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Résumé
REB 39 1981 France p. 145-249
A. Failler, Chronologie et composition dans l'Histoire de Georges Pachymère. — Dans cet article sont étudiés les procédés de
composition qu'utilise l'auteur de l'Histoire et les problèmes de chronologie que soulève son ouvrage. La première partie de
l'article, parue dans le tome 38 de la revue (1980, p. 5-103), est consacrée aux livres I-III. La seconde partie couvre la fin du livre
III et les trois livres suivants (III, 23 - VI). Les événements rapportés par l'historien dans cette section de son ouvrage se
rapportent aux années 1264-1282. La complexité du plan et la fréquence des retours en arrière ou des anticipations empêchent
parfois d'aboutir à des solutions définitives et d'établir une chronologie sûre. En de nombreux cas, l'examen des données
chronologiques contenues dans l'Histoire et leur confrontation avec les sources parallèles amènent l'auteur à proposer une
chronologie nouvelle, fondée avant tout sur la critique interne.
Failler Albert. Chronologie et composition dans l'Histoire de Georges Pachymère. In: Revue des études byzantines, tome 39,
1981. pp. 145-249.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1981_num_39_1_2121
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION
DANS L'HISTOIRE DE GEORGES PACHYMÈRE
Albert FAILLER
Mais l'épisode le plus important, qui est relaté également dans l'Histoire
de Nicéphore Grégoras et de nombreuses sources extérieures, reste la
trahison de Ίζζ al-Dïn et l'irruption de l'armée bulgaro-tatare en Thrace.
La confrontation des divers récits permet d'éclairer ou de compléter à
l'occasion la relation de Georges Pachymère, dont on donnera d'abord
le contenu16. Déçu par l'empereur, qui lui avait promis de l'aider à recouvrer
le sultanat de Rûm17, Ίζζ al-Dïn mit à profit l'absence de Michel VIII
Paléologue pour pousser son oncle, qui résidait au nord du Pont-Euxin,
à venir le délivrer avec l'aide des Bulgares et des Tatars : ceux-ci viendraient
surprendre en Thrace l'empereur, que le sultan aurait rejoint entre temps ;
par le même coup, ils dépouilleraient l'empereur de ses trésors et libére
raient le sultan. Le projet aboutit à un demi-succès : Michel VIII Paléologue
leur échappa, mais Ίζζ al-Dîn, enfermé dans la forteresse d'Ainos avec la
18. Grégoras : Bonn, I, p. 9817-10119. Nicéphore Grégoras laisse entendre que l'em
pereur se rendit effectivement en Thessalie, car il semble employer ce mot pour indiquer
la province de Thessalie plutôt que la région de Thessalonique. Quant au Pseudo-Sphran-
tzès, il omet de relater cet épisode.
19. Abu'l Faradj : E. A. Wallis Budge, p. 445.
20. L'Oghuznâme fut composé au 15e siècle par Yazidji-oghlu à partir de l'Histoire de
Ibn Bibi et abrégé au siècle suivant par Seyyid Lukmân, dont l'œuvre fut partiellement
publiée avec une traduction latine en 1854 (I. I. W. Lagus, SeidLocmaniex libro Turcico qui
Oghuzname inscribitur excerptà) ; mais cette édition passa inaperçue jusqu'à ce que G. D.
BalaScev CO αυτοκράτωρ Μιχαήλ H' ô Παλαιολόγος και το Ιδρυθέν τΐ\ συνδρομή
152 A. FAILLER
αύτοϋ κράτος των Όγούζων παρά την δυτικήν άκτήν τον Ευξείνου, Sofia 1930) étudiât
le passage concernant l'établissement de Sari Saltuk en Dobroudja. Une controverse
s'ensuivit sur la valeur historique du texte ; voir V. Laurent, La domination byzantine
aux Bouches du Danube sous Michel VIII Paléologue, RHSEE 22, 1945, p. 184-198.
L'étude ultérieure de P. Wittek (Yazijioghlu 'Ali on the Christian Turks of the Do-
bruja, Bulletin of the School of Oriental and African Studies 14, 1952, p. 639-668),
accompagnée de la publication de nouveaux extraits, semble avoir définitivement établi
la valeur historique de l'œuvre.
21. L'historien l'appelle tantôt parent de Ίζζ al-Dïn (Pachymère : Bonn, I, p. 22911,
2303·4·6), tantôt oncle de Ίζζ al-Dîn {ibidem, p. 2307, 23 16).
22. G. D. Balascev, op. cit., p. 25-26.
23. Ibn Bïbï : H. W. Duda, Die Seltschukengeschichte des Ibn Bibï, Copenhague 1959,
p. 284-285.
24. Mufaddal, Histoire des sultans mamlouks : E. Blochet, PO 12, 1919, p. 455.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L 'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 153
resse de l'empire, avait été libéré par eux. Les faits ne sont pas précisément
datés ; ils sont rapportés par anticipation sous l'année 661 (novembre 1262-
octobre 1263). Selon Makrîzî25 et Abu'l Fidâ26, Ίζζ al-Dîn fut arrêté par
Michel VIII Paléologue en 662 (novembre 1263-septembre 1264) et resta
plusieurs années en prison, puisqu'il ne fut délivré qu'en 666 (septembre
1267-août 1268) d'après le premier historien, en 668 (août 1269-juillet
1270) d'après le second. Sa libération fut l'œuvre de l'armée de Mongke-
Temur, qui avait succédé à Berke en 664 (octobre 1265-septembre 1266).
A l'exception d'Abu'l Faradj, tous ces historiens s'accordent donc avec
Nicéphore Grégoras pour attribuer à Michel VIII Paléologue l'emprison
nement de Ίζζ al-Dîn dans une forteresse, à l'extérieur de Constantinople ;
mais le récit de Georges Pachymère, qui est d'autre part le seul à avoir été
témoin d'une partie des événements, présente une version plus plausible
dans sa richesse et sa précision. De plus, la chronologie des sources parall
èlesest floue ou erronée27 : en fait, Ίζζ al-Dîn fut libéré vers la fin de l'a
utomne 1264 ou, au plus tard, au début de l'hiver.
25. Makrïzï, Histoire des sultans mamlouks de Γ Egypte : M. Quatremère, 1/1, Paris
1837, p. 248; 1/2, Paris 1840, p. 57.
26. Abu'l Fidâ, Annales : RHC Or., I, Paris 1872, p. 153. On lit une traduction du
même texte, avec une fausse attribution, dans l'édition déjà mentionnée de l'Histoire
de Makrizï par M. Quatremère (1/1, p. 217 en note).
27. Les deux notices successives qui ont paru dans YEncyclopédie de ΓIslam concernant
le sultan Ίζζ al-Dïn (C. Huart, El 2, 1927, p. 678 ; C. Cahen, El2 4, 1978, p. 847) négli
gent, sans doute à tort, les données précises contenues dans l'Histoire de Georges Pa
chymère.
28. F. Dölger (Regesten2, n° 1931) ne semble pas avoir discerné les contradictions
qui existent entre les deux récits, bien qu'il accepte la lecture proposée au début de ce
chapitre pour le passage ambigu de l'Histoire de Georges Pachymère. A l'arrêt imprévu
des troupes à Xantheia, F. Dölger trouve une raison apparemment plausible : l'apparition
de la comète, considérée comme un mauvais augure, aurait dissuadé l'empereur de pour
suivre sa campagne. Mais ce n'est là qu'une hypothèse, que le texte de Georges Pachymère
rend d'ailleurs peu vraisemblable, car l'historien semble placer l'apparition de la comète
avant le départ de l'empereur de Constantinople.
154 A. FAILLER
29. F. Dölger (Regesten2, n° 1930) date bien de l'été 1264 le message envoyé par
Michel VIII Paléologue à Ίζζ al-Dïn, qui avait demandé de venir rejoindre l'empereur.
30. Ibn Bïbï : H. W. Duda, p. 284 ; Oghuznäme : G. D. Balaäcev, p. 26.
31. V. Laurent (Regestes, n° 1364) date ce jugement du début de l'année 1264. Il
faut évidemment le retarder d'une année, car la libération de Ίζζ al-Dïn et le siège d'Ainos
ne peuvent être placés en 1263. Mais la datation de ce jugement est fonction de la chronol
ogied'ensemble adoptée pour ce passage, comme on le verra dans les trois chapitres
suivants.
32. Telle est également la date retenue par F. Dölger (Regesten2, n° 1931). L'auteur
fait un long développement sur les données chronologiques que contient l'Histoire de
Georges Pachymère dans le passage correspondant ; son argumentation laisse le lecteur
perplexe. En fait, ce problème de chronologie, auquel s'est heurté également V. Laurent
(voir la noie précédente), semble pouvoir être résolu de manière satisfaisante par une autre
voie (voir les trois chapitres suivants). De toute manière, P. Wirth aurait dû refondre
entièrement l'argumentation de F. Dölger, puisqu'il en change les prémisses : F. Dölger
datait de 1267 la prétendue incursion des Tatars contre Nicée et la déposition du pa
triarche Arsène, que P. Wirth place en 1264 (nos 1944-1946 dans la première édition,
n°B 1923 a-c dans la seconde édition), conformément à la correction qu'avait faite F.
Dölger lui-même dès 1933 (BZ 33, 1933, p. 202). Nous verrons par la suite que ces deux
dates doivent être également exclues.
33. Ce point sera établi dans le chapitre suivant. A la fin du chapitre 17 (p. 172-173),
on trouvera un tableau chronologique pour les années 1264-1265 (III, 23 à IV, 13). Voir
aussi p. 160 n. 59.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 155
34. La datation exacte des ambassades qui furent échangées entre le sultan d'Egypte
et le khan de la Horde d'Or et qui transitèrent par Constantinople permettra peut-être
de préciser un jour ce point. Le problème a été bien exposé par M. Canard (Un traité
entre Byzance et l'Egypte au xme siècle et les relations diplomatiques de Michel Paléolo
gue avec les sultans mamlûks Baibars et Qalâ'ûn, Mélanges Gaudefroy-Demombynes,
Le Caire 1937, p. 211-218). L'auteur pense que les Tatars restèrent en Thrace une partie de
l'année 1265 et ne partirent pas immédiatement après le siège d'Ainos. Rappelons
enfin que, dans le Typikon de Saint-Dèmètrios (H. Grégoire, Byz. 29-30, 1959-1960,
p. 4572529), Michel VIII Paléologue fait allusion à cette incursion bulgaro-tatare en
Thrace, mais il en donne probablement une image embellie par le temps : les Bulgares,
rapporte ce texte, laissèrent les Tatars traverser leur pays et s'associèrent à eux contre
les Byzantins, qui mirent leurs ennemis en déroute quelques jours plus tard.
35. Pachymère : Bonn, I, p. 2447-25018.
36. Ibidem, p. 2511-27112.
156 A. FAILLER
raisons qui ont été indiquées, 1264 est la seule année à laquelle puisse
s'appliquer la concordance donnée par Georges Pachymère. Mais si l'on
retient cette solution, il faut admettre que l'historien commet de graves
confusions dans son récit, car il nous montre le patriarche toujours à son
poste dans la deuxième moitié de l'année 1264. Certains passages excluent
qu'il entende dater du printemps 1264 la déposition du patriarche Arsène.
En premier lieu, Georges Pachymère rapporte qu'après le départ de
l'armée vers Thessalonique l'empereur demanda aux évêques qui l'accom
pagnaient de délibérer sur l'attitude du patriarche à son égard et sur les
moyens d'obtenir la levée de l'excommunication; il voulut convoquer
Arsène à Xantheia et, après le refus du patriarche de s'y rendre, il échangea
avec lui plusieurs messages44. L'historien relate un autre événement qui
se déroula durant l'absence de l'empereur : le sébastokratôr Constantin
Tornikios fut chargé de punir Jean Bekkos et Théodore Xiphilinos, dont
il interprétait l'attitude comme un défi à son égard et dont il croyait l'action
inspirée par le patriarche en personne ; mais le sébastokratôr dut reculer
devant la détermination d'Arsène, qui l'empêcha de se saisir des deux ar
chontes de l'Église45. Or l'absence de l'empereur doit être datée de l'été
1264, comme on l'a établi dans le chapitre précédent; force est donc d'ad
mettre qu'à cette époque le patriarche Arsène était en charge. En deuxième
lieu, la présence du patriarche est attestée plus tard encore : lorsque Michel
VIII Paléologue rentra à Constantinople, après avoir échappé à l'armée
bulgaro-tatare, et qu'il vint faire sa prière d'action de grâces à Sainte-Sophie,
le patriarche lui adressa de vives réprimandes pour avoir organisé contre
Michel II d'Épire une expédition inopportune, pour laquelle Dieu venait
de le punir sévèrement46. Or l'empereur dut rentrer vers la fin de l'année
1264, et le patriarche était toujours en charge. On peut ajouter un troisième
argument : le sultan Ίζζ al-Dïn n'eut pas connaissance de la déposition
d'Arsène durant son séjour dans l'empire byzantin, mais plus tard, alors
qu'il se trouvait déjà auprès du khan de la Horde d'Or47 ; si le patriarche
avait été déposé durant le printemps 1264, le sultan l'aurait appris aussitôt.
