Bruno GNAOULE-OUPOH

Espaces littéraires

Dictionnaire
des romans ivoiriens
 DICTIONNAIRE
DES ROMANS IVOIRIENS
 © L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’École polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-336-00442-6
EAN : 9782336004426
 Bruno GNAOULE-OUPOH

DICTIONNAIRE
DES ROMANS IVOIRIENS

L’Harmattan
 Espaces Littéraires
Collection dirigée par Maguy Albet

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de Meudon, 1842. Une poésie de la catastrophe, 2012.
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nouvelles littératures, 2012.
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noir, 2012.
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suspendu, le Tout retrouvé, 2012.
Éliane ITTI, Madame Dacier, femme et savante du Grand Siècle (1645-
1720), 2012.
Victor MONTOYA, Les contes de la mine. Conversation avec le Tio,
Traduit de l’espagnol par Émilie BEAUDET, 2012.
Nathalie AUBERT, Christian Dotremont, La conquête du monde par
l’image, 2012.
Claude FRIOUX, Le Chantier russe. Littérature, société et politique. Tome
3 : Ecrits 1969-1980, 2011
Ricardo ROMERA ROZAS, Jorge Luis Borges et la littérature française,
2011.
Deborah M. HESS, Palimpsestes dans la poésie. Roubaud, du Bouchet, etc.,
2011.
Alexandre Ivanovitch KOUPRINE (Traduit du russe, introduit et annoté par
Françoise Wintersdorff-Faivre), Récits de vie dans la Russie tsariste, 2011.
Pascal GABELLONE, La blessure du réel, 2011.
Jacques PEZEU-MASSABUAU, Jules verne et ses héros, 2011.
Samuel ROVINSKI, Cérémonie de caste (traduit de l’espagnol par Roland
Faye), 2011.
Mirta YANEZ, Blessure ouverte, 2011.
Jean-Michel LOU, Le Japon d’Amélie Nothomb, 2011.
Serge BOURJEA, Paul Valéry, la Grèce, l’Europe, 2011.
Masha ITZHAKI, Aharon Appelfeld. Le réel et l’imaginaire, 2011.
AVANT-PROPOS

Le présent dictionnaire ne porte que sur la production

romanesque ivoirienne. Sous le vocable romanesque, nous
incluons - en raison du fait qu'ils relèvent tous de la prose -
outre les romans à proprement parler, les chroniques, les récits,
et les nouvelles. Qu'on ne s'attende donc pas à y voir figurer des
œuvres poétiques ou dramatiques.
En tant que dictionnaire des œuvres, il ne peut pas comporter
d'indications biobibliographiques. Que le lecteur ne s'étonne
donc pas de ne pas y trouver des informations sur la vie des
auteurs, et des références relatives aux travaux critiques sur les
romans.
Un dictionnaire des écrivains ivoiriens qui viendra compléter
en l'actualisant l'ouvrage de Richard Bonneau Écrivains
cinéastes et artistes ivoiriens(1) paru en 1972, est en cours
d'élaboration par le Groupe de Recherches et d'Etudes sur La
littérature Ivoirienne (G.R.E.L.I) de l'Université de Cocody
Abidjan, dont nous sommes le Président du Conseil
Scientifique.
C'est dans le cadre des travaux de ce Groupe de Recherches
que paraît la présente publication, qui se situe dans le
prolongement de l'étude d'ensemble intitulée La littérature
ivoirienne parue en 2000(2).
INTRODUCTION

Qu'il nous soit permis, dès l'abord, de faire très rapidement la

genèse de la recherche dont le présent ouvrage est non pas
l'aboutissement, mais une étape, un moment du parcours, une
petite halte.
Nous étions alors étudiant au début des années soixante-dix
du siècle dernier ; nos professeurs venaient, après bien de
difficultés, d'obtenir l'introduction de la littérature négro-
africaine dans les programmes d'enseignement. Nous n'avions
pour instrument de travail, que les quelques anthologies parues
à l'époque dont celle de Lilyan Kesteloot principalement(3).
Aucun manuel, ni usuel pour nous guider dans nos études.
Quand nous avons consulté Le dictionnaire des œuvres(4) de
Laffont et Bompiani - "pourtant de tous les temps et tous les
pays" - grande a été notre surprise de constater qu'il n'y avait
nulle part trace des œuvres de la littérature négro-africaine. Le
monde négro-africain serait-il hors du temps et de l'espace, pour
que sa littérature n'ait pas été prise en compte?
C'est à partir de ce moment que nous avons mesuré
l'importance du combat que les tenants de la négritude ont mené
pour faire entendre la voix d'une partie de l'humanité, les Noirs
d'Afrique et ceux de la diaspora.
Ces peuples qui avaient comme le dit Aimé Césaire, "reçu
plaqué sur le visage l'omni-niant crachat"(5) revendiquaient leur
identité, exigeaient qu'on leur reconnaisse tout ce qu'on leur
niait, leurs langues, leurs cultures, leur existence même, pour
tout dire.
C'est pour cette même raison, que nous avions salué en 1983
la parution sous la direction d’Ambroise Kom, du Dictionnaire
des œuvres littéraires négro-africaines de langue française(6)
publié par les Éditions Naaman avec la collaboration de
l'A.C.C.T. Mais cet ouvrage qui a arrêté sa bibliographie à
l’année 1978 n'a pas répondu à tous les besoins des lecteurs.
Il faut noter à cet effet que, sur les trente titres que comptait la
littérature romanesque ivoirienne, à cette date, seulement vingt
avaient fait l'objet d'analyse dans ce dictionnaire. L'ampleur de
la tâche a fait perdre de vue à son initiateur Ambroise Kom, une
dizaine d'ouvrages. Au nombre des titres omis, on peut citer Le

