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ÉVELYNE JOSSE

Le traumatisme
psychique
chez l’adulte
PRÉFACE DE LOUIS CROCQ
POSTFACE D’ERIK DE SOIR
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une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de
quelque manière que ce soit.

Dépôt légal :
Bibliothèque nationale,
Paris : avril 2019
Bibliothèque royale de Belgique, ISSN 2030-4196
Bruxelles : 2019/13647/052 ISBN 978-2-8073-2039-0
Sommaire

Liste des abréviations .................................................................................. 4


Remerciements ............................................................................................ 5
Préface ......................................................................................................... 7
Introduction ................................................................................................. 13

CHAPIT R E 1 L’histoire du trauma ....................................................... 15


CHAPIT R E 2 La notion de victime ...................................................... 27
CHAPIT R E 3 L’événement potentiellement traumatisant ................. 37
CHAPIT R E 4 Les types de traumatisme .............................................. 53
CHAPIT R E 5 Les paramètres influençant le développement
des syndromes psychotraumatiques ............................ 67
CHAPIT R E 6 La résilience .................................................................... 101
CHAPIT R E 7 La prévalence des troubles traumatiques..................... 115
CHAPIT R E 8 La dimension culturelle .................................................. 123
CHAPIT R E 9 Les réactions face à un événement traumatisant........ 129
CHAPIT R E 10 La phase aiguë ............................................................... 133
CHAPIT R E 11 La phase à long terme ................................................... 199
CHAPIT R E 12 Les réactions d’une société face à un drame collectif.
Le cas des attentats terroristes ...................................... 257
CHAPIT R E 13 Du côté des auteurs.
Le cas des terroristes kamikazes ................................... 287

Conclusion ................................................................................................... 299


Postface ....................................................................................................... 301
Bibliographie générale ................................................................................ 304
Index des auteurs ........................................................................................ 324
Index des sujets ........................................................................................... 326
L’auteur ........................................................................................................ 329
Table des matières ...................................................................................... 330
Liste des abréviations

APA American Psychiatric Association


ASD Acute Stress Disorder
CIM Classification Internationale des Maladies et des problèmes de santé connexes
DSM Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
ESA État de Stress Aigu
ESTP État de Stress Post-Traumatique
ICD International Statistical Classification of Diseases and Related Health
Problems
OMS Organisation Mondiale de la Santé
PTSD Post-Traumatic Stress Disorder
Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement mon père pour son soutien
tout au long de cette aventure et pour la traque sans merci qu’il a livrée aux fautes
d’orthographe et de style. Ma gratitude à son égard dépasse bien largement le cadre de
la rédaction de cet ouvrage.
Mes plus vifs remerciements, pour sa préface et sa relecture, à Monsieur Louis Crocq,
psychiatre et docteur en psychologie, ancien médecin général des Armées, professeur
associé honoraire à l’Université René Descartes à Paris V, ancien président de la
Section de psychiatrie militaire et de catastrophes de l’Association mondiale de psy-
chiatrie, fondateur et président honoraire de l’Association de langue française pour
l’étude du stress et du trauma (ALFEST) et créateur du Réseau national des cellules
d’urgence médico-psychologiques. Le professeur Louis Crocq, dont les travaux sur la
névrose traumatique et la névrose de guerre font autorité internationalement, restera
toujours pour moi un mentor.
Ma sincère gratitude, pour sa postface et sa relecture, au major Erik de Soir, psy-
chologue et psychothérapeute rattaché à l’Institut royal supérieur pour la Défense
(Bruxelles, Belgique), fondateur et président honoraire de l’Association européenne des
psychologues sapeurs-pompiers.
Ma profonde reconnaissance, pour leur relecture, leurs remarques et leurs réflexions
pertinentes à Étienne Vermeiren, psychologue, criminologue, psychothérapeute et
expert en psychologie, responsable du Centre de référence pour le traumatisme
psychique aux Cliniques universitaires Saint-Luc, vice-président de l’Association de
langue française pour l’étude du stress et du trauma (ALFEST) ; à Jacques Roques, psy-
chanalyste, psychothérapeute, membre fondateur et vice-président de EMDR-France
et président du Centre de traitement des traumatismes psychiques de Montpellier ; et
à Bénédicte de Villers, docteur en philosophie de l’Université catholique de Louvain,
assistante et doctorante en anthropologie à l’Université de Liège et chargée de
recherche à l’Hôpital neuropsychiatrique Saint-Martin à Dave.
Pour terminer, je voudrais remercier toutes les victimes rencontrées en consultation
et lors de mes périples au service des organisations humanitaires qui m’ont inspiré ce
livre, ainsi qu’à mes collègues et amis qui, d’une manière ou d’une autre, m’ont encou-
ragé à l’écrire.
Préface

Voici encore un excellent ouvrage de notre amie Ève Josse, sur un sujet qu’elle
maîtrise parfaitement et qu’elle enrichit sans cesse de son expérience de terrain, Le
traumatisme psychique chez l’adulte. Il fait suite au petit manuel pédagogique Le
traumatisme psychique chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent, paru en 2011 chez
le même éditeur. On y retrouve le même souci didactique, avec la clarté du plan, la
concision du style, la simplicité du langage, les vignettes cliniques et les petits encarts
qui terminent chaque chapitre : « Résumé » et « Vérifiez vos connaissances ». Suivons
son parcours en faisant ressortir ses claires mises au point et sa vision originale, et
formulons les réflexions que cette lecture suscite.
On ne saurait reprocher à l’auteur d’avoir délibérément limité le volume de son pre-
mier chapitre sur l’histoire du trauma. Nous savons qu’elle a accumulé une abondante
documentation sur ce sujet et qu’elle projette d’écrire un ouvrage uniquement consacré
à cet historique. Mais, dans le présent ouvrage pédagogique, il fallait se limiter à déga-
ger les grandes étapes et la succession des concepts, des théories et des thérapeutiques
qui ont jalonné cette histoire. Nous survolons donc avec elle la préhistoire du trauma,
depuis l’Antiquité jusqu’aux guerres napoléoniennes ; puis l’histoire proprement dite,
à l’époque des premiers accidents de chemin de fer ayant suscité l’intérêt de Charcot
et inspiré à Oppenheim le vocable de « névrose traumatique » ; puis les réflexions
de Janet et de Freud sur le corps étranger trauma et la dissociation de la conscience ;
avant de suivre les travaux des psychiatres aux armées lors de la guerre russo-
japonaise de 1904-1905 et des deux guerres mondiales de 1914-1918 et 1939-1945 ;
ensuite, ce sera la guerre du Vietnam et l’avènement en 1980 du concept américain
de PTSD (acronyme pour Post-Traumatic Stress Disorder). En peu de mots, Ève Josse
nous brosse l’essentiel et nous profile les acquis cliniques, théoriques et thérapeutiques
de cette histoire. Signalons à ce sujet que beaucoup de cliniciens francophones (Barrois,
Crocq, Lebigot) se démarquent du concept de PTSD en défendant une conception
phénoménologique du trauma comme confrontation inopinée avec le réel de la mort,
irruption du non-sens et bouleversement de la personne. Notons enfin que l’auteur
termine son historique en prônant la technique EMDR de Francine Shapiro (1987).
Il s’agit là d’un choix, motivé par les bons résultats obtenus, effectué dans la gamme
variée des thérapies du trauma : techniques cognitivo-comportementales, relaxation,
hypnose, psychothérapie de soutien et psychanalyse ; thérapies couramment utilisées
de nos jours par les cliniciens de diverses écoles.
8 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte

Le deuxième chapitre, portant sur la notion de victime, était nécessaire, car la


grande majorité des personnes traumatisées sont des victimes, selon les critères
restreints définis par l’ONU (c’est-à-dire résultant d’une infraction aux lois), ou
selon des critères élargis (Audet et Katz), désignées comme ayant subi un préjudice
reconnu par la société (victimes de catastrophes naturelles, par exemple). Quoi qu’il
en soit, le thérapeute venant en aide à une personne traumatisée devra prendre en
considération ce que nous dénommons « le plus petit dénominateur commun de la
victime », c’est-à-dire l’ensemble « victime + co-victimes + familles et amis + collè-
gues + enquêteurs et experts + contexte social », tant il est vrai que la réalité de la
victime ne saurait être limitée au contenu de son sac de peau et du psychisme qui
l’habite, mais doit être étendue à toutes les réactions et incitations qui l’entourent
et l’influencent : familles excessivement compatissantes ou au contraire rejetantes,
policiers et experts parfois ouvertement sceptiques, pouvoirs publics et société ris-
quant d’infliger à la victime le deuxième trauma de leur indifférence, de leur oubli
ou de leur rejet.
Un autre préalable, indispensable, d’Ève Josse a été de définir, décrire et classer les
événements traumatogènes, ou plus exactement « potentiellement traumatogènes »,
tant il est vrai qu’un même événement peut être vécu comme trauma par un individu
et non comme trauma par un autre individu à côté de lui, qui y réagira par une prise
de conscience lucide et un stress mobilisateur et adapté ; et le même événement qui
fait trauma pour moi aujourd’hui ne l’eût pas fait hier, dans d’autres circonstances de
disponibilité d’énergie et de soutien social. L’auteur signale à juste titre l’éventualité,
que Freud avait désignée comme phénomène d’« après-coup », qu’un événement
agressant et violent ne donne pas lieu initialement au développement de symptômes
psychotraumatiques, mais ne manifeste sa nocivité que plus tard, des années plus
tard, à l’occasion d’un deuxième événement peu agressant, qui n’aurait que le rôle
de rappel et de révélateur. Ce mystère de l’après-coup est assez fréquemment ren-
contré, et l’auteur nous l’illustre par trois vignettes cliniques. Précisons à ce sujet
notre propre position : le phénomène d’après-coup ne saurait être considéré comme la
manifestation tardive après un long sommeil des effets pathogènes intacts du premier
événement, sur le modèle du conte de la Belle-au-Bois-Dormant ; mais la causalité
appartient en dernière analyse au deuxième événement dont le déterminisme est de
remettre en perspective tous les événements passés qui lui ressemblent peu ou prou,
de leur accorder une nouvelle existence et d’aligner leurs « vérités sursitaires » sur
son sens d’aujourd’hui. Le clinicien devra donc se méfier de l’« illusion rétrospective »
qui fait accroire au patient que sa douleur présente n’est que le réveil de celle d’hier,
et que le vrai d’aujourd’hui a toujours été vrai. On ne retrouvera jamais le passé, qui
est « porté disparu ».
Le chapitre consacré aux types de traumatisme a le mérite d’informer le lecteur sur les
développements récents d’auteurs américains proposant des extensions du concept de
traumatisme. On peut adhérer ou non à leurs propositions. À la distinction désormais
classique de Lenore Terr entre traumatisme de type I (provoqué par un événement
unique) et traumatisme de type II (cumul d’événements successifs pendant une longue
période de temps), certains ont ajouté le traumatisme de type III (agressions multiples
perpétrées à un âge précoce et pendant une longue période), toutes ces distinctions
Préface ■ 9

correspondant à la réalité clinique. Mais, là où la contwtivée, c’est au sujet des concepts


nouveaux de « trauma secondaire » (frappant un familier qui n’était pas présent lors
de l’événement), et de « trauma tertiaire » ou « vicariant » (perturbant des personnes,
familles ou professionnels, devant écouter les plaintes des traumatisés à longueur de
journée). Pour nous, qui défendons la conception restreinte du phénomène trauma
comme confrontation directe avec le réel de la mort, ces propositions sont inaccep-
tables : nul ne peut être traumatisé s’il n’a pas été confronté directement, comme
victime, acteur ou témoin, à l’événement. Par contre, la notion proposée par Figley
de « compassion fatigue » nous paraît appropriée à rendre compte de la perturbation
éprouvée par les professionnels qui s’investissent trop (compassion, commisération et
non plus simple empathie) dans l’écoute prolongée et répétée des personnes traumati-
sées. De même, la notion de « traumatisation quaternaire », étendue à l’ensemble de la
population ayant connaissance de l’événement et de ses effets, nous paraît abusive. On
pourrait émettre les mêmes observations au sujet de la notion de transmission trans-
générationnelle du traumatisme, qui a cependant acquis droit de cité dans les milieux
scientifiques, concernant en particulier la Shoah et le génocide arménien. Toutes ces
personnes, qui n’ont pas assisté directement à l’événement en cause, ne sont pas « trau-
matisées » au sens strict du terme, même si, confrontées par ouï-dire à l’événement et
aux souffrances des victimes directes, elles vivent ou ont vécu quelque chose de l’ordre
du trauma.
Après avoir passé en revue les variables en jeu dans la traumatisation (variables atte-
nantes à l’événement et variables relevant de la personne et de son histoire), Ève Josse
offre au lecteur une présentation documentée et argumentée de la notion de résilience,
ou capacité de rebondir après un traumatisme psychique. Cette notion, apparue tar-
divement dans l’histoire des observations et réflexions sur le trauma (Emmy Werner
et Ruth Smith, 1989 ; Vanistendael et Manciaux, 2001 ; Cyrulnik, 2001), connaît
actuellement un engouement mérité, et elle apporte un message d’espoir à tous les
traumatisés : sortir de leur marasme, tout seuls, ou soutenus par leur entourage, ou
guidés par un thérapeute. Cela étant, il y a lieu de distinguer la résilience, qui est la
capacité pour une personne traumatisée à se dégager ensuite des effets de son trauma,
de la résistance, qui est la capacité pour un individu plongé dans une situation « poten-
tiellement traumatisante » à mettre en œuvre ses défenses avec succès et donc à ne pas
vivre cette situation comme un trauma. Or beaucoup de publications anglo-saxonnes
n’établissent pas cette distinction et parlent de résilience là où il y a seulement résis-
tance. Enfin, quant au mécanisme intime de la résilience, par-delà l’effet des ressources
internes de l’individu et des ressources externes (soutien social), il consiste à notre
avis à reconnaître ou attribuer du sens au non-sens du trauma, dans un travail d’éla-
boration personnelle, car seul le traumatisé est dépositaire, parfois à son insu, du sens
secret de son aventure.
Après nous avoir donné des informations documentées sur la prévalence des syn-
dromes psychotraumatiques dans le monde et des indications sur leurs variantes
interculturelles, Ève Josse consacre la seconde moitié de son ouvrage à l’étude des
tableaux cliniques à proprement parler. Elle divise son étude en deux parties : phase
aiguë et phase à long terme. La phase aiguë comprend les réactions immédiates (les
deux ou trois premiers jours) et les réactions post-immédiates (au-delà de trois jours
10 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte

et jusqu’à un mois). La phase à long terme n’apparaît qu’à l’issue du premier mois et
est de durée variable, pouvant perdurer toute la vie du patient. Nous nous devons
d’apporter quelques précisions à cescritères de temps, pour lesquels les avis autori-
sés divergent. Alors que le DSM-IV (1994) reste silencieux sur la phase immédiate,
la CIM-10, ou Classification Internationale des Maladies Mentales (1992), reconnaît
une « réaction aiguë à un facteur de stress » (F43.0), contenue dans des critères de
temps de « quelques heures tout au plus », mais pouvant toutefois s’étendre à 24 ou
48 heures, voire trois jours, « dans les cas où le facteur de stress persiste ». Face à
une telle divergence d’avis, et d’après notre propre expérience, nous assignons une
durée de 24 heures maximum à la réaction immédiate. Passé ce délai, on entre dans
la période post-immédiate, qui correspond au diagnostic d’« état de stress aigu » du
DSM, avec comme critères de durer « un minimum de deux jours » et un « maximum
de quatre semaines » suivant l’événement, voire plus si les troubles sont apparus plus
tard, « dans les quatre semaines qui suivent l’événement ». Il s’ensuit que la phase à
long terme, ou « différée-chronique », ne s’installe qu’au bout d’un mois, voire deux
(au terme du classique temps de latence ou de « méditation »), même si une partie
de ses symptômes a commencé à éclore pendant la phase post-immédiate (ou état de
stress aigu).
Ève Josse décrit très bien la réaction immédiate de stress, adaptative et non patho-
logique, même si elle est suivie parfois d’une « queue de stress » ou de décharges
émotionnelles différées, chez des personnes qui ont dû réprimer en urgence toutes
leurs manifestations spectaculaires et qui « se mettent à jour » une fois à l’abri ; et les
réactions immédiates de stress dépassé (ou traumatique) dans leurs formes sidérées,
agitées ou d’action automatique, quand elles ne revêtent pas une allure névrotique ou
psychotique. Elle dégage ce qui caractérise le vécu traumatique de ce stress dépassé,
vécu, que certains auteurs américains, tel Marmar, ont dénommé « dissociation et
détresse péri-traumatiques » : sentiment d’impuissance, d’absence de secours, arrêt
de la pensée, distorsion des perceptions, suspension de la mémoire, désorientation,
déréalisation, orage neurovégétatif et même dépersonnalisation… Personnellement,
nous préférerions l’adjectif « per-traumatique » à « péri-traumatique », puisqu’à l’ins-
tant même de ce vécu immédiat, la victime est en plein « dans » le trauma, et non pas
« autour ». Tous les cliniciens s’accordent à reconnaître que ce vécu per-traumatique
est prédictif de l’installation ultérieure d’un PTSD (ou plus généralement d’un syn-
drome psychotraumatique). Cela étant, Ève Josse nous rappelle les études classiques
sur la dissociation dans la pathologie traumatique, principalement les observations
d’hystérie traumatique faites par Pierre Janet, dans lesquelles des souvenances
brutes de l’événement font bande à part dans un recoin du subconscient, provoquant
sursauts, cauchemars et actions automatiques, tandis que le reste de la conscience
continue de fonctionner de manière délibérée et circonstanciée. On va donc retrouver
la dissociation d’une part dans l’instant traumatique, et d’autre part dans les tableaux
cliniques à long terme.
Et cela nous conduit à l’étude de la phase à long terme, Ève Josse ne limite pas aux cri-
tères restrictifs du PTSD américain, mais à laquelle elle assigne un inventaire sémio-
logique élargi. Le DSM établit ses diagnostics sur un modèle kraepelinien, qui répond
bien aux variantes de la réalité clinique, par combinaisons possibles de symptômes
Préface ■ 11

relevant de diverses catégories. Ainsi, le diagnostic de PTSD selon le DSM-IV (1994)


requiert une combinaison comprenant au minimum : 1 parmi 5 symptômes de revi-
viscence, 3 parmi 7 symptômes d’évitement-émoussement, et 2 parmi 5 symptômes
d’activation neurovégétative (soit une liste totale de 17 symptômes possibles). La
révision plus récente (DSM-5, 2013) requiert : 1 parmi 5 symptômes de reviviscence,
1 parmi 2 symptômes d’évitement, 2 parmi 7 symptômes d’altération des cognitions
ou de l’humeur, et 2 parmi 6 symptômes d’hyperéveil et d’hyperréactivité (soit une
liste totale de 20 symptômes possibles). L’inventaire élargi d’Évelyne Josse inclut non
seulement ces manifestations intrusives de reviviscence, ces évitements, ces altéra-
tions cognitives et de l’humeur et ces symptômes d’hyperréactivité, mais aussi des
symptômes « non spécifiques » (on peut les observer aussi dans d’autres pathologies)
tels que troubles anxieux et dépressifs, troubles somatoformes et troubles du com-
portement (agressivité, syndrome de Rambo et conduites addictives); le tout pouvant
être dans les cas sévères sous-tendu par une véritable altération ou réorganisation
de la personnalité, ou ce qu’est devenue la personnalité après l’impact du trauma :
toujours en alerte, pusillanime, sans initiative, incapable d’établir des relations
transparentes et équilibrées avec les autres (« comme si elle était enclose dans une
membrane invisible qui les en sépare à jamais », dira Chaïm Shatan au sujet des Post-
Vietnam Syndromes) et encline aux ruminations amères et au repli sur soi. Le DSM
ne reconnaît pas explicitement cette altération traumatique de la personnalité, encore
qu’il en prenne en compte deux composantes dans ses critères C, à savoir l’évitement
(avoidance) et l’émoussement (numbing). La CIM-10 l’avalise dans un diagnostic à
part, réservé aux cas extrêmes, qui est la « Modification durable de la personnalité
après une expérience de catastrophes » (F62.0). Et le DESNOS américain (Disorder
of Extreme Stress not Otherwise Specified) fait état d’altérations de la personnalité
de type borderline. Nous approuvons Ève Josse de se démarquer ainsi de l’orthodo-
xie américaine pour reconnaître que le trauma altère profondément la personnalité
du traumatisé, dans ses rapports au monde, aux autres et à soi-même, et aussi au
temps, qui est désormais suspendu à l’instant traumatique, ne débouche plus sur un
futur fluide et n’est plus capable de réaligner son passé, à chaque instant, dans une
nouvelle rétrospective. C’est la leçon que nous ont léguée les anciens cliniciens de la
névrose traumatique : Oppenheim, Janet, Freud, Simmel (« le changement d’âme »),
Kardiner (« une nouvelle personnalité établie sur les ruines de l’ancienne »), Fenichel
(« le triple blocage des fonctions du moi », fonction de filtration, fonction de présence
et fonction de relation à autrui), et plus récemment Chaïm Shatan (« transfiguration
de la personnalité »).
Félicitons Ève Josse pour avoir conçu ce manuel, l’avoir appuyé sur une documen-
tation enrichie des plus récentes mises à jour, l’avoir rédigé dans un langage clair et
un esprit pédagogique, l’avoir illustré de nombreux cas cliniques issus de sa solide
pratique personnelle et, surtout, s’être tant soit peu démarquée du dogme américain
du PTSD en formulant judicieusement ses propres réflexions et ses prises de position
originales. Voilà donc un ouvrage utile pour tous ceux qui ont pour mission et voca-
tion d’écouter, de comprendre, d’aider et de soigner les personnes traumatisées par la
violence du monde.

Louis Crocq
Introduction

« L’histoire, c’est celle de millions de prédateurs sans pitié. Nous.


Et de leurs millions de victimes sans défense. Nous aussi. »
(Exposition « Le futur a-t-il un avenir ? »,
Parc d’aventures scientifiques, Frameries, Belgique)

Les victimes existent depuis la nuit des temps. Depuis le début du xixe siècle, les
répercussions de la criminalité, des guerres, des accidents et des catastrophes natu-
relles sur leur équilibre psychique suscitent une attention croissante du monde scien-
tifique. Dans cet ouvrage, nous tenterons de récapituler l’essentiel des connaissances
actuelles.
Dans le premier chapitre, nous retracerons l’évolution de l’intérêt pour le trauma.
Dans le deuxième, nous relaterons succinctement le développement de la notion de
victime tout au long des siècles et nous présenterons quelques définitions contempo-
raines. Dans le troisième, nous préciserons le concept de traumatisme et nous nous
attarderons sur les caractéristiques des événements susceptibles de se révéler trauma-
tisants en illustrant notre propos d’exemples. Dans le quatrième chapitre, nous défini-
rons les traumatismes de type I, II et III, les traumatismes simples et complexes ainsi
que les traumatismes directs et indirects et nous aborderons la notion de victimisation
secondaire. Dans le cinquième, nous analyserons les différents paramètres influençant
l’apparition, la fréquence et l’intensité des symptômes ainsi que leur maintien dans le
temps. Dans le sixième, nous tenterons de comprendre la notion de résilience. Dans le
septième, nous rendrons compte de quelques études épidémiologiques révélant la pré-
valence du traumatisme dans la population générale et dans les groupes de personnes
exposées à des événements délétères. Dans le huitième, nous attirerons l’attention du
lecteur sur la dimension culturelle du traumatisme psychique. Le neuvième chapitre
résume les réactions physiques, émotionnelles, cognitives et comportementales que
peuvent présenter les personnes impliquées dans un événement potentiellement
traumatisant à court, moyen et long terme. Le suivant décrit de manière détaillée les
réponses immédiates et post-immédiates. Nous verrons qu’au moment des faits et dans
les heures suivantes, certaines victimes réagissent par un stress adapté, d’autres pré-
sentent des réactions de stress dépassé et les sujets prédisposés peuvent déclencher des
troubles psychopathologiques. Après quelques jours, certaines personnes voient leurs
troubles persister et d’autres commencent à souffrir de symptômes pathognomoniques
14 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte

d’un traumatisme et/ou de pathologies associées. Nous clôturerons le chapitre par


les réactions immédiates et post-immédiates telles que les énoncent les nosographies
internationales. Le onzième inventorie les troubles psychotraumatiques chroniques
et les troubles additionnels ainsi que les altérations du fonctionnement psychique qui
caractérisent la névrose traumatique. Pour terminer, nous rapporterons les catégories
nosographiques des affections traumatiques proposées dans les classifications inter-
nationales. Dans le onzième chapitre, nous nous interrogerons sur les réactions d’une
société face à un drame collectif en partant du cas des attentats terroristes. Dans le
douzième et dernier chapitre, nous nous pencherons sur les auteurs à l’origine d’évé-
nements traumatiques et nous nous questionnerions les conditions sous lesquelles
des personnes normales deviennent capables de commettre des actes d’une violence
extrême tels qu’un attentat terroriste.
Cet ouvrage s’adresse à un large public. Il se veut être en priorité un manuel utile aux
étudiants psychologues et psychiatres. Il établit les bases théoriques dont la connais-
sance préalable est indispensable à la qualité de leurs soins futurs. Il est également
destiné aux psychologues, psychiatres et assistants sociaux de tous horizons, travail-
lant en cabinet ou en institution, œuvrant au sein d’équipes humanitaires, de services
d’urgence et de secours, d’associations de victimes ou de départements des Ressources
Humaines de grandes entreprises (la Poste, les Chemins de fer, les banques, etc.) char-
gés de la prise en charge psychosociale et/ou spécialisée des victimes. Il devrait égale-
ment intéresser tous les professionnels de la santé mentale ainsi que les omnipraticiens
et les médecins du travail fréquemment en contact avec des personnes traumatisées et
soucieux d’approfondir leurs connaissances du traumatisme psychique.
CHAPITRE 1

1L’histoire du trauma
« Les survivants de cette saloperie de guerre seront dans mon esprit,
pareils à ces fantômes que les tombes conjurent et que les maisons renient,
et resteront suspendus entre ciel et terre, trop coupables pour se rapprocher
de Dieu et trop compromettants pour se joindre aux hommes. »
Yasmina Khadra, Morituri, 1997

SOMMAIRE

1. De l’Antiquité au XVIIe siècle : premiers récits historiques


et scientifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2. Du XVIIIe au milieu du XIXe siècle : premières observations
scientifiques et premières hypothèses étiologiques . . . . . . . . . . . . . 17
3. Fin du XIXe siècle : vers une étiologie psychogénique . . . . . . . . . . . . 18
4. Le XXe siècle : l’évolution de la notion de traumatisme . . . . . . . . . . . 20
16 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma

Dès l’origine de l’humanité, les victimes de criminalité,


de guerres, d’accidents et de catastrophes naturelles ont été
touchées par la souffrance traumatique. Toutefois, à quelques
exceptions près, le traumatisme psychique n’est guère
mentionné avant le xixe siècle dans les livres d’histoire et
les ouvrages scientifiques. À partir des années 1800, il éveille
l’intérêt d’un cercle restreint de chercheurs et de praticiens
spécialisés, médecins, neurologues et psychiatres, confrontés
aux conflits armés, aux accidents ferroviaires et aux
psychopathologies, mais il restera largement méconnu,
tant du grand public que des professionnels de la santé
mentale, jusqu’à la fin du xxe siècle1.

1. De l’Antiquité au XVIIe siècle : premiers


récits historiques et scientifiques
Quelques cas anecdotiques de traumatisme émaillent les récits historiques et scien-
tifiques de l’Antiquité au début des Temps Modernes. Les premiers témoignages rela-
tifs aux réactions psychotraumatiques datent de deux mille ans avant Jésus-Christ et
révèlent la souffrance des Sumériens de Basse-Mésopotamie à la suite de la destruction
de Nippur (Attinger P., 2012)), leur principal centre religieux, et d’Agadé.
En 450 avant notre ère, dans le tome VI de son livre Histoire, l’historien grec Hérodote
rapporte le cas du guerrier athénien Epizelos qui, saisi d’effroi, fut frappé d’une cécité
de conversion2 à Marathon dans la bataille opposant Grecs et Mèdes (Larcher, 1850).
Quatre cents ans avant notre ère, dans son ouvrage Le Traité des songes, le médecin grec
Hippocrate consacre un chapitre aux cauchemars traumatiques, en explique les causes
et préconise des traitements spécifiques (Hippocrate, 1838).

1. Nous informons le lecteur que l’histoire du traumatisme fera l’objet d’un prochain ouvrage à
paraître aux éditions De Boeck.
2. Trouble sans cause organique suggérant une affection neurologique ou une affection médicale et
déterminée par des facteurs psychologiques.
Du XVIIIe au milieu du XIXe siècle : premières observations scientifiques… ■ 17

Un millénaire plus tard, vers 1100 de l’ère chrétienne, on découvre dans La Chanson de
Roland les rêves traumatiques de Charlemagne (Gautier, 1895). Quelques siècles plus
tard, en 1572, au lendemain du massacre de la Saint-Barthélemy perpétré en son nom,
le roi Charles IX se plaint de flash-back à son médecin Ambroise Paré (Sully, 1822).

2. Du XVIIIe
au milieu du XIXe siècle :
premières observations scientifiques
et premières hypothèses étiologiques
Les xviie, xviiie et xixe siècles furent le théâtre de nombreux conflits armés qui
offrirent un vaste champ d’observation aux spécialistes des armées. Les médecins
militaires de l’Ancien Régime3 nomment « nostalgie » et « vent du boulet » les troubles
traumatiques présentés par les soldats en campagne effrayés par la fureur des combats
ou désespérés par la mort d’un camarade tombé sous le feu ennemi (Crocq, 2012).
La Révolution française (1789-1799) et les guerres de l’Empire (1799-1815) four-
nissent de nombreux cas cliniques à Philippe Pinel. C’est à cet aliéniste français que
l’on doit, dans son traité pour l’humanisation du traitement des aliénés paru en 1809,
la première description d’une névrose traumatique (Pinel, 1809).
La seconde moitié du xixe siècle voit s’accroître l’intérêt du monde médical pour les
souffrances morales des victimes. Ce sont les accidents de chemin de fer et de travail,
d’une part et les études sur l’hystérie d’autre part qui ouvriront véritablement la voie
aux premières hypothèses étiologiques des troubles traumatiques.
Les accidents ferroviaires font en une fois un grand nombre de victimes et causent aux
rescapés une frayeur immense. Toutefois, s’ils suscitent l’attention plus que d’autres
(accidents de calèche, incendies, séismes, etc.), c’est moins à cause de leur caractère
spectaculaire et dramatique qu’en raison du contexte dans lequel ils surviennent. En
effet, en 1846, en Angleterre, une nouvelle législation, The Fatal Accidents Act 1846,
appelée communément le Lord Camplell’s Act4, permet aux passagers blessés dans un
accident ainsi qu’aux familles des victimes décédées de réclamer réparation auprès
des responsables. Dans les suites de la loi, en 1849, la première compagnie d’assurance
générale5, la Railway Passengers Assurances Company, voit le jour, rapidement suivie

3. On entend par Ancien Régime les trois siècles allant de la Renaissance à la Révolution française
(1789).
4. Webb P.R.H. (1961), “The conflict of laws and the English fatal accidents”, The Modern Law Review
Volume 24, Issue 4, p. 467-474, July 1961.
5. L’histoire de l’assurance remonte à la nuit des temps. Une des plus anciennes législations, connue
sous le nom de « Code d’Hammurabi », réalisée vers 1730 avant Jésus-Christ à l’initiative d’Ham-
murabi, roi de Babylone, fait état des premières méthodes de transfert de risque. Le code stipule
qu’un marchand verse une prime au préteur lorsqu’il souscrit un prêt pour effectuer un transport
de marchandises. Le prêt ne doit pas être remboursé si la cargaison est volée ou si le navire a coulé.
L’assurance telle que nous la concevons aujourd’hui a vu le jour suite au grand incendie de Londres
18 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma

par d’autres. En 1864, un amendement étend le champ législatif à toute victime d’acci-
dent incitant des individus malhonnêtes à commettre des escroqueries à l’assurance
(Pignol, 2012). De nombreux litiges juridiques opposent dès lors les experts des com-
pagnies ferroviaires aux accidentés. Invités à apporter leur caution dans les expertises
légales, les médecins sont contraints d’affiner leur savoir sur la nature des dommages
dont se plaignent les accidentés. La question de l’authenticité des traumatismes fer-
roviaires et de leur étiologie fait l’objet de débats animés. Pour certains, les troubles
résultent de lésions ou de perturbations du système nerveux consécutives au choc de
l’accident ; pour d’autres, ils sont générés par l’espoir des accidentés d’obtenir une com-
pensation financière soutirée aux compagnies ferroviaires. Jean-Martin Charcot, méde-
cin à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, prend part occasionnellement à la controverse.
Selon lui, si des traumatismes sans conséquence sur la majorité des sujets provoquent
des effets spectaculaires sur certains individus, c’est en raison de leur « diathèse »,
c’est-à-dire leur prédisposition constitutionnelle ou héréditaire (Charcot, 1889).
Alors qu’en Angleterre et en France, les compagnies ferroviaires sont aux prises avec
les voyageurs accidentés réclamant des dédommagements financiers, en Allemagne, à
la même époque, les dirigeants d’usines et les assurances sont confrontés à la question
de l’indemnisation des accidents de travail. C’est dans ce contexte que l’Allemand
Hermann Oppenheim, neurologue à l’hôpital de la Charité de Berlin, se voue à partir de
1884 à l’étude des névroses. Cette année-là, il publie un premier article en collaboration
avec son confère berlinois Robert Thomsen6. Les auteurs regroupent dans une entité
nosographique spécifique, qu’ils nomment « névrose traumatique », les symptômes
disparates ayant pour point commun leur étio-pathogénie traumatique. La névrose
traumatique connaît rapidement de nombreux détracteurs. Oppenheim et Thomsen
se voient reprocher d’avoir négligé le risque de simulation alors que le contexte est
propice aux escroqueries, et ce, particulièrement depuis que le bureau de l’assurance
impériale a reconnu en 1889 le dédommagement de la névrose traumatique.
Paul Briquet, médecin à l’Hôpital de la Charité à Paris, est le premier à avoir décrit
l’hystérie de manière systématique dans son Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie
(Briquet, 1859). Il tient les « frayeurs », les mauvais traitements, les viols et les deuils
comme facteurs prédisposants, voire comme causes déterminantes de la pathologie.

3. Fin du XIXe siècle : vers une étiologie


psychogénique
Fin du xixe-début du xxe siècle, Pierre Janet, Josef Breuer, Sigmund Freud et
Sándor Ferenczi, notamment, enrichissent les connaissances par leurs réflexions sur
les processus psychiques entrant en jeu dans les réactions traumatiques et initient les

de 1666. L’économiste Nicholas Barbon fonde la première compagnie d’assurance spécialisée dans les
assurances incendie, ancêtre de l’assurance habitation.
6. Arch. de Westphal. Bd XV Heft 2 et 3, cité par Guinon (1889).
Fin du XIXe siècle : vers une étiologie psychogénique ■ 19

premiers traitements psychothérapeutiques, en particulier des séquelles de trauma-


tismes anciens.
En 1883, Pierre Janet prend en charge l’unité de psychiatrie de l’hôpital du Havre et se
penche sur la question de l’hystérie. Selon lui, cette pathologie, qu’il reconnaît pouvoir
survenir sur une constitution prédisposée est, dans un grand nombre de cas, consécu-
tive à un événement traumatisant. Il constate toutefois que les souvenirs émotionnants
à l’origine des troubles sont fréquemment inconnus du malade lui-même, mais qu’ils
peuvent émerger à la faveur d’un état de conscience modifié (hypnose). Janet, dont
le souci thérapeutique est constant, est le premier à avoir développé les bases, tou-
jours actuelles, de la thérapie psychodynamique des sujets traumatisés : faire accéder
l’événement émotionnant à la conscience par l’hypnose, soutenir son élaboration par
la parole, susciter la purgation des émotions qui y restent attachées (abréaction) et
promouvoir son intégration à la conscience.
En 1880, Josef Breuer prend en charge Anna O., une patiente hystérique. Avec elle,
il ébauche progressivement une psychothérapie dynamique sans recours à la sugges-
tion qui préfigure la cure psychanalytique. Breuer nomme « méthode cathartique »
ce traitement basé sur l’abréaction (ou catharsis) des affects liés à l’événement et
qui n’ayant pu se manifester sont restés « coincés » sous la conscience de la malade
(Breuer, Freud, 1895).
En 1886, Sigmund Freud ouvre son premier cabinet privé à Vienne et, en 1889, il
reçoit en consultation Emmy von N., une patiente souffrant de troubles hystériques
multiples. Il recourt à la méthode cathartique de Breuer et s’applique à réduire chaque
symptôme en laissant la patiente retrouver en hypnose les circonstances trauma-
tiques qui les ont fait naître. En enjoignant Freud à se taire et de l’écouter, Emmy von
N. jouera un rôle important dans le dispositif thérapeutique. En effet, Freud renonce
peu à peu à l’hypnose7 et inaugure la méthode des associations libres qui deviendra une
des règles fondamentales de la psychanalyse.
En 1893, Freud convainc Joseph Breuer de publier les conclusions théoriques aux-
quelles la méthode cathartique les a menés et les deux hommes signent conjointement
un premier article8. Dans cette publication, les auteurs développent une étiologie trau-
matique de l’hystérie proche de celle exposée par Janet quatre ans plus tôt.

7. Contrairement à l’idée reçue, Freud ne renoncera pas totalement à l’hypnose et l’utilisera au moins
jusqu’en 1924 (Bioy, 2008).
8. Cet article constituera, sous le titre « Communication préliminaire », le premier chapitre de
l’ouvrage Études sur l’hystérie édité deux ans plus tard.
20 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma

4. Le XXe siècle : l’évolution de la notion


de traumatisme
Tout au long du xxe siècle, l’intérêt pour les troubles traumatiques connaîtra un
essor progressif et continu. Les guerres, particulièrement la guerre russo-japonaise,
les deux conflits mondiaux ainsi que la guerre du Vietnam, se révéleront un terrain
particulièrement fertile d’études théoriques et d’expérimentations pratiques.

4.1. La guerre russo-japonaise : les premiers soins


psychologiques immédiats
Durant un an, de 1904 à 1905, la guerre russo-japonaise fait des ravages et les
pertes psychiatriques sont très importantes. Les psychiatres et médecins militaires
considèrent généralement que les troubles des soldats relèvent de l’hystérie ou de la
neurasthénie. Or les hystériques sont souvent assimilés à des simulateurs. Tout comme
les victimes d’accidents ferroviaires et de travail avaient été soupçonnées de feindre
une affection mentale en vue d’obtenir des dédommagements pécuniaires de la part des
compagnies d’assurance, les soldats traumatisés se voient fréquemment suspectés de
simuler des états pathologiques aux fins d’être reclassés à l’arrière ou d’être réformés.
Pour contenir les pertes psychiatriques, l’armée du tsar, sous l’égide du médecin
général et psychiatre en chef Autokratoff, instaure un service de « psychiatrie de
l’avant ». Des dispensaires sont aménagés à proximité du front et un tandem, composé
d’infirmiers et d’un psychiatre, parcourt la ligne de combat en charrettes hippomobiles
pour dispenser les premiers soins aux blessés. Cette aide psychologique précoce vise à
réduire les réactions post-traumatiques immédiates et non les séquelles à long terme.
La Croix-Rouge russe, dépassée par l’afflux de blessés psychiques, lance un appel aux
médecins étrangers. C’est ainsi que l’Allemand Georg Honigmann se rend sur le front
en qualité de psychiatre volontaire (Honigmann G, 1907)). En 1907, au congrès alle-
mand de médecine interne, riche de ses observations, il propose de nommer « névrose
de guerre » (Kriegsneurose) les troubles manifestés par les blessés psychiques.

4.2. La guerre 1914-1918


En raison de sa durée, des innovations technologiques du matériel de combat, du
recours massif à l’artillerie et des stratégiques développées, la guerre 1914-1918 cause
davantage de victimes que tout autre conflit antérieur. Dès l’ouverture des hostilités,
des combattants, enrôlés au sein des puissances alliées comme des empires centraux,
présentent des troubles psychologiques.
Tandis que les soldats combattent sur le front, les aliénistes s’affrontent sur le ter-
rain des idées à coup de doctrines étiopathogéniques explicatives des syndromes
post-traumatiques : affection simulée ou exagérée pour les uns et véritable maladie
Le XXe siècle : l’évolution de la notion de traumatisme ■ 21

pour les autres, syndrome lésionnel pour les uns et névropathique pour les autres,
déterminé par une prédisposition constitutionnelle pour les uns et déclenché par les
circonstances spécifiques de la guerre pour les autres, etc. Tout au long de la guerre,
les observations cliniques des médecins et psychiatres s’affinent, leur compréhension
des phénomènes pathogéniques s’améliore et la dénomination des tableaux cliniques se
renouvelle ainsi que le résume le psychiatre militaire français Louis Crocq :
« Hypnose des batailles pour la guerre de mouvement d’août 1914 (Milian), puis shell-
shock9 (Myers, Chavigny, Gaupp, 1915) avec la stabilisation du front et les pilonnages
d’artillerie sur les tranchées, puis neurasthénie et hystérie de guerre avec l’enlisement
du conflit et la baisse du moral des soldats (Lépine, 1917), et enfin, névroses et psy-
chonévroses de guerre, voire névroses traumatiques, diagnostics qui reflètent plus
exactement la réalité (Roussy, Lhermitte, Milligan, Ferenczi, 1917-1918). Les hypo-
thèses pathogéniques ont suivi la même évolution : hypothèses organiques étiologiques
d’abord, dont celle de la confusion mentale de guerre (Capgras), et celle de la paraly-
sie nerveuse réflexe (Babinski, Oppenheim), ensuite hypothèse post-commotionnelle
(Mott, Mairet, Sarbo), puis hypothèse post-émotionnelle par effroi et autosuggestion
(Lépine, Birnbaum), et enfin hypothèses psychodynamiques du complexe de peur, de
l’effondrement narcissique et de la régression libidinale (Adrian, Ferenczi, Abraham,
Freud)» (Crocq, 2005).
Au fil du conflit, le nombre d’engagés atteints d’affections post-traumatiques prend
des proportions inquiétantes. La perte d’effectifs entraînée par ces blessés psychiques
menace l’armée d’impéritie. Un soupçon permanent de duperie pèse sur les soldats
traumatisés, l’état-major les suspectant de mimer l’aliénation mentale pour échapper
à leur devoir militaire. Dès 1915, les neurologues et les aliénistes sont invités à mettre
leur expertise au service des comités de réforme et des conseils de guerre. Ils sont char-
gés de distinguer les « simulateurs » et les « exagérateurs » des combattants souffrant
de réels troubles psychopathologiques. Les médecins militaires et les hautes autorités
s’abstiennent de reconnaître une pathologie déclenchée spécifiquement par les trauma-
tismes de la guerre qui les contraindrait à indemniser ou à réformer les soldats atteints.
Ils préfèrent généralement imputer les troubles à la mauvaise volonté de leurs recrues
à retourner au front ou à leur prédisposition héréditaire, et notamment à leur propen-
sion à l’hystérie. Rappelons qu’à l’époque, la frontière entre hystérie et simulation est
si ténue qu’il est aisé de confondre la première avec la seconde. Certains aliénistes font
preuve d’un patriotisme exalté. Ils semblent ne pas prendre la mesure de la souffrance
psychique des névrosés et se montrent sans pitié, n’hésitant pas à mettre aux fers les
malheureux, à les dénoncer au Conseil de guerre ou à leur infliger des traitements
douloureux tel le traitement faradique. En France, l’électrothérapie faisait partie depuis
longtemps de l’arsenal thérapeutique dédié aux hystériques. Ainsi, Paul Briquet l’utili-
sait déjà en 1850, Jean-Martin Charcot avait fait installer un « laboratoire d’électricité »
à la Salpêtrière et Sigmund Freud y avait recouru pour ses patientes Emmy von N. et

9. Nombre d’affections mentales présentées par les combattants étant subséquentes à l’explosion de
mines et d’obus, les scientifiques sont convaincus que la déflagration exerce des effets mécaniques sur
le système nerveux. Cette thèse étiologique explique la dénomination de Shell Shock accordée aux
pathologies post-traumatiques (note de l’auteur).
22 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma

Elizabeth von R. La technique consiste à appliquer un courant électrique à même la peau


sur la région du corps concernée par le symptôme tout en intimant au patient l’ordre de
guérir. Durant la guerre, dans leur service respectif, les docteurs Clovis Vincent à Tours
et Julius Wagner Jauregg à Vienne, la dévoient et en codifient l’usage répressif.
En 1917, les théories psychodynamiques effectuent une percée sur le terrain des expli-
cations pathogéniques. Des auteurs, de plus en plus nombreux, s’accordent à rattacher
les symptômes des traumatisés à des contenus et à des processus psychiques incons-
cients. Fin septembre 1918, moins de deux mois avant la fin des hostilités, Sigmund
Freud organise à Budapest le Ve congrès international de psychanalyse partiellement
consacré aux névroses de guerre. Le neurologue hongrois Sándor Ferenczi et le
médecin allemand Karl Abraham comptent parmi les intervenants du congrès. Leurs
réflexions sont d’une importance considérable pour le développement de la psychana-
lyse et de la névrose traumatique.

4.3. La Deuxième Guerre mondiale


La Seconde Guerre mondiale constitue le conflit armé le plus vaste et le plus
meurtrier de tous les temps. Elle est le théâtre de nombreux crimes de guerre et de
crimes contre l’humanité et voit l’émergence inédite de crimes de masse, en particulier
à l’instigation de l’Allemagne nazie et du Japon impérial.
La dénomination des tableaux cliniques manifestés par les combattants traumatisés
tend à minimiser l’impact de la guerre sur leur santé mentale. Ainsi, du côté des
forces alliées, conseillé par le psychiatre Frederick Hanson, le général américain Omar
N. Bradley émet une circulaire préconisant le diagnostic d’exhaustion (épuisement). Ce
mot évite toute connotation psychiatrique et laisse entendre que le soldat, victime d’une
simple fatigue transitoire, a eu « une réaction normale face à une situation anormale ».
La formule fera école. On parle également de combat réaction (réaction au combat), com-
bat fatigue (fatigue de combat), combat stress (stress de combat) et de war stress (stress de
la guerre). Le terme war neurose (névrose de guerre) est réservé aux cas les plus graves.
Les médecins et psychiatres militaires l’imputent à une vulnérabilité personnelle du
soldat et à ses antécédents, antérieurs au service armé (par exemple, à un traumatisme
infantile selon les théories psychanalytiques en vogue à l’époque). En effet, la plupart
nient que la guerre puisse être la cause majeure à l’origine de troubles psychologiques
des recrues. Comme ce fut le cas durant les guerres russo-japonaise et 1914-1918, une
grande partie du commandement, tant du côté des Alliés que des puissances de l’Axe,
craint que la reconnaissance d’un traumatisme psychique spécifiquement déclenché par
la guerre soit la porte ouverte à la couardise et aux « désertions psychiques ».
Sur le plan pathogénique de l’exhaustion, on incrimine l’intensité des combats et le
temps cumulé en opération. Les études menées par les médecins établissent une corré-
lation entre la durée d’exposition aux dangers de la guerre et le risque de développer
des troubles psychiques (Beebe, Appel, 1958 ; Sobel, 1949). Selon les psychiatres
américains Roy Grinker et John Spiegel, chaque homme a son point de rupture (break
point). Les recrues, rompues psychologiquement après un séjour prolongé sur le front,
ne sont ni des lâches ni des faibles, mais des personnes normales incapables d’endurer
Le XXe siècle : l’évolution de la notion de traumatisme ■ 23

plus longtemps les contraintes extrêmes de la guerre (Grinker, Spiegel, 1945). Même
les combattants les plus aguerris, en service actif depuis longtemps, rescapés à diverses
reprises d’unités décimées, finissent par s’effondrer. Le psychiatre américain Raymond
Sobel baptise ce phénomène « le syndrome du vieux sergent » (Sobel, 1945). Les
psychiatres militaires découvrent ainsi que les pertes psychiatriques sont une consé-
quence inévitable des situations mettant la vie en péril.
Dans la survenue des troubles psychiques, on souligne également les facteurs affec-
tant le moral des troupes : conflits interpersonnels (entre soldats, entre soldats et
officiers), manque de cohésion au sein de l’unité (isolement des combattants détachés
en patrouille, absence de soutien mutuel, déficit de liens affectifs entre pairs, etc.) et
commandement défaillant (carence de soutien, méfiance ou conflit au sein de la troupe
avec les officiers ou entre le front et l’arrière, etc.) (Spiegel, 1944 ; Stouffer et al., 1949).
Les psychiatres et les autorités militaires découvrent le rôle essentiel de la cohésion
du groupe non seulement pour prévenir l’exhaustion, mais également pour accroître
l’efficacité des unités au combat.
Au début des hostilités, les armées ne sont pas préparées à prendre en charge les bles-
sés psychiques. Du côté allié, la désorganisation provoquée par la défaite éclair infligée
en juin 1940 par les forces allemandes occulte les traumatisés des préoccupations des
états-majors. Du côté de l’Axe, la souffrance psychique est considérée comme l’apanage
des faibles et non comme une conséquence fréquente, inhérente aux conflits armés. Les
leçons des guerres précédentes ont été oubliées. Aussi, aucun dispositif de psychiatrie
de l’avant n’est mis en place. Aucun psychiatre n’est attaché aux divisions de combat et
aucune disposition n’existe pour assurer des soins psychiatriques à proximité du front.
En décembre 1941, avec l’entrée en guerre des États-Unis, une politique visant à traiter
la question des pertes psychiques se met lentement en place. Dans un premier temps,
dans l’espoir d’écarter les individus prédisposés à la décompensation psychique, les
efforts se concentrent sur la sélection des soldats. Ce dépistage s’avère rapidement
inefficace. L’échec de la sélection discrédite l’hypothèse de facteurs prédisposants à
l’origine des troubles mentaux développés au cours du déploiement. Les psychiatres
doivent revoir leur copie ; ils invoquent d’autres étiologies à l’origine des symptômes
traumatiques tels le stress et les contraintes de la guerre.
Peu à peu, les armées redécouvrent les principes de la psychiatrie de l’avant (Menninger,
Nemiah, 2000); une stratégie d’intervention précoce visant à écrêter les syndromes d’ex-
haustion voit ainsi le jour. Pour les cas les plus graves, les médecins recourent à l’hypnose,
à la narco-analyse10 et à la cure de sommeil11. Ils innovent également des nouveaux pro-
cédés comme les thérapies de groupe et testent des traitements inédits, potentiellement
à haut risque, tels que les thérapies par le choc12, les électrochocs ou les leucotomies13.

10. Méthode d’investigation du matériel inconscient après injection d’une substance narcotique.
11. La cure de sommeil est induite par des barbituriques et des sédatifs.
12. Cette méthode consiste à provoquer un coma artificiel par injection d’insuline ou d’une autre
substance.
13. La leucotomie consiste à sectionner les fibres nerveuses reliant les lobes frontaux au thalamus.
24 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma

L’urgence de la guerre a mobilisé les forces vives, laissant de côté la question des trau-
matismes manifestés par les civils. Ce n’est qu’après la fin des hostilités que les scien-
tifiques se pencheront sur le sort des milliers d’enfants et d’adultes en souffrance. En
1952, le psychologue et psychanalyste autrichien Bruno Bettelheim décrit la culpabilité
du survivant et en 1957, le psychanalyste allemand William Niederland, le syndrome
du survivant (survivor syndrome). En 1954, le psychiatre français René Targowla définit
le syndrome asthénique des déportés et dix ans plus tard, son collègue norvégien Leo
Eitinger développe la notion de KZ syndrome, Konzentrationläger syndrome (syndrome
des camps de concentration). Les psychiatres et psychanalystes découvrent ainsi que
les séquelles psychiques persistent longtemps après la fin des hostilités.
La psychanalyse, grâce aux apports de Sigmund Freud, Sándor Ferenczi, Abram
Kardiner, Otto Fenichel, Karl Abraham et bien d’autres, a le vent en poupe. Dans
l’après-guerre, les théories et techniques thérapeutiques suscitent un intérêt sans pré-
cédent au sein de la communauté scientifique et des cliniciens. La psychanalyse connaît
de nouveaux développements ; des thérapies apparentées voient le jour.

4.4. La guerre du Vietnam :


vers la reconnaissance du traumatisme
De 1964 à 1975, les Américains sont impliqués aux côtés du Vietnam du Sud dans
le conflit l’opposant au Vietnam du Nord. Dans cette guerre de proximité et de basse
intensité, l’armée du Nord (Vietminh), dépourvue de moyens lourds (artillerie, aviation
de bombardement), adopte une tactique de guérilla (raids, embuscades). Dès lors, les
troupes américaines sont confrontées à un type de combat inhabituel ; l’ennemi est
partout et nulle part.
Riches des expériences acquises au cours des guerres précédentes, les forces armées
américaines instaurent une psychiatrie de l’avant dès le début de leur engagement dans
le conflit. Grâce aux multiples stratégies développées pour lutter contre les pertes
psychiques, le taux d’attrition en cours de déploiement reste faible. Contrairement aux
guerres précédentes, notamment aux deux premières guerres mondiales, où le nombre
de blessés psychiques culmine au plus fort des combats, dans la guerre du Vietnam,
l’acmé est atteinte alors que les hostilités ont pris fin.
En 1972, dans un article publié dans le New York Times, le psychiatre et psychanalyste
américain Chaim Shatan attire l’attention du public sur le Post-Vietnam syndrome.
À partir de 1975, les séquelles tardives présentées par un nombre croissant de vété-
rans attirent l’attention tant des professionnels que des pouvoirs publics. Outre les
symptômes traumatiques (reviviscences, évitement, hyperactivation neurovégétative),
de nombreux vétérans souffrent de dépression (mésestime de soi, comportements
suicidaires, etc.), manifestent des troubles caractériels (impulsivité, accès de colère),
voire se livrent à des actes délinquants, et consomment abusivement des substances
psychoactives (alcool et drogue).
En 1978, un groupe de chercheurs, dont fait partie Chaim Shatan, propose à la com-
mission chargée de remettre à jour le DSM d’introduire le diagnostic de Post-Traumatic
Le XXe siècle : l’évolution de la notion de traumatisme ■ 25

Stress Disorder14 dans la troisième version de cette nosographie psychiatrique15.


Ce sera chose faite en 1980. Le contexte politique et l’impopularité croissante de la
guerre du Vietnam ont largement contribué à la reconnaissance d’une nomenclature
particulière applicable aux troubles traumatiques des vétérans.
La reconnaissance d’une entité diagnostique spécifique constitue à l’époque une
véritable victoire, et ce, à plus d’un titre. Premièrement, les troubles traumatiques,
jusqu’alors imputés à une vulnérabilité personnelle, sont attribués à un agent extérieur,
la guerre. Deuxièmement, admettre la légitimité du PTSD implique des conséquences
financières colossales. Jusqu’alors, les réactions post-traumatiques étaient attribuées à
une prédisposition individuelle que la circonstance particulière des combats ne faisait
que révéler. La guerre n’étant pas reconnue comme la cause prédominante dans la
genèse des troubles, les soldats traumatisés n’étaient pas indemnisés. L’administration
chargée des victimes de guerre était donc rétive à voir apparaître une entité clinique
qui la contraignait à dédommager les blessés psychiques. Troisièmement, le syndrome
de stress post-traumatique est fondé sur un facteur étiologique, ce que le DSM, noso-
graphie descriptive et sans référence théorique, tente d’éliminer. Quatrièmement, le
PTSD admet que les auteurs d’exaction puissent être victimes ; les soldats coupables
de crimes de guerre sont des hommes ordinaires qui ont été plongés dans une situation
extraordinaire. Cinquièmement, les troubles ne sont pas uniquement l’apanage des évé-
nements liés à la guerre ; le diagnostic de PTSD est applicable aux troubles consécutifs
à la guerre ainsi qu’à tout autre événement délétère.

4.5. La fin du XXe siècle : l’EMDR, une technique


thérapeutique révolutionnaire
Progressivement, psychiatres et psychologues des quatre coins du monde élaborent
de nouvelles techniques appropriées tant à réduire les réactions aiguës qu’à prévenir
les séquelles à long terme des événements traumatiques. Ils affinent les procédures et
les adaptent aux différentes populations de victimes (militaires, pompiers, policiers, vic-
times d’attentat, de torture, de violences sexuelles, population tout venant, etc.). La psy-
chanalyse et les thérapies dérivées furent les premières options de traitement. À partir
des années 1980, la reconnaissance du PTSD dans la catégorie des troubles anxieux du
DSM-III promeut les thérapies comportementales et cognitives dans ce domaine. Fin de
cette décennie, un pas décisif est franchi avec la découverte de l’EMDR.
L’EMDR est une approche psychothérapeutique. Elle a été découverte fortuitement
aux États-Unis en 1987 par Francine Shapiro16, docteur en psychologie au Mental

14. Traduit en français par État de Stress Post-Traumatique ou ESPT.


15. Le DSM-III est la troisième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder,
American Psychiatric Association, 1980.
16. Francine Shapiro a reçu en 2002 le prix Sigmund Freud, prestigieuse distinction décernée par
l’Association Mondiale de Psychothérapie et par la ville de Vienne.
26 ■ CHAPITRE 1 – L’histoire du trauma

Research Institute de Palo Alto en Californie. Cette méthode a rapidement révolutionné


la conception et la pratique de la psychothérapie, notamment des patients traumatisés.
EMDR est l’acronyme d’Eye Movement desensitization and reprocessing, en fran-
çais « désensibilisation et retraitement par le mouvement des yeux ». L’appellation
« EMDR » a été conservée même si la méthode ne se limite plus désormais à l’utilisa-
tion des mouvements oculaires.
L’efficacité de l’EMDR a été scientifiquement prouvée depuis 1989 par de nombreuses
études contrôlées. Depuis 2013, l’Organisation mondiale de la Santé la préconise pour
le traitement des troubles psychotraumatiques chez l’enfant et l’adulte. Elle est égale-
ment reconnue aux États-Unis par l’American Psychologist Association (1998), l’Inter-
national Society for Traumatic Stress Studies (2000), l’American Psychiatric Association
(2004) et le Department of Veterans Affairs and Department of Defense (2004), en
France par l’INSERM17 (2004) et par la Haute Autorité de la Santé (2007), en Israël par
le National Council of Mental Health Israël (2002), en Irlande par le Northern Ireland
Department of Health (2003) et au Royaume-Uni par le Department of Health (2001) et
le National Institute for Health and Clinical Excellence (2005).

Résumé
1 Les premiers témoignages relatifs aux réactions psychotraumatiques datent de deux
mille ans avant Jésus-Christ.
2 Le traumatisme psychique commence à susciter l’intérêt du monde médical au début
du XIXe siècle. Les accidents ferroviaires de la seconde moitié du XIXe siècle et les guerres
du XXe siècle le renforcent.
3 Fin du XIXe début du XXe siècle, les scientifiques militaires et civils se penchent sur les
processus psychiques en jeu dans les réactions traumatiques et initient les premières
prises en charge psychothérapeutiques.
4 En 1980, l’American Psychiatric Association introduit le Post-Traumatic Stress

? Vérifiez vos connaissances


1 À qui doit-on le terme « névrose traumatique » ?
2 Que signifie l’acronyme PTSD ?

17. Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale.


CHAPITRE 2

2La notion de victime


« Quand j’étais jeune, c’est ainsi que les choses ont commencé.
Après avoir détruit cette maison, vous allez rentrer chez vous.
En chemin, certains diront : ici habite un Hutu, pour nous venger,
prenons ses biens et tuons ses enfants. Mais après, vous ne pourrez plus
vous arrêter pendant des années. Je veux vous dire ceci : vous avez souffert,
mais cela ne vous rend pas meilleurs que ceux qui vous ont fait souffrir.
Ce sont des gens comme vous et moi. Le mal est en chacun de nous. »
Boubacar Boris Diop, Murambi,
Le livre des ossements

SOMMAIRE

1. L’évolution de la notion de victime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28


2. Victime, définitions actuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
3. Types de victimes et degré d’implication
dans l’événement traumatisant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
28 ■ CHAPITRE 2 – La notion de victime

L’intérêt porté aux victimes en tant qu’objet social est récent.


Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale
que les victimes commencèrent véritablement à intéresser
la recherche en criminologie et à constituer un enjeu
sociopolitique. En 1947, Benjamin Mendelsohn, un avocat
d’origine roumaine, baptisera « victimologie » cette science
naissante. Ce chapitre se propose de fournir quelques repères
définitionnels de la victime.

1. L’évolution de la notion de victime


Le terme « victime », emprunté au latin classique « victima », fait son appari-
tion dans la langue vulgaire écrite à la fin du xve siècle (en 1485)1. Il se rencontre
progressivement dans les titres des ouvrages conservés à la Bibliothèque nationale
de France à partir du xviie siècle (10 références) et s’affirme au xixe siècle (645
références) pour connaître son plein essor au xxe siècle (1427 titres avant 1970)
(Garnot, 2001). Ces dernières années, près de 50 000 ouvrages traitant des victimes
sont déposés annuellement au titre du dépôt légal (Lamare C., cité par Languin,
2005).
Deux mots ont été empruntés à des dérivés de « victima »2 : « victimaire » (1555)3,
emprunté au latin classique « victimarius », prêtre qui préparait et frappait les
victimes et « victimer » (1600), emprunté au latin impérial « victimare », sacri-
fier (une victime). Victimer a signifié « tuer » puis, sous la Révolution française,
« condamner à mort » et « maltraiter (quelqu’un)» (1795). Le mot « victimiser »
est un anglicisme introduit au xxe siècle. Il est emprunté au verbe « to victimize »,

1. 1485 : « Sacrifice » (Mistere du Viel Testament, éd. J. de Rothschild, 10 129 : [Isaac à son père
Abraham] Et qu’on sacrifie autrement Que par victime si terrible ?), 1495 : « créature vivante offerte
en sacrifice au (x) dieu (x), à Dieu » (Jean de Vignay, Miroir historial, IX, 98, éd. 1531 ds DELB. « Quant
ilz vouloient offrir olocaustes et victimes a icelluy dieu incongneu)», Trésor de la Langue Française
informatisé [version simplifiée], Laboratoire d’Analyse et de Traitement Informatique de la Langue
Française. En ligne : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/fast.exe?victime.
2. Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française. Paris : Le Robert, 1992.
3. Du Choul. Discours sur la Castrametation et discipline militaire des Romains, p. 25 : Sacrifice du
Consul, accompagné de ses Sacerdotes, Victimaires, et Ministre qui porte l’acerra, Trésor de la Langue
Française informatisé, op. cit.
L’évolution de la notion de victime ■ 29

transformer en victime (1830), dérivé de « victima », victime (1497, emprunt au


latin)4.
La notion de victime n’a cessé d’être revisitée tout au long de l’histoire occidentale et de
s’enrichir de définitions additionnelles. À l’origine, « victime » est un terme du lexique
sacré. Le dictionnaire5 nous apprend qu’il vient du latin « victima » et le définit comme
« une créature vivante offerte en sacrifice aux dieux » (1496). À l’origine, « victima »
désignait la victime offerte aux dieux en remerciement des faveurs reçues en opposi-
tion à l’« hostia »6, l’hostie, la victime expiatoire immolée pour apaiser leur courroux7.
Peu à peu, les nuances propres à « victima » et à « hostia » ont disparu et l’usage n’a
retenu que le mot « victime ».
Dans les civilisations anciennes, le concept de victime est marqué du sceau du sacri-
fice. Dans les rites païens, dont certains ont été repris par les religions monothéistes,
les victimes sont propitiatoires, offertes aux divinités pour solliciter leurs faveurs ou
leur clémence, et expiatoires, immolées pour les apaiser. Parmi les victimes expiatoires,
citons le bouc émissaire. Anciennement, le jour du rite annuel hébreu de Yom Kippour
(le Grand Pardon), deux boucs étaient amenés au temple ; l’un était sacrifié à Dieu et
l’autre, chargé symboliquement de tous les péchés de la communauté, le bouc émissaire
(du latin « caper emissarius », le bouc envoyé, lâché), était chassé dans le désert vers
le démon Azazel (dieu-bouc). Voici des extraits du Lévitique décrivant les rites des
boucs expiatoires :
« Si c’est un chef qui a péché, en faisant involontairement contre l’un des com-
mandements de l’Éternel, son Dieu, des choses qui ne doivent point se faire et en
se rendant ainsi coupable, et qu’il vienne à découvrir le péché qu’il a commis, il
offrira en sacrifice un bouc mâle sans défaut. Il posera sa main sur la tête du bouc,
qu’il égorgera dans le lieu où l’on égorge les holocaustes devant l’Éternel. C’est un
sacrifice d’expiation. Le sacrificateur prendra avec son doigt du sang de la victime
expiatoire, il en mettra sur les cornes de l’autel des holocaustes, et il répandra le
sang au pied de l’autel des holocaustes. Il brûlera toute la graisse sur l’autel, comme
la graisse du sacrifice d’Actions de grâces. C’est ainsi que le sacrificateur fera pour
ce chef l’expiation de son péché, et il lui sera pardonné » (Lévitique, 4, 22-26)
« Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les
fautes des Israélites, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir
ainsi chargé la tête du bouc, il l’enverra au désert sous la conduite d’un homme qui
se tiendra prêt, et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu aride »
(Lévitique, 16, 21-22)

L’immolation d’un des deux boucs reliait les humains au divin dans un axe vertical.
La victime émissaire quant à elle unissait les hommes entre eux dans un plan horizontal

4. Le Robert, op. cit.


5. Le Petit Robert (2002). Paris : Le Robert.
6. Hostia, mot latin, est traduit indifféremment par hostie ou par victime.
7. Tragédie, « Petit dictionnaire des mots fondateurs et souvent trompeurs ». En ligne : http://www.
ac-nancy-metz.fr/enseign/lettres/LanguesAnciennes/Textes/dict_tragedie.htm.
30 ■ CHAPITRE 2 – La notion de victime

en assurant la paix et l’ordre social. En effet, une union sacrée se forgeait sur cette
victime expiatoire et permettait de rejeter la violence endémique à l’extérieur de la
communauté. Cette définition sacrée et sacrificielle prédominera jusqu’à la fin du
xve siècle.

À partir du xviie siècle (1642)8, « victime » est employé en théologie pour désigner le
Christ9. La communauté chrétienne repose sur le sacrifice d’un homme, Jésus-Christ.
Celui-ci endosse un rôle rédempteur, il est la « supervictime » (Fillizzola, Lopez, 1995),
la « victime parfaite »10 souffrant et mourant pour racheter les péchés des hommes.
Il reste présent par l’eucharistie dans le sacrifice de la messe. Dès le début du siècle, le
mot commence à prendre son sens actuel. Ainsi, il se dote d’une connotation morale
et d’une définition infractionnelle. La victime ne s’inscrit plus uniquement dans un
rapport vertical au sacré, mais aussi dans une relation horizontale interhumaine. En
effet, à la notion de sacrifice s’ajoute une définition infractionnelle de la victimisation,
le terme désignant aussi « la personne qui a subi la haine, les tourments, les injustices
de quelqu’un » (1606)11, « la personne qui souffre des agissements d’autrui » (1617)12.
Par extension, le mot se dit d’« une personne qui souffre d’événements néfastes »
(1617)13. Aux facteurs infractionnels s’ajoute également la victimisation fortuite et
accidentelle. La victime est « une personne tuée ou blessée à la suite d’un cataclysme,
d’un accident ou d’une violence quelconque » (1604)14. Sous la plume des écrivains
français JacquesBénigne Bossuet et Nicolas Boileau, en 1687, le mot désigne également
une personne qui pâtit de ses propres actes, respectivement, victime de soi-même15
et victime de sa valeur (Garnot, 2001). À la fin du xviie siècle, dans le Dictionnaire de
Furetière, le mot comprend aussi « les victimes de la guerre, de la tyrannie politique
et les jeunes personnes sacrifiées à l’ambition familiale et contraintes d’entrer en reli-
gion » (1690) (Garnot, 2001).
Au xviiie siècle, dans la littérature, on voit apparaître aussi les victimes de l’amour et
celles de la médecine (Languin, 2005).
Au xixe siècle, la victime est également « la personne arbitrairement condamnée à
mort ». Durant la Révolution française, ce terme fut appliqué aux personnes qui périrent

8. Corneille, Polyeucte, V, 3, vers 1662.


9. Le Robert, op. cit., 1992 ; « On appelle, Nostre Seigneur Jesus-Christ la victime offerte pour le salut
des hommes », Dictionnaire de l’Académie française, 1re éd. (1694).
10. Trésor de la Langue Française informatisé, op. cit.
11. J. Bertaut. Rec. de quelques vers amoureux, éd. L. Terreaux, p. 11 : « De ton adorateur ne fay
point ta victime », Trésor de la Langue Française informatisé, op. cit. ; « On appelle aussi victime
une personne qui souffre injustement. Cette fille est une vraye victime de sa mere », Dictionnaire de
l’Académie française, 1re éd. (1694).
12. Le Robert, op. cit., 1992.
13. Ibid.
14. Montchrestien, David, éd. L. Petit de Julleville, p. 217 : « victime de la guerre il tombe sur
le sable » ; Hugo V. (1870), Corresp., p. 270 : pour les victimes de la guerre, Trésor de la Langue
Française informatisé, op. cit.
15. Le Robert, op. cit., 1992.
L’évolution de la notion de victime ■ 31

condamnées par les tribunaux révolutionnaires (Languin, 2005). Progressivement, le


mot victime définit « la personne torturée, violentée, assassinée, la personne qui
meurt à la suite d’une maladie, d’un accident, d’une catastrophe, la personne tuée dans
une émeute, une guerre »16. À la fin du siècle (1884-85) apparaissent les victimes du
devoir17. Notons, par exemple, que l’héroïsme des sapeurs-pompiers sera exalté en
1894 dans un tableau de Detaille.
Au xxe siècle, le mot se généralise, attestant de la visibilité sociale du concept. Il
recouvre des réalités de plus en plus diverses gagnant l’ensemble des champs de
la société. Les définitions se multiplient : infractionnelles, sociales, politiques, acci-
dentelles, guerrières, naturelles, médicales, routières, technologiques, économiques,
culturelles, etc.
Le début du xxie siècle voit l’expansion du concept se confirmer. Dans les sociétés non
occidentales, le religieux fait un retour en force, des victimes se sacrifiant au nom d’un
fondamentalisme fanatique.
Ces vingt dernières années, le concept de victime a fait recette. De plus en plus
banalisé jusqu’à être galvaudé, il subit aussi maintenant les frais de sa popularité.
En caricaturant à peine, on peut dire qu’aujourd’hui, est victime toute personne qui
se considère comme telle. Le sujet victimisé domine, peu importe l’origine de sa vic-
timisation. Cette vulgarisation provoque une confusion entre victimisation réelle et
sentiment d’insécurité, difficulté psychologique personnelle, etc. En effet, certaines
personnes confondent frustration18, colère, chagrin, peur19, etc., avec l’atteinte phy-
sique, morale ou psychologique de la victimisation. Par exemple, elles s’estiment vic-
times d’un divorce, d’un décès, d’un licenciement, de l’irrespect de voisins, etc. Elles
projettent la cause de leur mal-être sur autrui et s’épanchent alors en revendications
victimaires. Être victime n’est plus un état, mais devient un statut, la victime exis-
tant socialement au travers de sa victimisation. Comme le souligne Noëlle Languin :
« L’omniprésence des victimes dans la sensibilité contemporaine pousse tout un
chacun à être victime, c’est un statut qui peut être enviable : il procure des bénéfices,
permet de se faire entendre et dans certains cas, se plaindre donne du pouvoir »
(Languin, 2005).

16. Le Petit Robert (2002).


17. D’après Lar. encyclop., date de la fondation par la presse parisienne d’une œuvre philanthropique
appelée caisse des victimes du devoir, Trésor de la Langue Française informatisé, op. cit.
18. La situation n’est pas telle qu’elles la souhaitent. Par exemple, les termes d’un divorce ne leur
conviennent pas et elles s’estiment lésées, donc victimes.
19. Les enquêtes de victimisation ont mis en évidence que le problème de la criminalité affecte la vie
des personnes qui se perçoivent à risque même si elles n’ont pas personnellement été victimisées et
même si cette perception n’est pas justifiée et le sentiment de peur, irrationnel.
32 ■ CHAPITRE 2 – La notion de victime

2. Victime, définitions actuelles


Actuellement, il existe deux grands courants de conception de la notion de victime,
l’une étroite, infractionnelle, circonscrite au cadre légal, l’autre plus large, victimolo-
gique, incluant outre le cadre légaliste, les dimensions sociologiques, psychologiques et
humanitaires.

2.1. Définitions infractionnelles


Si les approches sociologique et psychologique admettent qu’une personne qui
s’estime victime le soit effectivement, il en va autrement d’un point de vue juridique.
En effet, ne sont reconnues victimes que les personnes ayant subi un délit ou un crime
relevant du droit pénal.
Pour cerner la notion de victime, reportons-nous à la Déclaration des principes fon-
damentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de
pouvoir adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 29 novembre 1985, au
Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale du 17 juillet
1998 et à la Décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 15 mars 2001.
En 1985, l’Assemblée générale des Nations unies20 définit comme suit les victimes de
criminalité et d’abus de pouvoir :
« On entend par victimes (de la criminalité) des personnes qui, individuellement
ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité phy-
sique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave
à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois
pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus
criminels de pouvoir. Une personne peut être considérée comme “victime”, dans le
cadre de la présente Déclaration, que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi
ou déclaré coupable, et quels que soient ses liens de parenté avec la victime. Le terme
“victime” inclut aussi, le cas échéant, la famille proche ou les personnes à charge de la
victime directe et les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir
en aide aux victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation. Les dispositions
de la présente section s’appliquent à tous, sans distinction aucune, notamment de race,
de couleur, de sexe, d’âge, de langue, de religion, de nationalité, d’opinion politique ou
autre, de croyances ou pratiques culturelles, de fortune, de naissance ou de situation
de famille, d’origine ethnique ou sociale et de capacité physique. »
« On entend par victimes (d’abus de pouvoir) des personnes qui, individuellement
ou collectivement, ont subi des préjudices, notamment une atteinte à leur intégrité

20. Assemblée générale des Nations unies. Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs
aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. Résolution 40/34 du 29 novembre
1985, en ligne : http://www2.ohchr.org/french/law/victimes.htm.
Victime, définitions actuelles ■ 33

physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte
grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui ne consti-
tuent pas encore une violation de la législation pénale nationale, mais qui représentent
des violations des normes internationalement reconnues en matière de droits de
l’homme. »
En 1998, le Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale
(Statut de Rome)21 déclare : « Aux fins du Statut et du Règlement, a) le terme “victime”
s’entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission
d’un crime relevant de la compétence de la Cour ; b) Le terme “victime” peut aussi
s’entendre de toute organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, à
l’enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique, un
hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dom-
mage direct. »
Plus récemment, en 2001, le Conseil de l’Union européenne22 définit la victime comme
« la personne qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique
ou mentale, ou une souffrance morale ou une perte matérielle, directement causé par
des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre ».
Ces définitions infractionnelles s’articulent sur les textes de loi et forcément ignorent
les victimes de catastrophes naturelles, mais elles omettent également les violences
psychologiques (harcèlement conjugal, familial ou professionnel).
Retenons la définition de Robert Cario (2001, 2006), à la fois infractionnelle et vic-
timologique : « Doit être considérée comme victime toute personne en souffrance(s).
De telles souffrances doivent être personnelles (que la victimisation soit directe ou
indirecte), réelles (c’est-à-dire se traduire par des traumatismes psychiques ou psy-
chologiques et/ou des dommages matériels avérés), socialement reconnues comme
inacceptables et de nature à justifier une prise en charge des personnes concernées,
passant, selon les cas, par la nomination de l’acte ou de l’événement par l’autorité
judiciaire, administrative, médicale ou civile, par l’accompagnement psychologique et
social de la (des) victime(s) et par son/leur indemnisation. Cette définition se cristallise
sur les traumatismes et les souffrances de toutes origines, intensités et durées infligés
de manière illégitime et injuste aux victimes dans leur corps, leur dignité, leurs droits
et leurs biens. Elle inclut également les proches des victimes dont les souffrances sont
consécutives à l’acte infractionnel (disparition d’un être cher, enfant témoin de vio-
lences familiales, manques à gagner, pertes matérielles diverses, etc.). »

21. Cour pénale internationale (1998). Règlement de procédure et de preuve. ICC-ASP/1/3,


en ligne : http://untreaty.un.org/cod/icc/asp/1stsession/report/french/part_ii_a_f.pdf.
22. Conseil de l’Union européenne (2001). Décision-cadre du Conseil du 15 mars 2001 relative au
statut des victimes dans le cadre de procédures pénales. Journal officiel n° L 082 du 22 mars 2001,
en ligne : http://admi.net/eur/loi/leg_euro/fr_301F0220.html.
34 ■ CHAPITRE 2 – La notion de victime

2.2. Définitions victimologiques


Les définitions victimologiques ne se réfèrent pas uniquement à des critères légaux
(lois nationales et instruments internationaux). Elles sont plus extensives que les
définitions infractionnelles, portent sur des notions plus subjectives et sont centrées
davantage sur la personne que sur les faits subis.
Pour Benjamin Mendelsohn (1956), un des fondateurs de la victimologie, la victime
est « une personne se situant individuellement ou faisant partie d’une collectivité,
qui subirait les conséquences douloureuses déterminées par des facteurs de diverses
origines : physiques, psychologiques, économiques, politiques et sociales, mais aussi
naturelles (catastrophes)» (Cario, 2001). La définition adoptée par la première Société
française de victimologie retient des éléments similaires : « Une victime est un indi-
vidu qui reconnaît avoir été atteint dans son intégrité personnelle par un agent causal
externe ayant entraîné un dommage évident, identifié comme tel par la majorité du
corps social » (Fillizzola, Lopez, 1995).
Citons encore la définition de Jean Audet et Jean-François Katz (1999, p. 7) : « On
appelle victime toute personne qui subit un dommage dont l’existence est reconnue par
autrui et dont elle n’est pas toujours consciente. Chaque mot permet de caractériser
la notion :

• personne : il peut s’agir d’une personne physique ou morale ;


• subit : avec l’idée d’endurer, d’éprouver, de souffrir ;
• dommage : terme préféré à « préjudice » trop judiciaire, à « lésion » trop médical ou à
« tort » trop général ;
• reconnu : au sens d’identifié comme tel ;
• autrui : la reconnaissance par la victime n’est ni nécessaire ni suffisante, celle d’autrui
est primordiale ;
• pas toujours consciente : car l’idée que la personne devrait être consciente de son
dommage éliminerait bien des victimes. »

Cette définition introduit l’idée intéressante que certaines victimes ne sont pas en
mesure de reconnaître qu’elles ont subi un dommage du fait de leur état physique
(personnes plongées dans le coma, décédées) ou mental (handicapés mentaux, débiles
mentaux, autistes, etc.), de leur immaturité (jeunes enfants) ou de l’ignorance dans
laquelle elles sont tenues (victimes d’une erreur médicale dissimulée ou d’une opéra-
tion chirurgicale abusive, personnes victimes de pratiques culturelles nuisibles, par
exemple, de mutilations sexuelles considérées comme légitimes), etc.
Retenons encore la définition de Louis Crocq : « Toute personne qui, du fait de
l’action (intentionnelle ou non) d’une autre personne, ou d’un groupe de personnes,
ou du fait d’un événement non causé par une personne (catastrophe naturelle ou
accident sans auteur), a subi une atteinte à son intégrité physique ou mentale, ou à
ses droits fondamentaux, ou une perte matérielle, ou tout autre préjudice (scolaire,
Types de victimes et degré d’implication dans l’événement traumatisant ■ 35

professionnel, d’agrément, moral, etc.) » (Crocq, 2007). Bien qu’envisageant de


nombreux cas de figure, cette définition s’applique uniquement aux personnes
physiques. Or le mot victime peut désigner une entité morale, un organisme, une
entreprise ou une institution ayant subi des dommages. On dit ainsi du fisc qu’il est
victime de la fraude.
Pour conclure, nous suggérons la définition suivante qui nous semble prévoir tous
les cas de figure : « Doit être considérée comme victime toute personne qui a subi
une atteinte à son intégrité physique ou psychique ainsi que toute personne phy-
sique ou morale qui a subi un outrage à l’honneur ou à ses droits fondamentaux, une
perte de biens matériels ou tout autre préjudice sur le plan scolaire, professionnel,
privé, moral, etc. Ces dommages peuvent avoir été causés par un ou plusieurs actes
commis délibérément ou involontairement par une personne ou par une collecti-
vité, actes dont la personne physique ou morale peut ne pas avoir conscience ; ils
peuvent également résulter d’une catastrophe naturelle ou d’un accident sans tiers
en cause. »

3. Types de victimes et degré d’implication


dans l’événement traumatisant
Le degré d’implication de la victime dans l’événement traumatisant amène à distin-
guer victimes directes et indirectes23.

3.1. Les victimes directes ou primaires


Elles ont été directement exposées à un événement de nature traumatisante. Elles
ont expérimenté, ont provoqué ou ont été témoins d’un incident inopiné et violent qui
a blessé ou à menacé de blesser physiquement et/ou psychologiquement leur per-
sonne et/ou autrui et qui les a confrontées avec la mort comme réelle ou possible. On
distingue les blessés physiques et les impliqués directs (rescapés indemnes, témoins,
badauds et éventuellement, sauveteurs).
Les intimes d’une victime primaire (partenaire conjugal, parents et amis proches) ont
longtemps été considérés comme des victimes secondaires. Depuis la cinquième édition
du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM-5, publié en 2013,
ils sont comptés parmi les victimes primaires.

23. Voir également le chapitre « Les traumatismes directs et indirects ».


36 ■ CHAPITRE 2 – La notion de victime

3.2. Les victimes indirectes ou victimes par ricochet 24


Elles n’ont pas vécu ni été témoins de l’événement, mais sont concernées par lui
et/ou par ses conséquences du fait de sa proximité émotionnelle avec les victimes
directes. Pour une victime directe, il existe de nombreuses victimes indirectes. On
distingue les victimes secondaires, tertiaires et quaternaires.
• Les victimes secondaires se comptent parmi les proches (famille, amis) et
les professionnels de première ligne (services de secours, personnel médical,
intervenants psychosociaux, etc.) en contact direct avec les victimes en situa-
tion de crise. On les appelle également les impliqués indirects.
• Les victimes tertiaires sont l’entourage (famille élargie, voisins, collè-
gues, etc.) et les professionnels de deuxième ligne (enquêteurs, avocats, pro-
fessionnels de la santé mentale, etc.) en relation avec les victimes directes et
leurs proches en détresse.
• Les victimes quaternaires sont les membres d’un groupe, d’une nation,
voire la population mondiale, affectés ou perturbés par un événement
majeur touchant un individu ou un ensemble d’individus appartenant à la
même communauté (ethnique, religieuse, professionnelle, d’âge, d’orientation
sexuelle, de genre, de catégorie sociale, etc.).

Résumé
1 Dans les civilisations anciennes, le terme « victime » avait une forte connotation sacrifi-
cielle. À partir du XVIIe siècle, il s’additionne à de nouvelles définitions et prend peu à peu son
sens actuel. Au XXe siècle, le mot se généralise, attestant de la visibilité sociale du concept.
2 D’un point de vue juridique, les personnes sont reconnues victimes lorsqu’elles ont subi un
délit ou un crime relevant du droit pénal. Les définitions victimologiques tiennent compte
également des victimes d’accidents, d’accidents sans auteur et de catastrophes naturelles.
3 Le degré d’implication de la victime dans l’événement traumatisant amène à distinguer
victimes directes et indirectes. La victime directe ou primaire a été directement expo-
sée à un événement de nature traumatisante (expérience sensorielle et émotionnelle)
comme sujet, acteur ou témoin. La victime indirecte est concernée par lui et/ou par ses
conséquences du fait de sa proximité émotionnelle avec les victimes directes.

? Vérifiez vos connaissances


1 Qu’entend-on par victime primaire ?
2 On distingue différents types de victimes secondaires. Lesquels ?

24. Le terme « victime par ricochet » est utilisé en justice.


CHAPITRE 3

L’événement
3

potentiellement
traumatisant
« Au-dehors, le monde rugit ou s’endort, les guerres s’embrasent,
les hommes vivent et meurent, des nations périssent, d’autres surgissent
qui seront bientôt englouties et, dans tout ce bruit et toute cette fureur,
dans ces éruptions et ces ressacs, tandis que le monde va, s’enflamme,
se déchire, renaît, s’agite la vie humaine. »
Muriel Barbery, L’élégance du hérisson (2006)

SOMMAIRE

1. Le traumatisme psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2. Les événements traumatogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
3. Les paramètres des événements traumatisants . . . . . . . . . . . . . . . . 43
38 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant

1. Le traumatisme psychique
Le mot « traumatisme » vient du grec « trauma », τραυμα, blessure. En médecine,
il définit la « transmission d’un choc mécanique exercé par un agent physique exté-
rieur sur une partie du corps et y provoquant une blessure ou une contusion » (Crocq,
2007). Transposé à la psychopathologie, il devient traumatisme psychologique ou
trauma, soit « la transmission d’un choc psychique exercé par un agent psychologique
extérieur sur le psychisme, y provoquant des perturbations psychopathologiques
transitoires ou définitives » (Crocq, 2007).
Le traumatisme est donc un choc psychologique important, généralement lié à une
situation où une personne a été confrontée à la mort ou à la menace de mort, à des
blessures graves ou au péril de tels dommages, à des violences sexuelles ou au risque
de telles agressions.
En 1917, dans Introduction à la psychanalyse, Sigmund Freud précise que le trauma
provoque dans l’appareil psychique un afflux d’excitation impossible à assimiler et à
liquider : « Et même, le terme traumatique n’a pas d’autre sens qu’un sens économique.
Nous appelons ainsi un événement vécu qui, en l’espace de peu de temps, apporte dans
la vie psychique un tel surcroît d’excitation que sa suppression ou son assimilation
par les voies normales devient une tâche impossible, ce qui a pour effet des troubles
durables dans l’utilisation de l’énergie » (Freud, 1917). En 1920, dans son ouvrage
Au-delà du principe de plaisir, il définit le traumatisme comme « toutes excitations
externes assez fortes pour faire effraction dans la vie psychique du sujet » (Freud,
1920). En 2007, Louis Crocq confirme que le trauma est « un phénomène d’effraction
du psychisme, et le débordement de ses défenses par les excitations violentes affé-
rentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou l’intégrité
(physique ou psychique) d’un individu, qui y est exposé comme victime, témoin ou
acteur » (Crocq, 2007).
Les médecins psychiatres militaires français Claude Barrois, Louis Crocq et François
Lebigot ont développé un modèle phénoménologique du traumatisme. Pour Claude
Barrois, le moment inaugural du trauma est un « accident vécu comme brutal et sou-
dain », une « catastrophe intime, singulière » qui conduit la victime dans le tragique.
Le « facteur traumatisant s’avère toujours une apocalypse », un « dévoilement », une
« révélation » : celle du Réel ; la scène traumatisante est une rencontre avec le « réel
de la mort ». « Le sujet assiste à l’épiphanie », il « entend l’oracle de son destin », « la
mort de soi comme vérité ultime », ce qui le saisit d’« l’effroi ». « L’affect d’effroi, avec
l’attaque et le dévoilement, la révélation, sont l’annonce faite au sujet qu’il n’est finale-
ment rien ». Barrois insiste également sur la perte de sens éprouvée par les victimes :
« le traumatisme psychique est un effondrement de l’illusion de sens et de significa-
tions autrefois échangées, stabilisées, dont l’immense treillis se prêtait généralement à
tous » (Barrois, 1998).
Selon Louis Crocq, l’événement traumatisant est « porteur de sens et vécu comme
une rupture et un enjeu : rupture par rapport à la continuité du passé, enjeu comme
annonce de changements potentiels importants » (Crocq, 1999). Plus encore, il est
une expérience de non-sens, car, précise-t-il : « le sujet entrevoit, sans y être préparé
Les événements traumatogènes ■ 39

et sans pouvoir discerner plus nettement, non pas tellement sa mort (ou la mort de
l’autre), mais sa disparition et son effacement de la vie, c’est-à-dire le retour au néant
mystérieux et redouté, ce néant dont il a toujours eu la certitude sans jamais pouvoir
acquérir la connaissance et sur la négation passionnée de quoi il a sans cesse fondé
sa foi dans la vie : le néant, envers de la vie et des valeurs, non-sens ». Crocq sou-
ligne également le bouleversement de la temporalité du sujet, marquée du sceau de
l’omniprésence du trauma horrifiant. Il rejoint ainsi Pierre Janet pour qui l’individu
traumatisé reste accroché à un obstacle qu’il ne parvient pas à franchir. À l’origine
de cet accrochage, Janet incrimine une carence de la réponse par le langage, et sur-
tout par le langage intérieur qui eut maîtrisé ou réduit, en l’objectivant par des mots,
une situation omniprésente, envahissante et imprécise. Il illustre cette considération
par la parabole de la sentinelle. « Une sentinelle placée en dehors du camp surveille
l’arrivée de l’ennemi : quand cet ennemi survient, elle doit d’abord faire des actes par-
ticuliers en rapport avec l’arrivée de l’ennemi, se défendre ou se cacher, se coucher
par terre, ramper pour échapper à l’attention et rentrer au camp. […] Mais en même
temps qu’elle fait ces actes d’adaptation personnelle, la sentinelle doit faire une autre
réaction tout à fait nouvelle qui caractérise la mémoire, elle doit préparer un discours,
elle doit suivant certaines règles traduire l’événement en paroles afin de pouvoir tout
à l’heure le raconter devant le chef. » Pour Janet, la mémoire est une action, « elle
consiste essentiellement dans l’acte de raconter », aussi conclut-il : « Une situation
n’est bien liquidée, bien assimilée que lorsque nous avons réagi non seulement exté-
rieurement par nos mouvements, mais encore intérieurement par les paroles que nous
nous adressons à nous-mêmes, par l’organisation du récit de l’événement aux autres et
à nous-mêmes et par la mise en place de ce récit comme un chapitre de notre propre
histoire » (Janet, 1919).
Comme pour Barrois, pour François Lebigot, « le traumatisme psychique résulte
d’une rencontre avec le “réel” de la mort. Cela veut dire que le sujet s’est vu mort
ou il a perçu ce qu’est vraiment la mort comme anéantissement, et non sous cette
forme imaginaire qui caractérise le rapport des hommes à la mort. Freud faisait
remarquer que nous savons tous que nous allons mourir, mais que nous n’y croyons
pas. Il n’y a pas de représentation de la mort dans l’inconscient, et d’ailleurs com-
ment représenter le néant » (Lebigot, 2006 ; voir aussi De Clercq, Lebigot, 2001 ;
Lebigot, 2005).

2. Les événements traumatogènes


La personne peut avoir été sujet, témoin ou acteur de l’événement traumatisant.
Elle peut encore être concernée par lui et/ou par ses conséquences du fait de sa
proximité émotionnelle avec la victime directe (famille et amis proches) ou avoir été
confrontée de manière extrême ou répétée à des détails sordides concernant des faits
traumatisants (par exemple, en raison de ses activités professionnelles).
40 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant

La dernière version du DSM, le DSM-5, publiée en mai 2013, stipule que le sujet a
été exposé à la mort ou à la menace de mort, aux blessures graves ou à la menace
de telles blessures, à la violence sexuelle ou la menace d’une telle violence, de l’une
(ou de plusieurs) des façons suivantes :
1 Avoir été directement exposé à un ou des événements traumatiques
2 Avoir été témoin, en personne, de l’événement ou des événements survenu(s) à
d’autre(s)
3 Avoir appris qu’un ou des événements traumatiques sont survenus à un membre proche
de la famille ou à un ami proche
4 Avoir été exposé de façon répétée ou extrême aux détails aversifs du ou des
événements traumatiques (par ex., premiers intervenants collectant les restes de corps
humains ; policiers exposés de façon répétée à des détails de maltraitance des enfants)
(APA, 2013).

L’événement traumatique constitue donc une menace pour la vie (mort réelle ou pos-
sible) ou pour l’intégrité physique (lésions corporelles, violation de l’intimité) et/ou men-
tale (perte de biens personnels, outrage à l’honneur ou aux droits fondamentaux, etc.)
d’une personne ou d’un groupe de personnes.
Cet événement produit une peur intense et/ou un sentiment d’impuissance et/ou
d’horreur et/ou de honte et remet en cause les valeurs essentielles de l’existence que
sont la sécurité, le respect de la vie, la paix, la morale, la solidarité, etc. Notons cepen-
dant que, parfois, les victimes n’ont rien ressenti de tel. Il n’en reste pas moins que
certaines souffriront à long terme, de façon plus ou moins intense, de symptômes trau-
matiques invalidant leur quotidien et leur développement personnel. Ainsi, certaines
personnes réagissent avec sang-froid et adéquation durant la crise (par exemple, dans
le décours d’un hold-up, d’un incendie, d’un accident de la route, d’un viol, etc.), sans
éprouver ni effroi, ni impuissance, ni honte. Elles sont dissociées de leurs émotions1
au moment de l’événement, mais risquent cependant de manifester ultérieurement un
syndrome psychotraumatique.
Quoique certains événements dépassent la capacité de gestion de la majorité des indivi-
dus, ils peuvent néanmoins s’avérer traumatisants pour une personne et pas pour une
autre ou être traumatisants pour un individu aujourd’hui et ne pas l’être demain. Pour
cette raison, la dénomination « événement potentiellement traumatisant » devrait

1. Il existe deux grands types de dissociation : la dissociation émotionnelle et la dissociation de la


réalité extérieure. La dissociation émotionnelle touche principalement l’univers émotionnel interne.
Les personnes agissent et réagissent rationnellement, leurs capacités réactives par rapport au monde
extérieur restant intactes. La dissociation de la réalité extérieure provoque un retrait par rapport à
l’environnement. Cette rupture avec la réalité peut aller jusqu’à la perte complète de la conscience des
stimuli externes. La personne perd ainsi ses capacités et/ou ses possibilités d’action ou de réaction.
Voir également le chapitre « Les réactions de stress dépassé ».
Les événements traumatogènes ■ 41

être préférée à « événement traumatique » tant que l’impact traumatique n’a pas été
constaté sur le ou les individus concernés.

2.1. Un événement majeur et massif


Selon cette définition, la situation traumatogène se constitue massivement et
brusquement. Elle est hors du commun, exceptionnelle et grave et elle happe les indi-
vidus dans un tourbillon de violence. Répondent à cette conception de l’événement
traumatisant :

2.1.1. Les actes intentionnels


Les agressions physiques, les viols, les abus sexuels, les vols et cambriolages avec
violence, les car2 et home-jacking3 avec menaces et/ou violence physique, les tiger-
kidnapping4, les hold-up, les « Fort Chabrol »5, les prises d’otage, les kidnappings,
les affrontements entre bandes rivales (gangs, supporters de football, etc.), la torture,
les actes terroristes, les guerres, les génocides, etc.

2.1.2. Les événements accidentels


Les accidents routiers, ferroviaires, aériens, fluviaux et maritimes, les incendies,
les accidents de travail, les accidents domestiques, de loisirs et de sport, les explo-
sions (gaz, pétrochimie, etc.), les accidents industriels, technologiques et nucléaires, les
mouvements de foule meurtriers (lors de concerts, rassemblements sportifs, pèleri-
nages, etc.6), les feux de forêt, etc.

2. Un car-jacking est un vol de véhicule avec menace et/ou usage de violence à l’égard du conducteur.
3. Un home-jacking est un vol de véhicule, souvent violent, commis après s’être emparé des clés dans
une habitation.
4. Le tiger-kidnapping, terme emprunté de l’anglais, est un hold-up précédé d’une prise d’otage, sou-
vent violente, du gérant d’une agence bancaire, d’un bijoutier ou d’un autre commerce ainsi que de
ses proches, conjoint et enfants, dans le but de le forcer à ouvrir le coffre-fort de sa société. Ce terme
s’inspire de la façon dont le tigre observe sa proie avant de l’attaquer, car ce type de kidnapping néces-
site que les auteurs se livrent à des repérages préalables.
5. En France, fin de l’été 1899, le président du Conseil Waldeck-Rousseau, craignant une émeute à
l’occasion de la révision du procès d’Alfred Dreyfus, engage des poursuites contre les dirigeants des
ligues nationalistes. Jules Guérin, le président de la Ligue antisémite, refuse d’obtempérer au man-
dat d’amener lancé contre lui et se barricade avec une quinzaine de ses collaborateurs au « Grand
Occident de France » au 51, rue de Chabrol à Paris. Les insurgés se rendent après 38 jours de résis-
tance. Depuis cet événement, l’expression « un Fort Chabrol » désigne une situation où un individu
armé se retranche, parfois avec otages, dans un immeuble cerné par les forces de l’ordre.
6. Par exemple, des mouvements de panique collectifs meurtriers se produisent parfois au cours des
grands rassemblements populaires tels que les techno-parades et les festivals de musique ; les stades
de football sont fréquemment le théâtre de mouvements de foule fatals (par exemple, suite à l’effon-
drement d’une tribune); l’affluence massive de fidèles au pèlerinage de La Mecque provoque chaque
année des bousculades mortelles, etc.
42 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant

2.1.3. Les catastrophes naturelles


Les séismes, les tsunamis, les éruptions volcaniques, les inondations, les coulées de
boue, les glissements de terrain, la foudre, les typhons, les tornades, les cyclones, les
avalanches, les sécheresses, les épidémies mortelles, etc.

2.2. L’accumulation d’événements


d’importances diverses
Force est de constater que, dans certains cas, la situation à l’origine de la souf-
france traumatique n’est pas un événement massif, mais un épisode mineur. Cet
incident fait passer la personne au-delà de son seuil de tolérance, car il s’additionne
à une charge progressivement accumulée de facteurs stressants, parfois mineurs,
prévisibles et répétitifs, ou à une série d’événements difficiles au niveau professionnel
et/ou privé. Sigmund Freud et Joseph Breuer affirmaient déjà en 1893 qu’une série
d’événements, dont chacun à lui seul n’agirait pas comme traumatisme, peuvent addi-
tionner leurs effets.
En Croatie, un réfugié bosniaque déclenche un syndrome psychotraumatique après
avoir été témoin d’une rixe opposant ses compagnons.
Dans le cadre de ses activités d’éducateur de rue, un homme a été victime de trois
agressions graves, dont une tentative de meurtre, mais c’est à la suite d’un cambrio-
lage perpétré à son domicile durant son absence qu’il développera une souffrance
traumatique.

2.3. Le rappel d’un événement ancien


aux potentialités traumatogènes
Un stress important ou une situation rappelant directement ou symboliquement
un incident ancien est susceptible d’activer la charge traumatique d’un événement
qui malgré ses potentialités traumatogènes n’avait pas produit de symptomatologie
évidente au moment de son occurrence. Généralement, cet événement déclencheur
n’active qu’un syndrome psychotraumatique pauci-symptomatique7 peu perturbant
permettant aux victimes de vivre normalement.
Un homme développe un syndrome psychotraumatique suite au vol à l’arraché de
son attaché-case. Quelques années auparavant, il avait été violemment agressé à
son domicile par des voleurs qui l’ont battu, ligoté et bâillonné durant de longues
heures. À l’époque de l’agression, selon ses dires, il n’avait présenté aucun symp-
tôme post-traumatique.

7. Présentant peu de symptômes.


Les paramètres des événements traumatisants ■ 43

Une jeune femme violée durant son enfance manifeste une souffrance traumatique
au moment même où elle s’engage dans une relation sentimentale. Les relations
sexuelles ont ravivé un événement dont elle pensait ne pas avoir conservé de traces
pathologiques.
En Haïti, l’évacuation préventive d’une personne dans le cadre d’un risque d’oura-
gan réactive un événement qu’elle a vécu quelques années auparavant, un glisse-
ment de terrain qui a failli lui coûter la vie.
Une femme a fui les massacres perpétrés en Côte d’Ivoire et s’est réfugiée en Guinée.
Elle est installée depuis près de trois ans dans un camp de transit. Elle ne présente
pas de plaintes particulières jusqu’à ce que fuse la rumeur que les réfugiés vont être
déplacés dans un camp dit « durable » (baraquements offrant davantage de confort
et de commodité). Concomitamment à l’avènement des symptômes traumatiques
(état d’alerte, souvenirs intrusifs répétitifs et envahissants des tueries en Côte
d’Ivoire, cauchemars, vécu « comme si » les événements allaient se reproduire, etc.),
elle commence à pleurer le décès de son fils plus d’un an après sa disparition. Elle
dira : « Je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme si ça sortait de mon cœur. J’ai vécu
beaucoup de choses. On a déjà dit qu’on allait nous mettre ailleurs, mais j’étais forte.
Maintenant, le chagrin sort de mon cœur. »

3. Les paramètres des événements


traumatisants
Les paramètres des événements traumatisants sont variés et multiples : ils peuvent
être d’origine naturelle ou humaine, intentionnels ou accidentels, individuels ou
collectifs.

3.1. Les événements traumatisants d’origine naturelle


et humaine
L’événement traumatisant peut être d’origine naturelle ou humaine.

3.1.1. Les événements traumatisants d’origine naturelle


Les catastrophes naturelles se répartissent en trois catégories :

Les catastrophes climatiques


Les ouragans, la foudre, les inondations, la sécheresse, les avalanches, etc.

Les catastrophes géologiques


Les raz-de-marée ou tsunamis, les coulées de boue, les glissements de terrain, les
séismes, les éruptions volcaniques, etc.
44 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant

Ruwan habitait à Hambantota, sur la côte, dans le sud du Sri Lanka. C’est un pal-
mier qui lui a sauvé la vie lorsque le tsunami a frappé la côte le 26 décembre 2004.
Emporté par les flots, sa déroute a croisé les branches de l’arbre salvateur.
Il s’y est accroché. Quand la vague meurtrière s’est retirée, il était au sommet, à
plusieurs mètres du sol !
Sinabang est la capitale de la petite île de Simeulue située au large de Sumatra
(Indonésie). Elle a été relativement épargnée par le tsunami, mais littéralement
anéantie trois mois plus tard [28 mars 2005], dans l’indifférence des médias, par un
tremblement de terre de magnitude 8,7 sur l’échelle de Richter. Mariati et Muliadin
habitaient une petite maison près de la mer. Au rez-de-chaussée, Mariati tenait un
petit restaurant. En décembre, le tsunami a emporté leur nid et leur gagne-pain. Ils
sont restés plusieurs jours avant de disposer de quoi construire une tente de fortune
en bâche plastique. La vie a continué. Chaque matin, Muliadin quittait le sommaire
abri pour se rendre au garage où il travaillait. Mais en mars, la terre a tremblé
détruisant son entreprise. Mariati et Muliadin ont tout perdu : leur logement, leur
moyen de subsistance, leurs objets personnels, leurs vêtements, leurs photos de
famille, etc. Lorsque je les rencontre trois mois après le tsunami et quelques jours
après le séisme, ils attendent que les autorités s’occupent de leur sort. Et ils ignorent
de quoi l’avenir sera fait.
En Haïti, après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, le cadavre de la fille de
Johanne est retrouvé lors du déblaiement des décombres de sa maison. Johanne a
été appelée à reconnaître le corps alors qu’il était déjà dans la pelleteuse prêt à être
versé dans le camion en partance pour la fosse commune.

Les catastrophes biologiques


Les pandémies8 telles le SIDA et les épidémies9 mortelles dont le choléra, la shi-
gellose10, la fièvre typhoïde, les fièvres hémorragiques (Marburg, Ebola, Lassa, fièvre
jaune, etc.), la rougeole, le SARS11, etc.
Monsieur N’Guyen est contaminé par le SARS en mars 2003. Lorsque je le
rencontre pour la première fois à l’hôpital de Bach Mai à Hanoï (Vietnam), il est
aux soins intensifs sous respirateur artificiel. Son état va progressivement s’amé-
liorer. Il m’exprimera son chagrin suite au décès de son oncle et de deux amis
intimes, tous trois décédés du SARS. Il me parlera de son sentiment de culpabilité
d’être bien involontairement à l’origine de l’infection qui frappe son épouse et
sa cousine. Il dira aussi sa souffrance de plonger ses proches dans l’inquiétude.
Il me fera part de ses peurs et de ses angoisses : peur de mourir, peur que sa

8. Une pandémie est une épidémie qui s’étend à la quasi-totalité d’une population d’un ou de plusieurs
continents, voire dans certains cas de la planète entière.
9. Une épidémie est le développement ou la propagation rapide d’une maladie infectieuse aux effets
significatifs, le plus souvent par contagion, touchant simultanément un grand nombre de personnes.
10. Dysenterie bacillaire.
11. SARS est l’acronyme de Severe Acute Respiratory Syndrome. Cette pneumonie atypique, appa-
rue pour la première fois en Chine en novembre 2002, a provoqué une épidémie en mai 2003.
Les paramètres des événements traumatisants ■ 45

cousine dont l’état est critique ne succombe au virus, peur d’infecter des malades
souffrant d’une affection autre que le SARS, peur de surinfecter ses compagnons
d’infortune atteints comme lui de pneumopathie atypique, peur de réinfecter
des patients guéris lors de leurs visites de contrôle, peur de voir sa famille reje-
tée par les voisins par crainte du risque de contamination, etc. Il racontera aussi
l’ennui des longues journées, forcé à l’inactivité dans un environnement pauvre
en distraction.
Nkanku était une jeune fille de 13 ans. Elle est décédée le premier janvier 2009 au
Kasaï occidental (République démocratique du Congo) des suites d’Ebola. Elle était
membre d’une secte religieuse, l’Église des Apôtres élus. Lorsqu’elle est tombée
malade, sa famille l’a soupçonnée d’être sorcière. La sorcellerie lui aurait été « don-
née » par sa grand-mère. Sa grand-mère, qui s’est occupée d’elle jusqu’à son dernier
souffle, au risque de sa propre vie (risque de contamination), fut rejetée par toute sa
communauté. Handicapée par son grand âge et ne bénéficiant plus de l’aide pratique
nécessaire pour assurer sa subsistance, elle a rapidement commencé à souffrir de
la faim.

Impuissant et frappé de terreur devant les catastrophes naturelles, l’homme y voit


souvent la colère et le châtiment des dieux.

3.1.2. Les événements traumatisants d’origine humaine


Lorsqu’il est d’origine humaine, l’événement peut être accidentel ou provoqué
intentionnellement :

Les événements accidentels


Les accidents domestiques, les explosions accidentelles, les accidents de loisirs
et de sport, les incendies, les accidents de travail, les erreurs médicales, les accidents
routiers, ferroviaires et aériens, les accidents technologiques, industriels et nucléaires,
les éboulements mortels provoqués en fouillant les décombres à la recherche de survi-
vants, les « dégâts collatéraux » des bagarres et des guerres12, etc.
L’accident peut être provoqué par :
• le sujet lui-même : les chutes, les brûlures, etc.
• une tierce personne : les accidents routiers, les erreurs humaines (médicales,
technologiques, etc.), les balles perdues, etc.
Nous le verrons, l’accident peut être une catastrophe microsociale (événement indivi-
duel) ou macro-sociale (événement collectif).
• Les accidents
René et son fils Jean sont dans leur voiture, garée sur le parking d’une grande sur-
face, lorsqu’une fusillade éclate. René est tué sur le coup et Jean, gravement blessé.

12. Outre les euphémiques « dégâts collatéraux » regrettables des guerres menées par les Américains,
il est déjà arrivé qu’une des parties en conflit attaque accidentellement ses propres troupes !
46 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant

Alors qu’il a bu plus que de raison, Albert entre en collision avec une voiture dans
laquelle les trois occupants sont tués.
Philippe est tombé d’une échelle alors qu’il réparait la corniche de sa maison. Sa
chute a causé des blessures graves nécessitant plusieurs semaines d’hospitalisation.

• Les erreurs médicales


Anne est infirmière. Par mégarde, elle a injecté une chimiothérapie au lieu d’un
anesthésique dans le liquide céphalo-rachidien d’une jeune patiente entraînant son
décès deux semaines plus tard.

