Vous êtes sur la page 1sur 17

Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

17/09/2012 - Par
Véronique Gallien, Anthropologue

Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique

La découverte de la tombe de la reine Arégonde, morte à la fin du VIe siècle de notre ère, a été le
point de départ d’une grande aventure scientifique qui touche aujourd’hui à son terme. En voici les
conclusions.

Chapitre 1/8 - Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique

La découverte en 1959 de la tombe de la reine Arégonde, morte à la fin du VIe siècle de notre ère, a
été le point de départ d’une grande aventure scientifique qui touche aujourd’hui à son terme. De
querelles de spécialistes en avancées technologiques, l’histoire de la mère de Chilpéric Ier s’est
progressivement construite.

Bijoux de la reine Arégonde au musée du Louvre. Les recherches archéologiques ont permis de
réaliser l'enquête anthropologique et de révéler quelques informations sur cette reine
mérovingienne. © Domaine public

Arégonde représente l’élément central de l’étude des tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis. Le
réexamen de sa sépulture et de son corps a bénéficié de l’évolution des techniques de recherche. Malgré un squelette
très dégradé, l’étude anthropologique a permis d’approfondir la connaissance de ce personnage historique, participant
ainsi au renouveau de l’information sur la période et la dynastie mérovingienne.

Nous apprendrons dans ce dossier à la découvrir : quel était son âge ? Son état de santé ? Que peut-on savoir au
travers d'examens anthropologiques et d'analyses génétiques ?

Véronique Gallien, anthropologue, nous décrit les découvertes et conclusions tirées de l'étude des restes d'Arégonde.

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 1 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Chapitre 2/8 - Basilique Saint-Denis : à la rencontre d'Arégonde


Pour une anthropologue issue de l’archéologie préventive (Inrap, Institut national des recherches
archéologiques préventives), habituée aux cimetières paroissiaux et à ses populations anonymes, les
rendez-vous avec des acteurs de l’histoire sont plutôt rares. Et, lorsqu’ils ont des origines aussi
légères et ludiques qu’une émission de télévision, l’aventure scientifique n’en est que plus piquante.

C’est ainsi que je dois ma rencontre avec Arégonde, reine mérovingienne, à un projet de la chaîne
américaine History Channel, concrétisé par le documentaire The DaVinci Code : Bloodlines programmé
dans la série portée par l’animateur Josh Bernstein : Digging for the Truth (« À la recherche de la
vérité » sur la chaîne Planète).

Fig. 1 - Patrick Périn, à gauche, et Josh Bernstein, troisième à partir de la gauche, dans le laboratoire
de restauration du musée d’Archéologie nationale lors du tournage d’une séquence de The DaVinci
Code : Bloodlines pour la série Digging for the Truth. © V. Gallien, Inrap

Souhaitant démystifier les liens de descendance supposés entre Jésus, Marie-Madeleine et les rois mérovingiens,
induits dans le roman de Dan Brown, DaVinci Code, l’équipe américaine est entrée en contact avec Patrick Périn,
spécialiste du monde mérovingien et directeur du Musée d’archéologie nationale à Saint-Germain-en-Laye (fig. 1). Les
journalistes étaient à la recherche de restes osseux ayant appartenu à des souverains mérovingiens pour en analyser
l’ADN ancien. Cependant, seul le squelette de la reine Arégonde, ayant vécu dans le courant du VIe siècle, était
accessible et a pu servir de support au discours de l’émission (fig. 2).

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 2 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Fig. 2 - Squelette d’Arégonde mis en scène pour le tournage de The DaVinci Code : Bloodlines . © V.
Gallien, Inrap

En s’intéressant aux restes d’Arégonde qui venaient d’être retrouvés après une disparition de quatre décennies, et en
proposant son analyse génétique, l’entreprise télévisée précédait, sans le savoir, le démarrage d’une grande étude
autour de la reine. Cette étude avait, en réalité, commencé dès 2000 avec un programme consacré aux objets
métalliques cloisonnés ou sertis de grenats, et avait pour ambition d’englober toutes les découvertes faites dans la
nécropole mérovingienne de la basilique royale de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis (fig. 3). Elle s’est poursuivi en
2005 en réunissant une importante équipe de spécialistes s’intéressant aux textiles, aux teintures, aux cuirs, aux
métaux précieux et aux gemmes, à l’anthropologie biologique ainsi qu’à la génétique. Sous la direction de Patrick Périn,
cette équipe idéale a renforcé l’histoire des rois de France en la complétant par celle d’Arégonde, souveraine
mérovingienne.

