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JEUNES FILLES EN BLANC * N° 06

LE SECRET DE L’AMBULANCE

par Suzanne PAIRAULT

MINUIT...un accident de voiture. L'ambulance,


alertée, file sur la route, conduite par Armelle, une
jeune infirmière. L'endroit est mystérieux et désert.
La présence du blessé est inexplicable. Qui est-il ?
Armelle voudrait d'autant plus le savoir qu'elle
éprouve de la sympathie pour lui. Bientôt la jeune
fille est mise en présence de deux personnages
louches, Roger et Jo. Ils interdisent à l'infirmière de
faire transporter le blessé à l'hôpital et de prévenir
la gendarmerie. Dominant sa peur et son trouble,
Armelle va tout mettre en œuvre pour soigner le
jeune homme et le faire échapper à la surveillance
de ces deux cerbères. Et, c'est pour elle le début
d'une étrange aventure.

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Suzanne Pairault
Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série
Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,
Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)


2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)
3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)
4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)
5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)
6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)
7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)
8. Le lit no 13 1974 (Geneviève)
9. Dora garde un secret 1974 (Dora)
10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)
11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)
12. Salle des urgences 1976
13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)
14. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)
15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)
16. La promesse de Francine 1979 (Francine)
17. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)
18. Florence fait un diagnostic 1981
19. Florence et l'étrange épidémie 1981
20. Florence et l'infirmière sans passé 1982
21. Florence s'en va et revient 1983
22. Florence et les frères ennemis 1984
23. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault
Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série
Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,
Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)


2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)
3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)
4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)
5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)
6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)
7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)
8. Le lit no 13 1974 (Geneviève)
9. Dora garde un secret 1974 (Dora)
10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)
11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)
12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)
13. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)
14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)
15. La promesse de Francine 1979 (Francine)
16. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)

Série Florence

1. Salle des urgences 1976


2. Florence fait un diagnostic 1981
3. Florence et l'étrange épidémie 1981
4. Florence et l'infirmière sans passé 1982
5. Florence s'en va et revient 1983
6. Florence et les frères ennemis 1984
7. La Grande Épreuve de Florence 1985

6
Suzanne Pairault
Ordre alphabétique

Jeunes Filles en blanc

Série
Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,
Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)


2. Dora garde un secret 1974 (Dora)
3. Florence et les frères ennemis 1984 (Florence)
4. Florence et l'étrange épidémie 1981 (Florence)
5. Florence et l'infirmière sans passé 1982 (Florence)
6. Florence fait un diagnostic 1981 (Florence)
7. Florence s'en va et revient 1983 (Florence)
8. Infirmière à bord 1970 (Juliette)
9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)
10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)
11. La Grande Épreuve de Florence 1985 (Florence)
12. La promesse de Francine 1979 (Francine)
13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)
14. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)
15. Le lit no 13 1974 (Geneviève)
16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)
17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)
18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)
19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)
20. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)
21. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)
22. Salle des urgences 1976 (Florence)
23. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)

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SUZANNE PAIRAULT

LE SECRET DE
L’AMBULANCE
ILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

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I

« EH BIEN, on peut dire que la journée a été dure!»


Le chauffeur de l'hôpital leva les yeux vers celle qui
lui parlait : une toute jeune fille à la silhouette mince,
aux yeux noirs, vêtue du strict uniforme de ville des
infirmières. Elle avait ôté son calot; ses cheveux
bouclés, épars sur ses épaules, accentuaient encore son
air de jeunesse.
A la façon dont Basin répondit, n'importe qui eût
deviné qu'une solide amitié unissait les deux

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membres de l'équipe : la jeune ambulancière et son
conducteur.
« Oui, mademoiselle Armelle, on n'a guère flâné,
hein? Trois transports d'opérés, deux urgences... »
Le visage de la jeune fille s'assombrit.
« Dont encore une victime de la polamide! ajouta-t-
elle. Cette fois, la malheureuse a bien failli y rester. Si je
n'avais pas eu le matériel de réanimation dans la
voiture...
— C'est curieux, murmura le chauffeur. Elle est
pourtant interdite, cette polamide!
— Oui, la polamide n'est pas autorisée en France.
Elle soulage immédiatement la douleur, c'est vrai —
malheureusement, dans certains cas, elle peut être
mortelle. Il suffit que la personne qui en prend n'ait pas
le cœur ou les reins en bon état...
— La presse en a assez parlé; tout le monde devrait
savoir que c'est dangereux!
— Je pense que, lorsqu'on souffre trop, on est prêt
à courir n'importe quel risque. C'était le cas de la jeune
femme que nous sommes allés chercher cet après-
midi : elle avait, paraît-il, des névralgies faciales
intolérables.
— Mais si le produit n'est pas vendu en pharmacie,
comment les malades se le procurent-ils?
— C'est très difficile de le savoir. La polamide n'est
pas encore interdite dans certains pays étrangers; elle
passe donc sans doute en

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fraude à la frontière. Ceux qui l'utilisent
l'obtiennent en général par des amis et ne veulent pas
révéler d'où elle vient, ce qui pourtant faciliterait
l'arrestation des contrebandiers. »
Armelle s'était assise en face du chauffeur, dans le
petit bureau contigu au garage de l'ambulance. On
apercevait dans l'ombre la masse blanche de la grosse
voiture, barrée de sa grande croix rouge.
« Ursule en a son compte, elle aussi! » fit Armelle
en souriant.
« Ursule » était le nom affectueux que le chauffeur
et la jeune infirmière donnaient à leur véhicule.
« Je viens de m'occuper d'elle, dit Basin. J'ai fait le
plein, remis de l'huile, vérifié la pression des pneus.
Pour ce soir c'est fini, mais nous pourrons repartir
demain matin dès l'aube si c'est nécessaire.
— Pas moi! dit la jeune fille. Vous oubliez que
demain est mon jour de congé. »
Basin fit une petite moue. « Ainsi demain je ne
vous, vois pas... C'est Mlle Paille qui vous remplace, je
pense?
— Oui; vous vous entendez bien avec elle, n'est-ce
pas?
— Pas comme avec vous, mademoiselle!
Ursule, vous et moi, nous formons une équipe comme il
n'y en a pas beaucoup! »
Il jeta un coup d'œil à la pendule.

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« Onze heures el demie! soupira-t-il. Il me semble
que l'horloge ne tourne pas! Mon gamin a la fièvre; le
médecin devait venir dans l'après-midi; j'ai hâte de
savoir ce qu'il a trouvé... »
Il semblait vraiment inquiet. Armelle songea que la
longue journée, avec ce souci surajouté, avait dû être
encore plus pénible pour lui que pour elle.
« Ecoutez, dit-elle gentiment, je vois que vous êtes
préoccupé; vous pourriez partir un peu avant l'heure. Ce
serait bien extraordinaire que nous ayons un appel d'ici
minuit! Dès que l'heure sonnera, je passerai le téléphone
au veilleur de nuit et j'irai nie coucher à mon tour. »
Basin commença par protester. Mais il finit par se
laisser convaincre.
« C'est vrai, reconnut-il, à cette heure-ci nous ne
risquons pas grand-chose. Vous êtes sûre que ça ne vous
ennuie pas de rester seule un moment? »
Elle se mit à rire.
« Je ne vois pas pour quel motif des malfaiteurs
auraient l'idée de pénétrer ici!
Vous avez raison, dit le chauffeur. Eh bien, à jeudi,
puisque demain vous n'êtes pas des nôtres. Vous irez
voir vos parents à Paris?
- Non, ils n'y sont pas en ce moment. J'irai sans
doute me promener : vous savez combien j'aime la
marche. »
Basin sortit. Restée seule, Armelle s'installa

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dans un fauteuil, prit sur une tablette le livre de
poche qu'elle gardait pour les rares moments d'inaction
et se mit à lire. Au bout d'un moment, elle leva les yeux
vers la pendule.
« Encore seize minutes! » se dit-elle.
Elle venait à peine de reprendre sa lecture quand le
téléphone sonna. Elle tendit la main et souleva
l'écouteur. Une voix masculine, qui lui parut un peu
enrouée, appela :
« L'hôpital de Grandlieu?
— Oui, monsieur.
— C'est pour... un accident de voiture. Vous
pourriez envoyer un médecin?
-— Vous êtes la police? demanda Armelle.
— Non, je... je vous appelle, voilà tout.
— Témoin, alors? Il faut avertir immédiatement la
gendarmerie. Où l'accident a-t-il eu lieu?
— Au Mesnil.
— Quel Mesnil? Sur la route de Mantes?
— Oui, c'est ça. »
Le nom du Mesnil avait frappé Armelle. Elle
connaissait le village pour s'y être rendue plusieurs fois,
chez des amis. Elle avait même déjeuné à l'auberge du
lieu.
« L'endroit exact? interrogea-t-elle.
— C'est... c'est au château... »
Le témoin hésitait : on avait l'impression qu'une
autre personne, placée à côté de lui, lui soufflait ses
réponses.

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« Bon. dit Armelle, je vois. Il y a des blessés
graves?
Un seul. C'est son épaule.
- Il a sa connaissance? Il respire normalement ?
- Ça, oui.
- Il souffre beaucoup?
- Non... C'est parce que... Il faut que je vous
dise...»
Armelle l'interrompit.
« Ne le déplacez pas, surtout. Nous arrivons. Mais
prévenez au plus tôt la gendarmerie! »
Elle raccrocha, soucieuse. Quelle malchance que ce
soir, justement, Basin fût parti avant l'heure! Que
devait-elle faire? Alerter Simon, le veilleur, qui prenait
les communications après

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minuit et en cas de nécessité éveillait le second
chauffeur? Mais ce serait faire savoir à ce dernier,
toujours un peu jaloux de Basin, que son camarade avait
quitté avant l'heure. Armelle aurait beau dire qu'elle le
lui avait conseillé, elle risquait d'attirer un blâme à son
équipier.
Elle fit rapidement le point de la situation. Un seul
blessé — pas très grave, à ce que disait le témoin. Les
gendarmes de Mantes, alertés par celui-ci, arriveraient
probablement avant elle; ils l'aideraient à placer
l'accidenté dans l'ambulance. En somme, elle n'avait
besoin de personne. Ce n'était pas la première fois
qu'elle conduisait Ursule! Et la route du Mesnil, elle la
connaissait bien.
Après un instant de réflexion, elle se contenta de
noter sa sortie dans le cahier des appels, sans préciser
que le chauffeur n'était pas avec elle. Après quoi, elle
remit son calot d'infirmière et alla actionner la manivelle
qui relevait le rideau de fer du garage. Elle se dirigea
vers l'ambulance, vérifia l'appareillage médical, sauta
sur le siège.
« En route, ma vieille Ursule! »
Quelques secondes plus tard, elle tournait l'angle du
bâtiment et filait dans la nuit.
Les rues étaient presque désertes; elle n'avait pas
besoin d'utiliser la sirène pour se faire ouvrir un
passage. Elle quitta bientôt la banlieue surpeuplée où se
trouvait l'hôpital et

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déboucha en pleine campagne. L'air frais, chargé
d'une odeur de foin coupé, était délicieux à respirer.
Elle ne regrettait pas d'avoir agi ainsi, pour protéger
Basin. En moins d'un quart d'heure, elle serait au
Mesnil; avant la demie de minuit, le blessé
n'appartiendrai plus qu'aux médecins. Personne ne
remarquerait l'absence du chauffeur.
Elle reconnut le village, le vieux café, clos pour le
moment, avec ses caisses de fusains alignées le long de
la route. Plus loin, sur la gauche, elle aperçut l'église au
clocher carré, qu'on distinguait vaguement dans
l'obscurité.
« Au château »... avait dit l'inconnu. Le château,
elle se le rappelait bien : une longue façade qu'on ne
voyait pas de la route, mais qui lui était relié par une
allée tournante bordée de grands hêtres, au bout de
laquelle s'ouvrait la grille. On disait à l'auberge que les
propriétaires n'y venaient pas souvent, qu'ils avaient
l'intention de vendre... Des étrangers, elle ne se rappelait
plus de quel pays.
Armelle avait ralenti et explorait la route avec ses
phares. Tout à coup elle aperçut, sur la droite, une
voiture grise a demi renversée dans le fossé, l'avant
écrasé contre un arbre. C'était le véhicule accidenté,
sans aucun doute. Mais pourquoi n'y avait-il personne?
Celui qui l'avait alertée avait sûrement téléphoné aussi

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aux gendarmes, comme elle le lui avait
recommandé. Ceux-ci étaient-ils arrivés les premiers et
s'étaient-ils chargés eux-mêmes d'emmener le blessé?
« Ce serait surprenant, pensa-t-elle : quand ils
savent qu'on a demandé une ambulance, ils se
contentent de faire leur constat et attendent le
transport.»
Elle mit pied à terre devant la voiture et s'approcha
pour l'examiner. Le choc avait dû être rude : il avait
aplati le capot et faussé les portières. L'intérieur était
vide : ni occupants, ni bagages d'aucune sorte. Où donc
les voyageurs avaient-ils disparu?
Armelle regarda l'endroit où elle se trouvait. L'allée
qui conduisait au château s'ouvrait à quelques mètres de
là. Si les propriétaires ou des gardiens étaient présents,
ils avaient pu donner asile au blessé en attendant
l'ambulance. On a beau répéter aux gens qu'il ne faut
jamais déplacer la victime d'un accident, il s'en trouve
toujours qui croient bien faire en le transportant dans un
lieu plus confortable.
Elle remonta sur son siège, remit son moteur en
marche, démarra. A ce moment, elle vit avec surprise
une silhouette s'approcher de la voiture grise et balayer
le sol, tout autour, à l'aide d'une lampe électrique.
Un instant, la jeune infirmière se demanda si ce
n'était pas quelque rôdeur qui venait fouiller

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la voiture abandonnée, avec l'espoir d'y découvrir
un objet oublié. Puis, presque aussitôt elle se dit qu'il
s'agissait sans doute d'un gendarme en train d'inspecter
le lieu de l'accident.
Au tournant de l'allée, elle fit halte. Entre les deux
rangées de hêtres, le chemin disparaissait sous les
mauvaises herbes. Des deux côtés, les ronces avaient
envahi le passage, ne laissant guère entre elles que la
largeur d'un sentier.
« Le château semble à l'abandon, se dit Armelle. Il
doit y avoir bien longtemps que personne n'est passé par
ici... »
Cependant, en regardant plus attentivement, elle
remarqua que sur la droite les ronces étaient écrasées.
Un peu plus loin on distinguait des traces de roues. Une
voiture avait tourné ici tout récemment; les herbes
n'avaient même pas eu le temps de se redresser.
Intriguée, Armelle engagea résolument l'ambulance
dans l'allée. Celle-ci était si mal tracée que la jeune tille
devait avancer lentement, de crainte de s'enliser dans
une invisible ornière. Mais bientôt elle s'enhardit : le
terrain était plus ferme qu'il n'en avait l'air. Soudain elle
aperçut devant elle la grande grille ouverte à deux
battants.
« On vient d'entrer, se dit Armelle. Le blessé est
peut-être au château? En tout cas, ceux qui sont passés
par ici ont dû être témoins de l'accident...

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Peut-être même est-ce d'ici qu'on m'a téléphoné; je
n'ai pas vu de cabine sur la route et dans le village tout
est endormi. Oui, c'est probablement ainsi que les
choses se sont passées. De toute façon, il m'est facile de
m'en assurer. » Elle avança.
« Allons, Ursule, à la découverte! » Elle franchit la
grille; du sable crissa sous les roues. Les traces de la
voiture qui l'avait précédée étaient maintenant
parfaitement visibles. Elles ne se dirigeaient pas vers la
porte principale du château, mais contournaient celui-ci
sur la droite.

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Armelle suivit les traces et parvint jusqu'à une cour
entourée de bâtiments bas. Une voiture noire stationnait
devant le petit perron qui flanquait l'entrée secondaire
de la vieille demeure. La jeune infirmière arrêta son
ambulance derrière le véhicule et descendit.
La voiture noire, elle aussi, était vide. A l'intérieur
du château, Armelle distingua un léger bruit.
« II y a quelqu'un? » appela-t-elle à voix haute.
Pas de réponse. Le blessé se trouvait-il là? De toute
façon, le conducteur de la voiture noire avait peut-être
été témoin de l'accident; il pourrait dire à Armelle si les
gendarmes étaient venus, si on avait encore besoin de
l'ambulance.
Quoi qu'il en fût, la jeune fille ne pouvait pas
repartir sans avoir recueilli la moindre information sur
l'événement.
Déjà courageuse par nature, encore aguerrie par le
contact quotidien avec la souffrance, elle n'était pas fille
à céder a la peur. Elle prit dans sa voiture une grosse
lampe de poche, se dirigea vers le perron et monta les
marches. La porte était entrouverte; Armelle la poussa et
se trouva dans un vestibule désert, dont le dallage noir
et blanc était couvert d'une épaisse couche de poussière.
On voyait encore sur les murs nus la trace de deux
grandes glaces et de divers objets, probablement des
trophées de chasse.

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Le bruit qu'Armelle avait entendu venait de la
gauche. Elle se dirigea vers la porte fermée.
« Il y a quelqu'un? » répéta-t-elle.
Toujours aucune réponse. Elle fit un pas en avant.
« C'est l'ambulance, expliqua-t-elle. Pour
l'accident... »
Cette fois, elle vit la poignée de la porte s'abaisser
lentement : malgré son courage, elle sentit un frisson
glisser le long de son échine. On a beau ne pas croire
aux fantômes, tout cela était vraiment impressionnant,
même pour une ambulancière habituée aux émotions
fortes.
Armelle dirigea le rayon de sa lampe vers la porte
qui s'entrebâillait. Un visage masculin apparut dans
l'ouverture. L'apparition était peu engageante : sur un
corps de géant, une face lunaire de Pierrot de cirque; les
yeux ronds et pâles, clignotant à la lumière trop vive,
n'exprimaient qu'une sorte d'hébétude.
« C'est toi, Roger? » demanda l'individu.
Puis, s'apercevant de sa méprise, il balbutia
quelques mots et se tut. Armelle s'avança vers lui.
« C'est vous qui m'avez téléphoné? » demanda-t-
elle.
L'homme recula d'un pas. Il n'avait pas l'air
méchant, mais absolument s tupi de.
« Téléphoné? répéta-t-il. Oui, oui, Roger m'a

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dit... C'est Roger qui a trouvé le numéro... le
numéro de l'hôpital...
— Pour un accident, n'est-ce pas? Il y a un blessé?»
Le géant fit signe que oui, puis s'écarta et désigna
un corps étendu sur le sol dans la pièce voisine.
« C'est lui, dit-il. Roger m'a dit de rester avec lui.
Roger est allé voir là-bas, dans la voiture... - Et
comment avez-vous transporté le blesse jusqu'ici? »
Sans répondre, le géant exhiba ses bras musclés —
des bras d'athlète de foire. Il sourit : on voyait qu'il était
fier de sa force.
Armelle fronça les sourcils : encore un exemple de
ces transports intempestifs qui peuvent être si
dangereux... Mais le mal était fait; elle n'y pouvait plus
rien. Elle tendit sa lampe à l'inconnu.
« Tenez ceci, je vous prie », dit-elle.
Il obéit; elle s'agenouilla près du blessé. Celui qui
l'avait appelée — probablement ce colosse hébété —
l'avait prévenue que la blessure était à l'épaule. Elle
toucha l'endroit avec douceur; le blessé gémit plus fort,
toujours sans ouvrir les yeux.
Elle l'examina de plus près. Il était jeune — vingt-
cinq ans, peut-être; un visage maigre, très hâlé, sur
lequel la sueur collait des cheveux noirs. Le front était
moite, les lèvres serrées.
Instinctivement, la jeune infirmière faisait les

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gestes habituels. Eclairée tant bien que mal par la
lampe de poche que tenait le géant, elle prit le pouls du
blessé, qu'elle trouva petit, mais régulier. Le jeune
homme ne semblait ni la voir, ni avoir conscience de ce
qui l'entourait.
Armelle se releva vivement.
« II n'y a qu'une chose à faire, déclara-t-elle :
transporter immédiatement cet homme à l'hôpital. Vous
êtes seul ici avec lui?
- Oui. Roger est parti. Roger m'a dit...
- Nous parlerons de cela plus tard, interrompit-
elle. Vous allez venir avec moi chercher ce qu'il faut; je
ferai une piqûre au blessé, puis à nous deux nous le
transporterons dans l'ambulance. »
Elle était redevenue elle-même : l'impression de
malaise du début avait disparu. Elle se retrouvait dans
son élément. Elle allait emmener le blessé, le remettre
au service des urgences. On examinerait son épaule; on
verrait s'il y avait lieu d'opérer ou non. Pour elle,
ambulancière, sa tâche serait terminée.

23
II

PRÉCÉDÉE du colosse qui portait la lampe


électrique, Armelle descendit les marches du perron
et se dirigea vers l'arrière de l'ambulance. Là, elle ouvrit
la porte et tira à elle le brancard qui servait à transporter
les malades. « Prenez ceci, dit-elle à son compagnon,
qui, toujours muet, exécutait ses ordres comme un
automate. Donnez-moi la lampe : il faut que je cherche
ma trousse. Non, ne refermez pas la porte; nous allons
revenir immédiatement. »

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Elle rentra dans le salon et s'agenouilla de nouveau
près du blessé.
« II faut, dit-elle, que je fasse une piqûre avant le
transport. Tenez la lampe de façon à bien m'éclairer. Là,
merci, c'est parfait. »
Elle prit des ciseaux dans sa trousse et fendit la
manche de la veste, souillée de sang. La main du jeune
homme était longue et ferme
- une de ces mains dont la force n'exclut pas
l'habileté. Armelle désinfecta la peau et enfonça son
aiguille. Le blessé eut un léger soubresaut, entrouvrit les
yeux, puis les referma.
« Maintenant, dit l'infirmière, aidez-moi. Il
faut poser le brancard tout près de lui, ensuite
nous le ferons pivoter tout doucement sur le
côté qui n'est pas blessé. Vous avez compris?
- Oui, oui », fit le colosse.
Il était moins incapable qu'elle ne l'avait cru
d'abord; dès qu'il avait compris, il mettait même une
certaine adresse à exécuter les mouvements qu'elle lui
indiquait.
A eux deux, ils firent facilement glisser le blessé
sur le brancard.
« Prenez les pieds, dit Armelle, je me charge de la
tête. Marchez devant, et surtout faites bien attention en
descendant les marches du perron. »
La lampe électrique, qu'elle avait accrochée a un
bouton de sa veste, les éclairait suffisamment

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pour descendre. Ils se dirigèrent vers l'ambulance.
Armelle posa l'avant du brancard sur le plancher de la
voiture et sauta légèrement à l'intérieur.
« A présent, dit-elle, poussez doucement... Oui...
comme cela... c'est bien.. Montez dans la voiture; nous
allons soulever le brancard pour le mettre à sa place. »
L'homme obéit. Une fois le blessé installé, Armelle
l'examina une seconde fois. Tout semblait normal, sauf
cette perte de conscience qui se prolongeait, pensait-
elle, un peu trop. La tête, pourtant, ne semblait pas avoir
porté... Les médecins verraient cela à l'arrivée; pour elle,
il ne restait plus qu'à prendre la route.
Elle sauta à terre; son compagnon t'imita. Il restait
planté devant elle; ses yeux semblaient refléter une
soumission béate. Elle s'apprêtait à refermer la porte de
l'ambulance, mais se ravisa.
« Il vaut mieux que vous montiez près de lui, dit-
elle. S'il revient à lui, il est préférable qu'il ne se trouve
pas seul. »
L'homme ne bougea pas : il ne semblait pas avoir
compris. Puis tout à coup, il commença à donner des
signes d'inquiétude, se tournant de tous côtés comme s'il
cherchait quelque chose ou quelqu'un.
« Allons, montez! » répéta Armelle.
Il secoua la tête et recula de quelques pas.

26
Son visage exprimait le désespoir et l'impuissance.
« Vous ne voulez pas venir? »
II fit « non, non » de nouveau et recula vers le
perron. Elle le suivit, dans l'espoir de le décider. Elle
voulait lui faire comprendre qu'on avait besoin de lui,
qu'il ne devait pas abandonner son camarade. Il la
regardait d'un air hébété, puis tout à coup son visage
s'éclaira.
« Roger... », murmura-t-il.
Armelle entendit du bruit dans l'allée et se retourna
vivement. Un autre individu qui portait une lampe
électrique se dirigeait vers eux. Le géant manifesta un
soulagement visible.
« C'est lui! dit-il à la jeune fille. Il va vous dire,
lui... »
Armelle éclaira le nouveau venu en face. Celui-ci
était de petite taille, le buste moulé dans un chandail
collant. Son visage régulier, couronné de cheveux très
blonds et frisés, était vif et alerte. Armelle pensa que lui,
du moins, serait capable de s'expliquer.
« Tu l'as trouvé, Roger? » lui demanda l'autre. Le
nouveau venu fit un geste de dépit.
« Absolument rien. J'ai fouillé partout dans l'auto,
parce que je pensais que ça y était, comme au départ.
J'ai même regardé tout autour, dans le cas où il l'aurait
jeté par la portière, après l'accident... Rien! J'aurais dû le

27
fouiller tout de suite, peut-être l'a-t-il pris sur lui... »
II s'avança vers Armelle, qui ne comprenait rien à
cette conversation mystérieuse.
« Vous êtes médecin? questionna-t-il.
- Infirmière seulement. Mais j'ai fait le
nécessaire, ne vous inquiétez pas.
- Il est gravement touché?
- Je ne crois pas. Il va recevoir les soins qu'il lui
faut. Je pense d'ailleurs que vous voudrez nous
accompagner?
- Vous accompagner où? fit le nouveau venu en
fronçant les sourcils.
Mais... à l'hôpital, naturellement. Le blessé est déjà
installé dans l'ambulance; votre camarade m'a aidé à l'y
transporter. »
L'homme poussa un juron; son visage, défiguré par
la colère, prit une expression si cruelle qu'Armelle en
eut peur. Il se tourna vers son camarade.
« Dis donc, Jo, tu n'es pas tombé sur la tête? fit-il
brutalement. Je sais bien que tu n'es pas malin, mais tout
de même il y a des limites! Le laisser filer avant que... »
II s'interrompit et s'adressa à Armelle.
« Je ne comprends pas, mademoiselle. J'avais
demandé un médecin.
Dans des cas comme celui-ci, monsieur, nous
faisons le transport et l'examen a lieu à l'hôpital. »
Celui qu'on appelait Roger haussa les épaules, puis
se retourna vers l'autre.

28
« Mais toi, Jo, espèce d'idiot, pourquoi l'as-tu mis
dans l'ambulance? »
Le géant semblait éperdu. Il désigna Armelle de la
main.
« Elle m'a dit... balbutia-t-il.
- Elle t'a dit! Et qui t'a dit de lui obéir, à elle? Es-tu
à mes ordres, ou aux siens? Tu t'apprêtais à partir aussi,
je suppose? »
L'autre eut un geste suppliant.
« Non, non, pas partir, Roger, je t'assure... Je ne
voulais pas... demande-lui... J'attendais que tu me
dises... J'ai seulement aidé à le transporter.

