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UNIVERSITE d’Alger 2

DEPARTEMENT DE FRANÇAIS

Séminaire : sociolinguistique Enseignante : Pr. Berghout


Niveau : Master I -SL

Diglossie et politique linguistique


I. Diglossie
Si le bilinguisme est un phénomène individuel, la diglossie, elle, « caractérise
l’attribution sociale de certaines fonctions à diverses langues ou variétés » (Fishman,
1971, 97).
Une première définition de cette situation nous est donnée par C.A Ferguson1 . Une
des plus caractéristiques de la diglossie est selon C.A Ferguson : « la spécialisation de
fonction des variétés impliquées » (Ferguson, 1959, 245). Mais, outre cette dernière, des
critères d’ordre linguistique (grammatical, lexical et phonologique) et sociolinguistique
(prestige, héritage littéraire, mode d’acquisition, stabilité de la situation de
standardisation) entrent en ligne de compte pour caractériser la situation de diglossie.
La complémentarité fonctionnelle est par exemple trop rigide pour être applicable
dans une société qui connaît des mutations accélérées par des phénomènes politiques et
conjoncturels. Par ailleurs, selon l’auteur, il faut que les variétés H= (high), (haute) et
L= (low), (basse) soient apparentées génétiquement et structurellement. Or, si l’arabe
littéraire et les variétés régionales le sont (arabe dialectal et chaoui), il n’en est pas de
même pour le chaoui et le français.
Quant au critère lexical, l’emploi d’un terme appartenant à la variété « L » ne
signifie pas toujours que nous parlons cette variété, surtout si entre les variétés nous
avons un continuum et non une rupture. Enfin, en l’absence de recherches précises, nous
ne pouvons pas considérer comme effective, dans le cas des variétés de l’arabe, la
réduction syntaxique et morphologique qui doit caractériser la variété « low » (basse).
Compte tenu de ces constatations, nous avons, pour diagnostiquer la situation de
diglossie, choisi de privilégier les critères sociolinguistiques au détriment des critères
linguistiques. En effet, « ce qui importe pour définir une telle situation, ce n’est pas que
les langues soient ou non intelligibles, mais que leur statut soit reconnu différent dans

1 In « Diglossia »-Word, volume 15,1959, p 245.

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l’échelle des valeurs d’une manière formelle ou informelle par la majorité des membres
de la communauté » (J.P Jardel, 1979 : 29).
Sous l’impulsion de sociolinguistes comme J.J Gumperz et J.Fishman, c’est
l’insistance sur le critère sociologique de –statut différent- qui l’a généralement
emporté ; et nous le tendons donc à désigner sous le terme de diglossie : « une situation
sociolinguistique où s’emploient concurremment deux idiomes de statut socioculturel
différent, l’un étant un vernaculaire, c’est-à-dire une forme linguistique acquise
prioritairement et utilisée dans la vie quotidienne, l’autre une langue dont l’usage, dans
certaines circonstances, est imposé par ceux qui détiennent l’autorité » (Martinet, 1982 :
10). Le cas de la ville de Batna peut raisonnablement s’inscrire dans cette dernière
définition.
La diglossie peut devenir le lieu et l’expression d’un conflit dans les régions
berbérophones. Il y a conflit linguistique quand deux langues clairement différenciées :
chaoui et arabe ou chaoui et français mais aussi arabe et français s’affrontent, l’une
comme politiquement dominante (emploi officiel, emploi public) et l’autre comme
politiquement dominée (chaoui).
Pour ces raisons, la sociolinguistique périphérique soutient que la diglossie instaure
une hiérarchie et donc une distribution inégalitaire des usages respectifs des langues en
présence, une subordination sociolinguistique, un déséquilibre et, en définitive une
instabilité. Georg Kremnitz exprimait déjà aux années quatre-vingt dix le point de vue
suivant : « chaque situation diglossique contient des éléments d’inégalité et par
conséquent des élément de conflit. Le potentiel conflictuel est lié inextricablement à
l’inégalité des emplois. Ces éléments conflictuels ne sont pas continuellement
actualisés, mais ils sont toujours présents, actualisables pour ainsi dire » (Georg
Kremnitz, 1991 : 29-36).

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II. Axe des politiques de la langue


