000). La maladie mentale en mutation. Psychiatrie et société.
Paris : Odile Jacob ; Leman J., Gailly A. [1991]. Thérapies interculturelles. L’interaction soignant-soigné
dans un contexte multiculturel et interdisciplinaire. Bruxelles : De Boeck). Par extension, l’amok décrit
Les paramètres des événements traumatisants ■ 47
• Les guerres
« Il a tué mon mari puis il m’a violée et il m’a pris en mariage par force. Il m’a emme-
née avec lui et j’ai vécu 4 mois avec les interhamwes24. Et tous les jours, il racontait
comment il avait tué des gens tout le jour et comme il était fier d’avoir tué ma famille.
Je voulais devenir folle » raconte une rescapée du génocide rwandais de 1994.
Marie, une Burundaise Tutsi, est veuve. Son mari a été tué en République démocra-
tique du Congo alors qu’il s’y rendait pour faire du commerce. Elle n’a pu voir sa
dépouille ni assister aux funérailles. Ensuite, elle a été maltraitée par sa belle-famille
ainsi que par son frère. Quelques mois plus tard, Marie est violée alors qu’elle
se rendait au champ. Depuis, elle est séropositive. Son enfant de 10 ans, Innocent,
a récemment été touché par une grenade : il a perdu des doigts et des orteils et un
éclat dans la tête a provoqué un traumatisme crânien.
En 1992, durant la guerre en Yougoslavie, un ex-prisonnier bosniaque du camp de
concentration serbe de Keraterm en Krajina, dans le nord de la Bosnie, témoigne :
« Un jour, nous avons dû rester sous le soleil tapant de cet été. Et cet été, il a fait
particulièrement chaud. On a donc dû rester sous le soleil, les bras levés, les mains
derrière la tête. Quand un de nous lâchait, il était abattu. »
Les accidents
Les accidents domestiques (chutes, brûlures thermiques et chimiques, intoxi-
cations médicamenteuses et chimiques, coupures, noyades en piscine, suffocations
et asphyxies, électrocutions, etc.), les explosions domestiques (gaz, appareils ména-
gers, etc.), les accidents de loisirs et de sport (manipulation maladroite d’outil de brico-
lage ou de jardinage, chutes de cheval, de vélo, de ski, etc.), les incendies domestiques,
les accidents de travail, les erreurs médicales, les accidents routiers, etc.
24. Nom donné aux Hutus intégristes prônant l’extermination des Tutsis.
Les paramètres des événements traumatisants ■ 49
Les accidents
Les incendies (grandes surfaces commerciales, bâtiments professionnels, stades
sportifs, etc.), les explosions accidentelles (gaz de ville, pétrochimie), les accidents
technologiques, industriels et nucléaires, les carambolages, les accidents ferroviaires
et aériens, etc.
Nicolas nous retrace l’explosion qui a ravagé une partie de l’usine où il travaillait :
« Il y a eu un bruit sourd et j’ai senti un souffle chaud. Ça a brûlé une partie de
mon visage, de ma barbe et de mes cheveux, mais sur le moment, je ne m’en suis
pas rendu compte. C’est bien après que j’ai eu mal. Au moment même, je n’ai rien
senti. Et d’ailleurs, il m’a fallu pas mal de temps pour réaliser. Quand le journaliste
m’a interviewé, je ne sentais encore rien. Mon fils a vu les images à la télé et ça l’a
beaucoup choqué. C’est par le journal télévisé qu’il a appris… Il m’a téléphoné sur
mon portable. Il était très inquiet pour moi, mais franchement, je me demandais
pourquoi. J’étais en vie, j’allais bien. Évidemment, je n’avais pas encore vu mon
visage, je ne réalisais pas. Ce que je savais à ce moment-là, c’est que d’autres avaient
eu moins de chance que moi… Donc, j’ai senti ce souffle chaud agréable et j’ai été
projeté violemment sur la cloison. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Il y avait
de la fumée et de la poussière partout. Il y a avait des flammes… Il m’a fallu un petit
temps pour réaliser qu’il y avait eu une explosion. J’ai un peu repris mes esprits
et j’ai essayé de me repérer, j’ai essayé de voir où j’étais par rapport aux dégâts. Je
ne savais pas non plus où étaient les autres… J’entendais des cris, mais je ne voyais
rien… Vous savez, c’est un peu comme dans les films… On sent qu’il y a de l’agitation
et de la panique, mais on ne voit rien et on est comme un peu sonné. On sait que c’est
grave, mais on ne sait pas ce qui se passe exactement… La vitre avait éclaté. J’étais
persuadé que j’étais juste derrière la vitre. En fait, je n’étais pas du tout à côté. Si
j’avais été derrière ou devant, je ne serais plus là pour en parler… Je suis sorti de là,
mais j’y suis retourné. Il y avait des gens là-dedans… J’ai aidé un gars à soulever un
panneau qui était tombé… Mon collègue était en dessous… Il était mort. »
Résumé
1 L’événement traumatisant constitue une menace pour la vie ou pour l’intégrité phy-
sique et/ou mentale.
2 La personne peut avoir été sujet, témoin ou acteur de l’événement traumatique, être
concernée par lui du fait de sa proximité émotionnelle avec la victime directe ou avoir
été confrontée de manière extrême ou répétée à des détails sordides concernant les
faits.
3 Cet événement produit une peur intense et/ou un sentiment d’impuissance et/ou d’hor-
reur et/ou de honte et remet en cause les valeurs essentielles de l’existence. Certaines
personnes ne manifestent pas de réaction particulière au moment de l’événement, mais
risquent tout de même de présenter ultérieurement un syndrome psychotraumatique.
4 La situation traumatogène peut se constituer massivement et brusquement, être un
épisode mineur faisant passer la personne au-delà de son seuil de tolérance ou être un
incident susceptible d’activer la charge traumatique d’un événement ancien.
5 Les paramètres des événements traumatisants peuvent être individuels ou collectifs et
être d’origine naturelle (climatique, géologique ou biologique) ou humaine (acciden-
tels provoqués par la sujet lui-même ou par un tiers ou intentionnels commis par un
membre de la famille ou un étranger).
Les types
1
de traumatisme
« Le bonheur est fragile. Tu n’es pas funambule et tu avances pas à pas.
Tu ne sais rien des jours, tu glisses sur un fil, au loin tu ne vois pas.
Si tu regardes en bas, c’est le vertige, ne regarde pas. »
Philippe Delerm, Le bonheur. Tableaux et bavardages
SOMMAIRE
torture sexuelle, relations forcées avec un tiers, exploitation sexuelle contrainte, etc.)
et/ou économiques (accès aux ressources interdit ou étroitement contrôlé, aliénation
financière et matérielle, etc.).
Ce qui caractérise ces traumatismes, c’est qu’ils résultent d’une action humaine délibé-
rée. Les lois et les valeurs qui régissent l’humanité sont profanées, bafouées et reniées
par les hommes eux-mêmes. La douleur, les blessures, les sévices et la souffrance
sont provoqués, voire même entretenues et exacerbées intentionnellement, par des
personnes généralement censées assurer protection ou porter secours1 aux victimes.
Actuellement, les dénominations trauma simples et complexes sont préférées à trau-
matismes de type I, II et III.
Les traumatismes de type I/simples constituent un événement ponctuel dans la vie d’un
sujet tandis que les traumatismes de type II et III/complexes sont caractérisés par une
addition et une succession de violences. Les premiers exposent les personnes à un événe-
ment unique, circonscrit dans le temps, imprévisible et d’apparition brutale ; les seconds
les soumettent à une violence durable, répétée, exempte de surprise, voire prévisible.
Il est important de ne pas confondre une personne dont la vie est émaillée de nom-
breux incidents critiques ponctuels (par exemple, perdre ses biens dans un incendie
puis quelques années plus tard, être délestée de son argent lors d’une agression, plus
tard encore, être témoin d’un accident grave ou échapper à la mort dans un carambo-
lage, etc.) avec celle qui souffre de traumatisme de type II/complexe. Notons toutefois
que la succession rapide d’événements graves risque d’induire des troubles assimi-
lables au traumatisme complexe.
1. Pour les enfants, parents, professeurs, éducateurs, etc. ; pour les victimes de violences intrafami-
liales : conjoint, belle-famille ; pour les personnes victimes de violence politique : militaires, policiers,
agents des pouvoirs publics, responsables de la sécurité, etc.
2. Voir chapitre « La phase aiguë » dans le chapitre consacré aux réactions face à un événement
traumatique.
56 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme
François Lebigot, parce que le moment de l’effroi peut passer inaperçu ou être rapide-
ment oublié de celui qui mobilise ses ressources pour faire face à la menace (De Clercq,
Lebigot, 2001, p. 95). « Parfois même, il ressent un bref soulagement, ou une discrète
euphorie de quelques heures ou de quelques jours, parce qu’il est sorti indemne de cet
“enfer”. » Il n’en reste pas moins que ces violences peuvent ultérieurement se révéler
gravement traumatiques, la victime voyant « plus tard, avec surprise, apparaître les
symptômes de la répétition » (ibid.).
2.1.1. La victime-sujet
Elle a subi personnellement l’événement ponctuel ou la violence chronique. Avoir
été agressé physiquement, avoir fui sa maison en feu, avoir été heurté accidentellement
par un véhicule, avoir été blessé par une machine industrielle dans le cadre de ses acti-
vités professionnelles, avoir été prisonnier dans l’effondrement de son habitation suite
à un séisme, avoir échappé aux coulées de boue ou aux inondations en se réfugiant
sur le toit de sa maison, avoir été victime de violence conjugale, avoir essuyé des tirs
ennemis en temps de guerre sont quelques exemples de victimisation directe.
Une jeune fille victime des attentats terroristes à Paris perpétrés dans la salle de
spectacle du Bataclan témoigne : « Quand j’étais à l’intérieur, la seule chose à laquelle
je pensais c’était qu’il fallait que ma sœur soit en vie coûte que coûte. La peur de ma
propre mort est venue après. J’étais allongée là et je m’imaginais dans un miroir avec
une poussette, un enfant, et c’est la chose qui m’a le plus fait du mal, je me disais
que j’avais 19 ans et que jamais je ne pourrai avoir le bonheur de connaître ça, la
simplicité de vieillir et d’avoir des enfants. L’attente a été si longue… On entend les
balles et on se dit toujours que la prochaine est pour soi. Les hurlements des gens
qui agonisent, qui ont peur est de loin la pire chose que j’ai entendue de ma vie.
Mon traumatisme a été visuel parce que j’ai été marquée par tous ces corps et tout
ce sang autour de moi, mais il a avant tout été auditif, le bruit perçant des balles,
le bruit des blessés, c’est quelque chose qui reste encore en moi. »
2.1.2. La victime-acteur
Elle souffre d’avoir facilité ou provoqué involontairement ou volontairement
l’incident.
2.1.3. La victime-témoin
Elle est perturbée après avoir assisté, de manière directe ou indirecte (par exemple,
par le biais d’enregistrements filmés), au déroulement d’un événement traumatique
frappant un tiers. Contrairement au sujet et à l’acteur, le témoin peut généralement
contrôler sa propre activité pendant l’incident et est souvent en mesure d’observer plu-
sieurs rôles : celui de l’agent agresseur, de la victime et parfois, d’un tiers « sauveur ».
Cet angle large lui permet de s’identifier à l’un ou plusieurs de ces rôles. De nombreux
témoins d’événements graves éprouvent une culpabilité post-traumatique générale-
ment liée à un sentiment d’incapacité à intervenir.
La victime témoin a, par exemple, vu le bourreau torturer un codétenu, elle était
présente au moment où une personne s’est jetée sous une rame de métro, elle a été
3. Notion due au sociologue français Émile Durkheim (1897) pour désigner les suicides accomplis
par devoir. Aujourd’hui, ce concept s’étend à la volonté d’emmener un être cher dans la mort pour
lui épargner une survie jugée douloureuse. Les auteurs se suicident après avoir commis leur macabre
besogne, mais certains en réchappent.
58 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme
Dans les grands carambolages, les accidents ferroviaires, les attentats terroristes, les
incendies, les suicides (pendaison, défenestration, noyade, etc.), les homicides, etc.,
le personnel des services d’urgence et les médecins légistes sont confrontés à la vision
de personnes gravement blessées ou à l’agonie ainsi qu’à des corps désarticulés, déchi-
quetés, calcinés ou putréfiés.
« C’est elle que j’ai vue d’abord. Elle avait le couteau planté dans la poitrine. Elle s’est
loupée parce que la lame a glissé contre les côtes. Elle était vivante. Je suis monté à
l’étage. Je n’oublierai jamais ces enfants… Ils étaient couchés dans leur lit. Il n’y avait
pas de sang. Elle avait pris soin de les nettoyer… Ils étaient très pâles… Surtout le
petit… Quand je pense à ça, ça me met terriblement en colère » nous livre un policier
intervenu sur les lieux d’un drame familial peu après qu’une mère désespérée ait
tué ses enfants.
« J’ai accompagné mon collègue policier. C’est sa fille qui l’a découvert. C’était
affreux. Il y avait des tâches partout. C’était du sang séché et de la cervelle. Il s’est
suicidé en se tirant une balle dans la tête. Il devait être là depuis un bout de temps.
Quand on a enlevé le corps, il y avait des asticots. Ça grouillait. Beurk ! Ça me
dégoûte, ça me donne la chair de poule, j’ai les poils qui se hérissent rien que d’y
penser. Ça me poursuit encore. C’est ça qui m’a le plus marquée. Maintenant, chaque
fois que je dois intervenir sur un suicide, je suis mal et la nuit, c’est recta, je rêve de
mort et d’asticots. Heureusement que ça n’arrive pas tous les jours ! » nous livre une
psychologue attachée au service d’une police locale.
Mission après mission, les expatriés humanitaires s’exposent de façon répétée à des
situations éprouvantes. Ils sont constamment témoins de la détresse des populations
décimées par les guerres, les catastrophes naturelles et les épidémies (enfants mourant
de malnutrition, victimes mutilées, cadavres en masse, etc.), parfois dans des décors
apocalyptiques de fin du monde (destruction à large échelle des habitations et de l’envi-
ronnement, villages inondés ou ensevelis sous des coulées de boue ou de lave, etc.). En
outre, ils peuvent être témoins d’exactions cruelles.
Les traumatismes directs et indirects ■ 59
« Je vois les yeux de ces gens à qui on annonce que leur proche est mort. Je vois leurs
yeux quand on embarque le cadavre. Je vois les yeux de ces mères à qui on annonce
qu’on va devoir amputer leur bébé. Je revois les yeux de ces adolescentes à qui on
annonce qu’on va devoir couper une jambe. Quand je ferme les yeux, je revois ces
visages frappés de stupeur et de souffrance », nous raconte une Haïtienne engagée
dans l’action humanitaire après le séisme.
« Je n’ai jamais vu des plaies comme celles-là. Pourtant, j’en ai vu des plaies dans ma
vie, mais des plaies comme ça, vertes, avec des kilos d’asticots gros comme des cobras,
jamais. Je ne pouvais pas manger avant de travailler parce que j’aurais tout vomi »
nous dévoile un infirmier expatrié intervenu en Haïti après le tremblement de terre.
Une infirmière humanitaire nous dit : « Le pire, dans les épidémies de malnutrition,
c’est le triage. Quand les enfants arrivent, tu dois les trier : ceux qui ont besoin d’un
traitement et qu’on prend au centre, ceux qui peuvent rentrer chez eux avec du
Plumpy nut4… et puis, ceux qu’on ne va pas accepter parce qu’on ne peut plus rien
faire pour eux, c’est trop tard, on sait qu’ils vont mourir… Et tu as ces mères qui te
regardent avec leur regard suppliant et toi, tu dois dire “Non, maman, je ne peux pas
prendre ton bébé”. Et tu vois dans leur regard qu’elles ont compris… Et tu as envie
de prendre le gosse, mais tu sais que c’est foutu, que le centre est plein à craquer
et qu’on n’a pas le temps de s’occuper de ceux qui sont de toute façon condamnés,
quoi qu’on fasse. Si on les prend, c’est du temps qu’on va perdre à ne pas s’occuper
de ceux qu’on peut sauver. Mais tu te mets à la place de ces mères et tu te sens
moche, tu as l’impression d’être un bourreau. Tu te sens terriblement coupable et tu
as honte. Pour moi, ça, c’est le pire. »
4. Le Plumpy nut est une pâte à base d’arachide à haute valeur nutritionnelle distribuée aux enfants
malnutris pour une consommation à domicile.
60 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme
été évacués ou non (Isaacs, Brown, Thoulness, 1941)! Les enfants restés sous le feu des
bombardements ont manifesté les réactions les plus intenses tandis que les enfants
évacués ont souffert de conséquences plus persistantes et plus pernicieuses. Éloigner
les enfants du danger ne leur avait donc pas épargné la souffrance traumatique. On
découvrait ainsi qu’un enfant pouvait être « contaminé » par le vécu de son entourage
(Barnes, 1997 ; Erickson, 1989 ; Figley, 1983). Charles Figley (2003) compare ce pro-
cessus de contagion à celui de la propagation d’un virus : le traumatisme se transmet
aux membres de la famille qui ne disposent pas de mécanismes de coping efficaces5.
Il est aujourd’hui admis par de nombreux psychologues et psychiatres qu’un sujet,
enfant comme adulte, qui n’a pas subi de traumatisme direct peut présenter des troubles
psychotraumatiques consécutifs aux contacts qu’il entretient avec une personne ou un
groupe de personnes traumatisées (Barnes, 1997 ; Erickson, 1989 ; Figley, 1983).
5. Face à une situation difficile, nous ne restons pas inactifs, mais nous tentons d’y répondre. En
anglais, on parle de « coping » (du verbe « cope with » signifiant « faire face »). Le coping peut être
défini comme la façon dont nous raisonnons et agissons pour remédier aux situations stressantes.
Cette notion est plus largement développée infra.
6. On parle également de victimisation secondaire lorsqu’une victime d’un événement traumatisant
est confrontée à une réaction inadéquate à l’égard de son statut de victime (voir infra). Pour éviter
la confusion, nous suggérons de réserver la dénomination « victimisation secondaire » dans cette
acception et de préférer l’appellation « traumatisation secondaire » au sujet qui nous concerne dans
le présent chapitre.
7. Notamment en justice.
Les traumatismes directs et indirects ■ 61
détails d’événements sordides (par exemple, professionnels chargés de récolter les restes
humains, policiers chargés d’affaires de maltraitance d’enfants).
On peut se représenter le traumatisme comme un tremblement de terre dont l’incident
critique constitue l’épicentre. Les ondes de choc se propagent en cercles concentriques
à partir de l’événement traumatisant tout en diminuant d’intensité à mesure qu’elles
s’en éloignent. La victime directe se situe dans le foyer du séisme et les ondes de choc
bouleversent progressivement son entourage ainsi que les intervenants qu’elle ren-
contre durant et après la crise.
8. Voir « Types de victimes et degré d’implication dans l’événement traumatique » dans le chapitre
« La notion de victime ».
62 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme
9. La compassion est un sentiment qui porte à percevoir ou ressentir la souffrance d’autrui et pousse
à y remédier.
10. Par exemple, les pompiers, les personnes âgées, les homosexuels, les femmes, les habitants des
quartiers aisés, les israélites, etc.
11. Le 30 juillet 2004, à Ghislenghien, section de la ville d’Ath située en Région wallonne, une
explosion provoquée par une fuite de gaz naturel causée par un engin de chantier a entraîné la mort
de 24 personnes (principalement des travailleurs de chantier, des policiers et des pompiers) et fait
132 blessés graves.
12. L’affaire Dutroux a eu lieu en Belgique. Le principal protagoniste, Marc Dutroux, coupable d’enlè-
vements, de séquestration, de viols et de meurtres d’enfants et de jeunes adolescentes, a été arrêté
durant l’été 1996.
13. Michel Fourniret a été arrêté en Belgique en 2006. Il a été reconnu coupable de viols et de
meurtres commis en France et en Belgique sur plusieurs mineures.
Les traumatismes directs et indirects ■ 63
Le monde entier peut être touché par une attaque terroriste ou par une catastrophe
naturelle dévastatrice. Nous l’avons vu avec l’émotion planétaire déclenchée par les
attentats perpétrés le 11 septembre 2001 à New York, les 7 janvier et 13 novembre
2015 à Paris et le 22 mars 2016 à Bruxelles, par le tsunami survenu le 26 décembre
2004 en Asie du Sud-Est ou bien encore par le séisme qui a frappé Haïti le 12 jan-
vier 2010.
En raison de l’événement tragique subi par un des leurs, un groupe peut présenter
des manifestations particulières, que nous dénommons traumatisation quaternaire,
et peut être amené à modifier ses habitudes. Par exemple, les femmes évitent de se
déplacer seules le soir parce qu’elles se sentent vulnérables face aux risques d’agres-
sion sexuelle ; les juifs ou les homosexuels évitent certains quartiers fréquentés par de
bandes d’extrême droite dont ils redoutent les attaques ; les parents ne laissent plus
leurs enfants jouer dans la rue de crainte qu’ils soient enlevés par un pédophile, etc.
14. Pour plus d’information, voir Josse (2011); Barocas, Barocas (1973); Epstein (2005); Kestenberg
(1983); Vegh (1979); Zajde (2005); Williams-Keeler (1998).
64 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme
ne resteraient pas seuls, sans personne pour s’occuper d’eux. Vous savez, ma mère
s’est retrouvée orpheline. Ses parents ont tous les deux été gazés à Auschwitz… »
« Je rêve souvent que les gens que j’aime partent en train pour un voyage à l’étranger.
Je vais les conduire sur le quai et je sais que je ne les reverrai jamais. Ils croient qu’ils
vont en vacances, mais moi, je sais qu’ils vont mourir et je me réveille en sueur. »
« En vous parlant, je me rends compte que j’ai toujours voulu rester anonyme. En
fait, je me suis toujours cachée. Je n’ai pas mis mon nom sur la sonnette. J’ai pris
un numéro de téléphone privé pour que mon nom ne figure pas dans le bottin. Je
prends soin d’entretenir des rapports cordiaux avec les voisins, je ne veux pas d’his-
toire, mais je reste distante. Je ne leur raconte rien de notre vie, je ne leur ai jamais
dit que mon mari est diamantaire, je ne les ai jamais invités à rentrer chez moi. Je ne
veux pas qu’on sache que nous sommes juifs. »
« À Anvers, j’ai peur, constamment. Je ne suis jamais à l’aise. Je voudrais partir vivre
en Israël. Pour le moment, ce n’est pas possible parce que mon mari travaille à Anvers.
Dans une dizaine d’années, si tout va bien… Il y a beaucoup d’antisémitisme à Anvers.
J’ai l’impression que ça pourrait recommencer à tout moment. Alors, je suis de près les
informations sur la situation politique, mais je guette aussi les faits divers. Je suis très
attentive aux faits divers racistes. Il faut rester vigilant. Vous savez, des informations
comme le fait qu’un cimetière juif a été vandalisé et des tombes profanées, ce genre de
chose. Le seul endroit où je me sens bien, c’est en Israël. »
« Je suis claustrophobe depuis une dizaine d’années. Ma première crise d’angoisse
s’est produite alors que j’étais dans un train. Le train s’est arrêté en rase campagne.
On ne nous a rien expliqué. On était là, à attendre sans rien dire. Personne n’a rien
dit. C’est incroyable, non ? On était comme des moutons de Panurge. Pour eux, les
responsables du train, on était comme du bétail, on n’avait qu’à attendre. Après ça,
pendant plus d’un an, j’ai fait des cauchemars. Je me réveillais en panique dès que
la mort arrivait. Depuis, je n’ose plus prendre le train. Je n’ose plus non plus aller
dans les grands magasins à cause de portes automatiques. On ne sait jamais, elles
pourraient tomber en panne. Je n’ose plus emprunter les ascenseurs de peur qu’ils
restent bloqués. Je n’ai pas confiance en eux, dans tous ces gens soi-disant respon-
sables. Je ne peux pas confier ma personne à ces gens-là. Il y a des tas de choses que
je n’ose plus faire, des tas d’endroits où je n’ose plus me rendre. Je redoute toutes
les situations où je me sens coincée. Il faut toujours que je sache où est la sortie, il
faut toujours que je puisse m’enfuir. Et quand il fait noir, c’est pire encore. Je n’ose
plus accompagner mes enfants dans certaines attractions comme la maison hantée
à Euro Disney, je n’ose plus aller au car wash, j’ai peur des tunnels. J’ai l’impression
qu’on est comme des taupes, qu’on rampe comme des taupes. J’ai l’impression d’être
enterrée vivante. C’est comme un trou noir. »
« Je pensais que tout cela ne me faisait rien. Oui, ce qui s’était passé (la Shoah) était
atroce, bien sûr, mais c’était du passé. Chaque année, j’accompagnais ma mère à
la commémoration. Pour elle, c’était une épreuve, mais elle voulait absolument y
assister. Elle n’aurait raté ça pour rien au monde. Alors, moi, je l’accompagnais
pour la soutenir. Cette fois-là, je l’ai accompagnée comme toutes les autres fois en ne
pensant à rien de particulier, en ne ressentant rien de particulier. Et tout à coup, j’ai
vu la fumée des trains. Bien entendu, dans la réalité, il n’y avait pas de fumée, mais
je vous jure, je l’ai vraiment vue, cette fumée et j’ai ressenti la souffrance de tous
La victimisation secondaire ■ 65
ces gens qu’on emmenait. Je me suis mise à sangloter. J’étais inconsolable. Comment
vous expliquer ? Les trains, les gens qu’on emmenait, ça se passait réellement à ce
moment-là. Je ne pleurais pas sur le passé, je pleurais les gens qui partaient comme si
ça se passait à ce moment-là. Ma mère ne comprenait pas ce qui m’arrivait. Moi, par
contre, j’ai compris ce qu’elle avait vécu toutes ces années. Depuis, c’est là, en moi. »
3. La victimisation secondaire
Lorsque la victime d’un événement traumatisant est confrontée à une réaction ina-
déquate à l’égard de son statut de victime (en termes de confidentialité et de discrétion,
de sécurité, de reconnaissance, d’écoute, de soutien, de réparation, etc.), on parle de vic-
timisation secondaire. Cette réaction peut émaner d’une personne (famille, voisinage,
connaissances, etc.), des professionnels de l’intervention d’urgence et du personnel
médical, d’une institution (police, justice, services administratifs, etc.), des médias, etc.
Joëlle, victime d’une tentative de viol, raconte : « Les flics ont débarqué au salon. Il y
avait trois combis. Tout le monde qui vous regarde et qui vous écoute, tous les gens
du building qui sont là autour pour savoir ce qui s’est passé… On est déjà mal, on se
sent sale et vous avez des flics devant vous qui vous regardent en se disant : “Mais
qu’est-ce qu’elle raconte ?”. Fourniret avait inventé qu’il avait fait un casse, je leur
ai dit ça et comme il n’y avait pas eu de casse dans la région, ils se demandaient ce
que je leur inventais… Et comme il ne m’avait pas violée… Bref, ils ne me croyaient
pas. Ils étaient froids, pas du tout sympathiques. Et quand mon mari est arrivé… Son
regard, ça fait mal aussi ;… son regard qui se demande s’il y a eu viol ou pas. Quand il
m’a vue, il a été rassuré, mais en même temps, il s’est demandé ce qui s’était passé…
C’était horrible. Et puis, quelques années plus tard, quand Fourniret a été arrêté,
vous avez tous les journalistes qui débarquent chez vous. J’étais complètement
bousculée par cette arrestation. Ça a fait resurgir toute cette histoire de façon vio-
lente et en plus, vous avez tous ces journalistes qui vous posent plein de questions.
Vous ne pouvez plus sortir de chez vous. Après ça, il y a eu le procès. Fourniret a
été jugé en France. On s’est déplacé en France, mon mari et moi. Il est jugé. On se dit
“Ouf ! On va pouvoir laisser ça derrière nous et recommencer à vivre” eh bien non,
le procès n’était pas valable en Belgique et on a dû tout recommencer. »
Une personne inculpée dans une affaire de pédophilie et de meurtre d’enfant a vu
son nom cité à de nombreuses reprises dans les médias jusqu’à ce qu’elle soit inno-
centée… dix ans plus tard !
Un expatrié évacué d’Afrique après un incident grave de sécurité n’est plus autorisé
de repartir à l’étranger par sa société, ce qui compromet son avenir professionnel.
En République démocratique du Congo, les femmes violées sont rejetées par leur
communauté.
Résumé
1 Les traumatismes simples de type I exposent les victimes à un événement unique,
circonscrit dans le temps, imprévisible et d’apparition brutale. Les traumatismes com-
plexes de type II ou III les soumettent à une violence durable, répétée, exempte de
surprise, voire prévisible. Les traumatismes de type III ont la particularité de débuter à
un âge précoce.
2 Le sujet peut être la victime directe d’un événement, c’est-à-dire avoir été confronté
au sentiment de mort imminente, à l’horreur ou au chaos. La victime-sujet a subi
personnellement l’événement traumatisant, la victimeacteur souffre d’avoir facilité
ou provoqué involontairement ou volontairement l’incident et la victime-témoin est
perturbée après avoir assisté, de manière directe ou indirecte, au déroulement d’un
incident frappant un tiers.
3 Le sujet peut être la victime indirecte d’un événement, c’est-à-dire pâtir psychologique-
ment d’une situation vécue par autrui.
4 La traumatisation indirecte se définit comme une souffrance spécifique éprouvée, dans
le cadre privé ou professionnel, par les personnes en relation étroite avec un sujet ou
un groupe de sujets en détresse. La traumatisation secondaire affecte les personnes
en contact direct avec les victimes en situation de crise. La traumatisation tertiaire ou
vicariante et la fatigue de compassion touchent les intervenants de deuxième ligne
en relation avec les victimes directes et leurs proches en détresse. La traumatisation
quaternaire concerne les membres d’un groupe, d’une nation, voire l’ensemble de la
population mondiale, affectés ou perturbés par un événement majeur touchant un
individu ou un ensemble d’individus.
5 Les traumatismes extrêmes peuvent se transmettre d’une génération à l’autre. Le psy-
chotraumatisme des descendants est une « pathologie acquise ».
6 On parle de victimisation secondaire lorsqu’une victime est confrontée à une réaction
inadéquate à l’égard de sa victimisation.
Les paramètres
2
influençant
le développement
des syndromes
psychotraumatiques
« La menace constante de la mort ne peut guère enseigner
que deux choses : avoir peur et mourir. »
Stig Dagerman, Automne allemand
SOMMAIRE
à mon fils, mais sur le moment… Vous savez, ça dure une fraction de seconde. On n’a
pas le temps de réaliser, ça va très vite. Après, j’ai encore eu peur parce qu’ils étaient
nerveux. Une balle, ça part vite ! On voyait bien que ce n’était pas leur premier
coup, mais on voyait bien aussi que ce n’était pas des tout grands du banditisme.
Et je me disais que ça pouvait vite partir en sucette. Au moindre couac et pfft !, ils
perdent les pédales et c’est fini. »
Charline, victime de l’attentat terroriste à l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016
témoigne : « J’ai entendu la première explosion et j’ai crié : “C’est une bombe ! Tout le
monde à terre !” Et puis, il y a eu la deuxième explosion. C’est devenu tout sombre…
le bruit, la poussière, des choses qui tombent sur toi… et puis, ce calme malsain pen-
dant quelques seconds… et après, les gens ont commencé à crier. Je me suis levée, il
y avait des débris de verre partout, des blessés, le plafond était tombé sur le sol…
et je pensais qu’on allait nous tirer dessus ».
Lors de catastrophes naturelles, des personnes ont dû attendre les secours dans des
conditions difficiles sans certitude de l’arrivée de l’aide dans un délai suffisant pour
garder la vie sauve.
Une jeune femme victime du séisme en Haïti raconte : « J’avais la jambe écrasée
par une poutre. Je savais que si on ne venait pas, j’allais mourir. Ma sœur était déjà
morte à côté de moi. Pour elle, ils n’étaient pas arrivés assez tôt… Je l’ai vue mourir et
je n’ai rien pu faire. Je lui ai parlé tout le temps. Je lui disais de ne pas s’inquiéter, je
lui disais qu’on allait nous trouver et qu’on allait l’emmener à l’hôpital et qu’on allait
bien la soigner. Je crois que j’ai parlé bien après qu’elle soit morte. Et je me disais
que moi aussi j’allais mourir, j’allais la suivre, mais à moi, personne ne parlerait… »
Parmi les situations les plus dramatiques, citons les conflits armés et leur cortège
d’atrocités telles qu’avoir été menacé de mort, avoir été grièvement blessé, avoir
échappé à des mitraillages, des pilonnages d’artillerie ou à des bombardements aériens,
avoir été incarcéré dans des camps de concentration et d’extermination, s’être trouvé
sans abri, sans nourriture ni protection, avoir été jeté sur les chemins de l’exode dans
des conditions dangereuses, etc.
En République démocratique du Congo, un expatrié est menacé de mort par un mili-
taire autochtone qui croit reconnaître en lui un paracommando de la Légion étrangère
intervenu contre ses troupes à Kolwezi.
Un ancien captif bosniaque du camp de Keraterm livre le témoignage suivant :
« Ça a commencé à se savoir que dans le camp, il y avait beaucoup d’horreur. Il y
a eu de nouveaux arrivants. On a libéré une salle pour eux et pendant trois jours,
nous, les autres prisonniers, on n’a pas pu sortir des pièces où nous étions détenus.
On est resté enfermé dans le hangar. Nous entendions des coups de feu, les mitrail-
lettes et les cris des blessés. En trois jours, il y a eu à peu près 400 exécutions.
On se demandait constamment quand allait arriver notre tour. »
70 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement
Une rescapée du génocide rwandais raconte que les Hutus l’ont poussée dans les
latrines, taillé en pièces à la machette ses quatre enfants et jeté leurs morceaux sur
elle.
• Le franchissement des limites du règne humain par des actes contre nature
tels que cannibalisme, rapports sexuels avec des animaux, etc.
En 1972, à la suite d’un accident d’avion, une équipe de rugby uruguayenne se
trouva isolée plus de deux mois dans la cordillère des Andes. Les 16 rescapés
durent leur survie à la décision qu’ils prirent de se nourrir des cadavres de leurs
compagnons décédés.
Une assistante sociale révèle : « On a arrêté ce type un peu par hasard. Sa femme
est tombée dans les pommes en revenant d’avoir été conduire ses enfants à l’école et
là, tout s’est mis en marche, enquête sociale et tout le tremblement. Les enfants ont
été placés, le père mis en prison et la mère, elle, elle est complètement traumatisée.
Ils avaient deux grands chiens. Elle raconte que son mari l’obligeait à faire ça avec
les chiens… »
Les outrages aux valeurs religieuses. Des personnes peuvent être contraintes par
les circonstances à proférer des paroles et à accomplir des actes blasphématoires, à
se livrer à des rapports sexuels considérés comme impies (par exemple, la sodomie
dans le monde musulman) ou être suppliciées par leurs agresseurs (crucifixion des
catholiques, inscription dans leur chair au fer rouge ou au couteau de symboles
religieux), etc.
« Les violences sexuelles étaient rares, mais quand elles avaient lieu, on était obligé
par les Serbes de faire ça entre nous. On est musulman, vous comprenez ? C’est ça
qui les amusait, c’est que c’était des musulmans entre eux, obligés. » nous dit un
survivant bosniaque du camp d’Omarska.
1. Les matières excrétées du corps ne doivent pas y retourner (selles, urine, vomissure) et les subs-
tances externes impropres à la consommation ne doivent pas y pénétrer. Dans la torture, cet axe
dedans (corps de la victime) -dehors est fréquemment inversé.
72 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement
brûler un drapeau, etc.) et être soumises à des sévices tels que l’inscription
de symboles dans leur chair (par exemple, « U » pour Ustachi2 gravé dans la
chair des Croates), etc.
1.1.4. Le viol
Le viol compte parmi les expériences les plus traumatogènes tant pour les femmes
que pour les hommes3. Les études montrent que les troubles psychotraumatiques sont
plus marqués lorsque la victime a été violée par un inconnu, qu’elle a été menacée par
une arme, qu’elle a subi des brutalités et qu’elle a été blessée grièvement (Bownes et al.,
1991 ; Resnick et al., 1993).
Une jeune musulmane émigrée est violée en guise de représailles par cinq hommes
de sa communauté pour avoir éconduit l’un d’entre eux.
À la sortie d’un débit de boisson bruxellois, une femme est enlevée par deux mal-
frats, emmenée dans un appartement et violée durant deux jours et deux nuits
avant d’être relâchée.
Durant la guerre en ex-Yougoslavie, les détenus des camps de concentration étaient
contraient d’entretenir entre eux des rapports sodomiques sous l’œil attentif et
goguenard de leurs gardes serbes.
Durant le génocide rwandais, les femmes étaient violées devant leur mari et leurs
enfants.
Depuis la fin des années 1990, dans l’Est de la République démocratique du Congo,
des jeunes femmes sont enlevées dans les villages par des combattants des forces
rebelles et utilisées comme esclaves sexuelles par les troupes.
2. « U » pour « Ustaše », Oustachis en français (« les Insurgés »), mouvement nationaliste et fasciste
croate, fondé en 1929 par Ante Pavelić. Durant la Deuxième Guerre mondiale, les membres de l’orga-
nisation ont exterminé plusieurs centaines de milliers de Serbes, de Juifs, de Tsiganes et d’opposants,
notamment les communistes croates.
3. Voir le chapitre « La prévalence des troubles psychotraumatiques ».
4. Voir ibid.
Les variables liées à l’événement ■ 73
(Jehel, Paterniti, Brunet et al., 2003 ; Verger, Dab, Lamping et al., 2004) et après
l’attaque à l’explosif à Oklahoma City (North et al., 1999) confirment ces résultats.
Les blessures sont d’autant plus traumatogènes qu’elles sont graves, douloureuses,
étendues, inesthétiques et visibles (par exemple, lorsqu’elles sont localisées au visage).
Les coups reçus, les accidents, les mutilations, les agressions, les tortures, etc. peuvent
également engendrer des handicaps graves et incapacitants tels des amputations, des
paralysies, des douleurs, une cécité ou une surdité ayant pour conséquence des diffi-
cultés ou une impossibilité de marcher, de s’asseoir, de se pencher, de saisir des objets,
de voir, d’entendre, etc. Les cicatrices et les invalidités sont des stigmas indélébiles ;
tout au long de la vie de la victime, ils recèlent le pouvoir d’évoquer le traumatisme.