29
El pourquoi?
Elle ne pouvait pas... elle n'avait pas la force...
Tandis que moi... »
Il exhiba ses biceps puissants. Le frisé ricana.
« Oui, oui, on la connaît, ta force! Eh bien, tu vas
t'en servir encore, pauvre crétin! Tu vas ramener le gars
où tu l'as pris — et plus vite que ça! »
Cette fois, Armelle intervint.
« Je suis désolée, monsieur, mais j'ai pris ce blessé
en charge. A partir de maintenant, c'est moi qui
m'occupe de lui. »
Roger se retourna vers elle.
« Vous croyez ça? Eh bien, c'est ce que nous allons
voir! Ecartez-vous : Jo et moi, nous porterons le
brancard. Et n'essayez pas de nous brûler la politesse
ou sinon... »
Un instant, elle songea à s'enfuir pour donner
l'alerte, mais la menace de la dernière phrase l'arrêta.
D'ailleurs, pouvait-elle abandonner son blessé?
Roger sauta à son tour dans l'ambulance, saisit une
extrémité du brancard et fit signe à son camarade de
l'imiter. Jo lui obéissait aussi docilement qu'il avait obéi
à Armelle.
« Je vous préviens, monsieur, dit celle-ci, que vous
prenez là une responsabilité grave. Je ne connais pas la
nature des blessures qu'a cet homme : sa vie est peut-
être en danger...
Ne me racontez pas d'histoires! Vous

30
m'avez dit vous-même que sa blessure n'était pas
grave.
Je ne suis qu'infirmière; je ne peux pas faire un
diagnostic. Mais je vous dis que le blessé est en état de
choc et que des soins qualifiés sont indispensables...
— Ça va! interrompit Roger. Eclairez-nous
plutôt pour monter les marches; si nous laissions tomber
le brancard, ça n'arrangerait rien, n'est-ce pas? »
La rage au cœur, elle éclaira les deux porteurs. Le
frisé avait raison : une chute n'arrangerait rien, au
contraire. Mais qu'attendait-il du blessé? Que cherchait-
il?
Ils entrèrent dans le salon et déposèrent le brancard
au milieu du parquet.
« Je voudrais pourtant bien savoir ce que tout cela
signifie, dit Armelle d'une voix tremblante. Vous avez
appelé une ambulance; vous aviez donc l'intention de
faire soigner le blessé?
— J'avais demandé un médecin; il m'aurait dit de
quoi il s'agissait et j'aurais agi en conséquence. Je n'ai
qu'une infirmière; je vais essayer de m'en contenter.
— Et les gendarmes? avez-vous prévenu les
gendarmes? Vous pouviez le faire, puisque vous m'avez
téléphoné! »
Roger fronça les sourcils.
« Permettez-moi de vous dire, mademoiselle, que
cela ne vous regarde pas. Vous n'avez

31
rien à voir avec la gendarmerie. Vous êtes
infirmière; faites votre métier; on ne vous demande rien
de plus. »
Armelle s'efforçait de reprendre son calme. Se
fâcher ne servirait à rien. Elle était au pouvoir de ces
hommes. Même le dénommé Jo, qui s'était montré si
docile envers elle, ne la défendrait pas; il suffirai que
l'autre lui donnât un ordre pour qu'il obéît sans hésiter.
« Alors, demanda-t-elle, qu'attendez-vous de moi?
- Pour commencer, vous allez m'aider à
déshabiller cet homme. Si je le faisais seul, je risquerais
de l'abîmer davantage. »
Elle protesta.
« Le déshabiller! mais c'est impossible! Nous
serions obligés de le déplacer. Si, comme c'est probable,
il a une ou même plusieurs fractures...
- Ne vous occupez pas de cela. J'ai besoin de ses
vêtements. »
Elle comprit qu'elle ne l'ébranlerait pas. « Vous
tenez à ce que les vêtements soient intacts? demanda-
t-elle.
- Absolument pas.
—- Alors je vais les couper. *
Elle prit des ciseaux dans la trouve
qu'instinctivement elle avait gardée à la main, coupa la
veste que le sang avait collée à la chemise et la tendit au
frisé.
Celui-ci la saisit avidement et commença à la

32
fouiller. Jo s'était rapproché et regardait l'opération,
une vague lueur d'intérêt dans ses yeux.
Au bout d'un moment, Roger jeta la veste à terre.
« Rien que ses papiers! absolument rien!
Pendant ce temps, Armelle avait coupé le pantalon,
que Roger prit à son tour pour en fouiller les poches; il
ôta lui-même les chaussures du blessé et enfonça la
main à l'intérieur.
« Ça n'y est pas, sûr! fit Jo. D'abord il y en avait
trop pour tenir dans un soulier! Tu es sûr d'avoir bien
cherché dans la voiture?
— Tais-toi donc, imbécile! » interrompit l'autre
avec colère.

33
Armel le. ramassa les vêlements pour couvrir le
blessé. La nuit d'avril était tiède, mais un commotionné
risque toujours de prendre froid.
« Vous êtes satisfait, monsieur? interrogea-t-elle
non sans ironie. Avez-vous encore des ordres à me
donner?
— Oui, répondit Roger sans hésiter.
Continuez à veiller sur cet homme jusqu'à ce que j'aie
pris les dispositions nécessaires. Je suppose que vous
avez dans votre ambulance tout ce qu'il faut pour
donner des soins. Vous n'avez qu'à prendre ce dont vous
avez besoin.
— Je ne peux pas réduire une fracture.
— Une fracture peut attendre; je vous promets que
ce ne sera pas long. Je ferai ce que je pourrai pour vous
rendre le séjour dans ce château aussi agréable que
possible. Ce n'est pas ma faute, avouez-le, si les
propriétaires ont enlevé le mobilier... »
Armel le, presque malgré elle, jeta un regard vers la
fenêtre. Roger se mit à rire.
« Vous espérez peut-être vous enfuir par là? Inutile,
elle est grillagée, comme vous voyez, et d'ailleurs
beaucoup trop haute. Vous avez peut-être remarqué qu'il
y a un fossé autour du bâtiment; vous risqueriez de vous
casser un membre, vous aussi. Et d'ailleurs une
infirmière abandonne-t-elle jamais son malade?
- Mais enfin, s'exclama-t-elle, vous ne pouvez pas
me retenir toute la nuit! J'ai d'ailleurs

34
« Mais enfin, vous ne pouvez pas me retenir toute la nuit ici! »

35
signalé à l'hôpital que je venais au Mesnil. Mon
service se terminait à minuit, et l'on va s'inquiéter si on
ne me revoit pas... et surtout si l'ambulance n'est pas au
garage en cas de nouvel appel...
- Nous tâcherons de trouver un moyen pour
rassurer ces bonnes gens », dit Roger avec ironie. Puis,
il haussa les épaules, et fit un signe à son camarade.
«Accompagne mademoiselle, Jo, elle va aller prendre ce
qu'il lui faut dans sa voiture. Mais revenez vite, n'est-ce
pas? »
Le colosse qui semblait très fier dès qu'on lui
confiait une mission, saisit Armelle par le bras et
l'entraîna hors de la pièce. Sur le perron, il prit soin
d'éclairer les marches pour qu'elle ne trébuchât pas dans
l'obscurité. Elle eut un instant d'espoir.
« Vous êtes très gentil, lui dit-elle. Vous ne pourriez
pas m'expliquer au moins pourquoi ce blessé doit rester
ici? »
Il prit un air d'importance, comme un enfant investi
d'une responsabilité de grande personne.
« C'est Roger qui veut, répondit-il. Roger sait.
- Mais quand pourrai-je repartir? Me laissera-t-on
au moins l'emmener?
- Quand on aura trouvé...
- Trouvé quoi? » insista Armelle.
Ils arrivaient près de l'ambulance. Jo ouvrit la porte
sans répondre.

36
« Vous pouvez prendre tout ce que vous voudrez,
déclara-t-il avec un grand geste. Mais vite! Roger ne
veut pas attendre! »
Elle prit plusieurs ampoules de sérum, des sédatifs,
des antibiotiques. Elle chargea même son compagnon
d'une bouteille d'oxygène; elle ne pensait pas en avoir
besoin - - mais sait-on jamais?
Quand ils rentrèrent dans le salon, le blessé était
toujours immobile. Roger, accroupi dans un coin de la
pièce, cisaillait le fil du téléphone.
« Là! fit-il en se relevant. Vous voici bien
tranquille, personne ne viendra vous déranger. Vous
avez tout ce qu'il vous faut?
— Je vous ferai remarquer que ma lampe
électrique ne durera pas toute la nuit. Il n'est pas très
facile de donner des soins dans l'obscurité complète.
— J'y ai pensé, répondit-il. J'ai trouvé le
compteur et rétabli le courant. Dans cette pièce, on a
enlevé les ampoules, mais il en reste une dans le
vestibule. Va voir, Jo, et rapporte-moi ce que tu
trouveras. »
Un moment plus tard, Jo exhibait triomphalement
une ampoule électrique. Roger la vissa à une applique
du mur. Une faible lueur se répandit dans l'immense
pièce.
« Pas merveilleux! fit-il avec une moue. Mais il
faudra vous en contenter, ma belle. A la guerre comme à
la guerre, n'est-ce pas? »

37
Elle ne répondit pas. Elle commençait à avoir peur
— moins encore de ces hommes étranges que de la
perspective qui s'ouvrait devant elle : rester seule avec
le blessé, dont l'état pouvait empirer, sans aucune
possibilité de demander une aide.
« Combien de temps devrons-nous attendre ici?
questionna-t-elle.
— Pas longtemps. Je dois vous quitter, j'ai à faire,
mais dès demain matin je serai de retour.
— Et alors je pourrai partir?
— Alors je vous le dirai. »
II jeta un dernier regard autour du salon, esquissa
un geste de dépit.
« C'est curieux, tout de même... Enfin... Tu viens,
Jo? »
Avant de sortir, le géant fit un signe d'adieu à
Armelle. Les deux hommes passèrent dans le vestibule,
puis sur le perron. La jeune fille entendit une clef
tourner dans la serrure.
« Cette fois, pensa-t-elle, me voici prisonnière pour
de bon! »
Elle retourna près du blessé. Sa présence la
réconfortait et l'effrayait à la fois. Tant qu'il était là, elle
avait un devoir à remplir; elle n'était pas tout à fait
seule. Mais serait-elle capable d'agir efficacement si la
situation se compliquait? s'il avait une hémorragie? si la
plaie commençait à s'infecter? si...
Elle entendit au-dehors un bruit de voiture.

38
Les deux inconnus s'éloignaient. Le cœur d'Armelle
se serra; à partir de cet instant, elle ne pouvait plus
compter que sur elle-même.
La fatigue d'une longue journée de travail
augmentait la nervosité de la jeune fille. Le salon vide,
éclairé par la lueur insuffisante de l'ampoule, semblait
une salle de bal préparée pour une danse de fantômes.
On s'attendait à voir la porte s'ouvrir et des figures
immatérielles entrer lentement, une à une, sans frôler le
sol de leurs pas.
« II faut que je me ressaisisse, pensa Armelle. Je
n'ai pas le droit de me laisser emporter par mon
imagination. Je suis infirmière, j'ai un malade à soigner,
je ne dois pas chercher plus loin... »
Elle éclaira le visage du jeune homme immobile.
Les traits étaient crispés par la souffrance; les yeux
restaient fermés. Cela n'était pas naturel : s'il était
inconscient, il n'aurait pas dû souffrir. Et s'il ne l'était
pas» pourquoi continuait-il à fermer les yeux?
Elle regarda sa montre : il était deux heures du
matin.

39
III

ASSISE sur le parquet, le dos appuyé au mur,


Armelle attendait le lever du jour. Combien d'heures
encore avant l'aube? Depuis ses débuts à l'école
d'infirmières, la jeune fille avait fait de nombreuses
gardes de nuit : elle connaissait la somnolence qui vous
guette une fois passé le cap de minuit, lorsque les heures
semblent s'étirer devant vous comme un horizon
insondable. Elle avait appris à vaincre ce moment de
lassitude auquel personne -- pas même les plus
expérimentées ne pouvait échapper.

40
Mais c'était autre chose de veiller dans une chambre
de garde, avec de temps en temps une ronde dans le
service pour vous maintenir en alerte - ou bien ici, dans
cette demi-obscurité plus effrayante que des ténèbres...
Le visage pâle du blessé, dans la lueur incertaine,
prenait des teintes presque cadavériques. Parfois,
presque malgré elle, Armelle sautait sur ses pieds et
courait s'agenouiller près de lui pour s'assurer que son
cœur battait encore.
Depuis un moment, elle avait l'impression que les
traits du jeune homme s'étaient détendus : il avait réussi
à s'endormir. En même temps que l'injection
antitétanique indispensable après un accident, elle lui
avait donné un sédatif afin de faciliter le transport
qu'elle croyait alors devoir faire.
Il dormait... tant mieux. Malgré sa fatigue, elle eût
été incapable d'en faire autant; tout son corps restait
tendu, attentif au moindre incident.
Que s'était-il passé? qui étaient tous ces gens?
pourquoi cet accident, somme toute banal, s'entourait-il
de tant de mystère? La voiture grise avait sans doute
heurté un des gros hêtres qui masquaient l'entrée de
l'allée du château. Mais qui se trouvait à l'intérieur? Le
blessé y était-il seul? Quel rôle jouaient vis-à-vis de lui
le frisé et le colosse? Roger et Jo étaient-ils des amis?
des agresseurs? des complices?

41
Le mot de « complice » la fit frissonner. Elle
regarda une fois de plus le jeune homme étendu sur la
civière. Au repos, son visage était si innocent, si jeune!
Peut-on avoir cette expression lorsqu'on est un
malfaiteur? Parmi les malades d'Armelle, il y en avait eu
de tous les genres : de braves gens, d'autres qui l'étaient
moins. Elle avait l'impression que ceux-ci étaient
toujours trahis par leur sommeil...
Taudis qu'elle songeait ainsi, elle entendit au-dehors
un bruit de voiture. On entrait dans la cour, c'était
certain. Mais qui? un secours inattendu? un passant
attiré par la faible lueur de l'ampoule? Impossible : les
fenêtres du salon ne donnaient pas du côté de la route...
Alors? des rôdeurs? ou simplement Roger qui revenait
plus tôt qu'il ne l'avait dit, escorté de son étrange
acolyte?
Malgré l'horreur que lui inspiraient les deux
hommes, elle éprouvait presque un soulagement à la
pensée de voir finir cette solitude qui l'étreignait comme
un étau.
Elle guetta, l'oreille tendue. Personne ne semblait se
diriger vers le perron. Elle distinguait un bruit de moteur
- - peut-être plusieurs. Les hommes revenaient-ils avec
toute une bande?
Elle s'approcha de la fenêtre et essaya de regarder
au-dehors. Comme la lumière de l'ampoule nue se
reflétait dans la vitre, elle alla l'éteindre — mais même
ainsi elle ne distinguait

42
que des ombres mouvantes, sans contours précis.
La voiture - - ou les voitures - - qui se trouvaient là
n'avaient pas allumé leurs phares. A l'ombre des
bâtiments qui encerclaient la cour, la nuit était lourde
comme un drap noir.
En se retournant vers le salon, Armelle frémit : la
grande pièce, maintenant plongée dans les ténèbres, lui
semblait plus lugubre encore. Si au moins elle avait eu
sa lampe de poche! mais elle l'avait laissée à terre, près
du blessé. Elle essaya de se diriger au hasard vers la
paroi où se trouvait l'applique; elle lit quelques pas, les
mains en avant, et ne rencontra que du vide.
« J'aurais dû suivre le mur en partant de la fenêtre,
se dit-elle; j'aurais bien fini par arriver à l'endroit où se
trouve le commutateur. »
Mais même le contour de la fenêtre ne se
distinguait pas dans l'obscurité. Armelle ne savait plus
où elle se trouvait; elle devait avancer comme une
aveugle, les bras tendus, tremblant à la pensée qu'elle
risquait de buter sur le brancard placé au milieu de la
pièce.
A ce moment, le blessé poussa un gémissement et
murmura d'une voix faible quelques mots qu'Armelle ne
comprit pas.
« Il revient à lui! » se dit-elle.
C'était un moment dangereux : un malade qui
reprend ses sens cherche généralement à bouger; parfois
même il se débat : c'est l'instant où peut se déclarer une
hémorragie.

43
« Ne bougez pas, dit-elle très doucement. Tout va
bien, n'ayez pas peur.
— Où êtes-vous? demanda la voix dans les
ténèbres.
— Ici, tout près; je serai à côté de vous dans un
instant. Il faut seulement que je trouve la lumière. »
D'après la direction de la voix, elle savait
maintenant où se trouvait le centre du salon. Elle tourna
le dos à cette direction et avança d'un pas plus ferme. Au
bout d'un moment, ses mains tendues rencontrèrent un
mur; elle le suivit et ne tarda pas à trouver le
commutateur. Elle donna la lumière et courut vers le
brancard.
Les yeux ouverts maintenant, le blessé la regardait
avec attention.
« Qui êtes-vous? interrogea-t-il.
- Une infirmière, répondit-elle. Je suis ici pour
vous soigner. Vous souffrez?
— Un peu... C'est là, en haut... »
Il voulut tâter son épaule de la main et retint un cri
de douleur.
« Ne bougez pas, répéta Armelle. Essayez de ne pas
faire le moindre mouvement. Soyez tranquille : bientôt
on arrangera tout cela. »
Il jeta un regard autour de lui.
« Mais où suis-je? questionna-t-il. Qu'est-ce que
cette pièce? J'ai eu un accident, je le sais...
— Oui, un accident de voiture. Vous étiez avec
deux autres; ce sont eux qui ont appelé l'ambulance.

44
- Deux autres... murmura-t-il. Oui, je me
souviens... Où sont-ils?
- Je ne sais pas; ils sont partis.
Et vous-même, que faites-vous ici? Où est cette
ambulance? pourquoi... »
Une onde de douleur lui coupa la parole.
« Chut! ne dites rien », murmura la jeune tille en se
penchant sur lui.
Il lui sourit. Tout son visage maigre et brun parut
transfiguré par ce sourire. Une expression de franchise
et d'énergie émanait des dents très blanches et du bleu
clair, profond, des yeux.
« Merci », murmura-t-il du bout des lèvres.
Il se tut. Mais il ne dormait plus. De temps à autre il
jetait un regard du côté de la porte. Armelle vit qu'il était
inquiet.
« Ecoutez, dit-elle, je vais essayer de. vous
comprendre. Je vous poserai des questions; vous ferez «
oui » ou « non », simplement, sans parler. Vous pensez à
vos amis, n'est-ce pas? »
II fit signe que non.
« Ce n'est pas à eux que vous pensez? » interrogea-
t-elle, surprise.
Les paupières s'abaissèrent rapidement plusieurs
fois.
« Si... si... murmura-t-il. - Je vois : vous voulez
dire que ce ne sont pas des amis. C'est bien cela? Des
ennemis, alors? »

45
Le soupir de soulagement que poussa le jeune
homme montra à Armelle qu'elle avait deviné juste.
Sans bien savoir pourquoi, elle éprouva une satisfaction
à apprendre que ce garçon sympathique n'était pas l'ami
des deux individus qui lui faisaient horreur.
Elle n'en était pourtant guère mieux renseignée. Si
ces hommes lui voulaient du mal, pourquoi avaient-ils
cherché à le faire soigner au lieu de l'abandonner sur la
route?
Elle réfléchit un moment. Le blessé referma les
yeux, puis tout à coup demanda à mi-voix :
« Quelle heure est-il?

46
- Quatre heures du matin.
- Alors il fera bientôt jour...! »
Les yeux clairs exprimaient l'inquiétude. Armelle se
rapprocha de lui.
« Que craignez-vous? que voudriez-vous? Dites-le-
moi; je suis prête à vous aider si c'est possible. »
Le regard qu'ils échangèrent en disait plus long que
beaucoup de paroles. « Puis-je vraiment avoir confiance
en vous? » demandait l'inconnu. Et elle : « Vous le
pouvez, je vous le jure! »
Ce fut elle qui prit la parole la première.
« Ecoutez-moi, monsieur... »
Elle ne savait même pas son nom. Il désigna du
menton la veste qu'elle avait étendue sur lui.
« Mes papiers... murmura-t-il.
— Vous voulez que je regarde vos papiers? »
Elle tira de la poche intérieure plusieurs feuilles :
quelques lettres, des billets de banque, une note d'hôtel
provenant d'un village nommé Los, dans la Haute-
Garonne, enfin une carte d'identité au nom de Daniel
Couvreur, étudiant.
« Daniel Couvreur, c'est vous? »
Il fit signe que oui. Il semblait heureux d'avoir
prouvé à la jeune fille qu'il ne se cachait pas, qu'il était
un homme comme les autres, avec un nom, une adresse,
une occupation normale.
« Si je vous comprends bien, dit Armelle,

47
vous avez peur de ces... ces individus? Je les trouve
moi-même peu rassurants. Mais cela me semble
difficile. Il faudrait que je parvienne à sortir d'ici, que
j'aille jusqu'au prochain téléphone et que j'alerte la
gendarmerie du Mesnil... »
Elle ne s'attendait pas à la réaction qu'allaient
provoquer ses paroles. Au mépris de toute prudence, le
blessé se souleva sur son brancard.
« Non, non! dit-il. Cela, il ne faut pas, je ne veux
pas... Je ne peux pas vous expliquer, mais pas la
gendarmerie! pas la police! »
Un instant Armelle se demanda s'il délirait. Dans
son geste irréfléchi, il avait déplacé son épaule blessée.
La douleur provoquée par le mouvement lui donnait une
expression dont la jeune fille eut presque peur.
« Calmez-vous, je vous en prie! Je disais cela pour
vous tranquilliser. Si au contraire... »
II balbutia :
« Vous ne pouvez pas comprendre... Mais
promettez-moi de ne pas appeler...
- Pourtant, si vous n'avez rien à vous reprocher? »
Il ne l'écoutait même pas.
« Promettez-moi! promettez-moi! répétait-il.
— Je vous le promets », dit-elle presque sans
réfléchir.
Elle ne cherchait même plus à comprendre;

48
son instinct d'infirmière reprenant le dessus, elle ne
pensait plus qu'à le calmer. Elle dégagea sa main, qu'il
avait saisie, et la tendit vers la trousse qu'elle avait
posée à terre près du brancard. Puis, sans le quitter des
yeux, elle passa de l'alcool sur ses doigts, prit une
aiguille stérile dans un tube, brisa l'extrémité d'une
ampoule. « Ne craignez rien, tout ira bien. Nous
reparlerons de tout cela plus lard. Pour le moment, vous
allez dormir.
- Mais vous n'appellerez pas... bégaya-t-il.
- Je vous l'ai promis. »
Ce qu'il lut dans les yeux de la jeune tille dut le
rassurer, car il cessa de s'agiter et tendit lui-même le
bras à la piqûre.
Quelques instants plus tard, terrassé par une forte
dose de sédatif, il sombrait à nouveau dans le sommeil.
Armelle le regardait : ainsi soulagé de la douleur, ses
mains abandonnées au creux du brancard, la tête
légèrement rejetée en arrière, il retrouvait l'expression
de l'innocence.
La jeune infirmière rangea sa trousse lentement,
s'efforçant en vain de percer ce nouveau mystère. Que
pouvait signifier cette peur de- la police — sinon...? En
somme, elle ne savait rien de ce garçon. Il se disait
ennemi des deux autres, mais elle ignorait s'ils n'étaient
pas tous trois des malfaiteurs.
Avait-elle eu tort de. lui faire cette promesse?

49
s'était-elle laissé entraîner par la sympathie
instinctive que lui avait inspirée le blessé inconnu? Il est
des cas où une promesse de silence équivaut à une
complicité involontaire...
A cette pensée, Armelle eut l'impression que la nuit,
autour d'elle, devenait plus sombre encore. La fatigue
commençait à la gagner. Pour ne pas s'endormir elle se
força d'abord à rester debout, mais ses jambes épuisées
se dérobaient sous elle. Alors elle s'appuya contre le mur
et essaya de se réciter des poèmes appris autrefois, au
lycée : c'était un moyen qui lui avait souvent rendu
service au cours des nuits de garde.
Il y en avait un, Eviradnus, de Victor Hugo, qui
racontait l'histoire d'un vieux chevalier veillant auprès
d'une jeune femme endormie. Cette nuit, le chevalier,
c'était elle, et elle n'avait pas d'autre arme que son
courage.
Les heures coulèrent, lentes comme des siècles.
Tout à coup Armelle, qui se laissait aller à somnoler
malgré ses efforts, s'éveilla en sursaut. Les fenêtres du
grand salon découpaient dans la nuit des rectangles plus
pâles.
« Enfin! » pensa-t-elle.
Elle se leva et éteignit l'électricité. La lumière de
l'aube était déjà presque aussi forte que la maigre lueur
dispensée par l'ampoule de l'applique.

50
Elle regarda le blessé, qui n'avait pas bougé. Puis
elle se dirigea vers la fenêtre. Elle avait l'impression que
la vue d'Ursule lui ferait du bien.
A ce moment, elle constata que l'ambulance avait
disparu.

51
IV

STUPÉFAITE, Armelle regardait la grande cour


entièrement vide. Ursule envolée! prise sans
aucun doute par les deux hommes qui l'avaient
enfermée, elle, dans le château!
Mais quel intérêt pouvaient-ils avoir à prendre
l'ambulance? Ils avaient eux-mêmes un moyen de
transport : cette voiture noire qu'elle avait vue devant le
perron en arrivant. Craignaient-ils qu'Armelle ne parvînt
à sortir de sa prison et ne prît la fuite?

52
La jeune fille s'éloigna de la fenêtre. La disparition
d'Ursule augmentait encore son désarroi. La vieille
voiture toute proche, c'était encore une présence amie.
Maintenant...
Profitant des premiers rayons du jour, elle sortit du
salon et passa dans le vestibule. La porte de la cour, elle
le savait, était fermée à clef. A l'autre extrémité, les deux
vantaux massifs de l'entrée principale qui donnait
évidemment sur le devant du château, étaient assujettis
par une lourde serrure. En face du salon s'ouvrait la salle
à manger; Armelle jeta un coup d'œil dans la pièce
également vide; une petite porte latérale, qui devait
communiquer avec les cuisines, avait été condamnée par
des planches clouées en travers.
Les propriétaires, en quittant les lieux, avaient pris
leurs précautions contre les rôdeurs. Avaient-ils laissé la
porte de la cour ouverte pour permettre la visite
d'acheteurs éventuels?
Armelle revint vers celle-ci; en regardant par le trou
de la serrure elle constata que la clef y était restée.
« Si j'avais un outil quelconque, se dit-elle, je
pourrais peut-être faire tomber cette clef au-dehors.
Mais ensuite, comment la reprendre? Elle est beaucoup
trop grosse pour passer sous la porte... »
D'ailleurs, en admettant qu'Armelle pût

53
sortir, oserait-elle laisser le blessé seul assez
longtemps pour aller au village chercher du secours?
Découragée, épuisée de fatigue, elle rentra dans le
salon et s'assit de nouveau sur le parquet, le dos appuyé
au mur. Les événements de la nuit se pressaient dans sa
tête comme des visions de cauchemar. Elle replia les
jambes, les entoura de ses deux bras et posa le front sur
ses genoux.
Quand elle rouvrit les yeux, elle s'aperçut avec
surprise qu'il faisait grand jour. Le soleil, entrant à flots
par les fenêtres, ranimait la couleur des murs et la
dorure pâlie des plinthes.
« Mon Dieu! pensa Armelle, j'ai dormi! »
Sa première pensée fut pour son blessé. Elle
s'approcha de lui; il n'était plus pâle comme la veille,
mais au contraire très rouge. Elle lui tâta le front, qu'elle
trouva brûlant. Le pouls dépassait 90.
« La fièvre monte ! » se dit-elle, angoissée.
A travers la chemise collée par le sang, impossible
de vérifier l'état de la plaie. Armelle n'osa pas détacher
le tissu, de peur de déplacer les os brisés. Mais une
chose était certaine : il fallait emmener cet homme à
l'hôpital le plus tôt possible. La prudence la plus
élémentaire commandai l de se hâter.
Dans ces conditions, elle ne pouvait que souhaiter
le retour du frisé et de son camarade.

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Peut-être, devant le danger imminent, Roger
consentirait-il à la laisser emmener Daniel Couvreur à
l'hôpital?
En attendant, elle décida de refaire au malade une
injection d'antibiotique. Au moment où elle enfonçait
l'aiguille dans la chair du blessé, celui-ci ouvrit les yeux.
« Où suis-je? demanda-t-il d'abord. Ah! oui, je me
souviens... mon accident... l'infirmière...
— Souffrez-vous? » demanda-t-elle. Il fit signe
que non.
« Mais j'ai l'impression que tout mon côté droit est
paralysé; je ne sens plus rien. J'ai seulement soif — oh!
tellement soif!
— Vous avez la fièvre. Je ne peux pas vous donner
à boire : il n'y a pas d'eau dans la maison. Il faut
attendre encore un peu.
— Attendre quoi? Pourquoi ne partons-nous pas
tout de suite?
— Les autres nous ont enfermés; ils doivent
revenir ce matin.
— Les autres! »
Il passa la main sur son front : on eût dit que la
conscience des événements lui revenait peu à peu. Son
visage prit soudain une expression de détermination et
d'énergie.
« Ils nous ont enfermés, dites-vous?
— Oui; ils ont donne un tour de clef et laisse la
clef dans la serrure.
— Savez-vous si cette porte a un autre moyen

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de fermeture? un loquet intérieur? une barre de
sûreté?
__ Je n'ai pas pensé à regarder; à quoi cela
nous servirait-il?
— Allez voir », dit Couvreur.
Elle obéit et retourna dans le vestibule. La porte
possédait en effet une fermeture de sécurité, composée
d'une barre verticale que commandait une espagnolette.
Armelle revint le dire au blessé. Les yeux du jeune
homme brillèrent.
« Fermez cette barre, dit-il, et assurez-vous qu'il
n'existe pas d'autre issue. Il ne faut pas que cet homme
entre ici! »
Elle comprit qu'il parlait de Roger -,- c'était celui-là
qu'il redoutait, évidemment : l'autre ne comptait même
pas, malgré sa force.
« Mais... », commença Armelle.
Il l'interrompit.
« Faites vite! insista-t-il. Il peut revenir d'un
moment à l'autre. Dépêchez-vous, avant qu'il ne soit
trop tard! »
Le ton la convainquit du danger. Elle alla assujettir
la barre de sécurité et vint annoncer au jeune homme
que c'était bien fait. Il poussa un soupir de soulagement.
« Je vous ai obéi, dit-elte alors. Mais avez-vous
pensé que sans l'aide de cet homme — quel qu'il soit —
je ne pourrai pas vous emmener d'ici? D'autant plus qu'il
a pris mon ambulance...