Cela reporte à nouveau au début de l'année 1265 au plus tôt la déposition
du patriarche Arsène.
Il faut conclure que, comme le suggère une première lecture, le récit de
Georges Pachymère suit l'ordre de déroulement des événements : la dépos
ition du patriarche ne précéda pas, mais suivit le séjour de Michel VIII
Paléologue dans les provinces occidentales et son retour précipité à Constant
inople; elle peut donc être datée du début de l'année 1265 au plus tôt.
Dans ce cas, l'élection de Germain, datée avec certitude de mai 126548,
a suivi de peu la destitution de son prédécesseur. En conséquence, il n'y a
pas lieu de placer une vacance d'une année entière entre le départ d'Arsène
et l'élection de Germain. Ce fait constituait d'ailleurs une anomalie dans
la chronologie précédemment reçue : on ne peut en déceler aucune trace
dans le récit de Georges Pachymère, et le discours que met l'historien dans
la bouche de l'empereur semble au contraire avoir été prononcé peu de
temps après la déposition d'Arsène49, que semble suivre également de près
l'élection de son successeur. De prime abord, la logique du récit exclut donc
un tel délai.
Il serait étrange d'autre part que Georges Pachymère se fût trompé si
gravement et si souvent dans ce passage, d'autant plus qu'il relate des faits
dont il fut personnellement témoin. Le patriarche confirme d'ailleurs la
version des faits transmise par l'historien : dans son Testament, Arsène
affirme être resté trois années entières au patriarcat après avoir excommunié
l'empereur50. Or l'excommunication fut portée au début de l'année 126251.
Si l'on arrête au printemps 1264 son second patriarcat, Arsène ne serait
resté que deux années entières à la tête de l'Église. Pour obtenir une durée
de trois ans, il faut là encore reporter la fin du second patriarcat au début
de l'année 1265.
Quant aux listes des patriarches de Constantinople, elles attribuent au
second patriarcat d'Arsène soit deux ans soit quatre ans52. Les données
sont trop vagues et disparates, selon les manuscrits, pour qu'on puisse leur
accorder une grande créance. On remarquera cependant que le chiffre 2
est exclu, puisque le patriarche lui-même affirme avoir encore détenu sa
charge pendant plus de trois ans après l'excommunication de Michel VIII
Paléologue au début de l'année 1262. Par contre, le chiffre 4 pourrait être
correct et amènerait à reporter la fin du second patriarcat d'Arsène vers
le printemps ou l'été 1265, selon qu'on en place le commencement vers la
fin du printemps ou de l'été 1261 53. Ce point ne peut donc constituer qu'un
argument de second ordre. V. Laurent a interprété différemment les deux
chiffres : il en fait la moyenne et obtient ainsi les trois ans qu'il assignait
au second patriarcat d'Arsène (printemps 1261 -printemps 1264)54.
L'ensemble de ces arguments, dont certains possèdent par eux-mêmes
une valeur suffisante, prouvent par leur convergence que le patriarche
Arsène était encore en place au début de l'année 1265. Force est donc d'ad
mettre qu'une erreur entache les indications chronologiques que fournit
Georges Pachymère dans le passage déjà cité : le libelle d'accusation, qui
mit en mouvement la procédure de déposition, ne peut avoir été remis à
l'empereur une année où le samedi de l'Acathiste tombait au début du mois
d'avril. En effet, ce synchronisme peut s'appliquer seulement aux années
1261, 1264 et 1267, qui toutes trois, comme on l'a démontré, sont exclues,
alors que seule l'année 1265 peut être retenue.
Mais le samedi de l'Acathiste tombait en 1265 le 21 mars, et non au début
du mois d'avril. L'historien fait-il erreur sur la fête liturgique ou sur le
mois ? On admettra aisément qu'il se soit trompé sur le mois plutôt que
sur le calendrier liturgique, qui fournit au souvenir un cadre plus sûr que
le cours régulier des mois ; la chose vaut, à plus forte raison, pour un archonte
ecclésiastique. L'hypothèse qui permet d'expliquer cette erreur sera exposée
plus bas, lorsqu'on examinera les méprises semblables que contient ce
passage de l'Histoire et qui toutes concernent précisément l'année 1265.
Dans l'un des cas, la démontration est en effet rendue possible grâce au
en mars. Lors de l'entrevue, Arsène aurait excommunié Joseph, parce que celui-ci recevait
les confessions de l'empereur sans en avoir l'autorisation canonique ; mais la réalité
de cette mesure n'est pas établie; voir V. Laurent, Regestes, n° 1365, qu'il faut dater
de 1265 et non de 1264. D'après la lettre de Macaire de Pisidie à Manuel Dishypatos
[S. Eustratiadès, Ό πατριάρχης 'Αρσένιος ό Αύτωρειανός (1255-1260 και 1261-1267),
'Ελληνικά 1, 1928, ρ. 89-94] qui rapporte précisément cette excommunication, Michel
VIII Paléologue séjourna en Asie entre son retour à Constantinople (vers la fin de l'année
1264) et la réception du libelle d'Hepsètopoulos (21 mars 1265) ; il se rendit à Magnésie,
où il chargea Joseph, le futur patriarche, de remettre un message au patriarche Arsène
(ibidem, p. 9016~19, 91 26"28).
60. F. Dölger, Regesten2, n° 1923c (voir Regesten1, n° 1946). L'acte doit être daté
de la fin du mois de mars 1265 et non du début d'avril 1264.
162 A. FAILLER
liers, alléguait-il avec raison, ne peuvent être juges dans un procès ecclé
siastique, qui ne doit pas, d'autre part, se dérouler dans une enceinte civile.
Telle fut sa réponse aux trois évêques et aux trois clercs que l'assemblée
délégua auprès de lui61. Cette première assemblée se tint après Pâques;
Georges Pachymère la date de manière vague : elle eut lieu « en plein
printemps»62. Suivirent une deuxième et une troisième assemblée, qui
envoyèrent des délégations successives auprès du patriarche, mais celui-ci
persista à refuser de répondre à la convocation qu'on lui adressait. Ces
trois démarches revêtaient l'appareil juridique de la sommation canonique
à comparaître et préparaient une condamnation par contumace, aux termes
du canon 74 des apôtres : si un évêque est accusé et refuse de comparaître,
le synode doit lui adresser trois sommations successives, signifiées à l'inculpé
par deux évêques délégués par le synode, avant de le juger par contumace
et de le condamner éventuellement. Les sommations canoniques furent
faites « avec certains intervalles de temps », note Georges Pachymère63, « car
ceux qui menaient l'affaire avaient soin d'observer les canons ». Cette
incise ne contribue pas à fixer le calendrier, car on ignore quels délais étaient
juridiquement requis entre chacune des notifications64.
Après les deux premières sommations, Arsène se rendit un dimanche
au palais des Blachernes (IV, 5) ; une dernière fois, l'empereur voulut lui
arracher la levée de l'excommunication, mais le patriarche flaira la manœuvre
et s'enfuit. Le lendemain se tint la troisième assemblée (IV, 6) ; elle noti
fiala troisième et dernière monition au patriarche, qui refusa une nouvelle
fois d'obtempérer. Au terme de cette procédure canonique, l'assemblée
pouvait le juger par contumace. On examina à nouveau les accusations
contenues dans le libelle d'Hepsètopoulos ; malgré l'opposition momentanée
de quelques métropolites, on le déchut de sa charge, en le condamnant
pour contumace et en négligeant les autres griefs. Deux évêques furent dési
gnés pour aller lui signifier sa déposition le soir même (IV, 7)65. Il se montra
61. V. Laurent, Regestes, n° 1366, qu'il faut dater d'avril 1265. Plutôt qu'un acte
patriarcal, cet écrit est le procès-verbal de l'entrevue des délégués avec Arsène.
62. Pachymère : Bonn, I, p. 25921.
63. Ibidem, p. 26021-2611.
64. Pachymère semble affirmer qu'une jurisprudence précise existait sur ce point.
Par ailleurs, d'autres cas semblables montrent qu'on n'appliquait plus le canon 19 de
Carthage, selon lequel l'accusé disposait d'un délai d'un mois pour se présenter au
tribunal.
65. Ce passage pose un problème textuel. La délégation était composée de deux évêques
d'après la dernière phrase du chapitre 6, de trois évêques d'après le titre du chapitre 7.
On préférera la version du texte lui-même à celle du titre. En effet, les titres ont pu avoir
été composés plus tard, ce qui inclut un risque d'erreur. De plus, dans le cas présent,
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 163
la divergence peut s'expliquer par une confusion entre la première délégation, qui compren
ait bien trois membres (Pachymère : Bonn, I, p. 26011), et la dernière, qui était compos
ée de deux membres seulement {ibidem, p. 26810).
66. Ibidem, p. 26616, 2701.
67. Ibidem, p. 27010.
68. Comme on l'a noté plus haut, l'assemblée qui procéda à la déposition d'Arsène
se réunit le lendemain de l'entrevue du patriarche avec l'empereur au palais des Blachernes
(voir ibidem, p. 2645) ; or celle-ci eut lieu un dimanche {ibidem, p. 261 14).
69. Comme Germain a probablement été élu le lundi 25 mai et que le calendrier de
Georges Pachymère accuse un retard d'une quinzaine de jours, la destitution d'Arsène,
qui eut lieu également un lundi et que l'historien place vers la fin du mois de mai, peut
être fixée, à titre d'hypothèse, au lundi 11 mai 1265.
70. Arsène : PG 140, 956^11O-B6.
71. V. Laurent, Regestes, n° 1367, qui doit être daté d'avril 1265.
72. Abu'l Faradj : E. A. Wallis Budge, p. 429.
164 A. FAILLER
17. Voir les trois passages de Pachymère : Bonn, I, p. 2575"7, 25919'21, 28015"16.
18. Si l'on s'en tient au récit de Pachymère (Bonn, I, p. 27010), qui place la déposition
d'Arsène à la fin du mois de mai, on ne peut admettre que Germain ait été en place dès
le 25 mai, d'autant plus qu'une semaine ou deux s'écoulent entre les deux actions. Ce
raisonnement a conduit I. Sykoutrès {art. cit., p. 187-188) à supposer que le siège pa
triarcal resta vacant un an moins quelques jours. Si au contraire on date la déposition
d'Arsène de la mi-mai, il devient possible d'insérer dans cet intervalle d'une ou deux
semaines les faits que Pachymère (voir surtout Bonn, I, p. 28013) place dans l'inte
rrègne.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 169
— Germain III fut élu patriarche en la fête du Saint-Esprit en mai (et non
en juin).
Cette hypothèse permet donc d'harmoniser les données chronologiques
contenues dans l'Histoire et dans le tomos sur l'élection de Germain III.
De même, les autres difficultés et contradictions de ce passage de l'Histoire
trouvent ainsi une solution satisfaisante ; le chapitre suivant en fournira
une nouvelle preuve.
L'élection de Germain d'Andrinople au siège patriarcal est également
rapportée par Nicéphore Grégoras, qui signale le fait sans fournir ni pré
cisions ni date19. Dans le texte confus qui a déjà été cité et où il énumère à
la suite les patriarches de Constantinople de 1258 à 1266, Abu'l Faradj
signale qu'après la mort de Nicéphore II (1260) Michel VIII Paléologue
nomma à sa place Romain d'Andrinople, qui fut mêlé immédiatement
à une affaire scandaleuse et qui fut aussitôt chassé du patriarcat20 ; je ne
sais si l'erreur sur le nom du métropolite est due au traducteur ou remonte
à l'original. L'historien place ainsi le patriarcat de l'ancien métropolite
d'Andrinople avant le retour en 1261 du patriarche Arsène, auquel il
fait succéder immédiatement Joseph.
car il laisse pressentir l'insécurité qui régnait alors dans l'empire byzantin
et donne un nouveau témoignage de la peur irraisonnée qu'inspirait aux
Byzantins le seul nom des Tatars21.
Voici le début du récit22 : « La même année, au mois de mars, alors
qu'on accomplissait le jeûne des jours saints, le lundi de la deuxième semaine,
se passa à Nicée un événement qui...» Malgré l'abondance des données
chronologiques, les faits se révèlent difficiles à dater. Résolvons d'abord
une question préliminaire, car une erreur d'interprétation du texte peut
fausser l'établissement de la date. Quelle est la place réelle du lundi de la
deuxième semaine des jeûnes dans le calendrier liturgique de l'Église ortho
doxe? F. Dölger a situé ce lundi après le deuxième dimanche des jeûnes ;
au premier abord, la chose paraît logique, mais en fait la première semaine
des jeûnes précède le premier dimanche des jeûnes (dimanche de l'Ortho
doxie), et le lundi de la deuxième semaine des jeûnes tombe le lendemain.