« Mes cicatrices, c’est laid, c’est horrible. C’est comme s’il me manquait quelque
chose. C’est comme si ces parties étaient un peu mortes, même au toucher. Avant,
je n’osais pas aller à la piscine. Maintenant, ça, ça va, mais je ne veux pas que ma
femme les touche. C’est pour ça que je ne veux pas qu’elle me prenne dans ses bras.
Même à travers mes vêtements, je ne veux pas qu’elle les touche. C’est comme des
parties mortes. Quand je les vois, je pense tout de suite aux tueries » nous dit Jean,
grièvement blessé dans une fusillade.
5. Voir les différentes études citées par Jolly (2003) et Ducrocq (2009).
Les variables liées à l’événement ■ 75
Je revois sans cesse cet homme, écrasé… Je n’arrête pas de me demander pourquoi
ce type ne s’est pas arrêté… Je me demande ce que j’aurais pu faire de plus. »
Géraldine rapporte le meurtre perpétré par l’homme qu’elle a éconduit quelques
jours avant le drame : « J’ai croisé Kenneth dans la rue. On ne s’était plus vu depuis
des années. On était super contents de se revoir. Comme j’avais des sacs de courses,
il m’a proposé de me ramener chez moi et moi, ça me faisait plaisir de lui montrer
mon appartement. On était en train de boire un coca dans la cuisine quand mon ex
a frappé à la porte. Je lui ai dit de s’en aller… Il était super énervé. Il a dit qu’il allait
défoncer la porte… Et il a défoncé la porte. C’est du véritable carton, cette porte !
Je n’aurais jamais cru qu’on puisse défoncer une porte comme ça, en donnant seu-
lement deux coups de pied… Il est entré et il a tiré sur Kenneth, comme ça, à bout
portant, Pan ! Pan !… Oh, c’est affreux ! »
Les professionnels de première ligne intervenant auprès des victimes ne sont pas à
l’abri des répercussions traumatiques de l’horreur et de l’effroi inspirés par la vision
de blessures délabrantes.
Des médecins et des infirmiers nationaux et expatriés intervenus après le trem-
blement de terre en Haïti restent perturbés par la vision des plaies des rescapés,
purulentes, verdâtres, infestées de vers et nécrosées, ainsi que par le souvenir des
enfants et des adultes qu’ils ont dû amputer.
76 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement
Le personnel des services de secours reste marqué par les nombreux blessés griè-
vement brûlés qu’ils ont secourus après la catastrophe industrielle survenue en
Belgique à Ghislenghien ainsi que par les corps sans vie sévèrement mutilés.
Secouristes, pompiers et soignants sont arrivés rapidement sur les lieux des attentats
de Paris et de Bruxelles. L’ampleur inhabituelle du drame, le grand nombre de blessés
et de personnes décédées et l’état de délabrement des corps sans vie ont éprouvé ce
personnel. D’autres facteurs ont également contribué à leur souffrance. Retenons le
stress d’être intervenus dans une situation non sécurisée, la complexité d’avoir dû
aider plusieurs blessés simultanément, la contrainte d’avoir disposé d’insuffisamment
de temps pour les réconforter et les rassurer ainsi que la difficulté d’avoir dû aban-
donner à leur triste sort les victimes mortellement atteintes pour lesquels leurs efforts
auraient été vains.
physique (sans pouvoir boire, manger, se mouvoir, en étant parfois blessé et en souf-
frant douloureusement, etc.) et environnemental (emprisonnement dans des espaces
clos, poussiéreux, inondés, accablants de chaleur ou glacés, etc.).
Ysaline raconte : « Alain (son compagnon) a perdu le contrôle du véhicule. La voi-
ture s’est encastrée dans un poteau. Ma jambe a été broyée, j’ai eu sept côtes cassées
et quatre fractures à la mâchoire. Ça vous donne une idée du choc… Alain, lui, n’a
rien eu, juste quelques égratignures. Moi, je suis restée coincée dans la voiture. J’ai
dû attendre plusieurs heures que les services de secours parviennent à me désin-
carcérer. Je ne pouvais qu’attendre. Je ne pouvais rien faire. J’étais complètement
impuissante. Au début, j’étais encore sous le choc, je n’avais pas trop conscience
de ce qui se passait, je n’avais pas trop mal, mais quand la douleur a commencé,
ça a été l’enfer. Je me suis rendu compte que j’avais du sang partout, j’ai réalisé que
je ne pouvais plus bouger. Je ne me souviens pas de tout. Alain me dit que j’étais
très agitée. Il paraît que je criais que je perdais tout mon sang et que j’allais crever si
on ne me sortait pas de là tout de suite. Personne ne parvenait à me calmer. J’étais
comme folle. Et je ne pouvais pas bouger parce que j’étais coincée, mais aussi parce
que le moindre mouvement me faisait un mal atroce. »
Un rescapé a attendu deux jours avant d’être dégagé des éboulis provoqués par un
tremblement de terre.
Les événements extrêmes et prolongés tels les prises d’otage, les combats incessants,
le siège d’une ville, les bombardements répétés, etc. peuvent également avoir de pro-
fondes répercussions, possiblement pérennes, sur la santé mentale des individus. Par
exemple, une étude épidémiologique signale que le risque de souffrir d’un PTSD (Post-
Traumatic Stress Disorder) chez les prisonniers de guerre détenus dans les camps
soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale s’accroît avec la durée de détention.
73,4 % des captifs incarcérés plus d’un semestre présentent de troubles traumatiques
contre 61,7 % de leurs pairs libérés dans un délai de six mois (Crocq, Hein et al., 1992).
Dans l’Est du Congo, des jeunes filles sont enlevées et séquestrées durant de longs
mois dans les campements des forces d’opposition.
Régulièrement, des journalistes et des humanitaires sont retenus en otage pour des
raisons politiques.
Il semble toutefois que l’adaptation émotionnelle soit possible si les situations poten-
tiellement traumatiques se produisent à intervalles espacés. Par exemple, dans les
conflits armés, pour peu qu’ils n’aient pas été directement exposés à la menace, que
leur habitation n’ait pas été touchée et que leurs proches aient été épargnés, les civils
confrontés aux bombardements deviennent plus aptes à traverser ultérieurement
des expériences similaires à condition que la fréquence de telles situations soit rela-
tivement faible (Brunet, 1996). Le temps pourrait atténuer l’impact post-traumatique
permettant ainsi dans le futur de faire face adéquatement à des situations analogues.
Rejoignant l’adage populaire selon lequel le temps guérit les blessures, Charles Figley
émet l’hypothèse que pour certaines personnes dans certaines circonstances, le stress
s’évaporerait au fil des jours6.
À la différence des pays installés en état de guerre chaude, les personnes vivant dans une
région agitée par la violence sociopolitique (terrorisme, conflit chronique) connaissent
des périodes de relative sécurité. Par exemple, les dangers8 pour la population civile
avec ses dents. Parce que ces deux hommes, c’était des amis, ils vivaient dans le même
village. Ils faisaient tous les deux du karaté. Avant la guerre, ils étaient dans le même
club de karaté. Un Serbe avait une main sur la bouche de l’homme à qui on arrachait
les couilles pour l’empêcher de crier. Un autre garde avait un couteau sur l’œil de
celui qui devait arracher. Il disait à cet homme que s’il criait, il lui sortirait son œil. Et
vous savez, le garde serbe qui a obligé les hommes à se faire ça, il connaissait les deux
musulmans. Il venait du même village qu’eux. Le Serbe, en fait, c’était le patron du
café du club de karaté. Après, quand c’était fini, l’homme est mort d’une hémorragie.
Et nous, on a vu ça. »
Les Français et les Belges ont été la cible d’attentats terroristes qu’ils ont perçus
comme une atteinte à leurs valeurs et leurs modèles culturels. Ils ont eu le sentiment
d’avoir été attaqués « pour ce qu’ils sont ».
De nombreux réfugiés et déplacés internes d’un conflit armé trouvent refuge dans
des camps surpeuplés, peu hygiéniques et offrant un accès limité à l’eau et à la
nourriture.
Les personnes ayant fui leur pays ravagé par la guerre, émigré dans les pays occi-
dentaux sont souvent longuement en attente de l’acceptation aléatoire du statut de
réfugié.
Un grand nombre de femmes violées durant le génocide rwandais ont été contami-
nées par le virus du SIDA.
En Haïti, après le séisme, les rescapés se sont trouvés à vivre dans la rue ou dans des
camps de fortune. Les moins chanceux n’avaient même pas une bâche sous laquelle
s’abriter. L’hygiène était inexistante. Une odeur pestilentielle émanait des coins où les
personnes faisaient leurs besoins. La nourriture et l’eau manquaient. Il n’y avait plus
d’électricité, de moyens de communication, d’écoles, de magasins, d’ateliers, de bureaux,
d’usines et d’hôpitaux. Les prix des transports, de la nourriture, du carburant et des
loyers avaient augmenté de manière importante. À ces conditions difficiles s’est ajoutée
l’insécurité. Quatre mille personnes se sont évadées des prisons et de nombreux poli-
ciers ont été tués durant le séisme. La reconstruction du pays va prendre des années.
« Quand est-ce que je vais pouvoir à nouveau entrer dans une maison, quand est-ce
que je vais pouvoir à nouveau prendre un bon repas, quand est-ce que je vais pouvoir
à nouveau pouvoir prendre un bain chaud, quand ? », me demande un rescapé.
2.1. Le genre
Tous incidents critiques confondus, les femmes sont moins fréquemment victimes
d’expériences traumatiques que les hommes. Toutefois, selon la nature des événements,
cette disparité s’accroît ou s’inverse. Ainsi, les hommes sont plus souvent victimes
d’agressions physiques, d’accidents graves, d’incidents liés aux combats militaires et
témoins du spectacle de la mort d’autrui ou de blessures graves infligées à un tiers.
Les femmes rapportent davantage d’agressions sexuelles et de maltraitance durant
l’enfance (abus et négligences) (Breslau et al., 1991 ; Kessler et al., 1995 ; Perkonigg et
al., 2000 ; Stein, McQuaid et al., 2000 ; Jolly, 2003).
84 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement
Après avoir vécu un même événement, les femmes risquent deux fois plus que les
hommes de souffrir d’un état de stress post-traumatique (Breslau et al., 1991 ; Kessler
et al., 1995 ; Davidson et al., 1991 ; Helzer et al., 1987 ; Perkonigg et al., 2000 ; Alonso
et al., 2004 ; Vaïva et al., 2006 ; Tolin, Foa, 2006); elles développent des tableaux plus
sévères et d’une durée plus longue que leurs pairs masculins (Breslau et al., 1998).
Différentes hypothèses sont émises pour expliquer la vulnérabilité liée au sexe féminin.
Des caractéristiques sociales et culturelles ainsi que des spécificités biologiques et hormo-
nales10 comptent probablement au nombre des explications. Des facteurs émotionnels,
cognitifs et comportementaux pourraient également jouer un rôle. Confronté à une
situation inhabituelle, un individu se livre à une première évaluation (évaluation pri-
maire) et détermine s’il est en sécurité ou en danger. Si la situation se révèle menaçante,
il opère une deuxième estimation (évaluation secondaire11) et juge s’il possède les moyens
d’agir efficacement (fuir, se défendre, trouver de l’aide, etc.). Si sa conclusion s’avère
négative, il éprouve généralement de l’effroi, de la terreur, des sentiments d’horreur ou
d’impuissance fortement susceptibles d’engendrer des symptômes dissociatifs immédiats
et des troubles traumatiques ultérieurs12. Or, plus souvent que les hommes, les femmes
évalueraient insuffisantes les ressources dont elles disposent pour contrer les situations
délétères. Des spécialistes en neuropsychologie ont montré que les femmes sont plus
susceptibles de se dissocier que les hommes, ce qui expliquerait aussi la probabilité plus
grande de développer un syndrome psychotraumatique (Schore, 2002 ; Perry, 1996).
Par ailleurs, les individus manifestent des symptômes différents selon leur genre.
Les hommes présentent davantage de symptômes externalisés (abus de substances
psychoactives, irritabilité, crises de colère, comportement violent, passages à l’acte
agressif, etc.) et les femmes des désordres internalisés (dépression, anxiété, plaintes
somatiques, passage à l’acte suicidaire, isolement, sentiments de culpabilité, auto-
accusations, etc.) (Tolin, Foa, 2006). Ces différences trouveraient leur origine dans les
processus adaptatifs privilégiés selon le sexe. Les hommes adoptent plus souvent des
stratégies de coping centrées sur le problème13 et les femmes des stratégies centrées
sur l’émotion14. Nous l’avons vu, les femmes ont plus souvent que les hommes l’impres-
sion, objective ou subjective, que la situation est incontrôlable. Or, face à une situation
d’indigence, l’individu tente de gérer ses problèmes émotionnels alors qu’il favorise les
stratégies centrées sur le problème lorsqu’il pense la situation maîtrisable.
10. Certains soutiennent que les œstrogènes pourraient jouer un rôle (Charnet, 2004).
11. Évaluation primaire et secondaire selon les théories de Lazarus et Fokman (1984).
12. Voir le chapitre consacré aux réactions face à un événement traumatique.
13. Cette stratégie vise à réduire les exigences de la situation et/ou à augmenter ses propres res-
sources pour mieux y faire face. La résolution du problème (recherche d’informations, élaboration de
plans d’action) et l’affrontement de la situation (efforts et actions directs pour modifier le problème)
sont des illustrations de ce type de coping (voir Bruchon-Schweitzer, 2001).
14. Il vise à gérer les réponses émotionnelles induites par la situation. Éviter et fuir, se sentir res-
ponsable (auto-accusation), exprimer ses émotions (colère, anxiété, etc.), minimiser la gravité de la
situation ou la réévaluer positivement, nier la réalité (pensée magique, dénégation), rechercher du
soutien émotionnel sont quelques exemples de ce type de coping (voir Bruchon-Schweitzer, 2001).
Voir également le sous-chapitre « Les stratégies d’adaptation ».
Les variables liées à l’individu ■ 85
15. On entend par émotionnalité, une réactivité émotionnelle intense (voir Buss, Plomin, 1984).
16. Voir les différentes études citées par Guay, Marchand (2007, p. 56).
17. Voir supra, p. 81.
Les variables liées à l’individu ■ 87
Certaines personnes, grâce à la formation professionnelle dont elles ont bénéficié sont
moins à risque de développer un traumatisme. Ainsi, les militaires et les profession-
nels des services de secours (pompiers, policiers, etc.) qui se portent volontairement
au-devant du danger, sont plus aptes à gérer leurs émotions et leur comportement
qu’un banal civil plongé dans les mêmes situations. L’apprentissage et l’entraînement
reçus induisent des restructurations cognitives : ils conceptualisent la situation
aversive (évaluation primaire) de manière différente (par exemple, le danger est
perçu comme un défi et non comme un péril mortel), ils évaluent les risques plus
efficacement et acquièrent les aptitudes nécessaires pour les contrer (comportement
mieux adapté, nouveaux gestes appris, etc.). Disposant des ressources utiles, leur
évaluation secondaire18 se conclut positivement (« Face à ce danger, je suis en mesure
d’agir efficacement »), ce qui entraîne une autorégulation émotionnelle et la mise en
œuvre de stratégies visant à maîtriser la situation (mécanismes de coping centré sur
le problème).
Les journalistes de guerre et les humanitaires choisissent eux aussi délibérément de
s’investir dans des contextes dangereux. Ils ne sont pas formés à affronter la menace
par des comportements offensifs (par exemple, par l’usage d’une arme), mais déve-
loppent leur capacité à éviter les situations les plus périlleuses (évaluation primaire
pointue, notamment par le repérage des signes précurseurs de danger) et le cas
échéant, à réagir adéquatement (fuite, négociation, etc.). Confiants dans l’efficacité de
leurs ressources (évaluation secondaire), ils font face hardiment à la situation.
La compétence de ces différents corps professionnels ne les protège pas complètement
d’une implication émotionnelle (par exemple, en cas de décès brutal de collègues, de
meurtres d’enfant, de catastrophes de grande ampleur, etc.) ni d’un véritable trauma-
tisme. Ainsi, si leur vie a été directement menacée, ils courent un risque important de
développer des réactions psychotraumatiques19.
Dans les contextes de guerre et de terrorisme, les civils sont également exposés de
manière récurrente à des événements hautement stressants et potentiellement trau-
matiques. Après avoir développé des stratégies de lutte efficaces20 (par exemple, aide
mutuelle, échange d’information, radio-émetteurs dans les véhicules, etc.), certains
deviennent plus aptes à affronter des situations similaires et en conséquence, plus
confiants en leur capacité à les gérer (évaluation secondaire). Toutefois, nous l’avons
vu21, une longue exposition à une insécurité chronique risque d’altérer les évaluations
du risque tant primaire (estimation amoindrie ou déni de la menace vitale) que secon-
daire (appréciation erronée des compétences personnelles, en raison, par exemple, d’un
sentiment d’invulnérabilité) et induire des processus d’adaptation pathologiques.
Dans d’autres cas, le sujet peut être pris dans un dilemme entre agir pour une noble
cause, par exemple l’intérêt supérieur d’un groupe de personne ou d’une nation, et le
respect de convictions personnelles.
Pour obtenir les informations nécessaires à la capture d’un narcotrafiquant dans
un pays producteur de drogue, le membre d’un corps d’élite gouvernemental infiltre
Les variables liées à l’individu ■ 89
un réseau de dealers. Durant 6 mois, il leur vend de la drogue. « C’est des gamins qui
allaient acheter cette crasse. Bien sûr, si je l’ai fait, c’est pour arrêter un gros poisson.
Ici, on ne parle pas de quelques grammes, on parle de centaines de kilos… Je sais que je
l’ai fait pour une bonne cause. Au moins, ce trafic est démantelé et les gars sont sous les
verrous pour très longtemps, mais je ne peux pas m’empêcher de penser à ces gamins.
Les gamins qui achètent ça, vous savez ils ont plus ou moins l’âge de mon fils… »
22. Pour le coping orienté vers la tâche, l’émotion, l’évitement et la personne, voir Endler, Parker
(1990); pour les coping vigilant et évitant, voir Suls, Fletcher (1985).
90 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement
Les études ont montré que la présence, la fréquence et la sévérité des symptômes
traumatiques manifestés par les militaires sont corrélées positivement au recours à
des stratégies centrées sur l’émotion et négativement à l’usage de stratégies orientées
vers le problème23. Comparés aux processus visant la distanciation et l’évitement, les
modes de coping actif protégeraient donc davantage du traumatisme psychique, tant
au moment de l’exposition à l’événement délétère qu’après.
Un coping primaire centré sur l’émotion peut se révéler salvateur lorsque la victime
est démunie de tout moyen d’action.
Bruno Bettelheim rapporte que dans les camps de concentration nazis, les détenus
les plus fervents se retranchaient dans un monde imaginaire où ils étaient pleinement
exaucés. Ils résistaient ainsi aux manœuvres des geôliers visant à détruire en eux tout
espoir d’exercer une influence sur leur sort et survivaient plus longtemps que leurs
pairs, les « musulmans »24, qui s’étaient ralliés au projet génocidaire formé contre eux.
On ne peut exclure qu’un coping secondaire centré sur l’émotion puisse s’avérer béné-
fique quand rien ne peut prévenir un dommage (par exemple, se divertir pour une
personne atteinte d’une maladie mortelle).
Les événements traumatiques invalident brutalement ces schémas cognitifs. Plus ils
sont ancrés et plus l’impact d’un événement risque d’être traumatique. L’imprévisibilité
du drame fait disparaître le sentiment de sécurité (le monde est insensé et abonde de
dangers), l’intentionnalité des violences subies rompt le lien de confiance à autrui
(les autres sont mauvais, injustes, indignes de confiance) et la position de victime
désagrège l’image idéale qu’ils s’étaient forgée d’eux-mêmes (ils se sont vus faibles,
dénués de moyens d’action, pleutres, assumant égoïstement leur sauvegarde, etc.).
L’effondrement des croyances de base induit un sentiment généralisé de perte de
contrôle (en particulier par rapport à la survenue de nouveaux événements aversifs)
et de vulnérabilité personnelle inaugurant l’apparition de symptômes anxieux et de
comportements d’évitement.
Dans le cadre de ses activités professionnelles, une psychologue se rend au domicile
d’un agent d’une firme de gardiennage pour lui offrir un soutien immédiat après
l’agression à main armée qu’il a subie dans le cadre de ses activités professionnelles.
En le quittant, elle se fait agresser violemment par un malfrat qui lui vole son sac.
L’agression est vécue comme une injustice et remet en question la marche du monde
(« Si j’aide mon prochain, il ne peut m’arriver que de bonnes choses »).
Au cours d’une ronde, un gardien de sécurité est agressé par trois malfaiteurs qui
tentent de s’introduire dans le bâtiment. Il a le sentiment de ne plus être un homme,
car il n’a pas pu se défendre.
Les personnes qui ont un passé traumatique (maltraitées dans leur enfance, exposées
à la guerre, etc.) ne partagent pas la croyance d’un monde amical. Elles sont générale-
ment convaincues d’évoluer dans un univers dangereux sur lequel elles n’ont aucun
contrôle. Tout nouvel incident traumatique confirme ces croyances, ce qui favorise le
renforcement de leur anxiété et de leurs sentiments dépressifs.
Les variables liées à l’individu ■ 93
25. Nous tenons à souligner que de nombreux parents n’ont jamais approuvé le suicide sacrificiel de
leurs enfants. Ces dernières années, plusieurs milliers de jeunes radicalisés sont partis rejoindre les
rangs des groupes islamistes radicaux et leurs parents luttent contre ces pratiques.
94 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement
Dans les événements extrêmes, la recherche de sens peut s’avérer néfaste. En effet, le
syndrome post-traumatique et les désordres associés sont générés tant par l’expérience
subie que par la façon dont le sujet l’a perçue. S’il est persuadé que ses malheurs sont
inhérents au fait qu’il évolue dans un monde menaçant et imprévisible, ses sentiments
d’efficacité et de contrôle s’en trouvent ruinées, ce qui le prédispose aux troubles
anxieux (hypervigilance, anxiété généralisée, etc.) et dépressifs (détresse, sentiment d’im-
puissance et de vulnérabilité, défaite mentale devant le danger, etc.). S’il se blâme et juge
durement son attitude ou son comportement pendant et/ou après le déroulement des
faits, les risques de le voir manifester des symptômes dépressifs tels culpabilité, honte,
déshonneur, mésestime, perte de confiance en soi, ruminations mentales, etc. sont réels.
Il semble que plus les victimes effectuent des attributions internes, stables et globales,
plus la probabilité qu’elles développent des symptômes traumatiques et co-morbides
est importante (Gold, 1986 ; Daigneault et al., s.d. ; Tangney et al., 1995). Une automo-
biliste qui explique l’accident qu’elle a provoqué en se disant « Ça devait m’arriver, je
suis tellement stupide ! » impute sa situation à une cause interne (elle-même), stable
(sa stupidité est une caractéristique permanente) et globale (sa stupidité affecte tous
les domaines de vie). Elle court davantage de risque de se culpabiliser et de souffrir
d’un syndrome traumatique qu’une conductrice qui attribue sa situation à une cause
externe (« Le temps était mauvais »), instable (« C’est un accident. J’ai glissé sur une
plaque de verglas. Ça peut arriver à n’importe qui ») et spécifique (« Je ne suis pas
habituée à conduire sur la neige et le verglas »).
Comme pour d’autres explications causales négatives, la culpabilité en tant qu’attri-
bution interne, stable et globale (« Je suis coupable de cette situation comme je le suis
pour tout ce qui m’arrive dans la vie ») prédit, dans l’immense majorité des cas, une
évolution péjorative du traumatisme. L’auto-accusation peut aussi être secondaire à un
fait précis (« Je suis coupable, car dans cette situation, j’ai manqué de courage, d’intel-
ligence, d’esprit d’à-propos, de prudence, de force, etc. »). Bien que ses effets puissent
être tout aussi délétères que ceux de la culpabilité stable et globale, cette culpabilité
secondaire peut être comprise comme étant un effort cognitif adaptatif visant à donner
sens à l’événement et à s’en réapproprier la maîtrise (« Je suis coupable, car je me suis
comportée de manière inadéquate. À l’avenir j’éviterai ce type d’attitude ou de com-
portement et plus rien de dommageable n’adviendra »).
Après un drame où deux de ses collègues ont péri, un officier pompier nous dit :
« Mes supérieurs me disent que je n’ai rien à me reprocher. L’enquête a montré que
je n’ai rien à me reprocher. Mes hommes me le disent aussi. Tout le monde me le dit.
J’ai eu beaucoup de soutien de tout le monde. Mais moi, je me dis que j’ai commis
des erreurs par défaut de précaution. Si je me dis que ce n’est pas de ma faute, alors
ça veut dire que ça peut se reproduire, qu’il peut encore y avoir des accidents, qu’il
peut encore y avoir mort d’homme. J’ai réfléchi à tout ça et je me dis que c’est pour
ça que je ne parviens pas à lâcher ma culpabilité. Si je me dis que je ne suis pas cou-
pable, ça veut dire que je n’ai pas le contrôle. »
Les variables liées au milieu de récupération ■ 95
26. Voir les méta-analyses : Brewin, Andrews, Valentine (2000); Ozer et al. (2003).
96 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement
et de sécurité. Cette stabilité est malheureusement très souvent compromise dans les
couples et les familles dysfonctionnelles ainsi que dans les contextes de violence col-
lective, d’exode et d’exil.
« Je fais comme si tout allait bien alors que ça ne va pas du tout », confie Esther,
victime d’un sac-jacking27.
27. Vol de sacs à main dans un véhicule en présence de l’automobiliste. Les voleurs, profitant du
ralentissement du trafic routier (feux de circulation, heures de pointe), s’approchent de la voiture,
brisent la vitre côté passager et s’emparent du sac du conducteur (généralement, une femme).
Les variables liées au milieu de récupération ■ 99
leur infortune comme c’est fréquemment le cas dans les agressions à caractère sexuel.
Déconsidérées et rejetées, il est fréquent qu’elles en viennent à s’isoler et à éviter tout
contact menaçant. Elles peuvent sombrer dans la dépression et le désespoir, convain-
cues que leur situation ne pourra jamais s’améliorer. Dans les cas les plus dramatiques,
le rejet communautaire peut conduire les victimes au suicide, surtout si elles sont
privées du soutien de leur famille.
Les Bosniaques, réfugiés en Croatie pendant la guerre de l’ex-Yougoslavie, ont subi
les attitudes hostiles de leur communauté d’accueil, car Bosniaques et Croates
étaient en guerre dans une région du pays.
Les vétérans de la guerre du Vietnam, auteurs d’exactions horribles, mais aussi vic-
times d’une guerre qu’ils ont dû faire, ont subi à leur retour, l’arrogance méprisante
de la société américaine.
Les rescapés arméniens et leurs descendants doivent vivre dans une société qui n’a
jamais reconnu officiellement le génocide de leur peuple.
Dans certains cas, le traumatisme collectif induit un devoir de mémoire. Pour certains,
il est un rempart destiné à ne pas reproduire les erreurs ou les horreurs du passé
et pourrait se traduire par la formule : « Plus jamais ça ! » Vu sous cet angle, il ne
représente pas un obstacle à la résolution des psychotraumatismes. Par contre, pour
d’autres, il s’agit de se souvenir des souffrances endurées par leur peuple, ce qui peut
s’énoncer par le commandement : « Il ne faut jamais oublier ! » Obéir à une telle injonc-
tion ralentit, voire bloque le processus de guérison psychologique.
il est par contre nettement plus rare que les victimes bénéficient rapidement de soins
spécialisés et de l’intervention de professionnels solidaires et bienveillants.
Résumé
1 L’exposition à un événement grave ne suffit pas à lui seul pour engendrer une souf-
france traumatique. L’apparition de symptômes, leur fréquence et leur intensité sont
influencées par les paramètres de l’événement, des facteurs propres à la victime ainsi
que par les caractéristiques du milieu de récupération. Plus les facteurs de risque sont
nombreux, plus l’apparition d’un trouble post-traumatique est probable et potentielle-
ment grave et chronique.
2 La sévérité d’un événement adverse est fonction du degré d’exposition à la mort
(pour soi ou pour autrui), de sa nature (sexuelle, torture et actes de barbarie, trans-
gression de tabous, etc.), des conséquences de toute nature qu’il engendre, de sa
durée, de son risque de récurrence, de sa fréquence, de son caractère imprévisible et
incontrôlable ainsi que de la multiplicité des facteurs potentiellement traumatogènes.
L’intentionnalité d’un individu de recourir à la violence et de causer un préjudice à la
victime ou le refus de lui porter secours ont également des effets fortement pathogènes.
3 La manière dont une victime réagit à un événement délétère est fonction de son genre.
Les femmes risquent deux fois plus que les hommes de souffrir d’un état de stress
post-traumatique. Elles développent des tableaux plus sévères et d’une durée plus
longue que leurs pairs masculins. L’impact traumatique est également dépendant de
la personnalité du sujet, de ses antécédents et de facteurs de vulnérabilité qui lui sont
propres ; de son niveau de préparation psychologique ; de son degré de responsabilité
dans le déclenchement ou le déroulement de l’événement ; de ses croyances de base
sur lui-même, le monde, les autres et l’expérience traumatique ; de ses convictions
religieuses ; de son état mental au moment de l’événement (conflit de conscience et
de culpabilité); des stratégies de coping mises en place pendant et après les faits ainsi
que des bénéfices secondaires générés par la situation.
4 Le maintien et la restauration de l’équilibre psychique des victimes sont influencés
par la qualité des relations familiales, la capacité de soutien de l’entourage direct
(famille, amis, etc.), de l’organisation professionnelle et du réseau social ainsi que par
la disponibilité de soins spécialisés en santé mentale. Un soutien déficient ou néga-
tif constitue un risque majeur de développement, de sévérité et de persistance des
troubles traumatiques.
3La résilience
« Romain Gary a été prisonnier d’un camp allemand pendant la dernière guerre,
reprit EPJ327. Les conditions de survie des détenus étaient à peu près les mêmes
que les nôtres. Je n’ai pas besoin de vous raconter combien c’est inhumain et, pire,
déshumanisant. Contrairement à ici, les sexes étaient séparés. Dans son camp
d’hommes, Gary voyait les détenus, comme lui, devenir de pauvres sauvages,
des animaux souffrants. Ce qu’ils pensaient était une tragédie plus grave que ce qu’ils
enduraient. Leur pire tourment était qu’ils en étaient conscients. Continuellement
humiliés de la portion congrue d’humanité à laquelle ils se trouvaient réduits,
ils aspiraient à la mort. Jusqu’au jour où l’un d’eux eut une idée géniale : il inventa
le personnage de la dame. EPJ327 s’interrompit pour enlever de sa soupe un cancrelat
qui flottait, puis il continua : il décida que désormais ils vivraient tous comme s’il
y avait parmi eux une dame, une vraie, à qui l’on parlerait avec les honneurs dus
à une telle personne et devant qui l’on craindrait de déchoir. Cette construction de
l’imagination fut adoptée par chacun. Ainsi fut fait. Peu à peu, ils constatèrent qu’ils
étaient sauvés : à force de vivre en la haute compagnie de la dame fictive, ils avaient
reconstitué la civilisation. Au repas, où leur nourriture ne valait guère que la nôtre,
ils recommençaient à parler, mieux, à converser, à dialoguer, à écouter les autres
avec attention. On s’adressait à la dame avec égards pour lui raconter des choses
dignes d’elle. Même quand on ne lui parlait pas, on s’habituait à vivre sous son regard,
d’avoir une attitude qui ne désole pas de tels yeux. »
Amélie Nothomb, Acide sulfurique
SOMMAIRE
La vie de Sabine est émaillée d’épreuves depuis son adolescence. Elle n’avait que
douze ans lorsque sa mère est tombée gravement malade et seize lorsqu’elle est
décédée. Après les funérailles, son père a quitté le domicile familial pour s’installer
à l’étranger l’abandonnant à son sort, sans personne pour prendre soin d’elle. Sa voi-
sine, une psychotique délirante, l’a harcelée et menacée jusqu’à son décès survenu
trois ans plus tard. Malgré les difficultés, Sabine a poursuivi ses études, est devenue
une brillante ingénieur, s’est mariée et a eu un enfant. L’an dernier, elle a été victime
pour la deuxième fois d’un car-jacking violent. Récemment, elle a fait une chute
dans les escaliers qui ne lui a heureusement occasionné que quelques blessures
sans gravité. Elle raconte : « C’est horrible parce que vous avez le temps de vous
rendre compte que vous allez mourir. Je me suis dit : “Voilà, c’est fini, je vais mourir.
Je ne verrai plus ma fille et mon mari.” Comme d’habitude, je m’en suis sortie, je ne
sais pas comment. Pendant une semaine, j’ai fait une fixation sur les escaliers, mais
j’ai surmonté tout ça avec beaucoup d’énergie. Les choses comme ça, bizarrement,
j’arrive à les prendre. Je fais beaucoup de choses pour m’en sortir. J’ai de l’activité.
Quand il m’arrive des trucs comme ça, je ne me laisse pas faire. Je ne sais pas pour-
quoi je suis comme ça. Il y en a qui descendent quand il leur arrive un truc comme
ça et moi, je monte ! Enfin, si je puis dire en parlant de tomber dans les escaliers ! »
récemment, dans les années 1990, que les experts francophones des sciences humaines
se sont approprié ce terme.
En physique, la résilience définit la résistance des matériaux aux chocs et leur capacité
à retrouver, totalement ou partiellement, leur structure initiale après compression
ou torsion. Le terme trouve également des acceptions en informatique, en économie,
en écologie et dans domaine de la gouvernance. Transposé à la psychologie, il désigne
l’aptitude d’un sujet à conserver et/ou à restaurer son équilibre psychique après avoir
traversé un événement délétère.
9. Peu après la Seconde Guerre mondiale, suite à l’observation d’enfants précocement séparés de leur
mère, René Spitz a décrit la dépression anaclitique et l’hospitalisme.
10. Nous renvoyons le lecteur intéressé par la question de l’attachement à Josse (2011).
11. Soulignons que les auteurs n’ont jamais rien prétendu de tel.
Différentes définitions ■ 105
mères schizophrènes montrent que certains d’entre eux se développent sans signes de
détresse psychique (Luthar, Cicchetti, Becker, 2000).
La fin des années 1980 marque une étape décisive dans l’élaboration du concept de
résilience. Les travaux des psychologues américaines Emmy Werner et Ruth Smith
ainsi que ceux du pédopsychiatre anglais Michaël Rutter jouent un rôle prépondérant.
En 1955, Emmy Werner et Ruth Smith débutent une recherche longitudinale sur des
enfants défavorisés et maltraités de l’île hawaiienne de Kauai qu’elles publieront en
1989. Au terme de l’étude, trente ans plus tard, elles constatent que 80 % d’entre eux
ont évolué favorablement en dépit de leur milieu familial et social à haut risque patho-
génique. Michaël Rutter, quant à lui, s’attache dans une recherche publiée en 1987, à
repérer les facteurs de protection favorisant la résilience psychosociale (Rutter, 1987).
Le concept de résilience éveille de plus en plus l’intérêt du monde scientifique anglo-
saxon. Les recherches se multiplient sur les enfants exposés à des situations adverses
(pauvreté, maltraitance, maladie chronique, événements de vie catastrophique, vio-
lence communautaire, parents atteints de maladie mentale, etc.) et font recette dans les
revues scientifiques (Journal of Child Psychology and Psychiatry, British Journal of
Psychiatry, American Journal of Psychiatry).
Dans les années 1990, il prend son essor en France et dans toute l’Europe.
3. Différentes définitions
La résilience, tout comme le traumatisme, recouvre une réalité complexe, malaisée
à cerner. À l’heure actuelle, il n’existe pas de définition consensuelle de la résilience.
Pour Michaël Rutter (1998), « la résilience est la capacité de bien fonctionner malgré le
stress, l’adversité, les situations défavorables », « la possibilité de surmonter, au moins
partiellement, des conditions difficiles d’un type ou d’un autre » (Rutter, 1998). Pour
la psychologue française Marie Anaut, elle est « la capacité de sortir vainqueur d’une
épreuve qui aurait pu être traumatique, avec une force renouvelée » (Anaut, 2003).
Pour le professeur français en santé publique et en pédiatrie sociale Michel Manciaux,
le sociologue belge Stefan Vanistendael, le psychologue français Jacques Lecomte et
l’éthologue français Boris Cyrulnik (2001), « la résilience est la capacité d’une personne
ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépit
d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois
sévères » (Manciaux et al., 2001).
La résilience s’exprime de manière multiple et s’évalue difficilement. Généralement,
les critères retenus pour déterminer si une personne est résiliente sont le bien-être
psychologique, la compétence sociale (relations interpersonnelles, activité, insertion
professionnelle, etc.), l’absence de troubles psychiatriques (absence de dépression,
d’anxiété, de comportements agressifs, etc.) et de désordres sociaux (absence de com-
portements délinquants et de consommation abusive de produits psychotropes).
106 ■ CHAPITRE 6 – La résilience
sentiment de pouvoir à nouveau le maîtriser. Le blessé donne sens aux images impré-
gnées dans sa mémoire et en remanie l’émotion dès qu’il en fait une narration » nous
dit Boris Cyrulnik (2006, p. 21). Pour Richard Tedeschi et Lawrence Calhoun, plus
que de permettre une simple reprise de l’existence, l’élaboration de sens contribuerait
dans certains cas au développement de l’individu. En 1995, ces auteurs nomment
« croissance post-traumatique » (posttraumatic growth) (Tedeschi, Calhoum, 1995 ;
voir aussi Tedeschi, Calhoum, 2004) ce processus d’attribution de sens par lequel la
souffrance devient un moyen de croissance personnelle. Les changements dans la vie
cognitive et émotionnelle qui en découlent amèneraient le sujet traumatisé à dépasser
son niveau de fonctionnement psychologique avant traumatisation. L’intérêt de la
psychologie pour les efforts de réflexion fournis par les victimes pour comprendre
l’avènement de l’événement délétère dans leur existence n’est pas neuf. En 1963, le
professeur autrichien de neurologie et de psychiatrie Viktor Frankl (1963), rescapé du
camp d’extermination d’Auschwitz, déclarait déjà que l’homme est fondamentalement
motivé à trouver un sens à sa vie au lendemain d’un événement traumatisant.