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- Votre ambulance! »
L'expression d'angoisse avait reparu d'un coup.
Armelle eut l'impression que le corps tout entier du
blessé se crispait.
« L'ambulance... répéta-t-il. Mais quand cela?
comment? Vous en êtes sûre?
- Je vois bien qu'elle n'est plus là.
- Il l'a peut-être simplement garée plus loin.»
Armelle secoua la tête.
« Je ne crois pas. Pendant la nuit, j'ai entendu un
bruit de moteur. Je n'ai pas pensé qu'on emmenait
l'ambulance, je l'avoue : je ne voyais pas en quoi elle
pouvait les intéresser.
— Je ne le vois pas non plus... », murmura-t-il.
Elle ne comprenait pas pourquoi il semblait ainsi
bouleversé.
« Ne vous tourmentez pas, dit-elle. Si nous arrivons
à sortir d'ici, l'hôpital nous enverra une autre voiture. »
II ne l'écoutait pas : il réfléchissait. Avec effort, il
parvint à tourner la tête.
« Je vois un appareil téléphonique, dit-il. Etes-vous
sûre que la ligne ne fonctionne pas?
— Ils l'ont coupée! répondit-elle. Ils s'en sont servi
pour m'appeler, et après...
— Croyez-vous qu'en appelant très fort vous
pourriez vous faire entendre du voisinage?
- Il faudrait qu'un piéton passe sur la

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roule. Cela peut demander des heures. Et pour votre
épaule, le temps presse.
- Je suis en danger? interrogea-t-il, mais sans
la moindre anxiété dans la voix.
— On est toujours en danger avec une fracture
ouverte. Si l'infection se développe...
— Je veux dire : est-ce imminent? Ne craignez pas
de me dire la vérité, je n'en ai pas peur. J'aime mieux
mourir ici que de tomber entre ses mains... Mais
avant de disparaître, j'aurais besoin de vous confier
des choses importantes. Si à votre avis je cours un
risque immédiat, je préfère être prévenu. »
Elle protesta.
« Non, non, je vous assure! Si nous pouvions partir
dès maintenant, je répondrais de votre guérison.
— Si nous pouvions partir... », répéta-t-il. Il était
songeur, mais il ne tremblait pas.
« II est brave, pensa-t-elle, il n'a pas peur de la
mort. Pourtant il a peur de ce Roger — et il craint la
police, comme s'il était lui-même un malfaiteur... »
Mais cela, pour le moment, n'avait pas
d'importance. Elle ne devait penser qu'à une chose :
emmener le blessé à l'hôpital pour le sauver. Elle était
responsable de son salut : si Roger représentait un
danger, puisque Couvreur était hors d'état de se
défendre, c'était à elle d'écarter Roger.
Des minutes s'écoulèrent dans le silence. Puis
soudain ils entendirent sur le sable un crissement de

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roues. Jetant un coup d'œil par la fenêtre, Armelle
vit la voiture noire tourner l'angle du bâtiment et
s'arrêter à l'autre extrémité de la cour. Le frisé s'y
trouvait seul; il sauta à terre et se dirigea vers le château.
Armelle revint près de Couvreur.
« C'est lui, chuchota-t-elle. Il est seul. »
Le blessé eut une moue dédaigneuse.
« L'autre n'existe pas! déclara-t-il. Vous êtes sûre
que la porte est bien fermée?
— Absolument sûre. »
Un instant plus tard, ils entendirent la clef tourner
en grinçant dans la serrure. On poussa

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le battant, qui résista. On tenta alors une poussée
plus forte, mais l'épaisse porte de chêne, renforcée par la
barre verticale, n'était pas de celles qu'une épaule
d'homme peut ébranler.
Armelle, sur la pointe des pieds, se rapprocha du
vestibule. L'homme frappait maintenant la porte à deux
poings.
« Ouvrez! ordonna-t-il d'une voix furieuse. Ouvrez,
je vous dis! »
Elle ne répondit pas.
« Je sais que vous m'entendez! reprit-il. Vous ne
comprenez donc pas que je vous tiens, stupide que vous
êtes! Si je pars, que vous arrivera-t-il? On vous
retrouvera un jour morts de faim entre ces quatre murs!»
Armelle ne fit pas un geste. Roger frappa encore un
moment, puis, en grommelant, redescendit les marches
du perron.
La jeune fille vint retrouver Daniel Couvreur, qui,
essayant de se soulever sur son coude valide, prêtait
l'oreille avec anxiété.
« II est parti! » lui dit-elle.
Elle retourna vers la fenêtre, espérant voir la voiture
noire s'éloigner. Mais le frisé remonta dans le véhicule
et s'installa sur le siège, face au perron. Elle pouvait lire
distinctement le numéro matricule, blanc sur fond noir :
2326 IIC, 75. Des chiffres qu'elle était sûre de ne jamais
oublier!
Il se carra sur le siège, tira de sa poche

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un paquet de cigarettes et en alluma une.
« II va monter la garde! » se dit Armelle avec effroi.
Elle osait à peine annoncer la nouvelle à Couvreur.
Mais celui-ci ne sembla pas s'en émouvoir. Elle constata
avec angoisse que sa température devait monter; sous
l'effet de la fièvre il était agité, presque joyeux.
« Ecoule/, dit-il, j'ai une idée. Vous avez vu Roger
couper le téléphone?
- Je l'ai vu.
- Où cela?
- Ici même, près de la porte.
- Eh bien, dans ces grandes demeures il y a souvent
plusieurs postes. La ligne existe toujours, puisqu'elle a
servi à vous appeler. Roger a coupé le fil du salon, mais
il en existe peut-être un second.
- C'est vrai. Où pourrait-il se trouver, à votre avis ?
- Il faut chercher dans toutes les pièces
l'une après l'autre. »
Elle passa dans le vestibule : une boîte carrée,
placée au-dessus de la porte, devait contenir les fusibles.
Un fil se dirigeait vers le salon, un autre vers la salle a
manger.
Armelle y courut. La salle était aussi vide que le
salon; nulle part on n'y voyait d'appareil.
Tout à coup elle remarqua, des deux côtés de la
cheminée, deux petits placards ornés de moulures. Elle

en ouvrit un, où restaient des débris de verrerie. Au


fond du second, elle aperçut un appareil téléphonique.

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Le cœur battant, elle souleva l'écouteur, et le porta à
son oreille. Aussitôt elle entendit la tonalité.
« II marche! »
Elle hésita : fallait-il raccrocher et aller annoncer la
bonne nouvelle au blessé? Non, mieux valait agir le plus
tôt possible. Si Daniel Couvreur ne bougeait pas, il ne
risquait rien.
Elle composa le numéro de l'hôpital.
« Le centre hospitalier de Grandlieu? Pouvez-vous
me passer le poste 29? »
C'était celui du garage de son ambulance. Un
instant plus tard, elle entendit la voix de Basin.
« Ici le service des transports. Je vous écoute.
- Monsieur Basin! c'est moi! moi,
Armelle ! »
A sa grande surprise, il ne parut pas étonne le moins
du monde.
« Mademoiselle Armelle! Tiens, tiens! Vous avez
quelque chose à me demander?
- Oh, oui! Ecoutez-moi bien : il faut que vous
veniez à mon secours... Je vous expliquerai plus tard,
pour l'ambulance...
- Comment, pour l'ambulance?
- Oui, vous devez être très ennuyé, n'est-ce pas?
Mais je vous raconterai...
Vous me raconterez quoi? je ne vous comprends

pas, mademoiselle, qu'est-ce qui se passe?


Pourquoi serais-je ennuyé?
Mais enfin, vous êtes au garage?

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- Oui, naturellement. J'attends Mlle Paule. Il n'y
a pas encore eu d'appel ce matin.
Voyons... je ne suis pas folle! Vous avez bien vu
qu'Ursule avait disparu? » Le chauffeur se mit à rire. «
Disparu? Ursule? Vous n'y pense/ pas! elle est bien
trop grosse pour disparaître comme ça! Pas vrai, ma
vieille Ursule?
Vous ne voulez pas dire que l'ambulance est
toujours là?
- Bien sûr, qu'elle est là! Où voulez-vous donc
qu'elle soit? Ursule n'a pas l'habitude d'aller se
promener toute seule sur les routes! Mais vous auriez dû
la rentrer au garage.
- Ne plaisantez pas! Elle était là quand vous êtes
arrivé?
Naturellement. Mais devant le garage. J'ai vu dans
le cahier que vous aviez noté un appel, hier soir. Cela a
dû vous mettre en retard pour rentrer chez vous. »
Armelle comprit que les hommes avaient jugé
prudent de ramener l'ambulance à l'hôpital, pour qu'on
ne songeât pas à la rechercher. Mais elle, Armelle,
restait prisonnière avec son blessé, sous la garde
impitoyable de cet individu qui l'épouvantait.

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« Ecoutez-moi, dit-elle, c'est très grave, je suis en
danger!
— En danger? répéta Basin avec
étonnement.
— Oui, je suis enfermée dans un château, au
Mesnil, sur la route de Mantes.
— Le Mesnil? Je connais très bien; j'ai
emmené plusieurs fois des malades tout près de là, à
l'hôpital de Varenne. Mais, comment est-ce que vous...?
— Je vous expliquerai plus tard : le temps presse.
Vous pouvez me sauver, moi et un blessé qui est
ici avec moi. »
Le chauffeur avait repris sa gravité.
« Vous savez bien, mademoiselle, que vous

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pouvez toujours compter sur moi. Dites-moi ce que
je dois faire.
- Eh bien, d'abord, ne parlez de cela à personne.
Dites que je vous ai appelé au Mesnil par téléphone,
mais ne donnez pas de détails.
- Entendu. El ensuite?
Vous Connaissez la route du Mesnil? Vous irez au
village, vous le dépasserez el vous continuerez jusqu'au
château.
- Un château dans un pair, sur la droite?
- C'est cela. Vous entrerez : la grille est ouverte.
Vous contournerez le bâtiment par la droite et
vous vous arrêterez dans la cour, le plus près possible
du perron. Il y a une voiture noire arrêtée au
fond de la cour, avec un homme dedans. Méfiez-vous
de lui : s'il voulait vous empêcher d'entrer...
- M'empêcher, moi? je voudrais voir ça!
s'exclama Basin qui était taillé en force.
- Je ne crois pas d'ailleurs qu'il oserait vous barrer
le passage. Vous monterez le perron; la porte est fermée
à clef, mais la clef est sur la serrure. Vous m'appellerez;
j'ôterai la barre de sûreté et je, vous ferai entrer. A ce
moment-là, je vous expliquerai le reste.
- C'est entendu, mademoiselle. Je vais brancher
mon téléphone sur le bureau. Alors, je dis que c'est vous
qui m'avez appelé?
- Oui, pour un blessé de la route. Mais venez le
plus tôt possible, je vous en prie. »

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Elle le raccrocha. Un plan commençait à s'ébaucher
dans sa tête. Elle n'avait plus peur, mais comme tout
cela était compliqué! C'aurait été tellement plus simple
si elle avait pu téléphoner à la gendarmerie de Mantes et
raconter ce qui s'était passé! Elle se demanda si, en
faisant cette promesse au blessé, elle ne s'était pas
rendue elle-même complice d'elle ne savait quoi.
Elle rentra dans le salon et constata avec inquiétude
que le jeune homme avait le visage très rouge, les yeux
embués. Cette fièvre, c'était l'infection qui gagnait,
malgré les antibiotiques.
Pourvu que Basin ne tardât pas trop! Avec la
tournure que prenaient les choses, le salut du blessé était
une question d'heures, peut-être moins.

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V

BLOTTIE contre la fenêtre, Armelle attendait


l'arrivée de Basin. Elle n'osait pas se montrer par peur
de Roger : il lui semblait qu'un seul regard de cet
homme raviverai! ses terreurs de la nuit. Mais elle se
tenait le plus près possible de la croisée, tendant une
oreille avide au moindre bruit extérieur.
L'ambulance, eu temps ordinaire, était toujours
prête à prendre la route. Si ces misérables ne l'avaient
pas mise hors d'état de marcher,

67
Basin, à peine le téléphone raccroché, avait dû
démarrer aussitôt. La distance n'était pas considérable
— huit à neuf kilomètres. Sans doute, à cette heure,
fallait-il compter avec les embouteillages. Mais on
laisse toujours passer une ambulance dont la sirène
demande la priorité.
Enfin la jeune fille entendit dans l'allée le bruit d'un
moteur. Elle glissa un regard au-dehors : le frisé n'avait
pas bougé de sa place. Assis derrière son volant, il
regardait du côté de l'allée.
La grosse voiture blanche apparut à l'angle du
château; elle se dirigea vers le perron et s'arrêta. Basin
mit pied à terre et monta les marches. Roger, pensa
Armelle, devait regretter d'avoir laissé la clef dans la
serrure... De l'endroit où il se trouvait, la masse de
l'ambulance lui cachait le bas des marches, mais il
pouvait voir la porte et le haut du perron.
Armelle courut dans le vestibule et tourna
l'espagnolette de la barre de sûreté. (Jii instant plus tard,
le battant s'ouvrait, donnant passage à Basin.
« Prenez la clef, lui dit la jeune infirmière. Il ne faut
pas qu'on puisse nous enfermer de nouveau. »
Elle referma la porte derrière lui et serra
affectueusement les mains du chauffeur. Depuis qu'il
était là, elle se sentait déjà sauvée. Basin

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était grand et robuste; Roger n'avait pas osé
s'attaquer à ce gaillard.
En quelques mots, Armelle lui expliqua la situation.
Puis tous deux passèrent dans le salon. Daniel Couvreur
ne bougeait pas : il avait sombré dans une sorte de
torpeur. Son front était toujours brûlant, son pouls
rapide, mais il ne semblait pas souffrir.
« C'est lui qui n'a pas voulu que vous appeliez la
police? demanda simplement le chauffeur. Mais il
faudra signaler l'accident!
- Oui, plus tard, quand le blessé sera mis à l'abri.
Vous avez vu cet homme qui guette dehors?
— Celui qui est dans la voiture noire? Oui, je l'ai
vu. Il n'a pas bougé.
— Il ne faut pas qu'il sache où nous allons. Alors,
j'ai pensé... Vous ne connaissez pas, dans la région,
un hôpital qui aurait plusieurs entrées? »
Basin réfléchit un instant.
« Voyons... par ici... Mais oui, il y a le centre
hospitalier de Varenne. On entre généralement par la
grande grille, mais on peut ressortir par-derrière.
— Alors voici ce que j'ai imagine; vous me
donnerez votre avis. Nous allons faire semblant de
placer le blessé dans l'ambulance; vous partirez avec
elle; j'espère que la voiture noire vous suivra... Vous
arriverez à Varenne, vous y

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entrerez. Pendant que cet individu montera la garde
devant la grille, vous passerez par l'autre sortie et vous
reviendrez nous chercher.
Mais vous êtes sûre qu'il me suivra? Je ne voudrais
pas vous laisser encore seule.
__ II vous suivra sûrement s'il croit que vous
emmenez le blessé. »
Basin hocha la tête d'un air soucieux.
« Ça m'ennuie quand même, déclara-t-il. Et s'il
avait l'idée de venir s'assurer que celui-ci est bien parti?
— Il n'en aura pas le temps, s'il veut vous suivre. Je
crois qu'il cherchera avant tout à savoir où nous
emmenons le blessé. Si vous arrivez à lui faire croire
que vous l'avez laissé à Varenne, tout ira bien.
— Pour ça, liez-vous à moi, je m'arrangerai. Mais
il faut d'abord faire semblant d'emmener quelqu'un. Si
encore nous avions de quoi imiter la forme d'un corps -
- un traversin, des oreillers, je ne sais quoi... Ah! il y a
les coussins de l'ambulance; je vais aller les chercher.
Attendez-moi un moment; ne bougez pas d'ici. »
Il retourna jusqu'à la voiture; quand il revint, il
traînait une couverture et deux oreillers.
« Vous vous demandez pourquoi je les porte comme
ça, mademoiselle Armelle. J'ai remarqué que de l'endroit
où il se trouve, votre guetteur pouvait voir ma tête, mais
pas mes jambes. Il n'a donc pas vu les oreillers; il ne
pourra

70
pas soupçonner que nous allons nous en servir pour
confectionner un faux blessé. »
Ils replacèrent doucement Daniel Couvreur à même
le parquet et disposèrent sur le brancard les oreillers mis
bout à bout; dissimulés par les couvertures, ils
pouvaient passer de loin pour une silhouette humaine.
Armelle arrangea la veste de Couvreur de manière à
dissimuler l'absence de visage. A la distance où se
trouvait la voiture noire, le simulacre devait faire son
effet.
La jeune tille et le chauffeur soulevèrent alors le
brancard et le transportèrent, en feignant de prendre
mille précautions, jusqu'à la couchette de l'ambulance.
« II faut que cet homme vous croie partie aussi, dit
Basin à Armelle. Montez; je vais refermer la porte
derrière vous, comme je le ferais si vous escortiez un
malade. Vous vous glisserez par l'intérieur jusqu'au
siège avant, vous mettrez pied à terre et remonterez les
marches en vous baissant pour ne pas être aperçue de
votre espion. De mon côté, je remonterai, moi aussi, et
je fermerai ostensiblement la porte. On ne peut pas la
laisser ouverte, et si vous la repoussiez de l'intérieur,
l'homme comprendrait qu'il y a encore quelqu'un au
château. »
Armelle obéit. Dès qu'elle eut regagné le vestibule,
elle se précipita dans le salon et jeta un coup d'œil par la
fenêtre. Le chauffeur remontait sur son siège;

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l'ambulance s'ébranla lentement. Armelle, à sa
grande joie, constata que la voiture noire se mettait en
marche à son tour.
Les deux véhicules, l'un suivant l'autre, disparurent
à l'angle du mur.
Elle retourna alors vers le blessé. Il ne bougeait
toujours pas; son état semblait critique. Pourvu que
l'infection, sournoisement, ne gagnât pas du terrain! Elle
s'interdit de s'arrêter à cette pensée : elle avait fait le
nécessaire; il ne restait plus qu'à al tendre et à espérer.
Encore une demi-heure, peut-être, et ce garçon serait à
l'hôpital, entre les mains de ceux qui pouvaient le
sauver.
Quand elle entendit de nouveau le moteur de
l'ambulance, elle éprouva un soulagement indicible. Elle
courut ouvrir à Basin; un large sourire éclairait le visage
du chauffeur.
« Tout s'est bien passé? demanda-t-elle.
— Parfaitement. Ah! on peut dire que je l'ai semé,
votre gars! Je vais vous raconter ce que j'ai fait à
Varenne; je suis entré par la grande grille, puis je suis
passé derrière l'hôpital. Là, l'homme à la voiture noire
ne me voyait plus; il s'était arrêté à la grille. On ne
l'aurait pas laissé entrer sans lui demander ce qu'il venait
faire. Ensuite j'ai ramené Ursule devant l'hôpital, sous
les yeux de notre homme; je me suis éloigné un moment
et je suis revenu portant

72
ostensiblement le brancard vide. L'homme, qui
guettait toujours, m'a vu passer sous son nez; j'avais
relevé les rideaux pour qu'il constate qu'il n'y avait
personne dans la voiture. Il a dû penser que je vous
avais laissée à l'hôpital de Varenne avec le blessé.
— Vous êtes merveilleux, dit Armelle. Et cette fois
il ne vous a pas suivi?
- Bien sûr que non! En m'éloignant je l'ai vu dans
mon rétroviseur descendre de voiture et se diriger vers
le bureau de réception. Il voulait sans doute demander
les heures de visite!
— Et vos allées et venues n'ont étonné personne?
— Pensez-vous! Là-bas, on me connaît... Une

73
des infirmières m'a demandé si j'amenais
quelqu’un; j'ai répondu que j'avais simplement une
commission à faire. Et voilà! »
Avant de partir, Basin téléphona à la gendarmerie la
plus proche. Il déclara qu'il avait été alerté par des
témoins, mais que ceux-ci s'étaient ensuite éclipsés.
L'état du blessé l'obligeait à le mener immédiatement à
l'hôpital.
Après quoi, ils rechargèrent le jeune homme sur le
brancard, descendirent les marches du perron et
hissèrent le blessé dans l'ambulance. Armelie s'assit près
de lui, mais releva le rideau de plastique qui la séparait
du chauffeur.
« Vous ne devez pas trop comprendre pourquoi j'ai
agi ainsi, lui dit-elle. Je vous raconterai tout, dans le
détail. Mais je vous demanderai de ne rien dire à
personne, pour le moment du moins. D'ailleurs, moi-
même, je ne sais pas tout...
- Je ne suis pas bavard, mademoiselle, reprit
tranquillement Basin. Pas curieux non plus, vous le
savez bien. Si on me questionne, je dirai que je suis allé
vous chercher au Mesnil avec un blessé que vous
m'aviez signalé, et que je ne sais rien d'autre. Mais c'est
plutôt à vous qu'on posera des questions. »
La jeune fille porta les deux mains à ses joues
brûlantes.
« Je sais... Et je n'aime pas dire des mensonges.
Pourtant, si je rapporte la stricte vérité,

74
personne ne me croira. La nuit dernière, aussitôt
après votre départ, on a appelé l'ambulance. J'ai pris la
route seule...
— Pour ne pas m'exposer à un blâme! interrompit
le chauffeur.
— Je connaissais bien la route. J'ai trouvé une
voiture accidentée devant le château...
- La voiture grise? Oui, je l'ai aperçue. Le blessé
était encore dedans?
— Non : il était là où vous l'avez vu, par terre,
sans connaissance. Naturellement je voulais l'emmener
aussitôt. L'homme à la voiture noire, qui était là avec un
autre, m'en a empêchée et m'a enfermée dans la
maison...
— C'est invraisemblable! Et vous ne savez
pourquoi?
- Non, je sais seulement que cet homme veut du
mal au blessé. Vous avez vu comment il nous guettait
devant la porte? C'est pourquoi j'ai imaginé de
l'emmener clandestinement à l'hôpital. Vous trouvez que
j'ai eu tort?
— Ma foi,-non; vous lui avez peut-être
rendu un grand service, à ce garçon. Quand il pourra
parler, il racontera lui-même son histoire. Et si l'autre
lui cherche noise, on pourra s'adresser à la police. Vous
n'avez pas pensé à l'appeler, vous?
- Je n'ai trouvé le second téléphone que ce matin;
j'ai voulu aller au plus pressé, qui était d'emmener le
malade. »

75
Elle hésitait à dire que Daniel Couvreur l'avait
suppliée de ne pas alerter les gendarmes. Basin, peut-
être, ne comprendrait pas — pas plus qu'elle ne
comprenait encore elle-même la raison de cette étrange
attitude.
« Voyez-vous, dit-elle, jusqu'à ce que le blessé
puisse s'expliquer, j'aimerais mieux qu'on n'ébruite pas
cette histoire. Il n'y tient pas. »
Le chauffeur réfléchit.
« Je n'ai pas de conseil à vous donner,
mademoiselle. Mais pourquoi ne diriez-vous pas tout
simplement, puisque c'est votre jour de sortie, que vous
avez trouvé la voiture accidentée en vous promenant sur
la route? On sait que vous aimez vous promener, ça
paraîtra tout naturel.
— Je ne peux pas dire que l'accident a eu lieu
aujourd'hui alors que la blessure est plus ancienne.
— Vous n'avez besoin de rien dire du tout. Vous
avez trouvé la voiture ce matin; ça ne signifie pas
qu'elle n'était pas la depuis hier soir. Je vous assure
que si on me racontait ça, à moi, je n'irais pas chercher
midi à quatorze heures. Croyez-moi, dans la vie, moins
on parle, mieux cela vaut pour tout le monde. »
Armelle réfléchit un instant. La solution que lui
suggérait Basin avait l'avantage de donner un répit au
blessé. Quand il reprendrait sa

76
lucidité, il parlerait lui-même. Elle saurait
alors si elle avait bien fait de le protéger.
Ils arrivaient à l'hôpital. On emmena aussitôt le
blessé dans un service de chirurgie. Armelle alla remplir
les formalités au bureau. Les papiers de Daniel
Couvreur étaient en règle; son hospitalisation ne posait
aucun problème. On devait attendre qu'il revînt à lui
pour savoir s'il avait de la famille à prévenir.
Armelle monta ensuite dans le service où on avait
conduit le jeune homme. L'infirmière de garde,
Marcelle, qu'Armelle connaissait bien, lui dit qu'on était
en train de radiographier l'épaule du blessé.
« Est-ce qu'il a repris connaissance? demanda la
jeune fille.
- A moitié. Je crois qu'il délire. Mais il est bien, ce
garçon. Tu as de la chance : ce n'est pas à moi que ça
arriverai! de trouver un beau jeune homme sur la
route!»
Armelle eut un léger sourire. Elle se demandait ce
que Marcelle, qui était peureuse, aurait pensé de la nuit
au château!
« Est-ce que le docteur Leblanc l'a vu? » demanda-
t-elle.
Le docteur Leblanc était l'interne de service.
« II était en train de l'examiner quand le patron est
arrivé. Ils l'ont regardé tous les deux. Nous avons fait du
sérum à cause du choc. Le

77
patron pense qu'il s'en tirera. Le cardiogramme est
bon; on a envoyé du sang au labo. Reste à voir l'état de
l'épaule.
— La fracture m'a paru multiple. Mais
naturellement je n'y ai pas touché.
— L'ennui, c'est qu'il n'a pas été soigné tout de
suite. Il a dû passer plusieurs heures sans connaissance
dans cette voiture. C'est curieux que personne ne l'ait
vue. Elle était donc bien loin de la route?
— Sur te côté, dans les arbres.
— Il a eu de la chance que tu passes par là; il y
serait peut-être encore! »
Armelle ne répondit pas. Voulant autant que

78
possible éviter les questions précises, elle quitta
Marcelle et redescendit. Elle passait devant le bureau
quand la secrétaire l'interpella.
« Mademoiselle Armelle! La gendarmerie vient de
téléphoner pour avoir quelques renseignements
complémentaires sur l'accident. J'ai donné l'identité du
blessé... Si l'on demandait d'autres détails, ou si
quelqu'un venait...
- Basin es! au courant, répondit Armelle. Il pourra
répondre à ma place. Je ne suis pas de service,
d'ailleurs... »
Armelle remonta dans sa chambre et s'allongea sur
son lit. Elle espérait se reposer un peu, mais c'était
impossible : elle ne pouvait penser qu'à son aventure. Le
mensonge qu'elle, avait dû faire pour dissimuler les
événements de la nuit
- l'heure où elle avait découvert l'accident -lui pesait
sur la conscience. Avait-elle sauvé un innocent en
danger ou prêle la main sans le savoir à quelque
combinaison louche? Seul Daniel Couvreur pourrait lui
répondre quand il serait capable de parler.
Elle songea tout à coup que lorsqu'il reviendrait à
lui, il pouvait démentir sa version de l'affaire. Il ignorait
qu'elle avait prétendu l'avoir trouvé ce malin; si on
l'interrogeait, il risquait d'affirmer le contraire. Cela, il
fallait l'éviter à tout prix.
Quand elle redescendit dans le service, on ramenait
le blessé de la radiographie. Marcelle

79
dirigeait les brancardiers vers une chambre
située au fond du couloir.
« Le patron dit qu'il a besoin de beaucoup de calme,
expliqua-t-elle à Armelle. La chambre 14 a une double
porte, avec un tambour, de sorte qu'on n'entend pas les
bruits du couloir.
— Comment est la fracture? interrogea Armelle.
— Assez mauvaise; il y a de nombreuses
esquilles. La réduction sera difficile. Le patron voudrait
attendre pour la faire qu'il sorte de cet état comateux. »
Elle alla installer le malade dans la chambre, puis
ressortit.
« Tu veux rester un moment avec lui? demanda-t-
elle à Armelle. S'il te reconnaît, ça lui fera plaisir de te
voir. Ne le fais pas parler, surtout, c'est défendu. Mais
rassure-le s'il s'inquiète. »
Armelle s'assit près du blessé. On avait nettoyé sa
plaie, recouvert l'épaule d'un pansement provisoire.
Depuis la veille, sa barbe avait poussé, d'un brun foncé
comme ses cheveux. Peut-être à cause de cela, il
paraissait plus maigre encore. Elle éprouva un grand
mouvement de pitié.
« Si je pouvais le soigner, moi! » pensa-t-elle.
Elle cherchait le moyen d'y parvenir quand
Couvreur ouvrit les yeux. Il aperçut la jeune fille et
esquissa un faible sourire.
« Restez bien tranquille, recommanda-t-elle.

