Spi 087 0093

Apports de l’observation du bébé selon la méthode Esther
Bick pour la psychiatrie au Sénégal

La place du regard dans la culture sénégalaise
Idrissa Bâ, Oumou Diodo Ly, Mame Absa Dieng, Momar Camara, Rosella Sandri,
Mamadou Habib Thiam
Dans Spirale 2018/3 (N° 87), pages 93 à 106
Éditions Érès
ISSN 1278-4699
ISBN 9782749262192
DOI 10.3917/spi.087.0093
© Érès | Téléchargé le 24/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.138.89.238)
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Apports de
l’observation du bébé
selon la méthode
Esther Bick pour la Idrissa Ba Oumou Diodo Ly Mame Absa Dieng
psychiatrie au Sénégal
La place du regard
dans la culture sénégalaise
Idrissa Ba
psychiatre, maître assistant, Momar Camara Rosella Sandri Mamadou Habib Thiam
chnu Fann, Dakar (Sénégal)

idrisba@gmail.com
Oumou Diodo Ly
psychologue, chnu Fann, Dakar (Sénégal)
oumoudiodoly@gmail.com
Rosella Sandri
Momar Camara psychologue, formatrice à l’observation du
psychiatre, maître assistant, bébé selon Esther Bick, Bruxelles (Belgique)
chnu Fann, Dakar (Sénégal)
r.sandri@skynet.be
momarcamara@yahoo.fr
Mamadou Habib Thiam
Mame Absa Dieng psychiatre, professeur titulaire,
éducatrice spécialisée, chef du service de psychiatrie,
école Reine-Fabiola, Dakar (Sénégal) chnu Fann, Dakar
hafsa_d2@yahoo.fr mamadouhabibthiam@gmail.com
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GNI_int._Spirale n° 87_BAT.indd 93 05/11/2018 12:01

Apports de l’observation du bébé selon la méthode Esther Bick
parvenir au détachement de ce qui se déroule.

La méthode d’observation Encore doit-il, comme dans son attitude de
base de psychanalyste, trouver une position
selon Esther Bick
de laquelle faire ses observations, position qui
Selon Pierre Delion, c’est en 1963 que Esther introduise aussi peu que possible de distorsion
Bick, initiatrice de la méthode qui porte son dans ce qui se déroule. Il a à permettre à certaines
nom, en formule ainsi les grandes lignes : « Le choses de se passer, et à résister à d’autres.
psychothérapeute d’enfant en formation se rend Plutôt que de se faire une place dans la famille
dans la famille une fois par semaine depuis la en additionnant à l’organisation de celle-ci sa
naissance jusqu’aux environs de la fin de la propre personnalité d’une façon active, il a à
deuxième année, chaque observation durant laisser les parents, particulièrement la mère, lui
normalement environ une heure. Contrairement déterminer sa place dans la maisonnée, à sa
à nos prévisions, il n’a pas été difficile de trouver façon à elle » (Delion, 2004, p. 120).
[…] des mères acceptant volontiers un observa
teur. Elles ont souvent indiqué explicitement ou C’est une méthode qui repose sur une approche
implicitement à quel point elles appréciaient triadique : observation, rédaction et élaboration/
d’avoir quelqu’un qui vienne régulièrement chez supervision en groupe, et qui prévoit deux
elles, avec qui elles puissent parler de leur bébé, règles fondamentales, deux consignes de base à