À la différence des métaux, les résilients ne reviennent pas à leur équilibre initial, mais
s’en construisent un nouveau. Selon les circonstances (type d’événement adverse, envi-
ronnement, etc.) et leur personnalité, ils recouvrent une stabilité dans la continuité de
leur histoire ou en rupture avec leur mode de vie antérieur. Certains conservent globa-
lement leur structure psychique, leur identité et leur fonctionnement prétraumatiques,
opérant uniquement quelques modestes réajustements de leur vision du monde et de
leurs valeurs personnelles (par exemple, sensibilité accrue à certaines situations, minimi-
sation de l’importance accordée à d’autres). D’autres se transforment et mutent vers une
nouvelle identité : ils redéfinissent leurs valeurs et se convertissent à des modèles de réfé-
rence renouvelés, allant parfois jusqu’à abandonner leur projet de vie et leurs rôles anté-
rieurs (réorientation professionnelle, engagement religieux, social ou humanitaire, etc.).
Comme le rappellent Michel Manciaux et ses collaborateurs, « la résilience n’est jamais
absolue, totale, acquise une fois pour toutes » ; « elle est variable selon les circons-
tances, la nature des traumatismes, les contextes et les étapes de la vie » (Manciaux
et al., 2001, p. 17). Il est probablement plus approprié de parler des résiliences plutôt
que de la résilience. Ainsi, un sujet peut être résilient face à une situation extrême (par
exemple, les risques liés aux conflits armés) et ne pas l’être confronté à un autre type
d’événement (par exemple, un viol). Il peut se montrer résilient dans un domaine de
sa vie (émotionnel, cognitif, social, professionnel, etc.) et non dans un autre. En effet,
il peut parfaitement répondre aux défis dans un secteur (par exemple, contentement,
performance, ambition et projets au niveau professionnel, maintien d’un réseau
social donnant pleine satisfaction, etc.) et rencontrer des obstacles dans un autre (par
exemple, difficultés à ressentir et à exprimer des émotions amoureuses ou à maintenir
des relations intimes). Selon Arieh Shalev et Yaël Errera (2008), c’est fréquemment le
cas lorsque les victimes sont soumises à des situations adverses prolongées. La priorité
est généralement accordée à un secteur (par exemple, le maintien des compétences pro-
fessionnelles et des capacités parentales) au détriment des autres. Les succès remportés
dans un domaine spécifique, parce qu’ils renforcent l’optimisme, la confiance et l’estime
de soi, le sentiment de contrôle, etc., contribuent à une meilleure issue générale, donc
à l’expansion de la résilience à d’autres sphères. Traumatisme psychique et résilience
108 ■ CHAPITRE 6 – La résilience
ne seraient donc pas aussi antinomiques qu’il y paraît de prime abord. À en croire ces
auteurs, les personnes peuvent être tout à la fois perturbées et résilientes, empreinte
traumatique et ressources intactes coexistant simultanément. Comme l’indique Boris
Cyrulnik, se côtoient chez elles « la faiblesse et la force, la douleur et le triomphe, le
ciel et l’enfer » (Cyrulnik, 1999). Dans cette optique, la présence de symptômes trau-
matiques ne signerait pas l’absence de résilience. Inversement, l’absence de troubles
n’attesterait pas formellement de la résilience. Par exemple, un individu recourant au
déni13 de manière prolongée pourrait ne manifester aucune souffrance sans qu’il puisse
pour autant être qualifié de résilient. La résilience ne peut donc se limiter au résultat
observé, car celui-ci peut être obtenu de diverses manières.
La résilience est un processus en perpétuel mouvement et ne peut jamais être considé-
rée comme définitivement acquise. En effet, un sujet peut être résilient à un moment de
son existence et cesser de l’être plus tard. Les cas célèbres de Primo Levi et de Bruno
Bettelheim le rappellent tristement. Tous deux rescapés des camps d’extermination
nazis, ils se sont suicidés respectivement à l’âge de 68 et 86 ans après avoir mené une
vie offrant les caractéristiques apparentes de la résilience.
13. Le déni est un mécanisme de défense qui consiste en un refus de la réalité d’une perception parce
qu’elle est vécue comme dangereuse ou douloureuse pour le Moi.
14. On entend ici le recours à l’imaginaire selon la définition de Bergeret, à savoir « l’activité de rêves
et de fantasmes dont on a conscience ou pas » et qui permettent « de ne pas se sentir écrasé par une
Les facteurs de résilience ■ 109
action trop intrusive ou trop impérative de facteurs extérieurs » (Bergeret, cité par de Tychey in
Manciaux et al., 2001, p. 148).
15. L’activisme est un moyen de gérer des conflits psychiques ou des situations traumatiques par
le recours à l’action. Ce mécanisme a pour effet d’obérer la réflexion et la confrontation aux affects,
l’hyperactivité empêchant le repos psychique.
16. Les mécanismes de défense relèvent des théories psychanalytiques.
17. Le clivage du Moi induit une scission entre une partie du Moi en contact avec une réalité acceptée
et une autre partie soustraite d’une réalité anxiogène. Deux potentialités contradictoires coexistent au
sein du Moi, l’une prédisposant à tenir compte de la réalité, l’autre à la dénier. Dans le contexte d’un
traumatisme, le clivage constitue une scission entre l’expérience effroyable et la partie saine du Moi
protégée du souffle traumatique.
18. L’intellectualisation évacue de la conscience la signification émotionnelle des conflits et des
menaces. En donnant au sujet le sentiment de maîtrise et en lui évitant un affrontement émotionnel
trop brutal, ce mécanisme de défense diminue l’anxiété et préserve l’estime de soi.
19. Au sens restreint retenu par Freud, l’humour consiste à présenter une situation vécue comme
traumatisante de manière à en dégager les aspects plaisants, ironiques ou insolites. C’est dans ce cas
seulement qu’il peut être considéré comme un mécanisme de défense.
20. La sublimation revêt ici une acception différente de celle communément admise en psychanalyse.
Au sens freudien, la sublimation conduit le sujet à remplacer une représentation sexuelle initiale par
une autre non sexuelle. Dans le contexte de la résilience, la dimension sublimatoire désigne l’investis-
sement de l’imaginaire pour échapper à une réalité insoutenable. Les rêveries, les souvenirs positifs et
l’idéalisation d’une situation ou de personnes permettent la constitution d’un espace interne inviolable
où le sujet peut se ressourcer.
21. L’altruisme est le dévouement à autrui qui permet au sujet d’échapper à un conflit intrapsychique.
110 ■ CHAPITRE 6 – La résilience
27. Entendu ici au sens moderne de se relier, que ce soit à Dieu, au Divin, à une réalité transcendante,
à l’Humanité, à une cause, à la Nature ou à l’Univers.
112 ■ CHAPITRE 6 – La résilience
prends des risques, mais tu le fais, c’est tout. Ta motivation justifie le risque. Il faut
que la mort ne soit pas un trauma pour toi. Il faut que tu n’aies pas peur de mourir.
Il faut une justification à la mort. De toute façon, on meurt, mais il faut qu’il y ait
une justification pour mourir autrement que de mort naturelle. Je pense que pour
les autres, ce n’est pas acceptable de mourir. Moi, je sais que je vais mourir, alors,
que ce soit sur les marches de l’escalier chez moi ou dans un bunker en Syrie, ça
ne change rien. Tu le sais, j’ai eu un trauma. Pendant trois semaines, j’ai dû attendre
pour savoir si je n’avais pas attrapé l’Ebola et tu connais bien l’Ebola, tu sais qu’on a
très peu de chance de s’en sortir, mais mon trauma, ce n’était pas le fait que je pou-
vais mourir, mon trauma, c’est que j’étais toute seule à soigner les patients et que je
n’y arrivais pas. Ce n’était juste pas possible, je faisais de mon mieux, je faisais tout
ce que je pouvais, mais ce n’était pas suffisant parce que j’étais toute seule pour trop
de malades. La mort des autres, c’est pire que la mienne… Avec tout ce que j’ai vécu,
je vois les choses différemment. Je remets les choses en perspective. Ça redistribue
le poids des choses. Des problèmes qui pouvaient me paraître importants, mainte-
nant, ils sont au troisième plan. Dans l’humanitaire, on est confronté tout le temps
à la mort, celle des autres, celle de proches comme nos collègues qui ont été tués, la
nôtre, alors, si tu dois encore faire avec des bêtises… Bien entendu, certaines choses
continuent de me faire souffrir, mais ce n’est plus comme avant. »
Résumé
1 Le concept de résilience émerge dans les sciences humaines au début des années 1980
et prend son essor dans les années 1990.
2 Il n’existe pas de définition consensuelle de la résilience. Selon certains auteurs, elle
désigne la capacité à supporter un événement potentiellement délétère sans subir
de grands dommages psychologiques. Pour d’autres, le terme de résilience doit être
réservé à l’aptitude à se remettre d’une expérience ayant provoqué un effondrement
traumatique. Pour d’autres encore, la résilience recouvre tant la notion de résistance
au choc provoqué par un événement adverse que la capacité de réorganisation post-
traumatique après la perte du fonctionnement initial.
3 La résilience dépend de caractéristiques physiques, biologiques et psychologiques
propres à l’individu ainsi que de variables inhérentes à l’environnement.
4 Un sujet peut être résilient face à une situation extrême et ne pas l’être lorsqu’il est
confronté à un autre type d’événement ; il peut se montrer résilient dans un domaine
de sa vie et non dans un autre ; il peut être résilient à un moment de son existence et
cesser de l’être plus tard.
5 Traumatisme psychique et résilience ne sont pas antinomiques. Une personne peut
être tout à la fois perturbée et résiliente, empreinte traumatique et ressources intactes
coexistant simultanément.
La prévalence
4
des troubles
traumatiques
« Lorsque la famille était réunie à table,
et que la soupière fumait, Maman disait parfois :
– Cessez un instant de parler. Nous obéissions.
Nous nous regardions sans comprendre, amusés.
– C’est pour vous faire penser au bonheur, ajoutait-elle.
Nous n’avions plus envie de rire. »
Félix Leclerc, Pieds nus dans l’aube
SOMMAIRE
Depuis les années 1980 du siècle dernier et jusqu’à récemment, la majorité des travaux
épidémiologiques étaient nord-américains. Ceux-ci révèlent des taux d’exposition à un
événement traumatisant au fil de l’existence de 16 à 90 % (voir Breslau et al., 1991 ;
Kessler et al., 1995 ; Helzer et al., 1987 ; Davidson et al., 1991). Nombre de sujets
ont été victimes à plusieurs reprises au cours de leur vie. Par exemple, Kessler note
que 56,3 % des hommes et 48,6 % des femmes ont subi au moins deux expériences
traumatiques (Kessler et al., 1995). En ce qui concerne la prévalence de l’état de stress
post-traumatique au cours de la vie, elle varie selon les études de 1 à 9 % (Kessler et al.,
1995 ; Helzer et al., 1987 ; Jolly, 2003). La fréquence du diagnostic s’accroît significati-
vement lorsque les tableaux subsyndromique sont pris en considération. Par exemple,
aux États-Unis, Helzer (Helzer et al., 1987) constate que dans la population générale
15 % des hommes et 16 % des femmes manifestent certains symptômes spécifiques
du traumatisme psychique et au Canada, Stein (Stein et al., 2000) comptabilise près
de 12 % de PTSD5 incomplets parmi les patients tout-venant consultant un centre
de soins de santé primaires. Quant à la prévalence du PTSD considérant les troubles
actuels et manifestés au cours des douze derniers mois, elle est de 3,5 % au sein de la
population adulte américaine (Norris, Slone, 2013).
Les enquêtes européennes dévoilent des pourcentages moins élevés. 20 à 30 % de la
population a été confrontée à un incident critique6. Parmi les victimes, un tiers a
subi plusieurs incidents critiques (Perkonigg et al., 2000). Selon une étude menée en
France, les drames les plus souvent invoqués sont par ordre décroissant l’annonce du
décès inopiné d’un proche (24,6 %), le spectacle de la mort d’autrui ou de blessures
graves frappant un tiers (20,6 %), le diagnostic d’une maladie potentiellement mortelle
et l’implication dans un accident de la route (11,7 %)7. En Allemagne (Perkonigg et
al., 2000), les jeunes de 14 à 24 ans sont le plus souvent exposés aux agressions phy-
siques (9,7 %), aux accidents graves (7,8 %), à la vision de la victimisation d’une tierce
personne (4,4 %) et aux agressions sexuelles (3,5 %). Parmi les échantillons étudiés, 1
à 2 % des personnes présentent un état de stress post-traumatique chronique (Alonso
et al., 2004 ; Vaïva et al., 2006). Les estimations de la prévalence des PTSD actuels et
récents sont également plus faibles en Europe qu’aux États-Unis et n’atteignent pas les
1 %. C’est également le cas en Colombie, au Mexique, au Nigeria, en Afrique du Sud,
en Israël, en Chine et au Japon (Norris, Slone, 2013).
Sans surprise, les populations civiles des pays déchirés par la guerre sont particuliè-
rement à risque d’être victimes de situations délétères. De Jong et ses collaborateurs
(2001) ont étudié la situation dans quatre pays pauvres en situation de post-conflit,
le Cambodge, l’Algérie, l’Éthiopie et Gaza. La prévalence de la torture varie entre 8 %
pour l’Algérie et 26 % pour l’Éthiopie et la fréquence d’exposition aux événements liés
5. État de Stress Post-Traumatique. Le PTSD ou ESPT comprend les reviviscences, les conduites
d’évitement et l’activation neurovégétative. Voir le chapitre « Les réactions face à un événement
traumatique ».
6. 21,4 % pour l’Allemagne (Perkonigg et al., 2000) ; 30,2 % pour la France selon une étude menée
entre 1999 et 2003 (SMPG, Santé Mentale en Population Générale, cité par Ducrocq, 2009).
7. SMPG, Santé Mentale en Population Générale, cité par Ducrocq (2009).
118 ■ CHAPITRE 7 – La prévalence des troubles traumatiques
aux conflits armés entre 59 % pour la bande de Gaza et 92 % pour l’Algérie. Les taux
de stress post-traumatique au cours de la vie sont exceptionnellement élevés : 16 % en
Éthiopie, 18 % dans la bande de Gaza, 28 % au Cambodge et 37 % en Algérie.
La probabilité de développer une affection psychotraumatique varie considérablement
en fonction du type d’événements délétères. Dans l’étude menée par Kessler et ses
collaborateurs (1995), le risque conditionnel de manifester un PTSD dans la foulée
de l’événement qualifié du pire de leur vie par les interviewés est de 20 % pour les
femmes et de 8 % pour les hommes. Breslau (Breslau et al., 1998) obtient des pourcen-
tages proches : 18 % pour les femmes et 10 % pour les hommes. Les recherches menées
par Resnick et ses collaborateurs (1993) dévoilent des taux de stress post-traumatique
nettement plus élevés chez les femmes victimes d’actes criminels (26 %) que chez leurs
paires confrontées à d’autres types de traumatisme (9 %). Dans l’étude de Kessler,
l’événement qui se révèle le plus traumatogène est le viol, tant pour les sujets mascu-
lins (65 %) que féminins (46 %). Les autres situations associées à une forte probabilité
de développer une souffrance traumatique sont les affrontements armés, les négli-
gences et les abus endurés dans l’enfance, les attentats à la pudeur et les agressions
physiques. Les accidents et les catastrophes naturelles recèlent un plus faible potentiel
à générer un PTSD. De même, avoir été témoin d’un incident critique engendre moins
fréquemment des troubles que de l’avoir subi en personne. Dans l’enquête de Breslau,
les agressions violentes, regroupant les combats armés, la violence sexuelle et la vio-
lence physique, représentent près de 40 % de cas de PTSD et le décès impromptu d’un
proche, près de 30 % des cas.
et al., 1999 ; Dohrenwend et al., 2006). Ces scores varient fortement en fonction de
la durée d’exposition, de la nature des expériences traumatiques subies ainsi que du
temps écoulé entre la fin des hostilités et l’enquête. Ils sont particulièrement élevés,
jusqu’à 73,5 % (Buydens-Branchey et al., 1990), au sein des cohortes de soldats ayant
été blessés ou ayant enduré des combats prolongés ou éprouvants.
Parmi les populations civiles confrontées directement aux faits de guerre, 51,8 % à
65 % des survivants des camps de concentration et d’extermination de l’Holocauste
souffraient encore de PTSD quarante ans après leur libération (Kuch, Cox, 1992).
Plus récemment, les rescapés bosniaques des camps de concentration serbes sont
32,5 % à 44 % à être éligibles pour les critères du PTSD (Thulesius, Hakansson, 1999 ;
Drozdek, 1997); 71 % des femmes présentent des séquelles psychotraumatiques (Dahl,
Mutopcic, Schei, 1998).
En France, les victimes des attentats à l’explosif perpétrés entre 1982 et 19878
sont 18,1 % à souffrir d’un PTSD complet et 61,8 % d’un PTSD partiel. Les troubles
sont manifestes chez 10,5 % des impliqués indemnes, chez 8,3 % des blessés légers
et chez 30,7 % des blessés graves (voir Abenhaim et al., 1992 ; Dab et al., 1991 ;
Bouthillon Heitzmann et al., 1992). Les études épidémiologiques menées après la
deuxième vague d’attaques terroristes survenue entre 1995 et 19969 indiquent que les
victimes sont 31 % à 39 % à rencontrer les critères du PTSD (Jehel et al., 2003 ; Verger
et al., 2004) et jusqu’à 75,5 % d’entre elles sont perturbées par certains symptômes
traumatiques (par exemple, reviviscences, hyperactivation neurovégétative) (Verger
et al., 2004). Aux États-Unis, les victimes des actes terroristes d’Oklahoma de 199510
sont près de 35 % à avoir un état de stress post-traumatique (North et al., 1999). Les
attentats-suicides du 11 septembre 2001 ont quant à eux provoqué 20 % de PTSD
chez les habitants de Manhattan résidant à proximité du Word Trade Center (Galea et
al., 2002). Une étude menée sur les victimes israéliennes dix mois après une attaque à
la bombe perpétrée dans les territoires palestiniens conclut à des résultats similaires
(Shalev, 1992).
Suite aux attentats terroristes survenus en France en janvier 2015, une enquête
épidémiologique a été menée auprès de 190 civils (victimes, endeuillés, intervenants,
8. Des attentats liés à la situation politique au Proche et Moyen-Orient ont été commis à Paris à
l’aéroport d’Orly, rue des Rosiers, dans les Grands Magasins « Lafayette » et « Le Printemps », dans
la galerie « Point Show » rue des Champs-Élysées, au bureau de la Poste de l’hôtel de ville de Paris, à
la préfecture de Paris sur l’île de la Cité et devant le magasin « Tati » rue de Rennes. D’autres attaques
ont eu lieu en France métropolitaine dans les locaux de la Cafétéria « Casino » au Centre commercial
de la Défense, dans le train « Le Capitole » reliant Paris à Toulouse, à la gare Saint-Charles de Marseille
et dans le TGV Marseille-Paris.
9. Entre juillet et octobre 1995, la France a été touchée par huit attentats à la bombe qui feront huit
morts et près de deux cents blessés. Ceux-ci furent officiellement attribués au Groupe Islamique
Armé (GIA) basé en Algérie.
10. L’attentat d’Oklahoma City, survenu le 19 avril 1995, perpétré par des sympathisants du mou-
vement des miliciens contre le bâtiment fédéral Alfred P. Murrah situé dans le centre-ville, fut l’acte
terroriste le plus important commis sur le sol américain jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001.
Il fit 168 morts et plusieurs centaines de blessés.
120 ■ CHAPITRE 7 – La prévalence des troubles traumatiques
11. Soit, pour les troubles psychiatriques majeurs, une augmentation de 1 % en moyenne par rapport
à une situation de départ de 2 à 3 %.
Les groupes spécifiques ■ 121
Résumé
1 Le taux d’exposition à un événement traumatisant au fil de l’existence est de 16 à 90 %
aux États-Unis et de 20 à 30 % en Europe.
2 La prévalence de l’état de stress post-traumatique au cours de la vie dans la population
tout venant varie de 1 à 9 % en Amérique du Nord et de 1 à 2 % sur le Vieux Continent.
3 La prévalence du PTSD dans les groupes de personnes ayant subi des expériences trau-
matiques similaires varie fortement en fonction de la durée d’exposition, de la nature
des expériences traumatiques subies ainsi que du temps écoulé entre les faits et le
moment de l’enquête. Les viols et la détention dans des conditions de déshumanisation
extrême comptent parmi les expériences les plus délétères au plan psychique avec une
prévalence pouvant atteindre plus de 85 %.
La dimension
5
culturelle
Ni giti kirakurira mu babaji.
L’arbre peut grandir malgré la présence des menuisiers.
Parabole burundaise
SOMMAIRE
1. Nous appelons « cadre de référence », ce réseau conceptuel inconscient qui détermine notre appré-
hension du monde.
126 ■ CHAPITRE 8 – La dimension culturelle
2. Soulignons cependant qu’il existe de grandes différences individuelles et que tous les individus
d’une communauté bouddhiste ne sont pas imprégnés par cette culture de la même manière.
Les aspects culturels liés au traumatisme ■ 127
Résumé
1 La perception d’un événement et des troubles mentaux, les stratégies de recherche
d’aide et de soins ainsi que l’expression des émotions et de la souffrance sont influen-
cées par le contexte culturel.
2 Certains troubles post-traumatiques tels que les symptômes de reviviscence et d’hype-
ractivation neurovégétative sont des invariants culturels. D’autres comme les conduites
d’évitement et l’émoussement de la réactivité générale sont conditionnés par la culture.
3 Il existe, d’une culture à l’autre, de grandes variations dans l’expression de la souf-
france, le sens accordé aux symptômes, les symboles, les styles de communication et
les mécanismes d’adaptation.
à un événement
traumatisant
« Vous me dévisagez. Vous avez peur. J’ai quelque chose de fiévreux dans le teint
qui vous inquiète. Je souris. Je tremble. Un homme brûlé, pensez-vous.
Je ne lève pas les yeux. Je sursaute souvent, au moindre bruit, au moindre geste.
Je suis occupé à lutter contre des choses que vous ne voyez pas,
que vous seriez même incapables d’imaginer. Vous me plaignez, et vous avez raison.
Mais je n’ai pas toujours été ainsi. Je fus un homme autrefois. »
Laurent Gaudé, Dans la nuit Mozambique
130 ■ CHAPITRE 9 – Les réactions face à un événement traumatisant
Résumé
1 Au moment et dans le décours d’un événement potentiellement traumatisant, certaines
victimes vont réagir par un stress adapté, la majorité par un stress dépassé. Les sujets
prédisposés peuvent déclencher des troubles psychopathologiques.
2 Dès les premiers jours et les premières semaines, certaines victimes voient leurs
troubles disparaître et d’autres commencent à souffrir de symptômes traumatiques et/
ou de désordres non spécifiques.
3 Ces troubles peuvent s’avérer transitoires ou devenir chroniques et se perpétuer tout
au long de la vie.
SOMMAIRE
1.1.1. Le stress
Lorsqu’un individu est soumis à une agression ou une menace quelle qu’elle soit,
il y répond immédiatement par une réaction nommée « stress ».
Le stress produit des réponses en chaîne :
• Il élève la vigilance et focalise l’attention sur la menace évacuant temporaire-
ment de la conscience toute autre pensée (attention exacerbée, prospection
sélective des signaux pertinents). Ce phénomène de rétrécissement
de l’attention sur les stimuli les plus pertinents est connu sous le nom de
« vision en tunnel » (« tunnel vision » en anglais).
2. S’immobiliser et se taire sont des moyens souvent efficaces de réagir à un danger. Ces compor-
tements sont hérités de l’évolution. Dans la mesure où de nombreux prédateurs détectent leur
proie par ses mouvements et les bruits qu’elle émet, se figer peut permettre d’échapper au danger,
de donner le temps d’identifier ou de localier la menace ou de se préparer à la fuite. Il ne faut
toutefois pas confondre l’action adaptée de rester immobile ou de s’immobiliser avec l’immobilité
stuporeuse engendrée par l’effroi, témoignant d’une dissociation traumatique (voir infra, la stupeur
dissociative).
3. C’est à Hans Selye (1962) que l’on doit la description des trois premières phases.
136 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
oncle. Il est arrivé dans les cinq minutes. Il habite à quelques centaines de mètres de
là. L’automobiliste est resté avec moi et il a essayé de me calmer, mais je tremblais,
je bégayais, bref, la totale. Mon oncle est arrivé et m’a emmené chez lui et j’ai mis
certainement une bonne heure à me remettre. »
incendie criminel pour lequel il sera écroué ultérieurement. « J’étais brûlé aux mains
et au visage. Heureusement, il pleuvait beaucoup. J’ai couru jusque chez ma mère. Il
n’y avait personne, alors j’ai appelé un ami qui est venu et j’ai géré correctement les
choses pour ne pas me faire prendre. J’ai tout bien géré, mais mon frère m’a dénoncé
et c’est comme ça que j’ai été pris. Mais donc, j’ai fait tout ce que je devais faire pour ne
pas me faire prendre. J’ai fait une mise en scène pour qu’on croie que je m’étais brûlé
avec du méthanol. Quand je suis arrivé à l’hôpital, je me suis senti pris en charge, j’étais
en sécurité et là, j’ai eu mon choc. J’ai commencé à trembler, j’avais terriblement froid
et les médecins m’ont dit : “C’est le choc, Monsieur. Dans cette pièce, il y a 37 °C”. »
1.2.1. L’hypo-réaction
Au moment où survient l’événement délétère, les victimes peuvent être saisies
d’effroi. Cette expérience « au-delà de la peur, de l’angoisse et du stress et qui tra-
duit la rencontre avec le réel de la mort », cette « panne », ce « blanc », cet « absolu
silence », ce « vide » (Lebigot, in De Clercq, Lebigot, 2001, p. 16), engendre souvent
1.2.2. L’hyper-réaction
Les victimes expriment bruyamment leurs émotions de peur, d’anxiété, de tristesse,
de colère, de dégoût, de culpabilité, voire d’euphorie agitée13 (cris, pleurs, accès d’angoisse,
rires nerveux, expression verbale du vécu, etc.) et manifestent un comportement fébrile
(excitation, agitation, logorrhée14, discours peu construit, etc.). Ce torrent d’émotions
peut s’accompagner de comportements inadaptés à la situation, voire pathologiques tels
qu’une agitation désordonnée, des propos incohérents, une fuite panique, un délire, des
hallucinations, un accès maniaque, une sérénité inappropriée15, etc.
Marianne, dont le fils s’est suicidé, raconte comment la douleur l’a poussée à agres-
ser les ambulanciers et les policiers diligentés sur le lieu du drame : « J’ai crié, je les
ai insultés, je ne sais pas tout ce que j’ai dit, je ne m’en souviens plus, mais j’étais dans
tous mes états. Je sais que j’ai dit à celui qui a essayé de réanimer mon fils que c’était
un incapable, pourtant, je sais bien qu’il était déjà mort avant qu’ils arrivent, mais je
ne sais pas, peut-être que j’espérais quand même. Un des policiers a voulu prendre
la lettre que mon fils avait laissée. Celui-là, je l’ai frappé ! Ils devaient faire une
enquête, je sais bien, mais ça m’a mise hors de moi, j’ai hurlé : “Qu’est-ce que vous
croyez ? Que c’est moi qui ai tué mon fils ? C’était mon bébé, c’était mon bébé !”. Ils
n’arrêtaient pas de me dire : “Mais Madame, calmez-vous, calmez-vous”. Quand la
psychologue du bureau d’aide aux victimes est arrivée, il paraît que je lui ai dit de
foutre le camp. J’ai appris après qu’elle ne travaillait plus à la police, ça l’a trauma-
tisée, la pauvre. C’était une petite jeune, ce n’était pas de sa faute, elle n’a pas dû
s’attendre à ça. Elle venait de commencer à la police. On ne devrait pas envoyer des
personnes si jeunes… » Elle poursuit : « Quand je suis sortie avec eux (les services
10. Nous l’avons vu, pour certaines personnes mobilisées pour faire face à la menace (par exemple,
le personnel de secours), ce moment peut passer inaperçu ou être rapidement oublié.
11. Il s’agit d’une désorganisation de la conscience, voir infra p. 146.
12. Voir infra p. 155.
13. Il s’agit d’une euphorie quasi hypomane dépassant la légitime euphorie d’avoir échappé à la mort.
14. Besoin de parler sans discontinuer.
15. Cette sérénité constituerait une sorte de déni de l’événement.
140 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
de secours), il y avait une enseignante de l’école de mon fils qui passait par là, je l’ai
empoignée par les cheveux et je lui ai dit que c’était de sa faute, que si mon fils s’était
suicidé que c’était de sa faute parce qu’il n’était pas prêt pour un travail d’école. Je
sais bien que tout ça, ce n’est pas de leur faute. Aujourd’hui, je regrette évidemment
d’avoir agi comme ça, mais sur le moment même, j’étais comme folle. C’est ça qu’on
appelle être folle de douleur… »
Marie-Jeanne, une jeune congolaise de la Province du Nord Kivu, violée par deux
hommes armés alors qu’elle se rendait au marché, raconte son histoire en riant
nerveusement.
« Je suis arrivé aux urgences et comme je n’allais pas bien, ils ont appelé le psy-
chiatre. Je rigolais et je pleurais en même temps. Je me souviens que le psychiatre
m’a dit que je confondais le tragique et le comique » se rappelle Pascale, agressée au
cours d’un car-jacking.
une impression d’être proche de l’évanouissement, des pâleurs, des vertiges, des
lipothymies20, des tremblements, des sueurs, des frissons, des bouffées de chaleur,
des palpitations cardiaques21, de la tachycardie22, des accélérations du rythme res-
piratoire, des douleurs et des oppressions thoraciques (mimant parfois l’angor), des
troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissements, diarrhée ou constipation), un
besoin d’uriner (spasmes vésicaux) et d’aller à la selle (spasmes viscéraux), un relâ-
chement sphinctérien (fuite d’urine et de selles), une sensation de striction laryngée
(« boule dans la gorge »), une oppression respiratoire et des sensations d’étouffement
pseudo-asthmatiques (sensation de souffle coupé ou de poids sur la poitrine empêchant
de respirer), des tremblements ainsi que des fourmillements dans les extrémités (par
exemple, au bout des doigts ou autour de la bouche).
L’hyperactivation est aujourd’hui considérée comme le meilleur indice prédictif
d’un syndrome psychotraumatique à plus long terme (Bryant, Brooks et al., 2011).
Les études ont prouvé qu’une victime présentant une tachycardie supérieure à 95
battements par minute ou une tachypnée d’au moins 22 respirations par minute23,
témoins d’une activation orthosympathique prolongée, dans le décours immédiat
d’un événement, alors qu’elle est en sécurité et a été rassurée, est prédisposée à déve-
lopper un trouble psychotraumatique (Bryant, Creamer et al., 2008). A contrario,
une fréquence cardiaque inférieure à 80 pulsations par minute serait de bon augure
(Shalev, Sahar et al., 1998). En effet, 95 % des personnes ayant un rythme car-
diaque inférieur à 80 battements par minute dans les heures suivant la situation
potentiellement traumatogène ne souffrent pas ultérieurement d’un syndrome
post-traumatique (Pitman, Sanders et al., 2002 ; Vaïva, Ducrocq et al., 2003). La
recherche clinique suggère d’ailleurs que les bêtabloquants (propranolol) prescrits
dans la période post-immédiate du trauma pourraient s’opposer à l’inscription des
mémoires traumatiques et diminuer le risque de développer un syndrome post-
traumatique (Vaïva, Ducrocq et al., 2003).
Longtemps après les événements, les victimes peuvent se montrer inhibées et sans ini-
tiative comme si elles restaient dépossédées de leurs capacités de décision et d’action.
Erika, victime d’un viol, rapporte : « Il m’a dit : “Maintenant, tu te lèves et tu viens
avec moi.” Il m’a poussée dans les toilettes et il m’a dit de me déshabiller et il s’est
mis sur moi. Et là, j’ai compris que j’allais devoir subir ça… Je ne maîtrise rien… C’est
une souffrance intense de devoir subir ça et de ne pouvoir rien faire… Maintenant,
quand quelqu’un me donne des ordres, je me bloque, je ne sais pas comment réagir. »
codent les informations d’une façon particulière. Pour Janet, comme pour nombre de ses
successeurs, les mnésies traumatiques se différencient des souvenirs normaux. Ces mné-
sies, que Janet nomme idées fixes25, sont composées d’éprouvés physiologiques, d’impres-
sions sensorielles (visuelles, auditives, kinesthésiques, etc.) et de mouvements variés ainsi
que de vécus affectifs et cognitifs (pensées, idées) partiels ou désintégrés. Ces aspects frag-
mentés de l’expérience ne permettraient pas à un réel souvenir de s’élaborer et de s’intégrer
dans la biographie du sujet. Les mnésies traumatiques sont dissociées, sensorielles et affec-
tives et se différencient des souvenirs normaux, narratifs, verbaux et sémantiques. Isolées
de la personnalité habituelle (ou conscience personnelle), ces idées fixes évolueraient dans
l’inconscient à la manière d’un parasite (Janet, 1898, 1924). Sigmund Freud, pour qui
l’image traumatique agit comme un corps étranger, partage cette vision.
Selon Janet, le sujet confronté à un événement perturbant ou traumatique ne peut y faire
face parce qu’il ne possède pas « l’éducation antérieure » qui lui permettrait de réagir auto-
matiquement, qu’il est dépourvu de la « force vitale » nécessaire ou que le temps d’adapta-
tion lui manque (Janet, 1904). Il éprouve une émotion violente dont la puissance provoque
une « désagrégation mentale » (altération de l’esprit que Janet appelle aussi « somnam-
bulisme naturel ») et exerce une action dissociante dans le psychisme. Les phénomènes
de volonté et d’attention se réduisent tandis que les tendances élémentaires (« tendances
inférieures telles que la peur, la colère, l’instinct vital » (Janet, 1923)) s’éveillent. Il en résulte
un « rétrécissement de la conscience » qui conduit, par défaut d’unification et de synthèse,
à un dédoublement de la personnalité : l’une normale sous le contrôle conscient et dominée
par la volonté, l’autre liée à une idée fixe habituellement subconsciente conservant l’orga-
nisation de l’expérience traumatique. Janet avalise ainsi l’hypothèse de la coexistence de
deux personnalités chez l’hystérique qu’avait émise le pédagogue et psychologue français
Alfred Binet dans son ouvrage Les altérations de la personnalité publié en 1892.
Janet nomme « existences psychologiques successives » les fragments d’expériences
qui n’ont pu être intégrés dans le système mémoriel auquel se réfère une personnalité
unifiée : « Les choses se passent comme si les phénomènes psychologiques élémen-
taires étaient aussi réels et aussi nombreux que chez les individus les plus normaux,
mais ne pouvaient pas, à cause d’une faiblesse particulière de la faculté de synthèse [ce
que les psychanalystes désigneront “faiblesse du moi”26], se réunir en une seule percep-
tion, en une seule conscience personnelle ; ou encore : les choses se passent comme si
le système des phénomènes psychologiques qui forme la perception personnelle chez
tous les hommes, était, chez ces individus, désagrégé et donnait naissance à deux ou
plusieurs groupes de phénomènes conscients, groupes simultanés, mais incomplets
et se ravissant les uns aux autres les sensations, les images et, par conséquent, les
mouvements qui doivent être réunis normalement dans une même conscience et un
même pouvoir. L’examen de cette hypothèse nous a fait connaître une altération très
curieuse et jusqu’à présent peu connue de la conscience humaine, c’est le dédouble-
ment simultané de la personnalité. Les systèmes de phénomènes psychologiques qui
25. Contrairement à ce que le terme « idée » pourrait laisser penser, l’idée fixe n’est pas une cognition
mais le souvenir de l’événement traumatique conservé dans sa version brute.
26. Note de l’auteur.
144 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
27. Voir infra « Les altérations de la personnalité » dans le chapitre consacré à la phase à long terme.
28. Le terme Shell shock, que l’on doit à Charles Samuel Myers, a été utilisé par les psychiatres
militaires pour nommer les syndromes post-traumatiques des combattants de la Première Guerre
mondiale. Nombre d’affections mentales présentées par les combattants étant subséquentes à l’explo-
sion de mines et d’obus, les scientifiques étaient convaincus que la déflagration exerçait des effets
mécaniques sur le système nerveux. Cette thèse étiologique explique les dénominations accordées aux
pathologies post-traumatiques. Elles sont désignées sous le vocable syndrome du vent de l’obus (déno-
mination actualisée du vent du boulet de guerres napoléoniennes), vent de l’explosif ou obusite par les
Français, shell explosion et shell shock par les Anglo-Saxons, granat-explosions ou granatshockwir-
kung (contusion par grenade) par les Allemands et encore concussion ou contusion provoquée par le
souffle de l’explosif par les Russes. Rapidement, le terme shell shock a été adopté par les deux camps.
Les réactions immédiates ■ 145
dans des formes qui vont de la réexpérience d’aspects non intégrés du traumatisme, dans le
cas de l’état de stress aigu et de l’ESPT, jusqu’aux personnalités dissociatives traumatisées
dans le cas des TDI29. » Dans la lignée des conceptions de Myers, les PEP sont chargées d’as-
surer la survie du sujet confronté au danger ; elles « mobilisent des réactions défensives et
émotionnelles face à une menace liée au traumatisme, et auxquelles elles semblent fixées ».
La PANP, quant à elle, assume les tâches nécessaires à la vie quotidienne et à la survie de
l’espèce. En fonction de la gravité des troubles, les auteurs déterminent trois niveaux de
dissociation structurelle situés sur un continuum :
• la dissociation structurelle primaire. Il s’agit d’une dissociation entre la PANP et la PEP.
Elle survient dans les suites d’un traumatisme simple.