80
Ne vous inquiétez pas, on ne vous demandera rien.
J'ai dit que je vous avais trouvé ce matin sur la route,
que votre voiture avait heurté un arbre pendant la nuit. »
II murmura « Merci » et lui serra la main. La
regardait-il comme une alliée? comme une complice?
En tout cas il avait compris qu'elle ne le trahirait pas.
Dans la soirée, lorsqu'elle redescendit pour prendre
des nouvelles, Armelle demanda à Marcelle s'il serait
possible qu'elle la remplaçât auprès du blessé, les jours
suivants.
« Mais l'ambulance? objecta Marcelle.
- Paule pourrait peut-être s'en charger
pendant quelques jours. Je vais demander à Mlle
Audouard. »
Mlle Audouard, la surveillante générale de l'hôpital,
aimait beaucoup Arme-Ile. Mise au courant de
l'accident, elle trouva très romanesque la découverte du
blessé par la jeune infirmière.
« Et maintenant, vous voudriez le soigner? Je
comprends : vous avez l'impression qu'il vous appartient
un peu, n'est-ce pas? Je vais arranger cela; Paule,
comme vous savez, est toujours heureuse de prendre le
service de l'ambulance.
- C'est vraiment possible, mademoiselle?
- Mais oui, c'est entendu : demain matin vous
monterez en chirurgie. Et maintenant,

81
allez dormir : vous semblez tomber de fatigue! »
Avant de monter, Armelle voulut aller demander à Basin
si tout s'était bien passé. En apprenant que le lendemain
il ne la verrait pas, le chauffeur fit la moue.
« Allons, tant pis! Mais vous viendrez me dire
bonjour de temps en temps, n'est-ce pas? Quand votre
blessé vous en laissera le temps! » ajouta-t-il non sans
malice.
Pour toutes les infirmières, le nouveau venu était «
le blessé d'Armelle ». L'histoire de sa découverte sur la
route courait d'une salle à l'autre. Tout le monde trouvait
naturel qu'elle s'intéressât particulièrement à lui. Mais
personne ne se doutait de l'angoisse avec laquelle elle
attendait l'explication qui soulagerait enfin sa
conscience.

82
VI

« C’'EST DÉCIDÉ, Armelle, nous opérons cet après-


midi à quatre heures. »
Leblanc, l'interne, avait bien remarqué, lui aussi,
que la jeune infirmière s'intéressait au blessé. Aussi, à
peine la décision prise par le patron, venait-il l'en avertir
avant même de lui donner ses ordres pour la journée,
comme il le faisait chaque matin après la visite.
Il avait failli retarder l'intervention : le patron
voulait être sûr que le malade était en état de la
supporter. On avait fait deux transfusions,

83
puis des examens de laboratoire. Daniel Couvreur
avait repris ses forces. Mais l'intervention serait longue
et délicate.
« La fracture est multiple, expliqua Leblanc à
Armelle. Dans l'intervalle, des déplacements se sont
produits. Et le patron tient à fignoler le travail : on veut
vous le rendre au complet, votre protégé! »
La jeune infirmière, elle, n'en pouvait plus. Daniel
Couvreur reprenait ses forces, mais il restait
obstinément silencieux. Comme on lui administrait de
nombreux sédatifs, on pensait que son silence était dû à
l'effet des drogues. Armelle venait le voir aussi souvent
que son temps libre le lui permettait. Lorsqu'elle lui
demandait comment il se sentait, il se contentait de
sourire. Quand elle circulait dans la chambre, il ne la
quittait pas des yeux, mais ne semblait pas éprouver le
désir de lui parler davantage.
Armelle, de son côté, n'osait pas lui poser de
questions. On n'interroge pas un malade. Mais elle ne
pouvait s'empêcher de penser constamment à la nuit du
Mesnil. Dès que son esprit n'était pas absorbé par une
tâche immédiate, elle revivait les détails de
l'extraordinaire aventure, butant sans cesse contre ce
mystère qu'il était seul à pouvoir éclaircir.
Pourquoi ne parlait-il pas? Au château, il avait
semblé lui faire confiance; elle avait

84
prouvé qu'elle le méritait. Comment ne comprenait-
il pas qu'elle avait besoin d'être sûre — sûre au moins
d'avoir sauvé un innocent?
Quand elle lui annonça que l'opération aurait lieu
dans l'après-midi, il parut satisfait.
« Est-ce qu'après je pourrai me servir de mon bras?
» demanda-t-il.
Elle lui sourit.
« Le patron a très bon espoir. L'intervention ne sera
pas facile, mais c'est un as! Vous ne pouviez pas vous
trouver en meilleures mains.
- Et ensuite? je pourrai repartir vite? » Cette
question la froissa un peu : il avait
donc tellement hâte de quitter l'hôpital?
« Ce ne sera pas long, je vous le promets »,
répondit-elle en s'efforçant de paraître indifférente.
Mais elle le quitta un peu déçue : cette fois encore,
il n'avait rien dit.
Leblanc lui donna ses instructions préopératoires,
qu'elle nota avec soin.
« Est-ce qu'il aura besoin d'une garde de nuit après
l'intervention?
- Je ne pense pas. Le service est relativement
calme; l'infirmière de garde suffira. C'est Marcelle, je
crois?
- Oui, elle prend ma relève à huit heures. » Elle
acheva son travail du matin, puis descendit au
réfectoire tandis que la seconde infirmière de l'étage

85
prenait eu charge les deux services. Le déjeuner
fini, elle avait encore un quart d'heure devant elle avant
de reprendre son poste. Tandis que les autres
bavardaient, elle décida d'aller passer un moment avec
Basin. Le garage de l'ambulance donnait dans une petite
rue, sur le flanc du bâtiment principal. Au lieu de s'y
rendre par le passage qui traversait le sous-sol, elle fit le
tour par l'extérieur afin de prendre un peu l'air.
« Vous venez voir Ursule, mademoiselle? Elle
s'ennuie de vous, vous savez.
— Ursule et vous, naturellement! Vous allez bien
tous les deux?
Comme vous voyez. »
Armelle tapota amicalement le capot de la voiture.
Paule, que ces enfantillages agaçaient, haussa les
épaules.
« Vous venez, Basin? Il est temps de partir.
— Vous allez loin? interrogea Armelle.
— A la maison de convalescence d'Ailly; c'est un
joli parcours. Vous ne regrettez pas de ne plus sortir
avec nous, mademoiselle Armelle? »
La jeune fille avoua que si : c'était le genre de
travail qu'elle préférait.
« Bon, vous reviendrez quand votre blessé sera
guéri. Comment va-t-il? Il ne m'a jamais vu, mais
donnez-lui le bonjour de ma part tout de même! »
L'ambulance sortit du garage et tourna

86
l'angle de l'hôpital pour aller se ranger dans la
grande cour. Armelle la suivit de loin; au moment où
elle débouchait de la petite rue, elle aperçut une voiture
noire qui faisait lentement le tour de la place. Elle
frissonna.
« Je suis trop bête! se reprocha-t-elle. Si je dois
avoir peur toutes les fois que je verrai une voiture noire,
je n'ai pas fini de trembler! »
La glace relevée, reflétant les rayons du soleil,
empêchait de distinguer le conducteur. Mais quand la
voiture fut passée, Armelle, presque malgré elle, regarda
le numéro. Cette fois elle sursauta.
2326 HC 75!
La voiture était déjà loin. Armelle restait comme
pétrifiée au bord du trottoir, suivant des yeux la forme
noire qui disparaissait dans une rue de traverse.
L'ambulance ressortit de la cour et passa devant
elle. Basin lui fit de la main un signe amical, auquel elle
répondit machinalement.
La voiture noire du château! Et dedans, sans doute,
le frisé — ce Roger que Daniel Couvreur, elle ne savait
pourquoi, redoutait si fort...
Elle essaya de se rassurer en se disant que la voiture
noire passait peut-être là par hasard. Mais elle n'y
croyait pas. La vérité était sans doute plus simple :
trompé par le stratagème de Basin, Roger avait cherché
Couvreur au centre hospitalier de Varenne; ne l'y
trouvant

87
pas, il avait aussitôt songé que le blessé pouvait être
à l'hôpital d'où venait l'ambulance — celui de
Grandlieu.
Armelle monta reprendre son travail. Mais son
esprit était ailleurs. A l'extrémité du service de chirurgie,
une fenêtre donnait sur la place. Chaque fois que la
jeune fille avait un moment de répit, au lieu de rester
dans la chambre de garde, elle courait à cette fenêtre et
scrutait des yeux les alentours.
Tout d'abord, elle ne remarqua rien. Mais au bout
d'une heure environ, elle vit reparaître une voiture noire
semblable à la première. De l'endroit où elle se trouvait,
elle ne distinguait

88
pas le numéro. La voiture s'arrêta de l'autre côté de
la place : un individu qu'elle ne connaissait pas en
descendit et se dirigea vers l'hôpital. Quelques minutes
plus tard, il ressortit et regagna la voiture, qui s'éloigna.
« II faut que je sache ce qu'il est venu faire! » se dit
la jeune fille.
Impossible de descendre pour le moment : elle
devait préparer Daniel Couvreur pour l'intervention.
Elle avait une injection à lui faire dès maintenant, une
autre dans une demi-heure. Leblanc était déjà là : avant
d'assister le patron pour la fracture, il devait faire seul
une appendicectomie. En se rendant à la salle
d'opération, il passa devant la chambre de garde où
Armelle rangeait ses instruments.
« II va bien, notre épaule? Il est calme?
Très calme. J'ai fait la première injection, j'attends
l'arrivée du patron pour faire l'autre. - Parfait. »
Une demi-heure plus tard, elle entrait dans la
chambre du blessé. Il la regarda s'approcher avec la
seringue.
« Alors, c'est pour maintenant? »
Elle fit signe que oui.
« Quand on vous ramènera, tout à l'heure, tous vos
os seront à leur place.
— Merveilleux! Et maintenant, que demandez-
vous? Mon bras ou ma jambe?
— La jambe, cette fois. Là, c'est fini!

89
- Je n'ai rien senti, déclara-t-il tandis qu'elle
rabattait les couvertures.
- Je l'espère bien! Sans cela, je serais une
mauvaise infirmière!
Merci... », murmura-t-il très bas. Elle affecta de
plaisanter. « Mais je ne fais que mon métier!
- Je veux dire : merci... pour tout... »
Un instant elle crut qu'il allait parler : il eût suffi de
si peu pour qu'elle eût l'esprit tranquille !
Mais déjà l'injection faisait son effet; les yeux du
jeune homme se fermaient, sa main se détendait sur le
drap. La porte s'ouvrit : un brancardier, poussant un
chariot, entra dans la chambre.
« II dort déjà, je vois! Aidez-moi à le faire glisser,
mademoiselle Armelle. »
Elle obéit, puis regarda le chariot s'éloigner. Son
cœur battait plus vite qu'elle ne l'aurait voulu : mieux
que personne, elle connaissait la valeur des chirurgiens
de Grandlieu; cependant une intervention importante,
surtout après un choc, représente toujours un danger...
Elle dut accomplir ses tâches de chaque jour,
prendre les températures, rectifier un pansement,
distribuer les médicaments. Puis elle revint préparer la
chambre de l'opéré : les alèzes bien tirées, les bouillottes
à la température voulue. Ces gestes, qu'elle avait faits
cent

90
fois, lui semblaient aujourd'hui plus importants que
de coutume.
Quand la chambre fut prête, elle songea à accomplir
l'autre tâche qu'elle s'était assignée. Elle descendit
vivement à la conciergerie; le portier, qui la connaissait
bien, lui sourit.
« Vous voulez quelque chose, mademoiselle? - Oh!
un simple renseignement... J'ai dans mon service un
blessé qui s'appelle Daniel Couvreur; il est en ce
moment sur la table d'opération. Je voudrais savoir si
personne n'est venu le demander.
— Je comprends, il attend sans doute une
visite de sa famille... Laissez-moi voir... attendez. Oui, il
est venu tout à l'heure un monsieur qui m'a demandé si
nous avions ce nom-là à l'hôpital. Je lui ai dit de
s'adresser au bureau des entrées; là, on a dû lui dire que
son monsieur Couvreur était bien ici.
— Il n'a pas demandé à le voir?
— Je n'en sais rien; je peux seulement vous
affirmer qu'il n'est pas monté. On lui a probablement dit
que ce n'était pas l'heure des visites. Vous pourrez
demander à Mlle Berthe demain matin; elle vient de
partir; c'est elle qui lui a répondu.
— Je vous remercie », dit Armelle.
Ainsi les ennemis de Daniel Couvreur continuaient
à le poursuivre! Ils savaient maintenant où il se trouvait.
Que l'un d'eux demandât à le voir, comment pourrait-
elle s'y opposer?

91
« En tout cas, se promit-elle, si un visiteur se
présente demain, je ne le laisserai pas approcher. Un
opéré de la veille est encore trop faible. A en juger par
sa réaction au château, la vue de ce Roger pourrait le
tuer! Je remettrai la visite à plusieurs jours; d'ici là nous
nous serons expliqués... »
Elle remonta dans son service. L'intervention lui
parut interminable. Enfin elle entendit les roues
caoutchoutées du chariot rouler sur le linoléum du
couloir. Elle se précipita. Leblanc escortait l'opéré.
« Ça s'est bien passé? interrogea-t-elle.
Très bien. Le patron a fait un véritable travail
d'horloger! Le jour où je serai capable d'opérer comme
lui... »
Armelle aida à coucher le malade, le couvrit, essuya
son visage humide de sueur. 11 semblait si faible qu'en
passant la main sur son front, elle avait l'impression de
lui communiquer un peu de sa propre force.
Un moment plus tard, Mlle Audouard fit sa ronde.
Elle appela Armelle dans le couloir.
« Vous êtes épuisée, mon petit. Il faut vous coucher
de bonne heure.
- Je vous assure, mademoiselle...
- C'est un ordre! interrompit la surveillante.
Marcelle est de garde cette nuit; dès qu'elle
arrivera, dînez légèrement — et au lit! »

92
A huit heures du soir, quand Marcelle vint prendre
sa garde, Daniel Couvreur donnait paisiblement. Avant
de se rendre dans la salle à manger, Armelle passa voir
si Odette, la seconde infirmière de l'étage, était prèle à
descendre avec elle. Mais, voyant de loin qu'on était en
train d'amener un nouveau malade, elle s'éloigna sans
attendre Odette.
Un quart d'heure plus tard, celle-ci arrivait au
réfectoire à son tour.
« Tu as une urgence, à ce que j'ai vu, lui dit
Armelle.
- Oui, un jeune homme.

93
- C'est l'ambulance qui l'a amené?
Non, un ami l'a accompagné en taxi. Il est tombé
dans un escalier et dit qu'il souffre beaucoup de la jambe
et de la colonne vertébrale. Leblanc l'a examiné et n'a
rien trouvé; on le radiographiera demain matin, et le
patron le verra.
— C'est un drôle d'accident pour un jeune homme,
remarqua une des infirmières. En général ce sont les
vieilles dames qui dégringolent dans leur escalier! Il
avait peut-être abusé un peu du whisky?
— Je ne sais pas; il n'a pas l'air d'avoir bu.
- Comment est-il? interrogea une autre.
— Assez jeune, avec une figure ronde, des
cheveux blonds frisés comme une poupée...
— Des cheveux blonds frisés!
- Ça a l'air de t'étonner, Armelle — pourquoi?
- Pour rien; je pensais à quelqu'un que j'ai
connu...»
Elles sortirent du réfectoire. Malgré les ordres de la
surveillante, Armelle ne monta pas immédiatement à
l'étage supérieur où logeaient les infirmières. En la
voyant s'arrêter nu premier, Marcelle s'étonna :
« Tu reviens dans le service? Tu as oublié quelque
chose?
- Je venais voir comment va mon opéré. Tu as peur
que je ne le soigne pas bien? taquina sa camarade.
- Marcelle ! tu sais bien que non !

94
Tu n'as qu'à jeter un coup d'œil dans la chambre : il
dort comme un chérubin! »
Mais ce n'était pas Daniel Couvreur que voulait
voir Armelle. Elle avait constaté, avant de descendre,
qu'on installait le nouvel arrivant dans la chambre 11,
l'avant-dernière du couloir. Plus loin, il y avait une autre
chambre, puis un petit corridor transversal et enfin, tout
au fond, la chambre de Daniel Couvreur.
Elle se dirigea vers cette dernière, ouvrit la
première porte et resta quelques instants dans le
tambour, puis, s'étant assurée que Marcelle avait
regagné la chambre de garde, revint sur ses pas et
entrouvrit la porte du 11.
Elle ne se trompait pas : celui qui reposait dans ce
lit, c'était bien Roger, l'homme à la voiture noire. Il avait
les yeux fermés, mais la veilleuse éclairait son visage
rond, ses cheveux frisés couleur de paille.
Que faisait-il ici? Armelle ne croyait ni à sa chute
ni à ses prétendues douleurs. L'interne de garde au
service des urgences ne lui avait rien trouvé
naturellement, puisqu'il
n'avait rien! Mais, prudent, il l'avait fait hospitaliser
jusqu'à la consultation du lendemain. En réalité,
l'homme jouait cette comédie pour se rapprocher de
Couvreur et tenter d'arriver jusqu'à lui.
La première pensée d'Armelle fut de prévenir
Marcelle. Mais que pouvait-elle lui dire?

95
Que le malade du 11 était un simulateur? «
Comment le sais-tu? » demanderait Marcelle. D'ailleurs,
un simulateur, on peut en rire, mais il ne représente pas
forcément un danger. Comment avertir Marcelle, à
moins de raconter toute l'histoire?
Armelle remarqua alors le petit corridor qui, après
les chambres 11 et 15, traversait le bâtiment dans toute
sa largeur. A chaque extrémité il y avait une. fenêtre,
celle de gauche donnant sur la ruelle où se trouvait le
garage de l'ambulance, celle de droite sur la cour de
l'hôpital. Avant cette dernière fenêtre se trouvait une
grande armoire qui servait de débarras, et derrière
laquelle, une personne pouvait facilement se dissimuler.
La jeune fille décida de profiter de cette disposition
des lieux pour rester dans te service sans être vue de
Marcelle. S'il ne se passait rien d'anormal, elle
remonterait avant la relève du matin et viendrait prendre
son service comme à l'accoutumée. Ce serait dur, mais
elle ne voyait pas d'autre moyen de déceler les
intentions de Roger.
Après avoir jeté une cape sur ses épaules, Armelle
se glissa derrière le placard, s'appuya contre le mur et
attendit. La surveillante avait vu juste : la jeune fille
était très lasse -- mais elle n'avait pas sommeil : tous les
sens en éveil, elle épiait de loin la porte de la chambre
11.

96
En avançant la tête, elle voyait Marcelle aller et
venir au fond du couloir.
Une heure s'écoula, puis deux, puis trois. La
pendule qui ornait la façade de l'hôpital sonna lentement
douze coups. Dans le couloir, la lumière fut mise en
veilleuse. Armel le entendit le pas léger de Marcelle se
diriger vers la chambre de garde; sans don le allait-elle
prendre son tricot comme elle le faisait généralement
pour éviter de s'endormir.
Un moment plus tard, Armel le sursauta : elle
croyait avoir vu le battant de la porte s'entrouvrir
lentement. Etait-ce une illusion? mais non : la porte
s'ouvrit, le frisé, tout habillé, se glissa dans le couloir. Sa
démarche était absolument normale : il ne boitait même
pas. Sa prétendue chu le n'était qu'un prétexte pour se
faire hospitaliser : il voulait voir Daniel Couvreur, el le
voir sans témoin.
L'individu qui était venu s'informer l'après-midi
avait dû demander le numéro de la chambre du malade,
car le simulateur regardait avec attention les chiffres
inscrits sur les portes, hochait la tête el poursuivait son
chemin.
Armelle avança un peu la tête. Une odeur bien
connue la fit sursauter : du chloroforme! Le relent était
faible : Roger portait sans doute un flacon dans sa poche
pour imbiber au dernier moment un tampon qu'il
appliquerait sur le visage de Couvreur.

97
Il s'avança vers la chambre 14. Armelle frémit.
Mais, chose étrange, après en avoir vérifié le numéro, il
ne chercha pas aussitôt à entrer; il enfila le petit corridor
vers la gauche et ouvrit la fenêtre sans bruit. Quelques
instants plus tard, il revenait vers le 14, une cordelette à
la main.
La pensée du chloroforme avait terrifié Armelle. Si
Roger, surpris par elle, lui collait le tampon sur la
bouche, elle ne pourrait plus rien pour s'opposer à ses
desseins. Il fallait se protéger —- mais comment? Elle
pensa tout à coup aux masques de toile des chirurgiens
qu'après usage on jetait parfois dans le placard avant de
les reprendre pour les laver et

98
les stériliser à nouveau. Elle attendit que le frisé eût
ouvert la première porte du 14, sortit de sa cachette,
chercha un masque à tâtons et le colla sur son visage.
En se retournant, elle aperçut devant elle la fenêtre
du corridor toujours ouverte. Une ombre massive se
profilait sur la demi-obscurité de la ruelle.
Jo!
Tout s'éclaira brusquement : le complice avait arrêté
la voiture dans la ruelle el grimpé par une échelle
jusqu'à la fenêtre que venait de lui ouvrir Roger. Une
fois Couvreur endormi, ligoté, le colosse l'emporterait
sans effort.
Armelle, à elle seule, était incapable de s'opposer
aux deux hommes. Donner l'éveil, c'était provoquer
chez l'opéré un choc qui pouvait être fatal. Presque sans
réfléchir, la jeune fille s'avança vers la fenêtre ouverte.
« C'est toi, Roger? » demanda une voix étouffée.
Elle comprit que si elle le distinguait, elle, il ne
voyait, lui, qu'une silhouette. La grosse armoire
masquait la lueur de la veilleuse lointaine, et la cape
sombre cachait la blancheur de son uniforme. Elle se
pencha et chuchota :
« Attention! on vient!... C'est raté pour ce soir !
- Mais toi?
- Vite! Il faut filer!... »

99
Il commença à descendre pesamment à reculons.

100
Elle ne sut trop si le géant la prenait pour Roger.
Mais, devant l'accent autoritaire, il obéit et commença à
descendre pesamment, à reculons. Sans attendre
davantage, Armelle courut vers la chambre 14.
Le frisé s'était sans doute arrêté un moment dans le
tambour pour s'assurer que Couvreur était endormi. Il
venait d'ouvrir la seconde porte et s'avançait à pas
feutrés vers le lit. De la main gauche il tenait la
cordelette, de la droite il cherchait le chloroforme dans
sa poche.
Tout à coup il se retourna et aperçut Armelle
masquée, debout devant lui. Il eut d'abord un geste
d'effroi, puis il se ressaisit, déboucha vivement son
flacon et s'avança en brandissant le tampon. A travers le
masque, Armelle sentit l'odeur douceâtre du
chloroforme, mais trop faible pour en éprouver l'effet.
Face à face, les deux ennemis se mesuraient. Tout à
coup Armelle eut une inspiration subite. Sa lampe
électrique était dans sa poche; elle y porta la main et à
travers la toile dirigea l'extrémité de l'objet vers le
bandit.
« N'avancez pas ou je tire! » chuchota-t-elle. . Il
laissa tomber son flacon, qui se brisa sur le sol. Puis il
leva les mains et recula; elle le suivit, le menaçant
toujours de son arme imaginaire. Une fois sorti de la
chambre, il courut à la fenêtre et poussa un juron
étouffé. On entendait au loin le bruit d'un moteur qui
s'éloignait.

101
Roger hésita un instant, puis, enjambant vivement
la barre d'appui, se laissa pendre par les bras et sauta
dans la ruelle.
Armelle allait refermer la croisée derrière lui. Puis
elle se ravisa et la laissa ouverte.
Elle prit un linge dans le placard, rentra dans la
chambre et fit disparaître les débris du flacon. Ensuite
elle ouvrit la fenêtre pour faire évaporer l'odeur du
chloroforme. Sous l'effet de l'air frais, l'opéré fit un
léger mouvement.
« Tout va bien, dormez », murmura-t-elle.
Il n'avait même pas ouvert les yeux. Mais il
prononça un mot du bout des lèvres. Elle se redressa
brusquement : elle croyait avoir reconnu son nom :
Armelle.
Quelques minutes plus tard, elle regagnait le
couloir et se dirigeait vers l'escalier à pas de loup.
Arrivée à l'étage supérieur, elle entendit en bas le bruit
d'un fauteuil qu'on repousse.
Marcelle se préparait à faire sa ronde. Elle entra
dans une ou deux chambres, puis se dirigea vers le fond
du couloir. Là, sentant un courant d'air, elle s'avança
vers la fenêtre et constata qu'elle était ouverte.
« C'est curieux, pensa-t-elle, je pensais bien l'avoir
fermée. Il faut que la crémone soit abîmée. Je le
signalerai à la direction. »

102
En entrant dans la chambre 14, elle remarqua
aussitôt l'odeur de chloroforme.
« Est-ce que je rêve? On n'endort plus au
chloroforme aujourd'hui. Mais cela vient-il de la
chambre? Il me semble que dans le corridor aussi... »
Elle s'approcha du placard et l'ouvrit. Le masque et
le linge rangés à la hâte par Armelle se trouvaient sur le
devant.
« C'est cela! songea Marcelle. Les chirurgiens se
sont encore amusés à faire je ne sais quelles
expériences. Il faut que je demande à Mlle Audouard de
mettre le linge sale plus loin. »
Le 14 donnait paisiblement. « II ne s'éveillera pas
avant le matin », se dit-elle.
Elle se rendit alors au 11. Un instant plus tard, elle
retint un cri.
La chambre 11 était vide.