En d'autres termes, le premier dimanche des jeûnes clôt la première semaine
des jeûnes, au lieu de l'ouvrir, comme l'a cru F. Dölger23. En conséquence,
le bruit infondé d'une incursion tatare courut dans la ville de Nicée le
lendemain du dimanche de l'Orthodoxie, et non une semaine plus tard,
le lendemain du deuxième dimanche des jeûnes.
Il s'agit à présent d'établir en quelle année Georges Pachymère situe
l'événement. Le contexte de l'Histoire invite à le placer en 1265, car les
chapitres précédents du livre III relatent des faits qui ont pu être datés de
la fin de 1264 et du début de 1265, tandis que les premiers chapitres du
livre IV rapportent l 'affaire du patriarche Arsène, qui fut réglée entre mars
et mai 1265. Mais on se heurte une fois encore au synchronisme que four
nitl'historien : deuxième lundi des jeûnes, au mois de mars24. Seules les
années 1261, 1264 et 1267 remplissent cette condition25. Le troisième
élément chronologique («la même année») invite à placer en 1264 cet
événement qui est présenté comme proche de l'apparition de la comète
21. L'historien insiste ailleurs sur l'effroi des Byzantins devant les armées tatares ;
voir Pachymère : Bonn, I, p. 13315-1342, 13411'16, 1371, 34515.
22. Ibidem, p. 2447"9.
23. C'est ainsi qu'il a daté ce lundi de la deuxième semaine des jeûnes d'abord du
14 mars 1267 (F. Dölger, Regesten1, n° 1944), puis du 17 mars 1264 (BZ 33, 1933, p. 202),
alors qu'il aurait fallu le placer respectivement au 7 et au 10 mars ; voir le calendrier de
ces années, p. 172. P. Wirth a repris la seconde date dans la deuxième édition des régestes
impériaux (n° 1923 a), sans avoir réexaminé la question. Pour le calendrier liturgique de
l'Église orthodoxe, voir V. Grumel, La chronologie, Paris 1958, p. 320-321.
24. Pachymère : Bonn, I, p. 2447"9.
25. Voir le calendrier reproduit plus bas, p. 172.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 171
Le long passage de l'Histoire (III, 23-IV, 13) qui a été analysé dans ces
quatre chapitres ne présente donc plus de difficultés en matière de chronol
ogie.Le récit se déroule de manière linéaire et suit un ordre chronologique
strict. Il n'y a plus lieu de chercher une faille ou une lacune dans le texte,
ni de supposer qu'une interversion des chapitres serait survenue au fil de la
28. Dans la première édition des régestes, F. Dölger {Regesten1, n° 1931) a analysé
en détail ce passage, en appliquant à l'année 1267 les données chronologiques de Georges
Pachymère, dont le récit passerait ainsi, grâce à une courte transition, de 1264 à 1267;
quelques lignes seulement (Pachymère : Bonn, I, p. 24316-2446) seraient alors consacrées
aux années 1265-1266. Comme je l'ai déjà signalé (voir ci-dessus, p. 154 n. 32), on est
étonné de retrouver ce long développement dans la deuxième édition des régestes, où
est adoptée une autre chronologie, plus proche de la vérité bien qu'erronée elle aussi.
29. Voici les références, pour chacune des quatre indications chronologiques, au texte
de Pachymère : Bonn, I, p. 2447"9, 2575"7, 25919"21, 28015"16.
30. Les mois sont indiqués par leur sigle : F (février), M (mars), A (avril), M (mai),
J (juin).
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 173
31. Voir V. Laurent, Les grandes crises religieuses à Byzance. La fin du schisme
arsénite, BSHAR 26, 1945, p. 225-313.
32. Pachymère : Bonn, I, p. 27820-28218 passim.
33. Ibidem, p. 2822"4, 29017, 2912"4·11-12, 2976"8, 3151"2. Voir aussi ci-dessus, p. 166 n. 10.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 175
40. Pachymère : Bonn, I, p. 2861719. Voici l'expression entortillée par laquelle l'hi
storien semble s'excuser d'avoir participé à cette mission : « moi-même, le quatrième,
entraîné de force et sur ordre de l'empereur, mais en même temps, du moment que je
me rendais auprès d'Arsène, en partie consentant». Notons également la raison pour
laquelle fut désigné comme deuxième membre de la délégation le métropolite de Môkèssos
(p. 28615'16) : comme celui-ci avait la charge du diocèse de Proconnèse à titre d'épidosis,
Arsène se trouvait sur un territoire de sa juridiction. Pour une semblable délégation en
1259, Jean de Nicomédie fut désigné pour la même raison. Ce simple rapprochement
fournit un argument supplémentaire en faveur du manuscrit C ; voir A. Failler, La tra
dition manuscrite de l'Histoire de Georges Pachymère (livres I-VI), REB 37, 1979, p.
149-151.
41. Les verbes employés dans ce passage semblent autoriser à insérer un acte supplé
mentaire dans les régestes impériaux : άποστέλλειν, έπιτάττειν, πέμπειν (Pachymère :
Bonn, I, p. 28914·19, 2902·4). Voir aussi ci-dessous, p. 179 η. 54.
42. Pachymère : Bonn, I, p. 2931415.
43. V. Laurent, Regestes, n° 1375.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L 'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 177
triarche, mais par la présentation d'une démission écrite ou par la déposition. Voir P.
Poussines : Bonn, I, p. 731-732, 756; V. Grumel, La chronologie, Paris 1958, p. 437;
V. Laurent, La chronologie des patriarches de Constantinople au xnie s. (1208-1309),
REB 27, 1969, p. 144; Idem, Regestes, n° 1382. Le texte de l'historien est en fait clair :
Germain III quitta le patriarcat le soir de la fête de l'Exaltation de la Croix (Pachymère :
Bonn, I, p. 2998"12), c'est-à-dire le 14 septembre au soir, et il remit sa démission à l'empe
reur le lendemain matin {ibidem, p. 29914), c'est-à-dire le 15 septembre au matin.
48. Pachymère : Bonn, I, p. 3052A P. Poussines (Bonn, I, p. 732) a placé ce 28 décemb
re en 1267 au lieu de 1266, oubliant sans doute que l'indiction commence en septembre
et non en janvier. F. Dölger, qui plaçait en 1267 la déposition d'Arsène (Regesten1,
nos 1945-1946) en retenant le synchronisme erroné de Georges Pachymère, datait également
la promotion de Joseph du 28 décembre 1267 (Regesten1, n° 1957), mais en remarquant
qu'il fallait dans ce cas corriger l'indiction et l'année données par l'historien.
49. Les historiens ont confondu élection et promotion, mais Georges Pachymère
parle, sans doute à dessein, de promotion. Il est donc imprudent de placer le même jour
l'élection, qui est faite par le synode et dont le bénéficiaire peut être un laïc, un moine, un
prêtre ou un évêque, et la promotion, qui est réservée à l'empereur et dont le bénéficiaire
doit être déjà prêtre ou évêque. Le destinataire du mènyma impérial devait avoir reçu
le sacerdoce; voir Syméon de Thessalonique : PG 155, 44H.
50. Pachymère : Bonn, I, p. 3053-4. Ce récit correspond au cérémonial décrit par le
Pseudo-Kodinos (J. Verpeaux, p. 28120"23) : s'il n'était pas évêque, l'élu était promu par
l'empereur avant d'être consacré.
51. Pachymère : Bonn, I, p. 30516.
52. Ainsi l'empereur ordonna que les mandements du patriarche jouissent de la même
autorité que ses propres ordonnances ; voir F. Dölger, Regesten2, n° 1939d.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L 'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 179
fication53. Absous de la censure encourue cinq ans plus tôt pour avoir fait
aveugler Jean IV Laskaris, Michel VIII Paléologue voulut manifester une
sorte de repentir et il fit parvenir en abondance provisions et vêtements
à l'ancien empereur déchu54.
Comparées à l'Histoire de Georges Pachymère, les sources parallèles
consacrent des passages insignifiants à l'affaire de l'absolution de Michel
VIII Paléologue. Dans son Testament, Arsène n'en fait pas état, mais signale
seulement sa propre excommunication par le synode, après qu'il eut été
accusé de complot contre l'empereur55. Quant à Nicéphore Grégoras,
il résume en une phrase le patriarcat de Germain III, avant de rapporter
plus longuement l'élection de Joseph et l'absolution de l'empereur56. Les
faits ne sont pas expressément datés par l'historien, mais la levée de l'excom
munication est bien placée en 6775 (septembre 1266-août 1267), avant
l'éclipsé de soleil du 25 mai57.
En résumé, les chapitres 14-25 du livre IV ne présentent pas de problème
de structure et de chronologie. Georges Pachymère compose un récit
Les deux sujets sont sans rapport dans la réalité, mais Georges Pachymère
les imbrique dans son récit de manière telle qu'il est impossible de les
exposer séparément. Nous abordons ici la section de l'Histoire (IV, 26-V,
10) qui présente les problèmes de chronologie et de composition les plus
graves et les plus difficiles à résoudre ; seule la première partie (VI, 26-V, 1)
de ce long passage sera examinée dans le présent chapitre. Les événements
qui y sont rapportés se déroulent de 1267 à 1273 et se situent entre deux
faits parfaitement datés par l'historien : la promotion du patriarche Joseph
(28 décembre 1266)1 et son départ provisoire du patriarcat à la veille de
l'Union de Lyon (1 1 janvier 1274)2. Seules les sources parallèles permettent
de situer certains faits avec précision et de déterminer en conséquence la
structure de ce passage de l'Histoire. Georges Pachymère fournit en effet
des indices chronologiques peu nombreux et généralement imprécis ; de
plus, il égare son lecteur dans un réseau complexe d'anticipations et de
retours en arrière. Encore plus qu'ailleurs, l'établissement de la chronologie
est subordonné ici à l'analyse de la structure du récit.
Angélos semble avoir vécu en paix avec l'empire byzantin ; toujours est-il
que l'historien ne signale aucun conflit pour cette période. La paix était
garantie par le traité signé vers la fin de l'année 1264 et elle avait été scellée
par le mariage de Nicéphore Angélos avec Anne Kantakouzènè, nièce
de l'empereur3. Mais à la mort de Michel II Angélos, comme le rapporte
l'historien dans ce chapitre 26, les hostilités reprirent; elles ne furent pas
le fait du despote Nicéphore Angélos, à qui son père avait laissé l'Épire
et qui se contentait de son territoire, mais de Jean Doukas4, le fils bâtard
de Michel II Angélos, qui avait reçu en héritage la Thessalie. Établi à
Néai Patrai, Jean Doukas se montrait aussi entreprenant et aussi adroit
que son père. Michel VIII Paléologue préféra traiter avec lui, craignant
que les armées byzantines ne fussent victimes de ses ruses. Au terme de
plusieurs ambassades, un accord fut conclu : Jean Doukas fut honoré du
titre de sébastokratôr, tandis que sa fille était mariée à un neveu de l'em
pereur, Andronic Tarchaneiôtès, qui fut nommé grand connétable et
gouverneur d'Andrinople. Un long armistice suivit cet arrangement5,
dont le contenu est rappelé plus loin, au moment où l'historien rapporte
la trahison ultérieure d'Andronic Tarchaneiôtès et la guerre menée par lui,
aux côtés de son beau-père, contre les troupes byzantines6. Cette nouvelle
phase des relations entre la Thessalie et l'empire byzantin sera examinée
dans la troisième partie de l'exposé.
défunts, tel qu'on le trouve d'ailleurs dans un texte postérieur des mêmes
archives et dans un contexte identique : « ... terrarum datarum in dotem
per qd. Michaelem Despotum qd. Helene filie sue, uxori qd. Manfridi
olim Principis Tarentini»15. L'indice semble autoriser à placer la mort
de Michel II Angélos entre mai 1267 et août 1268, de préférence au début
de l'espace de temps ainsi déterminé, si l'on se rapporte d'autre part à
l'Histoire de Georges Pachymère, qui rapproche sur le plan chronologique
l'absolution de Michel VIII Paléologue le 2 février 1267 et l'installation
de Jean Doukas en Thessalie après la mort de son père. De plus, il n'y a pas
lieu de placer un écart de temps trop considérable entre la mort de Michel
II Angélos et le soulèvement de Jean Doukas d'une part, entre les ambassades
envoyées en Thessalie et la conclusion du traité d'autre part. En conclusion,
il est probable que la paix fut signée dans la deuxième moitié de 1267 entre
Michel VIII Paléologue et Jean Doukas et que le mariage de la fille de ce
dernier avec Andronic Tarchaneiôtès fut célébré la même année ; tout au
plus peut-on envisager le début de l'année suivante pour le déroulement
de ces événements16.