Les événements provoqués intentionnellement


Les maltraitances (privations de nourriture, de boisson, de sommeil, de stimula-
tions sensorielles13, de motilité14 et/ou de contacts sociaux15, hyperstimulation senso-
rielle16, positions non physiologiques17, menaces de mort, etc.), les agressions physiques
et les tortures (coups de pied et de poing, à l’aide d’armes ou d’objets, mutilations18, suf-
focations19, brûlures20, décharges électriques, ingestion forcée de substances impropres
à la consommation21, violences sexuelles22, etc.), les vols et hold-up violents, les « Fort
Chabrol » et les prises d’otage, les massacres perpétrés par des amoks23, les attentats
terroristes, les génocides, les guerres, les déportations, etc.
Lorsque l’événement traumatisant est intentionnel, il peut être commis par :

13. Bandeau oculaire, détention en chambre sourde ou dans une pièce plongée dans l’obscurité, etc.
14. Station debout prolongée sans pouvoir bouger, contention douloureuse par des liens serrés, etc.
15. Isolement total prolongé.
16. Confrontation à des bruits violents ou à une lumière aveuglante, lumière intense de jour comme
de nuit, etc.
17. Garder les bras levés ou liés dans le dos, rester durant de longues heures sans bouger assis,
accroupi, debout, en appui sur un pied, sur la pointe des pieds, etc.
18. Arrachage des ongles, fracture des dents, etc.
19. Suffocation par submersion dans des liquides naturels (eau, urine, selles, sang) ou chimiques
(essence, huile mécanique, produits d’entretien, etc.), par intromission de chiffons dans les orifices
buccaux et nasaux, par introduction de la tête dans un sac en plastique, etc.
20. Provoquées par des cigarettes, des produits acides, des liquides portés à ébullition (par exemple,
huile), des métaux chauffés à blanc, etc.
21. Substances expulsées du corps (urine, selles, vomissure) ou produits chimiques (essence, huile
mécanique, produits d’entretien, etc.).
22. Viol, inceste, grossesses forcées, mutilations sexuelles, etc.
23. Amok en malais « amuk », « mengamuk » en indonésien et « ngmaguk » en javanais signifient
« folie furieuse ». Autrefois rencontré dans les populations austronésiennes, l’amok désigne l’état
de rage destructrice et de folie meurtrière s’emparant subitement d’un homme sans antécédents de
violence. Dans une course frénétique, le coureur d’amok revêtu d’une tenue rituelle tue toutes les per-
sonnes qu’il croise jusqu’à ce qu’il soit lui-même tué. Ce phénomène s’est raréfié avec la colonisation
hollandaise. (Ehrenberg A., Lovell A. (2000). La maladie mentale en mutation. Psychiatrie et société.
Paris : Odile Jacob ; Leman J., Gailly A. [1991]. Thérapies interculturelles. L’interaction soignant-soigné
dans un contexte multiculturel et interdisciplinaire. Bruxelles : De Boeck). Par extension, l’amok décrit
Les paramètres des événements traumatisants ■ 47

• un membre de la famille : un conjoint (violence conjugale), un parent (maltrai-


tance des aînés dans le cas de violence intrafamiliale), etc.
• une connaissance : un voisin (par exemple, dans les disputes de voisinage, les
génocides, etc.), un responsable politique (par exemple, dans les guerres
civiles, les génocides, etc.), un médecin (dans les erreurs médicales), un repré-
sentant religieux (par exemple, dans les abus sexuels commis par le gourou
d’une secte sur des membres de sa communauté, etc.), etc.
• un étranger (par exemple, dans les vols de toutes sortes, les viols, les guerres,
les attaques terroristes, les fusillades, etc.).
• Les agressions
Après moult altercations de voisinage, Anita est agressée violemment par son voi-
sin alors qu’elle promène son chien. Robert, son mari, se porte au secours de son
épouse alors que l’agresseur tente de l’étrangler après l’avoir gravement blessée.
La bagarre tourne au drame, Robert tue son voisin.
Marianne travaille comme vendeuse dans un magasin. Des voleurs l’agressent et
la somment de révéler le code secret du coffre-fort. Elle l’ignore. Furieux, ils la
frappent jusqu’à ce qu’elle perde connaissance, le crâne fracturé.

• Les attentats terroristes


Charline, hôtesse au sol à l’aéroport de Zaventem, enregistre les bagages des passa-
gers lorsque deux bombes explosent successivement.
Thérèse emprunte le métro bruxellois pour se rendre à l’université lorsque le wagon
explose. Dans le noir complet, elle allume la lampe de poche de son téléphone por-
table et voit les corps déchiquetés.

• Les « Forts Chabrol »


En Belgique, en septembre 2009, une femme est victime d’un « Fort Chabrol ». Son mari,
désespéré par la procédure de divorce en cours, la séquestre et la menace d’une arme à feu
durant plusieurs heures. Le bâtiment est cerné par les forces de police et le forcené finit
par se rendre.
• Les massacres d’amoks
Le 20 avril 1999, à Littleton au Colorado, États-Unis, Eric Harris et Dylan Klebold
pénètrent armés dans le lycée de Columbine. Ils abattent 12 élèves et un professeur
et blessent 24 autres personnes puis se suicident dans la bibliothèque.
Le 22 juillet 2011, sur l’île d’Utøya près d’Oslo en Norvège, Anders Behring Breivik
fusille 69 personnes.
Le 13 décembre 2011, sur la place Saint-Lambert de Liège en Belgique, Nordine
Amrani tue 5 personnes et en blesse 123.

aujourd’hui l’attaque meurtrière, programmée, préparée et préméditée d’un forcené, généralement


clôturée par son suicide planifié.
48 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant

• Les guerres
« Il a tué mon mari puis il m’a violée et il m’a pris en mariage par force. Il m’a emme-
née avec lui et j’ai vécu 4 mois avec les interhamwes24. Et tous les jours, il racontait
comment il avait tué des gens tout le jour et comme il était fier d’avoir tué ma famille.
Je voulais devenir folle » raconte une rescapée du génocide rwandais de 1994.
Marie, une Burundaise Tutsi, est veuve. Son mari a été tué en République démocra-
tique du Congo alors qu’il s’y rendait pour faire du commerce. Elle n’a pu voir sa
dépouille ni assister aux funérailles. Ensuite, elle a été maltraitée par sa belle-famille
ainsi que par son frère. Quelques mois plus tard, Marie est violée alors qu’elle
se rendait au champ. Depuis, elle est séropositive. Son enfant de 10 ans, Innocent,
a récemment été touché par une grenade : il a perdu des doigts et des orteils et un
éclat dans la tête a provoqué un traumatisme crânien.
En 1992, durant la guerre en Yougoslavie, un ex-prisonnier bosniaque du camp de
concentration serbe de Keraterm en Krajina, dans le nord de la Bosnie, témoigne :
« Un jour, nous avons dû rester sous le soleil tapant de cet été. Et cet été, il a fait
particulièrement chaud. On a donc dû rester sous le soleil, les bras levés, les mains
derrière la tête. Quand un de nous lâchait, il était abattu. »

3.2. Traumatismes individuels et collectifs


Les situations traumatiques peuvent être vécues de manière collective ou
individuelle.

3.2.1. Les traumatismes individuels


Les traumatismes individuels recouvrent différentes réalités. En voici quelques
exemples :

Les accidents
Les accidents domestiques (chutes, brûlures thermiques et chimiques, intoxi-
cations médicamenteuses et chimiques, coupures, noyades en piscine, suffocations
et asphyxies, électrocutions, etc.), les explosions domestiques (gaz, appareils ména-
gers, etc.), les accidents de loisirs et de sport (manipulation maladroite d’outil de brico-
lage ou de jardinage, chutes de cheval, de vélo, de ski, etc.), les incendies domestiques,
les accidents de travail, les erreurs médicales, les accidents routiers, etc.

Les actes intentionnels


Les vols, les agressions physiques (coups et blessures, strangulations, brûlures
volontaires, etc.) et sexuelles (viols, abus sexuels, prostitution forcée, torture des
organes génitaux, etc.), les incendies de forêt criminels, etc.

24. Nom donné aux Hutus intégristes prônant l’extermination des Tutsis.
Les paramètres des événements traumatisants ■ 49

Les agressions psychologiques


Les agressions psychologiques nuisant à la santé mentale et affective : les menaces
diverses concernant l’agresseur lui-même (chantage au suicide), la victime (menace de
meurtre en cas de séparation, menace de coups en cas d’insoumission dans le cadre
de violences conjugales, menace de renvoi d’un travail dans le cadre d’un harcèle-
ment, etc.) et/ou ses proches (menace de kidnapping des enfants en cas de séparation,
menace de violence sur les enfants, etc.), etc.

Les agressions tant physiques que psychologiques


La torture, les abus sexuels, le harcèlement sexuel, l’embrigadement religieux et
spirituel sectaire, etc.

Les catastrophes naturelles


La foudre, les inondations, les coulées de boue, etc.
Outre les conséquences pour le sujet lui-même, le drame qui le touche peut avoir
des répercussions directes sur le bien-être de sa famille, voire de sa communauté25.
L’exemple le plus frappant est celui du viol. En effet, les agressions sexuelles génèrent
des sentiments d’humiliation, de honte, de peur et de colère non seulement chez la vic-
time, mais également chez ses proches. Dans de nombreux pays, les infortunées et leur
famille sont stigmatisées socialement et rencontrent des difficultés dans les relations
qu’elles entretiennent avec les membres du groupe communautaire dans son ensemble.
Les événements traumatiques peuvent ne concerner que la victime et son entourage
ou se produire dans une situation de malheur collectif en temps de paix (par exemple,
être victime de viol dans un pays secoué par un tremblement de terre) ou dans des
contextes de violence généralisée (par exemple, être victime de viol ou être torturé
dans une situation de guerre).

3.2.2. Les traumatismes collectifs


Parmi les situations de drame collectif, citons :

Les accidents
Les incendies (grandes surfaces commerciales, bâtiments professionnels, stades
sportifs, etc.), les explosions accidentelles (gaz de ville, pétrochimie), les accidents
technologiques, industriels et nucléaires, les carambolages, les accidents ferroviaires
et aériens, etc.
Nicolas nous retrace l’explosion qui a ravagé une partie de l’usine où il travaillait :
« Il y a eu un bruit sourd et j’ai senti un souffle chaud. Ça a brûlé une partie de
mon visage, de ma barbe et de mes cheveux, mais sur le moment, je ne m’en suis
pas rendu compte. C’est bien après que j’ai eu mal. Au moment même, je n’ai rien
senti. Et d’ailleurs, il m’a fallu pas mal de temps pour réaliser. Quand le journaliste

25. Voir infra, les victimes secondaires.


50 ■ CHAPITRE 3 – L’événement potentiellement traumatisant

m’a interviewé, je ne sentais encore rien. Mon fils a vu les images à la télé et ça l’a
beaucoup choqué. C’est par le journal télévisé qu’il a appris… Il m’a téléphoné sur
mon portable. Il était très inquiet pour moi, mais franchement, je me demandais
pourquoi. J’étais en vie, j’allais bien. Évidemment, je n’avais pas encore vu mon
visage, je ne réalisais pas. Ce que je savais à ce moment-là, c’est que d’autres avaient
eu moins de chance que moi… Donc, j’ai senti ce souffle chaud agréable et j’ai été
projeté violemment sur la cloison. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Il y avait
de la fumée et de la poussière partout. Il y a avait des flammes… Il m’a fallu un petit
temps pour réaliser qu’il y avait eu une explosion. J’ai un peu repris mes esprits
et j’ai essayé de me repérer, j’ai essayé de voir où j’étais par rapport aux dégâts. Je
ne savais pas non plus où étaient les autres… J’entendais des cris, mais je ne voyais
rien… Vous savez, c’est un peu comme dans les films… On sent qu’il y a de l’agitation
et de la panique, mais on ne voit rien et on est comme un peu sonné. On sait que c’est
grave, mais on ne sait pas ce qui se passe exactement… La vitre avait éclaté. J’étais
persuadé que j’étais juste derrière la vitre. En fait, je n’étais pas du tout à côté. Si
j’avais été derrière ou devant, je ne serais plus là pour en parler… Je suis sorti de là,
mais j’y suis retourné. Il y avait des gens là-dedans… J’ai aidé un gars à soulever un
panneau qui était tombé… Mon collègue était en dessous… Il était mort. »

Les agressions physiques


Les faits de guerre (bombardements, tirs, mines, siège d’une ville, etc.), les attentats
terroristes, les prises d’otage, les hold-up, les émeutes, etc.
Thérèse, piégée dans l’attentat du 22 mars 2016 dans le métro à Bruxelles, raconte :
« Quand j’ai quitté la maison, je savais ce qui s’était passé à Zaventem. Je savais
qu’une bombe venait d’exploser. Je me suis dit : “Il ne faudrait quand même pas
que ça se passe dans le métro !” Pendant le trajet, je lisais des articles sur mon télé-
phone portable, sur l’attentat de Zaventem. Je me suis dit : “Lâche ton téléphone,
arrête de regarder !” Et puis, il y eut le bruit, tout est devenu noir, ça sentait une
odeur de brûlé, une odeur de poudre. Il y avait une épaisse fumée partout. Les gens
ont crié. Moi, pas. Je ne me souviens pas d’avoir crié. »

Les agressions psychologiques


Les dévalorisations et les humiliations, la confrontation forcée à la souffrance
d’autrui, la contrainte à violer des tabous et des valeurs personnelles ou communau-
taires, les menaces d’exécution, les fausses déclarations de culpabilité obtenues sous la
contrainte, les menaces diverses concernant la personne ou son entourage, l’atteinte à
l’intégrité physique ou psychologique des proches, etc.

Les agressions tant physiques que psychologiques


La torture collective, l’univers des camps de concentration et d’extermination, les
génocides, etc.
Les dévalorisations et les humiliations : « Quand il y avait un bataillon de Serbes
de l’armée fédérale qui passait près du camp, les prisonniers devaient donner
une espèce de représentation comme au cirque. On était obligé de se gifler, de se
battre, etc. Et ils nous applaudissaient… Ils applaudissaient très fort… », déclarait,
Les paramètres des événements traumatisants ■ 51

en 1992, durant la guerre en ex-Yougoslavie, un ex-prisonnier bosniaque du camp


de concentration serbe de Keraterm.
La confrontation à la souffrance d’autrui : « La première nuit, les Serbes sont arri-
vés dans la salle et ont tiré dans le tas. Il y avait des morts et des blessés. Les morts,
ça va encore, on finit par s’habituer, mais les blessés… Les blessés, ils crient toute la
nuit, ils gémissent… », témoignait un autre ancien captif de Keraterm.
Les menaces de mort : « Tu vas goûter l’arme avec laquelle on va te tuer » menaçait
un kidnappeur en obligeant un otage humanitaire à mettre le canon d’un revolver
en bouche.

Résumé
1 L’événement traumatisant constitue une menace pour la vie ou pour l’intégrité phy-
sique et/ou mentale.
2 La personne peut avoir été sujet, témoin ou acteur de l’événement traumatique, être
concernée par lui du fait de sa proximité émotionnelle avec la victime directe ou avoir
été confrontée de manière extrême ou répétée à des détails sordides concernant les
faits.
3 Cet événement produit une peur intense et/ou un sentiment d’impuissance et/ou d’hor-
reur et/ou de honte et remet en cause les valeurs essentielles de l’existence. Certaines
personnes ne manifestent pas de réaction particulière au moment de l’événement, mais
risquent tout de même de présenter ultérieurement un syndrome psychotraumatique.
4 La situation traumatogène peut se constituer massivement et brusquement, être un
épisode mineur faisant passer la personne au-delà de son seuil de tolérance ou être un
incident susceptible d’activer la charge traumatique d’un événement ancien.
5 Les paramètres des événements traumatisants peuvent être individuels ou collectifs et
être d’origine naturelle (climatique, géologique ou biologique) ou humaine (acciden-
tels provoqués par la sujet lui-même ou par un tiers ou intentionnels commis par un
membre de la famille ou un étranger).

? Vérifiez vos connaissances


1 Quels sont les événements qui peuvent s’avérer traumatisants ?
2 Lorsque l’on parle d’un événement dramatique, pourquoi faut-il préférer l’expression
« potentiellement traumatisant » à « traumatique » ?
3 Citez trois exemples de traumatismes d’origine humaine.
CHAPITRE 4

Les types
1

de traumatisme
« Le bonheur est fragile. Tu n’es pas funambule et tu avances pas à pas.
Tu ne sais rien des jours, tu glisses sur un fil, au loin tu ne vois pas.
Si tu regardes en bas, c’est le vertige, ne regarde pas. »
Philippe Delerm, Le bonheur. Tableaux et bavardages

SOMMAIRE

1. Les traumatismes de type I, II et III, simples et complexes . . . . . . . . 54


2. Les traumatismes directs et indirects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3. La victimisation secondaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
54 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme

1. Les traumatismes de type I, II et III,


simples et complexes
C’est à Lenore Terr (1991) que l’on doit la première typologie des traumatismes.
Elle distingue deux catégories : les traumatismes de type I et de type II.
• Elle entend par traumatisme de type I un traumatisme induit par un évé-
nement unique, limité dans le temps, présentant un commencement net et
une fin claire. Une agression, un hold-up, un incendie, une catastrophe natu-
relle sont quelques illustrations de ce genre d’incidents critiques.
• Elle parle de traumatisme de type II lorsque l’événement à l’origine des
troubles s’est répété, lorsqu’il a été présent constamment ou qu’il a menacé
de se reproduire à tout instant durant une longue période. La violence intra-
familiale, les abus sexuels, la violence politique, le terrorisme et les faits de
guerre répondent à cette définition.
Eldra Solomon et Kathleen Heide (1999) spécifient une troisième catégorie, le trau-
matisme de type III, pour décrire les conséquences d’événements multiples, envahis-
sants et violents débutant à un âge précoce et présents durant une longue période, cas
typique des abus.
Judith Herman (1997), professeur à la Harvard Medical School, choisit de classer les
traumatismes en deux catégories : les traumatismes simples et complexes.
• Sa définition des traumatismes simples les assimile aux traumatismes de
type I définis par Terr. Les événements qui les engendrent constituent un
événement ponctuel dans la vie du sujet.
• Par traumatisme complexe, elle désigne le résultat d’une victimisation
chronique d’assujettissement à une personne ou à un groupe de personnes.
Dans ces situations, la victime est généralement captive durant une longue
période (mois ou années), sous le contrôle de l’auteur des actes traumato-
gènes et incapable de lui échapper. Ces traumatismes complexes sont à rap-
procher des traumatismes de type II précisés par Terr et s’ils débutent à un
âge précoce, aux traumatismes de type III définis par Solomon et Heide.
La violence intrafamiliale (violence conjugale, inceste, négligence, maltraitance et agressions
physiques envers les enfants, les personnes âgées, etc.), les abus sexuels et/ou physiques
extrafamiliaux, les violences exercées dans les camps de détention (torture, obligation
à se soumettre à des actes dégradants et immoraux, conditions de déshumanisation
extrême, etc.), les faits de guerre (bombardements, tirs, mines, siège d’une ville, recrutement
forcé, etc.), la traite des êtres humains (exploitation sexuelle contrainte, travail forcé), la
persuasion coercitive (endoctrinement dans les sectes, redressement idéologique en capti-
vité, etc.) et le harcèlement (harcèlement moral ou sexuel, racket) remplissent ces critères.
Ces situations sont caractérisées par la répétition de violences variées auxquelles
les victimes ne peuvent échapper ou ont l’impression de ne pouvoir se soustraire :
violences physiques (coups et blessures volontaires, torture, négligence grave, etc.),
psychologiques (isolement, humiliations, chantage, menaces, etc.), sexuelles (viols,
Les traumatismes directs et indirects ■ 55

torture sexuelle, relations forcées avec un tiers, exploitation sexuelle contrainte, etc.)
et/ou économiques (accès aux ressources interdit ou étroitement contrôlé, aliénation
financière et matérielle, etc.).
Ce qui caractérise ces traumatismes, c’est qu’ils résultent d’une action humaine délibé-
rée. Les lois et les valeurs qui régissent l’humanité sont profanées, bafouées et reniées
par les hommes eux-mêmes. La douleur, les blessures, les sévices et la souffrance
sont provoqués, voire même entretenues et exacerbées intentionnellement, par des
personnes généralement censées assurer protection ou porter secours1 aux victimes.
Actuellement, les dénominations trauma simples et complexes sont préférées à trau-
matismes de type I, II et III.
Les traumatismes de type I/simples constituent un événement ponctuel dans la vie d’un
sujet tandis que les traumatismes de type II et III/complexes sont caractérisés par une
addition et une succession de violences. Les premiers exposent les personnes à un événe-
ment unique, circonscrit dans le temps, imprévisible et d’apparition brutale ; les seconds
les soumettent à une violence durable, répétée, exempte de surprise, voire prévisible.
Il est important de ne pas confondre une personne dont la vie est émaillée de nom-
breux incidents critiques ponctuels (par exemple, perdre ses biens dans un incendie
puis quelques années plus tard, être délestée de son argent lors d’une agression, plus
tard encore, être témoin d’un accident grave ou échapper à la mort dans un carambo-
lage, etc.) avec celle qui souffre de traumatisme de type II/complexe. Notons toutefois
que la succession rapide d’événements graves risque d’induire des troubles assimi-
lables au traumatisme complexe.

2. Les traumatismes directs et indirects


2.1. Les traumatismes directs
On parle de traumatisme direct lorsque la victime souffre d’un traumatisme après
avoir été confrontée au sentiment de mort imminente, à l’horreur ou au chaos. Elle
peut avoir été sujet, acteur ou témoin de l’agression ou de la menace soudaine ayant
mis en danger sa vie, son intégrité physique ou mentale ou celles d’autrui. Son expé-
rience de l’événement délétère est sensorielle (elle a vu, entendu, senti, etc.) et émo-
tionnelle (elle a ressenti de la frayeur, de la peur, de l’angoisse, de la terreur, de l’effroi,
de l’épouvante, de l’horreur, du désarroi, de l’impuissance, de la honte, etc.). Notons
cependant que cette dimension émotionnelle peut être absente. En effet, dans certains
cas, le sujet n’a rien ressenti de tel car il s’est dissocié de ses émotions2 ou, comme le dit

1. Pour les enfants, parents, professeurs, éducateurs, etc. ; pour les victimes de violences intrafami-
liales : conjoint, belle-famille ; pour les personnes victimes de violence politique : militaires, policiers,
agents des pouvoirs publics, responsables de la sécurité, etc.
2. Voir chapitre « La phase aiguë » dans le chapitre consacré aux réactions face à un événement
traumatique.
56 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme

François Lebigot, parce que le moment de l’effroi peut passer inaperçu ou être rapide-
ment oublié de celui qui mobilise ses ressources pour faire face à la menace (De Clercq,
Lebigot, 2001, p. 95). « Parfois même, il ressent un bref soulagement, ou une discrète
euphorie de quelques heures ou de quelques jours, parce qu’il est sorti indemne de cet
“enfer”. » Il n’en reste pas moins que ces violences peuvent ultérieurement se révéler
gravement traumatiques, la victime voyant « plus tard, avec surprise, apparaître les
symptômes de la répétition » (ibid.).

2.1.1. La victime-sujet
Elle a subi personnellement l’événement ponctuel ou la violence chronique. Avoir
été agressé physiquement, avoir fui sa maison en feu, avoir été heurté accidentellement
par un véhicule, avoir été blessé par une machine industrielle dans le cadre de ses acti-
vités professionnelles, avoir été prisonnier dans l’effondrement de son habitation suite
à un séisme, avoir échappé aux coulées de boue ou aux inondations en se réfugiant
sur le toit de sa maison, avoir été victime de violence conjugale, avoir essuyé des tirs
ennemis en temps de guerre sont quelques exemples de victimisation directe.
Une jeune fille victime des attentats terroristes à Paris perpétrés dans la salle de
spectacle du Bataclan témoigne : « Quand j’étais à l’intérieur, la seule chose à laquelle
je pensais c’était qu’il fallait que ma sœur soit en vie coûte que coûte. La peur de ma
propre mort est venue après. J’étais allongée là et je m’imaginais dans un miroir avec
une poussette, un enfant, et c’est la chose qui m’a le plus fait du mal, je me disais
que j’avais 19 ans et que jamais je ne pourrai avoir le bonheur de connaître ça, la
simplicité de vieillir et d’avoir des enfants. L’attente a été si longue… On entend les
balles et on se dit toujours que la prochaine est pour soi. Les hurlements des gens
qui agonisent, qui ont peur est de loin la pire chose que j’ai entendue de ma vie.
Mon traumatisme a été visuel parce que j’ai été marquée par tous ces corps et tout
ce sang autour de moi, mais il a avant tout été auditif, le bruit perçant des balles,
le bruit des blessés, c’est quelque chose qui reste encore en moi. »

2.1.2. La victime-acteur
Elle souffre d’avoir facilité ou provoqué involontairement ou volontairement
l’incident.

Les actes involontaires


Avoir renversé mortellement un piéton avec son véhicule, avoir commis une
erreur médicale ayant entraîné une infirmité ou le décès d’un patient, avoir provoqué
un ultime éboulement lors des secours après l’effondrement d’un bâtiment, avoir en
service déchiqueté un individu suicidaire sous les roues de sa locomotive, avoir asséné
un coup mortel lors d’une altercation conjugale sont quelques illustrations d’actes
accidentels. Ces événements causent fréquemment des troubles psychotraumatiques
graves pouvant conduire l’auteur du drame au suicide.
Un homme a fauché mortellement un enfant de cinq ans débouchant de façon
impromptue sur la route pour récupérer son ballon.
Les traumatismes directs et indirects ■ 57

Sous l’effet de l’alcool, un jeune conducteur a percuté un véhicule tuant la conduc-


trice et sa fillette.

Les actes volontaires


Avoir tué des civils innocents dans le cadre d’un conflit armé, avoir assassiné des
membres de sa famille dans un accès de folie (par exemple, dans une crise paranoïaque)
ou par suicide altruiste3 (par exemple, lors d’une phase dépressive mélancolique), avoir
porté préjudice, blessé ou abattu une personne en commettant un délit ou un crime
sont des actes commis volontairement susceptibles de provoquer des séquelles trau-
matiques importantes.
De nombreux soldats sont traumatisés par l’expression des visages des personnes
qu’ils ont tuées au combat.
Alors qu’il était âgé d’une vingtaine d’années, Alexis, un toxicomane, a braqué une
pharmacie pour s’emparer de stupéfiants. Il raconte en pleurant : « Je vois toujours
cette pauvre pharmacienne terrorisée. Elle avait tellement peur qu’elle a fait pipi dans
sa culotte. Son pantalon était tout mouillé. Elle disait “Ne me tuez pas, ne me tuez pas,
ne me tuez pas, j’ai des enfants, ne me tuez pas”. Comment j’ai pu faire ça… Je pense
souvent à ça, vraiment très souvent et pourtant, ça s’est passé il y a plus de dix ans. »
Un ami congolais m’a confié avoir, dans sa jeunesse, tué un homme. « J’étais avec
quelques amis. Il avait volé. On l’a attrapé, on lui a mis un pneu autour du cou, on a
mis de l’essence et on l’a fait flamber… J’entends encore ses cris, je vois son regard,
ses yeux… sa bouche toute tordue… Ça restera toute ma vie. Toute ma vie, il va me
hanter. Je le vois dans mes rêves… Aucun être humain ne mérite ça. On n’a pas le
droit de faire ça… Après ça, je suis devenu très croyant. Je suis très pratiquant. Tous
les jours, je demande pardon à Dieu. Je sais que je vais payer toute ma vie. »

2.1.3. La victime-témoin
Elle est perturbée après avoir assisté, de manière directe ou indirecte (par exemple,
par le biais d’enregistrements filmés), au déroulement d’un événement traumatique
frappant un tiers. Contrairement au sujet et à l’acteur, le témoin peut généralement
contrôler sa propre activité pendant l’incident et est souvent en mesure d’observer plu-
sieurs rôles : celui de l’agent agresseur, de la victime et parfois, d’un tiers « sauveur ».
Cet angle large lui permet de s’identifier à l’un ou plusieurs de ces rôles. De nombreux
témoins d’événements graves éprouvent une culpabilité post-traumatique générale-
ment liée à un sentiment d’incapacité à intervenir.
La victime témoin a, par exemple, vu le bourreau torturer un codétenu, elle était
présente au moment où une personne s’est jetée sous une rame de métro, elle a été

3. Notion due au sociologue français Émile Durkheim (1897) pour désigner les suicides accomplis
par devoir. Aujourd’hui, ce concept s’étend à la volonté d’emmener un être cher dans la mort pour
lui épargner une survie jugée douloureuse. Les auteurs se suicident après avoir commis leur macabre
besogne, mais certains en réchappent.
58 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme

confrontée de manière répétée au visionnement de scènes sordides dans le cadre de


ses activités d’enquêteur, etc.
Témoin d’un suicide dans le métro, Viviane relate : « Je n’ai rien vu. J’ai juste
entendu. C’était un bruit sourd… C’est affreux… Au moindre bruit d’ailleurs, je sur-
saute. Je me suis précipitée vers la maman. J’ai appelé les services de secours. Je suis
restée avec elle le temps qu’ils arrivent. C’est horrible… La maman sortait de l’hôpi-
tal. Elle venait d’apprendre qu’elle avait un cancer. Je ne sais pas pourquoi sa fille
s’est suicidée… Elle m’a dit que sa fille était très dépressive… J’entends tout le temps
ce bruit… Je l’ai dans les oreilles. Je ne pense pas qu’il partira un jour… »
Adeline nous retrace la découverte du corps sans vie de son voisin : « C’est bizarre,
mais j’ai pressenti quelque chose. Il faisait beau, les enfants jouaient au jardin et je ne
sais pas pourquoi, je les ai obligés à rentrer. Et puis, je suis ressortie, j’ai été jusqu’au
bout du jardin et en remontant vers la maison, là, j’ai vu… Il y avait du sang partout.
Il gisait par terre, sur la terrasse, dans une mare de sang. Il y avait du sang partout,
sur la table de jardin, sur la baie vitrée du salon, partout sur le sol… La police est
arrivée rapidement et là, on a appris que c’est son fils qui l’a tué. »

Dans les grands carambolages, les accidents ferroviaires, les attentats terroristes, les
incendies, les suicides (pendaison, défenestration, noyade, etc.), les homicides, etc.,
le personnel des services d’urgence et les médecins légistes sont confrontés à la vision
de personnes gravement blessées ou à l’agonie ainsi qu’à des corps désarticulés, déchi-
quetés, calcinés ou putréfiés.
« C’est elle que j’ai vue d’abord. Elle avait le couteau planté dans la poitrine. Elle s’est
loupée parce que la lame a glissé contre les côtes. Elle était vivante. Je suis monté à
l’étage. Je n’oublierai jamais ces enfants… Ils étaient couchés dans leur lit. Il n’y avait
pas de sang. Elle avait pris soin de les nettoyer… Ils étaient très pâles… Surtout le
petit… Quand je pense à ça, ça me met terriblement en colère » nous livre un policier
intervenu sur les lieux d’un drame familial peu après qu’une mère désespérée ait
tué ses enfants.
« J’ai accompagné mon collègue policier. C’est sa fille qui l’a découvert. C’était
affreux. Il y avait des tâches partout. C’était du sang séché et de la cervelle. Il s’est
suicidé en se tirant une balle dans la tête. Il devait être là depuis un bout de temps.
Quand on a enlevé le corps, il y avait des asticots. Ça grouillait. Beurk ! Ça me
dégoûte, ça me donne la chair de poule, j’ai les poils qui se hérissent rien que d’y
penser. Ça me poursuit encore. C’est ça qui m’a le plus marquée. Maintenant, chaque
fois que je dois intervenir sur un suicide, je suis mal et la nuit, c’est recta, je rêve de
mort et d’asticots. Heureusement que ça n’arrive pas tous les jours ! » nous livre une
psychologue attachée au service d’une police locale.

Mission après mission, les expatriés humanitaires s’exposent de façon répétée à des
situations éprouvantes. Ils sont constamment témoins de la détresse des populations
décimées par les guerres, les catastrophes naturelles et les épidémies (enfants mourant
de malnutrition, victimes mutilées, cadavres en masse, etc.), parfois dans des décors
apocalyptiques de fin du monde (destruction à large échelle des habitations et de l’envi-
ronnement, villages inondés ou ensevelis sous des coulées de boue ou de lave, etc.). En
outre, ils peuvent être témoins d’exactions cruelles.
Les traumatismes directs et indirects ■ 59

« Je vois les yeux de ces gens à qui on annonce que leur proche est mort. Je vois leurs
yeux quand on embarque le cadavre. Je vois les yeux de ces mères à qui on annonce
qu’on va devoir amputer leur bébé. Je revois les yeux de ces adolescentes à qui on
annonce qu’on va devoir couper une jambe. Quand je ferme les yeux, je revois ces
visages frappés de stupeur et de souffrance », nous raconte une Haïtienne engagée
dans l’action humanitaire après le séisme.
« Je n’ai jamais vu des plaies comme celles-là. Pourtant, j’en ai vu des plaies dans ma
vie, mais des plaies comme ça, vertes, avec des kilos d’asticots gros comme des cobras,
jamais. Je ne pouvais pas manger avant de travailler parce que j’aurais tout vomi »
nous dévoile un infirmier expatrié intervenu en Haïti après le tremblement de terre.
Une infirmière humanitaire nous dit : « Le pire, dans les épidémies de malnutrition,
c’est le triage. Quand les enfants arrivent, tu dois les trier : ceux qui ont besoin d’un
traitement et qu’on prend au centre, ceux qui peuvent rentrer chez eux avec du
Plumpy nut4… et puis, ceux qu’on ne va pas accepter parce qu’on ne peut plus rien
faire pour eux, c’est trop tard, on sait qu’ils vont mourir… Et tu as ces mères qui te
regardent avec leur regard suppliant et toi, tu dois dire “Non, maman, je ne peux pas
prendre ton bébé”. Et tu vois dans leur regard qu’elles ont compris… Et tu as envie
de prendre le gosse, mais tu sais que c’est foutu, que le centre est plein à craquer
et qu’on n’a pas le temps de s’occuper de ceux qui sont de toute façon condamnés,
quoi qu’on fasse. Si on les prend, c’est du temps qu’on va perdre à ne pas s’occuper
de ceux qu’on peut sauver. Mais tu te mets à la place de ces mères et tu te sens
moche, tu as l’impression d’être un bourreau. Tu te sens terriblement coupable et tu
as honte. Pour moi, ça, c’est le pire. »

2.2. Les traumatismes indirects,


la cicatrice sans la blessure
Une personne peut pâtir psychologiquement d’une situation vécue non par elle-
même, mais par un tiers.

2.2.1. La transmission du traumatisme


En 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, devant la menace de bombar-
dement des grandes villes, en particulier de Londres, le gouvernement britannique a
pris la décision d’évacuer 1 500 000 enfants vers les campagnes, notamment vers
Cambridge. Les premiers résultats, antérieurs aux bombardements, sur les effets de
l’évacuation rapportés par la Société Britannique de Psychologie sont rassurants,
le pourcentage d’enfants évacués présentant des troubles était semblable à celui de
la période de paix (8 %). Mais dès les premiers mois de 1941, lorsque surviennent les
bombardements, la prévalence des troubles atteint 45 à 50 % des enfants qu’ils aient

4. Le Plumpy nut est une pâte à base d’arachide à haute valeur nutritionnelle distribuée aux enfants
malnutris pour une consommation à domicile.
60 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme

été évacués ou non (Isaacs, Brown, Thoulness, 1941)! Les enfants restés sous le feu des
bombardements ont manifesté les réactions les plus intenses tandis que les enfants
évacués ont souffert de conséquences plus persistantes et plus pernicieuses. Éloigner
les enfants du danger ne leur avait donc pas épargné la souffrance traumatique. On
découvrait ainsi qu’un enfant pouvait être « contaminé » par le vécu de son entourage
(Barnes, 1997 ; Erickson, 1989 ; Figley, 1983). Charles Figley (2003) compare ce pro-
cessus de contagion à celui de la propagation d’un virus : le traumatisme se transmet
aux membres de la famille qui ne disposent pas de mécanismes de coping efficaces5.
Il est aujourd’hui admis par de nombreux psychologues et psychiatres qu’un sujet,
enfant comme adulte, qui n’a pas subi de traumatisme direct peut présenter des troubles
psychotraumatiques consécutifs aux contacts qu’il entretient avec une personne ou un
groupe de personnes traumatisées (Barnes, 1997 ; Erickson, 1989 ; Figley, 1983).

2.2.2. La traumatisation indirecte


La traumatisation indirecte se définit comme une souffrance spécifique éprouvée,
dans le cadre privé ou professionnel, par les personnes en relation étroite avec un
sujet ou un groupe de sujets en détresse (en fin de vie, malades, blessés, psychiquement
traumatisés, victimes de violences, laissés pour compte, etc.). Les familles, les amis, les
voisins et les collègues d’une victime, les bénévoles et les professionnels engagés dans
les services de secours, les soins et l’aide (médicale, sociale, psychologique, judiciaire,
juridique, etc.) amenés à la côtoyer ainsi que les personnes chargées de recueillir son
témoignage du drame (policiers, psychologues et psychiatres, avocats, journalistes, etc.)
sont confrontés à des situations qui leur font éprouver des émotions intenses.
La conceptualisation de ce phénomène en est encore à ses débuts. Actuellement, dif-
férents termes sont utilisés pour le décrire : victimisation secondaire6, traumatisme
secondaire, stress traumatique secondaire, trouble de stress traumatique secondaire,
traumatisation vicariante, traumatisme vicariant, fatigue de compassion, traumatisme
empathique (Albeck, 1994), exposition par procuration (Yule et al., 1990) ou bien encore
traumatisme par ricochet7. À ce jour, et bien que de nombreux auteurs s’y réfèrent,
il n’existe pas de définition consensuelle d’un syndrome de traumatisation secondaire
ni de reconnaissance par les nosographies officielles. Rappelons que la dernière version
du DSM reconnaît qu’une personne puisse être traumatisée par l’annonce d’un drame
frappant un parent ou un ami proche ainsi que par l’exposition répétée ou extrême à des

5. Face à une situation difficile, nous ne restons pas inactifs, mais nous tentons d’y répondre. En
anglais, on parle de « coping » (du verbe « cope with » signifiant « faire face »). Le coping peut être
défini comme la façon dont nous raisonnons et agissons pour remédier aux situations stressantes.
Cette notion est plus largement développée infra.
6. On parle également de victimisation secondaire lorsqu’une victime d’un événement traumatisant
est confrontée à une réaction inadéquate à l’égard de son statut de victime (voir infra). Pour éviter
la confusion, nous suggérons de réserver la dénomination « victimisation secondaire » dans cette
acception et de préférer l’appellation « traumatisation secondaire » au sujet qui nous concerne dans
le présent chapitre.
7. Notamment en justice.
Les traumatismes directs et indirects ■ 61

détails d’événements sordides (par exemple, professionnels chargés de récolter les restes
humains, policiers chargés d’affaires de maltraitance d’enfants).
On peut se représenter le traumatisme comme un tremblement de terre dont l’incident
critique constitue l’épicentre. Les ondes de choc se propagent en cercles concentriques
à partir de l’événement traumatisant tout en diminuant d’intensité à mesure qu’elles
s’en éloignent. La victime directe se situe dans le foyer du séisme et les ondes de choc
bouleversent progressivement son entourage ainsi que les intervenants qu’elle ren-
contre durant et après la crise.

Première onde de choc et traumatisation secondaire


La première onde de choc du traumatisme affecte les personnes en contact direct
avec les victimes en situation de crise. Sur le plan privé, citons les conjoints ou parte-
naires amoureux, les parents, les enfants, les frères et sœurs ainsi que les amis proches.
Parmi les professionnels, mentionnons le personnel des services de secours (équipe
mobile d’aide médicale urgente et de réanimation, pompiers, forces de l’ordre) et des
services d’urgence des hôpitaux, les médecins légistes, les intervenants psychosociaux
(assistants sociaux, psychologues de terrain, animateurs de quartier, etc.), les journalistes
de terrain, etc. Toutes ces personnes sont susceptibles de souffrir d’une traumatisation
indirecte qualifiée de secondaire et nommée, selon les auteurs, victimisation secondaire,
traumatisme secondaire, stress traumatique secondaire ou trouble de stress traumatique
secondaire. Le cas échéant, elles sont à considérer comme des victimes secondaires8.
Une psychologue attachée au service de la police fédérale belge témoigne : « Pour moi,
les attentats du 22 mars à Bruxelles, ça a changé beaucoup de chose… J’ai quitté la police
suite à un burn-out et un stress post-traumatique. Aujourd’hui encore, deux ans plus
tard, je reste très sensible à l’idée que des victimes ne peuvent pas encore se prendre en
charge suite à des problèmes de paiement et de remboursement. J’apprécie la vie comme
elle vient… Il m’a fallu un an pour voir des images des attentats sans pleurer. Ce jour-là,
on était à l’hôpital en attendant les ambulances qui n’arrivaient pas. Les informations des
hôpitaux disaient que les victimes arrivaient, mais nous, nous ne voyions rien venir. La
télévision faisait part de l’horreur de la situation, des pauvres policiers, pompiers, volon-
taires qui travaillaient et moi, j’avais l’impression de vivre une situation surréaliste. Je n’ai
pas compris que j’avais été aussi perturbée par la situation, car pour moi je n’avais rien
vécu de particulier comparé aux personnes présentes »

Deuxième onde de choc, traumatisation tertiaire ou vicariante


et fatigue de compassion
La seconde onde de choc du traumatisme touche les intervenants de deuxième
ligne en relation avec les victimes directes et leurs proches en détresse. Parmi ceux-ci,
on compte, au niveau privé, la famille, les amis, les voisins, les collègues et au niveau
professionnel, les policiers de commissariat, les enquêteurs, les avocats, les magistrats,
les professionnels de la santé mentale (psychothérapeutes, psychologues, psychiatres)

8. Voir « Types de victimes et degré d’implication dans l’événement traumatique » dans le chapitre
« La notion de victime ».
62 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme

exerçant en cabinet ou au sein d’institutions, les journalistes de la rédaction, etc.


Ces intervenants, confrontés à la souffrance mystérieuse des victimes, à leurs témoi-
gnages poignants ou à leur silence persistant, peuvent manifester des changements
profonds et cumulatifs résultant d’une surcharge émotionnelle. On nomme ce trouble
traumatisation tertiaire ou traumatisation vicariante. Le terme « vicariant », issu du
latin « vicarius », qui prend la place d’un autre, désigne un organe ou une fonction
qui joue le rôle d’un autre organe ou d’une autre fonction déficients. Par extension,
il désigne ce qui est acquis ou appris par observation. Dans sa forme ultime, la trauma-
tisation vicariante conduit à la fatigue de compassion9. Lorsqu’elles souffrent de tels
troubles, les personnes sont considérées comme des victimes tertiaires.

Troisième onde de choc et traumatisation quaternaire


La troisième onde de choc concerne les membres d’un groupe (groupe profes-
sionnel, d’âge, d’orientation sexuelle, de genre, de catégorie sociale, d’appartenance
ethnique ou religieuse, etc.10), d’une nation, voire l’ensemble de la population mondiale,
affectés ou perturbés par un événement majeur touchant un individu ou un ensemble
d’individus appartenant à la même communauté. Les vibrations traumatiques peuvent
même atteindre les générations futures en raison de l’impact d’un événement majeur
(par exemple, une guerre, un génocide) sur une famille, une communauté ou sur la
société (voir transmission transgénérationnelle).
Dans le milieu des services de secours, le décès traumatique d’un membre du per-
sonnel est susceptible d’ébranler tous les membres de l’organisation. Par exemple,
tous les pompiers belges se sont sentis concernés par le drame de Ghislenghien11
où plusieurs d’entre eux ont péri, et ce même s’ils ne connaissaient pas personnel-
lement les victimes.
Des études ont montré qu’un nombre significatif de New-Yorkais (7,5 % des habi-
tants de Manhattan) n’ayant pas été exposés directement aux attentats du 11 sep-
tembre 2001 ont présenté des symptômes de stress post-traumatique (Galea et al.,
2002 ; Schlenger et al., 2002).
Toute une nation peut être bouleversée par le meurtre crapuleux d’un enfant
comme ce fût le cas en Belgique avec les affaires Dutroux12 et Fourniret13.

9. La compassion est un sentiment qui porte à percevoir ou ressentir la souffrance d’autrui et pousse
à y remédier.
10. Par exemple, les pompiers, les personnes âgées, les homosexuels, les femmes, les habitants des
quartiers aisés, les israélites, etc.
11. Le 30 juillet 2004, à Ghislenghien, section de la ville d’Ath située en Région wallonne, une
explosion provoquée par une fuite de gaz naturel causée par un engin de chantier a entraîné la mort
de 24 personnes (principalement des travailleurs de chantier, des policiers et des pompiers) et fait
132 blessés graves.
12. L’affaire Dutroux a eu lieu en Belgique. Le principal protagoniste, Marc Dutroux, coupable d’enlè-
vements, de séquestration, de viols et de meurtres d’enfants et de jeunes adolescentes, a été arrêté
durant l’été 1996.
13. Michel Fourniret a été arrêté en Belgique en 2006. Il a été reconnu coupable de viols et de
meurtres commis en France et en Belgique sur plusieurs mineures.
Les traumatismes directs et indirects ■ 63

Le monde entier peut être touché par une attaque terroriste ou par une catastrophe
naturelle dévastatrice. Nous l’avons vu avec l’émotion planétaire déclenchée par les
attentats perpétrés le 11 septembre 2001 à New York, les 7 janvier et 13 novembre
2015 à Paris et le 22 mars 2016 à Bruxelles, par le tsunami survenu le 26 décembre
2004 en Asie du Sud-Est ou bien encore par le séisme qui a frappé Haïti le 12 jan-
vier 2010.

En raison de l’événement tragique subi par un des leurs, un groupe peut présenter
des manifestations particulières, que nous dénommons traumatisation quaternaire,
et peut être amené à modifier ses habitudes. Par exemple, les femmes évitent de se
déplacer seules le soir parce qu’elles se sentent vulnérables face aux risques d’agres-
sion sexuelle ; les juifs ou les homosexuels évitent certains quartiers fréquentés par de
bandes d’extrême droite dont ils redoutent les attaques ; les parents ne laissent plus
leurs enfants jouer dans la rue de crainte qu’ils soient enlevés par un pédophile, etc.

2.2.3. La transmission intergénérationnelle des traumatismes


Vers la fin des années 1960, des professionnels de la santé mentale ont remarqué
que nombre d’enfants de rescapés de la Shoah nés après la guerre présentaient des
signes cliniques analogues à ceux de leurs parents, et ce, même si ces derniers avaient
tu les atrocités qu’ils avaient endurées14. Ils ont émis l’hypothèse que les traumatismes
extrêmes pouvaient se transmettre d’une génération à l’autre. Les observations
d’enfants de parents victimes de torture et de parents portés disparus en Argentine
ont renforcé ce postulat (Flamand, s.d.). Les recherches menées auprès des descen-
dants de survivants de la Shoah et du génocide arménien concluent qu’intégrer de tels
traumatismes nécessite au moins deux générations (Aubignat, 2007 ; Sigal, DiNicola,
Buonvino, 1988 ; Altounian, 1990 ; Yeghicheyan, 1983).
Le psychotraumatisme des descendants est une « pathologie acquise » (Krystal, 1988)
d’une génération à l’autre dont le mode de transmission serait le récit des horreurs
subies par les parents ou, paradoxalement, le silence, les secrets et les non-dits. En
effet, les enfants privés d’information sur les épreuves que leur famille a traversées
présentent davantage de symptômes que les autres (Rousseau, 1994). L’inhibition
massive des affects et les troubles dépressifs des parents joueraient également un rôle
primordial dans le développement de symptômes chez les enfants. Ces symptômes
sont pérennes et se maintiennent à l’âge adulte.
Extraits d’entretiens avec des enfants et petits-enfants de rescapés devenus adultes :
« Quand nous voyageons sans nos enfants, nous ne prenons jamais le même avion
mon mari et moi, comme ça, s’il devait arriver quelque chose, un de nous deux res-
terait vivant pour prendre soin de nos fils. Quand on est tous ensemble, on prend le
même vol parce que si l’avion s’écrase, on partirait tous en même temps. Nos enfants

14. Pour plus d’information, voir Josse (2011); Barocas, Barocas (1973); Epstein (2005); Kestenberg
(1983); Vegh (1979); Zajde (2005); Williams-Keeler (1998).
64 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme

ne resteraient pas seuls, sans personne pour s’occuper d’eux. Vous savez, ma mère
s’est retrouvée orpheline. Ses parents ont tous les deux été gazés à Auschwitz… »
« Je rêve souvent que les gens que j’aime partent en train pour un voyage à l’étranger.
Je vais les conduire sur le quai et je sais que je ne les reverrai jamais. Ils croient qu’ils
vont en vacances, mais moi, je sais qu’ils vont mourir et je me réveille en sueur. »
« En vous parlant, je me rends compte que j’ai toujours voulu rester anonyme. En
fait, je me suis toujours cachée. Je n’ai pas mis mon nom sur la sonnette. J’ai pris
un numéro de téléphone privé pour que mon nom ne figure pas dans le bottin. Je
prends soin d’entretenir des rapports cordiaux avec les voisins, je ne veux pas d’his-
toire, mais je reste distante. Je ne leur raconte rien de notre vie, je ne leur ai jamais
dit que mon mari est diamantaire, je ne les ai jamais invités à rentrer chez moi. Je ne
veux pas qu’on sache que nous sommes juifs. »
« À Anvers, j’ai peur, constamment. Je ne suis jamais à l’aise. Je voudrais partir vivre
en Israël. Pour le moment, ce n’est pas possible parce que mon mari travaille à Anvers.
Dans une dizaine d’années, si tout va bien… Il y a beaucoup d’antisémitisme à Anvers.
J’ai l’impression que ça pourrait recommencer à tout moment. Alors, je suis de près les
informations sur la situation politique, mais je guette aussi les faits divers. Je suis très
attentive aux faits divers racistes. Il faut rester vigilant. Vous savez, des informations
comme le fait qu’un cimetière juif a été vandalisé et des tombes profanées, ce genre de
chose. Le seul endroit où je me sens bien, c’est en Israël. »
« Je suis claustrophobe depuis une dizaine d’années. Ma première crise d’angoisse
s’est produite alors que j’étais dans un train. Le train s’est arrêté en rase campagne.
On ne nous a rien expliqué. On était là, à attendre sans rien dire. Personne n’a rien
dit. C’est incroyable, non ? On était comme des moutons de Panurge. Pour eux, les
responsables du train, on était comme du bétail, on n’avait qu’à attendre. Après ça,
pendant plus d’un an, j’ai fait des cauchemars. Je me réveillais en panique dès que
la mort arrivait. Depuis, je n’ose plus prendre le train. Je n’ose plus non plus aller
dans les grands magasins à cause de portes automatiques. On ne sait jamais, elles
pourraient tomber en panne. Je n’ose plus emprunter les ascenseurs de peur qu’ils
restent bloqués. Je n’ai pas confiance en eux, dans tous ces gens soi-disant respon-
sables. Je ne peux pas confier ma personne à ces gens-là. Il y a des tas de choses que
je n’ose plus faire, des tas d’endroits où je n’ose plus me rendre. Je redoute toutes
les situations où je me sens coincée. Il faut toujours que je sache où est la sortie, il
faut toujours que je puisse m’enfuir. Et quand il fait noir, c’est pire encore. Je n’ose
plus accompagner mes enfants dans certaines attractions comme la maison hantée
à Euro Disney, je n’ose plus aller au car wash, j’ai peur des tunnels. J’ai l’impression
qu’on est comme des taupes, qu’on rampe comme des taupes. J’ai l’impression d’être
enterrée vivante. C’est comme un trou noir. »
« Je pensais que tout cela ne me faisait rien. Oui, ce qui s’était passé (la Shoah) était
atroce, bien sûr, mais c’était du passé. Chaque année, j’accompagnais ma mère à
la commémoration. Pour elle, c’était une épreuve, mais elle voulait absolument y
assister. Elle n’aurait raté ça pour rien au monde. Alors, moi, je l’accompagnais
pour la soutenir. Cette fois-là, je l’ai accompagnée comme toutes les autres fois en ne
pensant à rien de particulier, en ne ressentant rien de particulier. Et tout à coup, j’ai
vu la fumée des trains. Bien entendu, dans la réalité, il n’y avait pas de fumée, mais
je vous jure, je l’ai vraiment vue, cette fumée et j’ai ressenti la souffrance de tous
La victimisation secondaire ■ 65

ces gens qu’on emmenait. Je me suis mise à sangloter. J’étais inconsolable. Comment
vous expliquer ? Les trains, les gens qu’on emmenait, ça se passait réellement à ce
moment-là. Je ne pleurais pas sur le passé, je pleurais les gens qui partaient comme si
ça se passait à ce moment-là. Ma mère ne comprenait pas ce qui m’arrivait. Moi, par
contre, j’ai compris ce qu’elle avait vécu toutes ces années. Depuis, c’est là, en moi. »

Si le traumatisme peut se transmettre d’une génération à l’autre, il en va de même des


capacités de résilience15. Les études ont montré que les enfants et petits-enfants de
rescapés présentent des traits de caractère qui ont permis à leurs ascendants de sur-
vivre (capacité d’adaptation et d’initiative, ténacité, puissantes aspirations à se réaliser,
valeurs familiales fortes, etc.) (voir Epstein, 2005).

3. La victimisation secondaire
Lorsque la victime d’un événement traumatisant est confrontée à une réaction ina-
déquate à l’égard de son statut de victime (en termes de confidentialité et de discrétion,
de sécurité, de reconnaissance, d’écoute, de soutien, de réparation, etc.), on parle de vic-
timisation secondaire. Cette réaction peut émaner d’une personne (famille, voisinage,
connaissances, etc.), des professionnels de l’intervention d’urgence et du personnel
médical, d’une institution (police, justice, services administratifs, etc.), des médias, etc.
Joëlle, victime d’une tentative de viol, raconte : « Les flics ont débarqué au salon. Il y
avait trois combis. Tout le monde qui vous regarde et qui vous écoute, tous les gens
du building qui sont là autour pour savoir ce qui s’est passé… On est déjà mal, on se
sent sale et vous avez des flics devant vous qui vous regardent en se disant : “Mais
qu’est-ce qu’elle raconte ?”. Fourniret avait inventé qu’il avait fait un casse, je leur
ai dit ça et comme il n’y avait pas eu de casse dans la région, ils se demandaient ce
que je leur inventais… Et comme il ne m’avait pas violée… Bref, ils ne me croyaient
pas. Ils étaient froids, pas du tout sympathiques. Et quand mon mari est arrivé… Son
regard, ça fait mal aussi ;… son regard qui se demande s’il y a eu viol ou pas. Quand il
m’a vue, il a été rassuré, mais en même temps, il s’est demandé ce qui s’était passé…
C’était horrible. Et puis, quelques années plus tard, quand Fourniret a été arrêté,
vous avez tous les journalistes qui débarquent chez vous. J’étais complètement
bousculée par cette arrestation. Ça a fait resurgir toute cette histoire de façon vio-
lente et en plus, vous avez tous ces journalistes qui vous posent plein de questions.
Vous ne pouvez plus sortir de chez vous. Après ça, il y a eu le procès. Fourniret a
été jugé en France. On s’est déplacé en France, mon mari et moi. Il est jugé. On se dit
“Ouf ! On va pouvoir laisser ça derrière nous et recommencer à vivre” eh bien non,
le procès n’était pas valable en Belgique et on a dû tout recommencer. »
Une personne inculpée dans une affaire de pédophilie et de meurtre d’enfant a vu
son nom cité à de nombreuses reprises dans les médias jusqu’à ce qu’elle soit inno-
centée… dix ans plus tard !

15. Voir le chapitre consacré à la résilience.


66 ■ CHAPITRE 4 – Les types de traumatisme

Un expatrié évacué d’Afrique après un incident grave de sécurité n’est plus autorisé
de repartir à l’étranger par sa société, ce qui compromet son avenir professionnel.
En République démocratique du Congo, les femmes violées sont rejetées par leur
communauté.

Résumé
1 Les traumatismes simples de type I exposent les victimes à un événement unique,
circonscrit dans le temps, imprévisible et d’apparition brutale. Les traumatismes com-
plexes de type II ou III les soumettent à une violence durable, répétée, exempte de
surprise, voire prévisible. Les traumatismes de type III ont la particularité de débuter à
un âge précoce.
2 Le sujet peut être la victime directe d’un événement, c’est-à-dire avoir été confronté
au sentiment de mort imminente, à l’horreur ou au chaos. La victime-sujet a subi
personnellement l’événement traumatisant, la victimeacteur souffre d’avoir facilité
ou provoqué involontairement ou volontairement l’incident et la victime-témoin est
perturbée après avoir assisté, de manière directe ou indirecte, au déroulement d’un
incident frappant un tiers.
3 Le sujet peut être la victime indirecte d’un événement, c’est-à-dire pâtir psychologique-
ment d’une situation vécue par autrui.
4 La traumatisation indirecte se définit comme une souffrance spécifique éprouvée, dans
le cadre privé ou professionnel, par les personnes en relation étroite avec un sujet ou
un groupe de sujets en détresse. La traumatisation secondaire affecte les personnes
en contact direct avec les victimes en situation de crise. La traumatisation tertiaire ou
vicariante et la fatigue de compassion touchent les intervenants de deuxième ligne
en relation avec les victimes directes et leurs proches en détresse. La traumatisation
quaternaire concerne les membres d’un groupe, d’une nation, voire l’ensemble de la
population mondiale, affectés ou perturbés par un événement majeur touchant un
individu ou un ensemble d’individus.
5 Les traumatismes extrêmes peuvent se transmettre d’une génération à l’autre. Le psy-
chotraumatisme des descendants est une « pathologie acquise ».
6 On parle de victimisation secondaire lorsqu’une victime est confrontée à une réaction
inadéquate à l’égard de sa victimisation.

? Vérifiez vos connaissances


1 Qu’entend-on par traumatisme de type I, II et III ?
2 Qu’entend-on par traumatisme simple et traumatisme complexe ?
3 Qu’est-ce qu’un traumatisme indirect ?
4 Définissez le terme traumatisation vicariante.
5 Définissez la victimisation secondaire.
CHAPITRE 5

Les paramètres
2

influençant
le développement
des syndromes
psychotraumatiques
« La menace constante de la mort ne peut guère enseigner
que deux choses : avoir peur et mourir. »
Stig Dagerman, Automne allemand

SOMMAIRE

1. Les variables liées à l’événement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68


2. Les variables liées à l’individu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
3. Les variables liées au milieu de récupération. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
68 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

L’exposition à un événement grave ne suffit pas pour


engendrer une souffrance traumatique. Toutes les personnes
ayant vécu un événement dramatique ne développent pas un
syndrome psychotraumatique.

Différents paramètres influencent l’apparition des symptômes, leur fréquence et


leur intensité ainsi que les processus de récupération psychique. Ils se divisent en trois
catégories : les variables liées à l’événement, les facteurs propres à l’individu et les
caractéristiques du milieu de récupération. Plus ils se cumulent, plus l’apparition d’un
trouble post-traumatique est probable et potentiellement grave et chronique.

1. Les variables liées à l’événement


La sévérité d’un événement adverse est fonction du degré d’exposition à la
mort (pour soi ou pour autrui), de sa nature (sexuelle, torture et actes de barbarie,
transgression de tabous, etc.), des conséquences de toute nature qu’il engendre, de sa
durée, de son risque de récurrence, de sa fréquence, de son caractère imprévisible et
incontrôlable ainsi que de la multiplicité des facteurs potentiellement traumatogènes.
L’intentionnalité d’un individu de recourir à la violence et de causer un préjudice à la
victime ou le refus de lui porter secours ont également des effets fortement pathogènes.

1.1. L’intensité et la gravité de l’événement


Certains événements se révèlent particulièrement délétères pour la santé mentale
et sont fortement associés au développement d’un syndrome psychotraumatique ulté-
rieur. En voici quelques exemples :

1.1.1. L’exposition à un danger vital


Le risque de trouble traumatique est très élevé lorsque la victime a été exposée
à un danger vital. Avoir été seul au moment de l’événement pourrait être un facteur
favorisant la traumatisation.
Jean-Philippe, gérant d’une agence bancaire, nous relate le tiger-kidnapping dont il
a été victime : « Il était passé 8 h du soir, mais j’ai ouvert parce que je pensais que
c’était la voisine et il m’a pointé une arme sur le front. J’ai vraiment cru qu’il allait
me tuer. Bon, ça n’a duré que quelques secondes, le temps que je reprenne mes
esprits et que je réalise qu’ils venaient pour la banque et que si je faisais tout ce qu’ils
demandaient, il ne m’arriverait rien et qu’il n’arriverait rien non plus à ma femme et
Les variables liées à l’événement ■ 69

à mon fils, mais sur le moment… Vous savez, ça dure une fraction de seconde. On n’a
pas le temps de réaliser, ça va très vite. Après, j’ai encore eu peur parce qu’ils étaient
nerveux. Une balle, ça part vite ! On voyait bien que ce n’était pas leur premier
coup, mais on voyait bien aussi que ce n’était pas des tout grands du banditisme.
Et je me disais que ça pouvait vite partir en sucette. Au moindre couac et pfft !, ils
perdent les pédales et c’est fini. »
Charline, victime de l’attentat terroriste à l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016
témoigne : « J’ai entendu la première explosion et j’ai crié : “C’est une bombe ! Tout le
monde à terre !” Et puis, il y a eu la deuxième explosion. C’est devenu tout sombre…
le bruit, la poussière, des choses qui tombent sur toi… et puis, ce calme malsain pen-
dant quelques seconds… et après, les gens ont commencé à crier. Je me suis levée, il
y avait des débris de verre partout, des blessés, le plafond était tombé sur le sol…
et je pensais qu’on allait nous tirer dessus ».

Lors de catastrophes naturelles, des personnes ont dû attendre les secours dans des
conditions difficiles sans certitude de l’arrivée de l’aide dans un délai suffisant pour
garder la vie sauve.
Une jeune femme victime du séisme en Haïti raconte : « J’avais la jambe écrasée
par une poutre. Je savais que si on ne venait pas, j’allais mourir. Ma sœur était déjà
morte à côté de moi. Pour elle, ils n’étaient pas arrivés assez tôt… Je l’ai vue mourir et
je n’ai rien pu faire. Je lui ai parlé tout le temps. Je lui disais de ne pas s’inquiéter, je
lui disais qu’on allait nous trouver et qu’on allait l’emmener à l’hôpital et qu’on allait
bien la soigner. Je crois que j’ai parlé bien après qu’elle soit morte. Et je me disais
que moi aussi j’allais mourir, j’allais la suivre, mais à moi, personne ne parlerait… »

Parmi les situations les plus dramatiques, citons les conflits armés et leur cortège
d’atrocités telles qu’avoir été menacé de mort, avoir été grièvement blessé, avoir
échappé à des mitraillages, des pilonnages d’artillerie ou à des bombardements aériens,
avoir été incarcéré dans des camps de concentration et d’extermination, s’être trouvé
sans abri, sans nourriture ni protection, avoir été jeté sur les chemins de l’exode dans
des conditions dangereuses, etc.
En République démocratique du Congo, un expatrié est menacé de mort par un mili-
taire autochtone qui croit reconnaître en lui un paracommando de la Légion étrangère
intervenu contre ses troupes à Kolwezi.
Un ancien captif bosniaque du camp de Keraterm livre le témoignage suivant :
« Ça a commencé à se savoir que dans le camp, il y avait beaucoup d’horreur. Il y
a eu de nouveaux arrivants. On a libéré une salle pour eux et pendant trois jours,
nous, les autres prisonniers, on n’a pas pu sortir des pièces où nous étions détenus.
On est resté enfermé dans le hangar. Nous entendions des coups de feu, les mitrail-
lettes et les cris des blessés. En trois jours, il y a eu à peu près 400 exécutions.
On se demandait constamment quand allait arriver notre tour. »
70 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

1.1.2. La torture et les actes de barbarie


Au Congo, un expatrié est pris en otage par des enfants soldats, il est battu, privé de
boisson et de nourriture et fait l’objet de simulacres d’exécution.
Durant la guerre en ex-Yougoslavie, dans les camps de concentration, les Serbes
infligeaient à leurs prisonniers bosniaques des douleurs physiques intenses, les muti-
laient, les contraignaient à ingérer leurs excréments, etc. L’un d’eux, incarcéré au
camp de Keraterm, raconte : « Un homme a été battu avec une planche dans laquelle
il y avait des clous, le genre de planche avec laquelle on attendrit la viande. L’homme
à qui on a fait ça était boucher. Ils l’ont battu en se moquant de lui. Ils lui disaient en
rigolant qu’ils allaient l’attendrir. Les plaies se sont infectées et puis il y a eu des vers
dedans. C’était horrible. Ça puait. Il souffrait le martyre. Un jour, il est parti avec
une centaine de cadavres de personnes exécutées et une cinquantaine de blessés et
on ne l’a plus jamais revu. »

Une rescapée du génocide rwandais raconte que les Hutus l’ont poussée dans les
latrines, taillé en pièces à la machette ses quatre enfants et jeté leurs morceaux sur
elle.

1.1.3. La transgression forcée de valeurs et de tabous


Quelles que soient les sociétés, subir certaines pratiques odieuses telles que le
cannibalisme, l’ingestion d’excréments, la trahison de proches, l’inceste forcé, etc.
provoquent des émotions et des réactions universelles comme la peur, l’angoisse,
l’effroi, la tristesse, l’horreur, la répulsion et le dégoût. La transgression de tels tabous
engendre l’éclatement des défenses psychiques des victimes, provoque une fracture
avec l’univers de référence et la désaffiliation du groupe d’appartenance (familial,
communautaire, social, politique, religieux, ethnique, etc.) et conduit généralement au
traumatisme (Sironi, 1999).
• Les victimes peuvent être emportées par les circonstances à porter préju-
dice, à trahir, à maltraiter ou à tuer un tiers pour ne pas être elles-mêmes
brutalisées ou massacrées. Commettre des actes aussi ignobles les réduit à
une impuissance extrême tout autant factuelle que psychologique. Cela pro-
voque une détresse incommensurable et les condamne à une culpabilité
durable ainsi qu’à un profond dégoût d’elles-mêmes.
« Les Serbes nous obligeaient de nous battre. On devait se battre entre nous,
entre prisonniers, entre amis… Si on ne se battait pas assez fort et que les Serbes
s’en apercevaient, ils disaient : “Tu appelles ça te battre ?” Et alors, c’était eux qui
nous battaient » racontait Sadik, écroué au camp de Keraterm durant la guerre en
ex-Yougoslavie.

• La transgression des valeurs d’appartenance à l’espèce humaine.


« Nous mangions au milieu des cadavres. On devient inhumain. On devient des
bêtes. » déclarait un rescapé bosniaque du camp de Keraterm.
Les variables liées à l’événement ■ 71

• La transgression des zones d’échange entre l’intérieur du corps de la victime


et l’extérieur1, notamment par l’ingestion forcée de substances impropres à
la consommation.
« Parfois, les Serbes urinaient dans notre nourriture. Parfois aussi ils mettaient des
rats et des souris » témoigne un prisonnier bosniaque du camp d’Omarska.

• La transgression du tabou sexuel dans l’axe intergénérationnel.


Durant le génocide rwandais et dans l’Est du Congo, des civils sont contraints, par
les belligérants, à se livrer à des relations sexuelles avec des membres de leur famille
(entre mère et fils, père et fille, frère et sœur, tante et neveu).

• Le franchissement des limites du règne humain par des actes contre nature
tels que cannibalisme, rapports sexuels avec des animaux, etc.
En 1972, à la suite d’un accident d’avion, une équipe de rugby uruguayenne se
trouva isolée plus de deux mois dans la cordillère des Andes. Les 16 rescapés
durent leur survie à la décision qu’ils prirent de se nourrir des cadavres de leurs
compagnons décédés.
Une assistante sociale révèle : « On a arrêté ce type un peu par hasard. Sa femme
est tombée dans les pommes en revenant d’avoir été conduire ses enfants à l’école et
là, tout s’est mis en marche, enquête sociale et tout le tremblement. Les enfants ont
été placés, le père mis en prison et la mère, elle, elle est complètement traumatisée.
Ils avaient deux grands chiens. Elle raconte que son mari l’obligeait à faire ça avec
les chiens… »
Les outrages aux valeurs religieuses. Des personnes peuvent être contraintes par
les circonstances à proférer des paroles et à accomplir des actes blasphématoires, à
se livrer à des rapports sexuels considérés comme impies (par exemple, la sodomie
dans le monde musulman) ou être suppliciées par leurs agresseurs (crucifixion des
catholiques, inscription dans leur chair au fer rouge ou au couteau de symboles
religieux), etc.
« Les violences sexuelles étaient rares, mais quand elles avaient lieu, on était obligé
par les Serbes de faire ça entre nous. On est musulman, vous comprenez ? C’est ça
qui les amusait, c’est que c’était des musulmans entre eux, obligés. » nous dit un
survivant bosniaque du camp d’Omarska.

• Le forçage des limites du cercle amical et transfert dans le cercle ennemi de


biens (notamment des informations) réservés aux alliés. Dans les contextes
de conflits armés, des individus peuvent être contraints à trahir des secrets
ou à livrer des renseignements confidentiels.
• Les violations des règles culturelles. Des personnes peuvent être forcées à
bafouer des symboles culturels (insulter sa patrie ou ses leaders, déchirer ou

1. Les matières excrétées du corps ne doivent pas y retourner (selles, urine, vomissure) et les subs-
tances externes impropres à la consommation ne doivent pas y pénétrer. Dans la torture, cet axe
dedans (corps de la victime) -dehors est fréquemment inversé.
72 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

brûler un drapeau, etc.) et être soumises à des sévices tels que l’inscription
de symboles dans leur chair (par exemple, « U » pour Ustachi2 gravé dans la
chair des Croates), etc.

1.1.4. Le viol
Le viol compte parmi les expériences les plus traumatogènes tant pour les femmes
que pour les hommes3. Les études montrent que les troubles psychotraumatiques sont
plus marqués lorsque la victime a été violée par un inconnu, qu’elle a été menacée par
une arme, qu’elle a subi des brutalités et qu’elle a été blessée grièvement (Bownes et al.,
1991 ; Resnick et al., 1993).
Une jeune musulmane émigrée est violée en guise de représailles par cinq hommes
de sa communauté pour avoir éconduit l’un d’entre eux.
À la sortie d’un débit de boisson bruxellois, une femme est enlevée par deux mal-
frats, emmenée dans un appartement et violée durant deux jours et deux nuits
avant d’être relâchée.
Durant la guerre en ex-Yougoslavie, les détenus des camps de concentration étaient
contraient d’entretenir entre eux des rapports sodomiques sous l’œil attentif et
goguenard de leurs gardes serbes.
Durant le génocide rwandais, les femmes étaient violées devant leur mari et leurs
enfants.
Depuis la fin des années 1990, dans l’Est de la République démocratique du Congo,
des jeunes femmes sont enlevées dans les villages par des combattants des forces
rebelles et utilisées comme esclaves sexuelles par les troupes.

1.1.5. Les blessures graves et les séquelles physiques importantes


ou irréversibles
Une fois guéries, les personnes blessées aux cours d’un événement dramatique
souffrent davantage de symptômes psychotraumatiques que celles qui s’en sont
sorties saines et sauves. Ainsi, les études épidémiologiques montrent que les com-
battants libanais blessés dans les conflits israélo-arabes sont davantage affectés que
leurs collègues indemnes (15 % contre 3,4 %) (Baddoura, 1990). En France, parmi les
victimes des attentats à l’explosif perpétrés entre 1982 et 1987, 30,7 % des blessés
graves présentent des troubles manifestes contre 10,5 % des impliqués indemnes4. Les
recherches menées suite à la deuxième vague d’attentats en 1995 et 1996 en France

2. « U » pour « Ustaše », Oustachis en français (« les Insurgés »), mouvement nationaliste et fasciste
croate, fondé en 1929 par Ante Pavelić. Durant la Deuxième Guerre mondiale, les membres de l’orga-
nisation ont exterminé plusieurs centaines de milliers de Serbes, de Juifs, de Tsiganes et d’opposants,
notamment les communistes croates.
3. Voir le chapitre « La prévalence des troubles psychotraumatiques ».
4. Voir ibid.
Les variables liées à l’événement ■ 73

(Jehel, Paterniti, Brunet et al., 2003 ; Verger, Dab, Lamping et al., 2004) et après
l’attaque à l’explosif à Oklahoma City (North et al., 1999) confirment ces résultats.
Les blessures sont d’autant plus traumatogènes qu’elles sont graves, douloureuses,
étendues, inesthétiques et visibles (par exemple, lorsqu’elles sont localisées au visage).
Les coups reçus, les accidents, les mutilations, les agressions, les tortures, etc. peuvent
également engendrer des handicaps graves et incapacitants tels des amputations, des
paralysies, des douleurs, une cécité ou une surdité ayant pour conséquence des diffi-
cultés ou une impossibilité de marcher, de s’asseoir, de se pencher, de saisir des objets,
de voir, d’entendre, etc. Les cicatrices et les invalidités sont des stigmas indélébiles ;
tout au long de la vie de la victime, ils recèlent le pouvoir d’évoquer le traumatisme.
« Mes cicatrices, c’est laid, c’est horrible. C’est comme s’il me manquait quelque
chose. C’est comme si ces parties étaient un peu mortes, même au toucher. Avant,
je n’osais pas aller à la piscine. Maintenant, ça, ça va, mais je ne veux pas que ma
femme les touche. C’est pour ça que je ne veux pas qu’elle me prenne dans ses bras.
Même à travers mes vêtements, je ne veux pas qu’elle les touche. C’est comme des
parties mortes. Quand je les vois, je pense tout de suite aux tueries » nous dit Jean,
grièvement blessé dans une fusillade.

Paradoxalement, dans le décours immédiat des événements jusqu’à la sortie de l’hôpi-


tal, voire jusqu’à la guérison, les blessés présentent généralement moins de troubles
que leurs pairs indemnes. La sollicitude de l’entourage, les soins dont ils sont l’objet
et la mobilisation psychique exercée par les sensations physiques douloureuses leur
apporteraient une diversion temporaire qui postposerait la confrontation au trauma-
tisme. Les personnes qui n’ont pas été blessées devraient quant à elle faire face immé-
diatement à la charge émotionnelle et subjective de l’événement.
Une femme est victime d’un grave accident de la route qui lui fera perdre l’usage
de ses jambes.
En route vers son domicile, une jeune femme est kidnappée par deux hommes et
emmenée dans la forêt où elle sera violée et battue avant d’être laissée pour morte,
nue, en plein hiver alors que la température est sous zéro. Elle gardera de lourdes
séquelles des multiples fractures au visage et aux quatre membres.
Un jeune homme accompagnant son père dans un magasin est blessé lors d’une
attaque à main armée meurtrière. L’ablation complète d’un poumon lui causera
d’importantes douleurs durant de longues années et lui imposera de cesser toute
activité sportive.
Lors d’une bagarre de voisinage, un homme est gravement blessé au visage et perdra
l’usage de l’œil droit.
Après un accident frontal qui lui a occasionné une fracture du crâne, une conduc-
trice souffrira de troubles de mémoire invalidants.
74 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

1.1.6. Le décès de proches dans des conditions violentes


Les études épidémiologiques en population générale indiquent que la perte ino-
pinée d’un proche est l’un des événements les plus courants5. Une recherche menée
après un massacre commis par les Israéliens à Hébron en 1989 indique que 39,1 %
des épouses, 50 % des filles et 23,1 % des fils des défunts souffrent d’un trouble post-
traumatique sept mois après les faits (Elbedour et al., 1999). La perte tragique d’une
personne signifiante est d’autant plus dommageable que la personne était attachée
affectivement au défunt.
En regardant dans le rétroviseur, un homme assis au volant de sa voiture assiste
impuissant à l’accident mortel de son épouse écrasée par un chauffard contre le
coffre du véhicule alors qu’elle y prenait des objets.
Des ex-prisonniers bosniaques du camp de concentration serbe d’Omarska en
Bosnie relataient en 1993 que leurs codétenus étaient maltraités durant deux jours
et deux nuits avant d’être exécutés au pistolet.
Au Sri Lanka, un père pleure le décès de sa fille âgée d’un an qu’il a tenté en vain
d’arracher à la vague fatale du Tsunami.
À Port-au-Prince, le 12 janvier 2010, un homme rejoint sa fiancée qu’il a invitée au
restaurant pour fêter son anniversaire. Il lui murmure « Tu es jolie. Je t’aime » avant
de quitter la table pour aller lui chercher un bouquet chez le fleuriste du coin. À
peine est-il sorti de l’établissement que la terre tremble. Il se retourne et voit le mur
s’effondrer funestement sur sa compagne.
En 2003, au sortir de la guerre qui a secoué son pays, une jeune Libérienne raconte :
« J’ai entendu du bruit, j’ai accouru, ils avaient tiré sur mon frère, il y avait du sang
partout, je l’ai pris dans mes bras… Il est mort dans mes bras. Ma fille était là. Elle
hurlait… Ils avaient aussi violé ma fille. »

1.1.7. Le spectacle de la mort d’autrui


Le risque de trouble traumatique est élevé lorsqu’une personne a été confrontée à
la mort violente d’autrui ou à la découverte fortuite d’un cadavre ou qu’elle a participé
à la récolte de restes humains après une catastrophe.
Yvan rapporte le témoignage suivant : « La conductrice n’a pas pu éviter le moto-
cycliste. On s’est précipité vers lui. Il était étalé en plein milieu de la route. Il était
blessé, mais il vivait encore. Il marmonnait, il bougeait un peu, il geignait parce qu’il
avait mal… On était plusieurs, trois ou quatre, autour de lui. Et puis, on a vu cette
voiture arriver à une vitesse dingue. Tout ça a été très vite. On lui a fait des signes,
mais il a continué. J’ai juste eu le temps de dégager… Et il a roulé sur le gars… J’étais
juste à côté, j’ai tout vu… Je n’ai rien pu faire… La voiture ne s’est même pas arrêtée…
Ce n’est pas possible qu’il ne nous ait pas vus… Comment peut-on comprendre ça ?…

5. Voir les différentes études citées par Jolly (2003) et Ducrocq (2009).
Les variables liées à l’événement ■ 75

Je revois sans cesse cet homme, écrasé… Je n’arrête pas de me demander pourquoi
ce type ne s’est pas arrêté… Je me demande ce que j’aurais pu faire de plus. »
Géraldine rapporte le meurtre perpétré par l’homme qu’elle a éconduit quelques
jours avant le drame : « J’ai croisé Kenneth dans la rue. On ne s’était plus vu depuis
des années. On était super contents de se revoir. Comme j’avais des sacs de courses,
il m’a proposé de me ramener chez moi et moi, ça me faisait plaisir de lui montrer
mon appartement. On était en train de boire un coca dans la cuisine quand mon ex
a frappé à la porte. Je lui ai dit de s’en aller… Il était super énervé. Il a dit qu’il allait
défoncer la porte… Et il a défoncé la porte. C’est du véritable carton, cette porte !
Je n’aurais jamais cru qu’on puisse défoncer une porte comme ça, en donnant seu-
lement deux coups de pied… Il est entré et il a tiré sur Kenneth, comme ça, à bout
portant, Pan ! Pan !… Oh, c’est affreux ! »

La vision apocalyptique de nombreux morts inconnus, parfois en mauvais état,


calcinés, putréfiés, déchiquetés, laisse souvent, elle aussi, des traces psychiques
durables chez les rescapés et chez les professionnels d’intervention de première
ligne.
Les survivants ainsi que de nombreux humanitaires arrivés sur les lieux dans le
décours de la catastrophe sont hantés par les images de cadavres en masse que le
tsunami a laissés sur les rivages de l’Asie du Sud-Est en décembre 2004 et par l’hor-
rible spectacle des dépouilles jonchant les rues de Port-au-Prince après le séisme de
janvier 2010.

1.1.8. La confrontation aux blessures graves d’autrui


Plus la victime blessée au cours de l’événement traumatisant est grièvement
atteinte et proche affectivement du sujet (enfant, parents, famille, amis proches), plus
ce dernier court le risque de présenter des symptômes post-traumatiques.
« J’aurais tellement aimé que ce soit moi plutôt que ma fille. Je revois sans cesse
l’accident. Je voudrais pouvoir changer le film. À un mètre près et c’est moi qui
aurais été fauchée et c’est moi qui aurais été blessée et pas ma petite fille. C’est ter-
riblement injuste. Si ça m’était arrivé à moi, peut-être que j’aurais été moins blessée
qu’elle parce que quand même, je suis une adulte, je suis physiquement plus solide
qu’une petite fille et puis, vous savez, ça va laisser des cicatrices, alors, moi, j’aurais
pu composer avec ça, mais elle… Vous imaginez quand elle va commencer sa vie
amoureuse… », nous dit une maman traumatisée par l’accident grave qui a failli
coûter la vie à sa fillette.

Les professionnels de première ligne intervenant auprès des victimes ne sont pas à
l’abri des répercussions traumatiques de l’horreur et de l’effroi inspirés par la vision
de blessures délabrantes.
Des médecins et des infirmiers nationaux et expatriés intervenus après le trem-
blement de terre en Haïti restent perturbés par la vision des plaies des rescapés,
purulentes, verdâtres, infestées de vers et nécrosées, ainsi que par le souvenir des
enfants et des adultes qu’ils ont dû amputer.
76 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

Le personnel des services de secours reste marqué par les nombreux blessés griè-
vement brûlés qu’ils ont secourus après la catastrophe industrielle survenue en
Belgique à Ghislenghien ainsi que par les corps sans vie sévèrement mutilés.

Secouristes, pompiers et soignants sont arrivés rapidement sur les lieux des attentats
de Paris et de Bruxelles. L’ampleur inhabituelle du drame, le grand nombre de blessés
et de personnes décédées et l’état de délabrement des corps sans vie ont éprouvé ce
personnel. D’autres facteurs ont également contribué à leur souffrance. Retenons le
stress d’être intervenus dans une situation non sécurisée, la complexité d’avoir dû
aider plusieurs blessés simultanément, la contrainte d’avoir disposé d’insuffisamment
de temps pour les réconforter et les rassurer ainsi que la difficulté d’avoir dû aban-
donner à leur triste sort les victimes mortellement atteintes pour lesquels leurs efforts
auraient été vains.

1.1.9. La destruction massive d’une ville ou d’une région


Les scènes de désolation laissées par les catastrophes industrielles (explosion d’une
usine, accident dans une centrale nucléaire), les destructions militaires apocalyptiques
(bombardements) et les catastrophes naturelles (séismes, tsunami, etc.) continuent
d’avoir un impact considérable sur les victimes directes ainsi que sur nombre de pom-
piers, d’humanitaires, de militaires et de journalistes intervenus dans le cadre de tels
événements.

1.1.10. La violence intrafamiliale


La violence conjugale et la maltraitance infligées aux personnes âgées du foyer
laissent d’autant plus de séquelles psychiques que les violences sont graves et
fréquentes.

1.2. Le degré d’exposition au(x) facteur(s)


traumatisant(s)
Le risque d’apparition de symptômes post-traumatiques est d’autant plus élevé
que la victime a subi des incidents critiques répétés, de nature diverse, sur une longue
période. En anglais, cette corrélation entre le degré d’exposition et l’intensité de la
réaction du sujet est appelée « dose effect » ou « dose response ».

1.2.1. La durée de l’événement


Des événements subis sur une longue période prédisent généralement une sympto-
matologie traumatique sévère et durable.
Dans les accidents et les catastrophes naturelles, des personnes ont pu attendre
longuement les secours dans des conditions difficiles sur le plan psychologique (incer-
titude par rapport au fait d’être secouru à temps, inquiétude pour l’entourage, etc.),
Les variables liées à l’événement ■ 77

physique (sans pouvoir boire, manger, se mouvoir, en étant parfois blessé et en souf-
frant douloureusement, etc.) et environnemental (emprisonnement dans des espaces
clos, poussiéreux, inondés, accablants de chaleur ou glacés, etc.).
Ysaline raconte : « Alain (son compagnon) a perdu le contrôle du véhicule. La voi-
ture s’est encastrée dans un poteau. Ma jambe a été broyée, j’ai eu sept côtes cassées
et quatre fractures à la mâchoire. Ça vous donne une idée du choc… Alain, lui, n’a
rien eu, juste quelques égratignures. Moi, je suis restée coincée dans la voiture. J’ai
dû attendre plusieurs heures que les services de secours parviennent à me désin-
carcérer. Je ne pouvais qu’attendre. Je ne pouvais rien faire. J’étais complètement
impuissante. Au début, j’étais encore sous le choc, je n’avais pas trop conscience
de ce qui se passait, je n’avais pas trop mal, mais quand la douleur a commencé,
ça a été l’enfer. Je me suis rendu compte que j’avais du sang partout, j’ai réalisé que
je ne pouvais plus bouger. Je ne me souviens pas de tout. Alain me dit que j’étais
très agitée. Il paraît que je criais que je perdais tout mon sang et que j’allais crever si
on ne me sortait pas de là tout de suite. Personne ne parvenait à me calmer. J’étais
comme folle. Et je ne pouvais pas bouger parce que j’étais coincée, mais aussi parce
que le moindre mouvement me faisait un mal atroce. »
Un rescapé a attendu deux jours avant d’être dégagé des éboulis provoqués par un
tremblement de terre.

Les événements extrêmes et prolongés tels les prises d’otage, les combats incessants,
le siège d’une ville, les bombardements répétés, etc. peuvent également avoir de pro-
fondes répercussions, possiblement pérennes, sur la santé mentale des individus. Par
exemple, une étude épidémiologique signale que le risque de souffrir d’un PTSD (Post-
Traumatic Stress Disorder) chez les prisonniers de guerre détenus dans les camps
soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale s’accroît avec la durée de détention.
73,4 % des captifs incarcérés plus d’un semestre présentent de troubles traumatiques
contre 61,7 % de leurs pairs libérés dans un délai de six mois (Crocq, Hein et al., 1992).
Dans l’Est du Congo, des jeunes filles sont enlevées et séquestrées durant de longs
mois dans les campements des forces d’opposition.
Régulièrement, des journalistes et des humanitaires sont retenus en otage pour des
raisons politiques.

1.2.2. La récurrence ou le risque de récurrence de l’événement


délétère
Il existe une relation entre l’apparition d’un tableau traumatique et le risque de
récurrence de l’événement.
De nombreuses femmes sont victimes de violence physique répétée perpétrée par
leur partenaire.
Après un séisme, le risque de tremblements ultérieurs est réel. Les nouvelles
occurrences peuvent se révéler plus traumatiques que la secousse initiale. Ainsi, un
humanitaire qui a agi adéquatement durant le séisme et dans son décours immédiat
demande son évacuation après une forte réplique.
78 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

1.2.3. La fréquence des incidents critiques


Une fréquence soutenue des incidents critiques est le plus souvent prédictive d’un
devenir psychopathologique sévère. Plus les événements se succèdent rapidement, de
manière inattendue ou dramatique, plus la victime risque de présenter des symptômes
traumatiques.
Après un séisme de grande ampleur, chaque jour apporte son lot de mauvaises
nouvelles : le corps d’un proche retrouvé, un parent qui décède de ses blessures,
l’annonce du décès d’une personne signifiante (le pédiatre des enfants, un profes-
seur, le médecin de famille, etc.). « Ça ne s’arrête jamais », « Je ne veux plus qu’on
me dise que quelqu’un est mort, je ne veux plus entendre ça », « On est plus étonné
d’apprendre que quelqu’un est vivant que d’apprendre que quelqu’un est mort »,
témoignent les rescapés du tremblement de terre haïtien.

Il semble toutefois que l’adaptation émotionnelle soit possible si les situations poten-
tiellement traumatiques se produisent à intervalles espacés. Par exemple, dans les
conflits armés, pour peu qu’ils n’aient pas été directement exposés à la menace, que
leur habitation n’ait pas été touchée et que leurs proches aient été épargnés, les civils
confrontés aux bombardements deviennent plus aptes à traverser ultérieurement
des expériences similaires à condition que la fréquence de telles situations soit rela-
tivement faible (Brunet, 1996). Le temps pourrait atténuer l’impact post-traumatique
permettant ainsi dans le futur de faire face adéquatement à des situations analogues.
Rejoignant l’adage populaire selon lequel le temps guérit les blessures, Charles Figley
émet l’hypothèse que pour certaines personnes dans certaines circonstances, le stress
s’évaporerait au fil des jours6.

1.2.4. La multiplicité des facteurs traumatisants


L’importance des symptômes post-traumatiques est fortement corrélée au nombre
d’événements traumatisants vécus. La recherche a montré que plus les survivants
de l’Holocauste avaient été soumis à des facteurs traumatiques, plus ils avaient de
risque de présenter un trouble traumatique (Yehuda et al., 1995).
Durant la guerre au Burundi, suite à un raid organisé par une faction rebelle, une
femme a perdu ses parents, elle a été violée par des hommes en armes et menacée
de mort puis a fui en étant blessée.
Une femme a perdu son époux et son enfant dans un tremblement de terre. Sa mai-
son est détruite et ses biens sont perdus. Elle quitte sa région d’origine sinistrée pour
trouver asile chez une parente.

6. Voir l’hypothèse de l’évaporation du stress (Figley, 1978).


Les variables liées à l’événement ■ 79

1.2.5. La proximité physique de l’événement potentiellement


traumatisant
Les « exposés de près » (« near-miss » en anglais) confrontés de manière directe à la
menace ont un risque plus important de développer des réactions psychotraumatiques
que les « exposés de loin » (« remote-miss » en anglais) situés à distance de l’événement
au moment de son impact (Janis, 1951). Plus les individus sont proches physiquement
du danger vital, par exemple de l’épicentre d’un séisme ou de l’impact d’une bombe, plus
ils risquent de présenter des séquelles traumatiques. Ainsi, une personne dont le garage
a été soufflé par un obus alors qu’elle était dans sa cuisine court davantage de risque de
développer un syndrome traumatique que ses voisins de la rue adjacente. Les études ont
également mis en évidence que la sévérité des symptômes traumatiques manifestés par
les habitants new-yorkais suite aux attentats du 11 septembre 2001 est directement
corrélée à la distance les séparant de Ground Zero7 (Galea et al., 2002 ; Tolin, Foa, 2006).

1.3. L’imprévisibilité et le caractère incontrôlable


de l’événement
La soudaineté, l’imprévisibilité et le caractère incontrôlable d’un événement funeste
aggravent le risque de développement d’un syndrome psychotraumatique.

1.3.1. L’imprévisibilité des facteurs traumatisants


Lorsque les faits se produisent rapidement, de manière inattendue et tragique, ils
tranchent dramatiquement avec le sentiment antérieur de sécurité.
« On ne s’attend pas à ça. Ça va très très vite. On fait tranquillement ses courses et
Pan !, on vous tire dessus. Il faut l’avoir vécu pour comprendre à quel point ça va vite.
La vie bascule comme ça, pfft !, en une seconde. Vous allez faire vos courses, tout va
bien, vous ne pensez à rien de particulier, vous êtes contents parce que vous allez
passer la soirée chez des amis et une minute après, votre père est mort et vous, vous
êtes gravement blessé. Votre vie a basculé et rien ne sera plus jamais comme avant, en
une seconde… en une seconde… », nous explique Jean, victime d’une fusillade.
« Je pense que si j’avais pu l’imaginer, ce ne serait pas pareil. Je ne m’y attendais
pas. J’ai l’impression que si j’avais pu prévoir, ça aurait été différent », nous dit une
maman qui a trouvé le corps sans vie de sa fille adolescente gisant sur le sol de sa
chambre.

À la différence des pays installés en état de guerre chaude, les personnes vivant dans une
région agitée par la violence sociopolitique (terrorisme, conflit chronique) connaissent
des périodes de relative sécurité. Par exemple, les dangers8 pour la population civile

7. Terme anglais désignant l’endroit sur le sol d’une explosion.


8. Les dangers sont similaires à ceux rencontrés durant les conflits aigus.
80 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

sont faibles pendant la journée ou en période d’accalmie politique. La plupart du temps,


les gens ont accès aux commerces, aux écoles, aux transports publics, aux moyens de
communication, à leurs terres agricoles, etc. Le mode de vie est donc proche de celui
vécu en temps de paix. Bien qu’occulté par une apparence de vie « normale », le danger
n’en est pas moins constamment présent. Une longue exposition à une insécurité sourde
ponctuée d’éruptions imprévisibles d’événements violents peut mener à la banalisation
des risques et induire chez les personnes un processus d’adaptation qui peut s’avérer
pathologique avec le temps : appréciation amoindrie ou déni de la menace vitale, senti-
ment d’invulnérabilité après avoir survécu à des incidents critiques, etc.

1.3.2. Le caractère incontrôlable des facteurs traumatisants


Les maltraitances intrafamiliales, la prostitution forcée et les tortures soumettent
les victimes à une violence répétée, exempte de surprise, voire prévisible, mais
généralement incontrôlable. Si les brutalités constituent parfois une « punition »
sanctionnant un comportement jugé inacceptable par les époux, les proxénètes ou les
bourreaux, elles sont fréquemment infligées sans raison aucune. Les victimes sont sou-
vent impuissantes à les faire cesser, à les éviter, à les écourter et à en réduire l’intensité.
L’incapacité à agir sur son environnement, l’inexorabilité et le caractère incontrôlable
des sévices engendrent une « résignation acquise » ou « impuissance acquise »9. Si la
prévision des violences tend à émousser les réactions de stress face au danger, l’inca-
pacité traumatique à contrôler l’événement n’en demeure pas moins présente.
Les émotions (peur, horreur, etc.) et les comportements (fuite, attaque, etc.) manifes-
tés face à une situation menaçante sont quasi réflexes. Ils sont toutefois complexifiés
par les fonctions cognitives et sont susceptibles d’être modifiés par la répétition
et l’apprentissage. En effet, les individus sont, dans une certaine mesure, capables
d’apprendre à reconnaître un danger, d’en mesurer les conséquences et d’établir des
réponses psychiques et comportementales ajustées.
L’exposition répétée à des événements stressants en situation réelle ou par le biais
de simulations permettrait donc de maîtriser les réactions émotionnelles qu’ils pro-
voquent. Ainsi, les personnes soumises de manière récurrente à de tels événements
ou formées préventivement deviendraient plus aptes à traverser ultérieurement des
situations similaires. Grâce à leur réitération, elles seraient amenées à reconsidérer leur
dangerosité et à en apprécier plus correctement les risques ; elles acquerraient progres-
sivement des comportements mieux adaptés et renforceraient leurs mécanismes de
coping. En favorisant l’adaptation, cet apprentissage aurait pour effet de réguler leurs
émotions. Il existerait ainsi une inoculation graduelle au stress (Epstein, 1983). Une
étude a prouvé que les Israéliens soumis à une vague de terreur ont vu leur niveau
de stress et de souffrance diminuer parce qu’ils ont développé des moyens efficaces

9. Traduction de « learned helplessness », selon la théorie générale des effets de l’incontrôlabilité de


Martin Seligman (1975). La résignation acquise est une notion issue des théories de l’apprentissage et
du conditionnement. Elle se définit comme la résultante d’expériences répétées d’insuccès entraînant
l’abandon des efforts et se caractérise par un déficit de réaction face aux événements.
Les variables liées à l’événement ■ 81

d’appréhender et de gérer le danger (Shalev, cité par Blumenfield, Ursano, 2008). De


même, les intervenants de première ligne expérimentés et entraînés (sauveteurs, méde-
cins légistes, policiers, pompiers, personnel humanitaire, etc.) auraient moins de risque
de manifester une détresse que leurs collègues novices (Ersland et al., 1989 ; Hytten
et al., 1989). Il semble cependant que cette désensibilisation soit fortement corrélée à
l’intensité et à la fréquence des situations vécues. Plus les stimuli sont des événements
possiblement contrôlables, plus l’exposition doit être fréquente pour que les individus
atteignent un niveau de compétence leur permettant d’affronter adéquatement toute
autre situation semblable. Par exemple, un pompier qui irait trop rarement au feu
n’apprendrait pas à maîtriser ses comportements et à moduler son stress. A contrario,
la confrontation à des événements menaçants et dangereux ne constituerait pas un
apprentissage favorisant l’adaptation future. Plus les situations exposent à un risque
vital et moins le fait d’y être confronté serait profitable. Par exemple, avoir échappé à
la mort, avoir été blessé ou avoir assisté impuissant à la mort d’un collègue en cours
d’intervention renforcerait puissamment la peur et accroîtrait le risque de développer
un syndrome psychotraumatique. La répétition de tels événements induirait ainsi une
vulnérabilité croissante.

1.4. La part sombre de l’âme humaine


Certains événements et situations confrontent les victimes à la part sombre de
l’humanité : l’avidité, la cruauté, la méchanceté, la lâcheté, l’égoïsme, etc.

1.4.1. L’intentionnalité de l’auteur de recourir à la violence


et la volonté de causer un préjudice à la victime
L’intention de recourir à la violence doit être distinguée de la volonté de causer
un préjudice. Lorsqu’il fait usage de la force, l’auteur ne nourrit pas forcément le des-
sin de nuire à la victime directe de ses agissements. Par exemple, dans un hold-up ou
un tiger-kidnapping, l’agresseur n’a pas pour objectif de léser la personne qu’il menace
de son arme, mais de s’emparer des avoirs d’une société (une banque, un supermarché,
la Poste, etc.). Toutefois, ces attaques perpétrées sans intention hostile à l’égard des
victimes directes engendrent fréquemment des troubles traumatiques. Le risque de
développer de tels troubles est plus important lorsque l’agresseur a nourri le désir de
nuire à la victime. Quand la mort, les blessures, la souffrance et les dégâts sont occa-
sionnés délibérément par un tiers malveillant, les règles de base régissant l’humanité
sont transgressées et les valeurs essentielles de l’existence telles que la sécurité, la paix,
le bien, la bonté, le respect de la vie, la solidarité, la morale, la justice et l’accessibilité
au sens des choses sont remises en question. Le vécu traumatique suscite dès lors une
interrogation sur la nature humaine.
Un rescapé de la guerre en ex-Yougoslavie détenu au camp de concentration
d’Omarska raconte : « Dans toutes ces horreurs, ce qui m’a le plus marqué, c’est un
prisonnier, un musulman, il a été obligé par un garde serbe d’arracher les testicules
d’un autre prisonnier, un musulman lui aussi. Il a dû arracher les testicules de son ami
82 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

avec ses dents. Parce que ces deux hommes, c’était des amis, ils vivaient dans le même
village. Ils faisaient tous les deux du karaté. Avant la guerre, ils étaient dans le même
club de karaté. Un Serbe avait une main sur la bouche de l’homme à qui on arrachait
les couilles pour l’empêcher de crier. Un autre garde avait un couteau sur l’œil de
celui qui devait arracher. Il disait à cet homme que s’il criait, il lui sortirait son œil. Et
vous savez, le garde serbe qui a obligé les hommes à se faire ça, il connaissait les deux
musulmans. Il venait du même village qu’eux. Le Serbe, en fait, c’était le patron du
café du club de karaté. Après, quand c’était fini, l’homme est mort d’une hémorragie.
Et nous, on a vu ça. »

Les Français et les Belges ont été la cible d’attentats terroristes qu’ils ont perçus
comme une atteinte à leurs valeurs et leurs modèles culturels. Ils ont eu le sentiment
d’avoir été attaqués « pour ce qu’ils sont ».

1.4.2. Le refus de porter secours


Les victimes peuvent être traumatisées par l’attitude d’individus qui trahissent
les valeurs morales telles le courage, l’altruisme, le dévouement, la générosité, etc. Par
exemple, si elles ne peuvent rien attendre de personnes pleutres, égoïstes, lâches ou
sans cœur alors qu’elles sont en danger de mort, leur confiance en l’humanité peut s’en
trouver ruinée.
En Haïti, une femme prisonnière des décombres de sa maison détruite par le séisme
appelle son voisin à son secours. À deux reprises, il lui refusera son aide. « Le pire
pour moi, c’est ça, de toute cette horreur, c’est ça. On était bons voisins, on s’enten-
dait bien. Après, il est venu s’excuser. J’ai perdu complètement confiance en l’être
humain. J’ai vu jusqu’où il était capable d’aller. J’ai pu voir jusqu’où peut aller la
lâcheté », déclare-t-elle.
Durant le génocide, une femme tutsie est chassée par son voisin à qui elle a sollicité
une cache pour la nuit. Elle raconte : « On était comme frère et sœur. On était amis.
On allait ensemble à l’église. Il a eu peur pour lui. Il n’a pas pensé à moi pourtant
il savait que je n’avais quasiment aucune chance de m’en sortir. Maintenant, je sais
comment est l’Homme… »

1.5. Les conséquences négatives de l’événement


Des difficultés majeures peuvent découler de l’événement traumatique. Elles
risquent d’aggraver les dommages physiques ou psychologiques causés par l’incident
délétère, voire d’engendrer de nouvelles souffrances. Voici quelques exemples de diffi-
cultés additionnelles résultant du traumatisme initial :
Incapable d’assumer ses fonctions professionnelles après avoir été violée, Stella est
licenciée de son emploi. Sans revenus suffisants, elle connaît des difficultés financières
et est menacée d’expulsion par son propriétaire dont elle n’honore plus le loyer.
Une femme est gravement handicapée suite à l’agression qu’elle a subie. Une autre
est encore en litige avec l’agresseur après plusieurs années de procédure judiciaire.
Les variables liées à l’individu ■ 83

De nombreux réfugiés et déplacés internes d’un conflit armé trouvent refuge dans
des camps surpeuplés, peu hygiéniques et offrant un accès limité à l’eau et à la
nourriture.
Les personnes ayant fui leur pays ravagé par la guerre, émigré dans les pays occi-
dentaux sont souvent longuement en attente de l’acceptation aléatoire du statut de
réfugié.
Un grand nombre de femmes violées durant le génocide rwandais ont été contami-
nées par le virus du SIDA.
En Haïti, après le séisme, les rescapés se sont trouvés à vivre dans la rue ou dans des
camps de fortune. Les moins chanceux n’avaient même pas une bâche sous laquelle
s’abriter. L’hygiène était inexistante. Une odeur pestilentielle émanait des coins où les
personnes faisaient leurs besoins. La nourriture et l’eau manquaient. Il n’y avait plus
d’électricité, de moyens de communication, d’écoles, de magasins, d’ateliers, de bureaux,
d’usines et d’hôpitaux. Les prix des transports, de la nourriture, du carburant et des
loyers avaient augmenté de manière importante. À ces conditions difficiles s’est ajoutée
l’insécurité. Quatre mille personnes se sont évadées des prisons et de nombreux poli-
ciers ont été tués durant le séisme. La reconstruction du pays va prendre des années.
« Quand est-ce que je vais pouvoir à nouveau entrer dans une maison, quand est-ce
que je vais pouvoir à nouveau prendre un bon repas, quand est-ce que je vais pouvoir
à nouveau pouvoir prendre un bain chaud, quand ? », me demande un rescapé.

2. Les variables liées à l’individu


La manière dont une victime réagit à un événement délétère est fonction de son
genre, de sa personnalité, de ses antécédents et de facteurs de vulnérabilité qui lui sont
propres, de son niveau de préparation psychologique, de son degré de responsabilité
dans le déclenchement ou le déroulement de l’événement, de ses croyances de base
sur elle-même, le monde, les autres et l’expérience traumatique, de ses convictions
religieuses, de son état mental au moment de l’événement (conflit de conscience et de
culpabilité), des stratégies de coping mises en place pendant et après les faits ainsi que
des bénéfices secondaires générés par la situation.

2.1. Le genre
Tous incidents critiques confondus, les femmes sont moins fréquemment victimes
d’expériences traumatiques que les hommes. Toutefois, selon la nature des événements,
cette disparité s’accroît ou s’inverse. Ainsi, les hommes sont plus souvent victimes
d’agressions physiques, d’accidents graves, d’incidents liés aux combats militaires et
témoins du spectacle de la mort d’autrui ou de blessures graves infligées à un tiers.
Les femmes rapportent davantage d’agressions sexuelles et de maltraitance durant
l’enfance (abus et négligences) (Breslau et al., 1991 ; Kessler et al., 1995 ; Perkonigg et
al., 2000 ; Stein, McQuaid et al., 2000 ; Jolly, 2003).
84 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

Après avoir vécu un même événement, les femmes risquent deux fois plus que les
hommes de souffrir d’un état de stress post-traumatique (Breslau et al., 1991 ; Kessler
et al., 1995 ; Davidson et al., 1991 ; Helzer et al., 1987 ; Perkonigg et al., 2000 ; Alonso
et al., 2004 ; Vaïva et al., 2006 ; Tolin, Foa, 2006); elles développent des tableaux plus
sévères et d’une durée plus longue que leurs pairs masculins (Breslau et al., 1998).
Différentes hypothèses sont émises pour expliquer la vulnérabilité liée au sexe féminin.
Des caractéristiques sociales et culturelles ainsi que des spécificités biologiques et hormo-
nales10 comptent probablement au nombre des explications. Des facteurs émotionnels,
cognitifs et comportementaux pourraient également jouer un rôle. Confronté à une
situation inhabituelle, un individu se livre à une première évaluation (évaluation pri-
maire) et détermine s’il est en sécurité ou en danger. Si la situation se révèle menaçante,
il opère une deuxième estimation (évaluation secondaire11) et juge s’il possède les moyens
d’agir efficacement (fuir, se défendre, trouver de l’aide, etc.). Si sa conclusion s’avère
négative, il éprouve généralement de l’effroi, de la terreur, des sentiments d’horreur ou
d’impuissance fortement susceptibles d’engendrer des symptômes dissociatifs immédiats
et des troubles traumatiques ultérieurs12. Or, plus souvent que les hommes, les femmes
évalueraient insuffisantes les ressources dont elles disposent pour contrer les situations
délétères. Des spécialistes en neuropsychologie ont montré que les femmes sont plus
susceptibles de se dissocier que les hommes, ce qui expliquerait aussi la probabilité plus
grande de développer un syndrome psychotraumatique (Schore, 2002 ; Perry, 1996).
Par ailleurs, les individus manifestent des symptômes différents selon leur genre.
Les hommes présentent davantage de symptômes externalisés (abus de substances
psychoactives, irritabilité, crises de colère, comportement violent, passages à l’acte
agressif, etc.) et les femmes des désordres internalisés (dépression, anxiété, plaintes
somatiques, passage à l’acte suicidaire, isolement, sentiments de culpabilité, auto-
accusations, etc.) (Tolin, Foa, 2006). Ces différences trouveraient leur origine dans les
processus adaptatifs privilégiés selon le sexe. Les hommes adoptent plus souvent des
stratégies de coping centrées sur le problème13 et les femmes des stratégies centrées
sur l’émotion14. Nous l’avons vu, les femmes ont plus souvent que les hommes l’impres-
sion, objective ou subjective, que la situation est incontrôlable. Or, face à une situation
d’indigence, l’individu tente de gérer ses problèmes émotionnels alors qu’il favorise les
stratégies centrées sur le problème lorsqu’il pense la situation maîtrisable.

10. Certains soutiennent que les œstrogènes pourraient jouer un rôle (Charnet, 2004).
11. Évaluation primaire et secondaire selon les théories de Lazarus et Fokman (1984).
12. Voir le chapitre consacré aux réactions face à un événement traumatique.
13. Cette stratégie vise à réduire les exigences de la situation et/ou à augmenter ses propres res-
sources pour mieux y faire face. La résolution du problème (recherche d’informations, élaboration de
plans d’action) et l’affrontement de la situation (efforts et actions directs pour modifier le problème)
sont des illustrations de ce type de coping (voir Bruchon-Schweitzer, 2001).
14. Il vise à gérer les réponses émotionnelles induites par la situation. Éviter et fuir, se sentir res-
ponsable (auto-accusation), exprimer ses émotions (colère, anxiété, etc.), minimiser la gravité de la
situation ou la réévaluer positivement, nier la réalité (pensée magique, dénégation), rechercher du
soutien émotionnel sont quelques exemples de ce type de coping (voir Bruchon-Schweitzer, 2001).
Voir également le sous-chapitre « Les stratégies d’adaptation ».
Les variables liées à l’individu ■ 85

2.2. La personnalité et les facteurs de vulnérabilité


propres au sujet
Il existe une multitude de variables personnelles, antérieures et postérieures à
l’incident critique, susceptibles d’affecter le destin psychique de la victime.

2.2.1. Les traumatismes antérieurs


Les personnes traumatisées dans le passé présentent un risque accru de déve-
lopper un tableau traumatique lors de l’exposition à un nouvel incident critique. Par
exemple, avoir subi une violence sexuelle augmente la probabilité de souffrir d’une
affection traumatique lors d’une agression ultérieure (Burgess, Holmström, 1979 ;
Bremner, Southwick et al., 1993). Une étude a également montré que les soldats
combattant durant la guerre au Liban étaient plus vulnérables au traumatisme s’ils
avaient manifesté des réactions traumatiques lors d’une guerre précédente (Solomon,
Mikulincer, Jakob, 1987).

2.2.2. Les événements personnels antérieurs


Les événements douloureux, en particulier s’ils sont récents, tels séparations,
pertes, maladies graves, accidents et déplacements significatifs (expatriation, exil),
perte d’emploi, difficultés financières, etc. conditionnent partiellement les forces et la
vulnérabilité psychique des individus face aux événements délétères.

2.2.3. L’état physique et mental au moment de l’événement


Les sujets peuvent être vulnérabilisés par un état de faiblesse ou un affaiblissement
physique et/ou mental consécutif à une maladie, une perturbation neurologique, un
handicap, une fatigue, un stress, un épuisement professionnel (burn-out), une déficience
mentale ou intellectuelle, un abus d’alcool, une consommation de drogue, etc. En raison
d’une « vulnérabilité résultant d’un amoindrissement énergétique » (Crocq, 1999), ils
ne possèdent pas les ressources suffisantes pour faire face à un événement délétère.

2.2.4. Le fonctionnement psychologique préalable de la victime


Une personnalité introvertie, timorée, peureuse, évitante, émotive, peu sociable,
dépourvue de sens pratique, etc., peut prédisposer le sujet à développer des troubles
post-traumatiques (stratégies habituelles d’évitement). Ainsi, l’inhibition comporte-
mentale, manifestée par une timidité, une réserve et des réactions de retrait face
aux personnes, aux situations ou aux lieux non familiers serait prédictive de la
survenue de désordres anxieux (notamment, angoisse, anxiété généralisée, troubles
phobiques). Cette caractéristique possède une forte composante génétique (Kagan,
1999). L’équipement psychologique initial apporté par les relations précoces nouées
avec les figures d’attachement pourrait également jouer un rôle. Ainsi, les personnes
ayant tissé dans leur enfance un attachement anxieux (évitant, ambivalent/résistant
86 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

ou désorganisé/désorienté) présentent tout au long de leur vie, notamment lorsqu’elles


sont confrontées à des circonstances difficiles, un risque accru de troubles divers
(désordres anxieux, plaintes somatiques, comportements agressifs et repli sur soi)
(Josse, 2011). Une « émotionnalité » élevée et un niveau bas de sociabilité15 favorise-
raient l’émergence de désordres anxieux et dépressifs. Cette vulnérabilité pourrait
toutefois être modulée par des variables telles que l’estime de soi, le support social
et le contexte environnemental. A contrario, les personnes qui se caractérisent par
leur engagement (implication active), leur optimisme, leur attrait pour la nouveauté
et le changement, leur faible propension à l’évitement, leur besoin de maîtrise et leur
sentiment de contrôle personnel seraient plus résistantes au stress et au traumatisme
(« personality hardiness »). Le cas échéant, elles seraient plus aptes à se relever d’un
événement délétère, confiantes en leur capacité à résoudre les problèmes et à surmon-
ter les difficultés16.