103
VII

‘Eh bien, demanda Leblanc, comment vous sentez-


vous aujourd'hui? » Daniel Couvreur était assis dans
son lit, le buste soulevé par des oreillers. Son visage
rasé de frais semblait moins maigre. Seuls l'épaule et le
bras plâtré témoignaient de son récent accident.
« Je vais très bien, docteur, dit-il. Si je paresse
encore au lit, c'est seulement pour reprendre plus vite
mes forces. »
Leblanc se mit à rire.
« Vous ne tenez pas à vous attarder parmi

104
nous, il me semble! Justement, j'en parlais ce matin
avec le patron. Il ne voit pas d'inconvénient à ce que
vous quittiez l'hôpital si vous le désirez. Vous pouvez
rentrer chez vous et vous y reposer quelques semaines.
Il faudra seulement revenir vous faire enlever votre
plâtre; un peu de rééducation et tout ira bien. - C'est
vrai? je peux partir?
— Je crois qu'on vous regrettera, dit l'interne. Je
vais prévenir le bureau que les médecins vous donnent
le feu vert; on pourra préparer vos papiers de sortie. »
Pour Armelle, les quelques jours qui s'étaient
écoulés depuis le passage de Roger à l'hôpital avaient
été un véritable supplice. La découverte de l'évasion
n'avait pas fait beaucoup de bruit : on était persuadé
qu'on avait eu affaire à un fou. Armelle seule savait qu'il
n'en était rien. Elle avait attendu avec angoisse que
Daniel Couvreur lui donnât la clef du mystère. Le
lendemain de l'opération, il était encore trop faible pour
s'expliquer. Quand elle était passée le voir, il avait
murmuré :
« J'ai fait un rêve, cette nuit. Il me semblait que
vous étiez à côté de moi. Je me sentais si bien, si
bien...»
Elle avait rougi, se souvenant de l'avoir entendu
prononcer son nom.
Les jours suivants, elle n'avait rien dit : elle
attendait qu'il parlât le premier. Mais on avait

105
l'impression que pour lui la nuit du château n'avait
pas existé, qu'il était un opéré comme les autres.
Un jour, pourtant, elle décida de lui parler de Roger.
Il devait savoir au moins que l'individu rôdait encore
dans les parages. A ce propos, il finirait peut-être par
s'expliquer.
Mais ce jour-là, comme chaque matin, elle lui
apporta un journal; elle remarqua que le bas de la page
était consacré à un article sur la polamide. En reprenant
le journal pour le prêter à un autre malade, elle constata
qu'une partie de la feuille était arrachée.
« C'est vous qui avez fait cela? demanda-t-elle un
peu surprise. Vous vous intéressez particulièrement à la
polamide? »
II répondit qu'il avait déchiré le journal par
inadvertance et proposa d'en faire acheter un autre par
l'infirmier. Mais le soir il refit de la fièvre. Elle se
félicita alors de n'avoir rien dit. S'il s'émouvait ainsi
pour un incident insignifiant, comment réagirait-il
devant une explication plus grave?
A l'hôpital, tout le monde aimait Daniel. Mais les
autres ne savaient pas ce qu'elle savait, elle. Ce silence
lui pesait de façon intolérable. Ses camarades
remarquaient qu'elle ne mangeait presque plus, que la
nuit on voyait de la lumière filtrer sous sa porte. Mlle
Audouard, la surveillante, lui en avait fait le reproche :

106
« Le premier devoir d'une infirmière est de
conserver ses propres forces. Si vous ne vous sentez pas
bien, faites-vous examiner par Leblanc : c'est un garçon
sérieux. »
Le docteur Leblanc lui-même semblait s'inquiéter
de son état.
« Quand partez-vous en vacances, Armelle?
- A la fin du mois, probablement.
— Il vous faudrait un vrai changement d'air. Vous
allez dans votre famille?
— Non : mes parents ne quittent pas Paris cet été
et ils trouvent que j'ai besoin de la campagne.
— Ils ont raison. Si vous pouvez choisir, je vous
conseillerais la montagne. Vous n'êtes pas de ces
fanatiques qui tiennent à la Côte d'Azur? »
Elle ne tenait à rien : la perspective des vacances ne
lui faisait aucun plaisir. Leblanc insista :
« Demandez conseil à votre blessé; en voilà un qui
a hâte de se remettre ! Vous savez que le patron
l'autorise à quitter l'hôpital?
- Avec son plâtre?
— Oui, il n'a pas besoin de soins pour le
moment. Après, il faudra une rééducation. Mais il
recouvrera entièrement l'usage de son bras; c'est une
chance. »
Armelle ne répondit pas. Daniel Couvreur partait! A
moins qu'il ne prît l'initiative d'une explication, elle
ignorerait toujours si elle avait

107
secouru un innocent ou empêché la justice de
s'emparer d'un coupable. S'il avait un peu d'amitié pour
elle — comme son attitude aurait permis de le supposer
— ne comprenait-il pas qu'en quelques mots il pouvait
lui rendre la paix?
Elle ne fil pas allusion à son départ imminent - lui
non plus. Le jour venu, par la fenêtre de l'étage des
infirmières, elle le vit, soutenant de la main l'écharpe de
son bras plâtré, franchir le seuil de l'hôpital et monter
dans un taxi.
« C'est fini », pensa-t-elle. Elle se sentait
atrocement seule, il lui semblait que les événements
récents avaient fait dans sa vie une grande déchirure,
que rien ne pourrait réparer.
Elle se demanda si elle aurait le courage de
descendre au réfectoire. On l'interrogerait sur la santé de
« son » blessé; si elle disait qu'il était parti sans un mot
d'adieu, que penseraient les autres?
Elle se raidit pour entrer dans la salle. A son grand
soulagement, elle trouva ses camarades au milieu d'une
conversation animée. Le matin même, on avait amené
en médecine une nouvelle victime de la polamide : une
jeune fille d'une vingtaine d'années. « Le cas est grave?
— On ne sait pas encore. Toujours les mêmes

108
symptômes : convulsions, troubles de la vue. Nous
avons fait un lavage d'estomac, mais c'était déjà tard.
- Pourquoi avait-elle pris de la polamide?
- Elle est étudiante, elle préparait un examen.
Comme elle se sentait souvent fatiguée, une amie lui
a passé les comprimés en lui disant qu'elle-même
s'en était bien trouvée.
- Elle n'a pas donné le nom de cette amie?
- Bien sûr que non; elle ne veut pas lui attirer des
ennuis.
— Si personne ne veut rien dire, remarqua une
infirmière, je me demande comment on arrivera jamais
à arrêter ce trafic.

109
Tu dénoncerais une amie, toi?
— Je ne crois pas. Et pourtant, s'il le fallait pour
sauver d'autres personnes...
- Je suis sûre que tu ne le ferais pas! »
Une vive discussion s'engagea. Personne ne pensait
plus au blessé d'Armelle. La jeune fille plia sa serviette
et remonta dans son service. La chambre de Daniel
Couvreur était vide; deux femmes de service étaient en
train de refaire le lit.
Un moment plus tard, Mlle Audouard passa dans le
couloir. Elle regarda Armelle et hocha la tête.
« Vous n'êtes pas bien du tout. Je crois que le grand
air vous manque. Peut-être feriez-vous mieux de
reprendre le service de l'ambulance? »
Mlle Audouard avait-elle deviné son désarroi? En
tout cas, le remède qu'elle proposait était probablement
le meilleur. Revoir Basin et Ursule, pour Armelle c'était
un peu retrouver sa famille.
« Ce serait possible?
- Bien sûr. Votre déplacement a toujours été
considéré comme provisoire. J'ai l'impression que Paule,
elle, regrette un peu sa salle. Il y a un transport à cinq
heures : une vieille dame qu'on va chercher à Mantes.
Voulez-vous vous en charger? »
Elle s'éloigna; Armelle la suivi! d'un regard
reconnaissant. Un moment plus tard, elle révélait son

110
uniforme d'extérieur et descendait au garage. La
joie du chauffeur lui fit du bien.
« Alors nous voici de nouveau tous les trois? Vous
me manquiez beaucoup, mademoiselle Armelle. Mlle
Paule est bien gentille, mais... Je crois qu'Ursule vous
regrettait aussi, ajouta-t-il en souriant. Depuis votre
départ, elle a changé de caractère : elle me faisait de ces
caprices... »
Armelle ne put s'empêcher de sourire aussi. Elle
vérifia que tout était prêt et monta sur le siège près de
Basin.
Il y eut deux transports dans la soirée. Le second
cas était une jeune femme qui venait de s'asphyxier avec
son radiateur à gaz; le médecin, appelé, avait alerté
l'hôpital. Celle-là demanda des soins tout le long du
trajet; il fallut donner de l'oxygène et faire une injection
pour soutenir le cœur.
Quand Armelle arriva au réfectoire, le dîner des
infirmières était presque fini. Elle demanda des
nouvelles de la jeune tille à la polamide. On lui dit que
l'état était encore critique, mais qu'on espérait la sauver.
« Et ton blessé? il continue à aller mieux? »
D'une voix qui ne tremblait pas, Armelle répondit
qu'il était parti le matin même, avec son plâtre. Il
reviendrait dans trois semaines le faire enlever.
« Ça m'étonnerait que d'ici là tu n'aies pas des
nouvelles! » fît Marcelle en riant.

111
Armelle ne répondit pas. Les forces hum aines ont
des limites.
Quelques jours plus tard, à l'heure du déjeuner, elle
trouva ses camarades penchées sur le journal que l'une
d'elles étalait à bout de bras. La nouvelle qu'elles
venaient de découvrir devait être d'importance, à en
juger par leurs exclamations.
« Enfin, j'espère que celle fois-ci on va mettre la
main sur eux !
— Ce ne sérail pas trop loi!
— Je voudrais qu'on leur donne au moins
vingt ans de prison, moi!
— Pas si vite : n'oublie pas qu'on ne les tient pas
encore!
— Mais puisqu'on en a identifié un, la police saura
bien les retrouver... »
Armelle, curieuse, s'approcha à son tour. La
première page du journal portail un gros litre :

DU NOUVEAU SUR LA POLAM1DE

Elle s'avança pour lire l'article, qui l'intéressait


aussi. Mais avant d'en avoir lu une ligne, elle recula
vivement, comme frappée de stupeur. Au milieu de la
page il y avait une photo — une mauvaise photo, mal
tirée, comme celles que donnent les quotidiens.
Suffisante pourtant pour que le doute ne fût pas
possible:

112
« Le frisé! Roger! »
La main d'Armelle tremblait si fort que Marcelle,
qui tenait le journal le remarqua.
« Qu'as-tu donc, Armelle? Tu ne te sens pas bien?
- Je suis fatiguée; j'ai dû aider au brancardage...
— Ah! c'est pour ça que ta main tremble-Tiens, lis,
c'est formidable! »
L'article rapportait que la police, après de
nombreuses investigations au sujet de la polamide, avait
fini par découvrir que le dangereux médicament était
introduit en France par une bande de malfaiteurs. On
ignorait encore par quelle voie cette bande faisait entrer
la polamide. Mais on pensait avoir identifié un des
criminels, un certain Merlet, plus connu sous son
prénom de Roger. La photo publiée provenait d'une
fiche que possédait la police; l'homme avait déjà été
condamné pour vol avec effraction.
« Vous ne savez pas? dit tout à coup Marcelle, je
trouve qu'il ressemble à notre fou de l'autre nuit!
- Celui qui disait être tombé dans un escalier et qui
s'est sauvé par la fenêtre?
- Oui. Si c'était lui, tout de même? » Les autres se
moquèrent d'elle.
« Tu n'y penses pas! Le tien était fou — ce Merlet
ne l'est pas, crois-moi. D'abord, sur les photos de presse,
on ne peut rien voir.

113
- C'est vrai : une fois on a photographié ma sœur
parce qu'elle avait gagné un prix dans un concours. Eh
bien, mes parents, quand ils ont vu le journal, ne l'ont
même pas reconnue! »
La conversation dévia. Seule, Armelle restait
bouleversée. Quand elle se demandait pourquoi Daniel
Couvreur redoutai! la police, quand elle craignait qu'il
n'eût pas la conscience tout à fait tranquille jamais, au
grand jamais, elle n'avait soupçonné une chose pareille!
Introduire de la polamide en France, c'était pire que de
tuer sous le coup de la colère ou de la jalousie : c'était
exposer sciemment, par pur intérêt, des innocents à la
mort.
Quels pouvaient être les liens entre Daniel
Couvreur et ce Roger? Si Armelle ne résolvait pas ce
problème, elle sentait qu'il la tourmenterait longtemps.

114
VIII

LE LENDEMAIN, Armelle osait à peine descendre au


garage. Basin, lui aussi, avait pu lire le journal et
reconnaître le frisé. Il l'avait aperçu la nuit du château,
guettant dans sa voiture noire. Plus tard, il l'avait revu à
la sortie de l'hôpital de Varenne où il avait feint de
conduire le blessé. Heureusement la photo du journal,
certes, était mauvaise, et Basin n'avait vu Roger que de
loin.
Armelle se demandait si le chauffeur allait lui parler
de l'affaire. Mais il se contenta de la regarder d'un air
apitoyé.

115
« Vous avez bien mauvaise mine, mademoiselle.
Heureusement, voici bientôt les vacances... »
Elle pouvait avoir mauvaise mine, n'ayant pas
fermé l'œil de la nuit...
Basin lui dit qu'ils avaient un malade à transporter :
un blessé de la jambe, qu'on emmenait dans une clinique
spécialisée de Paris. Pendant le trajet, Armelle resta à
côté du jeune homme et lui parla, mais sa pensée était
ailleurs. Au retour, comme toujours quand l'ambulance
était vide, elle s'assit près de Basin.
« II ne fait pas beau, dit celui-ci. La météo, hier
soir, annonçait de l'orage.
Vous avez lu cela dans les journaux? - Ma foi,
non : je n'achète pas le journal. Maintenant qu'on a la
radio, pour quoi faire? »
Ainsi Basin n'avait pas vu la photo! Cela éviterait
bien des questions embarrassantes.
Le chauffeur, lancé sur le sujet des émissions de
radio, ne s'arrêta plus. Il raconta à Armelle l'histoire d'un
hold-up spectaculaire qui venait d'avoir lieu dans la
banlieue parisienne. Tout à coup, Armelle l'interrompit.
« II arrive, n'est-ce pas, que des complices se
disputent entre eux? »
Basin ricana :
« C'est même ce qui se passe le plus souvent,
mademoiselle! Quand on est voleur, on l'est avec tout le
monde, même avec ses copains. On fait

116
un mauvais coup ensemble, et puis, quand il s'agit
de partager, rien ne va plus! Chacun veut avoir plus que
les autres. Quelquefois il y en a un qui file avec le
magot... »
Le cœur d'Armelle se serra.
« Vous ne connaissez pas tout ce beau monde,
heureusement pour vous, poursuivit Basin. Mais quand
on a roulé sa bosse un peu partout, comme moi... Il est
vrai qu'on dit couramment : s'entendre comme larrons
en foire. Eh bien, ceux qui vous disent ça n'ont jamais
rencontré de larrons! Ils s'entendent pour détrousser les
braves gens, ça oui, mais entre eux ils sont pires que des
tigres. Ce qu'on appelle un règlement de comptes,
mademoiselle Armelle, c'est ça : les membres d'une
bande jugent que l'un d'eux n'a pas bien agi envers les
autres -alors, pan! pan! c'est le revolver qui parle... »
Le chauffeur continua :
« On se brouille, on s'entre-tue, et puis on se
raccommode et tout recommence comme avant. Le seul
point sur lequel les malfaiteurs s'entendent toujours
entre eux, c'est contre la police ! »
La jeune fille aurait voulu ne pas l'écouter. Daniel
Couvreur aussi avait peur de la police. Il faisait partie de
la bande, sans doute, puis il avait eu maille à partir avec
ses complices... Elle avait bien fait de le protéger - - tout
homme mérite qu'on le défende s'il est en danger -

117
mais en le laissant reprendre sa liberté elle
s'était faite complice de son crime.
Ils arrivaient à l'hôpital. Basin rentra l'ambulance au
garage.
« Vous ne m'avez pas félicité, dit-il. Elle est belle
aujourd'hui, notre Ursule! Je l'ai lavée, j'ai astiqué tous
ses chromes.
— Oui, dit Armelle, elle est très belle. »
En mettant pied à terre, elle flatta de la main la
grosse voiture, comme on le fait pour un cheval.
« Tu as de la chance, toi, Ursule, pensait-elle. Tu
travailles du matin au soir, mais tu n'es responsable de
rien. Si je pouvais, moi... »
Pendant le travail, heureusement, on n'avait pas le
temps de penser. L'après-midi, il y eut un transport
difficile : un vieux monsieur qu'on devait hospitaliser
d'urgence. Le malade souffrait; il était agité; au cours du
trajet il fallut lui donner de l'oxygène. Sa femme, qui
avait tenu à l'accompagner, compliquait encore la
situation par ses gémissements et ses larmes. Armelle
avait beau lui expliquer que cette crise passerait, que
son mari, sitôt arrivé à l'hôpital, recevrait tous les soins
nécessaires, la vieille dame s'obstinait à soupirer :
« C'est moi qui l'ai tué, c'est ma faute. Je n'aurais
pas dû mettre de chou-fleur dans la jardinière... Je savais
bien que c'était lourd... »
Finalement Armelle devait consacrer plus de

118
temps à la calmer qu'à soigner son mari. Elle
pensait à part elle que la tâche des infirmières serait plus
simple s'il n'y avait pas les familles, I ou jours pleines
de bonnes intentions, mais si souvent à contretemps!
Après le cardiaque, ce fut une jeune femme qui
attendait un bébé et s'était trouvée prise de malaises :
maux de tête, vomissements. Son médecin jugeait plus
prudent de la mettre en observation. Pendant le trajet,
Armelle, comme elle le faisait toujours en pareil cas,
demanda à la malade :
« Vous ne voyez pas quelle peut être la cause de ces
malaises?
- Non, je ne comprends pas, j'ai mené ma vie de
tous les jours.
- Vous n'aviez pris aucun médicament? » Elle
venait de penser à la polamide. Nausées,
douleurs de tête... L'intoxication commençait
souvent de cette façon. Si c'était de cela qu'il s'agissait,
peut-être la bande de Roger en était-elle responsable?
Elle conduisit la jeune femme au service des
urgences et la remit à l'infirmière de garde. Plus tard,
pendant le dîner, elle demanda à celle-ci :
« La malade que je t'ai amenée tout à l'heure,
qu'est-ce que c'était au juste?
- Tu t'intéresses à elle?
Pas particulièrement, mais j'aime bien savoir.
Ça avait un peu l'air de... d'un empoisonnement.

119
- Non, pas du tout, c'était une réaction humorale.
On va la garder deux jours, puis elle rentrera chez elle
jusqu'à la naissance du bébé.
- Ah ! bon. »
Elle cherchait à se persuader que le honteux trafic
avait pris fin, qu'il n'y aurait plus de polamide.
Le lendemain matin, quand elle arriva au garage,
Basin avait l'air sombre.
« Figurez-vous, mademoiselle Armelle, qu'on a
essayé d'entrer ici pendant la nuit. En partant, j'avais
fermé la porte à clef, comme je le fais toujours — vous
avez pu le constater vous-même.

120
Eh bien, on a essayé d'entrer par la lucarne - - et,
ma foi, on y a presque réussi! Venez voir! »
Le mur extérieur, en effet, portait des traces
d'effritement.
« L'individu, dit Basin, a dû s'accrocher au rebord
de la lucarne; il voulait se hisser en faisant un
rétablissement. Mais il a sans doute entendu du bruit
dans la ruelle et il s'est sauvé. J'ai retrouvé un bout de
chiffon dont il a dû se servir pour ne pas laisser
d'empreintes, ou peut-être tout simplement pour ne pas
s'écorcher les mains sur le rebord. »
Armelle retint un cri. Le « bout de chiffon » que lui
tendait Basin, elle ne le connaissait que trop bien. C'était
un lambeau de foulard bleu avec des impressions
blanches. Quand elle avait aidé Roger à déshabiller
Daniel Couvreur, au château, elle avait remarqué que le
blessé portait ce foulard taché de sang; elle l'avait glissé
dans une de ses poches. A l'hôpital, on avait désinfecté
ses vêtements et on les lui avait rendus à la sortie.
Etait-ce donc Daniel Couvreur qui avait essayé de
s'introduire dans le garage? Mais pourquoi? pourquoi ?
Sans même s'en rendre compte, elle avait prononcé
ce mot à haute voix. Basin, qui cherchait toujours des
explications à tout, répondit aussitôt :

121
« Je ne pense pas qu'on ait cherché à prendre
Ursule. Soit dit sans l'offenser, elle est un peu trop
vieille pour tenter les amateurs. Evidemment, le moteur
est bon, mais une carrosserie d'ambulance, ça se
remarque!
— Alors? fit-elle angoissée.
— Il peut y avoir une autre raison. Le
garage, par le sous-sol, communique directement
avec la réserve. Or, vous savez comme moi qu'il y a
des malfaiteurs qui font le trafic des drogues
dangereuses, la morphine, par exemple. Il y en a
toujours dans les hôpitaux.
- Mais, ces drogues-là sont sous clef! »
Le chauffeur hocha la tête.
« Quelqu'un qui aurait séjourné à l'hôpital peut
avoir eu le temps de relever l'empreinte d'une serrure. »
Armelle regardait toujours le morceau de tissu
qu'elle tenait à la main. Daniel Couvreur, avec son bras
plâtré, pouvait difficilement tenter d'escalader la
lucarne. Mais un complice?
Les soupçons de la jeune fille se précisaient. Cette
crainte de la police, d'abord, puis ce silence obstiné, ce
départ précipité, enfin cette tentative de vol...
En ce cas, son devoir n'était-il pas d'avertir les
policiers? Ils connaissaient le nom de Roger Merlet,
mais celui de Daniel Couvreur pouvait leur ouvrir une
nouvelle piste.
Dénoncer Daniel Couvreur! A cette seule pensée

122
elle éprouvait une sensation de nausée. En somme,
elle n'avait pas de preuves contre lui. Le foulard avait pu
lui être volé... il pouvait en exister un autre semblable.
On n'a pas le droit d'accuser sans être sûr!
Elle sursauta : c'était Basin qui lui parlait.
« Vous êtes prête, mademoiselle Armelle? Tout ça
c'est très joli, mais il faut travailler! »
La journée était chargée : sept transports, dont deux
difficiles. Assise au chevet d'un malade, Armelle se
sentait mieux, mais dès qu'elle se retrouvait seule, le
problème surgissait à nouveau devant elle.
Le soir, elle arriva enfin à une décision. Elle
attendrait quelques jours, en observant les événements.
Peut-être la police arrêterait-elle Roger; celui-ci
dénoncerait ses complices. Si justice était faite, elle
oublierait Daniel Couvreur; elle ferait comme s'il n'avait
jamais existé. L'aventure du château et ses suites ne
seraient plus qu'un mauvais rêve.
Mais s'il est facile de prendre une résolution, il est
souvent plus difficile de la tenir. Armelle avait emporté
un livre dans sa chambre, mais elle n'arrivait pas à fixer
son attention sur ce qu'elle lisait. Elle revoyait toujours
le visage de Couvreur, ses yeux clairs et francs. Elle
croyait entendre encore, au sortir de l'anesthésie, sa voix
faible murmurer « Armelle ». Un malfaiteur, lui! Et
pourtant...

123
Le lendemain, alors qu'elle rentrait de son premier
transport, la téléphoniste l'arrêta.
« II y a eu une communication pour vous,
mademoiselle Armelle. C'est un monsieur Couvreur; il
vous demande de rappeler au numéro que j'ai inscrit sur
ce papier. »
Quelques jours plus tôt, ce coup de téléphone lui
eût apporté une grande joie : son blessé ne l'oubliait pas!
Avec ce qu'elle savait maintenant, tout prenait un aspect
différent. Elle se demanda si, ayant manqué son
incursion nocturne, Couvreur ne cherchait pas à se
procurer ce qu'il cherchait par un autre moyen. La
prenait-il pour plus naïve encore qu'elle ne l'avait été - -
ou la croyait-il capable de se laisser entraîner dans une
combinaison louche?
En tout cas, le moment était venu de tenir sa
résolution. Elle prit le papier sans mot dire, le froissa et
le jeta dans une corbeille. Elle ne rappela pas; elle
n'avait même pas regardé le numéro.
Le soir, au moment où elle regagnait sa chambre, le
téléphone de l'étage sonna; une de ses camarades alla
répondre.
« C'est pour toi, Armelle! »
Tout en prenant l'appareil, elle se disait : « Ce n'est
pas lui... il n'oserait pas... » Pourtant sa main tremblait
sur l'écouteur. Quand elle reconnut la voix, elle se raidit.
« C'est vous, mademoiselle Armelle? »

124
Elle ne répondit pas. Le son de cette voix suffisait à
la bouleverser.
« Mademoiselle Armelle, je voudrais... »
Elle n'entendit pas la fin : elle avait déjà raccroché.
A peine l'eut-elle fait qu'elle le regretta : elle aurait dû
lui dire franchement ce qu'elle craignait, exiger une
explication immédiate. Maintenant il était trop tard.
Elle regagna sa chambre. Paule, qu'elle croisa sur le
palier, l'arrêta.
« Tu ne vas pas bien, Armelle. Heureusement tu
pars bientôt en vacances. Où penses-tu aller?
— Je ne sais pas encore.
— Tu ferais bien de te dépêcher! Tu ne trouveras
plus de place nulle part. »
Armelle haussa les épaules. Elle se souciait bien
des vacances! Elle savait qu'elle devait partir — mais
où? Elle n'avait plus envie de rien, ni de campagne, ni
de promenades. Elle qui naguère était toujours la
première à organiser des sorties!
A midi, Marcelle remarqua qu'elle laissait sa
côtelette dans son assiette.
« Tu n'es pas raisonnable, Armelle! »
La jeune fille se leva et quitta la salle. Ses
camarades la suivirent d'un œil apitoyé.
« Le travail de l'ambulance est peut-être trop dur
pour elle, suggéra l'une d'elles.
- Si tu trouves que celui des salles est moins

125
dur! Avec l'ambulance, au moins, elle prend
l'air.
- En tout cas, pauvre Armelle, elle a besoin de se
reposer! »
Basin s'inquiétait, lui aussi. La journée était chargée
: Armelle ne put aller dîner qu'à neuf heures. A son
retour, le chauffeur lui conseilla d'aller s'étendre : s'il y
avait une urgence, il la préviendrait. Mais elle tint à
veiller avec lui jusqu'au bout. Sans vouloir le dire, elle
était heureuse de n'être pas seule. Ils passèrent la soirée
ensemble, remuant les souvenirs des mois écoulés.
« Vous vous rappelez, mademoiselle Armelle, le
soir où nous avons transporté ce grand agité? On ne
nous avait pas prévenus; il aurait fallu une ambulance
spéciale.
- Heureusement, l'infirmier nous a accompagnés.
Je ne sais pas comment je m'en serais tirée sans lui;
jamais je n'aurais eu la force de maintenir le malade.
- Vous savez ce qu'il m'a dit, l'infirmier? Non; quoi
donc?
- Que de toute sa carrière jamais il n'avait
rencontré une fille aussi capable, aussi courageuse que
vous!
- On dit ça, monsieur Basin. Mais à ma
place tout le monde en aurait fait autant. »
Ni l'un ni l'autre ne fit allusion à la nuit du château.
Jamais Basin n'avait interrogé Armelle

126
à ce sujet. Il semblait avoir tout oublié. « Si je
pouvais oublier, moi aussi! » pensait-elle.
Au fond du garage, Ursule semblait les regarder de
ses gros phares glauques, qui reflétaient la lueur de la
lampe.
Quand Armelle descendit le lendemain, à sa grande
surprise elle trouva la double porte grande ouverte.
« Sont-ils déjà sortis? » se demanda-t-elle.
A ce moment, elle vit Basin s'avancer vers elle, le
visage contracté.
« Que se passe-t-il? dit-elle. Où est Ursule? »
II leva les bras au ciel.
« C'est un peu fort, mademoiselle! On a forcé les
portes du garage... Ursule n'est plus là! »

127
IX

« JE suis contente de vous voir partir, Armelle,


dit Mlle Audouard. Vous n'auriez pas tenu longtemps.
Cette syncope en a été une nouvelle preuve! »
Armelle eut un pauvre sourire. « Cela,
mademoiselle, c'était le choc. Quand j'ai constaté la
disparition de l'ambulance...
- Je le comprends très bien, mais une infirmière ne
doit pas s'évanouir aussi facilement. Depuis quelque
temps, je vois bien que vous n'êtes plus vous-même. Je
suis sûre que les

128
vacances vous remettront. Vous allez à la montagne,
m'avez-vous dit?
— Oui, mademoiselle, dans les Pyrénées, près du
val d'Aran.
— On dit que la région est magnifique. Vous la
connaissez déjà?
— Non, j'en ai seulement entendu parler.
- En tout cas, je veux vous revoir avec une autre
mine! Surtout, reposez-vous bien! »
Se reposer! il était bien question de cela...
« Pourquoi vas-tu là-bas, si tu n'y connais
personne? lui avait dit Marcelle. Viens plutôt avec moi
près de Grenoble : ma tante a une grande maison, elle
sera enchantée de te prendre comme pensionnaire. »
Armelle n'avait pas répondu.
Basin, lui, était navré de son départ.
« Perdre à la fois Ursule et vous, mademoiselle
Armelle, c'est trop triste! »
Elle ne put s'empêcher de sourire.
« Mais moi, vous me reverrez! Tandis qu'Ursule,
malheureusement... »
Les recherches de la police, en effet, avaient été
infructueuses. On n'avait trouvé aucun indice; personne
n'avait vu passer l'ambulance; on ignorait dans quelle
direction elle était partie. Elle semblait s'être volatilisée.
En attendant mieux, on avait loué une autre voilure
que conduisait le chauffeur. Mais il déclarait qu'il ne s'y
habituerait jamais.

129
« Ce n'est pas la nôtre! Vous entendez ce bruit
qu'elle fait en seconde! Et puis elle est mal suspendue...
Avec Ursule, les malades n'étaient pas plus secoués que
dans leur lit... »
On essayait en vain de lui prouver qu'Ursule, elle
aussi, avait ses défauts.
« Voyons, monsieur Basin, ce toit très haut, cela
faisait vraiment démodé!
- Et après? On ne cherche pas à suivre la mode!
Est-ce que je la suis, moi? Ça no m'empêche pas de
conduire mieux que bien des poseurs.
- Et ce pare-chocs avant, que vous n'étiez jamais
arrivé à redresser!
- Chacun ses goûts : moi je trouve que ça donnait
du piquant à sa physionomie. »
II avait toujours le dernier mol. Armelle elle-même,
qui regrettait aussi la vieille voilure, ne pouvait
s'empêcher d'en rire.
« Enfin, soupira-t-il, passez quand même de bonnes
vacances, mademoiselle Armelle. Qui sait? Quand vous
reviendrez, on l'aura peut-être retrouvée... Vous avez de
la famille, là-bas où vous allez?
- Non, personne.
Vous n'allez pas vous ennuyer?
Vous savez bien que je ne m'ennuie jamais. »
Ses véritables raison:-; d'aller dans le val d'Aran,
elle ne pouvait les dire à personne.