Cet axe de la sociolinguistique est celui des situations du plurilinguisme dans leur
gestion par les politiques de la langue. Il représente un objet initial et majeur pour
comprendre la dynamique sociolinguistique des langues en situation de plurilinguisme,
car « l’approche sociolinguistique ne peut être dissociée -l’histoire l’a prouvée partout-
de l’approche politique » (Dumont, Maurer 1995 :63). Nous nous positionnons d’abord
par rapport au domaine des politiques de la langue. Une politique linguistique assigne
un statut officiel à une ou à des langues, est portée et alimentée par des valeurs
sociolinguistiques, des attitudes, une idéologie et cherche généralement à modifier les
représentations communautaires en usage. Cette politique linguistique s’inscrit toujours
dans le cadre d’un marché linguistique local, national et international avec ses usages,
ses représentations et ses tensions, ses approches plus ou moins assumées, plus ou moins
consensuelles. Elle fait intervenir aussi des dimensions démographiques, migratoires,
historiques, idéologiques, économiques et sociales.
Choisir une langue nationale, l’officialiser comme langue commune à l’ensemble
d’un peuple n’est pas neutre. L’identification à un groupe, la loyauté à un héritage
linguistique, l’attitude envers l’autre peuvent difficilement être uniquement scientifique.
C’est un acte politique qui consiste à renforcer la notion de nation. Les choix
idéologiques de langues par les Instances tiennent donc généralement compte d’un
ensemble politique, social, historique, géographique, démographique, migratoire et
économique. Cependant ce type de décision avec ses enjeux idéologiques néglige les
différences locales et régionales, les langues des milieux socio-culturellement
défavorisés, ce qui peut être en retour source de conflits (Calvet 1999 :174). Une
politique linguistique institutionnelle en modifiant le statut d’une ou de plusieurs
langues s’expose à des actions qui pourront prendre des formes variées d’opposition
frontales ou larvées. Par exemple, une entorse à la norme officielle pourra être
significative de résistance, d’opposition de la part d’une communauté linguistique
(Calvet 1999 : 200).

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Ces actions de politique linguistique prennent la forme de décisions officielles, de


planification. Afin de préciser la notion de planification linguistique nous dirons que
c’est un ensemble de tentatives organisées par des instances, qui cherche à résoudre des
problèmes linguistiques, à provoquer un changement dans le cours normal des
évènements concernant la codification linguistique, l’aménagement des langues elles-
mêmes, leur fonctionnement socioculturel. La planification linguistique est la mise en
pratique des décisions gouvernementales, le passage à l’acte. Nous nous appuierons sur
les définitions suivantes :

« …..la planification linguistique comme la recherche et la mise en œuvre des


moyens nécessaires à l’application d’une politique linguistique » (Calvet 1999: 155).
« … un passage à l’acte juridique, la concrétisation sur le plan des institutions
(étatique, régionales, voire internationales) de considérations, de choix, de perspectives
qui sont ceux d’une politique linguistique » (Boyer 1996 : 101).

La terminologie concernant la planification linguistique varie selon les types de


situations auxquelles nous sommes confronté : « ….qu’il s’agisse de « planification »,
« d’aménagement » ou de « normalisation » linguistiques, il est toujours plus ou moins
question de gestion d’une ( ou de plusieurs langue(s) aussi bien dans les formes que dans
les usages, planification est un passage à l’acte juridique, choix et perspectives de
politiques linguistiques, équivalent à « language planing » des anglo-saxons, et
« aménagement linguistique » que préfèrent les québécois et les catalans « normalisation
linguistique ». » (Boyer 1996 : 23). La planification linguistique gère les pratiques
sociales et intervient sur ces pratiques. Son action peut comprendre la codification, c’est-
à-dire les modifications terminologiques, la standardisation d’une grammaire et de la
prononciation. Cette normalisation peut devenir normativisme quand elle devient
prescriptive, défendant la pureté de la langue. C’est alors une planification au niveau
non seulement de l’acquisition mais aussi de la diffusion. La mise au point de modèles

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phonologiques, grammaticaux et lexicaux par les Instances permet de stabiliser la langue


et de lui donner une fonction de référence. Ce peut être aussi la diffusion du lexique des
nouvelles réalités socioéconomiques et politiques, la redistribution fonctionnelle des
différentes variétés linguistiques et l’extension d’une variété dans son usage dans la vie
de la nation (éducation, société).
Nous pensons que pour mieux saisir la situation sociolinguistique de l’Algérie et
plus particulièrement celle des villes algériennes, il est nécessaire de faire appel au terme
« glottopolitique ». Ce terme désigne : « les diverses approches qu’une société a de
l’action sur le langage, qu’elle en soit ou non consciente (…). Glottopolitique est
nécessaire pour englober tous les faits de langage où l’action de la société revêt la
forme politique. » (Guespin, Marcellesi 1986 : 5 et 16). En effet, la glottopolitique
comprend les actes anodins, des pratiques langagières comme par exemple la reprise
d’une faute par référence à une norme mais aussi la pression du choix d’une langue dans
telle ou telle interaction sociale. Elle relie les faits les plus insignifiants aux faits les plus
saillants de la politique de la langue qui elle est directement perçue. Dans la pratique,
elle gère les pratiques langagières de vie courante.
Bibliographie
Berghout N. : « Réflexions sur les pratiques linguistiques et l’alternance codique dans
le discours de locuteurs de chaoui : « Représentations spatiales et communication
urbaine », Thèse de doctorat, Option : Sciences du langage. Ecole Normale Supérieure
des Lettres et Sciences Humaines d’Alger. Ecole doctorale Algéro-française de français.
Algérie, 2009.
BOYER H., Introduction à la sociolinguistique, Dunond, Paris, 2001.
GAULLAUME G., Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Maisonneuve et Larose,
Paris, 1983
TALEB ELIBRAHIMI KH., Les algériens et leur (s) langue (s), El hikma, Alger, 1997.

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