La Recherche
LE MAGAZINE DE REFERENCE SCIENTIFIQUE - JUILLET.
PTEMBRI
LA PREHISTOIRE
REVISITEE
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LENERGIE SOUS E INONDATIONS ET ARCHIVES
NOS PIEDS CLIMATIQUES
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Biolo
LA FORME
DES CHOUX
Mathéma
LES GRAPHES
ALEATOIRESMARTIN FOURCADE
CHAMPION DU MONDE &
CHAMPION OLYMPIQUE
DE BIATHLON
POUR SON AUTHENTICITE
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CHOISI
IMUTUELLE SANTE - PREVOYANCE
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eed ae ote tdLe pouvoir d’étre humain
visite des grottes omées -ou deleurs tres fidéles reproductions, comme
celle dela grotte Cosquer, quivient d ouvrira Marseille—est une expérience
inoubliable. Que 'on contemple Vart pariétal de la grotte de Lascaux,
quiremonte environ 20000 ans, oules peintures dela grote Chauvet —
dont les premiéres, datées de 37000 ans, font partie des plus anciennes
‘au monde -, on est stupéfait parla maitrise picturale des humains - des
Homo sapiens, déja—qui ont réalisé ces ceuvres, ce qui fait dire a'archéologue Carole
Fritz qu’«il nya pasdenfance de Vart» (lire p.54).
Homo sapiens... Alors qu'il a:300 000 ans coexistaient sur Terre cing ou six especes,
'Hominines elleestla seule, désormais, apeuplerla plane. «Ce
emplacement de formesarchaiques locales par une humanitéque
Ton appelte parois ‘moderne’ estcertainement 'épisode le plus mar-
‘quantde févolution humaine dudernier million d’années», expose
Jepaléoanthropologue Jean-Jacques Hublin, quidétaille comment
Yon comprend beaucoup mieux désormais, malgréla rareté des
vestiges anciens, cette dynamique des populations (ire p.29).
Au centre de ce renouvellement de la science préhistorique,
des technologies qui permettent de retrouver et d’analyserles
.génomesanciensen reconstituantleurADNapartirdefragments Philippe Pajot
épars.Cettenouvellescience paléogénomique ad'abordrévolu- _-REDACTEUR
tionné a paléontologie humaine en analysant’ADN mitochon-
drial, moins fragile, révélant existence de lignées archaiques
encore inconnues ila quinze ansa peine, en particulier les Denisoviens (lire p. 24).
PuisADN nucléaire, celui quise trouve dans le noyau des cellules, a pu commencer
a etre reconstitué, permettant d'établir des arbres de parentés témoignant de nou-
velles histoires d hybridations entre especes anciennes. Aujourd’hui, c’est]’ADN de
victimes de ’éruption de Pompéi qui vient d’étre reconstituéa partir de fragments,
bien que cet ADN ait été dégradé par des températures importantes 1). Demain, peut-
étre les préhistoriens n'auront-ils méme plus besoin de restes identifiés pour travail-
Jer: ilTeur suffira de ramasser du matériattde fenvironnement et d'analyser les petites,
molécules ¢’ADN pour faire parler le passé. Mais revenons a Homo sapiens... Quel
est le moteur de sa conquéte de I'intégralité des territoires de la planete et, peut-€tre
‘un jour, de ’espace environnant? Une curosité insatiable, certainement. De ingé-
niosité scientifique, aussi. Deux caractéristiques dont ce numéro se fait ’écho. Ets,
finalement, ce qui faisait de nous des humains était précisément cette capacité& nous
interroger sur nous-méme et a produire de l'art? Une pensée a avoir si vous profitez,
delété pour visitere riche patrimoine de grottes ornées queon trouve en France.