130
Après le vol de l'ambulance, alors que Basin alertait
le bureau de l'hôpital et la police, elle avait décidé
qu'elle devait agir.
Elle ne pouvait s'empêcher de penser que la voiture
avait été dérobée par la bande de la polamide. Pourquoi?
Elle n'en savait trop rien, mais la tentative d'effraction,
trois jours auparavant, Fanerait dans cette idée.
Cependant, elle ne voulait pas accuser Daniel Couvreur
sans avoir la certitude qu'il était coupable. Mais cette
certitude, elle était décidée à l'obtenir.
Ce fut alors que des détails oubliés de sa nuit au
château -- cette terrible nuit à laquelle elle ne pouvait
penser sans frissonner — lui étaient revenus à la
mémoire. En examinant les papiers de Daniel Couvreur,
elle avait trouvé, avec sa carte d'identité, une note
d'hôtel provenant du bourg de Los, dans la Haute-
Garonne. Elle se rappelait même le nom de l'hôtel, qui
l'avait frappée : Hôtel du Torrent. Elle regrettait d'avoir
oublié la date de la note, qui lui eût apporté une
précision supplémentaire.
En cherchant sur une carte, elle s'aperçut que le
village de Los était tout proche de la frontière
espagnole. La route qui joint l'Espagne à la France suit
le cours de la Garonne, qui prend sa source en terre
étrangère et pénètre chez nous au lieu dit le Pont-du-
Roi.
Pour Armelle, ce fut comme un trait de

131
lumière. Le trafic clandestin, auquel elle devait bien
penser, maintenant, que Daniel Couvreur était mêlé, se
faisait peut-être par là. C'était par le val d'Aran que la
polamide entrait en France !
A cette idée soudaine succéda aussitôt un plan.
Puisqu'elle devait prendre des vacances, eh bien, elle
irait elle-même au val d'Aran et vérifierait ses soupçons
sur place. Si elle découvrait un indice quelconque sur la
vraie personnalité de Daniel Couvreur ou sur le passage
de la bande criminelle, elle mettrait alors, sans risque
d'erreur, la police sur la voie.
N'ayant pas le temps d'écrire, elle téléphona à
l'hôtel du Torrent; une voix d'homme sympathique, avec
un fort accent méridional, lui répondit. Bien sûr, on
sérail heureux de la recevoir... La saison n'était pas
encore commencée et on pouvait facilement lui réserver
une chambre. Elle n'avait qu'à descendre du rapide à la
station de Saint-Béat, où on viendrait la chercher en
voiture. A moins qu'elle ne préférât prendre le car, qui,
de la gare, desservait toute la vallée.
Elle se décida pour le car. Cela lui donnerait peut-
être l'occasion de lier connaissance avec des habitants
du pays.
Elle quitta l'hôpital le matin et déjeuna à Paris chez
ses parents; le soir, ceux-ci la conduisirent à la gare.
Comme Mlle Audouard, ils lui

132
Elle s'était dressée, les deux mains appuyées à la vitre

133
recommandèrent de bien se reposer. Ils lui avaient
retenu une couchette, et le bercement du train ne tarda
pas à l'endormir.
Quand elle s'éveilla, il faisait jour. On était arrêté
dans une gare, elle ne savait laquelle. Sur le quai on
vendait du café chaud et des croissants; elle déjeuna de
bon appétit. Par la vitre baissée on sentait déjà l'air des
montagnes.
Elle ne se recoucha pas, mais resta dans le couloir
pour regarder le paysage. Les villages de briques, avec
leurs toitures de tuiles rouges, avaient un aspect gai et
accueillant. Dans les fermes, la vie quotidienne avait
déjà commencé : on voyait passer des tracteurs; dans les
cours, des femmes jetaient du grain aux poules. Des
vallées verdoyantes ouvraient des perspectives tentantes
pour les amateurs de promenade.
Armelle, encore somnolente, regardait la campagne.
Une route longeait la voie ferrée; parfois on dépassait
un camion chargé de bidons de lait; parfois, au
contraire, une voiture plus rapide l'emportait de vitesse
sur le train.
Tout à coup, la jeune fille aperçut une ambulance
qui, débouchant par un chemin de traverse, rejoignait la
grande route et prenait la direction du midi. Elle devait
être vide, car elle n'actionnait pas sa sirène, mais les
rideaux baissés ne permettaient pas de voir à l'intérieur.

134
Armelle pensa à Ursule et son cœur se serra. Où
était-elle maintenant, la pauvre vieille amie? A en juger
par les maigres résultats obtenus par la police, elle avait
dû être aussitôt transformée, repeinte, rendue
méconnaissable. On n'avait guère de chances de la
revoir.
Armelle examina en connaisseur l'ambulance qui
roulait le long du train. C'était un modèle déjà ancien,
celle-là aussi : comme Ursule, elle avait le toit très haut,
alors que les constructeurs modernes avaient plutôt
tendance à le surbaisser. Ce n'était pas toujours un
avantage pour les malades...
Le véhicule gagna du terrain. Armelle,
instinctivement, regarda le numéro inscrit à l'arrière.
2438 B 31; le dernier chiffre devait être celui de la
Haute-Garonne.
Comme elle ressemblait à Ursule! C'était la même
marque, à n'en pas douter... Détail plus curieux encore :
le côté droit de la croix rouge peinte sur le flanc gauche
de la voiture était un peu brouillé, comme chez Ursule :
on aurait dit que la peinture avait coulé...
« Voyons, ce n'est pas possible, je rêve encore! » se
dit Armelle.
A ce moment, le train reprit de la vitesse. On
atteignit un passage à niveau; deux ou trois véhicules
attendaient derrière la barrière que manœuvrait une
jeune femme coiffée d'un foulard.

135
L'ambulance se trouvait au premier rang. Armelle
eut un haut-le-corps.
« Cette bosse sur le pare-chocs! Non, je ne me
trompe pas... C'est elle! c'est Ursule! »
Occupée à regarder la voiture, elle avait à peine eu
le temps d'entrevoir le conducteur : un homme jeune,
aux cheveux noirs.
« Daniel Couvreur! »
Elle s'était dressée, les deux mains appuyées à la
vitre. Le train passa : la barrière se rouvrit. Les
véhicules arrêtés démarrèrent de nouveau. Armelle
courut à l'autre bout de son compartiment : la route
longeait maintenant le côté gauche de la voie. Mais les
voitures avaient perdu du terrain; elle aperçut
l'ambulance dans le lointain, parmi des camions et des
véhicules agricoles.
Le train stoppa à une petite station; depuis qu'on
approchait des montagnes, il s'arrêtait plus souvent.
L'ambulance passa; Armelle essaya de mieux voir le
conducteur, mais la gare entourée de fleurs le dissimula
bientôt. Quand le train s'ébranla de nouveau, on ne
voyait plus la voiture blanche.
« C'est Daniel Couvreur, pensa la jeune fille, je l'ai
bien reconnu... Je comprends : il a essayé d'entrer dans
le garage par la lucarne; n'ayant pas réussi, il est revenu
et a fracturé la serrure. C'était donc l'ambulance qu'il
voulait — mais pourquoi? »

136
La réponse lui vint aussitôt à l'esprit. Parce qu'une
ambulance n'éveille les soupçons de personne! Pas
même à une frontière, probablement... Quel moyen idéal
pour introduire de la contrebande! Et c'était pour cela,
évidemment, qu'on s'était contenté de maquiller le
numéro d'Ursule, sans toucher à la carrosserie!
Soudain une autre idée frappa Armelle : elle n'avait
pas remarqué que le conducteur de la voiture portait un
plâtre. En y réfléchissant, elle était même sûre qu'il n'en
avait pas. Il s'en était probablement débarrassé pour
avoir les mouvements plus libres. Opéré depuis si peu
de temps, quelle imprudence! Se rendait-il compte qu'il
risquait de perdre définitivement l'usage de son bras?

137
« J'aurai beau faire, se dit-elle, je réagirai toujours
en infirmière! »
Quand on annonça « Saint-Béat! » elle sauta sur le
quai, sa valise à la main, et demanda où se trouvait le
car pour Los. Ce qu'on appelait pompeusement ainsi
était en fait une guimbarde antique, déjà occupée par
deux ou trois voyageurs. Une femme âgée, la tête
couverte d'un fichu noir, tenait sur ses genoux une
corbeille remplie d'œufs. En face, un jeune homme bien
vêtu, qui causait avec un camarade resté devant la
portière, jeta à la nouvelle venue un regard approbateur.
Dès que la voiture s'ébranla, il engagea la conversation.
« Vous n'êtes pas du pays, mademoiselle? Non,
monsieur. Vous venez de Paris, probablement?
- De tout près.
- Moi, je suis de Los. »
II avait un accent léger, chantant, et se redressait en
parlant comme pour augmenter sa taille. « Le coq du
village! » pensa Armelle en retenant un sourire. Mais
elle le trouvait sympathique. Puisqu'il était prêt à
bavarder, tant mieux! peut-être apprendrait-elle un peu
de ce qu'elle désirait savoir.
« Vous n'auriez pas vu une ambulance? demanda-t-
elle.
Une ambulance? Non, pourquoi cela? Vous
avez quelqu'un de malade?

138
— Oh! non, niais j'en ai vu une sur la route; je me
demandais si elle venait par ici.
- On n'en voit pas souvent, de nos côtés, dit la
vieille femme d'une voix chevrotante. On n'aime
pas beaucoup aller à l'hôpital, vous savez.
- A Saint-Gaudens, il y en a un excellent, objecta le
jeune homme.
- L'hôpital, ce n'est jamais excellent. Moi, j'aime
mieux mourir dans mon lit. »
Blessée dans son amour-propre professionnel,
Armelle protesta.
« Mais on ne va pas à l'hôpital pour mourir! On y
va pour guérir! »
La vieille ne semblait pas convaincue; le jeune
homme se mit à rire. Armelle, presque malgré elle,
regardait des deux côtés de la route comme si elle
s'attendait à voir apparaître la grosse voiture blanche
conduite par Daniel Couvreur. Mais les chemins qui se
détachaient à droite et à gauche semblaient à peine
carrossables : des pistes de montagne, caillouteuses et
ravinées. Si l'ambulance était passée par ici, elle avait
forcément emprunté la route que suivait le car.
On arriva à Los : tout le monde mit pied à terre
devant l'hôtel du Torrent. C'était plutôt une auberge,
d'ailleurs, mais une auberge charmante, à la façade
couverte de rosés. L'air sentait les fleurs et le foin frais
coupé. Le

139
patron, M. Roglès, bedonnant et jovial, s'avança
pour prendre la valise de la voyageuse.
« Vous avez fait bonne route? s'informa-t-il.
J'espère que le pays vous plaira; on a beau temps depuis
quelques jours. »
Le jeune homme qui avait fait le trajet avec Armelle
semblait hésiter à s'éloigner du car. Finalement il
s'approcha.
« Si vous avez besoin de quoi que ce soit,
mademoiselle, je suis à votre disposition. Jacques
Mathias, le fils du garagiste; tout le inonde me connaît
dans le pays.
- Oh! oh! dit l'hôtelier à Armelle, je vois que vous
vous êtes déjà fait des amis! »
II conduisit la jeune fille à sa chambre. On avait
d'abord pensé à l'installer du côté de la Garonne, mais
on avait craint que le bruit du torrent ne l'empêchât de
dormir. Elle préférait cette disposition : de sa fenêtre,
qui donnait sur le devant de l'hôtel, elle pourrait plus
facilement surveiller la route. Elle déclara que la
chambre lui plaisait beaucoup.
« D'ailleurs, dit M. Roglès, de la salle à manger,
vous pourrez admirer la Garonne autant que vous
voudrez, puisque la pièce a vue de trois côtés! »
Armelle fit un brin de toilette et descendit déjeuner.
A part elle, il n'y avait comme pensionnaires à l'hôtel du
Torrent que deux Toulousains, le mari et la femme,
accompagnés de

140
leur petite-fille âgée de cinq ans. M. Roglès leur
présenta la nouvelle venue.
« Ce n'est pas un palace, ici, mais on doit se sentir
en famille! »
Le déjeuner de Mme Roglès était excellent : pour la
première fois depuis longtemps, Armelle mangea de bon
appétit. Los aurait vraiment été l'endroit rêvé pour des
vacances, si...
En pensant à la tâche qu'elle s'était assignée, la
jeune infirmière se rembrunit. Un peu plus tard, elle
demanda aux deux Toulousains s'ils n'avaient pas vu
passer une ambulance.
« Une ambulance? répéta la vieille dame. Quand
cela? ce matin?
— Oui, ce matin.
- Non, je n'en ai pas vu et je suis sure qu'il
n'en est pas passé. Je suis restée toute la matinée devant
l'hôtel à tricoter en surveillant la petite. Mon mari se
moque de moi, mais j'ai toujours peur qu'elle ne tombe
dans la Garonne! Il y a eu quelques voitures de
tourisme, qui se dirigeaient vers le Pont-du-Roi -- des
gens qui vont visiter l'Espagne, évidemment. Mais
une ambulance! vous pensez que je l'aurais remarquée!
- Ces jours derniers, vous n'en avez pas vu non
plus? »
La vieille dame secoua la tête. « Les ambulances,
c'est assez rare, dans la région! J'en ai vu une il y a
deux ans, quand une

141
voiture est tombée dans le ravin; la police a envoyé
chercher les blessés. Tout le monde était aux fenêtres,
vous pensez! Mais cette année... »
« Ainsi, songea Armelle, si la contrebande de la
polamide se fait par ici, jusqu'à présent ce n'est pas à
une ambulance qu'on a eu recours... »
Le vieux monsieur s'était mis à rire.
« Pour tout ce qui passe sur la route, vous pouvez
faire confiance à ma femme ! Elle monte la garde du
matin au soir avec son tricot; rien ne peut lui échapper,
pas même une bicyclette! »
Le mot « bicyclette » donna une idée à Armelle. Si
elle voulait se déplacer dans la région, elle ferait peut-
être bien de s'en procurer une. Elle posa la question

142
à M. Roglès.
« Pour rouler sur la grande route, c'est parfait,
répondit celui-ci. Mais le pays, dans l'ensemble, n'est
pas fait pour le vélo : ça se voit! En tout cas, si ça vous
intéresse, vous pouvez vous adresser au jeune Mathias,
celui qui était dans le car avec vous. Son père est
garagiste, il vous l'a dit - - Jacques travaille avec lui
mais il loue aussi des bicyclettes. »
Jacques Mathias se mon Ira enchanté de revoir sa
compagne de voyage.
« Vous voulez faire du vélo? Mais vous allez vous
éreinter, avec toutes ces côtes! Si vous avez envie de
connaître le pays, je vous conduirai, moi, en voiture! »
Elle répondit en souriant qu'elle était une sauvage et
aimait à se promener seule. Cela ne voulait pas dire,
bien entendu, qu'elle n'accepterait pas de faire partie
d'une excursion, plus tard, si Mathias et ses amis en
organisaient une.
« II y a de belles choses, dans la région, dit le jeune
homme. J'avais un camarade — tenez—, un Parisien
comme vous, Daniel Couvreur... »
Armelle réprima son émotion.
« Oui? fit-elle avec une feinte indifférence.
- Il est souvent venu ici en vacances. Nous avons
fait des balades formidables! Il sait grimper, je vous
assure : un vrai montagnard! Je ne sais pas s'il viendra
cette année; il est passé à

143
Los il y a quelque temps, mais justement je n'étais
pas là. Il descend à votre hôtel, au Torrent. Qui sait? il
reviendra peut-être? Je suis sûr qu'il vous plairait : c'est
un chic type! »
Armelle regarda Mathias d'un œil soupçonneux :
faisait-il partie, lui aussi, de la bande? Il avait pourtant
l'air d'un brave garçon bavard, un peu vaniteux, mais
honnête. Elle hésita à lui demander s'il connaissait le
frisé, celui qu'on appelait Roger, puis jugea préférable
de s'abstenir.
On lui trouva une bicyclette et elle fit quelques
kilomètres dans la direction de Pont-du-Roi, c'est-à-dire
de la frontière. Elle était bien décidée à ne pas s'éloigner
de la grande route, moins à cause des mauvais chemins
qu'afin de ne pas manquer l'ambulance si celle-ci se
dirigeait vers l'Espagne.
Le soir, comme on achevait de dîner, deux
gendarmes entrèrent dans la salle à manger de l'hôtel.
M. Roglès, fidèle à ses principes de cordialité, les
présenta aussitôt à la jeune fille. C'étaient le brigadier
Gratian et Ricaud, son collègue.
« Rien de nouveau, Gratian? demanda l'hôtelier.
— Rien », répondit le brigadier en souriant.
C'était un homme encore jeune, mince et nerveux, à
la démarche souple de montagnard.
« Le pays est tranquille, mademoiselle, vous

144
pouvez vous promener sans crainte. Il n'y a pas de
brigands!
— Pas de contrebandiers? interrogea-t-elle.
— Pas beaucoup. Oh! les touristes, bien
entendu, essaient de passer par-ci par-là un objet qu'ils
ont acheté en Espagne. Mais ce n'est pas bien grave —
d'ailleurs cela regarde les douaniers plutôt que nous. Il y
a des voyageurs qui se croient malins en passant de nuit;
mais alors la barrière est fermée, il faut éveiller le poste.
Et, bien sûr, les douaniers se vengent d'avoir été
dérangés en faisant ouvrir toutes les valises! »
Le brigadier voulut absolument offrir à Armelle un
verre de vin du pays. Elle accepta pour ne pas le
désobliger; elle se disait aussi qu'elle aurait peut-être
bientôt besoin des gendarmes.
A la pensée de l'ambulance et de Daniel Couvreur,
son cœur se serra de nouveau. Mais elle était résolue à
accomplir jusqu'au bout la tâche qu'elle s'était assignée :
savoir d'abord, puis agir.
Elle se coucha assez tôt. Il était peu probable que
Couvreur essayât de passer la frontière de nuit, puisque,
d'après le brigadier, c'était le meilleur moyen d'attirer
l'attention. La protection que lui assurait l'ambulance
était tout aussi valable en plein jour. D'autre part
Armelle laissait toujours sa fenêtre ouverte. La rue du
village était escarpée et tortueuse : un

145
changement de vitesse, un coup de frein, il n'en
fallait pas davantage pour éveiller une infirmière
habituée à répondre au premier appel.
Le matin, en revanche, elle se leva de bonne heure.
Quand Mme Roglès apparut avec le plateau du petit
déjeuner - - un café au lait brûlant, des tartines frais
grillées -- elle trouva la jeune fille déjà debout, appuyée
au rebord de la fenêtre et regardant la route.

146
X

J'ESPÈRE que vous avez passé une bonne nuit, dit


M. Roglès en voyant descendre sa pensionnaire.
- Excellente! répondit Armelle.
- On dort toujours bien dans nos montagnes. L'air
est meilleur qu'à Paris, hein? Il me semble que je ne
pourrais pas fermer l'œil, moi, avec toute cette poussière
et tout ce bruit! »
Mme Roglès demanda à Armelle si elle allait se
promener. Il était tôt; elle avait le temps de faire un bon
tour avant le déjeuner.
Armelle répondit qu'elle avait des lettres à

147
écrire. Sa fenêtre était une place de choix pour
guetter le passage de l'ambulance, si celle-ci se dirigeait
vers le poste frontière de Pont-du-Roi. Tapie à l'abri du
rideau, la jeune fille voyait défiler d'assez nombreuses
voitures, les unes se rendant en Espagne, les autres
remontant vers le nord.
A midi, des touristes s'arrêtèrent pour déjeuner à
l'hôtel du Torrent. De sa place, choisie à cet effet,
Armelle surveillait le tournant de la route; elle voyait les
voitures ralentir à l'entrée du village, puis, selon le cas,
s'arrêter ou aborder la côte.
« On dirait que vous attendez quelqu'un,
mademoiselle! » dit près d'elle une voix sympathique.
C'était Gratian, le brigadier de gendarmerie, qui
rentrait de sa tournée matinale. Célibataire, il déjeunait
souvent au « Torrent ».
« Oh! fît-elle, ça m'amuse de regarder passer les
gens.
- C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de distractions
à Los. A moins d'aimer la montagne pour elle-même...
- Je ne la connais pas encore beaucoup, mais je
crois que je l'aimerai, moi! »
Gratian la regarda avec un intérêt accru.
« Ça ne vous effraierait pas de grimper un peu?
Mon camarade et moi, nous devons aller jusqu'au col du
Bied. La côte est dure, bien sûr,

148
niais si vous saviez quelle vue on a de là-haut! » La
proposition tentait Armelle : faire une ascension en
compagnie de deux vrais montagnards, quelle aubaine!
Mais elle secoua la tête. « Plus tard, peut-être...
Aujourd'hui je suis encore trop fatiguée. Je me
contenterai de faire un tour à bicyclette sur la route.
Vous n'avez pas été malade, j'espère?
- Oh! non, non! Mais je suis infirmière; c'est un
métier dur. Quand les vacances arrivent, on sent qu'on
en a vraiment besoin.
- Ah! vous êtes infirmière! fit le brigadier.
C'est un beau métier, ça aussi. Eh bien, bon appétit,
mademoiselle! »
Après le déjeuner, un nouveau visage connu
apparut dans la salle à manger de l'hôtel. C'était Jacques
Mathias, le fils du garagiste. Il était plus élégant encore
que la veille; ses cheveux bien lustrés, son complet
neuf, augmentaient encore son air d'assurance. A la vue
d'Armelle, son visage s'épanouit.
« Mademoiselle Armelle, j'espérais un peu vous
apercevoir ce matin, mais vous n'êtes pas sortie...
- J'ai écrit des lettres dans ma chambre.
- J'avais peur que le vélo ne vous ait donné des
ennuis. S'il vous arrivait une crevaison, surtout ne
prenez pas la peine de réparer vous-même : je suis là!
- Merci, il a très bien roulé hier. Aujourd’hui je

149
ferai encore une petite promenade, peut-être cette
fois dans la direction de Saint-Béat.
— Justement je voulais vous proposer... J'ai une
course à faire pour mon père de l'autre côté de la
frontière, au village de Molinas. Si ça vous amusait de
m'accompagner? Et même... Vous savez conduire?
- Oh! oui! A l'hôpital je m'occupais de l'ambulance;
j'avais un chauffeur, naturellement, mais il m'est arrivé
de faire des transports sans lui. »
Elle se rappela soudain la dernière occasion où elle
l'avait fait. L'appel dans la nuit, le Mesnil, Daniel
Couvreur... Instinctivement, elle tourna les yeux vers la
route. Mais celle-ci était déserte.
« Eh bien, dit Mathias, si ça vous dit de conduire
ma Renault... Seulement on ne peut pas rouler bien vite
sur cette route, je vous en préviens. »
Elle lui fit la même réponse qu'au brigadier : une
autre fois, peut-être... Celui-ci, qui s'était rapproché,
intervint :
« Une promenade en voiture, ça ne peut pas vous
fatiguer, mademoiselle. Pour la grimpée, je n'ai pas
insisté : je comprends bien qu'il faut déjà être un peu
aguerrie. Mais la voiture de M. Mathias est très
confortable, je vous assure. Et son fils est un excellent
chauffeur! »

150
Armelle commençait à se sentir gênée. De quoi
avait-elle l'air? D'une vieille dame qui passe ses
vacances à regarder bouger les autres, comme la
Toulousaine? En temps ordinaire, elle aurait été trop
heureuse d'accepter des offres faites d'aussi bon cœur!
« Alors, insista Mathias, c'est oui? »
Elle crut trouver une bonne raison.
« Je n'ai pas de passeport », dit-elle.
Le jeune homme éclata de rire.
« S'il n'y a que ça pour vous arrêter! D'abord nous
n'allons pas loin, puis avec moi vous ne risquez rien, je
vous le garantis. Depuis le temps que les carabiniers me
connaissent!

151
Ici, tout se passe en famille, déclara M.
Roglès.
- Peut-être même un peu trop! » ajouta le
brigadier.
Mais lui non plus n'avait pas l'air bien terrible.
Armelle refusa la promenade, mais elle en profita pour
poser une question au brigadier :
« Est-ce qu'il y a d'autres passages que celui-ci dans
la région? »
Gratian secoua la tête.
« Pour les voitures, pas tout près. Plus loin, bien
sûr, il y a Venasque, et Sacroux, et le Portillon...
- Mais ces routes-là ne passent pas par Los?
- Ça, non! D'ici il n'y en a qu'une seule. » C'était ce
qu'Armelle voulait savoir. Puisque
Couvreur séjournait à Los, c'était forcément par le
Pont-du-Roi que se faisait le passage de la drogue. Il
suffisait d'attendre que l'ambulance arrivât.
L'après-midi, elle alla à bicyclette jusqu'à la
frontière, puis retraversa le village et retourna jusqu'au
bourg de Saint-Béat. Elle s'attendait d'un instant à l'autre
à voir l'ambulance surgir au tournant. Puisque la veille,
elle l'avait vue du train se dirigeant vers les Pyrénées,
pourquoi n'arrivait-elle pas? Couvreur avait-il des
dispositions à prendre avant de passer en Espagne?
De toute façon, puisqu'il n'existait qu'une route, elle
ne pouvait pas le manquer. Dès

152
qu'elle le verrait, elle alerterait le brigadier et tous
deux guetteraient son retour. Elle ne voulait pas penser à
ce qui se passerait ensuite. Elle aurait empêché l'entrée
de la polamide, voilà tout. Mais comme le temps lui
semblait long !
En rentrant, le soir, elle se sentait lasse et
découragée. Et si rien ne venait? si cette attente
épuisante devait se prolonger jusqu'à la fin de son
séjour?
Le lendemain matin, elle fut éveillée par un bruit
insolite. Un groupe de gens allaient et venaient sur la
place du village. Mme Roglès, en montant son petit
déjeuner, lui en donna l'explication.
« Vous ne le saviez pas? Aujourd'hui c'est la fête de
Saint-Béat! Vous n'avez donc pas remarqué hier tous les
préparatifs qu'ils faisaient? - Je ne suis pas allée
jusqu'au bourg; j'ai rebroussé chemin avant d'y arriver.
— Vous m'en direz tant! Mais nous en avons parlé
ici même; mon mari enrage de ne pas pouvoir fermer
l'hôtel pour y aller. C'est qu'il danse encore comme un
jeunot, à son âge! Seulement, vous comprenez, il y a
beaucoup de gens qui profitent de l'occasion pour
explorer un peu le pays; ils s'arrêtent ici pour manger un
morceau ou boire un verre. Moi, j'ai plus de plaisir à
faire ma caisse le soir qu'à courir au bal! »

153
Elle contemplait, les poings sur les hanches, la
jeune fille qui buvait son café.
« Vous irez, vous, j'espère, à la fête? Vous leur
montrerez comment on danse à Paris! »
Armelle secoua doucement la tête.
« Le fils Mathias aurait eu bien envie de vous
inviter, poursuivit Mme Roglès. Il n'a pas osé, parce que
vous avez refusé de sortir avec lui hier. Il a cru que vous
ne le trouviez pas assez bien; pensez : un campagnard!
— Mais il se trompe! s'écria Armelle désolée. Je
n'aurais pas demandé mieux, seulement... »
Elle ne savait comment finir sa phrase. M. Roglès,
en appelant sa femme dans l'escalier, la tira d'embarras.
« Voyez, dit l'hôtelière, ça commence! »
Un instant plus tard, une fanfare éclatait sur la
place. Un groupe de jeunes gens, vêtus de blanc et
coiffés d'un béret bleu, se rassemblait pour se mettre en
marche. Les enfants criaient, les chiens aboyaient;
c'était un vacarme à réveiller les morts.
En ce moment, du moins, personne ne pouvait
traverser le village. Armelle décida d'en profiter pour
faire sa toilette du matin. Il n'y avait pas de salles de
bain à l'hôtel du Torrent, mais on venait d'y installer,
comme disait le patron, « le confort chaud et froid ». En
fait l'eau était tiède toute la journée, avec un léger
réchauffement entre sept et neuf heures du

154
matin - l'heure à laquelle, d'après M. Roglès, les
honnêtes gens sont censés faire leurs ablutions.
Tandis que la jeune fille avait le dos tourné, la
fanfare continuait à jouer sur la place, encore renforcée
par le bruit des pétards que les gamins faisaient partir
dans les jambes des orphéonistes. Puis le bruit diminua;
les musiciens se mettaient en route. Armelle, qui avait
fini sa toilette, se rapprocha de la fenêtre.
Ce fui alors qu'elle aperçut, arrêtée devant le
garage, une grosse voiture blanche marquée d'une croix
rouge, qui prenait de l'essence à la pompe.
L'ambulance!
Armelle enfila ses souliers et se précipita dans
l'escalier. Au rez-de-chaussée, elle croisa M. Roglès, qui
s'étonna de la voir déjà prête.
« Vous avez finalement décidé d'aller à la fête,
mademoiselle Armelle? Vous avez bien raison, allez! Il
faut profiter pendant qu'on est jeune. »
La fête! il s'agissait bien de cela! Sans même
prendre le temps de répondre, elle s'élança vers le
garage. Elle venait de se dire que, si elle pouvait parler à
Daniel Couvreur avant son passage en Espagne elle
pourrait peut-être, même sans avoir recours aux
gendarmes, empêcher ce qui se préparait.
Mais pendant qu'elle descendait, la voiture

155
avait achevé de faire son plein et était repartie.
Maintenant elle commençait à gravir la côte. Mathias, le
père, replaçait tranquillement le tuyau de la pompe sur
son support.
Armelle accourait, hors d'haleine.
« Monsieur... monsieur... cette ambulance... »
Le garagiste leva sur elle un regard surpris.
« L'ambulance? Ne vous inquiétez pas,
mademoiselle, ce n'est pas pour quelqu'un d'ici. Elle va
chercher une jeune dame en Espagne, au village de
Molinas. Le conducteur m'a dit son nom, je ne le
connaissais pas. C'est sans doute une estivante.
Mais l'ambulance, elle, d'où venait-elle?
- De l'hôpital de Saint-Gaudens. C'est
l'endroit le plus proche pour une opération
urgente; on y vient même de bien plus loin que Molinas.
D'après ce que le chauffeur m'a dit, ce serait une
appendicite. J'ai perdu une petite nièce d'une
maladie comme ça : une enfant de huit ans, quel
malheur! Figurez-vous que... »
II commença à raconter la maladie de sa nièce. Au
risque de le vexer -- car il semblait aussi bavard que son
fils -- elle l'interrompit :
« Mais comment l'ambulance a-t-elle pu passer? la
place était noire de monde!
- Ah! voilà! il y a un chemin, derrière la ferme
Loubès, qui débouche juste ici, derrière le garage. C'est
plein de cailloux, mais comme

156
ils n'avaient pas encore leur malade, ils pouvaient
risquer de se faire un peu secouer... » Armelle
l'interrompit de nouveau : « Le conducteur -- comment
était-il?
- Le conducteur... ma foi, je ne l'ai pas beaucoup
regardé. Vous comprenez, j'écoutais la musique...
C'était un jeune, avec des cheveux noirs... L'air pas
très communicatif... Un accent du nord, comme vous...»
Armelle hésita. Le garagiste devait connaître Daniel
Couvreur, puisque celui-ci était un camarade de son fils.
Se pouvait-il qu'il ne l'eût pas reconnu? Même en
supposant que Couvreur eût cherché à se dissimuler, les
épaisses lunettes de myope que portait M. Mathias
suffisaient-elles à expliquer cette absence de mémoire?
« Votre fils est-il ici? interrogea-t-elle brusquement.
- Mon fils? »
Le garagiste sourit.
« On voit que vous ne le connaissez pas! Il s'est
levé à cinq heures pour arriver à Saint-Béat avant la
musique! Vous auriez voulu qu'il vous y conduise, peut-
être?
— Non, non, ce n'est pas pour cela... Vous n'avez
pas une voiture disponible?
- Ma foi non : je n'ai que ma Renault, et Jacques
est parti avec. »
Armelle se demanda ce qu'elle devait faire.