8
jeune de Bouaké de Koné Maurice publié par Jean Grassin à
Paris en 1963, Le temps de l'école d’Ahoussi Kablan CEDA
Abidjan 1976, Brakotto le mécontent de Kindo Bouadi CEDA
Abidjan 1977.
Il y a également toutes les œuvres parues en 1978, La légende
de Sadjo d’Isaïe Biton Koulibaly, Les malheurs d'Amangoua de
Léon Maurice Anoma Kanié, Sacrés Dieux d'Afrique de Jean
Dodo Digbeu pour ne citer que celles-là. Cela signifie qu’un
tiers de la production romanesque ivoirienne ne figure pas dans
ce dictionnaire.
Il ne pouvait, au demeurant, qu'en être ainsi parce que comme
le notait déjà Puis N'Gandu N’kashama, en 1984, « il n'est plus
possible de prétendre faire le tour et les détours de tous les
textes publiés par les noirs et les négro-africains »(6).
Le changement de perspectives opéré par la critique depuis
maintenant un quart de siècle, en s'engageant dans l'étude des
littératures nationales africaines, prises séparément, dans le
cadre des nouveaux États africains, permet aujourd'hui de
procéder à des analyses plus précises.
Ce genre d'approche met immanquablement le critique à l'abri
des erreurs comme celle commise par les rédacteurs du
Dictionnaire des citations du monde entier qui présentent
l'écrivain ivoirien Aké Loba, comme un auteur gabonais.
À cela il faut ajouter que la prose romanesque et nouvelliste
ivoirienne, par exemple, a depuis, triplé de volume. Elle
comportait fin juin 2008 cent vingt-sept romans contre 49 en
1986 et cinquante recueils de nouvelles contre 9 en 1986. Soit
un total de 182 ouvrages contre 58 en 1986. I1 résulte de ce qui
précède qu'il y a un vide et une lacune à combler. C'est l'objectif
fondamental que vise ici le GNAOULE - si nous osons nous
servir nous même de cette appellation- dont le souci premier est
de contribuer à la découverte et à la connaissance par nous-
mêmes et au delà de nos frontières, de la littérature ivoirienne.
Le dictionnaire des romans ivoiriens s'adresse donc à tous
ceux qui s'intéressent à la Côte d'Ivoire et plus particulièrement
à sa littérature.
Il est aussi et surtout destiné aux chercheurs, aux maîtres de
tous les degrés de l'enseignement, aux étudiants et aux élèves.
Nous mettons donc ainsi à leur disposition, un outil de travail

9
qu'un grand nombre d'entre eux, nous ont encouragé à élaborer,
et exauçant ainsi le vœu des uns, satisfaire les besoins des
autres.
Bien entendu, il n'y a pas qu'à ces spécialistes et "leurs
apprentis" qu'il est destiné. Notre vœu le plus cher, est que ce
dictionnaire devienne un jour celui de tous les amateurs de
littérature et du grand public aussi bien national qu'étranger.
Cela dit, à présent un mot de son contenu.
Ce volume qui est le tome 1 du Dictionnaire des romans
ivoiriens contient au total 60 articles dont 58 rédigés par nos
soins sur tous les romans, chroniques, récits et nouvelles parus
de 1956 jusqu'à la fin du mois de décembre 1986. L’analyse
portant sur Une femme pour une médaille, roman de Maurice
Bandaman, a été confiée à notre assistante Docteur Aboua
Kouassi Florence (7) et celle relative à notre propre roman En
attendant la liberté au journaliste écrivain ivoirien Jérôme
Diégou Bailly de regrettée mémoire. Nous le remercions à titre
posthume pour sa collaboration.
Une petite ombre au tableau cependant. En dépit de toutes les
démarches que nous avions entreprises, aussi bien auprès de
l'auteur que des librairies et des bibliothèques tant publiques
que privées, nous n'avons pas pu nous procurer un exemplaire
du roman de Raphaël Atta Koffi Les dernières paroles de
Koimé publié par les éditions Debresse en 1961 à Paris. Nous
espérons pouvoir satisfaire l'attente du lecteur dans la seconde
édition de ce volume.
Les articles ont été rédigés selon le profil suivant : Chaque
oeuvre a fait l'objet d'un résumé que nous avons voulu le plus
détaillé possible. Ensuite nous nous sommes efforcés de mettre
en exergue le ou les thèmes principaux. Chaque étude est close
par des remarques sur l'écriture.
Pour les recueils de nouvelles, nous avons adopté deux types
d'approche. Soit nous présentons les nouvelles l'une après
l'autre dans l'ordre du livre, au cas où elles n'ont aucun lien
entre elles, et quelles revêtent un intérêt à nos yeux, c'est le cas
entre autres de L'arbre et le fruit de Kitia Touré. Soit nous
analysons quelques nouvelles parmi les plus susceptibles de
donner au lecteur une idée du contenu de l'œuvre.

10
 Les ouvrages sont classés par ordre alphabétique en tenant
compte des normes propres aux usuels. On trouvera par
exemple La carte d'identité de Jean Marie Adiaffi à la lettre C
alors que Un nègre à Paris de Bernard Binlin Dadié est à la
lettre U. c'est un mode de classement courant utilisé et nous
n'avons fait que le reprendre pour ne pas dérouter le lecteur.
D'autre part, toujours dans le souci de rendre aisée la
consultation de cet ouvrage nous avons mis des index
alphabétiques aussi bien des œuvres, que des auteurs cités, à la
fin du volume.
Le second tome, en cours d'élaboration au G.R.E.L.I, se
consacre aux romans produits entre 1987 et 2012. D'autres
volumes prendront en compte les autres genres théâtre, poésie,
conte moderne. L'objectif final visé est de mettre à la
disposition du public le dictionnaire de l'ensemble des œuvres
littéraires ivoiriennes.
Voilà. Nous pensons n'avoir rien négligé pour que ce
dictionnaire soit pour vous un document de travail utile. La
difficulté majeure à laquelle nous avons été confronté résidait
dans une présentation offrant à l'usage de la clarté et de la
commodité. Y sommes-nous parvenu ? Il ne nous appartient pas
de juger si nous avons réussi.
Nous comptons tout naturellement sur vous, amis lecteurs,
collaborateurs qualifiés de nos efforts, pour que toutes les
lacunes que vous aurez repérées et les améliorations que vous
souhaitez nous soient signalées. Cet ouvrage est le vôtre, il vous
appartient de veiller constamment à la rigueur de son contenu et
à sa bonne tenue.