15. R. Filangieri, op. cit., X, p. 176 n° 682 ; cet acte date du 18 mai 1273. Voir aussi
L. de Thalloczy, C. Jirecek et E. de Sufflay, op. cit., p. 86 n° 300.
16. Il faut corriger en conséquence les deux régestes qui rendent compte respectivement
des ambassades envoyées par Michel VIII Paléologue à Jean Doukas et de la conclusion
d'un traité : F. Dölger, Regesten2, η" 1943 b (peu après le 2 février 1267) et n° 1963 a
(peu après août 1268). Le premier régeste doit être placé quelques mois plus tard, le second
quelques mois plus tôt, de manière que tous deux soient rapprochés (deuxième moitié
de l'année 1267 ou, à la rigueur, début de l'année 1268). Le raisonnement qui fonde la
double datation retenue par le rédacteur et le réviseur des Regesten est d'ailleurs contra
dictoire, car la première suppose que Michel II d'Épire mourut peu avant le 2 février
1268 (F. Dölger, n° 1959) ou peu avant le 2 février 1267 (P. Wirth, n° 1943 b), la seconde
qu'il décéda vers 1271 (F. Dölger, n° 1976) ou avant août 1268 (P. Wirth, n° 1963a).
Cette contradiction s'accompagne d'une mauvaise identification des personnes : dans le
premier régeste, Jean Doukas est présenté comme le fils de Michel de Thessalie.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 185
il est vrai dans la première partie de l'Histoire, ce cas doit rendre le lecteur
prudent dans l'établissement de la chronologie. Seules les sources parallèles
permettent de déceler ici une anticipation et de dater les faits mentionnés.
Encore faut-il rendre compte de cette interruption du récit et l'expliquer
par l'analyse du texte et l'étude des procédés de composition utilisés par
l'auteur.
Le récit de Georges Pachymère passe donc des événements des années
1267-1268 (IV, 24-28) au mariage d'Andronic II Paléologue avec la fille du
roi de Hongrie (IV, 29). S'il ne connaissait pas la date de ce mariage grâce
à un autre document, le lecteur serait tenté de le situer vers ces années-là,
alors qu'il est postérieur de quatre ou cinq années. A. Heisenberg a reconnu
dans un prostagma daté du mois de novembre d'une première indiction
le document émis par Michel VIII Paléologue à l'occasion du couronnement
de son fils Andronic II et en conséquence iJ a placé en novembre 1272
l'émission de ce document17. Cette conclusion est à son tour appuyée et
précisée par le récit de Georges Pachymère, qui date du 8 novembre le
couronnement du jeune couple18. L'historien laisse apparaître également
le cadre général et la signification politique de l'alliance matrimoniale :
craignant une prochaine attaque de Charles Ier d'Anjou contre l'empire,
Michel VIII Paléologue cherchait à détacher de la coalition anti-byzantine
la Hongrie et ses vassaux. Menée par l'ancien patriarche Germain et le
grand duc Laskaris19, une ambassade se rendit en Hongrie pour ramener
17. A. Heisenberg, Aus der Geschichte und Literatur der Palaiologenzeit, Munich
1920, p. 37-41 (texte d'après le Monacensis graecus 442), 45-47 (date et attribution).
Le prostagma de Michel VIII Paléologue avait été édité une première fois d'après le
Hierosolymitanus graecus Timiou Staurou 4 par A. Papadopoulos-Kérameus (Σημεί-
ωσις περί του Ίεροσολυμιτικοΰ κωδικός τοΰ Χρονικού ΙΙαχυμέρη, Δελτίον της Ιστορι
κής και εθνολογικής εταιρίας τής 'Ελλάδος 3, 1889, ρ. 533-535), qui, se fiant à une note
marginale de ce manuscrit, avait attribué le document à Andronic II Paléologue, qui
l'aurait émis en faveur de son fils Michel IX Paléologue en 1302-1303 (ibidem, p. 532-
533). P. Poussines n'eut pas connaissance de ce document, car il ne consulta pas les manusc
rits de la famille A, qui sont les seuls à contenir ce texte ; voir A. Failler, La tradition
manuscrite de l'Histoire de Georges Pachymère (livres I-VI), REB 37, 1979, p. 129,
182-183, 185. Le document est enregistré par F. Dölger dans les Regesten2 sous le n°
1994, où l'on trouvera l'abondante bibliographie correspondante. D'autres actes furent
émis1995,
nos à la même
2070, 2071
occasion,
; V. Laurent,
mais le texte
Regestes,
n'en estn°pas1395.
conservé : voir F. Dölger, Regesten2·,
18. Pachymère : Bonn, I, p. 31817.
19. Frère de Théodore Ier Laskaris, Michel Laskaris était l'oncle de Marie Laskarina,
femme de Bêla IV, et l 'arrière-grand-oncle d'Anne, fille d'Etienne V et future épouse
d'Andronic II Paléologue. Il s'était rallié à Michel VIII Paléologue dès le début de son
règne et fut nommé grand duc à la fin de l'année 1259 (Pachymère : Bonn, I, p. 1081618).
186 A. FAILLER
27. Pachymère : Bonn, I, p. 3188. D'après ce schéma, l'historien aurait pu aussi bien
illustrer l'activité de l'ancien patriarche en rapportant ici sa mission à Lyon en 1274,
mais ce récit est reporté à sa place chronologique (ibidem, p. 38414"15).
28. Ibidem, p. 31917. Voir V. Laurent, Regestes, n° 1395.
190 A. FAILLER
gnements que fournit plus loin Georges Pachymère ; vers 1275, les grands
dignitaires de l'empire étaient décédés35 : le grand duc Alexis Philanthrô-
pènos mourut d'abord, puis le despote Jean Paléologue et le sébastokra-
tôr Constantin Paléologue. Un second texte semble fournir un terminus
ante quern encore plus rapproché : d'un document contenu dans le cartulaire
du monastère de Makrinitissa on a déduit ajuste titre qu'en octobre 1273
le despote Jean Paléologue avait déjà renoncé aux prérogatives de sa dignité
et en particulier à la signature à l'encre pourpre36. Dans ce cas, la guerre
de Thessalie, déjà terminée à cette date, se déroula entre le 8 novembre
1272 et le mois d'octobre 1273, très probablement durant le printemps ou
l'été 1273.
Cette hypothèse est très vraisemblable et s'accorde avec le récit de Georges
Pachymère. Dans ce cas, le grand connétable Andronic Tarchaneiôtès
aurait déserté vers l'hiver 1272-1273, au moment où firent irruption sur
son territoire les Tatars, qui faisaient effectivement campagne durant l'h
iver37. Comme il fut marié à la fille de Jean Doukas en 1267, le traité signé
à ce moment par le sébastokratôr et l'empereur a bien procuré aux deux
États un long armistice, comme l'écrit à deux reprises Georges Pachymère38.
40. La localisation de Marin Sanudo est précise : « Andorono sin ad un loco detto
la Dimetriade nel Golfo d'Almirô» (ibidem, p. 12124"25).
41. Pachymère : Bonn, I, p. 324910, 3253, 3322"3.
42. Voir l'édition de Ch. Hopf, p. 121 n. 3. Celui-ci avait émis la même opinion dans
un ouvrage précédent : Ch. Hopf, Allgemeine Encyclopädie der Wissenschaften und Künste,
LXXXV, Leipzig 1867, p. 303-304.
43. Qu'il suffise d'en citer quelques-uns : C. Chapman, Michel Paléologue, restaurateur
de Vempire byzantin (1261-1282), Paris 1926, p. 127; J. Longnon, U empire latin de
Constantinople et la principauté de Morée, Paris 1949, p. 243 ; D. J. Geanakoplos, Emperor
Michael Palaeologus and the West (1258-1282), Cambridge Mass. 1959, p. 282-285 ;
J. L. van Dieten, Nikephoros Gregoras. Rhomäische Geschichte. Historia rhomaïke, I,
Stuttgart 1973, p. 120. Si l'on place la guerre de Thessalie en 1275, on la situe dans le
prolongement de l'Union de Lyon et on lui attribue une coloration religieuse qui lui fut
étrangère.
194 A. FAILLER
être rejetée d'emblée, car, comme on l'a vu plus haut, le vaincu de Néai
Patrai, le despote Jean Paléologue, mourut avant le 1er septembre 1274,
et le vainqueur de Dèmètrias, le prôtostratôr Alexis Philanthrôpènos,
décéda encore plus tôt44. En se fondant uniquement sur l'Histoire de Georges
Pachymère, P. Poussines plaçait ces deux batailles quatre années plus tôt,
en 1271. Cette seconde date a été retenue par certains historiens, qui,
comme on le verra plus bas, ont cru pouvoir l'étayer par certaines données
des sources italiennes. Mais présentons d'abord la chronologie qu'a établie
P. Poussines, en s 'inspirant de l'analyse du texte de Georges Pachymère :
exception faite pour la mission en Hongrie, le mariage d'Andronic II
Paléologue avec Anne de Hongrie et le couronnement du jeune couple
impérial (IV, 29), qu'il date respectivement de 1271, 1272 et 1273, P. Pouss
ines établit une continuité chronologique entre les événements rapportés
dans ce passage de l'Histoire (IV, 27-V, 7)45 :
1269 incursions des Turcs en Asie Mineure (IV, 27)
schisme arsénite (IV, 28)
1270 désertion d'Andronic Tarchaneiôtès (IV, 30)
1271 batailles de Néai Patrai et de Dèmètrias (IV, 31-32)
1272 renonciation de Jean Paléologue à ses prérogatives de despote (V, 1)
voyage du patriarche Joseph en Orient (V, 2)
mariage de Constantin Tich avec Marie Kantakouzènè (V, 3)
1273 alliance de Michel VIII Paléologue avec Nogaï (V, 4)
projet de mariage entre Milutin de Serbie et Anne Palaiologina (V, 6)
tremblement de terre de Dyrrachion (V, 7).
Comme on le verra plus clairement dans le chapitre suivant, le plan de
l'Histoire est différent : il faut rapprocher le chapitre 28 du livre IV et le
chapitre 2 du livre V, qui se rapportent à des faits contemporains (vers
1268) ; le passage intermédiaire (IV, 29- V, 1) doit être considéré comme une
anticipation. Fondée sur une analyse erronée de la structure du texte de
l'Histoire, l'argumentation de P. Poussines perd par le fait même toute
valeur. Si certains historiens se sont contentés de reprendre ses conclusions46,
d'autres ont cru en trouver la confirmation dans les sources occidentales ;
44. Dans un contexte qui concerne l'année 1275, Pachymère (Bonn, I, p. 41 15) écrit
qu'à cette date le grand duc était mort et qu'il était même décédé avant le despote Jean
Paléologue. Il semble clair en effet qu'il s'agisse d'Alexis Philanthrôpènos, et non de
Michel Laskaris. Le vainqueur de Dèmètrias, qui fut gravement atteint au cours de la
bataille {ibidem, p. 33614-3374), ne survécut donc pas longtemps à sa blessure.
45. P. Poussines : Bonn, I, p. 757-759.
46. Voir, par exemple, E. de Muralt, Essai de Chronographie byzantine, Saint-
Pétersbourg 1871, p. 423.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 195
47. Andrea Dandolo, Chronica (E. Pastorello, Rerum Italicarum Scriptores, XII/1,
Bologne 1941-1949, p. 3171416) : « Dominatores terceriorum Nigropontis, disenciente
Andrea Dandulo Venetorum baiulo, cum xvi galeis Asyam minorem Palealogo subdictam
invadunt, et maxima conmissa preda redeunt. »
48. Ibidem (p. 3171618) : «Tune Palealogus indignatus, cum potenti stolo castrum
Orey ossidet et xx galeas bene armatas in Nigroponte, quas domini insuie, pro removenda
obsidione, misserant, in conflictum posuit, et multos nobiles feudatarios captivos
conduxit. »
49. Ibidem (p. 32045) : « Eodem tempore, apocrisarii Michaelis imperatoris Graecorum,
vc homines Venetos, quos in galeis feudatorum Nigropontis ceperant, duci offerunt,
et renovacionem treugue requirunt. »
196 A. FAILLER
67. Voir F. Dölger, Regesten2, n° 1985 a, où le départ des ambassadeurs pour Venise
est daté de mai-juin 1272. Sans preuve, P. Wirth admet qu'ils étaient à Venise en juillet
1272, au commencement de la cinquième année de gouvernement de Lorenzo Tiepolo
(15 juillet 1272).
68. F. Dölger, Regesten2, n05 1960-1961.
69. Ibidem, n° 2026. Voir le préambule du texte : G. L. F. Tafel et G. M. Thomas,
op. cit., Ill, p. 1348"9 (texte latin) ; MM, III, p. 848 (texte grec).
70. On en trouve le témoignage dans la longue liste des litiges intervenus entre Vénit
iens et Grecs depuis 1270 et réglés en mars 1278 ; voir G. L. F. Tafel et G. M. Thomas,
op. cit., III, p. 159-281.
200 A. FAILLER
76. Ibidem, p. 114510. Mais il se peut que Grégoras s'autorise, pour avancer ce chiffre,
du texte de Pachymère (Bonn, I, p. 3281415), selon qui le duc d'Athènes remit à Jean
Doukas « 300 chevaliers ou même davantage, dit-on ».