2.2.5. Les antécédents psychopathologiques du sujet


Une personnalité prémorbide et une psychopathologie avérée (névroses et psy-
choses) peuvent infléchir les réactions d’une victime et contribuer à la sévérité du
tableau psychotraumatique. Les antécédents de dépression majeure, de désordres
anxieux (attaques de panique, anxiété généralisée, agoraphobie, etc.), de troubles
obsessionnel-compulsif et de plaintes psychosomatiques pourraient favoriser l’émer-
gence et l’installation d’un traumatisme psychique (Perkonigg et al., 2000 ; Breslau et
al., 1991 ; O’Toole et al., 1999). Louis Crocq souligne toutefois l’adaptation paradoxale
de personnalités schizoïdes, voire de schizophrènes avérés, affrontant des combats
militaires. De même, certains psychopathes pourraient trouver dans les situations de
conflits armés une « béquille psychique » salutaire (Crocq, 1999, p. 200).

2.2.6. La vulnérabilité de résonance


Cette résonance empathique découle de la signification particulière que peut revê-
tir une situation pour un sujet particulier à un moment de son histoire.
Un expatrié d’une ONG, confronté à un enfant mutilé, s’identifie à la mère éplorée,
car il vient lui-même de devenir père.

2.3. Le niveau de préparation psychologique


Le manque d’expérience antérieure et de formation adéquate constitue un facteur
de risque. Inversement, nous l’avons vu, les réactions émotionnelles provoquées par
des événements stressants peuvent partiellement être maîtrisées par leur répétition17.

15. On entend par émotionnalité, une réactivité émotionnelle intense (voir Buss, Plomin, 1984).
16. Voir les différentes études citées par Guay, Marchand (2007, p. 56).
17. Voir supra, p. 81.
Les variables liées à l’individu ■ 87

Certaines personnes, grâce à la formation professionnelle dont elles ont bénéficié sont
moins à risque de développer un traumatisme. Ainsi, les militaires et les profession-
nels des services de secours (pompiers, policiers, etc.) qui se portent volontairement
au-devant du danger, sont plus aptes à gérer leurs émotions et leur comportement
qu’un banal civil plongé dans les mêmes situations. L’apprentissage et l’entraînement
reçus induisent des restructurations cognitives : ils conceptualisent la situation
aversive (évaluation primaire) de manière différente (par exemple, le danger est
perçu comme un défi et non comme un péril mortel), ils évaluent les risques plus
efficacement et acquièrent les aptitudes nécessaires pour les contrer (comportement
mieux adapté, nouveaux gestes appris, etc.). Disposant des ressources utiles, leur
évaluation secondaire18 se conclut positivement (« Face à ce danger, je suis en mesure
d’agir efficacement »), ce qui entraîne une autorégulation émotionnelle et la mise en
œuvre de stratégies visant à maîtriser la situation (mécanismes de coping centré sur
le problème).
Les journalistes de guerre et les humanitaires choisissent eux aussi délibérément de
s’investir dans des contextes dangereux. Ils ne sont pas formés à affronter la menace
par des comportements offensifs (par exemple, par l’usage d’une arme), mais déve-
loppent leur capacité à éviter les situations les plus périlleuses (évaluation primaire
pointue, notamment par le repérage des signes précurseurs de danger) et le cas
échéant, à réagir adéquatement (fuite, négociation, etc.). Confiants dans l’efficacité de
leurs ressources (évaluation secondaire), ils font face hardiment à la situation.
La compétence de ces différents corps professionnels ne les protège pas complètement
d’une implication émotionnelle (par exemple, en cas de décès brutal de collègues, de
meurtres d’enfant, de catastrophes de grande ampleur, etc.) ni d’un véritable trauma-
tisme. Ainsi, si leur vie a été directement menacée, ils courent un risque important de
développer des réactions psychotraumatiques19.
Dans les contextes de guerre et de terrorisme, les civils sont également exposés de
manière récurrente à des événements hautement stressants et potentiellement trau-
matiques. Après avoir développé des stratégies de lutte efficaces20 (par exemple, aide
mutuelle, échange d’information, radio-émetteurs dans les véhicules, etc.), certains
deviennent plus aptes à affronter des situations similaires et en conséquence, plus
confiants en leur capacité à les gérer (évaluation secondaire). Toutefois, nous l’avons
vu21, une longue exposition à une insécurité chronique risque d’altérer les évaluations
du risque tant primaire (estimation amoindrie ou déni de la menace vitale) que secon-
daire (appréciation erronée des compétences personnelles, en raison, par exemple, d’un
sentiment d’invulnérabilité) et induire des processus d’adaptation pathologiques.

18. Voir le sous-chapitre « Le genre ».


19. Voir les exposés de près (near-miss) et les exposés de loin (remote-miss) selon Janis (1951).
20. Shalev, cité par Blumenfield, Ursano (2008, p. 157).
21. Voir « L’imprévisibilité et le caractère incontrôlable de l’événement ».
88 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

2.4. Le degré de responsabilité de la victime


dans le déclenchement ou le déroulement
de l’événement
Lorsque le sujet a joué un rôle dans le déclenchement du drame, dans son déroule-
ment funeste ou dans l’aggravation de ses conséquences, le risque qu’il développe un
syndrome psychotraumatique est très élevé.
Un homme est allé faire quelques achats et a laissé son enfant de 5 ans seul dans
l’appartement. Il a omis d’éteindre le bec de gaz de la cuisinière sur lequel mijotait
le dîner. En son absence, un incendie s’est déclenché dans lequel son petit garçon a
péri. À son retour, l’appartement était en feu et il entendait son enfant hurler.
Sur le chemin de retour de discothèque, un jeune homme d’une vingtaine d’années,
sous l’effet combiné de la fatigue et de l’alcool, s’est encastré dans le pylône d’un
pont d’autoroute, tuant accidentellement deux de ses compagnons. Depuis, il est
tenaillé par la culpabilité et hanté par le désir de les rejoindre dans la mort.
Une jeune conductrice fauche un piéton âgé imprudent en état d’ébriété. Bien que le
constat de police l’innocente totalement, elle se sent coupable d’avoir « tué » le piéton.

2.5. Les conflits intrapsychiques


Avoir vécu un conflit intrapsychique au moment de l’événement critique accroît le
risque de développer un syndrome psychotraumatique. C’est le cas lorsque la victime
a été contrainte à transgresser des valeurs et des tabous personnels ou culturels.

2.5.1. Le conflit de conscience


En plein cœur d’un drame, une personne peut être tiraillée entre des sentiments
différents tels qu’assurer sa survie et assumer sa responsabilité à l’égard d’un tiers.
Tout en désirant, par exemple, rester solidaire de compagnons d’infortune, elle est
tenaillée par le besoin de se sauver sans tenir compte des autres victimes ; elle voudrait
prendre des risques pour venir en aide à autrui, mais dans le même temps, elle veut
privilégier égoïstement sa sauvegarde, etc.
Une femme est restée cachée dans la cabine d’essayage d’un grand magasin lors d’un
hold-up. Une partie d’elle-même aurait voulu sortir pour être solidaire des autres
clients et du personnel alors qu’une autre partie désirait rester cachée quoi qu’il
puisse advenir aux autres.

Dans d’autres cas, le sujet peut être pris dans un dilemme entre agir pour une noble
cause, par exemple l’intérêt supérieur d’un groupe de personne ou d’une nation, et le
respect de convictions personnelles.
Pour obtenir les informations nécessaires à la capture d’un narcotrafiquant dans
un pays producteur de drogue, le membre d’un corps d’élite gouvernemental infiltre
Les variables liées à l’individu ■ 89

un réseau de dealers. Durant 6 mois, il leur vend de la drogue. « C’est des gamins qui
allaient acheter cette crasse. Bien sûr, si je l’ai fait, c’est pour arrêter un gros poisson.
Ici, on ne parle pas de quelques grammes, on parle de centaines de kilos… Je sais que je
l’ai fait pour une bonne cause. Au moins, ce trafic est démantelé et les gars sont sous les
verrous pour très longtemps, mais je ne peux pas m’empêcher de penser à ces gamins.
Les gamins qui achètent ça, vous savez ils ont plus ou moins l’âge de mon fils… »

2.5.2. Le conflit de culpabilité


Le conflit de conscience se potentialise parfois du conflit de culpabilité lorsque la
personne a accompli une action inadmissible selon ses convictions morales ou éthiques
et qu’elle la regrette ensuite ou qu’elle s’est abstenue d’intervenir dans une situation où
elle était témoin d’actes immoraux.
Au plus fort du génocide, un responsable de la sécurité d’une ONG est envoyé au
Rwanda pour évacuer ses collègues qui y sont expatriés. Il se trouve dans l’impos-
sibilité de réaliser son désir de sortir du pays l’équipe nationale de l’organisation.
Or il est certain que la majorité de ceux-ci seront assassinés dans les heures ou les
jours qui suivront son départ. Par ailleurs, ce qu’il veut le plus, il le veut le moins.
En effet, il sait que si des Rwandais tutsis l’accompagnent, il met directement sa vie
en danger ainsi que celle des autres expatriés.

2.6. Les stratégies d’adaptation


« Coping » est un terme anglais issu du verbe « to cope with » signifiant « faire
face ». Richard Lazarus et Susan Folkman définissent le coping comme « l’ensemble
des efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants (déployés) pour
gérer des exigences spécifiques internes et/ou externes qui sont évaluées (par la per-
sonne) comme consommant ou excédant ses ressources » (Lazarus, Folkman, 1984). Le
coping est donc la façon dont nous raisonnons et agissons pour remédier aux situations
aversives. Il est déterminé à la fois par des traits inhérents à l’individu, les caractéris-
tiques de la situation et l’interaction réciproque entre ces deux variables, sujet et agent
stressant. Il est vigilant, actif, orienté vers la tâche ou centré sur le problème lorsqu’il
vise à contrôler la situation (attitude active telle qu’affronter les difficultés, rechercher
des informations, des moyens ou des solutions, développer des plans d’action, quérir
du soutien social, etc.). Le coping est dit évitant, orienté vers l’émotion ou orienté vers
la personne lorsqu’il engage des stratégies visant à réduire les réactions de stress (se
relaxer, s’adonner à une activité de détente, relativiser, se distraire, fuir, éviter, etc.)
ou lorsqu’il implique un accroissement de la détresse émotionnelle (auto-accusations,
résignation, ruminations mentales, attitudes passives comme espérer un miracle, fuite
dans la rêverie et la consommation de substances psychoactives, retrait, etc.)22.

22. Pour le coping orienté vers la tâche, l’émotion, l’évitement et la personne, voir Endler, Parker
(1990); pour les coping vigilant et évitant, voir Suls, Fletcher (1985).
90 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

Les études ont montré que la présence, la fréquence et la sévérité des symptômes
traumatiques manifestés par les militaires sont corrélées positivement au recours à
des stratégies centrées sur l’émotion et négativement à l’usage de stratégies orientées
vers le problème23. Comparés aux processus visant la distanciation et l’évitement, les
modes de coping actif protégeraient donc davantage du traumatisme psychique, tant
au moment de l’exposition à l’événement délétère qu’après.

2.6.1. Les stratégies d’adaptation à l’événement potentiellement


traumatisant
Le coping primaire centré sur le problème est adapté dans les situations où la per-
sonne est en mesure d’agir efficacement pour contrer la menace ou en réduire l’impact.
Ainsi, un passant qui porte secours à un motocycliste accidenté, alerte les services de
secours ou règle la circulation pour éviter des collisions additionnelles court un risque
moins élevé de présenter des symptômes post-traumatiques qu’un quidam frappé de
stupeur et privé de ses capacités de réaction. Notons cependant qu’agir en dépit du bon
sens peut s’avérer pathogène.
Louis, gérant d’une agence bancaire, a été victime d’un tiger-kidnapping. Il s’est
enfui par le jardin, en enjoignant à son épouse de le suivre. Les malfrats armés les
ont talonnés sur quelques centaines de mètres avant de renoncer. « Je ne peux pas
avoir confiance en moi. Ça aurait pu très mal tourner. Ça aurait pu mal tourner
pour moi, mais aussi pour ma femme. Je m’en serais voulu toute ma vie. On a eu
de la chance, mais je me dis “Qu’est-ce qui se passera si ça m’arrive encore ? Ça ou
autre chose, d’ailleurs.” À cause de mon comportement débile, on aurait pu mourir
tous les deux » nous dit-il.

Un coping primaire centré sur l’émotion peut se révéler salvateur lorsque la victime
est démunie de tout moyen d’action.
Bruno Bettelheim rapporte que dans les camps de concentration nazis, les détenus
les plus fervents se retranchaient dans un monde imaginaire où ils étaient pleinement
exaucés. Ils résistaient ainsi aux manœuvres des geôliers visant à détruire en eux tout
espoir d’exercer une influence sur leur sort et survivaient plus longtemps que leurs
pairs, les « musulmans »24, qui s’étaient ralliés au projet génocidaire formé contre eux.

2.6.2. Les stratégies d’adaptation après le trauma


Les personnes dont le mode de coping préférentiel est centré sur le problème
mettent en œuvre des actions adaptatives et recherchent davantage le soutien de leur
entourage que celles qui recourent à des stratégies de distanciation et d’évitement.

23. Voir les différentes études citées in Lavoie et al. (2009).


24. « Musulman » était un terme employé dans les camps de concentration pour désigner les détenus
(juifs et autres) à bout de forces, maigres et décharnés, survivant dans un état voisin de la mort. Le
terme « musulman » a probablement été inspiré par le fatalisme musulman résumé dans la formule
arabe « Mektoub » (« C’était écrit »). Voir Kotek, Rigoulot (2000).
Les variables liées à l’individu ■ 91

Se confier aux proches contribuerait au processus d’intégration émotionnel et cognitif


des événements traumatiques, ce qui serait salvateur. Notons toutefois que les efforts
déployés par les personnes actives pour affronter leurs responsabilités ou pour ne pas
perdre la face mobilisent une énergie considérable qui à court ou à moyen terme peut
diminuer dramatiquement leur résistance.
Une femme ne veut pas « se laisser aller » à son chagrin suite au décès tragique de
son époux parce qu’elle doit continuer à assumer ses enfants.
Un expatrié d’une ONG ne veut pas « craquer », car il craint de perdre son emploi.

On ne peut exclure qu’un coping secondaire centré sur l’émotion puisse s’avérer béné-
fique quand rien ne peut prévenir un dommage (par exemple, se divertir pour une
personne atteinte d’une maladie mortelle).

2.7. Les conséquences positives de l’événement


Si l’événement traumatisant initial peut avoir des conséquences délétères, il peut
aussi générer des avantages pernicieux. En effet, si la victime tire des bénéfices secon-
daires de sa souffrance (satisfaction de désirs personnels, sollicitude de l’entourage,
avantages financiers, etc.), elle peut être tentée d’en exagérer l’importance et la restau-
ration de son équilibre psychique peut s’en trouver retardée.
Une personne est mise en congé pour maladie et évite ainsi de reprendre un travail
qu’elle déteste.
Une femme est « chouchoutée » par un mari auparavant très distant.
Un homme attend que son handicap soit évalué par les assurances. Il risque de
perdre le bénéfice d’une pension élevée si son état s’améliore.

2.8. Les facteurs cognitifs


Des facteurs cognitifs peuvent également contribuer à inaugurer ou à chroniciser
les troubles traumatiques.

2.8.1. Les croyances de base


Selon Ronnie Janoff-Bulman (1992), la plupart des gens sont inconsciemment
convaincus que le monde est bienveillant et que leurs semblables sont bons, moraux,
honnêtes et prompts à offrir soutien et réconfort. Ils croient également en un monde
logique ; les événements suivent un cours compréhensible et les individus exercent un
contrôle sur leur occurrence (chacun recevant ce qu’il mérite, de tout comportement
découle un résultat prévisible). Une troisième supposition fondamentale concerne la
perception qu’ont les individus de leur propre personne : ils se considèrent compé-
tents, altruistes et probes (voir Luminet, 2008, p. 73).
92 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

Les événements traumatiques invalident brutalement ces schémas cognitifs. Plus ils
sont ancrés et plus l’impact d’un événement risque d’être traumatique. L’imprévisibilité
du drame fait disparaître le sentiment de sécurité (le monde est insensé et abonde de
dangers), l’intentionnalité des violences subies rompt le lien de confiance à autrui
(les autres sont mauvais, injustes, indignes de confiance) et la position de victime
désagrège l’image idéale qu’ils s’étaient forgée d’eux-mêmes (ils se sont vus faibles,
dénués de moyens d’action, pleutres, assumant égoïstement leur sauvegarde, etc.).
L’effondrement des croyances de base induit un sentiment généralisé de perte de
contrôle (en particulier par rapport à la survenue de nouveaux événements aversifs)
et de vulnérabilité personnelle inaugurant l’apparition de symptômes anxieux et de
comportements d’évitement.
Dans le cadre de ses activités professionnelles, une psychologue se rend au domicile
d’un agent d’une firme de gardiennage pour lui offrir un soutien immédiat après
l’agression à main armée qu’il a subie dans le cadre de ses activités professionnelles.
En le quittant, elle se fait agresser violemment par un malfrat qui lui vole son sac.
L’agression est vécue comme une injustice et remet en question la marche du monde
(« Si j’aide mon prochain, il ne peut m’arriver que de bonnes choses »).
Au cours d’une ronde, un gardien de sécurité est agressé par trois malfaiteurs qui
tentent de s’introduire dans le bâtiment. Il a le sentiment de ne plus être un homme,
car il n’a pas pu se défendre.

Ces croyances fondamentales, habituellement peu accessibles au raisonnement


conscient, deviennent perceptibles suite au traumatisme. Les victimes s’expriment
alors fréquemment sur l’imprévisibilité funeste du monde et son incohérence, la mal-
veillance d’autrui et leur mésestime d’eux-mêmes. En voici quelques exemples :
« Tout peut arriver à tout instant », « Même chez moi, je ne me sens pas en sécu-
rité », « On ne peut avoir confiance en personne », « Il faut se méfier de tout le
monde », « Ces criminels, ils peuvent tout se permettre, il ne leur arrive jamais
rien alors qu’aux honnêtes gens comme moi, il n’arrive que des malheurs », « Et
dire qu’il y a des parents qui maltraitent leurs enfants. Ils ne méritent pas de vivre.
Moi, j’adorais ma petite fille et elle est morte. Ce n’est pas juste », « Depuis que c’est
arrivé, tout me paraît absurde. Dire bonjour, c’est devenu curieux. Dire bonjour,
ça veut dire souhaiter que la journée soit bonne. Les gens disent ça comme ça, sans
penser à ce qu’ils disent. En fait, ils se foutent pas mal que votre journée soit bonne.
Et de toute façon, qu’est-ce que ça change, si vous devez mourir avant le soir, vous
serez quand même mort. »

Les personnes qui ont un passé traumatique (maltraitées dans leur enfance, exposées
à la guerre, etc.) ne partagent pas la croyance d’un monde amical. Elles sont générale-
ment convaincues d’évoluer dans un univers dangereux sur lequel elles n’ont aucun
contrôle. Tout nouvel incident traumatique confirme ces croyances, ce qui favorise le
renforcement de leur anxiété et de leurs sentiments dépressifs.
Les variables liées à l’individu ■ 93

2.8.2. Les croyances religieuses


Les croyances religieuses influencent elles aussi la manière dont les individus per-
çoivent et traversent les expériences dramatiques. Selon les circonstances, elles dimi-
nuent ou renforcent l’impact traumatique. Les fidèles trouvent un secours dans la foi
lorsqu’ils parviennent à intégrer positivement l’expérience délétère dans les schèmes
de référence de leur religion (Sistiva-Castro, 2009). Par exemple, des croyants puisent
courage et réconfort dans la conviction que Dieu les accompagne dans l’épreuve ou que
la souffrance leur assure une place au paradis. Dans d’autres contextes, les convictions
religieuses peuvent être dévastatrices. C’est le cas notamment pour les victimes de
violences sexuelles que la religion musulmane condamne à la culpabilité éternelle et
promet à l’enfer parce qu’elles ont eu des relations sexuelles en dehors des liens du
mariage (Nadeau et al., s.d.).
Les fanatiques sont convaincus que les sacrifices servent leurs intérêts auprès de
Dieu. À certaines époques, des parents ont encouragé leur progéniture à s’offrir
en sacrifice à la cause de leur communauté. Lorsqu’un fils commettait un attentat-
suicide, ils s’en réjouissaient et s’en glorifiaient25. Ces drames vécus au nom d’une
idéologie approuvant la violence pourraient avoir des répercussions traumatiques
moindres qu’elles n’en auraient pour des personnes ne partageant pas les mêmes
idéaux.
Une vidéo diffusée à la télévision palestinienne montre une mère récupérant le
corps sans vie de son garçon tué en assaillant des Israéliens. Après avoir exprimé
sa joie, elle tend un fusil à son deuxième fils.

2.8.3. L’attribution causale


Confrontée à une situation délétère, la personne tente de lui donner sens. Elle peut
en imputer la cause soit à sa propre personne (locus de contrôle interne) soit à autrui
ou à l’environnement extérieur (locus de contrôle externe).
« Une autre personne aurait agi autrement », « J’attire le malheur », « Ce qui est
arrivé est de ma faute » sont quelques exemples d’attribution causale interne. « Le
monde est dangereux », « Tout peut arriver à tout instant », « C’est le destin », « Les
gens sont méchants », « Les hommes sont tous des pervers » sont des illustrations
d’attribution à une cause externe. Le sujet peut attribuer ce qu’il vit à une situation
spécifique (« C’est un accident », « Je ne suis pas très bonne conductrice », « J’ai
dérapé à cause du verglas », « Ça peut arriver à n’importe qui ») ou à des conditions
personnelles et environnementales générales (« Les routes sont dangereuses parce que
les jeunes roulent tous comme des fous », « Avec les gens, il faut toujours s’attendre à
tout », « Je me suis laissée avoir parce que je suis naïve », « Ça ne serait pas arrivé si
je n’étais pas aussi stupide », « Il en a profité parce que je suis faible »). Il peut encore

25. Nous tenons à souligner que de nombreux parents n’ont jamais approuvé le suicide sacrificiel de
leurs enfants. Ces dernières années, plusieurs milliers de jeunes radicalisés sont partis rejoindre les
rangs des groupes islamistes radicaux et leurs parents luttent contre ces pratiques.
94 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

percevoir les conditions de la situation comme provisoires (« C’est une mauvaise


passe », « Je vais me reprendre », « Ça va passer », « C’est un coup de malchance »)
ou permanentes (« Je n’ai aucune force de caractère », « On ne peut pas compter sur
les autres », « Il y a de plus en plus d’agressions ») (Pervin, John, 2004, p. 42).

Dans les événements extrêmes, la recherche de sens peut s’avérer néfaste. En effet, le
syndrome post-traumatique et les désordres associés sont générés tant par l’expérience
subie que par la façon dont le sujet l’a perçue. S’il est persuadé que ses malheurs sont
inhérents au fait qu’il évolue dans un monde menaçant et imprévisible, ses sentiments
d’efficacité et de contrôle s’en trouvent ruinées, ce qui le prédispose aux troubles
anxieux (hypervigilance, anxiété généralisée, etc.) et dépressifs (détresse, sentiment d’im-
puissance et de vulnérabilité, défaite mentale devant le danger, etc.). S’il se blâme et juge
durement son attitude ou son comportement pendant et/ou après le déroulement des
faits, les risques de le voir manifester des symptômes dépressifs tels culpabilité, honte,
déshonneur, mésestime, perte de confiance en soi, ruminations mentales, etc. sont réels.
Il semble que plus les victimes effectuent des attributions internes, stables et globales,
plus la probabilité qu’elles développent des symptômes traumatiques et co-morbides
est importante (Gold, 1986 ; Daigneault et al., s.d. ; Tangney et al., 1995). Une automo-
biliste qui explique l’accident qu’elle a provoqué en se disant « Ça devait m’arriver, je
suis tellement stupide ! » impute sa situation à une cause interne (elle-même), stable
(sa stupidité est une caractéristique permanente) et globale (sa stupidité affecte tous
les domaines de vie). Elle court davantage de risque de se culpabiliser et de souffrir
d’un syndrome traumatique qu’une conductrice qui attribue sa situation à une cause
externe (« Le temps était mauvais »), instable (« C’est un accident. J’ai glissé sur une
plaque de verglas. Ça peut arriver à n’importe qui ») et spécifique (« Je ne suis pas
habituée à conduire sur la neige et le verglas »).
Comme pour d’autres explications causales négatives, la culpabilité en tant qu’attri-
bution interne, stable et globale (« Je suis coupable de cette situation comme je le suis
pour tout ce qui m’arrive dans la vie ») prédit, dans l’immense majorité des cas, une
évolution péjorative du traumatisme. L’auto-accusation peut aussi être secondaire à un
fait précis (« Je suis coupable, car dans cette situation, j’ai manqué de courage, d’intel-
ligence, d’esprit d’à-propos, de prudence, de force, etc. »). Bien que ses effets puissent
être tout aussi délétères que ceux de la culpabilité stable et globale, cette culpabilité
secondaire peut être comprise comme étant un effort cognitif adaptatif visant à donner
sens à l’événement et à s’en réapproprier la maîtrise (« Je suis coupable, car je me suis
comportée de manière inadéquate. À l’avenir j’éviterai ce type d’attitude ou de com-
portement et plus rien de dommageable n’adviendra »).
Après un drame où deux de ses collègues ont péri, un officier pompier nous dit :
« Mes supérieurs me disent que je n’ai rien à me reprocher. L’enquête a montré que
je n’ai rien à me reprocher. Mes hommes me le disent aussi. Tout le monde me le dit.
J’ai eu beaucoup de soutien de tout le monde. Mais moi, je me dis que j’ai commis
des erreurs par défaut de précaution. Si je me dis que ce n’est pas de ma faute, alors
ça veut dire que ça peut se reproduire, qu’il peut encore y avoir des accidents, qu’il
peut encore y avoir mort d’homme. J’ai réfléchi à tout ça et je me dis que c’est pour
ça que je ne parviens pas à lâcher ma culpabilité. Si je me dis que je ne suis pas cou-
pable, ça veut dire que je n’ai pas le contrôle. »
Les variables liées au milieu de récupération ■ 95

3. Les variables liées au milieu


de récupération
Les réactions des sujets à un événement potentiellement traumatisant sont modu-
lées par des facteurs contextuels et environnementaux. Un soutien social déficient ou
négatif constitue un risque majeur de développement de troubles traumatiques, de leur
sévérité et de leur maintien dans le temps26. A contrario, les proches (famille, amis et
collègues) et le réseau relationnel élargi sont des sources de réconfort efficaces pour
contrebalancer les effets délétères d’un événement potentiellement traumatisant.

3.1. L’absence de réseau social


Certaines victimes sont privées de réseau social. C’est le cas, par exemple, dans
les sociétés occidentales où des personnes de plus en plus nombreuses se retrouvent
seules (célibataires, divorcées, veuves), sans emploi et isolées socialement. D’autres,
handicapées par leurs symptômes traumatiques, sont écartées temporairement, voire
définitivement de leur travail. Le manque de soutien moral et d’aide pratique oblige
généralement les personnes à produire d’importants efforts d’adaptation qui finissent
par épuiser leurs capacités de coping.

3.2. Le climat familial avant l’événement


Les tensions conjugales et intrafamiliales (ambiance dépressive, relations conjugales
conflictuelles, couple désuni, conflit avec un enfant adolescent ou la belle-famille, etc.),
les relations problématiques avec l’entourage (famille élargie, ex-conjoint, etc.), la pré-
sence de nombreux facteurs de stress (précarité socioéconomique, foyer monoparen-
tal, etc.) constituent un contexte fragile peu propice à l’émergence de mécanismes de
soutien fonctionnels dans les situations adverses. A contrario, la cohésion du couple
et de la famille, l’absence de conflit, les relations de bonne qualité renforcent les méca-
nismes opérants pour prendre soin des sujets les plus vulnérables.

3.3. La stabilité du milieu de vie


La stabilité offerte par le couple et/ou la famille permet d’annihiler l’impression de
chaos du monde qu’éprouvent les victimes suite à un événement tragique. Avoir une
routine quotidienne (se lever, se coucher et manger à heures régulières, participer aux
activités professionnelles et de loisirs, fréquenter des amis, etc.) les aide à récupérer et
à s’adapter aux nouvelles situations en contribuant à créer un sentiment de continuité

26. Voir les méta-analyses : Brewin, Andrews, Valentine (2000); Ozer et al. (2003).
96 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

et de sécurité. Cette stabilité est malheureusement très souvent compromise dans les
couples et les familles dysfonctionnelles ainsi que dans les contextes de violence col-
lective, d’exode et d’exil.

3.4. La capacité de soutien de l’entourage direct


Des réactions conjugales et familiales négatives dans le décours d’un incident
critique sont prédictives d’une plus grande sévérité des symptômes traumatiques.
Inversement, l’attitude positive d’un entourage attentif est un facteur essentiel dans le
maintien et la restauration de l’équilibre mental des victimes. L’entourage n’est cepen-
dant pas toujours à même d’offrir la stabilité, la protection, la sécurité, l’attention et
l’amour dont les victimes ont besoin, et ce, pour des raisons diverses :

• L’agresseur est un proche


Dans les cas de violences conjugales et intrafamiliales (par exemple, à l’égard des
personnes âgées), les victimes sont souvent isolées socialement, parfois confinées au
domicile. Dans ces cellules familiales repliées sur elles-mêmes, les velléités d’autonomie
(amitiés, activités professionnelles et de loisirs, etc.) sont généralement découragées,
voire interdites. La rareté des contacts sociaux rend malaisés la dénonciation des vio-
lences et l’appel à l’aide.

• Les proches sont perturbés


Ils souffrent eux-mêmes de traumatismes psychiques suite aux événements endu-
rés ; ils pleurent un proche ; ils sont stressés par leurs conditions actuelles d’existence ;
ils sont inquiets pour l’avenir ; ils sont affaiblis physiquement, etc. Tourmentés par la
peur, l’impuissance, le ressentiment, la culpabilité ou le dégoût, ils peuvent se montrer
incapables de réconforter la victime. Dans les cas les plus dramatiques, la situation
peut même les conduire à la négliger, voire à la rejeter.
Jeannette, violée dans l’Est du Congo raconte : « Mon mari ne m’a pas jetée dehors,
mais il ne me regarde plus, il ne me parle plus, il ne dort plus avec moi, il ne mange
plus avec moi. Il reste des heures assis, sans bouger, à regarder par terre. »
Mohammed, un Belge d’origine marocaine, bouleversé par le viol de sa compagne,
dégoûté, humilié et poussé à se séparer sous la pression sociale de sa communauté
chasse Leila du foyer conjugal.

Les proches souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques (anxiété, dépres-


sion, psychose), toxicomanes ou alcooliques ne sont pas toujours en mesure de fournir
un soutien adéquat (Inslicht et al., 2010 ; Martin et al., 2009).
« Depuis que j’ai été agressée, mon mari boit encore plus. Il est bourré tous les
jours. On dirait que c’est à lui que c’est arrivé et pas à moi ! Alors, pour l’écoute,
la compréhension et tout ça, je peux repasser ! Je cours chez le médecin, je cours
chez les experts pour les assurances, je cours pour les enfants, je cours pour lui.
Pas le moindre soutien de sa part ! Plus j’ai besoin de lui, plus il boit et plus j’ai
sur le dos ! »
Les variables liées au milieu de récupération ■ 97

• L’attitude de la victime est déroutante


Les symptômes post-traumatiques modifient l’attitude et le comportement de
la victime. Elle devient anxieuse, angoissée, passive, irritable ou agressive ; elle
manifeste un besoin insatiable d’attention, de considération et de protection ; elle
s’isole, refuse les réunions familiales et amicales ; elle se désintéresse des relations
sexuelles, etc. Ces réactions, bien que normales et souvent passagères, peuvent dérou-
ter les proches. Ils sont désemparés quant à la façon la plus appropriée d’apporter leur
soutien. Dès lors, ils agissent souvent de manière inadéquate, renforçant le tourment
de la victime : ils l’exhortent maladroitement à affronter les situations anxiogènes, à
reprendre ses activités professionnelles ou à assumer les tâches qui lui incombent ou
au contraire, la maternent en endossant ses responsabilités et la surprotègent par un
accompagnement constant ; ils la rassurent à outrance et minimisent les difficultés ;
ils se fâchent contre elle ; ils la rejettent, etc. Dans les premiers temps, l’entourage se
montre généralement compatissant et soutenant. Au bout de quelques semaines, si
ses efforts restent vains, il peut être désappointé ou agacé que la victime ne recouvre
pas plus rapidement son équilibre, se sentir épuisé par ses sollicitations continuelles,
être dépité que la vie conjugale et familiale soit devenue source de problèmes, etc.
Si elles se sentent incomprises ou mal comprises ou si elles jugent les réactions de
leurs proches inadéquates, les victimes ont tendance à manifester leur ressentiment
ou à s’isoler. Les troubles traumatiques et leur retentissement sur la vie quotidienne
entraînent fréquemment des tensions débouchant sur des conflits familiaux et des
séparations conjugales.
« Au début, ma femme était compréhensive, mais maintenant, elle en a marre et je
comprends. Je ne m’occupe plus de rien et elle a tout sur le dos. Je ne travaille plus et
je reste toute la journée à ne rien faire, couché sur le divan. Je ne regarde même pas
la télé. Ça ne m’intéresse plus. Et je ne fais rien à la maison. Je ne fais aucune tâche
ménagère. Je ne prépare même pas le repas. Alors, quand elle a fini sa journée de
travail, elle doit encore faire tout ça. Elle est fatiguée, elle en a marre, je le sais bien
et je la comprends. Je sais bien que je devrais l’aider, mais je n’y arrive pas. Je n’ai
plus envie de rien faire. Avant, on voyait souvent des amis, mais maintenant, je ne
veux plus rien faire. Je n’ai plus non plus envie de faire l’amour. Et je ne suis même
pas gentil. Je râle tout le temps, je suis dans mon coin. Et en plus, je ne parviens
même plus à prendre ma femme dans les bras. Ça, elle trouve que c’est trop », nous
dit Édouard, victime d’une agression à l’arme blanche dans le cadre de ses activités
professionnelles.

• Les victimes dissimulent leur souffrance


Certaines victimes cachent ou taisent leur souffrance, car elles ne peuvent traduire
en mots l’intensité de leur expérience, elles sont honteuses, elles redoutent la réaction
de leur entourage ou craignent d’être incomprises, etc. En l’absence de troubles évi-
dents, de confidence et de demande d’aide, les proches sont généralement persuadés
que la victime a dépassé l’expérience traumatique et par conséquent, négligent son
besoin de soutien.
98 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

« Je fais comme si tout allait bien alors que ça ne va pas du tout », confie Esther,
victime d’un sac-jacking27.

3.5. La capacité de soutien de collègues


et de l’organisation professionnelle
Un soutien rapide et adéquat des collègues et des supérieurs hiérarchiques réduit
l’impact traumatique d’un événement délétère et facilite le rétablissement psycholo-
gique (Ozer et al., 2003 ; Brunet, Boisvert, 2009 ; Lacerte et al., 2011). Ce soutien social
s’avère d’autant plus important que la profession expose les victimes au risque de nou-
velles situations dangereuses ou à des stimuli évocateurs (armes, argent, etc.) comme
c’est le cas, par exemple, pour les militaires, les policiers, les pompiers, les secouristes,
les humanitaires, les employés de Poste, les gérants de banque, etc.
« Je les avais prévenus. J’avais dit ce qu’il fallait faire et ils n’ont rien fait et voilà ce
qui est arrivé ! Vous croyez qu’ils se seraient excusés, rien du tout ! Vous croyez
qu’il y en aurait un qui se serait déplacé pour voir comment je vais ? Il n’y en a même
pas un qui a eu les couilles de prendre son téléphone pour me demander comment je
vais ? Rien ! Ils ne sont même pas foutus de prendre de mes nouvelles ! J’ai toujours
voulu faire plaisir. Je me suis plié en quatre pour eux et c’est comme ça qu’on est
remercié ! Plus rien, ils n’auront plus rien de moi. Je vais continuer à faire mon bou-
lot, mais il ne faudra pas me demander un truc en plus, ce sera non ! Et d’ailleurs, je
cherche un autre boulot », s’énerve Éric, victime d’un hold-up.

3.6. La capacité de soutien de la communauté


Les réseaux sociaux et les relations de voisinage ont un effet protecteur. Les
mécanismes de soutien ambiant agissent comme un tampon et procurent un réservoir
de ressources externes permettant aux victimes de faire face efficacement aux diffi-
cultés qu’elles rencontrent. Ainsi, des relations sociales de bonne qualité entretenues
avec des connaissances amicales et les liens privilégiés établis avec des personnes
bienveillantes (amis, représentant du culte, etc.) constituent des soutiens importants.
A contrario, le milieu social peut être traumatisant. Ainsi, des attitudes négatives
telles que la stigmatisation et la discrimination sont prédictives d’une évolution péjo-
rative. En effet, elles influencent fortement la manière dont les personnes ciblées se
considèrent. Rapidement, elles ont tendance à s’autostigmatiser en intériorisant et en
retournant contre elles les perceptions négatives nourries à leur égard. Elles perdent
alors leur confiance en elles et leur sentiment de valeur personnelle. Elles peuvent
également éprouver des sentiments de culpabilité si elles sont tenues pour fautives de

27. Vol de sacs à main dans un véhicule en présence de l’automobiliste. Les voleurs, profitant du
ralentissement du trafic routier (feux de circulation, heures de pointe), s’approchent de la voiture,
brisent la vitre côté passager et s’emparent du sac du conducteur (généralement, une femme).
Les variables liées au milieu de récupération ■ 99

leur infortune comme c’est fréquemment le cas dans les agressions à caractère sexuel.
Déconsidérées et rejetées, il est fréquent qu’elles en viennent à s’isoler et à éviter tout
contact menaçant. Elles peuvent sombrer dans la dépression et le désespoir, convain-
cues que leur situation ne pourra jamais s’améliorer. Dans les cas les plus dramatiques,
le rejet communautaire peut conduire les victimes au suicide, surtout si elles sont
privées du soutien de leur famille.
Les Bosniaques, réfugiés en Croatie pendant la guerre de l’ex-Yougoslavie, ont subi
les attitudes hostiles de leur communauté d’accueil, car Bosniaques et Croates
étaient en guerre dans une région du pays.
Les vétérans de la guerre du Vietnam, auteurs d’exactions horribles, mais aussi vic-
times d’une guerre qu’ils ont dû faire, ont subi à leur retour, l’arrogance méprisante
de la société américaine.
Les rescapés arméniens et leurs descendants doivent vivre dans une société qui n’a
jamais reconnu officiellement le génocide de leur peuple.

Le groupe communautaire concerné directement par les événements traumatiques


peut lui aussi induire des effets pathogènes. C’est le cas, par exemple, dans une commu-
nauté repliée sur elle-même au sortir d’une guerre ou d’un génocide où une personne
plus prompte à recouvrer sa santé mentale peut être appréhendée comme un danger.
En effet, elle s’individualise dans un moment où l’illusion groupale est primordiale et
risque « d’entrer en contradiction avec les valeurs communautaires, et condamner par
là même la communauté à la perte des sens autrefois partagés » (Métraux, 2004). Le
groupe peut se prémunir d’un tel péril en réduisant le fâcheux au silence, en le dési-
gnant comme bouc émissaire ou en le rejetant de la communauté.
Au Rwanda, en 2002, une rescapée nous confie qu’elle se sent bien malgré l’horreur
qu’elle a vécue durant le génocide (perte de ses enfants et de son mari, viol). Elle a
cependant rapidement appris à dissimuler l’amélioration de son état psychologique,
car en exprimant son mieux-être, elle s’est vue rapidement marginalisée.

Dans certains cas, le traumatisme collectif induit un devoir de mémoire. Pour certains,
il est un rempart destiné à ne pas reproduire les erreurs ou les horreurs du passé
et pourrait se traduire par la formule : « Plus jamais ça ! » Vu sous cet angle, il ne
représente pas un obstacle à la résolution des psychotraumatismes. Par contre, pour
d’autres, il s’agit de se souvenir des souffrances endurées par leur peuple, ce qui peut
s’énoncer par le commandement : « Il ne faut jamais oublier ! » Obéir à une telle injonc-
tion ralentit, voire bloque le processus de guérison psychologique.

3.7. Les soins de santé mentale


Dans les pays où ce type de service est aisément accessible, un recours précoce à
des soins de santé mentale de qualité et la poursuite d’un traitement psychologique peut
grandement contribuer à la restauration psychique après l’ébranlement provoqué par
un incident critique. Dans les cas de violences intrafamiliales (violence à l’égard du par-
tenaire conjugal, des enfants ou des aînés) et dans les pays en voie de développement,
100 ■ CHAPITRE 5 – Les paramètres influençant le développement

il est par contre nettement plus rare que les victimes bénéficient rapidement de soins
spécialisés et de l’intervention de professionnels solidaires et bienveillants.

Résumé
1 L’exposition à un événement grave ne suffit pas à lui seul pour engendrer une souf-
france traumatique. L’apparition de symptômes, leur fréquence et leur intensité sont
influencées par les paramètres de l’événement, des facteurs propres à la victime ainsi
que par les caractéristiques du milieu de récupération. Plus les facteurs de risque sont
nombreux, plus l’apparition d’un trouble post-traumatique est probable et potentielle-
ment grave et chronique.
2 La sévérité d’un événement adverse est fonction du degré d’exposition à la mort
(pour soi ou pour autrui), de sa nature (sexuelle, torture et actes de barbarie, trans-
gression de tabous, etc.), des conséquences de toute nature qu’il engendre, de sa
durée, de son risque de récurrence, de sa fréquence, de son caractère imprévisible et
incontrôlable ainsi que de la multiplicité des facteurs potentiellement traumatogènes.
L’intentionnalité d’un individu de recourir à la violence et de causer un préjudice à la
victime ou le refus de lui porter secours ont également des effets fortement pathogènes.
3 La manière dont une victime réagit à un événement délétère est fonction de son genre.
Les femmes risquent deux fois plus que les hommes de souffrir d’un état de stress
post-traumatique. Elles développent des tableaux plus sévères et d’une durée plus
longue que leurs pairs masculins. L’impact traumatique est également dépendant de
la personnalité du sujet, de ses antécédents et de facteurs de vulnérabilité qui lui sont
propres ; de son niveau de préparation psychologique ; de son degré de responsabilité
dans le déclenchement ou le déroulement de l’événement ; de ses croyances de base
sur lui-même, le monde, les autres et l’expérience traumatique ; de ses convictions
religieuses ; de son état mental au moment de l’événement (conflit de conscience et
de culpabilité); des stratégies de coping mises en place pendant et après les faits ainsi
que des bénéfices secondaires générés par la situation.
4 Le maintien et la restauration de l’équilibre psychique des victimes sont influencés
par la qualité des relations familiales, la capacité de soutien de l’entourage direct
(famille, amis, etc.), de l’organisation professionnelle et du réseau social ainsi que par
la disponibilité de soins spécialisés en santé mentale. Un soutien déficient ou néga-
tif constitue un risque majeur de développement, de sévérité et de persistance des
troubles traumatiques.

? Vérifiez vos connaissances


1 Les réactions des individus à un événement traumatisant sont modulées par une
multiplicité de facteurs. Ceux-ci se subdivisent en trois catégories : les variables liées
à l’événement, les facteurs propres à l’individu et les caractéristiques du milieu de
récupération. Citez trois paramètres dans chacune de ces catégories.
CHAPITRE 6

3La résilience
« Romain Gary a été prisonnier d’un camp allemand pendant la dernière guerre,
reprit EPJ327. Les conditions de survie des détenus étaient à peu près les mêmes
que les nôtres. Je n’ai pas besoin de vous raconter combien c’est inhumain et, pire,
déshumanisant. Contrairement à ici, les sexes étaient séparés. Dans son camp
d’hommes, Gary voyait les détenus, comme lui, devenir de pauvres sauvages,
des animaux souffrants. Ce qu’ils pensaient était une tragédie plus grave que ce qu’ils
enduraient. Leur pire tourment était qu’ils en étaient conscients. Continuellement
humiliés de la portion congrue d’humanité à laquelle ils se trouvaient réduits,
ils aspiraient à la mort. Jusqu’au jour où l’un d’eux eut une idée géniale : il inventa
le personnage de la dame. EPJ327 s’interrompit pour enlever de sa soupe un cancrelat
qui flottait, puis il continua : il décida que désormais ils vivraient tous comme s’il
y avait parmi eux une dame, une vraie, à qui l’on parlerait avec les honneurs dus
à une telle personne et devant qui l’on craindrait de déchoir. Cette construction de
l’imagination fut adoptée par chacun. Ainsi fut fait. Peu à peu, ils constatèrent qu’ils
étaient sauvés : à force de vivre en la haute compagnie de la dame fictive, ils avaient
reconstitué la civilisation. Au repas, où leur nourriture ne valait guère que la nôtre,
ils recommençaient à parler, mieux, à converser, à dialoguer, à écouter les autres
avec attention. On s’adressait à la dame avec égards pour lui raconter des choses
dignes d’elle. Même quand on ne lui parlait pas, on s’habituait à vivre sous son regard,
d’avoir une attitude qui ne désole pas de tels yeux. »
Amélie Nothomb, Acide sulfurique

SOMMAIRE

1. Origine du terme résilience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103


2. Émergence du concept de résilience dans les sciences humaines. . . 104
3. Différentes définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
4. Les questions autour de la résilience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
5. Les facteurs de résilience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
102 ■ CHAPITRE 6 – La résilience

On sait depuis toujours que certaines personnes surmontent


mieux que d’autres les épreuves de l’existence. En fonction
du type d’événement traumatogène et du délai écoulé depuis
son déroulement, les études épidémiologiques montrent que
7 à 85 % des victimes développent un trouble de stress post-
traumatique ou un désordre associé1. Par déduction, 15 à 83 %
des sujets exposés aux mêmes événements sont indemnes de
symptômes au moment de l’enquête. Parmi ceux-ci, si certains
ont souffert d’un désordre traumatique transitoire dans les
jours postérieurs à la situation délétère, d’autres n’ont éprouvé
que d’éphémères émotions déplaisantes. Les recherches
menées sur les victimes symptomatiques indiquent que 30
à 50 % d’entre elles voient leurs troubles disparaître dans
le courant de l’année suivant les faits ; 20 à 40 % connaissent
encore une amélioration de leur état psychique dans les mois
et les années suivantes ; seul un tiers manifeste un syndrome
psychotraumatique au-delà de cinq ans. 70 % des individus
semblent donc dotés de capacités d’autoguérison psychiques
leur permettant de se dégager des frayages pathologiques
du traumatisme. On dit d’eux qu’ils sont résilients.

La vie de Sabine est émaillée d’épreuves depuis son adolescence. Elle n’avait que
douze ans lorsque sa mère est tombée gravement malade et seize lorsqu’elle est
décédée. Après les funérailles, son père a quitté le domicile familial pour s’installer
à l’étranger l’abandonnant à son sort, sans personne pour prendre soin d’elle. Sa voi-
sine, une psychotique délirante, l’a harcelée et menacée jusqu’à son décès survenu
trois ans plus tard. Malgré les difficultés, Sabine a poursuivi ses études, est devenue
une brillante ingénieur, s’est mariée et a eu un enfant. L’an dernier, elle a été victime
pour la deuxième fois d’un car-jacking violent. Récemment, elle a fait une chute
dans les escaliers qui ne lui a heureusement occasionné que quelques blessures
sans gravité. Elle raconte : « C’est horrible parce que vous avez le temps de vous
rendre compte que vous allez mourir. Je me suis dit : “Voilà, c’est fini, je vais mourir.

1. Voir le chapitre « La prévalence des troubles traumatiques ».


Origine du terme résilience ■ 103

Je ne verrai plus ma fille et mon mari.” Comme d’habitude, je m’en suis sortie, je ne
sais pas comment. Pendant une semaine, j’ai fait une fixation sur les escaliers, mais
j’ai surmonté tout ça avec beaucoup d’énergie. Les choses comme ça, bizarrement,
j’arrive à les prendre. Je fais beaucoup de choses pour m’en sortir. J’ai de l’activité.
Quand il m’arrive des trucs comme ça, je ne me laisse pas faire. Je ne sais pas pour-
quoi je suis comme ça. Il y en a qui descendent quand il leur arrive un truc comme
ça et moi, je monte ! Enfin, si je puis dire en parlant de tomber dans les escaliers ! »

1. Origine du terme résilience


Le terme résilience est issu du latin « resilire » construit à partir du verbe
« salire », sauter, bondir, jaillir (Goelzer, 1928) et du préfixe « re » signalant un mou-
vement vers l’arrière ou traduisant la répétition. « Resilire » signifie sauter en arrière,
sauter de nouveau, rebondir, rejaillir, être repoussé, se retirer sur soi-même, se réduire,
se raccourcir, rentrer, reculer, se replier (dans un combat). Deux nuances se dégagent
de ces définitions : le rebond et le recul.
En langue anglaise, c’est le sens du rebond qui s’est transmis. Au xviie siècle, l’adjec-
tif « resilient » signifie dans le langage courant « rejaillissant », « rebondissant » et
le substantif « résilience » désigne pour les physiciens la capacité d’un matériau à
rebondir et à résister aux chocs2. Au xixe siècle, le mot résilience s’enrichit d’une
nouvelle définition et qualifie également la souplesse de caractère ou de tempérament
d’un individu. En 1893, l’Oxford Dictionary illustre d’un exemple cette acception :
the resilience and the elasticity of spirit which I had even ten years ago3. Depuis une
cinquantaine d’années, les Anglo-Saxons l’appliquent aussi aux sciences humaines.
En français, « salire » a donné « sauter » et « resilire », conservant dans notre langue
la notion de recul, est devenu « resilir » au xvie siècle4, se dédire, révoquer sa promesse
(« Je puis resilir de ma première volonté »5, « Si tu ne le veux resilir de ces propos
et révoquer ce qui a esté dit »6) et « résilier » au xviie siècle7, se rétracter, se dégager
d’un contrat. Comme en anglais, quoique nettement plus rarement, au xxe siècle, le mot
« résilience » désigne également une qualité humaine8. Par exemple, André Maurois,
l’emploie dans son roman Lélia ou la vie de George Sand paru en 1952 : « Maurice
et Lina rentrèrent à Nohant, Sand à Palaiseau. Dans ce deuil, une fois encore, elle
étonna ses amis par son immédiate résilience » (Maurois, 1952, p. 469). Ce n’est que

2. 1674 selon Le Robert, 1992.


3. « La résistance et la souplesse d’esprit que j’avais il y a dix ans » (traduction de l’auteur). Cité par
Cyrulnik, Duval (2006, p. 224).
4. 1583 selon Le Robert, 1992.
5. E. P. vsy., Interpr. des Instit., p. 330, éd. 1847 (Godefroy, 1881).
6. Fu-BEnT BreTIN, Lucien, p. 474, éd. 1583 (Godefroy, 1881).
7. En 1679 selon Le Robert, 1992.
8. En 1923 selon Le Robert, 1992.
104 ■ CHAPITRE 6 – La résilience

récemment, dans les années 1990, que les experts francophones des sciences humaines
se sont approprié ce terme.
En physique, la résilience définit la résistance des matériaux aux chocs et leur capacité
à retrouver, totalement ou partiellement, leur structure initiale après compression
ou torsion. Le terme trouve également des acceptions en informatique, en économie,
en écologie et dans domaine de la gouvernance. Transposé à la psychologie, il désigne
l’aptitude d’un sujet à conserver et/ou à restaurer son équilibre psychique après avoir
traversé un événement délétère.

2. Émergence du concept de résilience


dans les sciences humaines
Le concept de résilience émerge dans les sciences humaines au début des années
1980. Ses racines sont toutefois plus anciennes. Elles remontent aux théories de l’atta-
chement développées par le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby dans la
suite des travaux du psychiatre et psychanalyste américain d’origine hongroise René
Spitz9. Dès les années 1950 du siècle dernier, il souligne l’importance des relations
précoces dans la construction du sentiment de sécurité et leur rôle dans la genèse
de la résilience qu’il définit comme « ressort moral, qualité d’une personne qui ne se
décourage pas, qui ne se laisse pas abattre » (Bowlby, 1992, cité par Mansiaux, 2001).
Aujourd’hui encore, les chercheurs, dans la ligne de John Bowlby et de la psychologue
américaine Mary Ainsworth, considèrent que la capacité de résilience est directement
liée à la qualité des liens d’attachement précoces entre la mère et l’enfant10.
Dans les années 1970, le psychiatre français Cyrille Koupernik et le psychanalyste
américain James Anthony opposent la notion d’invulnérabilité au concept à l’époque
prédominant de vulnérabilité des enfants à l’adversité. Anthony emprunte à Jacques
May le modèle des poupées. Trois figurines, l’une est en verre, l’autre en plastique et la
troisième en acier, sont frappées d’un coup de marteau. La première se brise, la seconde
est marquée d’une trace indélébile, la dernière reste intacte : elle est invulnérable. Le
terme « invulnérabilité », qui laisse penser à tort que certains individus sont dotés
d’une invulnérabilité structurelle permanente et qui néglige le contexte environne-
mental ainsi que les mécanismes de défense et de coping, suscite la polémique11. Elle a
toutefois le mérite d’intéresser les scientifiques aux faits observés. À la même époque,
Norman Garmezy d’une part, Edward Zigler et Marion Glick d’autre part conduisent
leurs recherches sur les patients schizophrènes et constatent que les sujets les moins
atteints par l’affection possédaient des compétences prémorbides sociales, profession-
nelles et conjugales atypiques. Parallèlement, les études menées sur les enfants de

9. Peu après la Seconde Guerre mondiale, suite à l’observation d’enfants précocement séparés de leur
mère, René Spitz a décrit la dépression anaclitique et l’hospitalisme.
10. Nous renvoyons le lecteur intéressé par la question de l’attachement à Josse (2011).
11. Soulignons que les auteurs n’ont jamais rien prétendu de tel.
Différentes définitions ■ 105

mères schizophrènes montrent que certains d’entre eux se développent sans signes de
détresse psychique (Luthar, Cicchetti, Becker, 2000).
La fin des années 1980 marque une étape décisive dans l’élaboration du concept de
résilience. Les travaux des psychologues américaines Emmy Werner et Ruth Smith
ainsi que ceux du pédopsychiatre anglais Michaël Rutter jouent un rôle prépondérant.
En 1955, Emmy Werner et Ruth Smith débutent une recherche longitudinale sur des
enfants défavorisés et maltraités de l’île hawaiienne de Kauai qu’elles publieront en
1989. Au terme de l’étude, trente ans plus tard, elles constatent que 80 % d’entre eux
ont évolué favorablement en dépit de leur milieu familial et social à haut risque patho-
génique. Michaël Rutter, quant à lui, s’attache dans une recherche publiée en 1987, à
repérer les facteurs de protection favorisant la résilience psychosociale (Rutter, 1987).
Le concept de résilience éveille de plus en plus l’intérêt du monde scientifique anglo-
saxon. Les recherches se multiplient sur les enfants exposés à des situations adverses
(pauvreté, maltraitance, maladie chronique, événements de vie catastrophique, vio-
lence communautaire, parents atteints de maladie mentale, etc.) et font recette dans les
revues scientifiques (Journal of Child Psychology and Psychiatry, British Journal of
Psychiatry, American Journal of Psychiatry).
Dans les années 1990, il prend son essor en France et dans toute l’Europe.

3. Différentes définitions
La résilience, tout comme le traumatisme, recouvre une réalité complexe, malaisée
à cerner. À l’heure actuelle, il n’existe pas de définition consensuelle de la résilience.
Pour Michaël Rutter (1998), « la résilience est la capacité de bien fonctionner malgré le
stress, l’adversité, les situations défavorables », « la possibilité de surmonter, au moins
partiellement, des conditions difficiles d’un type ou d’un autre » (Rutter, 1998). Pour
la psychologue française Marie Anaut, elle est « la capacité de sortir vainqueur d’une
épreuve qui aurait pu être traumatique, avec une force renouvelée » (Anaut, 2003).
Pour le professeur français en santé publique et en pédiatrie sociale Michel Manciaux,
le sociologue belge Stefan Vanistendael, le psychologue français Jacques Lecomte et
l’éthologue français Boris Cyrulnik (2001), « la résilience est la capacité d’une personne
ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépit
d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois
sévères » (Manciaux et al., 2001).
La résilience s’exprime de manière multiple et s’évalue difficilement. Généralement,
les critères retenus pour déterminer si une personne est résiliente sont le bien-être
psychologique, la compétence sociale (relations interpersonnelles, activité, insertion
professionnelle, etc.), l’absence de troubles psychiatriques (absence de dépression,
d’anxiété, de comportements agressifs, etc.) et de désordres sociaux (absence de com-
portements délinquants et de consommation abusive de produits psychotropes).
106 ■ CHAPITRE 6 – La résilience

4. Les questions autour de la résilience


Notion imprécise, pour ne pas dire confuse, la résilience suscite la réflexion et sou-
lève de nombreuses interrogations. Par exemple, la nature des événements auxquels
succède la résilience n’est pas définie. Sous la plume des experts, on trouve pêlemêle :
le stress, l’adversité, les situations défavorables (Rutter, 1998), les conditions familiales
particulières relevant de la pathologie (Cyrulnik, Pourtois, 2007, p. 33), les situations
de misère psychologique, financière et culturelle (ibid.), les événements déstabilisants,
les conditions de vie difficiles, les traumatismes parfois sévères (Manciaux et al., 2001,
p. 17), les événements potentiellement traumatiques (Cyrulnik, Buval, 2006, p. 88), etc.
De plus cet événement peut tout autant être « unique (un événement massif par son
impact, catastrophe)» que « multifactoriel (une accumulation de facteurs constituant
un contexte traumatogène)» (ibid., p. 87).
Selon certains auteurs, la résilience désigne la capacité à supporter un événement poten-
tiellement délétère sans subir de grands dommages psychologiques. Pour d’autres, le
terme de résilience doit être réservé exclusivement à l’aptitude à se remettre d’une expé-
rience ayant provoqué un effondrement traumatique. Ainsi, pour Claude de Tychey, le
traumatisme est une condition sine qua non : « On ne peut parler de résilience que s’il
y a eu un traumatisme suivi de la reprise d’un type de développement, une déchirure
raccommodée » (de Tychey, 2001). L’individu résilient présenterait donc une capacité à
développer un mode d’aménagement psychique autre que celui de la répétition trauma-
tique invalidante, des altérations indélébiles de la personnalité et de l’inadaptation sociale
(toxicomanie, alcoolisme, comportement délinquant et violent, etc.). Cela ne signifie pas
que le sujet résilient ne souffre pas, il ne refoule pas le souvenir du traumatisme, mais
cette souffrance devient un moteur et déclenche un élan vital.
Pour d’autres experts, la résilience recouvre tant la notion de résistance au choc et
aux pressions provoquées par un événement adverse que la capacité de réorganisation
post-traumatique après la perte du fonctionnement initial. Par exemple, pour Boris
Cyrulnik et Marie Anaut, la résilience se constitue en deux étapes. Le premier temps,
celui de la confrontation à l’événement, est caractérisé par la résistance à la désorgani-
sation : c’est la résilience à court terme. Le second temps consiste à intégrer le choc et à
le surmonter par un processus de reconstruction de la personnalité : c’est la résilience à
long terme (Cyrulnik, 1999). La résistance, fruit de mécanismes de défense et de coping
opérants, permettrait une survie immédiate. La résilience impliquerait quant à elle un
projet de vie au-delà de l’événement traumatique. Elle suppose un processus de menta-
lisation, un travail d’élaboration mentale, une opération de symbolisation et d’attribu-
tion de sens permettant de traduire des « excitations externes »12 en représentations
mentales partageables. Ce mouvement de la pensée, de créativité et de transformation
accorderait une place au traumatisme dans la biographie du sujet et autoriserait la
reprise de son développement. « La représentation intime du trauma devient sup-
portable dès qu’elle est historisée parce qu’elle donne cohérence au monde et crée le

12. Selon le point de vue de l’économie psychique de la métapsychologie freudienne.


Les questions autour de la résilience ■ 107

sentiment de pouvoir à nouveau le maîtriser. Le blessé donne sens aux images impré-
gnées dans sa mémoire et en remanie l’émotion dès qu’il en fait une narration » nous
dit Boris Cyrulnik (2006, p. 21). Pour Richard Tedeschi et Lawrence Calhoun, plus
que de permettre une simple reprise de l’existence, l’élaboration de sens contribuerait
dans certains cas au développement de l’individu. En 1995, ces auteurs nomment
« croissance post-traumatique » (posttraumatic growth) (Tedeschi, Calhoum, 1995 ;
voir aussi Tedeschi, Calhoum, 2004) ce processus d’attribution de sens par lequel la
souffrance devient un moyen de croissance personnelle. Les changements dans la vie
cognitive et émotionnelle qui en découlent amèneraient le sujet traumatisé à dépasser
son niveau de fonctionnement psychologique avant traumatisation. L’intérêt de la
psychologie pour les efforts de réflexion fournis par les victimes pour comprendre
l’avènement de l’événement délétère dans leur existence n’est pas neuf. En 1963, le
professeur autrichien de neurologie et de psychiatrie Viktor Frankl (1963), rescapé du
camp d’extermination d’Auschwitz, déclarait déjà que l’homme est fondamentalement
motivé à trouver un sens à sa vie au lendemain d’un événement traumatisant.
À la différence des métaux, les résilients ne reviennent pas à leur équilibre initial, mais
s’en construisent un nouveau. Selon les circonstances (type d’événement adverse, envi-
ronnement, etc.) et leur personnalité, ils recouvrent une stabilité dans la continuité de
leur histoire ou en rupture avec leur mode de vie antérieur. Certains conservent globa-
lement leur structure psychique, leur identité et leur fonctionnement prétraumatiques,
opérant uniquement quelques modestes réajustements de leur vision du monde et de
leurs valeurs personnelles (par exemple, sensibilité accrue à certaines situations, minimi-
sation de l’importance accordée à d’autres). D’autres se transforment et mutent vers une
nouvelle identité : ils redéfinissent leurs valeurs et se convertissent à des modèles de réfé-
rence renouvelés, allant parfois jusqu’à abandonner leur projet de vie et leurs rôles anté-
rieurs (réorientation professionnelle, engagement religieux, social ou humanitaire, etc.).
Comme le rappellent Michel Manciaux et ses collaborateurs, « la résilience n’est jamais
absolue, totale, acquise une fois pour toutes » ; « elle est variable selon les circons-
tances, la nature des traumatismes, les contextes et les étapes de la vie » (Manciaux
et al., 2001, p. 17). Il est probablement plus approprié de parler des résiliences plutôt
que de la résilience. Ainsi, un sujet peut être résilient face à une situation extrême (par
exemple, les risques liés aux conflits armés) et ne pas l’être confronté à un autre type
d’événement (par exemple, un viol). Il peut se montrer résilient dans un domaine de
sa vie (émotionnel, cognitif, social, professionnel, etc.) et non dans un autre. En effet,
il peut parfaitement répondre aux défis dans un secteur (par exemple, contentement,
performance, ambition et projets au niveau professionnel, maintien d’un réseau
social donnant pleine satisfaction, etc.) et rencontrer des obstacles dans un autre (par
exemple, difficultés à ressentir et à exprimer des émotions amoureuses ou à maintenir
des relations intimes). Selon Arieh Shalev et Yaël Errera (2008), c’est fréquemment le
cas lorsque les victimes sont soumises à des situations adverses prolongées. La priorité
est généralement accordée à un secteur (par exemple, le maintien des compétences pro-
fessionnelles et des capacités parentales) au détriment des autres. Les succès remportés
dans un domaine spécifique, parce qu’ils renforcent l’optimisme, la confiance et l’estime
de soi, le sentiment de contrôle, etc., contribuent à une meilleure issue générale, donc
à l’expansion de la résilience à d’autres sphères. Traumatisme psychique et résilience
108 ■ CHAPITRE 6 – La résilience

ne seraient donc pas aussi antinomiques qu’il y paraît de prime abord. À en croire ces
auteurs, les personnes peuvent être tout à la fois perturbées et résilientes, empreinte
traumatique et ressources intactes coexistant simultanément. Comme l’indique Boris
Cyrulnik, se côtoient chez elles « la faiblesse et la force, la douleur et le triomphe, le
ciel et l’enfer » (Cyrulnik, 1999). Dans cette optique, la présence de symptômes trau-
matiques ne signerait pas l’absence de résilience. Inversement, l’absence de troubles
n’attesterait pas formellement de la résilience. Par exemple, un individu recourant au
déni13 de manière prolongée pourrait ne manifester aucune souffrance sans qu’il puisse
pour autant être qualifié de résilient. La résilience ne peut donc se limiter au résultat
observé, car celui-ci peut être obtenu de diverses manières.
La résilience est un processus en perpétuel mouvement et ne peut jamais être considé-
rée comme définitivement acquise. En effet, un sujet peut être résilient à un moment de
son existence et cesser de l’être plus tard. Les cas célèbres de Primo Levi et de Bruno
Bettelheim le rappellent tristement. Tous deux rescapés des camps d’extermination
nazis, ils se sont suicidés respectivement à l’âge de 68 et 86 ans après avoir mené une
vie offrant les caractéristiques apparentes de la résilience.

5. Les facteurs de résilience


Si la répétition traumatique garde une part de mystère, son absence ne reste pas moins
énigmatique. Tout comme le risque de développer un trouble post-traumatique a longtemps
été imputé à une vulnérabilité individuelle, la résilience a été attribuée jusqu’il y a peu à
la particularité d’une personnalité étiquetée constitutionnellement résistante. La capacité
à rebondir après un événement délétère dépend certes de caractéristiques physiques, bio-
logiques et psychologiques propres à l’individu (type d’attachement précoce, tempérament
et traits de personnalité, mécanismes de défense et de coping, processus de mentalisa-
tion, etc.), mais également de variables inhérentes à l’environnement (physique, familial,
culturel, technologique, politique, social, économique, organisationnel, religieux, etc.). Elle
relève en outre des interactions et des interrelations entre les deux, sujet et contexte. Ainsi,
en fonction de la situation, un facteur peut se révéler vulnérabilisant ou protecteur. Par
exemple, une famille fermée au monde extérieur sera généralement un milieu peu propice
à la restauration psychique d’une victime traumatisée par un accident de la circulation ;
a contrario, dans un milieu dangereux agité par la violence d’un conflit armé, elle offrira
possiblement la sécurité nécessaire au développement personnel d’une personne blessée
lors d’un affrontement. En outre, les mêmes mécanismes de défense et stratégies d’adap-
tation peuvent selon les sujets et/ou le moment de leur histoire relever de la résilience
ou simplement de l’adaptation. Ainsi, le recours à l’imaginaire14 peut être une défense
utile pour échapper à une situation douloureuse, mais il peut également devenir une issue

13. Le déni est un mécanisme de défense qui consiste en un refus de la réalité d’une perception parce
qu’elle est vécue comme dangereuse ou douloureuse pour le Moi.
14. On entend ici le recours à l’imaginaire selon la définition de Bergeret, à savoir « l’activité de rêves
et de fantasmes dont on a conscience ou pas » et qui permettent « de ne pas se sentir écrasé par une
Les facteurs de résilience ■ 109

ouvrant sur la création artistique, la réflexion philosophique et la recherche scientifique


et promouvoir une véritable résilience. Enfin, ces mécanismes de défense et de coping
peuvent être adéquats aujourd’hui et devenir pathologiques plus tard. Par exemple, le déni
et l’activisme15 peuvent être des défenses efficaces à court terme, mais entraver les capaci-
tés d’adaptation lorsqu’ils se prolongent. La résilience et la croissance post-traumatique ne
se construisent donc pas uniquement grâce aux ressources personnelles ni exclusivement
grâce à l’environnement, mais par un maillage serré entre les deux.

5.1. Les ressources internes à l’individu


Certaines caractéristiques individuelles s’avèrent favorables au maintien et à la
restauration de l’équilibre psychique. Elles constituent des ressources internes favori-
sant la résilience. Sans être exhaustif, citons :

5.1.1. Les mécanismes de défense16


Les mécanismes de défense sont les moyens utilisés par le Moi pour maîtriser,
contrôler et canaliser les dangers externes et internes. Ils ont pour finalité de traiter les
affects et les représentations mentales douloureuses susceptibles de mettre en danger
l’intégrité et la constance psychologiques de l’individu. Le clivage17, l’intellectualisa-
tion18, l’humour19, la sublimation20 et l’altruisme21, etc. sont quelques-uns des méca-

action trop intrusive ou trop impérative de facteurs extérieurs » (Bergeret, cité par de Tychey in
Manciaux et al., 2001, p. 148).
15. L’activisme est un moyen de gérer des conflits psychiques ou des situations traumatiques par
le recours à l’action. Ce mécanisme a pour effet d’obérer la réflexion et la confrontation aux affects,
l’hyperactivité empêchant le repos psychique.
16. Les mécanismes de défense relèvent des théories psychanalytiques.
17. Le clivage du Moi induit une scission entre une partie du Moi en contact avec une réalité acceptée
et une autre partie soustraite d’une réalité anxiogène. Deux potentialités contradictoires coexistent au
sein du Moi, l’une prédisposant à tenir compte de la réalité, l’autre à la dénier. Dans le contexte d’un
traumatisme, le clivage constitue une scission entre l’expérience effroyable et la partie saine du Moi
protégée du souffle traumatique.
18. L’intellectualisation évacue de la conscience la signification émotionnelle des conflits et des
menaces. En donnant au sujet le sentiment de maîtrise et en lui évitant un affrontement émotionnel
trop brutal, ce mécanisme de défense diminue l’anxiété et préserve l’estime de soi.
19. Au sens restreint retenu par Freud, l’humour consiste à présenter une situation vécue comme
traumatisante de manière à en dégager les aspects plaisants, ironiques ou insolites. C’est dans ce cas
seulement qu’il peut être considéré comme un mécanisme de défense.
20. La sublimation revêt ici une acception différente de celle communément admise en psychanalyse.
Au sens freudien, la sublimation conduit le sujet à remplacer une représentation sexuelle initiale par
une autre non sexuelle. Dans le contexte de la résilience, la dimension sublimatoire désigne l’investis-
sement de l’imaginaire pour échapper à une réalité insoutenable. Les rêveries, les souvenirs positifs et
l’idéalisation d’une situation ou de personnes permettent la constitution d’un espace interne inviolable
où le sujet peut se ressourcer.
21. L’altruisme est le dévouement à autrui qui permet au sujet d’échapper à un conflit intrapsychique.
110 ■ CHAPITRE 6 – La résilience

nismes qui contribuent à réduire l’angoisse et à maintenir l’équilibre psychologique


pendant et après un événement traumatisant.

5.1.2. Les stratégies de coping22


Nous l’avons vu, les mécanismes de coping centrés sur le problème sont générale-
ment les plus efficaces pour contrer la situation adverse et en réduire l’impact, notam-
ment en favorisant la mise en œuvre d’actions adaptatives et de recherche de soutien23.

5.1.3. Les compétences émotionnelles


Être capable d’identifier et d’accepter ses émotions, de réguler ses affects (en par-
ticulier, la peur, la colère, le rejet, etc.), de vivre une gamme étendue d’émotions et de
relativiser, être assertif24, faire preuve d’optimisme, etc. sont des traits de personnalité
favorables à la résilience.

5.1.4. Les compétences sociales


Être doté d’une personnalité sociable, tournée vers autrui, empathique, douée
de capacité réflexive25, habile à établir des relations intimes et sociales durables et
de bonne qualité (dans la famille, avec les voisins, au travail, dans les centres de
loisirs, etc.), capable de solliciter du soutien et d’accepter de l’aide, investie dans des
activités diverses (pratique sportive, artistique, religieuse, politique ou citoyenne,
lecture, etc.), etc. constituent un ensemble de compétences sociales reconnues comme
facteurs de résilience.

5.1.5. La relation à soi


Pouvoir agir avec indépendance, être doté d’un profond sentiment d’identité person-
nelle, avoir de l’estime pour soi26, être investi d’un sentiment d’utilité et de compétence
personnelle, se reconnaître des expériences de réussite, évaluer globalement les expé-
riences du passé de manière positive, profiter des expériences du présent (joie, bien-être,
satisfaction) et anticiper le futur avec optimisme comptent parmi les caractéristiques
permettant de résister à l’adversité et de se reconstruire après un traumatisme.

22. Le coping relève d’une position théorique cognitiviste.


23. Voir le sous-chapitre « Le genre » dans « Les variables liées à l’individu ».
24. L’assertivité ou affirmation de soi est la capacité d’exprimer ses sentiments et ses pensées sans
agressivité ni manipulation.
25. En attribuant un sens aux comportements d’autrui, cette fonction les rend plus prévisibles et
donc moins difficiles à gérer sur le plan émotionnel et comportemental. Ceci explique pourquoi une
fonction réflexive adéquate est un facteur majeur de résilience (voir Fonagy et al., 1994 ; Bernazzani,
2001).
26. La qualité des relations précoces avec les figures parentales joue un rôle majeur dans le dévelop-
pement ultérieur de l’estime de soi et la qualité des relations avec l’entourage à l’âge adulte.
Les facteurs de résilience ■ 111

5.1.6. Les ressources spirituelles27


La foi religieuse, les convictions philosophiques, l’engagement social, politique ou
humanitaire sont des supports utiles de résilience.

5.1.7. L’habilité à résoudre les problèmes


Pouvoir faire preuve d’abstraction, d’analyse et d’introspection, être pragmatique,
être flexible dans la façon de penser, être capable de relativiser, être à même de trouver
des solutions alternatives, faire preuve de créativité, pouvoir tirer les leçons de ses
expériences, être proactif et avoir le sens des responsabilités favorisent l’intégration
résiliente des épreuves de la vie.

5.1.8. La capacité à formuler des projets de vie


et la détermination à les atteindre
Être à même d’identifier ses besoins et ses attentes, pouvoir se projeter dans l’ave-
nir et anticiper, se fixer des buts, avoir la volonté et la force de fournir les efforts néces-
saires pour les atteindre, être persévérant et faire preuve d’espoir aident les individus
traumatisés à dépasser les expériences traumatiques.
Voici le témoignage d’une de mes amies engagée dans l’humanitaire, victime de
plusieurs événements potentiellement traumatisants, mettant en lumière diverses
ressources internes citées ci-dessus : altruisme, coping centré sur le problème, sen-
timent d’utilité et de compétence personnelle, ressources spirituelles, pragmatisme,
capacité à relativiser, sens des responsabilités, projets de vie, etc. Après l’assassinat
de deux de ses collègues en mission, elle me livre : « Je me demande pourquoi, Marie
(une collègue) et moi, on ne réagit pas de la même manière que le reste de l’équipe.
Est-ce que c’est ça, la résilience ? En tout cas, ce n’est pas pareil. Ça ne veut pas dire
que c’est facile, ça ne veut pas dire qu’on ne souffre pas. Les autres ont peur, ils
n’osent plus prendre de risque et je comprends, je les comprends, mais pour moi, la
vie continue, on doit continuer. Bruno (un autre collègue) ne comprend pas. Il me
demande comment je peux continuer. Il me demande : “Si on te dit d’y aller (dans
le pays où les deux personnes ont été tuées), tu y vas ?” Oui, bien sûr que j’irais si
ça peut apporter quelque chose. Évidemment, j’aurais peur, mais si les raisons pour
le faire sont valables, je le ferais. Sinon, il vaut mieux que je change de métier. Tu
comprends ? Avoir peur, c’est normal, mais ne plus pouvoir prendre de risque dans
notre métier, là, on a un problème. Avoir peur, c’est normal ; ne plus pouvoir aller
sur le terrain, c’est de l’ordre du trauma. Après un événement comme celui-là, tu as
besoin de digérer, c’est normal, tu as besoin d’un psy, c’est normal. Tu m’as vue juste
après, tu as vu à quel point j’étais mal. J’ai eu besoin d’un peu de temps pour digé-
rer… Pour pouvoir faire ce métier, il faut un engagement très fort. Ça peut être un
engagement personnel, religieux ou humanitaire, peu importe. Si cet engagement est
vrai, tu ne sais pas très bien pourquoi tu fais ça, tu ne sais pas très bien pourquoi tu

27. Entendu ici au sens moderne de se relier, que ce soit à Dieu, au Divin, à une réalité transcendante,
à l’Humanité, à une cause, à la Nature ou à l’Univers.
112 ■ CHAPITRE 6 – La résilience

prends des risques, mais tu le fais, c’est tout. Ta motivation justifie le risque. Il faut
que la mort ne soit pas un trauma pour toi. Il faut que tu n’aies pas peur de mourir.
Il faut une justification à la mort. De toute façon, on meurt, mais il faut qu’il y ait
une justification pour mourir autrement que de mort naturelle. Je pense que pour
les autres, ce n’est pas acceptable de mourir. Moi, je sais que je vais mourir, alors,
que ce soit sur les marches de l’escalier chez moi ou dans un bunker en Syrie, ça
ne change rien. Tu le sais, j’ai eu un trauma. Pendant trois semaines, j’ai dû attendre
pour savoir si je n’avais pas attrapé l’Ebola et tu connais bien l’Ebola, tu sais qu’on a
très peu de chance de s’en sortir, mais mon trauma, ce n’était pas le fait que je pou-
vais mourir, mon trauma, c’est que j’étais toute seule à soigner les patients et que je
n’y arrivais pas. Ce n’était juste pas possible, je faisais de mon mieux, je faisais tout
ce que je pouvais, mais ce n’était pas suffisant parce que j’étais toute seule pour trop
de malades. La mort des autres, c’est pire que la mienne… Avec tout ce que j’ai vécu,
je vois les choses différemment. Je remets les choses en perspective. Ça redistribue
le poids des choses. Des problèmes qui pouvaient me paraître importants, mainte-
nant, ils sont au troisième plan. Dans l’humanitaire, on est confronté tout le temps
à la mort, celle des autres, celle de proches comme nos collègues qui ont été tués, la
nôtre, alors, si tu dois encore faire avec des bêtises… Bien entendu, certaines choses
continuent de me faire souffrir, mais ce n’est plus comme avant. »

5.2. Les ressources externes à l’individu


Citons maintenant quelques-unes des variables externes qui déterminent la proba-
bilité d’une issue favorable.

5.2.1. Les ressources interpersonnelles


Il n’existe pas de résilience sans réseau social. Les mécanismes de soutien pro-
curent les ressources indispensables pour affronter efficacement les difficultés sub-
séquentes au traumatisme. Boris Cyrulnik l’affirme : « Quand les récits sont acceptés
par l’environnement familial et culturel, la couture résiliente peut se faire solidement »
(Cyrulnik, 2006, p. 21). La stabilité du couple, le soutien et l’affection de la famille,
l’amitié de personnes signifiantes, la solidarité des collègues, les relations sociales
positives (voisins, clubs de loisirs, etc.), l’intégration dans des réseaux permettant
d’échanger et de partager des expériences (associations professionnelles, groupes ami-
caux, groupes de parole, etc.) constituent des facteurs microsystémiques essentiels au
processus de résilience.

5.2.2. Les ressources communautaires


Les normes sociales véhiculées par la communauté d’appartenance influencent le
processus de résilience des sujets traumatisés. Parmi les sociétés favorisant les issues
positives, on compte celles qui assurent la sécurité de ses citoyens (faible taux de délin-
quance et de criminalité, consommation d’alcool et de drogue contrôlée, etc.), prônant
la civilité, le respect, la tolérance sociale, la non-violence, l’altruisme, la solidarité et
Les facteurs de résilience ■ 113

l’entraide (sources diversifiées de ressources et de soutien formel et informel), promou-


vant l’implication communautaire, la responsabilité des citoyens et l’éducation, etc.

5.2.3. Les ressources organisationnelles


Pour les individus confrontés à des situations délétères dans le cadre de leur pro-
fession, la structure et les modalités de l’organisation professionnelle sont elles aussi
susceptibles de participer aux conditions de la résilience. Retenons comme facteurs
favorables les principes éthiques, les règles de fonctionnement cohérentes, une commu-
nication efficace entre pairs et avec la hiérarchie, les contacts sociaux positifs et l’esprit
d’équipe, la possibilité d’exprimer ses opinions, ses besoins et ses attentes, la présence
de mécanismes opérationnels de résolution de conflits et de soutien (defusing28, débrie-
fing29, etc.), l’encouragement à l’autonomie, la latitude décisionnelle, les renforcements
positifs et les rétroactions constructives, la possibilité d’un apprentissage continu,
le soutien à la créativité, etc.
Voici ce que nous dit mon amie humanitaire et qui illustre les ressources externes
telles que le soutien de l’entourage et de l’organisation professionnelle : « Quand on
est responsable de quelqu’un d’autre, quand on a des enfants, quand on est marié,
c’est normal qu’on ne prenne pas les mêmes risques. Moi, je suis célibataire, sans
enfant. Bien sûr, si je meurs des gens vont souffrir, mais il n’y a personne qui dépend
de moi. Même chose, quand on est responsable de quelqu’un d’autre, on ne peut pas
prendre les mêmes risques d’être traumatisé. Moi, si je suis traumatisée, ça ne pose
pas vraiment de grave problème à quelqu’un. Si j’avais des enfants, ça aurait comme
conséquence que je ne pourrais plus m’en occuper correctement. Pour moi, ça fait
partie de la résilience parce que je sais que si je suis traumatisée, ça n’aura pas de
conséquence sur des personnes qui dépendent de moi. Et je sais que ma famille va
s’occuper de moi. J’ai la chance que ma famille a accepté mon choix de l’humani-
taire. Mes parents, mes frères, mes sœurs, ils ont tous accepté et ils connaissent les
risques. Si je suis traumatisée, je sais qu’ils vont prendre soin de moi. Ça joue aussi
pour prendre des risques pour toi-même quand tu sais que même si tu es traumati-
sée, quelqu’un peut t’assumer financièrement, peut te payer le psy et peut s’occuper
de toi… Et il y a les amis, ça compte beaucoup. Il y a les amis de longue date, je sais
que je peux compter sur eux quoi qu’il arrive. On se connaît depuis qu’on est ado-
lescents. Il y a aussi les amis avec qui je travaille. Ils connaissent bien le terrain, ils
comprennent tout de suite et ça aide aussi… On a fait une cérémonie d’hommage au
bureau après le décès de nos collègues, tout ça, c’est très important, ça aide… »

28. Le terme anglo-saxon « defusing » se traduit généralement par « déchoquage » ou « désamor-


çage ». Il s’agit d’entretiens collectifs et individuels dont le but est de constituer un passage entre le
chaos engendré par un événement grave et le début d’une période de reconstruction et de reprise des
activités quotidiennes.
29. Les débriefings psychologiques collectifs et individuels sont des entretiens structurés menés idéa-
lement dans les 48 à 72 heures et au plus tard dans les 7 jours suivant l’incident critique.
114 ■ CHAPITRE 6 – La résilience

Résumé
1 Le concept de résilience émerge dans les sciences humaines au début des années 1980
et prend son essor dans les années 1990.
2 Il n’existe pas de définition consensuelle de la résilience. Selon certains auteurs, elle
désigne la capacité à supporter un événement potentiellement délétère sans subir
de grands dommages psychologiques. Pour d’autres, le terme de résilience doit être
réservé à l’aptitude à se remettre d’une expérience ayant provoqué un effondrement
traumatique. Pour d’autres encore, la résilience recouvre tant la notion de résistance
au choc provoqué par un événement adverse que la capacité de réorganisation post-
traumatique après la perte du fonctionnement initial.
3 La résilience dépend de caractéristiques physiques, biologiques et psychologiques
propres à l’individu ainsi que de variables inhérentes à l’environnement.
4 Un sujet peut être résilient face à une situation extrême et ne pas l’être lorsqu’il est
confronté à un autre type d’événement ; il peut se montrer résilient dans un domaine
de sa vie et non dans un autre ; il peut être résilient à un moment de son existence et
cesser de l’être plus tard.
5 Traumatisme psychique et résilience ne sont pas antinomiques. Une personne peut
être tout à la fois perturbée et résiliente, empreinte traumatique et ressources intactes
coexistant simultanément.

? Vérifiez vos connaissances


1 Nommez deux critères généralement retenus pour déterminer si une personne est
résiliente
2 Pour Boris Cyrulnik et Marie Anaut, la résilience se constitue en deux étapes. Quelles
sont-elles ?
3 Qu’entend-on par croissance traumatique ?
4 Certaines caractéristiques individuelles s’avèrent favorables au maintien et à la restau-
ration de l’équilibre psychique. Citez-en quatre.
CHAPITRE 7

La prévalence
4

des troubles
traumatiques
« Lorsque la famille était réunie à table,
et que la soupière fumait, Maman disait parfois :
– Cessez un instant de parler. Nous obéissions.
Nous nous regardions sans comprendre, amusés.
– C’est pour vous faire penser au bonheur, ajoutait-elle.
Nous n’avions plus envie de rire. »
Félix Leclerc, Pieds nus dans l’aube

SOMMAIRE

1. Le traumatisme dans la population générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116


2. Les groupes spsécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
116 ■ CHAPITRE 7 – La prévalence des troubles traumatiques

L’épidémiologie1 nous permet d’estimer l’ampleur


du phénomène du traumatisme psychique. De nombreuses
études ont tenté d’évaluer son incidence dans la population
tout venant ainsi qu’au sein de groupes exposés à des incidents
critiques spécifiques (conflits armés, agressions physiques
et sexuelles, accidents de la route, attentats, catastrophes
naturelles, etc.) ou répétés (par exemple, dans le cadre
de missions professionnelles). Les résultats diffèrent
d’une recherche à l’autre, parfois considérablement,
en raison des méthodologies choisies2, du type d’événement
retenu, des populations ciblées (taille de l’échantillon, unité
sociogéographique3, cohortes4, etc.) ainsi que du délai écoulé
entre les faits et l’évaluation. Toutefois, certaines constances
semblent s’en dégager.

1. Le traumatisme dans la population


générale
Les recherches épidémiologiques se sont concentrées sur deux concepts interdépen-
dants : la prévalence de l’exposition à des événements potentiellement traumatisants
dans la population générale et la fréquence totale de l’état de stress post-traumatique
au sein de cette population.

1. L’épidémiologie étudie la fréquence et la répartition des problèmes de santé au sein de la population


ainsi que le rôle des facteurs qui les déterminent.
2. Par exemple, certaines études ciblent spécifiquement le syndrome de stress post-traumatique selon
les critères définis par les versions successives du DSM alors que d’autres prennent en considération
les syndromes incomplets et/ou les symptômes associés ; certaines enquêtes sont basées sur des
questionnaires d’auto-évaluation et d’autres recueillent les données via des interviews téléphoniques
ou par le biais d’entretiens en face à face ; certaines recherches imposent aux sujets de nommer spon-
tanément les événements traumatiques auxquels ils ont été confrontés tandis que d’autres les invitent
à les pointer dans la liste qui leur est proposée, etc.
3. Pays, région, ville.
4. Âge des répondants, genre, ethnie, profil socio-économique, niveau de scolarisation, etc.
Le traumatisme dans la population générale ■ 117

Depuis les années 1980 du siècle dernier et jusqu’à récemment, la majorité des travaux
épidémiologiques étaient nord-américains. Ceux-ci révèlent des taux d’exposition à un
événement traumatisant au fil de l’existence de 16 à 90 % (voir Breslau et al., 1991 ;
Kessler et al., 1995 ; Helzer et al., 1987 ; Davidson et al., 1991). Nombre de sujets
ont été victimes à plusieurs reprises au cours de leur vie. Par exemple, Kessler note
que 56,3 % des hommes et 48,6 % des femmes ont subi au moins deux expériences
traumatiques (Kessler et al., 1995). En ce qui concerne la prévalence de l’état de stress
post-traumatique au cours de la vie, elle varie selon les études de 1 à 9 % (Kessler et al.,
1995 ; Helzer et al., 1987 ; Jolly, 2003). La fréquence du diagnostic s’accroît significati-
vement lorsque les tableaux subsyndromique sont pris en considération. Par exemple,
aux États-Unis, Helzer (Helzer et al., 1987) constate que dans la population générale
15 % des hommes et 16 % des femmes manifestent certains symptômes spécifiques
du traumatisme psychique et au Canada, Stein (Stein et al., 2000) comptabilise près
de 12 % de PTSD5 incomplets parmi les patients tout-venant consultant un centre
de soins de santé primaires. Quant à la prévalence du PTSD considérant les troubles
actuels et manifestés au cours des douze derniers mois, elle est de 3,5 % au sein de la
population adulte américaine (Norris, Slone, 2013).
Les enquêtes européennes dévoilent des pourcentages moins élevés. 20 à 30 % de la
population a été confrontée à un incident critique6. Parmi les victimes, un tiers a
subi plusieurs incidents critiques (Perkonigg et al., 2000). Selon une étude menée en
France, les drames les plus souvent invoqués sont par ordre décroissant l’annonce du
décès inopiné d’un proche (24,6 %), le spectacle de la mort d’autrui ou de blessures
graves frappant un tiers (20,6 %), le diagnostic d’une maladie potentiellement mortelle
et l’implication dans un accident de la route (11,7 %)7. En Allemagne (Perkonigg et
al., 2000), les jeunes de 14 à 24 ans sont le plus souvent exposés aux agressions phy-
siques (9,7 %), aux accidents graves (7,8 %), à la vision de la victimisation d’une tierce
personne (4,4 %) et aux agressions sexuelles (3,5 %). Parmi les échantillons étudiés, 1
à 2 % des personnes présentent un état de stress post-traumatique chronique (Alonso
et al., 2004 ; Vaïva et al., 2006). Les estimations de la prévalence des PTSD actuels et
récents sont également plus faibles en Europe qu’aux États-Unis et n’atteignent pas les
1 %. C’est également le cas en Colombie, au Mexique, au Nigeria, en Afrique du Sud,
en Israël, en Chine et au Japon (Norris, Slone, 2013).
Sans surprise, les populations civiles des pays déchirés par la guerre sont particuliè-
rement à risque d’être victimes de situations délétères. De Jong et ses collaborateurs
(2001) ont étudié la situation dans quatre pays pauvres en situation de post-conflit,
le Cambodge, l’Algérie, l’Éthiopie et Gaza. La prévalence de la torture varie entre 8 %
pour l’Algérie et 26 % pour l’Éthiopie et la fréquence d’exposition aux événements liés

5. État de Stress Post-Traumatique. Le PTSD ou ESPT comprend les reviviscences, les conduites
d’évitement et l’activation neurovégétative. Voir le chapitre « Les réactions face à un événement
traumatique ».
6. 21,4 % pour l’Allemagne (Perkonigg et al., 2000) ; 30,2 % pour la France selon une étude menée
entre 1999 et 2003 (SMPG, Santé Mentale en Population Générale, cité par Ducrocq, 2009).
7. SMPG, Santé Mentale en Population Générale, cité par Ducrocq (2009).
118 ■ CHAPITRE 7 – La prévalence des troubles traumatiques

aux conflits armés entre 59 % pour la bande de Gaza et 92 % pour l’Algérie. Les taux
de stress post-traumatique au cours de la vie sont exceptionnellement élevés : 16 % en
Éthiopie, 18 % dans la bande de Gaza, 28 % au Cambodge et 37 % en Algérie.
La probabilité de développer une affection psychotraumatique varie considérablement
en fonction du type d’événements délétères. Dans l’étude menée par Kessler et ses
collaborateurs (1995), le risque conditionnel de manifester un PTSD dans la foulée
de l’événement qualifié du pire de leur vie par les interviewés est de 20 % pour les
femmes et de 8 % pour les hommes. Breslau (Breslau et al., 1998) obtient des pourcen-
tages proches : 18 % pour les femmes et 10 % pour les hommes. Les recherches menées
par Resnick et ses collaborateurs (1993) dévoilent des taux de stress post-traumatique
nettement plus élevés chez les femmes victimes d’actes criminels (26 %) que chez leurs
paires confrontées à d’autres types de traumatisme (9 %). Dans l’étude de Kessler,
l’événement qui se révèle le plus traumatogène est le viol, tant pour les sujets mascu-
lins (65 %) que féminins (46 %). Les autres situations associées à une forte probabilité
de développer une souffrance traumatique sont les affrontements armés, les négli-
gences et les abus endurés dans l’enfance, les attentats à la pudeur et les agressions
physiques. Les accidents et les catastrophes naturelles recèlent un plus faible potentiel
à générer un PTSD. De même, avoir été témoin d’un incident critique engendre moins
fréquemment des troubles que de l’avoir subi en personne. Dans l’enquête de Breslau,
les agressions violentes, regroupant les combats armés, la violence sexuelle et la vio-
lence physique, représentent près de 40 % de cas de PTSD et le décès impromptu d’un
proche, près de 30 % des cas.

2. Les groupes spécifiques


De nombreuses recherches portent sur des groupes de personnes ayant subi des
expériences traumatiques similaires ou potentiellement exposées à des risques impor-
tants et/ou répétés en raison de leurs activités professionnelles.
Les médecins militaires sont les premiers à s’être intéressés aux troubles psychotrau-
matiques. Dans l’Ancien Régime, ils témoignaient déjà d’une connaissance scientifique
des psychopathologies de guerre (Crocq, 1999). Il faudra cependant attendre la fin de
la Seconde Guerre mondiale pour que soient conduites les premières études visant à
évaluer l’étendue des séquelles traumatiques. Une enquête menée sur des vétérans
hollandais évalue à 7,1 % la prévalence du PTSD cinquante ans après la fin du conflit
(Bramsen, Van der Ploeg, 1999). Les prisonniers de guerre détenus dans les camps
japonais sont jusqu’à 84 % à présenter un PTSD durant leur vie (Engdahl et al., 1997).
Une trentaine d’années plus tard, les troubles psychiques présentés par les combat-
tants américains de retour du Vietnam attirent l’attention tant des scientifiques que
des pouvoirs publics et en 1980, l’American Psychiatric Association introduit le PTSD
dans sa nosographie. La souffrance des vétérans suscite un vif intérêt et les recherches
épidémiologiques se multiplient. Ces dernières révèlent 15 à 50 % d’états de stress
post-traumatique complets et partiels au cours de la vie (voir Pitman et al., 1989 ;
Weiss et al., 1992 ; Kulka, Schlenger et al., 1991 ; Kulka, Fairbank et al., 1990 ; O’Toole
Les groupes spécifiques ■ 119

et al., 1999 ; Dohrenwend et al., 2006). Ces scores varient fortement en fonction de
la durée d’exposition, de la nature des expériences traumatiques subies ainsi que du
temps écoulé entre la fin des hostilités et l’enquête. Ils sont particulièrement élevés,
jusqu’à 73,5 % (Buydens-Branchey et al., 1990), au sein des cohortes de soldats ayant
été blessés ou ayant enduré des combats prolongés ou éprouvants.
Parmi les populations civiles confrontées directement aux faits de guerre, 51,8 % à
65 % des survivants des camps de concentration et d’extermination de l’Holocauste
souffraient encore de PTSD quarante ans après leur libération (Kuch, Cox, 1992).
Plus récemment, les rescapés bosniaques des camps de concentration serbes sont
32,5 % à 44 % à être éligibles pour les critères du PTSD (Thulesius, Hakansson, 1999 ;
Drozdek, 1997); 71 % des femmes présentent des séquelles psychotraumatiques (Dahl,
Mutopcic, Schei, 1998).
En France, les victimes des attentats à l’explosif perpétrés entre 1982 et 19878
sont 18,1 % à souffrir d’un PTSD complet et 61,8 % d’un PTSD partiel. Les troubles
sont manifestes chez 10,5 % des impliqués indemnes, chez 8,3 % des blessés légers
et chez 30,7 % des blessés graves (voir Abenhaim et al., 1992 ; Dab et al., 1991 ;
Bouthillon Heitzmann et al., 1992). Les études épidémiologiques menées après la
deuxième vague d’attaques terroristes survenue entre 1995 et 19969 indiquent que les
victimes sont 31 % à 39 % à rencontrer les critères du PTSD (Jehel et al., 2003 ; Verger
et al., 2004) et jusqu’à 75,5 % d’entre elles sont perturbées par certains symptômes
traumatiques (par exemple, reviviscences, hyperactivation neurovégétative) (Verger
et al., 2004). Aux États-Unis, les victimes des actes terroristes d’Oklahoma de 199510
sont près de 35 % à avoir un état de stress post-traumatique (North et al., 1999). Les
attentats-suicides du 11 septembre 2001 ont quant à eux provoqué 20 % de PTSD
chez les habitants de Manhattan résidant à proximité du Word Trade Center (Galea et
al., 2002). Une étude menée sur les victimes israéliennes dix mois après une attaque à
la bombe perpétrée dans les territoires palestiniens conclut à des résultats similaires
(Shalev, 1992).
Suite aux attentats terroristes survenus en France en janvier 2015, une enquête
épidémiologique a été menée auprès de 190 civils (victimes, endeuillés, intervenants,

8. Des attentats liés à la situation politique au Proche et Moyen-Orient ont été commis à Paris à
l’aéroport d’Orly, rue des Rosiers, dans les Grands Magasins « Lafayette » et « Le Printemps », dans
la galerie « Point Show » rue des Champs-Élysées, au bureau de la Poste de l’hôtel de ville de Paris, à
la préfecture de Paris sur l’île de la Cité et devant le magasin « Tati » rue de Rennes. D’autres attaques
ont eu lieu en France métropolitaine dans les locaux de la Cafétéria « Casino » au Centre commercial
de la Défense, dans le train « Le Capitole » reliant Paris à Toulouse, à la gare Saint-Charles de Marseille
et dans le TGV Marseille-Paris.
9. Entre juillet et octobre 1995, la France a été touchée par huit attentats à la bombe qui feront huit
morts et près de deux cents blessés. Ceux-ci furent officiellement attribués au Groupe Islamique
Armé (GIA) basé en Algérie.
10. L’attentat d’Oklahoma City, survenu le 19 avril 1995, perpétré par des sympathisants du mou-
vement des miliciens contre le bâtiment fédéral Alfred P. Murrah situé dans le centre-ville, fut l’acte
terroriste le plus important commis sur le sol américain jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001.
Il fit 168 morts et plusieurs centaines de blessés.
120 ■ CHAPITRE 7 – La prévalence des troubles traumatiques

témoins) et de 232 professionnels (sapeurs-pompiers, forces de l’ordre et d’interven-


tion, services médico-psychologiques et secours associatifs). Du côté des civils, les
résultats préliminaires révèlent qu’après six mois post-attentats, 4 personnes sur
10 souffrent d’au moins un trouble de santé mentale : un stress post-traumatique
(20 %), une dépression caractérisée (10 %) et/ou un trouble anxieux (30 %). L’enquête
confirme également que plus une personne a été exposée à l’événement (menacée direc-
tement ou indirectement, ayant vu et/ou entendu les terroristes et/ou des victimes),
plus les conséquences psychotraumatiques sont importantes. Un quart des sujets a
consulté un médecin, un tiers a été contraint de suspendre temporairement ses acti-
vités professionnelles et 6 % sont en arrêt de travail prolongé. L’enquête préliminaire
montre que l’impact psychotraumatique est moindre chez les intervenants que chez les
civils : 3 % présentent un état de stress post-traumatique et 14 % un trouble anxieux.
Les agents des forces de l’ordre ont été les plus exposés (danger, décès) et sont les plus
en souffrance. Les professionnels ayant bénéficié préalablement d’une formation spé-
cifique au stress ainsi que d’une prise en charge psychologique précoce après l’inter-
vention critique présentent moins de troubles psychopathologiques que leurs collègues
(Vandentorren et col. 2017)
Les travaux portant sur les victimes d’agression rendent compte d’une incidence du
PTSD de 19,4 à 31,3 % (voir Vermeiren et al., 2003 ; Birmes et al., 2002). En Belgique,
par exemple, Hallot diagnostique 17 % d’état de stress post-traumatique chez les
employés de poste victimes d’un hold-up (Hallot et al., 1987). Une recherche étudiant
une cohorte de femmes violentées au sein de leur foyer indique que 31,8 % d’entre
elles souffrent d’un PTSD, la gravité de leurs troubles étant corrélée à la sévérité des
violences subies (Stein, Kennedy, 2001). Les viols méritent une mention particulière.
En effet, ils comptent parmi les expériences les plus délétères au plan psychique avec
une prévalence du PTSD de 65 à 85 % (voir Rothbaum et al., 1992 ; Zoellner et al.,
1999 ; Lopez et al., 1992 ; Bownes et al., 1991).
Selon différentes études, entre 20 et 40 % des conducteurs et des passagers impliqués
dans un accident de circulation sur la voie publique souffrent d’un syndrome post-
traumatique dans les mois suivants les faits (Jehel, Lopez et al., 2006).
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (World Health Organization, 2005), 20
à 40 % de la population touchée par une catastrophe naturelle telle qu’un tsunami
présentent une détresse psychologique légère se résolvant dans un délai de quelques
semaines, 30 à 50 % présentent une détresse psychologique modérée à sévère se résol-
vant peu à peu avec le temps ou se perpétuant par une détresse légère chronique, 15
à 20 % présentent un syndrome de stress post-traumatique ou un syndrome associé
(dépression légère à modérée, troubles anxieux, troubles psychosomatiques, etc.), et 3 à
4 % présentent un trouble psychiatrique majeur (psychose, dépression sévère, trouble
anxieux majeur, addiction sévère aux substances psychotropes, etc.)11.
En ce qui concerne les métiers à risque d’exposition à des événements traumatogènes,
des travaux nord-américains signalent chez les militaires une prévalence pendant la

11. Soit, pour les troubles psychiatriques majeurs, une augmentation de 1 % en moyenne par rapport
à une situation de départ de 2 à 3 %.
Les groupes spécifiques ■ 121

vie entière de l’état de stress post-traumatique de l’ordre de 30 % (Baker et al., 1998 ;


Stretch et al., 1998). Une recherche hollandaise conclut à des taux de 7 % de PTSD
complet et de 34 % de syndrome partiel parmi les policiers (Carlier et al., 1997). En
France, sur 100 intervenants des services d’aide médicale urgente, 11 présentent
des troubles post-traumatiques (Jehell, Louville et al., 1999). Leurs collègues sapeurs-
pompiers seraient eux aussi autour de 10 % à rencontrer les critères de l’état de stress
post-traumatique (voir Fullerton et al., 1992 ; Hytten et al., 1989)12.

Résumé
1 Le taux d’exposition à un événement traumatisant au fil de l’existence est de 16 à 90 %
aux États-Unis et de 20 à 30 % en Europe.
2 La prévalence de l’état de stress post-traumatique au cours de la vie dans la population
tout venant varie de 1 à 9 % en Amérique du Nord et de 1 à 2 % sur le Vieux Continent.
3 La prévalence du PTSD dans les groupes de personnes ayant subi des expériences trau-
matiques similaires varie fortement en fonction de la durée d’exposition, de la nature
des expériences traumatiques subies ainsi que du temps écoulé entre les faits et le
moment de l’enquête. Les viols et la détention dans des conditions de déshumanisation
extrême comptent parmi les expériences les plus délétères au plan psychique avec une
prévalence pouvant atteindre plus de 85 %.

? Vérifiez vos connaissances


1 À votre avis, de quel ordre de grandeur est la prévalence de l’état de stress post-
traumatique dans la population tout venant ?

12. McFarlane (1989) est le seul à trouver des pourcentages de l’ordre de 30 %.


CHAPITRE 8

La dimension
5

culturelle
Ni giti kirakurira mu babaji.
L’arbre peut grandir malgré la présence des menuisiers.
Parabole burundaise

SOMMAIRE

1. Les aspects culturels liés à la souffrance et aux troubles mentaux . . 124


2. Les aspects culturels liés au traumatisme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
124 ■ CHAPITRE 8 – La dimension culturelle

1. Les aspects culturels liés à la souffrance


et aux troubles mentaux
La culture conditionne l’explication des causes à l’origine des épreuves de vie et des
troubles psychopathologiques, les stratégies de recherche d’aide et de soins, l’expres-
sion des émotions et de la souffrance ainsi que la perception des désordres mentaux.

1.1. Causes à l’origine des épreuves de la vie


et des troubles mentaux
Suivant les individus et les cultures, à l’origine des expériences adverses et des
pathologies sont invoqués :
• l’injustice (« Pourquoi moi ? »),
• une maladie mentale dont l’étiologie peut être, selon les différentes concep-
tions théoriques, neurobiologiques, psychanalytiques, familiales ou sociales,
• une mise à l’épreuve ou une punition de Dieu,
• la puissance malfaisante du Diable ou du Malin,
• un sort jeté par un sorcier à la demande d’un entourage malveillant,
• un message ou un mauvais sort lancé par un ancêtre,
• l’agissement de forces surnaturelles (par exemple, les Djinns)
• un déséquilibre dans les énergies,
• etc.
Les causalités attribuées individuellement et culturellement aux troubles mentaux
sont multiples, à la fois naturelle-matérielle/surnaturelle-spirituelle, psychologique/
somatique, individuelle/sociale, etc. Ces conceptions ne sont pas mutuellement exclu-
sives. Il existe au sein d’une même culture et pour un même sujet, une juxtaposition
des croyances. Ainsi, une personne peut consulter un psychiatre acceptant l’idée que
ses symptômes sont le résultat d’un déséquilibre biologique (une insuffisance de neuro-
transmetteurs, par exemple), rencontrer un psychologue, persuadée que sa souffrance
résulte de ses relations familiales désastreuses, s’informer de son avenir auprès d’un
médium reconnaissant implicitement que la destinée est prédéterminée, etc.
La causalité attribuée aux symptômes détermine la démarche de soins. Selon ses
croyances, le sujet en difficulté se tournera vers la médecine, la psychiatrie ou la
psychologie, il se livrera à des prières ou effectuera un pèlerinage, il consultera un
exorciste, un sorcier, un chamane ou un guérisseur, il portera des amulettes ou des
talismans, il fera des offrandes et procédera à des rituels (sel, fleur d’oranger, sacrifices
d’animaux, etc.), etc.
Les aspects culturels liés au traumatisme ■ 125

1.2. L’expression de la souffrance


La culture détermine l’expression des émotions et de la souffrance. Elle est admise
dans certains pays (cris, pleurs, agitation en Afrique, en Amérique du Nord) et répri-
mée dans d’autres (par exemple, en Asie, au Rwanda).

1.3. La perception des troubles mentaux


La perception des troubles mentaux est elle aussi tributaire de la culture. En
Occident, ils sont le signe d’une pathologie (opposé au « normal ») ou de la faiblesse
d’esprit de l’individu ; en Amérique latine, ils sont vus comme des maladies honteuses ;
en Afrique subsaharienne, ils sont considérés comme l’expression d’une entité surna-
turelle ; en Asie centrale, ils sont un comportement socialement inconvenant, etc.

