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Paret Roger. Un parallèle byzantin à Coran, XVIII, 59-81. In: Revue des études byzantines, tome 26, 1968. pp. 137-159.
doi : 10.3406/rebyz.1968.1402
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1968_num_26_1_1402
UN PARALLELE BYZANTIN A CORAN,
XVIII, 59-81*
avant de le quitter, Élie lui dit que, s'il avait fait mourir la vache du
pauvre hospitalier, c'était par une grâce de substitution, car à l'origine
il était arrêté qu'en ce jour c'était sa femme qui devait mourir; si
l'homme riche et avare avait réparé son mur lui-même, il aurait
découvert un trésor dont il valait mieux qu'il n'eût pas le bénéfice;
s'il avait souhaité aux villageois inhospitaliers de devenir tous des
chefs, c'était afin qu'ils se querellassent constamment « car toute
association dont les chefs sont nombreux est appelée à disparaître »,
alors qu'aux autres il avait souhaité un seul chef pour qu'ils fussent
dirigés avec sagesse.
Malgré des différences sensibles entre plusieurs épisodes, la parenté
de ces deux récits est si évidente que le mäshäl haggadique a été tenu
jusqu'ici pour la source immédiate du texte coranique 10. Charles
dernier et le plus piquant avatar de l'apologue fut sans doute qu'il amusa Voltaire,
lequel en fit le chapitre χ χ de Zadig.
11. G. G. Torrey, The Jewish Foundation of Islam, New York, 1933, pp. 35-36
et p. 120-125. Torrey écartait résolument l'hypothèse que, dans ce cas tout au
moins, Muhammad ait pu utiliser seulement une tradition orale; le parallélisme
des récits lui semblait une preuve manifeste qu'il y avait eu là connaissance d'une
source écrite, sinon par Muhammad lui-même, au moins par un de ses informateurs
directs.
12. L. Massignon, Élie et son rôle en Islam, in Élie le Prophète, II, p. 269-289,
spécialement p. 281-286 (Analyse de la sourate XVIII du Qor'ân, Ahl al-Kahf ;
cf. L. Massignon, Les « Sept Dormants » Apocalypse de l'Islam, Analecta Bollan-
diana 1950 (= Mélanges Paul Peelers), II, p. 245-260, repris dans Opera minora,
III, p. 104-118.
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14. A cet égard, la parenté, non seulement dans la thématique mais jusque
dans la présentation des récits, est frappante entre les collections de Midrashim,
les recueils chrétiens d'anecdotes édifiantes composés à l'époque proto-byzantine
et les séries de traditions des exégètes arabo-musulmans. Le texte du Leimon
illustre bien cette profonde parenté structurelle. Beaucoup de ces anecdotes monast
iques, dont les recueils ont connu une si grande fortune dans les églises de langue
grecque, procédaient en fait d'un genre littéraire dont la fonction, à la fois rel
igieuse et culturelle, était considérable dans le judaïsme rabbinique et dans le
christianisme de langue syriaque, celui du mäshäl, de « l'historiette », tout ensemble
édifiante et instructive, goûtée pour elle-même à coup sûr, mais aussi pour ce
qu'il était licite, voire nécessaire, d'en déduire, par analogie.
15. Vie de Jean l'aumônier : version éditée par H. Gelzer, Leontios von Neapolis,
Leben des heiligen Iohannes des Barmherzigen, Erzbischof von Alexandrien, Frei
burg, 1893, p. 54-56; version éditée par H. Delehaye, Une vie inédite de saint Jean
l'Aumônier, Bruxelles, 1927, p. 54. Les données sur la vie et l'œuvre de Leontios
de Neapolis ont été l'objet de deux études récentes : P. van den Ven, La légende
de saint Spyridon évêque de Trimithonte, Louvain, 1953; L. Rydén, Das Leben
des heiligen narren Symeon von Leontios von Neapolis, Uppsala, 1963. — La vie de
Gregentios a été sommairement résumée par A. A. Vasiliev d'après le codex 541
du couvent de sainte Catherine au Sinaï (Zitie sv. Grigentija episkopa Omiritskago,
Vizantijskij Vremennik, XIV, 1907, éd. 1909, p. 23-67). Outre le Sinaiticus 541,
daté de 1180, quatre manuscrits contiennent cette pièce hagiographique : le
Hierosolymitanus 467, le Dionysiou 183, le Philotheou 109, le Coislin 255. — Les
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Erotapokriseis attribuées à Anastasios ont été éditées par Migne, PG, t. LXXXIX,
coll. 311-823.