Gnaoulé Oupoh Bruno

Maître de conférences
Université de Cocody Abidjan
Président du Conseil Scientifique du G.R.E.L.I

11
Notes

1- Bonneau Richard : Écrivains cinéastes et artistes

ivoiriens, aperçu biobibliographique Abidjan NEA 1973.
2- Gnaoulé Oupoh Bruno La littérature ivoirienne. Paris
Abidjan Karthala Ceda 2000
3- Kesteloot Lilyan Anthologie de la littérature négro-
africaine Paris Marabout Université 1967 réédité en 1981
4. Laffont et Bompiani : Dictionnaire des œuvres de tous
les temps et de tous les pays Paris Société d'édition de
dictionnaires et encyclopédies 1953.
5. Aimé Césaire ; La tragédie du roi Christophe Paris.
Présence Africaine 1969 p59.
6. Dictionnaire des œuvres littéraires négro-africaines de
langue française sous la direction de Ambroise Kom.Sherbrook
Québec Canada Éditions Naaman en collaboration avec
l'A.C.C.T 1983.
7. Dr Aboua Kouassi Florence : spécialiste du roman
ivoirien post-multipartisme, Université de Cocody Abidjan,
UFR langues littératures et civilisations, Département de lettres
Modernes, Unité pédagogique Littérature ivoirienne, membre
du secrétariat exécutif du Groupe de Recherche et d’Études sur
la Littérature Ivoirienne. Thèse de doctorat es lettres intitulée :
La question du pouvoir politique dans la prose romanesque
ivoirienne post-multipartisme 1990-2005, direction Gnaoulé
Oupoh Bruno, soutenue le 28 août 2008.