77. Grégoras : Bonn, I, p. 11719·24. Pachymère (Bonn, I, p. 3253 et 3322-4) fournit
deux évaluations successives de la flotte byzantine ; dans le premier cas, il lui attribue
73 bâtiments ; dans le second, il évalue ses effectifs à deux ou trois fois ceux des Latins,
qui possédaient un peu moins de 30 galères. Le chiffre fourni par Grégoras peut provenir
de ce second passage. Par une curieuse coïncidence, D. J. Geanakoplos (op. cit., p. 283
n. 27) a relevé également cette évaluation approximative des forces byzantines et omis
de citer le chiffre plus précis que l'historien a fourni au début de son récit.
78. A. Heisenberg, Aus der Geschichte und Literatur der Palaiologenzeit, Munich
1920, p. 128; L. Previale, Un panegirico inedito per Michèle VIII Paleologo, BZ 42,
1942, p. 3917"20 et note correspondante.
202 A. FAILLER
7. Ils ont été édités par A. Heisenberg (Nicephori Blemmydae curriculum vitae et
carmina, Leipzig 1896) et ils sont datés à leur début (p. 1 et 52).
8. Suivant la chronologie établie par P. Poussines (Bonn, I, p. 758), F. Dölger (Regest
en1,n° 1983) a placé vers 1272 la ratification du testament de Nicéphore Blemmydès
par Michel VIII Paléologue ; il se réfère également à A. Heisenberg (op. cit., p. xxiv-
xxv), qui opte de son côté pour l'année 1271. D'autre part, F. Dölger (Regesten1, nos
1969-1970) place vers 1270 le mariage de Constantin Tich avec Marie Kantakouzènè.
Or Pachymère (Bonn, I, p. 34216) écrit que ce mariage eut lieu après le retour du patriarche
d'Asie Mineure. Comme il n'y a aucune raison de mettre en doute cette information, il
convient de rejeter l'ordre des événements adopté par F. Dölger. S'en rapportant à
l'indication chronologique de Pachymère, V. Laurent (Regestes, n° 1391) place le voyage
du patriarche vers 1270-1271 et l'alliance avec la Bulgarie vers la même date. P. Wirth
(Regesten2, n° 1971a) place la ratification du testament de Nicéphore Blemmydès par
Michel VIII Paléologue vers 1270-1271, en se référant à V. Laurent. Mais il est lui aussi
en désaccord avec l'indication chronologique de Pachymère, car il date d'après juin 1269
(Regesten2, nos 1969-1970) l'alliance avec la Bulgarie, qui, selon l'historien, est postérieure
au voyage du patriarche Joseph en Asie Mineure. En conséquence, il faut sans doute placer
en 1268 la ratification impériale du testament de Nicéphore Blemmydès (Regesten1,
n° 1983 : ca. 1272; Regesten2, n° 1971a : ca. 1270-1271), ainsi que sa confirmation par
le patriarche (Regestes, n° 1391 : vers 1270-1271).
9. Pachymère : Bonn, I, p. 3429"13.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 207
plus probablement quelques années plus tôt et peut-être peu après la rédac
tionde son testament10.
P. Poussines, qui a été suivi par les deux biographes de Michel VIII
Paléologue13, a daté de 1272 le mariage de Constantin Tich avec Marie
Kantakouzènè14. Le rédacteur des régestes impériaux a placé l'alliance
entre les États byzantin et bulgare un peu plus haut, en 1270-1271 15. Il
s'est inspiré des opinions émises par les historiens bulgares, tout en se refu
sant à les suivre jusqu'au bout, car ceux-ci font remonter à 1269 ou 1268
la conclusion de la paix entre Constantin Tich et Michel VIII Paléologue16
et confirment ainsi la chronologie établie à partir de l'analyse du texte de
Georges Pachymère. Plus récemment, P. Petrov a cru pouvoir assigner
à cet événement une date plus précise : deuxième moitié de l'année 126917.
Il n'est pas question de développer ici l'ensemble de son argumentation,
dans laquelle sont mises en valeur la situation politique des deux États
et les motivations de Michel VIII Paléologue; l'empereur s'efforçait en
particulier de se concilier l'amitié des nations limitrophes et de rompre
la coalition anti-byzantine qu'organisait Charles Ier d'Anjou pour envahir
plus aisément les territoires repris par les Nicéens en 1261. Seul sera examiné
le point sur lequel est fondée la démonstration de P. Petrov. D'après une
lettre de Bêla IV, datée d'avril 1269, une ambassade bulgare se trouvait à
la cour de Hongrie vers le début de l'année 126918 ; P. Petrov en conclut
qu'à ce moment la Bulgarie était encore dans l'orbite de la Hongrie, que
Michel VIII Paléologue réussit plus tard à détacher Constantin Tich de la
coalition anti-byzantine et que, comme le renversement des alliances exigea
nécessairement un certain délai, l'alliance entre Tirnovo et Constantinople
dut devenir effective vers le milieu de l'année 1269.
Mais le contenu et la portée de ce texte sont ambigus sur plusieurs points.
En premier lieu, on peut contester qu'une fois la paix conclue entre l'em
pire byzantin et la Bulgarie Constantin Tich ait été dans l'impossibilité
n° 15.
nos 1391).
1969-1970)
F. Pour
DöLGER,
lesplace
raisons
Regesten1,
l'alliance
qui sont
nos
bulgaro-byzantine
exposées
1969-1970;
dans les
il est
lignes
un suivi
peu
suivantes,
plus
par V.
haut
P.Laurent
Wirth
(nach juni
(Regesten2,
(Regestes,
1269).
conclure une alliance avec Nogaï bien des années plus tard et lui envoyer
à cette occasion sa fille naturelle24. Il mentionne à nouveau Nogaï, lorsqu'il
relate l'invasion de la Thrace par les Tatars en 1264, et note qu'à cette
date celui-ci commençait à se créer un État indépendant et que l'alliance,
scellée par le mariage d'Euphrosyne, n'avait pas encore été conclue25.
Lorsqu'en 1279 ou l'année suivante Nogaï reçut les deux prétendants au
trône de Bulgarie, Lachanas et Jean, le fils de Mytzès, Euphrosyne se
trouvait auprès de lui26.
On peut déduire que Michel VIII Paléologue se hâta d'obtenir l'alliance
de Nogaï et que les tractations aboutirent peu de temps après le mariage de
Constantin Tich avec Marie Kantakouzènè, sans doute vers 127027 ; il
semble impossible de proposer une date plus précise. Selon Georges Pachy-
mère, le traité qui liait Tirnovo à Constantinople fut rompu au moment
où naquit un héritier au trône de Bulgarie, Michel, mais Constantin Tich
se garda d'ouvrir les hostilités, par crainte de Nogaï, auquel Michel VIII
Paléologue venait de s'allier. L'historien reprend le récit des affaires bul
gares au début du livre VI : il rappelle que le traité byzantino-bulgare
avait été rompu, parce que l'empereur avait refusé de livrer au tsar les
villes de Mésembreia et d'Anchialos après la naissance de Michel, et il
ajoute que l'union des Églises avait avivé l'animosité de Marie Kantakouz
ènè contre son oncle28. Ce passage de l'Histoire introduit le long récit
des événements sanglants qui se déroulèrent en Bulgarie de 1276 à 1280
et n'est d'aucun secours pour l'établissement de la chronologie des faits
antérieurs.
31. En date du 9 avril 1269, Bêla IV fait don de propriétés à Michel, en échange d'une
croix précieuse que celui-ci avait reçue des Serbes à l'issue de leur récente défaite. Voir
G. Fejér, Codex diplomaticus Hungariae ecclesiasticus ac civilis, IV/3, Budapest 1829,
p. 490-493. La donation fut confirmée l'année suivante par Etienne V : ibidem, V/l,
Budapest 1829, p. 24-26.
32. Bêla IV fait une donation à Etienne, qui a battu les troupes serbes et remis au roi
l'étendard d'Uros, fait prisonnier. Voir I. Nagy, Codex diplomaticus patrius Hungaricus,
VIII, Budapest 1891, p. 96-97. Émis par le vice-chancelier Démétrius, qui prit ses fonctions
vers la fin de l'année 1267, l'acte ne peut dater de 1265.
33. Voir P. Petrov, art. cit., p. 84 avec la note 2, p. 89.
214 A. FAILLER
46. Voir F. Dölger, Regesten2, n° 1974. Le rédacteur des Regesten relève un autre
document concernant l'ambassade qui fut envoyée à Louis IX vers le milieu de l'année
précédente (n° 1968).
47. On ne peut décrire de manière précise les étapes de la pénétration angevine en
Albanie après la mort de Filippo Chinardo. Il est clair cependant que Corfou appartint
dès 1267 au roi de Naples : le 23 mars de cette année, celui-ci nomme Alamanno Guarnieri
capitaine de l'île et lui demande d'y accueillir les Grecs qui voudraient y revenir, à l'excep
tion des meurtriers de Filippo Chinardo (R. Filangieri, op. cit., I, p. 82 n° 224).
48. Pachymère : Bonn, I, p. 50848.
49. Ibidem, p. 357415. Selon l'historien, les Albanais quittèrent les ruines après en avoir
extrait tout ce qu'ils purent (ibidem, p. 3571415) ; ils n'y revinrent donc que plus tard
(p. 50857) pour l'occuper. Dans ce cas, Dyrrachion aurait été au pouvoir de Michel II
Angélos, puis de son fils Nicéphore, pendant plusieurs années, après la mort de Filippo
Chinardo. Le métropolite de la ville, Nicétas, semble y être demeuré depuis son élection
en 1260 (p. 12615) jusqu'au tremblement de terre de 1270 (p. 35717). Kanina, au contraire,
aurait passé plus tôt, peut-être dès 1267, sous le contrôle de Charles Ier d'Anjou (p. 5Ο810-
5093). Cette forteresse n'est pas mentionnée avant juin 1274 dans les actes du roi de Naples
(R. Filangieri, op. cit., XI, p. 174 n° 411).
50. L. Previale, Un panegirico inedito per Michèle VIII Paleologo, Β Ζ 42, 1942,
p. 373. En 1272, la ville était encore considérée comme « déserte»; mais un certain nom-
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 217
bre d'Albanais l'avaient sans doute occupée plus tôt et venaient peu auparavant de se
rallier à Charles Ier d'Anjou. Voir les actes cités à la note 53.
51. R. Filangieri, op. cit., VII, p. 222 n° 58 (= L. de Thalloczy, n° 266).
52. Ibidem, VII, p. 245 n° 175 (= L. de Thalloczy, n° 265).
53. Ibidem, VIII, p. 173 n° 435 (= L. de Thalloczy, n° 268), p. 176 n° 444, p. 174
n° 436 ( = L. de Thalloczy, n° 269). Michel VIII Paléologue essaya en vain de persuader
les Albanais de Dyrrachion de se rallier à lui ; voir F. Dölger, Regesten2, n° 1993.
54. Voir en particulier un certain nombre d'actes datés de mai 1270 à novembre
1271 : ibidem, IV, p. 93 n° 608 (= L. de Thalloczy, n° 260); VI, p. 107 n° 471, p.
145-146 n° 739 (= L. de Thalloczy, n° 262); Vil, p. 109 nos 86 et 89. On y trouve
en particulier une expression caractéristique pour décrire l'attitude des habitants de
Dyrrachion : « in odium nostri nominis ».
55. Ibidem, IX, p. 158 n° 212 (= L. de Thalloczy, n° 283), p. 165 n° 231 (= L. de
Thalloczy, n° 292); XI, p. 162 n° 354 (= L. de Thalloczy, n° 308).
56. P. Poussines : Bonn, I, p. 759.
57. Pachymère : Bonn, I, p. 35819"20.
218 A. FAILLER
II est exclu également que les Angevins aient déjà été en possession de
Dyrrachion lorsque le tremblement de terre se produisit. Remarquons en
effet que les actes de Charles Ier d'Anjou ne le mentionnent pas avant dé
cembre 127358. A cette date, il est question du retour à Dyrrachion de
certains habitants qui s'étaient réfugiés dans le voisinage après le tremble
ment de terre et qui désiraient revenir, mais la date du sinistre n'est pas
indiquée. Le séisme est encore rappelé dans deux actes postérieurs qui sont
datés respectivement du 10 mars 1278 et du 14 octobre 1284 et dans lesquels
il est également question du retour des habitants59. Ainsi, bien que les
sources soient imprécises ou apparemment contradictoires sur certains
points, il est très probable que le séisme de Dyrrachion se produisit en
mars 1270.
58. R. Filangieri, op. cit., XI, p. 121 n° 143 ( = L. de Thalloczy, n° 305). Les
actes de Charles Ier d'Anjou fournissent seulement ce terminus ante quem, en vertu duquel
les auteurs du recueil des documents concernant l'Albanie ont pu retenir l'hypothèse
de P. Poussines et dater le séisme de mars 1273 (L. de Thalloczy, n° 305 en note).