16. Vie de Jean l'aumônier, éd. Delehaye, p. 54, 1. 27-30 : ουχί σύ με παρεκά-
λεσας εϋξασθοα, ώστε σωθήναι τόν σον υίόν; και ιδού Θεοΰ θέλοντος έσώθη, του παρόντος
βίου ανεύθυνος μεταστάς. Ει γαρ ζωής αύτω χρόνος εδόθη, βέβηλος εμελλεν εσεσθαι και
δόλιος άνθρωπος. Le thème apparaît également, sous forme anecdotique, dans la
vie de Syméon Salos. Le saint ayant été un jour moqué par des jeunes filles, Dieu
les éborgna toutes dans le moment et ne furent guéries que celles que le saint
embrassa sur l'œil, les autres demeurant estropiées leur vie durant; ce mal envoyé
par la providence, expliquait Syméon, avait en réalité préservé ces adolescentes,
car sans cela elles auraient mené une vie de péché pire que celle des autres femmes
de Syrie, de telle sorte que ce qui paraissait un malheur évitait un malheur plus
grand, celui du péché (éd. Rydén, p. 15717-1588). Ici encore au reste l'anecdote
édifiante reprend un récit plus ancien dans le premier chapitre de sa Philotheos
:
dessein salutaire pour les hommes, môme et surtout pour ceux qui
en sont les victimes : est-ce à dire qu'il est licite d'en conclure que les
circonstances et le moment de la mort de chaque individu sont l'effet
d'un jugement de Dieu? Les crimes que des hommes injustes perpè
trent sur la personne d'hommes innocents ne seraient-ils en dernière
analyse — tels le meurtre accompli par l'ange et l'assassinat du jeune
homme dans la Vie de Gregentios — que l'exécution en quelque sorte
inéluctable de la volonté toute puissante de Dieu et, en cette hypot
hèse, quelle serait, dans la responsabilité de l'acte criminel, la part
de celui qui le commet et, pour ainsi dire, la « part de Dieu », tout
au moins la part d'une « prédétermination » divine dont l'homme
n'aurait été que l'instrument? Ce qu'on pourrait nommer l'apologue
du « jeune juste assassiné » ne doit donc pas être considéré seulement
comme un élément de littérature gnomique, de simple et presque
« folklorique » tradition sapientielle, mais comme l'illustration en
quelque manière eminente, parce que la plus choquante pour qui s'en
tient aux critères des jugements terrestres, du débat sur la « prédes
tination » des individus et la prescience divine.
Les récits ordonnés autour de ce thème dans la Vie de Gregentios
permettent au reste d'observer que les auteurs chrétiens de l'époque
proto-byzantine, qui ont entrepris d'examiner ce problème, avaient
conscience de l'ambiguïté des interprétations qu'eux-mêmes propos
aient. Dans la longue narration, chargée de « merveilleux », où un
hagiographe inconnu a prétendu retracer la vie du personnage ecclé
siastique qui restaura les communautés chrétiennes en Arabie du sud
après les « persécutions » conduites par les souverains himyarites de
religion juive, pendant le premier tiers du vie siècle 17, ces épisodes
apparaissent organisés en un système cohérent, qui, loin de n'être
qu'un élément marginal dans l'économie de la biographie, a été dis
posé par le compilateur comme l'un des moments principaux de la
vie du saint et comme l'occasion d'un exposé dogmatique qui est sans
17. Sur le conflit religieux et politique qui opposa, pendant la première moitié
du vie siècle, les tenants d'un monothéisme judaïsant et les diverses communautés
chrétiennes en Arabie du sud, des données nouvelles ont été fournies par les décou
vertes épigraphiques des vingt dernières années : cf. S. Smith, Events in Arabia
in the 6th Century A. D., Bulletin of the School of Oriental and African Studies,
XVI, 1954, pp. 425-468; J. Ryckmans, La persécution des Chrétiens himyarites au
VIe siècle, Istanbul, 1956; A. G. Lundin, Juznafa Aravifa ν VI veke, Moscou,
1961 (= Palestinskij Sbornik, 8); M. Rodinson, Annuaire 1965-66. École pratique
des Hautes Études, IVe section, p. 125-140; M. Rodinson, Annuaire 1966-67.