(1) 6 Seorano etal So Reports, 468, 2022
EDITOSOMMAIRE
al
Juillet / Septembre 2022 - n° 570
22
24
29
4
Edito
GRAND ENTRETIEN
AVEC PETER GLUCKMAN,
Président du Conse internation
ces siences
«Nous, scientifiques,
ddevons étre moins arrogants »
Trois mois dansle monde
DOSSIER
LA PREHISTOIRE
REVISITEE
Repenser le temps long,
deThistoire humaine
‘Anne Lehodtt
«Retisserle lien entre histoire
tus ancienne et histoire récente»
Entreten avec Boris Valentin
Surles pas de nos cousins,
les Dénisoviens
Diyendo Massa’ et Stéphane Peyrégne
Les premiers sapiens européens
Jean-Jacques Habin
Lepeuplement del Océanie
relu parla génétique
Jérémy Choin et Luis Quinana-Mure
oppression des femmes
existaitelle avant le Néolithique?
Zane Augereau
Lesoin des uns, le choix des autres
Valérie Delatee
44
48
50
53
54
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64
2
73
84
Une lumiére nouvelle sur
alimentation au Paléolithique
‘een Jaoven et To acai
Chabillement, une afaire
de plus en plus ancienne
ysiana Ledoux Jcques Seubert
Lejeu de pistes dela
domestication duchien
Laurent Frantz
Conflits armés dans a vallée du Nil
‘sable Crevecoeur
«lln'ya pas d’enfance de art»
Entaton ove Carol Fite
Hfistoire commence avec
les tombes ee Cubézy
Start-up: des technologies
auservice de ’archéologie
Pere vandeginste
FONDAMENTAUX
PORTFOLIO Coups de tonnerre
dansT'atmosphére Priooe aoe
BIOLOGIE Les mystéresbiologiques
dela formation des choux-fleurs
Francol Parcy et Christophe Godin
NEUROSCIENCES La voix,
‘une stratégie de soin pourles
bebés prématurés Marve Fiisoo
ENERGIE
Dela chaleur sous nos pieds
Béatrice Levésert
92. PHYSIQUE Les liquides actifs
du chaosa ordre
Dani Bartlet Amie Chardac
98 GEOSCIENCES Décryprer
les erues etleur évolution
partir darchives naturelles
Brno Wien
106 MATHEMATIQUES Transitions
de phase dansles graphes
aléatoies: une preuve inespérée
Nos Caen
112. ASTROPHYSIGUE
«Laube del Univers se dévoile
eninfrarouge>
Entretion ae Guin apache
122 HISTOIRE DES SCIENCES
Champollion, la pierre de Rosette
et les débuts del égyptologie
Laurent Couon
LIVRES
130 La sélection dela rédaction
REFLEXIONS
134 Transition énergétique
avie Dégremant
136 Numérique et IA Arnaud Lat
137 Lachronique dessinée eouet
138 Ethique Jear-cabrie!sonasoa
SCIENCE ET FICTION
140 Pourquoi les aliens ne nous
aiment-ils pas? Laurent VersiLES ACTEURS,
LES EVENEMENTS,
LES AFFRONTEMENTSEntretien avec Peter Gluckman
PRESIDENT DU CONSEIL INTERNATIONAL DES SCIENCES
66 Nous,
SCIENTIFIQUES,
DEVONS ETRE MOINS
ARROGANTS”
Amener les connaissances jusqu’a la politique est un art difficile, souligne
Peter Gluckman, président du Conseil international des sciences. Le
monde académique oublie parfois que c'est la politique qui décide, et
quelle doit tenir compte d’une multitude d'autres aspects. ancien
conseiller scientifique du gouvernement néo-zélandais décrit également
comment les scientifiques de la région Asie-Pacifique du Sud-Est
cooperent, malgré une tres grande diversité démographique et politique.
La Recherche A quoi ressemble le paysage
scientifique de VAsie-Pacifique du Sud-Est ?
Peter Gluckman En matiére de recherche,
nous avons deux superpuissances: Singapour
et ’Australie. Singapour, petit pays de cing
millions dhabitants, fait bien mieux que
son poids démographique en termes de
contributions scientifiques. Cet Etat s'est
rendu compte qu'en labsence de ressources
naturelles, son meilleur atout, ce sont les
gens. Il a donc développé une politique
accueil des scientifiques venant du monde
entier. Singapour investit par ailleurs prés
de 2% de son produit intérieur brut (PIB)
dans la recherche, dispose de compétences
tes solides en sciences de Vingénieur et en
sciences de la vie, et met fortement 'accent
sur l'innovation. L’Australie est autre
puissance scientifique régionale: elle dispose
d'instituts de recherche remarquables dans
tous les domaines—dont agence de recherche
gouvernementale Commonwealth Scientific
and Industrial Research Organisation
"une douzaine de lauréats du prix
GRAND ENTRETIEN118 aisarce&Audond
(Nouvel nc).