12
ADIEU AU PARADIS (L')
L'adieu au paradis est un recueil
de nouvelles de Philipe Demanois
publié par les éditions CEDA
Abidjan en 1985. 101 p.
Ce recueil comporte sept
nouvelles bâties sur des thèmes
variés mais dont le dénominateur
commun semble être l'idée de la
ville que les héros des récits
s'imaginaient au départ comme un
paradis, mais qui à la pratique
s'avère un lieu d'amères
désillusions et mésaventures
diverses, débouchant bien souvent
sur la prison.
"Transhumance", "Pilier de
famille", "L'adieu au paradis" et
dans une certaine mesure, "Brebis
égarées" sont les nouvelles qui
rendent le mieux compte de cette
idée. Les trois autres, "Le destin,
Le mariage du fils" et
"Confessions grandioses" restent
dans le même ton mais sont
centrées sur d'autres
préoccupations.
"Transhumance", la première
nouvelle est le récit de l'aventure
de Dagbissigbissi, un jeune paysan
qui, par dépit amoureux, quitte son
village natal pour la capitale où il
espère gagner un peu d'argent afin
de satisfaire aux besoins de sa
mère.
Son oncle Téti François, agent de
police, chez qui il comptait rester
le temps d'avoir un emploi, ne se
trouve pas aux adresses qu'on lui
avait données : Les commissariats
de Yop-city et d'Attécoubé. Que
faire et surtout où dormir dans
cette immense ville où il ne
13
connaît personne ? Au restaurant
où il se rend pour apaiser la faim
qui le tenaillait et faire le point, il
se met à dormir assommé par le
sommeil.
Le restaurateur le tire de sa sieste
et le jette à la rue avec ses bagages,
comme un malpropre. On le prend
pour un voleur. Il ne devra son
salut qu'en se réfugiant dans un
commissariat, pour échapper au
châtiment de la foule en furie.
Sans un sou en poche et expulsé
de tous les lieux où il se rendait
pour chercher du travail,
Dagbissigbissi est contraint de
mendier pour ne pas mourir de
faim. Dans cette situation, il est
racolé par un groupe de fumeurs
d'opium organisé en gang,
spécialisé dans les braquages de
banque. Entre deux casses "les
caïds'' - c'était le nom du gang - se
retrouvaient à leur quartier général
baptisé "le paradis" pour boire,
fumer l'herbe et draguer les
prostituées.
Mais voulant lui-même assurer
son propre destin en travaillant
honnêtement, Dagbissigbissi
décide de rompre avec ce milieu et
dit donc adieu à ce paradis.
Malheureusement la chance ne lui
sourira pas ; il battra pendant
longtemps le pavé, couchant sous
le pont et jeûnant malgré lui
pendant plusieurs jours, avant
d'être raflé une nuit par une
patrouille de police, et jeté en
prison pour vagabondage, lui qui
ne demandait qu'à travailler.
Béssi le héros de "Pilier de
famille" connaîtra le même sort.
Pourtant tout avait bien commencé
pour lui. Parti de son village avec
son Certificat d'Études Primaires,
il avait réussi à se trouver un
emploi en qualité d'ouvrier dans
une usine. Avec Abibata son
épouse, il occupait une misérable
baraque d'une pièce dans un
bidonville, à la périphérie de la
capitale.
Le couple en était donc à tirer le
diable par la queue, quand trois des
plus jeunes frères du mari
arrivèrent du village avec une
lettre où leur père recommandait à
Béssi d'assumer ses responsabilités
de pilier la famille, en prenant en
charge les frais de scolarité de ces
enfants ; devant cette situation
difficile, Béssi est obligé de
s'endetter.
Mais peu de temps après, alors
qu'il n'avait pas encore honoré des
créances, l'usine où il travaillait est
obligée de fermer ses portes,
victime d'un important
détournement de fonds. À la suite
des nombreuses plaintes de ses
créanciers, Béssi est arrêté pour
abus de confiance et jeté en prison.
Ainsi donc au lieu du paradis
dont ils avaient rêvé, c'est plutôt la
prison qui accueille les deux héros.
Ils avaient pourtant multiplié les
initiatives, tout mis en œuvre pour
gagner honnêtement leur vie, en
dépit des nombreux obstacles qui
se dressaient sur leur parcours.
Sont-ils dans ces conditions
responsables de ce qui leur arrive ?
Sont-ils réellement coupables des
délits qu'on leur attribue. Non !
Répond Dagbissigbissi le
personnage principal de
"Transhumance" comme pour se
14
faire le porte-voix de ceux de sa
condition.
"Nous ne sommes pas coupables,
nous sommes victimes. Les
coupables ce sont ceux qui ne sont
pas comme nous, ceux qui ne
battent pas le pavé, ceux qui ne
couchent pas sous les ponts, ne
jeûnent pas malgré eux" (p. 23).
Son accusation se fera plus
précise quand il désignera
clairement sa cible. Les coupables
dit-il ce sont les bourgeois, "ces
politiciens douteux, ces voleurs,
ces assassins ces hors-la-loi, ces
charcutiers, ces laudateurs à
gages (…) ces parasites qui
s'accrochent solidement à la
poitrine mamelue du contrat,
Pacte Démoniaque d'une Clique
d'Imposteurs, les corrompus, les
quémandeurs, les charognards, les
lèche-culs, lèche-bottes, les
toghognini, les pervers, les
déracinés, les malades mentaux,
les chiens" (p. 24).
On observe ici que les initiales
du Pacte Démoniaque d'une Clique
d'Imposteurs, écrites en majuscules
dans le texte correspondent à celles
du P.D.C.I, le Parti Démocratique
de Côte d'Ivoire, le parti unique
qui était au pouvoir. Dagbissigbissi
désigne donc clairement sa cible ;
c’est ce parti et ses animateurs qui
sont responsables de la situation
que vivent les chômeurs.
À ces voleurs, ces parasites, le
héros de "Transhumance",
Dagbissigbissi, promet une belle
correction. Un jour, les avortés du
système, les sacrifiés au petit
déjeuner de la société en une
marche tumultueuse "pleuvront sur
la mère quiète de leurs désirs
assouvis, sur les infidélités de leurs
femmes à la démarche calculée,
réglée sur l'horloge du péculat,
callipyges de leurs débauches
parallèles à leurs nuits d'amants
impuissants. Nous pleuvrons
essaimant la terre entière de
charognards aux portes de nos
cités, dans vos salons style louis
XIV, dans vos champs, dans vos
jardins, dans vos salles de séjour,
dans les dédales sombres de IN-