École pratique des Hautes Études, IVe section, p. 121-138.
Κ. PAUKT : UN PARALLÈLE KYZANT1N A CORAN 147
τοις άνθρώποις συμοαίνειν είώθασιν, κατά τον φάσκοντα προφήτην περί του Ισραήλ
πεσοντο: εκ πλείστων διαφορών έν παγίδι θανάτου" [Sin., fol. 19).
148 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES
22. Ό δε μακάριος αποκριθείς λέγει προς αυτούς : Δια τον κύριον συμπαθήσατε
την έμήν ανικανότητα' τίς γαρ καί εΐμι αυτός έγώγε, ώς έπιλύσων ύμΐν σύνθεσιν κρι-
μάτων απορρήτων τοϋ παντοκράτορος. Γέγραπται γάρ, αδελφοί, τα κρίματα κυρίου
άβυσσος πολλή (Sin. f. 19V). Dans les autres manuscrits, la citation scrip-
turaire est transmise sous 'une forme différente : τα κρίματα τοϋ θεοΰ άβυσσος
πολλή.
23. Ίκαναί μεν τιμωρίαι γίνονται διαφόρων θανάτων επί πολλοίς άνθρώποις άνωθεν
εκ τοϋ θεοϋ, της αποφάσεως ερχόμενης δικαίως έπ' αυτούς καί σκοπήσατε όσας πληγας
έπήγαγεν θανάτου θεός τοις Αΐγυπτίοις δια τας αμαρτίας αυτών... καί επί τοϋ Ίώβ δέ
σκοπήσατε, δπως ή δεκας τών τέκνων αύτοΰ εν μια καιροϋ ροπή εν ένί συμπτώματα
μίας οικίας δλωλεν θανάτω καί διέφθειρεν, θεοΰ πάντως τόγε συγχωρήσαντος. Τά τε τα
κατά τον Δαθαν καί Άβηρών νοήσατε, ποταποΐς κρίμασι κυρίου παρευθύς κατεπόθησαν
διά την άνομίαν αυτών. (Sin. f° 19V).
24. Είσίν θάνατοι οΰσπερ ό θεός ού προστάσσει καί γίνονται' ποίω τρόπω; τη
υποβολή τοϋ διαβόλου καί τη αύτεξουσίω γνώμη, εΐτοι κακία τών ελεεινών καί ταλαι-
.<ώρων ανθρώπων (Sin. f° 21).
25. Τώ Δαυίδ θεός προστέταξεν άποκτεΐναι τον Ούρίαν καί άρπασαι τούτου την
γυναίκα; μη γένοιτο' διορθούμενος γαρ την τοΰ πλημμελήσαντος ψυχήν, Ναθάν τον
προφήτην άπέσταλκε. Τον Ναβουθέ τη Ίεζάβελ άρα ό θεός προσωρίσατο τοϋ άρπασαι
τον αμπελώνα αύτοΰ καί τούτον άποκτεΐναι; μη γένοιτο... καί τω 'Ηρώδη θεός άρα
R. PAKET IN PARALLÈLE BYZANTIN A CORAN 149
:
A ce premier élément, qui introduit le thème et marque en même
temps les apories que ne saurait surmonter le seul raisonnement, fait-
suite le récit qui en constitue en quelque sorte l'actualisation 26.
Pendant son séjour à Milan, Gregentios fit la connaissance d'un ado
lescent tout à la fois beau, doux, avenant, pieux et humble, qui s'atta
cha à lui, raccompagnait d'église en église, recueillait son enseignement
tout en l'édifiant en retour par son comportement irréprochable;
Léon, tel était son nom, offre ainsi en quelque manière le portrait
du chrétien idéal. Précisément parce qu'il était tel, il provoqua la
fureur du démon qui machina sa mort : emmené loin de Milan par son
oncle, il fut empoisonné par un prêtre criminel dans la localité dont
l'administration lui avait été confiée. C'est l'illustration, portée au
point extrême de contradiction dans les termes, de l'interrogation à
quoi les apologues juifs et chrétiens tentent d'apporter une réponse :
pourquoi Dieu laisse-t-il les méchants faire périr les justes? Le tro
isième élément des chapitres milanais de la Vie de Gregentios, symét
rique en quelque sorte à la disputatio du moine et du clerc, oppose
à ce vain affrontement des sagesses humaines l'énoncé d'une justice
surnaturelle, qui se situe hors de l'ordre du temps et apparaît l'accom
plissement d'un savoir divin qui transcende la succession chronolo
gique des causes et des effets. C'est en effet par une vision que le saint
reçoit la révélation du sens véritable de cette mort qui le troublait 27.