2. Les aspects culturels liés au traumatisme


La dimension culturelle pose la question de la validité culturelle de l’État de Stress
post-traumatique. Et de se demander si cette catégorie diagnostique capte l’essence
culturelle de l’impact des événements délétères sur les personnes affectées. Il existe un
risque réel de plaquer des diagnostics habituellement posés dans les pays occidentaux
sur des tableaux cliniques fortement connotés culturellement. Les connaissances en
Sciences humaines, développées en Occident et aux États-Unis, doivent être replacées
dans leur contexte historique, sociétal et culturel. La psychologie n’échappe pas à cette
relativité (Josse, Dubois, 2009).
Certes, le traumatisme est un phénomène universel. Confronté à des situations délé-
tères (menace vitale, actes de barbarie, etc.), extrêmes, répétées ou prolongées, pas
un peuple n’est épargné de l’effroi et de la souffrance. Toutefois, la perception d’un
événement est susceptible d’être influencée par le contexte culturel. Une situation est
appréciée en fonction de la personnalité de celui qui la vit, de ses expériences passées,
de son développement cognitif, de ses valeurs, de ses croyances, mais également de sa
culture. La compréhension que nous avons d’un événement et la signification que nous
lui octroyons sont inévitablement déterminées et limitées par l’entrelacs de présuppo-
sitions et de représentations mentales qui constituent nos cartes du monde1.
Andrew Green (1992) définit huit dimensions qui, selon lui, sont tributaires de la
culture : la peur de mourir, la douleur physique, l’intentionnalité de la violence, l’absur-
dité de la situation, la mort d’un proche, la perte matérielle, le fait d’être témoin de
violence et la culpabilité. Par exemple, la religion bouddhiste, en raison des principes
de réincarnation et d’impermanence, induit un fatalisme et une résignation qui peuvent

1. Nous appelons « cadre de référence », ce réseau conceptuel inconscient qui détermine notre appré-
hension du monde.
126 ■ CHAPITRE 8 – La dimension culturelle

moduler la perception de la perte des biens matériels, du deuil et de la douleur2; le


fanatisme religieux engage des représentations à même d’amortir l’impact du décès
d’un proche à qui l’attentat-suicide offre l’accès à une situation de faveur auprès du
Divin.
Au Sri Lanka, un rescapé du tsunami nous dit : « Nous sommes bouddhistes. Nous,
nous pensons que c’est une catastrophe naturelle. Pour nous les bouddhistes,
la souffrance fait partie de la vie sur terre. Rien ne dure… Les musulmans, eux,
ils pensent que c’est une décision de Dieu. Certains pensent que c’est un châtiment
pour des fautes qu’ils auraient commises, d’autres pensent que Dieu veut éprouver
leur foi. Nous, nous pensons différemment. »

Certains troubles post-traumatiques sont présents partout dans le monde et peuvent


être considérés comme des réponses universelles tandis que d’autres sont conditionnés
par la culture. Ainsi, les symptômes de reviviscence et d’hyperactivation neurovégé-
tative constitueraient des invariants culturels alors que les conduites d’évitement et
l’émoussement de la réactivité générale dépendraient davantage du contexte culturel.
Pour la première fois, en 1994, le manuel DSM dans sa quatrième version fait mention
de caractéristiques liées à la culture et souligne le danger d’utiliser telle quelle sa classi-
fication pour évaluer une personne d’un autre groupe ethnique ou culturel. Cependant,
le PTSD ne couvre pas l’ensemble des réactions observables et les symptômes que nous
considérons comme pathognomoniques ne sont pas toujours vécus comme les plus
signifiants ou les plus gênants par les individus.
Ainsi, il existe des réactions culturelles spécifiques d’allure « hystériques » ou « psy-
chotiques » telles que mise en transe théâtrale, possession par les esprits, pseudohal-
lucinations, etc. qui correspondent à une manière de s’exprimer traditionnellement
admise, voire encouragée. C’est le cas des troubles expliqués localement par les consé-
quences morbides de la frayeur. Citons le Sar’ ou Khal’a (Nathan, 1994, p. 225) dans
les pays du Maghreb, le Diatigé en Afrique de l’Ouest, le Susto (Rubel et al., 1991),
également connu sous les termes Pasmo, Tierra ou Espanto dans les populations indi-
gènes de l’Amérique latine, le Hobioua Roho à Mayotte, le Hak Tao chez les Hakka de
Polynésie (Hamon, Live, 2011) et le Seziman (saisissement) à l’île de la Réunion, etc. Ces
désordres psychiques varient d’une ethnie à l’autre, voire au sein d’une même commu-
nauté. Ils sont généralement caractérisés par un épuisement physique et mental, de
l’apathie, des troubles du sommeil (insomnie, sursauts nocturnes) et de l’appétit (ano-
rexie) ainsi que par des crises d’épouvante (agitation, yeux écarquillés, cris, tics, etc.).
Tout comme dans la conception occidentale, ces différents peuples considèrent que
l’effroi cause une effraction dans le psychisme. Pour le Hak Tao, le Susto et le Seziman,
l’âme s’échappe du corps de la victime par l’ouverture ainsi provoquée. Pour le Sar,
le Diatigé et Hibioua Roho, des entités surnaturelles en profitent pour s’introduire en
elle et s’emparer de son esprit. Le diagnostic de psychose, y compris celui de trouble
psychotique bref ou de bouffée délirante, doit donc être posé avec prudence, car ces

2. Soulignons cependant qu’il existe de grandes différences individuelles et que tous les individus
d’une communauté bouddhiste ne sont pas imprégnés par cette culture de la même manière.
Les aspects culturels liés au traumatisme ■ 127

modalités réactionnelles et défensives (comportements, croyances, expériences, etc.)


peuvent correspondre à une spécificité culturelle.
A contrario, d’autres cultures répriment ces débordements d’émotions, ce qui favorise
l’apparition de troubles psychosomatiques plus admissibles (maux de tête, eczéma, etc.).
Ainsi, les équipes humanitaires d’aide psychologique rapportent rencontrer davantage
de syndromes psychotraumatiques à plaintes somatiques dominantes dans les cultures
non occidentales (American Red Cross, 1999).
Tout en reconnaissant que la plupart des individus développent des symptômes, on
peut aussi s’interroger sur le sens de ces derniers dans une culture donnée, rappelant
que ce sens est toujours socialement déterminé. À titre d’exemple, les blessures reçues
au combat par les soldats peuvent leur conférer un statut de victime ou de héros
en fonction de l’interprétation que le contexte socioculturel ambiant définit.
Lorsqu’on se penche sur la question du traumatisme, il est essentiel de prendre en
considération le cadre de référence des victimes et de garder à l’esprit qu’il existe,
d’une culture à l’autre, de grandes variations dans l’expression de la souffrance, dans
les symboles, les styles de communication et les mécanismes d’adaptation.

Résumé
1 La perception d’un événement et des troubles mentaux, les stratégies de recherche
d’aide et de soins ainsi que l’expression des émotions et de la souffrance sont influen-
cées par le contexte culturel.
2 Certains troubles post-traumatiques tels que les symptômes de reviviscence et d’hype-
ractivation neurovégétative sont des invariants culturels. D’autres comme les conduites
d’évitement et l’émoussement de la réactivité générale sont conditionnés par la culture.
3 Il existe, d’une culture à l’autre, de grandes variations dans l’expression de la souf-
france, le sens accordé aux symptômes, les symboles, les styles de communication et
les mécanismes d’adaptation.

? Vérifiez vos connaissances


1 Citez trois dimensions qui selon Andrew Green sont tributaires de la culture.
2 Quels sont les troubles post-traumatiques considérés comme des invariants culturels ?
3 Quelles sont les explications avancées dans certaines cultures traditionnelles pour
expliquer les désordres post-traumatiques ?
CHAPITRE 9

Les réactions face


6

à un événement
traumatisant
« Vous me dévisagez. Vous avez peur. J’ai quelque chose de fiévreux dans le teint
qui vous inquiète. Je souris. Je tremble. Un homme brûlé, pensez-vous.
Je ne lève pas les yeux. Je sursaute souvent, au moindre bruit, au moindre geste.
Je suis occupé à lutter contre des choses que vous ne voyez pas,
que vous seriez même incapables d’imaginer. Vous me plaignez, et vous avez raison.
Mais je n’ai pas toujours été ainsi. Je fus un homme autrefois. »
Laurent Gaudé, Dans la nuit Mozambique
130 ■ CHAPITRE 9 – Les réactions face à un événement traumatisant

Au moment et dans le décours d’un événement adverse,


les personnes impliquées peuvent présenter un ensemble
de réactions physiques, émotionnelles, cognitives
et comportementales. Certaines vont réagir de manière
rationnelle (stress adapté); d’autres vont manifester un
comportement inapproprié à la situation (stress dépassé) et
les individus les plus fragiles peuvent déclencher des troubles
psychopathologiques. Ces réactions sont à considérer comme
des réponses normales, du moins attendues, à un événement
hors du commun.

Ces premières réactions ne présagent pas de l’évolution mentale des victimes.


Dès les premiers jours et les premières semaines, certaines voient leurs troubles
s’estomper et disparaître spontanément ; d’autres, qu’elles aient présenté initialement
des réactions adéquates ou des réponses inadaptées, commencent à souffrir de symp-
tômes psychotraumatiques (phénomènes de reviviscence, conduites d’évitement, état
d’alerte), de désordres anxieux, dépressifs, comportementaux ou psychosomatiques,
de troubles du sommeil ou des conduites alimentaires, voire de réactions pathologiques
névrotiques ou psychotiques. Ces troubles peuvent s’avérer transitoires ou devenir
chroniques et se perpétuer tout au long de la vie sous forme de symptômes spora-
diques, récurrents ou fixés en névrose traumatique.
Les victimes présentant des symptômes évocateurs d’une activation neurové-
gétative, d’une détresse et/ou d’une dissociation péritraumatique sont davantage
susceptibles de développer des troubles psychotraumatiques à long terme (voir infra).
Nombre d’entre elles recouvreront cependant spontanément leur équilibre psychique.
Seul l’avenir peut donc révéler rétrospectivement quels sont les sujets qui ont vécu
l’événement comme maîtrisable et quels sont ceux qui l’ont vécu comme traumatisant.
Nous l’avons vu, différents paramètres influencent l’apparition des symp-
tômes ainsi que la gravité de leur fréquence et/ou de leur intensité. Généralement,
les troubles psychotraumatiques sont plus marqués lorsque l’événement est extrême,
répété ou prolongé. Le milieu de récupération peut également en potentialiser les effets
traumatisants.
Il existe de grandes différences entre individus dans la façon d’exprimer leurs sen-
timents et de faire face à la souffrance. Les réponses varient d’une personne à l’autre
et dépendent de facteurs internes (personnalité, antécédents, etc.) et externes (culture,
type et circonstances de l’événement, etc.). Certaines personnes manifestent bruyam-
ment leurs émotions (pleurs, cris, agitation, etc.) tandis que d’autres les masquent ou
les répriment et restent calmes. La manière dont une personne exprime sa souffrance
Les aspects culturels liés au traumatisme ■ 131

ne permet pas de préjuger de ses sentiments profonds. L’absence de manifestation ne


signifie pas qu’elle ne souffre pas, qu’elle n’a pas besoin d’aide ou qu’elle ne présentera
pas des troubles ultérieurement.
Face à une situation potentiellement traumatique, on distingue deux moments
réactionnels :
• La phase aiguë
Elle commence au moment où l’événement traumatisant se produit et per-
dure quelques semaines.
Elle se subdivise en deux sous-phases :
– La phase immédiate. Elle s’amorce dès l’apparition du danger et n’excède
généralement pas deux à trois jours après sa disparition.
– La phase post-immédiate. Elle succède à la phase immédiate. Elle débute
dans les jours suivant l’événement et dure quelques semaines après son
occurrence.
• La phase à long terme
Elle s’amorce en moyenne un mois après la situation traumatogène et se pro-
longe plusieurs mois, plusieurs années voire toute la vie selon les individus
et le type d’événement.
À ces moments particuliers correspondent différentes réactions :
• On entend par réactions immédiates, l’ensemble de réactions émotionnelles,
somatiques, cognitives et comportementales, adéquates ou inadaptées à la
situation, manifestées par les victimes dès l’occurrence d’un incident cri-
tique. Ces réponses se maintiennent tant que la menace persiste puis
s’émoussent progressivement.
• Certaines personnes vont néanmoins continuer de manifester des réactions
de stress plusieurs jours après que le danger se soit éloigné, voire vont déve-
lopper des symptômes relevant du traumatisme. Au-delà de deux à trois
jours, les manifestations ne sont plus générées par la présence d’un danger
immédiat et sont nommées réactions post-immédiates. Celles-ci peuvent per-
durer quelques semaines après l’événement critique.
• Leur persistance au-delà d’un mois fait suspecter l’apparition d’un véritable
traumatisme psychique et l’évolution vers la chronicité. Ce sont les réactions
différées et chroniques.
132 ■ CHAPITRE 9 – Les réactions face à un événement traumatisant

Résumé
1 Au moment et dans le décours d’un événement potentiellement traumatisant, certaines
victimes vont réagir par un stress adapté, la majorité par un stress dépassé. Les sujets
prédisposés peuvent déclencher des troubles psychopathologiques.
2 Dès les premiers jours et les premières semaines, certaines victimes voient leurs
troubles disparaître et d’autres commencent à souffrir de symptômes traumatiques et/
ou de désordres non spécifiques.
3 Ces troubles peuvent s’avérer transitoires ou devenir chroniques et se perpétuer tout
au long de la vie.

? Vérifiez vos connaissances


1 Face à une situation potentiellement traumatisante, on distingue deux moments réac-
tionnels. Quels sont-ils ?
2 À partir de quel moment peut-on suspecter l’apparition d’un véritable traumatisme
psychique ?
CHAPITRE 10

1La phase aiguë


« La violence, n’importe quelle violence, transforme ceux
qui y sont soumis en chose, en quartier de viande animale. »
Arturo Perez-Reverte, Le peintre des batailles

SOMMAIRE

1. Les réactions immédiates. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134


2. Les réactions post-immédiates. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
3. Les réactions immédiates et post-immédiates
selon les nosographies internationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
134 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

1. Les réactions immédiates


On appelle « réactions immédiates » l’ensemble des réactions manifestées par les
victimes dès l’apparition du danger et durant une période n’excédant pas deux à trois
jours après sa disparition.
Au moment de l’événement potentiellement traumatisant ainsi que dans les heures et
les jours suivants, certaines victimes vont réagir par un stress adapté ; d’autres vont
présenter des réactions de stress dépassé, voire même des symptômes traumatiques
et les sujets prédisposés peuvent déclencher des troubles psychopathologiques. Les
réactions immédiates sont largement dominées par des manifestations propres au
stress. Même si elles peuvent dérouter ou sembler inadaptées, leur prévalence élevée
au sein des populations soumises à des événements traumatogènes incite à les consi-
dérer comme des réponses normales à une situation exceptionnelle, terrifiante ou
horrifiante. Notons cependant qu’en dépit de leur caractère habituel, cela ne signifie
pas qu’elles soient aisées à gérer par les victimes et leur entourage.

1.1. Les réactions de stress normal et adaptatif


C’est au physiologiste américain Walter Cannon que l’on doit l’introduction en
1914 de la notion de stress1 dans le domaine de la santé (Steckler, Kalin, Reul, 2005,
p. 5). Il sera popularisé dès 1936 par le docteur canadien Hans Selye qui le décrit
comme l’ensemble des moyens physiologiques et psychologiques mis en œuvre par
une personne pour s’adapter à un événement donné. Il précise que c’est le changement
brutal survenant dans les habitudes d’une personne, jusque-là bien équilibrée, qui est
susceptible de déclencher un bouleversement dans sa structure psychique et même
somatique (Selye, 1962). S’inspirant de Hans Selye, Louis Crocq (1999) définit le stress
normal comme « la réaction immédiate, biologique, physiologique et psychologique
d’alarme, de mobilisation des ressources et de défense de l’individu face à une agression
ou une menace ».

1.1.1. Le stress
Lorsqu’un individu est soumis à une agression ou une menace quelle qu’elle soit,
il y répond immédiatement par une réaction nommée « stress ».
Le stress produit des réponses en chaîne :
• Il élève la vigilance et focalise l’attention sur la menace évacuant temporaire-
ment de la conscience toute autre pensée (attention exacerbée, prospection
sélective des signaux pertinents). Ce phénomène de rétrécissement
de l’attention sur les stimuli les plus pertinents est connu sous le nom de
« vision en tunnel » (« tunnel vision » en anglais).

1. Le terme a été emprunté à la mécanique des matériaux.


Les réactions immédiates ■ 135

• Il mobilise les capacités cognitives et l’énergie nécessaire à l’évaluation de la


situation et à la prise de décision (augmentation des facultés de perception,
d’évaluation, d’analyse et rapidité de leur intégration).
• Enfin, il prépare et incite à l’action adaptée au contexte (combattre, battre en
retraite, fuir, se cacher, s’immobiliser2, appeler à l’aide et aussi adopter des
attitudes et des comportements altruistes et empathiques d’entraide envers
les personnes en difficulté, etc.) et maintient un état d’alerte.
Cette réaction est quasi réflexe et son apparition, son déroulement ainsi que son
extinction échappent à la volonté consciente.
Le stress s’accompagne de sentiments d’appréhension et de peur contrôlée ainsi que de
combativité, d’agressivité et de colère.
Louis Crocq déclare que le stress est « une réaction éphémère ; elle est a priori utile et
salvatrice, et aboutit généralement au choix et à l’exécution d’une solution adaptative.
Elle se déroule dans un climat de tension psychique exceptionnel et s’achève par le
relâchement de cette tension, avec sensation mitigée de soulagement et d’épuisement
psychique et mental » (Crocq, 1999, p. 69). Cette réponse de l’organisme constitue
donc un phénomène protecteur, utile à la survie, visant à faire face efficacement aux
situations difficiles. Cet ensemble de réactions d’adaptation est appelé « stress protec-
teur » ou bien encore « stress adaptatif ».
La réaction de stress normal se déroule en quatre phases3 :

Une phase d’alarme


Des moyens de défense sont mobilisés pour réagir rapidement au danger. Le stress
cause l’apparition de réactions physiques et psychologiques caractéristiques. Au
niveau somatique, le rythme cardiaque s’accélère, la respiration se fait plus rapide, les
muscles se tendent. Les effets psychiques se traduisent par la vigilance, l’euphorie, un
sentiment de détresse ou d’oppression.

Une phase de résistance


Lorsque la menace persiste, la défense est maintenue et les réserves d’éner-
gie nécessaires sont reconstituées. Les premiers signes physiques de la réaction
d’alarme ont disparu. Le corps s’adapte et la résistance s’élève au-dessus de la nor-
male (capacité accrue d’attention, de mémorisation, de maîtrise émotionnelle et de
contrôle moteur).

2. S’immobiliser et se taire sont des moyens souvent efficaces de réagir à un danger. Ces compor-
tements sont hérités de l’évolution. Dans la mesure où de nombreux prédateurs détectent leur
proie par ses mouvements et les bruits qu’elle émet, se figer peut permettre d’échapper au danger,
de donner le temps d’identifier ou de localier la menace ou de se préparer à la fuite. Il ne faut
toutefois pas confondre l’action adaptée de rester immobile ou de s’immobiliser avec l’immobilité
stuporeuse engendrée par l’effroi, témoignant d’une dissociation traumatique (voir infra, la stupeur
dissociative).
3. C’est à Hans Selye (1962) que l’on doit la description des trois premières phases.
136 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

Une phase d’épuisement


Lorsque l’exposition au stresseur4 se poursuit trop longtemps, les défenses
s’effondrent. La personne n’est plus capable de répondre adéquatement à la situation
aversive et des symptômes apparaissent.

Une phase de récupération


Lorsque la situation problématique est gérée, la tension baisse, la personne se
détend et peu à peu, les réserves énergétiques de l’organisme se reconstituent et l’équi-
libre psychique se restaure.
Lorsqu’elles réagissent par un stress adapté, les personnes répondent efficacement
aux exigences de la situation dangereuse en adoptant des comportements adéquats,
par exemple, évacuer un immeuble en feu, s’accroupir dans l’angle formé par des murs
porteurs lors d’un séisme, éteindre un incendie débutant avec un extincteur, prévenir
les services de secours après un carambolage, porter assistance aux blessés, couper le
moteur d’un véhicule accidenté, se tapir dans une tranchée ou se mettre à l’abri dans
une cave lors de bombardements, etc.
De retour de son service de garde, une jeune médecin est agressée par un homme
et, sous la menace d’une arme blanche, contrainte de le suivre dans un parc. Elle
réfléchit aux moyens dont elle dispose pour se défendre et décide de mordre violem-
ment son agresseur. Sous la douleur, ce dernier relâche son étreinte, elle parvient à
se dégager et s’enfuit. Une quinzaine de jours plus tard, on retrouvera dans ce parc
le corps sans vie d’une jeune femme.

1.1.2. La queue du stress


Il arrive que les réactions qui accompagnent le stress normal et adaptatif engendré
par un événement stressant ne s’interrompent pas immédiatement une fois le danger
écarté, mais s’éteignent progressivement au cours des heures, voire des jours suivants.
C’est ce que Louis Crocq nomme « la queue de stress » (Crocq, 1999).
Sur le plan somatique, la queue de stress se traduit par une activation neuromuscu-
laire (hypertonie musculaire accompagnée de difficulté à se mouvoir, de maladresse
gestuelle, de tremblement, de bégaiement, etc.5) et des manifestations neurovégétatives
diverses. Sur le plan psychique, elle se présente sous forme d’anxiété, d’impression
d’insécurité, de sentiment d’être privé de secours, de difficulté à penser, à se concentrer
et à prendre des décisions, d’accès d’irritabilité, voire d’agressivité.
Marina victime d’un car-jacking raconte : « J’étais tétanisée et je tremblais tellement
que je n’arrivais pas à former le numéro de téléphone de mon oncle qui habite à
proximité de l’endroit où l’agression a eu lieu. Heureusement que l’automobiliste
qui me suivait a vu ce qui s’est passé et s’est arrêté. C’est lui qui a téléphoné à mon

4. On appelle « stresseurs » les facteurs susceptibles de déclencher une réaction de stress.


5. Voir infra « Les symptômes chroniques de stress chronique » dans la section réservée à la phase
à long terme.
Les réactions immédiates ■ 137

oncle. Il est arrivé dans les cinq minutes. Il habite à quelques centaines de mètres de
là. L’automobiliste est resté avec moi et il a essayé de me calmer, mais je tremblais,
je bégayais, bref, la totale. Mon oncle est arrivé et m’a emmené chez lui et j’ai mis
certainement une bonne heure à me remettre. »

1.1.3. Les décharges différées de stress


Une des fonctions du stress est de préparer à l’action. Il met l’individu en alerte et
libère les moyens énergétiques qui lui permettent de lutter contre l’agent stressant. Or,
dans certaines circonstances, la victime ne peut réaliser les mouvements que lui dicte
son stress (combattre, fuir, crier, etc.) ou doit réprimer l’expression d’émotions fortes. Par
exemple, les personnes torturées sont dans l’impossibilité physique d’agir et de se défendre.
Elles doivent aussi étouffer leur indignation, leur colère ou leur horreur, car les manifester
serait suicidaire. Toute velléité de résistance ou mouvement d’humeur peut aussi s’avérer
dangereux, sinon fatal, pour les personnes prises en otage, tiger-kidnappées, car-jackées ou
home-jackées6, etc. Certaines situations peuvent même contraindre les victimes à contrôler
leurs réactions corporelles élémentaires telles que trembler ou claquer des dents.
Dans tous ces cas, l’énergie mobilisée par le stress ne peut trouver de voie de dérivation
qu’une fois la sécurité retrouvée. L’évacuation de la tension peut se traduire par une acti-
vation neurovégétative (sudation, tachycardie, hyperventilation, frissons, tremblements,
écoulement urinaire involontaire, etc.7), une libération d’émotion (euphorie découlant du
soulagement d’avoir échappé au danger, crises de larmes, accès de prostration) et/ou
par l’explosion de mouvements (cris, agitation, passages à l’acte agressifs). Ces décharges
apparaissent dans les quelques heures suivant l’événement stressant et durent le plus
souvent de quelques minutes à quelques heures. Ces abréactions ne se produisent géné-
ralement qu’une seule fois et procurent un soulagement, au moins transitoire.
Simon, victime d’un home-jacking, témoigne : « Pendant toute l’agression, je me suis
contenu, j’ai contenu ma façon d’être. Je suis resté tout à fait calme. Je leur ai parlé
poliment (aux trois agresseurs). J’ai fait ce qu’ils m’ont demandé. Je me disais que
si j’agissais calmement, tout se passerait bien. Je voyais bien qu’ils étaient nerveux
et j’essayais de les calmer par mon propre comportement. Je ne voulais pas qu’ils
se mettent à s’énerver parce que mon fils dormait à l’étage et je ne voulais pas qu’il
se réveille et qu’il assiste à ça. Après, j’ai réussi à me libérer. Ils m’avaient lié avec
du ruban adhésif et j’ai réussi à le couper en frottant sur le coin du mur. Et après
bien sûr, j’ai appelé la police. Je leur ai tout raconté et tout ça, tout à fait posément.
Ma mère est arrivée pour s’occuper du petit et après, après ça n’a plus été. J’ai
commencé à trembler, à trembler comme vous n’avez pas idée. J’étais recroquevillé,
je pleurais. Ça sortait. Je m’étais tellement contenu, là, tout sortait. Ma mère a appelé
le médecin de garde et il m’a fait une piqûre pour me calmer »
Pour sauver sa mère de la misère, Arthur a organisé une escroquerie à l’assurance en
boutant le feu à l’établissement de cette dernière. Il a été grièvement brûlé dans cet

6. Voir les définitions de tiger, car et home-jacking, p. 41.


7. Pour plus de détails sur les symptômes d’une activation neurovégétative, voir infra p. 140-141.
138 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

incendie criminel pour lequel il sera écroué ultérieurement. « J’étais brûlé aux mains
et au visage. Heureusement, il pleuvait beaucoup. J’ai couru jusque chez ma mère. Il
n’y avait personne, alors j’ai appelé un ami qui est venu et j’ai géré correctement les
choses pour ne pas me faire prendre. J’ai tout bien géré, mais mon frère m’a dénoncé
et c’est comme ça que j’ai été pris. Mais donc, j’ai fait tout ce que je devais faire pour ne
pas me faire prendre. J’ai fait une mise en scène pour qu’on croie que je m’étais brûlé
avec du méthanol. Quand je suis arrivé à l’hôpital, je me suis senti pris en charge, j’étais
en sécurité et là, j’ai eu mon choc. J’ai commencé à trembler, j’avais terriblement froid
et les médecins m’ont dit : “C’est le choc, Monsieur. Dans cette pièce, il y a 37 °C”. »

Généralement, le stress normal, en ce compris la queue de stress et les décharges dif-


férées, ne débouche pas sur un syndrome psychotraumatique. Les réactions s’avèrent
de brève durée et dépourvues de séquelles.

1.2. Les réactions de stress dépassé


Pour des raisons qui peuvent relever aussi bien de la situation que de la vulné-
rabilité du sujet8, le stress peut être si important qu’il ne constitue plus un processus
adaptatif, mais provoque des réactions inadéquates, voire pathologiques. Comme le
précise Louis Crocq, la réaction de stress « n’est pas pathologique, quoique grevée de
symptômes gênants ; mais trop intense, répétée à de courts intervalles ou prolongée à
l’excès, elle se mue en réaction pathologique et inadaptée de stress dépassé ».
Nous l’avons vu, le stress favorise une vision en tunnel, le champ de l’attention se
réduisant aux seuls stimuli pertinents. Lorsque la tension s’accroît, les victimes sont
littéralement submergées par leurs émotions et le phénomène d’« easterbrook-claim »
apparaît9. La gamme d’éléments pris en considération se restreint jusqu’à éluder des
informations essentielles, ce qui conduit les individus à prendre des décisions inadap-
tées et à adopter des comportements inappropriés.
On observe trois modes réactionnels de stress dépassé : l’hypo-réaction, l’hyper-
réaction et la réaction apparemment normale.

1.2.1. L’hypo-réaction
Au moment où survient l’événement délétère, les victimes peuvent être saisies
d’effroi. Cette expérience « au-delà de la peur, de l’angoisse et du stress et qui tra-
duit la rencontre avec le réel de la mort », cette « panne », ce « blanc », cet « absolu
silence », ce « vide » (Lebigot, in De Clercq, Lebigot, 2001, p. 16), engendre souvent

8. Voir le chapitre « Les paramètres influençant le développement des syndromes psycho-


traumatiques ».
9. Selon l’Easterbrook-Claim, l’excitation physiologique provoquée par un événement émotionnelle-
ment perturbant entraîne un rétrécissement du champ de la perception. Ce phénomène doit son nom
à celui qui l’a décrit en 1959 (Easterbrook, 1959 ; Winograd, Neisser, 1992 ; De Soir, 2004 ; De Soir,
Daubechies, Van den Steene, 2012).
Les réactions immédiates ■ 139

une immobilité pétrifiée et stuporeuse10, l’angoisse surgissant souvent dans l’après-


coup, le moment d’effroi passé. Peter Levine nomme « freeze response » ce figement,
complétant ainsi la célèbre formule « Fight or Flight » (fuir ou combattre) énoncée en
1915 par Walter Cannon pour décrire les réponses au stress (Levine, 2004).
Jacques, évoquant le moment de son agression, nous dit : « C’est comme si en moi
tout s’était éteint. J’étais pétrifié. J’étais tétanisé. J’étais foutu. »

L’état de choc est caractérisé par la stupéfaction cognitive (incompréhension de ce qui


se passe), la stupeur affective (vide émotionnel), la sidération physique, la prostration,
l’hébétude, la confusion11, l’abattement, le mutisme et le repli sur soi. Dans son versant
pathologique, l’hypo-réaction s’accompagne d’un syndrome catatonique ou d’un accès
mélancolique12.

1.2.2. L’hyper-réaction
Les victimes expriment bruyamment leurs émotions de peur, d’anxiété, de tristesse,
de colère, de dégoût, de culpabilité, voire d’euphorie agitée13 (cris, pleurs, accès d’angoisse,
rires nerveux, expression verbale du vécu, etc.) et manifestent un comportement fébrile
(excitation, agitation, logorrhée14, discours peu construit, etc.). Ce torrent d’émotions
peut s’accompagner de comportements inadaptés à la situation, voire pathologiques tels
qu’une agitation désordonnée, des propos incohérents, une fuite panique, un délire, des
hallucinations, un accès maniaque, une sérénité inappropriée15, etc.
Marianne, dont le fils s’est suicidé, raconte comment la douleur l’a poussée à agres-
ser les ambulanciers et les policiers diligentés sur le lieu du drame : « J’ai crié, je les
ai insultés, je ne sais pas tout ce que j’ai dit, je ne m’en souviens plus, mais j’étais dans
tous mes états. Je sais que j’ai dit à celui qui a essayé de réanimer mon fils que c’était
un incapable, pourtant, je sais bien qu’il était déjà mort avant qu’ils arrivent, mais je
ne sais pas, peut-être que j’espérais quand même. Un des policiers a voulu prendre
la lettre que mon fils avait laissée. Celui-là, je l’ai frappé ! Ils devaient faire une
enquête, je sais bien, mais ça m’a mise hors de moi, j’ai hurlé : “Qu’est-ce que vous
croyez ? Que c’est moi qui ai tué mon fils ? C’était mon bébé, c’était mon bébé !”. Ils
n’arrêtaient pas de me dire : “Mais Madame, calmez-vous, calmez-vous”. Quand la
psychologue du bureau d’aide aux victimes est arrivée, il paraît que je lui ai dit de
foutre le camp. J’ai appris après qu’elle ne travaillait plus à la police, ça l’a trauma-
tisée, la pauvre. C’était une petite jeune, ce n’était pas de sa faute, elle n’a pas dû
s’attendre à ça. Elle venait de commencer à la police. On ne devrait pas envoyer des
personnes si jeunes… » Elle poursuit : « Quand je suis sortie avec eux (les services

10. Nous l’avons vu, pour certaines personnes mobilisées pour faire face à la menace (par exemple,
le personnel de secours), ce moment peut passer inaperçu ou être rapidement oublié.
11. Il s’agit d’une désorganisation de la conscience, voir infra p. 146.
12. Voir infra p. 155.
13. Il s’agit d’une euphorie quasi hypomane dépassant la légitime euphorie d’avoir échappé à la mort.
14. Besoin de parler sans discontinuer.
15. Cette sérénité constituerait une sorte de déni de l’événement.
140 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

de secours), il y avait une enseignante de l’école de mon fils qui passait par là, je l’ai
empoignée par les cheveux et je lui ai dit que c’était de sa faute, que si mon fils s’était
suicidé que c’était de sa faute parce qu’il n’était pas prêt pour un travail d’école. Je
sais bien que tout ça, ce n’est pas de leur faute. Aujourd’hui, je regrette évidemment
d’avoir agi comme ça, mais sur le moment même, j’étais comme folle. C’est ça qu’on
appelle être folle de douleur… »
Marie-Jeanne, une jeune congolaise de la Province du Nord Kivu, violée par deux
hommes armés alors qu’elle se rendait au marché, raconte son histoire en riant
nerveusement.
« Je suis arrivé aux urgences et comme je n’allais pas bien, ils ont appelé le psy-
chiatre. Je rigolais et je pleurais en même temps. Je me souviens que le psychiatre
m’a dit que je confondais le tragique et le comique » se rappelle Pascale, agressée au
cours d’un car-jacking.

1.2.3. La réaction apparemment normale


Les victimes contrôlent ou refoulent leurs émotions et se comportent apparemment
normalement, calmement et posément. Elles évacuent le théâtre du drame dans le calme
se pliant docilement aux ordres qui leur sont donnés, elles portent spontanément secours
à autrui, elles se livrent à leurs activités habituelles, mais de manière mécanique, comme
des automates, souvent silencieusement. Leurs gestes sont parfois saccadés et répétitifs
et leur visage, sans expression comme si elles ne réalisaient pas la gravité des événe-
ments. Dans les cas extrêmes, leurs gestes sont inutiles, voire inadaptés à la situation (par
exemple, racler le seuil de leur maison lors d’une inondation). Elles gardent généralement
peu de souvenirs de cette période critique péri-traumatique.
Une victime peut alterner ces types de manifestations. Elle peut, par exemple, agir
rationnellement au moment de l’événement en se mettant à l’abri ou en se portant au
secours d’autres victimes, puis paraître accablée ou indifférente émotionnellement,
être ensuite assaillie d’une violente anxiété, se mettre à gesticuler et tenir des propos
incohérents, recouvrer à nouveau une attitude posée, etc.
Les réactions de stress dépassé sont principalement marquées par l’hyperactivation
neurovégétative, la détresse péri-traumatique et les symptômes dissociatifs16.

1.2.4. L’hyperactivation neurovégétative


Le système neurovégétatif17 régit le fonctionnement des viscères18 et entretient
les fonctions vitales de base19. Son activation orthosympathique peut provoquer

16. Voir infra.


17. Le système nerveux autonome est composé du système nerveux orthosympathique ou sympa-
thique, entérique et parasympathique.
18. Cerveau, cœur, intestin, poumons, etc.
19. Respiration, circulation sanguine, digestion, excrétion de l’urine et des matières fécales.
Les réactions immédiates ■ 141

une impression d’être proche de l’évanouissement, des pâleurs, des vertiges, des
lipothymies20, des tremblements, des sueurs, des frissons, des bouffées de chaleur,
des palpitations cardiaques21, de la tachycardie22, des accélérations du rythme res-
piratoire, des douleurs et des oppressions thoraciques (mimant parfois l’angor), des
troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissements, diarrhée ou constipation), un
besoin d’uriner (spasmes vésicaux) et d’aller à la selle (spasmes viscéraux), un relâ-
chement sphinctérien (fuite d’urine et de selles), une sensation de striction laryngée
(« boule dans la gorge »), une oppression respiratoire et des sensations d’étouffement
pseudo-asthmatiques (sensation de souffle coupé ou de poids sur la poitrine empêchant
de respirer), des tremblements ainsi que des fourmillements dans les extrémités (par
exemple, au bout des doigts ou autour de la bouche).
L’hyperactivation est aujourd’hui considérée comme le meilleur indice prédictif
d’un syndrome psychotraumatique à plus long terme (Bryant, Brooks et al., 2011).
Les études ont prouvé qu’une victime présentant une tachycardie supérieure à 95
battements par minute ou une tachypnée d’au moins 22 respirations par minute23,
témoins d’une activation orthosympathique prolongée, dans le décours immédiat
d’un événement, alors qu’elle est en sécurité et a été rassurée, est prédisposée à déve-
lopper un trouble psychotraumatique (Bryant, Creamer et al., 2008). A contrario,
une fréquence cardiaque inférieure à 80 pulsations par minute serait de bon augure
(Shalev, Sahar et al., 1998). En effet, 95 % des personnes ayant un rythme car-
diaque inférieur à 80 battements par minute dans les heures suivant la situation
potentiellement traumatogène ne souffrent pas ultérieurement d’un syndrome
post-traumatique (Pitman, Sanders et al., 2002 ; Vaïva, Ducrocq et al., 2003). La
recherche clinique suggère d’ailleurs que les bêtabloquants (propranolol) prescrits
dans la période post-immédiate du trauma pourraient s’opposer à l’inscription des
mémoires traumatiques et diminuer le risque de développer un syndrome post-
traumatique (Vaïva, Ducrocq et al., 2003).

1.2.5. La détresse péri-traumatique


La détresse péri-traumatique24 se traduit par la perception d’une menace vitale et
par des émotions dysphoriques intenses telles que vécu d’impuissance et sentiment de
perte de contrôle, horreur, terreur et peur pour soi et/ou pour la sécurité d’autrui,
sentiment de culpabilité et de honte, impression de solitude et d’abandon, tristesse
et chagrin, frustration et colère, etc.

20. Évanouissements de brève durée.


21. Perception inhabituelle des battements du cœur, généralement désagréable.
22. Accélération du rythme cardiaque.
23. La tachypnée désigne une ventilation pulmonaire accélérée. Chez un adulte, la respiration au
repos est de 12 à 18 mouvements respiratoires par minute.
24. Signalons que le professeur Louis Crocq préfère à « péri-traumatique » l’adjectif « per-
traumatique » car au moment de ce vécu, la victime est « dans » le trauma, et non pas « autour ».
Nous avons opté pour le terme « péri-traumatique » car il est plus largement utilisé.
142 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

Les sentiments d’impuissance, la défaite mentale et la résignation comptent parmi les


vécus les plus pathogènes et les plus préjudiciables pour l’évolution post-traumatique
des victimes.
Guy, victime d’un tiger-kidnapping, témoigne : « C’est une vision de cauchemar… C’est
un visage irréel, grimé… Et cette sensation d’être complètement annihilé, de devenir leur
chose… Ma première impression, ça a même été que c’était un clochard qui avait passé
la nuit là. Je ne sais pas pourquoi… Est-ce que c’était parce qu’il était grimé ou… mais bon,
je me suis rendu compte que ce n’était pas ça… Et voyant un autre de ses complices qui
était là, ben, bon, c’est tout, à ce moment-là, toute résistance devenait inutile… »
Après avoir défoncé la porte de l’appartement de Danielle, son ex-compagne,
Antoine abat à bout portant l’ami avec qui elle déjeunait. Danielle nous livre : « C’est
une souffrance tellement forte que vous ne pouvez que mourir. »

Longtemps après les événements, les victimes peuvent se montrer inhibées et sans ini-
tiative comme si elles restaient dépossédées de leurs capacités de décision et d’action.
Erika, victime d’un viol, rapporte : « Il m’a dit : “Maintenant, tu te lèves et tu viens
avec moi.” Il m’a poussée dans les toilettes et il m’a dit de me déshabiller et il s’est
mis sur moi. Et là, j’ai compris que j’allais devoir subir ça… Je ne maîtrise rien… C’est
une souffrance intense de devoir subir ça et de ne pouvoir rien faire… Maintenant,
quand quelqu’un me donne des ordres, je me bloque, je ne sais pas comment réagir. »

La recherche indique que la détresse péri-traumatique au moment de l’événement ou


dans son décours immédiat entraîne des altérations aiguës dans le fonctionnement
cognitif et perceptuel (Marmar, Weiss, Metzler, 1997).
Les études prouvent que l’intensité de la détresse péri-traumatique est corrélée à l’ap-
parition d’un trouble psychotraumatique ultérieur (voir Vaïva, Lebigot et al., 2001 ;
Fikretoglu et al., 2007 ; Jehel, Paterniti et al., 2006). Notons que cette détresse s’accom-
pagne généralement de phénomènes végétatifs. Cette hyperactivation neurovégétative
pourrait être le véritable facteur de chronicisation des troubles.

1.2.6. Les symptômes dissociatifs


Le concept de dissociation émerge au début des années 1800. Le terme aurait
été utilisé pour la première fois par le psychiatre américain Benjamin Rush en 1812
(Nijenhuis et al., 2006).
Pierre Janet est le premier à démontrer que la dissociation constitue un mécanisme de
défense psychologique contre le débordement provoqué par une expérience traumatique
(voir Janet, 1885, 1886, 1887, 1889). Dès avant 1900, dans ses études sur l’hystérie, il ini-
tie le concept de dissociation en évoquant une perturbation de la personnalité divisée de la
conscience normale. Dans son ouvrage Les névroses paru en 1909, il déclare : « De même
que la synthèse et l’association sont les grands caractères de toutes les opérations psycho-
logiques normales, de même la dissociation est le caractère essentiel de toutes les maladies
de l’esprit » (Janet, 1919). Il souligne le rôle fondamental de l’émotion dans la désorganisa-
tion de la synthèse mentale, en particulier au niveau de la mémoire, les amnésies résultant,
selon lui, d’une dissociation. Sous l’effet d’un choc émotionnel, les processus mnésiques
Les réactions immédiates ■ 143

codent les informations d’une façon particulière. Pour Janet, comme pour nombre de ses
successeurs, les mnésies traumatiques se différencient des souvenirs normaux. Ces mné-
sies, que Janet nomme idées fixes25, sont composées d’éprouvés physiologiques, d’impres-
sions sensorielles (visuelles, auditives, kinesthésiques, etc.) et de mouvements variés ainsi
que de vécus affectifs et cognitifs (pensées, idées) partiels ou désintégrés. Ces aspects frag-
mentés de l’expérience ne permettraient pas à un réel souvenir de s’élaborer et de s’intégrer
dans la biographie du sujet. Les mnésies traumatiques sont dissociées, sensorielles et affec-
tives et se différencient des souvenirs normaux, narratifs, verbaux et sémantiques. Isolées
de la personnalité habituelle (ou conscience personnelle), ces idées fixes évolueraient dans
l’inconscient à la manière d’un parasite (Janet, 1898, 1924). Sigmund Freud, pour qui
l’image traumatique agit comme un corps étranger, partage cette vision.
Selon Janet, le sujet confronté à un événement perturbant ou traumatique ne peut y faire
face parce qu’il ne possède pas « l’éducation antérieure » qui lui permettrait de réagir auto-
matiquement, qu’il est dépourvu de la « force vitale » nécessaire ou que le temps d’adapta-
tion lui manque (Janet, 1904). Il éprouve une émotion violente dont la puissance provoque
une « désagrégation mentale » (altération de l’esprit que Janet appelle aussi « somnam-
bulisme naturel ») et exerce une action dissociante dans le psychisme. Les phénomènes
de volonté et d’attention se réduisent tandis que les tendances élémentaires (« tendances
inférieures telles que la peur, la colère, l’instinct vital » (Janet, 1923)) s’éveillent. Il en résulte
un « rétrécissement de la conscience » qui conduit, par défaut d’unification et de synthèse,
à un dédoublement de la personnalité : l’une normale sous le contrôle conscient et dominée
par la volonté, l’autre liée à une idée fixe habituellement subconsciente conservant l’orga-
nisation de l’expérience traumatique. Janet avalise ainsi l’hypothèse de la coexistence de
deux personnalités chez l’hystérique qu’avait émise le pédagogue et psychologue français
Alfred Binet dans son ouvrage Les altérations de la personnalité publié en 1892.
Janet nomme « existences psychologiques successives » les fragments d’expériences
qui n’ont pu être intégrés dans le système mémoriel auquel se réfère une personnalité
unifiée : « Les choses se passent comme si les phénomènes psychologiques élémen-
taires étaient aussi réels et aussi nombreux que chez les individus les plus normaux,
mais ne pouvaient pas, à cause d’une faiblesse particulière de la faculté de synthèse [ce
que les psychanalystes désigneront “faiblesse du moi”26], se réunir en une seule percep-
tion, en une seule conscience personnelle ; ou encore : les choses se passent comme si
le système des phénomènes psychologiques qui forme la perception personnelle chez
tous les hommes, était, chez ces individus, désagrégé et donnait naissance à deux ou
plusieurs groupes de phénomènes conscients, groupes simultanés, mais incomplets
et se ravissant les uns aux autres les sensations, les images et, par conséquent, les
mouvements qui doivent être réunis normalement dans une même conscience et un
même pouvoir. L’examen de cette hypothèse nous a fait connaître une altération très
curieuse et jusqu’à présent peu connue de la conscience humaine, c’est le dédouble-
ment simultané de la personnalité. Les systèmes de phénomènes psychologiques qui

25. Contrairement à ce que le terme « idée » pourrait laisser penser, l’idée fixe n’est pas une cognition
mais le souvenir de l’événement traumatique conservé dans sa version brute.
26. Note de l’auteur.
144 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

formaient les personnalités successives du somnambulisme ne disparaissaient pas


après le réveil, mais subsistent plus ou moins complets au-dessous de la conscience
normale qu’ils peuvent altérer et troubler de la façon la plus singulière » (Janet, 1889).
Janet précisera également que la dissociation provoque une déstructuration de la per-
sonnalité temporelle27.
Plus tard, en 1940, le psychologue anglais Charles Samuel Myers attribuera les symp-
tômes du shell shock (vent de l’obus)28 à une dissociation de la personnalité entre deux
systèmes psychobiologiques : le premier assurant la sauvegarde personnelle du sujet,
le deuxième orienté vers la survie de l’espèce et le fonctionnement de la vie quoti-
dienne. Il décrit cette dissociation structurelle primaire en termes de division entre
la personnalité apparemment normale (PAN) et la personnalité émotionnelle (PE). La
PAN évite les contenus traumatiques et émotionnels ; la PE, bloquée dans l’expérience
traumatique, est constituée d’expériences sensorimotrices douloureuses et chargées
d’affects pénibles (Myers, 2011).
Dans les années 1980, le psychiatre américain Bessel van der Kolk et le psychologue hol-
landais Onno van der Hart redécouvrent les travaux de Pierre Janet (Van der Hart, Horst,
1989 ; Van der Kolk, Van der Hart, 1989). Au début des années 2000, Onno van der Hart,
Ellert Nijenhuis, Kathy Steele et leurs collaborateurs, prolongeant les réflexions de Pierre
Janet et de Charles Myers, développent le concept de la dissociation structurelle de la per-
sonnalité. Ces auteurs soutiennent qu’une menace majeure peut provoquer ce type de dis-
sociation qu’ils définissent comme « une organisation psychique particulière, dans laquelle
existent différents sous-systèmes psychobiologiques de la personnalité qui sont excessi-
vement rigides et relativement fermés les uns aux autres. Ces caractéristiques mènent à
un manque de cohérence et de coordination dans la personnalité globale du survivant ».
Le terme « personnalité » impliquant un sens de soi unifié, ils modifient la terminologie de
Myers : la « personnalité apparemment normale » (PAN) devient « partie apparemment
normale de la personnalité » (PANP) et la « personnalité émotionnelle », « partie émotion-
nelle de la personnalité » (PEP). « La PEP est une manifestation d’un système mental plus
ou moins complexe qui contient essentiellement des souvenirs traumatiques. Quand des
individus traumatisés restent dans cette PEP, ces souvenirs sont autonoétiques. Ils peuvent
représenter des aspects essentiels du traumatisme, un événement extrême complet, ou
une série d’événements similaires. Ils sont habituellement associés à une image différente
du corps et à un sens de soi séparé, rudimentaire ou plus évolué. La PEP se manifeste ainsi

27. Voir infra « Les altérations de la personnalité » dans le chapitre consacré à la phase à long terme.
28. Le terme Shell shock, que l’on doit à Charles Samuel Myers, a été utilisé par les psychiatres
militaires pour nommer les syndromes post-traumatiques des combattants de la Première Guerre
mondiale. Nombre d’affections mentales présentées par les combattants étant subséquentes à l’explo-
sion de mines et d’obus, les scientifiques étaient convaincus que la déflagration exerçait des effets
mécaniques sur le système nerveux. Cette thèse étiologique explique les dénominations accordées aux
pathologies post-traumatiques. Elles sont désignées sous le vocable syndrome du vent de l’obus (déno-
mination actualisée du vent du boulet de guerres napoléoniennes), vent de l’explosif ou obusite par les
Français, shell explosion et shell shock par les Anglo-Saxons, granat-explosions ou granatshockwir-
kung (contusion par grenade) par les Allemands et encore concussion ou contusion provoquée par le
souffle de l’explosif par les Russes. Rapidement, le terme shell shock a été adopté par les deux camps.
Les réactions immédiates ■ 145

dans des formes qui vont de la réexpérience d’aspects non intégrés du traumatisme, dans le
cas de l’état de stress aigu et de l’ESPT, jusqu’aux personnalités dissociatives traumatisées
dans le cas des TDI29. » Dans la lignée des conceptions de Myers, les PEP sont chargées d’as-
surer la survie du sujet confronté au danger ; elles « mobilisent des réactions défensives et
émotionnelles face à une menace liée au traumatisme, et auxquelles elles semblent fixées ».
La PANP, quant à elle, assume les tâches nécessaires à la vie quotidienne et à la survie de
l’espèce. En fonction de la gravité des troubles, les auteurs déterminent trois niveaux de
dissociation structurelle situés sur un continuum :
• la dissociation structurelle primaire. Il s’agit d’une dissociation entre la PANP et la PEP.
Elle survient dans les suites d’un traumatisme simple.
• la dissociation structurelle secondaire. Elle implique une dissociation entre la PANP et
la PEP, mais également au sein même de la PEP. Lorsque les niveaux de stress sont très
élevés, l’intégration des sous-systèmes chargés d’assurer la survie peut être compro-
mise. Ce type de dissociation se rencontre dans les traumatismes complexes.
• la dissociation structurelle tertiaire. Dans la dissociation tertiaire, à la dissociation entre
PANP et PEP et à la fragmentation de la PEP, s’ajoute la dissociation interne de la PANP.
Soumis à des événements traumatiques extrêmes, les systèmes d’intégration consacrés
à la gestion de la vie quotidienne et à la survie de l’espèce peuvent devenir inaccessibles.
Cette dissociation n’apparaît pas au moment du choc traumatique, mais ultérieurement
lorsque des aspects de la vie quotidienne, évoquant ou symbolisant l’événement trauma-
tisant du passé, le réactivent. Elle caractérise le trouble dissociatif de l’identité.
La dissociation structurelle de l’identité concerne davantage les traumatismes chroni-
cisés que les réactions manifestées dans l’immédiat après-coup d’une situation délétère.
Nous reviendrons sur cette notion dans le chapitre consacré à la phase à long terme.
On dit des personnes qu’elles sont dissociées lorsqu’elles sont déconnectées d’une par-
tie de la réalité. « Les troubles dissociatifs se caractérisent par une perturbation ou une
discontinuité involontaires de l’intégration normale d’un ou de plusieurs des éléments
suivants : identité, sensations, perceptions, affects, pensées, souvenirs, contrôle des
mouvements corporels ou du comportement30. »
Les réactions dissociatives péri-traumatiques se traduisent par l’amnésie dissociative,
la stupeur dissociative, les troubles somatoformes dissociatifs, le trouble de déperson-
nalisation, la déréalisation, les actions automatiques et la distorsion temporelle.

29. Troubles dissociatifs de l’identité, appellation du DSM. Voir le sous-chapitre « Les troubles dis-
sociatifs », dans le chapitre « Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internatio-
nales » de la phase à long terme.
30. Définition de la CIM-11, 6B (traduction de l’auteur) (https://icd.who.int/browse11/l-m/en#/
http://id.who.int/icd/entity/108180424). La définition s’est enrichie par rapport à la version pré-
cédente de la CIM. Aux côtés des souvenirs, de l’identité, des sensations et des mouvements corporels
sont maintenant pris en considération les perceptions, affects, pensées et contrôle du comportement.
La conscience, notion floue, a été éliminée. Pour rappel, voici comment la CIM-10 définissait les
troubles dissociatifs : « Les troubles dissociatifs ont en commun une perte partielle ou complète des
fonctions normales d’intégration des souvenirs, de la conscience, de l’identité ou des sensations immé-
diates et du contrôle des mouvements corporels (CIM-10, F44). »
146 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

L’amnésie dissociative
L’amnésie dissociative partielle ou totale31. Les victimes ne se rappellent pas de
tout ou partie de l’événement critique qu’elles ont vécu32. L’amnésie peut perdurer
longtemps, parfois toute la vie. Sa levée peut se produire spontanément, être engen-
drée par un stimulus-déclencheur (images à la télévision, odeur, bruit, lieu, etc.) ou
être favorisée par un abaissement ou une altération de la conscience vigile (états
hypnagogiques33 et hypnopompiques34, relaxation, fatigue, sommeil, méditation, état
hypnotique, ivresse, etc.). La plupart des victimes sont perturbées par ce défaut de
souvenirs. Néanmoins, certaines témoignent du contraire et se déclarent ravies de ne
pas se souvenir de toute l’horreur.
Gérard agressé par des voleurs à son domicile relate : « Je me souviens quand ils
ont surgi par la porte de la baie vitrée qui donne sur la terrasse. Je me souviens du
gars qui est assis à côté de moi sur le canapé et qui me pointe une arme sur la tempe.
Je me souviens de l’autre qui revient régulièrement vers moi et qui me menace. Je
me souviens du moment où je me ressaisis parce que le deuxième monte à l’étage
et menace de faire du mal à ma fille qui dort dans sa chambre. Là, je me rappelle
que je connais les techniques, je que suis entraîné et que je sais me défendre ! Je me
souviens que je lui casse la gueule et après, plus rien. Je ne sais pas comment je suis
monté à l’étage. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Après, je me souviens juste du poids
de mon arme dans la main et d’eux qui décampent dans les escaliers, mais entre le
moment où je suis au salon et le moment où j’ai l’arme en main, rien »
Sans le récit de nombreux témoins, une jeune femme ignorerait qu’elle s’est échap-
pée de l’incendie d’une boîte de nuit en se faufilant par la fenêtre des toilettes.

La stupeur dissociative
Les victimes sont dans un état de sidération, d’hébétude, de stupéfaction. Elles
manifestent un état confusionnel s’accompagnant de bradypsychie35, de désorienta-
tion36 et d’une altération de la capacité à raisonner, à comprendre les choses, à prendre
des décisions et des initiatives, à poser des choix et à agir ou à réagir de manière
adaptée. Elles paraissent indifférentes à ce qui leur arrive et au drame qui se joue et
donnent l’impression de ne pas entendre lorsqu’on leur adresse la parole. Elles sont
présentes physiquement, souvent figées, mais leur esprit semble absent. Elles sont
absorbées par la scène traumatique qu’elles revivent de manière hallucinatoire, par-
fois pendant plusieurs jours. Elles racontent leur récit en boucle, sans tenir compte de
leur interlocuteur, le regard rivé sur le scénario traumatisant qui se déroule dans leur

31. L’amnésie est l’incapacité à se rappeler d’aspects importants d’une expérience. L’amnésie disso-
ciative est une amnésie psychogène.
32. L’amnésie complète est très rare.
33. État précédent l’endormissement.
34. Phase de réveil partiel qui succède au sommeil.
35. Ralentissement du cours de la pensée.
36. Altération de la faculté de se repérer dans le temps et dans l’espace.
Les réactions immédiates ■ 147

esprit. Certaines personnes sont tellement confuses qu’elles éprouvent des difficultés à
décliner leur identité et à répondre aux questions qu’on leur pose. Ultérieurement, elles
peinent à se rappeler le déroulement de l’événement (amnésies, distorsions mnésiques
telles que rappel anarchique de la succession des événements et interprétation erronée
des faits, etc.) et d’en préciser la durée réelle.
Isabelle, victime d’un home-jacking, nous confie : « Je croyais que c’était mon fils qui
rentrait. Je me suis levée. On venait de se coucher, on ne dormait pas encore. J’ai
été dans la salle de bain et je me suis retrouvée face à face avec un des voleurs. Ils
étaient trois, les deux autres étaient restés au rez-de-chaussée. Je n’ai pas compris
ce qui se passait. Je suis restée là, bêtement. Mon mari est sorti tout de suite de la
chambre et il est arrivé près de moi. Il a pris les choses en main, il a demandé aux
voleurs ce qu’ils voulaient. Ils voulaient les clés de la voiture. On est descendu au
rez-de-chaussée et après, je ne sais plus très bien comment ça s’est déroulé. Je ne
peux même pas vous dire combien de temps ça a duré. »

Les troubles somatoformes dissociatifs


Les victimes peuvent manifester des troubles psychomoteurs dissociatifs entraî-
nant une paralysie, une aphonie, un bégaiement, un trouble de la marche ou de l’équi-
libre, des mouvements involontaires et incontrôlés, des troubles sensitifs (perte de
sensibilité ou de la sensation douloureuse), etc.37
Miranda, victime d’un vol à main armée alors qu’elle assurait le service de garde
dans une pharmacie, témoigne : « J’ai senti mes sangs se glacer. On dit ça en français
“Ça vous glace les sangs”. Je peux vous dire que c’est vrai, ce n’est pas une vue de
l’esprit, on sent vraiment physiquement le sang qui se glace à l’intérieur. J’étais
terrifiée, complètement paralysée. Je n’aurais pas pu dire un mot, je n’aurais pas pu
faire le moindre geste. J’étais transformée en statue de sel. »

La dépersonnalisation
Certaines victimes sont dissociées de leur identité et ont l’impression de ne plus
être elles-mêmes. Elles éprouvent des sensations de dédoublement (par exemple, de se
voir elles-mêmes de l’extérieur), d’être spectateur de leur vie ou d’agir de façon machi-
nale à la manière d’un robot ; elles ont l’impression que l’événement arrive à une autre
personne (défaut de personnification38), que leur corps est déformé ou qu’il ne leur
appartient plus (décorporalisation)39.

37. Voir aussi les troubles de conversion p. 150.


38. La personnification, la perception personnelle des souvenirs et l’assimilation psychologique des
images sont des expressions équivalentes utilisées par Pierre Janet pour désigner le fait qu’un événe-
ment se rattache aux autres souvenirs et sensations dont l’ensemble constitue notre personnalité. Un
affaiblissement de la synthèse mentale provoque une désagrégation de la conscience de l’événement
vécu (Janet, 1919).
39. La décorporalisation ou décorporéisation est une forme de dépersonnalisation caractérisée par
un sentiment d’atteinte de l’intégrité corporelle. Elle se manifeste par une impression de pesanteur ou
d’immatérialité, par une sensation de modification de la densité, du volume (corps dilaté ou rétréci)
148 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

Blessé dans une explosion, Marc raconte : « Je regardais mon fils et je me demandais
pourquoi il pleurait. Je ne comprenais pas que c’était à moi que c’était arrivé. C’est
comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre. C’était triste, mais ça ne me concernait pas »

La déréalisation
Les victimes ont un sens altéré de l’expérience de la réalité ; elles ressentent des
impressions d’irréalité ou d’étrangeté des personnes et des choses ; elles éprouvent un
sentiment prolongé et récurrent de détachement ; elles ont la sensation de vivre un
rêve éveillé ou un cauchemar.
Au cours d’un hold-up, Jacques a été roué de coups et matraqué, bâillonné et
menotté avant d’être descendu dans la cave de l’immeuble : « C’est seulement dans
la cave que j’ai réalisé que ça m’était vraiment arrivé, que les coups, je les avais vrai-
ment reçus. Quand ils sont arrivés, je ne savais pas si c’était la réalité ou si je n’étais
pas éveillé, si c’était un cauchemar. »

Les actions automatiques


On parle d’action automatique lorsque les personnes adoptent un comportement
qui n’est pas issu d’un processus réflexif ou décisionnel. Les gestes et les actes sont exé-
cutés machinalement dans un état de dissociation, ce qui les différencie d’une réaction
réellement adaptée. Les victimes témoignent généralement d’un vécu de déréalisation ou
de dépersonnalisation et manifestent fréquemment une amnésie rétrograde (limitée à la
période de l’action automatique). Certaines actions automatiques semblent appropriées
à la situation (s’enfuir pour échapper au danger, porter secours à des victimes en situa-
tion dangereuse comme, par exemple, entrer dans une maison en feu pour sauver des
enfants40, etc.), d’autres sont clairement inadaptées (gestes stéréotypés et comportements
répétitifs inefficaces ou incongrus tels que lisser inlassablement le pli d’un vêtement com-
plètement déchiré, parler aux personnes décédées, etc.). Parmi les plus fréquentes, citons
les errances (déambulations au hasard) et la fugue dissociative, déplacement soudain,
sans but préalablement établi et réfléchi ne cessant que lorsque la victime est épuisée41.
Dans sa fuite affolée, la personne se heurte parfois aux obstacles, piétine autrui, revient
vers le danger au lieu de s’en éloigner, etc. Les raptus suicidaires commis au moment du
drame pourraient eux aussi être mus par ce qui semble être un besoin impérieux d’agir
(par exemple, défenestration des victimes d’un immeuble en flamme).
Grégoire, grièvement brûlé dans un incendie, nous dit : « Je ne sais pas ce qui m’a pris,
mais je suis rentré à nouveau dans la maison. Je ne sais vraiment pas. On ne peut
même pas dire que je suis rentré pour vouloir sauver quelque chose, des objets de

ou de la forme du corps ainsi que par la sensation d’une dissociation de son enveloppe corporelle
(impression de flotter au-dessus de son corps).
40. Rappelons que ces mêmes comportements peuvent être le fruit d’une décision lorsqu’ils sont pris
sous l’effet d’un stress adaptatif.
41. Ces fuites panique sont contagieuses et peuvent déclencher de véritables paniques collectives
(voir Crocq, 1992).
Les réactions immédiates ■ 149

valeur ou quoi que ce soit. Ça aurait été complètement idiot, mais au moins il y aurait
eu une raison. Ici, même pas. Je ne comprends vraiment pas. Et c’est là que ça a explosé.
Je suis resté six mois à l’hôpital et puis, je ne vous dis pas les mois de kiné et tout ça… »
Un Bosniaque, prisonnier des Serbes durant la guerre en ex-Yougoslavie, explique :
« Lors du transfert du convoi, sur un pont, il y avait une femme, je la regardais parce
qu’elle piétinait, elle était très nerveuse et tout à coup, elle a jeté son bébé qu’elle avait
dans les bras par-dessus le pont et elle s’est jetée après lui. Je repense souvent à son
visage affolé. J’en fais des cauchemars. Ce visage hante mes nuits. Il n’y a pas que ça,
je fais aussi d’autres cauchemars, mais ça revient souvent. Je me suis posé beaucoup
de questions. Peut-être qu’elle a pensé que c’était mieux d’être morte que d’être pri-
sonnière, mais je ne crois pas. Je ne sais pas, mais je crois que si elle avait fait un choix,
elle aurait eu un visage déterminé, mais là, elle semblait comme folle »

La distorsion temporelle
Certaines personnes témoignent d’une perception altérée du temps, les événements
leur semblant se dérouler au ralenti. Parallèlement, elles peuvent avoir l’impression de
voir toute leur vie défiler devant leurs yeux en un temps record. Ce phénomène de
brève durée apparaît généralement dans des situations extrêmes.
Grégoire explique : « Je vois ce tunnel de feu qui vient vers moi, mais je le vois au
ralenti. Je n’arrive pas à voir les images en temps réel. J’ai vu le feu, je l’ai entendu,
ça fait un drôle de bruit, et c’est comme si j’avais fait un blocage en criant “Non !”
Après, tout est au ralenti, je vois ce tunnel arriver sur moi au ralenti et je n’entends
plus rien, je n’ai plus de sensation d’ouïe. »
Au cours de la grande fête folklorique annuelle de sa ville, Peter, vingt ans, sirote
une bière dans laquelle un ancien camarade de classe a versé à son insu du LSD42.
Sous l’emprise de la drogue, Peter n’oppose aucune résistance à suivre le scélérat
à l’écart de la ville. Sur le terrain vague où les attendent d’autres brigands, tous
drogués, gît le corps sans vie d’une jeune femme. Sous les yeux effarés de Peter, un
des malfrats abat froidement le compagnon de l’infortunée. Agressé sexuellement
et menacé d’une arme, Peter voit sa dernière heure venue. Il témoigne : « Ils avaient
déjà tué la femme et l’homme. J’étais certain qu’ils allaient me tuer et là, j’ai revu
défiler des bons moments de ma vie. Je n’avais plus peur. Tout d’un coup, mon cœur
qui battait à exploser, tout ça, ça s’est calmé et j’ai vu les bons moments de ma vie
qui passaient. »

La dissociation péri-traumatique fait craindre une évolution péjorative de l’état psy-


chique des victimes. Les phénomènes dissociatifs comptent parmi les stratégies d’adap-
tation43. Néanmoins, lorsqu’ils sont massifs (par exemple, amnésie totale ou amnésie
partielle, mais touchant des aspects importants de l’expérience), ils potentialisent le

42. Le LSD (acide lysergique diéthylamine) est une drogue hallucinogène.


43. La stratégie d’adaptation se définit comme un changement de la cognition (pensée) ou par des
efforts comportementaux (actions) entrepris par l’individu pour gérer une demande (interne ou
externe) qui excède ses ressources (Lazarus, Folkman, 1984).
150 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

risque de psychotraumatisme, car l’incident critique échappe ainsi au processus inté-


gratif. Nombre de victimes ayant manifesté des symptômes dissociatifs recouvreront
toutefois leur équilibre psychique spontanément, généralement après quelques heures
ou quelques jours.
La dissociation péri-traumatique est considérée comme un des meilleurs indices prédic-
tifs d’un syndrome psychotraumatique à plus long terme (Birmes, Szutlman, Schmitt,
2002 ; Fikretoglu, Brunet et al., 2007 ; Ozer, Best et al., 2003 ; Vila, 2004 ; Birmes,
Brunet et al., 2003 ; Difede, Ptack et al., 2002 ; Marmar, Weiss et al., 1994 ; Tichenor,
Marmar et al., 1996). Toutefois, les recherches menées depuis près de vingt ans prouvent
que la dissociation péri-traumatique n’est pas un facteur prédictif indépendant d’un
stress post-traumatique (Breh, Seidler, 2007 ; Van der Velden et al., 2006). Plus que la
dissociation, c’est l’hyperactivation neurovégétative (Jehel, Brunet, 2005) qui semble être
le pivot central du développement d’un trouble ultérieur (Bryant, Brooks, 2011).

1.3. Les réactions psychopathologiques aiguës


Les sujets déjà fragiles avant l’événement traumatique (par exemple, personnalité
prémorbide, névrose ou psychose avérée) sont susceptibles de réagir de façon exces-
sive ou inadaptée devant une situation hautement stressante et a fortiori potentielle-
ment traumatisante.

1.3.1. Les réactions névrotiques

Les réactions hystériques


Bien que plus rarement que dans les phases post-immédiates et à long terme, les
sujets hystériques peuvent déclencher immédiatement des crises d’agitation (« crises
de nerfs »), des états crépusculaires44 et des symptômes de conversion. Les conversions,
peu fréquentes, sont très impressionnantes. Elles regroupent des troubles disparates
sans cause organique pouvant toucher tous les organes et fonctions corporelles45 : les
atteintes motrices (paralysie, abasie46, astasie47, démarche anormale, boiterie, mou-
vements anormaux, tics, tremblements, etc.), sensitives (algie48, anesthésie, hyperes-
thésie49, paresthésie50, etc.), musculaires (contractures, crampes, torticolis, spasmes,

44. État caractérisé par une baisse du niveau de la vigilance (désorientation spatio-temporelle, oni-
risme, amnésie lacunaire) avec conservation de certains automatismes.
45. Il s’agit de troubles dissociatifs somatoformes. Voir supra.
46. Perte partielle ou totale de la faculté de marcher.
47. Incapacité partielle ou totale de garder la station verticale.
48. Douleur.
49. Exagération anormalement intense, quelquefois douloureuse, des divers modes de la sensibilité.
50. Sensations anormales non douloureuses diverses : fourmillements, picotements, engourdisse-
ments, brûlures, etc.
Les réactions immédiates ■ 151

contorsions, etc.), sensorielles (cécité, surdité, mutité) et neurologiques (convulsions,


crises syncopales, etc.). Les aphonies et le mutisme sont les plus fréquents.
Dans l’accident ferroviaire survenu le 15 février 2010 à Buizingen, une commune
proche de Bruxelles, 125 personnes ont été blessées et 19 ont péris. Clémence
s’en est sortie saine et sauve mais quelques semaines plus tard, elle déclenche un
trouble de conversion. De manière involontaire et convulsive, les muscles de son
cou et de son visage se contractent, ses mâchoires se serrent et les mains se lèvent
à hauteur de la tête, paumes tournées vers l’extérieur. Ce comportement rappelle
immanquablement le geste de protection automatique effectué par une personne
assise subissant un choc violent. Les douleurs occasionnées par les contractions
répétées ont nécessité l’injection de botox dans la nuque et les joues. Les propriétés
neurotoxiques de la toxine botulique ont permis de paralyser les muscles et d’éviter
ainsi les insupportables contractures.

Les réactions phobiques


Tout comme les réactions hystériques, elles surviennent plus fréquemment à
moyen et long terme. La victime déclenche des crises de panique lorsqu’elle est
confrontée à des stimuli rappelant l’événement traumatique (des personnes, des scènes
à la télévision, etc.). Ces séquelles post-traumatiques sont le plus souvent des pseudo-
phobies et ne sont pas seulement le fait de personnalités phobiques. En effet, elles ont
été acquises par conditionnement à partir d’une situation réelle, ce qui n’est pas le cas
des « vraies » phobies51. Toutefois, l’événement traumatisant peut favoriser le déclen-
chement d’une phobie véritable.

Les réactions obsessionnelles52


Les véritables troubles obsessionnels sont extrêmement rares dans l’après-coup
d’un événement critique. Cependant, certaines personnes se livrent à des rituels
d’allure obsessionnelle, par exemple vérifier à plusieurs reprises la fermeture des
portes, s’assurer de manière réitérée du débranchement électrique d’appareils élec-
troménagers, prier interminablement, se laver compulsivement, etc. La plupart de ces
réactions ne relèvent pas de la névrose obsessionnelle. Elles sont la répétition de gestes
de protection posés durant l’événement traumatique ou des tentatives (adéquates ou
non) de se protéger de nouveaux périls. Néanmoins, un traumatisme peut inaugurer
l’entrée dans une authentique névrose obsessionnelle.

1.3.2. Les réactions psychotiques


Nous distinguons le trouble psychotique bref des autres affections psychotiques.

51. Une phobie est une anxiété intense et incontrôlée ressentie par une personne lorsqu’elle est en
présence d’objets ou de situations qui n’ont pas en eux-mêmes de caractère dangereux. Cette névrose
trouve son origine dans un conflit intrapsychique.
52. Dans l’obsession, à l’inverse de la phobie, l’anxiété peut être déclenchée sans que l’objet ou la
situation soit présent ; l’idée seule suffit.
152 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

Le trouble psychotique bref (TPB)53


Cette psychose réactionnelle post-traumatique54 de brève durée est peu fréquente.
Elle survient brutalement chez un sujet sans antécédent psychiatrique ni neurologique.
Elle se manifeste par des idées délirantes, des hallucinations, un discours et un compor-
tement désorganisés (notamment, la catatonie55) ainsi que par des angoisses intenses.
Elle est provoquée par l’angoisse de mort ou de néantisation. Les personnes mani-
festent généralement des symptômes en relation avec l’expérience qu’elles viennent
de vivre. Par exemple, si un individu a été témoin d’une agression sanglante, il peut
« entendre » des coups de feu et « voir » du sang partout alors qu’il est en sécurité ;
s’il a été violenté, il peut reproduire l’agression dans un délire agité. Les personnes gué-
rissent rapidement, complètement et sans séquelles, ni rechutes56. Le diagnostic doit
être modifié si le trouble persiste au-delà de quelques jours.
Nous pensons que ces réactions s’inscrivent dans le cadre de la perte des fonctions
d’intégration des différents aspects de la réalité provoquée par l’expérience trau-
matique. De notre point de vue, elles sont à assimiler aux symptômes dissociatifs,
dont elles seraient l’expression extrême, plutôt qu’à la psychose57. Les personnes
témoignent d’ailleurs fréquemment d’un syndrome de dépersonnalisation (sentiment
d’étrangeté, conviction d’un changement d’identité ou de transformation corporelle)
et/ou de déréalisation (impression de changement dans le monde extérieur, de perte
de familiarité avec l’ambiance) et manifestent souvent une amnésie postcritique
de l’épisode.
Jacques nous décrit les symptômes qu’il a manifestés après son agression : « J’avais
peur de tout. Je n’osais plus aller dans la rue. Ça dépassait la simple peur, je veux
dire, c’était plus qu’une grosse frayeur. J’étais complètement parano, en fait. Ils
m’avaient dit qu’il me ferait la peau si je les dénonçais à la police. Alors, comme je
les avais dénoncés, j’avais peur, mais une peur délirante. Ils savaient où j’habitais,
évidemment ! Avec le recul, c’était évidemment complètement idiot. Mon compor-
tement était désorganisé. J’étais tout à fait confus. À un moment, j’ai même cru que
c’était mon frère qui avait organisé cette agression. C’était complètement absurde.
Je ne sais pas où j’ai été chercher ça. Je crois que je me disais que j’avais été agressé
parce que j’étais dans les médias et donc, que ce n’était pas un simple vol. En fait,
si, c’était juste un vol, je crois. Heureusement, ça n’a duré que quelques jours. Cette

53. Terminologie du DSM-5.


54. Nous rejoignons Bessoles (2006) pour qui ce type de psychose serait post-traumatique.
55. La catatonie se manifeste par un état de passivité stuporeuse et de l’immobilité ou a contrario,
par une activité motrice excessive et stérile, par des positions inappropriées et bizarres, des mouve-
ments stéréotypés, de l’écholalie (tendance à répéter tout ou partie des phrases de l’interlocuteur),
de l’échopraxie (tendance à répéter les mouvements d’une autre personne), l’absence de réaction aux
stimulations extérieures, etc.
56. Elles peuvent cependant présenter un nouvel épisode dans des circonstances analogues.
57. Par exemple, pour notre part, nous les associons davantage aux états de transe et de possessions
repris dans les troubles dissociatifs de la CIM-11 qu’au trouble psychotique transitoire de la même
nosographie. Nous les rapprochons également de ce que Louis Crocq nomme l’état confusionnel post-
émotionnel. (Crocq, 1999).
Les réactions immédiates ■ 153

période, c’est assez flou, je ne me rappelle pas de grand-chose. En tout cas, je peux
vous dire que mon entourage était très inquiet. »

Parmi les troubles psychotiques possibles, citons les bouffées délirantes, la schizophré-
nie ainsi que les accès maniaques et mélancoliques. À l’inverse du trouble psychotique
bref, ces affections psychiatriques touchent des victimes prédisposées, porteuses d’une
psychose en incubation s’extériorisant à la faveur des événements ou d’une affection
avérée sur le point de récidiver. De plus, elles évoluent généralement de manière chro-
nique avec des rechutes intermittentes.

La bouffée délirante aiguë (BDA)


Également appelée trouble psychotique transitoire58. La bouffée délirante aiguë
est un trouble de survenue brutale caractérisé par des délires, des hallucinations et
de l’agitation. Les thèmes délirants sont multiples et versatiles : mystiques (justice ou
toute-puissance divine, apocalypse, sacrifice expiatoire), de persécution (ennemi, agres-
sion, poursuite, trahison), d’influence, de préjudice, de revendication, etc. Les méca-
nismes délirants sont variables : interprétatifs (attribution d’une signification erronée
à un fait réel), intuitifs (le sujet est convaincu par une idée passagère) ou hallucinatoires
(il confond fantasme et réalité). L’épisode se résout complètement, sans récidive pour
un tiers des cas. Quant aux autres, ils souffrent de bouffées délirantes à répétition, évo-
luent vers la psychose maniaco-dépressive ou entrent dans la schizophrénie. D’aucuns
assimilent la BDA au trouble psychotique bref. Nous pensons qu’il s’en distingue par
les rechutes fréquentes et l’évolution possible vers la psychose témoignant d’une
pathologie affectant des personnalités prémorbides.
En deux mois, Caroline a perdu son père et une de ses sœurs et a failli mourir en
couches. « En sortant de la clinique, je ne reconnaissais rien. Je me disais que tout
avait changé, qu’il y avait de nouvelles constructions, comme si j’étais partie ailleurs
pendant des mois alors que j’avais été hospitalisée dix jours, comme si j’avais vécu
dans un autre monde et que je devais me réhabituer à ce monde-ci. Et j’ai un peu pété
les plombs. J’ai commencé à entendre des voix qui me disaient de faire des choses.
Elles me disaient que je devais aller voir ma mère et ma sœur, des choses comme ça.
Heureusement, ça n’a pas duré longtemps !
On n’a pas dû m’enfermer dans un asile de fous ! Et heureusement aussi parce que
six semaines après, c’était mon frère qui nous annonçait son cancer et j’ai dû vrai-
ment beaucoup soutenir ma mère. » Toutefois, quelques mois plus tard, Caroline
entend des voix : « Tu aurais dû mourir, tu devais être la troisième. Tu as eu la
vie sauve, mais maintenant, tu vas t’occuper des morts. Tu vas t’occuper des âmes
errantes et tu vas les aider », lui commandent-elles. Elle relate : « Ils (les esprits)
m’ont fait expérimenter la souffrance d’un vieillard qui meurt seul » et encore :
« Les gens me transmettent leurs angoisses parce que ces âmes ne savent pas où
elles sont ». Plusieurs années plus tard, elle prétendra être l’enfant illégitime d’un
monarque, cachée à la naissance pour éviter le scandale et en danger de mort en cas
de révélation de ses nobles origines.

58. Selon le CIM-10.


154 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

La paranoïa
Cette psychose est caractérisée par une surestimation de soi (orgueil injustifié,
suffisance, mégalomanie), la psychorigidité59, une méfiance extrême à l’égard d’autrui,
une susceptibilité démesurée et par un délire chronique systématisé60 à thèmes le
plus souvent de persécution, de préjudice, de complot ou de jalousie. La paranoïa peut
éclore brutalement dans le décours d’un événement traumatisant par un état délirant.
Elle peut aussi s’installer progressivement et dans un premier temps, être confondue
avec une névrose traumatique grave (par exemple, dans certains contextes, la crainte
d’être poursuivi par les agresseurs peut paraître légitime et masquer le caractère
délirant des idées de persécution). Une fois déclarée, la paranoïa devient chronique et
évolue par poussées.

La schizophrénie
La schizophrénie est caractérisée par la perte de contact avec la réalité, la mise à
distance de la relation à autrui (repli sur soi, isolement social, absence de communica-
tion, indifférence affective), des idées délirantes non systématisées61 (par exemple, vol
de pensée, transformation corporelle, catastrophe cosmique, fin du monde, etc.), les
hallucinations et les conduites étranges (accumulation d’ordures au domicile, collection
de cailloux, gestes ou mouvements continuellement répétés, etc.). Cette affection peut
exploser dans les suites d’un événement traumatique. Néanmoins, elle s’est générale-
ment installée de longue date, s’annonçant occasionnellement par des comportements
bizarres, des propos énigmatiques ou des refus de contacts sociaux ou encore s’est
déclarée antérieurement de manière aiguë et transitoire par une bouffée délirante. Elle
évolue généralement vers la chronicité et le handicap psychologique.

L’accès maniaque
L’accès maniaque ou manie est un trouble de l’humeur caractérisé par une hyper-
thymie62 euphorique, des attitudes orgueilleuses et mégalomaniaques, une hyperréac-
tivité émotionnelle (intensité excessive des émotions, capacité accrue à ressentir les
affects), une accélération des processus idéiques avec fuite des idées (tachypsychie63),
une logorrhée intarissable, une hyperactivité souvent stérile (excitation psychomo-
trice, gesticulation) et des troubles du sommeil à type d’insomnie. La coloration des
affects peut être très fluctuante conduisant les sujets à osciller entre l’euphorie, l’irri-
tabilité, la tristesse, voire l’angoisse. La réaction maniaque peut passer inaperçue dans
un premier temps lorsque l’énergie est mise au service des activités de secours.

59. Difficulté à remettre en cause ses jugements ou son raisonnement, à se plier à une discipline
collective.
60. On dit d’un délire qu’il est systématisé lorsqu’il part de prémisses délirantes mais se développe
ensuite de manière logique, cohérente, organisée et structurée.
61. Les délires dits non-systématisés ne possèdent ni logique ni cohérence interne et témoignent d’une
désorganisation importante de la pensée.
62. Exagération de l’humeur affective (joyeuse ou douloureuse, expansive ou rétractile).
63. Trouble intellectuel caractérisé par la rapidité du cours de la pensée.
Les réactions immédiates ■ 155

L’accès mélancolique
La mélancolie se caractérise par une dépression profonde, une anhédonie64, des
idées délirantes d’auto-dévaluation et d’autoaccusation, des idéations et des conduites
suicidaires ainsi que par une inhibition psychomotrice (perte de l’initiative, ralen-
tissement psychomoteur, état de stupeur) et psychique (ralentissement psychique,
pauvreté et ralentissement des processus idéiques, trouble de la mémoire et de la
concentration, etc.). Dans le décours d’un traumatisme, les victimes se remémorent
inlassablement les événements ; elles ressassent les erreurs, réelles ou imaginaires,
qu’elles croient avoir commises et qui ont précipité ou aggravé l’événement trauma-
tisant ; elles s’accablent continuellement de honte pour les actes qu’elles ont posés ou
qu’elles ont omis ; elles ruminent mentalement leur situation (par exemple, leur impres-
sion de ne pas être comprises par leur entourage, d’être menacées par de nouveaux
dangers, d’être maltraitées par les autorités judiciaires, etc.).

1.4. Les altérations précoces de la personnalité


Nous le verrons, la persistance des troubles post-traumatiques affecte progressive-
ment la personnalité des victimes qui risque à long terme de se structurer en névrose
traumatique. Toutefois, quoique rarement, certains événements délétères sont suscep-
tibles d’engendrer précocement des modifications de la personnalité. Ces dernières sont
caractérisées par une altération de la relation à soi, aux autres et/ou au monde extérieur.
Certaines personnes témoignent d’une modification immédiate de leur iden-
tité et de leur rapport au monde extérieur.
Annette, victime d’une agression sexuelle, nous dit : « Vous savez, je l’ai su tout de
suite que je ne serais plus la même. Au moment où il était sur moi, j’ai senti que quelque
chose se cassait en moi et je me suis dit : “C’est fini, tu ne seras plus jamais la même.” Je
me suis vraiment dit ça ! Je ne me suis malheureusement pas trompée. Avant, j’aimais
sortir danser, j’adorais aller avec mes amis au resto, je courais d’une expo à l’autre,
je faisais du sport, je m’achetais plein de fringues, je me maquillais. J’étais une bonne
vivante, quoi ! Depuis, je suis sinistre, taciturne, terne. Je ne me reconnais plus. Ça a
vraiment fait “Crac !” à ce moment-là et ça ne s’est jamais plus recollé. »
Depuis son accident, Jérôme ne se sent plus le même. « C’est comme si ça avait dis-
joncté dans mon cerveau. Mon entourage trouvait normal que j’aie peur, que je ne m’in-
téresse plus à rien, que je sois renfermé et tout ça et ils pensaient que ça allait passer.
Ils se disaient qu’avec le temps, j’allais me remettre et redevenir moi-même, mais moi,
je savais que je ne serais plus jamais le type sympa, qui fait de l’humour et qui organise
des grosses fiestas. Un plomb a sauté là dans ma tête au moment précis de l’accident.
C’est quelque chose que j’ai senti. Ça ne peut plus fonctionner comme avant. »
Didier, blessé au cours d’un vol commis dans son commerce dix ans auparavant,
raconte : « Les choses ordinaires n’avaient plus de signification. Tout vous est

64. Perte de la capacité à ressentir des émotions positives.


156 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

étranger. Vous voyez des voitures, des gens, mais tout vous est étranger. Le poids
du quotidien ne pesait plus rien à côté du poids de l’événement. J’ai voulu me suici-
der. Maintenant, je n’en suis plus à vouloir me suicider, mais j’ai quand même tout
ce qu’il faut chez moi »

Dans certains cas, les victimes établissent rapidement des liens pathologiques de
confiance, d’empathie, de complicité ou de compassion avec l’auteur des violences.
C’est le cas dans le syndrome de Stockholm. Ce phénomène rare a été décrit en 1978
par le psychiatre américain Frank Ochberg. Il doit son nom à la ville de Stockholm
où il a été observé pour la première fois en 1973 à l’occasion d’une attaque d’agence
bancaire. À la faveur du confinement (coupure avec le monde extérieur) et d’une pro-
miscuité prolongée, les otages peuvent manifester des liens d’affection et de confiance
envers leurs ravisseurs. Malgré la violence et la menace d’un danger réel, les victimes
prennent fait et cause pour les criminels. Leurs valeurs et leurs sentiments se trans-
forment brusquement sous l’effet d’un transfert pathologique envers les kidnappeurs.
Pour Louis Crocq (2001, 1999), le syndrome touche le domaine affectif, les sphères
cognitives (perturbation de la perception, du jugement et du raisonnement), la volition
(démission de la volonté et abandon de l’autonomie) et le comportement (attitudes,
gestes et paroles en faveur du ravisseur). Le processus d’apparition et de développe-
ment de ce syndrome reste largement méconnu. Il pourrait être induit par le sentiment
de gratitude qu’éprouvent les otages du fait que les agresseurs leur laissent la vie
sauve. L’absence de brutalité et la durée de séquestration favorisent son développe-
ment. Le syndrome concerne tant les victimes que les agresseurs, ces derniers récipro-
quant les sentiments de sympathie et de confiance envers leurs otages. Tous partagent
une méfiance et des sentiments d’hostilité envers les autorités et les forces de l’ordre.
Ces sentiments paradoxaux sont stables dans la durée.

2. Les réactions post-immédiates


Dans les premiers jours suivant l’événement délétère, les réactions sont souvent
intenses. Généralement, elles s’atténuent rapidement pour disparaître au bout de
quelques jours ou de quelques semaines. Cependant, certaines personnes voient leurs
troubles persister et d’autres commencent à souffrir de symptômes préfigurant un
syndrome psychotraumatique (symptômes pathognomoniques d’un traumatisme et
pathologies associées). D’autres encore vont inaugurer ou confirmer une psychopa-
thologie névrotique ou psychotique telle que décrite dans les réactions immédiates.
Ces différentes réactions, apparaissant deux à trois jours après l’incident critique et
perdurant quelques semaines, sont nommées réactions post-immédiates.

2.1. L’apparition d’un syndrome post-traumatique


Le syndrome post-traumatique survient toujours après une phase de latence
variant de quelques jours à quelques semaines, voire à quelques mois ou années après
Les réactions post-immédiates ■ 157

l’événement critique65. Il se caractérise par la reviviscence de l’événement adverse


sous forme de symptômes intrusifs, par l’évitement des stimuli qui lui sont associés et
par une activation neurovégétative (symptômes pathognomoniques). Le danger ayant
disparu, ces troubles ne peuvent être imputés au seul stress et doivent être attribués
au traumatisme. Généralement, ils s’estompent et disparaissent spontanément au bout
de quelques semaines. On qualifie de forme aiguë ce tableau de stress post-traumatique
de brève durée. Leur persistance au-delà d’un mois fait suspecter l’installation d’un
véritable traumatisme psychique et l’évolution vers la chronicité.
L’éclosion précoce de symptômes post-traumatiques s’observe fréquemment dans
les suites d’expériences menaçant la vie, de viols, d’actes de torture et de barbarie,
de scènes particulièrement horribles (spectacles d’accidents ou de suicides sanglants,
vision apocalyptique de corps mutilés ou de cadavres en masse après un massacre, etc.)
ainsi que dans les contextes où l’événement est continuellement rappelé (diffusion
médiatique, poursuite des activités professionnelles sur le lieu de l’agression, etc.) ou
lorsqu’il menace de se reproduire (répliques dans le décours d’un séisme, combats dans
un contexte de guerre, etc.). Par exemple, une étude menée après l’explosion d’une
bombe à Oklahoma montre que les symptômes sont apparus dès le premier jour pour
76 % des victimes (North, Nixon, 1999). La précocité des symptômes traumatiques est
un indicateur et fait craindre le développement d’un syndrome chronique.
Voici les symptômes spécifiquement liés au traumatisme :

2.1.1. Les symptômes intrusifs de l’événement traumatique


Il s’agit de manifestations pathognomoniques du syndrome post-traumatique par
lesquelles la victime a l’impression d’être ramenée dans le passé et de réexpérimenter
l’événement initial, voire même de le revivre. Ces reviviscences, vécues comme réelles
et actuelles, surviennent spontanément, souvent même s’imposent en dépit de la
volonté du sujet de les rejeter et provoquent une angoisse et/ou une détresse intense.
« C’est comme si je regardais un film d’horreur dont je connais la dernière scène et je
revois tout avant cette dernière scène, mais dans la terreur parce que je sais ce qui
va arriver. C’est comme un film qui vient dans ma tête et je fais tout pour l’arrêter,
mais je n’y arrive pas » nous dit Bertrand, témoin de l’accident mortel de son fils.

Nous l’avons vu, pour Pierre Janet, les souvenirs traumatiques sont des idées fixes sus-
ceptibles de se manifester dans les rêves et au cours d’épisodes dissociatifs. Il considère
que les flash-back, les cauchemars et autres pensées intrusives sont des phénomènes
dissociatifs. Pour Charles Myers, ils sont une manifestation de la PE (personnalité
émotionnelle) ; pour Onno van der Hart et ses collaborateurs, une manifestation de la
PEP (partie émotionnelle de la personnalité).
Ces réminiscences traumatiques peuvent être produites au départ de stimuli déclen-
cheurs qui évoquent ou symbolisent l’événement traumatisant (images à la télévision,

65. Le DSM-5 considère qu’on ne peut parler d’État de Stress Post-Traumatique qu’après un mois
minimum après l’événement traumatique.
158 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

article dans la presse, odeur, bruit, etc.). Pour les cognitivo-comportementalistes, ces
stimuli deviennent par apprentissage, par « conditionnement », des signaux de danger
entraînant des comportements (évitement, fuite, sidération), des manifestations affec-
tives (angoisses, détresse) ainsi que des réactions neurovégétatives.
Ange-Marie, employée autochtone dans une organisation humanitaire déployée
en Haïti et victime du séisme qui s’y est produit, nous fait part de ses difficultés :
« Je vois toujours ces sacs blancs mortuaires dans la cour du bureau. Maintenant,
chaque fois que je vois quelque chose de blanc, je me mets à trembler, mon cœur
commence à battre très vite, j’ai des vertiges. Ça peut être n’importe quoi : un mor-
ceau de plastique, un t-shirt, tout ce qui est blanc »
Edlie, sa collègue, nous raconte : « Chaque fois qu’il y a une secousse (réplique), ça ne
va plus. Mais ce n’est pas uniquement avec les secousses. Chaque fois qu’un avion
passe, je commence à trembler, j’ai mon cœur qui bat très vite et je me sens mal.
Avec les hélicoptères, c’est encore plus fort. Et tu as vu, ici, les avions et les héli-
coptères des Américains (militaires venus en renfort après le séisme) passent tout
le temps. Et ils passent très très bas. Alors, ça fait beaucoup beaucoup beaucoup de
bruit et tu sens le sol qui tremble. C’est le bruit, ce grondement quand il arrive, qu’il
est encore un peu loin, quand tu ne le vois pas encore, c’est un bruit qui ressemble à
celui du tremblement de terre. Et ça fait trembler le sol. Ça me ramène au moment
au 12 janvier. J’ai peur que ça recommence. Mais je sursaute aussi chaque fois que
j’entends un bruit fort. Je suis traumatisée »

Ces reviviscences peuvent aussi émerger à la faveur d’un état de conscience modifié,
lorsque le système parasympathique est activé (pendant le sommeil, à l’endormis-
sement dans les états hypnagogiques, au réveil dans les phases hypnopompiques, à
l’état de veille durant les rêveries diurnes, etc.). Le système neurovégétatif, également
appelé système nerveux autonome, est constitué des systèmes orthosympathique et
parasympathique. Le rôle du système orthosympathique est de mettre l’organisme en
état d’alerte et de le préparer à l’activité (on peut le comparer à l’accélérateur d’une voi-
ture), celui du parasympathique, de lui permettre de se détendre, de récupérer et de se
régénérer (on peut le rapprocher du système de freinage d’un véhicule). Notre cerveau
ne peut traiter les informations liées à notre vécu que lorsque le système parasympa-
thique est activé. Bien que le fonctionnement cérébral n’ait pas encore révélé tous ses
mystères, l’observation laisse penser que nous possédons un système neurophysiolo-
gique inné traitant de manière adaptative les informations de notre vécu. Ainsi, nous
conservons l’apprentissage de nos expériences et nous utilisons cet apprentissage de
façon constructive. Imaginons le cas d’une personne humiliée par un collègue. Dans les
heures et les jours suivants l’événement, elle repense régulièrement à sa déconvenue ;
elle ressent de la honte, de la tristesse et/ou de la colère ; elle pleure ; elle s’épanche
auprès de ses proches ; elle éprouve des difficultés à trouver le sommeil, etc. Au bout
de quelques jours, elle cesse d’être perturbée ; elle retrouve le sourire, sa gaîté, sa
motivation professionnelle, etc. Toutefois, elle retient la leçon et se méfiera de ce col-
lègue peu scrupuleux. À l’avenir, elle accordera peut-être également sa confiance avec
davantage de discernement ou gérera une situation similaire avec plus d’assertivité.
Lorsqu’une personne vit un événement traumatisant, il en va autrement. Un déséqui-
libre se produit dans son système nerveux empêchant le processus du traitement de
Les réactions post-immédiates ■ 159

l’information de se dérouler normalement. Les images, les sons et les odeurs liés à la
situation traumatique ainsi que les émotions et les sensations physiques éprouvées au
moment des faits sont maintenus neurologiquement en l’état, stockés sous la forme
même de leur vécu initial. Ces données sont figées dans le temps dans leur état pertur-
bant. Le traitement de l’information, semblable au processus de digestion des aliments,
se fait lorsque le parasympathique est stimulé. Les « souvenirs » traumatiques non
« digérés » risquent davantage d’affleurer à la conscience dans ces états de relâche-
ment vagotonique propices à la transformation et à l’assimilation des données66.
« Je suis tout le temps en activité. Je n’ose plus me détendre parce que chaque fois
que je me détends, les images reviennent. Devant la télé, c’est terrible ! Au début,
je me disais, c’est bien, je vais pouvoir un peu souffler et puis, tout d’un coup, je
commence à me sentir mal. Et pour dormir, c’est pareil, ça me fait peur. Je vais me
coucher vers deux heures du matin, quand je n’en peux vraiment plus et ce sont
toujours ces mêmes images qui me réveillent » nous explique Judith, victime de la
traite des êtres humains et forcée de se prostituer durant plus de deux ans.
« Le soir, on boit un peu pour se détendre. Avec tout ce qu’on a vécu… Mais en fait,
chaque fois, c’est pire. Tout remonte et on commence à se disputer. Mon mari qui
n’a jamais digéré ça commence à poser des questions. Mille fois, j’ai déjà répondu que
j’ai eu peur et que je n’ai pas eu de plaisir. Et moi, je revois la scène, mais pas comme
quand je vous l’ai racontée tout à l’heure, je la revois comme si je la revivais. C’est
plus fort, tout est décuplé », raconte Nadine, victime de viol.

« Je suis devenue hyperactive. Je ne parviens plus à me reposer, je n’arrive plus à


rester tranquille. Je suis épuisée mais impossible de m’asseoir, je me lève tout de
suite. Je dois être en activité pour ne pas penser. Alors, je me parle à moi-même et
je me dis : « Tu peux rester tranquille, tu n’as plus de souci à te faire » » témoigne
Charline victime du terrorisme.

L’ensemble des manifestations de reviviscences constitue ce que l’on nomme le « syn-


drome de répétition ». C’est à Otto Fenichel, médecin et psychanalyste autrichien,
que l’on doit, en 1945, la première description de ce syndrome (Fenichel, 1945). Louis
Crocq en définit huit modalités : les flash-back, les souvenirs répétitifs, les cauchemars,
l’impression que l’événement pourrait se renouveler ainsi que la détresse et la réacti-
vité physiologique (Crocq et al., 2007).

Les flash-back67
Flash-back est un mot anglais signifiant « retour en arrière ». Il s’agit d’une revivis-
cence reproduisant tout ou partie de la scène traumatique faisant brusquement irrup-
tion dans la conscience de la victime. Les flash-back sont le plus souvent visuels (par
exemple, la victime a l’impression de voir son agresseur), mais parfois aussi auditifs,

66. Pour plus d’informations sur le modèle du traitement adaptatif de l’information, voir Shapiro
(2007).
67. Crocq suggère le terme « hallucination de répétition ». Nous avons opté pour le terme « flash-
back » car il est plus largement utilisé (ibid.).
160 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

olfactifs ou sensitifs (par exemple, elle a l’impression d’entendre la respiration du vio-


leur, de sentir son odeur ou de percevoir son souffle dans le cou). Cette reviviscence est
vécue comme réelle pendant un bref instant, tout au plus durant quelques secondes.
Par exemple, une jeune fille prend brièvement une branche agitée par le vent pour un
individu surgissant des fourrés. Les flash-back peuvent apparaître très rapidement,
dès les premiers jours suivant l’événement.
Charline nous dit : « J’étais en train de faire mes courses et quelque chose est tombé
dans un rayon. J’ai sursauté. Je pensais que ça recommençait. J’ai vraiment cru que
c’était une explosion, que c’était une bombe. J’ai cru que c’était encore un attentat.
J’ai hurlé. Ma sœur a essayé de me calmer… J’ai mis trois jours pour m’en remettre.
J’étais tellement mal que je suis restée au lit trois jours »
Thérèse, victime elle aussi du terrorisme, nous livre : « Quand je suis dans mon
jardin et que j’entends une ambulance qui passe dans la rue, j’entends le métro. Ça
dure à peine quelques secondes mais à ce moment-là, je me retrouve dans le métro »

Les souvenirs répétitifs et envahissants


Les souvenirs répétitifs et envahissants surviennent indépendamment de la
volonté de la personne. La victime ne désire pas se remémorer l’incident critique, mais
le souvenir lui revient sans cesse spontanément en mémoire. La pensée de l’événement
surgit sans image ni son. À la différence du flash-back, le souvenir forcé est reconnu
comme souvenir, distinct du fait original.
David, percuté en moto par un automobiliste ivre, relate : « Ce n’est pas que je veux
y penser. Je ne veux pas y penser, mais c’est plus fort que moi. »
Lucien, roué de coups lors d’un vol, explique : « Je ne vois pas visuellement la scène
de l’agression, mais elle est ultra présente. C’est comme si on vous met une image à
côté de vous. Vous ne la voyez pas, mais elle est tout le temps avec vous et dès que
je me détends, l’image revient. »

Les ruminations mentales


Il s’agit d’interrogations prolongées et récurrentes sur l’événement traumatisant,
sur sa signification (par exemple, la personne se perd en conjectures pour déterminer
si elle aurait pu éviter l’agression, si celle-ci est un châtiment divin, etc.) et ses consé-
quences (par exemple, les difficultés matérielles subséquentes à l’incendie du domicile,
le traumatisme psychique invalidant, etc.). Ces pensées inlassablement ressassées
témoignent de l’angoisse et des inquiétudes de la victime.
Jules, agressé par un collègue, s’interroge : « Je me demande tout le temps pourquoi
ça s’est passé. Je me demande si c’est parce que je suis gay. Je me demande si c’est
parce que je n’avais pas les diplômes requis pour la fonction. Je me demande s’il
aurait pu faire cela à quelqu’un d’autre que moi. Bref, ça n’arrête pas de tourner
dans ma tête. C’est quasi obsessionnel. Et quand je n’y pense pas pendant une
minute, je me dis : “Tiens, tu n’y as pas pensé pendant une minute”. »
Jean nous confie : « Je me demande sans arrêt comment j’aurais été si je n’avais
pas vécu ça, je me demande comment aurait été ma vie. Ça a tellement pris une
Les réactions post-immédiates ■ 161

emprise sur moi qu’il n’y a que ça. Et lui, le tueur, il sait ce qu’il a fait et il se promène
tranquillement. »

Les cauchemars relatifs à l’incident critique


La victime revit en rêve l’événement traumatique et se réveille généralement en
sursaut. Par exemple, elle rêve que l’agresseur la poursuit et se réveille au moment où
il la saisit. Ces réminiscences nocturnes, appelées cauchemars de répétition, peuvent
apparaître dès la première nuit. Généralement, elles ne reproduisent pas fidèlement la
situation délétère, mais en conservent les caractéristiques principales et déclenchent
les mêmes sentiments violents d’impuissance, de peur ou d’horreur.
La théorie du traitement de l’information élaborée par Francine Shapiro (2007) et l’ap-
proche psycho-neurologique de Jacques Roques (2003) apportent un précieux éclairage.
Ce que nous vivons dans la journée serait stocké dans une sorte de mémoire temporaire
et serait retraité la nuit durant le sommeil paradoxal pour être transféré dans la mémoire
à long terme. Le souvenir « temporaire » serait revécu dans toute sa sensorialité pen-
dant le rêve pour être mis en mémoire à long terme. Ce retraitement de l’information
consisterait en un tri des nouvelles données et en l’établissement de liens avec les anciens
éléments déjà conservés dans notre cerveau. Le traitement de l’information, semblable
au processus de digestion des aliments, se fait lorsque le parasympathique est stimulé,
notamment au cours des rêves. Cependant, si le rappel de l’événement est trop angois-
sant, la personne se met aussitôt en alerte. L’orthosympathique, habilité à réagir à la
menace, reprend la main au parasympathique même si objectivement la personne est et
se sait en sécurité. Le retraitement de l’information est alors interrompu.
Lucien rapporte : « Dans mes cauchemars, ce n’est pas exactement l’agression que
j’ai vécue. Ça se mélange avec des choses que j’ai vues ou que j’ai vécues dans la
journée. C’est comme si mon cerveau prenait l’agression et prenait d’autres petits
éléments et avec tout ça, il fait un rêve. Le matin, quand je me réveille, je garde
comme une tension toute la journée. Je n’arrive pas à considérer ça comme un rêve.
Je n’ai pas de distanciation par rapport à ces cauchemars. »
Nercie, rescapée du séisme en Haïti, nous fait part de son expérience : « Je fais des cau-
chemars tout le temps. Parfois, je rêve que le tremblement de terre me surprend et qu’il
tue quelqu’un devant moi. Parfois, je rêve des brûlés, vous savez ceux qui ont été brû-
lés quand la station d’essence a explosé avec la secousse, et je rêve qu’ils me touchent
le bas du pantalon et qu’ils disent : “Madame, aidez-moi, Madame, aidez-moi.” »

Ces cauchemars font craindre à certaines personnes de s’endormir et les poussent à


retarder l’heure du coucher.
Arthur, victime d’un hold-up, nous dit : « Depuis que c’est arrivé, je fais des cauche-
mars atroces. J’ai peur de m’endormir. Alors hier, je suis resté devant la télé jusqu’à
ce que je tombe de fatigue »

L’impression que l’événement pourrait se renouveler


La victime peut avoir le sentiment que le danger guette et qu’un drame pourrait à
nouveau frapper, en particulier lorsqu’un stimulus extérieur (bruit inopiné, film violent,
162 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

annonce dans les médias de faits similaires à l’événement traumatisant, etc.), ses pensées
ou son ressenti (par exemple, situation anodine la confrontant à des sentiments d’ineffi-
cacité, de manque de contrôle ou de dégoût) la ramènent au traumatisme originaire.
Rose, victime d’une agression sexuelle explique : « Dès que je sens que je n’ai pas
le contrôle, j’ai l’impression que quelque chose va m’arriver, mais je vous parle de
bêtes trucs comme, par exemple, attendre à la caisse du supermarché. Je ne peux
pas m’enfuir, je suis coincée et hop !, une crise d’angoisse ! Je ne peux plus mettre les
pieds dans un restaurant parce qu’attendre mon plat, c’est devenu impossible. Je me
sens impuissante, coincée, sans contrôle et c’est comme si j’étais ramenée au viol. »
« Je ne suis jamais tranquille. On ne peut pas dire que ça n’arrivera plus jamais. Il y
aura encore des tueries. L’être humain est cruel » nous confie Jean.
Thérèse, victime d’un attentat terroriste, s’angoisse : « Ça peut se reproduire
n’importe quand. Je n’ose plus descendre dans ma cave. Descendre à la cave, c’est
comme si je redescendais sur le quai du métro. Je sais que c’est débile mais j’ai vrai-
ment l’impression qu’il y a un terroriste caché dans la cave. Je suis persuadée qu’il
y a quelqu’un de caché en bas et qu’il me veut du mal. Je n’ose plus aller dans les
grandes surfaces. Quelqu’un de mal intentionné pourrait rentrer. La dernière fois
que j’y suis allée, j’étais tellement stressée que je ne savais plus ce que j’étais venue
chercher. Je n’ose plus aller dans les cafés, dans les restaurants. Il fait beau, mes amis
vont manger en ville sur les terrasses. Je n’ose pas aller avec eux. Je me sens tout le
temps en danger. N’importe quoi pourrait arriver »

Les phénomènes moteurs élémentaires


Le souvenir forcé peut s’accompagner de la réaction motrice élémentaire que le sujet
a eue lors de l’événement (sursauter, se recroqueviller). Ces réactions peuvent survenir
spontanément ou se produire en réponse à un stimulus qui rappelle l’événement. Il est
fréquent qu’une personne sursaute au moindre bruit (en particulier, s’il est soudain
ou fort), lorsqu’elle perçoit des sons qui lui rappellent l’événement traumatique (par
exemple, des pas qui pourraient signaler la présence d’un agresseur, des craquements
ou des crépitements qui évoquent une fusillade, etc.), lorsqu’on la saisit en l’approchant
de manière brusque ou lorsqu’on la surprend en la touchant de manière inattendue, etc.
Charline témoigne : « Je sursaute quand j’entends un bruit fort. J’ai sursauté
quand ils ont ouvert la bouteille de Champagne, alors qu’ils l’ont ouverte devant
moi ! N’importe quel claquement et je saute en l’air. Je réagis comme s’il y avait un
attentat »

Des conduites de répétition


Il s’agit de conduites complexes réitérant des comportements effectués pendant
l’événement tels qu’accès de pleurs, crises excito-motrices68, courses, fuites et agres-
sions soudaines contre des personnes, etc. Ces conduites se traduisent également par

68. Accès paroxystique de fureur, crise violente et imprévisible se terminant par un sommeil
comateux.
Les réactions post-immédiates ■ 163

le besoin compulsif de raconter l’événement, de le mettre en scène (par exemple, en


adoptant un comportement séducteur et sexuellement provocant après une agression
sexuelle) et par l’attirance pour des spectacles violents (films, jeux vidéo, etc.).

La détresse et la réactivité physiologique


Les victimes ressentent de la détresse (peur, angoisse, sentiment d’impuissance,
fatigue soudaine, dégoût, etc.) et manifestent des troubles physiques (tachycardie,
palpitations cardiaques, nausées, diarrhées, difficultés respiratoires, sueurs, etc.)
lorsqu’elles sont exposées à des indices rappelant l’événement traumatisant (par
exemple, endroit isolé, tombée de la nuit, film violent, etc.).
Jean a été victime de l’explosion de son entreprise. Il nous explique comment il a
réagi lorsque contraint de régler des questions administratives, il a dû se rendre
sur les lieux peu après le drame : « En entrant dans la propriété, je me suis senti
mal, j’ai craqué, j’ai commencé à pleurer. J’ai eu une crise de nerfs, je tremblais. Mes
gestes étaient saccadés, je n’arrivais plus à parler correctement, je n’arrivais plus à
marcher normalement. Il m’a fallu cinq bonnes minutes pour me calmer. Et sur le
chemin du retour, les arbres m’ont attiré… Si je n’ai pas foncé dessus, c’est unique-
ment pour mon fils »

Certains sujets souffrent de plusieurs, voire de toutes ces manifestations répétitives,


d’autres n’en présentent qu’une ou deux. Chez certains, elles n’apparaissent que spo-
radiquement alors qu’elles sont si fréquentes chez d’autres qu’elles assiègent littérale-
ment leur conscience.

2.1.2. Les conduites d’évitement et l’émoussement de la réactivité


générale déclenchés par tout stimulus rappelant la situation
traumatisante
L’évitement est une réponse innée. Il constitue une séquence comportementale
défensive visant à accroître les chances de survie face à une situation dangereuse.
Après avoir subi un événement traumatisant, la personne fuit tout ce qui le lui rap-
pelle. Elle évite :
• les pensées. Elle ne veut pas songer à ce qui lui est arrivé. Pour occuper son
esprit, elle se lance à corps perdu dans son travail, pratique intensivement
un sport ou passe de longues heures devant la télévision ; elle s’abrutit en
consommant de l’alcool, elle s’étourdit en dansant jusqu’au bout de la nuit ;
elle fuit dans le sommeil, etc.
• les sentiments. Elle esquive les situations qui suscitent les mêmes émotions
que celles soulevées par l’agression. Elle s’abstient, par exemple, de regarder
des thrillers ou des films policiers.
• les conversations. Elle refuse de parler de ce qui lui est arrivé. Elle coupe
court aux discussions ; elle décline les invitations de ses amis pour éviter
leurs questions ; elle ne porte pas plainte pour éviter de se soumettre aux
interrogatoires de police, etc.
164 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

• les activités. Elle cesse ou s’adonne avec réticence aux activités éveillant le souve-
nir de l’incident critique. Par exemple, elle ne se promène plus en rue ; elle
esquive tout contact corporel y compris le simple fait de serrer la main ; elle se
dérobe au contact d’inconnus ; elle évite de manipuler des outils dangereux, etc.
• les lieux. Elle se tient éloignée du théâtre du drame ainsi que des endroits
isolés, sombres, etc.
• les situations. Elle évite de rester seule le soir, de quitter son domicile à la nuit
tombée, de se retrouver dans des situations d’où elle ne peut s’échapper aisé-
ment, de conduire un véhicule, etc.
• les personnes. Elle s’écarte de tous les individus qui ressemblent à l’auteur de
son malheur (hommes, inconnus, individus dont le visage est camouflé par
une capuche ou un casque de moto, etc.).
• les actes vécus comme intrusifs. Elle refuse, par exemple, les examens gynéco-
logiques ou manifeste de la terreur si elle ne peut s’y soustraire ; elle redoute
l’introduction de fraises et forets dans la bouche lors des soins dentaires, etc.
• les attitudes séduisantes et autres comportements provocants. Elle maîtrise son
apparence pour ne pas éveiller le désir sexuel des hommes, elle cesse de se
maquiller, elle renonce aux tenues dénudant les jambes, etc. Elle veille à ne
pas susciter la tentation du vol, elle ne se pare plus de bijoux, elle ne porte
plus de sac à main, etc.
Depuis l’attentat dont elle a été victime, Charline évite tout ce qui lui rappelle
l’attentat. Il ne lui est plus possible de se rendre à l’aéroport, son lieu de travail ; elle
ne parvient plus à se rendre à Bruxelles et évite les endroits fréquentés et les lieux
bruyants.

En raison de la multiplicité des évitements, certaines victimes en viennent à mener une


vie rudimentaire. Elles renoncent à leurs activités habituelles et se déplacent dans un
périmètre restreint, voire réduit à la sécurité de leur domicile. Les évitements peuvent
également entraîner une forte dépendance à l’égard des proches. Ces derniers sont
fréquemment sollicités pour tenir compagnie à l’infortuné ou à l’accompagner dans ses
déplacements.
Nathalie a été victime d’un viol commis par le malfrat qui dévalisait sa maison.
Depuis, craignant de rester seule chez elle, elle s’est installée chez ses parents et
exige que sa mère retraitée l’accompagne dans tous ses déplacements.
Depuis le home-jacking qu’elle a subi, Marjorie, 35 ans, refuse de rester seule dans
sa maison. Les jours ouvrables, elle accompagne sa mère sur son lieu de travail et le
week-end, elle lui demande de venir lui tenir compagnie.