59. Ibidem, nos 380 et 492. Seul le deuxième acte donne la mesure du séisme ; il corro
borela version de Pachymère (Bonn, I, p. 3571"4), selon lequel tout fut détruit, sauf la
citadelle ; il contient en particulier le passage suivant : «... ab olim tempore terremotus,
ex quo dicta civitas diruta exstitit et destructa».
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 219
1. Les principales sources parallèles sont constituées par les documents émis à cette
occasion par le pape d'une part, par la partie byzantine d'autre part. Les actes du pape
ainsi que les documents de la partie byzantine qui sont conservés seulement en traduction
latine seront cités dans les éditions de J. Guiraud [Les Registres de Grégoire X (1272-
1276), Rome 1892-1906] et de A. L. Tâutu [Acta Urbani IV, démentis IV, Gregorii X
(1261-1276), Vatican 1953]. Quant aux principaux documents grecs connus à ce jour,
ils ont été édités par V. Laurent et J. Darrouzès dans le Dossier grec de Γ Union de
Lyon (1273-1277), Paris 1976 ; cet ouvrage sera cité dans la suite de ce chapitre sous le
titre Dossier grec. Dans le présent exposé, la bibliographie sera réduite au minimum ;
on retiendra comme point de départ l'état de la question tel qu'il a été établi respect
ivement par J. Darrouzès dans le Dossier grec pour les documents byzantins et par A.
Franchi pour les actes latins dans son article « II problema orientale al concilio di Lione
II (1274) e le interferenze del regno di Sicilia », Ο Theologos 5, 1975, p. 15-1 10 ; cet article
sera cité dans la suite sous le titre // problema orientale.
220 A. FAILLER
4. F. Dölger, Regesten2, n° 1986 (1272 ca. sommer). Les sources n'indiquent pas
l'identité des ambassadeurs byzantins. D'après la réponse du pape, le chef de l'ambas
sade était frère Jean, de l'ordre des mineurs : « dilectus filius noster Iohannes de Or-
dine Minorum... nuntius supervenit » {Actes de Grégoire X : J. Guiraud, n° 194, p.
68b = A. L. Täutu, n° 32, p. 938~10). Il s'agit sans aucun doute de Jean Parastrôn;
mais, contrairement à ce que laisse entendre F. Dölger, cette précision ne se lit pas dans
le texte de Georges Pachymère, qui ne mentionne pas cette ambassade impériale. Voici
le passage auquel se réfère F. Dölger (Pachymère : Bonn, 1, p. 3712~4) : « Peu après
l'installation de Grégoire, des nonces arrivent de là-bas à Byzance; ces nonces étaient
des frères, dont l'un se nommait Jean Parastrôn. » Ce dernier n'est donc pas présenté
comme un légat impérial, mais comme un nonce pontifical. Comme on le verra dans
la note suivante, l'historien fait erreur sur ce point précis.
5. La lettre de Grégoire X que les nonces devaient remettre à l'empereur est datée du
24 octobre 1272 (Actes de Grégoire X : J. Guiraud, n° 194, p. 67b-73a = A. L. Täutu,
n° 32, p. 91-100). Les instructions remises aux nonces portent la date du lendemain (ib
idem : J. Guiraud, n° 195, p. 73a-74a = A. L. Täutu, n° 33, p. 100-102), de même que
l'invitation faite au patriarche et à la hiérarchie de participer au concile (ibidem : J.
Guiraud, n° 196, p. 74 = A. L. Täutu, n° 34, p. 103-104). Mais les nonces ne quittèrent
pas l'Italie avant le mois suivant, car ils emportèrent aussi des documents signés par le
pape les 5 et 7 novembre à Orvieto (ibidem : J. Guiraud, n° 197, p. 74b ; n° 198, p. 75a).
Les nonces se nommaient Girolamo d'Ascoli, Raimondo Berengario, Bonagrazia di San
Giovanni in Persiceto et Bonaventura da Mugello. Jean Parastrôn, qui les accompagnait au
retour de son ambassade à Rome, dut être leur guide dans le monde byzantin et fut le prin
cipal artisan de la conclusion de l'union. Pour cette raison sans doute, Georges Pachymère
lui attribue la qualité de nonce pontifical (voir la note précédente). Jean Parastrôn se
fit l'interprète de la doctrine romaine auprès de Michel VIII Paléologue, qui lui rendit
hommage dans la profession de foi qu'il adressa au concile (Actes de Grégoire X : A. L.
Täutu, n° 41, p. 1191819); il accompagna à Lyon Girolamo d'Ascoli et Bonagrazia di
San Giovanni in Persiceto et apposa sa signature, après celle de l'empereur et avant celle
des deux nonces, sur la bulle d'envoi des documents grecs [Annales sancti Rudberti
Salisburgenses : MGH SS, IX, p. 799 ; cité d'après B. Roberg, Die Union zwischen der
griechischen und der lateinischen Kirche auf dem II. Konzil von Lyon (1274), Bonn 1964,
p. 262]. A la fin du concile Grégoire X lui décerna un satisfecit (Actes de Grégoire X :
A. L. Täutu, n° 54, p. 141-142).
222 A. FAILLER
mais ses efforts demeurèrent vains (V, 1 1). On peut supposer que ces conver
sations commencèrent vers le début de l'année 1273. Voyant ses thèses
réfutées et ses projets contrecarrés, Michel VIII Paléologue s'engagea
personnellement dans le combat; mais en séance synodale Jean Bekkos,
qui était le chartophylax du patriarcat et que le patriarche Joseph chargea
de s'opposer à l'empereur, exprima les convictions anti-unionistes de la
majorité des ecclésiastiques et affirma que les Latins étaient hérétiques et
que l'Église orthodoxe ne pouvait entrer en communion avec eux (V, 12)6.
Jugeant que les ecclésiastiques plieraient une fois privés du soutien de Jean
Bekkos, l'empereur essaya de le faire condamner par le synode pour une
autre affaire, mais les évêques refusèrent de statuer sans l'aval du patriarche
qui était le chef hiérarchique de l'accusé et qui rejetait sa mise en accusation7.
Là-dessus, l'empereur convoqua Jean Bekkos8 et le fit emprisonner sans
autre forme de procès (V, 13). Puis il fit transmettre à l'assemblée synodale
un tomos, qui résumait ses positions dogmatiques par rapport à la papauté
et que, pensait-il, les ecclésiastiques n'oseraient pas réfuter en l'absence du
chartophylax ; mais le synode composa un anti-tomos9, et l'empereur se
6. Cette assemblée est enregistrée par V. Laurent dans les Regestes sous le n° 1399
(c. 1273). Comme on le verra plus bas, elle doit être placée dans la première moitié de
l'année 1273, probablement au printemps. Un récit anonyme dirigé contre Jean Bekkos
(V. Laurent-J. Darrouzès, Dossier grec, p. 33513) date l'intervention synodale du
chartophylax de l'année 6782 (septembre 1273-août 1274). Composé vers le milieu de
l'année 1275 (voir ibidem, p. 36-37), cet écrit est proche des événements et semble dès
lors mériter confiance. L'erreur peut donc étonner, mais on ne voit pas comment il serait
possible de placer si tard l'intervention de Jean Bekkos, qui doit précéder de toute manière
le serment du patriarche Joseph, clairement daté de juin 1273 (voir la note 10). Il est vrai
que l'opposition de Jean Bekkos a pu s'étendre sur l'année 6782, c'est-à-dire au delà
d'août 1273 ; on s'expliquerait ainsi que l'auteur attribue à cette intervention une date
trop tardive. Il faut également dater de la première moitié de l'année 1273 l'assemblée
au cours de laquelle, contre toute attente, Manuel Holobôlos s'opposa à l'empereur
(Pachymère : Bonn, I, p. 3921013); il convient de corriger en conséquence le n° 1413
des Regestes de V. Laurent, qui a daté cette assemblée du 6 octobre 1274. Cette date
est tirée du texte de Pachymère (Bonn, I, p. 39419'20), mais l'historien entend indiquer le
6 octobre 1273 (et non 1274) et dater par là le châtiment public d'HolobôIos (et non la
réunion au palais). Voir ci-dessous, p. 227-228.
7. V. Laurent, Regestes, n° 1398 (c. 1273). Ce régeste doit être placé plus bas, après
le n° 1399, et daté également de la première moitié de l'année 1273, probablement du
printemps. En effet, la profession de foi anti-latine de Jean Bekkos précède nécessairement
sa mise en accusation, puisque la première provoqua la seconde.
8. F. DÖLGER, Regesten2, n° 1998 a (ca. 1273). La date peut être précisée : première
moitié de l'année 1273, probablement au printemps. P. Wirth a corrigé avec raison la
première édition, où l'acte était placé peu avant mars 1274 (Regesten1, n° 2005).
9. V. Laurent, Regestes, n° 1400 (printemps 1273). La réponse du synode au tomos
de l'empereur est appelé successivement dans l'Histoire tomos (Pachymère : Bonn, I,
p. 3804·7) et apologos (ibidem, p. 38Ο11). Le texte lui-même porte le titre a'Apologia (V.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 223
trouva à nouveau dans l'impasse (V, 14). Dans sa prison, Jean Bekkos
étudiait au même moment les écrits patristiques et arrivait à la conclusion
que les thèses latines n'étaient pas en contradiction avec la doctrine des
Pères ; l'empereur, qui ne désespérait plus de faire de lui son allié, le fit
tirer de prison (V, 1 5). Quant au patriarche Joseph, il faisait le serment de
s'opposer à l'union, tant qu'on n'aurait pas aboli les différences dogmatiques
entre les Églises et obtenu des Latins la suppression du Filioque10. Ayant
perdu tout espoir de conclure l'union avec le concours du patriarche,
l'empereur se tourna vers Jean Bekkos, qui ne rejetait plus la légitimité
du projet impérial (V, 16).
La première phase des négociations se termine en juin 1273, puisqu'elle
prend fin avec le serment du patriarche Joseph, dont le texte a été conservé
et qui est daté de juin de l 'indiction 1 (septembre 1272-août 1273)11. La
longue relation de Georges Pachymère ne contient pas le moindre repère
chronologique, mais l'ensemble des faits trouve dans la date du serment
son point terminal ; tout au plus doit-on placer plus tard le ralliement pro
gressif de Jean Bekkos à la politique d'union, tel qu'il est rapporté dans la
dernière partie du chapitre 16 de l'Histoire. Ajoutons que l'historien suit
un ordre chronologique strict, qui ressort des articulations logiques du texte
et des transitions entre les chapitres. L'ensemble des événements se déroulent
donc durant la première moitié de l'année 1273 ; mais il est impossible d'en f
ixer précisément la date. Les négociations de Jean Parastrôn avec le synode se
situent vers le début de l'année ; on peut supposer que Michel VIII Paléologue
laissa libre cours aux conversations durant un certain temps avant d'intervenir
personnellement. Aussi la profession de foi anti-latine de Jean Bekkos et son
incarcération, l'émission d'un tomos par l'empereur et d'un anti-tomos par
le synode, enfin l'évolution de Jean Bekkos se placent probablement dans un
laps de temps assez court, précèdent de peu le serment du patriarche Joseph,
qui est daté de juin 1273, et doivent vraisemblablement être datées du prin
temps 1273, sans qu'il soit possible et prudent de préciser davantage.
Laurent- J. Darrouzès, Dossier grec, n° 1, p. 135), mais le texte édité est sans aucun
doute une amplification de l'original (voir ibidem, p. 9-11) ; on ne voit pas en effet com
ment ce long mémoire aurait pu être lu en public (Pachymère : Bonn, I, p. 3807·1415).
L'anti-tomos fut composé peu de temps avant le serment du patriarche Joseph, qui est
daté de juin 1273 (voir la note suivante).
10. V. Laurent, Regestes, n° 1401 ; voir le texte dans V. Laurent-J. Darrouzès,
Dossier grec, n° 2, p. 302-305. Le document est daté de juin de la première indiction (ib
idem, p. 30518 19), c'est-à-dire de juin 1273. En posant une condition que les Latins n'ac
cepteraient jamais (la suppression du Filioque), le patriarche Joseph s'interdisait en fait
d'accepter l'union des Églises.
11. Voir la note précédente.
224 A. FAILLER
12. Pachymère : Bonn, I, p. 38410. Il faut remarquer que les ambassadeurs furent
choisis par l'empereur; leur désignation pouvait donc précéder l'adhésion du synode
à l'union des Églises.
13. Ibidem, p. 38512"13.
14. Ibidem, p. 3847'9. Malheureusement l'historien ne précise pas si à ce moment
les quatre nonces étaient encore présents à Constantinople ou si les deux premiers avaient
déjà regagné l'Italie; voir la note 20, p. 226.