188 Poteses de bile
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Nobel tels que 'astronome Brian Schmidt
et la biologiste Elizabeth Blackburn, et d’un
soutien philanthropique a la recherche sain.
Le pays investit d’ailleurs dans la recherche
1,8% de son PIB. La Nouvelle-Zélande y
consacre une part moins importante~ environ
1,4% -, mais elle ‘en sort relativement bien,
notamment dans certains domaines de la
recherche médicale, de a bio-ingénierie et de
Yenvironnement. La Thailande et la Malaisie,
elles, sont toutes deux en train de développer
leur présence, cette demniere ayant clairement
‘augmenté son financement de la recherche. Et
de nombreux scientifiques des deux pays ont
apporté des contributions importantes.
La région est trés hétérogéne : des
démocraties cétoient des gouvernements
autoritaires, des cités-Etats voisinent avec
des pays-continents... Existe-til un sentiment
de communauté chez les scientifiques ?
Pas de manire formelle. Cela est da en partie
al'immense diversité des pays: nous avons de
petits pays insulaires comme Nauru, dont la
population avoisine les 10000 habitants et, &
autre bout du spectre, de grands pays comme
JeVietnam, quicompte prés de 100 millionsd’ha-
bitants. Le niveau de puissance économique
varie : Papouasie-Nouvelle-Guinée, Indonésie,
etc. Ilyatout deméme eu debons programmes
de recherche internationaux dans la région sur
des sujetscommelessciences de lamerou aide
au développement. On compte aussi de nom-
breuses collaborations sur des sujets ciblés, par
exemplela lutte contreles moustiques vecteurs
demaladies, owencore sur! agriculture tropicale.
‘Comment s'organisent ces collaboration:
Elles s’appuient souvent sur des relations
informelles entre scientifiques, a échelle des
individus, ou sont parfois soutenues par des
initiatives collectives, comme I'Association
scientifique du Pacifique ou les réunions
scientifiques Asie-Pacifique. Les relations
formelles elles sontessentiellement bilatérales,
comme celles qui existent entre I’Australie
et la Nouvelle-Zélande ou avec Singapour.
Elles reglent aussi le partage de l'acces aux
infrastructuresde recherche, commele cyclotron
de Melbourne, aveclequel la Nouvelle-Zélande
ades accords formels. Les scientifiques de pays
‘comme lIndonésie ou les Philippines sont de
plus en plus connectés aux grandes puissances
de la région, mais leurs systemes scientifiques
sont encore en phase de maturation,
La science occidentale est de plus en plus
critiquée pour son hégémonie et son
indifférence & "'égard des connaissances
locales. Gu'en pensez-vous ?
Je préfere parler de science moderne—et non
occidentale~carelleaintégré des connaissances
issues denombreuses cultures différentes, et pas
seulement européennes. En outre, les méthodes
derecherche utiliséesen Chine ne different guére
de celles qui ont cours aux Etats-Unis.
Cette critique de la science moderne
pourrait-ellerésulter d'un déséquilibre
dans les collaborations ?
Ine fait nul doute que trop de collaborations
ont profitéau pays financeur, économiquement
puissant, plutot qu’au pays bénéficiaire,
économiquement plus faible. ai travaillé avec
des scientifiques de petits Etats insulaires pour
les aidera devenir responsables de projets de
recherche internationaux - I’élaboration de
meilleurs modéles de partenariat entre les pays
duNordetdu Sud est ailleurs tres importante
pour le Conseil international de la science,
ISC, dont e suis président. Une autre question
concerne la relation entre la science moderne
et les systémes de connaissances indigenes, en
particulier dans les pays ott les communautés
locales sont fortes, comme la Malaisie, la
Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’Australie ou
la Nouvelle-Zélande. Il sagit d'une question
complexe, etil existe pas de consensus sur
Ja meilleure fagon d’y répondre. D’un point
de vue épistémologique et ontologique, cette
discussion devrait étre raisonnablement facile
&mener, mais elle est trés sensible, en raison
des dimensions de ustice sociale qu’implique la
nécessité de traiterlesreliques dela colonisation.