• la dissociation structurelle secondaire. Elle implique une dissociation entre la PANP et
la PEP, mais également au sein même de la PEP. Lorsque les niveaux de stress sont très
élevés, l’intégration des sous-systèmes chargés d’assurer la survie peut être compro-
mise. Ce type de dissociation se rencontre dans les traumatismes complexes.
• la dissociation structurelle tertiaire. Dans la dissociation tertiaire, à la dissociation entre
PANP et PEP et à la fragmentation de la PEP, s’ajoute la dissociation interne de la PANP.
Soumis à des événements traumatiques extrêmes, les systèmes d’intégration consacrés
à la gestion de la vie quotidienne et à la survie de l’espèce peuvent devenir inaccessibles.
Cette dissociation n’apparaît pas au moment du choc traumatique, mais ultérieurement
lorsque des aspects de la vie quotidienne, évoquant ou symbolisant l’événement trauma-
tisant du passé, le réactivent. Elle caractérise le trouble dissociatif de l’identité.
La dissociation structurelle de l’identité concerne davantage les traumatismes chroni-
cisés que les réactions manifestées dans l’immédiat après-coup d’une situation délétère.
Nous reviendrons sur cette notion dans le chapitre consacré à la phase à long terme.
On dit des personnes qu’elles sont dissociées lorsqu’elles sont déconnectées d’une par-
tie de la réalité. « Les troubles dissociatifs se caractérisent par une perturbation ou une
discontinuité involontaires de l’intégration normale d’un ou de plusieurs des éléments
suivants : identité, sensations, perceptions, affects, pensées, souvenirs, contrôle des
mouvements corporels ou du comportement30. »
Les réactions dissociatives péri-traumatiques se traduisent par l’amnésie dissociative,
la stupeur dissociative, les troubles somatoformes dissociatifs, le trouble de déperson-
nalisation, la déréalisation, les actions automatiques et la distorsion temporelle.
29. Troubles dissociatifs de l’identité, appellation du DSM. Voir le sous-chapitre « Les troubles dis-
sociatifs », dans le chapitre « Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internatio-
nales » de la phase à long terme.
30. Définition de la CIM-11, 6B (traduction de l’auteur) (https://icd.who.int/browse11/l-m/en#/
http://id.who.int/icd/entity/108180424). La définition s’est enrichie par rapport à la version pré-
cédente de la CIM. Aux côtés des souvenirs, de l’identité, des sensations et des mouvements corporels
sont maintenant pris en considération les perceptions, affects, pensées et contrôle du comportement.
La conscience, notion floue, a été éliminée. Pour rappel, voici comment la CIM-10 définissait les
troubles dissociatifs : « Les troubles dissociatifs ont en commun une perte partielle ou complète des
fonctions normales d’intégration des souvenirs, de la conscience, de l’identité ou des sensations immé-
diates et du contrôle des mouvements corporels (CIM-10, F44). »
146 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
L’amnésie dissociative
L’amnésie dissociative partielle ou totale31. Les victimes ne se rappellent pas de
tout ou partie de l’événement critique qu’elles ont vécu32. L’amnésie peut perdurer
longtemps, parfois toute la vie. Sa levée peut se produire spontanément, être engen-
drée par un stimulus-déclencheur (images à la télévision, odeur, bruit, lieu, etc.) ou
être favorisée par un abaissement ou une altération de la conscience vigile (états
hypnagogiques33 et hypnopompiques34, relaxation, fatigue, sommeil, méditation, état
hypnotique, ivresse, etc.). La plupart des victimes sont perturbées par ce défaut de
souvenirs. Néanmoins, certaines témoignent du contraire et se déclarent ravies de ne
pas se souvenir de toute l’horreur.
Gérard agressé par des voleurs à son domicile relate : « Je me souviens quand ils
ont surgi par la porte de la baie vitrée qui donne sur la terrasse. Je me souviens du
gars qui est assis à côté de moi sur le canapé et qui me pointe une arme sur la tempe.
Je me souviens de l’autre qui revient régulièrement vers moi et qui me menace. Je
me souviens du moment où je me ressaisis parce que le deuxième monte à l’étage
et menace de faire du mal à ma fille qui dort dans sa chambre. Là, je me rappelle
que je connais les techniques, je que suis entraîné et que je sais me défendre ! Je me
souviens que je lui casse la gueule et après, plus rien. Je ne sais pas comment je suis
monté à l’étage. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Après, je me souviens juste du poids
de mon arme dans la main et d’eux qui décampent dans les escaliers, mais entre le
moment où je suis au salon et le moment où j’ai l’arme en main, rien »
Sans le récit de nombreux témoins, une jeune femme ignorerait qu’elle s’est échap-
pée de l’incendie d’une boîte de nuit en se faufilant par la fenêtre des toilettes.
La stupeur dissociative
Les victimes sont dans un état de sidération, d’hébétude, de stupéfaction. Elles
manifestent un état confusionnel s’accompagnant de bradypsychie35, de désorienta-
tion36 et d’une altération de la capacité à raisonner, à comprendre les choses, à prendre
des décisions et des initiatives, à poser des choix et à agir ou à réagir de manière
adaptée. Elles paraissent indifférentes à ce qui leur arrive et au drame qui se joue et
donnent l’impression de ne pas entendre lorsqu’on leur adresse la parole. Elles sont
présentes physiquement, souvent figées, mais leur esprit semble absent. Elles sont
absorbées par la scène traumatique qu’elles revivent de manière hallucinatoire, par-
fois pendant plusieurs jours. Elles racontent leur récit en boucle, sans tenir compte de
leur interlocuteur, le regard rivé sur le scénario traumatisant qui se déroule dans leur
31. L’amnésie est l’incapacité à se rappeler d’aspects importants d’une expérience. L’amnésie disso-
ciative est une amnésie psychogène.
32. L’amnésie complète est très rare.
33. État précédent l’endormissement.
34. Phase de réveil partiel qui succède au sommeil.
35. Ralentissement du cours de la pensée.
36. Altération de la faculté de se repérer dans le temps et dans l’espace.
Les réactions immédiates ■ 147
esprit. Certaines personnes sont tellement confuses qu’elles éprouvent des difficultés à
décliner leur identité et à répondre aux questions qu’on leur pose. Ultérieurement, elles
peinent à se rappeler le déroulement de l’événement (amnésies, distorsions mnésiques
telles que rappel anarchique de la succession des événements et interprétation erronée
des faits, etc.) et d’en préciser la durée réelle.
Isabelle, victime d’un home-jacking, nous confie : « Je croyais que c’était mon fils qui
rentrait. Je me suis levée. On venait de se coucher, on ne dormait pas encore. J’ai
été dans la salle de bain et je me suis retrouvée face à face avec un des voleurs. Ils
étaient trois, les deux autres étaient restés au rez-de-chaussée. Je n’ai pas compris
ce qui se passait. Je suis restée là, bêtement. Mon mari est sorti tout de suite de la
chambre et il est arrivé près de moi. Il a pris les choses en main, il a demandé aux
voleurs ce qu’ils voulaient. Ils voulaient les clés de la voiture. On est descendu au
rez-de-chaussée et après, je ne sais plus très bien comment ça s’est déroulé. Je ne
peux même pas vous dire combien de temps ça a duré. »
La dépersonnalisation
Certaines victimes sont dissociées de leur identité et ont l’impression de ne plus
être elles-mêmes. Elles éprouvent des sensations de dédoublement (par exemple, de se
voir elles-mêmes de l’extérieur), d’être spectateur de leur vie ou d’agir de façon machi-
nale à la manière d’un robot ; elles ont l’impression que l’événement arrive à une autre
personne (défaut de personnification38), que leur corps est déformé ou qu’il ne leur
appartient plus (décorporalisation)39.
Blessé dans une explosion, Marc raconte : « Je regardais mon fils et je me demandais
pourquoi il pleurait. Je ne comprenais pas que c’était à moi que c’était arrivé. C’est
comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre. C’était triste, mais ça ne me concernait pas »
La déréalisation
Les victimes ont un sens altéré de l’expérience de la réalité ; elles ressentent des
impressions d’irréalité ou d’étrangeté des personnes et des choses ; elles éprouvent un
sentiment prolongé et récurrent de détachement ; elles ont la sensation de vivre un
rêve éveillé ou un cauchemar.
Au cours d’un hold-up, Jacques a été roué de coups et matraqué, bâillonné et
menotté avant d’être descendu dans la cave de l’immeuble : « C’est seulement dans
la cave que j’ai réalisé que ça m’était vraiment arrivé, que les coups, je les avais vrai-
ment reçus. Quand ils sont arrivés, je ne savais pas si c’était la réalité ou si je n’étais
pas éveillé, si c’était un cauchemar. »
ou de la forme du corps ainsi que par la sensation d’une dissociation de son enveloppe corporelle
(impression de flotter au-dessus de son corps).
40. Rappelons que ces mêmes comportements peuvent être le fruit d’une décision lorsqu’ils sont pris
sous l’effet d’un stress adaptatif.
41. Ces fuites panique sont contagieuses et peuvent déclencher de véritables paniques collectives
(voir Crocq, 1992).
Les réactions immédiates ■ 149
valeur ou quoi que ce soit. Ça aurait été complètement idiot, mais au moins il y aurait
eu une raison. Ici, même pas. Je ne comprends vraiment pas. Et c’est là que ça a explosé.
Je suis resté six mois à l’hôpital et puis, je ne vous dis pas les mois de kiné et tout ça… »
Un Bosniaque, prisonnier des Serbes durant la guerre en ex-Yougoslavie, explique :
« Lors du transfert du convoi, sur un pont, il y avait une femme, je la regardais parce
qu’elle piétinait, elle était très nerveuse et tout à coup, elle a jeté son bébé qu’elle avait
dans les bras par-dessus le pont et elle s’est jetée après lui. Je repense souvent à son
visage affolé. J’en fais des cauchemars. Ce visage hante mes nuits. Il n’y a pas que ça,
je fais aussi d’autres cauchemars, mais ça revient souvent. Je me suis posé beaucoup
de questions. Peut-être qu’elle a pensé que c’était mieux d’être morte que d’être pri-
sonnière, mais je ne crois pas. Je ne sais pas, mais je crois que si elle avait fait un choix,
elle aurait eu un visage déterminé, mais là, elle semblait comme folle »
La distorsion temporelle
Certaines personnes témoignent d’une perception altérée du temps, les événements
leur semblant se dérouler au ralenti. Parallèlement, elles peuvent avoir l’impression de
voir toute leur vie défiler devant leurs yeux en un temps record. Ce phénomène de
brève durée apparaît généralement dans des situations extrêmes.
Grégoire explique : « Je vois ce tunnel de feu qui vient vers moi, mais je le vois au
ralenti. Je n’arrive pas à voir les images en temps réel. J’ai vu le feu, je l’ai entendu,
ça fait un drôle de bruit, et c’est comme si j’avais fait un blocage en criant “Non !”
Après, tout est au ralenti, je vois ce tunnel arriver sur moi au ralenti et je n’entends
plus rien, je n’ai plus de sensation d’ouïe. »
Au cours de la grande fête folklorique annuelle de sa ville, Peter, vingt ans, sirote
une bière dans laquelle un ancien camarade de classe a versé à son insu du LSD42.
Sous l’emprise de la drogue, Peter n’oppose aucune résistance à suivre le scélérat
à l’écart de la ville. Sur le terrain vague où les attendent d’autres brigands, tous
drogués, gît le corps sans vie d’une jeune femme. Sous les yeux effarés de Peter, un
des malfrats abat froidement le compagnon de l’infortunée. Agressé sexuellement
et menacé d’une arme, Peter voit sa dernière heure venue. Il témoigne : « Ils avaient
déjà tué la femme et l’homme. J’étais certain qu’ils allaient me tuer et là, j’ai revu
défiler des bons moments de ma vie. Je n’avais plus peur. Tout d’un coup, mon cœur
qui battait à exploser, tout ça, ça s’est calmé et j’ai vu les bons moments de ma vie
qui passaient. »
44. État caractérisé par une baisse du niveau de la vigilance (désorientation spatio-temporelle, oni-
risme, amnésie lacunaire) avec conservation de certains automatismes.
45. Il s’agit de troubles dissociatifs somatoformes. Voir supra.
46. Perte partielle ou totale de la faculté de marcher.
47. Incapacité partielle ou totale de garder la station verticale.
48. Douleur.
49. Exagération anormalement intense, quelquefois douloureuse, des divers modes de la sensibilité.
50. Sensations anormales non douloureuses diverses : fourmillements, picotements, engourdisse-
ments, brûlures, etc.
Les réactions immédiates ■ 151
51. Une phobie est une anxiété intense et incontrôlée ressentie par une personne lorsqu’elle est en
présence d’objets ou de situations qui n’ont pas en eux-mêmes de caractère dangereux. Cette névrose
trouve son origine dans un conflit intrapsychique.
52. Dans l’obsession, à l’inverse de la phobie, l’anxiété peut être déclenchée sans que l’objet ou la
situation soit présent ; l’idée seule suffit.
152 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
période, c’est assez flou, je ne me rappelle pas de grand-chose. En tout cas, je peux
vous dire que mon entourage était très inquiet. »
Parmi les troubles psychotiques possibles, citons les bouffées délirantes, la schizophré-
nie ainsi que les accès maniaques et mélancoliques. À l’inverse du trouble psychotique
bref, ces affections psychiatriques touchent des victimes prédisposées, porteuses d’une
psychose en incubation s’extériorisant à la faveur des événements ou d’une affection
avérée sur le point de récidiver. De plus, elles évoluent généralement de manière chro-
nique avec des rechutes intermittentes.
La paranoïa
Cette psychose est caractérisée par une surestimation de soi (orgueil injustifié,
suffisance, mégalomanie), la psychorigidité59, une méfiance extrême à l’égard d’autrui,
une susceptibilité démesurée et par un délire chronique systématisé60 à thèmes le
plus souvent de persécution, de préjudice, de complot ou de jalousie. La paranoïa peut
éclore brutalement dans le décours d’un événement traumatisant par un état délirant.
Elle peut aussi s’installer progressivement et dans un premier temps, être confondue
avec une névrose traumatique grave (par exemple, dans certains contextes, la crainte
d’être poursuivi par les agresseurs peut paraître légitime et masquer le caractère
délirant des idées de persécution). Une fois déclarée, la paranoïa devient chronique et
évolue par poussées.
La schizophrénie
La schizophrénie est caractérisée par la perte de contact avec la réalité, la mise à
distance de la relation à autrui (repli sur soi, isolement social, absence de communica-
tion, indifférence affective), des idées délirantes non systématisées61 (par exemple, vol
de pensée, transformation corporelle, catastrophe cosmique, fin du monde, etc.), les
hallucinations et les conduites étranges (accumulation d’ordures au domicile, collection
de cailloux, gestes ou mouvements continuellement répétés, etc.). Cette affection peut
exploser dans les suites d’un événement traumatique. Néanmoins, elle s’est générale-
ment installée de longue date, s’annonçant occasionnellement par des comportements
bizarres, des propos énigmatiques ou des refus de contacts sociaux ou encore s’est
déclarée antérieurement de manière aiguë et transitoire par une bouffée délirante. Elle
évolue généralement vers la chronicité et le handicap psychologique.
L’accès maniaque
L’accès maniaque ou manie est un trouble de l’humeur caractérisé par une hyper-
thymie62 euphorique, des attitudes orgueilleuses et mégalomaniaques, une hyperréac-
tivité émotionnelle (intensité excessive des émotions, capacité accrue à ressentir les
affects), une accélération des processus idéiques avec fuite des idées (tachypsychie63),
une logorrhée intarissable, une hyperactivité souvent stérile (excitation psychomo-
trice, gesticulation) et des troubles du sommeil à type d’insomnie. La coloration des
affects peut être très fluctuante conduisant les sujets à osciller entre l’euphorie, l’irri-
tabilité, la tristesse, voire l’angoisse. La réaction maniaque peut passer inaperçue dans
un premier temps lorsque l’énergie est mise au service des activités de secours.
59. Difficulté à remettre en cause ses jugements ou son raisonnement, à se plier à une discipline
collective.
60. On dit d’un délire qu’il est systématisé lorsqu’il part de prémisses délirantes mais se développe
ensuite de manière logique, cohérente, organisée et structurée.
61. Les délires dits non-systématisés ne possèdent ni logique ni cohérence interne et témoignent d’une
désorganisation importante de la pensée.
62. Exagération de l’humeur affective (joyeuse ou douloureuse, expansive ou rétractile).
63. Trouble intellectuel caractérisé par la rapidité du cours de la pensée.
Les réactions immédiates ■ 155
L’accès mélancolique
La mélancolie se caractérise par une dépression profonde, une anhédonie64, des
idées délirantes d’auto-dévaluation et d’autoaccusation, des idéations et des conduites
suicidaires ainsi que par une inhibition psychomotrice (perte de l’initiative, ralen-
tissement psychomoteur, état de stupeur) et psychique (ralentissement psychique,
pauvreté et ralentissement des processus idéiques, trouble de la mémoire et de la
concentration, etc.). Dans le décours d’un traumatisme, les victimes se remémorent
inlassablement les événements ; elles ressassent les erreurs, réelles ou imaginaires,
qu’elles croient avoir commises et qui ont précipité ou aggravé l’événement trauma-
tisant ; elles s’accablent continuellement de honte pour les actes qu’elles ont posés ou
qu’elles ont omis ; elles ruminent mentalement leur situation (par exemple, leur impres-
sion de ne pas être comprises par leur entourage, d’être menacées par de nouveaux
dangers, d’être maltraitées par les autorités judiciaires, etc.).
étranger. Vous voyez des voitures, des gens, mais tout vous est étranger. Le poids
du quotidien ne pesait plus rien à côté du poids de l’événement. J’ai voulu me suici-
der. Maintenant, je n’en suis plus à vouloir me suicider, mais j’ai quand même tout
ce qu’il faut chez moi »
Dans certains cas, les victimes établissent rapidement des liens pathologiques de
confiance, d’empathie, de complicité ou de compassion avec l’auteur des violences.
C’est le cas dans le syndrome de Stockholm. Ce phénomène rare a été décrit en 1978
par le psychiatre américain Frank Ochberg. Il doit son nom à la ville de Stockholm
où il a été observé pour la première fois en 1973 à l’occasion d’une attaque d’agence
bancaire. À la faveur du confinement (coupure avec le monde extérieur) et d’une pro-
miscuité prolongée, les otages peuvent manifester des liens d’affection et de confiance
envers leurs ravisseurs. Malgré la violence et la menace d’un danger réel, les victimes
prennent fait et cause pour les criminels. Leurs valeurs et leurs sentiments se trans-
forment brusquement sous l’effet d’un transfert pathologique envers les kidnappeurs.
Pour Louis Crocq (2001, 1999), le syndrome touche le domaine affectif, les sphères
cognitives (perturbation de la perception, du jugement et du raisonnement), la volition
(démission de la volonté et abandon de l’autonomie) et le comportement (attitudes,
gestes et paroles en faveur du ravisseur). Le processus d’apparition et de développe-
ment de ce syndrome reste largement méconnu. Il pourrait être induit par le sentiment
de gratitude qu’éprouvent les otages du fait que les agresseurs leur laissent la vie
sauve. L’absence de brutalité et la durée de séquestration favorisent son développe-
ment. Le syndrome concerne tant les victimes que les agresseurs, ces derniers récipro-
quant les sentiments de sympathie et de confiance envers leurs otages. Tous partagent
une méfiance et des sentiments d’hostilité envers les autorités et les forces de l’ordre.
Ces sentiments paradoxaux sont stables dans la durée.
Nous l’avons vu, pour Pierre Janet, les souvenirs traumatiques sont des idées fixes sus-
ceptibles de se manifester dans les rêves et au cours d’épisodes dissociatifs. Il considère
que les flash-back, les cauchemars et autres pensées intrusives sont des phénomènes
dissociatifs. Pour Charles Myers, ils sont une manifestation de la PE (personnalité
émotionnelle) ; pour Onno van der Hart et ses collaborateurs, une manifestation de la
PEP (partie émotionnelle de la personnalité).
Ces réminiscences traumatiques peuvent être produites au départ de stimuli déclen-
cheurs qui évoquent ou symbolisent l’événement traumatisant (images à la télévision,
65. Le DSM-5 considère qu’on ne peut parler d’État de Stress Post-Traumatique qu’après un mois
minimum après l’événement traumatique.
158 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
article dans la presse, odeur, bruit, etc.). Pour les cognitivo-comportementalistes, ces
stimuli deviennent par apprentissage, par « conditionnement », des signaux de danger
entraînant des comportements (évitement, fuite, sidération), des manifestations affec-
tives (angoisses, détresse) ainsi que des réactions neurovégétatives.
Ange-Marie, employée autochtone dans une organisation humanitaire déployée
en Haïti et victime du séisme qui s’y est produit, nous fait part de ses difficultés :
« Je vois toujours ces sacs blancs mortuaires dans la cour du bureau. Maintenant,
chaque fois que je vois quelque chose de blanc, je me mets à trembler, mon cœur
commence à battre très vite, j’ai des vertiges. Ça peut être n’importe quoi : un mor-
ceau de plastique, un t-shirt, tout ce qui est blanc »
Edlie, sa collègue, nous raconte : « Chaque fois qu’il y a une secousse (réplique), ça ne
va plus. Mais ce n’est pas uniquement avec les secousses. Chaque fois qu’un avion
passe, je commence à trembler, j’ai mon cœur qui bat très vite et je me sens mal.
Avec les hélicoptères, c’est encore plus fort. Et tu as vu, ici, les avions et les héli-
coptères des Américains (militaires venus en renfort après le séisme) passent tout
le temps. Et ils passent très très bas. Alors, ça fait beaucoup beaucoup beaucoup de
bruit et tu sens le sol qui tremble. C’est le bruit, ce grondement quand il arrive, qu’il
est encore un peu loin, quand tu ne le vois pas encore, c’est un bruit qui ressemble à
celui du tremblement de terre. Et ça fait trembler le sol. Ça me ramène au moment
au 12 janvier. J’ai peur que ça recommence. Mais je sursaute aussi chaque fois que
j’entends un bruit fort. Je suis traumatisée »
Ces reviviscences peuvent aussi émerger à la faveur d’un état de conscience modifié,
lorsque le système parasympathique est activé (pendant le sommeil, à l’endormis-
sement dans les états hypnagogiques, au réveil dans les phases hypnopompiques, à
l’état de veille durant les rêveries diurnes, etc.). Le système neurovégétatif, également
appelé système nerveux autonome, est constitué des systèmes orthosympathique et
parasympathique. Le rôle du système orthosympathique est de mettre l’organisme en
état d’alerte et de le préparer à l’activité (on peut le comparer à l’accélérateur d’une voi-
ture), celui du parasympathique, de lui permettre de se détendre, de récupérer et de se
régénérer (on peut le rapprocher du système de freinage d’un véhicule). Notre cerveau
ne peut traiter les informations liées à notre vécu que lorsque le système parasympa-
thique est activé. Bien que le fonctionnement cérébral n’ait pas encore révélé tous ses
mystères, l’observation laisse penser que nous possédons un système neurophysiolo-
gique inné traitant de manière adaptative les informations de notre vécu. Ainsi, nous
conservons l’apprentissage de nos expériences et nous utilisons cet apprentissage de
façon constructive. Imaginons le cas d’une personne humiliée par un collègue. Dans les
heures et les jours suivants l’événement, elle repense régulièrement à sa déconvenue ;
elle ressent de la honte, de la tristesse et/ou de la colère ; elle pleure ; elle s’épanche
auprès de ses proches ; elle éprouve des difficultés à trouver le sommeil, etc. Au bout
de quelques jours, elle cesse d’être perturbée ; elle retrouve le sourire, sa gaîté, sa
motivation professionnelle, etc. Toutefois, elle retient la leçon et se méfiera de ce col-
lègue peu scrupuleux. À l’avenir, elle accordera peut-être également sa confiance avec
davantage de discernement ou gérera une situation similaire avec plus d’assertivité.
Lorsqu’une personne vit un événement traumatisant, il en va autrement. Un déséqui-
libre se produit dans son système nerveux empêchant le processus du traitement de
Les réactions post-immédiates ■ 159
l’information de se dérouler normalement. Les images, les sons et les odeurs liés à la
situation traumatique ainsi que les émotions et les sensations physiques éprouvées au
moment des faits sont maintenus neurologiquement en l’état, stockés sous la forme
même de leur vécu initial. Ces données sont figées dans le temps dans leur état pertur-
bant. Le traitement de l’information, semblable au processus de digestion des aliments,
se fait lorsque le parasympathique est stimulé. Les « souvenirs » traumatiques non
« digérés » risquent davantage d’affleurer à la conscience dans ces états de relâche-
ment vagotonique propices à la transformation et à l’assimilation des données66.
« Je suis tout le temps en activité. Je n’ose plus me détendre parce que chaque fois
que je me détends, les images reviennent. Devant la télé, c’est terrible ! Au début,
je me disais, c’est bien, je vais pouvoir un peu souffler et puis, tout d’un coup, je
commence à me sentir mal. Et pour dormir, c’est pareil, ça me fait peur. Je vais me
coucher vers deux heures du matin, quand je n’en peux vraiment plus et ce sont
toujours ces mêmes images qui me réveillent » nous explique Judith, victime de la
traite des êtres humains et forcée de se prostituer durant plus de deux ans.
« Le soir, on boit un peu pour se détendre. Avec tout ce qu’on a vécu… Mais en fait,
chaque fois, c’est pire. Tout remonte et on commence à se disputer. Mon mari qui
n’a jamais digéré ça commence à poser des questions. Mille fois, j’ai déjà répondu que
j’ai eu peur et que je n’ai pas eu de plaisir. Et moi, je revois la scène, mais pas comme
quand je vous l’ai racontée tout à l’heure, je la revois comme si je la revivais. C’est
plus fort, tout est décuplé », raconte Nadine, victime de viol.
Les flash-back67
Flash-back est un mot anglais signifiant « retour en arrière ». Il s’agit d’une revivis-
cence reproduisant tout ou partie de la scène traumatique faisant brusquement irrup-
tion dans la conscience de la victime. Les flash-back sont le plus souvent visuels (par
exemple, la victime a l’impression de voir son agresseur), mais parfois aussi auditifs,
66. Pour plus d’informations sur le modèle du traitement adaptatif de l’information, voir Shapiro
(2007).
67. Crocq suggère le terme « hallucination de répétition ». Nous avons opté pour le terme « flash-
back » car il est plus largement utilisé (ibid.).
160 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
emprise sur moi qu’il n’y a que ça. Et lui, le tueur, il sait ce qu’il a fait et il se promène
tranquillement. »
annonce dans les médias de faits similaires à l’événement traumatisant, etc.), ses pensées
ou son ressenti (par exemple, situation anodine la confrontant à des sentiments d’ineffi-
cacité, de manque de contrôle ou de dégoût) la ramènent au traumatisme originaire.
Rose, victime d’une agression sexuelle explique : « Dès que je sens que je n’ai pas
le contrôle, j’ai l’impression que quelque chose va m’arriver, mais je vous parle de
bêtes trucs comme, par exemple, attendre à la caisse du supermarché. Je ne peux
pas m’enfuir, je suis coincée et hop !, une crise d’angoisse ! Je ne peux plus mettre les
pieds dans un restaurant parce qu’attendre mon plat, c’est devenu impossible. Je me
sens impuissante, coincée, sans contrôle et c’est comme si j’étais ramenée au viol. »
« Je ne suis jamais tranquille. On ne peut pas dire que ça n’arrivera plus jamais. Il y
aura encore des tueries. L’être humain est cruel » nous confie Jean.
Thérèse, victime d’un attentat terroriste, s’angoisse : « Ça peut se reproduire
n’importe quand. Je n’ose plus descendre dans ma cave. Descendre à la cave, c’est
comme si je redescendais sur le quai du métro. Je sais que c’est débile mais j’ai vrai-
ment l’impression qu’il y a un terroriste caché dans la cave. Je suis persuadée qu’il
y a quelqu’un de caché en bas et qu’il me veut du mal. Je n’ose plus aller dans les
grandes surfaces. Quelqu’un de mal intentionné pourrait rentrer. La dernière fois
que j’y suis allée, j’étais tellement stressée que je ne savais plus ce que j’étais venue
chercher. Je n’ose plus aller dans les cafés, dans les restaurants. Il fait beau, mes amis
vont manger en ville sur les terrasses. Je n’ose pas aller avec eux. Je me sens tout le
temps en danger. N’importe quoi pourrait arriver »
68. Accès paroxystique de fureur, crise violente et imprévisible se terminant par un sommeil
comateux.
Les réactions post-immédiates ■ 163
• les activités. Elle cesse ou s’adonne avec réticence aux activités éveillant le souve-
nir de l’incident critique. Par exemple, elle ne se promène plus en rue ; elle
esquive tout contact corporel y compris le simple fait de serrer la main ; elle se
dérobe au contact d’inconnus ; elle évite de manipuler des outils dangereux, etc.
• les lieux. Elle se tient éloignée du théâtre du drame ainsi que des endroits
isolés, sombres, etc.
• les situations. Elle évite de rester seule le soir, de quitter son domicile à la nuit
tombée, de se retrouver dans des situations d’où elle ne peut s’échapper aisé-
ment, de conduire un véhicule, etc.
• les personnes. Elle s’écarte de tous les individus qui ressemblent à l’auteur de
son malheur (hommes, inconnus, individus dont le visage est camouflé par
une capuche ou un casque de moto, etc.).
• les actes vécus comme intrusifs. Elle refuse, par exemple, les examens gynéco-
logiques ou manifeste de la terreur si elle ne peut s’y soustraire ; elle redoute
l’introduction de fraises et forets dans la bouche lors des soins dentaires, etc.
• les attitudes séduisantes et autres comportements provocants. Elle maîtrise son
apparence pour ne pas éveiller le désir sexuel des hommes, elle cesse de se
maquiller, elle renonce aux tenues dénudant les jambes, etc. Elle veille à ne
pas susciter la tentation du vol, elle ne se pare plus de bijoux, elle ne porte
plus de sac à main, etc.
Depuis l’attentat dont elle a été victime, Charline évite tout ce qui lui rappelle
l’attentat. Il ne lui est plus possible de se rendre à l’aéroport, son lieu de travail ; elle
ne parvient plus à se rendre à Bruxelles et évite les endroits fréquentés et les lieux
bruyants.
69. Ces troubles sont dits non spécifiques dans la mesure où on les retrouve dans des affections men-
tales autres que les syndromes psychotraumatiques. Nous préférons la désignation « symptômes non
spécifiques » à celles de « pathologies associées » et de « symptômes co-morbides » fréquemment uti-
lisées. En effet, de notre point de vue, ces troubles font partie intégrante des syndromes psychotrau-
matiques, les symptômes pathognomoniques ne constituant qu’une fraction du tableau que peuvent
manifester les personnes souffrant des suites d’un événement traumatisant.
70. Voir « Les symptômes non spécifiques aux syndromes post-traumatiques » dans la phase à long
terme.
166 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
l’étaient dans un moindre degré. D’après les études européennes, 61,5 % des personnes
souffrant d’un PTSD présentent un trouble anxieux généralisé (Ducrocq, 2009),
18,6 % un trouble panique et 15,9 % une phobie sociale.
Généralement, les symptômes anxieux apparaissent rapidement dans le décours des
événements et peuvent persister longtemps. En effet, les victimes présentent fréquem-
ment un abaissement durable de leur seuil de tolérance dans des situations perçues
comme une menace pour leur sécurité et leur intégrité physique.
D’un point de vue psychologique, la peur, l’anxiété et l’angoisse désignent des réalités
distinctes. Elles sont toutefois apparentées et peuvent être considérées comme trois
degrés d’un même état.
La peur
La peur est une crainte ressentie face à une situation, présente ou à venir, perçue
comme dangereuse. Parmi les peurs les plus répandues après un événement trauma-
tique, citons :
La peur rétrospective
Après s’être sorties vivantes, voire indemnes, d’une situation dangereuse, les vic-
times envisagent généralement tous les périls auxquels elles auraient été confrontées
si les faits s’étaient déroulés différemment. Par exemple, après un accident de roulage
sans gravité, elles s’interrogent : « Que ce serait-il passé si j’avais donné un coup de
volant dans l’autre sens ? », après avoir renversé un piéton quitte pour quelques contu-
sions : « Que serait-il advenu si j’avais roulé plus vite ? » ou après un hold-up : « Les
voleurs m’auraient-ils tuée si je ne m’étais pas rappelée du code du coffre-fort ? » Elles
redoutent ensuite les dangers auxquels elles ont l’intime conviction d’avoir échappé
(mourir en voiture, tuer quelqu’un accidentellement, être agressée mortellement).
Notons cependant que dans les contextes de violence répétée (guerre, violence conju-
gale, etc.), ces peurs peuvent être pleinement justifiées.
Les réactions post-immédiates ■ 167
L’anxiété
L’anxiété se définit par un sentiment d’insécurité et de menace et se présente sous
forme d’états diffus de crainte et d’inquiétude. Contrairement à la peur, elle peut se
déclencher sans qu’un danger ait été identifié ou la source de l’appréhension, précisée
(contexte, lieu, individus, etc.).
« J’ai toujours ce malaise, comme s’il allait m’arriver quelque chose, à moi ou à
mes enfants ou à mon mari ou à mes parents… C’est comme si une menace planait
toujours sur ma famille. Je ne fais pas vraiment de crises d’angoisse. Comment
vous expliquer ? On voit la mer, il fait beau, il y a du soleil, la mer est calme,
tout est tranquille, ça paraît idyllique, mais en dessous de la surface, il y a des
requins, de dangereux requins et on ne peut jamais nager tout à fait tranquil-
lement. Mes enfants s’amusent, mon mari aussi et moi, je reste toujours un peu
mal à l’aise parce que j’ai conscience du danger » nous explique Natalia, victime
d’un car-jacking.
168 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
L’angoisse
Elle se manifeste sous forme d’épisodes aigus appelés crises d’angoisse, attaques ou
crises de panique. Ces crises surviennent lors de l’exposition à des indices évoquant
l’événement traumatique (par exemple, lorsque les victimes se remémorent l’agression,
lorsqu’elles sont confrontées à une situation comparable à l’événement initial, etc.),
mais également, sans raison particulière, dans un contexte exempt de danger. Elles
durent le plus souvent de quelques secondes à plusieurs minutes. Ces crises, dominées
par le sentiment paroxystique de danger imminent, sont accompagnées d’une profonde
détresse ainsi que de sensations physiques désagréables71 dues à l’activation neurové-
gétative orthosympathique. Les personnes sont anxieuses quant au moment et au lieu
où pourrait survenir la prochaine attaque. En général, elles restreignent leurs activités
et leurs déplacements craignant d’être privées de secours en cas de malaise ou de se
sentir mal devant autrui.
Les troubles anxieux se présentent sous forme de crises d’angoisse, d’agitation désor-
donnée, de vécu de mort imminente, de fuites en avant, de surveillance inquiète de
l’environnement, de phobies et de pseudo-phobies (agoraphobie72, phobie de la foule,
des lieux publics, des endroits clos et des transports en commun, peur des hommes, des
étrangers, du contact physique, des relations sexuelles, terreur de rester seule, etc.).
Ces réactions sont en partie déterminées par les circonstances de l’agression. Par
exemple, si la personne a été agressée alors qu’elle se trouvait seule, elle peut vouloir
être constamment accompagnée ; si elle a été violée par plusieurs individus, elle peut
préférer s’isoler.
Ces réactions s’accompagnent de sensations physiques désagréables dues à l’activation
neurovégétative orthosympathique (palpitations, tremblements, impressions d’éva-
nouissement imminent, gêne ou oppression respiratoire, vomissements, vertiges, etc.).
Elles peuvent donner à la victime le sentiment qu’elle va mourir (par exemple, d’une
crise cardiaque en raison de la tachycardie), qu’elle devient folle ou qu’elle ne va
jamais s’en sortir (en raison de la perte de contrôle sur ses pensées, ses sensations et
ses émotions).
« Il y a quinze jours, le samedi soir, mon mari m’a emmenée à l’hôpital à une heure
du matin. Il ne savait plus quoi faire et il m’a emmenée aux urgences. Mon cœur
battait tellement vite que je pensais que j’allais avoir une crise cardiaque. Et j’étouf-
fais. Je pensais que je faisais une crise d’asthme. En tout cas, j’avais l’impression que
j’étais en train de crever. Les médecins m’ont dit que ce n’était rien, c’était juste une
crise d’angoisse. J’étais en hyperventilation.
Ils m’ont donné des médicaments pour me calmer et c’est là que j’ai reçu vos coor-
données. Je suis mal tout le temps. C’est dans la tête, mais c’est aussi physique. Je
me sens mal dans ma peau. J’ai toujours l’impression d’avoir un poids sur la poitrine,
j’ai l’impression de manquer d’air. Mon mari râle parce que j’ouvre tout le temps les
fenêtres, mais j’ai besoin d’air frais, ça me fait du bien. C’est un malaise général, vous
comprenez ? Je n’ose plus rien faire. Depuis que j’ai été à l’hôpital, j’ai peur de refaire
une crise d’angoisse. En fait, j’ai peur d’avoir peur. Je ne sais pas si vous avez déjà
eu des crises d’angoisse, mais c’est vraiment atroce, on a vraiment l’impression de
crever. Je ne vois pas comment en sortir. Il n’y a pas d’issue. Il n’y a pas de porte de
sortie » nous dit Nadia, victime d’un grave accident de la route.
Ces troubles anxieux induisent fréquemment des conduites d’évitement, des troubles
du sommeil, des difficultés de concentration, etc.
La peur, l’anxiété et l’angoisse sont renforcées par les difficultés consécutives à l’évé-
nement auxquelles les victimes sont confrontées (par exemple, pertes financières après
un vol, handicap suite aux blessures, relogement problématique après un incendie,
rejet du partenaire après un viol, etc.).
73. Selon le DSM-5, pour parler de troubles dépressifs, la personne doit avoir présenté un certain
nombre de symptômes pendant une période d’au moins deux semaines.
