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Les limites du Bitcoin

variances.eu/

Matthieu Montalban 12 février 2018

Inventé au lendemain de la crise financière, le Bitcoin est la première application de la


technologie sous-jacente : la blockchain. On peut être contre le Bitcoin sans être
forcément contre le principe d’une crypto-monnaie ni contre la technologie, ce qui sera la
position défendue dans ce texte. Une monnaie pour s’institutionnaliser a besoin de
confiance : il faut que ceux qui l’utilisent croient qu’elle sera acceptée comme moyen de
paiement et que sa valeur soit garantie d’une façon ou d’une autre. On donne en général
trois sources à la confiance dans la monnaie : une confiance méthodique, liée à l’usage
rationnel du symbole (je sais que les autres l’utilisent, donc je l’utilise), la confiance
hiérarchique liée à l’existence d’un tiers de confiance (le système de paiement est garanti
par la banque centrale et le réseau des banques privées) et la confiance éthique
(l’émission monétaire se fait selon des règles légitimées)[i]. Le Bitcoin tente de se passer
des intermédiaires de confiance centralisés en mettant en place un système qui se veut
trustless et sécurisé. Il doit donc se comprendre comme un projet anarcho-capitaliste, de
libération de la monnaie de l’influence des banques centrales et privés, rendues
responsables de l’inflation et des crises du fait de création monétaire excessive à crédit.
L’école autrichienne d’économie défend tantôt le free banking, la concurrence des
monnaies, le retour à l’étalon-or ou l’interdiction du système de réserves fractionnaires
(faire un crédit au-delà des dépôts). Depuis l’invention de Bitcoin, bien d’autres crypto-

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monnaies et blockchains ont été inventées (comme Ethereum, Ripple etc.), se font
concurrence entre elles ainsi qu’aux monnaies souveraines, ce qui ravit les économistes
autrichiens.

Un rêve autrichien ?

Les crypto-monnaies s’appuient pour cela sur une technique de cryptage et des
vérifications automatisées mobilisant la puissance de calcul de tous les ordinateurs
participant au réseau : la blockchain. Elle peut être assimilée à une sorte de système
décentralisé d’organisation et de contrôle du transfert de propriété, d’un répertoire
distribué entre tous les ordinateurs du réseau, « immutable », transparent (les
transactions sont connues, mais les personnes qui échangent sont « pseudonymisées »).
Chaque ordinateur réalise pour chaque bloc de transactions des vérifications coûteuses
en calcul et en énergie garantissant la validité des transactions, Les personnes qui
mettent à disposition leur ordinateur pour effectuer la vérification (« les mineurs ») sont
rémunérés par la création d’un ou d’une fraction de Bitcoin quand leur ordinateur est
parvenu le premier à vérifier le bloc de transactions. Le nombre de Bitcoins en circulation
est limité à 21 millions d’unités seulement, sa valeur par rapport aux monnaies
souveraines doit donc avoir tendance à augmenter, incitant de plus en plus de mineurs à
miner et assurant ainsi la diffusion de la crypto-monnaie. Celle-ci peut ensuite être
convertie sur des plateformes en monnaie souveraine ou dans une autre crypto-monnaie.
Le transfert des Bitcoins ou son échange dans une devise est assez aisé, ce qui rend
possible des paiements sur n’importe quel point de la planète en un temps record, à
condition bien entendu que le Bitcoin soit accepté. Par ailleurs, si le régime était
entièrement « bitcoinisé », la possibilité de faire des crédits au-delà des réserves serait
certainement plus compliquée, ce qui est le rêve des économistes autrichiens. Ainsi, le
Bitcoin peut être considéré comme une sorte d’or numérique, et le régime monétaire qu’il
instituerait s’il venait à se généraliser ressemblerait à un régime d’étalon-or (le terme de
minage utilisé pour l’activité de vérification des blocs de transactions par les ordinateurs
et se traduisant par la création d’une unité Bitcoin pour celui qui a effectué la transaction
étant utilisé à dessein).

Une critique majeure consiste à dire que le Bitcoin est un pur produit spéculatif. Ce n’est
en effet guère discutable : la plupart des personnes investissant dans ces crypto-
monnaies le font pour obtenir un rendement élevé.