Fig. 3 - Vue de la basilique Saint-Denis avec un chantier de fouille ouvert sur le cimetière extérieur au
nord de l'édifice (1990). © UASD Oli vier Meyer

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 3 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Ainsi chargée de l’examen biologique du corps d’Arégonde, je n’aurais pu mener à bien ce travail sans une étroite
collaboration avec mon laboratoire d’accueil : le laboratoire d’anthropologie biologique dirigé par Luc Buchet au Cepam-
CNRS (Culture et Environnement. Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge) à Nice Sophia Antipolis. Associée à Luc Buchet,
Claude Rücker, parodontologue, et Yves Darton, chirurgien des hôpitaux, nous avons tenté de reconstituer un portrait
physique, une identité et un bilan de santé de la reine, en complétant la recherche génétique menée par l’équipe du
professeur Jean-Jacques Cassiman, au Center Human Genetics de l’université de Louvain (Belgique).

Chapitre 3/8 - Arégonde, troisième épouse de Clotaire 1er

Arégonde est la troisième épouse de Clotaire 1er (511-561) et la mère de Chilpéric 1er (né vers 534 et
roi de 561 à 584). Elle est connue grâce à une courte mention écrite de Grégoire de Tours dans son
Histoire des Francs (livre IV, 3).

Arégonde, nommée Aregundis, y apparaît comme la jeune sœ ur d’Ingonde, seconde femme de


Clotaire. Il est rapporté que ce dernier a été chargé, par Ingonde, de trouver un époux convenable à
sa belle-sœ ur. Parti à la rencontre de celle-ci, Clotaire s’enflamme pour la jeune femme et l’épouse
aussitôt au prétexte qu’il est le seul homme riche et sage digne d’elle. Arégonde lui donnera un de
ses sept fils : Chilpéric.

Fig. 4 - Fouille du sous-sol de la basilique Saint-Denis, au centre le sarcophage 49 (d’Arégonde)


renversé. © Commission du Vieux Paris

Il faut attendre 1959 pour ajouter de nouvelles pièces à l’histoire d’Arégonde. Son sarcophage est découvert lors des
fouilles menées dans la basilique de Saint-Denis par Michel Fleury, directeur des Antiquités historiques de la Région
parisienne (fig. 4). Archiviste-paléographe et parfait connaisseur de l’œuvre de Grégoire de Tours, il identifie aussitôt la
tombe comme celle de la reine grâce à une bague en or portée par la défunte. Sur le chaton de la bague, on y lit le
nom ARNEGUNDIS développé autour d’un monogramme central reconnu comme le qualificatif REGINE. Il ne fait alors
pas de doute que la défunte Arnegundis et la reine Aregundis de Grégoire de Tours, ne sont qu’une seule et même
personne.

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 4 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Fig. 5 - Bijoux et parures découverts dans la tombe d’Arégonde. © DR

Outre la bague à chaton, la défunte, richement vêtue, porte une paire de boucles d’oreille en or à pendants en corbeille
(fig. 5). Sa tenue vestimentaire est reconstituée grâce aux autres éléments de parure découverts sur le corps et à
l’analyse des matériaux organiques. La contribution récente des spécialistes – Antoinette Rast-Eicher (Büro für
archäologische Textilien Archéo Tex ), Markita Volken ( Gentle Craft, Lausanne), Vitold Nowik (laboratoire de recherche
des Monuments historiques) – a permis de corriger les propositions faites en 1959 et en 1998 par Michel Fleury et
Albert France-Lanord (†1993) (laboratoire d’Archéologie des métaux, Nancy), en enrichissant les connaissances par de
nombreux détails sur les habits (matières, couleurs, ornements).