15. Ibidem, p. 3862'4. L'accord entre l'empereur et le patriarche, qui promit de se retirer
définitivement si l'union aboutissait, précède de peu ce départ. La convention passée par
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 225
les deux hommes est enregistrée par F. Dölger {Regesten2, n° 2004 : peu avant le 1 1 janvier
1274) et V. Laurent (Regestes, n° 1408 : peu avant le 1 1 janvier 1274). Tous deux admettent
ainsi qu'un document fut émis à cette occasion. La chose est contestable : lorsque le synode
s'apprêtait à prononcer la destitution de Joseph en janvier 1275 et qu'il voulut se fonder
sur l'accord conclu par le patriarche et l'empereur un an plus tôt, il ne fut pas fait mention
d'un document de cette nature, qui, s'il avait existé, aurait constitué une preuve suffisante
à l'encontre du patriarche ; mais on dut convoquer les témoins de l'entrevue au cours de
laquelle le patriarche avait promis de se retirer si l'union aboutissait (Pachymère : Bonn,
I, p. 39811"15).
16. V. Laurent-J. Darrouzès, Dossier grec, p. 46513.
17. Ibidem, n° 5, p. 320-323. Certains membres du synode refusèrent d'approuver
ce texte, comme le reconnaît la déclaration adressée par l'épiscopat et le clergé au concile
de Lyon et datée de février 1274 : « pontificalis tota fere plenitudo. .. iam convenit in
unum » (Actes de Grégoire X: A. L. Tâutu, n° 42, p. 12548-1261). Un avis synodal anonyme
a été conservé (V. Laurent-J. Darrouzès, Dossier grec, n° 3, p. 306-313), qui témoigne
de l'opposition d'une fraction du synode et qui reprend la problématique de l'union telle
que l'expose le patriarche Joseph (préalable dogmatique).
18. Ibidem, n° 6, p. 322-323 ; V. Laurent, Regestes, n° 1409 (peu avant le 11 janvier
1274). Cette lettre précède l'engagement synodal du 24 décembre 1273, et non le départ
de Joseph le 11 janvier 1274. Le n° 1409 doit donc être placé avant le n° 1408 ; voir la
note 15.
19. V. Laurent-J. Darrouzès, Dossier grec, n° 4, p. 314-319. Comme on le verra
plus bas, ce chrysobulle adressé au synode, qui en avait fait la demande expresse à l'em
pereur (ibidem, p. 31523"24, 32115"16-25"27), concerne uniquement l'épiscopat et ne mentionne
pas les clercs, qui reçurent plus tard un autre chrysobulle, dont le contenu est différent.
En conséquence, le n° 2002 b des Regesten2, dans lequel sont rassemblées les données
des deux chrysobulles, doit être dédoublé. Le premier régeste, qui peut garder le n° 2002 b,
sera libellé comme suit : 1273, avant le 24 décembre. — Χρυσοβούλλιος λόγος (p. 3173·36,
31928. 29} 32ii5.23.27) adressé au synode : 1. l'empereur a fait tous les efforts pour rassemb
ler à nouveau le corps déchiré de l'Église ; 2. maintenant que la paix des Églises a été
obtenue, il fait savoir au synode, qui en a fait la demande, à quelles conditions cette paix
a été conclue : on reconnaîtra au pape la primauté, l'appel et la commémoraison ; 3. l'É
glise orthodoxe gardera ses dogmes et ses coutumes sans aucun changement. Pour le
contenu et la date du second régeste, voir ci-dessous, p. 230 avec la note 39.
226 A. FAILLER
1273. Par ailleurs rien ne permet de déterminer à quelle date furent désignés
les légats pour le concile de Lyon ; mais on peut supposer que ce choix inter
vint peu avant le synode du 24 décembre 127320. Georges Pachymère
procède par anticipation en mentionnant le départ des légats dès le début du
chapitre 17; il annonce ainsi le chapitre 21, qui contient la suite du récit
et relate le voyage des ambassadeurs vers l'Italie.
les ecclésiastiques qui avaient rang d'archontes »22. A cette date, les évêques
s'étaient ralliés à l'union et le patriarche avait accepté, en autorisant l'épi
scopat à soutenir l'empereur et en se retirant lui-même du patriarcat, de ne
pas contrecarrer les projets de Michel VIII Paléologue; seuls les clercs
maintenaient leur résistance. Le début du chapitre 18 ne constitue pas un
retour en arrière, mais la suite immédiate du récit, car il décrit également
la situation existant en janvier 1274. Selon l'historien, «le souverain soup
çonnait fort que ces gens-là (c'est-à-dire les archontes ecclésiastiques) ne
donneraient pas facilement leur accord, surtout qu'ils ne se laissaient
absolument pas convaincre..., et que manifestement ils n'accepteraient
pas l'affaire (c'est-à-dire l'union), si elle aboutissait»23.
Ce long récit doit être lu aussi comme un plaidoyer, dans lequel Georges
Pachymère entend expliquer et justifier sa propre position. En voici le
contenu. Au terme de longues discussions, l'empereur ne parvint pas,
malgré les menaces, à persuader les clercs d'adhérer à l'union. Il fit alors
rédiger un tomos, qu'il leur ordonna de signer. Ce texte ne portait pas
directement sur l'union des Églises ; c'était une profession de fidélité envers
l'empereur, étant entendu que refuser l'union voulue par l'empereur reve
nait à lui désobéir24. Les clercs signèrent, mais l'empereur n'en exerça
pas moins des brimades contre eux ; il en exila même certains.
Parvenu à ce point de son récit, Georges Pachymère insère un passage
qui se rapporte à des faits antérieurs : au cours d'une délibération au palais
sur l'union des Églises, Manuel Holobôlos se prononça, de manière impré
vue25, contre le projet de l'empereur, qui l'exila à Nicée. Plus tard, il fut
ramené à Constantinople; l'empereur organisa un simulacre de cortège
triomphal, dont le rhéteur dut prendre la tête. Cette scène est datée par
l'historien du 6 octobre 127326. Manuel Holobôlos avait passé auparavant
quelques mois à Nicée, où il dut arriver dans la première moitié de l'année,
car la réunion au cours de laquelle il s'opposa à l'empereur se déroula
durant la première phase des tractations, sans doute avant l'émission du
tomos impérial adressé au synode.
27. Le récit où est narrée la punition de Manuel Holobôlos se termine par la datation
de l'événement (Pachymère : Bonn, I, p. 39419-3952). La phrase suivante se rapporte à
un sujet totalement différent et continue le récit laissé en suspens à la fin du chapitre 19.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L 'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 229
28. Ibidem, p. 38512"13, 3865-6·1213, 38717"18, 38816"20, 38934. Dès le début du récit
{ibidem, p. 36715-3698), Georges Pachymère rejette sur les métropolites, en termes parfois
violents (voir en particulier ibidem, p. 3691), l'entière responsabilité de la conclusion de
l'union et de ses funestes conséquences.
29. Pachymère (Bonn, I, p. 38967) expose d'ailleurs clairement la position que tenaient
les archontes : « II ne nous revient pas selon les canons, affirmaient ceux-ci, d'examiner
ces sujets, à nous qui sommes sous l'autorité d'un évêque (c'est-à-dire du patriarche en
l'occurrence) et devons le suivre. » Les tractations entre l'empereur et les archontes
montrent précisément que ceux-ci demeurent fidèles au patriarche et reprennent à leur
compte ses idées sur l'union des Églises, mettant en avant en particulier le préalable
dogmatique, la nécessité d'obtenir des Latins la suppression du Filioque, le lien direct
entre l'accord doctrinal et la commémoraison du pape {ibidem, p. 38910-3904).
30. Voir les Actes de Grégoire X : J. Guiraud, n° 195, p. 73-74 = A. L. Tautu, n° 33,
p. ΙΟΙ1216, 1022730.
31. De fait, les archontes signent à la suite des évêques la déclaration de foi destinée
au concile de Lyon ; voir les Actes de Grégoire X : A. L. Täutu, n° 42, p. 124-127.
32. V. Laurent-J. Darrouzès, Dossier grec, n° 4, p. 314-319.
33. Pachymère : Bonn, I, p. 3959, 45717"18.
34. V. Laurent-J. Darrouzès, Dossier grec, p. 3152324. Dans l'engagement qu'ils
contractèrent peu après, les évêques se réfèrent d'ailleurs aux garanties contenues dans
le chrysobulle impérial (ibidem, p. 321 15~28).
230 A. FAILLER
Manuel Holobôlos en octobre 1274 (au lieu d'octobre 1273) et dater en conséquence
de la même période l'émission du chrysobulle adressé au clergé de Sainte-Sophie; une
telle déduction est sans valeur, car, comme on l'a montré plus haut (voir p. 227-228),
il n'y a pas de lien chronologique entre les deux faits. A. Franchi (// problema orientale,
p. 58 n. 81), qui a vu l'erreur de F. Dölger, a proposé, sans argument sérieux, de placer
l'émission du chrysobulle adressé aux archontes un an plus tôt (vers octobre 1273).
Quant à P. Wirth {Regesten2, n° 2002b), il a fondu en un seul acte les chrysobulles
adressés au synode (décembre 1273) et aux archontes (janvier-février 1274); il reprend
le résumé de F. Dölger, qui rend compte du second chrysobulle, mais il donne la référence
au premier chrysobulle, dont le texte a été récemment édité et dont F. Dölger n'eut pas
connaissance. P. Wirth n'a pas remarqué que le destinataire et le contenu des deux chry
sobulles sont différents ; voir ci-dessus, p. 225 n. 19.
40. Pachymère (Bonn, I, p. 3957·19) emploie sans complément le substantif υπογραφή
et le verbe ύπογράφειν.
41. Actes de Grégoire X : A. L. Täutu, n° 42, p. 124-127. Traduit sur une copie authent
ifiée par Jean Bekkos, le texte latin fournit la liste des sièges dont le titulaire a signé la
profession de foi et celle des fonctionnaires du patriarcat qui ont apposé leur signature
à la suite. La signature des archontes suppléait celle du patriarche, que son serment
empêchait d'accepter l'union. Néanmoins, on peut retenir l'information que donne une
lettre de Girolamo d'Ascoli et Bonagrazia di San Giovanni in Persiceto au pape et selon
laquelle le patriarche Joseph écrivit personnellement à Grégoire X à la veille du concile
de Lyon ; voir B. Roberg, op. cit., p. 22910"15. Comme le pense A. Franchi (II problema
orientale, p. 68 n. 97), on peut tenir pour authentique le régeste enregistré avec un asté
risque par V. Laurent, Regestes, n° 1410 (avant le 11 mars 1274). Dans cette lettre,
le patriarche devait expliquer au pape sa position, car l'absence de la signature du chef
de l'Église sur les documents envoyés à Lyon ne pouvait passer inaperçue et devait donc
être justifiée, d'autant plus que Grégoire X avait instamment prié Joseph de se rendre
personnellement au concile (Actes de Grégoire X: J. Guiraud, n° 196, p. 74 = A. L. Täutu,
n° 34, p. 103-104). Dans la profession de foi signée par les évêques et les archontes ecclé
siastiques en février 1274, on trouve également mention de l'attitude du patriarche, qui
s'était retiré dans un monastère en attendant le retour des légats et qui aurait pu éventuelle
ment se rallier alors à l'union (Actes de Grégoire X : A. L. Täutu, n° 42, p. 1266'28). Ce
dernier point est contestable, car, comme l'affirme Georges Pachymère et comme le
confirme Joseph lui-même dans son serment de juin 1273, il était exclu que le patriarche
reprît sa charge dans le cas où l'union aboutirait sans que fût levé le préalable dogmatique ;
or cette condition ne pouvait être remplie. La version présentée dans la profession de foi
prête au patriarche Joseph une attitude moins intransigeante qu'elle n'était en réalité,
probablement pour éviter que le pape ne fût heurté et l'union compromise de ce fait.
232 A. FAILLER
49. F. Dölger, Regesten2, n° 2015a (été 1275); V. Laurent, Regestes, n" 1425 (juin
1275). En fait, Pachymère (Bonn, I, p. 4091617) mentionne simplement l'ambassade
envoyée par l'empereur au pape ; aucun texte ne signale donc l'émission d'un acte patriar
cal à cette occasion. D'autre part, F. Dölger {Regesten1, nos 2015 et 2022) a recensé
deux régestes impériaux, l'émission du premier étant fondée sur le texte de Georges
Pachymère, celle du second sur la lettre d'Innocent V à Michel VIII Paléologue (mai
1276) et sur le rapport de Georges Métochitès. Il faut fondre l'ensemble de ces données
et les grouper dans un seul régeste : n° 2015 (vers juin 1275), ambassade de Michel VIII
Paléologue à Grégoire X ; sources : Pachymère (Bonn, I, p. 40916"17), Actes d'Innocent V
(F. M. Delorme-A. L. Täutu, n° 2, p. 2), Rapport de Georges Métochitès, édité succes
sivement par V. Laurent [Le Rapport de Georges le Métochite, apocrisiaire de Michel
VIII Paléologue auprès du pape Grégoire X (1275/76), RHSEE 23, 1946, p. 240-247]
et par C. Giannelli [M. -H. Laurent, Le bienheureux Innocent V {Pierre de Tarentaise)
et son temps, Cité du Vatican 1947, p. 435-443 = Scripta minora di Ciro Giannelli {Studi
bizantini e neoellenici 10), Rome 1963, p. 104-111]. P. Wirth {Regesten2, nos 2015 et
2015 a) supprime à tort le n° 2015 de la première édition, en renvoyant de manière inex
plicable au n° 2023 de la seconde édition ; il introduit ensuite un n° 2015 a, qui reprend
le contenu des nos 2015 et 2022 de la première édition.