Graphique 1 : cours de Bitcoin depuis sa création

La valeur du Bitcoin n’est donc pas stable puisqu’elle s’apprécie du fait de sa rareté et est
soumise à la spéculation. Si un régime monétaire purement « bitcoinisé »
s’institutionnalisait, on observerait des mécanismes déflationnistes, dont les effets
seraient potentiellement dépressifs sur l’activité. En effet, la déflation réduit les profits et
renchérit les dettes, ce qui a pour effet d’étrangler les débiteurs et entreprises, donc les
agents ayant la plus forte propension à consommer ou investir.

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Ensuite, les Bitcoins ne sont pas
créés en fonction des besoins en
liquidité liés à la circulation
monétaire et au crédit, mais en
fonction de l’activité de minage,
dont le coût réel et énergétique est
croissant au cours du temps si le
cours n’augmente pas (la
probabilité qu’un ordinateur
parvienne à obtenir un Bitcoin
décroît). La rareté du Bicoin Source : https://www.coindesk.com/price/
pourrait créer des tensions sur la
liquidité et les taux d’intérêt.

Encore un effort pour être une monnaie…

Le Bitcoin est-il réellement une monnaie ou est-ce une arnaque comme l’a prétendu le
directeur de JP Morgan Chase avant de se rétracter ?[ii] Une monnaie n’est monnaie que
parce qu’elle est conventionnellement considérée comme telle : qu’il s’agisse de billets,
de cigarettes ou, pourquoi pas, une crypto-monnaie, toute monnaie repose sur la
croyance, en ce sens qu’elle n’a de valeur et n’est utilisée que parce que l’on croit qu’elle
a de la valeur et sera acceptée. Cela veut dire que si le Bitcoin suscite assez de
confiance pour permettre des achats et servir d’unité de compte, il sera une monnaie.
Donc on ne peut ni dire que le Bitcoin soit une arnaque ni qu’il ne sera pas un jour une
monnaie (l’histoire n’est pas écrite), même si c’est improbable. Plusieurs cas récents de
piratages de plateformes de crypto-monnaies pourraient jeter la suspicion pour le grand
public sur le Bitcoin pourtant réputé inviolable. Ensuite, l’inviolabilité n’équivaut pas à
confiance, la confiance étant une croyance en partie irrationnelle. Le fait qu’il n’y ait
aucune garantie des dépôts en cas de faillite d’une plateforme ou qu’il faille télécharger
des programmes informatiques sur l’ordinateur pour se brancher à la blockchain peut en
faire fuir plus d’un.

Ensuite, les opérations dites d’Initial Coin Offerings (ICO), c’est-à-dire des émissions de
token à taux préférentiel à destination des financeurs par et pour le financement des
start-ups de minage contre monnaie souveraine, se développent pour contourner le
financement classique en actions avec ses règlementations. Il y a dans ces ICOs de
nombreux cas d’arnaques qui pourraient fragiliser la confiance dans les crypto-monnaies.
L’AMF réfléchit à des mesures pour les réguler[iii]. La Chine et la Corée du Sud viennent
de les interdire[iv].

Par ailleurs, une monnaie est complète si elle réunit les fonctions d’unité de compte, de
moyen de paiement et règlement, et de réserve de valeur. Le Bitcoin n’est pas une unité
de compte, c’est surtout une réserve de valeur, et plus rarement un moyen de paiement
pour un certain nombre de produits sur Internet, ou dans quelques magasins physiques
au Japon par exemple. Mais les récentes fluctuations pourraient altérer cette confiance.

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Comme la valeur du Bitcoin a eu tendance à fortement augmenter, il est plus rationnel de
le conserver pour espérer une plus-value en euros que de l’utiliser comme moyen de
paiement.