Conduit en songe par un personnage céleste dans une vaste demeure,
où se trouve une foule immense d'hommes, de femmes, d'enfants,
Gregentios apprend de son compagnon que sont rassemblés là tous
ceux qui sont morts avant le terme qui avait été originellement fixé
à leur séjour sur terre; ceux qui ont été victimes d'un crime, alors
qu'ils auraient dû demeurer encore en ce monde, sont en quelque
sorte mis en réserve en ce lieu mystérieux et n'en partent que quand
est venue l'heure qui, primitivement, avait été assignée pour leur
mort; ceux, qui se sont eux-mêmes donné la mort, anticipant sur le
terme arrêté par Dieu, demeurent également dans cet étrange séjour,
mais, quand leur heure arrive, ils rejoignent les démons. Quand le
saint demanda à son guide pourquoi le Seigneur avait permis que les
έκέλευσεν άπολέσαι τα της Ραχιήλ νήπια, και τον Ζα/αρίαν μεταξύ του ναοϋ και του
θυσιαστηρίου άποσφάςαι; μη γένοιτο (Slu. ff. 21-21ν).
26. Le titre du chapitre xvii est, : Περί τοΰ ενάρετου παιδός Λέοντο£ (Hier.
Λεοντίου).
27. Le titre du chapitre win est : Περί της οπτασία: ην είδεν ύ όσιο:: 8',α τον
άγαττητον αύτοΰ Λέοντα [Sin. f° 2">: Hier. t'° Gl.)v).
150 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES
méchants tuassent son ami, il lui fut répondu que Léon, s'il avait
vécu, aurait été pris dans les préoccupations de la vie mondaine, que
son âme aurait été menacée et que Dieu avait écarté ces périls pour
que rien ne la souillât sur terre 28.
Cette exposition tripartite laisse en fait sans solution la plupart des
difficultés impliquées dans le débat, en particulier la contradiction
entre l'affirmation que la mort du juste intervient avant le terme fixé
par Dieu et l'assertion que cette mort avait pour but de le sauver.
Une impuissance du même ordre à concilier des affirmations incompat
ibles apparaît dans la série des Erotapokriseis attribuée à Anastasios
le Sinaïte. Toute la dix-huitième « question » est consacrée à la discus
sion de ce thème : « Si tous ceux qui sont précipités dans le vide, engloutis
dans le sol ou noyés dans les flots, subissent ce sort par une terrible
disposition divine ou par V opération du Mauvais? » 29. Le principe
fondamental, rappelé au début de la « réponse », est qu'en tout état
de cause les jugements de Dieu sont incompréhensibles et impénét
rables les voies de sa sagesse, et l'auteur y ajoute aussitôt cette préci
sion qu'il serait imprudent de supposer que « tous ceux qui périssent
de mort violente subissent cela pour prix de leurs péchés »30. Il advient
souvent que des hommes irréprochables sont ainsi tués en consé
quence des jugements mystérieux de Dieu. En réalité, note Anastasios,
ces jugements qui déconcertent les hommes peuvent répondre à trois
desseins providentiels distincts : en premier lieu, la disparition brutale
de saintes gens peut conduire des pécheurs à rentrer en eux-mêmes et
à s'interroger sur le sort qui les attend, eux coupables, dès lors que
des hommes connus pour leurs vertus ont été victimes des cataclysmes
ou des bêtes sauvages; en second lieu, cet exemple redoutable peut
déterminer la conversion vers la vie parfaite d'hommes qui auparavant
vivaient sans faute grave, mais néanmoins en état de péché; enfin
il advient que des hommes périssent pour cela seul qu'ils portent sur
δι' 28.