L’émoussement de la réactivité générale se traduit par une un désintérêt progressif


pour les relations (réduction des interactions avec l’entourage parental, familial et
amical, conduites d’évitement relationnel, froideur, sentiment de détachement et
anesthésie affective, etc.) et pour les activités (activité professionnelle, loisirs, télévi-
sion, etc.) ainsi que par un sentiment d’avenir bouché. Cet émoussement se rencontre
principalement dans les traumatismes complexes de type II et III.
Les réactions post-immédiates ■ 165

2.1.3. L’activation neurovégétative persistante


Elle se manifeste par des troubles du sommeil (difficulté d’endormissement,
sommeil interrompu, agité ou non réparateur), de l’alimentation, des sphincters, de
l’irritabilité, des accès de colère et de l’agressivité, des difficultés de concentration, de
l’hypervigilance, des états d’alerte à la pensée des événements, des réactions exces-
sives de sursaut ainsi que par un comportement imprudent ou autodestructeur. Nous
l’avons vu, une fréquence cardiaque élevée au repos en phase immédiate serait prédic-
tive d’un trouble traumatique ultérieur.

2.2. L’apparition de symptômes non spécifiques


aux syndromes post-traumatiques
Dans le décours d’un événement délétère, les victimes manifestent fréquemment
des symptômes non spécifiques aux syndromes post-traumatiques69. Les études épidé-
miologiques le démontrent. Une recherche américaine indique que 88 % des hommes et
79 % des femmes souffrent d’un désordre mental additionnel à leur PTSD alors qu’ils
sont respectivement 55 % et 46 % à présenter les mêmes troubles sans souffrir de trau-
matisme psychique. Les sujets traumatisés sont donc 33 % plus nombreux à présenter
une pathologie mentale par rapport à une population tout-venant (Kessler, Sonnega
et al., 1995). D’autres recherches confirment ces résultats (Breslau, Davis, Andreski
et al., 1991 ; Perkonigg, Kessler, Wittchen, 2000) et attestent que nombre de victimes
présentent deux ou trois désordres additionnels (Perkonigg, Kessler, Wittchen, 2000).
L’apparition de symptômes co-morbides, en particulier dépressifs (De Clercq, Lebigot,
2001, p. 74), fait craindre la chronicisation du syndrome post-traumatique. Parmi les
troubles les plus fréquents, citons les troubles anxieux, dépressifs, psychosomatiques
et comportementaux.
Certains symptômes éclosent précocement, dès les premiers jours, d’autres plus tardi-
vement70. Certains disparaissent au bout de quelques semaines ou de quelques mois,
d’autres perdurent, parfois toute la vie.

2.2.1. Les troubles anxieux


Après un événement traumatisant, les personnes deviennent souvent anxieuses,
voire angoissées alors que la plupart d’entre elles ne l’étaient pas auparavant ou

69. Ces troubles sont dits non spécifiques dans la mesure où on les retrouve dans des affections men-
tales autres que les syndromes psychotraumatiques. Nous préférons la désignation « symptômes non
spécifiques » à celles de « pathologies associées » et de « symptômes co-morbides » fréquemment uti-
lisées. En effet, de notre point de vue, ces troubles font partie intégrante des syndromes psychotrau-
matiques, les symptômes pathognomoniques ne constituant qu’une fraction du tableau que peuvent
manifester les personnes souffrant des suites d’un événement traumatisant.
70. Voir « Les symptômes non spécifiques aux syndromes post-traumatiques » dans la phase à long
terme.
166 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

l’étaient dans un moindre degré. D’après les études européennes, 61,5 % des personnes
souffrant d’un PTSD présentent un trouble anxieux généralisé (Ducrocq, 2009),
18,6 % un trouble panique et 15,9 % une phobie sociale.
Généralement, les symptômes anxieux apparaissent rapidement dans le décours des
événements et peuvent persister longtemps. En effet, les victimes présentent fréquem-
ment un abaissement durable de leur seuil de tolérance dans des situations perçues
comme une menace pour leur sécurité et leur intégrité physique.
D’un point de vue psychologique, la peur, l’anxiété et l’angoisse désignent des réalités
distinctes. Elles sont toutefois apparentées et peuvent être considérées comme trois
degrés d’un même état.

La peur
La peur est une crainte ressentie face à une situation, présente ou à venir, perçue
comme dangereuse. Parmi les peurs les plus répandues après un événement trauma-
tique, citons :

La peur rétrospective
Après s’être sorties vivantes, voire indemnes, d’une situation dangereuse, les vic-
times envisagent généralement tous les périls auxquels elles auraient été confrontées
si les faits s’étaient déroulés différemment. Par exemple, après un accident de roulage
sans gravité, elles s’interrogent : « Que ce serait-il passé si j’avais donné un coup de
volant dans l’autre sens ? », après avoir renversé un piéton quitte pour quelques contu-
sions : « Que serait-il advenu si j’avais roulé plus vite ? » ou après un hold-up : « Les
voleurs m’auraient-ils tuée si je ne m’étais pas rappelée du code du coffre-fort ? » Elles
redoutent ensuite les dangers auxquels elles ont l’intime conviction d’avoir échappé
(mourir en voiture, tuer quelqu’un accidentellement, être agressée mortellement).

La peur de subir un nouveau drame


Les victimes ne se sentent en sécurité nulle part : le danger semble omniprésent, la
menace est intériorisée, introjectée, elle est interne. Ces peurs sont caractéristiques des
syndromes psychotraumatiques.
Ana est réveillée en sursaut par un voleur furetant dans sa chambre. Celui-ci se
jette sur elle, lui pose un couteau sur la gorge et menace de la tuer si elle se débat.
Ne parvenant pas à déboucler la ceinture de son pantalon, il pose l’arme sur la table
de chevet. Ana en profite pour lui mordre le bras et se met à crier. Surpris par cette
bravoure inattendue, il prend la fuite sans demander son reste. « J’ai peur qu’il
revienne. Et maintenant, qu’il revienne pour moi, pas pour voler, mais pour moi.
Maintenant, il sait que je dors toute nue. »
Charline et Thérèse, toutes deux victimes du terrorisme, craignent que l’horreur
frappe à nouveau. Depuis le drame, tout lieu public est devenu synonyme de danger
potentiel.

Notons cependant que dans les contextes de violence répétée (guerre, violence conju-
gale, etc.), ces peurs peuvent être pleinement justifiées.
Les réactions post-immédiates ■ 167

La peur des situations rappelant le traumatisme initial


Ce type de peur est lui aussi pathognomonique des syndromes post-traumatiques.
Les personnes peuvent ressentir une anxiété intense et incontrôlée lorsqu’elles sont
confrontées à des situations évoquant le traumatisme, même si celles-ci sont sans dan-
ger, ce qui les pousse fréquemment à les éviter.

La peur des conséquences de l’agression


Par exemple, les victimes d’agression sexuelle peuvent craindre d’avoir contracté
une infection sexuellement transmissible, d’être enceintes des suites du viol, d’avoir
subi des dommages corporels irréversibles (stérilité, handicap, etc.), d’être rejetées par
leur partenaire, etc. Après un hold-up dans une entreprise, les employés traumatisés
peuvent redouter de ne plus être capables de travailler, d’avoir un rendement moindre
et finalement, d’être licenciés, etc.

La peur des représailles


Lorsque l’agression a été dénoncée (à la police, à la presse, etc.), les victimes
redoutent souvent des représailles par l’auteur des faits ou par sa famille. C’est prin-
cipalement le cas lorsqu’elles connaissent leur agresseur (partenaire sexuel, conjoint,
membre de la famille, voisin, etc.) ou lorsqu’il s’agit d’une personne influente ou ayant
autorité (employeur, militaire, autorité administrative, etc.).
Au moment où Joëlle termine sa journée de travail et s’apprête à quitter son salon
de toilettage pour chiens, un homme cagoulé fait irruption et la menace d’une arme
de poing. Il l’oblige à se déshabiller, lui entrave les bras à l’aide d’une écharpe et
s’allonge sur elle. Il veut la violer, mais se ravise, car Joëlle lui fait croire qu’elle est
enceinte. Il s’empare de son portefeuille et prend la fuite en précisant qu’il reviendra
si elle porte plainte. « J’avais peur qu’il revienne. Il savait où je travaillais et avec
mes papiers, il savait aussi où j’habitais. En sortant, il m’a dit “Si tu appelles la police,
je reviendrai” ». En 2004, après qu’il fût arrêté, Joëlle apprendra que son agresseur
était le violeur et tueur en série Michel Fourniret.

L’anxiété
L’anxiété se définit par un sentiment d’insécurité et de menace et se présente sous
forme d’états diffus de crainte et d’inquiétude. Contrairement à la peur, elle peut se
déclencher sans qu’un danger ait été identifié ou la source de l’appréhension, précisée
(contexte, lieu, individus, etc.).
« J’ai toujours ce malaise, comme s’il allait m’arriver quelque chose, à moi ou à
mes enfants ou à mon mari ou à mes parents… C’est comme si une menace planait
toujours sur ma famille. Je ne fais pas vraiment de crises d’angoisse. Comment
vous expliquer ? On voit la mer, il fait beau, il y a du soleil, la mer est calme,
tout est tranquille, ça paraît idyllique, mais en dessous de la surface, il y a des
requins, de dangereux requins et on ne peut jamais nager tout à fait tranquil-
lement. Mes enfants s’amusent, mon mari aussi et moi, je reste toujours un peu
mal à l’aise parce que j’ai conscience du danger » nous explique Natalia, victime
d’un car-jacking.
168 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

L’angoisse
Elle se manifeste sous forme d’épisodes aigus appelés crises d’angoisse, attaques ou
crises de panique. Ces crises surviennent lors de l’exposition à des indices évoquant
l’événement traumatique (par exemple, lorsque les victimes se remémorent l’agression,
lorsqu’elles sont confrontées à une situation comparable à l’événement initial, etc.),
mais également, sans raison particulière, dans un contexte exempt de danger. Elles
durent le plus souvent de quelques secondes à plusieurs minutes. Ces crises, dominées
par le sentiment paroxystique de danger imminent, sont accompagnées d’une profonde
détresse ainsi que de sensations physiques désagréables71 dues à l’activation neurové-
gétative orthosympathique. Les personnes sont anxieuses quant au moment et au lieu
où pourrait survenir la prochaine attaque. En général, elles restreignent leurs activités
et leurs déplacements craignant d’être privées de secours en cas de malaise ou de se
sentir mal devant autrui.
Les troubles anxieux se présentent sous forme de crises d’angoisse, d’agitation désor-
donnée, de vécu de mort imminente, de fuites en avant, de surveillance inquiète de
l’environnement, de phobies et de pseudo-phobies (agoraphobie72, phobie de la foule,
des lieux publics, des endroits clos et des transports en commun, peur des hommes, des
étrangers, du contact physique, des relations sexuelles, terreur de rester seule, etc.).
Ces réactions sont en partie déterminées par les circonstances de l’agression. Par
exemple, si la personne a été agressée alors qu’elle se trouvait seule, elle peut vouloir
être constamment accompagnée ; si elle a été violée par plusieurs individus, elle peut
préférer s’isoler.
Ces réactions s’accompagnent de sensations physiques désagréables dues à l’activation
neurovégétative orthosympathique (palpitations, tremblements, impressions d’éva-
nouissement imminent, gêne ou oppression respiratoire, vomissements, vertiges, etc.).
Elles peuvent donner à la victime le sentiment qu’elle va mourir (par exemple, d’une
crise cardiaque en raison de la tachycardie), qu’elle devient folle ou qu’elle ne va
jamais s’en sortir (en raison de la perte de contrôle sur ses pensées, ses sensations et
ses émotions).
« Il y a quinze jours, le samedi soir, mon mari m’a emmenée à l’hôpital à une heure
du matin. Il ne savait plus quoi faire et il m’a emmenée aux urgences. Mon cœur
battait tellement vite que je pensais que j’allais avoir une crise cardiaque. Et j’étouf-
fais. Je pensais que je faisais une crise d’asthme. En tout cas, j’avais l’impression que
j’étais en train de crever. Les médecins m’ont dit que ce n’était rien, c’était juste une
crise d’angoisse. J’étais en hyperventilation.
Ils m’ont donné des médicaments pour me calmer et c’est là que j’ai reçu vos coor-
données. Je suis mal tout le temps. C’est dans la tête, mais c’est aussi physique. Je
me sens mal dans ma peau. J’ai toujours l’impression d’avoir un poids sur la poitrine,
j’ai l’impression de manquer d’air. Mon mari râle parce que j’ouvre tout le temps les
fenêtres, mais j’ai besoin d’air frais, ça me fait du bien. C’est un malaise général, vous

71. Ces modifications physiologiques distinguent l’angoisse de l’anxiété.


72. Anxiété ressentie dans les endroits publics et les espaces ouverts.
Les réactions post-immédiates ■ 169

comprenez ? Je n’ose plus rien faire. Depuis que j’ai été à l’hôpital, j’ai peur de refaire
une crise d’angoisse. En fait, j’ai peur d’avoir peur. Je ne sais pas si vous avez déjà
eu des crises d’angoisse, mais c’est vraiment atroce, on a vraiment l’impression de
crever. Je ne vois pas comment en sortir. Il n’y a pas d’issue. Il n’y a pas de porte de
sortie » nous dit Nadia, victime d’un grave accident de la route.

Ces troubles anxieux induisent fréquemment des conduites d’évitement, des troubles
du sommeil, des difficultés de concentration, etc.
La peur, l’anxiété et l’angoisse sont renforcées par les difficultés consécutives à l’évé-
nement auxquelles les victimes sont confrontées (par exemple, pertes financières après
un vol, handicap suite aux blessures, relogement problématique après un incendie,
rejet du partenaire après un viol, etc.).

2.2.2. Les troubles dépressifs


Après avoir traversé une situation traumatisante, de nombreuses victimes mani-
festent des symptômes dépressifs allant de la simple tristesse aux états dépressifs
caractérisés. Selon les études épidémiologiques, 39,9 % d’entre elles souffrent à un
moment donné d’un épisode dépressif ponctuel et 17,5 % d’une dépression récurrente
(Ducrocq, 2009). Même si la plupart ne développent pas une véritable dépression73,
presque toutes manifestent un jour des signes dépressifs ; elles sont accablées, sans
espoir et dépourvues d’élan vital.
Généralement, la symptomatologie dépressive est élevée entre la deuxième semaine
et le troisième mois (Atkeson, Calhoun, 1982) suivant l’exposition à l’événement
délétère et reste souvent perceptible longtemps après (Ducrocq, Vaïva et al., 2001).
L’émergence d’un épisode dépressif dans les trois mois représente un facteur de chro-
nicisation du PTSD (Jehel, Lopez et al., 2006).
Les symptômes dépressifs apparaissent rapidement et risquent d’évoluer en dépres-
sion franche lorsque l’événement a engendré des pertes significatives (perte de la santé,
blessure ou handicap, décès de proches, dégâts de biens importants, etc.) ou a causé des
blessures narcissiques (perte du sentiment d’honorabilité en raison, par exemple, d’une
impression de souillure, perte du sentiment de valeur personnelle chez les personnes
persuadées d’avoir nui à un tiers, perte du sentiment de maîtrise et de compétence chez
les humanitaires ou les professionnels des services de secours impuissants à répondre
substantiellement à l’amplitude des besoins générés par une catastrophe, etc.).
Les signes dépressifs sont la tristesse, le dégoût de la vie, l’envie de mourir, les sen-
timents d’impuissance (par exemple, impression d’être dans l’incapacité d’améliorer
sa situation, ses conditions de vie, etc.), le découragement, le pessimisme, le déses-
poir, l’impression d’un avenir dénué d’espoir et de promesse, la perte de motivation,
le manque d’énergie, les sentiments de vide ou de non-sens, la passivité, etc. Ces
diverses émotions dépressives se manifestent par des crises de larmes, des pleurs

73. Selon le DSM-5, pour parler de troubles dépressifs, la personne doit avoir présenté un certain
nombre de symptômes pendant une période d’au moins deux semaines.
170 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

constants, de l’abattement, de l’apathie74, une perte d’intérêt pour les activités habi-
tuelles (familiales, professionnelles, de loisirs, sexuelles, etc.), une perte d’initiative,
des ruminations mentales autour de l’événement ainsi que par des pensées ou des
passages à l’acte suicidaire (tentative de suicide et suicide). Elles s’accompagnent
souvent de troubles du sommeil et de l’appétit, de difficultés à penser et à se concen-
trer, d’aboulie75, d’apragmatisme76, d’asthénie77, d’adynamie78, voire de clinophilie79,
ainsi que de plaintes somatiques. Elles peuvent se doubler d’une attitude régressive
de perte d’autonomie et de dépendance vis-à-vis de l’entourage (besoin insatiable
d’affection, d’attention, de considération et de protection, besoin d’être pris en charge,
égocentrisme, etc.).
Lucien témoigne : « Depuis mon agression, chez moi, c’est le bordel. Je n’ai plus fait la
vaisselle. Je n’ai plus rien fait. Quand l’évier a été plein, j’ai mis la vaisselle sale dans
la baignoire. Et quand il n’y a plus eu de place, je l’ai jetée et quand il n’y a plus eu
de vaisselle propre, j’en ai racheté. J’ai fait la même chose avec les vêtements. C’est
facile ; il y a une friperie juste en bas de mon immeuble. Dans mon appartement, il
y a des papiers partout. On ne peut même plus passer. Je n’arrive plus à gérer le
quotidien. Je ferme les rideaux, je ferme toutes les portes à clé et je reste là, comme
ça, dans le noir. Je sais qu’il faudrait que je me bouge un peu, mais ça ne me dit plus
rien. À quoi bon faire tout ça ? Ça n’a pas de sens… Plus rien ne me paraît avoir du
sens. Je n’attends plus rien de la vie. »
Après la perte tragique de son fils dans un accident auquel il a assisté impuissant,
Bertrand nous dit : « Le matin, quand je me réveille, je râle d’être encore là. J’espère
toujours que quelqu’un là-haut va venir me chercher pendant la nuit. Je voudrais
bien ne plus me réveiller pour ne plus avoir à vivre tout ça. »
Jessica, victime d’un sac-jacking, raconte : « Je pleure tout le temps. Je suis devenue
hyper sensible. La moindre chose me fait pleurer. Si je parle de l’accident, je pleure.
Si mes copines me demandent comment je vais, je pleure. Si je vois un film à la télé
avec des gens qui s’aiment, je pleure. Quand je regarde les nouvelles à la télé, je
pleure. Quand on me raconte un truc qui est arrivé à quelqu’un, je pleure, même si
je ne connais pas la personne. Je me lève, je pleure ; je me couche, je pleure. Je suis
devenue liquide. »

74. L’apathie est une diminution ou une disparition des émotions et des désirs conduisant à l’indif-
férence. Les personnes se désintéressent du monde extérieur ; elles perdent leur motivation et leur
intérêt pour leurs activités habituelles (tâches quotidiennes, professionnelles, scolaires et de loisirs) ;
elles réduisent leurs activités, etc.
75. Altération pathologique de la volonté, incapacité à décider.
76. Trouble se caractérisant par une perte d’initiative, une incapacité de réaliser des actes courants
et une inaction prolongée. Dans l’aboulie, l’exécution des tâches est impossible mais l’intention d’agir
reste intacte alors que dans l’apragmatisme, la volition même est atteinte.
77. Fatigue morbide résistant au repos.
78. L’adynamie est une fatigue très intense s’accompagnant d’un épuisement général de l’organisme
et se manifestant par une extrême faiblesse musculaire.
79. La clinophilie est la tendance à passer la quasi-totalité de la journée dans son lit, en somnolant
plus qu’en dormant.
Les réactions post-immédiates ■ 171

Louis n’éprouve plus de plaisir depuis le tiger-kidnapping qu’il a subi. « Plus rien
ne me fait plaisir. Je viens de me rééquiper en matériel informatique. C’était néces-
saire. Avant, j’aurais été excité comme une puce. J’aurais été voir partout dans les
magasins, j’aurais analysé tout ça avec beaucoup d’enthousiasme. Eh bien, ça ne m’a
procuré aucun plaisir. Quand je vois un film drôle, je peux rire, mais je ne sais pas
comment vous dire, en même temps, je ne ressens plus de plaisir dans ma vie. »

Notons qu’il est fréquent qu’une victime alterne entre un émoussement (état d’impuis-
sance, dépression, retrait affectif, activité ralentie, etc.) et une hyperactivité émotion-
nelle (anxiété, « rage aveugle » contre les agresseurs ou contre l’humanité entière,
colère contre leur entourage dont elle juge les réactions inadéquates, logorrhée, activité
excessive, etc.).
Outre ces symptômes, les victimes éprouvent fréquemment des sentiments de honte
et de culpabilité excessifs ou inappropriés par rapport à leur propre comportement
(auto-accusations). Elles se reprochent, par exemple, de s’être rendues sur le lieu où se
sont produits les faits, d’avoir emprunté une rue déserte, de s’être promenées seules
à une heure tardive, d’avoir porté une tenue sexy, d’avoir pris la route en étant fati-
guée, etc. Elles souffrent également de ne pas avoir agi comme elles l’auraient désiré (ne
pas s’être défendues, ne pas s’être enfuies, de ne pas avoir crié, etc.), d’avoir transgressé
leurs convictions morales ou éthiques pour avoir la vie sauve (par exemple, avoir
préféré subir le viol plutôt que la mort), d’avoir assumé égoïstement leur sauvegarde
sans porter secours à leurs compagnons d’infortune, voire de s’être réjouies d’avoir été
épargnées alors que d’autres ont été blessés ou tués, etc.
Charles, victime du tremblement de terre en Haïti, nous dit : « J’étais avec ma
maîtresse pendant le tremblement de terre et ma fille est morte parce que je l’avais
déposée chez ma mère. Ma mère est morte aussi. Tout le monde est mort dans la mai-
son. Si je n’avais pas vu ma maîtresse, ma fille serait restée avec moi chez moi et elle
ne serait pas morte. Ma maison n’a presque rien, juste quelques fissures, mais elle ne
s’est pas effondrée. C’est de ma faute. Je n’aurais jamais dû la déposer chez ma mère.
Dieu me punit. C’est une punition de Dieu. Il m’a pris ce que j’avais de plus cher… »

Ces sentiments de culpabilité sont pour la plupart liés à des croyances et/ou à une
perception exagérée de leur responsabilité (attribution causale interne). « J’aurais dû
prévoir ce qui allait se passer », se disent-elles, même si objectivement les faits étaient
complètement imprévisibles. « J’aurais dû me défendre », déclarent-elles alors qu’elles
ne pouvaient raisonnablement résister étant sous la menace d’une arme à feu ou de
plusieurs agresseurs. Ces sentiments de culpabilité peuvent être interprétés comme
une tentative de donner sens à l’événement et de s’en réapproprier la maîtrise80.
Jean-Philippe, gérant d’une agence bancaire et victime d’un tiger-kidnapping, nous
relate : « Il était huit heures du soir. J’étais convaincu que c’était la voisine. Ça arrive
fréquemment. Vous savez, on est proche. C’est elle qui fait le ménage à la maison
et à l’agence. On se rend très souvent des services. Donc, ça n’avait rien d’anormal.
Mais quand même, je me dis que je n’aurais jamais dû ouvrir. On ne sait jamais ce

80. Voir les attributions causales p. 93.


172 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

qui peut arriver. Pourquoi est-ce que j’ai été ouvrir ? À cause de moi, ma femme et
mon fils ont été en danger. Je les ai mis en danger. C’est terrible… »

Les sentiments de culpabilité sont fortement renforcés en cas de suicide d’un proche,
en particulier d’un enfant.
Colette dont la fille s’est suicidée par pendaison nous raconte : « J’aurais dû savoir
ce qui allait se passer. Je suis sa mère. J’aurais dû comprendre, j’aurais dû voir. J’ai
entendu un bruit et je me suis dit : “Qu’est-ce qu’elle fait ?”, Je me suis demandé si elle
n’avait pas fait tomber son réveil. À ce moment-là, j’aurais dû monter. Mon ex-mari
me dit que c’est ridicule. Il était là et lui, il n’a pas fait attention à ce bruit. Pour lui,
c’était un bruit banal, un bruit comme n’importe quel bruit que quelqu’un peut faire
quand il est dans une pièce. Quelque part, je sais bien que c’est ridicule, mais je me
dis quand même que je suis sa mère et donc, j’aurais dû savoir et j’aurais dû monter.
C’est plus fort que moi. »
Ingrid dont la mère s’est jetée par la fenêtre de la maison de soins où elle venait d’em-
ménager, nous dit : « Je m’en voudrai toute ma vie. J’avais dit au médecin que les
fenêtres n’étaient pas sécurisées. Je lui ai dit que j’avais peur de ça. Il m’a rassurée en
disant qu’il n’y avait pas de problème, qu’il connaissait ma mère depuis longtemps et
qu’elle n’était pas vraiment suicidaire, que ses menaces n’étaient que des appels au
secours. Il s’est même fâché en me disant que j’étais comme ma mère. Il avait trouvé
une solution et j’étais comme elle, rien n’était jamais bon. Alors, comme une idiote,
je l’ai écouté. J’aurais dû suivre mon intuition. C’est de ma faute si elle est morte. »

Les victimes peuvent aussi se sentir coupables de faire porter le poids de leur souf-
france par leur entourage et être affligées des tourments qu’elles leur infligent (« Mes
enfants, mon conjoint, mes amis, mes collègues ne méritent pas que je me comporte de
cette manière avec eux »). Elles se culpabilisent, par exemple, de ne plus être enclines
à partager les conversations et les plaisirs ordinaires, de ne pouvoir assumer correcte-
ment leurs tâches quotidiennes, en particulier, de prendre soin de leur famille, d’être
irritables ou agressives vis-à-vis de leurs enfants, de leur conjoint et/ou de leurs amis,
de refuser les relations sexuelles, etc. Ces répercussions négatives de leur comporte-
ment sur leurs proches renforcent leur mésestime d’elles-mêmes et leur sentiment
d’être indignes.
« Je n’étais pas bien. Je me sentais seul. Et quand elle est rentrée, je me suis emporté.
Je me suis emporté pour rien. C’est moi. C’est moi qui me suis emporté par rapport
à elle. Je n’ai pas pu me retenir. Je l’ai attrapée violemment par le bras. J’ai honte
d’avoir fait ça. Je regrette. J’ai honte de vous raconter ça. Ma femme ne mérite pas
ça. Mes enfants non plus. Je m’énerve sur eux, je crie. Ma femme me dit que je crie
tout le temps sur les enfants. Quand elle me le dit, je me rends compte que c’est
vrai. Je sais bien que ça ne sert à rien, mais c’est plus fort que moi, à un moment, ça
explose. Je suis en train de faire ce que j’ai vécu à la maison quand j’étais petit. Mon
père criait tout le temps et je n’aimais pas ça… Je reproduis ce qui m’a fait souffrir
quand j’avais leur âge. Mais avant, je n’étais pas comme ça… Il aurait mieux valu
que je meure. J’aurais moins fait souffrir autour de moi. En plus, ils auraient eu
l’assurance-vie. Ils auraient été tristes sur le moment, mais ça aurait fini par passer.
Ce n’est pas agréable pour ma femme et mes enfants. Je n’ai plus jamais envie de rien
faire. Parfois quand mon fils rentre de l’école, il vient près de moi et il me demande :
Les réactions post-immédiates ■ 173

“Papa, on va jouer au foot ?” et moi, je lui réponds “Non mon chéri, je suis fatigué”.
Alors, il me dit : “Mais papa, tu es toujours fatigué. Ce n’est pas chouette”. Et c’est
vrai, ce n’est pas chouette pour eux. Je le sais bien. Ils n’y sont pour rien. Tout mon
entourage subit ma mauvaise humeur » nous raconte Jean, victime d’une fusillade.
Colette dont la fille s’est suicidée témoigne : « À la maison, je suis désagréable avec
mon compagnon. Je veux qu’on me foute la paix. Je veux la paix. Avec son fils, il me
dit que je suis méchante et c’est vrai. Je sais bien qu’il n’en peut rien, mais c’est plus
fort que moi, je veux la paix. Et avec le mien, je ne suis pas gentille non plus. Quand
il fait une bêtise, je lui dis parfois : “Ta sœur n’aurait jamais fait ça.” Ce n’est pas
gentil, je sais. Pourtant, c’est mon fils, je l’aime. Avec mon compagnon aussi, je suis
méchante. Et lui, il est si gentil. Il ne mérite pas ça. Je suis un monstre. »

Les professionnels investis dans des organismes valorisant le courage et l’endurance,


tels que les forces de l’ordre et de défense, les services de secours, les agents de sécu-
rité, le personnel humanitaire, etc. ressentent de l’humiliation et de la honte lorsqu’au
moment d’un événement ou dans son décours, ils faillissent à leur mission (porter
secours, défendre les biens et les personnes, etc.).
Éric est agent de sécurité. Alors qu’il faisait son tour de garde dans une entreprise,
deux malfaiteurs armés de Kalachnikov l’ont attaqué. Il se désespère : « Je ne me
sens plus un homme. J’ai l’impression d’être une lavette. Vous vous rendez compte ?
Ils ont eu le dessus ! Je n’ai pas réussi ma mission. Je suis engagé pour protéger cette
usine et je n’ai pas réussi. »

Ces sentiments de dévalorisation, de honte et d’humiliation sont également particu-


lièrement prégnants chez les personnes agressées sexuellement et chez les victimes
de torture. La plupart se sentent avilies et déshonorées ; elles éprouvent de la gêne
vis-à-vis d’autrui et de la haine ou du dégoût pour elles-mêmes ; elles ont le sentiment
d’avoir été salies ou d’être souillées ; elles n’ont plus d’estime pour elles-mêmes (par
exemple, elles se demandent « Suis-je encore un être humain ? ») ; elles ont l’impres-
sion d’avoir perdu leur valeur personnelle (par exemple, leur qualité de femme ou
d’homme, de conjoint, de chef de famille, etc.), etc.
Les victimes de viol peuvent également se sentir coupables d’avoir apporté le dés-
honneur à leur mari et à leur famille ou de protéger l’agresseur par leur silence et
de mettre ainsi en danger d’autres personnes. Si la société véhicule des préjugés et si
l’entourage adopte une attitude accusatrice, les sentiments de culpabilité des victimes
s’en trouvent également renforcés.
Innocente, une jeune femme congolaise a été violée dans sa province natale du Sud-
Kivu. Elle explique : « Ici (au Congo), ce n’est pas comme chez vous, les blancs. Vous,
les blancs, vous dites qu’on est victimes. Vous dites que vous venez pour nous aider.
Mais ici, quand tu as été violée, on dit que c’est toi qui as provoqué l’homme. Tu es la
coupable et tes amis ne te connaissent plus. À l’église, les femmes que je fréquentais,
elles ne me connaissent plus. Si j’approche, elles arrêtent de parler. Dans le village,
on dit que je vais avec les hommes. Je les vois. Quand je passe, les gens chuchotent.
Ce n’est pas vrai, je ne vais pas avec les hommes. Les gens le savent bien, mais ils
disent ça parce que j’ai été violée. Ils ne me considèrent plus. Alors, maintenant, je
reste le plus possible sur la parcelle (propriété familiale et ses terres). Je ne vais plus
174 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

au village. Ma famille m’a gardé à la maison, mais ce n’est pas facile non plus. Quand
je ne suis pas d’accord avec ma sœur, elle me dit “Tu agis comme ça parce que tu as
été violée. Tu es devenue stupide”. »

Chez les personnes torturées, le sentiment de culpabilité peut également résulter du


fait d’avoir mis des tiers en péril en accomplissant des actes horribles ou en délivrant
des renseignements sensibles. L’assujettissement de l’infortuné est souvent obtenu par
des techniques de « choix impossible », celui-ci devant « choisir » entre sa sauvegarde
et celle d’autrui. Bien qu’acculées au dilemme, les victimes se sentent responsables de
leur choix et, passé le bref soulagement d’avoir survécu, elles éprouvent durablement
un profond sentiment de culpabilité.
Les rescapés d’accidents mortels de tous ordres, de fusillades, d’embuscades meur-
trières, de catastrophes naturelles, etc. éprouvent fréquemment la culpabilité du
survivant. C’est à Bruno Bettelheim que l’on doit en 1952 la première description du
phénomène. Il s’agit d’une forme de culpabilité mêlée de honte consécutive à des situa-
tions extrêmes au cours desquelles des personnes ont péri. La personne s’interroge :
« Pourquoi ais-je survécu alors que d’autres sont morts ? », « Pourquoi a-t-il péri alors
que moi, je suis sortie indemne. J’aurais dû mourir à sa place. »
« J’aurais préféré que ce soit moi qui sois mort plutôt que mon père. Pour ma mère, ça
a été difficile. Pour ma sœur aussi. Si mon père avait été là, ça aurait été mieux. Si mon
père avait été là, il aurait travaillé et il aurait rapporté de l’argent. La vie aurait été plus
facile pour ma mère et pour ma sœur. Et ma sœur avait plus besoin d’un père que d’un
frère » nous dit Jean, victime d’une fusillade au cours de laquelle son père a été tué.
Charline, présente lors de l’attentat terroriste survenu à l’aéroport de Bruxelles,
se demande : « Pourquoi certains sont blessés et pas moi ? Pourquoi certains sont
morts et pas moi ? »

Les rescapés alternent fréquemment entre culpabilité du survivant, soulagement


d’avoir survécu et sentiment de toute-puissance (« J’ai triomphé de la mort, je suis
invulnérable, car j’ai survécu alors que les autres sont morts »). Nous le verrons, ces
oscillations entre affects paradoxaux de culpabilité et de toute-puissance conduisent à
des comportements ordaliques.
Si la culpabilité et/ou les sentiments de culpabilité sont importants, ils s’accompagnent
généralement de courage morbide entraînant des prises de risque et/ou de compor-
tements d’expiation et d’autopunition (autodestructions, automutilations, comporte-
ments suicidaires, incapacité à se faire plaisir, oblativité81, sacrifice personnel au profit
d’autrui, etc.). « Vu de l’extérieur, on parle de “générosité” ou “d’austérité”. En fait,
l’oblation qui consiste à donner à nos propres dépens est une bonne affaire puisqu’elle
permet de se déculpabiliser » nous dit Boris Cyrulnik (1999).
Avec les sentiments d’impuissance82, les sentiments de culpabilité et de honte se
révèlent les plus péjoratifs pour l’évolution psychique des victimes. Ils érodent

81. « Générosité » entraînant un préjudice pour la personne.


82. Voir p. 72.
Les réactions post-immédiates ■ 175

rapidement et durablement l’estime et la confiance en soi entraînant une déflation du


sentiment de valeur personnelle et de compétence. Ils ont pour effet de désocialiser, les
sujets en venant fréquemment à s’isoler, parfois jusqu’à se mettre au ban de la société,
pour se soustraire au regard d’autrui et éviter toute situation humiliante.

2.2.3. Les troubles du comportement


Les troubles de conduite sont fréquemment rencontrés chez les personnes ayant
vécu un événement traumatisant. Leur souffrance se traduit par des comportements
agressifs, des attitudes à risque, des troubles du sommeil, des désordres alimentaires
et des dépendances. Ces conduites peuvent masquer une dépression.

Les comportements auto-agressifs


Les victimes peuvent adopter des comportements agressifs envers elles-mêmes. Ils
se traduisent par une inclination vers la mort (préoccupation morbide par rapport à la
mort, aux moyens de mettre fin à ses jours, à ses futures funérailles, etc.), des passages
à l’acte suicidaire et des comportements autodestructeurs (automutilations, prise de
risque inconsidéré). Ils sont nettement plus fréquents dans les cas de violence interper-
sonnelle (abus et agressions sexuelles, torture et mauvais traitement, génocides, etc.)
ou lorsque les sujets éprouvent des sentiments de honte et de culpabilité que dans les
autres types d’événements traumatiques. Le risque suicidaire est présent même en
l’absence de dépression ou de troubles anxieux (voir l’étude d’Oquendo et al., citée par
Guay, Marchand, 2007, p. 328).
Colette dont la fille s’est suicidée nous dit : « Le matin en me réveillant, je me dis :
“Merde, je suis encore là.” Je passe sur un pont, je pense que je pourrais me jeter en
bas. Je suis à un passage à niveau, je me dis que je mettrais bien ma voiture dessus.
Ça vient comme ça, spontanément. Je suis dans une situation et je me demande
comment je pourrais en finir. »
Nathalie, victime du viol, raconte : « Je me rends compte que je me bats contre moi-
même pour ne pas me suicider. »
Jacques, victime d’un hold-up commis avec violence, témoigne : « J’avais décidé de
me suicider parce que plus rien n’avait de sens. Je ne parvenais pas à prendre le
dessus sur la situation. Mon quotidien n’avait plus de sens. »

Ces comportements peuvent surprendre les victimes elles-mêmes. En effet, il est éton-
nant qu’ayant échappé à la mort, elles en viennent à la rechercher ou à en potentialiser
le risque.
Marianne, victime d’un hold-up, battue et laissée pour morte par les malfaiteurs,
s’étonne : « C’est fou, non ? J’ai failli mourir, j’ai eu la trouille de mourir et mainte-
nant, je n’ai plus envie de vivre, je voudrais être morte. »

Dans les cas de violence interpersonnelle, ces comportements peuvent être interprétés
comme une façon de lutter contre l’introjection de l’agresseur. Ce que les victimes
veulent tuer, ce n’est pas leur propre personne, mais le tiers malveillant qui hante
leur corps et leur esprit. Ces comportements auto-agressifs peuvent également être
176 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

compris comme la résolution de la tension meurtrière qui les habite ; leur désir de tuer
l’agresseur ne trouvant pas d’issue se tourne contre elles-mêmes.
Rose, victime d’un viol, nous confie : « Ça arrive (les idées suicidaires) quand je
pense au violeur. Je ne supporte pas qu’il soit dans ma tête. C’est comme s’il était
toujours là et il continue de me faire souffrir. »

Ces comportements peuvent encore être un moyen de s’amender de la culpabilité


(comportements autopunitifs) ou de sortir d’états dissociatifs (impression d’irréalité,
dépersonnalisation, sentiment de détachement, émoussement, etc.).
Judith, victime de la traite des êtres humains et de la prostitution forcée, nous livre :
« Je commence à me faire mal quand je tombe dans les images (reviviscences de scènes
traumatiques). Je ne me rends pas compte que je me blesse jusqu’à ce que j’aie mal et là,
j’arrête. Je suis aspirée par les images et c’est grâce à la douleur que j’en sors. »

Les comportements hétéro-agressifs


Les sujets traumatisés peuvent se montrer agressifs, voire violents. Ils brisent
des objets, profèrent des insultes, intimident (menaces verbales, actes tels que bran-
dir le poing, etc.) et agressent (gifles, coups de pied et de poing, lancement d’objets en
direction d’autrui). Ces comportements sont généralement déclenchés par l’impres-
sion qu’éprouvent les personnes d’être lésées ou non respectées, y compris dans les
situations les plus anodines (par exemple, lorsqu’un collègue ne répond pas à leurs
salutations, quand un ami leur jette un regard qu’elles jugent méprisant, lorsqu’un
conducteur s’est octroyé abusivement une priorité routière, etc.). Ils sont également
suscités par les situations où elles ont le sentiment de subir le pouvoir d’autrui, et ce,
même dans les rapports d’autorité les plus courtois (par exemple, d’un patron avec
son employé), voire dans les échanges les plus banals (par exemple, dans les relations
amicales ou amoureuses).
Ces comportements agressifs peuvent être une manière pour les victimes d’exprimer
leurs angoisses et leurs frustrations. Ils peuvent être une tentative de rétablir leur
sentiment de dignité humaine et de maîtrise sur leur destinée après avoir vécu des
expériences délétères qui les en ont dépouillés. Nombreuses sont les victimes qui se
reprochent ces attitudes et comportements violents. Elles en conçoivent de la honte,
car ils échappent à leur contrôle et s’en culpabilisent parce qu’ils sont source de souf-
france pour l’entourage. Ils entraînent fréquemment des conflits débouchant sur des
séparations conjugales, l’évasion des amis, des pertes d’emplois, etc.
Lorsque les victimes ne peuvent décharger leur agressivité pour se défendre ni se
venger de l’agresseur ou du destin, certaines déplacent leur colère sur des objets, sur
autrui ou sur elles-mêmes. A contrario, d’autres inhibent toute émotion violente. Elles
peuvent également alterner ces deux modes passant sans transition d’un état contrôlé
à des crises de colère irrépressibles.

Les conduites à risque


Plus que les autres groupes d’âge, les adolescents adoptent des comportements à
risque. Toutefois, les adultes peuvent eux aussi entretenir des relations sexuelles non
Les réactions post-immédiates ■ 177

protégées, consommer abusivement des substances psychotropes, adopter des com-


portements provocateurs envers les autorités, s’engager dans des sports extrêmes,
conduire leur véhicule de manière imprudente (rouler vite, sans ceinture, sous l’em-
prise de l’alcool, etc.), ce qui les conduit à mettre leur santé (physique et mentale) et
leur sécurité en péril.
Depuis le décès de sa fille par pendaison, Colette roule dangereusement : « Parfois, je
déconnecte. C’est comme si on enlevait une prise dans ma tête. Quand je reconnecte,
je me rends compte que je me cale dans mon siège et j’appuie sur le champignon. Je
me mets en danger. C’est une mise au défi. J’enlève la prise, je baisse de régime et
je conduis lentement ; je remets la prise, je remonte le régime et je me retrouve à
180 km/heure sur l’autoroute, puis après, je me remets en régime normal. »

Ces comportements à risque peuvent constituer des conduites ordaliques83. Les sujets
se mettent délibérément en danger au cours d’épreuves comportant un risque vital et
dont l’issue est laissée selon leurs croyances, au hasard, à la destinée ou à Dieu. Ces
conduites se distinguent des comportements suicidaires, les sujets n’ayant pas pour
objectif de mourir, mais de tester leur courage et leur droit à vivre84. Après un trau-
matisme, ces conduites peuvent s’expliquer par le fait que les victimes ont besoin de
restaurer leur identité et leur valeur personnelle après avoir été opprimées ou humi-
liées ou bien encore qu’elles ressentent la nécessité de s’assurer de la légitimité de leur
existence alors que d’autres sont morts. Pour Boris Cyrulnik « Toute mise à l’épreuve
intime prend un effet ordalique : si je triomphe encore, si le jugement de Dieu m’ac-
corde la victoire, si je surmonte l’épreuve des éléments naturels, de l’eau et du feu, si
je domine la faim, le froid et l’hostilité sociale, je me fournirai la preuve que j’ai le droit
de vivre malgré ma culpabilité. Mais ce combat se déroule sur le fil du rasoir. Si par
malheur j’échoue, je confirmerai qu’on avait bien raison de vouloir me tuer » (Cyrulnik,
1999). Ces prises de risque sont aussi un moyen d’éprouver des sensations fortes pour
retrouver le sentiment d’exister (et parfois, pour sortir d’un état dissociatif).
Depuis l’accident mortel dans lequel son frère a péri, Nicole, prend des risques. « Je
sors seule la nuit. À trois heures du matin, si je ne dors pas, j’ai souvent des insom-
nies, je me lève et je vais faire le tour du quartier en jogging. Pourtant, je ne vis pas
dans un quartier particulièrement sécurisant, mais je m’en fous, je n’ai même pas
peur. Arrivera ce qui doit arriver. Je me dis : “S’il ne m’arrive rien, c’est qu’il (son
frère) me protège et s’il m’arrive quelque chose, c’est que ce que je pense est vrai,
j’aurais dû mourir à sa place.” C’est moi qui conduisais, c’est moi qui aurais dû mou-
rir. Jusqu’à présent, il ne m’est rien arrivé. Il y a une bonne étoile pour les dingues,
parce que les gens qui me voient faire du jogging à trois heures de mat’, ils doivent
vraiment me prendre pour une dingue ! »

83. L’ordalie est un rite judiciaire faisant appel au jugement divin pour trancher de l’innocence ou
de la culpabilité d’un prévenu. Elle a été pratiquée en Europe jusqu’au Moyen Âge et l’est encore de
nos jours dans certaines peuplades africaines. L’ordalie soumet l’accusé à une épreuve qu’il réussit si
les dieux ou les esprits le considèrent innocent (par exemple, aux temps anciens, traverser un bûcher
sans se brûler ou en Afrique, survivre à l’absorption d’un poison). Contrairement à l’ordalie judiciaire,
dans les conduites ordaliques, le sujet joue sa vie de son plein gré.
84. La frontière entre conduites ordaliques et comportements suicidaires est néanmoins parfois très ténue.
178 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

Notons que ces conduites ordaliques peuvent masquer un état dépressif.

Les troubles du sommeil


Il est fréquent que les victimes retardent l’heure du coucher (par exemple, elles
regardent la télévision jusqu’à des heures tardives), craignent l’obscurité ou redoutent
de dormir seules.
Ana, surprise dans son sommeil par un malfaiteur, nous confie : « Vous allez trou-
ver ça ridicule, mais je fais comme les enfants, la nuit, j’ai besoin d’une petite lumière.
Je ne supporte plus d’être complètement dans l’obscurité »

Les personnes se plaignent fréquemment d’insomnies, de difficulté d’endormissement,


de réveils nocturnes ou précoces85 parfois anxieux, de terreurs nocturnes et de cau-
chemars (reproduisant la scène traumatique à l’identique ou ses éléments principaux
intégrés à une activité de symbolisation et de représentations associées). Lorsque leur
sommeil est interrompu, elles redoutent de se rendormir, craignant d’être à nouveau
confrontées aux images redoutables.
Nicole déclare : « Je suis fatiguée toute la journée, mais au moment d’aller dormir, je
ne suis plus fatiguée du tout. »
Jacques, violenté au cours d’un hold-up, nous relate ses terreurs nocturnes : « J’ai
peur de m’endormir. Je fais des drôles de rêves. J’ai du mal de mettre des mots et
des images, mais ce sont des rêves de mort. Je ne sais pas de quoi je rêve exactement,
mais quand je me réveille, je suis en sueur, j’ai l’impression d’étouffer, je suis terro-
risé et après, je reste avec l’angoisse. Je n’ose plus me rendormir parce que j’ai peur
de retomber dans les affres de ces mauvais rêves. Parfois, je me réveille parce que
je crie. Ce sont mes cris qui me réveillent. »
Jean nous confie : « J’ai l’impression que je ne vais pas pouvoir m’endormir. Je suis
tellement anxieux quand je me mets au lit que je prends un somnifère. »

Les hypersomnies86 sont relativement fréquentes. Le sommeil peut devenir un refuge


contre des difficultés que la personne doit affronter ou être un signe de dépression.
Juliette a été victime d’un braquage au service financier de l’établissement hospita-
lier où elle exerce en tant que comptable. Elle nous dit : « Je n’arrête pas de dormir.
Je suis fatiguée tout le temps. Je me rends bien compte que je fuis dans le sommeil.
Au moins quand je dors, je ne pense plus à rien. Ça m’arrange. Le problème, c’est
que j’ai aussi envie de dormir même quand ça ne m’arrange pas. »

Les troubles des conduites alimentaires


Les victimes peuvent présenter des troubles alimentaires après avoir traversé un
événement adverse. Si les véritables anorexies et boulimies sont rares à l’âge adulte,

85. Réveils très tôt le matin.


86. Trouble caractérisé par un besoin excessif de sommeil manifesté par un allongement de la durée
de la nuit et une somnolence diurne.
Les réactions post-immédiates ■ 179

les pertes temporaires de l’appétit ainsi que l’appétence excessive pour les sucreries,
le grignotage anxieux et l’hyperphagie (pouvant conduire à l’obésité) sont répandus.
Adeline a découvert sur la terrasse le corps mutilé de son voisin. Elle rapporte :
« Pendant quelques jours, je n’ai plus pu avaler la moindre nourriture, même le
thé, ça passait difficilement, mais ça revient progressivement. Je n’ai pas l’appétit
d’avant, mais ça va mieux. »
Depuis son agression, Marianne a des fringales. « Je crois que j’ai pris cinq kilos sur
ces deux dernières semaines. Je n’ai pas faim, mais je prends un bout de chocolat,
puis des biscuits et puis un yaourt et ça n’arrête pas de toute la journée. Et le soir,
pour couronner le tout, je prends des chips en regardant la télévision. C’est plus fort
que moi. Je compense… »

Les dépendances
La souffrance psychique favorise la consommation abusive d’alcool et de médica-
ments psychotropes (calmants, antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères, antidou-
leurs87, etc.), la toxicomanie et le tabagisme.
L’acide gamma amino-butyrique (GABA) régule l’intensité et la durée de la réponse
hyperadrénergique dans les situations de stress intense. Les études ont démontré que les
individus présentant de faibles taux de GABA dans le décours immédiat d’un événement
risquent davantage de développer un état de stress post-traumatique. Or l’alcool et les
benzodiazépines potentialisent l’action du GABA. Ceci pourrait éclairer le fait qu’un cer-
tain nombre de sujets recourent à ces substances après un incident critique (voir Vaïva,
Boss et al., 2005). Des études ont par ailleurs démontré que la prise d’alcool avant l’inci-
dent critique réduit le risque d’apparition d’une symptomatologie traumatique (Maes,
Delmaire et al., 2001). Par ailleurs, les opiacés endogènes, en inhibant les actions de la
noradrénaline, jouent un rôle dans la contre-régulation du système nerveux central, ce
qui pourrait expliquer l’appétence de certaines victimes pour les drogues. Les recherches
ont d’ailleurs prouvé que l’administration de morphine dans les suites d’un événement
tragique réduit le risque de développer un syndrome post-traumatique (voir Holbrook
et al., 2010 ; Saxe et al., 2001). La consommation de substances psychoactives pourrait
donc être une tentative d’automédication contre les réactions de stress et les symp-
tômes psychotraumatiques (symptômes de répétition, hyperactivation neurovégétative,
dépression, anxiété, etc.). L’état de conscience modifié induit par l’alcool, les drogues et
certains médicaments psychotropes est aussi recherché comme moyen de fuir la réalité.

2.2.4. Les troubles somatoformes


Les troubles somatoformes regroupent les désordres fonctionnels et les dou-
leurs sans cause organique ainsi que les maladies psychosomatiques avec atteinte

87. Certaines victimes ont tendance à surconsommer des antidouleurs. Des études récentes tendent à
prouver que le l’acétaminophène ou paracétamol, médicament destiné à soulager la douleur physique
réduirait la douleur émotionnelle (voir à ce sujet DeWall et al., 2010).
180 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

lésionnelle. Ils sont caractérisés par des plaintes physiques suggérant une affection
somatique sans qu’aucune pathologie organique ne puisse être démontrée. Autrement
dit, la personne présente des symptômes physiques sans que ses organes soient
atteints de maladie. Bien que l’expression de ces troubles soit avant tout corpo-
relle, ils relèvent des désordres mentaux, car ils sont provoqués par des facteurs
psychologiques.
Dès les premiers jours ou les premières semaines après l’événement traumatisant,
les victimes peuvent se plaindre de maux physiques sans cause organique ainsi que
de l’aggravation d’une maladie préexistante. Ces symptômes somatiques risquent
d’accroître les angoisses à propos de leur personne physique et de leur vulnérabilité.

Les symptômes neurovégétatifs d’origine psychosomatique


Les victimes peuvent souffrir de vertiges, de lipothymies, de tremblements, de
sueurs, de troubles du rythme cardiaque, de désordres gastro-intestinaux, de sensa-
tions de striction laryngée, d’oppression respiratoire et de sensations d’étouffement
pseudo-asthmatiques, etc.

L’asthénie physique d’origine psychosomatique


Elle se manifeste par une fatigue permanente résistant au repos, par un épuisement
rapide au moindre effort physique, par l’impression persistante d’être sans force ou
par une lassitude générale.
« Je suis tout le temps fatiguée. Je suis sans force physique. J’ai besoin de faire de
longues siestes dans l’après-midi » nous confie une victime du terrorisme.

Les douleurs psychogènes88


Les victimes présentent fréquemment des douleurs diffuses et erratiques (cépha-
lées, douleurs musculaires, douleurs thoraciques, gastralgies89, etc.). Certaines dou-
leurs sont spécifiquement liées à l’événement traumatique subi. Par exemple, dans
les cas d’agressions et d’abus sexuels, la victime peut se plaindre d’algies pelviennes,
abdominales, gynécologiques, urinaires ou anales, d’anisme90, de maux de gorge ou de
gêne à la déglutition, etc.
Ces algies peuvent être aiguës et se manifester sous forme d’épisodes passagers, de
crises récurrentes ou être continues. Selon leur intensité, elles sont supportables ou
invalidantes.
Si ces plaintes peuvent être l’expression de la tristesse, de la peur, de l’angoisse ou
d’un traumatisme, rappelons toutefois qu’elles peuvent également signer une maladie
organique ou résulter des séquelles de violences physiques.

88. Psychogène se dit d’un trouble ou d’une affection dont l’origine est purement psychique.
89. Douleur localisée dans l’estomac.
90. On appelle anisme la contraction paradoxale du sphincter anal externe au cours d’un effort de
défécation.
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 181

Les dysfonctions sexuelles à expression somatique


Elles sont fréquentes, en particulier après une agression sexuelle. Mentionnons
la baisse ou la perte de désir sexuel, l’émoussement du plaisir sexuel, l’aversion
sexuelle (dégoût et évitement des rapports sexuels), l’anorgasmie91, la dyspareunie
psychogène92, l’impuissance et le vaginisme93. Dans de rares cas, on note une aug-
mentation du désir et de l’activité sexuelle. Des cas sont rapportés en République
démocratique du Congo, notamment dans les provinces de l’Ituri, du Nord et du
Sud-Kivu, chez les jeunes femmes ayant servi d’esclaves sexuelles au sein des
groupes armés.

Les maladies psychosomatiques


Les victimes peuvent souffrir d’un regain de symptômes de maladies psychoso-
matiques antérieures à l’expérience traumatique telles que coliques, colites, asthme,
eczéma, psoriasis, etc.

3. Les réactions immédiates


et post-immédiates selon
les nosographies internationales
La névrose traumatique a longtemps prévalu pour décrire les syndromes post-
traumatiques. Le récent développement des nosographies psychiatriques interna-
tionales a entraîné l’éclatement de ce concept et redistribué les symptômes dans de
nouvelles entités syndromiques94.
Les modèles principaux de classification sont le Diagnostic and Statistical Manual
of Mental Disorders, dénommé DSM-5 pour sa cinquième version (American
Psychiatric Association, 2013), et la Classification Internationale des Maladies,
dite CIM-10 pour la dixième édition (OMS, 2008) et CIM-11 pour la nouvelle
mouture à paraître en 2019. Tous deux répertorient des entités diagnostiques se
rapportant aux réactions psychotraumatiques. Nous allons passer en revue les
tableaux cliniques d’état de stress aigu et de troubles dissociatifs que les sujets
peuvent manifester dans l’immédiat après-coup d’un événement délétère.
Souvenons-nous que la description de ces syndromes concerne la population adulte de
structure névrotique (ou psychotique compensée).

91. Absence d’orgasme.


92. Douleur génitale lors des rapports sexuels.
93. Spasme involontaire de la musculature du vagin perturbant la pénétration, voire l’empêchant.
94. Dans son édition de 1994, le manuel DSM procède au démembrement des névroses et intègre les
symptômes névrotiques dans d’autres tableaux nosographiques.
182 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

3.1. Les états de stress aigu


3.1.1. Le DSM
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, trois classifications de troubles mentaux
sont en usage aux États-Unis. Pour mettre fin à la confusion régnant parmi les profes-
sionnels de la santé mentale, les experts se réunissent et standardisent une nouvelle
nomenclature. C’est ainsi qu’en 1952 paraît le DSM-I. Y figure dans la catégorie des
troubles transitoires de la personnalité (« Transient situational personality disorders »)
un diagnostic de « réaction de stress majeure » (« Gross Stress Reaction ») pour les
« Situations dans lesquelles l’individu a été confronté à de sévères épreuves physiques
ou à un stress émotionnel extrême, telles que les situations de combat et les catastrophes
civiles (incendie, séisme, explosion, etc.) » (American Psychiatric Association, 1952).
N’entraient toutefois dans cette catégorie que les symptômes transitoires ; les troubles
persistants devant être reclassés dans un autre diagnostic du manuel.
En 1968 est publiée la deuxième édition du DSM. Bien que la dénomination « névrose »
subsiste, certains termes à connotation psychanalytique sont éliminés. L’American
Psychiatric Association pose ainsi les premiers jalons d’une conception nosographique
a-théorique. À l’époque, les États-Unis sont engagés dans la guerre du Vietnam.
La reconnaissance d’une pathologie déclenchée par les traumatismes de la guerre
contraindrait les hautes autorités à indemniser ou à réformer les soldats atteints. Les
enjeux militaires et financiers sont considérables. Hasard ou non, la « réaction de stress
majeure » disparaît du manuel… Le tableau clinique le plus approchant est le diagnostic
de « réaction d’adaptation à la vie adulte » (Adjustment reaction of adult life) classé
dans les perturbations situationnelles transitoires (Transient situational disturbances),
catégorie réservée aux réactions éphémères faisant suite à un stress environnemental
important. Concernant le stress lié au combat militaire, on lit : « peur associée au
combat militaire et où les manifestations sont trembler, courir et se cacher », mais
le DSM-II précise « Si le patient a des capacités d’adaptation normales, les troubles
devraient disparaître lorsque le stress diminue. Si les troubles persistent, il convient de
rechercher une autre pathologie mentale » (American Psychiatric Association, 1968).
En 1980, paraît la troisième édition95. Les appellations psychanalytiques ont été
radiées. Le manuel se veut a-théorique : l’étiquetage des troubles ne doit pas être lié
à une théorie particulière. L’éclatement des concepts entraîne une redistribution des
symptômes dans de nouvelles entités syndromiques.
En raison des séquelles traumatiques durables manifestées par les vétérans du
Vietnam, le DSM-III, introduit dans la classe des troubles anxieux de sa nosographie,
un diagnostic psychiatrique nommé « État de Stress Post Traumatique » ou ESPT
(Post-Traumatic Stress Disorder, généralement signalé par l’acronyme PTSD). Des pré-
cisions, des annotations et des commentaires sont ajoutés au diagnostic de PTSD dans
la version DSM-III-R éditée en 1987.

95. Le DSM-III est la troisième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder
(American Psychiatric Association, 1980).
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 183

En 1994, l’American Psychiatric Association effectue un pas de plus dans la recon-


naissance des phénomènes post-traumatiques en validant, dans le DSM-IV, le dia-
gnostic d’Acute Stress Disorder, ASD, traduit par « État de Stress Aigu » ou ESA. Le
diagnostic de PTSD ne pouvant être établi qu’après une latence d’un mois minimum, les
réactions manifestées précocement n’étaient pas tenues en compte. C’est pour combler
cette lacune que l’APA adjoint cette nouvelle entité à son manuel. Elle englobe tant les
réactions de survenue immédiate que les réponses post-immédiates perdurant jusqu’à
quatre semaines après l’incident. Reprenant partiellement le tableau du PTSD, l’ASD
s’en distingue par des symptômes de dissociation. L’établissement du diagnostic exige
qu’au moins trois des cinq troubles dissociatifs suivants soient présents : un engourdis-
sement émotionnel (un sentiment subjectif de torpeur, de détachement ou une absence
de réaction émotionnelle) ; une impression de déréalisation ; une impression de déper-
sonnalisation, une réduction de la conscience de son environnement (par exemple,
« être dans le brouillard ») ; une amnésie dissociative (par exemple, incapacité à se
souvenir d’un aspect important du traumatisme). Si l’accent est ainsi mis sur les symp-
tômes dissociatifs, c’est parce qu’ils sont considérés comme les signes immédiats les
plus prédictifs d’un trouble psychotraumatique ultérieur.
Cette quatrième version voit également s’élargir le spectre des modes possibles de
traumatisation : avoir été témoin d’un événement adverse peut produire un trauma.
De plus, elle ajoute une exigence importante : pour être qualifié de traumatique, l’évé-
nement doit avoir suscité un vécu subjectif négatif (sentiment de peur, d’horreur ou
d’impuissance). Enfin, pour la première fois, le manuel fait mention de caractéristiques
liées à la culture et souligne le danger d’utiliser telle quelle sa classification pour éva-
luer une personne d’un autre groupe ethnique ou culturel. Le manuel sera révisé en
2000 et édité sous l’appellation DSM-IV-TR.
En 2013, l’APA franchit un cap décisif en créant dans le DSM-5 un chapitre distinct pour
les troubles consécutifs aux traumatismes et au stress (Troubles liés à des traumatismes
ou à des facteurs de stress). Initialement classés dans les troubles anxieux, l’ASD et le
PTSD migrent donc vers cette nouvelle catégorie. Aux côtés de ces deux diagnostics, elle
rassemble le trouble réactif de l’attachement, le trouble d’engagement social désinhibé,
le trouble d’adaptation, le trouble lié aux traumatismes et au stress spécifié et le trouble
lié aux traumatismes et au stress non spécifié. L’association américaine octroie ainsi aux
syndromes psychotraumatiques toute l’attention qu’ils méritent et reconnaît la diversité
des formes cliniques prises par la souffrance humaine à la suite d’une expérience délétère.
Pour que les troubles présentés puissent être qualifiés de stress aigu ou de stress post-
traumatique, il est impératif que la personne ait été exposée à un événement adverse
(Critère A). Le DSM-5 ajoute aux événements traumatisants retenus dans le DSM-IV
(la mort ou la menace de mort, les blessures graves ou la menace de telles blessures et
la menace pour l’intégrité physique), une circonstance spécifique, l’agression sexuelle
et la menace d’une telle agression. Alors que le DSM-IV considérait que seules les
victimes directes (directement exposées ou témoins) pouvaient souffrir d’un trouble
post-traumatique aigu ou chronicisé, la nouvelle version admet qu’un sujet puisse être
traumatisé du fait de sa proximité émotionnelle avec une victime directe (famille et
amis proches) ou parce qu’il a été confronté de manière extrême ou répétée à des récits
sordides en raison de ses activités professionnelles.
184 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

Autre changement significatif, le DSM-5 n’exige pas que l’individu ait manifesté une
peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur face à l’événement. Les études
épidémiologiques ont démontré que l’absence de telles émotions diminue légèrement
le risque de trouble ultérieur et que leur présence s’avère peu prédictive comparée à
d’autres réactions telles que la colère ou la honte. Ce critère lié à une réaction émotion-
nelle a ainsi disparu du DSM-5.
Concernant le trouble de stress aigu, les recherches menées depuis l’avènement de l’ASD
dans le DSM-IV, ont poussé les auteurs à en modifier les objectifs et les critères. Avec
cette entité, l’APA avait pour objectif de combler un vide nosographique, mais également
de discriminer les personnes à risque de développer une pathologie à long terme de celles
qui n’éprouvent que d’éphémères réactions de stress. Or, les études ont prouvé que si
la grande majorité des individus manifestant un tableau de stress aigu souffrent plus
tard d’un syndrome chronique, bon nombre de victimes affectées par un PTSD n’ont
pas présenté de trouble de stress aigu. L’ASD s’est ainsi révélé un critère sensible, mais
peu spécifique à prédire le devenir des individus confrontés à un événement adverse.
En maintenant l’ASD dans le DSM-5, l’APA ne poursuit plus l’ambition de dépister
précocement les sujets à risque de développer une future affection psychotraumatique.
Cette entité se limite aujourd’hui à identifier les victimes souffrant de réactions de stress
sévère dans la période de latence durant laquelle le diagnostic de PTSD ne peut être posé.
Dans certains pays, par exemple aux États-Unis, cette reconnaissance peut s’avérer déci-
sive pour l’obtention du remboursement des soins de santé.
En ce qui concerne la liste des symptômes de l’ASD, elle est pratiquement inchangée,
bien que plus détaillée. Ainsi, par exemple, l’item « une impression de déréalisation »
du DSM-IV devient dans le DSM-5 « Altération de la perception de la réalité, de son
environnement et de soi-même (par ex. se voir soi-même d’une manière différente, être
dans un état d’hébétude ou percevoir un ralentissement de l’écoulement dutemps) ».
Un critère a été ajouté, celui d’« humeur négative », reconnaissant la difficulté persis-
tante de certaines victimes de ressentir des émotions positives telles que le bonheur, la
satisfaction ou des sentiments affectueux.
La version actuelle n’exige plus, comme c’était le cas auparavant, de satisfaire un
nombre précis de signes par cluster. Nous l’avons vu, dans le DSM-IV, l’accent est
mis sur la dissociation, trois des cinq symptômes dissociatifs de ce cluster spécifique
devant être rencontrés. Or, les études menées depuis près de vingt ans prouvent que
la dissociation péri-traumatique n’est pas un facteur prédictif indépendant d’un stress
post-traumatique (Breh, Seidler, 2007 ; Van der Velden et al. cité in Bryant, 2013).
Plus que la dissociation, c’est l’hyperactivation neurovégétative qui semble être le
pivot central du développement d’un trouble ultérieur (Bryant, Brooks et al., 2011).
Partant du constat que la relation entre la réaction aiguë à un événement et une patho-
logie à long terme est complexe et non linéaire et compte tenu de l’hétérogénéité des
manifestations de stress aigu, la nouvelle définition de l’ASD publiée dans le DSM-5
requiert que soient présents au moins 9 des 14 symptômes possibles, quels que soient
les clusters auxquels ils appartiennent : intrusion, humeur négative, dissociation, évi-
tement ou hyperactivation. Autrement dit, les victimes d’un événement délétère en
état de stress aigu peuvent manifester une gamme de réponses incluant ou non des
symptômes dissociatifs.
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 185

3.1.2. La CIM-10 et la CIM-11


C’est en 1992 que la CIM-10 introduit pour la première fois la réaction aiguë à
un facteur de stress et l’état de stress post-traumatique dans sa nosographie. Dans la
classification « Troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles
somatoformes », elle décrit la réaction aiguë à un facteur de stress apparaissant dans les
minutes suivant l’incident critique et disparaissant en quelques heures, tout à plus en
quelques jours. Elle distingue ce trouble immédiat de l’état de stress posttraumatique,
réaction différée apparaissant quelques semaines ou mois après l’événement trauma-
tique, mais elle reste muette sur les manifestations présentées dans l’entre-temps.
L’Organisation Mondiale de la Santé prépare une nouvelle édition de sa nosographie, la
CIM-11, dont la parution est prévue en 2019. Le groupe de travail chargé de réviser la
classification des affections post-traumatiques relève le caractère réactionnel normal
de certaines manifestations émotionnelles, somatiques, cognitives et comportementales
survenant dans la foulée d’un événement délétère. Selon eux, le but principal de la caté-
gorie « réaction aiguë à un facteur de stress » est de permettre aux professionnels de la
santé de mieux identifier et aider les personnes présentant ce syndrome sans toutefois
les considérer comme des cas pathologiques.

Trouble stress aigu 308.3 (F43.0) selon de DSM-596


A. Exposition à la mort effective ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à
des violences sexuelles d’une (ou plus) des façons suivantes :
1. En étant directement exposé à un ou plusieurs événements traumatiques.
2. En étant témoin direct d’un ou de plusieurs événements traumatiques survenus
à d’autres personnes
3. En apprenant qu’un ou plusieurs événements traumatiques est/sont arrivés à un
membre de la famille proche ou à un ami proche. N.B. : Dans les cas de mort effective
ou de menace de mort d’un membre de la famille ou d’un ami, le ou les événements
doivent avoir été violents ou accidentels.
4. En étant exposé de manière répétée ou extrême à des caractéristiques aversives du
ou des événements traumatiques (p. ex. Intervenants de première ligne rassemblant
des restes humains, policiers exposés à plusieurs reprises à des faits explicites d’abus
sexuels d’enfants). N.B. : Cela ne s’applique pas à des expositions par l’intermédiaire
de médias électroniques, télévision, films ou images, sauf quand elles surviennent
dans le contexte d’une activité professionnelle.
B. Présence de neuf (ou plus) des symptômes suivants de n’importe laquelle des cinq
catégories suivantes : symptômes envahissants, humeur négative, symptômes disso-
ciatifs, symptômes d’évitement et symptômes d’éveil, débutant ou s’aggravant après
la survenue du ou des événements traumatiques en cause : Symptômes envahissants

96. Dans la suite de l’ouvrage, les citations du DSM-5 sont reproduites à partir de sa traduction fran-
çaise : American Psychiatric Association (2015). DSM-5. Manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux. Paris, Elsevier-Masson.
186 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

1. Souvenirs répétitifs, involontaires et envahissants du ou des événements traumatiques


provoquant un sentiment de détresse. N.B. : Chez les enfants de plus de 6 ans, on
peut observer un jeu répétitif exprimant des thèmes ou des aspects du traumatisme.
2. Rêves répétitifs provoquant un sentiment de détresse dans lesquels le contenu et/ou
l’affect du rêve sont liés à l’événement/aux événements traumatiques. N.B. : Chez les
enfants, il peut y avoir des rêves effrayants sans contenu reconnaissable.
3. Réactions dissociatives (p. ex. Flashbacks [scènes rétrospectives]) au cours desquelles l’in-
dividu se sent ou agit comme si le ou les événements traumatiques allaient se reproduire.
(De telles réactions peuvent survenir sur un continuum, l’expression la plus extrême étant
une abolition complète de la conscience de l’environnement.) N.B. : Chez les enfants, on
peut observer des reconstitutions spécifiques du traumatisme au cours du jeu.
4. Sentiment intense ou prolongé de détresse psychique lors de l’exposition à des indices
internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect du ou des événements
traumatiques en cause. Humeur négative
5. Incapacité persistante d’éprouver des émotions positives (p. ex. Incapacité d’éprouver
bonheur, satisfaction ou sentiments affectueux). Symptômes dissociatifs
6. Altération de la perception de la réalité, de son environnement ou de soi-même
(p. ex. Se voir soi-même d’une manière différente, être dans un état d’hébétude ou per-
cevoir un ralentissement de l’écoulement du temps).
7. Incapacité de se rappeler un aspect important du ou des événements traumatiques
(typiquement en raison de l’amnésie dissociative et non pas en raison d’autres facteurs
comme un traumatisme crânien, l’alcool ou des drogues). Symptômes d’évitement
8. Efforts pour éviter les souvenirs, pensées ou sentiments concernant ou étroitement asso-
ciés à un ou plusieurs événements traumatiques et provoquant un sentiment de détresse.
9. Efforts pour éviter les rappels externes (personnes, endroits, conversations, activités,
objets, situations) qui réveillent des souvenirs, des pensées ou des sentiments associés à
un ou plusieurs événements traumatiques et provoquant un sentiment de détresse.
Symptômes d’éveil
10. Perturbation du sommeil (p. ex. Difficulté d’endormissement ou sommeil interrompu ou
agité).
11. Comportement irritable ou accès de colère (avec peu ou pas de provocation) qui s’expri-
ment typiquement par une agressivité verbale ou physique envers des personnes ou des
objets.
12. Hypervigilance.
13. Difficultés de concentration.
14. Réaction de sursaut exagérée.
C. La durée de la perturbation (des symptômes du critère B) est de 3 jours à 1 mois après
l’exposition au traumatisme. N.B. : Les symptômes débutent typiquement immédiate-
ment après le traumatisme mais ils doivent persister pendant au moins 3 jours et jusqu’à
1 mois pour répondre aux critères diagnostiques du trouble.
D. La perturbation entraîne une détresse cliniquement significative ou une altération du
fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
E. La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques d’une substance
(p. ex. Médicament ou alcool) ou à une autre affection médicale (p. ex. Lésion cérébrale
traumatique légère), et n’est pas mieux expliquée par un trouble psychotique bref.
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 187

La réaction aiguë à un facteur de stress (QE84) selon la CIM-11


La CIM-11 précise la dénomination « trouble transitoire » retenue dans la CIM-10
en indiquant que les symptômes peuvent relever du registre émotionnel, somatique,
cognitif ou comportemental et souligne que ceux-ci sont à considérer comme une
« réponse normale » au regard des événements vécus.
Autre changement significatif, là où la CIM-10 restait floue sur les événements à l’ori-
gine du tableau clinique (« un facteur de stress physique et psychique exceptionnel »),
la nouvelle version indique que l’événement ou la situation à laquelle a été exposé
le sujet a pu être de brève ou de longue durée et qu’il a été extrêmement menaçant
ou horrible (par exemple, catastrophes naturelles ou humaines, combats, accidents
graves, violences sexuelles, voies de fait).
L’absence de trouble mental et les facteurs de vulnérabilité individuels (« Trouble sur-
venant chez un individu ne présentant aucun autre trouble mental », « La survenue et
la gravité d’une réaction aiguë à un facteur de stress sont influencées par des facteurs
de vulnérabilité individuels et par la capacité du sujet à faire face à un traumatisme »)
n’ont pas été conservés dans la nouvelle mouture.
En ce qui concerne les symptômes, l’agitation, la réaction de fuite ou de fugue, l’état
« d’hébétude » caractérisé par un certain rétrécissement du champ de la conscience et
de l’attention, l’impossibilité à intégrer des stimuli, la désorientation et l’amnésie n’ap-
paraissent plus dans la réédition de la nosographie alors que la tristesse, les étourdis-
sements, la confusion, la colère, le désespoir, l’inactivité et la stupeur font leur entrée.
Alors que la CIM-10 spécifie que les symptômes « apparaissent habituellement dans les
minutes suivant la survenue du stimulus ou de l’événement stressant et disparaissent
en l’espace de 2 à 3 jours (souvent en quelques heures), la CIM-11 se montre moins pré-
cise se contentant de mentionner qu’ils commencent généralement à s’atténuer quelques
jours après l’événement ou après la disparition de la situation menaçante.

La réaction de stress aigu fait référence au développement de symptômes transitoires


émotionnels, somatiques, cognitifs ou comportementaux à la suite d’une exposition à
un événement ou à une situation (de courte ou longue durée) d’une nature extrêmement
menaçante ou horrible (par exemple, catastrophes naturelles ou humaines, combats,
accidents graves, violences sexuelles, voies de fait).
Les symptômes peuvent inclure des signes neurovégétatifs de l’anxiété (par exemple,
tachycardie, transpiration, bouffées de chaleur), étourdissements, confusion, tristesse,
anxiété, colère, désespoir, hyperactivité, inactivité, repli sur soi ou stupeur.
La réponse à l’agent de stress est considérée comme normale étant donné la gravité de
l’agent de stress et commence généralement à s’atténuer quelques jours après l’événement
ou après la disparition de la situation menaçante97.

97. https://icd.who.int/browse11/l-m/en. Traduction de l’auteur. Dans la suite de l’ouvrage, les


extraits de la CIM sont publiés avec l’autorisation de l’Organisation Mondiale de la Santé. La CIM-11
n’étant, au moment de la mise sous presse de cet ouvrage, pas encore finalisée ni traduite en français,
les extraits de la CIM-11 sont traduits par l’auteur.
188 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

3.2. Les troubles dissociatifs

3.2.1. Le DSM
La première édition du manuel, parue en 1952, fait mention, dans la catégorie des
« troubles psychonévrotiques », de « réactions dissociatives » entendues comme une désor-
ganisation importante de la personnalité. Bien que ces phénomènes puissent donner l’impres-
sion de relever de la psychose, ils apparaissent chez les sujets de structure névrotique.
Diverses expressions symptomatiques sont listées : la dépersonnalisation, la personnalité dis-
sociée, la stupeur, la fugue, l’amnésie, l’état de rêve et le somnambulisme. Le DSM-I distingue
la réaction dissociative de la « réaction de conversion » et rappelle qu’« auparavant, cette
réaction [dissociative] était répertoriée comme une forme d’“hystérie de conversion” »98.
En 1968, dans la deuxième édition du DSM, l’American Psychiatric Association réper-
torie, dans les « névroses », un tableau de « névrose hystérique de type dissociatif »
qu’elle distingue de la névrose de conversion, ainsi qu’une « névrose de déperson-
nalisation (syndrome de dépersonnalisation) ». Dans les névroses de type dissociatif
« des altérations peuvent survenir dans l’état de conscience du patient ou dans son
identité, et produire des symptômes tels que l’amnésie, le somnambulisme, la fugue, et
la personnalité multiple »99. Quant au syndrome de dépersonnalisation, il est « dominé
par un sentiment d’irréalité et d’éloignement par rapport à soi-même, à son corps ou
à l’environnement ». Le manuel précise qu’une « brève expérience de dépersonnalisa-
tion n’est pas nécessairement un symptôme pathologique ».
En 1980, le manuel DSM procède au démembrement des névroses100. Les symptômes de
dissociation sont déplacés de la classe des névroses vers une nouvelle catégorie dénom-
mée « trouble dissociatif ». Celle-ci regroupe l’amnésie psychogène, la fugue psychogène,
le trouble de personnalité multiple, le trouble de dépersonnalisation et le trouble dissocia-
tif atypique. Chacun de ces diagnostics fait l’objet d’une définition à laquelle sont adjoints
des critères précisant, par exemple, que le trouble ne peut être attribué à un abus de
substances psychoactives, à une affection organique ou à une autre pathologie mentale.
En 1994, le DSM-IV modifie les appellations de quatre des cinq troubles : l’amnésie
psychogène devient l’amnésie dissociative ; la fugue psychogène, la fugue dissocia-
tive ; le trouble de la personnalité multiple, le trouble dissociatif de l’identité (TDI) et
le trouble dissociatif atypique, le trouble dissociatif non spécifié. L’APA souligne que
« des symptômes dissociatifs figurent parmi les critères diagnostiques de l’État de
stress aigu, de l’État de stress post-traumatique et du trouble somatisation ». Si elle
reconnaît que « dans certaines classifications, le mécanisme de la conversion est consi-
déré comme un phénomène dissociant », elle opte de situer le trouble de conversion
dans le chapitre des troubles somatoformes, pour souligner qu’il est important, dans

98. Traduction de l’auteur.


99. Traduction de l’auteur.
100. Rappelons qu’en 1980, le DSM s’efforce d’effacer toute référence à une théorique spécifique. La
névrose, renvoyant aux théories psychanalytiques, disparaît de la nosographie et ses symptômes se
voient redistribués dans d’autres tableaux.
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 189

le cadre du diagnostic différentiel du Trouble de conversion, d’évoquer certaines affec-


tions neurologiques ou médicales générales. »
En 2013, dans la dernière édition du manuel, le DSM-5, l’American Psychiatric
Association apporte de nouvelles modifications significatives à la classe des troubles dis-
sociatifs. Les cinq syndromes actuellement retenus sont le trouble dissociatif de l’identité,
l’amnésie dissociative avec ou sans fugue dissociative, le trouble de dépersonnalisation/
déréalisation, l’autre trouble dissociatif spécifié et l’autre trouble dissociatif non spécifié.
Dans l’entité nosographique « trouble dissociatif de l’identité », les signes d’une per-
turbation de l’identité, repris dans le critère A, sont davantage explicités. Ce critère
souligne également que l’affection peut être décrite dans certaines cultures comme
une expérience de possession. Un critère C précisant que la perturbation entraîne une
souffrance ou une altération du fonctionnement de l’individu et un critère D stipulant
qu’elle ne peut être assimilée à des pratiques culturelles et religieuses culturellement
admises ont été adjoints. Le trouble dissociatif de l’identité survenant tardivement,
nous en présenterons le tableau dans la phase à long terme.
Dans le tableau clinique de l’amnésie dissociative, le critère A a été clarifié par une note
indiquant que l’amnésie peut être localisée ou sélective ou bien encore généralisée à
l’identité et à l’histoire de la vie du sujet. Un critère (critère C), stipulant que le trouble
entraîne une souffrance ou une altération du fonctionnement, a été ajouté. En signalant
l’impact négatif de cette amnésie, ce critère permet de la différencier des oublis conco-
mitants aux états de transe culturellement acceptés ne relevant pas de la pathologie.
Alors que le DSM-IV établissait des diagnostics spécifiques pour l’amnésie dissociative
et pour la fugue dissociative, cette deuxième est aujourd’hui considérée comme un
sous-type de la première.
Dans le DSM-IV, la déréalisation était listée dans le « trouble dissociatif non spécifié ».
Dans la cinquième version du manuel, elle rejoint le trouble de dépersonnalisation
pour former le « trouble de dépersonnalisation/déréalisation ». Les symptômes de
dépersonnalisation sont complétés et les indices de déréalisation sont spécifiés. Un
nouveau critère (critère D) indique que les troubles ne peuvent être imputés aux effets
physiologiques d’un abus d’alcool, d’un médicament ou d’une maladie.
Le DSM-IV comportait un tableau « autre trouble dissociatif non spécifié » s’appliquant
aux phénomènes dissociatifs ne satisfaisant la totalité des critères d’aucun des troubles
dissociatifs de la nosographie. Dans le DSM-5, celui-ci est divisé en deux catégories :
« autre trouble dissociatif spécifié » et « autre trouble dissociatif non spécifié ». La pre-
mière est composée de différents diagnostics : les syndromes chroniques et récurrents
de symptômes dissociatifs mixtes, la perturbation de l’identité due à des environne-
ments de persuasion coercitive intense et prolongée, les réactions dissociatives aiguës
à des événements stressants et la transe dissociative. Les « syndromes chroniques et
récurrents de symptômes dissociatifs mixtes » regroupant des signes caractéristiques
du « trouble de l’identité » correspond grosso modo au premier point de l’« autre
trouble dissociatif non spécifié » du DSM-IV et « la perturbation de l’identité due à des
environnements de persuasion coercitive intense et prolongée » au troisième point de
cette ancienne entité. Le tableau de l’« état de transe dissociatif », devenu « la transe
dissociative », a été complètement remanié. Alors que l’état de transe dissociatif était
190 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

considéré comme un état de possession propre à certaines cultures, la transe dissocia-


tive du DSM-5 est au contraire un trouble pathologique distinct des phénomènes de
transe culturelle largement admise. Les points cinq (la perte de conscience, stupeur ou
coma) et six (syndrome de Ganser) du « trouble dissociatif non spécifié » du DSM-IV
n’ont pas été retenus dans la cinquième version du manuel. Le « trouble dissociatif
non spécifié » actuel ne regroupe que les phénomènes pour lesquels des informations
manquent pour établir un diagnostic plus précis.

3.2.2. La CIM
La CIM-10 fait figurer parmi ses catégories diagnostiques un ensemble de troubles
dissociatifs dont certains sont superposables au DSM-5. Parmi ceux-ci, peuvent se
manifester dans les phases immédiates ou post-immédiates, l’amnésie dissociative,
la fugue dissociative, la stupeur dissociative, les états de transe et de possession, les
troubles moteurs dissociatifs, les convulsions dissociatives, l’anesthésie dissociative et
les atteintes sensorielles, le trouble dissociatif (de conversion) mixte, les autres troubles
dissociatifs (de conversion), le syndrome de Ganser, les troubles dissociatifs (de
conversion) transitoires survenant dans l’enfance et l’adolescence, les autres troubles
de dissociation (troubles de conversion) et le trouble dissociatif (de conversion, sans
précision). Quant au trouble de personnalité multiple, il survient dans la phase à long
terme.
Dans sa nouvelle édition prévue en 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé
apporte des modifications significatives aux troubles dissociatifs. La catégorie
dédiée, dénommée antérieurement « Troubles dissociatifs [de conversion] », devient
« Troubles dissociatifs ». Le terme « conversion », issu des théories sur l’hystérie,
a été supprimé en raison de sa référence à la psychanalyse. Les entités « troubles
moteurs dissociatifs », « convulsions dissociatives », « anesthésie dissociative et
les atteintes sensorielles » ainsi que les différents troubles dissociatifs (de conver-
sion) ont disparu au profit d’un syndrome plus large « le trouble neurologique
dissociatif ». Le tableau clinique de l’amnésie dissociative a été conservé mais légère-
ment remanié. Il n’est plus question de mémoire mais de souvenir et l’amnésie peut
apparaître après un événement traumatisant mais également après un événement
stressant. La fugue dissociative n’est plus un diagnostic à part entière. Il est possible
qu’elle soit reprise dans l’amnésie dissociative comme c’est le cas dans le DSM-5
(amnésie dissociative avec ou sans fugue dissociative). L’ensemble « les états de
transe et de possession » ont été scindés en deux diagnostics distincts : L’état de
transe » et « la transe de possession ». La stupeur dissociative n’est plus citée mais
le trouble de dépersonnalisation-déréalisation fait son apparition. Pour les troubles
survenant à long terme, signalons que le trouble dissociatif de l’identité et le trouble
dissociatif partiel de l’identité ont remplacé les personnalités multiples101. Par ces
différents changements, la nouvelle nosographie des troubles dissociatifs de l’OMS
se rapproche davantage des syndromes proposés par le DSM-5.

101. Voir sur le site du WHO, ICD11, https://icd.who.int/browse11/l-m/en


Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 191

Troubles dissociatifs 300.12 (F44.0) selon le DSM-5


Amnésie dissociative
Critères diagnostiques 300.12 (F44.0)
A. Incapacité de se rappeler des informations autobiographiques importantes, habituelle-
ment traumatiques ou stressantes, qui ne peut pas être un oubli banal. N.B. : L’amnésie
dissociative consiste en une amnésie localisée ou sélective pour un ou plusieurs événe-
ments spécifiques ; ou bien en une amnésie globale de son identité et de son histoire
B. Les symptômes sont à l’origine d’une détresse cliniquement significative ou d’une alté-
ration du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
C. La perturbation n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance
(p. ex. L’alcool ou d’autres drogues donnant lieu à un abus, un médicament) ou à
une autre affection neurologique ou médicale (p. ex. Des crises comitiales partielles
complexes, une amnésie globale transitoire [ictus amnésique], les séquelles d’un trau-
matisme crânien ou cérébral fermé, une autre maladie neurologique).
D. La perturbation ne s’explique pas mieux par un trouble dissociatif de l’identité, un
trouble stress post-traumatique, un trouble stress aigu, un trouble à symptomatologie
somatique, un trouble neurocognitif majeur ou léger.
Note de codage : Le code de l’amnésie dissociative sans fugue dissociative est 300.12
(F44.0). Le code de l’amnésie dissociative avec fugue dissociative est 300.13 (F44.1).
Spécifier si : 300.13 (F44.1)
Avec fugue dissociative : Voyage apparemment intentionnel ou errance en état
de perplexité associés à une amnésie de son identité ou d’autres informations
autobiographiques importantes.
Dépersonnalisation/déréalisation 300.6 (F48.1) selon le DSM-5
A. Expériences prolongées ou récurrentes de dépersonnalisation, de déréalisation, ou
bien des deux :
1. Dépersonnalisation : Expériences d’irréalité, de détachement, ou bien d’être un obser-
vateur extérieur de ses propres pensées, de ses sentiments, de ses sensations, de son
corps ou de ses actes (p. ex. Altérations perceptives, déformation de la perception du
temps, impression d’un soi irréel ou absent, indifférence émotionnelle et/ou engour-
dissement physique).
2. Déréalisation : Expériences d’irréalité ou de détachement du monde extérieur
(p. ex. Les personnes ou les objets sont ressentis comme étant irréels, perçus comme
dans un rêve, dans un brouillard, sans vie ou bien visuellement déformés).
B. Pendant les expériences de dépersonnalisation ou de déréalisation, l’appréciation de
la réalité demeure intacte.
C. Les symptômes sont à l’origine d’une détresse cliniquement significative ou d’une alté-
ration du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
D. La perturbation n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance (p. ex.
Une drogue donnant lieu à un abus, un médicament) ou à une autre affection médi-
cale (p. ex. Des crises comitiales).
192 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

E. La perturbation n’est pas mieux expliquée par un autre trouble mental, comme une
schizophrénie, un trouble panique, un trouble dépressif caractérisé, un trouble stress
aigu, un trouble stress post-traumatique ou un autre trouble dissociatif.

Autre trouble dissociatif spécifié 300.15 (F44.89)


selon le DSM-5
Cette catégorie s’applique aux tableaux cliniques où prédominent des symptômes
caractéristiques d’un trouble dissociatif, entraînant une détresse cliniquement significative
ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines
importants, sans toutefois remplir complètement les critères de l’un des troubles
du chapitre des troubles dissociatifs. La catégorie « autre trouble dissociatif spécifié »
est utilisée dans des situations où le clinicien choisit de communiquer la raison particulière
pour laquelle le tableau clinique ne remplit les critères d’aucun trouble spécifique de
ce chapitre. Cela se fait en enregistrant « autre trouble dissociatif spécifié » suivi de la
raison particulière (p. ex. « Transe dissociative »). Des exemples de tableaux cliniques
qui peuvent être qualifiés par la désignation « autre trouble spécifié » sont les suivants :
1. Syndromes chroniques et récurrents de symptômes dissociatifs mixtes : Cette catégo-
rie inclut des perturbations de l’identité associées à des failles non graves dans le sens
du soi et de l’agentivité, ou à des altérations de l’identité ou à des épisodes de posses-
sion chez une personne qui ne rapporte pas une amnésie dissociative.
2. Perturbations de l’identité dues à des environnements de persuasion coercitive
intense et prolongée : Les personnes qui ont été soumises à des environnements de
persuasion coercitive intense (p. ex. Lavage de cerveau, rééducation idéologique,
endoctrinement chez des prisonniers, torture, emprisonnement politique prolongé)
peuvent présenter des modifications durables ou des questionnements conscients
concernant leur identité.
3. Réactions dissociatives aiguës à des événements stressants : Cette catégorie s’adresse
à des situations aiguës et transitoires qui durent typiquement moins d’un mois, et par-
fois seulement quelques heures ou quelques jours. Ces situations sont caractérisées
par une restriction du champ de conscience, de la dépersonnalisation, de la déréalisa-
tion, des perturbations des perceptions (p. ex. Ralentissement du temps, macropsie),
des micro-amnésies, une stupeur transitoire et/ou des altérations du fonctionnement
sensori-moteur (p. ex. Analgésie, paralysie).
4. Transe dissociative : Cette situation est caractérisée par une restriction aiguë ou une
perte complète de la conscience de son environnement immédiat, ce qui se manifeste
par un manque profond de réactivité ou une insensibilité aux stimuli environnemen-
taux. Ce manque de réactivité peut être accompagné par des comportements stéréo-
typés mineurs (p. ex. Mouvements des doigts) dont la personne n’est pas consciente
ou qu’elle ne peut pas contrôler, ainsi que par des paralysies ou une perte de connais-
sance transitoire. La transe dissociative ne fait pas partie des pratiques religieuses ou
culturelles collectives généralement admises.
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 193

Trouble dissociatif non spécifié 300.15 (F44.9)


selon le DSM-5
Cette catégorie s’applique aux tableaux cliniques où prédominent des symptômes
caractéristiques d’un trouble dissociatif, entraînant une détresse cliniquement significative
ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines
importants, sans toutefois remplir complètement les critères de l’un des troubles du
chapitre des troubles dissociatifs. La catégorie « trouble dissociatif non spécifié » est
utilisée dans des situations où le clinicien choisit de ne pas spécifier la raison particulière
pour laquelle les critères d’aucun trouble dissociatif spécifique ne sont remplis, et inclut
des tableaux cliniques où l’information est insuffisante pour porter un diagnostic plus
spécifique (p. ex. Aux urgences)

Troubles dissociatifs (de conversion) (F44)


selon la CIM-10102
Les divers troubles dissociatifs (ou de conversion) ont en commun une perte partielle
ou complète des fonctions normales d’intégration des souvenirs, de la conscience de
l’identité ou des sensations immédiates et du contrôle des mouvements corporels. Toutes
les variétés de troubles dissociatifs ont tendance à disparaître après quelques semaines
ou mois, en particulier quand leur survenue est associée à un événement traumatique.
L’évolution peut également se faire vers des troubles plus chroniques, en particulier des
paralysies et des anesthésies, quand la survenue du trouble est liée à des problèmes ou des
difficultés interpersonnelles insolubles. Dans le passé, ces troubles ont été classés comme
divers types d’hystérie de conversion. On admet qu’ils sont psychogènes, dans la mesure
où ils surviennent en relation temporelle étroite avec des événements traumatiques, des
problèmes insolubles et insupportables, ou des relations interpersonnelles difficiles. Les
symptômes traduisent souvent l’idée que se fait le sujet du tableau clinique d’une maladie
physique. L’examen médical et les examens complémentaires ne permettent pas de
mettre en évidence un trouble physique (en particulier neurologique) connu. Par ailleurs,
on dispose d’arguments pour penser que la perte d’une fonction est, dans ce trouble,
l’expression d’un conflit ou d’un besoin psychique. Les symptômes peuvent se développer
en relation étroite avec un facteur de stress psychologique et ils surviennent souvent
brusquement. Seuls les troubles impliquant soit une perturbation des fonctions physiques
normalement sous le contrôle de la volonté, soit une perte des sensations sont inclus ici.
Les troubles impliquant des manifestations douloureuses ou d’autres sensations physiques
complexes faisant intervenir le système nerveux autonome, sont classés parmi les troubles
somatoformes (F45.0). La possibilité de survenue, à une date ultérieure, d’un trouble
physique ou psychiatrique grave, doit toujours être gardée à l’esprit.

102. Publié avec l’autorisation de l’Organisation Mondiale de la Santé.


194 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

F44.0 Amnésie dissociative


La caractéristique essentielle est une perte de la mémoire, concernant habituellement
des événements importants récents, non due à un trouble mental organique, et trop
importante pour être mise sur le compte d’une simple « mauvaise mémoire » ou d’une
fatigue. L’amnésie concerne habituellement des événements traumatisants, tels que des
accidents ou des deuils imprévus et elle est le plus souvent partielle et sélective. Une
amnésie complète et généralisée est rare, et elle accompagne habituellement une fugue
(F44.1) ; dans ce cas, on doit faire un diagnostic de fugue.
F44.1 Fugue dissociative
La fugue dissociative présente toutes les caractéristiques d’une amnésie dissociative et
comporte, par ailleurs, un déplacement, en apparence motivé, dépassant le rayon du
déplacement quotidien habituel. Bien qu’il existe une amnésie pour la période de la fugue,
le comportement du sujet au cours de cette dernière peut paraître parfaitement normal à
des observateurs indépendants.
F44.2 Stupeur dissociative
Le diagnostic de stupeur repose sur la présence d’une diminution importante ou d’une absence
des mouvements volontaires et d’une réactivité normale à des stimuli externes tels que la
lumière, le bruit, ou le toucher, mais l’examen clinique et les examens complémentaires ne
mettent en évidence aucun élément en faveur d’une cause physique. Par ailleurs, on dispose
d’arguments en faveur d’une origine psychogène du trouble, dans la mesure où il est possible
de mettre en évidence des événements ou des problèmes stressants récents.
F44.3 États de transe et de possession
Troubles caractérisés par une perte transitoire de la conscience de sa propre identité,
associée à une conservation parfaite de la conscience du milieu environnant. Sont à inclure
ici uniquement les états de transe involontaires ou non désirés, survenant en dehors de
situations admises dans le contexte religieux ou culturel du sujet.
F44.4 Troubles moteurs dissociatifs
Dans les formes les plus fréquentes de ces troubles, il existe une perte de la capacité à bouger
une partie ou la totalité d’un membre ou de plusieurs membres. Les manifestations de ce
trouble peuvent ressembler à celles de pratiquement toutes les formes d’ataxie, d’apraxie,
d’akinésie, d’aphonie, de dysarthrie, de dyskinésie, de convulsions ou de paralysie.
F44.5 Convulsions dissociatives
Les convulsions dissociatives peuvent ressembler très étroitement aux mouvements que
l’on observe au cours d’une crise épileptique ; toutefois, la morsure de la langue, les
blessures dues à une chute ou la perte des urines sont rares ; par ailleurs, le trouble peut
s’accompagner d’un état de stupeur ou de transe, mais il ne s’accompagne pas d’une perte
de la conscience.
F44.6 Anesthésie dissociative et atteintes sensorielles
Les limites des territoires cutanés anesthésiés correspondent plus aux conceptions
personnelles du patient sur le fonctionnement du corps qu’à des connaissances médicales.
Il peut y avoir atteinte de certains types de sensibilité, avec conservation des autres,
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 195

ne correspondant à aucune lésion neurologique connue. La perte de sensibilité peut


s’accompagner de paresthésies. La perte de la vision ou de l’audition est rarement totale
dans les troubles dissociatifs.
F44.7 Trouble dissociatif (de conversion) mixte

Association de troubles précisés en F44.0-F44.6


F44.8 Autres troubles dissociatifs (de conversion) F44.80 Syndrome de Ganser
F44.81 (Trouble de) personnalité multiple
F44.82 Troubles dissociatifs (de conversion) transitoires survenant dans l’enfance et
l’adolescence
F44.88 Autres troubles de dissociation (troubles de conversion)
F44.9 Trouble dissociatif (de conversion, sans précision)

Les troubles dissociatifs selon la CIM-11103


Les troubles dissociatifs se caractérisent par une perturbation ou une discontinuité
involontaires dans l’intégration normale d’un ou plusieurs des éléments suivants : identité,
sensations, perceptions, affects, pensées, souvenirs, contrôle des mouvements corporels
ou du comportement. La perturbation ou la discontinuité peut être complète, mais elle est
généralement partielle et peut varier d’un jour à l’autre, voire d’une heure à l’autre. Les
symptômes des troubles dissociatifs ne sont pas dus aux effets directs d’un médicament ou
d’une substance, y compris les effets de sevrage, ne sont pas mieux expliqués par un autre
trouble mental, comportemental ou neurodéveloppemental, un trouble veille-sommeil, une
maladie du système nerveux ou un autre problème de santé et ne font pas partie d’une
pratique culturelle, religieuse ou spirituelle acceptée. Les symptômes dissociatifs dans les
troubles dissociatifs sont suffisamment graves pour entraîner une altération significative du
fonctionnement personnel, familial, social, éducatif, professionnel ou autre.
Le trouble neurologique dissociatif (6B60)
Le trouble neurologique dissociatif se caractérise par la présentation de symptômes moteurs,
sensoriels ou cognitifs qui impliquent une discontinuité involontaire dans l’intégration
normale des fonctions motrices, sensorielles ou cognitives et qui ne sont pas compatibles avec
une maladie reconnue du système nerveux, un autre trouble mental ou du comportement ou
un autre problème de santé. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d’un
autre trouble dissociatif et ne sont pas dus aux effets d’une substance ou d’un médicament
sur le système nerveux central, y compris les effets de sevrage, ni à un trouble veille-sommeil.

103. Traduction de l’auteur, https://icd.who.int/browse11/l-m/en.


196 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

L’amnésie dissociative (6B61)


L’amnésie dissociative se caractérise par une incapacité à rappeler d’importants souvenirs
autobiographiques, typiquement d’événements récents traumatisants ou stressants, qui ne
concordent pas avec l’oubli ordinaire. L’amnésie ne se produit pas exclusivement pendant
un autre trouble dissociatif et n’est pas mieux expliquée par un autre trouble mental,
comportemental ou neurodéveloppemental. L’amnésie n’est pas due aux effets directs
d’une substance ou d’un médicament sur le système nerveux central, y compris les effets de
sevrage, et n’est pas due à une maladie du système nerveux ou à un traumatisme crânien.
L’amnésie entraîne des déficiences importantes sur le plan personnel, familial, social,
éducatif, professionnel ou dans d’autres domaines importants du fonctionnement.
Le trouble de transe (6B62)
Le trouble de transe se caractérise par des états de transe dans lesquels il y a une altération
marquée de l’état de conscience de l’individu ou une perte de son sens usuel de l’identité
personnelle au cours de laquelle l’individu expérimente un rétrécissement de la conscience
de son environnement immédiat ou une focalisation inhabituelle et sélective sur les stimuli
environnementaux et la restriction des mouvements, des postures et de la parole à la
répétition d’un petit répertoire qui est ressenti comme étant hors de contrôle. L’état de
transe n’est pas caractérisé par l’expérience de remplacement par une identité alternative.
Les épisodes de transe sont récurrents ou, si le diagnostic repose sur un seul épisode,
l’épisode dure depuis au moins plusieurs jours. L’état de transe est involontaire et non
désiré et n’est pas accepté comme faisant partie d’une pratique culturelle ou religieuse
collective. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement pendant un autre trouble
dissociatif et ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental, comportemental ou
neurodéveloppemental. Les symptômes ne sont pas dus aux effets directs d’une substance
ou d’un médicament sur le système nerveux central, y compris des effets de sevrage,
d’épuisement ou liés à des états hypnagogiques ou hypnopompiques, et ne sont pas dus
à une maladie du système nerveux, à un traumatisme crânien ou ou à un trouble veille-
sommeil. Les symptômes entraînent une détresse significative ou une altération significative
du fonctionnement personnel, familial, social, éducatif, professionnel ou autre.
Le trouble de transe de possession (6B63)
Le trouble de transe de possession se caractérise par des états de transe dans lesquels il y
a une altération marquée de l’état de conscience de l’individu, le sens habituel de l’identité
personnelle de l’individu étant remplacé par une identité externe « possessive », et dans
lesquels les comportements ou mouvements de l’individu sont vécus comme contrôlés par
l’agent possessif. Les épisodes de transe de possession sont récurrents ou, si le diagnostic
repose sur un seul épisode, l’épisode a duré au moins plusieurs jours. L’état de transe de
possession est involontaire et non désiré et n’est pas accepté comme faisant partie d’une
pratique culturelle ou religieuse collective. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement
lors d’un autre trouble dissociatif et ne s’expliquent pas mieux par un autre trouble mental,
comportemental ou neurodéveloppemental. Les symptômes ne sont pas dus aux effets directs
d’une substance ou d’un médicament sur le système nerveux central, y compris les effets de
sevrage, l’épuisement ou les états hypnagogiques ou hypnopompiques, et ne sont pas dus
à une maladie du système nerveux ou à un trouble du sommeil. Les symptômes entraînent
une détresse importante ou une déficience importante sur le plan personnel, familial, social,
éducatif, professionnel ou dans d’autres domaines importants du fonctionnement.
Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internationales ■ 197

Le trouble de dépersonnalisation-déréalisation (6B66)


Le trouble de dépersonnalisation-déréalisation se caractérise par des expériences persistantes
ou récurrentes de dépersonnalisation, de déréalisation ou des deux. La dépersonnalisation
se caractérise par l’expérience de soi comme étrange ou irréelle, ou par le sentiment
d’être détaché de ses pensées, sentiments, sensations, corps ou actions, ou comme si on
était un observateur extérieur de ceux-ci. La déréalisation se caractérise par l’expérience
d’autres personnes, d’objets ou du monde comme étant étrange ou irréel (par exemple,
comme dans un rêve, lointain, brumeux, sans vie, sans couleur ou visuellement déformé)
ou par un sentiment de détachement de son environnement. Pendant les expériences de
dépersonnalisation ou de déréalisation, le test de réalité reste intact. Les expériences de
dépersonnalisation ou de déréalisation ne se produisent pas exclusivement au cours d’un
autre trouble dissociatif et ne sont pas mieux expliquées par un autre trouble mental,
comportemental ou neurodéveloppemental. Les expériences de dépersonnalisation ou de
déréalisation ne sont pas dues aux effets directs d’une substance ou d’un médicament sur le
système nerveux central, y compris les effets de sevrage, et ne sont pas dues à une maladie
du système nerveux ou à un traumatisme crânien. Les symptômes entraînent une détresse
ou une déficience importante sur le plan personnel, familial, social, éducatif, professionnel
ou dans d’autres domaines importants du fonctionnement.
Autres troubles dissociatifs spécifiés (6B6Y)
Autres troubles dissociatifs, non spécifiés (6B6Z)

Résumé
1 Face à une situation pénible ou effrayante, certaines victimes réagissent par un stress
adapté. Elles répondent alors efficacement aux exigences de la situation dangereuse
en adoptant des comportements adéquats. On parle de « queue de stress » lorsque
les réactions qui accompagnent leur stress adaptatif ne s’interrompent pas immédiate-
ment une fois le danger écarté, mais s’éteignent progressivement au cours des heures,
voire des jours suivants. On appelle « stress différé » la libération d’énergie manifestée,
une fois la sécurité retrouvée, par les victimes qui, durant le déroulement des faits, ont
dû réprimer les réactions dictées par leur stress.
2 Généralement, les sujets manifestent des réactions de stress dépassé sous forme d’état
de choc ou d’agitation, voire de réactions mécaniques dont l’apparente normalité est
souvent trompeuse. Ces réactions sont marquées par la détresse péri-traumatique
(perception d’une menace vitale, émotions dysphoriques intenses) et les symptômes
dissociatifs (amnésie, stupeur, troubles somatoformes, dépersonnalisation, déréalisa-
tion, actions automatiques, distorsion temporelle), tous deux étroitement corrélés à
l’apparition d’un trouble psychotraumatique ultérieur.
3 Les sujets prédisposés peuvent déclencher des troubles psychopathologiques névro-
tiques (hystériques, phobiques ou obsessionnels) ou des désordres psychotiques
(trouble réactionnel post-traumatique, trouble psychotique bref, bouffées délirantes ou
autres affections psychotiques vraies).
198 ■ CHAPITRE 10 – La phase aiguë

4 Les événements délétères sont susceptibles d’induire précocement des altérations de


la relation à soi et à autrui (par exemple, avec l’agresseur comme dans le syndrome
de Stockholm).
5 Ces réactions disparaissent souvent au bout de quelques jours ou de quelques semaines.
Cependant, certaines victimes voient leurs troubles persister et d’autres commencent
à souffrir de symptômes préfigurant un syndrome psychotraumatique. D’autres encore
vont inaugurer ou confirmer une psychopathologie névrotique ou psychotique.
6 Un syndrome post-traumatique peut apparaître rapidement après l’événement critique.
Il se caractérise par la reviviscence de l’événement adverse sous forme de symptômes
intrusifs (flash-back, souvenirs répétitifs, cauchemars, impression que l’événement
pourrait se renouveler, phénomènes moteurs élémentaires, conduite de répétition,
détresse et réactivité physiologique à l’exposition d’indices rappelant l’événement), par
l’émoussement de la réactivité générale (désintérêt pour l’entourage et les activités) et
l’évitement des stimuli qui lui sont associés (lieux, personnes, conversations, pensées
et sentiments) ainsi que par une hyperactivation neurovégétative.

? Vérifiez vos connaissances


1 Citez et détaillez les trois modes réactionnels du stress dépassé.
2 Quels sont les symptômes immédiats les plus prédictifs d’un trouble psychotraumatique
ultérieur ?
3 Nommez et définissez trois symptômes intrusifs.
4 Dans le décours d’un incident critique, les victimes manifestent fréquemment des
troubles non spécifiques aux syndromes post-traumatiques. Quels sont les plus
fréquents ?
5 Le DSM-5 et la CIM-10 répertorient des entités diagnostiques se rapportant aux réac-
tions psychotraumatiques manifestées dans le décours d’un événement potentielle-
ment traumatisant. Comment se nomment-elles ?
CHAPITRE 11

La phase à long
1

terme
« Depuis son arrestation, Pannonique avait de Dieu un besoin atroce.
Elle avait faim de l’insulter jusqu’à plus soif. Si seulement elle avait pu tenir
une présence supérieure pour responsable de cet enfer, elle aurait eu le réconfort
de pouvoir la haïr de toutes ses forces et l’accabler des injures les plus violentes.
Hélas, la réalité incontestable du camp était la négation de Dieu : l’existence
de l’un entraînait inéluctablement l’inexistence de l’autre. On ne pouvait même
plus y réfléchir : l’absence de Dieu était établie.
Il était insoutenable de n’avoir personne à qui adresser une telle haine.
Il naissait de cet état une forme de folie. Haïr les hommes ? Cela n’avait pas de sens.
L’humanité était ce grouillement disparate, cet absurde supermarché qui vendait
n’importe quoi et son contraire. Haïr l’humanité revenait à haïr une encyclopédie
universelle : il n’y avait pas de remède à cette exécration-là. »
Amélie Nothomb, Acide sulfurique

SOMMAIRE

1. Les syndromes psychotraumatiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200


2. Les psychopathologies. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
3. Les syndromes psychotraumatiques
selon les nosographies internationales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
200 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

La phase à long terme s’amorce en moyenne un mois après


la situation traumatogène et se prolonge plusieurs mois, voire
plusieurs années selon les individus et le type d’événement.

Au bout de quelques jours ou de quelques semaines, les signes pathognomo-


niques du traumatisme et les symptômes non spécifiques apparus dans les premières
semaines suivant l’événement pénible ou effrayant vont soit disparaître soit se perpé-
tuer. Les psychopathologies névrotique ou psychotique peuvent également se confir-
mer chez les individus les plus fragiles.

1. Les syndromes psychotraumatiques


La persistance des réactions au-delà d’un mois après l’incident critique, voire
l’apparition de signes supplémentaires ou plus intenses, fait suspecter l’apparition
d’un véritable traumatisme psychique et l’évolution vers la chronicité. Passé le cap de
trois mois, on parle de traumatisme « chronique ». Si les symptômes surgissent plus
de six mois après la situation critique, par exemple à la faveur d’un stress important
ou d’une exposition à un événement qui évoque directement ou symboliquement
la scène initiale1, on dit du traumatisme qu’il est « différé ». Des études menées en
1974 et 1986 sur les rescapés de l’inondation de Buffalo Creek survenue en Virginie
occidentale en 1972 révèlent que 11 % des sujets asymptomatiques en 1974, deux
ans après le drame, présentaient des troubles quatorze ans plus tard, en 1986, ce
qui suggère que les syndromes post-traumatiques peuvent être différés ou cycliques
(Green et al., 1990).
Lorsque l’explosion de la symptomatologie est tardive, les victimes n’établissent géné-
ralement pas le lien avec les traumatismes qu’elles ont vécus. Notons cependant que
l’événement déclencheur n’active le plus souvent qu’un syndrome psychotraumatique
évoluant à bas bruit (forme dite sub-syndromique ou pauci-symptomatique). En effet,
dans nombre de cas, les personnes manifestaient préalablement des signes de souf-
france. Elles les minimisaient parce qu’elles les considéraient normaux au regard des
événements vécus, elles les taisaient en raison de leurs sentiments de honte ou pour
préserver leur entourage du fardeau de leurs difficultés, elles s’en accommodaient au
prix de quelques évitements (activité intense pour échapper aux pensées intrusives,
évitement d’activités ou de lieux évocateurs de l’événement traumatique, restriction
de l’activité sexuelle, etc.) et affichaient ainsi une normalité trompeuse.