Quelle serait votre suggestion pour avancer
sur cette question ?
Lascience est un ensemblede processus visant
mieux comprendrele monde surla base d’expli-
cations rationnelles Elea toujours interagi avec
des personnes quiont des visions dumonde, des
systemes de croyances et des connaissances
locales différents. Ce demier point apporte une
autre dimension, car certaines de ces connais-
sances peuvent informer lascience. Is agitdoneGRAND ENTRETIEN
Lart de conseiller la politique
Présenter des données et lister des préconisations ne suffit pas. Peter Gluckman a synthétis
dix regles d’or
adopter pour donner du poids @ la science dans les prises de décisions politiques.
Ecouter les besoins
des décideurs pour leur
fourir le type e’évaluation
scientifique qui leur est
utile au bon moment. Des
formations non sollicitées
cont peu de chances d'avoir
tun impact.
Considérer le cycle
de Paction
politique - agenda
politique, élaboration
des politiques, prise de
décision, implémentation
‘et évaluation - pour
comprendre le type
“a Session plénire lors es
‘négociationsclmatiques
‘onusiennes, 3 Bonn, en 2015.
Srassurer auprés
des décideurs politiques
que la question posée
‘est vraiment la bonne.
Evaluer Pétendue et a
‘multidisciplinaires incluant
les sciences humaines.
‘Communiquer le
‘consensus scientifique
lorsqu’ll existe ou, dans le
cas contraire, les différentes
positions mai
‘au politique le role c’arbitre.
Expliciter la solidité de
absence de la preuve d'un
‘qualité des informations effet soit comprise comme
scientifiques synthétisées, _ la preuve de son absence.
identifier les points
‘manquants et y remédier. I! Reconnaitre le fossé
faut intégrer des évaluations / déductif entre
tune connaissance et
tune conclusion.
Accepter que la prise de
décision politique inclut
toujours des considérations
de valeurs.
Considérer dans
analyse scientifique les
éventuels impacts sociétaux
dranalyse désiré et son Par exemple, V’évaluation évaluation scientifique, négatifs des options
objectif: le pour et le contre de Petficacité d'un test ses incertitudes, limites considérées.
d'une technologie pour peut étre demandée et faiblesses, et faciliter
anticiper des régulations &
venir? Une liste d'options
avec Pévaluation de leurs
‘conséquences? L’analyse
d'une mesure? nécessaire.
alors que les politiques
vvoudraient savoir avant
tout sila campagne
de tests elle-méme est
la compréhension & aide
diindices ou de tableaux.
‘Anticiper le risque de voir
les chiffres et graphiques
instrumentalisés, ou que
10
Svassurer que la forme
de la communication
choisie permette au conseil
d'etre compris et assimilé
par les décideurs.
de les respecter, mais sans prétendre qu’elles
sont synonymes de science. Pour relever ce
défi, il faut accepter les approches transdisci-
plinaires et de coconception, couramment uti-
lisées lorsque des scientifiques de différentes
disciplines interagissentous‘engagent avec des
acteurs della société.
{Quelles lecons faut tirer des conseils scienti-
fiques donnés lors de la pandémie de Covid-19?
Primo, avantle Covid-19, les chercheursavaient
bien prédit le risque élevé d'une pandémie de
virus zoonotique dans les années a venir. Les
alertes ont été nombreuses et argumentées.
Beaucoup de gouvernements avaient inscrit
le risque de pandémie dans leur registre des
risques, mais le niveau de préparation était
plutot faible — c'est la méme situation avec
le changement climatique : des preuves tres
claires des dangers, mais une action pas assez
efficace. Secundo, le systéme multilatéral
{était pas prét a faire face a une pandémie.