ην αίτίαν
Και ό παρεχώρησεν
μακάριος φησι
τοιούτω
προς τρόπω
αυτόν ' ό κύριε
φιλάνθρο^πος
μου, μίαν
κύριος,
ερώτησαν
ΐνα τονεπερωτήσω
άγαπητόν μου
σοι
κατισχύσουσιν οι πονηρευόμενοι; Ό δέ λέγει προς αυτόν έ'μελλεν, ώ τέκνον, ταΐς του
'
31. Col. 500 G-D : "Αλλοι δέ τίνες, ώς δυνατοί, άμαρτίαν λαού άναδεξάμενοι
πολλάκις, πειρασμοΐς και χαλεπω θανάτω υπέρ της αναδοχής παραδίδονται, και
έαυτοίς και τω λαω μείζονα σωτηρίαν ποιούμενοι.
32. Col. 501 Α : Πλείστην γαρ σωτηρίαν εκεί εύρίσκουσιν οι πικρω θανάτω του σ^3 -
ματος χωριζόμενοι.
33. Col. 501 Β : 'Αλλα γίνωσκε. οτι εξ ιδίας πολλάκις άδιακρισίας και αύθαδεία:,
ττειρασμοΐς και συμοοραΐς και θανάτοις περιπίπτομεν ' οίον πάσχουσιν οι θεωροΰντες
χεψ.ερινην αέρος τροπήν, και του λιμένος την ναύν ύπεξάγοντες, και άλλοις κινδύνοις
εαυτούς έπιρρίπτοντες, ώς αυτεξούσιοι, μήτε του θεού θέλοντος, μήτε μην του διαβόλου,
ταΰτα και τα τοιαύτα κατ' έιουσίαν και αύθεντίαν ποιοΰντε;.
31. Col. 501 D : Ουδέν άγνοοΰντος αυτού γίνεται, ου μην εις πάντα ενεργούντος.
Cf. Clément d'Alexandrie. Strnjvatez. IV. 12 {PG, t. VIII, col. 12(.l3 c) : Ούτε...
ό κύριοι θελήματι επαθεν τού πατρόο. ούθ' οι διωκόμενοι βουλή σε ι του θεού διώκονται...
άλλα 'j:hj ουδέν άνευ Οελή^.ατο; του κυοιου των όλων.
152 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES
et la vie des mains de l'usurpateur Phokas, expiant par cette fin cruelle
les péchés qu'il avait commis, ainsi qu'il en avait lui-même adressé la
prière à Dieu, car il préférait payer sa dette en ce monde que dans la
vie éternelle 36. Un autre récit vient confirmer l'enseignement de
cette première anecdote. Un anachorète vivait au désert avec son
disciple; un jour celui-ci se rend dans une ville dont le chef, méchant
et impie, venait de mourir; une grande foule le portait en terre, dans
la fumée des cierges et de l'encens; revenu près de son maître, le
disciple trouve son cadavre dévoré par une hyène; il s'étonne du
contraste entre ces deux spectacles, l'homme injuste honoré, l'ascète
mangé par un animal; un ange vient lui en révéler la cause : le chef
mauvais avait accompli une seule bonne action pendant toute sa vie,
il en a reçu ici-bas la rémunération et dès lors il est sans rémission
abandonné à la damnation absolue, alors que l'anachorète, si parfait
qu'il fût, n'était pas innocent cependant, étant homme, de quelques
peccadilles délictueuses, dont sa mort atroce a été le prix, ce qui
lui a permis de quitter le monde entièrement et définitivement
justifié 36.
Il ne faut donc pas, répète avec insistance Anastasios le Sinaïte,
juger précipitamment que la mort violente ou subite est la sanction
du péché; ceci est hors du jugement et de la compréhension des
hommes, fonction de connaissances que Dieu seul détient, car rien
n'advient que par sa permission 37. Au reste le premier texte du
florilège afférent à cette question, un extrait du sermon de Nemesios
d'Èmèse sur la providence (περί προνοίας), exprime le thème même
de la Vie de Gregentios, de Leontios de Neapolis et du récit mosehien,
celui de la mort voulue par Dieu afin d'éviter à celui qu'elle frappe
d'accomplir les péchés qu'il aurait commis s'il avait vécu davantage;
la connaissance absolue, que Dieu seul possède, des actes à venir
et ce qu'on pourrait nommer la perception simultanée par l'intell
igencedivine du champ illimité des possibles, expliquent, selon ces
auteurs, qu'une mort brutale et en apparence injuste frappe des inno-
35. PG, t. LXXXIX, col. 501 D-504 A. Une version syriaque de cette légende
a été éditée par Nau, PO, V, p. 773-778.