de son développement, et des sentiments que respecter par l’observateur : « Ce qui est fonda-
celui-ci suscitait en elles. Prendre des notes mental à enseigner, ce qu’est l’observation, c’est
pendant l’observation se révéla bientôt inappro- de ne sauter à aucune conclusion, mais de venir
prié et même perturbant, car l’attention flottante avec une tabula rasa : vous ne savez pas, voilà
s’en trouve entrecoupée, et l’étudiant empêché tout. Parce que j’en suis venue à la conclusion
d’être à l’aise pour répondre aux demandes que sans cette attitude : “je ne sais pas, je
affectives de la mère. […] Nous sentîmes verrai d’après les preuves”, aucun travail avec
important que l’observateur puisse se sentir personne, quelle que soit sa capacité, n’est vrai-
suffisamment à l’intérieur de la famille pour en ment fructueux. Si vous venez avec vos concepts
vivre l’impact affectif, mais non pas conduit à fixés (l’objet interne sein, ou avec quoi que ce
agir aucun des rôles projetés sur lui, tels que soit de tout prêt), alors tout simplement vous ne
donneur de conseils ou teneur d’un registre regardez pas les choses, vous ne les voyez pas »
d’approbations ou de désapprobations. […] (Haag, 2002, p. 198). « La règle n° 2 pour l’obser-
Cet observateur, au foyer de parents avec un vateur est d’être seulement là en receveur, de
nouveau-né, et quelle que soit son expérience se laisser simplement emplir, déverser en soi,
des bébés, de la psychanalyse, ou des méthodes ne jamais demander un changement quel qu’il
scientifiques d’observation, est confronté à l’im- soit, ni quoi que ce soit, ne pas interférer, car si
pact des émotions intenses de cette situation. vous changez la situation, vous n’observez plus
Pour pouvoir un tant soit peu observer, il doit la situation telle qu’elle est » (ibid., p. 201).
94

Spirale 87
Modalités d’observation du bébé

dans la société traditionnelle disponible, en réalité, on n’est pas neutre car on
africaine vit des émotions très intenses au cours d’une
observation, mais on essaye de ne pas interférer
Dans la société traditionnelle africaine, parler avec le déroulement des événements auxquels
d’un enfant qui n’est pas encore né pose pro on assiste.
blème, au regard des mythes et des coutumes
qui interdisent de nommer la naissance et de Parler d’un enfant qui n’est pas encore né
parler du développement du bébé en milieu pose problème, au regard des mythes et
sénégalais. Il est difficile de venir voir une femme des coutumes qui interdisent de nommer
enceinte, parfois elle se cache pour des raisons la naissance et de parler du développement
mystiques. Lors de cet entretien, on peut perdre du bébé en milieu sénégalais.
sa propre identité sur le plan professionnel.
La visite chez certaines familles est permise après Il ne faut pas entretenir de relations particulières
une semaine voire quelques mois, en raison de et proches avec le futur parent, tout en adoptant
la vulnérabilité de la dyade mère/bébé. une attitude bienveillante.
Lors de la visite prénatale, la formatrice (Rosella L’inquiétude par rapport à la famille qui accepte

Sandri) suggère aux observateurs de mettre et se décourage à un moment de l’observation
leur identité professionnelle et statutaire de côté a été posée. La formatrice souligne que l’obser-
et d’être « humbles ». Elle signale qu’on fait une vateur observé fait partie de l’observation. Il faut
observation, non un « rapport » (lapsus d’un avoir la notion de respect pour pouvoir entrer
observateur), et qu’il ne faut pas dire à la famille dans une famille. Pour cela, il faut tenir compte
qu’on va écrire une observation, afin de ne pas du fonctionnement psychique des parents et
renforcer un côté « persécuteur » qui pourrait respecter la dimension culturelle dans laquelle
éventuellement exister. ils vivent.
La question de l’étranger peut se poser, mais il Il ne faut pas entretenir de relations

faut être souple et trouver une place qui évitera particulières et proches avec le futur parent,
d’être perçu comme un étranger, essayer de tout en adoptant une attitude bienveillante.
faire partie de la famille. L’observateur peut,
par exemple, prendre le bébé si on le lui tend, Les participants soulignent que, culturellement,
mais il ne doit pas jouer le rôle de substitut il est très difficile d’avoir accès à la chambre des
parental en cas de pleurs du bébé. Certains se parents où souvent dort le bébé. La formatrice
demandent si la neutralité à l’égard du bébé signale qu’on peut toujours demander l’autori-
ne va pas inquiéter la famille en cas d’absence. sation d’aller observer le bébé dans la chambre
Mme Sandri souligne qu’il faut trouver la famille des parents.
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L’intérêt pour les parents d’accueillir un observa-