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 5 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Fig. 6 - Reconstitution du costume d’Arégonde selon les dernières recherches. © Florent Vincent

Pour son dernier repos, la reine a été couverte d’un long manteau garni de galons aux planchettes et d’emmanchures
brodées de fil d’or. Il est fermé par une ceinture de cuir avec une garniture à armature d’argent et appliques de feuilles
d’or décorées de grenats et de verroteries en bâte, ainsi que par deux fibules discoïdes en or cloisonnées de grenats
(fig.6). Un voile de samit de soie rouge et jaune est maintenu par deux épingles de coiffure en or à tête sphérique ; il
est également fixé au manteau par une grande épingle ornée de manchons polyédriques à grenats losangés.

Sous le manteau d’apparat, la reconstitution des vêtements est plus difficile. Les fragments de tissus retrouvés
indiqueraient la présence d’une tunique, avec une doublure, et d’un sous-vêtement. Arégonde est chaussée
d’escarpins en peau de chèvre. Grâce aux traces d’usure et aux déformations repérées sur le cuir, il est possible de
préciser que les souliers ont été portés du vivant de la reine. Les chaussures étaient maintenues par des lanières de
jarretières croisées sur le coup de pied ; les jarretières sont composées de plaques-boucles, de contre-plaques et de
passe-courroies en argent doré complétés par de grands ferrets en argent à décor zoomorphe suspendus à la partie
haute des jarretières. Le costume d’Arégonde s’inspire des modes vestimentaires méditerranéennes et plus
précisément byzantines. Le corps était enveloppé dans un linceul de lin.

En dehors de l’habillement et des bijoux, un seul objet a été déposé aux pieds de la défunte : un flacon de verre
verdâtre à panse piriforme et col court.

Chapitre 4/8 - Anthropologie et génétique à l'étude du squelette d'Arégonde


Le squelette d'Arégonde, au centre de querelles archéologiques dès sa découverte, a fait l’objet de

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 6 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

deux expertises anthropologiques menées respectivement en 1959 et 1993. En 2005, le nouvel


examen demandé à l’équipe du laboratoire d’anthropologie du Cepam, consistait en un checkup du
squelette précédant le choix des pièces osseuses destinées aux analyses ADN.

Lors de ce contrôle, des anomalies osseuses ont été détectées ; elles ont justifié la reprise de l’étude
du squelette et permis de proposer, outre un complément d’identité, un bilan de santé de la reine
mérovingienne.

Fig. 7 - Le squelette d’Arégonde a été l'objet d'analyses, par l'angle de l'anthropologie et de la


génétique. © Loïc Hamon, MAN

Pour les nouvelles observations, près de la moitié du squelette était toujours disponible. Quelques fragments de crâne,
la mandibule, la colonne vertébrale et des côtes, une partie du membre supérieur droit et des membres inférieurs, le
bassin et, enfin, les pieds ont été à nouveau examinés. Aucun os long n’était intégralement conservé (fig. 7).

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 7 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Fig. 8 - Détail du bassin d’Arégonde, les coxaux présentent des caractéristiques morphologiques du
sexe féminin. © Loïc Hamon, MAN

La première étape de l’étude anthropologique s’est attachée à confirmer la gracilité du squelette déjà notée dans les
études précédentes et à certifier la détermination du sexe grâce à l’observation d’une partie des pièces osseuses
constituant le bassin. La morphologie caractéristique des échancrures sciatiques et des surfaces auriculaires des
coxaux a permis de réaffirmer sans ambigüité le sexe féminin du sujet (fig. 8).

L’identification a été, par ailleurs, confirmée par l’analyse de l’ADN ancien. La stature de la défunte a également été
recalculée. En l’absence d’os longs complets à notre disposition, nous avons eu recours à des méthodes de restitution
appliquées au fragment supérieur du fémur gauche. La taille a été estimée entre 1,50 et 1,60 m, conformément aux
résultats des examens anthropologiques précédents. Elle a été complétée par une information plus précise concernant
la pointure des pieds. Celle-ci a été mesurée par le Dr Yves Darton à partir de la longueur totale des calcanéus reportée
aux tables de T. Volkov (1905). En considérant qu’il s’agit d’une femme « européenne », la taille des pieds a été
estimée à 35, avec une demi-pointure de moins à droite. Cette différence trouve une explication dans une anomalie du
pied droit sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Fig. 9 - Répartition des individus apparentés, inhumés dans le sous-sol de la basilique, d’après
l’étude de l’ADN mitochondrial menée par l’équipe du Pr. Jean-Jacques Cassiman. © V. Gallien sur fond
de plan Commission du Vieux Paris