conscience" (p. 25).
La critique du parti unique est
très nette dans ce recueil. Le pays
référence, la Côte d'Ivoire, est
désignée dans l’œuvre sous le nom
fictif de république de Mélodès.
Pour continuer à demeurer cet
exemple de réussite économique,
ce havre de paix, ce paradis que
l'on envie tant, ce pays doit être
débarrassé de tous ses profiteurs.
C’est à ce besoin que semble
répondre la nouvelle "les
confessions grandioses" où vingt-
cinq cadres au nombre desquels
des PDG des responsables des
finances publiques sont traduits,
dans un stade plein à craquer,
devant le tribunal populaire par sa
"presque Divinité" le président
Adeba.
Autre précaution qu'il faudra
prendre pour garantir le
rayonnement de la république de
Mélodès, c'est de lui vouer un
amour sans réserve, de l'aimer, de
répondre où que l'on soit à son
appel comme le fait Bonfils, héros
de "Adieu au paradis" la nouvelle
éponyme. Bonfils, balayeur de rues
à Paris, décide après dix années de
15
pavés, de neige, de brouillard,
d'injures, de pensées amères,
chaque jour renouvelé,
d'écartement avec lui-même, de
cauchemars, de revenir dans son
pays, au grand étonnement du
cercle des immigrés.
Le chômage, lui avait-on dit, est
à son point culminant et la crise
sévit plus que jamais dans le pays.
Mais Bonfils n'en a cure. Il est
déterminé à partir pour divorcer
d'avec les artifices de cette vie de
prolétaire de déraciné, tourmenté,
brimé, et renouer avec sa terre, son
village Bagohoua. C'est également
ce que fait Zaogou, le personnage
principal de "Le mariage du fils",
qui au terme, lui aussi d'un séjour
de dix ans en Europe décide de
rentrer dans son pays, avec sa
fiancée Juliette.
Ils avaient eux, réussi à faire de
bonnes études ; nanti lui d'un
diplôme d'ingénieur en
informatique, et elle d'un doctorat
en sociologie, ils sont revenus pour
se mettre au service de leur pays.
Juliette qui avait d'ailleurs dû lutter
bec et ongles pour arracher Zaogou
aux appétits amoureux de ses
rivales, a failli voir son amour
détruit par des interdits coutumiers
anachroniques que les parents de
son fiancé avançaient pour
s'opposer à leur mariage.
L'intervention énergique d'un
ancien combattant ouvert aux idées
nouvelles, réussit à sauver son
bonheur.
Le pays, pense-t-elle en dépit du
caractère dépassé de certaines de
ses traditions, a besoin d'être aimé.
Sa culture a besoin d'être
débarrassée des pratiques devenues
caduques. Mais ses langues qui
constituent son socle doivent être
jalousement préservées entretenues
et transmises de générations en
générations.
Au lieu d'adopter une telle
attitude, Madame Lebahi, l'un des
personnages de la nouvelle, au titre
révélateur de "Brebis égarées",
s'oppose farouchement à ce que ses
enfants apprennent à parler leur
langue maternelle. Mieux, elle
entreprend de faire acquérir
l'accent parisien à son fils ainé Éric
Vincent qui s'apprête à aller passer
ses vacances d'été à Paris. "Son fils
dit le narrateur, assimila si bien les
leçons de mademoiselle Lisette que
le jour de son départ, elle fut tout
émue. Il ne manquait plus à Eric-
Vincent-de-Paul, que la peau
blanche et de petits yeux verts pour
faire un authentique parisien. Quel
bonheur dans le cœur de Madame
Lebahi" (p. 56).
C'est l'extraversion culturelle qui
est ici dénoncée par Philipe
Demanois. Il découle de ce qui
précède que l'auteur invite son
lecteur à faire preuve de
patriotisme. D'autres thèmes telle
la prédestination sont abordés par
cet auteur. Il en est ainsi dans la
nouvelle "Le destin". Esaïe, le
héros de cette nouvelle, est un
vieux conducteur de car assurant le
transport interurbain de passagers.
"Boeing 747" son car n'avait rien
des qualités du prestigieux avion
dont il portait le nom. "C'était une
vieille mécanique rouillée en
plusieurs endroits (...) et qui a
gardé beaucoup de traces des
16
nombreuses opérations
mécaniques ? Chirurgicales ?
qu’elle a subies dans le passé.
Toutes les pièces étaient bardées
de fils de fer attachés, bricolées,
soudées" (p. 63).
C'était donc très risqué de
conduire un tel engin qui pouvait à
tout moment vous précipiter dans
un ravin ; si bien que, quand au
lendemain d'un très vilain rêve où
l'auto qu'il conduisait s'était
fracassée au détour d'une piste, le
prêtre devin consulté lui a
recommandé vivement
d'abandonner ce dangereux métier,
Esaïe n'a pas hésité un seul instant.
Il avait rassemblé
immédiatement ses petites
économies pour retourner dans son
village avec Akissi sa femme. Là,
l'accueil fut très chaleureux. Les
sacrifices rituels accomplis sur les
tombes des ancêtres, Esaïe se vit
attribuer une parcelle de forêt qu'il
commença à mettre en valeur.
Mais ne voilà-t-il pas que les
villageois qui, comme de coutume,
s'étaient rendus dans leurs champs
apprennent par le tambour parleur,
la funeste nouvelle. "Le frère Esaïe
qui se rendait à Duékoué à pied a
été fauché par une automobile,
Guéden Kpé ! Rentrez tous
immédiatement" (p. 70).
Esaïe, on le voit n'a pas pu
échapper à son destin. Le prêtre
devin avait prédit qu'il
succomberait des suites d'un
accident d'auto. Malgré toutes les
précautions qu'il a prises, le destin
raide, a frappé implacablement.
Peut-on échapper à son destin ? Au
regard de l’aventure de son
personnage Esaïe, l’auteur semble
ici répondre par la négative.
Au total, L’adieu au paradis de
Philippe Demanois se présente
comme une œuvre qui porte un
regard critique sur la société
ivoirienne, celle précisément des
années quatre-vingt du siècle
dernier, qui tient lieu de référent
textuel. Le chômage, causé par la
cupidité des bourgeois, et la
critique du parti unique au pouvoir
en constituent les thèmes majeurs.
L’écriture sans viser les sommets
de l’art en matière de narration est
sobre, souple et les récits digestes.
Le souci de Philippe Demanois
semble seulement avoir voulu faire
partager à ses lecteurs ses
sentiments sur les questions qui le
préoccupaient, sans autre
prétention.