170 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
constants, de l’abattement, de l’apathie74, une perte d’intérêt pour les activités habi-
tuelles (familiales, professionnelles, de loisirs, sexuelles, etc.), une perte d’initiative,
des ruminations mentales autour de l’événement ainsi que par des pensées ou des
passages à l’acte suicidaire (tentative de suicide et suicide). Elles s’accompagnent
souvent de troubles du sommeil et de l’appétit, de difficultés à penser et à se concen-
trer, d’aboulie75, d’apragmatisme76, d’asthénie77, d’adynamie78, voire de clinophilie79,
ainsi que de plaintes somatiques. Elles peuvent se doubler d’une attitude régressive
de perte d’autonomie et de dépendance vis-à-vis de l’entourage (besoin insatiable
d’affection, d’attention, de considération et de protection, besoin d’être pris en charge,
égocentrisme, etc.).
Lucien témoigne : « Depuis mon agression, chez moi, c’est le bordel. Je n’ai plus fait la
vaisselle. Je n’ai plus rien fait. Quand l’évier a été plein, j’ai mis la vaisselle sale dans
la baignoire. Et quand il n’y a plus eu de place, je l’ai jetée et quand il n’y a plus eu
de vaisselle propre, j’en ai racheté. J’ai fait la même chose avec les vêtements. C’est
facile ; il y a une friperie juste en bas de mon immeuble. Dans mon appartement, il
y a des papiers partout. On ne peut même plus passer. Je n’arrive plus à gérer le
quotidien. Je ferme les rideaux, je ferme toutes les portes à clé et je reste là, comme
ça, dans le noir. Je sais qu’il faudrait que je me bouge un peu, mais ça ne me dit plus
rien. À quoi bon faire tout ça ? Ça n’a pas de sens… Plus rien ne me paraît avoir du
sens. Je n’attends plus rien de la vie. »
Après la perte tragique de son fils dans un accident auquel il a assisté impuissant,
Bertrand nous dit : « Le matin, quand je me réveille, je râle d’être encore là. J’espère
toujours que quelqu’un là-haut va venir me chercher pendant la nuit. Je voudrais
bien ne plus me réveiller pour ne plus avoir à vivre tout ça. »
Jessica, victime d’un sac-jacking, raconte : « Je pleure tout le temps. Je suis devenue
hyper sensible. La moindre chose me fait pleurer. Si je parle de l’accident, je pleure.
Si mes copines me demandent comment je vais, je pleure. Si je vois un film à la télé
avec des gens qui s’aiment, je pleure. Quand je regarde les nouvelles à la télé, je
pleure. Quand on me raconte un truc qui est arrivé à quelqu’un, je pleure, même si
je ne connais pas la personne. Je me lève, je pleure ; je me couche, je pleure. Je suis
devenue liquide. »
74. L’apathie est une diminution ou une disparition des émotions et des désirs conduisant à l’indif-
férence. Les personnes se désintéressent du monde extérieur ; elles perdent leur motivation et leur
intérêt pour leurs activités habituelles (tâches quotidiennes, professionnelles, scolaires et de loisirs) ;
elles réduisent leurs activités, etc.
75. Altération pathologique de la volonté, incapacité à décider.
76. Trouble se caractérisant par une perte d’initiative, une incapacité de réaliser des actes courants
et une inaction prolongée. Dans l’aboulie, l’exécution des tâches est impossible mais l’intention d’agir
reste intacte alors que dans l’apragmatisme, la volition même est atteinte.
77. Fatigue morbide résistant au repos.
78. L’adynamie est une fatigue très intense s’accompagnant d’un épuisement général de l’organisme
et se manifestant par une extrême faiblesse musculaire.
79. La clinophilie est la tendance à passer la quasi-totalité de la journée dans son lit, en somnolant
plus qu’en dormant.
Les réactions post-immédiates ■ 171
Louis n’éprouve plus de plaisir depuis le tiger-kidnapping qu’il a subi. « Plus rien
ne me fait plaisir. Je viens de me rééquiper en matériel informatique. C’était néces-
saire. Avant, j’aurais été excité comme une puce. J’aurais été voir partout dans les
magasins, j’aurais analysé tout ça avec beaucoup d’enthousiasme. Eh bien, ça ne m’a
procuré aucun plaisir. Quand je vois un film drôle, je peux rire, mais je ne sais pas
comment vous dire, en même temps, je ne ressens plus de plaisir dans ma vie. »
Notons qu’il est fréquent qu’une victime alterne entre un émoussement (état d’impuis-
sance, dépression, retrait affectif, activité ralentie, etc.) et une hyperactivité émotion-
nelle (anxiété, « rage aveugle » contre les agresseurs ou contre l’humanité entière,
colère contre leur entourage dont elle juge les réactions inadéquates, logorrhée, activité
excessive, etc.).
Outre ces symptômes, les victimes éprouvent fréquemment des sentiments de honte
et de culpabilité excessifs ou inappropriés par rapport à leur propre comportement
(auto-accusations). Elles se reprochent, par exemple, de s’être rendues sur le lieu où se
sont produits les faits, d’avoir emprunté une rue déserte, de s’être promenées seules
à une heure tardive, d’avoir porté une tenue sexy, d’avoir pris la route en étant fati-
guée, etc. Elles souffrent également de ne pas avoir agi comme elles l’auraient désiré (ne
pas s’être défendues, ne pas s’être enfuies, de ne pas avoir crié, etc.), d’avoir transgressé
leurs convictions morales ou éthiques pour avoir la vie sauve (par exemple, avoir
préféré subir le viol plutôt que la mort), d’avoir assumé égoïstement leur sauvegarde
sans porter secours à leurs compagnons d’infortune, voire de s’être réjouies d’avoir été
épargnées alors que d’autres ont été blessés ou tués, etc.
Charles, victime du tremblement de terre en Haïti, nous dit : « J’étais avec ma
maîtresse pendant le tremblement de terre et ma fille est morte parce que je l’avais
déposée chez ma mère. Ma mère est morte aussi. Tout le monde est mort dans la mai-
son. Si je n’avais pas vu ma maîtresse, ma fille serait restée avec moi chez moi et elle
ne serait pas morte. Ma maison n’a presque rien, juste quelques fissures, mais elle ne
s’est pas effondrée. C’est de ma faute. Je n’aurais jamais dû la déposer chez ma mère.
Dieu me punit. C’est une punition de Dieu. Il m’a pris ce que j’avais de plus cher… »
Ces sentiments de culpabilité sont pour la plupart liés à des croyances et/ou à une
perception exagérée de leur responsabilité (attribution causale interne). « J’aurais dû
prévoir ce qui allait se passer », se disent-elles, même si objectivement les faits étaient
complètement imprévisibles. « J’aurais dû me défendre », déclarent-elles alors qu’elles
ne pouvaient raisonnablement résister étant sous la menace d’une arme à feu ou de
plusieurs agresseurs. Ces sentiments de culpabilité peuvent être interprétés comme
une tentative de donner sens à l’événement et de s’en réapproprier la maîtrise80.
Jean-Philippe, gérant d’une agence bancaire et victime d’un tiger-kidnapping, nous
relate : « Il était huit heures du soir. J’étais convaincu que c’était la voisine. Ça arrive
fréquemment. Vous savez, on est proche. C’est elle qui fait le ménage à la maison
et à l’agence. On se rend très souvent des services. Donc, ça n’avait rien d’anormal.
Mais quand même, je me dis que je n’aurais jamais dû ouvrir. On ne sait jamais ce
qui peut arriver. Pourquoi est-ce que j’ai été ouvrir ? À cause de moi, ma femme et
mon fils ont été en danger. Je les ai mis en danger. C’est terrible… »
Les sentiments de culpabilité sont fortement renforcés en cas de suicide d’un proche,
en particulier d’un enfant.
Colette dont la fille s’est suicidée par pendaison nous raconte : « J’aurais dû savoir
ce qui allait se passer. Je suis sa mère. J’aurais dû comprendre, j’aurais dû voir. J’ai
entendu un bruit et je me suis dit : “Qu’est-ce qu’elle fait ?”, Je me suis demandé si elle
n’avait pas fait tomber son réveil. À ce moment-là, j’aurais dû monter. Mon ex-mari
me dit que c’est ridicule. Il était là et lui, il n’a pas fait attention à ce bruit. Pour lui,
c’était un bruit banal, un bruit comme n’importe quel bruit que quelqu’un peut faire
quand il est dans une pièce. Quelque part, je sais bien que c’est ridicule, mais je me
dis quand même que je suis sa mère et donc, j’aurais dû savoir et j’aurais dû monter.
C’est plus fort que moi. »
Ingrid dont la mère s’est jetée par la fenêtre de la maison de soins où elle venait d’em-
ménager, nous dit : « Je m’en voudrai toute ma vie. J’avais dit au médecin que les
fenêtres n’étaient pas sécurisées. Je lui ai dit que j’avais peur de ça. Il m’a rassurée en
disant qu’il n’y avait pas de problème, qu’il connaissait ma mère depuis longtemps et
qu’elle n’était pas vraiment suicidaire, que ses menaces n’étaient que des appels au
secours. Il s’est même fâché en me disant que j’étais comme ma mère. Il avait trouvé
une solution et j’étais comme elle, rien n’était jamais bon. Alors, comme une idiote,
je l’ai écouté. J’aurais dû suivre mon intuition. C’est de ma faute si elle est morte. »
Les victimes peuvent aussi se sentir coupables de faire porter le poids de leur souf-
france par leur entourage et être affligées des tourments qu’elles leur infligent (« Mes
enfants, mon conjoint, mes amis, mes collègues ne méritent pas que je me comporte de
cette manière avec eux »). Elles se culpabilisent, par exemple, de ne plus être enclines
à partager les conversations et les plaisirs ordinaires, de ne pouvoir assumer correcte-
ment leurs tâches quotidiennes, en particulier, de prendre soin de leur famille, d’être
irritables ou agressives vis-à-vis de leurs enfants, de leur conjoint et/ou de leurs amis,
de refuser les relations sexuelles, etc. Ces répercussions négatives de leur comporte-
ment sur leurs proches renforcent leur mésestime d’elles-mêmes et leur sentiment
d’être indignes.
« Je n’étais pas bien. Je me sentais seul. Et quand elle est rentrée, je me suis emporté.
Je me suis emporté pour rien. C’est moi. C’est moi qui me suis emporté par rapport
à elle. Je n’ai pas pu me retenir. Je l’ai attrapée violemment par le bras. J’ai honte
d’avoir fait ça. Je regrette. J’ai honte de vous raconter ça. Ma femme ne mérite pas
ça. Mes enfants non plus. Je m’énerve sur eux, je crie. Ma femme me dit que je crie
tout le temps sur les enfants. Quand elle me le dit, je me rends compte que c’est
vrai. Je sais bien que ça ne sert à rien, mais c’est plus fort que moi, à un moment, ça
explose. Je suis en train de faire ce que j’ai vécu à la maison quand j’étais petit. Mon
père criait tout le temps et je n’aimais pas ça… Je reproduis ce qui m’a fait souffrir
quand j’avais leur âge. Mais avant, je n’étais pas comme ça… Il aurait mieux valu
que je meure. J’aurais moins fait souffrir autour de moi. En plus, ils auraient eu
l’assurance-vie. Ils auraient été tristes sur le moment, mais ça aurait fini par passer.
Ce n’est pas agréable pour ma femme et mes enfants. Je n’ai plus jamais envie de rien
faire. Parfois quand mon fils rentre de l’école, il vient près de moi et il me demande :
Les réactions post-immédiates ■ 173
“Papa, on va jouer au foot ?” et moi, je lui réponds “Non mon chéri, je suis fatigué”.
Alors, il me dit : “Mais papa, tu es toujours fatigué. Ce n’est pas chouette”. Et c’est
vrai, ce n’est pas chouette pour eux. Je le sais bien. Ils n’y sont pour rien. Tout mon
entourage subit ma mauvaise humeur » nous raconte Jean, victime d’une fusillade.
Colette dont la fille s’est suicidée témoigne : « À la maison, je suis désagréable avec
mon compagnon. Je veux qu’on me foute la paix. Je veux la paix. Avec son fils, il me
dit que je suis méchante et c’est vrai. Je sais bien qu’il n’en peut rien, mais c’est plus
fort que moi, je veux la paix. Et avec le mien, je ne suis pas gentille non plus. Quand
il fait une bêtise, je lui dis parfois : “Ta sœur n’aurait jamais fait ça.” Ce n’est pas
gentil, je sais. Pourtant, c’est mon fils, je l’aime. Avec mon compagnon aussi, je suis
méchante. Et lui, il est si gentil. Il ne mérite pas ça. Je suis un monstre. »
au village. Ma famille m’a gardé à la maison, mais ce n’est pas facile non plus. Quand
je ne suis pas d’accord avec ma sœur, elle me dit “Tu agis comme ça parce que tu as
été violée. Tu es devenue stupide”. »
Ces comportements peuvent surprendre les victimes elles-mêmes. En effet, il est éton-
nant qu’ayant échappé à la mort, elles en viennent à la rechercher ou à en potentialiser
le risque.
Marianne, victime d’un hold-up, battue et laissée pour morte par les malfaiteurs,
s’étonne : « C’est fou, non ? J’ai failli mourir, j’ai eu la trouille de mourir et mainte-
nant, je n’ai plus envie de vivre, je voudrais être morte. »
Dans les cas de violence interpersonnelle, ces comportements peuvent être interprétés
comme une façon de lutter contre l’introjection de l’agresseur. Ce que les victimes
veulent tuer, ce n’est pas leur propre personne, mais le tiers malveillant qui hante
leur corps et leur esprit. Ces comportements auto-agressifs peuvent également être
176 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
compris comme la résolution de la tension meurtrière qui les habite ; leur désir de tuer
l’agresseur ne trouvant pas d’issue se tourne contre elles-mêmes.
Rose, victime d’un viol, nous confie : « Ça arrive (les idées suicidaires) quand je
pense au violeur. Je ne supporte pas qu’il soit dans ma tête. C’est comme s’il était
toujours là et il continue de me faire souffrir. »
Ces comportements à risque peuvent constituer des conduites ordaliques83. Les sujets
se mettent délibérément en danger au cours d’épreuves comportant un risque vital et
dont l’issue est laissée selon leurs croyances, au hasard, à la destinée ou à Dieu. Ces
conduites se distinguent des comportements suicidaires, les sujets n’ayant pas pour
objectif de mourir, mais de tester leur courage et leur droit à vivre84. Après un trau-
matisme, ces conduites peuvent s’expliquer par le fait que les victimes ont besoin de
restaurer leur identité et leur valeur personnelle après avoir été opprimées ou humi-
liées ou bien encore qu’elles ressentent la nécessité de s’assurer de la légitimité de leur
existence alors que d’autres sont morts. Pour Boris Cyrulnik « Toute mise à l’épreuve
intime prend un effet ordalique : si je triomphe encore, si le jugement de Dieu m’ac-
corde la victoire, si je surmonte l’épreuve des éléments naturels, de l’eau et du feu, si
je domine la faim, le froid et l’hostilité sociale, je me fournirai la preuve que j’ai le droit
de vivre malgré ma culpabilité. Mais ce combat se déroule sur le fil du rasoir. Si par
malheur j’échoue, je confirmerai qu’on avait bien raison de vouloir me tuer » (Cyrulnik,
1999). Ces prises de risque sont aussi un moyen d’éprouver des sensations fortes pour
retrouver le sentiment d’exister (et parfois, pour sortir d’un état dissociatif).
Depuis l’accident mortel dans lequel son frère a péri, Nicole, prend des risques. « Je
sors seule la nuit. À trois heures du matin, si je ne dors pas, j’ai souvent des insom-
nies, je me lève et je vais faire le tour du quartier en jogging. Pourtant, je ne vis pas
dans un quartier particulièrement sécurisant, mais je m’en fous, je n’ai même pas
peur. Arrivera ce qui doit arriver. Je me dis : “S’il ne m’arrive rien, c’est qu’il (son
frère) me protège et s’il m’arrive quelque chose, c’est que ce que je pense est vrai,
j’aurais dû mourir à sa place.” C’est moi qui conduisais, c’est moi qui aurais dû mou-
rir. Jusqu’à présent, il ne m’est rien arrivé. Il y a une bonne étoile pour les dingues,
parce que les gens qui me voient faire du jogging à trois heures de mat’, ils doivent
vraiment me prendre pour une dingue ! »
83. L’ordalie est un rite judiciaire faisant appel au jugement divin pour trancher de l’innocence ou
de la culpabilité d’un prévenu. Elle a été pratiquée en Europe jusqu’au Moyen Âge et l’est encore de
nos jours dans certaines peuplades africaines. L’ordalie soumet l’accusé à une épreuve qu’il réussit si
les dieux ou les esprits le considèrent innocent (par exemple, aux temps anciens, traverser un bûcher
sans se brûler ou en Afrique, survivre à l’absorption d’un poison). Contrairement à l’ordalie judiciaire,
dans les conduites ordaliques, le sujet joue sa vie de son plein gré.
84. La frontière entre conduites ordaliques et comportements suicidaires est néanmoins parfois très ténue.
178 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
les pertes temporaires de l’appétit ainsi que l’appétence excessive pour les sucreries,
le grignotage anxieux et l’hyperphagie (pouvant conduire à l’obésité) sont répandus.
Adeline a découvert sur la terrasse le corps mutilé de son voisin. Elle rapporte :
« Pendant quelques jours, je n’ai plus pu avaler la moindre nourriture, même le
thé, ça passait difficilement, mais ça revient progressivement. Je n’ai pas l’appétit
d’avant, mais ça va mieux. »
Depuis son agression, Marianne a des fringales. « Je crois que j’ai pris cinq kilos sur
ces deux dernières semaines. Je n’ai pas faim, mais je prends un bout de chocolat,
puis des biscuits et puis un yaourt et ça n’arrête pas de toute la journée. Et le soir,
pour couronner le tout, je prends des chips en regardant la télévision. C’est plus fort
que moi. Je compense… »
Les dépendances
La souffrance psychique favorise la consommation abusive d’alcool et de médica-
ments psychotropes (calmants, antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères, antidou-
leurs87, etc.), la toxicomanie et le tabagisme.
L’acide gamma amino-butyrique (GABA) régule l’intensité et la durée de la réponse
hyperadrénergique dans les situations de stress intense. Les études ont démontré que les
individus présentant de faibles taux de GABA dans le décours immédiat d’un événement
risquent davantage de développer un état de stress post-traumatique. Or l’alcool et les
benzodiazépines potentialisent l’action du GABA. Ceci pourrait éclairer le fait qu’un cer-
tain nombre de sujets recourent à ces substances après un incident critique (voir Vaïva,
Boss et al., 2005). Des études ont par ailleurs démontré que la prise d’alcool avant l’inci-
dent critique réduit le risque d’apparition d’une symptomatologie traumatique (Maes,
Delmaire et al., 2001). Par ailleurs, les opiacés endogènes, en inhibant les actions de la
noradrénaline, jouent un rôle dans la contre-régulation du système nerveux central, ce
qui pourrait expliquer l’appétence de certaines victimes pour les drogues. Les recherches
ont d’ailleurs prouvé que l’administration de morphine dans les suites d’un événement
tragique réduit le risque de développer un syndrome post-traumatique (voir Holbrook
et al., 2010 ; Saxe et al., 2001). La consommation de substances psychoactives pourrait
donc être une tentative d’automédication contre les réactions de stress et les symp-
tômes psychotraumatiques (symptômes de répétition, hyperactivation neurovégétative,
dépression, anxiété, etc.). L’état de conscience modifié induit par l’alcool, les drogues et
certains médicaments psychotropes est aussi recherché comme moyen de fuir la réalité.
87. Certaines victimes ont tendance à surconsommer des antidouleurs. Des études récentes tendent à
prouver que le l’acétaminophène ou paracétamol, médicament destiné à soulager la douleur physique
réduirait la douleur émotionnelle (voir à ce sujet DeWall et al., 2010).
180 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
lésionnelle. Ils sont caractérisés par des plaintes physiques suggérant une affection
somatique sans qu’aucune pathologie organique ne puisse être démontrée. Autrement
dit, la personne présente des symptômes physiques sans que ses organes soient
atteints de maladie. Bien que l’expression de ces troubles soit avant tout corpo-
relle, ils relèvent des désordres mentaux, car ils sont provoqués par des facteurs
psychologiques.
Dès les premiers jours ou les premières semaines après l’événement traumatisant,
les victimes peuvent se plaindre de maux physiques sans cause organique ainsi que
de l’aggravation d’une maladie préexistante. Ces symptômes somatiques risquent
d’accroître les angoisses à propos de leur personne physique et de leur vulnérabilité.
88. Psychogène se dit d’un trouble ou d’une affection dont l’origine est purement psychique.
89. Douleur localisée dans l’estomac.
90. On appelle anisme la contraction paradoxale du sphincter anal externe au cours d’un effort de
défécation.
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 181
95. Le DSM-III est la troisième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder
(American Psychiatric Association, 1980).
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 183
Autre changement significatif, le DSM-5 n’exige pas que l’individu ait manifesté une
peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur face à l’événement. Les études
épidémiologiques ont démontré que l’absence de telles émotions diminue légèrement
le risque de trouble ultérieur et que leur présence s’avère peu prédictive comparée à
d’autres réactions telles que la colère ou la honte. Ce critère lié à une réaction émotion-
nelle a ainsi disparu du DSM-5.
Concernant le trouble de stress aigu, les recherches menées depuis l’avènement de l’ASD
dans le DSM-IV, ont poussé les auteurs à en modifier les objectifs et les critères. Avec
cette entité, l’APA avait pour objectif de combler un vide nosographique, mais également
de discriminer les personnes à risque de développer une pathologie à long terme de celles
qui n’éprouvent que d’éphémères réactions de stress. Or, les études ont prouvé que si
la grande majorité des individus manifestant un tableau de stress aigu souffrent plus
tard d’un syndrome chronique, bon nombre de victimes affectées par un PTSD n’ont
pas présenté de trouble de stress aigu. L’ASD s’est ainsi révélé un critère sensible, mais
peu spécifique à prédire le devenir des individus confrontés à un événement adverse.
En maintenant l’ASD dans le DSM-5, l’APA ne poursuit plus l’ambition de dépister
précocement les sujets à risque de développer une future affection psychotraumatique.
Cette entité se limite aujourd’hui à identifier les victimes souffrant de réactions de stress
sévère dans la période de latence durant laquelle le diagnostic de PTSD ne peut être posé.
Dans certains pays, par exemple aux États-Unis, cette reconnaissance peut s’avérer déci-
sive pour l’obtention du remboursement des soins de santé.
En ce qui concerne la liste des symptômes de l’ASD, elle est pratiquement inchangée,
bien que plus détaillée. Ainsi, par exemple, l’item « une impression de déréalisation »
du DSM-IV devient dans le DSM-5 « Altération de la perception de la réalité, de son
environnement et de soi-même (par ex. se voir soi-même d’une manière différente, être
dans un état d’hébétude ou percevoir un ralentissement de l’écoulement dutemps) ».
Un critère a été ajouté, celui d’« humeur négative », reconnaissant la difficulté persis-
tante de certaines victimes de ressentir des émotions positives telles que le bonheur, la
satisfaction ou des sentiments affectueux.
La version actuelle n’exige plus, comme c’était le cas auparavant, de satisfaire un
nombre précis de signes par cluster. Nous l’avons vu, dans le DSM-IV, l’accent est
mis sur la dissociation, trois des cinq symptômes dissociatifs de ce cluster spécifique
devant être rencontrés. Or, les études menées depuis près de vingt ans prouvent que
la dissociation péri-traumatique n’est pas un facteur prédictif indépendant d’un stress
post-traumatique (Breh, Seidler, 2007 ; Van der Velden et al. cité in Bryant, 2013).
Plus que la dissociation, c’est l’hyperactivation neurovégétative qui semble être le
pivot central du développement d’un trouble ultérieur (Bryant, Brooks et al., 2011).
Partant du constat que la relation entre la réaction aiguë à un événement et une patho-
logie à long terme est complexe et non linéaire et compte tenu de l’hétérogénéité des
manifestations de stress aigu, la nouvelle définition de l’ASD publiée dans le DSM-5
requiert que soient présents au moins 9 des 14 symptômes possibles, quels que soient
les clusters auxquels ils appartiennent : intrusion, humeur négative, dissociation, évi-
tement ou hyperactivation. Autrement dit, les victimes d’un événement délétère en
état de stress aigu peuvent manifester une gamme de réponses incluant ou non des
symptômes dissociatifs.
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 185
96. Dans la suite de l’ouvrage, les citations du DSM-5 sont reproduites à partir de sa traduction fran-
çaise : American Psychiatric Association (2015). DSM-5. Manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux. Paris, Elsevier-Masson.
186 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
3.2.1. Le DSM
La première édition du manuel, parue en 1952, fait mention, dans la catégorie des
« troubles psychonévrotiques », de « réactions dissociatives » entendues comme une désor-
ganisation importante de la personnalité. Bien que ces phénomènes puissent donner l’impres-
sion de relever de la psychose, ils apparaissent chez les sujets de structure névrotique.
Diverses expressions symptomatiques sont listées : la dépersonnalisation, la personnalité dis-
sociée, la stupeur, la fugue, l’amnésie, l’état de rêve et le somnambulisme. Le DSM-I distingue
la réaction dissociative de la « réaction de conversion » et rappelle qu’« auparavant, cette
réaction [dissociative] était répertoriée comme une forme d’“hystérie de conversion” »98.
En 1968, dans la deuxième édition du DSM, l’American Psychiatric Association réper-
torie, dans les « névroses », un tableau de « névrose hystérique de type dissociatif »
qu’elle distingue de la névrose de conversion, ainsi qu’une « névrose de déperson-
nalisation (syndrome de dépersonnalisation) ». Dans les névroses de type dissociatif
« des altérations peuvent survenir dans l’état de conscience du patient ou dans son
identité, et produire des symptômes tels que l’amnésie, le somnambulisme, la fugue, et
la personnalité multiple »99. Quant au syndrome de dépersonnalisation, il est « dominé
par un sentiment d’irréalité et d’éloignement par rapport à soi-même, à son corps ou
à l’environnement ». Le manuel précise qu’une « brève expérience de dépersonnalisa-
tion n’est pas nécessairement un symptôme pathologique ».
En 1980, le manuel DSM procède au démembrement des névroses100. Les symptômes de
dissociation sont déplacés de la classe des névroses vers une nouvelle catégorie dénom-
mée « trouble dissociatif ». Celle-ci regroupe l’amnésie psychogène, la fugue psychogène,
le trouble de personnalité multiple, le trouble de dépersonnalisation et le trouble dissocia-
tif atypique. Chacun de ces diagnostics fait l’objet d’une définition à laquelle sont adjoints
des critères précisant, par exemple, que le trouble ne peut être attribué à un abus de
substances psychoactives, à une affection organique ou à une autre pathologie mentale.
En 1994, le DSM-IV modifie les appellations de quatre des cinq troubles : l’amnésie
psychogène devient l’amnésie dissociative ; la fugue psychogène, la fugue dissocia-
tive ; le trouble de la personnalité multiple, le trouble dissociatif de l’identité (TDI) et
le trouble dissociatif atypique, le trouble dissociatif non spécifié. L’APA souligne que
« des symptômes dissociatifs figurent parmi les critères diagnostiques de l’État de
stress aigu, de l’État de stress post-traumatique et du trouble somatisation ». Si elle
reconnaît que « dans certaines classifications, le mécanisme de la conversion est consi-
déré comme un phénomène dissociant », elle opte de situer le trouble de conversion
dans le chapitre des troubles somatoformes, pour souligner qu’il est important, dans
3.2.2. La CIM
La CIM-10 fait figurer parmi ses catégories diagnostiques un ensemble de troubles
dissociatifs dont certains sont superposables au DSM-5. Parmi ceux-ci, peuvent se
manifester dans les phases immédiates ou post-immédiates, l’amnésie dissociative,
la fugue dissociative, la stupeur dissociative, les états de transe et de possession, les
troubles moteurs dissociatifs, les convulsions dissociatives, l’anesthésie dissociative et
les atteintes sensorielles, le trouble dissociatif (de conversion) mixte, les autres troubles
dissociatifs (de conversion), le syndrome de Ganser, les troubles dissociatifs (de
conversion) transitoires survenant dans l’enfance et l’adolescence, les autres troubles
de dissociation (troubles de conversion) et le trouble dissociatif (de conversion, sans
précision). Quant au trouble de personnalité multiple, il survient dans la phase à long
terme.
Dans sa nouvelle édition prévue en 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé
apporte des modifications significatives aux troubles dissociatifs. La catégorie
dédiée, dénommée antérieurement « Troubles dissociatifs [de conversion] », devient
« Troubles dissociatifs ». Le terme « conversion », issu des théories sur l’hystérie,
a été supprimé en raison de sa référence à la psychanalyse. Les entités « troubles
moteurs dissociatifs », « convulsions dissociatives », « anesthésie dissociative et
les atteintes sensorielles » ainsi que les différents troubles dissociatifs (de conver-
sion) ont disparu au profit d’un syndrome plus large « le trouble neurologique
dissociatif ». Le tableau clinique de l’amnésie dissociative a été conservé mais légère-
ment remanié. Il n’est plus question de mémoire mais de souvenir et l’amnésie peut
apparaître après un événement traumatisant mais également après un événement
stressant. La fugue dissociative n’est plus un diagnostic à part entière. Il est possible
qu’elle soit reprise dans l’amnésie dissociative comme c’est le cas dans le DSM-5
(amnésie dissociative avec ou sans fugue dissociative). L’ensemble « les états de
transe et de possession » ont été scindés en deux diagnostics distincts : L’état de
transe » et « la transe de possession ». La stupeur dissociative n’est plus citée mais
le trouble de dépersonnalisation-déréalisation fait son apparition. Pour les troubles
survenant à long terme, signalons que le trouble dissociatif de l’identité et le trouble
dissociatif partiel de l’identité ont remplacé les personnalités multiples101. Par ces
différents changements, la nouvelle nosographie des troubles dissociatifs de l’OMS
se rapproche davantage des syndromes proposés par le DSM-5.
E. La perturbation n’est pas mieux expliquée par un autre trouble mental, comme une
schizophrénie, un trouble panique, un trouble dépressif caractérisé, un trouble stress
aigu, un trouble stress post-traumatique ou un autre trouble dissociatif.
Résumé
1 Face à une situation pénible ou effrayante, certaines victimes réagissent par un stress
adapté. Elles répondent alors efficacement aux exigences de la situation dangereuse
en adoptant des comportements adéquats. On parle de « queue de stress » lorsque
les réactions qui accompagnent leur stress adaptatif ne s’interrompent pas immédiate-
ment une fois le danger écarté, mais s’éteignent progressivement au cours des heures,
voire des jours suivants. On appelle « stress différé » la libération d’énergie manifestée,
une fois la sécurité retrouvée, par les victimes qui, durant le déroulement des faits, ont
dû réprimer les réactions dictées par leur stress.
2 Généralement, les sujets manifestent des réactions de stress dépassé sous forme d’état
de choc ou d’agitation, voire de réactions mécaniques dont l’apparente normalité est
souvent trompeuse. Ces réactions sont marquées par la détresse péri-traumatique
(perception d’une menace vitale, émotions dysphoriques intenses) et les symptômes
dissociatifs (amnésie, stupeur, troubles somatoformes, dépersonnalisation, déréalisa-
tion, actions automatiques, distorsion temporelle), tous deux étroitement corrélés à
l’apparition d’un trouble psychotraumatique ultérieur.
3 Les sujets prédisposés peuvent déclencher des troubles psychopathologiques névro-
tiques (hystériques, phobiques ou obsessionnels) ou des désordres psychotiques
(trouble réactionnel post-traumatique, trouble psychotique bref, bouffées délirantes ou
autres affections psychotiques vraies).
198 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë
La phase à long
1
terme
« Depuis son arrestation, Pannonique avait de Dieu un besoin atroce.
Elle avait faim de l’insulter jusqu’à plus soif. Si seulement elle avait pu tenir
une présence supérieure pour responsable de cet enfer, elle aurait eu le réconfort
de pouvoir la haïr de toutes ses forces et l’accabler des injures les plus violentes.
Hélas, la réalité incontestable du camp était la négation de Dieu : l’existence
de l’un entraînait inéluctablement l’inexistence de l’autre. On ne pouvait même
plus y réfléchir : l’absence de Dieu était établie.
Il était insoutenable de n’avoir personne à qui adresser une telle haine.
Il naissait de cet état une forme de folie. Haïr les hommes ? Cela n’avait pas de sens.
L’humanité était ce grouillement disparate, cet absurde supermarché qui vendait
n’importe quoi et son contraire. Haïr l’humanité revenait à haïr une encyclopédie
universelle : il n’y avait pas de remède à cette exécration-là. »
Amélie Nothomb, Acide sulfurique
SOMMAIRE
1. Par exemple, rupture sentimentale, nouvelle relation amoureuse, accident ou maladie grave du
sujet ou d’un de ses proches, deuil d’un proche, perte d’emploi, etc.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 201
brûlés sont arrivés ici. Tu ne peux même pas t’imaginer ! Il y en a qui étaient brûlés
comme des poulets. Cette odeur… Et ils suppliaient parce qu’ils avaient soif… Quand
tu passais à côté d’eux, ils s’accrochaient à tes vêtements… Parfois, ça laissait des
morceaux de chair sur tes vêtements… Et tous les camions qui viennent prendre les
cadavres… Les chiens qui mangent les cadavres… Ça me fait du tort de parler de ça.
Je ne veux plus parler de ça. On a besoin de moi ici, à l’hôpital et ma famille a besoin
de moi. Si je pense à ça, je ne pourrai plus travailler et j’ai beaucoup de responsabi-
lités. Je ne peux pas arrêter de travailler. Je dois faire vivre ma famille. On a tout
perdu. Alors, c’est parce que mon collègue t’a demandé de venir me parler que je
t’explique sinon je ne veux pas penser à tout ça maintenant. On verra ça plus tard.
Je sais que ça va revenir. On appelle ça le traumatisme. Je sais que je suis traumatisé,
mais je ne peux pas penser à ça maintenant. »
comme maintenant. Je dirais qu’à l’époque, j’étais triste de la situation. Vous n’allez
pas me croire, mais c’est vrai. C’est venu beaucoup plus tard, c’est venu quand
j’ai rencontré Denis. Là, j’ai vu qu’un couple, ce n’était pas ce que j’avais vécu et
alors que j’étais bien avec Denis, j’ai commencé à ruminer mon histoire avec mon
premier mari. Tout est revenu, tout ce que j’avais enfoui est revenu ! Les humilia-
tions, les gifles, les coups, tout ! J’ai commencé à avoir des cauchemars et des crises
d’angoisse et à m’en vouloir à crever de ne pas l’avoir quitté plus tôt. C’est idiot,
mais c’est comme ça. »
Le syndrome de répétition
Nous l’avons vu, les flash-back, les souvenirs répétitifs, les cauchemars, l’impres-
sion que l’événement pourrait se renouveler ainsi que la détresse et la réactivité phy-
siologique en constituent les différentes modalités. Ce syndrome pathognomonique
occupe une place centrale dans la clinique des troubles psychotraumatiques.
Jean, victime d’une fusillade, témoigne : « Le matin, je me réveille, je pense à lui,
au tueur. C’est plus fort que moi. Je ne veux pas y penser, mais ça vient dans mon
esprit. Je prends à l’aspirateur, je pense à ça. J’ouvre les volets, je pense à ça. Je me
dis : “Mais ce n’est pas vrai !” Je me parle à moi-même dans ma tête et je me dis :
“Arrête de penser à ça !” J’ai l’impression que je n’arrive pas à dormir parce que mon
esprit pense tout le temps à ça. Je n’ai jamais dit ça à personne… »
2. Voir supra « L’apparition d’un syndrome post-traumatique » dans le chapitre consacré aux réac-
tions post-immédiates.
206 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme
Charline s’inquiète : « J’oublie tout, je perds la mémoire. J’avais même oublié la fête
pour mon anniversaire et c’était il y a à peine trois semaines ! Mon mari n’en reve-
nait pas. Il m’a raconté et c’est revenu petit à petit. Ça m’inquiète. Je me demande si
ma mémoire va revenir ou si je vais rester comme ça »
Il arrive aussi que les sujets traumatisés ne parviennent pas à se souvenir des moments
positifs de leur passé.
Jean témoigne : « Je n’arrive plus à me souvenir comment c’était avant l’accident. Je
sais qu’on s’amusait bien dans les repas de famille, mais je ne parviens pas à m’en
souvenir. C’est dommage… »
Françoise Sironi (1999) parle d’inversion paradoxale : les sujets oublient ce qu’ils vou-
draient garder en mémoire (les événements non traumatiques) et retiennent ce qu’ils
voudraient oublier (les événements traumatiques).
6. Voir également « Les facteurs cognitifs » du sous-chapitre « Les variables liées à l’individu » dans
les paramètres influençant le développement des syndromes psychotraumatiques.
7. Nous appelons « cadre de référence », ce réseau conceptuel inconscient qui détermine notre appré-
hension du monde.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 209
« Il pleuvait fort, une pluie drue, je me suis retrouvé à 165 à l’heure dans le tour-
nant. J’ai besoin d’aller vite. De toute façon, elle (la Mort) n’a pas voulu de moi. Je
suis plus fort qu’elle », déclare Nicolas.
Les victimes sont également souvent plus réactives que leurs pairs aux stress ordi-
naires de la vie quotidienne (par exemple, passage d’un examen, frustrations diverses,
situations nouvelles, changements de vie, etc.). En effet, avoir subi un traumatisme
altère durablement, voire définitivement, la réponse aux stress. Ainsi, les personnes
ayant manifesté des symptômes péri-traumatiques durant le décours d’un événement
traumatisant sont plus stressées que leurs pairs face aux épreuves de la vie quoti-
dienne, et ce, même si elles n’ont pas développé de syndrome psychotraumatique
chronique et/ou de dépression (voir Ganzel et al., 2007 ; Van der Kolk, Greenberg
et al., 1985). Bessel van der Kolk et ses collaborateurs ont mis en évidence qu’elles
présentent une hypersensibilité des capteurs de la noradrénaline (Van der Kolk,
Greenberg et al., 1985). La neuro-imagerie a révélé une hyperréactivité amygdalienne
aux stimuli anxiogènes et une hypo-réactivité du cortex angulaire antérieur impliqué
dans l’extinction des réponses à ces stimuli (voir Shin et al., 1999 ; Liberzon et al.,
1999 ; Bremner, Narayan et al., 1999 ; Whalen et al., 1998 ; Rauch et al., 2000).