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 8 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

L’état de conservation médiocre du squelette n’a pas permis d’observations à caractère génétique. Mais cette lacune a
été avantageusement comblée par les analyses de l’ADN ancien effectuées par l’équipe du professeur Cassiman. Les
recherches en ADN mitochondrial, témoin de l’ascendance maternelle du sujet étudié, ont été menées sur Arégonde et
sur 15 sujets inhumés autour d’elle. Les analyses de 13 individus, dont Arégonde, ont abouti. Elles ont mis en évidence
l’appartenance de tous les sujets à un même macrohaplogroupe R, caractéristique des populations originaires de
l’Eurasie occidentale. En revanche, si des apparentements ont déterminé trois groupes d’individus présentant des liens
maternels, Arégonde, associée à l’haplogroupe U5a1, n’a été mise en relation avec aucun de ses voisins (fig. 9).

La seconde étape de l’examen biologique a permis d’estimer assez précisément l’âge au décès de la défunte grâce à
l’observation microscopique des dents. Elle a ensuite permis d’établir le bilan de santé de la reine en révélant
l’existence d’une maladie handicapante.

Chapitre 5/8 - Polémique autour de l’âge d’Arégonde : les méthodes de datation


L’estimation de l’âge d’Arégonde a été un enjeu important dans la compréhension des données
historiques. La querelle entre spécialistes a longtemps porté sur une incohérence entre l’âge attribué
par les premières expertises anthropologiques et la datation des parures qui accompagnaient la reine
dans sa tombe.

Michel Fleury était parti du postulat suivant : le mariage d’Arégonde avec Clotaire avait vraisemblablement eu lieu entre
les 15 et 20 ans de la jeune femme et son fils Chilpéric était né en 539. Ces deux propositions impliquaient une date de
naissance de la souveraine vers 520-525. Les analyses du squelette, menées en 1959 puis réajustées en 1993,
indiquaient alors un âge au décès entre 35 et 45 ans. Ceci signifiait qu’Arégonde pouvait être décédée vers 565-570. Or
cette datation n’était pas en accord avec celles attribuées à une partie des parures, en particulier à la grande garniture
de ceinture d’orfèvrerie et aux boucles de chaussures à décor animalier datés au mieux de la fin du VIe siècle. Cette
incompatibilité entre l’âge estimé du squelette et la datation du mobilier avait même fini par faire douter certains
chercheurs de l’identification d’Arégonde, suggérant que la tombe était plutôt celle d’une homonyme ou d’une femme
ayant hérité de la bague royale et étant décédée dans les premières décennies du VIIe siècle.

La remise en cause des méthodes anthropologiques utilisées pour l’estimation de l’âge – état de la dentition pour la
première étude menée en 1959, examen des os sur photographies et radiographies après la perte temporaire du
squelette pour la seconde analyse effectuée en 1993 – entretenait cependant une incertitude sur l’âge véritable de la
défunte. S’il s’agissait bien d’Arégonde, son âge au décès aurait dû approcher 60 ans, portant alors sa sépulture vers
580, une date compatible avec celle du mobilier. Malheureusement, comme nous venons de l’indiquer les restes
osseux d’Arégonde étaient alors égarés et il était impossible de réexaminer le squelette pour vérifier la validité de la
nouvelle hypothèse.

Finalement, la redécouverte en 2003 du squelette, des restes organiques et d’une partie du mobilier funéraire
soigneusement rangés dans le laboratoire de restauration de la commission du Vieux Paris et dans un coffre fort de
l’Hôtel Daumont dans le Marais, a permis de reprendre les investigations.