36. PG, t. LXXXIX, col. 504 A-B.
37. Col. 505 c : Ό δέ φονεύς άναψεΐ μεν τον έμπεσόντα αύτω άνθρωπον κατά
συγχώρησιν θεού, αναιρείται, δέ ούτος πάλιν παρά των αρχόντων, κατά τον νόμον
κυρίου, ώς επιθυμητής και πληρωτής πονηρού πράγματος γενόμενος.
R. PARET I UN PARALLÈLE BYZANTIN A CORAN 153
cents, qui eussent cessé de l'être s'ils avaient été épargnés 38. Mais
cette réponse, fondée en quelque manière sur une dialectique inversée
du possible et du réel, semble avoir été perçue comme insuffisante
par ceux mêmes qui l'énonçaient. Anastasios le Sinaïte en effet reprend
l'examen du problème dans deux autres passages des Erotapokriseis.
Dans la quatre-vingt-huitième question, il observe d'abord — dans le
titre même donné par lui à ce paragraphe — que les hommes se sont
toujours et partout interrogés pour tenter de savoir si la vie de chaque
individu particulier avait une durée déterminée à l'avance ou non, si
le terme en était fixé ou non dès le principe et de toute éternité 39.
Sur ce point l'auteur répond par la négative : le nombre des années de
la vie humaine n'est pas prédéterminé, la date et les modalités de la
mort dépendent entièrement de la volonté de Dieu40. Or cette
affirmation même contraint de retrouver les difficultés déjà examinées
dans la dix-huitième question. Il ne suffît pas de répondre que la date
de la mort n'est pas fixée à l'avance et qu'elle dépend d'une décision
totalement souveraine de la divinité, il faut alors entreprendre de réfu
terune objection grave, qu' Anastasios, comme pour en atténuer l'eff
icace en la rendant plus haïssable, dit « manichéenne » : si Dieu peut
en effet à son gré fixer le terme de la vie de chaque homme en parti
culier, pourquoi, puisque par ailleurs il prévoit toutes choses avant
même leur genèse, n'abrège-t-il pas les jours de ceux qu'il sait destinés
à vivre pour accomplir des actes qui leur vaudront la damnation?
Ainsi se trouve en quelque sorte ruinée, tout au moins sur le plan de
la rhétorique, par Anastase lui-même la solution par lui proposée à
la fin de la dix-huitième question. Pourquoi en effet, si tant est qu'on
admette que Dieu frappe de mort des innocents afin qu'ils ne devien
nent point pécheurs, n'a-t-il pas fait périr, avant leurs gestes criminels,
Julien l'Apostat et Judas Iscariote, « afin que, morts avant leur perte,
ils fussent sauvés »? La conclusion des « Manichéens », selon Anastasios
38. Col. 505 D : Πώς ούν, φησίν, άνδρες όσιοι, πικροΐς περιπίπτουσι θανάτοις και
σφαγαΐς άναιτίοις; Ει μέν γαρ αδίκως, διατί μή έκώλυσεν ή δικαία πρόνοια τον
φόνον; ει δε δικαίως, αναίτιοι πάντως οι φονεύσαντες. ΙΙρος ταϋτα έροΰμεν, ότι ό φονεύων
αδίκως
έ'σθ' οτε φονεύει,
δια πράξεις
και όάτυπους,
φονευομενος
ήμίν δε
ή δικαίως
άδηλους· φονεύεται,
συμφερούντως
ή συμφερόντως'
δε, προκαταλαμοανούσης
δικαίοος μίν,
της προνοίας τας μέλλουσας έ'σεσθαι παρ'αύτοΰ κακουργίας, και οτι καλόν αύτώ μέχρι
τούτου στησαι τήν ζωήν.
:*«ι. PG. t. LXXXIX, col. 713B-716 Α.
αλλ'40.γ 'i'sJ/Sr.
Col. 713 και Β
—ρα'ΐι;
: ορόςτουούκ
θεού.
εστί
οτεπαντός
κελεύει,άνθρωπου
και ώς κελεύει.