Les recherches ont également montré que l’attention des sujets traumatisés se porte
préférentiellement vers les stimuli effrayants (Mc Nally et al., 1990), ce qui expli-
querait qu’ils ne parviennent pas à profiter pleinement des aspects positifs de leurs
expériences actuelles.
Bien que les troubles anxieux éclosent généralement dans l’immédiat décours de l’évé-
nement traumatique, ils peuvent parfois apparaître tardivement.
Caroline explique : « Je vous ai dit, j’ai dû tenir le coup pour ma mère. Ce n’est que
lorsque j’ai été vivre seule, quand je n’ai plus dû la porter que c’est arrivé. Quelque
temps après, j’ai eu une crise d’angoisse. C’est arrivé comme ça, comme un incendie
qui ravage la maison. Depuis, j’ai des crises d’angoisse tout le temps. »
Bien que moins fréquemment que chez les enfants, la dépression peut se traduire chez
l’adulte par des troubles psychosomatiques (voir infra). Elle peut aussi être masquée
par des troubles du comportement. En effet, les conduites régressives (perte d’autono-
mie et dépendance par rapport à l’entourage), la consommation abusive d’alcool ou de
stupéfiants, les agissements agressifs et les passages à l’acte violent peuvent être une
défense contre la dépression.
Chez certaines personnes, l’humeur alterne entre des attitudes de lutte manifestées
par des perturbations du comportement (agitation, agressivité, etc.) et l’effondrement
dépressif (tristesse, inhibition motrice, repli sur soi, etc.). On parle alors de dépression
212 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme
Nous l’avons vu, dans le décours d’un événement délétère, les victimes éprouvent
fréquemment des sentiments de honte et de culpabilité excessifs ou inappropriés
favorisant l’éclosion de la dépression et sa pérennisation. Ces sentiments jumelés aux
impressions d’inefficacité, d’inutilité ou d’infériorité peuvent les mener à répéter des
conduites d’échec10.
« Je fais tout foirer. Quand j’entame une nouvelle relation, au début, c’est sympa,
mais je deviens vite une teigne. Je commence à être jalouse, sans raison et je harcèle
mon partenaire. Comme il n’a rien à se reprocher, ça l’énerve, il le prend mal et ça
crée des disputes. Et quand il en a vraiment marre, il se casse. C’est toujours le même
scénario, je le connais par cœur. Au boulot, c’est pareil. J’arrive très vite à me mettre
les gens à dos. Je prends tout mal, je suis hyper susceptible. Évidemment, comme ça,
ça ne peut pas aller… Avec ma psy précédente, j’ai compris que c’est parce que je me
sens nulle et qu’une partie de moi pense que je ne mérite pas de bonnes choses. C’est
vraiment ça. Mon ex-mari m’en a tellement fait voir ! Toutes les humiliations, les
insultes, les menaces, les coups, les tromperies jusqu’à ce viol que je vous ai raconté,
le jour où il était saoul et comme je ne voulais pas faire l’amour, il m’a battue puis il
m’a sodomisée en me disant que je valais moins que les putes qu’il payait… Pour me
faire tout ça, je ne devais pas valoir grand-chose » nous confie Valentine.
10. La conduite d’échec ou névrose d’échec est caractérisée par la répétition involontaire de com-
portements et d’attitudes engendrant des conséquences négatives tant dans la vie affective (déboires
sentimentaux, difficultés sexuelles, isolement affectif, rejet, etc.) que sociale (échecs scolaires et
professionnels).
11. Terme proposé par Michael Linden et ses collaborateurs (Linden, Baumann et al., 2008).
Les syndromes psychotraumatiques ■ 213
Les sentiments de honte et de culpabilité ainsi que la rancœur envers un tiers résultent
principalement de l’effondrement des croyances de base.
La dépression engendre fréquemment des comportements préjudiciables à l’équilibre
conjugal et familial. Par exemple, lorsque le trouble psychologique interfère avec la
capacité parentale des sujets traumatisés, leur progéniture grandit dans des conditions
défavorables à son développement ; la peur, la honte et le dégoût de soi empêchent
certaines personnes d’entretenir des relations affectives et sexuelles normales, ce qui
peut pousser leur partenaire à les quitter. Ces conséquences négatives accroissent
encore la détresse des victimes.
En 1972, dans un article publié dans le New York Times, le psychiatre et psychanalyste
américain Chaim Shatan attire l’attention du public sur le « Post-Vietnam syndrome ».
Il évoque déjà les accès de rage et les comportements impulsifs violents manifestés par
certains vétérans plusieurs mois après leur démobilisation (cité par Bowman, 1990).
En 1990, le psychiatre australien au Département des Veterans’ Affairs, Bruce Boman
décrit pour la première fois le syndrome de Rambo14. Ce syndrome se définit par des
troubles caractériels (impulsivité, accès de colère sporadiques et imprévisibles, irasci-
bilité), des comportements suicidaires et para-suicidaires (suicide, conduite automobile
dangereuse, sports extrêmes, comportement provocateur, etc.), des actes délinquants
et criminels (vandalisme, violence intrafamiliale, bagarres, viols, trafic de stupéfiants,
vols à main armée, homicide impulsif, etc.), un comportement rebelle et antisocial
(opposition à toute forme d’autorité, négligence des responsabilités légales, désocialisa-
tion et séjour dans les bois à l’écart de la société, etc.), une consommation de substances
psychoactives (toxicomanie, alcoolisme), une fascination pour les armes et les sports de
combat (activités paramilitaires, arts martiaux), etc.
Ce trouble du caractère doit son nom à un personnage de fiction. Né en 1972
de l’imagination du romancier canadien David Morell et incarné au cinéma par
Sylvester Stallone, John Rambo est un soldat américain, seul survivant d’un com-
mando d’élite engagé au Vietnam. De retour aux États-Unis, en butte à l’hostilité
de ses compatriotes envers les vétérans d’une guerre impopulaire et piteusement
perdue, il échoue à se réinsérer dans la société et devient très violent. Tout comme
Rambo, de nombreux GI démobilisés rapatriés aux États Unis se sont heurtés au
dégoût affiché de l’opinion envers les Vets Vietnam15. Victimes de stéréotypes hos-
tiles (les vets sont des marginaux, incapables de s’adapter à la société américaine,
drogués, perturbés psychologiquement, violents, déshumanisés, etc.)16, ces anciens
combattants suscitaient la peur et inspiraient la défiance (Gibault, 1992). Si le phé-
nomène a été généralisé abusivement à l’ensemble des forces armées ayant servi
au Vietnam, certains individus se sont, en effet, signalés par leur grande violence
et leurs actions criminelles. Depuis, ce syndrome a été également constaté chez les
vétérans soviétiques de la guerre en Afghanistan et chez les combattants de l’ex-
Yougoslavie. Dans la nouvelle version du DSM, le DSM-5, l’American Psychiatric
Association considère cet aspect du traumatisme en introduisant le critère suivant :
« Comportement irritable ou crises de colère (suite à une légère provocation ou sans
provocation) généralement exprimée par une agression verbale ou physique envers
les personnes ou les objets ».
Divers facteurs peuvent expliquer le syndrome de Rambo. L’exposition pendant la
guerre à des modèles d’individus violents, à des modes violents d’interaction et de
résolution de conflits ainsi qu’à la politique approuvant, voire exaltant, la violence,
normalise les passages à l’acte agressif. En effet, ces expériences ont un impact
durable sur les mentalités. Les valeurs essentielles de l’existence humaine que sont
14. Ibid.
15. Vétérans du Vietnam.
16. Il s’agit d’une victimisation secondaire.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 215
là et là, comme par hasard, maintenant, il est toujours en réunion ou sur le terrain !
J’ai envie de prendre un bazooka et d’aller tout foutre en l’air ! Je suis en rage ! Ça me
fait peur parce que je vous l’ai dit, je sens que je deviens violent. Je vous ai raconté
que j’ai failli casser la gueule d’un automobiliste et qu’avec mon fils on a failli en
venir aux mains. »
Les dépendances
À long terme, la consommation abusive de drogue et d’alcool génère des effets
néfastes sur la santé physique des victimes (maladie du foie, ulcère à l’estomac, hyper-
tension artérielle, diabète, etc.) et peut engendrer des comportements à risque (rap-
ports sexuels non protégés, diminution de la capacité à percevoir les signes de danger
et en conséquence, de s’en protéger, comportement provocateur à l’égard d’autrui,
conduite dangereuse, etc.). De plus, l’alcoolisme et la toxicomanie engendrent fréquem-
ment des comportements dommageables à l’entente familiale et communautaire (par
exemple, passages à l’acte violent).
L’une des fonctions majeures du stress consiste à préparer l’individu à réagir physique-
ment aux stimuli menaçants (par le combat, la fuite, l’immobilité, etc.). Le système ortho-
sympathique s’active tandis que le système parasympathique s’inhibe. L’activation du
système nerveux orthosympathique a pour effet de dilater les bronches, d’accélérer les
Les syndromes psychotraumatiques ■ 217
Au niveau physique
Une hyperventilation
La persistance de l’accélération de la respiration se traduit par une hyperven-
tilation (respiration rapide et superficielle). L’organisme hyperventilant expire une
quantité trop importante de gaz carbonique. La diminution subséquente de dioxyde de
carbone dans le sang provoque une alcalose19 qui entraîne une série de modifications
physiologiques. Des troubles neuromusculaires apparaissent telles que crampes, trem-
blements, fourmillements, etc. ainsi qu’une sensation de striction laryngée (« nœud
dans la gorge »), d’oppression thoracique (« poids sur le cœur ») ou de vertige.
17. Le bruxisme se définit comme des mouvements et des grincements de dents répétitifs et involon-
taires, sans but fonctionnel.
18. L’hyperkinésie est un état d’hyperactivité.
19. L’alcalose est une augmentation du pH sanguin. Le dioxyde de carbone est nécessaire pour main-
tenir l’acidité du sang à la valeur correcte. Si la quantité de CO2 diminue, le sang s’alcalinise (le pH
augmente).
20. Douleur ressentie dans la région thoracique antérieure gauche.
218 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme
durant la guerre menée en Inde par les Britanniques. Un an plus tard, le médecin mili-
taire américain des armées nordistes de la guerre de Sécession Jacob Mendes Da Costa
nomma « cœur irritable » (irritable heart, connu également sous le nom de(coquille :
espace anormal)
« Syndrome de Da Costa ») ces troubles cardiaques fonctionnels. Peu après, en 1873,
l’oto-rhino-laryngologiste français Maurice Krishaber parla de « névropathie cérébro-
cardiaque » (Krishaber, 1873). Les manifestations cardiovasculaires ont également
été mises en exergue par le Britannique Thomas Lewis en 1918 lors de la Première
Guerre mondiale dans le syndrome d’effort. Ces troubles prendront encore d’autres
appellations telles que névrose cardiaque, asthénie neurocirculatoire, etc. (Wallace,
Gach, 2008) Plus récemment, en 1999, des chercheurs de l’Université de John Hopkins
à Baltimore (Wittstein et al., 2005) ont mis en évidence une cardiomyopathie de stress
dénommée syndrome du cœur brisé (Broken Heart Syndrome) ou Tako-Tsubo (Bellara
et al., 2010). Il s’agit une sidération myocardique (ballonisation transitoire de l’apex
du ventricule gauche) survenant après un stress émotionnel en l’absence de lésions
coronaires et dont les sujets récupèrent spontanément.
internes attestant d’une mise en tension (par exemple, palpitations), ils ressentent les
situations neutres, voire positives, comme insécurisantes ou même menaçantes.
Au niveau psychologique
Le stress déclenche principalement trois types d’émotion : l’anxiété (la perception
d’un danger met l’individu en état d’alerte), l’agressivité (elle donne la force et la motiva-
tion pour attaquer ou éliminer la source du danger) et la dépression (l’individu ne peut
pas ou ne peut plus contrer les sources de stress, il endure sans agir). Une personne
soumise à une activation permanente de l’une de ces émotions risque de développer un
trouble anxieux, comportemental (agressivité et passages à l’acte violent) ou dépressif.
1.3.3. L’abattement
Il se traduit par des accès de tristesse et de désespoir, une dépression majeure,
l’apragmatisme, l’apathie et la clinophilie, la recherche d’isolement ainsi que par l’inhi-
bition des pulsions agressives et sexuelles (asthénie sexuelle se traduisant par une
fatigue sexuelle, un manque de libido, de l’impuissance ou de la frigidité). Les victimes
qui contrôlent, voire inhibent, leurs émotions et leurs pulsions peuvent toutefois explo-
ser soudainement de manière violente et inattendue, les rares émotions exprimées
relevant généralement du registre de la colère.
« Ça me ronge à l’intérieur et puis, tout à coup, sur un bête truc, ça explose », nous
dit Nicolas.
mais c’est impossible. On a changé, on est différent, c’est une expérience de la vie
comme une autre qui nous en apprend plus sur soi. J’ai essayé et j’essaie toujours de
tirer au-delà du négatif le positif que cela à pu m’apporter, même si ça peut paraître
glauque. Alors je me dis que j’ai été courageuse, que j’ai agi comme il le fallait et que
je suis forte et mature. Je ne le pense pas complètement encore, parce que je culpa-
bilise encore d’être en vie, d’avoir “volé” la vie de quelqu’un d’autre. Quand on n’a
pas été blessé, on se sent toujours moins légitime d’être mal parce qu’on se sent plus
chanceux injustement que tous les autres. Mais même si ça va prendre son temps,
j’arriverai à combattre ça comme je réussis à combattre mes angoisses au jour le
jour. Cet attentat restera toujours le pire jour de ma vie entière, mais je survis à ça et
aujourd’hui je dépasse mes peurs, les autres angoisses de la vie courante deviennent
minimes devant ça et je ferai toujours tout pour m’en remettre quoiqu’il arrive pour
moi-même mais aussi pour ma sœur, parce qu’on a été plus fortes à deux là-bas, c’est
notre union qui a toujours permis de s’en sortir. »
Les victimes se décrivent apathiques, faibles et fatigables, sans volonté ni désir et sans
joie, tristes, pessimistes, timorées et anxieuses (« évitantes », sur le qui-vive), irritables,
coléreuses ou agressives. Certaines manifestent peu ou pas d’intérêt pour résoudre
leur situation ou leur avenir et le risque d’évolution vers une personnalité sinistro-
sique27 est réel. Outre cette impression de dommage irréparable, elles éprouvent fré-
quemment des sentiments de culpabilité (auto-accusations) et de honte, une impression
d’inefficacité, d’inutilité ou d’infériorité ainsi qu’un profond dégoût d’elles-mêmes. Ces
modifications de la personnalité et de la perception de soi induisent une baisse de
l’estime de soi et du sentiment de valeur personnelle (auto-dévalorisation). Repliées sur
elles-mêmes, elles ruminent les événements et leurs conséquences, toute l’énergie étant
mobilisée à la seule tâche de maîtriser leur situation.
« Je ne suis plus du tout la même qu’avant et ça me rend triste. Maintenant, le
moindre petit truc me donne des crises d’angoisse. J’essaie de tout contrôler, or, c’est
une voie de garage parce que dans notre vie, il y a plein de choses qu’on ne contrôle
pas. Ce n’est pas ça, vivre. En plus, ça continue à leur donner du pouvoir sur moi.
Ils m’ont fait beaucoup de mal et ils continuent de m’en faire » nous dit Laetitia, sur-
prise dans son sommeil, agressée et grièvement blessée par trois voleurs encagoulés.
27. C’est au professeur Édouard Brissaud, médecin français et élève de Jean-Martin Charcot, que
l’on doit cette notion en 1908. Au sens restreint, la sinistrose est une attitude de revendication à la
suite d’un préjudice personnel. Elle est caractérisée par une inhibition du désir de guérison et par une
majoration inconsciente des séquelles du dommage. Plus largement, le terme renvoie à une disposition
d’esprit empreinte de pessimisme, d’inquiétude, de péjoration vague et systématique de l’avenir.
224 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme
je ne les paie pas. Quand je vois que c’est une facture, je n’ouvre même plus. Je ne
suis pas en ordre de contrôle technique. Ça fait plus de six mois que je dois y aller.
Si je me fais prendre par les flics, je suis cuite. » constate Colette dont la fille s’est
suicidée par pendaison.
Dans les cas graves, le traumatisme psychique, en particulier s’il est subséquent à un
événement extrême, répété ou prolongé, devient partie intégrante de l’identité.
« Si on m’enlevait ça, je serais content, mais je serais malheureux aussi. J’ai telle-
ment l’habitude de vivre avec ça, je vis avec ça depuis tellement longtemps que
je n’ai pas envie que ça parte et en même temps, j’ai envie d’aller bien. Si je ne
pensais plus aux tueurs, si j’oubliais les tueries, j’ai l’impression que je ne serais
plus moi-même. Si j’avais de l’argent, je ferais de la chirurgie esthétique pour les
cicatrices, mais je garderais les morceaux de plombs que j’ai dans le corps. Enlever
tout, ce serait enlever toute la souffrance et j’ai besoin de garder quelque chose
de cet événement. C’est comme si je ne pouvais pas me permettre d’être normal.
C’est une souffrance terrible, mais j’ai besoin de la garder » témoigne Jean, victime
d’une fusillade. Quelques mois plus tard, après une amélioration des symptômes
traumatiques, il confirmera : « Je ne pense plus aux tueries. Je suis triste. Avant,
j’y pensais tout le temps. Maintenant, je dois faire un effort pour y penser. Je vivais
avec ça. J’avais ça en moi. J’ai l’impression que je ne suis plus la même personne. Je
suis plus détendu, plus calme, mais je n’ai pas l’habitude d’être comme ça. Avant,
j’étais tout le temps crispé. Par moments, j’aimerais bien que ça revienne parce que
j’avais l’habitude. Ça me manque parce que j’avais tellement l’habitude de vivre
avec ça… C’est comme si une partie de moi n’était plus là. J’y pensais tout le temps,
tout le temps, tout le temps. Je suis dix fois mieux, cent fois mieux, mais en même
temps, ça ne va pas. Tout va bien, trop bien, tout va peut-être trop bien et je n’ai
pas l’habitude de ça. »
Dans les cas les plus sévères, le traumatisme provoque une dissociation structurelle
de la personnalité. La « partie apparemment normale de la personnalité » (PANP) et la
« partie émotionnelle de la personnalité » (PEP) sont dissociées.
« La plupart du temps, je vais bien, je n’y pense pas, c’est comme si ça n’existait
pas, c’est comme si ça n’avait jamais existé, comme si ça ne s’était pas passé. Je vis
normalement, je bosse, je vois mes amis, je sors. Et puis, un truc me rappelle l’évé-
nement et je suis submergée par mes émotions. Alors, je m’agite, je bouge, je mets
de la musique, je vais faire des courses, n’importe quoi du moment que ça remplit
mon esprit avec autre chose. Je fais tout pour remettre ça dans la boîte parce que
j’ai l’impression que si je laissais venir tout ça, ça me détruirait complètement. J’ai
l’impression que je deviendrais folle si je laissais venir tout ça », nous dit Angela
victime d’un viol.
je continue à parler, à sourire et tout ça, mais moi, comment vous dire, c’est comme
si je me voyais parler, comme si je me voyais sourire de l’extérieur. Je sais que c’est
moi et en même temps, ce n’est pas vraiment moi. Vous savez, je dis toujours : “je
me suis éloignée de moi-même”, je ne sais pas mieux dire. Il me semble que c’est sou-
vent quand quelque chose m’a fait penser à l’agression que ça arrive. C’est difficile
à dire parce que ça peut être quelque chose d’idiot comme un mot que quelqu’un
prononce ou un truc du genre et ça passe tellement vite, c’est tellement insignifiant
que je ne repère pas toujours ce qui déclenche ça. », raconte Sandra, victime d’un
car-jacking violent.
Dans les cas extrêmes, les PEP et les PANP sont elles-mêmes fragmentées. Les victimes
alternent alors entre des phases de reviviscence des situations traumatiques subies
antérieurement et des périodes de fonctionnement normal durant lesquelles elles
semblent détachées, voire inconscientes, de leur trauma.
Clémentine a été enrôlée par les membres de sa famille dans un réseau pédophile.
Elle n’a échappé à son calvaire qu’à l’âge adulte, lorsqu’un parent, multirécidi-
viste, a été de nouveau arrêté par la police, entraînant la chute de ses comparses
et le démantèlement du réseau. Violée à de multiples reprises et victime de
tortures répétées, elle replonge fréquemment et soudainement dans le passé.
Pendant ces reviviscences, elle s’exprime avec la voix et le vocabulaire corres-
pondant à l’âge revécu, elle s’adresse aux agresseurs du passé comme s’ils étaient
présents, elle leur demande pardon et promet d’être sage, elle se tord de douleur
sous les coups qu’ils lui portent, elle pleure, elle tremble, elle se montre terrifiée
ou horrifiée, etc. Elle est totalement inconsciente du monde réel et sourde à son
entourage. Tout en continuant à revivre les scènes traumatiques, elle commence
à s’automutiler : elle s’arrache les cheveux, se griffe et se coupe. Au bout d’un
moment, elle perçoit la douleur provoquée par les blessures qu’elle s’inflige et
sort de l’état dissociatif. Le reste du temps, Clémentine est une femme souriante,
une mère attentive de deux enfants, une professionnelle consciencieuse et une
amie dévouée.
28. Dans l’Évangile selon saint Jean, Lazare est le premier à revenir du Royaume des Morts après
avoir été ressuscité par Jésus.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 227
contraire. Je l’ai choqué parce que je parlais de la voisine qui a perdu son fils et je
disais que c’est bien fait pour elle. Et le pire, c’est que je le pensais vraiment. Et des
pensées comme celles-là, j’en ai souvent. Je ne vois d’ailleurs plus personne. Mon
premier mari aimait bien recevoir et je connaissais beaucoup de gens avant, mais
tout le monde a pris la fuite. Il paraît que je suis méchante. Ça m’arrange bien, je
veux la paix », nous confie Colette.
1.3.8. La méfiance
Au niveau social, les relations qu’entretiennent les victimes sont généralement
empreintes de réserve, de méfiance et de crainte. Elles tiennent les relations intimes
à distance et veillent à ne rien livrer de personnel dans leurs échanges avec autrui.
Les plus méfiantes deviennent totalement incapables d’accorder leur confiance à
quiconque.
« J’ai peur d’être jugé. J’ai peur de me dévoiler. Je ne peux pas sortir de moi-même. Je
n’ai plus confiance en l’être humain », nous dit Jean, victime d’une fusillade.
228 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme
Dans les cas extrêmes, les victimes s’interrogent de manière systématique sur les
intentions de leur interlocuteur, craignent qu’il puisse lire leur pensée ou redoutent
d’être sous influence.
« J’ai peur qu’on voie à travers moi. J’ai peur qu’ils voient que je vais mal », déclare
Gaëlle, victime de viol.
29. L’identification à l’agresseur est un mécanisme de défense. Il a été décrit par Anna Freud en
1936 (Freud A., 1936). Confrontée à la violence, la victime risque de s’identifier à l’agresseur. Son
comportement agressif est alors le résultat d’un renversement des rôles : agressée, elle devient auteur
de violence par imitation des attitudes et des comportements de l’agresseur. Au lieu d’éprouver de la
peur, elle l’inspire et terrorise son entourage.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 229
« J’ai perdu des amis, mais j’en ai gagné aussi. J’ai été étonnée du nombre de per-
sonnes qui m’ont soutenue après mon accident et ça m’a redonné confiance en l’être
humain. Ça a changé mes priorités. Je me rends compte qu’il n’y a qu’une chose qui
soit vraiment importante dans la vie, c’est l’amour. L’amour avec un grand A mais
aussi l’amour pour les amis, les voisins, les collègues, etc. J’aimais déjà énormément
mes enfants, mon mari et ma famille avant, mais j’ai l’impression que je les aime
encore plus », déclare Christiane, victime d’une agression en rue.
La perte de sens
Le traumatisme remet en question l’ordre du monde et les valeurs fondamen-
tales de l’humanité, privant les individus de repères et les plongeant dans le chaos de
l’incompréhensible, de l’absurde et du non-sens.
« À quoi ça sert d’être sur terre ? », se demande Jean, victime d’une fusillade.
« Je ne crois plus en Dieu. Si Dieu existe, il n’aurait pas permis ça et s’il existe et
qu’il a permis ça, moi, je ne veux pas de ce Dieu-là. Je préfère encore penser qu’il
n’existe pas plutôt que de croire qu’il a permis ça », nous dit une survivante du
génocide rwandais.
Un sentiment d’insécurité
La remise en question du sens de la vie et de la logique du fonctionnement du
monde aboutit à l’effondrement du sentiment de cohérence et de sécurité interne.
Les sujets traumatisés perçoivent le monde extérieur comme incohérent, imprévisible,
incontrôlable, malveillant, menaçant et dangereux. Dans cet univers hostile, ils se
sentent vulnérables, soumis aux événements adverses de façon arbitraire et aléatoire,
ce qui génère une attitude d’hypervigilance. Ils restent en état d’alerte (sursaut au
moindre bruit, tension motrice, résistance à l’endormissement, sommeil léger, réveils
nocturnes, etc.) pour s’assurer de prévenir tout nouvel événement traumatique. Ils
guettent d’éventuels signes de menace avec une attention exacerbée, voire se livrent
à une prospection constante de leur environnement (observation des personnes, des
objets, etc.). Ils sont incapables de discriminer situations inoffensives et dangereuses,
toute stimulation étant perçue comme funeste et provoquant un sentiment d’insécu-
rité. Ils adoptent très fréquemment des conduites d’évitement.
« Je deviens parano. Je vois le mal partout. Il y a de plus en plus de gens qui sont
vicieux. La vie ne tient qu’à un fil », rapporte Laetitia, surprise dans son sommeil,
agressée et grièvement blessée par trois voleurs encagoulés.
« Dans les moments où je ne me sens pas compétente, dans les moments où je n’ai
pas le contrôle, alors, je pars, je ne suis plus là », rapporte Carine, victime de vio-
lence conjugale.
« À un moment, je peux être très très mal et puis, ne plus rien sentir du tout. Je suis
hors service. Je ne suis plus là, je suis ailleurs, mais je ne sais pas où », nous confie
Jean, victime d’une fusillade.
Dans le décours de l’incident, seul compte le présent. Les individus mettent l’accent
sur le fait d’avoir échappé à la mort. Être vivant est pour l’heure un miracle suffisant
pour continuer à vivre. Avec le temps, ce présent va être contaminé par le retour
récurrent des événements délétères sous forme de réminiscences (flash-back, souve-
nirs intrusifs, ruminations, cauchemars, etc.), mais également par les appréhensions
Les syndromes psychotraumatiques ■ 233
ne constituent pas des entités discrètes et autonomes. Il s’agit davantage d’une dissociation d’une
même personnalité, d’une même identité. Dans le DSM-IV et la CIM-10, ce trouble était dénommé
« Trouble de la personnalité multiple ». Des épisodes aigus de dépersonnalisation anxieuse peuvent
prendre le caractère d’un véritable dédoublement de la personnalité.
33. Trouble de la personnalité borderline pour le DSM-5 et personnalité émotionnellement labile
pour la CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un changement dans la CIM-11. Le trouble
devrait être repris dans « traits ou schémas de personnalité proéminents » (6D11 Prominent per-
sonality traits or patterns) sous la dénomination devrait être reprise dans « Schémas borderline »
(borderline pattern).
34. Selon le DSM-5 et la CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un changement dans la
CIM-11 et devrait être reprise dans « les troubles de la personnalité, sévérité non spécifiée ».
35. Selon la terminologie du DSM-5 et de la CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un
changement dans la CIM-11. L’OMS se voulant a-théorique souhaite supprimer toute référence à la
psychanalyse. Cette catégorie devrait être reprise dans « les troubles de la personnalité, sévérité non
spécifiée ».
36. Trouble de la personnalité évitante selon le DSM-5 et personnalité anxieuse (évitante) pour la
CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un changement dans la CIM-11 et devrait être
reprise dans « les troubles de la personnalité, sévérité non spécifiée ».
37. Selon le DSM-5 et la CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un changement dans la
CIM-11 et devrait être reprise dans « les troubles de la personnalité, sévérité non spécifiée ».
38. Trouble de la personnalité antisociale pour le DSM-5 et personnalité dyssociale pour la CIM-10.
Dans la CIM-11 le trouble devrait être repris dans « traits ou shémas de personnalité proéminents »
(6D11 Prominent personality traits or patterns) sous la dénomination « Dissocialité dans le trouble
de la personnalité ou difficulté de la personnalité » (6D11.2 Dissociality in personality disorder or
personality difficulty).
39. Voir infra « Les psychopathologies ».
40. Complex Post-traumatic Stress Disorder, en français état de stress post-traumatique complexe.
Terme proposé par Judith Herman. Voir infra « Les syndromes psychotraumatiques selon les noso-
graphies internationales ».
41. Disorder of Extreme Stress not Otherwise Specified ou DESNOS, traduit en français par
trouble de stress extrême non spécifié outre mesure, dénomination proposée par Luxenberg T.,
Spinazzola J., van der Kolk B. Voir infra « Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies
internationales ».
42. Voir infra « Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ».
Les psychopathologies ■ 235
2. Les psychopathologies
Les victimes ayant subi des événements délétères, surtout s’ils ont été extrêmes,
répétés ou prolongés, risquent de développer une psychopathologie névrotique ou
psychotique.
43. Trouble de la personnalité évitante selon le DSM-5 et personnalité anxieuse (évitante) pour la
CIM-10.
44. Personnalité histrionique selon la terminologie du DSM-5 et de la CIM-10.
45. Théorie connue sous le nom de « neurotica » (théorie des névroses). En 1897, Freud abandonne
l’hypothèse d’un événement traumatique réellement vécu à l’origine de l’hystérie et opte pour une
étiologie de type fantasmatique.
236 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme
3.1.1. Le DSM
C’est en 1980 qu’apparaît pour la première fois, dans la classe des troubles
anxieux du DSM-III, la mention du syndrome de Post-Traumatic Stress Disorder,
fréquemment désigné par l’acronyme PTSD, et traduit en français par État de Stress
Post-Traumatique ou ESPT. Des précisions, des annotations et des commentaires y
sont ajoutés dans les versions successives DSM-III-R (1987), DSM-IV (1994) et DSM-
IV-TR (2000). Par exemple, en 1994, le DSM-IV élargit le spectre des modes possibles
de traumatisation : avoir été témoin d’un événement adverse peut produire un trauma.
De plus, il ajoute une exigence importante : pour être qualifié de traumatique, l’évé-
nement doit avoir suscité un vécu subjectif négatif (sentiment de peur, d’horreur ou
d’impuissance).
En 2013, dans la nouvelle édition du manuel appelée DSM-5, l’American Psychiatric
Association apporte des modifications significatives aux troubles post-traumatiques,
l’ASD et le PTSD. Tous deux passent de la classification des troubles anxieux à la nou-
velle classe des troubles consécutifs aux traumatismes et au stress (Trauma and Stress
Related Disorders). Autre remaniement concernant l’établissement de ces diagnostics :
le vécu subjectif éprouvé à l’occurrence de l’événement traumatique est éliminé des
critères à satisfaire.
Au sujet du PTSD proprement dit, le DSM-IV répartissait les 17 symptômes objecti-
vant ce syndrome en trois grands groupes : les reviviscences (critère B), les évitements
et l’émoussement de la réactivité générale (critère C) et l’activation neurovégétative
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 237
(critère D). Le DSM-5, quant à lui, propose quatre clusters : les symptômes d’intrusion
(critère B), les évitements (critère C), les altérations négatives des cognitions et de l’humeur
(critère D) et les altérations de l’activation physiologique et de la réactivité (critère E).
Ceux-ci comptabilisant un total de 20 signes cliniques. Pour l’essentiel, ceux-ci sont
identiques à la version précédente. Quatre symptômes ont été ajoutés ; un a été éliminé ;
quelques-uns ont été révisés (par exemple, le critère « rêves répétitifs de l’événement
provoquant un sentiment de détresse » est précisé et devient « rêves répétitifs provo-
quant un sentiment de détresse dans lesquels le contenu et/ou l’affect du rêve sont liés à
l’événement/aux événements traumatiques »). L’ensemble évitements/émoussement de
la réactivité générale du DSM-IV a été scindé : dorénavant, les évitements constituent le
critère C ; les symptômes d’engourdissement émotionnel auxquels ont été adjoints trois
nouveaux symptômes, les croyances et attentes négatives persistantes et exagérées par
rapport à soi-même, à autrui ou au monde (par exemple, « Je suis mauvais », « On ne peut
faire confiance à personne », « Le monde entier est dangereux », etc.), le blâme persistant
par rapport à soi ou à autrui, et les émotions négatives persistantes de l’humeur (peur,
horreur, colère, culpabilité ou honte) forment le cluster D. L’item « sentiment d’avenir
“bouché” (par ex., penser ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants, ou
avoir un cours normal de la vie) » n’a pas été retenu dans la cinquième version du manuel.
Quant au critère E, regroupant les signes témoignant de l’hyperactivation neurovégétative
et de l’hyperréactivité, il reprend les symptômes de l’ancien cluster D ainsi qu’un nouvel
item, le comportement irréfléchi ou autodestructeur.
Un critère supplémentaire, le critère H, a été ajouté et précise que les troubles ne
peuvent être attribués à la prise d’une médication, à un abus de substance psychotrope
ou à une maladie.
Autre nouveauté importante apportée au PTSD dans le DSM-5 : le diagnostic demande
de préciser si la personne présente des symptômes dissociatifs de dépersonnalisation
(expériences persistantes ou récurrentes de se sentir détaché de soi, comme si l’indi-
vidu était un observateur extérieur de ses processus mentaux ou de son corps) et/
ou de déréalisation (expériences persistantes ou récurrentes d’un sentiment d’irréa-
lité de l’environnement). Les flash-back et l’amnésie psychogène faisaient déjà partie
intégrante du syndrome. Toutefois, certaines victimes manifestent d’autres signes de
dissociation, justifiant l’introduction de cette spécification.
Enfin, saluons une innovation décisive de cette dernière taxonomie DSM : l’intro-
duction d’un sous-type développemental, le « PTSD préscolaire » (PTSD Preschool
Subtype) destiné aux enfants jusqu’à l’âge de 6 ans. Dans le DSM-III, la première
description du PTSD s’appliquait exclusivement à une population adulte. En 1987,
dans le DSM-III-R et en 1994, dans le DSM-IV, quelques brèves mentions concernant
les enfants ont été ajoutées. Ces critères se sont toutefois avérés difficilement appli-
cables aux jeunes enfants et peu représentatifs des réactions qu’ils manifestent après
un événement traumatisant. Le sous-type préscolaire a pour objectif de corriger cette
situation. Ainsi, pour les enfants jusqu’à l’âge de six ans, les seuils diagnostiques ont été
abaissés, des critères jugés inappropriés ont été supprimés (par exemple, l’incapacité
de se rappeler d’un aspect important du traumatisme et le sentiment d’avenir bouché)
et d’autres ont été adaptés (par exemple, les items évaluant le vécu interne ont été
commutés en comportements observables).
238 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme
Le syndrome de dépersonnalisation-déréalisation
(F48.1) selon la CIM-10
Trouble rare, au cours duquel le sujet se plaint spontanément d’une altération qualitative
de son activité mentale, de son corps et de son environnement, ceux-ci étant perçus
comme irréels, lointains ou « robotisés ». Les plaintes concernant une perte des émotions
et une impression d’étrangeté ou de détachement par rapport à ses pensées, à son corps,
ou le monde réel, constituent les plus fréquentes des multiples manifestations caractérisant
ce trouble. En dépit de la nature dramatique de ce type d’expérience, le sujet est conscient
de la non-réalité du changement.
L’orientation est normale et les capacités d’expression émotionnelle intactes.
3.3.1. Le DSM
Actuellement, aucune entité du DSM ne couvre les altérations de la personnalité
consécutives à un événement traumatique.
Des chercheurs avaient plaidé pour l’introduction d’une nouvelle catégorie diagnos-
tique, le trauma complexe ou, en anglais, complex trauma syndrome (voir Luxenberg et
al., 2001 ; Roth, Newman et al., 1997 ; Van der Kolk, Roth et al., 2005 ; Yehuda, 2001 ;
Herman, 1997), dans la cinquième version du manuel. Ils n’ont pas été entendus. Judith
Herman (1997) avait suggéré l’appellation Complex Post-traumatic Stress Disorder
ou C-PTSD, en français « État de stress post-traumatique complexe ». D’autres
(Luxenberg et al., 2001) avaient proposé la dénomination Disorder of Extreme Stress
not Otherwise Specified ou DESNOS, traduit en français par « Trouble de stress
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 245
extrême non spécifié outre mesure ». Bien que ce diagnostic n’ait pas été retenu par
l’American Psychiatric Association, nous le trouvons digne d’intérêt et avons choisi de
l’exposer dans le présent chapitre.
dépressif récurrent mais ils se manifestent sur une très longue période. Ce terme a été introduit en
1980 dans le DSM-III. Auparavant, ces troubles étaient considérés tantôt comme des troubles de
l’humeur, tantôt comme des troubles de la personnalité.
56. Publié avec l’autorisation de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 247
D. Honte
E. Impression de n’être compris par personne
F. Minimisation des expériences situations dangereuses
IV. Altérations des relations interpersonnelles
A. Incapacité à faire confiance
B. Victimisations répétées
C. Victimisation d’autres personnes
V. Somatisation
A. Troubles du système digestif
B. Douleur chronique
C. Symptômes cardio-pulmonaires
D. Symptômes de conversion
E. Troubles sexuels
VI. Altération dans les systèmes de représentation
A. Désespoir
3.4.1. Le DSM
Nous l’avons vu, le DSM-5 a créé une partie distincte pour les troubles consécutifs
à un événement délétère (Troubles liés à des traumatismes ou à des facteurs de stress).