50. Voir V. Laurent, Regestes, nos 1426 et 1430.
51. V. Laurent-J. Darrouzès, Dossier grec, nos 16 et 17, p. 462-473 ; voir V. Laurent,
Regestes, nos 1431-1433, 1436.
234 A. FAILLER
52. V. Laurent, Regestes, n° 1435 ; voir aussi F. Dölger, Regesten2, nos 2026a,
2028, 2029.
53. Grégoras : Bonn, I, p. 1252-130iJ.
54. Pseudo-Sphrantzès : V. Grecu, p. 16617-8.
3. Pachymère (Bonn, I, p. 37916 17) signale qu'elle s'opposa dès le départ au projet de
son frère et prit position en 1273 contre le tomos impérial. Selon Métochitès {Historia
dogmatica, I : I. Cozza, p. 37-38), elle fut l'inspiratrice principale du patriarche Joseph,
qu'elle aurait poussé à prononcer le serment de ne pas adhérer à l'union.
4. Voir la note 1, p. 234.
5. Voir le premier article : REB 38, 1980, p. 72-73.
6. Jakov Svetoslav fut en effet exécuté peu de temps avant la disparition de Constantin
Tich (Pachymère : Bonn, I, p. 4331819), assassiné à la fin de 1277 ou au début de l'année
suivante, comme on le verra plus bas.
CHRONOLOGIE ET COMPOSITION DANS L 'HISTOIRE DE PACHYMÈRE 237
haut le fil de son récit»7, l'historien ne précise pas à quelle date commença
l'aventure de Lachanas8. Toujours est-il que celui-ci parvint à vaincre ces
redoutables Tatars chargés par Michel VIII Paléologue de maintenir
l'insécurité dans le pays et de dissuader ainsi les Bulgares d'attaquer l'em
pire byzantin9. Lachanas occupait progressivement le territoire et inspirait
la plus grande inquiétude à Constantin Tich comme à Michel VIII Paléo
logue. Afin de protéger sa frontière et d'être prêt à intervenir dans les affaires
bulgares, l'empereur gagna Andrinople, où il apprit que Lachanas venait
de tuer Constantin Tich. P. Poussines place en 1277 la mort du souverain
bulgare ; celui-ci fut probablement tué vers la fin de cette année, peut-être
un peu plus tard, au début de l'année suivante. La date est fondée unique
mentsur le témoignage de Georges Pachymère, dont les termes demeurent
vagues : Michel VIII Paléologue quitta Constantinople au cours de l'hiver
1277-127810 et apprit le décès dt Constantin Tich en arrivant à Andrinople.
Michel VIII Paléologue songea d'abord à s'allier à Lachanas, mais il
abandonna rapidement ce projet aventureux et décida d'opposer à l'usur
pateur le fils de Mytzès, qui vivait sur le Skamandros et auquel il donnerait
en mariage sa fille Irène, comme il l'avait promis une quinzaine d'années
plus tôt (VI, 4)11. Au préalable, il prit, depuis Andrinople, l'avis de l'im
pératrice, du patriarche Jean Bekkos et de Théodose Prinkips, pressenti
pour le trône patriarcal d'Antioche (VI, 5)12. Après avoir obtenu l'assent
iment général, il fit venir le fils de Mytzès, lui conféra le titre de gendre et
d'empereur des Bulgares, le fit appeler Jean Asen et édicta des peines à
l'encontre de ceux qui refuseraient de lui rendre les honneurs auxquels il
7. Ibidem, p. 43017.
8. De toute manière il faut admettre que l'historien entend se reporter quelques années
en arrière.
9. Voir ci-dessus, p. 209-211.
10. Comme l'historien indique simplement que l'empereur partit en hiver (Pachymère :
Bonn, I, p. 4339), la chronologie demeure vague ; en conséquence, on ne peut attribuer
une date précise à la mort de Constantin Tich. Il est clair néanmoins qu'il s'agit de l'hiver
1277-1278, car c'est après son retour à Constantinople que l'empereur maria sa fille
Anne à Michel Angélos ; or ce mariage eut lieu en novembre 1278 : voir ci-dessous,
p. 238 n. 14.
11. Voir ci-dessus, p. 209-210.
12. F. Dölger, Regesten2, nos 2033 et 2034 (vers le début de 1278); V. Laurent,
Regestes, n° 1437 (début 1278). Ces régestes sont correctement datés, mais ils devraient
être précédés, et non suivis, des actes qui concernent la promotion de Théodose Prinkips
au siège d'Antioche (F. Dölger, Regesten2, n° 2037 ; V. Laurent, Regestes, n° 1438),
car la nomination de Théodose était déjà acquise lorsque l'empereur le consulta sur les
affaires bulgares (Pachymère : Bonn, I, p. 43812 14). La structure du récit de Pachymère,
qui opère ici encore un retour en arrière, a trompé la vigilance des deux rédacteurs.
238 A. FAILLER
avait droit désormais13. Tous ces faits peuvent être datés des premiers
mois de l'année 1278. De retour à Constantinople, Michel VIII Paléologue
fit célébrer le mariage de deux de ses filles : Irène fut donc mariée à Jean
Asen, le nouvel empereur de Bulgarie, tandis qu'Anne épousait Michel
Angélos, le dernier fils de Michel II d'Épire (VI, 6). Les deux mariages
eurent lieu en 1278. La date du second est connue grâce au tomos que le
synode émit, en novembre 1278, pour autoriser cette union malgré la parenté
qui liait les futurs époux14. Tandis que Michel VIII Paléologue mettait
en place son candidat au trône bulgare (VI, 4-6) et qu'il envoyait ses armées
vers Tirnovo15, Marie Kantakouzènè se résolut à chercher l'appui de
Lachanas et à épouser le meurtrier de son mari (VI, 7). Avec raison, P.
Poussines a placé ce mariage en 127816. Comme on le verra plus bas, ici
se termine la relation des événements de l'année 1278.
(VI, 19)18. Dans ce chapitre, en effet, sont rapportées deux séries de faits,
dont la première est antérieure et la seconde postérieure à la fuite de Jean
Asen ; il s'agit d'une part des dernières victoires que remporta Lachanas
sur les troupes byzantines Je 17 juillet et le 15 août à un moment où, selon
Georges Pachymère19, Jean Asen se trouvait encore à Tirnovo; il s'agit
d'autre part de l'arrivée de Lachanas à la cour de Nogaï après le départ de
Jean Asen de Tirnovo et après la prise du pouvoir par Terter20, et de l'assas
sinat du porcher au camp mongol, où Jean Asen était allé à son tour demand
er des secours pour recouvrer son trône.
Dans ce passage, Georges Pachymère marque bien l'ordre de succession
des faits, mais il donne peu d'indications chronologiques ; comme on l'a vu,
il date par le jour et le mois les deux dernières victoires de Lachanas,
mais il n'indique pas expressément l'année. Au début du chapitre 19, il
les date cependant de la même année que les événements rapportés auparav
ant21. En fait, la chronologie de ce passage (VI, 8-9 et 19) peut être établie
par recoupement et par comparaison avec les chapitres voisins (VI, 10-18) ;
ceux-ci concernent à peu près exclusivement le conflit qui opposa le pa
triarche Jean Bekkos à Michel VIII Paléologue de février 1279 au 6 août
127922. On en déduit que les dernières victoires de Lachanas doivent être
datées du 17 juillet et du 15 août 1279, et non de 1280, comme l'a fait P.
Poussines23. On en déduit également que durant l'été 1279 Jean Asen
régnait à Tirnovo.
Peut-on établir à présent à quelle date Jean Asen entra à Tirnovo ? Selon
Georges Pachymère, Michel VIII Paléologue séjournait pour la deuxième
18. Un passage du chapitre 19 résume précisément ces faits rapportés plus haut par
anticipation et les insère cette fois dans leur cadre chronologique : « Dans la suite, alors
qu'Asen s'était retiré et que Terter avait pris l'empire des Bulgares...» (Pachymère :
Bonn, I, p. 46620"21). D'autre part, le chapitre 9 constitue une anticipation justifiée, car
il contient la suite logique de la deuxième partie du chapitre précédent.
19. Ibidem, p. 4665Λ
20. Ibidem, p. 46620-21.
21. Ibidem, p. 4663.
22. Ibidem, p. 4491719 et 461810.
23. P. Poussines : Bonn, I, p. 765. Il a été suivi en particulier par C. J. Jireöek {Ge
schichte der Bulgaren, Prague 1876, p. 279) et V. Ν. Zlatarski {Istorija na bälgarskata
därzava prez srednite vekove, III, Sofia 1940, p. 570). Mais P. Nikov (Izpravki kam
bälgarskata istorija, Izvestija na istorièeskoto druzestvo ν Sofija 5, 1922, p. 68-84) a bien
daté les deux batailles, au terme d'une excellente analyse de ce passage de l'Histoire de
Georges Pachymère. Ses conclusions, dont certaines doivent être corrigées, ont été reprises
par P. Ch. Petrov, Västanieto na Ivajlo (1277-1280), Godisnik na Sofijskija Universitet.
Filosofsko-istoriceski Fakultet 49/1, 1955, p. 173-260.
240 A. PAILLER
30. Pachymère : Bonn, I, p. 4591'9 ; voir aussi la note 27. Après le retour de Jean Bekkos
au patriarcat, l'Église adressa au pape une nouvelle lettre {ibidem, p. 46110-4628), dont le
texte est perdu (V. Laurent, Regestes, n° 1444) et qui portait probablement la même date
que la lettre des empereurs à Nicolas III : septembre 1279 (F. Dölger, Regesten2, nos
2041 et 2075).
31. Pachymère (Bonn, I, p. 4665'19) laisse entendre que Jean Asen ne resta pas long
temps à Tirnovo après les dernières victoires de Lachanas le 17 juillet et le 15 août 1279.
32. Ibidem, p. 4483"4.
33. Voir le texte dans l'ouvrage déjà cité de V. N. Zlatarski, p. 545.
242 A. FAILLER
51. Voir respectivement les chapitres 17 {ibidem, p. 460M6110), 23-25 (p. 479M801,
48315"18, 4934"13, 4944"14), 28 (p. 5012"18).
52. Ibidem, p. 5021"6.
53. Il cite d'ailleurs sa source : le patriarche Athanase d'Alexandrie, qui accompagnait
l'empereur {ibidem, p. 5029). Dans le livre IV, il fait également allusion à cet épisode
{ibidem, p. 31315-3141).
54. Ibidem, p. 5052A
55. Ibidem, p. 503 15"17.
246 A. FAILLER
à Nicée et, sur le chemin du retour, il s'arrêta au pied du mont Saint- Auxence
où venait d'arriver Andronic II, et y resta pour la fête des saints Pierre et
Paul (29 juin)56 ; d'après ce récit, il semble que Michel VIII Paléologue
se trouvait encore à Constantinople, lorsque, vers la fin du printemps,
mourut la jeune impératrice. En deuxième lieu, l'historien rapporte que
l'empereur, sa campagne terminée, se trouvait à Prousa, lorsqu'il fut informé
de la nouvelle attitude de la papauté à son égard (VI, 30), après l'élection
de Martin V (22 février 1281); mais là encore l'imprécision chronologique
empêche toute déduction. En troisième lieu, l'historien relate que l'ancien
patriarche Joseph rédigea son testament (VI, 31), alors que l'empereur se
trouvait sur le Sangarios5 7 ; mais on ne connaît pas la date de ce document,
qui n'a pas été conservé58. En dernier lieu, Georges Pachymère consacre
deux longs chapitres (VI, 32-33) à la victoire de Bellagrada (Bérat) et au
cortège triomphal dont elle fut l'occasion, mais il n'indique pas clairement
où se trouvait l'empereur, lorsque lui parvint la nouvelle de cette victoire,
remportée par les troupes byzantines vers le début d'avril 128 159. En résumé,
tous ces indices confirment que la deuxième campagne de Michel VIII
Paléologue sur le Sangarios se déroula en 1281, mais ils ne permettent pas
de lui assigner une date précise. Elle occupe probablement l'été 1281, et
le triomphe organisé à Constantinople pour célébrer la victoire de Bella
grada eut sans doute lieu après le retour de l'empereur, à la fin de l'été ou
durant l'automne 1281.
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