17
ALLER-RETOUR
Ce deuxième roman de Gaston
Ouassenan après L'homme qui
vécut trois vies, a été publié, tout
comme le premier, par les éditions
Saint Paul à Paris en 1977.136 p.
Antoine Nagnin N'kongon, le
héros de Aller-retour vivant en
France revient dans son pays la
Côte d'Ivoire, pour passer deux
mois de vacances avec les siens.
Depuis que son père Migabonon
N'kongon l'avait envoyé en France
poursuivre ses études après son
Certificat d'Etudes Primaires,
c'était la toute première fois qu'il
allait revoir sa famille ses parents
et ses amis d'enfance.
Peu de temps avant d'effectuer ce
voyage, il avait écrit à son père
pour lui faire part de son intention
d'épouser Jacqueline, une amie de
faculté, fille aînée d'une riche
famille bourgeoise française. Mais
le père avait très mal accueilli
l'annonce de cette nouvelle, et
avait demandé à son fils de venir
pour qu'en sa présence le conseil
de famille donne son point de vue.
De leur côté les Lasserre
farouchement opposés à cette
union contre nature avec "ce
négrillon au nez en pied de
marmite dont ils ne savaient rien
des parents ni du pays. En
admettant qu'il ait des parents, ces
gens-là ont-ils des parents ?" (p.
49).
Mais leur fille avait été très
ferme à leur égard. Elle leur avait
rappelé qu'elle était majeure,
responsable de ce qu'elle faisait,
donc libre de sortir avec qui elle
18
voulait. Pour ne pas être en reste,
Nagnin quittant la France avait
décidé aussi de ne pas se soumettre
aveuglement à la décision du
conseil de famille dont son père lui
avait parlé.
Quand l'avion s'immobilisa à
l'aéroport d'Abidjan Port-Bouët,
toute la famille, le père, la mère,
les frères cousins et neveux de
Nagnin étaient là pour l'accueillir.
Après les effusions de joie à
l'aéroport et une nuit passée à
Abidjan, la famille emprunta le
lendemain le train pour le village
en compagnie de Nagnin. Son
arrivée fut saluée par tout le village
qui aussitôt s'organisa pour
réserver à son fils un accueil digne
de son rang de futur préfet ou
Ministre.
Chaque mère ayant pu constater
la grande taille de Nagnin, sa
beauté, son franc sourire, et sa
peau très lisse rêvait de le voir
épouser sa fille. Aussi, chaque
prétendante avait-elle mis ses plus
beaux bijoux et revêtue sa plus
belle toilette pour attirer l'attention
de ce "Blanc" qui était assurément
un beau parti.
La fête dura toute la nuit et au
petit matin on présenta Nagnin aux
fétiches de la famille pour qu'ils
assurent sa protection et surtout
pour que ceux-ci tournent les yeux
des jeunes filles libres du village
vers lui, afin que son cœur
s'accroche à l'une d'elles. C'est que,
pour sa famille, ce serait un
véritable drame que de voir
Nagnin revenir chez lui avec une
Blanche qui ne comprendrait rien à
leurs problèmes.
 Dans le même temps à Paris le
couple Lassère multipliait les
tentatives pour détourner leur fille
Jacqueline de son projet d'épouser
Nagnin. Baldinot un jeune
ingénieur français qui occupe les
fonctions de directeur adjoint à
l'usine que dirige le père Lassère,
ferait peut être, l'affaire mais
Jacqueline flaire à temps le danger
et fait échouer le projet de ses
parents. Elle tient à épouser
Nagnin et non quelqu'un d'autre.
De son côté, Nagnin qui n'avait
pas réussi à obtenir l'adhésion de
ses parents à son projet de mariage
avec Jacqueline se laisse charmer
par Kissioh Catherine une élève
sage-femme originaire de son
village. Ses vacances se
termineront par une idylle avec
Cathy qui, elle aussi, espère
fermement l'épouser et attend donc
impatiemment son retour à
Abidjan.
Nagnin retourne à Paris ;
Jacqueline l'y attend. Elle a eu la
prémonition que le silence que
Nagnin a observé pendant deux
mois, est certainement dû à l'entrée
d'une autre femme dans sa vie.
Aussi décide-t-elle de prendre le
taureau par les cornes pour que son
homme ne lui échappe pas. Elle,
qui était jusque-là vierge, décide
d'avoir des rapports sexuels avec
Nagnin afin d'être fécondée pour le
mettre devant le fait accompli. Le
soir même de son arrivée, elle
s'arrange pour que tout se passe
selon son plan. Peu de temps après,
ses parents apprendront avec
fureur "l'affreuse réalité". Leur
19
fille Jacqueline est enceinte d'un
nègre.
Il n'est pas question d'accepter un
tel affront. Le père Lassère est
résolu à ne pas laisser faire. Il
charge sa carabine et attend de
pieds fermes Nagnin pour l'abattre.
Prévenu à temps par Jean le frère
cadet de Jacqueline, Nagnin ne
vint plus au domicile des Lassère.
Il ne savait plus que faire, surtout
que quelques jours auparavant, il
avait reçu une lettre de Kissioh
Catherine lui annonçait qu'elle
attendait elle aussi un enfant. Où
donner de la tête ? Qui garder ?
Le couple Lassère revenu de ses
émotions décide de changer de
tactique, l'intimidation n'ayant pas
porté de fruit. Ils convoquent