Outre l’État de Stress Aigu et de l’État de Stress Post-Traumatique détaillés précédem-
ment, cette classe regroupe le trouble réactionnelde l’attachement, le trouble désin-
hibition du contact social, les troubles de l’adaptation, les autres troubles liés à des
traumatismes et à des facteurs de stress spécifiés ainsi que les autres troubles liés à des
traumatismes et à des facteurs de stress non spécifiés. Ces syndromes entretiennent
des liens étroits avec les troubles anxieux, les troubles obsessionnels-compulsifs et les
troubles dissociatifs.
Le trouble réactionnel de l’attachement et le trouble désinhibition du contact social
sont généralement diagnostiqués dans l’enfance et ne concernent donc pas directement
cet ouvrage61, raison pour laquelle nous n’en présenterons pas le tableau complet.
Dans le DSM-IV, le diagnostic de trouble réactif de l’attachement comporte deux
sous-types : émotionnellement retiré (inhibé) et sans discrimination sociale (désinhibé).
Dans le DSM-5, ces sous-types sont scindés et deviennent des troubles distincts : le
trouble réactionnel de l’attachement et le trouble de désinhibition du contact social. Ils
60. Pour les troubles dissociatifs définis par les classifications internationales, nous renvoyons le
lecteur au chapitre « Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internatio-
nales ». Rappelons que ces diagnostics peuvent également être posés dans les troubles chroniques.
61. Pour le lecteur intéressé par le traumatisme chez l’enfant, nous conseillons l’ouvrage de l’auteur
(Josse, 2011).
250 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme
3.4.2. La CIM
Dans la classification « Réaction à un facteur de stress sévère, et troubles de
l’adaptation », la CIM-10 propose, outre la réaction aiguë à un facteur de stress et
l’État de stress post-traumatique, des diagnostics réactionnels à un événement stres-
sant comparables à ceux du DSM. Retenons les troubles de l’adaptation, réponses
inadaptées à un facteur de stress sévère ou persistant interférant avec des mécanismes
adaptatifs efficaces et conduisant à des problèmes dans la fonction sociale, les autres
réactions à un facteur de stress sévère et la réaction à un facteur de stress sévère, sans
précision. À cette liste de diagnostics, la CIM-11 ajoute le deuil prolongé (prolonged grief
disorder), réaction de deuil persistante et envahissante au décès d’un proche caractéri-
sée par le désir ardent l’endeuillé du défunt ou une préoccupation persistante envers
lui accompagnée d’une douleur émotionnelle intense d’une durée de plus de six mois.
Spécifier le type :
309.0 (F43.21) Avec humeur dépressive : Baisse de l’humeur, larmoiement ou sentiment
de désespoir sont au premier plan.
309.24 (F43.22) Avec anxiété : Nervosité, inquiétude, énervement ou anxiété de séparation
sont au premier plan.
309.28 (F43.23) Mixte avec anxiété et humeur dépressive : Une combinaison de dépression
et d’anxiété est au premier plan.
309.3 (F43.24) Avec perturbation des conduites : La perturbation des conduites est au
premier plan.
309.4 (F43.25) Avec perturbation mixte des émotions et des conduites : Les symptômes
émotionnels (p. ex. Dépression, anxiété) et la perturbation des conduites sont au premier plan.
309.9 (F43.20) Non spécifié : Pour les réactions inadaptées qui ne sont pas classables
comme un des sous-types spécifiques du trouble de l’adaptation.
Résumé
1 Au bout de quelques jours ou de quelques semaines, les signes pathognomoniques du
traumatisme et les symptômes non spécifiques apparus dans les premières semaines
suivant l’événement pénible ou effrayant vont soit disparaître soit se perpétuer plu-
sieurs mois ou années, voire toute la vie des sujets. Les psychopathologies névrotiques
ou psychotiques peuvent également se confirmer chez les individus les plus fragiles.
2 La sémiologie psychotraumatique à long terme, différée et chronique comprend trois
volets : l’état de stress post-traumatique, les symptômes non spécifiques et la réorga-
nisation de la personnalité.
3 Les syndromes psychotraumatiques évoluent avec le temps. Généralement, le syndrome
de répétition, les désordres anxieux et les troubles du sommeil prédominent dans les
phases immédiates et post-immédiates. Les pathologies associées s’accentuent et les
altérations de la personnalité apparaissent dans la phase à long terme.
4 L’état de stress post-traumatique regroupe les symptômes pathognomoniques des
syndromes psychotraumatiques à savoir les reviviscences, les conduites d’évitement et
l’activation neurovégétative. Ces troubles s’accompagnent d’un ensemble de réactions
au niveau émotionnel, cognitif, comportemental et somatique.
5 Les troubles anxieux et dépressifs, les troubles du comportement et les désordres soma-
toformes apparus dans le décours de l’événement peuvent perdurer, voire s’aggraver.
De nouveaux symptômes peuvent émerger au cours du temps, par exemple, pour les
troubles anxieux, le trouble hyperanxiété et l’anxiété généralisée ; pour les désordres
dépressifs, la dépression franche et la dépression hostile ; et pour les troubles psycho-
somatiques, les pathologies dermatologiques, respiratoires, digestives, cardiaques,
endocriniennes et menstruelles. Certaines personnes vont présenter durablement des
signes de stress chronique sans pour autant manifester de symptômes traumatiques
tels que reviviscences ou évitements.
6 Les événements délétères, surtout s’ils sont extrêmes, répétés ou prolongés, sont sus-
ceptibles d’imprimer des marques durables sur la personnalité des victimes et d’induire
des attitudes et des comportements définitifs. Ces changements dans la personnalité
se signalent par des altérations du caractère (détérioration de la capacité à exprimer
et à gérer les émotions), de la relation à soi (impression de ne plus être soi, baisse de
l’estime de soi et du sentiment de valeur personnelle), à autrui (désintérêt, méfiance ou
attitude régressive de dépendance par rapport à autrui, repli sur soi et évitement rela-
tionnel, irritabilité et agressivité, liens pathologiques avec l’agresseur, etc.), au monde
(sentiment prolongé et récurrent de perte de sens, de détachement et/ou d’insécurité,
désintérêt pour les activités, troubles dissociatifs) et à la temporalité (réminiscences
traumatiques, difficulté à appréhender le futur, a fortiori positivement).
7 Les victimes risquent de développer une psychopathologie névrotique ou psychotique. Les
événements sont des facteurs précipitant la survenue d’une psychopathologie préexistante.
8 Le DSM-5 et la CIM-10 répertorient tous deux un état de stress post-traumatique,
des troubles dissociatifs et quelques autres troubles résultant d’un événement délé-
tère. La CIM-10 intègre également un trouble dénommé « modification durable de la
personnalité après une expérience de catastrophe » rendant compte des altérations
de la personnalité. La CIM-11 admet deux nouveaux diagnostics, l’état de stress post-
traumatique complexe et le trouble de deuil prolongé.
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 255
Les réactions
2
SOMMAIRE
1. Les attentats du 11 septembre 2001 sont quatre attentats-suicides perpétrés sur le sol américain
par le réseau Al-Qaïda. Ils ont visé des bâtiments symboliques dont les tours jumelles du World Trade
Center à New York et le Pentagone à Washington. Le bilan humain est lourd : 2 977 morts et 6 291
blessés.
2. Le 7 janvier 2015, les frères Kouachi, agissant au nom Al-Qaïda dans la péninsule arabique
(AQPA), attaquent le siège du journal satirique Charlie Hebdo à Paris. Le 8 janvier 2015, Amedy
Coulibaly, un proche des frères Kouachi, tue par balle une policière municipale et blesse grièvement
une personne à Montrouge. Le lendemain, il attaque une superette casher à la porte de Vincennes.
Des effets psychologiques et sociaux recherchés par les terroristes ■ 259
L’organisation djihadiste État islamique au nom de laquelle il affirmait agir n’a pas revendiqué son
acte. En tout, 17 personnes ont perdu la vie et 18 ont été blessées.
3. D’après la Global Terrorism Database, en 2016, près de 34 700 personnes sont décédées au cours
des 13 500 attaques terroristes perpétrées dans le monde. Seuls 2 % des actes terroristes ont été
commis en Europe. Le terrorisme tue davantage dans les pays en voie de développement. C’est l’Irak
qui comptabilise le plus de victimes avec 50 000 décès estimés depuis 2001. Les cinq autres pays les
plus touchés sont l’Afghanistan, le Pakistan, le Nigéria, l’Inde et la Syrie (The National Consortium for
the Study of Terrorism and Responses to Terrorism (START), 2017)
260 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif
disproportionnée par rapport au risque réel encouru par chaque citoyen d’être touché
par un acte terroriste.
La portée psychologique et sociale du terrorisme est telle qu’elle conserve sa puissance
même lorsqu’un acte est déjoué. Pensons à la tentative d’attaque à l’arme à feu dans le
train à grande vitesse Thalys en août 2015 sur la ligne Amsterdam-Paris4. Depuis, dans
les gares et les trains, les contrôles policiers ont été renforcés. Les mois suivants, l’éven-
tualité d’être ciblé par la violence aveugle de radicaux islamistes a donné le frisson aux
voyageurs ou du moins, a traversé l’esprit de la majorité d’entre eux. Les effets produits
sont ainsi semblables à ceux attendus par les commanditaires d’une action réussie.
Aujourd’hui, en raison de la menace d’une nouvelle action terroriste, toute agression
inexpliquée implique d’emblée d’envisager la piste terroriste. Et il en est de même
des accidents aéronautiques, des explosions, etc. La hantise d’un nouvel événement
terroriste est l’alliée de la stratégie de la terreur. La terreur est à la fois le moyen des
terroristes et leur objectif.
4. Le 21 août 2015, dans le train Thalys N° 9364 reliant Amsterdam à Paris sur la ligne LGV Nord,
aux alentours de la commune d’Oignies, dans le Pas-de-Calais, Ayoub El Khazzani, un ressortissant
marocain, armé d’un pistolet automatique et d’un fusil d’assaut kalachnikov, a ouvert le feu sur les
passagers avant d’être maîtrisé par des militaires américains en vacances. Il appartenait à la cellule
terroriste franco-belge constituée autour d’Abdelhamid Abaaoud, donneur d’ordre présumé des atten-
tats déjoués en Belgique à Verviers en janvier 2015, des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles et des
attentats du 13 novembre 2015 en France.
Les réactions immédiates ■ 261
5. Sous l’apparence d’une femme drapée à l’antique et coiffée d’un bonnet phrygien, Marianne symbo-
lise la République française et ses valeurs de liberté et de démocratie. Elle incarne la devise trinitaire
« Liberté, Égalité, Fraternité ».
262 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif
6. La guerre civile algérienne opposa l’Armée nationale populaire (ANP) et des groupes islamistes.
Elle débuta en 1991 et dura une dizaine d’années. Cette période sombre est souvent appelée la décen-
nie noire, la décennie du terrorisme, les années de plomb ou bien encore les années de braise.
Les réactions immédiates ■ 263
Ces fausses alertes peuvent être le fait d’opportunistes de tout poil, de meneurs ou
de zélateurs de groupuscules qui ont intérêt à maintenir un climat de terreur. Leurs
motivations peuvent être idéologiques (terrorisme, extrémisme, anarchisme) ou ins-
trumentales (semer la panique, troubler l’ordre public, tester la vigilance des forces de
l’ordre, intimider, nuire).
Plus souvent, ces alertes malveillantes sont initiées par des adolescents qui trouvent
dans les événements actuels une opportunité de manifester leur mal-être, de se frot-
ter aux limites ou de gagner en popularité auprès de leurs pairs. Deux garçons de
16 et 17 ans se sont ainsi illustrés en septembre 2016 en faisant un « swatting ». Le
swatting, issu de SWAT (unité d’élite de la police américaine), consiste à signaler un
faux incident grave (prise d’otage, attentat, assassinat) afin de mobiliser les unités
d’élite des forces de l’ordre. Les swatters ont averti les autorités d’une prise d’otage
en cours dans une église de Paris. Inconscients de l’impact de leurs actes, ils se sont
vantés de leur exploit sur les réseaux sociaux. Interrogés sur leurs motivations,
ils ont répondu : « On a fait ça pour le buzz. Si les gens ont eu peur c’est leur pro-
blème ! » (de Fournas M., 2016). D’autres jeunes agissent avec la volonté délibérée
de nuire. En octobre 2016, un jeune de 18 ans, auteur de plusieurs fausses alertes
à la bombe, a été intercepté. Il faisait partie d’un groupe de jeunes internautes dont
l’objectif était de lancer des fausses alertes afin de « faire perdre de l’argent à l’État »
(Balboni J., 2017).
D’autres alertes malveillantes sont le fait de déséquilibrés mentaux. Par exemple, en
avril 2018, en plein festival de Cannes, une Cannoise de 27 ans a soudain crié Allah
Akbar avant de menacer de se faire exploser. Elle a rapidement été arrêtée et hospita-
lisée en raison de son état mental (Nice Matin, 2018).
Plus rarement, la motivation peut relever d’un désir de vengeance personnelle. En juil-
let 2015, un homme signale une bombe sur le réseau ferroviaire français. Bien qu’il se
soit revendiqué de l’état islamique, l’enquête a prouvé qu’il n’avait aucune inclination
pour le terrorisme. Il voulait simplement perturber le trafic ferroviaire pour empêcher
son ex-compagne d’exercer son droit de visite auprès de l’enfant dont il avait la garde
(Midi Libre, 2015).
Dans un post7 suivant, Michaël se demande « qu’attend t on pour aller les bombarder
ces terroristes barbares Islamistes » confirmant l’intention raciste de son premier
Tweet8,9. En février 2017, le président américain Donald Trump lui-même s’est rendu
coupable d’une fake news. Dans un discours virulent voulant démontrer le danger
d’accueillir des réfugiés, il a laissé entendre que la Suède avait subi des attentats : « La
Suède, qui l’aurait cru ? La Suède. Ils ont accueilli beaucoup de réfugiés, et maintenant
ils ont des problèmes comme ils ne l’auraient jamais pensé » (Le Monde, 2017).
la diffusion de ces théories dans l’Hexagone. Un sondage réalisé à l’automne 2016 par
l’institut Odoxa révèle que 65 % des Français considèrent qu’on leur a caché quelque
chose sur l’attentat du 11 septembre. Ce sentiment est plus marqué encore chez les
moins de 25 ans, au point de concerner 75 % des interrogés. 45 % des sondés pensent
qu’on ne connait pas les véritables responsables des attentats et 28 % estiment que le
gouvernement américain était impliqué (Odaxa, 2016).
D’une manière générale, les thèses complotistes trouvent un écho de plus en plus
important au sein de la population et touche particulièrement les jeunes (Huchon,
2015). En janvier 2018, un sondage de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et l’obser-
vatoire Conspiracy Watch montre que 79 % des Français croient à au moins une
théorie du complot, 34 % à au moins quatre et 13 % à au moins sept.
En ce qui concerne les attentats meurtriers de Paris, pour les complotistes, ils sont une
mise en scène manigancée par les services secrets. En faisant croire à un attentat isla-
miste, leur but serait d’attiser la haine envers les musulmans. A Berlin, le 19 décembre
2016, un homme a foncé à bord d’un camion dans la foule du marché de Noël tuant
12 personnes et en blessant 48. Comme après l’attentat de Nice, des internautes se sont
étonnés du peu de dégâts occasionnés au camion et de l’absence de sang et ont conclu
que l’attentat était une invention créée de toutes pièces.
Le sondage de l’Ifop révèle que 19 % doutent de la « version officielle » de l’attentat de
Charlie hebdo estimant que « des zones d’ombre subsistent » et 3 % jugent qu’il y a eu
« une manipulation dans laquelle les services secrets ont joué un rôle déterminant ».
Les jeunes sont particulièrement sensibles aux théories du complot. 30 % des 18-24
ans et 27 % des moins de 35 ans sont d’accord avec l’affirmation que « les groupes ter-
roristes jihadistes comme Al-Qaïda ou Daech sont en réalité manipulés par les services
secrets occidentaux » alors que seuls 8 % des plus de 65 ans y souscrivent (ifop, 2017).
Les thèses complotistes circulent depuis plusieurs décennies mais internet leur offre
aujourd’hui un moyen de diffusion rapide et démultiplicateur.
12. En janvier 2015, Lilian Lepère, graphiste à l’imprimerie de Dammartin-en-Goële, s’est caché dans
le réfectoire de l’établissement, sous l’évier. Il affirme « J’ai été plutôt chanceux qu’ils (les médias) n’aient
pas été tenus au courant des informations ». Sa vie, pense-t-il, aurait pu être mise en danger par les
médias ayant diffusé qu’un otage se trouvait dans l’imprimerie si ceux-ci avaient eu connaissance du
lieu précis de sa cache. (Dupont L., 2015)
13. Pour n’en citer que quelques unes : la grippe aviaire, la grippe H1N1, la vache folle, la dioxine, la
guerre en Irak, Tchernobyl, etc.
14. Par exemple, la grippe H1N1.
268 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif
15. Par exemple, la dioxine, la guerre en Irak, Tchernobyl, l’affaire du sang contaminé, etc.
Les réactions immédiates ■ 269
À force d’être répétée, ces thèses complotistes forgent la manière dont leurs adeptes
perçoivent la réalité. Elles les entraînent dans un monde où l’insécurité réelle ou imagi-
naire, la manipulation, les machinations et les complots sourdent de toutes parts. Leur
besoin de sécurité les pousse à chercher de l’information mais paradoxalement, celle-ci,
lorsqu’elle est brute et sans analyse ou tronquée, entretient leur angoisse.
16. Charb, l’illustrateur de l’ouvrage, était le directeur de Charlie-Hebdo. Il a été tué dans l’attentat
du 7 janvier 2015.
17. Un follower est une personne qui s’abonne aux messages d’un utilisateur de Twitter.
270 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif
attentats, on en entendait beaucoup parlé aux infos. Je sais que c’est important mais
pour ma part, entendre autant de choses me rendait encore plus insécure. Déjà que
j’étais quelqu’un de nature insécure… J’ai passé des moments à avoir peur de tout,
de tout le monde, peur de tomber malade, qu’on m’empoisonne, qu’on me poignarde
dans le dos dans la rue, j’avais des crises d’angoisses, des nausées, des maux de
ventre. Mon anxiété ne se calmait pas, même avec la respiration abdominale que
j’avais apprise avec une sophrologue. Ma phobie de vomir, que j’ai depuis l’enfance,
est revenue en force. »
Les personnes qui ont visionné les images en boucle à la télévision courent un danger
similaire. Ces images laissent dans le cerveau des engrammes particuliers. Ce ne sont
pas seulement des images qui s’impriment dans la mémoire mais également la charge
émotionnelle qui leur est associée : l’horreur, l’effroi, la colère, l’impuissance, etc. Ce
film intérieur est « actif » et « agissant » car il possède un potentiel traumatogène. Il
constitue une sorte de souvenirs pour le spectateur qui finit par partager l’insécurité
des victimes directes.
19. Les attentats du 13 novembre 2015, revendiqués par l’organisation terroriste État islamique
(Daech), sont une série de fusillades et d’attaques-suicides perpétrées à Paris et dans sa périphérie par
trois commandos distincts. Une première attaque a lieu à Saint-Denis, aux abords du Stade de France,
où se joue un match amical de football France-Allemagne. D’autres attaques ont ensuite lieu à Paris,
dans les 10e et 11e arrondissements, où trois individus mitraillent des terrasses de cafés et de restau-
rants. L’attaque la plus longue et la plus meurtrière a lieu dans la salle de spectacle du Bataclan (dans
le 11e arrondissement), où 1 500 personnes assistent au concert du groupe américain de rock Eagles
of Death Metal. Le nombre de victimes est de 129 morts et de 354 blessés.
20. Les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles désignent une série de trois attentats-suicide à la
bombe revendiqués par l’organisation terroriste État islamique : deux à l’aéroport de Bruxelles à
Zaventem et le troisième, dans une rame du métro à la station Maelbeek, dans le quartier européen.
Le bilan définitif fait état de 32 morts et de 340 blessés.
21. Dans la soirée du 14 juillet 2016, sur la promenade des Anglais à Nice, Mohamed Lahouaiej-
Bouhlel, un Tunisien résident à Nice, fonce au volant d’un camion poids lourd dans la foule de civils
venus assister au feu d’artifice donné pour la fête nationale. L’attaque cause la mort de 86 personnes
et fait 458 blessés. L’attentat a été revendiqué par l’organisation terroriste État islamique (Daech).
274 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif
des bureaux, une supérette, une salle de concert, le métro, un aéroport, une église, la
rue, etc.) et les armes (fusil d’assaut, explosifs, armes à feu, arme blanche, véhicule, etc.),
la population réalise qu’il est impossible pour les autorités d’assurer leur sécurité en
tout temps en tous lieux. Plus personne désormais ne se considère totalement à l’abri
hors de son foyer. De plus, depuis juillet 2016, avec la tuerie de Nice et le meurtre du
prêtre de la paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray22, les citoyens ont pris conscience
qu’il n’est nul besoin de posséder un armement militaire sophistiqué et coûteux pour
infliger une mort monstrueuse ou commettre un massacre. Leur inquiétude s’accroit
d’autant plus qu’à la facilité de se fournir un véhicule de location ou un couteau de cui-
sine, ils redoutent que de tels actes inspirent des déséquilibrés mentaux. A juste titre
car les attaques d’inspiration terroriste menées par des individus atteints de troubles
mentaux affirmant agir au nom d’Allah mais sans lien connu avec des réseaux isla-
mistes se sont considérablement multipliées depuis les attentats.
Lorsque plusieurs années passent sans attentats, la vie se normalise et les peurs
s’apaisent. Lorsque les massacres collectifs se répètent, les réactions de la population
sont fortement corrélées à l’intensité et à la fréquence des situations. Si les attentats
sont de faible ampleur (par exemple, des attaques violentes ponctuelles sur une ou
deux personnes commises par des déséquilibrés) et/ou peu fréquents, la majorité des
individus s’adaptent au risque. La mort peut frapper à tout moment : accidents de la
circulation, de train ou d’avion, maladies, etc. C’est une réalité qui ne peut être niée.
Une part de l’existence ne peut être maîtrisée et il est possible de vivre avec cette
donnée. Il est inconcevable de mener une vie sans aucun risque sauf à courir un risque
réel de mourir d’ennui. Prenons l’exemple de la conduite automobile. De nombreux
citoyens circulent chaque jour en voiture. Lorsqu’ils bouclent leur ceinture de sécurité,
ils ne pensent pas au risque d’accident, or seul ce risque justifie ce geste devenu banal.
Les individus risquent davantage de périr dans un accident de roulage en se rendant ou
en revenant d’une manifestation festive ou culturelle qu’ils n’encourent de danger au
moment même de l’événement. « Si je prends ma voiture pour aller passer le week-end
à la mer, je prends autant de risques, donc, pas de changement dans mes habitudes ! »
déclare une femme. « Rien n’a changé dans mes habitudes. Je suis plus à l’écoute ou
en vigilance si je suis dans un lieu public. Depuis Paris et Bruxelles, tout peut arriver
et n’importe où et n’importe quand. Il faut le savoir tout comme nous pouvons aussi
mourir demain de façon inattendue » dit une autre. « Sachant que depuis l’existence
de l’homme, la guerre, les massacres existent… Je suis à Paris est je ne me sens pas plus
en danger que dans une voiture » déclare un Parisien. « Ce qui a changé, c’est que j’ai
pris conscience de l’inutilité de croire que l’on peut tout maîtriser et donc d’accepter
de vivre, tout simplement » dit une Bruxelloise. « J’ai été très marquée sur le moment,
j’avais peur, j’étais en colère, je ne me sentais plus en sécurité. J’ai même envisagé
de voir un psy pour m’aider. Puis la veille du jour où ils ont trouvé la planque des
terroristes, alors qu’on savait qu’une menace planait sur les grands centres commer-
ciaux, j’ai décidé de faire une après-midi shopping dans un grand centre commercial
de la région parisienne. Nous devions être une dizaine dans cet énorme centre vide.
22. Le prêtre Jacques Hamel, 86 ans, a été égorgé au couteau le 26 juillet 2016.
Les réactions à moyen et long terme ■ 275
Les caissières me disaient qu’elles avaient peur mais qu’elles étaient obligées d’être là.
C’était choquant mais ça m’a calmée. Je me suis dit que si on ne pouvait plus être en
sécurité nulle part, je ne voulais pas m’enfermer dans ma propre prison et qu’il fallait
vivre. Je n’ai plus peur de prendre le RER, ni d’aller à un concert, ni d’aller dans Paris
ou La Défense, ni d’emmener mes enfants à l’école. Bref, même s’il m’arrive d’y penser
parfois, j’arrive à faire abstraction de ces événements et à avoir une vie aussi normale
qu’avant » explique une Parisienne. « J’ai toujours un peu de stress en particulier dans
le métro après un attentat. Mais après, je me dis que le danger peut être partout et que
s’il m’arrive quelque chose, c’est que ça devait arriver. Rien ne sert de stresser pour
quelque chose qui est en dehors de notre contrôle » convient une autre. « Je suis resté
serein et détendu et pragmatique. La peur n’évite pas le danger et elle empêche de
vivre » conclut un psychologue.
Notons toutefois que tout nouvel acte terroriste ou menace plus précise déclenche à
nouveau de vives émotions. Dans les suites immédiates d’un nouvel attentat, les gens
sont une fois encore sous le choc, bouleversés, horrifiés et choqués mais pour la majo-
rité d’entre eux, l’émotion s’apaise dans les jours, les semaines ou les mois qui suivent.
Si les actions terroristes sont fréquentes et de grandes ampleur, elles provoquent une
rupture par rapport à la continuité du passé et de son quotidien rassurant et consti-
tuent un enjeu car ils charrient des menaces funestes de massacres futurs. Bien que
masqué par une apparence de vie normale, et même s’il est faible pour un individu à
un moment donné, le péril n’en est pas moins présent. « Pour avoir pas mal vécu au
Proche-Orient, je suis en vigilance sur les risques potentiels mais pas de stress particu-
lier. On s’habitue, c’est tout ». La croyance en la sécurité s’effrite peu à peu et le senti-
ment d’insécurité se généralise : « Tout peut arriver, n’importe où, n’importe quand ».
La peur se fixe alors durablement et est réactivée par toute nouvelle menace ou nou-
vel événement violent. Cette peur peut se muer en véritable terreur si les terroristes
en venaient à utiliser des armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires,
menace se profilant comme un risque probable23. Ce type d’attaque est de plus en
plus présent dans les propagandes islamistes. « Je suis très éloigné des zones où il
pourrait y avoir des attentats mais je suis instructeur de scaphandriers et nous avons
évoqué la possibilité que nous ayons formé un futur terroriste qui serait en mesure de
faire un attentat chimique par la distribution de l’eau… Ce qui serait une plus grande
catastrophe qu’une simple bombe… C’est relatif bien sûr » s’inquiète ce professionnel.
Toutefois, avec le temps, il semble que les populations soumises à des vagues de terreur
développent des moyens d’appréhender et de gérer le danger. « Mon pays a toujours
connu la violence. Après un attentat ou un meurtre, en quelques jours seulement la
vie reprend, mais le moindre bruit fait sursauter. Le moindre mouvement suspect est
détecté. On est aux aguets ».
Les êtres humains possèdent en eux et dans leur communauté les ressources néces-
saires pour faire face à des événements dramatiques tels que les attentats terroristes.
Le milieu social et les processus communautaires jouent un rôle fondamental dans la
23. Le matériel pédagogique pour mener une attaque biologique à petite échelle par la contamination
de produits alimentaires est disponible en openweb et sur le darknet.
276 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif
récupération psychologique des individus. Après un attentat, le tissu social est ébranlé
mais il n’est pas détruit et les personnes ont accès à leurs moyens habituels de récu-
pération émotionnelle comme le soutien familial, amical et communautaire. Quand
ces supports familiaux et sociaux sont efficaces, ils offrent des ressources suffisantes
pour retrouver un sens à la vie et régénérer l’équilibre psychologique individuel et
communautaire.
C. Le changement de mentalité
La répétition des actions terroristes a des répercussions cumulatives, évolutives
et durables sur les populations éprouvées. En effet, ces dernières décennies, en par-
ticulier depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, la représentation
mentale du monde musulman a changé en Occident. Or, plus l’être humain se sent en
danger et menacé, moins ses représentations mentales sont nuancées et plus elles sont
278 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif
stéréotypées. Et plus ses représentations sont stéréotypées, plus elles déterminent des
émotions fortes et des attitudes radicales.
24. On parle de menace réelle ou réaliste lorsqu’un individu ou un groupe d’individus représente
une menace concrète pour autrui (concurrence, menaces d’agression, agressions, etc.). On parle de
menace symbolique lorsque c’est « ce que représente l’autre plutôt que ce qu’il fait qui est dangereux »
(Leyens J-P., 2012).
Les réactions à moyen et long terme ■ 279
F. Les agressions
Dans chacune des communautés, des individus manifestent de plus en plus
d’hostilité à l’égard du groupe disqualifié. Des propos racistes tenus sur les réseaux
sociaux suite au décès accidentel du jeune adolescent belge d’origine marocaine de
15 ans, Ramzi Mohammad Kaddouri, décédé en août 2016 lors de ses vacances
au Maroc, en sont une déplorable illustration. « Il était en vacances dans son pays
d’origine. Il donne le bon exemple en restant là-bas », « Mieux vaut un qu’aucun » et
« Un Arabe en moins » sont quelques-uns des messages postés sur la toile (Bouche
M., 2016).
Certains individus, parmi les plus violents, passent de l’hostilité à la haine et ensuite
à l’agression de personnes du groupe opposé. Les attaques contre des lieux cultuels,
culturels ou commerciaux musulmans et les agressions verbales et physiques contre
des Musulmans atteignent des niveaux sans précédent. En France, après les attentats
de janvier 2015, l’Observatoire contre l’islamophobie du Conseil Français du Culte
Musulman (CFCM) a recensé 54 actes antimusulmans en une semaine, hors Paris et sa
petite couronne, dont 21 actions allant de coups de feu à des jets de grenades à plâtre
en passant par des explosions, soit une augmentation de 70 % comparé à la situation
antérieure (Chambraud C., 2015).
Ces lynchages sont une manière de se venger et de faire justice. Les passages à l’acte
violent donnent à leur auteur le sentiment d’agir contre le malheur ou l’injustice qui
frappe son groupe communautaire. Ces initiatives, bien qu’individuelles, revêtent un
sens collectif car elles sont menées au nom de la communauté.
ainsi une histoire commune, renforcent les liens entre les individus et affer-
missent la notion de communauté.
• Une dimension de mémoire (devoir de mémoire) : En raison de leur nature
officielle, ces manifestations et symboles commémoratifs participent au
devoir de mémoire. Leur fonction majeure réside dans leur pouvoir évoca-
teur : ils consistent à évoquer les préjudices subis par les victimes et les
conditions dramatiques dans lesquels les disparus ont trouvé la mort.
• Une dimension d’historisation (travail de mémoire) : En rappelant les attentats,
les commémorations réactualisent le passé dans le présent mais simultané-
ment elles marquent leur dépassement dans un temps tourné vers le futur.
Pour l’historien Jean-Noël Jeanneney, « il n’y a pas de commémoration neutre.
C’est toujours au présent qu’un tel événement survient, c’est toujours l’avenir
qu’il doit, au premier chef, contribuer à éclairer et, dans le meilleur des cas, à
dessiner pour le mieux – ou le moins mal » (Jeanneney J-N., 2013). Ces com-
mémorations réveillent les douleurs des événements tragiques mais contri-
buent aussi à les dépasser. Tout en conservant les traces du passé, elles
favorisent leur transformation, par exemple, par l’intégration des enjeux
symboliques tels que la fraternité, la solidarité, la tolérance, etc. A terme, un
travail de mémoire réussi, c’est tout à la fois se rappeler et oublier. Tout oublier
serait dangereux. Sans mémoire, les périodes les plus sombres de l’Histoire se
répéteraient inlassablement. Comme le rappelle l’analyste politique David
Rieff, « l’oubli est l’atout de quelques-uns des personnages les plus sinistres de
l’Histoire. Hitler se demandait qui, en 1939, se souvenait encore du massacre
des Arméniens par les Turcs, pour avancer que les nazis pouvaient agir à leur
guise sans avoir rien à craindre » (Courrier International, 2012). Mais d’une
certaine façon, oublier est indispensable. L’Histoire, tout comme le psychisme
des individus, est fortement dominée par les processus de répétition et les
conflits entre peuples sont largement nourris par cette incapacité à oublier. La
mémoire peut attiser la colère et, nous dit l’essayiste, « finir par faire ressem-
bler l’Histoire à un arsenal doté des armes nécessaires pour perpétuer les
guerres et fragiliser la paix » (Rieff D., 2018). Avec les années, les lieux de
commémoration et les stèles perdent leur charge émotionnelle tout comme
l’ont perdu les nombreux monuments aux morts érigés après les deux guerres
mondiales en mémoire aux soldats tombés sur le front. Le psychiatre Patrick
Clervoy nomme ce phénomène le lissage. « On continue à voir les traces, mais
on les range parmi les traces qui existaient préalablement » (Clervoy P., Tollet
A.-I, 2016) dit-il. Le processus de résilience collective efface peu à peu le carac-
tère traumatique d’un événement et l’historicise. Le travail de deuil est indis-
pensable mais doit cesser un jour pour que la vie continue.
• Une dimension identitaire : Les actes commémoratifs réaffirment les valeurs
et l’idéal qui unissent les membres d’un groupe (liberté d’expression, frater-
nité, tolérance, etc.) et favorisent leur engagement à les défendre. En organi-
sant ces rituels collectifs, une communauté s’auto-institue en rappelant les
bases morales et les idéaux qui la fondent. Pour l’historien Patrick Garcia,
commémorer « c’est produire un discours, mettre en scène un geste qui
Les réactions à moyen et long terme ■ 281
utilise le passé pour esquisser, devant les hommes du présent, leur devenir
commun et manifester ce qui les lie ensemble aujourd’hui » (Garcia P.,
2001). Ce faisant, les rituels conservent, préservent et transmettent l’identité
culturelle d’une communauté.
• Une dimension politique : Selon l’Encyclopédie critique du témoignage et de
la mémoire, les commémorations ont pour rôle « d’affirmer politiquement
une identité commune et de transmettre des valeurs aux générations sui-
vantes à travers des mises en scènes, ou théâtralisations du passé » (Keste-
loot C. et coll., 2017). Le mémorial du 9/11 rappellent sa mission par la
citation : « Puissent les vies remémorées, les exploits reconnus et les esprits
éveillés à nouveau faire figure de guides éternels, en réaffirmant le respect
de la vie, en renforçant notre détermination à préserver la liberté et en lut-
tant contre la haine, l’ignorance et l’intolérance »25. Cette citation fait écho au
discours de George W. Bush devant le Congrès peu après le 11 septembre
dans lequel il affirmait que les attentats avaient été perpétrés parce que les
terroristes « détestent nos libertés – notre liberté de culte, notre liberté
d’expression, notre liberté de voter, de nous réunir et de ne pas être d’accord
entre nous ». Nous l’avons vu, en réaffirmant son unité, le groupe contribue
au repli communautaire et accentue la fracture sociale.
Les associations de victimes sont également très actives en suscitant des cérémo-
nies commémoratives, en conseillant les autorités sur l’organisation des hommages
officiels, etc. Les médias participent eux aussi aux commémorations : ils préparent
des éditions spéciales, proposent des documentaires et des témoignages sur le sujet,
retransmettent les hommages publiques, publient des mémoriaux26, etc.
25. On peut lire sur le site du memorial “May the lives remembered, the deeds recognized, and the spi-
rit reawakened be eternal beacons, which reaffirm respect for life, strengthen our resolve to preserve
freedom, and inspire an end to hatred, ignorance and intolerance” (www.911memorial.org/mission-
statements-0.). Traduction française de David Rieff (Courrier International, 2012).
26. « Le Monde » a nommé Mémorial la publication des portraits des hommes et des femmes tués
dans les attentats afin de conserver la mémoire de ces vies fauchées. Il peut être vu sur www.
lemonde.fr/grands-formats/visuel/2016/10/06/le-memorial-du-monde-aux-victimes-des-atten-
tats-de-nice_5009546_4497053.html
27. Dans la loi française, l’article 1er de la loi no 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de pro-
grammation relative à la sécurité est ainsi rédigé : « La sécurité est un droit fondamental. Elle est une
condition de l’exercice des libertés et de la réduction des inégalités. A ce titre, elle est un devoir pour
l’État qui veille sur l’ensemble du territoire de la République, à la protection des personnes, de leurs
282 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif
sont déployées dans les rues des grandes villes ; des policiers armés arpentent les
plages des stations balnéaires, organisent la surveillance et opèrent des contrôles dans
les gares, les aéroports et à l’entrée des lieux de grands rassemblements ; des portiques
de sécurité sont placés sur les quais conduisant aux trains à grande vitesse, etc.
Pour garantir la sécurité des citoyens, les autorités sont également amenées à annuler
des festivités populaires telles que braderies28 et vide-grenier, feux d’artifice, festivals,
concerts et spectacles en plein air, événements sportifs, etc. En raison du niveau élevé
de la menace et des difficultés à sécuriser les manifestations de grande ampleur, elles
prennent, bien malgré elles, des dispositions accordant une victoire symbolique au
terrorisme.
La défense du territoire amène aussi les gouvernements à adopter des mesures excep-
tionnelles de sécurité, moins visibles mais sources potentielles de dérives. À titre
d’exemple, au lendemain des attentats de New York de 2001, le Congrès des États-
Unis a voté l’USA Patriot Act29, une loi destinée à permettre à l’Amérique de se doter
des outils nécessaires pour déceler et contrer le terrorisme. Cette loi, modifiée mais
toujours d’application, est très controversée et jugée liberticide par les défenseurs des
libertés civiles. Les Associations de défense des Droits de l’Homme dénoncent notam-
ment la réduction des droits de la défense, la violation de la vie privée, des atteintes à
la liberté d’expression et les risques représentés par l’empiètement des autorités admi-
nistratives sur le pouvoir judiciaire. En France, une loi sur le renseignement votée en
avril 2015 à l’Assemblée Nationale, instituant la surveillance en masse d’internet sans
l’avis d’une autorité judiciaire30, a soulevé l’indignation du Syndicat de la magistrature,
du Syndicat des avocats de France, d’Amnesty International, de la Ligue des droits de
l’homme, de l’Observatoire des libertés et du numérique et même de la CGT police31.