157
Impossible de chercher à rattraper Daniel Couvreur
avant la frontière; quand elle y parviendrait, l'ambulance
serait déjà passée. C'était maintenant au retour qu'il
fallait l'attendre, quand il reviendrait avec son
chargement -cette polamide maudite! Aujourd'hui, du
moins, il ne réussirait pas à la faire entrer!
Elle retourna chercher sa bicyclette afin de se
rendre à Pont-du-Roi. Puis elle réfléchit : une fois là-
bas, que pourrait-elle faire? Si elle disait ce qu'elle
soupçonnait, la croirait-on seulement? Le premier venu
a-t-il le droit de faire arrêter une voiture et de demander
qu'on la fouille? Pour stopper une ambulance, il fallait
autre chose que des présomptions. A moins que l'ordre
vint de la police elle-même...

158
Le brigadier!
En voyant la voiture blanche, elle n'avait d'abord
pensé qu'à la suivre. Mais elle savait bien que sans
Gratian elle ne pouvait rien. Et elle ignorait môme où se
trouvait le poste!
Devant l'hôtel, la vieille Toulousaine poursuivait
son éternel tricot. Armelle l'appela.
« Pourriez-vous me dire, madame, où se trouve la
gendarmerie?
- La... Oh! mon Dieu! on ne vous a pas
volée, j'espère? J'ai remarqué que vous ne fermiez pas
votre porte à clef. Jusqu'ici, au « Torrent », il n'y a
jamais eu d'histoires...
- Ce n'est pas cela : j'ai besoin de voir M.
Gratian.
- Ah! je ne sais pas si vous le trouverez. Je l'ai vu
passer tout à l'heure avec sa voiture. En tout cas, la
gendarmerie est là-bas, au premier tournant. »
Armelle y courut. Il n'y avait là que le gendarme
Ricaud, un tout jeune homme, que l'irruption d'Armelle
sembla bouleverser.
« Mademoiselle... qu'est-ce qui vous arrive?
Asseyez-vous... remettez-vous...
- Non, non, c'est très pressé. »
Elle se demanda si elle devait lui parler de
l'ambulance. Mais il avait l'air d'un novice; elle ne ferait
que perdre du temps. Elle interrogea :
« Savez-vous où est M. Gratian?

159
— Mais oui, il est allé à Saint-Béat donner un coup
de main au poste. C'est la fête là-bas, aujourd'hui.
— Il n'y a pas moyen de le joindre? » Le gendarme
se gratta la tête.
« Si, mais seulement pour raison de service. Alors,
si ce n'en est pas une...
- C'en est une, et très urgente. Appelez-le, je vous
en prie! »
II tendit lentement la main vers l'appareil posé sur
la table. Puis il se décida et forma un numéro.
« Le poste de Saint-Béat? Ici, Los. Le brigadier
Gratian est-il là? »
II posa la main sur l'embouchure de l'appareil et
sourit.
« On est allé le chercher... Ah! brigadier, ici Ricaud.
Il y a une jeune demoiselle... »
Armelle lui prit le téléphone des mains.
« Brigadier, c'est la jeune fille de l'hôtel du
Torrent... L'infirmière, oui... Il se passe quelque chose
de très grave. Vous êtes en voiture? Vous pourriez venir
tout de suite?
— Je viens », répondit Gratian.
Des minutes s'écoulèrent. Tout à coup Armelle se
tourna vers le jeune gendarme :
« Auriez-vous le droit, vous, d'arrêter une voiture - -
une ambulance - - un moment seulement, jusqu'à
l'arrivée du brigadier? »
II secoua la tête.

160
« Pas une ambulance qui transporte un malade. En
ce cas, c'est quelquefois une question de minutes. La vie
du malade peut être en jeu. »
Armelle commençait à désespérer, quand la voiture
noire de la gendarmerie fit son apparition. Gratian sauta
à terre et se dirigea vers la jeune fille.
« Merci d'être venu, dit-elle.
- C'est que vous m'avez fait peur! Vous
aviez une voix... Dites-moi, que se passe-t-il?
- Brigadier, j'ai des raisons sérieuses de
croire qu'on essaie d'introduire en France, par cette
frontière, un médicament interdit : la polamide.
Vous savez ce que c'est?
- Bien sûr! Tous les journaux en ont assez parlé!
D'ailleurs on a alerté les postes frontières : dans
toutes les voitures qui ne sont pas du pays, on fouille les
valises.
- Croyez-vous qu'on fouillerait une ambulance?
- Ça, je ne crois pas. C'est dans une ambulance que
ça se passe?
- Justement. Venez vite; nous arriverons peut-
être à Pont-du-Roi avant elle. Si nous la croisons en
route, pouvez-vous l'arrêter?
- Après ce que vous m'avez dit, naturellement.
Croyez-vous que les contrebandiers soient armés?
En ce cas, je préférerais que vous ne veniez pas
avec moi. »

161
Armés? Elle n'y avait pas pensé. De toute façon,
elle tenait à être présente.
Elle sauta avec Gratian dans la voiture noire. Ils
filèrent aussitôt; le brigadier actionnait sa sirène pour
faire ranger les autres voitures, d'ailleurs peu
nombreuses à cette heure. En chemin Gratian interrogea
Armelle.
« Vous dites que vous êtes infirmière — mais
n'appartenez-vous pas plutôt à la Sûreté? On charge
quelquefois une femme de faire une enquête. »
Armelle fit signe que non; elle était trop émue pour
parler.
Au poste frontière, tous deux mirent pied à terre. Le
chef du poste s'avança vers le brigadier.
« Salut, Gratian! Qu'est-ce qui t'amène?
- Dis-moi : tu as dû voir passer une ambulance se
dirigeant vers l'Espagne?
- En effet. Elle venait de l'hôpital de Saint-Gaudens
et elle allait à Molinas chercher une jeune femme qu'on
doit opérer de l'appendicite. Elle est revenue il n'y a
pas dix minutes.
- Revenue!
— Oui, juste avant que vous arriviez. Mais vous
avez dû la croiser sur la route? »
Armelle et Gratian se regardèrent.
« II n'y a qu'une explication, dit le brigadier. En
entendant ma sirène, l'ambulance s'est engagée dans un
chemin de traverse. Ils ne sont pas

162
carrossables, mais elle a pu se cacher derrière les
arbres.
- Et maintenant elle est partie! » s'exclama Armelle
avec désespoir.
Le brigadier interrogeait son collègue. « Tu n'as
rien remarqué de suspect? Il y avait bien une malade à
l'intérieur?
- Je n'ai même pas regardé; le conducteur était
pressé, en pareil cas c'est normal. Je n'aurais pas voulu
leur faire perdre une minute. J'avais vérifié à l'aller
que ses papiers étaient en règle. »
Gratian prit aussitôt l'affaire en main.
« Téléphone immédiatement à Saint-Béat : dis
qu'on arrête cette ambulance et qu'on m'attende.
Attention : l'homme peut être armé. Compris?
- Compris. »
II fit remonter Armelle en voiture et démarra
aussitôt.
« Ils ont peut-être déjà traversé Saint-Béat! dit la
jeune fille désolée.
- Je ne le crois pas. Nous les aurons, n'ayez pas
peur. Elle marche bien, ma voiture! »
En effet, ils filaient comme une flèche, écartant les
autres véhicules à coups de sirène. Ils traversèrent Los
sans s'arrêter. Enfin, à l'entrée d'un chemin qui
débouchait sur la gauche, le brigadier ralentit.
« A mon avis, ils ont dû passer par ici. Ils

163
nous ont vus, ils se savent repérés, ils pensent bien
que j'ai alerté Saint-Béat et ne se risqueront pas dans le
bourg. Oui, regardez : la grosse voiture a brisé des
branches au passage. Ce chemin rejoint la route à trois
kilomètres d'ici. Mais il est à peine praticable : ils n'iront
pas loin, je vous le garantis! »
Le terrain, en effet, était exécrable; la voiture
bondissait sur les cailloux.- Il était évident que
l'ambulance, peu faite pour ce genre de steeple-chase,
devait perdre du terrain. Bientôt, en effet, Armelle et le
brigadier aperçurent une masse blanche qui tressautait
dans la verdure.
« Ursule! murmura la jeune fille.
- Qu'est-ce que vous dites? Ecoutez, j'ai envie de
m'arrêter et de vous laisser ici; je ne voudrais pas vous
exposer dans le cas... »
Elle lui fit signe de poursuivre. Tout a coup
l'ambulance s'immobilisa; une silhouette surgit du siège
et bondit dans les buissons. Gratian accéléra, rejoignit la
grosse voiture, stoppa et sauta à terre à son tour.
« Ne bougez pas! » cria-t-il à Armelle avant de
disparaître dans le fourré.
La jeune fille ferma les yeux. Si Daniel Couvreur
était armé... s'il tirait.. Ou si le brigadier, de son côté... A
la pensée qu'elle pouvait être cause de la mort d'un
homme, elle sentit un froid de glace l'envahir. Elle
descendit de la voiture et se dirigea vers l'ambulance.

164
Chère vieille Ursule! Armelle reconnaissait
maintenant le loquet de la porte arrière, un peu gauchi.
Elle le souleva et jeta un coup d'œil à l'intérieur. Sur les
coussins, il y avait une forme humaine allongée. Mais
l'œil d'Armelle ne s'y trompait pas : ce que recouvrait le
drap, ce n'était pas un malade!
Elle lira doucement le tissu et aperçut des boîtes,
empilées les unes sur les autres de façon à simuler la
forme d'un corps. Le même procédé, en somme, qu'elle
avait naguère employé avec Basin pour faire croire que
l'ambulance emmenait Daniel Couvreur...
Une perruque blonde, les cheveux épars sur un
oreiller, complétait la silhouette.
De la polamide! Et en quelle quantité!
En redescendant de l'ambulance, Armelle entendit
des cris dans le fourré. Gratian apparut, tenant par le
bras un individu qui protestait avec véhémence.
Ce n'était pas Daniel Couvreur, mais...
« Roger Merlet! » s'exclama Armelle.
A ce nom, l'homme sursauta; il jeta les yeux autour
de lui, fil un croc-en-jambe au brigadier, et, parvenant à
se dégager, fila dans les broussailles.

165
Une silhouette surgit du siège et bondit dans les buissons.

166
XI

ARMELLE achevait son récit. « Voilà, brigadier, je


vous ai dit tout ce que je sais. Je suis heureuse que nous
ayons récupéré la polamide.
— Oui, répondit Gratian, c'est l'essentiel. Tout de
même, je regrette d'avoir laissé échapper mon
homme.
— C'est ma faute, parce que j'ai crié son
nom et qu'il m'a reconnue.
— J'aurais dû le tenir plus solidement. Mais

167
nous le retrouverons, vous pouvez en être sûre!
Toutes les routes du département sont gardées... »
II se tut un instant.
« Ce qui m'étonne le plus, voyez-vous, c'est que le
jeune Couvreur soit dans le coup. Je l'ai connu, quand il
sortait avec Jacques Mathias. Il me faisait l'effet d'un
garçon très intelligent, honnête...
- C'est pourtant lui qui à l'aller a fait passer la
frontière à l'ambulance! dit tristement Armelle.
- Oui, la description qu'on nous a faite du
conducteur de l'ambulance lui ressemble, et elle
ne correspond pas à celle de ce Roger... Couvreur doit
avoir filé en cours de route et se cache quelque part
dans le voisinage. Nous verrons bien ce qu'il dira
quand nous le tiendrons. »
Armelle soupira : malgré tout ce qu'elle savait
maintenant sur lui, malgré son appartenance évidente à
la bande, l'idée de voir Daniel entre deux gendarmes lui
semblait intolérable.
« Vous êtes fatiguée, mademoiselle, dit gentiment le
brigadier. Vous avez eu une journée rude. Toutes ces
émotions... la poursuite... Et enfin, c'est vous qui avez
ramené l'ambulance jusqu'à Los.
— Il le fallait bien1 dit-elle en souriant. Nous

168
devions mettre la polamide en sûreté pendant que
vous cherchiez votre homme. Mais j'ai l'habitude de la
conduire, ma vieille Ursule! »
La polamide était maintenant sous clef dans le
bureau du brigadier. Le garage de la gendarmerie étant
trop petit, on avait placé l'ambulance — après l'avoir
mise sous scellés -- dans le garage de l'hôtel, et elle
attendait qu'on eût averti Paris de son équipée.
« Je vais téléphoner à l'hôpital de mon côté, déclara
Armelle. Je dirai que je peux me charger de ramener la
voiture jusqu'à Paris, quand toutes les formalités auront
été accomplies. J'espère que cela ira vite.
- Mais vous n'allez pas repartir tout de suite !
protesta le brigadier. Vous disiez que vous étiez ici pour
toutes vos vacances!
— Je ne sais pas encore... je verrai... »
Maintenant qu'elle avait retrouvé Ursule, fait saisir
la polamide, qu'elle ne reverrait Daniel Couvreur que les
menottes aux mains, rien ne la retenait plus dans les
Pyrénées.
« Qu'allez-vous faire de la polamide? demanda-t-
elle. Je crois qu'à votre place j'aurais envie de jeter tous
ces affreux paquets dans la Garonne ! »
Gratian sourit.
« On ne dispose pas ainsi du corps d'un délit! La
polamide sera envoyée au chef-lieu et examinée en
laboratoire. Ensuite on la détruira

169
ou on l'utilisera si elle peut servir à des expériences.
C'est qu'il y en a une quantité — de quoi empoisonner
tout un département! Pour moi, ma tâche ne consiste
plus qu'à retrouver les trafiquants. »
En sortant du poste où elle avait fait sa déposition,
Armelle se heurta au jeune Mathias qui revenait de la
fête.
« C'est vrai, tout ce qu'on raconte? demanda-t-il.
Que vous avez arrêté une bande de filous et récupéré
une cargaison de drogue? »
Armelle secoua la tête.
« On exagère un peu, dit-elle. D'abord, c'est le
brigadier qui avait pris le coupable; moi, au contraire,
j'ai poussé un cri qui a facilité sa fuite.
— Mais c'est vous qui avez alerté Gratian? Dites-
moi : est-ce pour cela que vous étiez venue dans le
pays? Je me rappelle qu'en arrivant, dans le car, vous
m'aviez déjà parlé d'une ambulance. C'était à celle-là
que vous pensiez, n'est-ce pas? Je ne voudrais pas vous
poser de questions indiscrètes, mais... est-ce que vous
êtes de la police? »
Cette fois, Armelle eut un petit rire amer.
« Vous aussi! dit-elle. Non, je suis infirmière, et
rien que cela. Il se trouve seulement que j'ai eu
connaissance de certaines affaires... »
Mathias la regardait avec une admiration non
dissimulée.

170
« Vous êtes formidable! Je voudrais tant faire
quelque chose pour vous... être capable de vous rendre
service. Vous me le demanderiez, si cela se présentait?
— Bien sûr! répondit-elle. Mais pour le moment je
vais simplement dîner et me coucher; je tombe de faim
et de sommeil. »
C'était vrai. Cependant, une fois dans sa chambre,
elle ressentit soudain une impression de vide affreux.
Hier encore, elle avait un but : retrouver l'ambulance,
empêcher les malfaiteurs de réussir. Sans vouloir se
l'avouer, jusqu’au dernier instant elle avait aussi espéré
que les événements innocenteraient Daniel Couvreur.
Mais il s'était joué d'elle. Maintenant c'était fini. Que lui
restait-il? Rien.
« Je suis injuste, se reprocha-t-elle. Je peux, si je le
veux, achever des vacances tranquilles dans ce beau
pays. Je ferais un peu de montagne, j'irais me promener
en voiture avec ce garçon bavard, mais gentil. Ensuite je
ramènerai Ursule à Paris... Comme Basin va être
content! »
Cependant rien de tout cela ne lui rendait le calme.
Elle entendit le dernier client du café prendre congé,
puis M. Roglès assujettir les grands volets de bois
destinés à protéger les vitres de l'hôtel. Dans l'escalier,
Mme Roglès appela : « Tu viens?

171
— Voilà, voilà... »
Les marches de l'escalier craquèrent sous les
quatre-vingt-dix kilos du patron.
Malgré les exhortations de la vieille Toulousaine,
Armelle laissait toujours sa fenêtre ouverte. Ce soir, ce
n'était plus pour guetter le roulement d'une voiture, mais
simplement pour jouir de l'air pur et du parfum des
champs. Dans la rue on n'entendait plus personne.
Seules les lumières de la station-service restèrent
allumées jusqu'à minuit. Puis elles s'éteignirent à leur
tour; il n'y eut plus dans le silence que la voix cristalline
du torrent qui, elle, ne se taisait jamais.
Tout à coup, Armelle sursauta. Elle se leva et
s'avança doucement vers la fenêtre.

172
Une silhouette confuse longeait le mur de
l'hôtel.
Le garage ! Ursule ! songea-t-elle.
Le sang de la jeune fille ne fit qu'un f tour. Aucun
doute : c'était Roger qui avait épié le retour de
l'ambulance au village et remarqué l'endroit où on
l'enfermait! Furieux d'avoir manqué son coup, il ne
voulait pas tout perdre et essayait de reprendre au moins
la voiture!
Un instant, Armelle pensa à éveiller M. Roglès.
Mais elle eut peur que le bruit ne mît l'individu en fuite.
Elle enfila donc vivement robe et chaussures, chercha
dans sa valise la lampe de poche qu'elle emportait
toujours en voyage et descendit l'escalier sur la pointe
des pieds.
Le garage de l'hôtel avait deux portes : une grande,
qui donnait sur la place et qui n'était fermée qu'au
loquet, une petite qui communiquait avec le reste de la
maison. Armelle traversa l'arrière-cuisine. Le chat, qui
dormait dans son panier, se leva et vint se frotter à ses
jambes, pensant peut-être qu'il était déjà l'heure de son
lait matinal. Elle l'écarta doucement et entra dans le
garage. La porte extérieure était fermée. Armelle se
blottit derrière l'ambulance et attendit.
Soudain une bande de clarté verticale se dessina
dans l'obscurité; un des battants s'écarta sans bruit, une
silhouette se glissa à l'intérieur.

173
Mais au lieu d'ouvrir la porte toute grande pour
faire sortir la voiture, comme Armelle s'y attendait, le
visiteur referma le battant et se dirigea à tâtons vers le
fond du garage.
La jeune fille braqua sur lui sa lampe de poche et
l'inonda brusquement de lumière. Elle étouffa un cri :
celui qui venait d'entrer, c'était Daniel Couvreur!
Daniel, l'épaule toujours dans son plâtre, le visage
tiré, hagard, les yeux clignotants à la lumière trop vive
de la lampe électrique.
« Armelle!... » murmura-t-il.
Ils restaient en face l'un de l'autre sans mot dire,
appuyés au flanc de la grosse voiture.
Armelle avait laissé retomber son bras : la lampe
n'éclairait plus que le sol de terre battue du garage. Elle
articula enfin :
« Daniel... »
Les idées se brouillaient dans sa tête. Elle se disait :
« C'est un malfaiteur, un criminel... » Et en même temps
elle éprouvait une joie immense — celle qu'on ressent
quand on retrouve un ami.
Avant qu'aucun d'eux n'eût tenté une explication,
Daniel se retourna vivement; on entendait un frôlement
à l'extérieur du garage. La grande porte s'entrouvrit de
nouveau; une silhouette masculine se profila dans
l'entrebâillement.
D'un bond, Daniel poussa Armelle derrière

174
l'ambulance. Elle se laissa faire sans résister; elle le
vit dans la pénombre se diriger vers le nouvel arrivant.
Elle reconnut le ricanement de Roger.
« Ah! te voici enfin! fit celui-ci. Nous allons donc
pouvoir nous expliquer. Tu avoueras qu'il n'est que
temps!
— Tu venais chercher l'ambulance? interrogea
Daniel.
— Pour quoi faire? Elle ne peut plus me servir à
rien. C'est toi que je cherchais, toi seul. Je t'ai aperçu
près de la gare et je t'ai suivi jusqu'ici.
- Je n'ai rien à te dire, Roger.
- Nous ne sommes pas du même avis. Dis-moi où
tu as caché la polamide du dernier voyage! » La
voix se faisait menaçante. « J'ai manqué mon coup
aujourd'hui, c'est dommage. Avec ce que je rapportais
cette fois, j'avais de quoi quitter la bande et me reposer
toute ma vie. Sans cette diablesse d'infirmière... Au fait,
vous êtes peut-être de mèche, tous les deux? Elle m'a
empêché de t'approcher à l'hôpital; elle a failli me
faire casser le cou...
- A l'hôpital? Qu'est-ce que tu racontes là?
- D'ailleurs, reprit le frisé, peu importe. Tout
ce que je veux, c'est la polamide. J'ai perdu la grosse
cargaison, c'est entendu. Mais l'autre
- la boîte? » II iit un pas vers Daniel.

175
« Celle que tu as fait passer toi-même, ne l'oublie
pas! et que tu as gardée pour en profiter seul! »
II saisit Daniel par le revers de son veston.
« Je l'ai cherchée partout inutilement. Je suppose
bien qu'avant l'accident tu as eu le temps de la cacher - -
mais où? Tu ne pensais pas que j'allais te laisser la
vendre à ton profit? Même si j'avais réussi aujourd'hui,
je t'aurais recherché pour me venger. Mais maintenant
ta polamide est tout ce qui me reste. Si je ne rapporte
rien au patron, je ne sais pas ce qu'il fera de moi. Alors -
tu vas parler, oui ou non? »
II poussa brutalement Daniel, qui trébucha.
« Tu devrais le comprendre, ce n'est pas avec ton
épaule plâtrée que tu pourras lutter contre moi. Tu ferais
mieux de céder avant que je te fasse vraiment mal. J'ai
ma corde, et je sais m'en servir!
Daniel, renversé sur une des ailes de l'ambulance,
haletait. De son bras valide il décocha un coup de poing
dans le visage de l'autre, qui lança un juron. Puis tous
les deux roulèrent sur la terre battue.
Armelle bondit hors de sa cachette et se précipita
vers la porte en appelant :
« Au secours! au secours! »
Comme par miracle, un homme entra aussitôt dans
le garage. Elle alluma sa lampe et

176
reconnut le jeune Mathias. Elle lui désigna les deux
hommes enlacés sur le sol.
« Là... là... balbutia-t-elle. Il est blessé... l'autre va
le tuer... »
Déjà Mathias avait bondi sur les combattants. Il
saisit le bras de Roger, qui cherchait à passer une
cordelette au cou de Daniel, et le tordit en arrière. Le
frisé hurla de douleur; Daniel se dégagea vivement et
aida Mathias à le maîtriser.
« Donnez-nous de la lumière », demanda Mathias à
Armelle.
Elle dirigea sa lampe sur eux. Le fils du garagiste
poussa un cri :
« Daniel Couvreur! Ça, par exemple! »
Ses yeux stupéfaits allaient de son camarade à la
jeune fille qui souriait maintenant, soulagée.
« II faut appeler les gendarmes, dit Daniel. Le
brigadier est là?
— Il est rentré à la gendarmerie; on n'a qu'à
appeler par les fenêtres.
— J'y vais », dit aussitôt Armelle.
Dès son premier appel, Gratian se montra à la
croisée.
« Brigadier, venez vite! Il est retrouvé! » Quelques
instants plus tard il accourait, boutonnant sa tunique.
Armelle l'entraîna. Ils trouvèrent le garage de l'hôtel
éclairé; Daniel et Mathias maintenaient le frisé qui
cherchait

177
en vain à leur échapper. M. et Mme Roglès, attirés
par le bruit, étaient descendus, l'un en chemise, l'autre
hérissée de bigoudis.
« Je n'espérais pas te revoir aussi tôt, mon garçon,
dit le brigadier à Roger. Mais je t'aurais eu de toute
façon, sois en sûr! »
II lui passa les menottes, puis se tourna vers Daniel.
« Et celui-là... Mais c'est Daniel Couvreur! Que
faites-vous donc ici - et blessé, encore! ajouta-t-il en
regardant le plâtre. Vous aviez pourtant vos deux bras, il
y a quelques heures, quand vous avez passé la frontière
avec l'ambulance?
- Je n'ai pas passé la frontière, répondit
Daniel.
— Mais le conducteur que l'on a vu à l'aller? Ce
n'était pourtant pas cet homme!
Voici qui expliquera peut-être la méprise, dit
Couvreur en désignant une perruque brune qui pendait
de la poche de Roger.
-Ah! je suis bien content! s'exclama le brigadier.
Mais votre blessure? Vous avez vraiment l'air malade...
Il faut demander une chambre à M. Roglès.
- Auparavant j'ai quelque chose à faire.
Pouvez-vous me donner un ciseau?
- Il y a une boîte à outils dans le garage, dit
l'hôtelier. Prenez ce qu'il vous faut. »
Daniel s'approcha de l'ambulance et ouvrit

178
la porte arrière, puis, s'aidant de son bras valide, il
se hissa à l'intérieur. Les autres, surpris, le regardaient
sans comprendre. Il entendirent des coups sourds, puis
des craquements et enfin une exclamation de joie. Un
moment plus tard, quand le jeune homme reparut, il
tenait entre ses mains un petit paquet, qu'il tendit au
brigadier.
« Qu'est-ce que c'est? interrogea celui-ci.
— De la polamide, répondit Daniel. C'est un paquet
que ce trafiquant m'avait fait transporter à mon insu...
Pour ne pas le leur rendre, je l'avais caché dans
l'ambulance... Mademoiselle vous racontera toute
l'affaire. Et j'ai fait l'impossible pour reprendre ce
paquet et le remettre moi-même à la justice. C'était la
seule façon de m'innocenter.
- Imbécile! » grommela Roger entre ses
dents.
Daniel s'appuya au garde-boue de l'ambulance. Le
brigadier examina le petit paquet qu'il tenait.
« Très bien, dit-il. Je vous demanderai une
déposition officielle... Et vous resterez à la disposition
de la police... Mais qu'avez-vous? s'écria-t-il. On
dirait...»
II n'acheva pas sa phrase; le jeune homme venait de
s'affaisser contre le Flanc de la voiture. Armelle, qui ne
le quittait pas des yeux, s'avança.