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 9 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Fig. 10 - Coupe schématique d’une dent avec localisation du cément qui a permis une datation du
squelette d'Arégonde. © V. Gallien, Inrap

L’anthropologie ne disposait jusqu’à présent que de peu de moyens pour donner un âge précis aux squelettes adultes,
cependant, nous avons eu la chance de bénéficier d’une nouvelle méthode de recherche fondée sur un examen
microscopique du cément dentaire. Le cément dentaire est un tissu minéralisé qui s’appose par couche, selon un
rythme annuel, à la surface de la racine des dents (fig.10). La méthode, pour estimer l’âge au décès, s’appuie sur
l’observation microscopique de coupes réalisées perpendiculairement à l’axe des racines de la dent et sur le décompte
du nombre de couches de cément déposées sur la surface radiculaire des dents. Pour cela, elle nécessite du matériel
d’étude présentant à la fois un bon état de conservation et une absence de pathologies. L’estimation de l’âge d’un
individu repose sur le nombre de couches de cément observées auquel s’ajoute le nombre d’années écoulées avant
l’apparition de la dent examinée. Cet âge d’émergence, sensiblement constant chez l’Homme actuel, est donné par
des tables de correspondance. En raison du nombre de coupes et d’observations par coupe à effectuer pour chaque
sujet, cette méthode peut être longue à mettre en œuvre. Elle s’applique plus aisément aux cas individuels plutôt
qu’aux grandes séries anthropologiques.

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 10 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Fig. 11 - Mandibule d’Arégonde. © V. Gallien, Inrap

Avec Arégonde, nous étions dans une situation idéale pour tenter son application. Ce travail minutieux a été réalisé par
notre collègue le Dr Claude Rücker. Les dents disponibles à l’analyse étaient celles de l’arcade dentaire mandibulaire
qui, cependant, était incomplète (fig. 11).

Fig. 12 - Canine gauche (33) sélectionnée pour l’application de la méthode des anneaux cémentaires.
© Cl. Rücker

Par ailleurs, la plupart des dents étaient très dégradées par des atteintes carieuses ou une déminéralisation
postmortem de la dentine. Deux dents mieux conservées ont tout de même été retenues : la canine gauche (33, fig.

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 11 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

12) et l’incisive latérale droite (42).

Fig. 13 - Coupe au collet de la canine 33. © Cl. Rücker

Avant d’effectuer les coupes transversales, une mesure conservatoire destinée à préserver l’aspect initial de la
mandibule, a été prise en réalisant un moulage de la partie radiculaire des dents, vouée à la destruction. Plusieurs
coupes ont été préparées et ont donné lieu chacune à neuf observations. Six coupes de la canine 33 se sont avérées
exploitables (fig. 13) tandis que celles de l’incisive 42 sont apparues inutilisables du fait d’une trop grande
déminéralisation des tissus dentinaires et cémentaires.

Fig. 14 - Observation microscopique du cément dentaire de la canine 33, permettant le décompte des
anneaux. © Cl. Rücker

En tenant compte de la déhiscence de l’os alvéolaire (marqueur d’une parodontolyse) et en prenant en considération
les coupes les plus apicales, l’observation a donné un résultat de 44 à 51 anneaux cémentaires recensés sur la canine
33 (fig. 14).

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 12 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

À partir de la valeur la plus représentée, celle de 51 anneaux, et de l’âge moyen de fin de croissance de la canine établi
à 10 ans ± 3 ans selon les tables consultées (G. Quatrehomme, E.-T. Parner et école de Louvain), l’âge d’Arégonde a
été estimé à 51 + 10 (± 3), soit 61 ± 3 ans.

La nouvelle estimation de l’âge d’Arégonde complète une relecture des textes proposée par l’historien allemand Eugen
Ewig qui a corrigé l’année de naissance de Chilpéric à 534 (au lieu de 539 proposé par Michel Fleury) et confirmé l’âge
d’Arégonde à la naissance de Chilpéric entre 15 et 20 ans, en estimant que le plus probable était 18 ans. À partir de
ces trois données – âge d’Arégonde au décès et à la naissance de son fils, date de naissance de son fils – il a été
possible d’évaluer l’année de naissance de la reine entre 514 et 519 (516 probable) et sa date de décès entre 572 et
583 (574-580 probables).

Chapitre 6/8 - Étude du squelette d'Arégonde : l'état de santé de la reine


Malgré le mauvais état de conservation du squelette d'Arégonde, l’examen des ossements a révélé un
certain nombre de lésions à la fois héritées de l’enfance et caractéristiques de son âge. Ces
observations ont l’avantage de ne pas raviver de polémiques passées, dans la mesure où aucune de
ces séquelles n’avait été notée jusqu’à présent.