προγεγραμμένος, ή αριθμός ετών,
154 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES
il. Col. 713 C : ... εφ' εκάστου δε μοναχού, ή άνθρωπου καλώς έχοντος, ύστερον
δε έκπεσόντος και άπολωλότος, προς Θεόν ή αιτία ανατρέχει. Και ανάγκη λοιπόν εκ
των όποτέρων ειπείν, ή ότι ου προέγνω ό Θεός, ή εάν προέγνω, ευδηλον, δτι ούκ ήοουλήθη
αυτούς σωθήναι, άλλ' άπολέσθαι.
42. Col. 713 D : "Ορος της εκάστου ζωής έστιν ή ακατάληπτος κέλευσις του Θεοΰ.
43. PG, t. LXXXIX, col. 736 Α-749 D.
44. Col. 736 Β : "Αλλοι πάλιν εξ 'Ελλήνων βουλευσάμενοι βαπτισθήναι, προ μιας
πολλάκις, ή δευτέρας ημέρας του βαπτισθηναι 'και σωθήναι, έτελεύτησαν εν ταΐς
ΐδίαις άμαρτίαις απελθόντες εν ΙΛεέννη. "Ετεροι δέ επί πεντήκοντα ή όγδοήκοντα χρόνους
σημείοις και τέρασι διαλάμποντες, ευθέως άπέθανον εν κακοΐς διαληφθέντες.
R. PARET : UN PARALLÈLE BYZANTIN A CORAN 155
15. Col. 74(1 Β : ού κατά φυσικήν άκολουθίαν άέροον ή στοιχείων.... άλλα και
κατά θείαν οργήν.
46. Col. 740 C : Αεί γαρ ημάς ττρός τούτοις έπίσταθαι. οτ',ττερ toc δεσπόζων ό
Ηεο: των ζώων και του θανάτου, και των φύσεων, και των στοιχείων, και. πάντων.
ο— ου 'Λεν 'ίούλεται. ττοοστίυτ-,σι ζωτν.
156 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES
chez un impie, s'attachant à établir que les faits biologiques doivent être
considérés en eux-mêmes, sans référence à l'attitude spirituelle et rel
igieuse des êtres qu'ils affectent49, mais aussitôt, ce qui ruine la démonst
ration précédente, il répète aussi que rien ne s'accomplit, si minime
soit l'événement, hors de la connaissance et du consentement de Dieu.
Il donne même à cette affirmation un tour plus tranché encore dans
sa réponse à la question 114, reprise des questions 102 et 103 du recueil
« ad Antiochum ducem », sur le point de savoir si un homme, qui réside
dans une région frappée par une épidémie, peut se soustraire à la
mort en gagnant un autre pays 50. Après avoir exposé à nouveau
que la cause des maladies est l'altération des éléments constitutifs
du climat, l'excès d'humidité ou de vapeur, et qu'il est donc possible
d'échapper au péril en s'établissant dans une contrée à l'air plus sain,
Anastase ajoute qu'il ne faut pas en conclure qu'un homme contre
qui Dieu aurait porté condamnation pourrait de la sorte échapper
au destin : où qu'il fuie, la sentence le frappera δ1. Par contre,
si l'heure n'est pas venue, l'homme menacé ne mourra pas. Et, comme
pour se défendre d'une possible interprétation « matérialiste » de sa
première indication sur l'origine « climatique » des épidémies, il revient
sur ce point avec insistance : « Que nul, m' entendant dire que la mort
provient de V atmosphère, ne pense qu'elle se produit indépendamment
de Dieu » δ2. La conclusion est exempte de toute ambiguïté : « C'est
pourquoi, même ce que les astres et la création entière produisent selon
les lois de la nature, s'accomplit par un mouvement de Dieu » 53.
Même si le mot n'est pas écrit, c'est la théorie de la « prédestination ».
A coup sûr il faut se garder de déduire de ces parallélismes, si proches
qu'ils puissent être, des influences textuelles directes. Ils peuvent
seulement conduire — mais c'est loin d'être négligeable — à préciser
peu à peu certains thèmes, tout ensemble « folkloriques » et paréné-
tiques, de la prédication monastique dans l'Orient chrétien au moment
où s'élaborait la première prédication muhammadienne, et de la sorte
à mieux discerner ce qui, dans le texte coranique, pourrait être rattaché
non pas tant à une communauté religieuse particulière qu'à un type
Roger Par ε τ