1. Par exemple, rupture sentimentale, nouvelle relation amoureuse, accident ou maladie grave du
sujet ou d’un de ses proches, deuil d’un proche, perte d’emploi, etc.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 201

Les circonstances sont susceptibles de retarder l’éclosion du tableau traumatique.


Nous l’avons vu, les blessés présentent généralement peu ou pas de symptômes post-
traumatiques dans le décours immédiat des événements. L’attention, les soins et la
mobilisation psychique exercés par les sensations douloureuses apporteraient une
diversion qui ajournerait la confrontation au traumatisme. Les syndromes différés
sont également fréquents lorsque les individus sont confrontés à un danger permanent.
Les soldats sur le front, les civils soumis au siège d’une ville, les réfugiés sur les che-
mins de l’exode ou les conjoints maltraités exposés à des périls sans cesse renouvelés
donnent priorité à leur survie. Dans une moindre mesure, il en est de même pour toute
victime devant assurer seule sa subsistance et celle de ses proches, en particulier de
ses enfants. Lorsque le monde fourmille de menaces pour l’intégrité physique de la
personne, de sa famille ou de la communauté, l’élaboration psychique des trauma-
tismes et des deuils est postposée. Ce processus consumerait l’énergie indispensable
pour affronter les dangers et les défis du quotidien. Le psychiatre suisse Jean-Claude
Métraux (1997) parle de deuils congelés. Leur dégel ne se produit qu’une fois la sécu-
rité retrouvée. Il est toutefois rarement immédiat, car des menaces subjectives peuvent
subsister longtemps. Par ailleurs, lorsque les pertes (de proches, de biens, de la santé,
de la vision du monde et du sens donné à la vie, etc.) sont abondantes, comme c’est le
cas par exemple dans les contextes de guerre, un dégel précipité pourrait entraîner des
conséquences néfastes pour l’individu.
Caroline nous raconte son histoire : « Dans ma famille, il y a eu une série de morts
inattendues, inexplicables et brutales, des morts de gens jeunes, des morts préma-
turées, et tous ces décès se sont succédé de six semaines en six semaines. D’abord,
mon père est décédé puis, six semaines après, ma sœur est décédée d’une manière
incompréhensible. Elle est tombée dans le coma et elle est morte on ne sait même
pas de quoi. J’ai perdu une alliée. Mon mari a fait faillite au début de ma grossesse
et il m’a quittée. Mon fils, c’était un accident. On avait décidé ma sœur et moi de
vivre ensemble pour s’entraider. Elle est morte… En plus de cette douleur de l’avoir
perdue, ce sont tous les projets que je devais réaliser avec elle qui se sont cassés
la gueule. Puis, six semaines après, c’est ma belle-sœur qui est décédée. Elle était
enceinte, elle a fait une amniocentèse, elle a attrapé un virus et elle est morte en
quatre jours. Moi aussi, j’étais enceinte et six semaines après la mort de ma belle-
sœur, j’ai failli mourir pendant l’accouchement. J’ai perdu beaucoup de sang. On a dû
faire appel à sept donneurs (de sang). J’ai un sang rare et on n’était pas sûr de trou-
ver assez de sang. Six semaines après, on a appris que mon frère avait un cancer. Et
moi, j’ai tenu le coup. Je ne me suis pas effondrée tout de suite parce que je portais
ma mère. Elle était figée dans sa souffrance. Son mari qui était mort, sa fille qui était
morte, son fils qui allait mourir, moi qui avais failli mourir, et tout ça en trois mois,
ça faisait beaucoup… Tout reposait sur mes épaules. Il fallait que je travaille pour
subvenir aux besoins de ma famille. J’ai mis tout ça au frigo. Il fallait que je tienne
parce que si moi je m’écroulais, ma mère s’écroulait. J’ai vécu six ans chez ma mère.
C’est arrivé (les angoisses, les reviviscences) quand je suis partie vivre seule. Je ne
devais plus la porter et là, je me suis écroulée. »
Amboise, rescapé du séisme en Haïti, nous dit : « J’ai tous ces souvenirs… Avec le
tremblement de terre, il y a une station essence qui a explosé. Il y avait beaucoup
de gens dans un camion juste à côté. Ça s’est passé ici, tout près de l’hôpital. Les
202 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

brûlés sont arrivés ici. Tu ne peux même pas t’imaginer ! Il y en a qui étaient brûlés
comme des poulets. Cette odeur… Et ils suppliaient parce qu’ils avaient soif… Quand
tu passais à côté d’eux, ils s’accrochaient à tes vêtements… Parfois, ça laissait des
morceaux de chair sur tes vêtements… Et tous les camions qui viennent prendre les
cadavres… Les chiens qui mangent les cadavres… Ça me fait du tort de parler de ça.
Je ne veux plus parler de ça. On a besoin de moi ici, à l’hôpital et ma famille a besoin
de moi. Si je pense à ça, je ne pourrai plus travailler et j’ai beaucoup de responsabi-
lités. Je ne peux pas arrêter de travailler. Je dois faire vivre ma famille. On a tout
perdu. Alors, c’est parce que mon collègue t’a demandé de venir me parler que je
t’explique sinon je ne veux pas penser à tout ça maintenant. On verra ça plus tard.
Je sais que ça va revenir. On appelle ça le traumatisme. Je sais que je suis traumatisé,
mais je ne peux pas penser à ça maintenant. »

Des personnes victimes de violence répétée déclenchent parfois un syndrome psy-


chotraumatique après une longue période asymptomatique. Dans ce cas, les troubles
peuvent être liés à la réactivation des traumatismes antérieurs ou être le fruit d’une
reconstruction mentale après-coup. En effet, les représentations que nous avons des
événements vécus sont perpétuellement en remaniement. Tout au long de notre vie,
elles s’actualisent en s’éclairant de nouvelles données. À mesure que les circonstances
de la vie changent, nous révisons le récit de notre histoire en cherchant à lui donner
une nouvelle cohérence. Pour s’en convaincre, il suffit de penser aux personnes abu-
sées sexuellement dans leur enfance ou aux jeunes femmes violentées par un premier
conjoint. Plus les victimes évoluent, plus elles peuvent souffrir de s’en être laissé
compter. Il n’est pas rare qu’elles se culpabilisent ultérieurement, s’accusant de ne pas
avoir tenté de faire cesser les violences ou de les avoir tues. Cette culpabilité est géné-
ralement largement postérieure aux événements traumatiques. Les connaissances et
les ressources acquises au cours du temps travestissent le vécu de la jeune personne
qu’elles furent (vulnérable physiquement, ignorante, dépendante affectivement, inca-
pable d’assurer sa propre survie, etc.).
Julie, victime de violence conjugale, nous narre ses déboires : « Je croyais que c’était
normal. Je croyais que c’était comme ça partout. Vous savez, je venais d’une famille
où on ne parlait pas. Alors, je ne savais rien de l’amour, des relations sexuelles, des
relations de couple. Je ne savais rien, j’étais une petite oie blanche ! Quand mon
mari me disait : “C’est normal, c’est comme ça que ça doit se passer, c’est comme
ça dans tous les couples”, eh bien, je le croyais. J’étais passée de la maison de mes
parents où je n’avais pas intérêt à discuter à celle de mon mari où je n’avais pas
intérêt à discuter. Avec mon père, quand c’était comme ça, c’était comme ça, on ne
discutait pas. La différence, c’est que mon père m’aimait et qu’il a vraiment fait de
son mieux même s’il a souvent été maladroit. Mais, bon, il était d’une autre époque,
on ne discutait pas, on ne montrait pas ses sentiments, mais en tout cas, il voulait
mon bien. Quand je me suis mariée, j’étais jeune, je ne connaissais rien à la vie.
J’étais une gamine. Et quand il a commencé à me battre, il me disait que c’était de ma
faute. Je le croyais et j’essayais de m’améliorer. Et comme une idiote, je continuais
de l’aimer, c’était mon Dieu. Qu’est-ce que j’ai pu être stupide ! Il m’a fallu vingt ans
pour me rendre compte de la situation et encore cinq ans de plus pour le quitter !
Mais vous savez, je ne peux même pas dire que je souffrais à ce moment-là, à part
les trois ou quatre dernières années. Mais même les dernières années, ce n’était pas
Les syndromes psychotraumatiques ■ 203

comme maintenant. Je dirais qu’à l’époque, j’étais triste de la situation. Vous n’allez
pas me croire, mais c’est vrai. C’est venu beaucoup plus tard, c’est venu quand
j’ai rencontré Denis. Là, j’ai vu qu’un couple, ce n’était pas ce que j’avais vécu et
alors que j’étais bien avec Denis, j’ai commencé à ruminer mon histoire avec mon
premier mari. Tout est revenu, tout ce que j’avais enfoui est revenu ! Les humilia-
tions, les gifles, les coups, tout ! J’ai commencé à avoir des cauchemars et des crises
d’angoisse et à m’en vouloir à crever de ne pas l’avoir quitté plus tôt. C’est idiot,
mais c’est comme ça. »

Le syndrome psychotraumatique recouvre un large éventail de tableaux cliniques


s’étendant des formes pauci-symptomatiques aux cas sévères organisés en névrose
traumatique en passant par les états modérés. La gravité doit être évaluée autant par
rapport au nombre de symptômes que par rapport à leur intensité et leur fréquence.
En effet, un sujet peut présenter de nombreux troubles de faible intensité ou ne mani-
fester que quelques symptômes, mais très pénibles et incommodants.
Les syndromes post-traumatiques connaissent des évolutions diverses :
• Certaines personnes présentent des séquelles traumatiques en permanence.
En fonction de la gravité des symptômes, elles s’en accommodent ou les
endurent.
• D’autres souffrent de troubles de manière intermittente, par phases d’inten-
sité et de durée variables entrecoupées de périodes de répit plus ou moins
longues. Au cours du temps, les symptômes peuvent rester stables, s’atté-
nuer ou s’aggraver. Le regain des troubles est fréquent après un événement
signifiant lié au traumatisme (par exemple, libération de l’agresseur), une
épreuve douloureuse (deuil, divorce, etc.) ou une interruption de la vie pro-
fessionnelle privant le sujet de ses activités de dérivation (chômage, mise à la
retraite, etc.).
Mireille, battue et blessée par son ex-compagnon, témoigne : « J’ai eu tous ces symp-
tômes au début, puis ça s’est atténué et j’ai revécu, je dirais presque normalement,
mais tous ces symptômes sont revenus quand il a été libéré la première fois. Là, ça
a recommencé et ça ne s’est plus arrêté jusqu’à ce qu’il soit à nouveau incarcéré
pour récidive (pour trafic de stupéfiants). J’ai été mieux, beaucoup mieux pendant
presque deux ans et maintenant, ça recommence depuis que j’ai perdu mon boulot.
Je ne sais pas, c’est peut-être parce que j’ai plus de temps pour penser ou parce qu’un
malheur rappelle les autres malheurs, je ne sais pas. »

• D’autres encore ne s’en plaignent que sporadiquement, notamment à l’occa-


sion de dates commémoratives, de contacts avec les instances judiciaires et
juridiques (procès, informations concernant l’incarcération des agres-
seurs, etc.), de démarches auprès de sociétés d’assurance et d’organismes
administratifs, d’événements rappelant l’incident initial (par exemple, faits
similaires relayés par les médias, rediffusion d’émissions concernant le drame).
Il y a quelques années Estelle a failli perdre la vie dans l’incendie qui a ravagé son
domicile. Elle explique : « Vous avez vu l’explosion à Liège ? C’est impressionnant…
Il ne reste plus rien du bâtiment… Quand j’ai vu ça à la télévision… On a vu aussi les
204 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

gens à l’hôpital… On a interviewé un blessé. Quand j’ai entendu son récit… Ça me


touche, ça me perturbe. Pourtant, ce n’est pas mon histoire, mais j’ai l’impression
que mon histoire se réveille, comme si ça faisait remonter mon histoire. Je repense à
moi, quand j’étais en clinique. Depuis que j’ai vu ça, je refais des cauchemars. Je sais
que ça va passer, mais chaque fois que je vois un truc comme ça, je suis perturbée
pendant quelques semaines. »

30 à 50 % des victimes voient leurs symptômes post-traumatiques disparaître dans


le courant de l’année suivant les faits. Passé ce délai, la persistance des troubles fait
craindre une évolution vers la chronicité. 20 à 40 % des sujets continueront toutefois
à bénéficier d’une amélioration, généralement lente, de leur état psychique dans les
mois et les années suivantes et un tiers manifestera un syndrome psychotraumatique
au-delà de cinq ans. Une étude épidémiologique américaine montre que les symptômes
s’amendent dans les six mois pour 26 % des victimes et dans l’année pour 40 %
d’entre elles et signale que plus de 30 % des sujets restent symptomatiques après
cinq ans (Breslau, Kessler et al., 1998). Une recherche prospective sur l’attentat du
RER à Paris indique une prévalence de l’état de stress post-traumatique de 41 % à
6 mois et de 37 % à 18 mois Jehel et al. cité in Jolly, 2003, p. 11). Les désordres post-
traumatiques peuvent se prolonger longuement, voire toute une vie. Dans ses travaux
menés sur la population générale canadienne, Stein constate que 43,3 % des sujets
présentent des troubles consécutifs à un événement survenu plus de dix ans aupara-
vant (Stein, Walker et al., 1997). Les vétérans du Vietnam sont quant à eux 15,2 % à
présenter un PTSD quinze ans après la fin des hostilités (Kulka, 1992). Quarante ans
après l’armistice, 19 à 68 % des prisonniers de la Seconde Guerre mondiale (Engdahl,
Dikel et al., 1997 ; Eberly, Engahl, 1991 ; Sutker, Bugg, Allain, 1990 ; Zeiss, Dickman,
1989) et 71 % des Alsaciens incorporés dans l’armée allemande puis détenus dans
les camps soviétiques (Crocq, Hein et al., 1992) souffrent encore de symptômes post-
traumatiques (Bramsen, Van der Ploeg, 1999). Les survivants des camps de concen-
tration sont 51,8 % à 65 % à manifester un PTSD près d’un demi-siècle après leur
libération (Kuch, Cox, 1992).
La sémiologie psychotraumatique à long terme, différée et chronique comprend trois
volets : l’état de stress post-traumatique, les symptômes non spécifiques et la réorga-
nisation de la personnalité.
L’état de stress post-traumatique est restrictif et s’exprime principalement par des
reviviscences, des conduites d’évitement et de l’activation neurovégétative. Or, la
plupart des victimes ne présentent pas, ou pas uniquement, ce type de manifestations,
mais souffrent de désordres anxieux, de signes de dépression, de troubles du compor-
tement et/ou de somatisations. Ces symptômes non spécifiques aux traumatismes
peuvent prédominer, voire occulter, une symptomatologie traumatique plus discrète.
Outre ces divers symptômes, la personnalité de certaines victimes subit des trans-
formations notables. Cette organisation morbide de la personnalité signe la névrose
traumatique, phase ultime du syndrome traumatique.
Les syndromes psychotraumatiques évoluent avec le temps. Certains symptômes
peuvent éclore dans le décours immédiat de l’événement, d’autres plus tardivement ;
certains troubles apparus précocement peuvent s’émousser ou disparaître alors que
Les syndromes psychotraumatiques ■ 205

d’autres se maintiennent. Généralement, le syndrome de répétition (souvenirs intru-


sifs, flash-back, cauchemars, etc.), les désordres anxieux (peurs, crises d’angoisse) et
les troubles du sommeil (insomnies) prédominent dans les phases immédiates et post-
immédiates. L’intensité et la fréquence de ces symptômes s’atténuent habituellement
au cours des premiers mois tandis que les pathologies associées (dépression, troubles
de conduite, somatisations, anxiété généralisée, etc.) s’accentuent et que les altérations
de la personnalité apparaissent ou se confirment.

1.1. L’état de stress post-traumatique


L’état de stress post-traumatique regroupe les symptômes pathognomoniques des
syndromes psychotraumatiques à savoir les reviviscences, les conduites d’évitement
et l’activation neurovégétative2.
Ces troubles s’accompagnent d’un ensemble de réactions au niveau émotionnel, cogni-
tif, comportemental et somatique.

1.1.1. Au niveau émotionnel


Parmi les réactions émotionnelles communément observées chez les victimes, rete-
nons la peur, l’anxiété et l’angoisse (manifestées de jour par des peurs irrationnelles et
incontrôlées, des frayeurs, des terreurs, des crises d’angoisse, des pseudo-phobies et
des conduites d’évitement et la nuit, par un sommeil agité, des réveils en sursaut et des
terreurs nocturnes), la tristesse, le désespoir, l’amertume, l’apathie, la perte de curiosité
et de motivation pour tout, les sentiments de honte et de culpabilité, une altération de
la capacité à désirer, à vouloir et à se projeter dans l’avenir, la colère, etc.

1.1.2. Au niveau cognitif

Le syndrome de répétition
Nous l’avons vu, les flash-back, les souvenirs répétitifs, les cauchemars, l’impres-
sion que l’événement pourrait se renouveler ainsi que la détresse et la réactivité phy-
siologique en constituent les différentes modalités. Ce syndrome pathognomonique
occupe une place centrale dans la clinique des troubles psychotraumatiques.
Jean, victime d’une fusillade, témoigne : « Le matin, je me réveille, je pense à lui,
au tueur. C’est plus fort que moi. Je ne veux pas y penser, mais ça vient dans mon
esprit. Je prends à l’aspirateur, je pense à ça. J’ouvre les volets, je pense à ça. Je me
dis : “Mais ce n’est pas vrai !” Je me parle à moi-même dans ma tête et je me dis :
“Arrête de penser à ça !” J’ai l’impression que je n’arrive pas à dormir parce que mon
esprit pense tout le temps à ça. Je n’ai jamais dit ça à personne… »

2. Voir supra « L’apparition d’un syndrome post-traumatique » dans le chapitre consacré aux réac-
tions post-immédiates.
206 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

Les symptômes dissociatifs


Longtemps après l’incident critique, les victimes peuvent manifester des symp-
tômes dissociatifs telles la dépersonnalisation, la déréalisation et les conduites de
répétition (répétition de comportement effectuée pendant l’événement), en particulier
lorsqu’elles sont confrontées à des situations qui évoquent la scène initiale.
Jérôme, victime d’un accident de la circulation, nous livre : « Depuis deux ans, je n’ai
plus eu de moments normaux. Je suis sonné. Je suis complètement déconnecté de
mes émotions. Si ma mère mourait devant moi, je crois que ça ne me ferait rien. Plus
rien ne me touche. Avant, j’adorais ma mère. Je suis déconnecté. J’ai l’impression
d’être bouché. Vous savez, c’est comme quand on a la gueule de bois, eh bien, moi,
c’est comme ça tout le temps. J’ai une pression dans la tête en permanence. »
Jean nous confie : « Mon fils me dit : “Papa, tu ne m’écoutes pas” et c’est vrai, je ne
suis pas avec eux… Ma femme me dit la même chose. Parfois, elle me demande :
“Où es-tu ?” ou elle me dit : “Reviens près de nous.” Elle dit souvent : “On n’a jamais
l’impression d’être avec toi.” C’est triste, mais c’est vrai. Je suis ailleurs. Je ne peux
pas vous dire où je suis mais je ne suis pas là. »
Carine, victime de violence conjugale, explique : « Parfois, je bugge, comme l’ordina-
teur qui reste bloqué sur la page écran et il n’y a plus rien qui bouge. »

L’altération des capacités cognitives


Les victimes présentent fréquemment un affaiblissement de leurs facultés men-
tales d’attention (difficulté à suivre une conversation, une lecture), de concentration
intellectuelle, de raisonnement et de réflexion ainsi qu’une fatigabilité psychique (par-
fois accompagnée de céphalées lors d’efforts intellectuels même minimes). Le déficit
de concentration et l’inattention résultent notamment de la résurgence des souvenirs
traumatiques et de l’hypervigilance (capacité d’attention allouée à la surveillance de
l’environnement).
Nicolas, victime de l’explosion de son usine, rapporte : « C’est comme si mon cer-
veau fonctionnait à mille à l’heure. Ça n’arrête pas de tourner. Même maintenant,
en vous parlant, je sens que mon cerveau travaille. Je n’arrive plus à me concentrer
sur quelque chose. Il ne faut plus me demander de lire un bouquin alors qu’avant, je
vous aurais lu le bottin de téléphone ! Je lisais tout ce qui me tombait sous la main.
Maintenant, j’arrive à la deuxième ligne, je ne sais déjà plus ce que j’ai lu à la pre-
mière. C’est la même chose pour la télévision. Je ne prends plus de plaisir à regarder
la télé parce que je décroche tout le temps. »
Marianne, grièvement blessée au cours d’un vol, nous livre : « Vous me demandez
de réfléchir et ça me demande un effort énorme. Je commence à avoir mal à la tête. »

Les troubles de mémoire


Ils sont au centre de la symptomatologie traumatique. Les victimes peuvent souf-
frir d’amnésie ainsi que de rappels spontanés, répétitifs et envahissants de l’expérience
traumatique (syndrome de répétition). Elles manifestent fréquemment des oublis
récurrents concernant la vie courante (avec pour conséquence d’égarer des effets
Les syndromes psychotraumatiques ■ 207

personnels, de manquer un rendez-vous, etc.) et des oublis à mesure3 (par exemple, en


arrivant dans une pièce, elles ne savent plus ce qu’elles viennent y faire ; elles perdent
le fil de leur discours, etc.) (trouble de la mémoire de travail4).
Il y a trois ans, Sarah a été agressée sexuellement à la sortie d’une boîte de nuit.
Elle nous explique : « Ces oublis et ces distractions sont tellement importants
en nombre que c’est difficilement gérable. Je ne serais plus capable de travailler.
J’aimerais bien pourtant, mais je me rends bien compte que ce n’est pas possible.
Hier, je me suis trompée plusieurs fois d’étage en poussant le bouton de l’ascenseur.
J’oublie des rendez-vous. J’oublie de descendre du train. J’oublie mon parapluie
dans le restaurant. Je laisse mon gilet chez ma sœur. J’arrive dans la cuisine, je
ne me rappelle plus de ce que je viens chercher, je retourne dans le salon, là je me
souviens, je repars dans la cuisine et arrivée dans la cuisine, j’ai à nouveau oublié.
Ça n’arrête pas. »
Charline, victime d’un attentat terroriste, se plaint : « J’oublie tout et j’oublie des
choses importantes. J’ai oublié mon portefeuille dans un magasin, avec tous mes
papiers dedans et mes cartes de banque ; je perds sans arrêt mon téléphone ;
j’oublie mes rendez-vous, même les rendez-vous importants que j’attends depuis
longtemps ; j’oublie de remplir mes papiers administratifs, j’oublie tout. Je vais
chercher quelque chose dans la cuisine, et quand j’arrive dans la cuisine, je ne
sais plus ce que j’étais venue chercher ; je repars au salon et là, ça me revient ; je
retourne dans la cuisine et je ne sais de nouveau plus ce que je fais là. C’est fatigant,
ça m’énerve et ça énerve aussi mon mari. Au début, il se fâchait mais maintenant,
il se rend compte que je ne le fais pas exprès. Je vois bien que ça l’énerve mais il
ne dit plus rien »

Les sujets traumatisés peuvent également éprouver des difficultés à se remémorer


certains événements (trouble de la mémoire déclarative5) ou à mémoriser de nouvelles
informations (troubles de la mémoire de fixation).
En trois mois, Caroline a perdu son père, sa sœur et sa belle-sœur, elle a appris le
cancer de son frère et a failli mourir en couches. Elle nous dit : « Au niveau de la
mémoire, ce n’est plus comme avant. Quand je suis sortie de la clinique, j’avais vrai-
ment des grosses difficultés. J’ai mis un an pour retrouver la mémoire, mais ce n’est
plus comme avant. Avant, vous me disiez quelque chose, je le retenais, mais ça, ce
n’est plus vrai. Un truc bizarre, ce sont les langues. Avant, je me débrouillais bien en
anglais. Maintenant, c’est fini, c’est comme si j’avais tout oublié. »

3. L’oubli à mesure est une amnésie hippocampique.


4. Dite aussi mémoire à court terme, mémoire primaire ou mémoire tampon. Cette mémoire immé-
diate permet de rappeler des informations maintenues temporairement en mémoire. Les oublis
concernant la vie courante et les oublis à mesure sont des amnésies antérogrades dites amnésies de
fixation.
5. La mémoire déclarative ou explicite concerne le stockage et la récupération de données qu’un indi-
vidu peut faire émerger consciemment puis exprimer par le langage. Elle est composée de la mémoire
sémantique (données, concepts et faits sans rapport avec un lieu géographique ou un moment donné)
et de la mémoire épisodique (informations spécifiques concernant des événements situés dans le
temps et l’espace et leur contexte émotionnel).
208 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

Charline s’inquiète : « J’oublie tout, je perds la mémoire. J’avais même oublié la fête
pour mon anniversaire et c’était il y a à peine trois semaines ! Mon mari n’en reve-
nait pas. Il m’a raconté et c’est revenu petit à petit. Ça m’inquiète. Je me demande si
ma mémoire va revenir ou si je vais rester comme ça »

Il arrive aussi que les sujets traumatisés ne parviennent pas à se souvenir des moments
positifs de leur passé.
Jean témoigne : « Je n’arrive plus à me souvenir comment c’était avant l’accident. Je
sais qu’on s’amusait bien dans les repas de famille, mais je ne parviens pas à m’en
souvenir. C’est dommage… »

Françoise Sironi (1999) parle d’inversion paradoxale : les sujets oublient ce qu’ils vou-
draient garder en mémoire (les événements non traumatiques) et retiennent ce qu’ils
voudraient oublier (les événements traumatiques).

Une perturbation des schémas cognitifs6


La compréhension que nous avons de nous-mêmes, d’autrui, des événements,
de la vie, du monde et du futur est déterminée par un entrelacs de croyances de
base, de présuppositions et de représentations mentales, majoritairement incons-
cientes, qui constituent notre cadre de référence7. Les conceptions telles que j’ai de
la valeur, je suis aimable et compétent, la vie recèle une signification et poursuit
un but, l’univers est sensé, prédictible, contrôlable et logique (par exemple, chacun
reçoit ce qu’il mérite, tout acte aboutit à des résultats prévisibles, Dieu protège les
fidèles, etc.), les autres sont bons, bienveillants et obligeants s’en trouve ruinées
(Janoff-Bulman, 1992).
« Avant je me sentais fort. Maintenant, si une mouche se pose sur moi, je m’écroule »,
nous dit Philippe, gravement blessé en tombant d’une échelle.

Si l’illusion de maîtrise de sa destinée et le mythe d’invulnérabilité volent le plus


souvent en éclats, survivre miraculeusement peut persuader d’avoir triomphé de la
mort et renforcer dangereusement l’impression d’invincibilité entraînant des compor-
tements imprudents. Cette reconstruction après-coup ne préserve toutefois pas de
l’impact traumatique.
« Je pense que si je ne suis pas mort, c’est parce que je n’ai pas voulu mourir. Si
j’avais été à la place de la cabine, je serais mort. Et une cabine, c’est plus solide
qu’un homme. Elle a fondu alors qu’elle était plus loin que moi. C’est fou, non ?
J’étais plus près et je ne suis pas mort ! C’est la puissance de ma tête qui m’a dit :
“Ce n’est pas le moment de mourir.” J’étais mal arrangé, mais je ne suis pas mort.
C’est incroyable que je sois en vie », pense Arthur grièvement brûlé dans un
incendie.

6. Voir également « Les facteurs cognitifs » du sous-chapitre « Les variables liées à l’individu » dans
les paramètres influençant le développement des syndromes psychotraumatiques.
7. Nous appelons « cadre de référence », ce réseau conceptuel inconscient qui détermine notre appré-
hension du monde.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 209

« Il pleuvait fort, une pluie drue, je me suis retrouvé à 165 à l’heure dans le tour-
nant. J’ai besoin d’aller vite. De toute façon, elle (la Mort) n’a pas voulu de moi. Je
suis plus fort qu’elle », déclare Nicolas.

D’autres croyances de soi, du monde et du futur vont se construire ou être renfor-


cées. Ainsi, le sujet traumatisé pourra penser qu’il ne vaut rien, qu’il est vulnérable et
impuissant, qu’il ne mérite que de mauvaises choses, que la vie n’a pas de sens, qu’elle
peut basculer brusquement et tragiquement à tout moment, que le monde est malveil-
lant et dangereux, qu’on ne peut accorder sa confiance à personne, etc. Ces « pensées
automatiques » négatives induisent une distorsion de la réalité propice aux erreurs
d’interprétation et de jugement et constituent un facteur de risque dépressif (Beck,
1983).
« Je n’ai plus l’impression d’être un homme. Je n’ai plus l’impression d’avoir de
valeur », se lamente Éric, un agent de sécurité attaqué par deux malfaiteurs armés
sur son lieu de travail.
« À quoi ça sert de vivre ? Ça ne sert à rien… », se désespère Jean.

La déstabilisation des schémas cognitifs peut conduire à d’interminables ruminations


autour de questions comme : « Pourquoi moi ? Est-ce vraiment un hasard ? Ne l’ai-je
pas mérité ? Devais-je payer pour une faute ? » ou encore, pour ceux qui ont survécu
alors que d’autres sont morts : « Pourquoi en suis-je sorti vivant ? Comment me mon-
trer digne de la chance d’être en vie ? »

1.1.3. Au niveau comportemental


L’impact traumatique se manifeste par des conduites d’évitement, par des troubles
du sommeil et de l’appétit, par des dépendances, voire par un comportement inhabi-
tuel ou étrange. L’hyperactivation neurovégétative se traduit sur le plan compor-
temental par un état d’alerte (hypervigilance, difficulté à se reposer, à se relaxer, à
s’endormir) et par des réponses motrices plus rapides (réaction exagérée de sursaut,
agressivité).

1.2. Les symptômes non spécifiques aux syndromes


post-traumatiques
Outre les troubles anxieux, dépressifs, comportementaux et somatoformes déjà
décrits dans le chapitre consacré aux réactions post-immédiates, les victimes peuvent,
au cours du temps, développer des nouveaux symptômes.

1.2.1. Les troubles anxieux


Les crises d’angoisse, les phobies et les pseudo-phobies ainsi que la surveil-
lance inquiète de l’environnement apparus dans le décours de l’événement adverse
peuvent durer longtemps. Avec le temps, cette anxiété peut se manifester sous forme
210 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

d’hyperanxiété (anxiété chronique avec plaintes somatiques) ou d’anxiété généralisée8


plus diffuse, mais fréquemment morbide. Ce qui caractérise l’anxiété, c’est l’amplification
péjorative. Les personnes se tissent dans la tête un avenir lourd de menaces. Elles se
tracassent ou ressentent des craintes démesurées et récurrentes au sujet de leur santé
ou celle de leurs proches, par rapport à leur avenir ou à celui de leurs enfants, etc. Elles
ont généralement le sentiment persistant qu’un événement négatif est sur le point de se
produire. Elles s’attendent toujours au pire (quand on sonne à la porte, qu’une ambu-
lance ou une voiture de police s’annonce à proximité de leur domicile, si leurs proches
rentrent avec retard, etc.). Elles ont souvent une conscience morbide9 de leurs troubles
(conscience que ces appréhensions sont exagérées ou sans fondement), mais il leur est
néanmoins difficile, sinon impossible, de les contrôler. L’anxiété généralisée s’accom-
pagne de symptômes variés tels tension intérieure, agitation, fatigabilité, difficulté de
concentration, irritabilité, tension musculaire, troubles du sommeil, etc. La persistance
dans le temps de ces troubles affecte la structuration de la personnalité, celle-ci devenant
pusillanime, encline à la péjoration de l’avenir et dépendante d’autrui.
« Je m’inquiète de tout. J’ai peur des changements climatiques, j’ai peur qu’à cause
de ça on manque d’eau, j’ai peur qu’il y ait plus de tempêtes, j’ai peur qu’il y ait un
tremblement de terre, j’ai peur de me retrouver dans le besoin à cause des répercus-
sions économiques, j’ai peur de la crise économique. Je sais bien que ça n’a pas de
sens, j’essaie de me raisonner, mais je n’y arrive pas. Je me vois toujours finir sous
les ponts. » nous dit Sophie, victime d’un incendie survenu sur son lieu de travail
quelques années auparavant.
Il y a une dizaine d’années, Brigitte a été renversée par une voiture et grièvement
blessée. Elle nous livre : « Je n’aime pas les téléphones. Je n’aime pas les sonnettes. Je
m’attends toujours au pire. Pour mon mari, ça a été affreux quand les urgences ont
téléphoné pour dire que j’avais été admise. Depuis, j’ai toujours l’impression qu’une
mauvaise nouvelle peut tomber à n’importe quel moment. »
Jean, victime d’une fusillade, témoigne : « Mon fils m’a dit : “Papa, tu me considères
toujours comme un bébé.” Et il a raison. J’ai trop peur qu’il lui arrive quelque chose,
alors j’ai du mal à le laisser devenir autonome et j’ai tendance à l’empêcher de
vivre. »

Les victimes sont également souvent plus réactives que leurs pairs aux stress ordi-
naires de la vie quotidienne (par exemple, passage d’un examen, frustrations diverses,
situations nouvelles, changements de vie, etc.). En effet, avoir subi un traumatisme
altère durablement, voire définitivement, la réponse aux stress. Ainsi, les personnes
ayant manifesté des symptômes péri-traumatiques durant le décours d’un événement
traumatisant sont plus stressées que leurs pairs face aux épreuves de la vie quoti-
dienne, et ce, même si elles n’ont pas développé de syndrome psychotraumatique
chronique et/ou de dépression (voir Ganzel et al., 2007 ; Van der Kolk, Greenberg

8. Selon le DSM-5, la CIM-10 et la CIM-11.


9. On parle de conscience morbide lorsque la personne a conscience de la morbidité de ses troubles,
c’est-à-dire de leur caractère pathologique (anormal, relevant de la maladie).
Les syndromes psychotraumatiques ■ 211

et al., 1985). Bessel van der Kolk et ses collaborateurs ont mis en évidence qu’elles
présentent une hypersensibilité des capteurs de la noradrénaline (Van der Kolk,
Greenberg et al., 1985). La neuro-imagerie a révélé une hyperréactivité amygdalienne
aux stimuli anxiogènes et une hypo-réactivité du cortex angulaire antérieur impliqué
dans l’extinction des réponses à ces stimuli (voir Shin et al., 1999 ; Liberzon et al.,
1999 ; Bremner, Narayan et al., 1999 ; Whalen et al., 1998 ; Rauch et al., 2000).
Les recherches ont également montré que l’attention des sujets traumatisés se porte
préférentiellement vers les stimuli effrayants (Mc Nally et al., 1990), ce qui expli-
querait qu’ils ne parviennent pas à profiter pleinement des aspects positifs de leurs
expériences actuelles.
Bien que les troubles anxieux éclosent généralement dans l’immédiat décours de l’évé-
nement traumatique, ils peuvent parfois apparaître tardivement.
Caroline explique : « Je vous ai dit, j’ai dû tenir le coup pour ma mère. Ce n’est que
lorsque j’ai été vivre seule, quand je n’ai plus dû la porter que c’est arrivé. Quelque
temps après, j’ai eu une crise d’angoisse. C’est arrivé comme ça, comme un incendie
qui ravage la maison. Depuis, j’ai des crises d’angoisse tout le temps. »

1.2.2. Les troubles dépressifs


Plusieurs mois ou années après l’événement traumatisant, de nombreuses victimes
manifestent une dysthymie (trouble chronique et variable de l’humeur, essentiellement
à tonalité dépressive) ou un état dépressif franc. Les symptômes se traduisent pas un
malaise affectif profond, de la tristesse, du désespoir, des idées et des conduites sui-
cidaires, une baisse du sentiment de valeur personnelle et d’estime de soi (sentiment
d’inutilité), de l’ennui, des impressions de solitude, de la passivité, de la négligence (par
exemple, tendance à égarer ses affaires, à négliger son hygiène, etc.), une inhibition
motrice et intellectuelle, un blocage des émotions ainsi que par des sentiments de pré-
carité de l’existence et d’avenir bouché (désintérêt par rapport aux relations affectives,
à l’activité professionnelle et à la vie sociale).
Patrick, miraculeusement rescapé d’un carambolage, nous livre : « Quand la tris-
tesse est là, elle (la Mort) en profite, elle me fait du charme. Elle essaie d’abuser de
ma fragilité. Elle me fait du charme, elle se montre attirante, elle me dit qu’elle me
donne la possibilité de rejoindre mes parents. Elle m’appelle avec son doigt et je la
vois sourire »

Bien que moins fréquemment que chez les enfants, la dépression peut se traduire chez
l’adulte par des troubles psychosomatiques (voir infra). Elle peut aussi être masquée
par des troubles du comportement. En effet, les conduites régressives (perte d’autono-
mie et dépendance par rapport à l’entourage), la consommation abusive d’alcool ou de
stupéfiants, les agissements agressifs et les passages à l’acte violent peuvent être une
défense contre la dépression.
Chez certaines personnes, l’humeur alterne entre des attitudes de lutte manifestées
par des perturbations du comportement (agitation, agressivité, etc.) et l’effondrement
dépressif (tristesse, inhibition motrice, repli sur soi, etc.). On parle alors de dépression
212 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

hostile ou de dépression agressive, l’hostilité faisant partie à part entière du tableau


dépressif (Féline, Hardy, de Bonis, 1991).
Nicolas, victime d’une explosion, raconte : « Parfois, je suis complètement replié
sur moi-même. Je ne veux parler à personne. Je décroche le téléphone et je ferme
les volets devant, comme ça, si on passe dans la rue, on croit qu’il n’y a personne et
personne ne vient sonner à la porte. J’ai juste envie qu’on me foute la paix. Dans ces
moments-là, je n’ai pas d’énergie, je ne fais rien, tout m’ennuie, tout me semble une
corvée, tout me semble une montagne. Ça m’arrive aussi de pleurer… Je ne sais pas
pourquoi… J’ai honte de ça parce que mon père m’a toujours dit qu’un homme, ça doit
pouvoir prendre sur soi et moi, je n’arrive pas à remonter la pente. Et tout d’un coup,
sans crier gare, ça bascule, je deviens agressif. La semaine passée, je suis sorti de ma
voiture à un feu rouge. Je voulais casser la gueule au conducteur qui m’avait dépassé
en me faisant une queue de poisson. Heureusement, le gars a eu peur et il a démarré
au quart de tour, sinon je lui cassais la figure. Mon fils, c’est mon Dieu, eh bien, on a
failli en venir aux mains. Je lui cherchais des poux pour rien. Ça, ça me fait vraiment
mal. Je ne comprends pas pourquoi je fais ça. Et puis, après, ça rechute de plus belle. »

Nous l’avons vu, dans le décours d’un événement délétère, les victimes éprouvent
fréquemment des sentiments de honte et de culpabilité excessifs ou inappropriés
favorisant l’éclosion de la dépression et sa pérennisation. Ces sentiments jumelés aux
impressions d’inefficacité, d’inutilité ou d’infériorité peuvent les mener à répéter des
conduites d’échec10.
« Je fais tout foirer. Quand j’entame une nouvelle relation, au début, c’est sympa,
mais je deviens vite une teigne. Je commence à être jalouse, sans raison et je harcèle
mon partenaire. Comme il n’a rien à se reprocher, ça l’énerve, il le prend mal et ça
crée des disputes. Et quand il en a vraiment marre, il se casse. C’est toujours le même
scénario, je le connais par cœur. Au boulot, c’est pareil. J’arrive très vite à me mettre
les gens à dos. Je prends tout mal, je suis hyper susceptible. Évidemment, comme ça,
ça ne peut pas aller… Avec ma psy précédente, j’ai compris que c’est parce que je me
sens nulle et qu’une partie de moi pense que je ne mérite pas de bonnes choses. C’est
vraiment ça. Mon ex-mari m’en a tellement fait voir ! Toutes les humiliations, les
insultes, les menaces, les coups, les tromperies jusqu’à ce viol que je vous ai raconté,
le jour où il était saoul et comme je ne voulais pas faire l’amour, il m’a battue puis il
m’a sodomisée en me disant que je valais moins que les putes qu’il payait… Pour me
faire tout ça, je ne devais pas valoir grand-chose » nous confie Valentine.

Les victimes peuvent se blâmer elles-mêmes ou concevoir du ressentiment envers


autrui, la société, la Justice, Dieu, etc. qu’elles tiennent pour responsables de leur
malheur. Lorsqu’elles imaginent avoir été soumises à l’arbitraire ou avoir été traitées
injustement, elles peuvent manifester un trouble d’amertume post-traumatique11, sou-

10. La conduite d’échec ou névrose d’échec est caractérisée par la répétition involontaire de com-
portements et d’attitudes engendrant des conséquences négatives tant dans la vie affective (déboires
sentimentaux, difficultés sexuelles, isolement affectif, rejet, etc.) que sociale (échecs scolaires et
professionnels).
11. Terme proposé par Michael Linden et ses collaborateurs (Linden, Baumann et al., 2008).
Les syndromes psychotraumatiques ■ 213

vent durable : elles sont en colère et haineuses, se montrent pessimistes et agressives


et éprouvent douloureusement des sentiments d’impuissance.
Jean, victime d’une fusillade, nous fait part de sa colère : « Ma colère est encore plus
forte qu’au début. Plus j’avance dans la vie et plus ça m’empoisonne. Ça me rend plus
agressif envers tout le monde. Au début, on ne se rend pas compte. Il y a tellement
de choses au début, ça se bouscule. Mais franchement, maintenant, s’ils étaient devant
moi, je ne sais pas ce que je ferais. Je crois que j’aurais envie de les tuer ! Je dis ça
parce que je ne suis pas dans la situation, si j’y étais vraiment, je ne sais pas comment
je réagirais. Je ne pense pas que je le ferais, mais c’est pour vous dire à quel point j’ai
de la haine. Pour des gens comme ça, je voudrais qu’on réhabilite la peine de mort. Ils
ne méritent rien d’autre. Je sais que je ne devrais pas dire ça, ça ne se dit pas, mais
c’est comme ça. J’ai une telle haine ! C’est tellement injuste ! Eux, ils se promènent
tranquillement et moi, ma vie est foutue. Je me demande si parfois des victimes n’ont
pas envie de prendre un flingue et d’aller tuer tout le monde. Justice n’a pas été faite. »

Les sentiments de honte et de culpabilité ainsi que la rancœur envers un tiers résultent
principalement de l’effondrement des croyances de base.
La dépression engendre fréquemment des comportements préjudiciables à l’équilibre
conjugal et familial. Par exemple, lorsque le trouble psychologique interfère avec la
capacité parentale des sujets traumatisés, leur progéniture grandit dans des conditions
défavorables à son développement ; la peur, la honte et le dégoût de soi empêchent
certaines personnes d’entretenir des relations affectives et sexuelles normales, ce qui
peut pousser leur partenaire à les quitter. Ces conséquences négatives accroissent
encore la détresse des victimes.

1.2.3. Les troubles du comportement


Les comportements agressifs, les conduites à risque, les troubles du sommeil et
des habitudes alimentaires ainsi que les dépendances déjà étudiés dans le chapitre
consacré aux réactions post-immédiates peuvent s’étendre sur une longue période. Les
attitudes et agissements auto et hétéro-agressifs, les comportements dangereux, l’abus
d’alcool et la consommation de drogue peuvent se présenter tardivement ou s’accroître
avec le temps. Ils deviennent habituels, nuisent à la santé et retentissent sur la vie
personnelle, professionnelle, familiale et sociale, contribuant ainsi à une évolution
défavorable des sujets.

Les comportements agressifs


Les conduites agressives envers soi et envers autrui font fréquemment partie du
tableau clinique des syndromes psychotraumatiques à long terme12 et peuvent devenir
une composante de la personnalité des victimes13.

12. Voir également la dépression hostile ou dépression agressive, p. 209.


13. Voir supra « Les altérations de la personnalité ».
214 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

En 1972, dans un article publié dans le New York Times, le psychiatre et psychanalyste
américain Chaim Shatan attire l’attention du public sur le « Post-Vietnam syndrome ».
Il évoque déjà les accès de rage et les comportements impulsifs violents manifestés par
certains vétérans plusieurs mois après leur démobilisation (cité par Bowman, 1990).
En 1990, le psychiatre australien au Département des Veterans’ Affairs, Bruce Boman
décrit pour la première fois le syndrome de Rambo14. Ce syndrome se définit par des
troubles caractériels (impulsivité, accès de colère sporadiques et imprévisibles, irasci-
bilité), des comportements suicidaires et para-suicidaires (suicide, conduite automobile
dangereuse, sports extrêmes, comportement provocateur, etc.), des actes délinquants
et criminels (vandalisme, violence intrafamiliale, bagarres, viols, trafic de stupéfiants,
vols à main armée, homicide impulsif, etc.), un comportement rebelle et antisocial
(opposition à toute forme d’autorité, négligence des responsabilités légales, désocialisa-
tion et séjour dans les bois à l’écart de la société, etc.), une consommation de substances
psychoactives (toxicomanie, alcoolisme), une fascination pour les armes et les sports de
combat (activités paramilitaires, arts martiaux), etc.
Ce trouble du caractère doit son nom à un personnage de fiction. Né en 1972
de l’imagination du romancier canadien David Morell et incarné au cinéma par
Sylvester Stallone, John Rambo est un soldat américain, seul survivant d’un com-
mando d’élite engagé au Vietnam. De retour aux États-Unis, en butte à l’hostilité
de ses compatriotes envers les vétérans d’une guerre impopulaire et piteusement
perdue, il échoue à se réinsérer dans la société et devient très violent. Tout comme
Rambo, de nombreux GI démobilisés rapatriés aux États Unis se sont heurtés au
dégoût affiché de l’opinion envers les Vets Vietnam15. Victimes de stéréotypes hos-
tiles (les vets sont des marginaux, incapables de s’adapter à la société américaine,
drogués, perturbés psychologiquement, violents, déshumanisés, etc.)16, ces anciens
combattants suscitaient la peur et inspiraient la défiance (Gibault, 1992). Si le phé-
nomène a été généralisé abusivement à l’ensemble des forces armées ayant servi
au Vietnam, certains individus se sont, en effet, signalés par leur grande violence
et leurs actions criminelles. Depuis, ce syndrome a été également constaté chez les
vétérans soviétiques de la guerre en Afghanistan et chez les combattants de l’ex-
Yougoslavie. Dans la nouvelle version du DSM, le DSM-5, l’American Psychiatric
Association considère cet aspect du traumatisme en introduisant le critère suivant :
« Comportement irritable ou crises de colère (suite à une légère provocation ou sans
provocation) généralement exprimée par une agression verbale ou physique envers
les personnes ou les objets ».
Divers facteurs peuvent expliquer le syndrome de Rambo. L’exposition pendant la
guerre à des modèles d’individus violents, à des modes violents d’interaction et de
résolution de conflits ainsi qu’à la politique approuvant, voire exaltant, la violence,
normalise les passages à l’acte agressif. En effet, ces expériences ont un impact
durable sur les mentalités. Les valeurs essentielles de l’existence humaine que sont

14. Ibid.
15. Vétérans du Vietnam.
16. Il s’agit d’une victimisation secondaire.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 215

la paix, la bonté, le respect de la vie, la solidarité, la morale et la justice se modifient


en raison de ce que nous nommons le processus de violence acquise. Cette évolution
dans les représentations mentales entraîne une permissivité accrue des comporte-
ments violents. Les conduites agressives sont également inspirées par la colère (par
exemple, d’être traité injustement, de ne pas recevoir le soutien espéré de la famille,
de la communauté ou du gouvernement, etc.) et le désir de vengeance (par exemple,
se laver des humiliations subies, venger les camarades tombés au combat, etc.). La
souffrance traumatique et les difficultés de réinsertion altèrent la capacité à mainte-
nir des relations de qualité et peuvent elles aussi favoriser les décharges violentes de
frustration et de rancœur. De plus, l’alcool et les stupéfiants, souvent consommés par
les sujets traumatisés, les désinhibent, ce qui facilite le passage à l’acte violent. Par ail-
leurs, il semble exister un lien entre violence et crise d’identité masculine. Confrontés
aux difficultés de réinsertion, les hommes se retrouvent fréquemment sans emploi et
impuissants à remplir leur fonction traditionnelle de pourvoyeur et de protecteur.
Parce qu’ils ne répondent pas aux attentes en matière de « réussite » masculine, leurs
idéaux se brisent et se pervertissent. Cette déflation de leur rôle peut provoquer chez
eux colère, dévalorisation, humiliation, etc., et déboucher sur des comportements
violents. Enfin, commettre des agressions peut encore être un moyen de tuer l’ennui,
d’évacuer les frustrations et de se sentir exister en éprouvant des sensations fortes
et des émotions intenses.
Toute personne exposée longuement à des facteurs environnementaux violents, sou-
mise à l’injustice, en colère contre elle-même (par exemple, de s’être laissée duper,
d’avoir enduré sans protester, d’être laissée pour compte, etc.), en crise identitaire et
en perte d’autorité est susceptible de manifester, peu ou prou, un syndrome de Rambo.
Nicolas, victime d’une explosion, témoigne : « Vous voyez ma main ? Je l’ai cassée
en tapant dans une porte. Ce n’est pas malin, mais c’était ça où je la foutais dans la
gueule de mon patron. À choisir, je crois que c’était quand même mieux de la foutre
dans la porte. Ils (le patron et sa secrétaire) sont vraiment dégueulasses avec moi.
C’est complètement injuste. Moi, qui ai bossé sans compter pour eux, toujours ser-
viable, toujours prêt à remplacer un camarade, toujours prêt à rendre service ! Je
me suis vraiment laissé entuber pendant des années. Je m’en veux à mort. Je vous
jure, je m’en veux à un point ! Ma femme me disait toujours que je me faisais avoir
et je lui disais : “Mais non, c’est du donnant-donnant, il peut toujours compter sur
moi et c’est réciproque.” Ça, c’était avant que moi, j’ai besoin de lui ! Évidemment,
elle avait raison, j’avais un salaire de misère, un statut précaire, j’étais engagé
comme indépendant, il pouvait me foutre dehors quand il voulait, sans indemnités
ni rien, j’en faisais trois fois plus que ce je ne devais et tout ça pourquoi ? Pour rien !
Aucune reconnaissance ! Il ne veut même pas intervenir dans les frais médicaux et
la thérapie ! Je ne suis pas employé, je suis indépendant, donc rien, pas d’assurance !
Vous vous rendez compte ? Ça fait quinze ans que je travaille pour cette boîte de
merde. Indépendant, tu parles ! C’était mon seul client ! J’étais un faux indépendant !
Et la secrétaire, ce n’est pas mieux. On s’entendait bien avant. Maintenant, quand
je téléphone, elle est froide comme une porte de prison. Si elle ne me tutoyait pas,
on pourrait croire qu’on ne s’est jamais rencontré tellement elle me parle de façon
impersonnelle. Et quand je demande pour avoir le boss en ligne, il n’est jamais là. On
se fout vraiment de ma gueule ! J’ai bossé pendant quinze ans, le patron est toujours
216 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

là et là, comme par hasard, maintenant, il est toujours en réunion ou sur le terrain !
J’ai envie de prendre un bazooka et d’aller tout foutre en l’air ! Je suis en rage ! Ça me
fait peur parce que je vous l’ai dit, je sens que je deviens violent. Je vous ai raconté
que j’ai failli casser la gueule d’un automobiliste et qu’avec mon fils on a failli en
venir aux mains. »

Les dépendances
À long terme, la consommation abusive de drogue et d’alcool génère des effets
néfastes sur la santé physique des victimes (maladie du foie, ulcère à l’estomac, hyper-
tension artérielle, diabète, etc.) et peut engendrer des comportements à risque (rap-
ports sexuels non protégés, diminution de la capacité à percevoir les signes de danger
et en conséquence, de s’en protéger, comportement provocateur à l’égard d’autrui,
conduite dangereuse, etc.). De plus, l’alcoolisme et la toxicomanie engendrent fréquem-
ment des comportements dommageables à l’entente familiale et communautaire (par
exemple, passages à l’acte violent).

1.2.4. Les symptômes chroniques de stress


Les réactions de stress se maintiennent tant que la menace persiste puis s’amor-
tissent progressivement. Cependant, certaines personnes vont continuer à présenter
des signes de stress pendant plusieurs jours, voire plusieurs mois après que le danger
ait disparu, sans pour autant manifester de symptômes traumatiques tels que revivis-
cences ou évitements. Ce stress ne constitue plus un processus adaptatif, mais devient
un état permanent.
Leur stress étant souvent élevé, les sujets traumatisés évitent toute situation
susceptible d’en accroître le niveau, dusse-être pour des activités plaisantes et
agréables.
Sylvie, victime d’une agression en rue, nous explique : « Je ne veux pas partir en
vacances. Je veux la paix. Les gens ne comprennent pas. Ils me disent : “Mais ça te
fera du bien, ça va te détendre, ça va te changer les idées.” Ils ne comprennent pas
que pour moi, c’est du stress. C’est la même chose pour les sorties au restaurant,
les fêtes de l’école de mon fils, les soirées avec les amis. Tout ça, c’est trop pour
moi. J’ai été au mariage du fils de mon compagnon parce que je ne pouvais pas faire
autrement. Je suis revenue lessivée. Tout ça me stresse trop et après, je suis sur les
genoux. Il ne me faut plus tout ça… Je veux la tranquillité. J’ai besoin de calme. J’ai
besoin de silence. »
Charline témoigne : « J’ai toujours cette angoisse dans la gorge, toujours cette boule.
Ça va jusque dans mes oreilles et dans mes mâchoires. J’ai perdu ma tranquillité.
Mon corps est en alerte. Je suis tout le temps tendue. J’ai oublié ce que c’est un
moment sans stress »

L’une des fonctions majeures du stress consiste à préparer l’individu à réagir physique-
ment aux stimuli menaçants (par le combat, la fuite, l’immobilité, etc.). Le système ortho-
sympathique s’active tandis que le système parasympathique s’inhibe. L’activation du
système nerveux orthosympathique a pour effet de dilater les bronches, d’accélérer les
Les syndromes psychotraumatiques ■ 217

rythmes respiratoire et cardiaque, d’élever la tension artérielle (augmentation du débit


sanguin vers les muscles, apport accru d’oxygène et de glucose aux tissus), d’augmen-
ter le tonus musculaire, de dilater les pupilles (amélioration de la vision) et de stimuler
les glandes sudoripares (régulation de la température corporelle).
La persistance d’une activation orthosympathique entraîne :

Au niveau physique

Une hypertonie musculaire


L’hypertonie musculaire, engendrée par la persistance de l’activation neuromus-
culaire, se traduit par de contractures (pouvant entraîner des difficultés à se déplacer,
des maladresses gestuelles, un bégaiement), des raideurs, de spasmes, des crampes, des
tremblements et de douleurs musculaires (dos, nuque, mâchoires, etc.), des tendinites,
un bruxisme17, etc. La conscience de la tonicité musculaire rend l’individu hyperactif
et engendre fréquemment des troubles du sommeil.
Charline explique : « Je ne tiens pas en place. Je suis devenue hyperkinétique18. Le
jour, je bouge tout le temps et la nuit aussi. Mon mari me dit que je suis agitée, que je
n’arrête pas de bouger et que je grince des dents. Je m’en rends compte parce que j’ai
mal dans les mâchoires. Je ne suis tranquille nulle part ni chez moi ni à l’extérieur »

Une hyperventilation
La persistance de l’accélération de la respiration se traduit par une hyperven-
tilation (respiration rapide et superficielle). L’organisme hyperventilant expire une
quantité trop importante de gaz carbonique. La diminution subséquente de dioxyde de
carbone dans le sang provoque une alcalose19 qui entraîne une série de modifications
physiologiques. Des troubles neuromusculaires apparaissent telles que crampes, trem-
blements, fourmillements, etc. ainsi qu’une sensation de striction laryngée (« nœud
dans la gorge »), d’oppression thoracique (« poids sur le cœur ») ou de vertige.

Des troubles cardiaques


Des troubles tels que tachycardie, palpitations et précordialgies20 sont dus à
l’accélération du rythme cardiaque. L’association des symptômes cardiovasculaires au
stress et à l’angoisse est connue depuis longtemps. Les premières descriptions datent
de 1870. Arthur Bowen Richard Myers regroupa sous le vocable « cœur de soldat »
(soldier’s heart) les symptômes tels que tachycardie, palpitations, précordialgies, dou-
leurs thoraciques, dyspnée, céphalées et troubles du sommeil présentés par les soldats

17. Le bruxisme se définit comme des mouvements et des grincements de dents répétitifs et involon-
taires, sans but fonctionnel.
18. L’hyperkinésie est un état d’hyperactivité.
19. L’alcalose est une augmentation du pH sanguin. Le dioxyde de carbone est nécessaire pour main-
tenir l’acidité du sang à la valeur correcte. Si la quantité de CO2 diminue, le sang s’alcalinise (le pH
augmente).
20. Douleur ressentie dans la région thoracique antérieure gauche.
218 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

durant la guerre menée en Inde par les Britanniques. Un an plus tard, le médecin mili-
taire américain des armées nordistes de la guerre de Sécession Jacob Mendes Da Costa
nomma « cœur irritable » (irritable heart, connu également sous le nom de(coquille :
espace anormal)
« Syndrome de Da Costa ») ces troubles cardiaques fonctionnels. Peu après, en 1873,
l’oto-rhino-laryngologiste français Maurice Krishaber parla de « névropathie cérébro-
cardiaque » (Krishaber, 1873). Les manifestations cardiovasculaires ont également
été mises en exergue par le Britannique Thomas Lewis en 1918 lors de la Première
Guerre mondiale dans le syndrome d’effort. Ces troubles prendront encore d’autres
appellations telles que névrose cardiaque, asthénie neurocirculatoire, etc. (Wallace,
Gach, 2008) Plus récemment, en 1999, des chercheurs de l’Université de John Hopkins
à Baltimore (Wittstein et al., 2005) ont mis en évidence une cardiomyopathie de stress
dénommée syndrome du cœur brisé (Broken Heart Syndrome) ou Tako-Tsubo (Bellara
et al., 2010). Il s’agit une sidération myocardique (ballonisation transitoire de l’apex
du ventricule gauche) survenant après un stress émotionnel en l’absence de lésions
coronaires et dont les sujets récupèrent spontanément.

Une hypertension artérielle


Une hypertension artérielle consécutive à la vasoconstriction des artères.

Des troubles visuels


Des troubles visuels sous forme d’impression de flou visuel ou d’une hypersensibi-
lité à la lumière en raison de la dilatation des pupilles.

Des troubles du transit intestinal


L’énergie se focalisant principalement dans la musculature responsable de la loco-
motion, les muscles non impliqués sont désinvestis, ce qui peut engendrer un relâche-
ment des sphincters et un ralentissement de la motilité intestinale.

Des troubles de la sudation


Des troubles de la sudation consécutifs à la stimulation des glandes sudoripares se
marquant par une transpiration abondante du visage ou du tronc et/ou par la moiteur
des mains.
Lorsqu’ils évaluent la situation présente, les individus stressés focalisent principa-
lement leur attention sur leurs sensations proprioceptives21 (par exemple, tension
musculaire) et intéroceptives22 (sensation de vertige, tachycardie, etc.), négligeant les
informations extéroceptives rassurantes fournies par leurs organes de sens (vision,
audition, olfaction, gustation et somesthésie générale23). Submergés par des sensations

21. La proprioception regroupe les sensations de tension musculaire, de position, de mouvement,


d’équilibre et de déplacement.
22. L’intéroception inclut la somesthésie végétative et les modalités sensorielles inconscientes.
23. Principalement la sensibilité tactile.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 219

internes attestant d’une mise en tension (par exemple, palpitations), ils ressentent les
situations neutres, voire positives, comme insécurisantes ou même menaçantes.

Au niveau psychologique
Le stress déclenche principalement trois types d’émotion : l’anxiété (la perception
d’un danger met l’individu en état d’alerte), l’agressivité (elle donne la force et la motiva-
tion pour attaquer ou éliminer la source du danger) et la dépression (l’individu ne peut
pas ou ne peut plus contrer les sources de stress, il endure sans agir). Une personne
soumise à une activation permanente de l’une de ces émotions risque de développer un
trouble anxieux, comportemental (agressivité et passages à l’acte violent) ou dépressif.

1.2.5. Les troubles somatoformes


L’asthénie physique d’origine psychosomatique et les douleurs psychogènes déjà
décrites dans les réactions post-immédiates peuvent perdurer à long terme.
Au cours du temps, en raison du stress et de la souffrance traumatique, les victimes
peuvent développer des troubles psychosomatiques dermatologiques (allergie, eczéma,
psoriasis, urticaire, alopécie, pelade), respiratoires (asthme), digestifs (coliques, colite
spasmodique, vomissements, diarrhée, gastralgie, ulcère gastro-duodénal), cardiaques
(hypertension, angor, infarctus du myocarde), endocriniens (trouble thyroïdien, dia-
bète) et menstruels (aménorrhée24, ménorragie25, dysménorrhée26, irrégularité du
cycle menstruel, notamment après un traumatisme sexuel). Il est également fréquent
d’assister à la décompensation de pathologies psychosomatiques préexistantes (dia-
bète, asthme).

1.3. Les altérations de la personnalité


Les syndromes psychotraumatiques sont caractérisés par des altérations du
fonctionnement psychique. En effet, le traumatisme affecte la capacité des victimes à
exprimer et à gérer leurs émotions et laisse des traces durables au sens où le rapport à
soi, aux autres et au monde est modifié. La confrontation à des événements extrêmes
et/ou prolongés et/ou répétés, notamment dans le cadre social et/ou d’agressions
interpersonnelles, risque particulièrement d’altérer la personnalité des victimes en
névrose traumatique ou selon la terminologie actuelle, en traumatisme complexe.
Ludivine, victime des attentats survenus à Paris le 3 novembre 2015 dans la salle
de spectacle du Bataclan, témoigne : « Il y a un avant et un après Bataclan. Ma vie
personnelle, mes amis, ma famille, mon travail, ma façon de penser a changé du tout
au tout. Je ne suis plus la même personne et beaucoup le savent ou le ressentent.
Il est compliqué en société de vivre avec ce sentiment de victimisation, d’avoir

24. Absence des règles.


25. Règles abondantes.
26. Règles douloureuses.
220 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

l’impression d’être à plaindre alors qu’on a survécu à d’autres… Beaucoup ne com-


prennent simplement pas ce que l’on peut ressentir, et sans être malveillants, ils
peuvent être blessants dans leurs actes ou dans leurs paroles. Alors, on prend de
la distance, on réfléchit à ce qui a changé, pourquoi on se sent si différent, pourquoi
on culpabilise parfois d’être en vie. Je me rends compte que j’ai parfois plus de cou-
rage pour traverser des choses qui me paraissaient à l’époque insurmontables. Je
puise dans une force que j’ai l’impression d’avoir accumulé pendant ces trois heures
de l’attaque et les mois qui ont suivi. Je puise dans ce regain de vie que l’on gagne
lorsqu’on est à deux doigts de la mort. Certaines choses du quotidien sont simples
à gérer ou à appréhender. D’autres choses beaucoup plus simples, sont plus compli-
quées à assumer, prendre le métro, sortir seule, aller dans un endroit clos, regarder
un feu d’artifice, aller travailler ! On se rend compte que certaines choses ne sont
carrément plus possibles. Au début, c’est navrant, déprimant même, de voir qu’on
ne peut plus mener la même vie. Mais on apprend. Maintenant je suis consciente que
c’est une nouvelle vie qui s’offre à moi. Il faut simplement accepter de dire au-revoir
à l’autre, la personne “d’avant”, et de dire bonjour à la nouvelle “moi” qui est face à
soit et de l’accepter avec ses forces et ses faiblesses ».

La gravité de certains événements autorise à les qualifier d’extrêmes. Par exemple,


les agressions sexuelles, les violences ayant provoqué des blessures graves et des
séquelles physiques importantes ou irréversibles, les menaces directes de mort
(simulacres d’exécution, mises en joue, etc.), le spectacle de morts violentes (tueries,
assassinats, attentats meurtriers, accidents mortels, etc.), la vision apocalyptique de
nombreux cadavres (massacres, accidents industriels, catastrophes naturelles, etc.)
sont à classer dans cette catégorie. Il en est de même des situations exposant lon-
guement et/ou fréquemment les individus à des événements traumatogènes tels la
violence intrafamiliale (violence conjugale, négligence et maltraitance des personnes
âgées), l’incarcération dans un camp de concentration, la traite des êtres humains,
l’exploitation sexuelle contrainte, les conflits armés et la violence sociopolitique
chronique (terrorisme, guerre civile). Ces situations sont caractérisées par la répéti-
tion de violences variées : violences physiques (coups et blessures volontaires, tor-
ture, négligence grave, etc.), psychologiques (isolement, humiliations, menaces, etc.),
sexuelles (viols, torture sexuelle, relations forcées avec un tiers, exploitation sexuelle
contrainte, etc.) et/ou économiques (accès aux ressources interdit ou étroitement
contrôlé, aliénation financière et matérielle, etc.). Ces violences ont en commun de
corrompre, voire de détruire, la dignité et l’intégrité physique, psychologique et/ou
sociale des victimes. Elles ruinent leur estime d’elles-mêmes, délitent leur sentiment
d’appartenance à l’espèce humaine, brisent les liens qui les rattachent à leurs groupes
d’affiliation (familial, communautaire, social, etc.), anéantissent la confiance qu’elles
ont en l’humanité, bousculent la prévisibilité du monde et modifient ou obèrent l’accès
au sens des choses.
De tels événements sont susceptibles d’imprimer des marques durables sur la person-
nalité des victimes et d’induire des attitudes et des comportements définitifs, rigides et
inadaptés. Au début, les réactions présentées par les victimes sont identiques à celles
faisant suite à un agent stressant aigu (traumatisme de type I), mais lentement, avec la
répétition des agressions, se manifestent des mécanismes d’adaptation de plus en plus
pathologiques.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 221

Les altérations de la personnalité apparaissent en même temps que peut s’estomper le


syndrome post-traumatique.
Pour Otto Fenichel, la névrose traumatique provoque un triple blocage des fonctions
du Moi :
• Le blocage de la fonction de filtration de l’environnement. Le sujet ne par-
vient plus à discriminer stimuli dangereux et anodins. Tout lui paraît mena-
çant, il est perpétuellement en alerte, il surveille l’environnement avec
suspicion, il sursaute au moindre bruit, il résiste à s’abandonner au sommeil.
Par ailleurs, il esquive toute situation susceptible de lui causer du stress et
évite de s’aventurer dans l’inconnu, préférant s’en tenir à la routine (blocage
de la fonction de prospection).
• Le blocage de la fonction de présence au monde. L’individu éprouve une
perte d’intérêt pour ses activités (professionnelles et de loisirs) qu’il néglige
ou délaisse fréquemment, le monde lui semble lointain et artificiel, l’avenir
lui paraît dénué d’espoir et de promesse, il manque d’énergie et d’initiative,
il est démotivé et se replie sur lui-même.
• Le blocage de la fonction d’amour et de la relation à autrui. La personne
échoue à établir et à entretenir des relations équilibrées. Elle sollicite, voire
revendique, constamment l’amour, l’affection et l’attention de son entourage,
mais se sent souvent insuffisamment aimée, mal comprise ou trop peu soute-
nue. En réaction, elle devient susceptible, se montre irritable et se tient en
retrait. Elle consacre toute son énergie à la réparation de son être blessé et
n’est plus disponible pour investir une relation affective.
Ces changements dans la personnalité rencontrés dans les syndromes psychotrau-
matiques, en particulier s’ils sont constitués en névrose traumatique organisée, se
signalent par des altérations du caractère, de la relation à soi, à autrui, au monde et à
la temporalité.

1.3.1. Les altérations du caractère


Les modifications de la personnalité sont fréquemment accompagnées par une
altération de la capacité à exprimer et à gérer les émotions. Ces troubles se manifestent
par une perturbation du comportement, de la communication et de l’adaptation dans le
domaine des émotions et des pulsions allant du débordement à l’inhibition en passant
par l’hyper-contrôle. Généralement, les sujets traumatisés alternent entre déborde-
ment et abattement.

1.3.2. Le débordement émotionnel et pulsionnel


Ce dérèglement émotionnel prend la forme d’irritabilité, d’hyperréactivité à des
stress mineurs (par exemple, intolérance au bruit et à l’animation), de crises de colère,
d’opposition à l’autorité, d’attitudes provocatrices, de comportements querelleurs,
asociaux et délinquants (vandalisme, vols, bagarres, etc.), de comportements sexuels
inappropriés et agressifs (activité sexuelle compulsive, viols), de prises de risque
222 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

inconsidéré (proximité sexuelle, rapports sexuels non protégés, sports extrêmes,


conduite automobile dangereuse, fréquentation de lieux peu sûrs, etc.), de conduites
autodestructrices (automutilations, passages à l’acte suicidaire, troubles du comporte-
ment alimentaire, abus d’alcool, prise de toxiques et consommation abusive de médica-
ments psychotropes, etc.).

1.3.3. L’abattement
Il se traduit par des accès de tristesse et de désespoir, une dépression majeure,
l’apragmatisme, l’apathie et la clinophilie, la recherche d’isolement ainsi que par l’inhi-
bition des pulsions agressives et sexuelles (asthénie sexuelle se traduisant par une
fatigue sexuelle, un manque de libido, de l’impuissance ou de la frigidité). Les victimes
qui contrôlent, voire inhibent, leurs émotions et leurs pulsions peuvent toutefois explo-
ser soudainement de manière violente et inattendue, les rares émotions exprimées
relevant généralement du registre de la colère.
« Ça me ronge à l’intérieur et puis, tout à coup, sur un bête truc, ça explose », nous
dit Nicolas.

1.3.4. Une altération du rapport à soi-même


Si toutes ne prennent pas conscience des modifications de leur caractère, voire
les nient, la plupart des personnes traumatisées disent qu’elles ont changé, que
l’expérience les a brisées, qu’elles ne se reconnaissent plus. Ce constat est d’ailleurs
largement corroboré par leur entourage (« Je ne le reconnais plus », « Il n’est plus le
même », « Elle n’était pas comme ça avant », etc.).
« Je n’ai pas seulement été kidnappée. On a kidnappé ma vie. Une partie de moi est
restée là-bas, en Haïti », me raconte une amie, kidnappée à Port-au-Prince et libérée
onze jours plus tard après versement d’une rançon.
« C’est comme si j’étais un peu morte », nous livre Mélinda, violée au cours d’une
mission humanitaire.
Audrey, victime des attentats terroristes à Paris, témoigne : « C’est sûr, on peut
dire que c’est une expérience qui change la vie, ça c’est sûr. Quand on le vit à l’âge
auquel je l’ai vécu, j’allais avoir 19 ans trois jours plus tard, on ne comprend pas du
tout ce qui nous arrive et on perd surtout toute innocence de la vie. Je me rappelle
avoir dit une phrase à ma sœur en sortant du Bataclan “mais c’est pas possible,
comment ça peut arriver chez nous ?” Crédule la jeunesse d’aujourd’hui qui, un peu
rebelle, ne s’intéresse pas forcément à la politique et vit dans sa petite bulle. Je ne
peux pas dire qu’on vit normalement après un événement pareil, d’ailleurs on ne
vit plus, on survit pendant un temps. C’est très long le temps de se remettre de ça
et personnellement je considère ça comme une maladie, un handicap, mon handicap
à moi m’empêche de vivre librement sans méfiance, sans sursaut au moindre bruit.
C’est un handicap angoissant qui est là au jour le jour et en réalité on n’apprend pas
à le surpasser mais à vivre avec. Il faut un moment pour accepter qu’on n’est plus la
même personne, que jamais on ne pourra oublier. Au début c’est très difficile parce
qu’on a absolument envie de retrouver sa vie d’avant, à l’identique de ce qu’elle était
Les syndromes psychotraumatiques ■ 223

mais c’est impossible. On a changé, on est différent, c’est une expérience de la vie
comme une autre qui nous en apprend plus sur soi. J’ai essayé et j’essaie toujours de
tirer au-delà du négatif le positif que cela à pu m’apporter, même si ça peut paraître
glauque. Alors je me dis que j’ai été courageuse, que j’ai agi comme il le fallait et que
je suis forte et mature. Je ne le pense pas complètement encore, parce que je culpa-
bilise encore d’être en vie, d’avoir “volé” la vie de quelqu’un d’autre. Quand on n’a
pas été blessé, on se sent toujours moins légitime d’être mal parce qu’on se sent plus
chanceux injustement que tous les autres. Mais même si ça va prendre son temps,
j’arriverai à combattre ça comme je réussis à combattre mes angoisses au jour le
jour. Cet attentat restera toujours le pire jour de ma vie entière, mais je survis à ça et
aujourd’hui je dépasse mes peurs, les autres angoisses de la vie courante deviennent
minimes devant ça et je ferai toujours tout pour m’en remettre quoiqu’il arrive pour
moi-même mais aussi pour ma sœur, parce qu’on a été plus fortes à deux là-bas, c’est
notre union qui a toujours permis de s’en sortir. »

Les victimes se décrivent apathiques, faibles et fatigables, sans volonté ni désir et sans
joie, tristes, pessimistes, timorées et anxieuses (« évitantes », sur le qui-vive), irritables,
coléreuses ou agressives. Certaines manifestent peu ou pas d’intérêt pour résoudre
leur situation ou leur avenir et le risque d’évolution vers une personnalité sinistro-
sique27 est réel. Outre cette impression de dommage irréparable, elles éprouvent fré-
quemment des sentiments de culpabilité (auto-accusations) et de honte, une impression
d’inefficacité, d’inutilité ou d’infériorité ainsi qu’un profond dégoût d’elles-mêmes. Ces
modifications de la personnalité et de la perception de soi induisent une baisse de
l’estime de soi et du sentiment de valeur personnelle (auto-dévalorisation). Repliées sur
elles-mêmes, elles ruminent les événements et leurs conséquences, toute l’énergie étant
mobilisée à la seule tâche de maîtriser leur situation.
« Je ne suis plus du tout la même qu’avant et ça me rend triste. Maintenant, le
moindre petit truc me donne des crises d’angoisse. J’essaie de tout contrôler, or, c’est
une voie de garage parce que dans notre vie, il y a plein de choses qu’on ne contrôle
pas. Ce n’est pas ça, vivre. En plus, ça continue à leur donner du pouvoir sur moi.
Ils m’ont fait beaucoup de mal et ils continuent de m’en faire » nous dit Laetitia, sur-
prise dans son sommeil, agressée et grièvement blessée par trois voleurs encagoulés.

La faillite narcissique entraîne fréquemment un désinvestissement de soi discernable


au travers d’une négligence de l’hygiène, des soins de santé, des tâches ménagères
(désordre, accumulation de linge et de vaisselle sales, etc.), des obligations administra-
tives (factures impayées, défaut de couverture sociale, etc.), etc.
« Il y a plein de choses que je ne fais pas et que je devrais faire. Je ne prends pas soin
de moi. Je dois aller chez le dentiste, je n’y vais pas. Je dois aller chez le médecin, je
n’y vais pas. Mes papiers s’accumulent. Je reçois des rappels de facture parce que

27. C’est au professeur Édouard Brissaud, médecin français et élève de Jean-Martin Charcot, que
l’on doit cette notion en 1908. Au sens restreint, la sinistrose est une attitude de revendication à la
suite d’un préjudice personnel. Elle est caractérisée par une inhibition du désir de guérison et par une
majoration inconsciente des séquelles du dommage. Plus largement, le terme renvoie à une disposition
d’esprit empreinte de pessimisme, d’inquiétude, de péjoration vague et systématique de l’avenir.
224 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

je ne les paie pas. Quand je vois que c’est une facture, je n’ouvre même plus. Je ne
suis pas en ordre de contrôle technique. Ça fait plus de six mois que je dois y aller.
Si je me fais prendre par les flics, je suis cuite. » constate Colette dont la fille s’est
suicidée par pendaison.

Dans les cas graves, le traumatisme psychique, en particulier s’il est subséquent à un
événement extrême, répété ou prolongé, devient partie intégrante de l’identité.
« Si on m’enlevait ça, je serais content, mais je serais malheureux aussi. J’ai telle-
ment l’habitude de vivre avec ça, je vis avec ça depuis tellement longtemps que
je n’ai pas envie que ça parte et en même temps, j’ai envie d’aller bien. Si je ne
pensais plus aux tueurs, si j’oubliais les tueries, j’ai l’impression que je ne serais
plus moi-même. Si j’avais de l’argent, je ferais de la chirurgie esthétique pour les
cicatrices, mais je garderais les morceaux de plombs que j’ai dans le corps. Enlever
tout, ce serait enlever toute la souffrance et j’ai besoin de garder quelque chose
de cet événement. C’est comme si je ne pouvais pas me permettre d’être normal.
C’est une souffrance terrible, mais j’ai besoin de la garder » témoigne Jean, victime
d’une fusillade. Quelques mois plus tard, après une amélioration des symptômes
traumatiques, il confirmera : « Je ne pense plus aux tueries. Je suis triste. Avant,
j’y pensais tout le temps. Maintenant, je dois faire un effort pour y penser. Je vivais
avec ça. J’avais ça en moi. J’ai l’impression que je ne suis plus la même personne. Je
suis plus détendu, plus calme, mais je n’ai pas l’habitude d’être comme ça. Avant,
j’étais tout le temps crispé. Par moments, j’aimerais bien que ça revienne parce que
j’avais l’habitude. Ça me manque parce que j’avais tellement l’habitude de vivre
avec ça… C’est comme si une partie de moi n’était plus là. J’y pensais tout le temps,
tout le temps, tout le temps. Je suis dix fois mieux, cent fois mieux, mais en même
temps, ça ne va pas. Tout va bien, trop bien, tout va peut-être trop bien et je n’ai
pas l’habitude de ça. »

Dans les cas les plus sévères, le traumatisme provoque une dissociation structurelle
de la personnalité. La « partie apparemment normale de la personnalité » (PANP) et la
« partie émotionnelle de la personnalité » (PEP) sont dissociées.
« La plupart du temps, je vais bien, je n’y pense pas, c’est comme si ça n’existait
pas, c’est comme si ça n’avait jamais existé, comme si ça ne s’était pas passé. Je vis
normalement, je bosse, je vois mes amis, je sors. Et puis, un truc me rappelle l’évé-
nement et je suis submergée par mes émotions. Alors, je m’agite, je bouge, je mets
de la musique, je vais faire des courses, n’importe quoi du moment que ça remplit
mon esprit avec autre chose. Je fais tout pour remettre ça dans la boîte parce que
j’ai l’impression que si je laissais venir tout ça, ça me détruirait complètement. J’ai
l’impression que je deviendrais folle si je laissais venir tout ça », nous dit Angela
victime d’un viol.

Certaines victimes sont sujettes à des épisodes transitoires de dépersonnalisation,


ce qui leur donne l’impression de ne plus être elles-mêmes (sensations de dédou-
blement, d’être spectateur de leur vie, d’agir comme un robot, de sortir de leur
corps, etc.).
« Dans ces moments-là, c’est comme si ça disjonctait. Je suis là, mais c’est comme si je
me voyais vivre de l’extérieur. Je pense que les gens ne le remarquent pas parce que
Les syndromes psychotraumatiques ■ 225

je continue à parler, à sourire et tout ça, mais moi, comment vous dire, c’est comme
si je me voyais parler, comme si je me voyais sourire de l’extérieur. Je sais que c’est
moi et en même temps, ce n’est pas vraiment moi. Vous savez, je dis toujours : “je
me suis éloignée de moi-même”, je ne sais pas mieux dire. Il me semble que c’est sou-
vent quand quelque chose m’a fait penser à l’agression que ça arrive. C’est difficile
à dire parce que ça peut être quelque chose d’idiot comme un mot que quelqu’un
prononce ou un truc du genre et ça passe tellement vite, c’est tellement insignifiant
que je ne repère pas toujours ce qui déclenche ça. », raconte Sandra, victime d’un
car-jacking violent.

Dans les cas extrêmes, les PEP et les PANP sont elles-mêmes fragmentées. Les victimes
alternent alors entre des phases de reviviscence des situations traumatiques subies
antérieurement et des périodes de fonctionnement normal durant lesquelles elles
semblent détachées, voire inconscientes, de leur trauma.
Clémentine a été enrôlée par les membres de sa famille dans un réseau pédophile.
Elle n’a échappé à son calvaire qu’à l’âge adulte, lorsqu’un parent, multirécidi-
viste, a été de nouveau arrêté par la police, entraînant la chute de ses comparses
et le démantèlement du réseau. Violée à de multiples reprises et victime de
tortures répétées, elle replonge fréquemment et soudainement dans le passé.
Pendant ces reviviscences, elle s’exprime avec la voix et le vocabulaire corres-
pondant à l’âge revécu, elle s’adresse aux agresseurs du passé comme s’ils étaient
présents, elle leur demande pardon et promet d’être sage, elle se tord de douleur
sous les coups qu’ils lui portent, elle pleure, elle tremble, elle se montre terrifiée
ou horrifiée, etc. Elle est totalement inconsciente du monde réel et sourde à son
entourage. Tout en continuant à revivre les scènes traumatiques, elle commence
à s’automutiler : elle s’arrache les cheveux, se griffe et se coupe. Au bout d’un
moment, elle perçoit la douleur provoquée par les blessures qu’elle s’inflige et
sort de l’état dissociatif. Le reste du temps, Clémentine est une femme souriante,
une mère attentive de deux enfants, une professionnelle consciencieuse et une
amie dévouée.

Un événement traumatisant peut toutefois avoir des conséquences positives et être


à l’origine de ce que Richard Tedeschi et Lawrence Calhoun nomment « la croissance
post-traumatique » (posttraumatic growth) (Tedeschi, Calhoun, 1995, 2004). Les bou-
leversements cognitifs et émotionnels remettent en question le fonctionnement psy-
chologique prétraumatique. Ce processus engage les victimes à réviser leurs schémas
fondamentaux, ce qui crée un terrain propice à la perception de changements positifs
et à l’élargissement de la vision qu’elles ont d’elles-mêmes (nouvelles possibilités per-
sonnelles, sentiment de force, de valeur et d’estime de soi, etc.).
« J’ai réussi à m’en sortir. Je sais maintenant que j’ai la force en moi. Je peux compter
sur moi-même et ça, c’est un truc inouï. Jusque-là, j’avais toujours compté sur quelqu’un
d’autre. D’abord sur mes parents puis sur mon mari. Maintenant, je sais que je suis
fiable pour moi-même. Je sais que la vie peut basculer. Rien n’est jamais gagné, mais si
j’ai réussi à m’en sortir une fois, il n’y a pas de raison que je ne puisse pas m’en sortir
encore en cas de problème. Je n’ai pas dit que ça a été facile, mais en tout cas, le résultat
est là, j’ai réussi à m’en sortir », nous dit Charlotte, victime de violence sexuelle.
226 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

1.3.5. Une altération de la relation aux autres


L’étude de North quatre ans après l’attaque à l’explosif à Oklahoma City montre
que deux tiers des victimes en souffrance traumatique connaissent une détérioration
de leurs relations personnelles contre un tiers pour les personnes sans syndrome
psychotraumatique (North, Nixon et al., 1999). Le psychiatre français Patrick Clervoy
nomme « syndrome de Lazare »28 les dérèglements prolongés rencontrés par une
victime qui a cru qu’elle allait mourir dans ses relations au niveau social, familial et
professionnel avec autrui et notamment avec les personnes qui s’étaient résignées à
l’idée de la perdre (proches d’un otage, d’un rescapé de conflit armé, d’une catastrophe
naturelle ou d’un accident de grande ampleur, etc.).
Divers facteurs vont accroître le risque de développement de troubles relationnels,
en particulier, le caractère intentionnel des violences subies, le fait qu’elles soient
commises par des proches, leur répétition sur une longue durée et l’absence de soutien
dans l’entourage direct.

1.3.6. L’altération de l’intérêt porté aux autres


Après une expérience traumatique, le comportement relationnel de la victime est
susceptible de se modifier. Elle interagit de moins en moins avec son entourage et lui
marque un désintérêt progressif, voire manifeste des conduites d’évitement relation-
nel. Elle ressent un détachement et un engourdissement affectif (anesthésie affective),
elle éprouve des difficultés à établir ou à maintenir des relations profondes, elle se
montre incapable d’aimer et de ressentir des sentiments amoureux, elle se désintéresse
de la sexualité, etc. Ses relations sont empreintes de froideur, voire d’une absence
d’empathie, etc.
Orcel, rescapé du séisme en Haïti, s’interroge : « Avant, j’avais des rapports sexuels
réguliers avec ma copine. Maintenant, je ne suis plus intéressé. Je me demande si
je l’aime encore. Je pense que oui, mais alors, pourquoi est-ce que je n’ai plus envie
d’elle ? Elle, elle me dit que c’est normal, que c’est à cause du traumatisme et que ça
va revenir avec le temps. »
Jean Genêt, lui aussi survivant du tremblement de terre, nous raconte : « Je ne suis
plus certain d’aimer mon amie. Avant le 12 janvier, on avait le projet de se marier
dans le courant de cette année. Maintenant, je ne sais plus si j’ai envie, je ne sais plus
si je l’aime, je ne ressens plus rien. »
« J’ai toujours rêvé de rencontrer une femme comme elle. Je suis bien avec elle, mais
je ne sais pas si j’aime. Avant, une femme comme ça, j’en aurais été fou. Je ne sais
pas si je suis encore capable d’aimer. Je n’ai plus d’excitation pour rien. Je fais mon
boulot et après, je tourne le bouton », remarque Arthur, victime d’un incendie.
« Mon compagnon ne comprend pas. Il me dit qu’après ce que j’ai vécu, je devrais
être plus compréhensive vis-à-vis des gens qui souffrent. Eh bien, c’est tout le

28. Dans l’Évangile selon saint Jean, Lazare est le premier à revenir du Royaume des Morts après
avoir été ressuscité par Jésus.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 227

contraire. Je l’ai choqué parce que je parlais de la voisine qui a perdu son fils et je
disais que c’est bien fait pour elle. Et le pire, c’est que je le pensais vraiment. Et des
pensées comme celles-là, j’en ai souvent. Je ne vois d’ailleurs plus personne. Mon
premier mari aimait bien recevoir et je connaissais beaucoup de gens avant, mais
tout le monde a pris la fuite. Il paraît que je suis méchante. Ça m’arrange bien, je
veux la paix », nous confie Colette.

1.3.7. L’impression de ne plus appartenir au même monde


Les victimes ont le sentiment d’être différentes de leur entourage dont elles ne par-
tagent plus l’intérêt axé vers le plaisir, la réussite, le succès, la séduction, etc. Même si
certaines réalisent le caractère irrationnel des reproches adressés à leurs proches, elles
se sentent souvent incomprises ou mal comprises, mal aimées et inadéquatement ou
insuffisamment soutenues. Nombreuses sont celles qui évitent de se confier et d’expri-
mer leur vécu à leur famille et à leurs amis. Dans certains cas, elles se livrent à leurs
compagnons d’infortune (par exemple, à leurs amis rescapés des camps d’extermina-
tion, à leurs collègues pompiers actifs à leurs côtés dans une catastrophe, aux amis
militaires appartenant au même bataillon, etc.) ou à des victimes partageant un vécu
similaire (groupe de parole organisé dans les Vet Centers pour les vétérans de la guerre
du Vietnam, forum de victimes sur Internet, etc.) ; dans d’autres, elles répugnent à
s’exprimer auprès de quiconque craignant de réactiver le traumatisme, la tristesse, la
peur ou la honte.
« Je me sens en décalage par rapport aux autres. Je veux qu’on me foute la paix. Je
ne veux pas qu’on m’envahisse. Je veux être tranquille », affirme Colette.
« J’ai l’impression de ne plus vivre sur la même planète que mon entourage. Je
trouve ça ridicule, la course à l’argent. Je ne comprends pas comment on peut se
ruer dans les magasins pour les soldes. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir une grosse
bagnole. J’ai l’impression que tout ça c’est tellement artificiel ! C’est tellement futile…
C’est impossible pour moi de faire semblant. Je ne peux pas faire des Oh et des Ah
quand une copine me parle de sa nouvelle coupe de cheveux ou de la bague que
son mari lui a offerte. Je m’en fous ! Ce n’est pas très sympa parce qu’avant j’étais
comme elle et ça fait un peu la snob qui dit je suis au-dessus de tout ça, mais je ne
me retrouve plus dans ce monde », reconnaît Béatrice, victime d’un grave accident
de la route.

1.3.8. La méfiance
Au niveau social, les relations qu’entretiennent les victimes sont généralement
empreintes de réserve, de méfiance et de crainte. Elles tiennent les relations intimes
à distance et veillent à ne rien livrer de personnel dans leurs échanges avec autrui.
Les plus méfiantes deviennent totalement incapables d’accorder leur confiance à
quiconque.
« J’ai peur d’être jugé. J’ai peur de me dévoiler. Je ne peux pas sortir de moi-même. Je
n’ai plus confiance en l’être humain », nous dit Jean, victime d’une fusillade.
228 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

Les sujets traumatisés éprouvent fréquemment de la peur et de la suspicion envers


les personnes évoquant l’agresseur (par exemple, les hommes) et envers celles qui
pourraient l’être (par exemple, les inconnus), mais également envers leurs proches.
Suspicieux et apeurés, ils peuvent se montrer hostiles à l’égard d’autrui.
« Je me méfie des étrangers, de tous les gens que je ne connais pas et de la gent humaine
en général. Je voudrais rester prudente, mais je ne veux plus être méfiante parce que
quand je suis méfiante, je deviens agressive », nous confie Laetitia, surprise dans son
sommeil, bâillonnée, tabassée et grièvement blessée par trois voleurs encagoulés.

Dans les cas extrêmes, les victimes s’interrogent de manière systématique sur les
intentions de leur interlocuteur, craignent qu’il puisse lire leur pensée ou redoutent
d’être sous influence.
« J’ai peur qu’on voie à travers moi. J’ai peur qu’ils voient que je vais mal », déclare
Gaëlle, victime de viol.

1.3.9. Une attitude régressive de dépendance ou de repli sur soi


Les victimes manifestent fréquemment une attitude régressive de dépendance et
de détresse dans les relations affectives, une augmentation des demandes émotion-
nelles auprès de l’entourage (besoin insatiable d’affection, d’attention, de considération
et de protection, besoin d’être prises en charge, besoin de parler sans discontinuer et
d’être écoutées, égocentrisme, etc.) ou au contraire, un repli sur soi (refus de parler,
recherche d’isolement, évitement des relations familiales, amicales, sociales et/ou pro-
fessionnelles, etc.). Nous l’avons vu, ces réactions sont en partie déterminées par les
circonstances dans lesquelles s’est produit l’événement traumatisant. Par exemple, si
une personne a été molestée ou si elle a été surprise par une catastrophe naturelle alors
qu’elle se trouvait seule, elle peut vouloir être accompagnée constamment ; si elle a été
agressée par plusieurs individus, elle peut manifester un retrait social et vouloir s’isoler.

1.3.10. L’irritabilité et de l’agressivité


Dans leurs relations à autrui, les victimes peuvent manifester de l’irritabilité et de
l’agressivité (crises de colère, propos ou actes agressifs) ainsi que des tendances à répéter
des actes de maltraitance, notamment envers les proches (identification à l’agresseur29).
« C’est incontrôlable, c’est plus fort que moi, je deviens méchante, je deviens imbu-
vable. J’agresse mon copain alors qu’il n’y est pour rien. Et ce qui me rend le plus
triste, c’est que je bouffe le nez de mes enfants », nous dit Valentine, agressée par
son ex-mari.

29. L’identification à l’agresseur est un mécanisme de défense. Il a été décrit par Anna Freud en
1936 (Freud A., 1936). Confrontée à la violence, la victime risque de s’identifier à l’agresseur. Son
comportement agressif est alors le résultat d’un renversement des rôles : agressée, elle devient auteur
de violence par imitation des attitudes et des comportements de l’agresseur. Au lieu d’éprouver de la
peur, elle l’inspire et terrorise son entourage.
Les syndromes psychotraumatiques ■ 229

1.3.11. L’adaptation relationnelle pathologique


Dans certains cas, les victimes établissent des liens pathologiques de confiance,
d’empathie, de complicité ou de compassion avec l’auteur de leur malheur. Nous
l’avons vu, les otages peuvent rapidement établir une relation de confiance avec
leurs ravisseurs appelée syndrome de Stockholm. Les victimes d’un proxénète, d’un
conjoint violent ou d’un supérieur hiérarchique harceleur peuvent elles aussi éprouver
des sentiments positifs envers leur tourmenteur. Ces relations pathologiques sont à
considérer comme une stratégie d’adaptation. Percevoir l’auteur des violences comme
digne de confiance atténue l’anxiété et la peur des captifs et des sujets piégés dans une
relation d’emprise (Weber, Malhotra, Murnighan, 2005).
« “D’une certaine manière je porte son deuil.” Dans un texte lu à la presse par
un psychologue en son nom, la jeune Autrichienne, Natascha Kampusch, âgée de
18 ans, a exprimé son attachement à son ravisseur, Wolfgang Priklopil, qui l’a
séquestrée pendant huit ans dans une maison, près de Vienne. Cet électricien de
44 ans s’est jeté sous un train après l’évasion de la jeune fille.30 »

Si la plupart des victimes voient leurs compétences relationnelles altérées, d’autres,


au contraire, manifestent des compétences accrues (croissance post-traumatique). Ces
dernières accordent davantage d’importance à leurs proches et à l’authenticité des
relations humaines. Les valeurs humaines fondamentales et les relations interperson-
nelles (ouverture, empathie, compassion, solidarité) s’en trouvent revitalisées.
« Depuis que j’ai vécu ça, je veux être utile aux autres. Après avoir vécu quelque
chose comme ça, on a besoin d’être utile aux autres. Ça n’est pas suffisant d’être utile
que pour soi-même », nous livre Élisabeth, victime de violence conjugale.
« Après avoir passé les trois semaines en prison, j’ai changé par rapport aux autres.
Je suis devenu une meilleure personne. Je suis devenu moins sévère avec mes
employés. J’ai vu tellement de violence en prison… Je suis devenu plus tolérant,
plus calme dans mes rapports avec les autres, avec ma femme, avec mes enfants,
avec mes amis. Je suis plus compréhensif, plus patient. J’ai commencé à écouter
les gens, à essayer de les comprendre… Ma femme ne comprend pas ça. C’est vrai
que c’est quand même fort. C’est mon propre frère qui m’a dénoncé à la police
alors que jusque-là, on s’entendait bien lui et moi. Et en plus, j’ai été trahi par mon
collaborateur. Je n’aurais jamais pensé ça de lui. On était amis depuis vingt ans. Je
pensais qu’on était comme les deux doigts de la main et il a profité du fait que j’étais
en prison pour m’arnaquer. Je ne lui en veux même pas et à mon frère non plus.
Ça, ma femme ne comprend pas. Elle dit qu’à ma place, elle aurait la rage et qu’elle
aurait envie de les trucider, mais moi, ça m’a changé dans le bon sens. C’est grâce à
ça que je me suis intéressé à la psychologie et au bien-être. J’ai complètement changé
d’orientation professionnelle. Maintenant, la seule chose qui m’importe, c’est d’aider
les autres », témoigne Arthur, grièvement brûlé dans l’incendie criminel qu’il a pro-
voqué et pour lequel il a été écroué.

30. Natascha : « Il faisait partie de ma vie » (Le Figaro, 28 août 2006).


230 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

« J’ai perdu des amis, mais j’en ai gagné aussi. J’ai été étonnée du nombre de per-
sonnes qui m’ont soutenue après mon accident et ça m’a redonné confiance en l’être
humain. Ça a changé mes priorités. Je me rends compte qu’il n’y a qu’une chose qui
soit vraiment importante dans la vie, c’est l’amour. L’amour avec un grand A mais
aussi l’amour pour les amis, les voisins, les collègues, etc. J’aimais déjà énormément
mes enfants, mon mari et ma famille avant, mais j’ai l’impression que je les aime
encore plus », déclare Christiane, victime d’une agression en rue.

1.3.12. Une altération de la relation au monde extérieur


Les victimes peuvent éprouver un sentiment prolongé et récurrent de perte de
sens, de détachement et/ou d’insécurité, manifester moins d’intérêt pour leurs activi-
tés (loisirs, activités professionnelles, etc.) et présenter des troubles dissociatifs.

La perte de sens
Le traumatisme remet en question l’ordre du monde et les valeurs fondamen-
tales de l’humanité, privant les individus de repères et les plongeant dans le chaos de
l’incompréhensible, de l’absurde et du non-sens.
« À quoi ça sert d’être sur terre ? », se demande Jean, victime d’une fusillade.
« Je ne crois plus en Dieu. Si Dieu existe, il n’aurait pas permis ça et s’il existe et
qu’il a permis ça, moi, je ne veux pas de ce Dieu-là. Je préfère encore penser qu’il
n’existe pas plutôt que de croire qu’il a permis ça », nous dit une survivante du
génocide rwandais.

A contrario, les efforts d’adaptation amènent d’autres victimes à attribuer un sens


positif à l’expérience traumatique qu’elles ont traversée. Elles s’engagent dans une
réflexion fertile sur elle-même, leurs buts, leurs aspirations, leurs choix, leurs priorités,
leurs possibilités, la spiritualité, etc. Percevoir des changements constructifs constitue
une étape importante de la restauration psychique (croissance post-traumatique).
À titre d’exemple, 37 % des anciens otages témoignent de conséquences positives
de leur expérience se traduisant notamment par une modification de leur système
de valeur (Bigot, Ferrand, 1998). La souffrance porteuse de croissance personnelle
et d’évolution spirituelle suscite l’intérêt depuis plusieurs décennies. Le psychiatre et
neurologue autrichien Viktor Frankl, rescapé du camp d’extermination d’Auschwitz,
a été l’un des premiers à aborder ce concept dans son ouvrage Man’s search for
meaning paru en 1963.
« Avant, je me laissais envahir par des bêtises. Je voulais toujours que ma maison
soit impeccable et je passais à côté de l’essentiel. Je faisais passer le ménage avant
mes enfants, avant mon mari, avant mon propre bien-être. Maintenant, je profite
davantage. Mes priorités ont changé. Et je relativise beaucoup plus qu’avant, je
dédramatise davantage. Si j’arrive en retard, eh bien j’arrive en retard. Il n’y a pas
mort d’homme ! C’est tellement peu important comparé à ce que j’ai vécu. Avant,
j’en aurais fait une maladie ! », témoigne Anouk, victime d’un accident de la route.
« J’apprécie tous les petits moments. Un arc-en-ciel, le bruit de la pluie sur la
fenêtre, les odeurs d’humus quand on se promène en forêt, le merle du jardin qui
Les syndromes psychotraumatiques ■ 231

chante au début du printemps. J’ai failli ne plus pouvoir en profiter. Je ne voyais


plus, je n’entendais plus, je ne sentais plus, je ne goûtais plus. Cet accident m’a
réveillée. Je suis beaucoup plus vivante qu’avant ! Je pensais que ça allait pas-
ser. J’ai vu ça souvent autour de moi, des gens qui guérissent d’un cancer et qui
croquent la vie à pleines dents et puis qui se laissent reprendre dans l’engrenage,
mais moi, ça fait plusieurs années et je continue, chaque matin, à être heureuse
d’être en vie et de pouvoir profiter de tout ce que la vie m’offre », nous confie
Marion, percutée quatre ans auparavant par une moto alors qu’elle traversait la
chaussée sur le passage pour piétons.
Plusieurs années après la fin de sa mission au Rwanda, une travailleuse humanitaire
nous dit : « Tout ça a beaucoup remué en moi. C’était tellement horrible. Ça n’avait
tellement pas de sens ! J’en ai bavé, mais j’ai accouché de moi-même. C’est grâce à ça
que je me suis engagée dans un chemin spirituel. »

Les sentiments de détachement


Les victimes réduisent leurs activités et perdent leur curiosité et leur motivation
pour leur travail, les tâches qui leur incombent et leurs loisirs.

Un sentiment d’insécurité
La remise en question du sens de la vie et de la logique du fonctionnement du
monde aboutit à l’effondrement du sentiment de cohérence et de sécurité interne.
Les sujets traumatisés perçoivent le monde extérieur comme incohérent, imprévisible,
incontrôlable, malveillant, menaçant et dangereux. Dans cet univers hostile, ils se
sentent vulnérables, soumis aux événements adverses de façon arbitraire et aléatoire,
ce qui génère une attitude d’hypervigilance. Ils restent en état d’alerte (sursaut au
moindre bruit, tension motrice, résistance à l’endormissement, sommeil léger, réveils
nocturnes, etc.) pour s’assurer de prévenir tout nouvel événement traumatique. Ils
guettent d’éventuels signes de menace avec une attention exacerbée, voire se livrent
à une prospection constante de leur environnement (observation des personnes, des
objets, etc.). Ils sont incapables de discriminer situations inoffensives et dangereuses,
toute stimulation étant perçue comme funeste et provoquant un sentiment d’insécu-
rité. Ils adoptent très fréquemment des conduites d’évitement.
« Je deviens parano. Je vois le mal partout. Il y a de plus en plus de gens qui sont
vicieux. La vie ne tient qu’à un fil », rapporte Laetitia, surprise dans son sommeil,
agressée et grièvement blessée par trois voleurs encagoulés.

Les troubles dissociatifs


Certaines personnes connaissent des épisodes transitoires de dépersonnalisation
et/ou de déréalisation. L’expérience qu’elles ont de leur personne et de la réalité est
tellement altérée qu’elles ont le sentiment qu’elles sont dépossédées d’elles-mêmes et
que le monde extérieur est artificiel ou déréel (impression d’irréalité ou d’étrangeté,
sensation de vivre un rêve éveillé ou un cauchemar).
« Je n’ai plus accès à mon cerveau, je ne sais plus réfléchir », nous explique Laetitia.
232 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

« Dans les moments où je ne me sens pas compétente, dans les moments où je n’ai
pas le contrôle, alors, je pars, je ne suis plus là », rapporte Carine, victime de vio-
lence conjugale.

« À un moment, je peux être très très mal et puis, ne plus rien sentir du tout. Je suis
hors service. Je ne suis plus là, je suis ailleurs, mais je ne sais pas où », nous confie
Jean, victime d’une fusillade.

Une altération de la relation au temps


Le traumatisme provoque une destruction de la personnalité temporelle.
L’expérience délétère devient le pivot de la vie de l’individu, cheville autour de laquelle
vont s’articuler (se désarticuler) passé, présent et futur. Elle instaure un temps inau-
gural : la victime ne se réfère plus dans sa dimension temporelle qu’au moment de
son occurrence. Pierre Janet (1919a) parle du symptôme de l’accrochage : les sujets
traumatisés restent accrochés à un obstacle qu’ils ne parviennent pas à franchir. Ils
sont arrêtés dans le cours de leur existence par un blocage de leurs capacités de réac-
tion et d’adaptation. L’écoulement harmonieux des événements dans une perspective
linéaire et continue est rompu au profit d’un temps cyclique, rythmé par le retour
intrusif du passé sous forme de réminiscences. L’histoire de la vie d’une victime com-
mence par un récit cohérent, mais soudain, elle change. Les événements se succèdent
si rapidement, de manière si inattendue et dramatique que la personne ne peut plus en
donner un récit cohérent. Déstructuré, le récit ne constitue plus un moyen de donner
sens à sa vie. Il n’est plus à même de mettre en valeur les événements significatifs, de
montrer qu’ils correspondent à des étapes, qu’ils possèdent des connexions causales
avec d’autres épisodes importants, qu’ils ont une fin, etc. Par ailleurs, ces événements
se voient accorder une importance extrême et sont considérés comme les moments les
plus intenses de la vie.
C’est l’impossibilité de se détacher du souvenir traumatique qui caractérise le plus
l’état mental de la victime et le fait que cette distorsion s’opère dans la dynamique
temporelle. Ce télescopage du temps s’inscrit dans la continuité psychique et marque
donc l’identité de la victime. La charge émotionnelle, le caractère majoritairement
sensoriel et l’absence d’élaboration mentale du souvenir traumatique empêcheraient
qu’il s’insère dans le sentiment d’unité personnelle et de continuité temporelle de la
personne.
« J’ai l’impression que ça s’est passé hier. J’ai des frissons en disant ça. C’est comme
si j’étais bloqué. Au fond de moi, j’aimerais bien avancer. C’est comme si ce jour-là
tout s’était arrêté. J’ai du mal à aller de l’avant. J’ai une femme et deux enfants et je
devrais avoir le courage d’avancer rien que pour eux, mais je n’y arrive pas. C’est
comme s’il y avait un frein », se désespère Jean.

Dans le décours de l’incident, seul compte le présent. Les individus mettent l’accent
sur le fait d’avoir échappé à la mort. Être vivant est pour l’heure un miracle suffisant
pour continuer à vivre. Avec le temps, ce présent va être contaminé par le retour
récurrent des événements délétères sous forme de réminiscences (flash-back, souve-
nirs intrusifs, ruminations, cauchemars, etc.), mais également par les appréhensions
Les syndromes psychotraumatiques ■ 233

récursives concernant l’avenir (sentiments de précarité de l’existence et conviction


de menace). Le présent n’agit plus comme fonction de délimitation par rapport au
passé et au futur. Les sujets traumatisés sont privés de la capacité positive d’oubli que
Paul Ricœur (2000) nomme « oubli de réserve ». Dépossédés de cet oubli salutaire, ils
éprouvent des difficultés à effectuer de nouveaux apprentissages et à apprécier leurs
expériences actuelles.
Le passé n’échappe pas au souffle traumatique. Le passé traumatique se perpétue en
s’insinuant dans le présent et le passé antérieur au traumatisme est remodelé (idéalisé,
difficilement évoqué, voire « oublié », etc.).
« C’est comme si j’étais encore hier. Et ça s’est passé il y a presque trente ans »,
remarque Jean.

Le traumatisme altère également le concept de futur. L’avenir est pétrifié, appré-


hendé comme dénué de promesse. Les sujets traumatisés expriment des sentiments
de précarité de l’existence (ils ont l’impression que le futur fourmille de dangers et
ne leur réserve que de mauvaises surprises) et d’avenir bouché (ils se désintéressent
de leur futur professionnel et de leur vie sociale ou sont convaincus que l’accès
à de nouvelles opportunités leur est barré). En effet, les victimes, en particulier
lorsqu’elles ont subi des traumatismes complexes, éprouvent fréquemment des
difficultés à désirer et à se projeter dans l’avenir, a fortiori dans un futur positif.
Vouloir, c’est toujours vouloir un futur, c’est vouloir que le futur « soit » et qu’il
soit ce qu’on en attend. En effet, les désirs, les attentes, les aspirations et les projets
ont en commun d’être orientés vers un futur souhaité. Or, la détresse du trauma-
tisé ne lui autorise pas l’espoir d’un futur positif (par exemple, s’imaginer heureux,
s’amusant, vivant une vie « normale » et insouciante, etc.). Dès lors, l’avenir est
incapable d’étayer les représentations de l’avènement des désirs et des actions
(« Demain, je ferai… », « Dans un mois, je pourrai… ») et laisse un sentiment écrasant
d’impuissance.
« Quand ma femme me demande : “Qu’est-ce que tu as envie de faire ce weekend ?”,
je ne sais pas. Quand elle me demande : “Qu’est-ce que tu as envie de faire de ta
vie ?”, je ne sais pas. C’est comme si je n’étais pas là. Je ne sais pas voir les choses
à long terme. Je ne sais pas. C’est comme si dans ma tête je vivais dans le passé.
Je n’ai envie de rien… Je ne sais pas ce que j’ai envie. »

Face aux symptômes d’altération de la personnalité décrits ci-dessus, les diagnostics de


trouble de l’adaptation31, de trouble dissociatif de la personnalité (personnalité multiple)32 et

31. Selon le DSM-5 et la CIM-10.


32. Voir infra « Les troubles dissociatifs de la personnalité » dans le chapitre « Les syndromes psy-
chotraumatiques selon les nosographies internationales ». Le trouble dissociatif de la personnalité
désigne pour le DSM-5 une « perturbation de l’identité caractérisée par deux ou plusieurs états de
personnalité distincts » (DSM-5, 2013). Pour la CIM-11, « Le trouble dissociatif de l’identité se carac-
térise par une perturbation de l’identité dans laquelle au moins deux états de personnalité distincts
(identités dissociatives) sont associés à des discontinuités marquées du sens du moi et de l’action »
(https://icd.who.int/browse11/l-m/en, traduction de l’auteur). Les différents états de personnalité
234 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

de trouble de la personnalité borderline (état-limites, cas-limites33), dépendante34, histrio-


nique (hystérique)35, évitante36 (phobique), narcissique37 ou antisociale (psychopathe)38
sont souvent posés chez les victimes ayant subi des événements délétères extrêmes,
répétés ou prolongés39. Malheureusement, le DSM n’a pas cru bon d’introduire une
nouvelle catégorie diagnostique, le C-PTSD40 ou le DESNOS41 dans sa dernière version
parue en 2013. La CIM-11 a, quant à elle, franchit ce cap décisif en reconnaissant le
syndrome de « stress post traumatique complexe » (Complex post-traumatic stress
disorder ou Complex PTSD). Celui-ci remplace la « modification durable de la person-
nalité après une expérience de catastrophe » de la version précédente42. De nouvelles
entités syndromiques dans les nomenclatures internationales, une bonne connaissance
de la névrose traumatique et du traumatisme complexe ainsi qu’une anamnèse bien
conduite devraient permettre de conclure plus souvent à des troubles subséquents à un
événement traumatisant.

ne constituent pas des entités discrètes et autonomes. Il s’agit davantage d’une dissociation d’une
même personnalité, d’une même identité. Dans le DSM-IV et la CIM-10, ce trouble était dénommé
« Trouble de la personnalité multiple ». Des épisodes aigus de dépersonnalisation anxieuse peuvent
prendre le caractère d’un véritable dédoublement de la personnalité.
33. Trouble de la personnalité borderline pour le DSM-5 et personnalité émotionnellement labile
pour la CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un changement dans la CIM-11. Le trouble
devrait être repris dans « traits ou schémas de personnalité proéminents » (6D11 Prominent per-
sonality traits or patterns) sous la dénomination devrait être reprise dans « Schémas borderline »
(borderline pattern).
34. Selon le DSM-5 et la CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un changement dans la
CIM-11 et devrait être reprise dans « les troubles de la personnalité, sévérité non spécifiée ».
35. Selon la terminologie du DSM-5 et de la CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un
changement dans la CIM-11. L’OMS se voulant a-théorique souhaite supprimer toute référence à la
psychanalyse. Cette catégorie devrait être reprise dans « les troubles de la personnalité, sévérité non
spécifiée ».
36. Trouble de la personnalité évitante selon le DSM-5 et personnalité anxieuse (évitante) pour la
CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un changement dans la CIM-11 et devrait être
reprise dans « les troubles de la personnalité, sévérité non spécifiée ».
37. Selon le DSM-5 et la CIM-10. Cette catégorie fait probablement l’objet d’un changement dans la
CIM-11 et devrait être reprise dans « les troubles de la personnalité, sévérité non spécifiée ».
38. Trouble de la personnalité antisociale pour le DSM-5 et personnalité dyssociale pour la CIM-10.
Dans la CIM-11 le trouble devrait être repris dans « traits ou shémas de personnalité proéminents »
(6D11 Prominent personality traits or patterns) sous la dénomination « Dissocialité dans le trouble
de la personnalité ou difficulté de la personnalité » (6D11.2 Dissociality in personality disorder or
personality difficulty).
39. Voir infra « Les psychopathologies ».
40. Complex Post-traumatic Stress Disorder, en français état de stress post-traumatique complexe.
Terme proposé par Judith Herman. Voir infra « Les syndromes psychotraumatiques selon les noso-
graphies internationales ».
41. Disorder of Extreme Stress not Otherwise Specified ou DESNOS, traduit en français par
trouble de stress extrême non spécifié outre mesure, dénomination proposée par Luxenberg T.,
Spinazzola J., van der Kolk B. Voir infra « Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies
internationales ».
42. Voir infra « Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ».
Les psychopathologies ■ 235

2. Les psychopathologies
Les victimes ayant subi des événements délétères, surtout s’ils ont été extrêmes,
répétés ou prolongés, risquent de développer une psychopathologie névrotique ou
psychotique.