Nagnin pour l'interroger sur ses
intentions à l'égard de leur fille.
Celui-ci percevant la gravité de la
situation fait part au couple
Lassère de son intention d'épouser
Jacqueline. Sur-le-champ il est
sommé de fixer la date du mariage,
de prévenir sa famille, de publier
les bans, après s'être mis en règle
avec la justice française.
Nagnin s'exécute. Il écrit à son
père qui lui répond qu'il n'entend
pas avoir une Blanche comme bru.
C'est elle, ou eux ses parents, à lui
de choisir. Nagnin écrit aussi à
Catherine Kissioh, celle qui
l'attend en Côte d'Ivoire, et lui
annonce sans détour la nouvelle de
son prochain mariage. Se sentant
trahie au plus haut point, elle
choisit de se suicider.
Nagnin qui ne pouvait plus
reculer, décide d'aller jusqu'au bout
et épouse Jacqueline. Ils mèneront
à Paris une existence paisible, le
temps de terminer leurs études et
rentrent en Côte d'Ivoire. Personne
à l'aéroport pour les accueillir.
C'est un très mauvais signe.
Nagnin devait, du reste, s'y
attendre puisqu'il avait coupé les
ponts avec tout le monde. Le
couple et ses deux jumeaux Paul et
Anne passent quelque temps à
l'hôtel avant de se voir affecté un
appartement après leur affectation
en qualité d'enseignant dans un
Lycée d'Abidjan.
Mais très vite le ménage ne tarda
pas à être perturbé. Nagnin sortait
très souvent seul et rentrait à des
heures tardives. Jacqueline ayant
appris par un coup de fil anonyme
que son mari fréquentait une autre
femme prit la résolution de
l'empêcher de sortir seul
désormais.
Dès lors plus rien n'alla dans le
ménage et le divorce qui s'ensuivit
fut prononcé à l'avantage de
Jacqueline. Elle obtint donc la
garde des enfants et malgré
l'intervention de dernière minute
de son beau-père Nkongon
Migabonon qui voulait tout faire
pour garder au moins ses petits-
enfants, Jacqueline maintient sa
position. Elle prit l'avion pour
retourner chez elle avec ses trois
enfants au grand désespoir de
Nagnin et des siens.
Aller-retour est le récit d'une
aventure devenue désormais
classique dans la littérature négro-
africaine d'expression française :
l'étudiant noir qui part en France à
la conquête du savoir à qui ses
parents avaient au départ
20
recommandé de ne pas épouser
une femme blanche, mais qui
revient contre leur gré avec une sur
les bras.
L'union tourne court se termine
soit par un drame, le suicide de la
Blanche, ou au mieux par le
divorce suivi du retour de l'épouse
dans son pays généralement avec
les enfants.
Sacrés Dieux d'Afrique et Le
médiateur romans du même auteur
Jean Dodo portent tous les deux
sur ce thème. Leur héros (le même
dans les deux œuvres) Valentin
Koupo Gnonléba effectue un
parcours qui a de nombreux points
de similitude avec celui de Antoine
Nagnin N'kongon.
Mais là n'est pas l'essentiel dans
ce livre. Le sujet est certes devenu
un lieu commun pour n'avoir pas
été souvent renouvelé dans sa
présentation mais cela n'enlève pas
tout intérêt à ce roman. L'auteur
met à profit son récit pour engager
entre le père et le fils N'kongon des
débats sur divers sujets touchant à
la vie culturelle, au passé et à
l'avenir politique du continent
africain.
Ainsi donc la négritude, l'art
nègre, la contribution de Félix
Houphouët Boigny à
l'indépendance de l'Afrique avec le
RDA, le néo-colonialisme, sont-ils
abordés pêle-mêle, sans qu'on ne
perçoive très bien à la fois, le lien
avec la trame du récit, l'objet et les
raisons de telles digressions.
De surcroît, les échanges de
propos entre le père et le fils sur
ces questions, et dans l'ensemble
de l'œuvre sur bien d'autres sujets
se déroulent dans le cadre de
rapports paternalistes qui ne
permettent pas à la réflexion de se
faire plus critique, féconde et donc
profitable au lecteur.
Le père N'kongon soutient que
l'art nègre n'existe pas : son fils ne
pouvant prouver le contraire se
contente de dire qu'en Afrique l'art
"en est à ses débuts et qu'il
évoluera plus rapidement que l'art
européen. Il sautera même des
étapes" (p. 77). Cela signifierait-il
que l'art commence seulement à
naître sur le continent qui, comme
le soutiennent les colons, était un
vide culturel.
Faute de réplique de la part du
narrateur (auteur) pour relever une
opinion de toute évidence aussi
erronée, la discussion devient très
rapidement oiseuse. Tout se passe
comme si l'auteur traite de
problèmes dont il ne semble pas
avoir la rnaîtrise.
Il passe d'un sujet à un autre sans
transition et surtout sans se soucier
d'épuiser le débat qu'il a engagé
entre ses personnages.
Ce manque de rigueur autant
dans la conduite de la narration
que de la réflexion atténue la
lisibilité de son message. Pour le
reste, il faut dire que l'auteur
épouse à merveille les problèmes
de ses deux personnages
principaux Nagnin et Jacqueline en
nous faisant partager leurs
angoisses. C'est cela, qui rend
l'œuvre attachante.