Ces associations et organismes jugent la loi liberticide et craignent son détournement à
des fins de surveillance et de répression sans lien avec le terrorisme. Les libertés que
les citoyens peuvent exercer dans les limites des principes démocratiques (libertés de
conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication des idées, d’action,
de circulation des personnes, de réunion, de culte, etc.) sont ainsi partiellement sup-
plantées par leur liberté de vivre en sécurité qui légitiment des mesures politiques
exceptionnelles au mépris des droits démocratiques fondamentaux.
Avec la persistance de la menace terroriste, d’autres mesures pourraient voir le jour.
Certains en appellent à « l’israélisation » de la sécurité exhortant les États à s’inspi-
rer des méthodes israélienne de lutte anti-terroriste. Rappelons que même en Israël,
malgré des mesures sécuritaires réputées les meilleures du monde, les terroristes par-
viennent encore à frapper. Le risque zéro n’existera jamais.
biens et des prérogatives de leur citoyenneté, à la défense de leurs institutions et des intérêts natio-
naux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre public ».
28. En 2016, le plus important marché aux puces d’Europe, la braderie de Lille, a été annulé pour la
première fois depuis la deuxième guerre mondiale.
29. L’USA Partiot Act a été signé le 26 octobre 2001 par George W. Bush.
30. La totalité du trafic français passe désormais dans les filets de « boites noires » de surveillance.
31. Fédération générale des syndicats de la Police nationale.
L’avenir ■ 283
L’obsession sécuritaire a des effets pervers qui ne peuvent être éludés. Les populations
spécifiques et les catégories-cibles tels que les jeunes, les migrants ou les personnes
d’origine étrangère font déjà l’objet de surveillance et de contrôles accrus. L’amalgame
entre immigration et violence est récurrent et s’est renforcé. Les politiques migratoires
et la lutte contre l’immigration clandestine se durcissent davantage. Les violences
urbaines des quartiers « difficiles » impliquant des jeunes, pauvres et presque tou-
jours d’origine étrangère pourraient être interprétées comme des actions collectives
dirigées contre l’État et conséquemment durement réprimées. La stigmatisation accrue
et l’intensification des mesures répressives ne sont pas sans conséquences pour les
populations désignées. Rejetées par une partie de la société et traitées injustement, elles
accumulent rancœurs et frustrations. Avec le temps, ces sentiments se transforment
en haine et renforcent le communautarisme ; les tensions entre communautés s’exa-
cerbent et les exactions violentes se multiplient.
6. L’avenir
32. L’ETA (Euskadi Ta Askatasuna, en français Pays basque et liberté) est une organisation armée
basque indépendantiste d’inspiration marxiste fondée en 1959.
33. L’IRA (Irish Republican Army, en français Armée républicaine irlandaise) est le nom porté par
plusieurs organisations paramilitaires luttant par les armes contre la présence britannique en Irlande
du Nord. Elle a été fondée en 1916.
34. La RAF (Rote Armee Fraktion allemand, en français Fraction armée rouge) est une organisation
terroriste allemande d’extrême gauche qui opéra en Allemagne de l’Ouest de 1968 à 1998.
35. Les CCC (Cellules communistes combattantes) sont une organisation belge d’extrême gauche
fondée en 1983.
36. En 2014, les avancées de l’État Islamique en Irak et en Syrie poussent la communauté inter-
nationale à intervenir. Une quarantaine de pays se coalisent pour lutter contre les djihadistes. Les
premières frappes aériennes ciblant une vingtaine de site en Syrie sont menées la nuit du 22 au
23 septembre 2014.
284 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif
semblent n’avoir aucun projet politique ou religieux précis. Ceux-là n’ont souvent pas
de formation politique et connaissent peu et mal l’Islam. Certes, ils manifestent une
détestation par rapport à la société occidentale consumériste mais leurs revendica-
tions, tout comme leurs réelles motivations, restent indifférenciées et insaisissables.
Parmi eux, certains ont un passé de délinquance et ne trouvent probablement dans le
terrorisme rien d’autre qu’une manière de sublimer des pulsions violentes.
Auparavant, le terrorisme s’inscrivait dans un conflit local, circonscrit à une région ou
un pays. Aujourd’hui, il est mondial et concerne vingt pays répartis sur les cinq conti-
nents : les États du Moyen-Orient, l’Afrique saharienne et sub-saharienne, les États-
Unis en passant par l’Indonésie et l’Europe (Zerrouky M et coll., 2015). Pour vaincre
une telle calamité, les États doivent collaborer et lutter de concert.
Dans le passé, les militants étaient inféodés à une autorité centralisée de laquelle ils
recevaient leurs instructions. Aujourd’hui, les terroristes agissent sous les directives
générales de réseaux islamiques tels qu’Al Qaïda, Boko Haram ou l’État Islamique qui
appellent régulièrement leurs partisans, par le biais de communiqués médiatiques, à
commettre des actes terroristes (exhortation à kidnapper des Occidentaux, à tuer des
policiers, à attaquer des cibles militaires et des civils aux États-Unis et en Europe, etc.)
mais ils procèdent toutefois sans le commandement d’un pouvoir centralisé. Certaines
actions sont préparées par des groupuscules auto-formés et d’autres par des individus
isolés agissant de leur propre initiative sans lien avec un réseau djihadiste internatio-
nal. Le fait qu’il soit malaisé de tracer les contours de la mouvance islamiste terroriste
rend d’autant plus difficile la lutte contre ce type de terrorisme. En effet, on ne peut
espérer vaincre ce fléau en démantelant un simple réseau.
L’Histoire a prouvé que les pays soumis à l’épreuve du terrorisme mettent de longues
années à en venir à bout. Or, la situation actuelle est plus complexe et plus inquiétante
que jamais.
L’avenir ■ 285
Résumé
1 Le terrorisme est une arme efficace. Il impacte les victimes directes, leurs proches, la
population civile et le monde politique.
2 Il vise à produire des effets psychologiques et sociaux. Son but est d’inspirer la terreur
dans l’opinion publique en infligeant aux victimes une mort horrible qui remet en ques-
tion l’ordre social et la morale. La fonction principale de l’acte terroriste est de faire
parler de ses commanditaires et de ses revendications.
3 A l’annonce d’un attentat meurtrier, la population manifeste des réactions fortes. Pour
la majorité des citoyens, l’émotion s’apaise en quelques jours ou quelques semaines.
Les mouvements de panique, les rituels communautaires, les rumeurs alarmistes, les
fausses alertes à la bombe et les théories complotistes sont quelques-uns des phéno-
mènes observés dans l’immédiat après-coup d’une attaque terroriste.
4 Quelques jours après le drame et dans les semaines suivantes, la plupart des citoyens
recouvrent leur calme mais sont stressés lorsqu’ils sont confrontés à des situations
évoquant les attentats. Certaines personnes continuent néanmoins à éprouver une
peur intense et adoptent des comportements d’évitement. Les personnes ayant vécu
antérieurement un traumatisme et celles qui ont visionné les images en boucle des
attaques à la télévision peuvent présenter des symptômes d’allure post-traumatique.
5 Au fil du temps, la majorité des citoyens regagnent leur tranquillité dans la routine
du quotidien mais éprouvent du stress dans les situations rappelant les attentats.
Certains modifient leurs habitudes sans que ces conduites d’évitement n’altèrent leur
qualité de vie globale. Seule une faible minorité restreint ses activités esquivant toute
situation jugée à risque. Outre les réactions individuelles, des comportements collectifs
particuliers surgissent : mouvements de panique, clivage de la population, désignation
de boucs émissaires, agressions de personnes en raison de leurs signes identitaires,
apparition de dérives sécuritaires, etc.
SOMMAIRE
1. La déshumanisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
2. Déshumanisation, perte de la capacité de sympathie
et de compassion, pervertissement de la capacité d’empathie. . . . . 291
3. Déshumanisation et désengagement moral. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294
4. Désengagement moral et atrocités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
5. Endoctrinement et déshumanisation du terroriste . . . . . . . . . . . . . . 296
288 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes
1. La déshumanisation
1.1. Définition de la déshumanisation
et de l’infra-humanisation
On entend par déshumanisation le processus psychologique par lequel un individu
perçoit et traite ses semblables comme extrinsèques ou inférieurs au genre humain.
Ce processus procède d’une division manichéenne entre la communauté à laquelle
l’individu adhère, à laquelle il fait allégeance inconditionnellement, et un autre groupe
humain, disqualifié et méprisé, perçu comme une menace réelle ou symbolique3.
1. Il est important de distinguer islamisation et radicalité. En effet, dans un grand nombre de cas,
l’Islam n’offre qu’un prétexte à des jeunes à la recherche d’une cause à même de soutenir leur révolte.
Notons encore que les salafistes et les jeunes partant pour le Djihad ne prennent pas tous les armes et
ne deviennent pas tous terroristes.
2. Certains tentent d’expliquer, du moins partiellement, le terrorisme comme une réponse à une
violence sociale et économique subie dans les pays occidentaux dans lesquels ils résident mais au sein
desquels ils n’ont pas trouvé leur place.
3. On parle de menace réelle ou réaliste lorsqu’un individu ou un groupe d’individus représente une
menace concrète pour autrui (concurrence, menaces d’agression, agressions, etc.). On parle de menace
symbolique lorsque c’est « ce que représente l’autre plutôt que ce qu’il fait qui est dangereux » (Leyens,
La déshumanisation ■ 289
J-P., 2012). Parmi les nombreuses causes à l’origine de la radicalisation des jeunes, d’aucuns invoquent
une menace de cet ordre : vivre dans une société plus favorisée économiquement qu’ils ne le sont, ne
leur permettant pas d’accéder aux biens de consommation et à un statut social enviable, serait perçu
comme une humiliation et une agression. Pour les radicaux, le mode de vie occidental peut lui aussi
être perçu comme une menace symbolique à l’avènement d’un ordre islamique.
4. À contrario, selon ce qui ressort des études menées par Leyens, les émotions dites primaires telles
que la joie, la colère et la tristesse seraient partagées avec les animaux (Leyens J-P, 2012).
5. Nous illustrons les phénomènes de déshumanisation et d’infra-humanisation par des exemples liés
au colonialisme, à la guerre, au génocide, etc. Notons qu’ils sont très fréquents dans les contextes de
paix et dans la vie quotidienne et ne sont pas exclusivement à l’œuvre dans ces situations extrêmes.
Pour ne citer qu’un exemple, les femmes sont traitées comme des objets sexuels dans la publicité, la
pornographie, la prostitution, etc.
6. La liste ne se veut pas exhaustive.
290 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes
8. Termes que les islamistes reprennent du Coran : « Voulez-vous que je vous indique la pire des sanc-
tions auprès d’Allah ? C’est celle qui est réservée à ceux qu’Allah a maudits, à ceux qui ont encouru Sa
colère et dont Il fait des singes et des porcs, et à ceux qui adorent des idoles ! Voilà ceux qui sont voués au
plus misérable des destins, ceux qui sont les plus éloignés du droit chemin ! » (Coran, 5:60). « Et si Nous
avions voulu, Nous l’aurions sauvé, grâce à Nos signes ; mais il avait opté pour la vie matérielle de ce
monde et obéi à ses instincts, donnant ainsi l’exemple du chien qui ne cesse de haleter » (Coran, 7:176).
Les singes, les porcs et les chiens désignent les juifs et les chrétiens.
292 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes
2.1.2. La compassion
Le mot compassion vient du latin, cum-patire, souffrir, éprouver avec.
Alors que la sympathie se réfère à la faculté de participer tant aux peines qu’aux
joies d’autrui, la compassion ne s’exprime que dans la souffrance. Outre le fait qu’elle
rend sensible à la douleur de l’autre, elle se caractérise par le besoin solidaire d’agir et
d’y remédier. Ainsi, si un sort funeste frappe un de nos proches, nous nous portons
spontanément à son secours. Si un ami se confie : « Je suis déprimé, je suis à bout », un
interlocuteur faisant preuve de compassion pourra, par exemple, lui répondre « Je suis
désolé pour toi. Que puis-je faire pour t’aider ? ».
Si notre compassion se déclare principalement à l’égard de l’entourage, nous pouvons
également l’éprouver envers des inconnus et nous sentir poussés à agir concrètement
pour les aider, en particulier s’ils affectés par un grand malheur. A titre d’illustration,
rappelons-nous de l’élan mondial de solidarité qui s’est manifesté suite au tsunami de
décembre 2004 en Asie.
2.1.3. L’empathie
Empathie est la traduction du sens du mot grec empatheia, lui-même issu du pré-
fixe en, dans, à l’intérieur et de pathos, ce qu’on éprouve.
Déshumanisation, perte de la capacité de sympathie et de compassion… ■ 293
L’empathie consiste à comprendre l’autre mais elle s’en distingue par le mode d’inves-
tissement relationnel et l’absence d’implication affective personnelle. Elle désigne le
mécanisme par lequel un individu perçoit avec justesse le cadre de référence d’autrui
(sa façon de percevoir la réalité, ses valeurs, ses croyances, le sens qu’il accorde aux
choses, etc.) ainsi que les pensées, les raisonnements, les sentiments, les émotions, les
paroles, les actes, les choix et les décisions qui en découlent.
L’empathie constitue une forme de compréhension qui permet de se mettre à la place
de l’autre sans toutefois prendre sa place. Une personne empathique est capable
d’appréhender le monde tel que son interlocuteur le perçoit sans le réduire au sien, le
déformer, l’interpréter ou le juger. Elle est également à même de saisir sa manière de
penser et de capter son état affectif (ses émotions, ses sentiments) sans s’identifier à
lui ni endosser ce qui ne lui appartient pas. Elle perçoit donc les émotions qu’il ressent
sans les éprouver personnellement et sans que son état affectif en soit perturbé. Par
exemple, si une personne dit : « Je suis déprimée, je suis à bout », un interlocuteur empa-
thique pourra lui répondre « Votre semaine a été éprouvante ».
Nous sommes capables d’empathie envers des personnes avec lesquelles nous
n’entretenons pas de rapport personnel. Ainsi, suite à l’effondrement des tours
jumelles du World Trade Center et à la vague destructrice du tsunami, nous avons
été capables de nous représenter globalement le vécu des personnes atteintes et de
leur famille.
3. Déshumanisation
et désengagement moral
La déshumanisation, la rupture des liens de sympathie et l’éclipse de la compassion
affaiblissent l’autocensure morale et lèvent des interdits. En effet, les principes de
moralité ne s’appliquent pas à des êtres privés de qualités morales, en marge de l’hu-
manité. Avec les individus déshumanisés exclus du champ d’application de l’unisson
émotionnelle et de la solidarité, les valeurs essentielles de l’existence telles la sécurité,
la paix, le bien, la bonté, le respect de la vie, sont facilement bafouées et les règles de
base régissant l’humanité, comme l’entraide et la justice, aisément transgressées. Les
restrictions morales prohibant la spoliation, l’exploitation et l’agression sont enfreintes
sans difficulté. Pire, les interdits moraux proscrivant le meurtre et la cruauté sont
fréquemment abolis.
L’Autre n’est pas un alter ego ; il est un parasite à éliminer, un insecte à écraser, du
bétail à égorger, une cible à atteindre, un objet à exploiter, etc. La dénomination choisie
par une communauté pour désigner les individus d’un autre groupe humain n’est pas
qu’une simple figure de rhétorique ou un phénomène exclusivement linguistique. Les
termes choisis influencent la façon dont les sujets se représentent le monde, pensent
leur environnement et par conséquent, la manière dont ils agissent. Réduit à une nui-
sance ou à du matériel, le sort de l’Autre est scellé. Il peut être haï, torturé ou massacré
de la manière la plus outrageuse, sans aucune considération pour sa condition d’être
Désengagement moral et atrocités ■ 295
10. Sémelin ne fait pas allusion au terrorisme mais à des guerres intestines (génocide, épuration eth-
nique). Le thème de la pureté est fréquent, sinon constant, dans ce type de conflit.
296 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes
5. Endoctrinement et déshumanisation
du terroriste
5.1. La désaffiliation du groupe d’appartenance
En grandissant, l’être humain apprend les règles et les valeurs propres à sa culture
et les fait siennes petit à petit. L’observation et les réprimandes de ses parents d’abord,
l’analyse, l’expérience et les sanctions sociales ensuite, l’amènent à adopter les stan-
dards de sa société et à s’y conformer.
Devenir terroriste nécessite une transformation profonde du rapport à soi et aux
autres. Se désaffilier du groupe d’appartenance qui l’a vu naître, rompre avec les
modalités de comportement, de points de vue, de valeurs, de sociabilités individuelles,
familiales et collectives et s’émanciper des principes fondamentaux introjectés depuis
l’enfance, n’est pas un processus spontané. Il nécessite que l’individu soit soumis à des
procédés psychologiques et psychosociaux11.
C’est par l’endoctrinement12 que l’individu apprend à cibler une communauté et à la
déshumaniser, à perdre à son encontre sa capacité de sympathie et de compassion et
à se désengager dans ses rapports avec elle des censures morales régissant habituelle-
ment les rapports humains. Progressivement, l’idéologie, la doctrine, les principes, les
valeurs et les règles imposées par le discours de l’islam radical entraîne une modifica-
tion de la personnalité de l’individu, de sa vie affective, cognitive, relationnelle, morale
et sociale. Simultanément, la propagande s’emploie à diaboliser le monde occidental,
le disant corrompu, dirigé par des sociétés secrètes, hostile à l’Islam, méprisant les
Musulmans13 ; elle prête à l’exo-groupe des agissements abjects et lui impute des actes
11. L’endoctrinement menant à la radicalisation est un processus progressif qui se déroule en diffé-
rentes étapes. S’il prend le plus souvent plusieurs années, nous assistons aujourd’hui à des radicalisa-
tions rapides, en quelques mois, voire quelques semaines.
12. L’éducation peut être la source de l’endoctrinement. Dès leur naissance, certains sujets sont élevés
dans la haine du noir, du juif, du musulman, etc.
13. Les théories du complot sont un des éléments utilisés par les recruteurs, « émirs » et autres
« idéologues » des groupes islamistes radicaux violents pour convaincre leurs recrues d’adhérer à
l’Islam radical. (van Prooijen J-W. and al., 2015).
Endoctrinement et déshumanisation du terroriste ■ 297
abominables, par exemple, la mort de nombreux enfants innocents sous les bombarde-
ments en Syrie. Ces violences « seront au besoin “inventées”, ou grossies, pour révulser les
consciences et justifier l’extrême sévérité de la réaction. » (Esméralda L., 2006).
Pour les terroristes qui se sont rendus coupables de délits et de crimes avant leur
embrigadement, la délinquance et le banditisme ont ouvert les voies de la déshuma-
nisation et du désengagement social14. Les victimes de leurs méfaits n’étaient déjà plus
pour eux des alter egos animés de sentiments et d’émotions. Réduites à un moyen
d’assouvir des pulsions et des désirs, elles pouvaient être volées, spoliées ou agressées
sans préjudice moral.
14. Évitons les amalgames. Certes, certains terroristes passent de la petite délinquance au banditisme
puis au terrorisme mais c’est loin d’être systématiquement le cas.
15. Parmi les premiers signes visibles de cet effacement de l’identité personnelle, notons les modifi-
cations dans les choix vestimentaires, en particulier pour les filles. Sous le voile intégral, leur indivi-
dualité disparait.
298 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes
Il n’est plus qu’un robot réduit à une idéologie, insensible à la douleur d’autrui et
dépourvu de morale. La destruction de ceux qui se feront exploser est alors en marche.
Ils ne seront bientôt plus qu’un instrument, une arme, une bombe-humaine… C’est
l’étape ultime de leur déshumanisation.
Résumé
1 La déshumanisation joue un rôle important dans les violences exercées entre commu-
nautés. Elle entraine la perte de la relation de sympathie et de l’attitude de compassion
et pervertit la capacité d’empathie. Ces conditions génèrent un affaiblissent de l’auto-
censure morale et lèvent des interdits.
2 Devenir terroriste nécessite une transformation profonde du rapport à soi et aux autres
qui se produit par l’endoctrinement.
3 Les processus de déshumanisation, de perte de sympathie, d’extinction de l’élan
de compassion et de désengagement moral font partie intégrante des mécanismes
d’endoctrinement et d’embrigadement visant à influencer les pensées et les actions du
sujet à l’encontre de l’exo-groupe.
4 La déshumanisation du terroriste est une condition incontournable pour qu’il puisse
torturer, assassiner, égorger, décapiter, crucifier, massacrer ou faire exploser des incon-
nus qui ne l’ont ni menacé ni agressé.
5 Au terme de son endoctrinement, le terroriste est lui-même déshumanisé. Il n’existe
plus en tant qu’individu. Réduit à une idéologie, il n’est plus qu’une arme humaine.
psychopathologiques. Dès les premiers jours et les premières semaines, certains sujets
voient leurs troubles disparaître ; d’autres commencent à souffrir de symptômes
traumatiques et/ou de désordres anxieux, dépressifs, comportementaux ou psycho-
somatiques, de troubles du sommeil ou des conduites alimentaires, voire de réactions
pathologiques névrotiques ou psychotiques. Ces troubles peuvent s’avérer transitoires
ou devenir chroniques et se perpétuer tout au long de la vie sous forme de symptômes
sporadiques, récurrents ou fixés en névrose traumatique.
Dans cet ouvrage, nous nous sommes attelés à décrire la souffrance des victimes ainsi
que l’impact d’un événement dramatique majeur sur la population. Nous nous sommes
également penchés sur les auteurs d’actes terroristes meurtriers et nous avons tenté
de mettre en lumière les processus psychologiques et psychosociaux expliquant la
transformation d’un individu en véritable arme humaine.
À ceux qui s’interrogent sur les réactions et le devenir des personnes accidentées, griè-
vement blessées, agressées physiquement ou psychologiquement, violées, torturées,
malmenées par les catastrophes naturelles et les conflits armés, témoins d’un incident
violent ou d’un décès inopiné ou confrontées à tout autre événement délétère, nous
espérons avoir apporté quelques éléments de réponse et de réflexion.
Postface
fournissaient une base d’étude, que les premiers fondements sur les traumatismes
psychiques furent construits ; des théories qui sont toujours la base du travail clinique
de nombreux praticiens contemporains, mais qui restent trop souvent à l’ombre dans
les publications actuelles.
Les observations des psychiatres militaires durant les deux guerres mondiales, allant
du shell shock, passant par les psychonévroses de guerre et les états d’épuisement
de combat, aux apparitions cliniques contemporaines telles que le battle shock actuel
ont toujours eu un aspect en commun : comme l’explique tellement bien cet historien
Anglais, Ben Shepard, dans son œuvre récapitulative A War of Nerves : Solders and
Psychiatrists 1914-1994, le problème (des traumatismes de guerre) fut toujours d’abord
dénié, puis exagéré, puis compris, et finalement oublié ! Cela semble toujours valable
pour les urgences collectives qui ont frappé la Belgique durant la dernière décennie.
Pourtant, en relisant ces anciens textes, nous pouvons facilement constater que la des-
cription clinique de l’état de stress post-traumatique (post-traumatic stress disorder),
telle qu’elle est fournie dans le système nosologique américain DSM, ne correspond
qu’en partie aux descriptions phénoménologiques de trauma fournies par les « anciens
maîtres » précités.
Dans ce livre, l’auteur nous a exposé à quoi le traumatisme psychique ou le syndrome
psychotraumatique est réduit dans les très officielles classifications internationales
des maladies mentales – DSM-5 et CIM-10/11 – impliquant une potentielle impasse
entre le monde des chercheurs empiriques et celui de praticiens du trauma. Pour ne
citer qu’un exemple de mauvais choix par les psychiatres membres de DSM-5 task
forces : la suppression, dans le DSM-5, des critères A2 du DSM-IV (impuissance,
horreur, anxiété), peut certainement être vu comme un recul, car le même événement
potentiellement traumatisant peut être traumatisant pour un individu et pas pour un
autre ou traumatisant pour un individu aujourd’hui et pas demain, dans d’autres cir-
constances de préparation, d’anticipation, de disponibilité de ressources et de soutien
social. Désormais, cette nouvelle classification ne tiendra plus compte de ces aspects.
Personnellement, j’aurais tendance à considérer la description clinique du trauma dans
le DSM (et même dans cet autre système nosologique qu’est l’ICD-10) comme un menu
chinois de symptômes post-traumatiques sans plus…
Le point fort de la position des auteurs francophones est le découpage clinique effectué
entre les syndromes post-traumatiques qui sont vus comme une réaction directement liée
à l’horreur de la confrontation massive et brutale à la mort, d’une part, et les suites psycho-
émotionnelles des événements bouleversants au sens large et des crises de vie, d’autre part.
Selon ces mêmes auteurs, ces écrits ne souffrent pas, comme tellement d’interprétations
anglo-saxonnes, d’une approche qui ne s’adresse pas à la vérité personnelle unique de ce
type d’expérience – visible dans la terminologie utilisée telle que traumatic event ou trau-
matic stress –, mais plutôt sur la réalité événementielle et biophysique du stress extrême.
Les auteurs de la pensée clinique francophone, ainsi que les cliniciens formés selon ce
courant, se sont toujours efforcés de veiller aux importantes interventions posttrauma
selon qu’il s’agit d’interventions immédiates, post-immédiates et différées, regroupées
sous le dénominateur commun de early interventions consécutivement au traumatic
stress dans la pratique anglo-saxonne.
Postface ■ 303
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Ce site destiné aux cliniciens et aux Le Journal International de Victimologie :
chercheurs fournit de nombreuses res- http://www.jidv.com
sources sur le traumatisme psychique, Ce site pour professionnels offre en libre
tant individuel que collectif. En anglais. accès des articles scientifiques sur la vic-
I-Trauma : http://www.info-trauma.org timologie et le traumatisme psychique.
Ce site a pour vocation de fournir de l’in- En français et en anglais.
formation sur le traumatisme psychique Global Terrorism Database : https://www.
aux victimes, à leurs proches ainsi start.umd.edu/gtd/
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Ce site fournit des informations sur plus de international au sein du système des
170.000 attaques terrorists. Nations unies. En français, en anglais,
National Center for Posttraumatic Stress en arabe, en espagnol, en russe et en chi-
Disorder (NCPTSD) : http://www. nois. Rubrique « santé mentale ». Cette
ncptsd.va.gov Le National Center for rubrique comprend des informations
PTSD (NCPTSD) a pour but d’améliorer et des documents sur la santé mentale.
la prise en charge clinique et le bienê- En anglais : http://www.who.int/men-
tre social des vétérans de la guerre du tal_health/en) et en français : http://
Vietnam à travers la recherche, l’éd- www.who.int/topics/mental_health/
ucation et la formation sur le stress publications/fr/index.html.
post-traumatique et les troubles asso- Resilience-psy : http://www.resilience-psy.
ciés. Le site regorge de précieuses res- com
sources destinées aux chercheurs, aux Site d’Évelyne Josse, l’auteur du présent
aidants en santé mentale, au corps médi- ouvrage. Le site comprend des articles
cal ainsi qu’aux personnes affectées par du webmestre sur le stress, le trauma-
un événement traumatique et à leur tisme psychique, la torture, les enfants
famille. On y trouve des articles, des des rues, les catastrophes humanitaires,
manuels, des guides, des fiches tech- les violences sexuelles et sexospéci-
niques, des vidéos et de liens vers d’au- fiques, etc. En français.
tres sites. En anglais.
Trauma Psy : http://www.traumapsy.com
Organisation Mondiale de la Santé (OMS) :
Ce site offre de nombreuses informations
http://www.who.int
utiles tant aux personnes victimes
L’OMS est l’autorité directrice et coor- qu’aux professionnels, chercheurs,
donatrice dans le domaine de la médias et décideurs politiques. En
santé des travaux ayant un caractère français.
Index des auteurs
A F
Abraham Karl : 25-26, 28 Fenichel Otto : 15, 28, 163, 225
Ainsworth Mary : 108 Ferenczi Sandor : 22, 25-26, 28, 305
Anaut Marie : 109-110, 118, 309 Figley Charles : 13, 64, 82, 310, 315
Anthony James : 108 Folkman Susan : 93, 153
Arendt Hannah : 272, 309 Frankl Viktor : 111, 234, 315
Aron Raymond : 263, 309 Freud Anna : 232, 315
Audet Jean : 12, 38, 310 Freud Sigmund : 11-12, 15, 22-23, 25-26, 28-29,
Autokratoff : 24 42-43, 46, 113, 147, 239, 305, 307, 310-311, 315
B G
Baillargeon Normand : 273, 310 Garcia Patrick : 284, 316
Bettelheim Bruno : 28, 94, 112, 178 Garmezy Norman : 108
Binet Alfred : 147, 310 Glick Marion : 108
Boman Bruce : 218 Gopnik Adam : 297-298, 316
Bouzar Dounia : 299, 311 Grinker Roy : 26-27, 316
Bowlby John : 108, 311
Breuer Josef : 22-23, 46, 307, 311 H
Briquet Paul : 22, 25, 311 Hain Victor-Armand : 294
Hanson Frederic : 26
C Heide Kathleen : 58, 324
Calhoun Lawrence : 111, 173, 229, 324-325 Helzer : 88, 121, 316
Cannon Walter : 138, 143 Herman Judith : 58, 238, 248, 317
Cario Robert : 37-38, 312 Hérodote : 20, 319
Clervoy Patrick : 230, 284, 312 Hippocrate : 20, 317
Crocq Louis : 9, 11, 15, 21, 25, 38-39, 42-43, 81, Honigman Georg : 24, 317
89-90, 122, 138-140, 142, 145, 152, 160, 163,
208, 239, 305, 307, 311-313 J
Cyrulnik Boris : 13, 107, 109-112, 116, 118, 178, Janet Pierre : 11, 14-15, 22-23, 43, 146-148, 151,
181, 313, 320 161, 236, 239, 305, 307, 317-318, 325
Janoff-Bulman Ronnie : 95, 212, 318
D Jeanneney Jean-Noël : 284, 318
Da Costa Jacob Mendes : 222
de Tychey Claude : 110, 113, 314, 325 K
Kardiner Abram : 15, 28
E Katz Jean-François : 12, 38, 310
Eitinger Leo : 28 Kessler : 87-88, 121-122, 169, 208, 311, 319, 322
Errera Yaël : 111, 323 Koupernik Cyrille : 108
Krishaber Maurice : 222, 319
Index des auteurs ■ 325
P W
Pinel Philippe : 21, 322 Werner Emmy : 13, 109
R Z
Rieff David : 284-285, 323 Zigler Edward : 108
Roncin Joachim : 266
Index des sujets
A colère : 28, 35, 49, 53, 62, 88, 114, 139, 141, 143,
abus sexuel : 45, 51-53, 58, 184, 189, 243, 321 145, 147, 162, 169, 175, 180, 188, 190, 209,
accès maniaque : 143, 157-158 217-219, 225-226, 232, 241, 244, 250, 275,
accès mélancolique : 143, 159 278, 282, 284, 293, 295
action automatique : 14, 152 combat fatigue : 26
activation neurovégétative : 15, 121, 134, 141, combat réaction : 26
161, 169, 172, 208-209, 240, 258 combat stress : 26, 324
activisme : 113 Complex Post-traumatic Stress Disorder : 238,
alcool : 28, 61, 89, 92, 116, 167, 181, 183, 190, 193, 248
195, 215, 217, 219-220, 226, 244-245, 248 conduite de répétition : 202
alcoolisme : 110, 218, 220 confusion : 25, 35, 64, 143, 186
altruisme : 86, 113, 115-116 conversion : 20, 151, 154-155, 192, 197, 199,
amertume post-traumatique : 216 239, 251
amnésie : 149-150, 152-154, 156, 187, 190, 192- coping : 64, 84, 87-88, 91, 93-95, 99, 104, 108,
193, 195-196, 198, 201, 210-211, 241, 244-245 110, 112, 114-115, 311, 314-315, 317-318, 324
anorexie : 130 C-PTSD : 238, 248
anxiété généralisée : 89-90, 98, 209, 258 Crocq Louis : 145, 152, 163
apathie : 130, 174, 209, 226 croissance post-traumatique : 111, 113, 229, 233-234
apragmatisme : 174, 226 croyances de base : 87, 95-96, 104, 212, 217
asthénie : 174, 184, 222-223, 226 culpabilité : 28, 48, 54, 61, 74, 87-88, 92-93,
attribution causale : 97, 175 97-98, 100, 102, 104, 129, 143, 145, 175-181,
206, 209, 216-217, 227, 241, 244, 249-250,
B 299
bouc émissaire : 33, 103 culpabilité du survivant : 28, 178
bouffée délirante : 130, 157-158 culpabilité post-traumatique : 61
bradypsychie : 150 cure de sommeil : 27
break point : 26
D
C décorporalisation : 151
cardiomyopathie de stress : 222 défaut de personnification : 151
cauchemar : 14, 20, 47, 68, 146, 152-153, 161, déni : 84, 91, 112-113, 143
163, 165, 182, 202, 207-209, 235-236, 245, dépendances : 179, 183, 213, 217, 220
264, 274 dépersonnalisation : 14, 149, 151-152, 156, 180,
CIM-10 : 14-15, 157, 189, 197, 202, 237-239, 187, 192-193, 195-196, 201, 210, 228, 235,
242, 245-250, 254, 258, 306, 322 238, 241-242, 246, 250
clinophilie : 174, 226 dépression : 28, 88, 90, 100, 103, 108-109,
clivage : 113, 289 124, 159, 173, 175, 179, 182-183, 208-209,
cœur de soldat : 221 214-217, 223, 226, 245, 249, 254-255, 258,
cœur irritable : 222 314-315
Index des sujets ■ 327
G O
GABA : 183, 325 ordalie : 181
génocide : 13, 52, 66-67, 74-76, 86-87, 93, 103, oubli à mesure : 211
234, 293-294, 299, 309, 327 oubli de réserve : 237
guerre : 9, 11, 19, 24-29, 34-35, 52-55, 58, 60, P
66-67, 74, 76, 78, 81-83, 85, 87, 89, 91, 96,
paranoïa : 158
103, 105, 121-123, 153, 161, 170, 186, 205,
partie apparemment normale de la personnalité :
218, 222, 224, 231, 266, 269-271, 274, 278,
148, 228
328 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte
partie émotionnelle de la personnalité : 148, 161, syndrome de Stockholm : 160, 202, 233
228 syndrome du cœur brisé : 222
personality hardiness : 90 syndrome du survivant : 28
personnalité apparemment normale : 148 syndrome du vieux sergent : 27
personnalité émotionnelle : 148, 161, 238, 249
personnalité sinistrosique : 227 T
Post-Traumatic Stress Disorder : 7, 11, 29, 81, tachypsychie : 158
186, 240, 303, 317 Tako-Tsubo : 222
Post-Vietnam Syndrome : 15 torture : 29, 45, 52-54, 58, 67, 72, 74-75, 104,
processus de violence acquise : 219 121, 161, 177, 179, 196, 224, 249-250, 295,
pseudo-phobie : 155, 172, 209, 213 324, 328
psychose : 100, 124, 130, 154, 156-158, 192 toxicomanie : 110, 183, 218, 220
traumatisation indirecte : 64-65, 70
Q traumatisation quaternaire : 13, 66-67, 70
queue de stress : 14, 140, 142, 201 traumatisation vicariante : 64, 66, 70
traumatisme complexe : 58-59, 70, 249, 307, 318
R traumatisme de type I : 12, 58-59, 70, 224
Rambo : 15, 218-219, 311 traumatisme de type II : 12, 58-59
raptus suicidaire : 152 traumatisme direct : 59, 64
remote-miss : 83, 91 traumatisme empathique : 64
résignation acquise : 84 traumatisme indirect : 70
résilience : 13, 17, 69, 105, 107-118, 284, 309, traumatisme par ricochet : 64
311, 313-314, 320-321, 323, 325 traumatisme secondaire : 64-65
reviviscence : 15, 130-131, 134, 161, 163, 202, traumatisme simple : 70, 149
229, 245 traumatisme vicariant : 64
trouble anxieux : 124, 170, 223, 254
S
trouble dépressif : 196, 250
schizophrénie : 157-158, 196 trouble dissociatif : 149, 192-193, 195-197, 237,
shell shock : 148, 306 247
sinistrose : 227 trouble psychotique bref : 130, 155-157, 190,
souvenirs répétitifs : 163-164, 202, 209 201
stress : 9, 12, 14, 17, 26-27, 29, 44, 46, 64-66, 80,
82, 84, 88-90, 93, 99, 104, 106, 109-110, 120- V
125, 134-136, 138-142, 144, 149, 152, 154, vicariant : 13, 64, 66
161, 183, 185-189, 192, 195-197, 201-202, victima : 32-33
204, 208-209, 214, 220-223, 225, 238, 240, victime directe : 36, 40, 43, 55, 65, 70, 85, 187
242, 244-245, 248-250, 253-256, 258-259, victime expiatoire : 33-34
271, 276, 279, 289, 303, 305-307, 310-328 victime indirecte : 40, 70
stress adaptatif : 139, 152, 201 victime par ricochet : 40
stress aigu : 14, 149, 185-189, 192, 195-196 victime primaire : 39-40
stress dépassé : 14, 17, 44, 134, 136, 138, 142, victime témoin : 61
144, 201-202, 303, 307 victimisation secondaire : 17, 64-65, 69-70, 218
stress différé : 201 victimiser : 32
stress protecteur : 139 victimologie : 32, 38, 307, 310, 315, 322, 327
stress traumatique secondaire : 64-65 viol : 44, 53, 69, 76, 100, 103, 111, 122, 146, 163,
stresseur : 140 166, 168, 171, 173, 175, 177, 179-180, 216,
stupeur dissociative : 139, 149-150 228, 232, 239, 274
sublimation : 113 vision en tunnel : 138, 142
syndrome asthénique des déportés : 28 vulnérabilité croissante : 85, 311
Syndrome de Da Costa : 222
syndrome de Lazare : 230, 312 W
syndrome de Rambo : 15, 218-219 war neurose : 26
syndrome de répétition : 163, 209-210, 258 war stress : 26
L’auteur
Sommaire ......................................................................................... 3
Liste des abréviations......................................................................... 4
Remerciements.................................................................................. 5
Préface.............................................................................................. 7
Introduction ...................................................................................... 13