La notification et les réponses ont été lentes.
Organisation mondiale de la santé (OMS)
travaille actuellement a I’élaboration d’un
nouveau traité sur les pandémies, etl est clair
que nous devons réformer de toute urgence
son Réglement sanitaire international, une loi
juridiquement contraignante visant a lutter
contre les pandémies.Terti, il faut distinguer
les conseils donnés en situation d’urgence de
ceux donnés dans des conditions normales. La
phase aigué de démarrage dela pandémiea été‘tesinhabituelle.En partie parce que beaucoup
pensaient que le Covid-19 r’était qu'une autre
version de la grippe, ce qui a influencé le type
de modélisation, de recommandations et de
décisions. Les choses devaient se faire dans
Yurgence, et certains pays ont prisdes décisions
en sous-estimant le potentiel du Covid-19,
avec des conséquences tres dommageables.
Cependant, lincertitude était grande et il
est facile d’étre critique aprés coup ~ nous
devons apprendre pour la prochaine fois
Enfin, félicitons la collaboration scientifique
internationale entre les secteurs public et
privé, quia permis de produire des vaccins en
tun temps record.
‘Avez-vous constaté des erreurs flagrantes du
Bt6 des scientifiques durant la pandémie ?
Certaines des premieres moddlisations étaient
inadéquates, car elles négligeaientles effets du
comportement humain. ly avait également une
compétition entre les scientifiques pout faire
entendre leur voix, quia joué en leur défaveur.
Cefutlecas par exempleau Royaume-Uni, out
existait un onseil scientifique officiel, le «Sage»,
et un autre, non officiel, appelé «Independent
Sage». Les gouvernements onteudumaladon-
ner unsensa ces voixdivergentes.
Les politiciens ont semblé trés irtés par les
critiques émanant des scientifiques.
Is‘agitla d'un phénomene général. En tant que
scientifiques, nous nous devons d’étre beau-
‘coup moinsarrogants. Denombrewxchercheurs
sont devenus des célébrités nationales pen-
dant la pandémie. Réguliérement invités dans
Jes médias, certains ont semblé y prendre gout
et ont peut-étre perdu la mesure nécessaire. I
faut faire rés attention ala facon dont voscom-
‘mentaires vont étre percus~par exemple, ilrvest
pas utile de dire «je vous Vavais dit» auxpoliti-
Gens, alors que ceux-ci sont élus pour prendre
des décisions difficiles dans des circonstances
‘it les connaissances sont parfoistréslimitées.
‘Comment éviter que la science soit politisée,
‘comme elle fa été par exemple sous la
présidence de Donald Trump aux Etats-Unis ?
Lasciencea toujours revétu une dimension poli-
tique :la pseudo «science des races» et la pré
tendue «science eugéniste», apparues dans a
seconde moitié du XIX*siécle, ont contribué
al'avenement des régimes fascistes. Je crains
que la méfiance envers a science soit devenue
un insigne politique dans notre ere de la «post-
vérité», Sans compterque certainssélectionnent
quelles connaissances cientifiquesilsacceptent
deprendreen considération et decroire, comme
sils‘agissait d’un choixalacarte.Ainsi, certains,
a droite, nientlascience du changement clima-
tique pour couvrir d'autres intéréts, tandis que
autres, gauche, Sopposentauxculturesgéné-
tiquement modifiges pour des motifs philoso-
phiques qui peuvent étre authentiques, maisne
releventpas de lascience.Is'agitd'unevéritable
‘menace pourla fagon dont la science peut faire
progresserla condition humaine etesujet dela
urabilité. Lun des grands défisest de faire recu-
lercette politisation excessive.
Plus les scientifiques interagissent avec
la politique, plus ils seront accusés d’étre
politiques. Ce qui met en danger la neutralité
ppercue de la science. Comment y remédier ?
Ilfaut un cadre approprié pour le conseil scien-
tifique. Cette activité doit etre indépendante,
aussi transparente que possible et ses acteurs
ne doivent pas étre nommés pares politiques.