21
ARBRE ET LE FRUIT
(L’)
L'arbre et le fruit est un recueil
de six nouvelles, écrit par Kitia
Touré et publié par les éditions
Saint Paul à Paris en 1979. 101 p.
"La visite présidentielle", la
première nouvelle, relate la visite
que le président de la République
des Gorilles a envisagé de rendre à
Kilakikô, capitale de la République
des Éléphants. Dès l’annonce de
cet événement, les préparatifs ont
été engagés. La ville a été pavoisée
de drapeaux aux couleurs des deux
États, les rues nettoyées, les
maisons lavées, les poubelles
vidées, les arbres taillés. Le préfet
et le Secrétaire Général du Parti
unique ont appelé la population à
réserver un accueil chaleureux à
l'illustre hôte.
A cet effet Saïkoun le vieux chef
de Kilassou devra convaincre Mité
le meilleur batteur et spécialiste du
Djémé, pour qu’il donne par sa
participation un cachet à la fête.
Mais Mité a des obligations
familiales. S'occuper de son vieux
père Minagan dont il est l'unique
soutien et surtout satisfaire les
besoins de sa belle-mère et de sa
fiancée Yolâ, la plus célèbre
chanteuse de la région.
Mité et Yolâ, ayant donné leur
accord, allaient encore une fois
être obligés d'abandonner leurs
champs pour aller se trémousser en
ville. Si seulement la route qui
conduit à Kilakikô était praticable.
Le voyage a été harassant et
exténuant. L'arrivée de son
excellence Frénou Nou Désiré
22
Président de la République des
Gorilles est annoncée pour onze
heures ce matin. Mais déjà très tôt,
Mité, Yolâ et leur groupe de danse,
à l'instar des autres, se sont rendus
à kilakikô.
Le Président Frénou arrive,
annoncé par les sirènes des
motards. De toute part jaillissent
des clameurs et crépitent des
applaudissements.
Son Excellence Frénou et son
hôte prennent place. Mité et Yolâ
redoublent d'ardeur et
d'imagination dans les pas de
danse.
Le Président de la République
des Éléphants satisfait de leur
prestation leur promet une
enveloppe. C'est son chef du
protocole qui se chargera de la leur
remettre après. Mais Mité ne
recevra pas la récompense promise
tout comme les autres fois.
C'est l'exploitation des paysans
pauvres, par les autorités politiques
de l'Afrique qui est ici dénoncée
par Kitia Touré. Contraints de
danser à l'occasion des nombreuses
réceptions des chefs d'État ils ne
peuvent pas s'occuper de leurs
terres qui sont pourtant leurs seules
sources de revenus.
Le nom même du pays Kilakikô
qui signifie en sénoufo, la langue
maternelle de l'auteur, "c'en est
trop, c'est insupportable", montre
bien qu'il ne fait pas bon vivre
dans cette République.
"Le village et le ministre". Hili
Nannon a, depuis qu'il a été
nommé Ministre, cessé de se
rendre à Kapeh son village natal,
bien que ses concitoyens l'y
réclament. Il est tout le temps en
mission hors du pays, chez les
Blancs, où il passe même ses
congés annuels. Pourtant quand il
était encore élève c'était un garçon
pas fier qui passait toutes ses
vacances à Kapeh où il était très
estimé de tout le monde.
Fils unique de Nanssioh son père
un vieillard pauvre et maladif, et
de Tchamala jeune paysanne
maudite dès sa naissance, Hili
Nannon ne serait pas certainement
devenu ce qu'il est à présent si ses
parents ne l'avaient pas confié au
missionnaire blanc qui était venu à
l'époque à Kapeh pour parler de
Dieu et d'école.
Les succès scolaires firent de
Hili Nannon, non plus le fils du
pauvre couple Nanssioh-Tchamala
qui était devenu la risée publique,
mais celui de toute la communauté
villageoise, qui fondait désormais
de grands espoirs sur lui. Si bien
que, quand vint pour Nannon le
moment d'aller en France pour
poursuivre ses études, tout le
village fit une collecte pour lui
donner un peu d'argent.
Mais quelle ne fut pas la
déception des villageois, quand
celui-ci revint quelques années
plus tard, bardé de diplômes certes,
mais avec un enfant né de sa
liaison avec une Française . Pour
eux Nannon reniait ainsi, son pays,
son peuple, sa race. Cependant,
tout finit heureusement par
s'arranger. L'ADK (l'Association
pour le Développement de Kapeh)
que Nannon avait créée, contribua
à le rapprocher des villageois qui
23
se mirent de nouveau à croire en
lui.
Quand il fut nommé Ministre, il
fit la promesse ferme de s'occuper
sérieusement des intérêts du
village. Mais il ne tiendra pas
parole et investira plutôt sa fortune
puisée dans les caisses de l'État, en
France chez sa femme. Il faudra
attendre la mort de son père
Nansioh, pour que, Hili Nannon,
redoutant la honte qu'il éprouverait
en faisant venir le Président de la
République à Kapeh non construit
et envahi par les herbes, aille prier
le chef de l'Etat de lui enlever cette
épine du pied.
Grâce au Président de la
République, le village de Kapeh
fut reconstruit et le vieux Nassioh
fut enterré dignement au milieu de
fastes inouïs.
Peu de temps après Hili Nannon,
pourtant ministre chargé de la lutte
contre la corruption et responsable
de la bonne conduite, est démis de
ses fonctions pour détournement
de deniers publics. Dépossédé de
ses biens par l'État il finira comme
chef du personnel d'une petite
usine pour le traitement du coton.
Comme on vient de le voir, le
personnage de Hili Nannon qui
signifie "viens m’enlever de la
misère" en sénoufo (langue
maternelle de l’auteur) n’accomplit
pas la mission à laquelle son nom
et les siens le destinaient... C’est
l’irresponsabilité des cadres et
surtout leur cupidité se traduisant
par le détournement des deniers
publics qui sont ici dénoncées par
Kitia Touré.
 "Au cercle des jeunes", est une
nouvelle fort originale dans son
mode de narration. L'héroïne est
un personnage qui n'est pas encore
de ce monde. Elle est encore à
l'état de fœtus, en gestation dans le
ventre de sa mère, et elle raconte
comment ses parents se sont
rencontrés, comment elle a été
conçue et surtout comment, avant
même que d'avoir vu le jour, toutes
ses chances de mener une
existence heureuse avaient déjà été
très fortement compromises. Et
pour cause ? Son père un jeune
lycéen de la classe de première du
nom de Thuo Yalourga avait
refusé de la reconnaitre avec la
complicité de Akissi une jeune
collégienne aussi cynique que
dépravée.
Tout avait d'ailleurs mal
commencé, pour sa mère Lola
Midé. Jeune fille en classe de
quatrième au CEG, elle menait une
existence paisible chez son père,
partageant son temps entre ses
études et les courses de la maison.
Le malheur a voulu qu'elle tombe
sur Thuo Yalourga, alias Jagger le
séducteur, qui habitait la cour
voisine. Lola tombera dans le
piège savamment posé par Akissi
la comparse de Thuo ; elle se
retrouvera enceinte après avoir été
dépucelée dans le viol par Thuo
qui avait auparavant pris soin de
mettre un somnifère dans son verre
pour briser sa résistance.
Depuis le jour où il apprit l'état
de grossesse de Lola, Thuo
multiplia les entourloupettes et les
fourberies pour faire croire à tout
le monde que Lola a un autre
24
homme dans sa vie, et qu'il n'est
par conséquent pas, le père du
bébé qu'elle porte en son sein. Le
contentieux n'ayant pu être tranché
à l'aimable par les deux familles,
ce fut le commissaire qui fut
chargé de le régler.
Alors que celui-ci s'apprêtait à
inculper Thuo, il apprend de ce
dernier qu'il est le neveu de
Manhonon Thuo, proviseur d'un
Lycée et de surcroit ancien ami
d'université de Monsieur le
commissaire. Avec la complicité
du greffier en chef le jugement
tourne à l'avantage de Thuo. Cent
cinquante mille francs de bakchich
auront suffi pour régler le
problème et tirer Thuo d'embarras.
La jeune Lola Midé a donc été
déboutée.
Une autre victime de l'injustice
des hommes, et avec elle, sa fille
qui avant même de naitre pleure
déjà le triste sort qui sera le sien.
Midé le nom que porte sa mère et
qui faute de père, sera aussi le sien,
porte en lui même la marque de ce
destin puisqu'il signifie en
Sénoufo : "Je vais souffrir".
"Le cercle des jeunes" est une
nouvelle triste et émouvante qui
montre dans toute sa nudité la
déliquescence d'une jeunesse, et
l'injustice d'une justice au service
des puissants.
"La lettre du fils". Kidjeminan
est un paysan pauvre, ancien
combattant. On l'avait enrôlé dans
l'armée à vingt ans, puis il a passé
quatre ans dans le champ des
morts, au pays de l'homme blanc.
À son retour, il épousa Nankpeban
une jeune femme de vingt-huit ans