Le principal facteur qui peut ralentir l’usage de ces crypto-monnaies vient des Etats et
banques centrales qui décident souverainement de l’unité de compte sur leur territoire et
obligent à payer les impôts en monnaie souveraine, assurant l’utilisation de la monnaie
nationale comme moyen de paiement. D’ailleurs, des Etats peuvent très bien décider
d’interdire l’usage du Bitcoin et autres crypto-monnaies pour créer leur propre crypto-
monnaie souveraine, sur des règles d’émissions différentes. La Banque centrale du
Royaume-Uni réfléchit ainsi à la possibilité de mettre en place une monnaie électronique
assise sur la banque centrale[v]. Différentes règles d’émission peuvent être inventées,
plus souples que celle du Bitcoin et permettant un maintien du contrôle de la politique
monétaire. Les économistes de la Banque centrale du Royaume-Uni montrent, via leur
modèle, dans le cas de l’usage d’une telle monnaie émise contre achats de bons du
Trésor, le niveau du PIB de long terme pourrait être augmenté de 3% grâce à la baisse
des taux d’intérêt réels et à la réduction d’un certain nombre de coûts de transactions et
de distorsions fiscales[vi].

Certains des avantages du Bitcoin sont en train de disparaître : le nombre de transactions


augmentant, les temps de validation des transactions augmentent et changer les Bitcoins
en euros génère de plus en plus de coûts de transactions (cf. graphique 3) rendant
l’usage quotidien du Bitcoin pour les petites sommes dans les commerces et les achats
quotidiens peu pratique. En revanche, cela reste avantageux pour des sommes
importantes. Ensuite, sur le plan des performances, le réseau Bitcoin est limité à 7
transactions par seconde, alors que le réseau de paiement Visa peut accepter jusqu’à
56 000 transactions par seconde[vii].

Graphique 2 : valeur totale des frais de transactions payés aux mineurs hors valeur
de récompense coinbase (en USD)

Graphique 3 : Coût par


transaction (revenus des
mineurs par transaction en USD)

Ensuite le Bitcoin mobilise


énormément d’énergie et de
puissance de calcul, et cela va
croissant avec le nombre de
transactions, cette seule
blockchain ayant une
consommation annuelle Sources : https://blockchain.info/fr
d’électricité supérieure à celle de
pays comme l’Irlande[viii].

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Enfin, il reste à voir la réaction des
banques. Le scénario le plus
probable est celui d’une
cohabitation entre les monnaies
souveraines, éventuellement
digitales, et les crypto-monnaies
privées. Ces dernières seraient
utilisées dans certaines
transactions et acceptées par
quelques entreprises et pour
spéculer, tandis que les monnaies Sources : https://blockchain.info/fr
souveraines conserveraient leur
rôle pivot du fait de leur cours légal et de leur rôle dans le paiement de l’impôt. Il est
même possible que ce ne soit pas Bitcoin qui devienne la crypto-monnaie la plus utilisée.
Il ne faut pas jeter pour autant le bébé de la blockchain avec l’eau du bain Bitcoin, celle-ci
ayant des applications intéressantes très larges.

[i]
Alary et al. (2016), Théories françaises de la monnaie, PUF, Paris.

[ii]
http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/jamie-dimon-regrette-d-avoir-qualifie-le-
bitcoin-d-escroquerie-1345698.html

[iii]
http://www.amf-france.org/Actualites/Communiques-de-presse/AMF/annee-2017?
docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F5097c770-e3f7-40bb-81ce-
db2c95e7bdae

[iv]
https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-09-04/china-central-bank-says-initial-
coin-offerings-are-illegal

https://www.numerama.com/tech/293908-apres-la-chine-la-coree-du-sud-interdit-a-son-
tour-les-levee-de-fonds-en-crypto-monnaie.html
[v] https://www.bankofengland.co.uk/research/digital-currencies

[vi]
https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/working-paper/2016/the-
macroeconomics-of-central-bank-issued-digital-currencies.pdf?
la=en&hash=341B602838707E5D6FC26884588C912A721B1DC1

[vii]
https://www.oii.ox.ac.uk/blog/the-blockchain-paradox-why-distributed-ledger-
technologies-may-do-little-to-transform-the-economy/

https://usa.visa.com/dam/VCOM/download/corporate/media/visa-fact-sheet-Jun2015.pdf
[viii]
https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/la-crypto-monnaie-bictoin-consomme-plus-
d-electricite-que-159-etats-dans-le-monde_118729

https://bitcoin.fr/la-depense-electrique-des-crypto-monnaies/

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