Deux composantes doivent étresoigneusement
concues. Lapremiére conceme lasyntheseetle
résumé des preuves scientifiques disponibles.
Cela peut étre fait par des comités d’experts
scientifiques coordonnés par desacadémies des
sciences, des unités d’évaluation des technolo-
gies ou, au niveau international, par des orga-
nisations telles que le Giec, pour le climat, ou
JaPlateforme intergouvernementale surla bio-
diversitéetles services écosystémiques (IPBES,
pour labiodiversité).Ladeuxieme composante,
est le«courtage de connaissances», asavoirla
transmission de cettesynthése et desesimplica-
tions auxdécideurs politiques, en assurant que
ces informations répondent aleursbesoins. Un
diffuseur doit étre capable d’entrer en contact
avecla communauté scientifique pour obtenir
une synthése des données eta transmettre ala
communauté politique.
‘Comment ce courtage fonctionne-tille mieux ?
est préférabledele faire en téte-a-téte oudans
Je cadre de réunions informelles, oi vous avez
plus de chances de pouvoir expliquera un res-
ponsable politique de haut niveau ce que dit la
science ou de souligner Purgence d'une ques-
tion, Cela donne occasion d'avoir des discus-GG Le réle du « courtier»
est de transmettre a la
communauté politique
une synthése des
données scientifiques”
sions franches. Un ministre hésitera a admettre
devant une commission qu'ilne saitpas quelque
chose, maisil se sentira plus alaise en présence
une personne quil connait
Qui peut étre courtier de connaissances ?
Cela peut étre le président dune académie des
sciences ou un conseillerscientifique indépen-
dantrelevant du gouvernement, commecestle
cas en Nouvelle-Zélande ou au Royaume-Us
doit gagner la confiance de nombreuses par-
tiesprenantes: avanttout celle des décideurs—et
aussi, idéalement, celle des partis ’opposition,
pour éviter que ses conseils ne soient qualifiés
depolitiques-, celle des médiaset, bien sar, celle
dela communauté scientifique. II doit la fois
rester fidéle ala science et la communiquer de
maniére qu'elle soit comprise par son public. I
ne doit jamais oublier que a science analyse et
que la politique décide. Les conseillers scien-
tifiques doivent respecter cette séparation. Ils
GRAND ENTRETIEN
peuvent avoir des opinions personnelles sur
la politique, l'économie ou la diplomatie, mais
doivent les garder poureux.Cesontles décideurs
politiques qui doivent rouverun équilibre entre
les options disponibles, les conséquences de ces
différentes options, lesintéréts des diverses par
tiesprenantesetlecontrat électoralquiles lie aux
citoyens dans une démocratie,
‘Quelies sont les compétences nécessaires ?
D'innombrables scientifiques et oganisations
excellent dans 'art de rassembler des preuves
cet de les analyser. Mais ils sont moins nom
breuxa posséder les compétences diploma-
tiques et interprétatives nécessaires pour faire
lelien entre science et politique. Il faut vraiment
comprendre la culture des décideurs pol
la maniére dont ils interpréteront les informa-
tions quileurseront fournies. Ilfaut parailleurs
‘comprendreleur culture, eur langage corporel,
leurs coutumes. C'est pourquoi certains rap-
ports récigés par les académies des sciences
ont souvent peu d’impact, carils ont tendance
tre rédiges pour lacommunauté scientifique
plutot que pour le décideur polit
Les avis scientifiques devraient-ils s'appuyer
davantage sur des scénarios, en offrant un
Véritable choix aux décideurs politiques
plutdt que de leur dire quol faire ?
‘Ceestexactementce que fontlesbonsavisscien-
tifiques. Toute décision politique est un choix
entre différentes options. I faut également leur
exposer honnétement les incertitudes et les
réserves, ce quiest connuet ce quiest inconnu.
‘Travailleravecdes fourchettes de chifires plutdt
‘qu’avecdes chifftes uniques, expliquer les hypo-
theses qui sous-tendentlesmodeles. Et surtout,
ilfaut étre tes conscient deI’écart entre ce que
Yon sait et ce que ’on conclut. Les politiciens
savent gérer 'incertitude, souvent mieux que
lesscientifiques, et sont conscients quily atou-
jours des retombées.