2.1. Les névroses


L’anxiété est présente dans toutes les névroses. Il n’est donc pas étonnant qu’un
événement traumatisant puisse instaurer les circonstances propices au déclenchement
de l’anxiété névrotique.
Le trauma se prête essentiellement au développement des névroses phobiques43. Les
individus anxieux, sujets à des peurs spécifiques et ayant tendance à l’évitement pour-
ront ainsi présenter précocement une névrose phobique.
L’impact traumatique peut également favoriser l’éclosion d’une névrose hysté-
rique44. Rappelons au passage que traumatisme et hystérie partagent un passé
commun dans les théories janétiennes et freudiennes. En effet, dans près de la moi-
tié des observations cliniques exposées par Pierre Janet dans ses quatre premiers
ouvrages publiés entre 1889 et 1903 (Crocq, 1999), les troubles hystériques sont
subséquents, peu ou prou, à un événement traumatique, soit, selon la terminologie
de l’auteur, à un « choc moral » (conflits, disputes, rupture sentimentale, etc.) ou à
une « émotion violente », une « frayeur » provoquée par une agression (viol, inceste,
mauvais traitements, blessure), un accident, l’annonce du décès inopiné d’un proche,
le spectacle de l’agression ou de la mort d’autrui. De même Sigmund Freud, dans ses
premières théories sur l’hystérie, considérait que les symptômes hystériques étaient
la conséquence d’un traumatisme, généralement sexuel, advenu durant l’enfance et
oublié à l’âge adulte. L’hystérie était donc, selon lui, la réponse corporelle (conversion
hystérique) à un traumatisme45.
Nous l’avons vu dans le chapitre consacré aux réactions immédiates, le traumatisme
peut initier une névrose obsessionnelle. Toutefois, lorsqu’une névrose obsessionnelle
est installée, les obsessions et les rituels protègent généralement les individus des
agressions psychiques d’un événement délétère.

43. Trouble de la personnalité évitante selon le DSM-5 et personnalité anxieuse (évitante) pour la
CIM-10.
44. Personnalité histrionique selon la terminologie du DSM-5 et de la CIM-10.
45. Théorie connue sous le nom de « neurotica » (théorie des névroses). En 1897, Freud abandonne
l’hypothèse d’un événement traumatique réellement vécu à l’origine de l’hystérie et opte pour une
étiologie de type fantasmatique.
236 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

2.2. Les psychoses


Les événements traumatiques survenant à l’âge adulte n’induisent pas une orga-
nisation psychotique, mais peuvent constituer des facteurs précipitant la surve-
nue d’une psychopathologie préexistante de type paranoïaque, schizophrénique ou
maniaco-dépressive.

3. Les syndromes psychotraumatiques


selon les nosographies internationales
Les nosographies internationales DSM et CIM répertorient des entités diagnos-
tiques se rapportant aux réactions psychotraumatiques à long terme. Nous allons
passer en revue l’état de stress post-traumatique, l’état de stress post-traumatique
complexe, les altérations de la personnalité, les troubles dissociatifs de la personnalité
et les autres tableaux cliniques consécutifs à un événement délétère.

3.1. L’état de stress post-traumatique


Le DSM et la CIM répertorient tous deux un état de stress post-traumatique.

3.1.1. Le DSM
C’est en 1980 qu’apparaît pour la première fois, dans la classe des troubles
anxieux du DSM-III, la mention du syndrome de Post-Traumatic Stress Disorder,
fréquemment désigné par l’acronyme PTSD, et traduit en français par État de Stress
Post-Traumatique ou ESPT. Des précisions, des annotations et des commentaires y
sont ajoutés dans les versions successives DSM-III-R (1987), DSM-IV (1994) et DSM-
IV-TR (2000). Par exemple, en 1994, le DSM-IV élargit le spectre des modes possibles
de traumatisation : avoir été témoin d’un événement adverse peut produire un trauma.
De plus, il ajoute une exigence importante : pour être qualifié de traumatique, l’évé-
nement doit avoir suscité un vécu subjectif négatif (sentiment de peur, d’horreur ou
d’impuissance).
En 2013, dans la nouvelle édition du manuel appelée DSM-5, l’American Psychiatric
Association apporte des modifications significatives aux troubles post-traumatiques,
l’ASD et le PTSD. Tous deux passent de la classification des troubles anxieux à la nou-
velle classe des troubles consécutifs aux traumatismes et au stress (Trauma and Stress
Related Disorders). Autre remaniement concernant l’établissement de ces diagnostics :
le vécu subjectif éprouvé à l’occurrence de l’événement traumatique est éliminé des
critères à satisfaire.
Au sujet du PTSD proprement dit, le DSM-IV répartissait les 17 symptômes objecti-
vant ce syndrome en trois grands groupes : les reviviscences (critère B), les évitements
et l’émoussement de la réactivité générale (critère C) et l’activation neurovégétative
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 237

(critère D). Le DSM-5, quant à lui, propose quatre clusters : les symptômes d’intrusion
(critère B), les évitements (critère C), les altérations négatives des cognitions et de l’humeur
(critère D) et les altérations de l’activation physiologique et de la réactivité (critère E).
Ceux-ci comptabilisant un total de 20 signes cliniques. Pour l’essentiel, ceux-ci sont
identiques à la version précédente. Quatre symptômes ont été ajoutés ; un a été éliminé ;
quelques-uns ont été révisés (par exemple, le critère « rêves répétitifs de l’événement
provoquant un sentiment de détresse » est précisé et devient « rêves répétitifs provo-
quant un sentiment de détresse dans lesquels le contenu et/ou l’affect du rêve sont liés à
l’événement/aux événements traumatiques »). L’ensemble évitements/émoussement de
la réactivité générale du DSM-IV a été scindé : dorénavant, les évitements constituent le
critère C ; les symptômes d’engourdissement émotionnel auxquels ont été adjoints trois
nouveaux symptômes, les croyances et attentes négatives persistantes et exagérées par
rapport à soi-même, à autrui ou au monde (par exemple, « Je suis mauvais », « On ne peut
faire confiance à personne », « Le monde entier est dangereux », etc.), le blâme persistant
par rapport à soi ou à autrui, et les émotions négatives persistantes de l’humeur (peur,
horreur, colère, culpabilité ou honte) forment le cluster D. L’item « sentiment d’avenir
“bouché” (par ex., penser ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants, ou
avoir un cours normal de la vie) » n’a pas été retenu dans la cinquième version du manuel.
Quant au critère E, regroupant les signes témoignant de l’hyperactivation neurovégétative
et de l’hyperréactivité, il reprend les symptômes de l’ancien cluster D ainsi qu’un nouvel
item, le comportement irréfléchi ou autodestructeur.
Un critère supplémentaire, le critère H, a été ajouté et précise que les troubles ne
peuvent être attribués à la prise d’une médication, à un abus de substance psychotrope
ou à une maladie.
Autre nouveauté importante apportée au PTSD dans le DSM-5 : le diagnostic demande
de préciser si la personne présente des symptômes dissociatifs de dépersonnalisation
(expériences persistantes ou récurrentes de se sentir détaché de soi, comme si l’indi-
vidu était un observateur extérieur de ses processus mentaux ou de son corps) et/
ou de déréalisation (expériences persistantes ou récurrentes d’un sentiment d’irréa-
lité de l’environnement). Les flash-back et l’amnésie psychogène faisaient déjà partie
intégrante du syndrome. Toutefois, certaines victimes manifestent d’autres signes de
dissociation, justifiant l’introduction de cette spécification.
Enfin, saluons une innovation décisive de cette dernière taxonomie DSM : l’intro-
duction d’un sous-type développemental, le « PTSD préscolaire » (PTSD Preschool
Subtype) destiné aux enfants jusqu’à l’âge de 6 ans. Dans le DSM-III, la première
description du PTSD s’appliquait exclusivement à une population adulte. En 1987,
dans le DSM-III-R et en 1994, dans le DSM-IV, quelques brèves mentions concernant
les enfants ont été ajoutées. Ces critères se sont toutefois avérés difficilement appli-
cables aux jeunes enfants et peu représentatifs des réactions qu’ils manifestent après
un événement traumatisant. Le sous-type préscolaire a pour objectif de corriger cette
situation. Ainsi, pour les enfants jusqu’à l’âge de six ans, les seuils diagnostiques ont été
abaissés, des critères jugés inappropriés ont été supprimés (par exemple, l’incapacité
de se rappeler d’un aspect important du traumatisme et le sentiment d’avenir bouché)
et d’autres ont été adaptés (par exemple, les items évaluant le vécu interne ont été
commutés en comportements observables).
238 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

3.1.2. La CIM-10 et la CIM-11


La CIM fait mention de l’état de stress post-traumatique depuis 1992 dans son
chapitre « Troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles
somatoformes ». Dans la CIM-11 prévue en 2019, l’entité migre dans un nouveau chap-
itre dénommé « troubles mentaux, comportementaux ou neurodéveloppementaux »
(Mental, behavioural or neurodevelopmental disorders) dans la sous-catégorie « Troubles
spécifiquement associés au stress » (Disorders specifically associated with stress).
Dans cette onzième édition, l’Organisation Mondiale de la Santé apporte des modifica-
tions substantielles à l’état de stress post-traumatique. Le diagnostic est désormais centré
sur les symptômes pathognomoniques du traumatisme (reviviscences, évitements et
hyper-activation neurovégétative) ; le chevauchement avec d’autres diagnostics ayant
été réduit par la surpression des symptômes co-morbides (troubles anxieux et dépres-
sifs). L’anesthésie affective mise en avant dans la CIM-10 disparait au profit des émotions
(peur, l’horreur) et des sensations physiques. Les conduites d’évitement se voient détail-
lées ; l’hyper-activation neurovégétative expliquée par les « perceptions persistantes de
menace actuelle accrue » et enrichie de l’item « réaction accrue à un stimulus tel que le
bruit imprévu ». De plus, l’OMS a franchit un cap décisif en introduisant dans la nouvelle
version de la CIM l’état de stress post-traumatique complexe.
La CIM-10 répertorie également, dans la classe F.48 « Autres troubles névrotiques »,
un syndrome de dépersonnalisation-déréalisation. Nous l’avons vu dans le chapitre
consacré aux réactions aiguës, dans sa version remaniée, la CIM-11 reconnait le
« trouble dépersonnalisation-déréalisation » qu’elle classe maintenant dans la catégo-
rie dédiée aux troubles dissociatifs.
La névrose traumatique a longtemps prévalu pour décrire les syndromes posttrau-
matiques. Le récent développement de classifications psychiatriques (la CIM-10 et le
DSM) a entraîné l’éclatement de ce concept et redistribué les symptômes dans de nou-
velles entités syndromiques. La disparition du terme « névrose » ne doit pas nous faire
oublier que ces réactions témoignent de l’effraction traumatique chez les personnes de
structure névrotique.

Trouble stress post-traumatique 309.81 (F43.10)


selon le DSM-5
N.B. : Les critères suivants s’appliquent aux adultes, aux adolescents et aux enfants âgés
de plus de 6 ans. Pour les enfants de 6 ans ou moins, cf. Les critères correspondants
ci-dessous.
A. Exposition à la mort effective ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à des
violences sexuelles d’une (ou de plusieurs) des façons suivantes :
1. En étant directement exposé à un ou à plusieurs événements traumatiques.
2. En étant témoin direct d’un ou de plusieurs événements traumatiques survenus à
d’autres personnes.
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 239

3. En apprenant qu’un ou plusieurs événements traumatiques sont arrivés à un membre


de la famille proche ou à un ami proche. Dans les cas de mort effective ou de menace
de mort d’un membre de la famille ou d’un ami, le ou les événements doivent avoir
été violents ou accidentels.
4. En étant exposé de manière répétée ou extrême aux caractéristiques aversives du ou
des événements traumatiques (p. ex. Intervenants de première ligne rassemblant des
restes humains, policiers exposés à plusieurs reprises à des faits explicites d’abus sexuels
d’enfants).
N.B. : Le critère A4 ne s’applique pas à des expositions par l’intermédiaire de médias
électroniques, télévision, films ou images, sauf quand elles surviennent dans le
contexte d’une activité professionnelle.
B. Présence d’un (ou de plusieurs) des symptômes envahissants suivants associés à un
ou plusieurs événements traumatiques et ayant débuté après la survenue du ou des
événements traumatiques en cause :
1. Souvenirs répétitifs, involontaires et envahissants du ou des événements traumatiques
provoquant un sentiment de détresse. N.B. : Chez les enfants de plus de 6 ans, on
peut observer un jeu répétitif exprimant des thèmes ou des aspects du traumatisme.
2. Rêves répétitifs provoquant un sentiment de détresse dans lesquels le contenu
et/ou l’affect du rêve sont liés à l’événement/aux événements traumatiques.
N.B. : Chez les enfants, il peut y avoir des rêves effrayants sans contenu
reconnaissable.
3. Réactions dissociatives (p. ex. Flashbacks [scènes rétrospectives]) au cours desquelles
le sujet se sent ou agit comme si le ou les événements traumatiques allaient se repro-
duire. (De telles réactions peuvent survenir sur un continuum, l’expression la plus
extrême étant une abolition complète de la conscience de l’environnement.) N.B. :
Chez les enfants, on peut observer des reconstitutions spécifiques du traumatisme au
cours du jeu.
4. Sentiment intense ou prolongé de détresse psychique lors de l’exposition à des indices
internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect du ou des événements
traumatiques en cause
5. Réactions physiologiques marquées lors de l’exposition à des indices internes
ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect du ou des événements
traumatiques.
C. Évitement persistant des stimuli associés à un ou plusieurs événements traumatiques,
débutant après la survenue du ou des événements traumatiques, comme en témoigne
la présence de l’une ou des deux manifestations suivantes :
1. Évitement ou efforts pour éviter les souvenirs, pensées ou sentiments concernant ou
étroitement associés à un ou plusieurs événements traumatiques et provoquant un
sentiment de détresse.
2. Évitement ou efforts pour éviter les rappels externes (personnes, endroits, conver-
sations, activités, objets, situations) qui réveillent des souvenirs des pensées ou des
sentiments associés à un ou plusieurs événements traumatiques et provoquant un
sentiment de détresse.
240 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

D. Altérations négatives des cognitions et de l’humeur associées à un ou plusieurs


événements traumatiques, débutant ou s’aggravant après la survenue du ou des évé-
nements traumatiques, comme en témoignent deux (ou plus) des éléments suivants :
1. Incapacité de se rappeler un aspect important du ou des événements traumatiques
(typiquement en raison de l’amnésie dissociative et non pas à cause d’autres facteurs
comme un traumatisme crânien, l’alcool ou des drogues).
2. Croyances ou attentes négatives persistantes et exagérées concernant soi-même,
d’autres personnes ou le monde (p. ex. : « je suis mauvais », « on ne peut faire
confiance à personne », « le monde entier est dangereux », « mon système nerveux
est complètement détruit pour toujours »).
3. Distorsions cognitives persistantes à propos de la cause ou des conséquences d’un ou
de plusieurs événements traumatiques qui poussent le sujet à se blâmer ou à blâmer
d’autres personnes.
4. État émotionnel négatif persistant (p. ex. Crainte, horreur, colère, culpabilité ou
honte).
5. Réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la
participation à ces mêmes activités.
6. Sentiment de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres.
7. Incapacité persistante d’éprouver des émotions positives (p. ex. Incapacité d’éprouver
bonheur, satisfaction ou sentiments affectueux).
E. Altérations marquées de l’éveil et de la réactivité associés à un ou plusieurs événe-
ments traumatiques, débutant ou s’aggravant après la survenue du ou des événe-
ments traumatiques, comme en témoignent deux (ou plus) des éléments suivants :
1. Comportement irritable ou accès de colère (avec peu ou pas de provocation) qui
s’exprime typiquement par une agressivité verbale ou physique envers des personnes
ou des objets.
2. Comportement irréfléchi ou autodestructeur.
3. Hypervigilance.
4. Réaction de sursaut exagérée.
5. Problèmes de concentration.
6. Perturbation du sommeil (p. ex. Difficulté d’endormissement ou sommeil interrompu
ou agité).
F. La perturbation (symptômes des critères B, C, D et E) dure plus d’un mois.
G. La perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération
du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
H. La perturbation n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance (p. ex.
Médicament, alcool) ou à une autre affection médicale.
Spécifier le type :
Avec symptômes dissociatifs : Les symptômes présentés par le sujet répondent aux
critères d’un trouble stress post-traumatique ; de plus et en réponse au facteur de stress,
le sujet éprouve l’un ou l’autre des symptômes persistants ou récurrents suivants :
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 241

1. Dépersonnalisation : Expériences persistantes ou récurrentes de se sentir détaché de


soi, comme si l’on était un observateur extérieur de ses processus mentaux ou de son
corps (p. ex. Sentiment d’être dans un rêve, sentiment de déréalisation de soi ou de
son corps ou sentiment d’un ralentissement temporel).
2. Déréalisation : Expériences persistantes ou récurrentes d’un sentiment d’irréalité de
l’environnement (p. ex. Le monde autour du sujet est vécu comme irréel, onirique,
éloigné, ou déformé). N.B. : Pour retenir ce sous-type, les symptômes dissociatifs ne
doivent pas être imputables aux effets physiologiques d’une substance (p. ex. Période
d’amnésie [blackouts], manifestations comportementales d’une intoxication alcoo-
lique aiguë) ou à une autre affection médicale (p. ex. Épilepsie partielle complexe).
Spécifier si : À expression retardée : Si l’ensemble des critères diagnostiques n’est
présent que 6 mois après l’événement (alors que le début et l’expression de quelques
symptômes peuvent être immédiats).

L’État de stress post-traumatique (F43.1)


selon la CIM-1046
Ce trouble constitue une réponse différée ou prolongée à une situation ou à un événement
stressant exceptionnellement menaçant ou catastrophique et qui provoquerait des
symptômes évidents de détresse chez la plupart des individus. Des facteurs prédisposants,
comme certains traits de personnalité ou des antécédents de type névrotique, peuvent
favoriser la survenue du syndrome ou aggraver son évolution ; ces facteurs ne sont
toutefois ni nécessaires ni suffisants pour expliquer la survenue de ce syndrome.
Les symptômes typiques comprennent la reviviscence répétée de l’événement traumatique,
dans des souvenirs envahissants, des rêves ou des cauchemars ; ils surviennent dans un
contexte durable « d’anesthésie psychique » et d’émoussement émotionnel, de détachement
par rapport aux autres, d’insensibilité à l’environnement, d’anhédonie et d’évitement
des activités ou des situations pouvant réveiller le souvenir du traumatisme. Il existe
habituellement une peur et un évitement des stimuli associés au traumatisme. Dans
certains cas, l’exposition à des stimuli réveillant brusquement le souvenir ou la reviviscence
du traumatisme ou de la réaction initiale peut déclencher une crise d’angoisse, une
attaque de panique ou une réaction agressive. Les symptômes précédents s’accompagnent
habituellement d’une hyperactivité neurovégétative, avec hypervigilance, état de « qui-vive »
et insomnie, associés fréquemment à une anxiété, une dépression, ou une idéation suicidaire.
Le trouble peut être à l’origine d’un abus d’alcool ou d’une substance psycho-active.
La période séparant la survenue du traumatisme et celle du trouble peut varier de
quelques semaines à quelques mois. L’évolution est fluctuante, mais se fait vers la
guérison dans la plupart des cas. Dans certains cas, le trouble peut présenter une
évolution chronique, durer de nombreuses années, et conduire à une modification
durable de la personnalité (F62.0).

46. Publié avec l’autorisation de l’Organisation Mondiale de la Santé.


242 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

Directives pour le diagnostic : Le diagnostic repose sur la mise en évidence de symptômes


typiques survenus dans les six mois suivant un événement traumatisant et hors du
commun. Lorsque la survenue est différée de plus de six mois, un diagnostic « probable »
reste encore possible si les manifestations cliniques sont typiques et si elles ne peuvent
être attribuées à un autre trouble.
Inclure : névrose traumatique

L’État de stress post-traumatique (6B40)


selon la CIM-1147
Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) est un trouble qui peut se développer
à la suite d’une exposition à un événement ou une série d’événements extrêmement
menaçants ou horribles. Elle se caractérise par toutes les caractéristiques suivantes :
1) revivre l’événement ou les événements traumatisants dans le présent sous la forme de
souvenirs intrusifs, de flashbacks ou de cauchemars. Elles s’accompagnent généralement
d’émotions fortes ou accablantes, en particulier la peur ou l’horreur, et de sensations
physiques fortes ; 2) l’évitement des pensées et des souvenirs de l’événement ou des
événements, ou l’évitement des activités, des situations ou des personnes rappelant
l’événement ou les événements ; et 3) des perceptions persistantes de menace actuelle
accrue, par exemple par hypervigilance ou une réaction accrue à un stimulus tel que le bruit
imprévu. Les symptômes persistent pendant au moins plusieurs semaines et entraînent des
troubles importants sur le plan personnel, familial, social, éducatif, professionnel ou dans
d’autres domaines importants du fonctionnement.

Le syndrome de dépersonnalisation-déréalisation
(F48.1) selon la CIM-10
Trouble rare, au cours duquel le sujet se plaint spontanément d’une altération qualitative
de son activité mentale, de son corps et de son environnement, ceux-ci étant perçus
comme irréels, lointains ou « robotisés ». Les plaintes concernant une perte des émotions
et une impression d’étrangeté ou de détachement par rapport à ses pensées, à son corps,
ou le monde réel, constituent les plus fréquentes des multiples manifestations caractérisant
ce trouble. En dépit de la nature dramatique de ce type d’expérience, le sujet est conscient
de la non-réalité du changement.
L’orientation est normale et les capacités d’expression émotionnelle intactes.

47. Traduction de l’auteur, https://icd.who.int/browse11/l-m/en


Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 243

3.2. Les troubles dissociatifs de la personnalité


Dans le chapitre consacré aux troubles immédiats et post-immédiats, nous
avons présenté les troubles dissociatifs répertoriés par le DSM et la CIM. Nous
avons également considéré les sous-types de l’État de Stress Post-Traumatique
avec symptômes dissociatifs du DSM-5 (avec dépersonnalisation et/ou déperson-
nalisation) ainsi que le syndrome de dépersonnalisation-déréalisation de la CIM-10
et de la CIM-11. Une traumatisation extrême peut également provoquer une
dissociation structurelle de la personnalité48. Le DSM-5 propose un trouble dis-
sociatif de l’identité. La CIM-10 liste un trouble de la personnalité multiple49 sans
toutefois en fournir de description. La CIM-11 marque une avancée importante en
proposant deux diagnostics, le trouble dissociatif partiel de l’identité et le trouble
dissociatif de l’identité.
En ce qui concerne le DSM-5, nous l’avons vu50, les signes d’une perturbation de
l’identité, repris dans le critère A, sont davantage explicités que dans le DSM-IV.
Ce critère souligne également que l’affection peut être décrite dans certaines
cultures comme une expérience de possession. La version précédente du manuel
définissait le trouble de la personnalité multiple comme la présence d’au moins
deux identités ou états de personnalité. De manière pertinente, le DSM-5 renonce à
la notion d’identité pour ne retenir que celle d’état de personnalité (« perturbation
de l’identité caractérisée par deux ou plusieurs états de personnalité distincts »).
Le DSM-5 précise également que les signes et symptômes spécifiques du trouble
dissociatif de l’identité peuvent être rapportés par l’individu lui-même ou être
observés par autrui.
Le critère B du DSM-IV indiquant que les identités ou états de personnalités prennent
de manière récurrente le contrôle du comportement de la personne a été éliminé.
Le critère B actuel note que les personnes souffrant d’un trouble dissociatif de l’identité
peuvent manifester des lacunes récurrentes dans le rappel des événements quotidiens
et pas uniquement pour les expériences traumatisantes comme édicté dans la version
précédente.
Un critère C précisant que la perturbation entraîne une souffrance ou une altéra-
tion du fonctionnement de l’individu et un critère D stipulant qu’elle ne peut être
assimilée à des pratiques culturelles et religieuses culturellement admises ont été
adjoints.

48. Voir le chapitre « Les troubles dissociatifs » dans la phase aiguë.


49. Voir le sous-chapitre « Les troubles dissociatifs » dans « Les réactions immédiates et post-
immédiates selon les nosographies internationales ».
50. Voir le sous-chapitre « Les troubles dissociatifs » dans « Les réactions immédiates et post-
immédiates selon les nosographies internationales ».
244 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

Trouble dissociatif de l’identité 300.14 (F44.81)


selon le DSM-5
A. Perturbation de l’identité caractérisée par deux ou plusieurs états de personnalité
distincts, ce qui peut être décrit dans certaines cultures comme une expérience de
possession. La perturbation de l’identité implique une discontinuité marquée du
sens de soi et de l’agentivité, accompagnée d’altérations, en rapport avec celle-ci,
de l’affect, du comportement, de la conscience, de la mémoire, de la perception, de
la cognition et/ou du fonctionnement sensorimoteur. Ces signes et ces symptômes
peuvent être observés par les autres ou bien rapportés par le sujet lui-même.
B. Fréquents trous de mémoire dans le rappel d’événements quotidiens, d’informations
personnelles importantes et/ou d’événements traumatiques, qui ne peuvent pas être
des oublis ordinaires.
C. Les symptômes sont à l’origine d’une détresse cliniquement significative ou d’une
altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
D. La perturbation ne fait pas partie d’une pratique culturelle ou religieuse largement
admise. N.B. : Chez l’enfant, les symptômes ne s’expliquent pas par la représentation
de camarades de jeu imaginaires ou d’autres jeux d’imagination.
E. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques d’une substance (p. ex.
Les trous de mémoire ou les comportements chaotiques au cours d’une intoxication par
l’alcool) ou à une autre affection médicale (p. ex. Des crises comitiales partielles complexes)

3.3. Les altérations de la personnalité


Les entités syndromiques d’état de stress post-traumatique proposées par la CIM
et le DSM ne rendent pas compte de tous les aspects de la névrose traumatique ni du
traumatisme complexe. En effet, elles ne comprennent pas de description des altéra-
tions de la personnalité présentées par de nombreuses victimes, notamment par celles
ayant subi des événements extrêmes et/ou prolongés.

3.3.1. Le DSM
Actuellement, aucune entité du DSM ne couvre les altérations de la personnalité
consécutives à un événement traumatique.
Des chercheurs avaient plaidé pour l’introduction d’une nouvelle catégorie diagnos-
tique, le trauma complexe ou, en anglais, complex trauma syndrome (voir Luxenberg et
al., 2001 ; Roth, Newman et al., 1997 ; Van der Kolk, Roth et al., 2005 ; Yehuda, 2001 ;
Herman, 1997), dans la cinquième version du manuel. Ils n’ont pas été entendus. Judith
Herman (1997) avait suggéré l’appellation Complex Post-traumatic Stress Disorder
ou C-PTSD, en français « État de stress post-traumatique complexe ». D’autres
(Luxenberg et al., 2001) avaient proposé la dénomination Disorder of Extreme Stress
not Otherwise Specified ou DESNOS, traduit en français par « Trouble de stress
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 245

extrême non spécifié outre mesure ». Bien que ce diagnostic n’ait pas été retenu par
l’American Psychiatric Association, nous le trouvons digne d’intérêt et avons choisi de
l’exposer dans le présent chapitre.

3.3.2. La CIM-10 et la CIM-11


La CIM-10 comble partiellement cette lacune. Elle répertorie un trouble dénommé
« modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe ».
Cependant, elle le réserve exclusivement aux otages, aux rescapés de catastrophe et de
la déportation ainsi qu’aux victimes de terrorisme et de torture. Or force est de consta-
ter que des personnes victimes d’autres types d’événement sont elles aussi concernées
par les séquelles traumatiques identitaires.
Nous l’avons vu, la CIM-11 franchit un cap décisif en proposant l’introduction d’une
nouvelle entité clinique, le stress post-traumatique complexe. L’OMS reconnait
ainsi la spécificité des troubles consécutifs à des événements extrêmement mena-
çants ou horribles, souvent prolongés ou répétitifs et auxquels il est difficile ou
impossible d’échapper51. En plus des symptômes pathognomoniques du stress post-
traumatique (reviviscences, évitement, hypervigilance), ce tableau diagnostique
tient compte des altérations persistantes du fonctionnement affectif (dérégulation
des affects), du fonctionnement par rapport à soi-même (croyances négatives par
rapport à soi, sentiments de honte ou de culpabilité) et du fonctionnement relation-
nel (difficultés à maintenir des relations ou dese sentir proche des autres)52. Autre
changement significatif, la CIM-11 introduit également deux diagnostics le trouble
dissociatif partiel de l’identité et le trouble dissociatif de l’identité53.
Les critères diagnostiques de la « modification durable de la personnalité après une
expérience de catastrophe » et du DESNOS sont proches des symptômes décrits dans
les catégories diagnostiques « borderline »54 de ces mêmes classifications internationales
(« personnalité émotionnellement labile » pour la CIM-10, « pattern borderline » pour la
CIM-11 et « trouble de la personnalité borderline » pour le DSM-5). Pour certains spécia-
listes, il s’agirait d’une seule et même entité tandis que pour d’autres les symptomatologies se
distingueraient par l’origine des troubles. Les états limites seraient par essence des troubles
de l’attachement alors que le trauma complexe serait davantage un trouble dysthymique55.

51. Traduction de l’auteur, https://icd.who.int/browse11/l-m/en.


52. https://icd.who.int
53. Pour les autres troubles dissociatifs définis par les classifications internationales, nous renvoyons
le lecteur au chapitre « Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies interna-
tionales ». Rappelons que ces diagnostics peuvent également être posés dans les troubles chroniques.
54. Pour les psychanalystes, une personnalité « borderline » ou « état limite » ou encore « cas
limite » est un type d’organisation de personnalité située entre une structure névrotique et une struc-
ture psychotique. Selon le DSM et la CIM, le trouble de personnalité limite est un syndrome caracté-
risé par une instabilité de l’humeur, une difficulté à contrôler les pulsions et les impulsions ainsi que
par des relations interpersonnelles instables.
55. Le trouble dysthymique ou dysthymie est un trouble de l’humeur chronique et profond. Il est
caractérisé par des symptômes dépressifs moins sévères que dans la dépression majeure ou le trouble
246 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

Modification durable de la personnalité après une


expérience de catastrophe (F62-0) selon la CIM-1056
Modification durable de la personnalité, persistant au moins deux ans, à la suite de
l’exposition à un facteur de stress catastrophique. Le facteur de stress doit être d’une intensité
telle qu’il n’est pas nécessaire de se référer à une vulnérabilité personnelle pour expliquer
son effet profond sur la personnalité. Le trouble se caractérise par une attitude hostile ou
méfiante envers le monde, un retrait social, des sentiments de vide ou de désespoir, par
l’impression permanente d’être « sous tension » comme si on était constamment menacé et
par un détachement. Un état de stress post-traumatique (F43-1) peut précéder ce type de
modification de la personnalité.
Modification de la personnalité après : captivité prolongée avec risque d’être tué à tout
moment, désastres, expériences de camp de concentration, exposition prolongée à des situations
représentant un danger vital, comme le fait d’être victime du terrorisme, torture.

Trouble de stress extrême non spécifié


outre mesure
(par Luxenberg et al., 2001, traduction Évelyne Josse)

I. Altération de la régulation des émotions et des impulsions


A. Difficulté à réguler les affects
B. Difficulté à moduler la colère
C. Comportements autodestructeurs
D. Préoccupations suicidaires
E. Difficulté à moduler les pulsions sexuelles
F. Prise de risque excessive
II. Altération de l’attention ou de la conscience
A. Amnésie
B. Épisodes dissociatifs transitoires et dépersonnalisation
III. Trouble de la perception de soi
A. Inefficacité
B. Impression de préjudice permanent
C. Sentiment de culpabilité et de responsabilité

dépressif récurrent mais ils se manifestent sur une très longue période. Ce terme a été introduit en
1980 dans le DSM-III. Auparavant, ces troubles étaient considérés tantôt comme des troubles de
l’humeur, tantôt comme des troubles de la personnalité.
56. Publié avec l’autorisation de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 247

D. Honte
E. Impression de n’être compris par personne
F. Minimisation des expériences situations dangereuses
IV. Altérations des relations interpersonnelles
A. Incapacité à faire confiance
B. Victimisations répétées
C. Victimisation d’autres personnes
V. Somatisation
A. Troubles du système digestif
B. Douleur chronique
C. Symptômes cardio-pulmonaires
D. Symptômes de conversion
E. Troubles sexuels
VI. Altération dans les systèmes de représentation
A. Désespoir

L’État de stress post-traumatique complexe (6B40)


selon la CIM-1157
Le syndrome de stress post-traumatique complexe (SSPT complexe) est un trouble
qui peut se développer à la suite de l’exposition à un événement ou à une série
d’événements de nature extrêmement menaçante ou horrible, le plus souvent des
événements prolongés ou répétitifs auxquels il est difficile ou impossible d’échapper
(p. ex. torture, esclavage, campagnes de génocide, violence familiale prolongée, abus
sexuels ou physiques répétés dans l’enfance). Toutes les exigences diagnostiques du
SSPT sont satisfaites. De plus, le SSPT complexe se caractérise par des problèmes
graves et persistants 1) de régulation des affects ; 2) de croyance en soi comme
diminué, vaincu ou sans valeur, accompagné de sentiments de honte, de culpabilité
ou d’échec liés à l’événement traumatique ; et 3) de difficultés à maintenir une
relation et à se sentir proche des autres. Ces symptômes entraînent des déficiences
importantes sur le plan personnel, familial, social, éducatif, professionnel ou dans
d’autres domaines importants du fonctionnement.

57. Traduction de l’auteur, https://icd.who.int/browse11/l-m/en.


248 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

Le trouble dissociatif de l’identité (6B64)


selon la CIM-1158
Le trouble dissociatif de l’identité se caractérise par une perturbation de l’identité dans
laquelle au moins deux états de personnalité distincts (identités dissociatives) sont associés
à des discontinuités marquées du sens du moi et de l’action. Chaque état de personnalité
inclut son propre modèle d’expérience, de perception, de conception et de relation à soi,
au corps et à l’environnement. Au moins deux états de personnalité distincts prennent de
façon récurrente le contrôle exécutif de la conscience de l’individu et de son fonctionnement
dans ses interactions avec les autres ou avec l’environnement, par exemple dans l’exécution
d’aspects spécifiques de la vie quotidienne comme le rôle parental ou le travail, ou en réponse
à des situations spécifiques (par exemple, celles qui sont considérées comme menaçantes).
Les changements dans l’état de la personnalité s’accompagnent d’altérations connexes de la
sensation, de la perception, de l’affect, de la cognition, de la mémoire, du contrôle moteur
et du comportement. Il y a typiquement des épisodes d’amnésie, qui peuvent être sévères.
Les symptômes ne s’expliquent pas mieux par un autre trouble mental, comportemental
ou neurodéveloppemental et ne sont pas dus aux effets directs d’une substance ou d’un
médicament sur le système nerveux central, y compris les effets de sevrage, et ne sont
pas dus à une maladie du système nerveux ou à un trouble du sommeil. Les symptômes
entraînent des déficiences importantes sur le plan personnel, familial, social, éducatif,
professionnel ou dans d’autres domaines importants du fonctionnement.

Le trouble dissociatif partiel de l’identité (6B65)


selon la CIM-1159
Le trouble dissociatif partiel de l’identité se caractérise par une perturbation de l’identité
dans laquelle deux ou plusieurs états de personnalité distincts (identités dissociatives)
sont associés à des discontinuités marquées du sens du moi et de l’action. Chaque état
de personnalité inclut son propre modèle d’expérience, de perception, de conception et
de relation à soi, au corps et à l’environnement. Un état de personnalité est dominant
et fonctionne normalement dans la vie quotidienne, mais il est perturbé par un ou
plusieurs états de personnalité non dominants (intrusions dissociatives). Ces intrusions
peuvent être cognitives, affectives, perceptives, motrices ou comportementales. Elles sont
perçues comme interférant avec le fonctionnement de l’état de personnalité dominant
et sont typiquement aversives. Les états de personnalité non dominants ne prennent
pas de manière récurrente le contrôle exécutif de la conscience et du fonctionnement
de l’individu, mais il peut y avoir des épisodes occasionnels, limités et transitoires, dans
lesquels un état de personnalité distinct prend le contrôle exécutif pour adopter des

58. Traduction de l’auteur, https://icd.who.int/browse11/l-m/en.


59. Traduction de l’auteur, https://icd.who.int/browse11/l-m/en.
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 249

comportements circonscrits, par exemple en réponse à des états émotionnels extrêmes


ou lors d’épisodes d’automutilation ou de reconstitution de souvenirs traumatiques. Les
symptômes ne s’expliquent pas mieux par un autre trouble mental, comportemental ou
neurodéveloppemental et ne sont pas dus aux effets directs d’une substance ou d’un
médicament sur le système nerveux central, y compris les effets de sevrage, et ne sont
pas dus à une maladie du système nerveux ou à un trouble du sommeil. Les symptômes
entraînent des déficiences importantes sur le plan personnel, familial, social, éducatif,
professionnel ou dans d’autres domaines importants du fonctionnement.

3.4. Les autres tableaux cliniques consécutifs


à un événement délétère
Outre les troubles post-traumatiques aigus, chroniques et complexes, les altéra-
tions de la personnalité et les troubles dissociatifs60 définis dans les chapitres précé-
dents, les nosographies internationales DSM et CIM reconnaissent d’autres tableaux
cliniques pour lesquels le facteur causal principal est un événement délétère.

3.4.1. Le DSM
Nous l’avons vu, le DSM-5 a créé une partie distincte pour les troubles consécutifs
à un événement délétère (Troubles liés à des traumatismes ou à des facteurs de stress).
Outre l’État de Stress Aigu et de l’État de Stress Post-Traumatique détaillés précédem-
ment, cette classe regroupe le trouble réactionnelde l’attachement, le trouble désin-
hibition du contact social, les troubles de l’adaptation, les autres troubles liés à des
traumatismes et à des facteurs de stress spécifiés ainsi que les autres troubles liés à des
traumatismes et à des facteurs de stress non spécifiés. Ces syndromes entretiennent
des liens étroits avec les troubles anxieux, les troubles obsessionnels-compulsifs et les
troubles dissociatifs.
Le trouble réactionnel de l’attachement et le trouble désinhibition du contact social
sont généralement diagnostiqués dans l’enfance et ne concernent donc pas directement
cet ouvrage61, raison pour laquelle nous n’en présenterons pas le tableau complet.
Dans le DSM-IV, le diagnostic de trouble réactif de l’attachement comporte deux
sous-types : émotionnellement retiré (inhibé) et sans discrimination sociale (désinhibé).
Dans le DSM-5, ces sous-types sont scindés et deviennent des troubles distincts : le
trouble réactionnel de l’attachement et le trouble de désinhibition du contact social. Ils

60. Pour les troubles dissociatifs définis par les classifications internationales, nous renvoyons le
lecteur au chapitre « Les réactions immédiates et post-immédiates selon les nosographies internatio-
nales ». Rappelons que ces diagnostics peuvent également être posés dans les troubles chroniques.
61. Pour le lecteur intéressé par le traumatisme chez l’enfant, nous conseillons l’ouvrage de l’auteur
(Josse, 2011).
250 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

résultent tous deux de la négligence sociale ou d’autres situations néfastes restreignant


l’opportunité du jeune enfant à nouer des liens d’attachements positifs.
Les troubles de l’adaptation constituent un ensemble hétérogène de réponses au stress
qui surviennent après une exposition à un événement délétère, traumatique ou non. Le
diagnostic est posé lorsque la totalité des critères de l’État de Stress post-traumatique,
de la dépression majeure ou d’un trouble anxieux ne sont pas rencontrés. Les sous-types
du DSM-IV restent inchangés : avec humeur dépressive (humeur dépressive, pleurs, sen-
timents de désespoir), avec anxiété (nervosité, inquiétude, agitation, angoisse de sépara-
tion), à la fois anxiété et humeur dépressive (combinaison de manifestations dépressives
et anxieuses), avec perturbation des conduites, avec perturbation à la fois des émotions
et des conduites (symptômes émotionnels du registre dépressif et anxieux cumulés à une
perturbation des conduites) et non spécifié (réactions inadaptées inclassables dans les
sous-types spécifiques du trouble de l’adaptation). Le trouble est considéré comme aigu si
les symptômes sont présents depuis une durée inférieure à 6 mois et chronique au-delà.
Notons que le DSM-5 ne spécifie pas la forme chronique, par oubli semble-t-il.

3.4.2. La CIM
Dans la classification « Réaction à un facteur de stress sévère, et troubles de
l’adaptation », la CIM-10 propose, outre la réaction aiguë à un facteur de stress et
l’État de stress post-traumatique, des diagnostics réactionnels à un événement stres-
sant comparables à ceux du DSM. Retenons les troubles de l’adaptation, réponses
inadaptées à un facteur de stress sévère ou persistant interférant avec des mécanismes
adaptatifs efficaces et conduisant à des problèmes dans la fonction sociale, les autres
réactions à un facteur de stress sévère et la réaction à un facteur de stress sévère, sans
précision. À cette liste de diagnostics, la CIM-11 ajoute le deuil prolongé (prolonged grief
disorder), réaction de deuil persistante et envahissante au décès d’un proche caractéri-
sée par le désir ardent l’endeuillé du défunt ou une préoccupation persistante envers
lui accompagnée d’une douleur émotionnelle intense d’une durée de plus de six mois.

Troubles liés à des traumatismes


ou à des facteurs de stress selon le DSM-5
Troubles de l’adaptation
A. Survenue de symptômes émotionnels ou comportementaux en réponse à un ou
plusieurs facteurs de stress identifiables dans les 3 mois suivant l’exposition au(x)
facteur(s) de stress.
B. Ces symptômes ou comportements sont cliniquement significatifs, comme en témoigne
un ou les deux éléments suivants :
1. Détresse marquée hors de proportion par rapport à la gravité ou à l’intensité du
facteur de stress, compte tenu du contexte externe et des facteurs culturels qui pour-
raient influencer la gravité des symptômes et la présentation.
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 251

2. Altération significative du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres


domaines importants.
C. La perturbation causée par le facteur de stress ne répond pas aux critères d’un autre
trouble mental et n’est pas simplement une exacerbation d’un trouble mental préexistant.
D. Les symptômes ne sont pas ceux d’un deuil normal.
E. Une fois que le facteur de stress ou ses conséquences sont terminés, les symptômes
ne persistent pas au-delà d’une période additionnelle de 6 mois

Spécifier le type :
309.0 (F43.21) Avec humeur dépressive : Baisse de l’humeur, larmoiement ou sentiment
de désespoir sont au premier plan.
309.24 (F43.22) Avec anxiété : Nervosité, inquiétude, énervement ou anxiété de séparation
sont au premier plan.
309.28 (F43.23) Mixte avec anxiété et humeur dépressive : Une combinaison de dépression
et d’anxiété est au premier plan.
309.3 (F43.24) Avec perturbation des conduites : La perturbation des conduites est au
premier plan.
309.4 (F43.25) Avec perturbation mixte des émotions et des conduites : Les symptômes
émotionnels (p. ex. Dépression, anxiété) et la perturbation des conduites sont au premier plan.
309.9 (F43.20) Non spécifié : Pour les réactions inadaptées qui ne sont pas classables
comme un des sous-types spécifiques du trouble de l’adaptation.

Autre trouble lié à des traumatismes


ou à des facteurs de stress, spécifié 309.89 (F43.8)
selon le DSM-5
Cette catégorie correspond à des tableaux cliniques dans lesquels des symptômes
caractéristiques d’un trouble lié à des traumatismes ou à des facteurs de stress et entraînant
une détresse cliniquement significative ou une altération cliniquement significative du
fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants sont au premier
plan mais ne remplissent tous les critères d’aucun des troubles de la classe des troubles
liés à un traumatisme ou à un facteur de stress. La catégorie autre trouble spécifié lié à des
traumatismes ou à des facteurs de stress est utilisée dans des situations où le clinicien décide
de communiquer la raison particulière pour laquelle les critères d’aucun trouble spécifique lié
à des traumatismes ou à des facteurs de stress ne sont entièrement remplis par le tableau
clinique. Cela est fait en notant « autre trouble lié à des traumatismes ou à des facteurs de
stress, spécifié » suivi de la raison spécifique (p. ex. « Deuil complexe persistant »).
Exemples de présentations pouvant être spécifiées en utilisant la désignation « autre
trouble spécifié » :
1. Troubles ressemblant à un trouble de l’adaptation avec début retardé des symptômes
survenant plus de 3 mois après le facteur de stress.
252 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

2. Troubles ressemblant à un trouble de l’adaptation persistant plus de 6 mois sans


prolongation de la durée du facteur de stress.
3. Ataque de nervios (attaque de nerfs) : Cf. « Glossaire des concepts culturels de
détresse » en annexe.
4. Autres syndromes d’ordre culturel : Cf. « Glossaire des concepts culturels de détresse »
en annexe.
5. Deuil complexe persistant : Ce trouble est caractérisé par une peine et des réactions de
deuil sévères et persistantes (cf. « Affections proposées pour des études supplémentaires »)

Trouble lié à des traumatismes


ou à des facteurs de stress, non spécifié 309.9
(F43.9) selon le DSM-5
Cette catégorie correspond à des tableaux cliniques dans lesquels des symptômes
caractéristiques d’un trouble lié à des traumatismes ou à des facteurs de stress et entraînant
une détresse cliniquement significative ou une altération cliniquement significative du
fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants sont au premier
plan mais ne remplissent tous les critères d’aucun des troubles de la classe des troubles liés
à des traumatismes ou à des facteurs de stress décrits précédemment dans ce chapitre. La
catégorie autre trouble lié à des traumatismes ou à des facteurs de stress, non spécifié est
utilisée dans des situations où le clinicien décide de ne pas communiquer la raison particulière
pour laquelle la présentation clinique ne remplit pas entièrement les critères d’un trouble
spécifique lié à des traumatismes ou à des facteurs de stress, et inclut les situations où l’on
n’a pas assez d’informations pour poser un diagnostic spécifique (p. ex. Aux urgences)

Troubles de l’adaptation (F43.2) selon la CIM-10


État de détresse et de perturbation émotionnelle, entravant habituellement le fonctionnement
et les performances sociales, survenant au cours d’une période d’adaptation à un changement
existentiel important ou un événement stressant. Le facteur de stress peut entraver l’intégrité
de l’environnement social du sujet (deuil, expériences de séparation) ou son système global
de support social et de valeurs sociales (immigration, statut de réfugié); ailleurs, le facteur de
stress est en rapport avec une période de transition ou de crise au cours du développement
(scolarisation, naissance d’un enfant, échec dans la poursuite d’un but important, mise à
la retraite). La prédisposition et la vulnérabilité individuelles jouent un rôle important dans
la survenue et la symptomatologie d’un trouble de l’adaptation ; on admet toutefois que le
trouble ne serait pas survenu en l’absence du facteur de stress concerné. Les manifestations,
variables, comprennent une humeur dépressive, une anxiété ou une inquiétude (ou l’association
de ces troubles), un sentiment d’impossibilité à faire face, à faire des projets, ou à continuer
dans la situation actuelle, ainsi qu’une certaine altération du fonctionnement quotidien. Elles
peuvent s’accompagner d’un trouble des conduites, en particulier chez les adolescents. La
caractéristique essentielle de ce trouble peut consister en une réaction dépressive, de courte ou
de longue durée, ou une autre perturbation des émotions et des conduites.
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 253

Troubles de l’adaptation (6B43) selon la CIM-1162


Troubles spécifiquement associés au stress
Le trouble d’adaptation est une réaction inadaptée à un facteur de stress psychosocial
identifiable ou à des facteurs de stress multiples (p. ex. divorce, maladie ou invalidité,
problèmes socio-économiques, conflits à la maison ou au travail) qui survient habituellement
dans le mois qui suit le facteur de stress. Le trouble se caractérise par une préoccupation à
l’égard du facteur de stress ou de ses conséquences, y compris une inquiétude excessive,
des pensées récurrentes et pénibles au sujet du facteur de stress ou une rumination
constante au sujet de ses implications, ainsi que par un manque d’adaptation au facteur de
stress qui cause une déficience importante sur les plans personnel, familial, social, éducatif,
professionnel ou autre. Les symptômes ne sont pas suffisamment spécifiques ou graves
pour justifier le diagnostic d’un autre trouble mental et comportemental et disparaissent
généralement dans les six mois, à moins que le facteur de stress ne persiste pendant une
plus longue période.

Troubles de deuil prolongé selon la CIM-1163


Le deuil prolongé est un trouble dans lequel, après le décès d’un partenaire, d’un parent,
d’un enfant ou d’une autre personne proche du défunt, il y a une réaction de deuil
persistante et envahissante caractérisée par le désir ardent du défunt ou une préoccupation
persistante envers lui accompagnée d’une douleur émotionnelle intense (ex. tristesse,
culpabilité, colère, déni, blâme, difficulté à accepter la mort, sentiment d’avoir perdu une
partie de soi, incapacité à éprouver une humeur positive, engourdissement émotionnel,
difficulté à participer à des activités sociales ou autres). La réaction de deuil a persisté
pendant une période atypiquement longue après la perte (plus de 6 mois au minimum)
et dépasse nettement les normes sociales, culturelles ou religieuses attendues pour la
culture et le contexte de l’individu. Les réactions de deuil qui ont persisté pendant de plus
longues périodes et qui se situent dans une période normative de deuil compte tenu du
contexte culturel et religieux de la personne sont considérées comme des réactions de
deuil normales et ne sont pas attribuées à un diagnostic. La perturbation entraîne des
déficiences importantes sur le plan personnel, familial, social, éducatif, professionnel ou
dans d’autres domaines importants du fonctionnement.

62. Traduction de l’auteur, https://icd.who.int/browse11/l-m/en.


63. Traduction de l’auteur, https://icd.who.int/browse11/l-m/en.
254 ■ CHAPITRE 11 – La phase à long terme

Résumé
1 Au bout de quelques jours ou de quelques semaines, les signes pathognomoniques du
traumatisme et les symptômes non spécifiques apparus dans les premières semaines
suivant l’événement pénible ou effrayant vont soit disparaître soit se perpétuer plu-
sieurs mois ou années, voire toute la vie des sujets. Les psychopathologies névrotiques
ou psychotiques peuvent également se confirmer chez les individus les plus fragiles.
2 La sémiologie psychotraumatique à long terme, différée et chronique comprend trois
volets : l’état de stress post-traumatique, les symptômes non spécifiques et la réorga-
nisation de la personnalité.
3 Les syndromes psychotraumatiques évoluent avec le temps. Généralement, le syndrome
de répétition, les désordres anxieux et les troubles du sommeil prédominent dans les
phases immédiates et post-immédiates. Les pathologies associées s’accentuent et les
altérations de la personnalité apparaissent dans la phase à long terme.
4 L’état de stress post-traumatique regroupe les symptômes pathognomoniques des
syndromes psychotraumatiques à savoir les reviviscences, les conduites d’évitement et
l’activation neurovégétative. Ces troubles s’accompagnent d’un ensemble de réactions
au niveau émotionnel, cognitif, comportemental et somatique.
5 Les troubles anxieux et dépressifs, les troubles du comportement et les désordres soma-
toformes apparus dans le décours de l’événement peuvent perdurer, voire s’aggraver.
De nouveaux symptômes peuvent émerger au cours du temps, par exemple, pour les
troubles anxieux, le trouble hyperanxiété et l’anxiété généralisée ; pour les désordres
dépressifs, la dépression franche et la dépression hostile ; et pour les troubles psycho-
somatiques, les pathologies dermatologiques, respiratoires, digestives, cardiaques,
endocriniennes et menstruelles. Certaines personnes vont présenter durablement des
signes de stress chronique sans pour autant manifester de symptômes traumatiques
tels que reviviscences ou évitements.
6 Les événements délétères, surtout s’ils sont extrêmes, répétés ou prolongés, sont sus-
ceptibles d’imprimer des marques durables sur la personnalité des victimes et d’induire
des attitudes et des comportements définitifs. Ces changements dans la personnalité
se signalent par des altérations du caractère (détérioration de la capacité à exprimer
et à gérer les émotions), de la relation à soi (impression de ne plus être soi, baisse de
l’estime de soi et du sentiment de valeur personnelle), à autrui (désintérêt, méfiance ou
attitude régressive de dépendance par rapport à autrui, repli sur soi et évitement rela-
tionnel, irritabilité et agressivité, liens pathologiques avec l’agresseur, etc.), au monde
(sentiment prolongé et récurrent de perte de sens, de détachement et/ou d’insécurité,
désintérêt pour les activités, troubles dissociatifs) et à la temporalité (réminiscences
traumatiques, difficulté à appréhender le futur, a fortiori positivement).
7 Les victimes risquent de développer une psychopathologie névrotique ou psychotique. Les
événements sont des facteurs précipitant la survenue d’une psychopathologie préexistante.
8 Le DSM-5 et la CIM-10 répertorient tous deux un état de stress post-traumatique,
des troubles dissociatifs et quelques autres troubles résultant d’un événement délé-
tère. La CIM-10 intègre également un trouble dénommé « modification durable de la
personnalité après une expérience de catastrophe » rendant compte des altérations
de la personnalité. La CIM-11 admet deux nouveaux diagnostics, l’état de stress post-
traumatique complexe et le trouble de deuil prolongé.
Les syndromes psychotraumatiques selon les nosographies internationales ■ 255

? Vérifiez vos connaissances


1 Quels sont les symptômes pathognomoniques du syndrome de stress post-traumatique ?
2 Quels sont les troubles non spécifiques aux syndromes post-traumatiques les plus
fréquents dans la phase à long terme ?
3 Comment s’expriment les troubles anxieux ?
4 Donnez quelques exemples d’altération du caractère ?
CHAPITRE 12

Les réactions
2

d’une société face


à un drame collectif.
Le cas des attentats
terroristes
« Il est des matins qui se lèvent sur d’autres nuits. »
Yasmina Khadra, L’attentat

SOMMAIRE

1. Le terrorisme, une arme efficace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258


2. Des effets psychologiques et sociaux recherchés par les terroristes . . . 259
3. Les réactions immédiates. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
4. Les réactions à court terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
5. Les réactions à moyen et long terme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
6. L’avenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283
258 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

Nous avons décrit tout au long de cet ouvrage les réactions


des individus confrontés à un événement potentiellement
traumatique mais comment un groupe social réagit-il aux
drames collectifs perpétrés intentionnellement ? Penchons-
nous sur le cas de nos pays secoués par la violence terroriste.

1. Le terrorisme, une arme efficace


Le terrorisme est une arme efficace. Une arme est utilisée dans l’intention d’infliger
une blessure ou de tuer et le terrorisme blesse et tue délibérément. Et il est une arme
efficace puisqu’il peut blesser et tuer un grand nombre de personnes en peu de temps.
Efficace encore car il contient en lui-même le présage funeste d’autres drames pos-
sibles à venir. Efficace aussi car il impacte non seulement les victimes directes et leurs
proches mais également la population civile d’un pays et plus globalement, du monde
occidental, voire émeut la planète entière par le biais des communications média-
tiques. Efficace parce qu’il ébranle les civils mais secoue également le monde politique
contraint de prendre des mesures pour protéger sa population. Efficace enfin parce
qu’il laisse des traces durables. Les attentats de New York du 11 septembre 20111ont
inauguré une nouvelle ère aux États-Unis mais également en Europe : interventions
militaires au Moyen-Orient dans lesquelles les pays européens se sont engagés, adop-
tion de lois plus restrictives, intensification des mesures de la sûreté aéroportuaires,
consolidation des contrôles aux frontières, patrouille de militaires dans les villes,
vigilance accrue dans des secteurs d’activité sensible (eau, nucléaire, etc.), renforce-
ment de la surveillance des télécommunications (internet et communications télépho-
niques), augmentation du nombre de caméras de vidéosurveillance dans les villes, etc.
Les traces laissées par le terrorisme ne sont pas seulement durables, elles sont aussi
évolutives. Depuis la chute des tours jumelles du World Trade Center, et plus encore
depuis les attentats de janvier 20152 à Paris, la représentation mentale du monde

1. Les attentats du 11 septembre 2001 sont quatre attentats-suicides perpétrés sur le sol américain
par le réseau Al-Qaïda. Ils ont visé des bâtiments symboliques dont les tours jumelles du World Trade
Center à New York et le Pentagone à Washington. Le bilan humain est lourd : 2 977 morts et 6 291
blessés.
2. Le 7 janvier 2015, les frères Kouachi, agissant au nom Al-Qaïda dans la péninsule arabique
(AQPA), attaquent le siège du journal satirique Charlie Hebdo à Paris. Le 8 janvier 2015, Amedy
Coulibaly, un proche des frères Kouachi, tue par balle une policière municipale et blesse grièvement
une personne à Montrouge. Le lendemain, il attaque une superette casher à la porte de Vincennes.
Des effets psychologiques et sociaux recherchés par les terroristes ■ 259

arabo-musulman ne cesse de se dégrader en Occident creusant de plus en plus le fossé


entre communautés.
La violence du terrorisme et la peur qui en découle sont rentables pour les agresseurs.
Lorsqu’ils y recourent, ils atteignent leur objectif, ce qui provoque un renforcement de
ce comportement meurtrier et suscite des vocations au sein d’autres groupuscules et
auprès d’individus isolés.

2. Des effets psychologiques et sociaux


recherchés par les terroristes
En 1962, le philosophe et politologue français Raymond Aron qualifiait de terro-
riste : « une action de violence dont les effets psychologiques sont hors de proportion
avec ses résultats purement physiques » (Aron R., 1962). Le terrorisme cherche moins
à tuer qu’à tuer abominablement ; il vise moins à tuer en masse qu’à propager l’effroi.
Son but est d’inspirer l’horreur, l’indignation, la répulsion et la terreur dans l’opinion
publique en infligeant aux victimes une mort horrible qui remet en question l’ordre
social et la morale. Décapitations, éventrations, castrations, vies fauchées à la fleur de
l’âge, la scénarisation monstrueuse de la mort revêt une pluralité des formes.
La stratégie du terrorisme, c’est moins le meurtre que la visibilité du meurtre. Le ter-
rorisme, disait Aron, « ne veut pas que beaucoup de gens meurent, il veut que beau-
coup de gens sachent ». Une décapitation retransmise à la télévision frappe tellement
l’imagination qu’elle compte bien davantage que pour une simple mort. Ses effets sont
largement démultipliés en raison de l’impact psychologique qu’elle produit sur les audi-
teurs et les téléspectateurs du monde entier. La fonction principale de l’acte terroriste
est publicitaire : faire parler de ses commanditaires et de ses revendications. Grace à
la mondialisation de l’information, on assiste à la mondialisation du message terroriste
et à celle de la terreur.
Certes, les exactions terroristes perpétrées en Europe depuis janvier 2015 ont arraché
la vie à de nombreuses personnes et la probabilité d’être impliqué dans une attaque
terroriste n’a jamais été aussi élevée dans nos sociétés démocratiques3. Il n’en reste
pas moins que leur portée psychologique et sociale est sans commune mesure avec
leur impact infime, sinon nul, d’un point de vue purement « militaire ». De même,
l’atmosphère de menace qu’ils ont instaurée au lendemain des massacres est largement

L’organisation djihadiste État islamique au nom de laquelle il affirmait agir n’a pas revendiqué son
acte. En tout, 17 personnes ont perdu la vie et 18 ont été blessées.
3. D’après la Global Terrorism Database, en 2016, près de 34 700 personnes sont décédées au cours
des 13 500 attaques terroristes perpétrées dans le monde. Seuls 2 % des actes terroristes ont été
commis en Europe. Le terrorisme tue davantage dans les pays en voie de développement. C’est l’Irak
qui comptabilise le plus de victimes avec 50 000 décès estimés depuis 2001. Les cinq autres pays les
plus touchés sont l’Afghanistan, le Pakistan, le Nigéria, l’Inde et la Syrie (The National Consortium for
the Study of Terrorism and Responses to Terrorism (START), 2017)
260 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

disproportionnée par rapport au risque réel encouru par chaque citoyen d’être touché
par un acte terroriste.
La portée psychologique et sociale du terrorisme est telle qu’elle conserve sa puissance
même lorsqu’un acte est déjoué. Pensons à la tentative d’attaque à l’arme à feu dans le
train à grande vitesse Thalys en août 2015 sur la ligne Amsterdam-Paris4. Depuis, dans
les gares et les trains, les contrôles policiers ont été renforcés. Les mois suivants, l’éven-
tualité d’être ciblé par la violence aveugle de radicaux islamistes a donné le frisson aux
voyageurs ou du moins, a traversé l’esprit de la majorité d’entre eux. Les effets produits
sont ainsi semblables à ceux attendus par les commanditaires d’une action réussie.
Aujourd’hui, en raison de la menace d’une nouvelle action terroriste, toute agression
inexpliquée implique d’emblée d’envisager la piste terroriste. Et il en est de même
des accidents aéronautiques, des explosions, etc. La hantise d’un nouvel événement
terroriste est l’alliée de la stratégie de la terreur. La terreur est à la fois le moyen des
terroristes et leur objectif.

3. Les réactions immédiates


3.1. Le choc, la peur et l’empathie
Dans le décours immédiat d’un attentat terroriste, la population est sous le choc.
Surprise par ces agressions meurtrières inattendues, elle est saisie d’effroi, pétrifiée
d’horreur et déroutée par l’incompréhension. Conjointement, elle éprouve un puissant
sentiment d’insécurité et, même si la probabilité d’être atteint est faible, tout un chacun
se sent menacé par le risque d’une nouvelle tragédie. Simultanément, la population
déborde d’empathie et de compassion pour les victimes directes, les blessés, les per-
sonnes dont la vie a été fauchée brusquement, les familles des défunts, etc. « Je ne dors
plus, je fais des cauchemars. Je pense à tous ces jeunes qui sont morts. Je pense à leur
famille, à leurs parents, à leur maman. Je pense à leurs amis. C’est affreux ! Je n’ose
plus sortir. J’ai peur qu’il m’arrive quelque chose. J’ai peur qu’il arrive quelque chose à
mes enfants » s’inquiète une mère.
La plupart des personnes réagissent normalement, du moins de manière attendue, à
une situation dramatique. Même si ces réactions sont fortes, elles débouchent rare-
ment sur des troubles à long terme. Pour la majorité des citoyens, l’émotion s’apaise en
quelques jours ou quelques semaines. À moins que l’effondrement de la croyance dans
leur propre sécurité soit une nouvelle fois réactivé par d’autres attentats meurtriers.

4. Le 21 août 2015, dans le train Thalys N° 9364 reliant Amsterdam à Paris sur la ligne LGV Nord,
aux alentours de la commune d’Oignies, dans le Pas-de-Calais, Ayoub El Khazzani, un ressortissant
marocain, armé d’un pistolet automatique et d’un fusil d’assaut kalachnikov, a ouvert le feu sur les
passagers avant d’être maîtrisé par des militaires américains en vacances. Il appartenait à la cellule
terroriste franco-belge constituée autour d’Abdelhamid Abaaoud, donneur d’ordre présumé des atten-
tats déjoués en Belgique à Verviers en janvier 2015, des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles et des
attentats du 13 novembre 2015 en France.
Les réactions immédiates ■ 261

3.2. Les mouvements de panique


Le bruit d’une détonation anodine (par exemple, l’explosion d’un pétard) ou une
situation inhabituelle (évacuation d’un magasin) provoque des mouvements de panique
individuels et collectifs.
Une Parisienne confrontée à l’évacuation d’un supermarché suite à un début
d’incendie témoigne de sa panique : « Je suis angoissée lorsque je suis enfermée. Peu
de temps après les attentats du Bataclan, une alarme s’est déclenchée dans mon
supermarché où je faisais mes courses avec mes deux enfants en bas âge. J’ai saisi
mes loulous et j’ai cherché la sortie de secours. Elle était cadenassée ! Je pleurais et
j’essayais d’entendre des coups de feu ».

Deux jours après les attentats meurtriers, bravant l’interdiction de se rassembler


instaurée par l’État d’urgence, nombreux sont les anonymes venus se recueillir place
de la République près de la statue de Marianne5, au pied de laquelle, ils déposent des
fleurs et allument des bougies. A quelques pas, un groupe clame en chœur : « Allez
la France ! Même pas peur ! ». Pourtant, soudainement, la foule est prise de panique.
Des milliers de personnes fuient la place piétinant fleurs et bougies sur leur passage
et s’engouffrent dans le premier café, magasin ou immeuble ouvert. La même scène se
répète dans plusieurs quartiers de la capitale française. Les pompiers ont dû intervenir
pour éteindre l’embrasement des fleurs et autres offrandes. A l’origine de ces paniques,
un bruit fort, l’explosion d’une lampe de chauffage de la terrasse d’un bar et de pétards,
évoquant une fusillade ou une explosion.
Ces mouvements de foule peuvent entraîner de dangereuses bousculades. A Juan-les-
Pins, un mois après l’attentat de Nice, un mouvement de foule déclenché par la pétarade
d’une voiture fait soixante-dix blessés dont une femme enceinte dans un état grave.

3.3. Les rituels


L’être humain est un être social. Il a besoin de ses semblables pour vivre et réunir
les conditions de son bien-être. Dans les suites immédiates d’un massacre, la préser-
vation et la reconstruction de l’équilibre psychologique individuel et communautaire
passe par le renforcement des liens entre les membres de la communauté affectée, par
la consolidation de son unité et par la réaffirmation de ses valeurs. Aussi, les personnes
éprouvent-elles le besoin de se livrer à des rituels : elles se rassemblent à proximité des
lieux du drame, se recueillent, communient, prient, déposent des fleurs, des lettres, des
photographies et des peluches, allument une bougie, observent une minute de silence,
respectent un deuil national, participent à des marches blanches, etc.

5. Sous l’apparence d’une femme drapée à l’antique et coiffée d’un bonnet phrygien, Marianne symbo-
lise la République française et ses valeurs de liberté et de démocratie. Elle incarne la devise trinitaire
« Liberté, Égalité, Fraternité ».
262 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

Les rituels aident les personnes à retrouver un équilibre psychologique. En participant


à des activités collectives, elles trouvent un moyen de sortir de la stupeur et de l’effroi.
Elles se sentent impliquées dans ce qui leur arrive et dans ce qui se passe autour d’elles.
Elles sont socialisées de manière réflexive par l’interaction qu’elle génère elles-mêmes.
« J’avais besoin d’être là (un lieu de recueillement spontané), de montrer aux victimes
que j’étais avec elles. J’avais besoin de faire quelque chose, alors j’ai été là. On était
nombreux. Ca m’a fait du bien de voir qu’on était tous ensemble, qu’on se serrait les
coudes dans ce drame » déclare un patient.
Les rituels reconstruisent notre santé mentale communautaire, ils réaffirment notre cohé-
sion sociale en marquant et en renforçant notre identité sociale. Ils confortent le sentiment
d’appartenance au groupe, à la foule, à la nation. Ils sont un puissant moyen d’assurer la
pérennité d’une communauté et donc, de garantir sa survie après qu’elle ait été fragilisée
par un événement traumatique de grande ampleur. Y participer, c’est se sentir appartenir
à la communauté ; c’est adhérer à ses normes et à ses valeurs. Cette dimension du Moi
social transcende les autres facettes : le « même » devient plus important que le « diffé-
rent » ; ce qui rapproche les individus au niveau culturel prévaut sur ce qui les distancie
au niveau individuel. « C’est important qu’on montre aux terroristes qu’on n’a pas peur.
C’est important qu’on leur montre qu’on ne va pas changer notre façon de vivre. Ils nous
détestent. Ils détestent notre société, ils détestent notre démocratie. On doit leur montrer
qu’on ne se laissera pas impressionner par eux et qu’on va continuer à ouvrir notre gueule.
On va la défendre notre liberté de parole, ça je vous le dis ! » clame un jeune étudiant.
Les valeurs consensuelles (culturelles, religieuses, etc.) que les rituels propagent
suscitent la solidarité communautaire et le respect mutuel. Ils ont donc une fonction
de médiation et promeuvent l’atténuation des divergences individuelles, politiques,
sociales, etc. Ce faisant, ils invitent à la ventilation du désintérêt, voire de l’hostilité et
de la contestation au sein du groupe. « On est tous égaux. Il y avait plein de musulmans
dans ce rassemblement. Il y avait des blancs, des noirs, des jaunes, des jeunes, des
vieux, des femmes, des hommes et même des enfants. On était tous là pour la même
chose, dire qu’on est des êtres humains et que la couleur de notre sang, elle est la même
pour tous. On est tous pareils et on doit se battre contre l’obscurantisme » s’exalte une
participante à une marche blanche contre le terrorisme.
Toutefois, à terme, les attentats renforcent peu les liens sociaux au sein des nations.
L’émotion populaire se dilue peu à peu et l’affirmation de l’appartenance culturelle, de
ses valeurs, de son idéologie, de ses symboles et de sa religion conduit insidieusement
au communautarisme et au repli identitaire. Comme on peut le constater dans les pays
agités par des conflits ethniques et par le terrorisme, la peur de l’autre engendre méfiance
et suspicion et l’équilibre social s’en ressent. Il s’en trouve fragilisé et non renforcé. La
peur est un moyen redoutable pour briser les liens qui unissent deux communautés. En
Algérie, durant les années noires6, les personnes en arrivaient à se méfier de leur propre
parenté car le terroriste pouvait être n’importe qui, y compris un membre de la famille.

6. La guerre civile algérienne opposa l’Armée nationale populaire (ANP) et des groupes islamistes.
Elle débuta en 1991 et dura une dizaine d’années. Cette période sombre est souvent appelée la décen-
nie noire, la décennie du terrorisme, les années de plomb ou bien encore les années de braise.
Les réactions immédiates ■ 263

Internet joue un rôle important en inaugurant de nouvelles formes de rituels solidaires.


Pensons au slogan « Je suis Charlie » crée par le graphiste français Joachim Roncin un
peu plus d’une heure après l’attentat perpétré contre le journal Charlie Hebdo. Cette
phrase, largement partagée sur les réseaux sociaux, en France et dans le monde, est
devenu un moyen de manifester sa solidarité et de communier avec les victimes et
avec le peuple éprouvé.

3.4. Rumeurs alarmistes, fausses alertes à la bombe


et théories complotistes
3.4.1. Les rumeurs alarmistes
Les rumeurs naissent quasi inévitablement au sein des populations inquiètes. Dans
le décours d’un malheur collectif, quel qu’il soit, catastrophes naturelles (par exemple,
un séisme) ou attentats terroristes, les rumeurs alarmistes annonciatrices de l’immi-
nence d’une nouvelle tragédie sont légion (avertissement d’un attentat imminent ou
d’une prise d’otage, alerte à la bombe, etc.). Par exemple, après les attentats de Nice, les
rumeurs se sont propagées à toute allure : prise d’otage dans différents établissements
de la ville, des tireurs en fuite, un assaillant exfiltré vivant, etc.
Qui sont les instigateurs de ces rumeurs ? Des personnes anxieuses, bien intentionnées,
persuadées qu’elles ont détecté des agissements ou des bruits suspects. La peur relève
leur niveau de vigilance. Leur attention est exacerbée et elles prospectent leur envi-
ronnement à la recherche de signaux de danger. D’autres personnes prêtent foi à ces
informations infondées prédisant de nouveaux malheurs. Parce qu’elles éprouvent le
besoin de protéger leur communauté, elles les propagent sans questionnement sur leur
validité et sans vérification.
Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la création et la
diffusion de rumeurs alarmistes. Les situations de crise déclenchent de nombreux
échanges d’informations. Plus le volume d’information échangé est important, plus
le risque de nouvelles erronées et de rumeurs s’accroit. Une personne croit entendre
une fusillade et poste un message factuel sur Facebook ou sur Twitter du type
« J’ai entendu des détonations. Je ne sais pas ce qui se passe. Je suis caché dans un
commerce ». Ses amis lancent l’alerte. Au fil des transferts, le message est déformé
en annonce d’attentat. La rumeur enfle avant d’être démentie officiellement par les
autorités.

3.4.2. Les fausses alertes et colis suspects


À Bordeaux, les forces de l’ordre sont appelées une à deux fois par jour pour
une alerte à la bombe ou pour des colis, valises ou sacs égarés dans les gares ou les
centres commerciaux (Sud Ouest, 2016). En Belgique, dans la ville de Liège, les fausses
alertes à la bombe et les dépôts de colis suspects se multiplient depuis les attentats de
mars 2016. En trois mois, les services policiers ont dû mener seize interventions dans
la cité ardente (Mazzoccato A., 2016).
264 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

Ces fausses alertes peuvent être le fait d’opportunistes de tout poil, de meneurs ou
de zélateurs de groupuscules qui ont intérêt à maintenir un climat de terreur. Leurs
motivations peuvent être idéologiques (terrorisme, extrémisme, anarchisme) ou ins-
trumentales (semer la panique, troubler l’ordre public, tester la vigilance des forces de
l’ordre, intimider, nuire).
Plus souvent, ces alertes malveillantes sont initiées par des adolescents qui trouvent
dans les événements actuels une opportunité de manifester leur mal-être, de se frot-
ter aux limites ou de gagner en popularité auprès de leurs pairs. Deux garçons de
16 et 17 ans se sont ainsi illustrés en septembre 2016 en faisant un « swatting ». Le
swatting, issu de SWAT (unité d’élite de la police américaine), consiste à signaler un
faux incident grave (prise d’otage, attentat, assassinat) afin de mobiliser les unités
d’élite des forces de l’ordre. Les swatters ont averti les autorités d’une prise d’otage
en cours dans une église de Paris. Inconscients de l’impact de leurs actes, ils se sont
vantés de leur exploit sur les réseaux sociaux. Interrogés sur leurs motivations,
ils ont répondu : « On a fait ça pour le buzz. Si les gens ont eu peur c’est leur pro-
blème ! » (de Fournas M., 2016). D’autres jeunes agissent avec la volonté délibérée
de nuire. En octobre 2016, un jeune de 18 ans, auteur de plusieurs fausses alertes
à la bombe, a été intercepté. Il faisait partie d’un groupe de jeunes internautes dont
l’objectif était de lancer des fausses alertes afin de « faire perdre de l’argent à l’État »
(Balboni J., 2017).
D’autres alertes malveillantes sont le fait de déséquilibrés mentaux. Par exemple, en
avril 2018, en plein festival de Cannes, une Cannoise de 27 ans a soudain crié Allah
Akbar avant de menacer de se faire exploser. Elle a rapidement été arrêtée et hospita-
lisée en raison de son état mental (Nice Matin, 2018).
Plus rarement, la motivation peut relever d’un désir de vengeance personnelle. En juil-
let 2015, un homme signale une bombe sur le réseau ferroviaire français. Bien qu’il se
soit revendiqué de l’état islamique, l’enquête a prouvé qu’il n’avait aucune inclination
pour le terrorisme. Il voulait simplement perturber le trafic ferroviaire pour empêcher
son ex-compagne d’exercer son droit de visite auprès de l’enfant dont il avait la garde
(Midi Libre, 2015).

3.4.3. Les fake news


Le terme anglophone « fake news », davantage usité que sa traduction française de
fausses nouvelles, désigne des informations délibérément trompeuses. Dans le décours
immédiat des attentats, des internautes sans scrupules diffusent des informations
truquées sur les réseaux sociaux dans le but d’entretenir un climat de peur, d’attiser
la haine ou de faire le buzz. Ainsi, profitant de l’émotion collective après la tuerie de
Paris, un certain Michaël a posté sur Twitter une photo dévoyée de Palestiniens, les
doigts en V, kalachnikov à la main avec pour légende « Liesse de joie à Gaza au cris
de Allah akbar mort à la France (Al jazeera)». Ce message de propagande raciste n’a
jamais été diffusé par la chaîne Al-Jazeera et le cliché, pris en trois ans auparavant, en
2012, n’est pas une scène de réjouissance du malheur des Français mais la célébration
par les Gazaouites d’un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël (Les Décodeurs, 2015).
Les réactions immédiates ■ 265

Dans un post7 suivant, Michaël se demande « qu’attend t on pour aller les bombarder
ces terroristes barbares Islamistes » confirmant l’intention raciste de son premier
Tweet8,9. En février 2017, le président américain Donald Trump lui-même s’est rendu
coupable d’une fake news. Dans un discours virulent voulant démontrer le danger
d’accueillir des réfugiés, il a laissé entendre que la Suède avait subi des attentats : « La
Suède, qui l’aurait cru ? La Suède. Ils ont accueilli beaucoup de réfugiés, et maintenant
ils ont des problèmes comme ils ne l’auraient jamais pensé » (Le Monde, 2017).

3.4.4. Les théories du complot


A. Le false flag
Dans les suites immédiates des attentats, plus pernicieuses et nettement plus
pérennes que les rumeurs alarmistes, les fausses alertes et les fake news, des théories
complotistes10 fleurissent sur Internet et les réseaux sociaux. Elles remettent en cause
les faits, dénoncent des machinations et autres conspirations.
Depuis les attentats de New York du 11 septembre 2001, la thèse la plus répandue est
celle du « false flag ». Souvent désignées par l’anglicisme « false flag », les opérations
« sous fausse bannière » ou « sous faux pavillon » sont, dans la rhétorique conspira-
tionniste11, des opérations destinées à imputer la responsabilité d’une action terroriste
à un autre que celui qui l’a commanditée afin de masquer les véritables instigateurs et
leur mobile. Les contre-vérités sur les attentats du 11 septembre ne se comptent plus.
La plus populaire soutient que les attaques n’ont pas été menées par Al-Qaïda mais
par l’administration du Président Bush elle-même pour justifier ses interventions mili-
taires au Moyen-Orient et ses mesures sécuritaires anti-terroristes. Des associations
complotistes ont vu le jour telles que le 9/11 Truth Movement (Mouvement pour la
vérité sur le 11-Septembre) et de nombreux ouvrages ont été publié. Le best seller
L’Effroyable Imposture, commis par l’écrivain français Thierry Meyssan, a contribué à

7. L’anglicisme « post » désigne un message posté sur un forum ou un blog.


8. Les Tweet (court message informatif posté via Twitter) a été retranscrit tel quel, avec les fautes
d’orthographe.
9. Pour voir les posts sur Twitter : https://twitter.com/michael_a15/status/665501474986815
488 ? lang = fr
10. Selon le philosophe Brian Keeley, « une théorie du complot est une explication d’un évènement
historique (ou d’évènements historiques) fondée sur le rôle causal d’un petit groupe d’individus agis-
sant en secret » (Keeley B., 1999). Aujourd’hui, complotisme est un néologisme couramment admis
pour désigner la théorie du complot. Le néologisme conspirationnisme est utilisé pour qualifier la
théorie d’un complot intérieur, fomenté au sein même d’un gouvernement. La théorie selon laquelle les
industries pharmaceutiques écoulent des produits dangereux au mépris de la santé de la population
dans le but de réaliser de gigantesques profits financiers relève du complotisme (théorie du complot
de Big Pharma). La thèse soutenant que l’administration Bush a commandité les attentats les plus
meurtriers de l’histoire peut être qualifiée de complotisme.
11. Dans le langage militaire, le false flag est une ruse de guerre consistant à mener des actions en
utilisant des marques de reconnaissance de l’ennemi (uniforme, pavillon, camouflage des navires de
guerre en cargo, attentats commis par les services secrets d’un pays pour en imputer la responsabilité
à l’ennemi, etc.).
266 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

la diffusion de ces théories dans l’Hexagone. Un sondage réalisé à l’automne 2016 par
l’institut Odoxa révèle que 65 % des Français considèrent qu’on leur a caché quelque
chose sur l’attentat du 11 septembre. Ce sentiment est plus marqué encore chez les
moins de 25 ans, au point de concerner 75 % des interrogés. 45 % des sondés pensent
qu’on ne connait pas les véritables responsables des attentats et 28 % estiment que le
gouvernement américain était impliqué (Odaxa, 2016).
D’une manière générale, les thèses complotistes trouvent un écho de plus en plus
important au sein de la population et touche particulièrement les jeunes (Huchon,
2015). En janvier 2018, un sondage de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et l’obser-
vatoire Conspiracy Watch montre que 79 % des Français croient à au moins une
théorie du complot, 34 % à au moins quatre et 13 % à au moins sept.
En ce qui concerne les attentats meurtriers de Paris, pour les complotistes, ils sont une
mise en scène manigancée par les services secrets. En faisant croire à un attentat isla-
miste, leur but serait d’attiser la haine envers les musulmans. A Berlin, le 19 décembre
2016, un homme a foncé à bord d’un camion dans la foule du marché de Noël tuant
12 personnes et en blessant 48. Comme après l’attentat de Nice, des internautes se sont
étonnés du peu de dégâts occasionnés au camion et de l’absence de sang et ont conclu
que l’attentat était une invention créée de toutes pièces.
Le sondage de l’Ifop révèle que 19 % doutent de la « version officielle » de l’attentat de
Charlie hebdo estimant que « des zones d’ombre subsistent » et 3 % jugent qu’il y a eu
« une manipulation dans laquelle les services secrets ont joué un rôle déterminant ».
Les jeunes sont particulièrement sensibles aux théories du complot. 30 % des 18-24
ans et 27 % des moins de 35 ans sont d’accord avec l’affirmation que « les groupes ter-
roristes jihadistes comme Al-Qaïda ou Daech sont en réalité manipulés par les services
secrets occidentaux » alors que seuls 8 % des plus de 65 ans y souscrivent (ifop, 2017).
Les thèses complotistes circulent depuis plusieurs décennies mais internet leur offre
aujourd’hui un moyen de diffusion rapide et démultiplicateur.

B. La défiance à l’égard des dirigeants


Le false flag révèle la défiance des populations à l’égard de ses dirigeants. En
2016, le baromètre Edelman a signalé que plus de la moitié de la population mondiale
n’accorde pas sa pleine confiance à ses institutions démocratiques (Edelman, 2016).
L’effondrement de l’économie, l’injustice sociale, la montée des inégalités, les crises
financières, les abus de biens sociaux et la corruption, la crise migratoire, les crises
écologiques et environnementales contribuent à altérer la confiance des citoyens.
Aux États-Unis, les théories du complot, marginales dans la vie politique des premières
années post-11 Septembre, ont vu leur popularité croître corrélativement à l’impopu-
larité de Bush et de la guerre en Irak. Leur influence a régressé, sans toutefois dispa-
raître, à la fin de l’administration Bush. Cet exemple illustre bien le fait que la suspicion
à l’égard des autorités créée les conditions favorables au complotisme et lui permettent
de gagner des adeptes en cas de troubles ou de tragédies.
Les réactions immédiates ■ 267

C. Le besoin d’être informé


Dans la suite immédiate d’une action terroriste, un des tous premiers besoins de
la population perçu comme vital est celui d’être informé. L’information procure un
sentiment de maîtrise et de contrôle de la situation et réintroduit une certaine pré-
visibilité du futur. Une information pertinente permet ainsi de réduire sensiblement
l’état de stress et la détresse des populations affectées. Mais le rôle des médias officiels
d’informer dans la situation de crise subséquente à un attentat terroriste est un exer-
cice difficile. Par définition, la crise est une situation incontrôlée ou du moins, gérée
avec difficulté. Les événements se bousculent de manière inattendue et dramatique,
les dépêches se succèdent à un rythme effréné, des décisions politiques et sécuritaires
sont prises dans l’urgence, des réactions fusent de toutes parts, etc. Autant de sujets
à communiquer dans les journaux audiovisuels et la presse écrite. Pour les médias,
les pièges sont nombreux : tension générée par l’urgence, difficulté à valider des infor-
mations en évolution constante, danger de relayer des rumeurs, diffusion de rensei-
gnements pouvant mettre des personnes en péril12, pression du direct, dramatisation
excessive, risque de verser dans le sensationnalisme, surenchère d’images-choc, course
à l’audience, etc.
Angoissés par leur propre amplification du risque, certaines personnes cherchent de
l’information tous azimuts. Leur peur engendre ainsi une véritable attraction pour
les moyens de communication officiels et alternatifs. Connectés aussi souvent que
possible aux actualités diffusée par les médias et/ou par internet, ils en deviennent
dépendants, prisonniers d’une relation passive et angoissante à l’information. Pour
ceux pour que cette hyperconsommation d’une information quasi unidimensionnelle
laisse insatisfaits quant à la compréhension des faits, il existe un risque réel de verser
dans les théories complotistes. En effet, la persistance d’une dissonance cognitive entre
l’information attendue et l’information disponible pousse à transformer à et réinterpré-
ter les éléments en contradiction.

D. La défiance vis-à-vis des médias officiels


À chaque grande crise, quelle qu’elle soit13, les critiques, justifiées ou non, fusent
quant à la gestion médiatique de la situation. Les médias se retrouvent irrémédiable-
ment en position d’accusés. On les tient pour responsables de l’amplification du climat
de terreur, on leur reproche d’avoir paniqué l’opinion publique par la multiplication
de nouvelles alarmantes, on met en doute la réalité du danger14, on les soupçonne
d’être de mèche avec les politiques et d’utiliser la menace pour étouffer les affaires qui

12. En janvier 2015, Lilian Lepère, graphiste à l’imprimerie de Dammartin-en-Goële, s’est caché dans
le réfectoire de l’établissement, sous l’évier. Il affirme « J’ai été plutôt chanceux qu’ils (les médias) n’aient
pas été tenus au courant des informations ». Sa vie, pense-t-il, aurait pu être mise en danger par les
médias ayant diffusé qu’un otage se trouvait dans l’imprimerie si ceux-ci avaient eu connaissance du
lieu précis de sa cache. (Dupont L., 2015)
13. Pour n’en citer que quelques unes : la grippe aviaire, la grippe H1N1, la vache folle, la dioxine, la
guerre en Irak, Tchernobyl, etc.
14. Par exemple, la grippe H1N1.
268 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

empoisonnent le pouvoir, etc. Les différents scandales sanitaires, politiques, sociétaux,


économiques et financiers15des dernières années ont altéré la confiance envers ceux
qui délivrent l’information officielle. A contrario, si les médias font preuve de modé-
ration dans leurs propos, si plusieurs jours passent sans véritable nouvelle, on les sus-
pecte de retenir des informations pour ne pas inquiéter la population ou pour d’autres
raisons obscures. Par ailleurs, plongés dans le maelstrom d’une crise, les médias livrent
parfois des informations inexactes. Le rythme de l’information en continu pose des
problèmes particuliers : vacuité de nombre de témoignages, recours à des experts
autoproclamés, reprises de rumeurs. L’impression d’un manque de transparence nour-
rit le sentiment que les médias cachent ou travestissent la réalité. L’impression d’être
trompé, manipulé et désinformé par les institutions est un terreau fertile pour les
thèses complotistes. En effet, la peur et la méfiance sont les deux facteurs principaux
prédisant l’adhésion à de telles théories.

E. Théories du complot et attentats


Les nombreuses chaînes télévisées diffusent les mêmes images, les mêmes com-
mentaires ; les médias ânonnent. Sur internet, d’autres informations, celles des com-
plotistes, circulent. Elles expliquent des détails inexpliqués et éclaircissent des zones
d’ombre. Les explications ainsi diffusées sont séduisantes ; elles donnent un sens, elles
fournissent une logique unificatrice et répondent à un besoin de cohérence en transfor-
mant et en insérant les éléments chaotiques, déroutants et angoissants dans un schéma
compréhensible. Pour Hannah Arendt, les théories du complot répondent à un besoin
des foules qui « ne font confiance ni à leurs yeux ni à leurs oreilles, mais à leur seule
imagination, qui se laissent séduire par tout ce qui est à la fois universel et cohérent
en soi-même » (Arendt, 2005). De plus, les arguments déployés par les promoteurs
du complot sont parfois subtils et techniques, ce qui tout à la fois leur confère l’allure
d’une vérité scientifique et les rendent difficiles à réfuter pour la majorité des citoyens.
Au coté rassurant que procure le fait de comprendre s’ajoute la fierté de ne pas s’en
être laissé compter, de ne pas être un mouton, d’être au-dessus de ceux qui croient tout
ce que les médias leur disent.
Le diable se cache dans les détails et c’est précisément aux détails que s’attachent les
complotistes. Ils s’emparent d’indices minimes, non significatifs pris individuellement,
mais qui, réunis, créent une théorie divergente de la thèse officielle. Les conspiration-
nistes sont persuadés que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, l’auteur de la tuerie de Nice
n’est pas mort et qu’il a été exfiltré vivant. Ils tiennent pour preuve que le camion
a subi l’impact d’une trentaine de balles mais aucune du côté conducteur. Sur une
vidéo, on voit clairement des policiers tirer depuis la droite du véhicule. Ils visent le
conducteur mais leur positionnement les contraint à tirer à travers la droite du pare-
brise. De plus, un vue sur l’aile gauche du camion montre les impacts côté conducteur
(Metronews, 2016). Bien que les médias se soient appliqués à déconstruire la théorie
fallacieuse, elle continue d’avoir ses partisans.

15. Par exemple, la dioxine, la guerre en Irak, Tchernobyl, l’affaire du sang contaminé, etc.
Les réactions immédiates ■ 269

À force d’être répétée, ces thèses complotistes forgent la manière dont leurs adeptes
perçoivent la réalité. Elles les entraînent dans un monde où l’insécurité réelle ou imagi-
naire, la manipulation, les machinations et les complots sourdent de toutes parts. Leur
besoin de sécurité les pousse à chercher de l’information mais paradoxalement, celle-ci,
lorsqu’elle est brute et sans analyse ou tronquée, entretient leur angoisse.

F. Des théories pérennes


Bien que les experts, les scientifiques, les journalistes et la justice aient invalidé de
nombreuses thèses complotistes, elles continuent de faire des émules. Ainsi, dix-sept
ans après les attentats du 11 septembre, les théories du complot convainquent encore,
tant en Amérique qu’en Europe.
La démonstration de l’irrationalité d’une information faite par les médias officiels peut
ramener certains internautes à la raison mais pour les irréductibles de la théorie du
complot, le démenti apporté par la voix même accusée de mentir ne fera que valider
et renforcer leur conviction que l’information erronée est véridique. Pour Normand
Baillargeon, auteur de l’ouvrage Petit cours d’autodéfense intellectuelle, ceux-là font
preuve de « dénialisme », c’est-à-dire d’un « raisonnement destiné à appuyer une
conviction à laquelle on adhère d’abord, plutôt qu’un examen impartial des faits des-
tiné à établir ce qui est vrai ou le plus probable » (Baillargeon N., Charb16, 2005). Cette
attitude est un biais cognitif, appelé biais de confirmation d’hypothèse, qui consiste à
accorder davantage de poids aux preuves qui confirment les croyances de départ.

3.4.5. Internet et les contre-vérités


Depuis les attentats, les médias réfléchissent à la manière de traiter des sujets aussi
sensibles et complexes que celui du terrorisme : authentification des informations,
choix des images diffusées, plate-forme d’analyse et de mise en perspective des événe-
ments, recours à des journalistes-experts, réflexion menée au sein de la profession, etc.
Toutefois, dans la façon de consommer l’information aujourd’hui, on ne peut ignorer les
nouveaux moyens de communication : sites, blogs, réseaux sociaux, SMS, etc.
Quelques minutes après les attentats, vidéos, témoignages de rescapés et messages
ont commencé à circuler sur la toile et sur les téléphones portables. L’information est
diffusée rapidement et partout dans le monde. A titre d’exemple, c’est un site israélien
qui le premier a été posté une vidéo de l’attentat de Nice. Le réseau informatique agit
comme une caisse de résonance des informations erronées, des contre-vérités et des
théories conspirationnistes. Les gens transfèrent l’information en la modifiant ou sans
en vérifier l’authenticité. A titre d’exemple, un follower17 témoigne sur le Tweet de
Michaël : « J’ai retweeté “joie à Gaza au cris de Allah akbar mort à la France” sans véri-
fier. Je ne trouve pas de confirmation ». Les jeunes sont particulièrement vulnérables
car internet et les réseaux sociaux sont leur principale source d’information.

16. Charb, l’illustrateur de l’ouvrage, était le directeur de Charlie-Hebdo. Il a été tué dans l’attentat
du 7 janvier 2015.
17. Un follower est une personne qui s’abonne aux messages d’un utilisateur de Twitter.
270 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

4. Les réactions à court terme


4.1. La peur
Quelques jours après le drame et dans les semaines suivantes, la plupart des
citoyens recouvrent leur calme, même s’ils se montrent stressés dans des circonstances
particulières, par exemple, s’ils sont confrontés à des situations évoquant les attentats.
« Je pense encore à ce qui s’est passé, bien sûr, mais la vie a repris son cours. On ne
peut pas vivre continuellement dans la peur. On est bien obligé de continuer mais bon,
c’est vrai, je dois dire que je ne suis quand même pas très à l’aise quand je prends le
métro le matin mais à part ça, ça va » témoigne une dame ayant emprunté le métro
quelques minutes avant l’attentat.
Certaines personnes vont néanmoins continuer à éprouver une peur intense et se
plaindre de cauchemars alors qu’elles n’ont pas été impliquées directement dans les
attentats. Elles vont modifier leurs habitudes et adopter des comportements d’évi-
tement au même titre que les victimes directes. Par exemple, elles vont éviter les
endroits fréquentés où un terroriste pourrait agir, elles vont soupçonner de simples
badauds d’être capables de commettre des actes monstrueux, elles vont se défier de la
communauté dont sont issus les intégristes, elles vont prôner une logique sécuritaire et
voter en fonction, etc. Les sujets les plus à risque de manifester des émotions intenses
et de développer des conduites d’évitement sont les personnes anxieuses ainsi que
celles résidant ou travaillant dans les environs immédiats des attentats ou contraintes
de se rendre dans des lieux évoquant le drame (aéroports, stations de métro, manifes-
tations populaires, etc.). Celles qui se sentent en danger mortel vont jusqu’à fuir nos
pays. Plusieurs milliers de juifs ont ainsi décidé de rejoindre Israël après l’attaque du
magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris en janvier 2015. « J’ai quitté
la région parisienne. Il n’était plus possible d’utiliser le RER18 en sécurité, pour moi et
mon fils. L’environnement était de plus en plus toxique pour mon fils. J’étais épuisée
de Paris » témoigne une Parisienne.
Les personnes ayant vécu antérieurement un traumatisme que l’attentat a réactivé
risquent également de présenter des symptômes. Ainsi, une patiente a souffert de
réminiscences traumatiques de l’accident ferroviaire dont elle a été victime suite aux
attentats dans le métro. Après avoir vu les informations télévisées, elle constate :
« Toute cette ferraille tordue, éventrée… J’ai cru revoir l’accident. J’ai pensé à tous ces
blessés qui devaient souffrir. C’était la même chose. Depuis, je ne vais pas bien. Les
images de l’accident reviennent ». Une collègue de Médecins Sans Frontières déclare :
« Ça me stresse de voir des militaires armés dans la rue. Ca réactive le traumatisme
de la guerre que j’ai vécu en mission humanitaire. ». Une victime de viol témoigne :
« J’étais fragile quand c’est arrivé. Je n’avais pas encore travaillé mes traumatismes
en psychothérapie et j’ai passé des moments difficiles. Je n’arrivais pas à vivre nor-
malement. N’importe quoi pouvait réactiver mes traumatismes. Quand il y a eu les

18. Métro régional desservant Paris et sa région.


Les réactions à moyen et long terme ■ 271

attentats, on en entendait beaucoup parlé aux infos. Je sais que c’est important mais
pour ma part, entendre autant de choses me rendait encore plus insécure. Déjà que
j’étais quelqu’un de nature insécure… J’ai passé des moments à avoir peur de tout,
de tout le monde, peur de tomber malade, qu’on m’empoisonne, qu’on me poignarde
dans le dos dans la rue, j’avais des crises d’angoisses, des nausées, des maux de
ventre. Mon anxiété ne se calmait pas, même avec la respiration abdominale que
j’avais apprise avec une sophrologue. Ma phobie de vomir, que j’ai depuis l’enfance,
est revenue en force. »
Les personnes qui ont visionné les images en boucle à la télévision courent un danger
similaire. Ces images laissent dans le cerveau des engrammes particuliers. Ce ne sont
pas seulement des images qui s’impriment dans la mémoire mais également la charge
émotionnelle qui leur est associée : l’horreur, l’effroi, la colère, l’impuissance, etc. Ce
film intérieur est « actif » et « agissant » car il possède un potentiel traumatogène. Il
constitue une sorte de souvenirs pour le spectateur qui finit par partager l’insécurité
des victimes directes.

5. Les réactions à moyen et long terme


5.1. Les réactions individuelles
5.1.1. L’insécurité
Au fil du temps, la plupart des citoyens recouvrent leur calme et affirment,
quelques mois après les attentats, poursuivre leur vie normalement. Ils n’ont pas modi-
fié leurs habitudes mais sont néanmoins nombreux à reconnaître qu’un climat de doute
et de suspicion s’est installé perfidement. Le monde leur paraît plus menaçant, ils sont
davantage en alerte et surveillent l’environnement plus attentivement. Cette insécurité
est particulièrement perceptible lorsqu’ils se trouvent dans une ville. Ils s’inquiètent
d’un sac abandonné, se méfient des jeunes hommes d’origine arabo-musulmane, etc.
« Pas de grands changements pour moi à part peut-être un poil de vigilance en plus :
par exemple, quand un sac traîne à côté de l’arrêt de bus, je vérifie qu’il est vide avant
d’installer mes fils sur la banquette. Mais je ne vis pas la peur au ventre. Et je n’y pense
certainement pas la majorité du temps » déclare une mère deux ans après les attentats
de Bruxelles. « Je n’ai pas changé mes habitudes, mais je me surprends parfois à me
méfier d’un petit rien, sans raison apparente. Même si nous vivons normalement, nous
sommes marqués par ces événements, les images, les médias » convient une Française
près de trois ans après les attentats de Paris. « Je suis de nature spontanée, joviale et
pas du tout anxieuse. Je remarque cependant qu’il m’arrive de plus en plus, quand je
suis dans un lieu, de regarder où sont les issues de secours, comment je protégerais ma
fille s’il se passait quelque chose, où je pourrais me cacher. Cela ne prend que quelques
secondes et je m’interdis de me laisser gagner par la panique. Je suis donc parfois un peu
moins à l’aise dans certains lieux… Et aussi, lorsque je croise des personnes d’origine
maghrébine, je me surprends à les observer et parfois à me sentir un peu anxieuse ! »
constate une deuxième. « Pour ma part, je suis beaucoup plus vigilante lors de grands
272 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

rassemblements, je surveille. Au quotidien, ça ne m’empêche pas de vivre mais quand


je pars en voyage notamment quand je dois prendre l’avion avec mes enfants, une
petite angoisse est là que je n’avais pas avant » déclare une troisième. « Le signal de la
peur est toujours présent dans les grands rassemblements festifs, les aéroports. Je n’y
vais plus l’esprit tranquille. Ma vigilance est en alerte » renchérit une autre.
Si la plupart des personnes mènent leur existence habituelle, d’autres ont modifié leurs
habitudes, en particulier par rapport aux activités citadines et aux grands rassem-
blements populaires. Elles ont regagné leur tranquillité dans la routine du quotidien
mais éprouvent des craintes dans des situations spécifiques pour elles et, plus souvent
encore, pour leurs enfants. En conséquence, elles adoptent des comportements d’évi-
tement. Elles préfèrent se déplacer à pied, en vélo ou en bus plutôt que d’emprunter le
métro ; elles renoncent à partir en villégiature dans les pays arabo-musulmans optant
pour d’autres contrées jugées plus sûres ; elles hésitent à se rendre dans les endroits
fréquentés tels que concerts, discothèques, matchs de football, fêtes populaires, grands
centres commerciaux ou marchés. En Belgique, à l’été 2016, suite aux attentats de
Nice, la foire du Midi, la fête foraine bruxelloise la plus importante, a enregistré une
baisse de 50 % de fréquentation le jour de la fête nationale par rapport à 2015. A
la même période, le voyagiste britannique Thomas Cook a annoncé des bénéfices en
baisse en raison de la chute des demandes sur ses marchés clefs du Maghreb. « Je
n’ai rien changé à ma vie mais j’évite quand même les voyages dans les pays arabes
et musulmans » dit un homme de la campagne. « J’évite les grandes manifestations,
les grosses foules et je regarde si la rue ou si le lieu est bien sécurisé. J’observe.
Méfiance… » témoigne une Bruxelloise. « Moi, j’avoue que ça me fait peur. Je ne suis
pas à l’aise quand ma fille prend le train dans une grande gare à Bruxelles, je suis ravie
de ne pas devoir prendre le métro et j’évite d’aller dans des grands rassemblements de
personnes mais à part ça, je vis comme avant » reconnaît une psychologue. « J’annule
les déplacements vers Paris parfois de manière irrationnelle. A Paris, le RER est un
moment de stress intense. Sur Bruxelles, je ne prends plus jamais le métro, je ne me
déplace plus qu’en voiture. La plus grande angoisse, ce sont les déplacements de mes
trois enfants adolescents » reconnaît une femme d’affaires deux ans après les attentats
de Paris et de Bruxelles.
Une faible minorité de personnes, parmi les plus anxieuses et/ou ayant été les
plus exposées (par exemple, en chemin vers l’aéroport de Zaventem au moment de
l’explosion ou vers l’une des terrasses assaillies à Paris, voyageurs ayant emprunté
le métro peu avant l’attentat, badauds à proximité du lieu des attentats de Nice, etc.),
restreignent leurs activités esquivant toute situation jugée à risque. Surestimant le
danger, elles ont le sentiment de jouer à la roulette russe lorsqu’elles se rendent dans
un lieu fréquenté. Leur attention est exacerbée et elles scrutent leur environnement à
la recherche de signaux de danger. A la question sur ce qui a changé dans sa vie depuis
les attentats, une Niçoise, proche du drame qui a ôté la vie la vie à 86 personnes et en
a blessé 458 autres sur la promenade des Anglais, répond : « Quand je vais boire un
verre, ou voir un spectacle, ou quand je suis dans un lieu public, je regarde presque
toujours où je pourrais me cacher, où se trouve la sortie de secours. Au bistrot, je ne
tourne pas le dos à la porte. Je ne vais plus voir le carnaval, ou des manifestations où il
y a du monde. Ca fait flipper à dire mais en fait c’est devenu un réflexe. Je le découvre
Les réactions à moyen et long terme ■ 273

presque en te répondant… ». Une jeune étudiante en psychologie a abandonné ses


études. « Je ne sors plus, j’ai peur de mourir » a-t-elle déclaré.
Les attaques portées contre un État ont des répercussions sur les populations des
pays avoisinants. Ainsi, c’est moins décontractés qu’avant les attentats de Paris du
13 novembre 201519 que les Belges se rendent à un concert, à un match de football et
c’est moins désinvoltes qu’ils partagent un verre entre amis à la terrasse des débits de
boisson. De même, c’est avec moins d’insouciance qu’avant les attentats de Bruxelles
du 22 mars 201620 que les Parisiens se rendent à l’aéroport et se déplacent en métro.
C’est aussi avec davantage d’appréhension que Belges et Français de tout l’Hexagone
participent à de grandes manifestations collectives depuis les attentats de Nice du
14 juillet 201621. Une Parisienne déclare : « Depuis les attentats de Bruxelles, je ne
prends plus les transports en communs ». « J’éprouve par moment un vrai sentiment
d’insécurité dans des lieux publics où il y a foule mais cette inquiétude n’est pas per-
manente et ne grandit pas ; elle est juste réactivée après chaque attentat en Europe »
reconnait une jeune femme.
Si d’autres attaques terroristes se produisent, elles aussi répandront la peur dans le
pays visé et chez ses voisins. Une action terroriste menée sur un marché ou dans un
centre commercial en Grande-Bretagne, dans un établissement scolaire ou un cinéma
en Allemagne, dans une gare ou un fast-food américain en Hollande, dans un com-
missariat de police ou sur les plages d’Italie, contre un pont ou dans un complexe de
réservoirs d’hydrocarbure en France élargirait indubitablement les lieux et situations
redoutés et évités par les citoyens européens.
Outre la récurrence des massacres et la probabilité de nouveaux drames, l’évolution
des modes opératoires des terroristes concourt à accroître le sentiment d’insécurité des
populations. En janvier 2015, avec les assauts meurtriers portés contre la rédaction du
journal satyrique Charlie Hebdo et le magasin hyper casher, les victimes étaient visées
en raison de leur profession ou de leur confession. Aujourd’hui, les attaques frappent
aveuglément. Chacun devient une cible potentielle. En diversifiant les cibles (dessina-
teurs engagés, Juifs, policiers, jeunes, tout un chacun), les lieux d’intervention (dans

19. Les attentats du 13 novembre 2015, revendiqués par l’organisation terroriste État islamique
(Daech), sont une série de fusillades et d’attaques-suicides perpétrées à Paris et dans sa périphérie par
trois commandos distincts. Une première attaque a lieu à Saint-Denis, aux abords du Stade de France,
où se joue un match amical de football France-Allemagne. D’autres attaques ont ensuite lieu à Paris,
dans les 10e et 11e arrondissements, où trois individus mitraillent des terrasses de cafés et de restau-
rants. L’attaque la plus longue et la plus meurtrière a lieu dans la salle de spectacle du Bataclan (dans
le 11e arrondissement), où 1 500 personnes assistent au concert du groupe américain de rock Eagles
of Death Metal. Le nombre de victimes est de 129 morts et de 354 blessés.
20. Les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles désignent une série de trois attentats-suicide à la
bombe revendiqués par l’organisation terroriste État islamique : deux à l’aéroport de Bruxelles à
Zaventem et le troisième, dans une rame du métro à la station Maelbeek, dans le quartier européen.
Le bilan définitif fait état de 32 morts et de 340 blessés.
21. Dans la soirée du 14 juillet 2016, sur la promenade des Anglais à Nice, Mohamed Lahouaiej-
Bouhlel, un Tunisien résident à Nice, fonce au volant d’un camion poids lourd dans la foule de civils
venus assister au feu d’artifice donné pour la fête nationale. L’attaque cause la mort de 86 personnes
et fait 458 blessés. L’attentat a été revendiqué par l’organisation terroriste État islamique (Daech).
274 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

des bureaux, une supérette, une salle de concert, le métro, un aéroport, une église, la
rue, etc.) et les armes (fusil d’assaut, explosifs, armes à feu, arme blanche, véhicule, etc.),
la population réalise qu’il est impossible pour les autorités d’assurer leur sécurité en
tout temps en tous lieux. Plus personne désormais ne se considère totalement à l’abri
hors de son foyer. De plus, depuis juillet 2016, avec la tuerie de Nice et le meurtre du
prêtre de la paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray22, les citoyens ont pris conscience
qu’il n’est nul besoin de posséder un armement militaire sophistiqué et coûteux pour
infliger une mort monstrueuse ou commettre un massacre. Leur inquiétude s’accroit
d’autant plus qu’à la facilité de se fournir un véhicule de location ou un couteau de cui-
sine, ils redoutent que de tels actes inspirent des déséquilibrés mentaux. A juste titre
car les attaques d’inspiration terroriste menées par des individus atteints de troubles
mentaux affirmant agir au nom d’Allah mais sans lien connu avec des réseaux isla-
mistes se sont considérablement multipliées depuis les attentats.
Lorsque plusieurs années passent sans attentats, la vie se normalise et les peurs
s’apaisent. Lorsque les massacres collectifs se répètent, les réactions de la population
sont fortement corrélées à l’intensité et à la fréquence des situations. Si les attentats
sont de faible ampleur (par exemple, des attaques violentes ponctuelles sur une ou
deux personnes commises par des déséquilibrés) et/ou peu fréquents, la majorité des
individus s’adaptent au risque. La mort peut frapper à tout moment : accidents de la
circulation, de train ou d’avion, maladies, etc. C’est une réalité qui ne peut être niée.
Une part de l’existence ne peut être maîtrisée et il est possible de vivre avec cette
donnée. Il est inconcevable de mener une vie sans aucun risque sauf à courir un risque
réel de mourir d’ennui. Prenons l’exemple de la conduite automobile. De nombreux
citoyens circulent chaque jour en voiture. Lorsqu’ils bouclent leur ceinture de sécurité,
ils ne pensent pas au risque d’accident, or seul ce risque justifie ce geste devenu banal.
Les individus risquent davantage de périr dans un accident de roulage en se rendant ou
en revenant d’une manifestation festive ou culturelle qu’ils n’encourent de danger au
moment même de l’événement. « Si je prends ma voiture pour aller passer le week-end
à la mer, je prends autant de risques, donc, pas de changement dans mes habitudes ! »
déclare une femme. « Rien n’a changé dans mes habitudes. Je suis plus à l’écoute ou
en vigilance si je suis dans un lieu public. Depuis Paris et Bruxelles, tout peut arriver
et n’importe où et n’importe quand. Il faut le savoir tout comme nous pouvons aussi
mourir demain de façon inattendue » dit une autre. « Sachant que depuis l’existence
de l’homme, la guerre, les massacres existent… Je suis à Paris est je ne me sens pas plus
en danger que dans une voiture » déclare un Parisien. « Ce qui a changé, c’est que j’ai
pris conscience de l’inutilité de croire que l’on peut tout maîtriser et donc d’accepter
de vivre, tout simplement » dit une Bruxelloise. « J’ai été très marquée sur le moment,
j’avais peur, j’étais en colère, je ne me sentais plus en sécurité. J’ai même envisagé
de voir un psy pour m’aider. Puis la veille du jour où ils ont trouvé la planque des
terroristes, alors qu’on savait qu’une menace planait sur les grands centres commer-
ciaux, j’ai décidé de faire une après-midi shopping dans un grand centre commercial
de la région parisienne. Nous devions être une dizaine dans cet énorme centre vide.