Fig. 15 - Pieds d’Arégonde, comparaison entre les métatarsiens gauches et droits. © Cl. Rücker

Le principal trouble affectant Arégonde se situe aux pieds. Une anomalie de forme a été détectée sur le pied droit et
finement étudiée par le Dr Yves Darton. Ce dernier a ainsi mis en évidence une différence de taille entre les
métatarsiens droits, plus courts et plus minces, et ceux du pied gauche (Fig.15 et 16).

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 13 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Fig. 16 - Pied droit d’Arégonde, détail sur les déformations des métatarsiens 3 à 5. © V. Gallien, Inrap

Cette malformation est associée à une forme hypotrophique du talus droit et à une hypoplasie corticale du fémur
correspondant. L’ensemble des lésions montre que la jambe droite est marquée par une différence segmentaire et
harmonieuse de développement qui renvoie à une séquelle de paralysie survenue durant l'enfance.

L’hypotrophie postparalytique du pied droit s’accompagne d’un développement de l’enthèse du tendon d’Achille
identique à celui du pied gauche et qui témoigne de la conservation de l’activité du muscle triceps sural (muscle
extenseur du pied). Par ailleurs, une ossification du ligament tibiofibulaire antérieur indique des entorses graves de la
cheville droite. Enfin, la chaussure, étudiée par Marquita Volken, conserve des traces de contacts du pied droit avec le
sol, à l’endroit du premier et du cinquième orteil, ce qui est normal, et sur le bord médial du pied sous le premier
métatarsien, ce qui indique un aplatissement de l’arche longitudinale du pied. Les déformations du cuir de l’empeigne
montrent également un élargissement de la tête du premier métatarsien pouvant être interprété comme un hallux
valgus, c'est-à-dire une déviation du premier orteil appelée également oignon du pied.

La chaussure d’Arégonde conforte donc le diagnostic d’un pied plat paralytique, avec une déviation latérale du premier
orteil. Pour Yves Darton, ces éléments plaident en faveur d’une paralysie incomplète des muscles du pied, avec une
atteinte probable du jambier antérieur qui, associée à un talus hypotrophique affectant la stabilité de l’articulation de la
cheville, favorisait les entorses. Cette répartition sectorisée des paralysies évoque une origine poliomyélitique.

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 14 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

Fig. 17 - Arégonde, détail sur la strie d’hypoplasie observée sur une canine. © Cl. Rücker

Dans son examen dentaire, le Dr Claude Rücker a montré sur l’émail des canines, la présence d’une hypoplasie étroite
et précise, située légèrement au-dessus du tiers cervical de la couronne des deux dents (Fig.17).

Sachant que l’hypoplasie de l’émail dentaire résulte d’un arrêt de croissance, soit à la suite d’un déficit nutritionnel
(vitamine A et D), soit en raison d’une infection durant plusieurs semaines, cette dernière cause a été privilégiée dans
le cas d’Arégonde. L’aspect net, sans bavures et les dimensions de la strie ont permis d’estimer la durée de la cause
du stress à 1 ou 2 mois. La position sur la dent situe l’atteinte de l’organisme du sujet vers l’âge de 4-5 ans, au plus.
L’association hypoplasie et séquelles de paralysie s’accorde parfaitement avec le diagnostic de poliomyélite de
l’enfance.

La défunte présentait également des signes de vieillissement avec une arthrose cervicale et lombaire. Son squelette
était affecté par un terrain hyperostosique marqué par des sites d'enthèses (zone d’insertion des tendons et des
ligaments) très développés sur tous les os observables et en particulier sur les fémurs dans les fosses trochantériennes
et sur les lignes âpres, et, comme nous l’avons déjà signalé, sur les calcanéus à l’insertion des tendons d’Achille.
Associés à des ostéophytes rachidiens caractéristiques, ces lésions évoquent la maladie de Forestier. Cette maladie
hyperostosique s’accompagne souvent de troubles métaboliques, à type de diabète et d’hypercholestérolémie, qui,
comme les manifestations osseuses, s’accroissent avec l’âge.

Les conclusions d’Yves Darton sur l’état de santé d’Arégonde indiquent que la souveraine boitait, mais probablement
peu. Elle conservait l’usage de son pied droit qui avait tendance à faucher et à s’aplatir au sol. Son principal handicap
tenait davantage à une fâcheuse tendance aux entorses de la cheville qu’à une véritable gêne à la marche. En
définitive, c’est sa complexion hyperostosique et son cortège potentiel de troubles métaboliques, qui représentaient un
danger pour sa santé.