‘Que pensez-vous des rapports du Giec:
sont-ce de bons outils de conseil scientifique ?
Ils font un travail remarquable en consolidant
eten résumant les preuves. Mais eur courtage
rest pas parfait: les résumés destinés aux déci-
deurs sont encore trop complexes pour de nom.
breux fonctionnaires. De plus, le Giecne cible
pas bien certaines personnes qui peuvent firela
dlifférence: les politiques nationaux. Bien qu'unconsensusintemational surlascience duchan-
gementclimatique soit nécessaire, il faut aussi
convaincre les acteurs nationaux d' agit.
Début 2022, des scientifiques néo-zélandais
cont réclamé un moratoite sur la science
ddu changement climatique. Gue pensez-vous
de cette initiative ?
est important de poursuivre la recherche sur
Je changement climatique, pour mieux savoir
‘quel sera Vavenir des glaciers ou comment le
niveau des mers augmentera. Mais les résul-
tats des sciences sociales, comportementales
et décisionnelles nous font vraiment défaut.
Nous devons comprendre pourquoi les déci-
ders politiques ne réagissent pas, pourquoiles
communautés disent qu’ellescraignent lechan-
gement climatique alors qu'elles ne modifient
pasleurs comportements, comment convaincre
lasociété de penser long terme, de manitre
intergénérationnelle, et‘ accepterlestransitions
économiques alors que les impacts les plus évi-
dentsne seront peut-étre pas visibles avant des
décennies. Ces questions sont assez nouvelles,
carce rest que récemment que nous avons été
enmesuredenous projeter dansl'avenircomme
Yamontré le Giec. Nous ne disposons pas des
compétences nécessaires.
Les pandémies et la guerre en Ukraine
‘ont montré que les gouvernements et les
entreprises peuvent agir rapidement,
et accepter le type de sacrifices économiques
nécessaires pour lutter contre le changement
limatique. Une raison d’espérer ?
llestmalheureusement diffciled'étre optimiste.
Encasdurgence, le public peuts accomoder des
décisions quln‘accepterait pasdansunessitua-
GG La science doit étre
accessible au public, ce
qui ne veut pas dire que
tout scientifique doive
étre un communicateur”
tionnormale ouapres|a crise. Orun trop grand
nombre de gens ne percoivent pas le change-
‘ment climatique comme une urgence.
Quel est votre avis sur les sanctions prises
a encontre de la science russe, & la suite
du déclenchement de la guerre en Ukraine ?
Laguerre lancée parVladimir Poutine est hor-
rible et inacceptable. Mais le Conseil interna-
tional dela science défend Vidée que la science
constitue un bien public mondial Cela signifie
que nous devons entretenir des relations et des
coopérations avec tousles pays sinous voulons
résoudre des problémes mondiaux cruciaux
tels quele changement climatique et la durabi
lité. Nous ne pouvons pas compromettre 'ave-
nir de la planéte & cause de tensions politiques
avecla Russie quivont probablement durer pen-
dant plusieurs années. Nous devons étre préts
utiliser la diplomatie scientifique —lorsque le
‘moment sera venu ~ pour tenter de panser les
plaies. ascienceajoué unrolesimitaire durant
laguerrefroide. Les sanctions globales elles que
celles prises a 'encontre de la Russie soulevent
deplusla question de avoiroittracerleslimites.
Lessanetions prononcées contre esinstitutions
sont une chose, celles prises contre les individus
ensontune autre. Flles entraveront les relations
personnelles qui pourraient étre’origine de
changements positif
Les scientifiques sont encouragés
8 stimpliquer dans la communication
scientifique et a interagir avec la société.
Ne devraient-ls pas avoir le droit de
se concentrer sur leur tache principale,
a savoir la recherche ?
La science doit étre pleinement accessible au
public, notamment parce qu'il ’a financée.