179
« Quand je pense, dit-elle, qu'il devrait être en train
de se reposer chez lui! Faire ce qu'il a fait avec un bras
plâtré, c'est vraiment tenter le sort. Il faut le coucher
immédiatement; vous avez une chambre prête, madame
Roglès?
- Bien sûr! s'écria l'hôtelière. La sienne,
justement : il voulait toujours être du côté de la
Garonne; il disait que le bruit le berçait...
- Nous allons l'y transporter, dit Armelle.
Voulez-vous m'aider, messieurs? »
Elle fit allonger le jeune homme et lui baigna le
visage à l'eau fraîche. Mme Roglès courut chercher du
vinaigre, qu'on lui fit respirer. Au bout d'un moment, la
couleur revint à son visage : il ouvrit les yeux.
« Excusez-moi, murmura-t-il en essayant de se
relever. Je crois que j'ai eu la sottise de me trouver mal...
»
Armelle le fit se recoucher.
« II faut m'obéir, dit-elle. Je ne suis pas de service,
je le sais, mais les infirmières, voyez-vous, c'est un peu
comme les médecins : elles ne sont jamais vraiment en
vacances!
- Il n'a besoin de rien? demanda M.
Roglès, qui commençait à avoir honte de ses jambes
nues.
- De rien du tout. Je vais rester près de lui; vous
verrez que demain matin il sera déjà mieux.
- Vous êtes bien sûre qu'il a besoin d'une

180
garde de nuit? » interrogea le brigadier avec malice.
Armelle se mit à rire.
« Je n'en suis pas sûre du tout. Mais je sais qu'il en
aura une! »

181
XII

LE SOLEIL entrait à flôts dans la chambre où Daniel


Couvreur, après une nuit paisible, venait enfin d'ouvrir
les yeux. Mme Roglès apportait le plateau du café au
lait, chargé de tartines grillées, de beurre, de confiture.
Elle s'empressa d'aller fermer la fenêtre.
« Mlle Armelle ouvre toujours la sienne, mais elle
donne sur la place. Ici, avec l'humidité de la Garonne,
c'est encore plus dangereux!
- Je vous en prie, dit Daniel, laissez-moi respirer un
peu ! »

182
Elle haussa les épaules.
« Ces Parisiens, vous êtes tous les mêmes!
J'espère au moins que vous avez faim? Une faim de
loup! »
II jeta les yeux autour de lui.
« Et... Mlle Armelle, où est-elle? »
L'hôtelière sourit.
« Elle est allée se reposer - - elle en avait besoin
aussi, la pauvre! Elle a bien recommandé que vous ne
bougiez pas avant son retour. »
Une heure plus tard, Armelle entra dans la chambre.
Elle avait encore les yeux bouffis, n'ayant pas dormi son
content. Mais elle avait trop hâte de revoir son malade.
« J'étais sûre qu'après une nuit de repos vous seriez
déjà mieux! dit-elle gaiement.
- Vous avez déjeuné?
- Bien sûr. Maintenant je suis tout à vous. Ne
croyez-vous pas qu'il serait temps de me
raconter...?»
II soupira.
« Oui, je peux, à présent. Mais c'est une longue
histoire. Etes-vous prête à l'écouter?
- Je suis prête à tout. Je me sens si heureuse,
Daniel, depuis...
- Depuis? interrogea-t-il.
- Depuis que j'ai compris que vous n'aviez pas fait
passer la polamide... Quand je vous ai vu remettre le
paquet au brigadier, j'ai failli

183
fondre en larmes, tant j'avais honte d'avoir
douté de vous!
— Et moi, je ne voulais rien vous dire avant que
cette horrible affaire ait pris tin. J'ignorais que Roger
avait tenté de me retrouver à l'hôpital, que vous m'aviez
sauvé une seconde fois... Car je suis sûr que, ne pouvant
pas me faire parler, il aurait été prêt à tout pour me faire
taire.
— L'histoire, Daniel! supplia-t-elle.
- Jusqu'à l'an dernier, Armelle, j'ai mené la vie
normale de tous les étudiants. J'avais passé ma licence
de maths à Lyon, où j'habitais avec ma mère veuve.
Quand je l'ai perdue, je suis allé préparer ma thèse de
doctorat à Paris. J'étais trop triste pour me faire vite des
camarades. Mes seuls bons moments ont été mes
vacances à Los, que j'ai découvert et où je suis revenu
bien des fois.
« La seconde année de mon séjour à Paris, j'ai fait
la connaissance de Roger, dans un club de tennis. J'étais
très seul, et une sorte d'amitié s'est établie entre nous. 11
y avait en lui quelque chose d'un peu mystérieux qui rn
‘amusait et m'intriguait. Roger se disait journaliste, il
maniait pas mal d'argent.
« Dès notre première rencontre, je lui avais parlé de
Los. Le mois dernier, profitant de la fin de mon cours, je
décidai d'aller y passer quelques jours. Avant mon
départ, Roger

184
un dit qu'il avait un service à me demander. J'ai
remarqué, me dit-il, que dans les pays frontaliers les
gens qui sont connus, comme toi à Los, passent d'un
côté à l'autre sans difficulté. Jamais on ne les arrête à la
douane. »
« - En effet, dis-je. Je t'avoue que j'ai moi-même
passé de cette façon la veste de cuir que je porte. »
« — Alors, tu pourrais peut-être me rapporter un
paquet. C'est un cadeau que je veux faire. Un bijou
ancien qui n'a pas grande valeur, mais qui fera plaisir
à une femme qui les collectionne. Tu n'as qu'à le fourrer
au fond de ton casier à gants... » « J'ai accepté,
naturellement. Ce genre de petite contrebande est
bien connu et toléré dans le pays. Pendant mon séjour à
Los, je me rendis donc à Molinas, de l'autre côté de la
frontière, où un propriétaire de café me remit le paquet
en question. Cela ne me semblait pas grave et j'étais
heureux de rendre ce service à un ami.
« Je remontai sur Paris. Roger m'avait donné
rendez-vous à Villeneuve, dans un garage dont il
connaissait le propriétaire. Le fils du garagiste, presque
idiot, mais doué d'une force peu commune, regardait
Roger comme un dieu.
— C'est Jo! s'exclama Armelle.
— C'est vrai, vous le connaissez... Nous sommes

185
allés dîner tous les trois dans un bistrot en face du
garage. J'avais laissé le paquet dans le coffret à gants.
Roger et Jo semblaient enchantés. Tous deux buvaient
beaucoup. Soudain Roger s'est penché vers moi.
« - - Sais-tu, m'a-t-il dit, que dans ce paquet que tu
vas me remettre, il y a presque une fortune? »
« Je me suis étonné. Jo a éclaté de rire. « — Ecoute,
a repris Roger, il est temps maintenant que je te
mette au courant. Je suis sur une magnifique affaire,
qui ne fait que commencer. Plusieurs voyages
comme celui que tu viens de faire, et nous sommes
riches, toi et moi. Car je suis régulier, tu auras ta part, je
te le promets. Tu ne devines pas ce qu'il y a dans ce
paquet? » « II a chuchoté : « — De la polamide! »
« Mon sang n'a fait qu'un tour. Depuis un moment
je soupçonnais quelque chose de louche. Mais la
polamide! Comme tout le monde j'étais au courant par
les journaux; je connaissais le danger de la polamide; je
savais que certaines personnes, qui avaient pris
l'habitude de cette drogue, ne pouvaient plus s'en passer
et l'achetaient, s'il le fallait, à prix d'or.
« - - Pourquoi ne me l'as-tu pas dit? » ai-je crié.
« Il a ricané.

186
« -- Parce que j'avais peur que tu ne marches pas!
La première fois, on a des scrupules. Mais maintenant, il
est trop tard : tu ne peux plus reculer. Tu es compromis,
mon vieux! Si tu disais un mot, je pourrais prouver que
c'est toi qui as fait passer la polamide. Sans compter
toute celle que tu as véhiculée pour moi dans Paris, sans
le savoir... » « J'ai compris que j'étais entre ses mains.
Pourtant j'ai réussi à me dominer. Je voulais en
savoir davantage.
« — II y a longtemps que tu fais ce trafic? » ai-je
demandé.
« II m'a répondu avec fierté qu'il travaillait pour
une bande « formidable ». Cambriolages, hold-up, etc.
La polamide, c'était sa nouvelle

187
spécialité. Depuis quelques semaines il n'en trouvait
plus que difficilement, et le chef commençait à le
regarder d'un mauvais œil.
« — Mais en voyant ça, il se calmera! Et «
maintenant que nous avons un filon, nous « allons
recommencer! Ça paye joliment « bien, tu verras! »
« Brusquement décidé à me rendre à la police et à
livrer la polamide, je me suis levé d'un bond et j'ai couru
jusqu'à ma voiture. Roger est retourné au garage pour
aller prendre la sienne. Pendant ce temps, j'ai démarré.
Au premier tournant, j'ai constaté que j'étais suivi par
une voiture noire.
« En pleine nuit, nous avons tourné autour de Paris;
je ne savais plus où j'étais; je me trouvais sur une route
inconnue. C'est alors que Roger, forçant sa vitesse, m'a
rattrapé, a voulu me doubler... et que j'ai accroché un
platane.
« Après l'accident, il a commencé par chercher la
polamide dans ma voiture. 11 ne l'y a pas trouvée : tout
en conduisant, j'avais ouvert le coffret à gants et glissé
le paquet de drogue entre ma chemise et la peau. Roger
s'est dit alors que j'avais dû me débarrasser du précieux
produit. Mais j'étais vivant et il pouvait me forcer à lui
dire où je l'avais jeté. Pour ne pas risquer d'être vu sur
les lieux de l'accident, il m'a fait transporter par Jo dans
l'allée du château; ensuite, constatant que celui-ci était
abandonné, il m'a fait déposer dans une des pièces.

188
- Mais comment savez-vous tout cela, puisque
vous étiez sans connaissance? » demanda Armelle.
Daniel sourit.
« Je n'étais pas sans connaissance. Mais j'ai compris
que ma seule chance de salut était de le faire croire à
Roger. C'est pour cela qu'il a appelé un médecin. Il
voulait que celui-ci me ranimât; il l'aurait renvoyé
ensuite en lui disant qu'il se chargeait de me ramener
chez moi. En attendant le médecin, il est retourné
fouiller ma voiture. Ensuite, vous avez constaté sa
colère quand il vous a trouvée sur le point de
m'emmener à l'hôpital.
- Il y a une chose que je ne comprends pas, dit
Armelle. Un peu plus tard, il a fouillé vos vêtements
sous mes yeux, et n'a pas trouvé la polamide.
- C'est que, à ce moment, je ne l'avais déjà plus.
Quand Jo et vous m'avez hissé dans l'ambulance,
prévoyant le retour imminent de Roger, j'ai
compris qu'il fallait à tout prix faire disparaître
le paquet que j'avais sur moi. De mon bras valide,
j'ai tâté à côté de moi, j'ai senti une lame de plancher
disjointe, qui se soulevait facilement, j'ai collé le paquet
sous cette lame et j'ai eu tout juste le temps de la
rabattre avant que Roger me fasse ramener dans
le salon.

189
-— Comment avez-vous pu feindre ainsi
l'inconscience alors que vous deviez tant souffrir?
— Au début, je me suis demandé si j'y
parviendrais. Ensuite, vous m'y avez aidé,
Armelle : vos piqûres m'ont endormi pour de bon!
— Quand je pense, dit la jeune fille, que sans le
savoir Roger a eu à deux reprises la polamide entre ses
mains... »
Tous deux se mirent à rire, puis Armelle,
redevenant grave, reprit :
« Ce que je voudrais savoir maintenant, Daniel,
c'est pourquoi vous ne m'avez rien dit. Je vous avais
donné ma confiance, moi. N'avais-je pas un peu droit à
la vôtre?
— C'est peut-être le plus difficile à expliquer.
J'étais tellement touché de la façon dont vous aviez agi,
Armelle... je vous admirais tant, que pour rien au
monde je ne voulais vous voir mêlée à cette affaire
sordide. Je pensais que, si je livrais moi-même la
polamide à la police, j'arriverais ainsi à prouver mon
innocence et que personne ne se douterait de rien.
— Alors, pour reprendre secrètement la polamide,
vous avez cherché à pénétrer dans le garage de l'hôpital?
— J'ai essayé, oui. Mon épaule plâtrée m'a
empêché de me hisser jusqu'à la lucarne. Deux jours
plus tard, comme je surveillais l'hôpital, j'ai vu
Roger voler l'ambulance. J'ai deviné aussitôt que
Roger avait compris le parti

190
qu'il pouvait tirer d'une ambulance en utilisant le
passage de Los...
- Et, même à ce moment-là, vous n'avez pas voulu
prévenir la police?
Roger avait fait tout ce qu'il fallait pour me
compromettre. Je ne voulais pas risquer de passer pour
un malfaiteur trahissant ses complices dans l'espoir de
se disculper. J'ai eu l'idée de descendre moi-même à Los
et de m'adresser à Gratian, le brigadier, qui me
connaissait et qui m'aurait fait confiance. Je suis arrivé
trop tard : vous aviez agi avant moi. C'est vous,
Armelle, qui avez arrêté l'entrée de la polamide! »
II fit une pause et sourit.
« Maintenant, vous savez tout, Armelle. J'ai peut-
être été naïf en ne soupçonnant pas Roger plus tôt, mais
je n'ai pas été malhonnête!
- L'excès de confiance est parfois une preuve
d'honnêteté, dit gravement la jeune fille.
— Alors... vous voulez bien que nous soyons amis?
- Il me semble que nous le sommes déjà! dit-elle.
Tout va bien : Roger a fait des aveux; il a donné le nom
de son chef et des principaux membres de sa bande. De
mon côté, j'ai téléphoné à l'hôpital ce matin; on m'a dit
d'achever tranquillement mes vacances et de remonter à
petites étapes avec Ursule quand le séquestre sera levé.

191
Ursule?
- Mon ambulance! expliqua-t-elle en souriant.
A ce moment-là vous serez bien reposé; je vous
ramènerai à l'hôpital pour qu'on vous enlève
votre plâtre... Mais qu'est-ce que j'entends? fit-elle
en s'interrompant brusquement. Il me semble qu'on sort
l'ambulance du garage! Je croyais que tout cela était
fini! »
Elle courut à la fenêtre du palier qui donnait sur la
place. Ursule était devant l'hôtel; Jacques Mathias, armé
d'une énorme éponge, commençait à la laver à grande
eau.
« Elle était trop sale! déclara-t-il. Mon père donnera
un coup d'œil à la mécanique. Mais vous ne pouviez pas
vous montrer avec elle dans cet état. Que penserait-on
des garagistes pyrénéens?
- Pauvre Ursule! soupira Armelle; elle en a vu de
dures!
- Regardez-la, dit Mathias en épongeant avec
vigueur : elle paraît déjà plus contente! »
Et c'était vrai que l'ambulance, avec son pare-chocs
cabossé et ses phares qui reflétaient le soleil, avait l'air
de sourire.

192
IMPRIMÉ EN FRANCE PAR BRODARD ET TAUPIN

7, bd Romain-Rolland - Montrouge.
Usine de La Flèche, le 21-05-1979.
1901-5 - Dépôt légal n° 8623, 2e trimestre 1979.
20 - 01 - 4063 - 04 ISBN : 2 - 01 - 003020 - 6
Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.
Dépôt : janvier 1973.

193
Biographie

Née en 1897 à Paris, Suzanne Pairault est la fille du peintre Jean Rémond (mort en
1913). Elle obtient une licence de Lettres à la Sorbonne et part étudier la sociologie
en Angleterre pendant deux ans. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, elle sert un
temps comme infirmière de la Croix-Rouge dans un hôpital anglais. Elle effectue de
nombreux voyages à l’étranger (Amérique du Sud, Proche-Orient). Mariée en 1929, elle
devient veuve en 1934. Durant la Deuxième Guerre mondiale, elle entre dans la résistance et
obtient la Croix de guerre 1939-1945.
Elle publie d’abord des livres pour adultes et traduit des œuvres anglaises en français.
À partir de 1950, elle publie des romans pour la jeunesse tout en continuant son travail de
traducteur.
Elle est surtout connue pour avoir écrit les séries Jeunes Filles en blanc, des histoires
d'infirmières destinées aux adolescentes, et Domino, qui raconte les aventures d'un garçon de
douze ans. Les deux séries ont paru aux éditions Hachette respectivement dans la
collection Bibliothèque verte et Bibliothèque rose. « Près de deux millions d’exemplaires de
la série Jeunes filles en blanc ont été vendus à ce jour dans le monde. »
Elle reçoit le Prix de la Joie en 1958 pour Le Rallye de Véronique. Beaucoup de ses
œuvres ont été régulièrement rééditées et ont été traduites à l’étranger. Suzanne Pairault
décède en juillet 1985.

Bibliographie
Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Romans
1931 : La Traversée du boulevard (sous le nom de Suzanne Rémond). Éd. Plon.
1947 : Le Sang de bou-okba - Éd. Les deux sirènes.
1951 : Le Livre du zoo - Éd. de Varenne. Réédition en 1951 (Larousse).
1954 : Mon ami Rocco - Illustrations de Pierre Leroy. Collection Bibliothèque rose illustrée.
1960 : Vellana, Jeune Gauloise - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-
Bibliothèque no 196.
1963 : Un ami imprévu - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-
Bibliothèque no 255.

194
1964 : Liselotte et le secret de l'armoire - Illustrations de Jacques Poirier. Collection Idéal-
Bibliothèque.
1965 : La Course au brigand - Illustrations de Bernard Ducourant. Éd. Hachette, Collection
Nouvelle Bibliothèque rose no 195.
1965 : Arthur et l'enchanteur Merlin - Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque no 278.
Illustrations de J.-P. Ariel.
1972 : Les Deux Ennemis - Éd. OCDL. Couverture de Jean-Jacques Vayssières.
Série Jeunes Filles en blanc
Article détaillé : Jeunes Filles en blanc.
Cette série de vingt-trois romans est parue en France aux éditions Hachette dans la
collection Bibliothèque verte. L'illustrateur en titre est Philippe Daure.
1968 : Catherine infirmière (no 367)
1969 : La Revanche de Marianne (réédition en 1978 et 1983)
1970 : Infirmière à bord (réédition en 1982, 1987)
1971 : Mission vers l´inconnu (réédition en 1984)
1973 : L'Inconnu du Caire
1973 : Le Secret de l'ambulance (réédition en 1983, 1990)
1973 : Sylvie et l'homme de l'ombre
1974 : Le lit n°13
1974 : Dora garde un secret (réédition en 1983 et 1986)
1975 : Le Malade autoritaire (réédition en 1984)
1976 : Le Poids d'un secret (réédition en 1984)
1976 : Salle des urgences (réédition en 1984)
1977 : La Fille d'un grand patron (réédition en 1983, 1988)
1978 : L'Infirmière mène l’enquête (réédition en 1984)
1979 : Intrigues dans la brousse (réédition en 1986)
1979 : La Promesse de Francine (réédition en 1983)
1980 : Le Fantôme de Ligeac (réédition en 1988)
1981 : Florence fait un diagnostic (réédition en 1993)
1981 : Florence et l'étrange épidémie
1982 : Florence et l'infirmière sans passé (réédition en 1988, 1990)
1983 : Florence s'en va et revient (réédition en 1983, 1989, 1992)
1984 : Florence et les frères ennemis
1985 : La Grande Épreuve de Florence (réédition en 1992)

Série Domino
Cette série a été éditée (et rééditée) en France aux éditions Hachette dans la collection
Nouvelle Bibliothèque rose puis Bibliothèque rose.
1968 : Domino et les quatre éléphants - (no 273). Illustrations de Jacques Poirier.
1968 : Domino et le grand signal - (no 275). Illustrations de Jacques Poirier.
1968 : Domino marque un but - (no 282). Illustrations de Jacques Poirier.
1970 : Domino journaliste - (no 360). Illustrations de Jacques Pecnard.
1971 : La Double Enquête de Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.
1972 : Domino au bal des voleurs - Illustrations de Jacques Pecnard.
1974 : Un mustang pour Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.
1973 : Domino photographe - Illustrations de Jacques Pecnard.
1975 : Domino sur la piste - Illustrations de François Batet.
1976 : Domino, l’Étoile et les Rubis - Illustrations de François Batet.
1977 : Domino fait coup double - Illustrations de François Batet.

195
1977 : La Grande Croisière de Domino - Illustrations de François Batet.
1978 : Domino et le Japonais - Illustrations de François Batet.
1979 : Domino dans le souterrain - Illustrations de François Batet.
1980 : Domino et son double - Illustrations de Agnès Molnar.

Série Lassie
1956 : Lassie et Joe - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Collection Idéal-
Bibliothèque n°101.
1958 : Lassie et Priscilla - no 160. Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque - Réédition en 1978 (Bibliothèque rose).
1958 : Lassie dans la vallée perdue - Adapté du roman de Doris Schroeder. Illustrations de
Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1974 (Idéal-
Bibliothèque).
1967 : Lassie donne l’alarme - Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette,
Collection . Idéal-Bibliothèque . Réédition en 1979 (Idéal-Bibliothèque).
1971 : Lassie dans la tourmente - Adapté du roman de I. G. Edmonds. Illustrations de
Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.
1972 : Lassie et les lingots d'or - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise
Boudignon. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.
1976 : La Récompense de Lassie - Adapté du roman de Dorothea J. Snow. Illustrations
d'Annie Beynel - Éd. Hachette, coll. Bibliothèque rose.
1977 : Lassie dans le désert. Illustrations d'Annie Beynel. Éditions Hachette,
Coll. Bibliothèque rose.
1978 : Lassie chez les bêtes sauvages - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de
Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Véronique
1954 : La Fortune de Véronique - Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque
1955 : Véronique en famille - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. . Idéal-
Bibliothèque
1957 : Le Rallye de Véronique - Illustrations d’Albert Chazelle - Éd. Hachette, Coll. . Idéal-
Bibliothèque no 128.
1961 : Véronique à Paris - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque no 205.
1967 : Véronique à la barre - Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque no 377.

Série Robin des Bois ]


1953 : Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-
Bibliothèque no 43. Réédition en 1957 (coll. Idéal-Bibliothèque).
1958 : La Revanche de Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette,
Coll. Idéal-Bibliothèque no 154. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

196
1962 : Robin des Bois et la Flèche verte - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette,
Coll. Idéal-Bibliothèque no 234. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

Série Sissi
1962 : Sissi et le fugitif - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 226. Réédition en 1983,
illustrations de Paul Durand.
1965 : Sissi petite reine - no 284. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. Réédition en 1976 et
1980 (Idéal-Bibliothèque, illustrations de Jacques Fromont (1980)).

En tant que traducteur


Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Série Docteur Dolittle


1967 : L’Extravagant Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur.
Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.
1968 : Les Voyages du Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur.
Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 339.
1968 : Le Docteur Dolittle chez les Peaux-rouges, de Hugh Lofting. Illustrations originales de
l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Ji, Ja, Jo


Série sur le monde équestre écrite par Pat Smythe et parue en France aux Éditions Hachette
dans la collection Bibliothèque verte.
1966 : Ji, Ja, Jo et leurs chevaux - Illustrations de François Batet.
1967 : Le Rallye des trois amis - Illustrations de François Batet.
1968 : La Grande randonnée - no 356 - Illustrations de François Batet.
1969 : Le Grand Prix du Poney Club - Illustrations de François Batet.
1970 : À cheval sur la frontière - Illustrations de François Batet.
1970 : Rendez-vous aux jeux olympiques - Illustrations de François Batet.

Série Les Joyeux Jolivet


Série écrite par Jerry West et parue en France aux éditions Hachette dans la collection
Nouvelle Bibliothèque rose.
1966 : Les Jolivet à la grande hutte - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll.
Nouvelle Bibliothèque rose no 218.
1966 : Les Jolivet font du cinéma - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll.
Bibliothèque rose no 226 (réédition en 1976, coll. Bibliothèque rose).
1966 : Les Jolivet au fil de l'eau - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll.
Nouvelle Bibliothèque rose no 220.
1967 : Les Jolivet font du camping - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll.
Nouvelle Bibliothèque rose no 242.
1967 : Le Trésor des pirates - no 259 - Illustrations de Maurice Paulin.
1968 : L’Énigme de la petite sirène - no 284 - Illustrations de Maurice Paulin.
1968 : Alerte au Cap Canaveral - no 272 - Illustrations de Maurice Paulin.
1969 : Les Jolivet au cirque - no 320 - Illustrations de Maurice Paulin.
1969 : Le Secret de l'île Capitola - no 304 - Illustrations de Maurice Paulin.
1970 : Les Jolivet et l'or des pionniers - no 340 - Illustrations de Maurice Paulin.
1970 : Les Jolivet montent à cheval - no 347 - Illustrations de Maurice Paulin.

197
Série Une enquête des sœurs Parker
Série écrite par l'Américaine Caroline Quine, éditée en France aux éditions Hachette dans la
collection Bibliothèque verte. Rééditions jusqu'en 1987.
1966 : Le Gros Lot.
1966 : Les Sœurs Parker trouvent une piste.
1967 : L'Orchidée noire.
1968 : La Villa du sommeil.
1969 : Les Disparus de Fort-Cherokee.
1969 : L'Inconnu du carrefour.
1969 : Un portrait dans le sable.
1969 : Le Secret de la chambre close.
1970 : Le Dauphin d'argent.
1971 : La Sorcière du lac perdu.
1972 : L'Affaire du pavillon bleu,
1972 : Les Patineurs de la nuit.

Série Un cochon d'Inde


1965 : Un cochon d'Inde nommé Jean-Jacques, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives.
Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose).
1966 : Qui a volé mon cochon d'Inde ?, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd.
Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque Rose (Mini rose) no 219.
1968 : Le Tour du monde d'un cochon d'Inde, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives.
Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose) no 268.

Série Une toute petite fille ]


1955 : L'Histoire d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Simone
Baudoin. Réédition en 1959 (Nouvelle Bibliothèque Rose no 29) et 1975 (Bibliothèque Rose,
illustré par Pierre Dessons).
1964 : Les Bonnes idées d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Éd. Hachette,
Bibliothèque rose no 166. Réédition en 1979 (Bibliothèque rose, Illustré par Jacques
Fromont) et 1989 (Bibliothèque rose, Illustré par Pierre Dessons).
1968 : Les Découvertes d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de
Jeanne Hives. Éd. Hachette, Nouvelle Bibliothèque Rose (mini rose) no 298. Réédition en
1975 et 1989 (Bibliothèque Rose, Illustré par Pierre Dessons).

Romans hors séries


1949 : Dragonwyck d’Anya Seton. Éd. Hachette, Coll. Toison d'or. Réédition en 1980 (Éd.
Jean-Goujon).
1951 : La Hutte de saule, de Pamela Frankau. Éd. Hachette.
1953 : Le Voyageur matinal, de James Hilton. Éd. Hachette, Coll. Grands Romans Étrangers.
1949 : Le Miracle de la 34e rue, de Valentine Davies. Éd. Hachette - Réédition en 1953 (ed.
Hachette, coll. Idéal-Bibliothèque, ill. par Albert Chazelle).
1964 : Anne et le bonheur, de L. M. Montgomery. Illustrations de Jacques Fromont. Éd.
Hachette, Coll. Bibliothèque verte.
1967 : Cendrillon, de Walt Disney, d'après le conte de Charles Perrault. Éd. Hachette,
collection Bibliothèque rose. Réédition en 1978 (ed. Hachette, Coll. Vermeille).
1970 : Les Aventures de Peter Pan, de James Matthew Barrie. Éd. Hachette,
Coll. Bibliothèque rose. Réédition en 1977 (Hachette, Coll. Vermeille).

198
1973 : Blanche-Neige et les Sept Nains, de Walt Disney, d’après Grimm. Éd. Hachette, Coll.
Vermeille.
1967 : La Fiancée de la forêt, de Robert Nathan - Illustrations de François Batet. Éd.
Hachette.
1965 : Le Chien du shérif, de Zachary Ball - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette,
Coll. Idéal-Bibliothèque n°283.
1939 : Moi, Claude, empereur : autobiographie de Tibère Claude, empereur des Romains -
Robert Graves, Plon. Réédition en 1978 (Éditions Gallimard) et 2007 (Éditions Gallimard,
D.L.).

Prix et Distinctions
Croix de guerre 1939-1945.
Prix de la Joie en 1958 décerné par l'Allemagne pour Le Rallye de Véronique.

199

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