Chapitre 7/8 - Vidéo : Véronique Gallien, anthropologue, nous explique son


passionnant métier

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 15 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

L'étude du squelette d'Arégonde s'est faite par le biais de l'anthropologie. Mais qu'est exactement
cette science ? Véronique Gallien nous explique, en vidéo, son métier d'anthropologue.

L’anthropologue étudie les caractéristiques anatomiques biologiques, culturelles et sociales des êtres humains. Il
détermine l’âge et le sexe pour une analyse paléodémographique. Il reconstitue la morphologie des individus pour
définir les caractéristiques d’un groupe humain. Il établit un bilan de santé pour comprendre les conditions de vie. Ces
informations anthropologiques associées aux données archéologiques et historiques permettent de reconstruire
l’histoire des populations.

Véronique Gallien nous raconte sa vocation d'anthropologue, sa démarche d'analyse et ses résultats
scientifiques. © Inrap - Schuch Conseils et Productions 2008

Chapitre 8/8 - Conclusion sur Arégonde


D’abord longtemps connue par un seul texte de Grégoire de Tours qui la situait dans la généalogie des rois
mérovingiens, puis identifiée grâce aux richesses de sa tombe découverte par Michel Fleury en 1959 dans le sous-sol
de la basilique de Saint-Denis, Arégonde a repris vie grâce à une cohorte de spécialistes à son chevet. L’anthropologie
lui a restitué une partie de son identité et de son histoire sanitaire.

Nous en savons aujourd’hui un peu plus sur son âge au décès, proche de 61 ans, qui, à l’appui des textes, a permis de
réévaluer sa date de naissance, vers 516, et de mort probablement entre 574 et 580, dans les dernières années du
règne de son fils Chilpéric Ier . Les séquelles d’une poliomyélite contractée pendant l’enfance, dont il ne résultait plus
qu’une légère boiterie, n’ont pas eu raison de sa santé. Cette petite femme semble avoir plutôt bien vécu. À la fin de sa
vie, elle était simplement sujette à des troubles métaboliques et des troubles du vieillissement (arthrose) propres à son
âge et qui ont pu l’emporter.

Notre contribution à l’histoire d’Arégonde appartient à l’étude pluridisciplinaire de la tombe de la souveraine et des 80
autres tombes constituant la nécropole mérovingienne de la basilique de Saint-Denis. Cette étude complète du site
représente une grande aventure scientifique où de nombreux domaines de l’archéologie ont trouvé une place. Si
chaque matière a été importante et souvent innovante, c’est la réunion des connaissances générées qui a donné corps

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 16 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/
Dossier > Arégonde, reine des Francs : enquête anthropologique Futura-Sciences

à une histoire, ici celle du monde mérovingien.

Remerciements
Ce travail n’aurait pas été possible sans Patrick Périn, directeur du musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-
Laye que je remercie chaleureusement pour la confiance qu’il m’a témoignée en me confiant les restes d’Arégonde. Ce
dossier est largement inspiré de ses travaux sur Saint-Denis ainsi que du travail sur Arégonde de Claude Rücker et Yves
Darton, chercheurs associés au Cepam-CNRS.

L’équipe de recherche organisée autour d’Arégonde, a été associée à un premier article synthétique paru dans le n° 37
(2005) de la revue muséographique Antiquités Nationales (pp. 181-206). Les études ont abouti à la réalisation d’une
exposition des tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis : La science au service de l’archéologie,
présentée au musée de Saint-Germain-en Laye du 8 avril au 4 octobre 2009.

Les résultats définitifs et complets des travaux menés sur les tombes mérovingiennes de Saint-Denis, et pour
lesquelles Arégonde constitue le personnage central, font actuellement l’objet de la préparation d’un ouvrage collectif
Nouveau catalogue des tombes mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis. Treize ans de travaux de laboratoire
(1999-2012) dont la publication est prévue dans le courant de l’année 2013.

Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/dossiers/d/anthropologie- Page 17 / 17


aregonde-reine-francs-enquete-anthropologique-1501/

Vous aimerez peut-être aussi