Mais cela ne signifie pas que tout scientifique
doive devenir un communicateur. Il ya des
professions et des personnalités trés diverses
dans la science, de la méme maniére quiily a
des médecins qui travaillent au contact des
patients et d’autres qui exercenten laboratoire.
est deja assez difficile pourles scientifiques de
parleradescolléguesd autres disciplines, étant
donné existence de jargons spécialisés tres
différents, nous ne devrionsdonepasattendre
deuxquilssoient également tous compétents
pour sadresser a la société. m
Propos recuellis par Daniel Saraga72H POUR DECOUVRIR ET PRESERVER
LES TRESORS DE NOTRE PLANETE BLEUE
TL
Uber
DU7 AU 9 OCT. 2022
ALA CITE DE LA MER, CHERBOURG-EN-COTENTIN
A SAINT-VAAST-LA-HOUGUE
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Gpereours Ss & NAVAL : ‘ Laseseo
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‘kre une Foret,
Asmars
Le rover Perseverance
‘a mesuré a vitesse
‘du son sur Mars.
aatavel
Un espoir pour les
malades de Parkinson,
TROIS MOIS DANS LE MONDE
La recherche est souvent une histoire de temps long. Nouvelle démons-
tration avec ce florilége de l'actualité scientifique du dernier trimestre.
Au menu : trou noir, épave centenaire ou encore génome humain.
MARS
Des chercheursfrangaisaffirment avoir trouvé
‘unmoyen de déstabilisera barriére hémato-
cencéphalique afin d'améliorer /acceés aucerveau
par des molécules thérapeutiques. Une premiere.
Bort eta, Nat Commun, 69,202
7 MARS
Laforet amazonienne est proche du point
Déces du premier patient au monde
Aavoirrecu une greffe de cceur d'un pore
génétiquement modifié, dewx moisapresson
‘opération lire La Recherche n? 569, p. 14).
titostinvrcomieati hear patient
> Plusdecentansaprés avoircoul, le bateau
deYexplorateur Emest Shackelton, réputé
‘comme étantl'épave la plus inaccessible du.
‘monde, estretrouvé dans la mer de Weddell
(Antarctique) par3.000 metres de fond!
int com/Decovete Endurance
23 MARS
Leprix Abel, 'une des plus prestigicuses
xécompenses en mathématique, est décemé
Américain Dennis Sullivan pour ses travaux
surla topologie et les systémes dynamiques.
hittin com/ Shen
24 MARS
Lesanghumain contiendrait des particles
de microplastiques, d aprés une étude
néerlandaise. Cesta premiere fois qu'une
telle pollution du corpshumain est prouvée.
Les risques sanitaires sont inconnus.
H A.Leslie a, Envi, 15, 107199, 2002
SIMARS
> Enfin! Vingt ans aprés annonce du
séquengage du génome humain en 2001,
‘une équipe américaine publie es résultats
duséquencage des 8% qui manquaient
al'appel. Parmi eux, laséquence complete
duchromosomey.
SW a, Scene 5 4222
> Letélescope Hubble détectelaplus ointaine
éioile jamais observée, Earendel,stuée a
12,9 miliands 'années-lumiére de notre planéte
B. Well, Nature, 6, 85, 2022
4avRIL
> Parution du toisiemevolet dunouveau
rapport du Giec, qui détailleles actions a engager
‘en matiére d'atténuation etd’adaptation
face au réchautffement global. Pour limiter
celui-cia 1,5°C, humanité devraatteindre son
picd’émissions de gaz effet de serre d'ici
2025, puis réduire ces demnigres de 43%
ici 2030,
hittin con/Rappot- dC
AVRIL
Premiers résultats encourageants pour un
essai clinique contre la maladie de Parkinson.
Quatre patients court options thérapeutiques,
quiontbénéficiéd’une nouvelle technologie
ppermettant de délivreren continu la dopamine
dontilsmanquent directement danse cerveat,
‘ontvudiminuer de deux tiers es surdosages
ainsi que les mouvements etimmobilisations
involontaires caractérstiques dela maladie.
hittin connection donne cerveau
T3AVRIL
Une équipe d'archéologuesaméricains annonce
avoir mislamain, au Guatemala, surdes
fragments d'un calendrierrituel maya datant