22. Le prêtre Jacques Hamel, 86 ans, a été égorgé au couteau le 26 juillet 2016.
Les réactions à moyen et long terme ■ 275

Les caissières me disaient qu’elles avaient peur mais qu’elles étaient obligées d’être là.
C’était choquant mais ça m’a calmée. Je me suis dit que si on ne pouvait plus être en
sécurité nulle part, je ne voulais pas m’enfermer dans ma propre prison et qu’il fallait
vivre. Je n’ai plus peur de prendre le RER, ni d’aller à un concert, ni d’aller dans Paris
ou La Défense, ni d’emmener mes enfants à l’école. Bref, même s’il m’arrive d’y penser
parfois, j’arrive à faire abstraction de ces événements et à avoir une vie aussi normale
qu’avant » explique une Parisienne. « J’ai toujours un peu de stress en particulier dans
le métro après un attentat. Mais après, je me dis que le danger peut être partout et que
s’il m’arrive quelque chose, c’est que ça devait arriver. Rien ne sert de stresser pour
quelque chose qui est en dehors de notre contrôle » convient une autre. « Je suis resté
serein et détendu et pragmatique. La peur n’évite pas le danger et elle empêche de
vivre » conclut un psychologue.
Notons toutefois que tout nouvel acte terroriste ou menace plus précise déclenche à
nouveau de vives émotions. Dans les suites immédiates d’un nouvel attentat, les gens
sont une fois encore sous le choc, bouleversés, horrifiés et choqués mais pour la majo-
rité d’entre eux, l’émotion s’apaise dans les jours, les semaines ou les mois qui suivent.
Si les actions terroristes sont fréquentes et de grandes ampleur, elles provoquent une
rupture par rapport à la continuité du passé et de son quotidien rassurant et consti-
tuent un enjeu car ils charrient des menaces funestes de massacres futurs. Bien que
masqué par une apparence de vie normale, et même s’il est faible pour un individu à
un moment donné, le péril n’en est pas moins présent. « Pour avoir pas mal vécu au
Proche-Orient, je suis en vigilance sur les risques potentiels mais pas de stress particu-
lier. On s’habitue, c’est tout ». La croyance en la sécurité s’effrite peu à peu et le senti-
ment d’insécurité se généralise : « Tout peut arriver, n’importe où, n’importe quand ».
La peur se fixe alors durablement et est réactivée par toute nouvelle menace ou nou-
vel événement violent. Cette peur peut se muer en véritable terreur si les terroristes
en venaient à utiliser des armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires,
menace se profilant comme un risque probable23. Ce type d’attaque est de plus en
plus présent dans les propagandes islamistes. « Je suis très éloigné des zones où il
pourrait y avoir des attentats mais je suis instructeur de scaphandriers et nous avons
évoqué la possibilité que nous ayons formé un futur terroriste qui serait en mesure de
faire un attentat chimique par la distribution de l’eau… Ce qui serait une plus grande
catastrophe qu’une simple bombe… C’est relatif bien sûr » s’inquiète ce professionnel.
Toutefois, avec le temps, il semble que les populations soumises à des vagues de terreur
développent des moyens d’appréhender et de gérer le danger. « Mon pays a toujours
connu la violence. Après un attentat ou un meurtre, en quelques jours seulement la
vie reprend, mais le moindre bruit fait sursauter. Le moindre mouvement suspect est
détecté. On est aux aguets ».
Les êtres humains possèdent en eux et dans leur communauté les ressources néces-
saires pour faire face à des événements dramatiques tels que les attentats terroristes.
Le milieu social et les processus communautaires jouent un rôle fondamental dans la

23. Le matériel pédagogique pour mener une attaque biologique à petite échelle par la contamination
de produits alimentaires est disponible en openweb et sur le darknet.
276 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

récupération psychologique des individus. Après un attentat, le tissu social est ébranlé
mais il n’est pas détruit et les personnes ont accès à leurs moyens habituels de récu-
pération émotionnelle comme le soutien familial, amical et communautaire. Quand
ces supports familiaux et sociaux sont efficaces, ils offrent des ressources suffisantes
pour retrouver un sens à la vie et régénérer l’équilibre psychologique individuel et
communautaire.

5.1.2. Les changements positifs


Des attentats, des conditions de leur avènement (politiques, sociales, économiques, etc.)
et de leurs conséquences (insécurité, racisme, etc.), certaines personnes élaborent un
sens contribuant à leur développement et croissance personnelle.
Vivre plus intensément, s’investir davantage dans les relations humaines, s’engager
pour un monde meilleur et plus ouvert sont les principaux changements positifs
observés à la suite d’actes terroristes. « Je crois que je développe une autre vision de
la vie, je prends plus le temps d’être en lien avec les autres et de vivre ma vie comme
je l’entends » remarque une dame deux ans après les tueries à Paris. « Inconsciemment
sans doute, encore plus une urgence de vivre le moment présent. Globalement, ces
événements, c’est un rappel de l’intérêt de profiter de la Vie » déclare une Bruxelloise
deux ans après les attentats. « On ne sait pas de quoi sera fait demain. Quand c’est
ton heure, tu n’as pas le choix, donc, vivre l’instant présent, c’est bien. En clair, ça m’a
rendue plus forte » dit une autre. Je me centre plus sur l’ici et maintenant. Je prends
le temps de savourer et d’aimer encore plus ma famille, mes amis. Profiter de soi, des
autres, du monde… Je savoure mieux un rayon de soleil, la beauté des petites choses. Il
m’arrive bien souvent de dire « merci la vie » pour un rien. La vie est si fragile et aussi
si forte. Nous pouvons tout perdre ; en un instant, tout peut s’effondrer » renchérit
une troisième.
Le terrorisme frappe aveuglément et cruellement des innocents. Il remet en question
l’État de droit, la démocratie, les droits fondamentaux de liberté d’expression, d’action
et de déplacement, l’organisation sociale, institutionnelle et politique de la société, la
sécurité, les fondements philosophiques, etc. Devant de tels faits, les personnes sont
amenées à se positionner en tant qu’être humain, citoyen et acteur social. « Depuis,
je souris plus à toutes les personnes d’autres nationalités que moi pour montrer la
tolérance et l’accueil. J’ai conscience de la Vie et j’en profite car si elle doit s’arrêter
brutalement, je n’aurais pas de regrets ! » relate une Française. « Ce qui a changé pour
moi ? Un engagement plus marqué politiquement, écologiquement, spirituellement. Je
suis de plus en plus convaincue de la puissance de la désobéissance civique : refuser les
modèles ultralibéraux qui séparent au lieu de rassembler, qui oublient et méprisent les
plus démunis, qui stigmatisent, rejettent l’autre. J’ouvre mon cœur car je crois profon-
dément qu’un autre monde est possible. Mon projet à venir est de soutenir les jeunes
générations qui émergent car elles vont en avoir besoin » renchérit une Belge.
Les réactions à moyen et long terme ■ 277

5.2. Les comportements collectifs


Outre les réactions individuelles, des comportements collectifs particuliers sur-
gissent. Du côté de la population, la peur peut provoquer des mouvements de panique,
la communauté se clive groupes en communautaires distincts, des boucs émissaires
sont désignés, des agressions sont perpétrées sur des personnes prises pour cible en
raison des signes identitaires dont elles sont porteuses, etc. Du côté, des autorités : des
hommages officiels sont organisés à la date anniversaire des attentats et des mesures
sécuritaires sont prises avec le risque de dérives.

5.2.1. Du côté de la population


A. Les mouvements de panique
Plusieurs années après les attentats, l’anxiété latente des populations se mue rapide-
ment en panique et provoque des mouvements de foule. En Italie, en juin 2017, suite à
la détonation d’un feu d’artifice, un gigantesque mouvement de panique s’est emparé des
30 000 spectateurs suivant un match de football sur grand écran au centre de Turin.
La bousculade a blessé 1 527 personnes dont trois grièvement (ledauphine.com, 2017).
Deux ans après les attentats de Nice, suite à un différend de couple, un homme tire en
l’air avec un pistolet d’alarme déclenchant une scène de panique dans les rues de la ville.
Un cuisinier niçois raconte « Les tables ont été renversées, les verres et les bouteilles
ont été cassés par terre. Il y avait des sacs et des chaussures partout par terre. Les gens
sont rentrés se réfugier à l’intérieur, jusque dans la cuisine et les toilettes » (Frénois M.,
2018). Douze personnes ont été blessées et certaines ont dû être hospitalisées.

B. Une remise en question du vivre ensemble


La violence meurtrière d’un attentat terroriste remet spécifiquement en cause les
valeurs du vivre ensemble. Dans le but d’établir une société organisée et hiérarchi-
sée, les communautés humaines établissent un contrat social, pacte consistant en un
ensemble de conventions et de lois garantissant la perpétuation du corps social. Dans
les actes terroristes, la mort, les blessures, la souffrance et les dégâts sont occasionnés
intentionnellement par un tiers malveillant. Les règles de base régissant l’humanité
sont ainsi transgressées et les valeurs essentielles de l’existence telles la sécurité, la
paix, le bien, la bonté, le respect de la vie, la solidarité, la morale, la justice et le sens des
choses sont remises en question. Dès lors, les attentats terroristes suscitent une inter-
rogation sur la nature humaine, sur le vivre ensemble, sur les valeurs d’une société et
sur son identité, sur la sécurité personnelle et sur celle du groupe communautaire, sur
les choix politiques, sur la religion, etc.

C. Le changement de mentalité
La répétition des actions terroristes a des répercussions cumulatives, évolutives
et durables sur les populations éprouvées. En effet, ces dernières décennies, en par-
ticulier depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, la représentation
mentale du monde musulman a changé en Occident. Or, plus l’être humain se sent en
danger et menacé, moins ses représentations mentales sont nuancées et plus elles sont
278 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

stéréotypées. Et plus ses représentations sont stéréotypées, plus elles déterminent des
émotions fortes et des attitudes radicales.

D. Communautarisme et repli identitaire


Le risque est de voir les pays européens se diviser en groupes communautaires
et l’équilibre social devenir de plus en plus instable. L’affirmation de l’appartenance
culturelle, de ses valeurs, de son idéologie, de ses symboles et de sa religion risque
de conduire au communautarisme et au repli identitaire. Ce processus procède d’une
division manichéenne entre la communauté à laquelle l’individu adhère, à laquelle il
fait allégeance, et un autre groupe humain, disqualifié et méprisé, perçu comme une
menace réelle ou symbolique24. La méfiance et la hantise de la répétition du trauma-
tisme sont les alliés de la stratégie de la terreur poursuivie par les terroristes.
Les premiers temps de communion sociale et de solidarité pourraient laisser croire que
les attentats renforcent les liens sociaux. L’expérience des pays agités par des conflits
ethniques et par le terrorisme permet d’affirmer que la peur de l’autre engendre
méfiance et suspicion et que l’équilibre social s’en ressent. Il s’en trouve fragilisé et
non renforcé. La peur est un moyen redoutable pour briser les liens qui unit deux
communautés. En Algérie, les personnes en arrivaient même à se méfier de leur propre
parenté car le terroriste pouvait être n’importe qui. Aujourd’hui, dans nos pays, on
peut constater l’étonnement et le désarroi des familles à la découverte d’une radicali-
sation criminelles d’un des leurs.

E. La désignation de boucs émissaires


Dans les semaines, les mois et les années suivants un attentat, on constate la dési-
gnation de boucs émissaires. Les citoyens éprouvent un sentiment d’insécurité et en
conséquence, le besoin de se protéger. Pour se protéger, il est nécessaire d’identifier le
danger. Or, il est malaisé de repérer un musulman intégriste au sein de la population
musulmane, d’autant plus que certains sont d’origine occidentale. Rien ne les distingue
formellement des honnêtes gens. Pour élaborer un attentat, les terroristes doivent se
fondre dans la masse, être discrets, éviter d’éveiller la suspicion d’un acte meurtrier
qu’ils sont prêts à commettre. Dès lors, les musulmans dans leur ensemble inspirent
une méfiance grandissante, et leur communauté est de plus en plus souvent considérée
comme un danger potentiel.
Devant la défiance et le rejet injustifié dont elle est l’objet, cette communauté risque de
radicaliser elle aussi ses positions. Peur, colère, frustration, rancœurs, sentiments d’hu-
miliation constituent un terreau fertile au communautarisme et à la haine réciproque.
« Les attentats, c’est une double peine pour les Français ayant des patronymes musul-
mans » s’indigne Omar. « C’est très difficile d’être belge d’origine marocaine, surtout
par rapport à l’emploi et pour les relations amoureuses également » renchérit Aziz.

24. On parle de menace réelle ou réaliste lorsqu’un individu ou un groupe d’individus représente
une menace concrète pour autrui (concurrence, menaces d’agression, agressions, etc.). On parle de
menace symbolique lorsque c’est « ce que représente l’autre plutôt que ce qu’il fait qui est dangereux »
(Leyens J-P., 2012).
Les réactions à moyen et long terme ■ 279

F. Les agressions
Dans chacune des communautés, des individus manifestent de plus en plus
d’hostilité à l’égard du groupe disqualifié. Des propos racistes tenus sur les réseaux
sociaux suite au décès accidentel du jeune adolescent belge d’origine marocaine de
15 ans, Ramzi Mohammad Kaddouri, décédé en août 2016 lors de ses vacances
au Maroc, en sont une déplorable illustration. « Il était en vacances dans son pays
d’origine. Il donne le bon exemple en restant là-bas », « Mieux vaut un qu’aucun » et
« Un Arabe en moins » sont quelques-uns des messages postés sur la toile (Bouche
M., 2016).
Certains individus, parmi les plus violents, passent de l’hostilité à la haine et ensuite
à l’agression de personnes du groupe opposé. Les attaques contre des lieux cultuels,
culturels ou commerciaux musulmans et les agressions verbales et physiques contre
des Musulmans atteignent des niveaux sans précédent. En France, après les attentats
de janvier 2015, l’Observatoire contre l’islamophobie du Conseil Français du Culte
Musulman (CFCM) a recensé 54 actes antimusulmans en une semaine, hors Paris et sa
petite couronne, dont 21 actions allant de coups de feu à des jets de grenades à plâtre
en passant par des explosions, soit une augmentation de 70 % comparé à la situation
antérieure (Chambraud C., 2015).
Ces lynchages sont une manière de se venger et de faire justice. Les passages à l’acte
violent donnent à leur auteur le sentiment d’agir contre le malheur ou l’injustice qui
frappe son groupe communautaire. Ces initiatives, bien qu’individuelles, revêtent un
sens collectif car elles sont menées au nom de la communauté.

5.2.2. Du côté des autorités


A. Les dates anniversaires et les commémorations
Rassemblements publics et marches silencieuses, inaugurations de stèles et de
plaques commémoratives, minutes de silence, visite, recueillement, dépôt de gerbes de
fleurs et discours des autorités sur les lieux des attentats, etc. sont autant de moyens
publics de commémorer les événements.
Tout comme les rituels spontanés de l’immédiat après-coup du drame, les actes commé-
moratifs officiels locaux et nationaux jouent un rôle important pour les victimes, les
endeuillés et leur communauté. Ils revêtent diverses dimensions :
• Une dimension de deuil : Ils rendent hommage aux défunts et honorent leur
mémoire et, pour les endeuillés, ils marquent la sortie progressive du deuil.
• Une dimension de soutien et d’entraide : Ils offrent aux endeuillés, aux vic-
times directes et à leur entourage l’opportunité d’exprimer leur affliction et
de recevoir les témoignages de compassion de leur communauté. C’est une
manière de manifester que les victimes ne sont pas oubliées et de reconnaître
que le drame est encore d’actualité dans leur vie.
• Une dimension communautaire : Ils promeuvent le renforcement du tissu
social. En traduisant l’idée que chacun a traversé, à sa façon, la même
épreuve, ils donnent une dimension collective au drame. Ils construisent
280 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

ainsi une histoire commune, renforcent les liens entre les individus et affer-
missent la notion de communauté.
• Une dimension de mémoire (devoir de mémoire) : En raison de leur nature
officielle, ces manifestations et symboles commémoratifs participent au
devoir de mémoire. Leur fonction majeure réside dans leur pouvoir évoca-
teur : ils consistent à évoquer les préjudices subis par les victimes et les
conditions dramatiques dans lesquels les disparus ont trouvé la mort.
• Une dimension d’historisation (travail de mémoire) : En rappelant les attentats,
les commémorations réactualisent le passé dans le présent mais simultané-
ment elles marquent leur dépassement dans un temps tourné vers le futur.
Pour l’historien Jean-Noël Jeanneney, « il n’y a pas de commémoration neutre.
C’est toujours au présent qu’un tel événement survient, c’est toujours l’avenir
qu’il doit, au premier chef, contribuer à éclairer et, dans le meilleur des cas, à
dessiner pour le mieux – ou le moins mal » (Jeanneney J-N., 2013). Ces com-
mémorations réveillent les douleurs des événements tragiques mais contri-
buent aussi à les dépasser. Tout en conservant les traces du passé, elles
favorisent leur transformation, par exemple, par l’intégration des enjeux
symboliques tels que la fraternité, la solidarité, la tolérance, etc. A terme, un
travail de mémoire réussi, c’est tout à la fois se rappeler et oublier. Tout oublier
serait dangereux. Sans mémoire, les périodes les plus sombres de l’Histoire se
répéteraient inlassablement. Comme le rappelle l’analyste politique David
Rieff, « l’oubli est l’atout de quelques-uns des personnages les plus sinistres de
l’Histoire. Hitler se demandait qui, en 1939, se souvenait encore du massacre
des Arméniens par les Turcs, pour avancer que les nazis pouvaient agir à leur
guise sans avoir rien à craindre » (Courrier International, 2012). Mais d’une
certaine façon, oublier est indispensable. L’Histoire, tout comme le psychisme
des individus, est fortement dominée par les processus de répétition et les
conflits entre peuples sont largement nourris par cette incapacité à oublier. La
mémoire peut attiser la colère et, nous dit l’essayiste, « finir par faire ressem-
bler l’Histoire à un arsenal doté des armes nécessaires pour perpétuer les
guerres et fragiliser la paix » (Rieff D., 2018). Avec les années, les lieux de
commémoration et les stèles perdent leur charge émotionnelle tout comme
l’ont perdu les nombreux monuments aux morts érigés après les deux guerres
mondiales en mémoire aux soldats tombés sur le front. Le psychiatre Patrick
Clervoy nomme ce phénomène le lissage. « On continue à voir les traces, mais
on les range parmi les traces qui existaient préalablement » (Clervoy P., Tollet
A.-I, 2016) dit-il. Le processus de résilience collective efface peu à peu le carac-
tère traumatique d’un événement et l’historicise. Le travail de deuil est indis-
pensable mais doit cesser un jour pour que la vie continue.
• Une dimension identitaire : Les actes commémoratifs réaffirment les valeurs
et l’idéal qui unissent les membres d’un groupe (liberté d’expression, frater-
nité, tolérance, etc.) et favorisent leur engagement à les défendre. En organi-
sant ces rituels collectifs, une communauté s’auto-institue en rappelant les
bases morales et les idéaux qui la fondent. Pour l’historien Patrick Garcia,
commémorer « c’est produire un discours, mettre en scène un geste qui
Les réactions à moyen et long terme ■ 281

utilise le passé pour esquisser, devant les hommes du présent, leur devenir
commun et manifester ce qui les lie ensemble aujourd’hui » (Garcia P.,
2001). Ce faisant, les rituels conservent, préservent et transmettent l’identité
culturelle d’une communauté.
• Une dimension politique : Selon l’Encyclopédie critique du témoignage et de
la mémoire, les commémorations ont pour rôle « d’affirmer politiquement
une identité commune et de transmettre des valeurs aux générations sui-
vantes à travers des mises en scènes, ou théâtralisations du passé » (Keste-
loot C. et coll., 2017). Le mémorial du 9/11 rappellent sa mission par la
citation : « Puissent les vies remémorées, les exploits reconnus et les esprits
éveillés à nouveau faire figure de guides éternels, en réaffirmant le respect
de la vie, en renforçant notre détermination à préserver la liberté et en lut-
tant contre la haine, l’ignorance et l’intolérance »25. Cette citation fait écho au
discours de George W. Bush devant le Congrès peu après le 11 septembre
dans lequel il affirmait que les attentats avaient été perpétrés parce que les
terroristes « détestent nos libertés – notre liberté de culte, notre liberté
d’expression, notre liberté de voter, de nous réunir et de ne pas être d’accord
entre nous ». Nous l’avons vu, en réaffirmant son unité, le groupe contribue
au repli communautaire et accentue la fracture sociale.
Les associations de victimes sont également très actives en suscitant des cérémo-
nies commémoratives, en conseillant les autorités sur l’organisation des hommages
officiels, etc. Les médias participent eux aussi aux commémorations : ils préparent
des éditions spéciales, proposent des documentaires et des témoignages sur le sujet,
retransmettent les hommages publiques, publient des mémoriaux26, etc.

B. Les mesures sécuritaires


Les attentats ébranlent les civils mais secouent également le monde politique. Les gou-
vernements agressés se sentent défiés. La violence terroriste est transnationale et repré-
sente actuellement pour l’Occident la menace idéologique et stratégique la plus importante.
Protéger sa population du terrorisme est une obligation des États27. Pour répondre à
ce devoir, les autorités politiques sont contraintes de mobiliser des moyens financiers,
matériels et humains. Elles renforcent l’encadrement policier ; des patrouilles militaires

25. On peut lire sur le site du memorial “May the lives remembered, the deeds recognized, and the spi-
rit reawakened be eternal beacons, which reaffirm respect for life, strengthen our resolve to preserve
freedom, and inspire an end to hatred, ignorance and intolerance” (www.911memorial.org/mission-
statements-0.). Traduction française de David Rieff (Courrier International, 2012).
26. « Le Monde » a nommé Mémorial la publication des portraits des hommes et des femmes tués
dans les attentats afin de conserver la mémoire de ces vies fauchées. Il peut être vu sur www.
lemonde.fr/grands-formats/visuel/2016/10/06/le-memorial-du-monde-aux-victimes-des-atten-
tats-de-nice_5009546_4497053.html
27. Dans la loi française, l’article 1er de la loi no 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de pro-
grammation relative à la sécurité est ainsi rédigé : « La sécurité est un droit fondamental. Elle est une
condition de l’exercice des libertés et de la réduction des inégalités. A ce titre, elle est un devoir pour
l’État qui veille sur l’ensemble du territoire de la République, à la protection des personnes, de leurs
282 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

sont déployées dans les rues des grandes villes ; des policiers armés arpentent les
plages des stations balnéaires, organisent la surveillance et opèrent des contrôles dans
les gares, les aéroports et à l’entrée des lieux de grands rassemblements ; des portiques
de sécurité sont placés sur les quais conduisant aux trains à grande vitesse, etc.
Pour garantir la sécurité des citoyens, les autorités sont également amenées à annuler
des festivités populaires telles que braderies28 et vide-grenier, feux d’artifice, festivals,
concerts et spectacles en plein air, événements sportifs, etc. En raison du niveau élevé
de la menace et des difficultés à sécuriser les manifestations de grande ampleur, elles
prennent, bien malgré elles, des dispositions accordant une victoire symbolique au
terrorisme.
La défense du territoire amène aussi les gouvernements à adopter des mesures excep-
tionnelles de sécurité, moins visibles mais sources potentielles de dérives. À titre
d’exemple, au lendemain des attentats de New York de 2001, le Congrès des États-
Unis a voté l’USA Patriot Act29, une loi destinée à permettre à l’Amérique de se doter
des outils nécessaires pour déceler et contrer le terrorisme. Cette loi, modifiée mais
toujours d’application, est très controversée et jugée liberticide par les défenseurs des
libertés civiles. Les Associations de défense des Droits de l’Homme dénoncent notam-
ment la réduction des droits de la défense, la violation de la vie privée, des atteintes à
la liberté d’expression et les risques représentés par l’empiètement des autorités admi-
nistratives sur le pouvoir judiciaire. En France, une loi sur le renseignement votée en
avril 2015 à l’Assemblée Nationale, instituant la surveillance en masse d’internet sans
l’avis d’une autorité judiciaire30, a soulevé l’indignation du Syndicat de la magistrature,
du Syndicat des avocats de France, d’Amnesty International, de la Ligue des droits de
l’homme, de l’Observatoire des libertés et du numérique et même de la CGT police31.
Ces associations et organismes jugent la loi liberticide et craignent son détournement à
des fins de surveillance et de répression sans lien avec le terrorisme. Les libertés que
les citoyens peuvent exercer dans les limites des principes démocratiques (libertés de
conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication des idées, d’action,
de circulation des personnes, de réunion, de culte, etc.) sont ainsi partiellement sup-
plantées par leur liberté de vivre en sécurité qui légitiment des mesures politiques
exceptionnelles au mépris des droits démocratiques fondamentaux.
Avec la persistance de la menace terroriste, d’autres mesures pourraient voir le jour.
Certains en appellent à « l’israélisation » de la sécurité exhortant les États à s’inspi-
rer des méthodes israélienne de lutte anti-terroriste. Rappelons que même en Israël,
malgré des mesures sécuritaires réputées les meilleures du monde, les terroristes par-
viennent encore à frapper. Le risque zéro n’existera jamais.

biens et des prérogatives de leur citoyenneté, à la défense de leurs institutions et des intérêts natio-
naux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre public ».
28. En 2016, le plus important marché aux puces d’Europe, la braderie de Lille, a été annulé pour la
première fois depuis la deuxième guerre mondiale.
29. L’USA Partiot Act a été signé le 26 octobre 2001 par George W. Bush.
30. La totalité du trafic français passe désormais dans les filets de « boites noires » de surveillance.
31. Fédération générale des syndicats de la Police nationale.
L’avenir ■ 283

L’obsession sécuritaire a des effets pervers qui ne peuvent être éludés. Les populations
spécifiques et les catégories-cibles tels que les jeunes, les migrants ou les personnes
d’origine étrangère font déjà l’objet de surveillance et de contrôles accrus. L’amalgame
entre immigration et violence est récurrent et s’est renforcé. Les politiques migratoires
et la lutte contre l’immigration clandestine se durcissent davantage. Les violences
urbaines des quartiers « difficiles » impliquant des jeunes, pauvres et presque tou-
jours d’origine étrangère pourraient être interprétées comme des actions collectives
dirigées contre l’État et conséquemment durement réprimées. La stigmatisation accrue
et l’intensification des mesures répressives ne sont pas sans conséquences pour les
populations désignées. Rejetées par une partie de la société et traitées injustement, elles
accumulent rancœurs et frustrations. Avec le temps, ces sentiments se transforment
en haine et renforcent le communautarisme ; les tensions entre communautés s’exa-
cerbent et les exactions violentes se multiplient.

6. L’avenir

Le terrorisme a réussi à propager un sentiment d’insécurité qui a ôté aux popula-


tions affectées leur insouciance, il a impacté peu ou prou le mode de vie des citoyens,
il a renforcé la fracture sociale entre communautés et il contraint les États à s’engager
dans la lutte à coup de mesures sécuritaires.
Le terrorisme a gagné une bataille mais va-t-il gagner la guerre ?
L’ETA32, l’IRA33, la RAF34 et les CCC35 sont quelques-uns des groupes terroristes qui
ont frappé l’Europe au xxe siècle. Aucun n’est parvenu à ses fins. Toutefois, ces mou-
vements sont difficilement comparables au terrorisme actuel.
Le terrorisme anarchiste, indépendantiste ou d’extrême-gauche d’hier voulait anéantir
l’État, renverser le pouvoir ou obtenir l’indépendance d’un territoire. Le terrorisme
actuel offre un visage inédit. Si certains terroristes sont des militants politiques
convaincus ou des mystiques religieux révolutionnaires voulant islamiser le monde ou
se venger des opérations aériennes de la coalition internationale en Syrie36, d’autres

32. L’ETA (Euskadi Ta Askatasuna, en français Pays basque et liberté) est une organisation armée
basque indépendantiste d’inspiration marxiste fondée en 1959.
33. L’IRA (Irish Republican Army, en français Armée républicaine irlandaise) est le nom porté par
plusieurs organisations paramilitaires luttant par les armes contre la présence britannique en Irlande
du Nord. Elle a été fondée en 1916.
34. La RAF (Rote Armee Fraktion allemand, en français Fraction armée rouge) est une organisation
terroriste allemande d’extrême gauche qui opéra en Allemagne de l’Ouest de 1968 à 1998.
35. Les CCC (Cellules communistes combattantes) sont une organisation belge d’extrême gauche
fondée en 1983.
36. En 2014, les avancées de l’État Islamique en Irak et en Syrie poussent la communauté inter-
nationale à intervenir. Une quarantaine de pays se coalisent pour lutter contre les djihadistes. Les
premières frappes aériennes ciblant une vingtaine de site en Syrie sont menées la nuit du 22 au
23 septembre 2014.
284 ■ CHAPITRE 12 – Les réactions d’une société face à un drame collectif

semblent n’avoir aucun projet politique ou religieux précis. Ceux-là n’ont souvent pas
de formation politique et connaissent peu et mal l’Islam. Certes, ils manifestent une
détestation par rapport à la société occidentale consumériste mais leurs revendica-
tions, tout comme leurs réelles motivations, restent indifférenciées et insaisissables.
Parmi eux, certains ont un passé de délinquance et ne trouvent probablement dans le
terrorisme rien d’autre qu’une manière de sublimer des pulsions violentes.
Auparavant, le terrorisme s’inscrivait dans un conflit local, circonscrit à une région ou
un pays. Aujourd’hui, il est mondial et concerne vingt pays répartis sur les cinq conti-
nents : les États du Moyen-Orient, l’Afrique saharienne et sub-saharienne, les États-
Unis en passant par l’Indonésie et l’Europe (Zerrouky M et coll., 2015). Pour vaincre
une telle calamité, les États doivent collaborer et lutter de concert.
Dans le passé, les militants étaient inféodés à une autorité centralisée de laquelle ils
recevaient leurs instructions. Aujourd’hui, les terroristes agissent sous les directives
générales de réseaux islamiques tels qu’Al Qaïda, Boko Haram ou l’État Islamique qui
appellent régulièrement leurs partisans, par le biais de communiqués médiatiques, à
commettre des actes terroristes (exhortation à kidnapper des Occidentaux, à tuer des
policiers, à attaquer des cibles militaires et des civils aux États-Unis et en Europe, etc.)
mais ils procèdent toutefois sans le commandement d’un pouvoir centralisé. Certaines
actions sont préparées par des groupuscules auto-formés et d’autres par des individus
isolés agissant de leur propre initiative sans lien avec un réseau djihadiste internatio-
nal. Le fait qu’il soit malaisé de tracer les contours de la mouvance islamiste terroriste
rend d’autant plus difficile la lutte contre ce type de terrorisme. En effet, on ne peut
espérer vaincre ce fléau en démantelant un simple réseau.
L’Histoire a prouvé que les pays soumis à l’épreuve du terrorisme mettent de longues
années à en venir à bout. Or, la situation actuelle est plus complexe et plus inquiétante
que jamais.
L’avenir ■ 285

Résumé
1 Le terrorisme est une arme efficace. Il impacte les victimes directes, leurs proches, la
population civile et le monde politique.
2 Il vise à produire des effets psychologiques et sociaux. Son but est d’inspirer la terreur
dans l’opinion publique en infligeant aux victimes une mort horrible qui remet en ques-
tion l’ordre social et la morale. La fonction principale de l’acte terroriste est de faire
parler de ses commanditaires et de ses revendications.
3 A l’annonce d’un attentat meurtrier, la population manifeste des réactions fortes. Pour
la majorité des citoyens, l’émotion s’apaise en quelques jours ou quelques semaines.
Les mouvements de panique, les rituels communautaires, les rumeurs alarmistes, les
fausses alertes à la bombe et les théories complotistes sont quelques-uns des phéno-
mènes observés dans l’immédiat après-coup d’une attaque terroriste.
4 Quelques jours après le drame et dans les semaines suivantes, la plupart des citoyens
recouvrent leur calme mais sont stressés lorsqu’ils sont confrontés à des situations
évoquant les attentats. Certaines personnes continuent néanmoins à éprouver une
peur intense et adoptent des comportements d’évitement. Les personnes ayant vécu
antérieurement un traumatisme et celles qui ont visionné les images en boucle des
attaques à la télévision peuvent présenter des symptômes d’allure post-traumatique.
5 Au fil du temps, la majorité des citoyens regagnent leur tranquillité dans la routine
du quotidien mais éprouvent du stress dans les situations rappelant les attentats.
Certains modifient leurs habitudes sans que ces conduites d’évitement n’altèrent leur
qualité de vie globale. Seule une faible minorité restreint ses activités esquivant toute
situation jugée à risque. Outre les réactions individuelles, des comportements collectifs
particuliers surgissent : mouvements de panique, clivage de la population, désignation
de boucs émissaires, agressions de personnes en raison de leurs signes identitaires,
apparition de dérives sécuritaires, etc.

? Vérifiez vos connaissances


1 Pourquoi les citoyens éprouvent-ils le besoin de se rassembler dans l’immédiat après-
coup d’un attentat terroriste ?
2 Quels sont les éléments qui expliquent l’émergence des théories du complot ?
3 Décrivez les réactions à court terme des populations soumises à la violence terroriste.
4 Comment les attentats contribuent-ils au communautarisme et au repli identitaire ?
5 Quelles fonctions les commémorations remplissent-elles ?
C H AP IT RE 1 3

Du côté des auteurs.


3

Le cas des terroristes


kamikazes
« Derrière chaque fanatique, il y a un drame, une ignorance, une injustice :
on ne naît pas terroriste, ou fanatique, on le devient »
(Alaa El Aswany, « Écrire contre la terreur », Lire, Février 2016)

SOMMAIRE

1. La déshumanisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
2. Déshumanisation, perte de la capacité de sympathie
et de compassion, pervertissement de la capacité d’empathie. . . . . 291
3. Déshumanisation et désengagement moral. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294
4. Désengagement moral et atrocités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
5. Endoctrinement et déshumanisation du terroriste . . . . . . . . . . . . . . 296
288 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes

Plusieurs centaines de jeunes de souche arabo-musulmane


résidant en Occident se radicalisent et épousent la vision
salafiste de leur religion ; d’autres, d’origine européenne, de
culture catholique ou laïque, se convertissent à l’Islam radical1.
Ils tournent le dos à la société occidentale dont ils rejettent les
valeurs et le mode de vie. Certains partent faire le Djihad en
Syrie, en Irak ou en Lybie. Quelques-uns reviennent sur leur
terre natale et perpètrent des actions terroristes. Comment
expliquer qu’ils puissent s’attaquer ainsi à la société qui les a vus
naître ? Quelles sont les conditions sous lesquelles des personnes
normales deviennent capables de commettre des actes d’une
violence extrême vis-à-vis d’une population civile sans défense
qui ne les a ni menacé ni engagé d’actions hostiles à leur égard2 ?

1. La déshumanisation
1.1. Définition de la déshumanisation
et de l’infra-humanisation
On entend par déshumanisation le processus psychologique par lequel un individu
perçoit et traite ses semblables comme extrinsèques ou inférieurs au genre humain.
Ce processus procède d’une division manichéenne entre la communauté à laquelle
l’individu adhère, à laquelle il fait allégeance inconditionnellement, et un autre groupe
humain, disqualifié et méprisé, perçu comme une menace réelle ou symbolique3.

1. Il est important de distinguer islamisation et radicalité. En effet, dans un grand nombre de cas,
l’Islam n’offre qu’un prétexte à des jeunes à la recherche d’une cause à même de soutenir leur révolte.
Notons encore que les salafistes et les jeunes partant pour le Djihad ne prennent pas tous les armes et
ne deviennent pas tous terroristes.
2. Certains tentent d’expliquer, du moins partiellement, le terrorisme comme une réponse à une
violence sociale et économique subie dans les pays occidentaux dans lesquels ils résident mais au sein
desquels ils n’ont pas trouvé leur place.
3. On parle de menace réelle ou réaliste lorsqu’un individu ou un groupe d’individus représente une
menace concrète pour autrui (concurrence, menaces d’agression, agressions, etc.). On parle de menace
symbolique lorsque c’est « ce que représente l’autre plutôt que ce qu’il fait qui est dangereux » (Leyens,
La déshumanisation ■ 289

L’infra-humanisation, version mineure de la déshumanisation, consiste à n’attribuer la


totalité des propriétés humaines qu’au groupe d’appartenance, l’exo-groupe se voyant
dépossédé des qualités jugées supérieures. Ainsi, lui sont déniés, totalement ou par-
tiellement, les sentiments jugés typiquement humains tels que l’amour, le bonheur,
la nostalgie, la rancœur, la honte, l’admiration, la rationalité ou encore la moralité4
(Leyens J-P, 2012).
La déshumanisation et l’infra-humanisation jouent un rôle important dans les relations
de domination d’une population sur une autre et dans les violences exercées entre
sociétés humaines.

1.2. Les formes de déshumanisation


et d’infra-humanisation
La déshumanisation revêt différentes formes5. En voici quelques-unes6 :
• l’objectification transformant l’Autre en simple objet. Ainsi, au temps de
l’esclavage, l’esclave n’était qu’un bien matériel pouvant s’acheter et se
vendre. En 1685, le Code Noir proposait : « Déclarons les esclaves être
meubles » (Code Noir, 1685). Durant la guerre 39-45, les Américains n’ont
pas bombardé la population d’Hiroshima mais ont visé une cible. Le 20 jan-
vier 1942, les Nazis n’ont pas décidé d’exterminer les Juifs, ils ont adopté une
solution à une question (la solution finale à la question juive).
• l’instrumentalisation réduisant l’Autre au statut de simple machine.
Durant la colonisation, les colonisés avaient valeur de matériel. « Le matériel
humain recruté pour la construction du chemin de fer Congo-Océan n’était plus
de première qualité » rapporte Albert Londres dans son ouvrage Terre
d’ébène paru en 1929 (Londres A., 1929).
• l’animalisation abaissant l’Autre au rang d’un animal, souvent nuisible ou
porteur de maladies. Durant la deuxième guerre mondiale, les nazis n’ont pas
décimé le peuple juif, ils ont exterminé des rats, des poux et de la vermine.

J-P., 2012). Parmi les nombreuses causes à l’origine de la radicalisation des jeunes, d’aucuns invoquent
une menace de cet ordre : vivre dans une société plus favorisée économiquement qu’ils ne le sont, ne
leur permettant pas d’accéder aux biens de consommation et à un statut social enviable, serait perçu
comme une humiliation et une agression. Pour les radicaux, le mode de vie occidental peut lui aussi
être perçu comme une menace symbolique à l’avènement d’un ordre islamique.
4. À contrario, selon ce qui ressort des études menées par Leyens, les émotions dites primaires telles
que la joie, la colère et la tristesse seraient partagées avec les animaux (Leyens J-P, 2012).
5. Nous illustrons les phénomènes de déshumanisation et d’infra-humanisation par des exemples liés
au colonialisme, à la guerre, au génocide, etc. Notons qu’ils sont très fréquents dans les contextes de
paix et dans la vie quotidienne et ne sont pas exclusivement à l’œuvre dans ces situations extrêmes.
Pour ne citer qu’un exemple, les femmes sont traitées comme des objets sexuels dans la publicité, la
pornographie, la prostitution, etc.
6. La liste ne se veut pas exhaustive.
290 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes

En Pologne, dans le camp de Ravensbrück, les médecins militaires du Reich


ne se sont pas livrés à des expériences scientifiques sur des déportées mais
sur des lapins de laboratoire (Versuchskaninchen en allemand) (Penson J.,
Postel-Vinay A., 2008). Durant le génocide rwandais de 1994, les Hutus
n’ont pas mené un génocide contre les Tutsis, ils ont éradiqué des cancrelats
et des cafards (Inyenzi en kyniarwanda) ; ils n’ont pas tué en masse, ils ont
exécuté un travail (akazi).
• La bestialisation identifiant l’Autre à un animal aveuglément cruel. Dans
les années 1830, Victor-Armand Hain, un des colons membres fondateurs de
la Société Coloniale d’Alger, ardent défenseur d’une politique brutale de
déplacements massifs et forcés des populations d’Algérie, considérait l’Arabe
comme une hyène, une bête féroce qu’il fallait refouler au loin (Le court Grand
Maison O., 2005).
• la diabolisation prêtant à l’Autre des traits sataniques et l’assimilant au
Mal absolu. En 2003, George W. Bush n’a pas mené une guerre contre l’Irak
mais a combattu l’Axe du Mal » (Axis of evil en anglais). Depuis la révolution
de 1979, les États-Unis ne sont plus des amis pour les hommes politiques
iraniens ; ils sont devenus le Grand Satan.
• la pathologisation assimilant l’Autre à une menace pour la santé du corps
social, à un fléau gangrénant la société (Ravat J., 2014). Actuellement, dans
les discours de l’extrême droite, l’immigration musulmane est de plus en plus
souvent associée à un cancer qui ronge l’Occident et les immigrés sont vus
comme de dangereux délinquants.
L’infra-humanisation, elle aussi, se décline de différentes manières. Citons en deux7 :
• l’infantilisation considérant l’Autre comme incapable de rationalité et de
raisonnement. À l’époque coloniale, le colonisé était vu comme imperméable
au bon sens et à la pondération, incapable de diriger sa vie et ses affaires ; cet
aspect puéril justifiait le tutorat colonial.
• L’infériorisation cataloguant l’Autre de primitif ou de barbare et le distin-
guant des peuples évolués et civilisés. Pour les coloniaux, les colonisés appar-
tenaient à des peuples primitifs, arrêtés dans leur évolution. Pendant la
guerre en ex-Yougoslavie des années 1990, les Serbes n’ont pas massacré des
personnes de confession musulmane mais se sont débarrassés de balijas
(terme péjoratif désignant les descendants des Trucs signifiant sale, primitif,
paysan inculte).

7. Cette courte liste n’est pas exhaustive.


Déshumanisation, perte de la capacité de sympathie et de compassion… ■ 291

1.3. Déshumanisation des non-musulmans


et des non-intégristes par les terroristes
Dans leur discours et leur conception, les islamistes radicaux, les purs, les véri-
diques, les élus, déshumanisent les non-musulmans ainsi que les musulmans « modé-
rés » et « modernistes ». Les non-musulmans sont des singes, des porcs ou bien encore
des chiens8. Les musulmans qui dévient des principes d’un Islam rigoriste ne valent
guère mieux que les mécréants. À leurs yeux, ne sont musulmans que ceux qui
observent scrupuleusement les normes édictées par les textes fondateurs. Les autres
ne comptent pas au rang des vrais croyants. Ce sont des hypocrites, des hérétiques, des
infidèles, des apostats coupables d’attitudes et de comportements immoraux méritant
la peine de mort et voués à la damnation éternelle.
Dans le terrorisme, tout comme dans la torture, les guerres et les génocides, la dés-
humanisation ne cible pas un sujet singulier mais son groupe d’appartenance. Au
travers de quelques individus, ce que les terroristes souhaitent atteindre, c’est une
communauté. Ceci explique qu’ils puissent commettre des attentats en représailles
à une action militaire menée par un pays occidental en Syrie ou au Moyen-Orient et
viser des civils « innocents », pacifiques et éloignés du théâtre des opérations. Ils ne
cherchent pas à punir spécifiquement les décideurs politiques mais bien à châtier le
groupe communautaire considéré comme un tout. Comme le rappelle la Françoise
Sironi : « On attaque la “part collective” de l’individu, celle qui le rattache à un groupe
désigné comme cible par l’agresseur, en désintriquant l’articulation entre le singulier et
le collectif » (Sironi F., 1999).

2. Déshumanisation, perte de la capacité


de sympathie et de compassion,
pervertissement de la capacité
d’empathie
La déshumanisation est intimement liée à la perte de la relation de sympathie et de
l’attitude de compassion ainsi que du pervertissement de la capacité d’empathie envers
l’exo-groupe.

8. Termes que les islamistes reprennent du Coran : « Voulez-vous que je vous indique la pire des sanc-
tions auprès d’Allah ? C’est celle qui est réservée à ceux qu’Allah a maudits, à ceux qui ont encouru Sa
colère et dont Il fait des singes et des porcs, et à ceux qui adorent des idoles ! Voilà ceux qui sont voués au
plus misérable des destins, ceux qui sont les plus éloignés du droit chemin ! » (Coran, 5:60). « Et si Nous
avions voulu, Nous l’aurions sauvé, grâce à Nos signes ; mais il avait opté pour la vie matérielle de ce
monde et obéi à ses instincts, donnant ainsi l’exemple du chien qui ne cesse de haleter » (Coran, 7:176).
Les singes, les porcs et les chiens désignent les juifs et les chrétiens.
292 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes

2.1. Sympathie et empathie


2.1.1. La sympathie
Le mot sympathie est construit à partir du grec syn, avec et pathos, souffrance.
La sympathie est un mode de relation à autrui construite sur la proximité affective et
le partage des sentiments. Lorsque nous sommes en sympathie avec quelqu’un, nous
participons à ses joies et à ses peines. Nous nous sentons personnellement impliqués
par ce qui lui arrive et son vécu déteint sur notre état émotionnel. Ainsi, si un proche
est affligé par un événement dramatique, nous sommes préoccupés, inquiets et attris-
tés ; s’il jouit de conditions favorables, nous nous en réjouissons. Si quelqu’un déplore :
« Je suis déprimé, je suis à bout », un ami sympathique pourra, par exemple, lui dire « Je
suis navré de ce qui t’arrive et je m’inquiète pour toi », par contre, s’il se ravit : « Je viens
de décrocher l’emploi dont je rêvais », le copain pourra lui déclarer « Je suis sincèrement
heureux pour toi ! ».
Bien que la sympathie se manifeste le plus souvent envers les proches, elle peut égale-
ment s’exprimer envers des inconnus, en particulier s’ils souffrent douloureusement.
Ainsi, lorsqu’un événement dramatique tel qu’une catastrophe naturelle ou un attentat
terroriste frappe des individus, nous nous émouvons de leurs souffrances quel que
soit leur pays, leur culture ou leur religion. Il suffit pour s’en convaincre de penser à
la vague d’émotion soulevée partout dans le monde par les attentats du 11 septembre
2001 à New York, ceux de Paris des 7 janvier et 13 novembre 2015 ou bien encore
ceux de Bruxelles du 22 mars 2016.

2.1.2. La compassion
Le mot compassion vient du latin, cum-patire, souffrir, éprouver avec.
Alors que la sympathie se réfère à la faculté de participer tant aux peines qu’aux
joies d’autrui, la compassion ne s’exprime que dans la souffrance. Outre le fait qu’elle
rend sensible à la douleur de l’autre, elle se caractérise par le besoin solidaire d’agir et
d’y remédier. Ainsi, si un sort funeste frappe un de nos proches, nous nous portons
spontanément à son secours. Si un ami se confie : « Je suis déprimé, je suis à bout », un
interlocuteur faisant preuve de compassion pourra, par exemple, lui répondre « Je suis
désolé pour toi. Que puis-je faire pour t’aider ? ».
Si notre compassion se déclare principalement à l’égard de l’entourage, nous pouvons
également l’éprouver envers des inconnus et nous sentir poussés à agir concrètement
pour les aider, en particulier s’ils affectés par un grand malheur. A titre d’illustration,
rappelons-nous de l’élan mondial de solidarité qui s’est manifesté suite au tsunami de
décembre 2004 en Asie.

2.1.3. L’empathie
Empathie est la traduction du sens du mot grec empatheia, lui-même issu du pré-
fixe en, dans, à l’intérieur et de pathos, ce qu’on éprouve.
Déshumanisation, perte de la capacité de sympathie et de compassion… ■ 293

L’empathie consiste à comprendre l’autre mais elle s’en distingue par le mode d’inves-
tissement relationnel et l’absence d’implication affective personnelle. Elle désigne le
mécanisme par lequel un individu perçoit avec justesse le cadre de référence d’autrui
(sa façon de percevoir la réalité, ses valeurs, ses croyances, le sens qu’il accorde aux
choses, etc.) ainsi que les pensées, les raisonnements, les sentiments, les émotions, les
paroles, les actes, les choix et les décisions qui en découlent.
L’empathie constitue une forme de compréhension qui permet de se mettre à la place
de l’autre sans toutefois prendre sa place. Une personne empathique est capable
d’appréhender le monde tel que son interlocuteur le perçoit sans le réduire au sien, le
déformer, l’interpréter ou le juger. Elle est également à même de saisir sa manière de
penser et de capter son état affectif (ses émotions, ses sentiments) sans s’identifier à
lui ni endosser ce qui ne lui appartient pas. Elle perçoit donc les émotions qu’il ressent
sans les éprouver personnellement et sans que son état affectif en soit perturbé. Par
exemple, si une personne dit : « Je suis déprimée, je suis à bout », un interlocuteur empa-
thique pourra lui répondre « Votre semaine a été éprouvante ».
Nous sommes capables d’empathie envers des personnes avec lesquelles nous
n’entretenons pas de rapport personnel. Ainsi, suite à l’effondrement des tours
jumelles du World Trade Center et à la vague destructrice du tsunami, nous avons
été capables de nous représenter globalement le vécu des personnes atteintes et de
leur famille.

2.2. Perte de sympathie et de compassion,


pervertissement de l’empathie
La déshumanisation crée un fossé émotionnel entre la communauté d’affiliation
et l’exo-groupe méprisé. Dépouillé de son statut d’être humain, l’Autre ne suscite
pas d’émotions telles que l’amour, la compassion ou la pitié. Son sort n’émeut pas. Sa
souffrance ne déclenche aucun désir de porter secours. La communion affective est
rompue, la sympathie et la compassion perdues.
Pour la psychologue française Françoise Sironi, c’est à la désempathie que conduit
la déshumanisation (Sironi F., 2007). De notre point de vue, la dynamique déshu-
manisante corrompt l’empathie sans la gommer. Un tortionnaire ou un terroriste
n’est efficace à affliger, brimer, avilir, déshonorer, horrifier, épouvanter ou terrifier
ses victimes qu’à la condition de comprendre leur carte du monde, d’anticiper leurs
réactions et de percevoir leurs émotions. Comme le relève l’écrivain américain Adam
Gopnik lorsqu’il analyse les exécutions de masse durant le régime de la Terreur9, la
scénarisation monstrueuse de la souffrance et de la mort ne s’explique que par la
connaissance qu’ont les bourreaux du fait que les victimes sont des êtres sensibles,

9. Période de la Révolution française caractérisée par le règne de l’arbitraire. Le Comité de salut


public dirigé par Robespierre exécutait ou emprisonnait toute personne considérée comme contre-
révolutionnaire. Rappelons que c’est à cette époque que nait le mot terrorisme pour désigner la doc-
trine des partisans de la Terreur.
294 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes

pouvant éprouver la douleur, la peur, le dégoût, la tristesse et la honte. « Nous n’humi-


lions pas la vermine, ou nous ne la mettons pas en scène dans des procès-spectacles, ou ne la
faisons pas regarder ses compagnons-vermine mourir avant elle ! » s’exclame-il (Gopnik
A., 2006). Et le psychologue belge Jacques-Philippe Leyens d’ajouter, « la déshumani-
sation n’oublie jamais que c’est d’un être humain qu’il s’agit » (Leyens J-P, 2012). Certes,
l’empathie conduit le plus souvent à ressentir des émotions fraternelles et à adopter
un comportement bienveillant envers autrui mais il est erroné de croire que c’est auto-
matiquement le cas. En cela, l’empathie diffère de la sympathie et de la compassion.
La sympathie permet de ressentir l’état affectif de l’Autre et la compassion induit en
outre une réponse motivationnelle visant à améliorer son bien-être ; l’empathie, quant
à elle, se limite à percevoir ses émotions sans nécessairement les éprouver et sans être
forcément poussé à agir (Tisseron S., 2010).
Pour passer à l’acte terroriste, il faut impérativement avoir perdu sa sympathie et sa
compassion à l’égard des personnes que l’on agresse. C’est parce qu’ils se défendent
de vibrer au diapason du vécu de leurs victimes que les terroristes peuvent leur faire
violence et qu’ils n’éprouvent nullement le besoin de les épargner ou d’alléger leur souf-
france. Leur empathie est corrompue et ne les conduit pas à adopter un comportement
bienveillant envers l’exo-groupe. Elle est mise au service d’un dessein redoutable, faire
souffrir et terroriser. Toutefois, leur capacité à comprendre autrui est suffisamment
préservée pour leur permettre de se représenter globalement le monde des infortunés
et les répercussions émotionnelles des actes auxquels ils le soumettent.

3. Déshumanisation
et désengagement moral
La déshumanisation, la rupture des liens de sympathie et l’éclipse de la compassion
affaiblissent l’autocensure morale et lèvent des interdits. En effet, les principes de
moralité ne s’appliquent pas à des êtres privés de qualités morales, en marge de l’hu-
manité. Avec les individus déshumanisés exclus du champ d’application de l’unisson
émotionnelle et de la solidarité, les valeurs essentielles de l’existence telles la sécurité,
la paix, le bien, la bonté, le respect de la vie, sont facilement bafouées et les règles de
base régissant l’humanité, comme l’entraide et la justice, aisément transgressées. Les
restrictions morales prohibant la spoliation, l’exploitation et l’agression sont enfreintes
sans difficulté. Pire, les interdits moraux proscrivant le meurtre et la cruauté sont
fréquemment abolis.
L’Autre n’est pas un alter ego ; il est un parasite à éliminer, un insecte à écraser, du
bétail à égorger, une cible à atteindre, un objet à exploiter, etc. La dénomination choisie
par une communauté pour désigner les individus d’un autre groupe humain n’est pas
qu’une simple figure de rhétorique ou un phénomène exclusivement linguistique. Les
termes choisis influencent la façon dont les sujets se représentent le monde, pensent
leur environnement et par conséquent, la manière dont ils agissent. Réduit à une nui-
sance ou à du matériel, le sort de l’Autre est scellé. Il peut être haï, torturé ou massacré
de la manière la plus outrageuse, sans aucune considération pour sa condition d’être
Désengagement moral et atrocités ■ 295

humain. Certes, comme le rappelle Jacques-Philippe Leyens, « Tout comme on désosse,


on arrache avec cruauté des caractéristiques de l’être humain, mais en veillant à garder
l’être humain. […] On déshumanise donc, tout en laissant à ces autres, à ces singes ou à
ces rats, une part de leur humanité ! » (Leyens J-P, 2012). Sans cette part irréductible
d’humanité, le terrorisme serait sans objet car sans retentissement. Une machine ne se
lamente pas d’être utilisée ou brisée, les plaintes de la vermine restent inaudibles aux
oreilles des hommes.
Aux yeux du terroriste, les souffrances, les blessures et la mort qu’il inflige aux vic-
times est le fruit d’une « violence réparatrice et hygiénique » (Crettiez X., 2006). Il agit
au nom d’une cause, noble et légitime, mêlant idéologie spirituelle et revendications
identitaires. D’ailleurs, comme le souligne l’anthropologue française Dounia Bouzar, il
ne commet pas d’actions terroristes mais des actes « de “résistance”, il mène une “opé-
ration justice”, il se livre à une “manœuvre défensive”, il contre une “stratégie rendant
nécessaire l’usage de la force” » (Bouzar et col., 2014). En raison de la grandeur de sa
mission, il ne juge pas ses actes selon les critères moraux ou légaux habituels. Sa tâche
est transcendante, ce qui efface ses scrupules moraux et le préserve de la culpabilité,
du remord, des regrets et de la honte.
Du point de vue du groupe d’affiliation, la transgression des standards moraux et des
conventions garantissant la perpétuation du corps social n’est pas subversive. Non
seulement, il dédouane le terroriste de ses exactions mais il l’honore, voire le glorifie.
Ainsi, au nom de la lutte pour l’établissement d’un état islamique, de la haine de l’Occi-
dent, de représailles pour des actions militaires menées contre un pays musulman, etc.,
toutes ses actions sont normalisées, légitimées et valorisées.
Bien plus que de causer un préjudice moral à ses auteurs, le terrorisme leur procure
un bénéfice. Tuer en vue de défendre la cause d’Allah, c’est non seulement sauver le
monde, le purifier et le régénérer mais c’est aussi acheter son paradis. Comme le rap-
pelle l’historien et politologue français Jacques Sémelin, « se débarrasser de l’autre défini
comme impur, c’est aussi se purifier » (Sémelin J., 2007)10. Le Coran ne les rassure-ils
pas : « En vérité, Allah a acheté aux croyants leurs personnes et leurs biens en échange
du Paradis, en vue de défendre Sa Cause : tuer et se faire tuer. Le paradis est la promesse
d’Allah pour eux » (Coran, 9:111).

4. Désengagement moral et atrocités


De tout temps, les processus de déshumanisation, de perte de sympathie, d’extinc-
tion de l’élan de compassion et de désengagement moral ont fait partie intégrante des
mécanismes d’endoctrinement et d’embrigadement visant à influencer les pensées et
les actions d’une population à l’encontre d’une autre. Ces phénomènes intimement
intriqués comptent également au nombre des éléments-clé permettant de comprendre

10. Sémelin ne fait pas allusion au terrorisme mais à des guerres intestines (génocide, épuration eth-
nique). Le thème de la pureté est fréquent, sinon constant, dans ce type de conflit.
296 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes

l’accomplissement d’atrocités. Ils ne légitiment pas uniquement le crime ; ils autorisent


aussi à torturer et à tuer de façon ignoble. En effet, les terroristes ne s’attaquent pas
à des frères humains, ils exterminent une vermine prolifique et propagatrice d’épidé-
mies. Contre les nuisances, tous les moyens d’éradication sont permis. Plus l’Autre est
perçu comme éloigné des valeurs et des principes du groupe d’affiliation, plus il est aisé
de lui infliger des dommages, y compris de le soumettre à des actes jugés en d’autres
circonstances inacceptables, contre-nature et inhumains comme égorger des civils ou
tuer des enfants.

5. Endoctrinement et déshumanisation
du terroriste
5.1. La désaffiliation du groupe d’appartenance
En grandissant, l’être humain apprend les règles et les valeurs propres à sa culture
et les fait siennes petit à petit. L’observation et les réprimandes de ses parents d’abord,
l’analyse, l’expérience et les sanctions sociales ensuite, l’amènent à adopter les stan-
dards de sa société et à s’y conformer.
Devenir terroriste nécessite une transformation profonde du rapport à soi et aux
autres. Se désaffilier du groupe d’appartenance qui l’a vu naître, rompre avec les
modalités de comportement, de points de vue, de valeurs, de sociabilités individuelles,
familiales et collectives et s’émanciper des principes fondamentaux introjectés depuis
l’enfance, n’est pas un processus spontané. Il nécessite que l’individu soit soumis à des
procédés psychologiques et psychosociaux11.
C’est par l’endoctrinement12 que l’individu apprend à cibler une communauté et à la
déshumaniser, à perdre à son encontre sa capacité de sympathie et de compassion et
à se désengager dans ses rapports avec elle des censures morales régissant habituelle-
ment les rapports humains. Progressivement, l’idéologie, la doctrine, les principes, les
valeurs et les règles imposées par le discours de l’islam radical entraîne une modifica-
tion de la personnalité de l’individu, de sa vie affective, cognitive, relationnelle, morale
et sociale. Simultanément, la propagande s’emploie à diaboliser le monde occidental,
le disant corrompu, dirigé par des sociétés secrètes, hostile à l’Islam, méprisant les
Musulmans13 ; elle prête à l’exo-groupe des agissements abjects et lui impute des actes

11. L’endoctrinement menant à la radicalisation est un processus progressif qui se déroule en diffé-
rentes étapes. S’il prend le plus souvent plusieurs années, nous assistons aujourd’hui à des radicalisa-
tions rapides, en quelques mois, voire quelques semaines.
12. L’éducation peut être la source de l’endoctrinement. Dès leur naissance, certains sujets sont élevés
dans la haine du noir, du juif, du musulman, etc.
13. Les théories du complot sont un des éléments utilisés par les recruteurs, « émirs » et autres
« idéologues » des groupes islamistes radicaux violents pour convaincre leurs recrues d’adhérer à
l’Islam radical. (van Prooijen J-W. and al., 2015).
Endoctrinement et déshumanisation du terroriste ■ 297

abominables, par exemple, la mort de nombreux enfants innocents sous les bombarde-
ments en Syrie. Ces violences « seront au besoin “inventées”, ou grossies, pour révulser les
consciences et justifier l’extrême sévérité de la réaction. » (Esméralda L., 2006).
Pour les terroristes qui se sont rendus coupables de délits et de crimes avant leur
embrigadement, la délinquance et le banditisme ont ouvert les voies de la déshuma-
nisation et du désengagement social14. Les victimes de leurs méfaits n’étaient déjà plus
pour eux des alter egos animés de sentiments et d’émotions. Réduites à un moyen
d’assouvir des pulsions et des désirs, elles pouvaient être volées, spoliées ou agressées
sans préjudice moral.

5.2. La déshumanisation engendrée


par l’endoctrinement
La déshumanisation du terroriste est une condition incontournable pour qu’il
puisse torturer, assassiner, égorger, décapiter, crucifier, massacrer ou faire exploser
des inconnus qui ne l’ont ni menacé ni agressé.
L’endoctrinement rend inopérant l’attachement aux êtres et l’inclination pour le mode
de vie adopté jusqu’alors. En effet, au fur et à mesure de sa radicalisation, le futur ter-
roriste rompt avec son milieu social (les amis, la scolarité, les activités de loisirs, etc.)
et familial. Bien plus, il délite son identité personnelle. Son Moi individuel s’efface au
profit d’une identité groupale, celle des radicaux15. Le même, ce qui fait que les élus
se ressemblent, devient petit à petit plus important que le différent individuel ; ce qui
rapproche les véridiques prévaut sur ce qui les distancie au niveau personnel. Cette
dimension du Moi collectif du nouveau groupe d’affiliation transcende les facettes
singulières du sujet et dans le même mouvement, accroit ses différences avec l’ancien
groupe d’appartenance et avec les Autres, les incroyants, les infidèles et les mauvais
musulmans.
Dans nos sociétés occidentales, les individus ont des prérogatives et des devoirs. Même
soumis à une autorité, ils continuent à exercer leur droit à poser des choix et à porter
des jugements et sont encore capables de distinguer ce qui est moral de ce qui ne l’est
pas. Les relations interpersonnelles et les rapports d’autorité sont perçus sur un conti-
nuum. Pour passer à l’acte terroriste, il faut faire totalement allégeance à l’autorité,
devenir partie intégrante de l’entreprise transcendante. Il faut perdre la capacité à se
comporter comme un être doté de morale et renoncer complètement à agir selon son
propre jugement et ses propres choix.
Au terme de son endoctrinement, le terroriste n’existe plus en tant qu’individu. Il a
perdu le sens de sa communauté d’appartenance d’origine et son identité personnelle.

14. Évitons les amalgames. Certes, certains terroristes passent de la petite délinquance au banditisme
puis au terrorisme mais c’est loin d’être systématiquement le cas.
15. Parmi les premiers signes visibles de cet effacement de l’identité personnelle, notons les modifi-
cations dans les choix vestimentaires, en particulier pour les filles. Sous le voile intégral, leur indivi-
dualité disparait.
298 ■ CHAPITRE 13 – Du côté des auteurs. Le cas des terroristes kamikazes

Il n’est plus qu’un robot réduit à une idéologie, insensible à la douleur d’autrui et
dépourvu de morale. La destruction de ceux qui se feront exploser est alors en marche.
Ils ne seront bientôt plus qu’un instrument, une arme, une bombe-humaine… C’est
l’étape ultime de leur déshumanisation.

Résumé
1 La déshumanisation joue un rôle important dans les violences exercées entre commu-
nautés. Elle entraine la perte de la relation de sympathie et de l’attitude de compassion
et pervertit la capacité d’empathie. Ces conditions génèrent un affaiblissent de l’auto-
censure morale et lèvent des interdits.
2 Devenir terroriste nécessite une transformation profonde du rapport à soi et aux autres
qui se produit par l’endoctrinement.
3 Les processus de déshumanisation, de perte de sympathie, d’extinction de l’élan
de compassion et de désengagement moral font partie intégrante des mécanismes
d’endoctrinement et d’embrigadement visant à influencer les pensées et les actions du
sujet à l’encontre de l’exo-groupe.
4 La déshumanisation du terroriste est une condition incontournable pour qu’il puisse
torturer, assassiner, égorger, décapiter, crucifier, massacrer ou faire exploser des incon-
nus qui ne l’ont ni menacé ni agressé.
5 Au terme de son endoctrinement, le terroriste est lui-même déshumanisé. Il n’existe
plus en tant qu’individu. Réduit à une idéologie, il n’est plus qu’une arme humaine.

? Vérifiez vos connaissances


1 Citez trois formes que peut revêtir la déshumanisation.
2 Qu’est-ce que l’empathie et quel est son rôle dans les actes perpétrés par les
terroristes ?
3 Expliquez pourquoi la déshumanisation entraîne le désengagement moral.
Conclusion

La souffrance traumatique a existé de tout temps. Les récits historiques et scien-


tifiques de l’Antiquité en témoignent. Il faudra toutefois attendre le xviie siècle et le
développement de la médecine moderne pour obtenir les premières observations véri-
tablement scientifiques des traumatismes de guerre et le xixe siècle pour qu’il éveille
un réel intérêt chez les médecins et les aliénistes. Ce sont les accidents de chemin de
fer et de travail, d’une part et les études sur l’hystérie d’autre part qui ouvriront véri-
tablement la voie, dans la deuxième moitié du xixe siècle, aux premières hypothèses
étiologiques.
Ces théories étiopathogéniques ont connu de constants développements : des premières
modélisations anatomopathologiques à l’hypothèse névropathique et les prémisses
d’un modèle psychologique en passant par le postulat neurologique du xixe siècle à la
guerre 1914-1918, les explications psychanalytiques à partir de la Grande Guerre, les
doctrines comportementales et cognitives après le deuxième conflit mondial et l’avan-
cée des conceptions neurophysiologiques depuis la fin du xxe siècle.
Longtemps cependant, des enjeux étrangers à l’intérêt des victimes empêcheront la
reconnaissance d’une pathologie établissant une relation directe entre les symptômes
et l’événement traumatique. Ainsi, dans le cadre des expertises liées aux accidents
ferroviaires et professionnels, les défenseurs d’une entité nosographique autonome
se voient reprocher de sous-estimer le risque de simulation et d’entraîner par là un
préjudice financier considérable pour les compagnies du rail et les industries. Dans
le contexte des conflits armés, les états-majors, résolus à maintenir leurs effectifs au
front, rejettent la spécificité des traumatismes de guerre qui les contraindrait à indem-
niser ou à réformer les soldats atteints. Ce n’est qu’en 1980, suite aux séquelles trau-
matiques durables manifestées par les vétérans du Vietnam, que le DSM-III, introduit
dans sa nosographie un trouble psychiatrique nommé Post-Traumatic Stress Disorder.
Ce syndrome, bien que largement critiqué et critiquable aura cependant permis d’in-
troduire la notion de traumatisme psychique auprès d’un large public. Son plus grand
mérite aura été, nous semble-t-il, de « normaliser » les réactions post-traumatiques
trop longtemps attribuées à une vulnérabilité individuelle et en conséquence, considé-
rées comme l’attribut des faibles.
Nous savons aujourd’hui, qu’au moment et dans le décours d’un événement poten-
tiellement traumatisant, certaines personnes vont réagir par un stress adapté, la
majorité par un stress dépassé et quelques sujets prédisposés, par des troubles
300 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte

psychopathologiques. Dès les premiers jours et les premières semaines, certains sujets
voient leurs troubles disparaître ; d’autres commencent à souffrir de symptômes
traumatiques et/ou de désordres anxieux, dépressifs, comportementaux ou psycho-
somatiques, de troubles du sommeil ou des conduites alimentaires, voire de réactions
pathologiques névrotiques ou psychotiques. Ces troubles peuvent s’avérer transitoires
ou devenir chroniques et se perpétuer tout au long de la vie sous forme de symptômes
sporadiques, récurrents ou fixés en névrose traumatique.
Dans cet ouvrage, nous nous sommes attelés à décrire la souffrance des victimes ainsi
que l’impact d’un événement dramatique majeur sur la population. Nous nous sommes
également penchés sur les auteurs d’actes terroristes meurtriers et nous avons tenté
de mettre en lumière les processus psychologiques et psychosociaux expliquant la
transformation d’un individu en véritable arme humaine.
À ceux qui s’interrogent sur les réactions et le devenir des personnes accidentées, griè-
vement blessées, agressées physiquement ou psychologiquement, violées, torturées,
malmenées par les catastrophes naturelles et les conflits armés, témoins d’un incident
violent ou d’un décès inopiné ou confrontées à tout autre événement délétère, nous
espérons avoir apporté quelques éléments de réponse et de réflexion.
Postface

La pensée francophone… va-t-elle faire redécouvrir la phénoménologie clinique des


traumatismes psychiques ?
Depuis la fin du xxe siècle, les mots « traumatisme psychique » et « traumatisés » sont
entrés dans le vocabulaire courant de chaque psychiatre et psychologue, même si la
phénoménologie de ces traumatismes, comme nous le montre ce nouveau livre d’Évelyne
Josse, était déjà connue depuis beaucoup plus longtemps. De nombreux mythes grecs
nous expliquent de façon remarquable le symbolique de l’impact indélébile de cette
rencontre avec le réel de la mort qu’on retrouve dans chaque événement traumatique.
Dans son introduction du remarquable ouvrage Les traumatismes psychiques de
guerre (1999), le professeur Louis Crocq avance « qu’au lendemain de chacune des
deux guerres mondiales, les peuples soulagés s’en étaient retournés à leurs occupa-
tions pacifiques et à leurs plaisirs, ensevelissant les victimes psychiques dans cette
deuxième mort qu’est l’oubli ».
Pourtant, longtemps avant ces deux guerres mondiales déjà, l’histoire humaine était
remplie de récits de traumas et de guerre, ainsi que d’événements catastrophiques
dans lesquels des peuples entiers furent massacrés et anéantis, réduits à un souvenir
collectif laissant un impact profond et témoignant d’horreur et d’effroi envers les
générations suivantes.
L’histoire du traumatisme est impressionnante, avec des récits détaillés allant de
l’Antiquité jusqu’aux temps modernes, passant par le Moyen Âge jusqu’à l’époque
napoléonienne et les guerres du xixe et du xxe siècle, revenant ainsi à la phénoménologie
brute du trauma de guerre trop souvent oubliée. Ce fut justement ce traumatisme des
guerres qui ouvrait le débat, entre psychiatres du xixe siècle, sur les conséquences psy-
chiques d’événements exceptionnels, tels que le siège sur Paris en 1870, qui marquait
un début quant à l’acceptation de la symptomatologie psychique, plus précisément
post-traumatique, en l’absence de quelconque pathologie organique apparente.
Disons-le directement, les précurseurs de l’état de stress post-traumatique actuel, ce
trouble tellement populaire dans le milieu des spécialistes du trauma anglo-saxons qui
doivent avant toute autre chose procéder à un diagnostic rapide afin de pouvoir enta-
mer une démarche psychothérapeutique envers le patient, furent essentiellement des
psychiatres européens tels que Charcot, Janet, Freud, Ferenczi, Oppenheim, e.a. C’est
au travers de leurs leçons cliniques, durant lesquelles ils exposaient leurs patients et
302 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte

fournissaient une base d’étude, que les premiers fondements sur les traumatismes
psychiques furent construits ; des théories qui sont toujours la base du travail clinique
de nombreux praticiens contemporains, mais qui restent trop souvent à l’ombre dans
les publications actuelles.
Les observations des psychiatres militaires durant les deux guerres mondiales, allant
du shell shock, passant par les psychonévroses de guerre et les états d’épuisement
de combat, aux apparitions cliniques contemporaines telles que le battle shock actuel
ont toujours eu un aspect en commun : comme l’explique tellement bien cet historien
Anglais, Ben Shepard, dans son œuvre récapitulative A War of Nerves : Solders and
Psychiatrists 1914-1994, le problème (des traumatismes de guerre) fut toujours d’abord
dénié, puis exagéré, puis compris, et finalement oublié ! Cela semble toujours valable
pour les urgences collectives qui ont frappé la Belgique durant la dernière décennie.
Pourtant, en relisant ces anciens textes, nous pouvons facilement constater que la des-
cription clinique de l’état de stress post-traumatique (post-traumatic stress disorder),
telle qu’elle est fournie dans le système nosologique américain DSM, ne correspond
qu’en partie aux descriptions phénoménologiques de trauma fournies par les « anciens
maîtres » précités.
Dans ce livre, l’auteur nous a exposé à quoi le traumatisme psychique ou le syndrome
psychotraumatique est réduit dans les très officielles classifications internationales
des maladies mentales – DSM-5 et CIM-10/11 – impliquant une potentielle impasse
entre le monde des chercheurs empiriques et celui de praticiens du trauma. Pour ne
citer qu’un exemple de mauvais choix par les psychiatres membres de DSM-5 task
forces : la suppression, dans le DSM-5, des critères A2 du DSM-IV (impuissance,
horreur, anxiété), peut certainement être vu comme un recul, car le même événement
potentiellement traumatisant peut être traumatisant pour un individu et pas pour un
autre ou traumatisant pour un individu aujourd’hui et pas demain, dans d’autres cir-
constances de préparation, d’anticipation, de disponibilité de ressources et de soutien
social. Désormais, cette nouvelle classification ne tiendra plus compte de ces aspects.
Personnellement, j’aurais tendance à considérer la description clinique du trauma dans
le DSM (et même dans cet autre système nosologique qu’est l’ICD-10) comme un menu
chinois de symptômes post-traumatiques sans plus…
Le point fort de la position des auteurs francophones est le découpage clinique effectué
entre les syndromes post-traumatiques qui sont vus comme une réaction directement liée
à l’horreur de la confrontation massive et brutale à la mort, d’une part, et les suites psycho-
émotionnelles des événements bouleversants au sens large et des crises de vie, d’autre part.
Selon ces mêmes auteurs, ces écrits ne souffrent pas, comme tellement d’interprétations
anglo-saxonnes, d’une approche qui ne s’adresse pas à la vérité personnelle unique de ce
type d’expérience – visible dans la terminologie utilisée telle que traumatic event ou trau-
matic stress –, mais plutôt sur la réalité événementielle et biophysique du stress extrême.
Les auteurs de la pensée clinique francophone, ainsi que les cliniciens formés selon ce
courant, se sont toujours efforcés de veiller aux importantes interventions posttrauma
selon qu’il s’agit d’interventions immédiates, post-immédiates et différées, regroupées
sous le dénominateur commun de early interventions consécutivement au traumatic
stress dans la pratique anglo-saxonne.
Postface ■ 303

L’interprétation d’un traumatisme psychique, selon les anciennes théories euro-


péennes préconisées par les auteurs francophones contemporains, et qui peuvent
toujours être considérées comme étant validées selon les modèles neurobiologiques les
plus modernes, va au-delà des descriptions nord-américaines. Ces théories accordent
une très grande importance à la réplication automatique d’une expérience d’effroi et de
sidération. Ils imposent aussi un accent important sur les perturbations de la mémoire
et de la personnalité tout en supposant un temps de latence et en faisant appel à des
fonctions psychologiques à la fois très complexes et en grande partie indépendantes
des effets directs du stress dépassé.
Et que penser des concepts de dissociation péritraumatique et détresse péritrauma-
tique, notamment les arrêts de pensée, le trou noir, la désorientation, la déréalisation,
la suspension de la mémorisation, l’impression de vivre un rêve, la frayeur, la terreur,
la sidération, le sentiment d’impuissance, l’impression d’absence de secours et l’orage
neurovégétatif ? En accord avec une proposition récente de Louis Crocq, dans un
échange informel, je serais d’avis à choisir plutôt l’adjectif « per-traumatique » à la
place de « péritraumatique », car le vécu est en plein dans le trauma et non pas autour.
Dans ce livre, l’auteur décrit la mémoire traumatique du sujet traumatisé comme une
mémoire de reviviscences, d’hypermnésie traumatique : une mémoire d’images et
d’éprouvés bruts qui n’a pas de sens et qui s’impose au sujet contre sa volonté, et de
façon répétitive. Selon ce point de vue, même l’évitement pourrait être vu comme une
forme d’hypermnésie sélective, puisque vouloir éviter quelque chose c’est y penser
sans cesse. Parmi les autres auteurs français, c’est surtout le préfacier de ce livre, le
professeur Louis Crocq qui continue à valoriser les importantes œuvres de Janet, de
Breuer et de Freud, ainsi que le travail de nombreux psychiatres militaires à pointure
internationale, originaires de tant de modèles de traitement, valables jusqu’au jour
d’aujourd’hui, depuis plus de cinquante années !
Cet ouvrage a atteint un équilibre honnête et juste entre les conceptions plus classiques
du trauma, d’une part, et les interprétations ou les références nosographiques interna-
tionales (essentiellement anglo-saxons) concernant les événements dits traumatiques,
d’autre part.
Après tant d’années de travail et de publications scientifiques, voici enfin un livre qui
permettra tant à l’étudiant qu’au praticien expérimenté de réorganiser et de restruc-
turer ses connaissances sur les traumatismes psychiques, les conséquences psycholo-
giques et psychiatriques, les interventions psychiatriques précoces, les interventions
psychiatriques à long terme (notamment en cas de traumatisme complexe), les aspects
médico-légaux et surtout aussi les dimensions pluridisciplinaires de la victimologie. De
nombreuses vignettes cliniques ont probablement mené à une meilleure compréhen-
sion de la phénoménologie des traumatismes psychiques chez l’adulte.
Merci à Évelyne Josse d’avoir remporté ce défi !

Erik De Soir Psychologue-Psychothérapeute


Institut Royal Supérieur pour la Défense
Département de la Recherche Scientifique et Technologique
Avenue de la Renaissance, 30 B-1000 Bruxelles, Belgique
erik.desoir@mil.be
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Textes de lois
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Conseil de l’Union européenne (2001). untreaty.un.org/cod/icc/asp/1stses-
Décision-cadre du Conseil du 15 mars sion/report/french/part_ii_a_f.pdf.

Sites Web
David Baldwin’s Trauma Information qu’aux professionnels. En français et en
Pages : http://www.trauma-pages.com anglais.
Ce site destiné aux cliniciens et aux Le Journal International de Victimologie :
chercheurs fournit de nombreuses res- http://www.jidv.com
sources sur le traumatisme psychique, Ce site pour professionnels offre en libre
tant individuel que collectif. En anglais. accès des articles scientifiques sur la vic-
I-Trauma : http://www.info-trauma.org timologie et le traumatisme psychique.
Ce site a pour vocation de fournir de l’in- En français et en anglais.
formation sur le traumatisme psychique Global Terrorism Database : https://www.
aux victimes, à leurs proches ainsi start.umd.edu/gtd/
Bibliographie générale ■ 323

Ce site fournit des informations sur plus de international au sein du système des
170.000 attaques terrorists. Nations unies. En français, en anglais,
National Center for Posttraumatic Stress en arabe, en espagnol, en russe et en chi-
Disorder (NCPTSD) : http://www. nois. Rubrique « santé mentale ». Cette
ncptsd.va.gov Le National Center for rubrique comprend des informations
PTSD (NCPTSD) a pour but d’améliorer et des documents sur la santé mentale.
la prise en charge clinique et le bienê- En anglais : http://www.who.int/men-
tre social des vétérans de la guerre du tal_health/en) et en français : http://
Vietnam à travers la recherche, l’éd- www.who.int/topics/mental_health/
ucation et la formation sur le stress publications/fr/index.html.
post-traumatique et les troubles asso- Resilience-psy : http://www.resilience-psy.
ciés. Le site regorge de précieuses res- com
sources destinées aux chercheurs, aux Site d’Évelyne Josse, l’auteur du présent
aidants en santé mentale, au corps médi- ouvrage. Le site comprend des articles
cal ainsi qu’aux personnes affectées par du webmestre sur le stress, le trauma-
un événement traumatique et à leur tisme psychique, la torture, les enfants
famille. On y trouve des articles, des des rues, les catastrophes humanitaires,
manuels, des guides, des fiches tech- les violences sexuelles et sexospéci-
niques, des vidéos et de liens vers d’au- fiques, etc. En français.
tres sites. En anglais.
Trauma Psy : http://www.traumapsy.com
Organisation Mondiale de la Santé (OMS) :
Ce site offre de nombreuses informations
http://www.who.int
utiles tant aux personnes victimes
L’OMS est l’autorité directrice et coor- qu’aux professionnels, chercheurs,
donatrice dans le domaine de la médias et décideurs politiques. En
santé des travaux ayant un caractère français.
Index des auteurs

A F
Abraham Karl : 25-26, 28 Fenichel Otto : 15, 28, 163, 225
Ainsworth Mary : 108 Ferenczi Sandor : 22, 25-26, 28, 305
Anaut Marie : 109-110, 118, 309 Figley Charles : 13, 64, 82, 310, 315
Anthony James : 108 Folkman Susan : 93, 153
Arendt Hannah : 272, 309 Frankl Viktor : 111, 234, 315
Aron Raymond : 263, 309 Freud Anna : 232, 315
Audet Jean : 12, 38, 310 Freud Sigmund : 11-12, 15, 22-23, 25-26, 28-29,
Autokratoff : 24 42-43, 46, 113, 147, 239, 305, 307, 310-311, 315
B G
Baillargeon Normand : 273, 310 Garcia Patrick : 284, 316
Bettelheim Bruno : 28, 94, 112, 178 Garmezy Norman : 108
Binet Alfred : 147, 310 Glick Marion : 108
Boman Bruce : 218 Gopnik Adam : 297-298, 316
Bouzar Dounia : 299, 311 Grinker Roy : 26-27, 316
Bowlby John : 108, 311
Breuer Josef : 22-23, 46, 307, 311 H
Briquet Paul : 22, 25, 311 Hain Victor-Armand : 294
Hanson Frederic : 26
C Heide Kathleen : 58, 324
Calhoun Lawrence : 111, 173, 229, 324-325 Helzer : 88, 121, 316
Cannon Walter : 138, 143 Herman Judith : 58, 238, 248, 317
Cario Robert : 37-38, 312 Hérodote : 20, 319
Clervoy Patrick : 230, 284, 312 Hippocrate : 20, 317
Crocq Louis : 9, 11, 15, 21, 25, 38-39, 42-43, 81, Honigman Georg : 24, 317
89-90, 122, 138-140, 142, 145, 152, 160, 163,
208, 239, 305, 307, 311-313 J
Cyrulnik Boris : 13, 107, 109-112, 116, 118, 178, Janet Pierre : 11, 14-15, 22-23, 43, 146-148, 151,
181, 313, 320 161, 236, 239, 305, 307, 317-318, 325
Janoff-Bulman Ronnie : 95, 212, 318
D Jeanneney Jean-Noël : 284, 318
Da Costa Jacob Mendes : 222
de Tychey Claude : 110, 113, 314, 325 K
Kardiner Abram : 15, 28
E Katz Jean-François : 12, 38, 310
Eitinger Leo : 28 Kessler : 87-88, 121-122, 169, 208, 311, 319, 322
Errera Yaël : 111, 323 Koupernik Cyrille : 108
Krishaber Maurice : 222, 319
Index des auteurs ■ 325

L Roques Jacques : 9, 165, 323


Languin Noëlle : 32, 34-35, 319 Rush Benjamin : 146
Lazarus Richard : 88, 93, 153 Rutter Michaël : 109-110, 323
Lebigot François : 11, 42-43, 60, 142, 146, 169, S
313, 320, 325
Seligman Martin : 84, 323
Lecomte Jacques : 109, 320
Selye Hans : 138-139, 323
Levi Primo : 112
Sémelin Jacques : 299, 323
Levine Peter : 143, 320
Shalev Arieh : 85, 91, 111, 123, 145, 323
Lewis Thomas : 222
Shapiro Francine : 11, 29, 163, 165, 323
Leyens Jacques-Philippe : 282, 292-293, 298-299,
Shatan Chaim : 15, 28, 218
320
Sironi Françoise : 74, 212, 295, 297, 324
Linden Michael : 216, 320
Smith Ruth : 13, 109
Londres Albert : 293, 320
Sobel Raymond : 26-27, 324
M Solomon Eldra : 58, 89, 324
Manciaux Michel : 13, 109-111, 113, 320 Spiegel John : 26-27, 316
Maurois André : 107, 321 Spitz René : 108
May Jacques : 108 Steele Kathy : 148, 321, 325
Mendelsohn Benjamin : 32, 38 Stein : 87, 121, 124, 208, 324
Métraux Jean-Claude : 103, 205, 321 T
Morell David : 218
Targowla René : 28
Myers Arthur Bowen Richard : 221
Tedeschi Richard : 111, 229, 324-325
Myers Charles : 25, 148-149, 161, 321
Terr Lenore : 12, 58, 325
N Thomsen Robert : 22
Niederland William : 28 V
Nijenhuis Ellert : 146, 148, 321, 325
Van der Hart Onno : 148, 161, 321, 325
O van der Kolk Bessel : 148, 214-215, 238, 248,
Ochberg Frank : 160 320, 323, 325
Oppenheim Hermann : 11, 15, 22, 25, 305 Vanistendael Stefan : 13, 109, 320

P W
Pinel Philippe : 21, 322 Werner Emmy : 13, 109

R Z
Rieff David : 284-285, 323 Zigler Edward : 108
Roncin Joachim : 266
Index des sujets

A colère : 28, 35, 49, 53, 62, 88, 114, 139, 141, 143,
abus sexuel : 45, 51-53, 58, 184, 189, 243, 321 145, 147, 162, 169, 175, 180, 188, 190, 209,
accès maniaque : 143, 157-158 217-219, 225-226, 232, 241, 244, 250, 275,
accès mélancolique : 143, 159 278, 282, 284, 293, 295
action automatique : 14, 152 combat fatigue : 26
activation neurovégétative : 15, 121, 134, 141, combat réaction : 26
161, 169, 172, 208-209, 240, 258 combat stress : 26, 324
activisme : 113 Complex Post-traumatic Stress Disorder : 238,
alcool : 28, 61, 89, 92, 116, 167, 181, 183, 190, 193, 248
195, 215, 217, 219-220, 226, 244-245, 248 conduite de répétition : 202
alcoolisme : 110, 218, 220 confusion : 25, 35, 64, 143, 186
altruisme : 86, 113, 115-116 conversion : 20, 151, 154-155, 192, 197, 199,
amertume post-traumatique : 216 239, 251
amnésie : 149-150, 152-154, 156, 187, 190, 192- coping : 64, 84, 87-88, 91, 93-95, 99, 104, 108,
193, 195-196, 198, 201, 210-211, 241, 244-245 110, 112, 114-115, 311, 314-315, 317-318, 324
anorexie : 130 C-PTSD : 238, 248
anxiété généralisée : 89-90, 98, 209, 258 Crocq Louis : 145, 152, 163
apathie : 130, 174, 209, 226 croissance post-traumatique : 111, 113, 229, 233-234
apragmatisme : 174, 226 croyances de base : 87, 95-96, 104, 212, 217
asthénie : 174, 184, 222-223, 226 culpabilité : 28, 48, 54, 61, 74, 87-88, 92-93,
attribution causale : 97, 175 97-98, 100, 102, 104, 129, 143, 145, 175-181,
206, 209, 216-217, 227, 241, 244, 249-250,
B 299
bouc émissaire : 33, 103 culpabilité du survivant : 28, 178
bouffée délirante : 130, 157-158 culpabilité post-traumatique : 61
bradypsychie : 150 cure de sommeil : 27
break point : 26
D
C décorporalisation : 151
cardiomyopathie de stress : 222 défaut de personnification : 151
cauchemar : 14, 20, 47, 68, 146, 152-153, 161, déni : 84, 91, 112-113, 143
163, 165, 182, 202, 207-209, 235-236, 245, dépendances : 179, 183, 213, 217, 220
264, 274 dépersonnalisation : 14, 149, 151-152, 156, 180,
CIM-10 : 14-15, 157, 189, 197, 202, 237-239, 187, 192-193, 195-196, 201, 210, 228, 235,
242, 245-250, 254, 258, 306, 322 238, 241-242, 246, 250
clinophilie : 174, 226 dépression : 28, 88, 90, 100, 103, 108-109,
clivage : 113, 289 124, 159, 173, 175, 179, 182-183, 208-209,
cœur de soldat : 221 214-217, 223, 226, 245, 249, 254-255, 258,
cœur irritable : 222 314-315
Index des sujets ■ 327

dépression agressive : 216-217 286-287, 293-294, 303, 305-306, 309-310,


dépression hostile : 216-217, 258 312-313, 315-316, 320, 328
déréalisation : 14, 149, 152, 156, 187-188, 193,
195-196, 201, 210, 235, 241-242, 245-247, 307 H
DESNOS : 15, 238, 248, 320 honte : 44, 53, 55, 59, 63, 98, 145, 159, 162, 175-
détresse péritraumatique : 307, 318 180, 188, 204, 209, 216-217, 227, 231, 241,
devoir de mémoire : 103, 283 244, 249, 293, 298-299
Disorder of Extreme Stress not Otherwise hostia : 33
Specified : 15, 238, 248 humour : 113, 159
dissociation : 11, 14, 44, 134, 139, 146, 148-149, hyperactivité neurovégétative : 245
152-154, 187-188, 192, 199, 228, 237, 241, hyperanxiété : 258
307, 311, 315, 317-318, 321-322, 325 hyperphagie : 183
dissociation structurelle de la personnalité : 148, hypertonie musculaire : 140, 221
228, 247, 325 hyperventilation : 141, 172, 221
dose effect : 80
I
dose response : 80
drogue : 28, 89, 92, 116, 153, 195, 217, 220 idée fixe : 147
DSM : 7, 14, 28-29, 39, 44, 64, 120, 130, 149, impuissance acquise : 84
156, 161, 173, 185-189, 192-193, 195-197, incident critique : 65, 89, 100, 103, 117, 121-
202, 218, 237-242, 247-250, 253-256, 258, 122, 135, 154, 160, 164-165, 168, 183, 202,
303, 306, 309, 319, 323 204, 210
dysthymie : 215, 249 incontrôlabilité : 84
insomnie : 130, 158, 245
E intellectualisation : 113
EMDR : 9, 11, 29-30, 318-319, 323 invulnérabilité : 84, 91, 108, 212
émoussement de la réactivité : 130-131, 167-168,
K
202, 240
État de Stress Aigu : 7, 187, 253 KZ syndrome : 28
État de Stress Post-Traumatique : 7, 29, 121, 161, L
240, 253
learned helplessness : 84
évaluation primaire : 88, 91
leucotomie : 27
évaluation secondaire : 88, 91
locus de contrôle : 97
évitement : 15, 28, 89, 93-94, 96, 121, 130-131,
134, 161-162, 167-168, 173, 185, 188-190, N
202, 204, 208-209, 213, 230, 232, 235, 239, narco-analyse : 27
245, 249, 258, 274, 276, 289, 307, 320 near-miss : 83, 91
exhaustion : 26-27 névropathie cérébro-cardiaque : 222
F névrose cardiaque : 222
fatigue de compassion : 64-66, 70 névrose de guerre : 9, 24, 26
flashback : 163 névrose traumatique : 9, 11, 15, 18, 21-22, 26, 30,
freeze response : 143 134, 158-159, 185, 207-208, 225, 242, 246,
fugue dissociative : 152, 192-193, 195, 198 248, 304, 313
fuite panique : 143 nostalgie : 21, 293

G O
GABA : 183, 325 ordalie : 181
génocide : 13, 52, 66-67, 74-76, 86-87, 93, 103, oubli à mesure : 211
234, 293-294, 299, 309, 327 oubli de réserve : 237
guerre : 9, 11, 19, 24-29, 34-35, 52-55, 58, 60, P
66-67, 74, 76, 78, 81-83, 85, 87, 89, 91, 96,
paranoïa : 158
103, 105, 121-123, 153, 161, 170, 186, 205,
partie apparemment normale de la personnalité :
218, 222, 224, 231, 266, 269-271, 274, 278,
148, 228
328 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte

partie émotionnelle de la personnalité : 148, 161, syndrome de Stockholm : 160, 202, 233
228 syndrome du cœur brisé : 222
personality hardiness : 90 syndrome du survivant : 28
personnalité apparemment normale : 148 syndrome du vieux sergent : 27
personnalité émotionnelle : 148, 161, 238, 249
personnalité sinistrosique : 227 T
Post-Traumatic Stress Disorder : 7, 11, 29, 81, tachypsychie : 158
186, 240, 303, 317 Tako-Tsubo : 222
Post-Vietnam Syndrome : 15 torture : 29, 45, 52-54, 58, 67, 72, 74-75, 104,
processus de violence acquise : 219 121, 161, 177, 179, 196, 224, 249-250, 295,
pseudo-phobie : 155, 172, 209, 213 324, 328
psychose : 100, 124, 130, 154, 156-158, 192 toxicomanie : 110, 183, 218, 220
traumatisation indirecte : 64-65, 70
Q traumatisation quaternaire : 13, 66-67, 70
queue de stress : 14, 140, 142, 201 traumatisation vicariante : 64, 66, 70
traumatisme complexe : 58-59, 70, 249, 307, 318
R traumatisme de type I : 12, 58-59, 70, 224
Rambo : 15, 218-219, 311 traumatisme de type II : 12, 58-59
raptus suicidaire : 152 traumatisme direct : 59, 64
remote-miss : 83, 91 traumatisme empathique : 64
résignation acquise : 84 traumatisme indirect : 70
résilience : 13, 17, 69, 105, 107-118, 284, 309, traumatisme par ricochet : 64
311, 313-314, 320-321, 323, 325 traumatisme secondaire : 64-65
reviviscence : 15, 130-131, 134, 161, 163, 202, traumatisme simple : 70, 149
229, 245 traumatisme vicariant : 64
trouble anxieux : 124, 170, 223, 254
S
trouble dépressif : 196, 250
schizophrénie : 157-158, 196 trouble dissociatif : 149, 192-193, 195-197, 237,
shell shock : 148, 306 247
sinistrose : 227 trouble psychotique bref : 130, 155-157, 190,
souvenirs répétitifs : 163-164, 202, 209 201
stress : 9, 12, 14, 17, 26-27, 29, 44, 46, 64-66, 80,
82, 84, 88-90, 93, 99, 104, 106, 109-110, 120- V
125, 134-136, 138-142, 144, 149, 152, 154, vicariant : 13, 64, 66
161, 183, 185-189, 192, 195-197, 201-202, victima : 32-33
204, 208-209, 214, 220-223, 225, 238, 240, victime directe : 36, 40, 43, 55, 65, 70, 85, 187
242, 244-245, 248-250, 253-256, 258-259, victime expiatoire : 33-34
271, 276, 279, 289, 303, 305-307, 310-328 victime indirecte : 40, 70
stress adaptatif : 139, 152, 201 victime par ricochet : 40
stress aigu : 14, 149, 185-189, 192, 195-196 victime primaire : 39-40
stress dépassé : 14, 17, 44, 134, 136, 138, 142, victime témoin : 61
144, 201-202, 303, 307 victimisation secondaire : 17, 64-65, 69-70, 218
stress différé : 201 victimiser : 32
stress protecteur : 139 victimologie : 32, 38, 307, 310, 315, 322, 327
stress traumatique secondaire : 64-65 viol : 44, 53, 69, 76, 100, 103, 111, 122, 146, 163,
stresseur : 140 166, 168, 171, 173, 175, 177, 179-180, 216,
stupeur dissociative : 139, 149-150 228, 232, 239, 274
sublimation : 113 vision en tunnel : 138, 142
syndrome asthénique des déportés : 28 vulnérabilité croissante : 85, 311
Syndrome de Da Costa : 222
syndrome de Lazare : 230, 312 W
syndrome de Rambo : 15, 218-219 war neurose : 26
syndrome de répétition : 163, 209-210, 258 war stress : 26
L’auteur

Évelyne Josse est psychologue clinicienne diplômée de l’Université Libre de


Bruxelles. Formée à l’hypnothérapie éricksonienne, à l’EMDR (Eye Movement
Desensitization and Reprocessing) et à la thérapie brève, elle pratique en tant que
psychothérapeute en privé. Elle est également maître de conférences associée à
l’université de Lorraine (Metz), chargée de cours à l’université Lire de Bruxelles, for-
matrice en hypnose en Belgique et en France (École Belge d’Hypnose et Association
Française de Nouvelle hypnose), formatrice en psychotraumatologie (Institut français
d’EMDR, Université Libre de Bruxelles), expert en hypnose judiciaire et superviseur
de psychothérapeutes.
Également consultante en psychologie humanitaire, elle a travaillé depuis 1992 au
service de différentes ONG (Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde-France,
Comité International de la Croix Rouge, etc.). Elle a développé une expertise dans la
prise en charge des populations victimes de violence ainsi que du personnel expatrié
victime d’un incident critique.
À ses débuts, elle a exercé dans des hôpitaux universitaires auprès d’adultes atteints
du VIH/SIDA et d’enfants malades du cancer. Elle a également été assistante en
faculté de Psychologie à l’Université Libre de Bruxelles au service de psychologie du
développement.
Elle a rédigé de nombreux articles sur le traumatisme psychique et les violences
sexospécifiques qu’elle met à disposition sur son site www.resilience-psy.com. Elle
est l’auteur des livres Le pouvoir des histoires thérapeutiques. L’hypnose éricksonienne
dans la guérison des traumatismes psychiques, paru en 2007 aux éditions Desclée de
Brouwer ; Le traumatisme psychique chez le nourrisson, l’enfant et l’adolescent, édité en
2011 par De Boeck Université dans la collection « Le point sur » ainsi que de l’ouvrage
Interventions humanitaires en santé mentale dans les violences de masse, écrit en colla-
boration avec Vincent Dubois, publié en 2009 aux Éditions De Boeck Université dans
la collection « Crisis ». Elle a participé à trois ouvrages collectifs parus chez Dunod :
Psychothérapies de la dissociation sous la direction de Joanna Smith en 2016, Pratique
de la psychothérapie EMDR sous la direction de Cyril Tarquinio en 2017 et Aide-
mémoire – Psychiatrie et psychopathologie périnatales en 51 notions sous la direction
de Benoît Bayle en 2017.
Visitez le site de l’auteur : www.resilience-psy.com.
Table des matières

Sommaire ......................................................................................... 3
Liste des abréviations......................................................................... 4
Remerciements.................................................................................. 5
Préface.............................................................................................. 7
Introduction ...................................................................................... 13

C HAPITR E 1 L’histoire du trauma .................................................... 15


1. De l’Antiquité au XVIIe siècle : premiers récits historiques
et scientifiques ........................................................................... 16
2. Du XVIIIe au milieu du XIXe siècle : premières observations
scientifiques et premières hypothèses étiologiques ...................... 17
3. Fin du XIXe siècle : vers une étiologie psychogénique .................... 18
4. Le XXe siècle : l’évolution de la notion de traumatisme ................. 20
4.1. La guerre russo-japonaise : les premiers soins psychologiques
immédiats .................................................................................. 20
4.2. La guerre 1914-1918 ................................................................... 20
4.3. La Deuxième Guerre mondiale .................................................... 22
4.4. La guerre du Vietnam : vers la reconnaissance du traumatisme .... 24
4.5. La fin du XXe siècle : l’EMDR, une technique thérapeutique
révolutionnaire .......................................................................... 25

C HAPITR E 2 La notion de victime .................................................... 27


1. L’évolution de la notion de victime ............................................. 28
2. Victime, définitions actuelles ....................................................... 32
2.1. Définitions infractionnelles ......................................................... 32
2.2. Définitions victimologiques ......................................................... 34
Table des matières ■ 331

3. Types de victimes et degré d’implication dans l’événement


traumatisant .............................................................................. 35
3.1. Les victimes directes ou primaires................................................ 35
3.2. Les victimes indirectes ou victimes par ricochet ........................... 36

CHAPIT R E 3 L’événement potentiellement traumatisant................... 37


1. Le traumatisme psychique .......................................................... 38
2. Les événements traumatogènes .................................................. 39
2.1. Un événement majeur et massif .................................................. 41
2.2. L’accumulation d’événements d’importances diverses .................. 42
2.3. Le rappel d’un événement ancien aux potentialités
traumatogènes........................................................................... 42
3. Les paramètres des événements traumatisants ............................ 43
3.1. Les événements traumatisants d’origine naturelle et humaine ..... 43
3.2. Traumatismes individuels et collectifs .......................................... 48

CHAPIT R E 4 Les types de traumatisme ............................................ 53


1. Les traumatismes de type I, II et III, simples et complexes ............. 54
2. Les traumatismes directs et indirects ........................................... 55
2.1. Les traumatismes directs ............................................................. 55
2.2. Les traumatismes indirects, la cicatrice sans la blessure................. 59
3. La victimisation secondaire.......................................................... 65

CHAPIT R E 5 Les paramètres influençant le développement


des syndromes psychotraumatiques ............................. 67
1. Les variables liées à l’événement ................................................. 68
1.1. L’intensité et la gravité de l’événement....................................... 68
1.2. Le degré d’exposition au(x) facteur(s) traumatisant(s) .................. 76
1.3. L’imprévisibilité et le caractère incontrôlable de l’événement ...... 79
1.4. La part sombre de l’âme humaine ............................................... 81
1.5. Les conséquences négatives de l’événement ................................ 82
2. Les variables liées à l’individu ...................................................... 83
2.1. Le genre .................................................................................... 83
2.2. La personnalité et les facteurs de vulnérabilité propres au sujet ... 85
2.3. Le niveau de préparation psychologique ..................................... 86
2.4. Le degré de responsabilité de la victime dans le déclenchement
ou le déroulement de l’événement ............................................. 88
2.5. Les conflits intrapsychiques ......................................................... 88
332 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte

2.6. Les stratégies d’adaptation ......................................................... 89


2.7. Les conséquences positives de l’événement ................................. 91
2.8. Les facteurs cognitifs .................................................................. 91
3. Les variables liées au milieu de récupération ................................ 95
3.1. L’absence de réseau social .......................................................... 95
3.2. Le climat familial avant l’événement ........................................... 95
3.3. La stabilité du milieu de vie ........................................................ 95
3.4. La capacité de soutien de l’entourage direct ............................... 96
3.5. La capacité de soutien de collègues et de l’organisation
professionnelle........................................................................... 98
3.6. La capacité de soutien de la communauté ................................... 98
3.7. Les soins de santé mentale.......................................................... 99

CHAP ITR E 6 La résilience................................................................. 101


1. Origine du terme résilience ......................................................... 103
2. Émergence du concept de résilience
dans les sciences humaines......................................................... 104
3. Différentes définitions ................................................................ 105
4. Les questions autour de la résilience ........................................... 106
5. Les facteurs de résilience ............................................................ 108
5.1. Les ressources internes à l’individu .............................................. 109
5.2. Les ressources externes à l’individu ............................................. 112

CHAP ITR E 7 La prévalence des troubles traumatiques ...................... 115


1. Le traumatisme dans la population générale ............................... 116
2. Les groupes spécifiques .............................................................. 118

CHAP ITR E 8 La dimension culturelle ................................................ 123


1. Les aspects culturels liés à la souffrance
et aux troubles mentaux ............................................................. 124
1.1. Causes à l’origine des épreuves de la vie
et des troubles mentaux ............................................................. 124
1.2. L’expression de la souffrance ...................................................... 125
1.3. La perception des troubles mentaux............................................ 125

2. Les aspects culturels liés au traumatisme ..................................... 125

CHAP ITR E 9 Les réactions face à un événement traumatisant .......... 129


Table des matières ■ 333

CHAPI TR E 10 La phase aiguë .......................................................... 133


1. Les réactions immédiates ............................................................ 134
1.1. Les réactions de stress normal et adaptatif .................................. 134
1.2. Les réactions de stress dépassé .................................................... 138
1.3. Les réactions psychopathologiques aiguës ................................... 150
1.4. Les altérations précoces de la personnalité .................................. 155
2. Les réactions post-immédiates .................................................... 156
2.1. L’apparition d’un syndrome post-traumatique ............................. 156
2.2. L’apparition de symptômes non spécifiques aux syndromes
post-traumatiques ...................................................................... 165
3. Les réactions immédiates et post-immédiates
selon les nosographies internationales ........................................ 181
3.1. Les états de stress aigu ............................................................... 182
3.2. Les troubles dissociatifs............................................................... 188

CHAPIT R E 11 La phase à long terme ............................................... 199


1. Les syndromes psychotraumatiques............................................. 200
1.1. L’état de stress post-traumatique ................................................ 205
1.2. Les symptômes non spécifiques aux syndromes
post-traumatiques ...................................................................... 209
1.3. Les altérations de la personnalité ................................................ 219

2. Les psychopathologies ................................................................ 235


2.1. Les névroses ............................................................................... 235
2.2. Les psychoses ............................................................................. 236
3. Les syndromes psychotraumatiques
selon les nosographies internationales ........................................ 236
3.1. L’état de stress post-traumatique ................................................ 236
3.2. Les troubles dissociatifs de la personnalité................................... 243
3.3. Les altérations de la personnalité ................................................ 244
3.4. Les autres tableaux cliniques consécutifs
à un événement délétère............................................................ 249

CHAPIT R E 12 Les réactions d’une société face à un drame collectif.


Le cas des attentats terroristes ................................... 257
1. Le terrorisme, une arme efficace ................................................. 258
2. Des effets psychologiques et sociaux recherchés
par les terroristes........................................................................ 259
334 ■ Le traumatisme psychique chez l’adulte

3. Les réactions immédiates ............................................................ 260


3.1. Le choc, la peur et l’empathie ..................................................... 260
3.2. Les mouvements de panique ....................................................... 261
3.3. Les rituels ................................................................................... 261
3.4. Rumeurs alarmistes, fausses alertes à la bombe et théories
complotistes ............................................................................... 263
4. Les réactions à court terme ......................................................... 270
4.1. La peur ...................................................................................... 270
5. Les réactions à moyen et long terme........................................... 271
5.1. Les réactions individuelles ........................................................... 271
5.2. Les comportements collectifs ...................................................... 277
6. L’avenir ...................................................................................... 283

C HAPITR E 13 Du côté des auteurs.


Le cas des terroristes kamikazes ................................. 287
1. La déshumanisation .................................................................... 288
1.1. Définition de la déshumanisation et de l’infra-humanisation ....... 288
1.2. Les formes de déshumanisation et d’infra-humanisation .............. 289
1.3. Déshumanisation des non-musulmans et des non-intégristes
par les terroristes ....................................................................... 291
2. Déshumanisation, perte de la capacité de sympathie
et de compassion, pervertissement de la capacité d’empathie ..... 291
2.1. Sympathie et empathie............................................................... 292
2.2. Perte de sympathie et de compassion, pervertissement
de l’empathie............................................................................. 293
3. Déshumanisation et désengagement moral ................................. 294
4. Désengagement moral et atrocités .............................................. 295
5. Endoctrinement et déshumanisation du terroriste........................ 296
5.1. La désaffiliation du groupe d’appartenance ................................ 296
5.2. La déshumanisation engendrée par l’endoctrinement .................. 297

Conclusion ........................................................................................ 299


Postface ............................................................................................ 301
Bibliographie générale ....................................................................... 304
Index des auteurs .............................................................................. 324
Index des sujets ................................................................................. 326
L’auteur ............................................................................................ 329

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