teur, c’est le renforcement de la capacité d’atten-
tion à l’égard du bébé. Il faut laisser le temps aux parfois caché qu’il faut déchiffrer. C’est en ce
parents de réfléchir, de se poser des questions, sens qu’il faut pointer toute l’ambivalence du
sans rien leur dire sur l’évolution constatée, et regard. Nous allons tenter d’explorer l’œil, le
ne pas précipiter les choses quand on sent qu’il regard dans ses significations et sa portée dans
y a une difficulté. notre culture sénégalaise, et son impact sur la
formation à l’observation des bébés que nous
Par rapport au contexte culturel, la formatrice avons mis en place au Sénégal.
invite les futurs observateurs d’utiliser en plus
de leur bagage intellectuel leur bagage culturel, Fantasme du mauvais œil
car c’est essentiel pour comprendre la famille dans la culture sénégalaise
et son fonctionnement. Il faut se mettre à la
place des parents, des problèmes qu’ils vivent Composée à près de 95 % de musulmans, la
quotidiennement. société sénégalaise attribue au regard des valeurs
issus à la fois de l’islam et de la tradition. C’est
Apports de la méthode ainsi que, dans de très nombreux versets du
pour la psychiatrie au Sénégal Coran, on parle du mauvais œil et de la mauvaise
langue, ainsi que des moyens de s’en protéger.

La mise en place du groupe est le fruit d’un
long processus démarré en 2007, jalonné par Dans la sourate Youssouf (Joseph dans la Bible),
la rencontre avec différents professionnels, au chapitre 12, il est question d’évitement du mauvais
Sénégal comme à l’étranger (Ba, Sandri, 2009- œil. En effet, Youssouf, victime d’un plan ourdi
2010, p. 368). par ses frères, fut vendu comme esclave en
Égypte. Pour donner suite à des mésaventures
La formation à l’observation du bébé selon la avec la femme de son seigneur qui le dési-
méthode Esther Bick a permis de revisiter un rait, il fut jeté en prison pendant des années
certain nombre de concepts relatifs aux repré- et fut libéré après avoir interprété le rêve de
sentations du bébé dans la société traditionnelle Pharaon par lequel s’annonçait une longue
sénégalaise, notamment la place du regard. disette. Cette dernière ravageait l’Égypte et ses
environs. Jacob, père de Youssouf, envoya ses
La place du regard onze fils chercher de la nourriture en Égypte.
dans la culture sénégalaise Ces garçons étaient des gaillards bien bâtis, tous
d’une beauté exceptionnelle. À leur départ, leur
L’œil, le regard, est l’un des plus puissants moyens père leur fit cette recommandation : « Ô mes
de communication humaine. C’est un medium fils, n’entrez pas par la même porte. Empruntez
majeur d’expression des émotions, des sentiments des portes différentes ! », de crainte que ne les
« bons » et « mauvais ». Il comporte un langage atteigne le « mauvais œil ».
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Spirale 87
Dans la sourate Al Qalam (La Plume), chapitre 68, des maladies, voire la mort. Une maman nous
Allah dit au prophète, à l’avant-dernier verset : racontait que son fils était tombé malade, la
« Peu s’en faut pour qu’ils te percent du regard ! » guérisseuse qui l’a examiné conclut que « c’est
l’œil de son père qui l’a attrapé ».
On peut aussi signaler l’interdit que l’islam, à la
sourate Nour (La Lumière, chapitre 24), impose La formation à l’observation du bébé selon
à l’œil, au regard. Le regard peut toujours porter la méthode Esther Bick a permis de revisiter
une charge d’émotions, de passion, de désir. un certain nombre de concepts relatifs aux
Le regard séducteur invite à la transgression représentations du bébé dans la société
sexuelle et conduit au péché. L’œil est séducteur traditionnelle sénégalaise, notamment
et entraîne ses victimes dans le champ de Satan. la place du regard.
O.D. Ly (1997) parle de « la force destructrice O.D. Ly (1997) évoque le malentendu culturel
de l’œil, de la main qui touche ou de la parole, entre les patrons et les sujets pendant la colo-
plus particulièrement de la pointe perfide de la nisation : les Africains étaient taxés de « sour-
langue ». Pour elle, « ces forces destructrices nois, de menteurs, de faux » parce que quand ils
attaquent le sujet ou le rendent malade, ou fou, parlaient à leurs patrons, ils ne les regardaient

ou provoquent sa mort ou son échec social ». pas, alors que la bonne éducation africaine
M. Gueye M. (1976), évoquant les dangers qui inculque à l’individu la pudeur du regard, de
guettent la grossesse, cite le regard envieux l’œil ; ainsi, il est interdit de regarder son supé-
de l’autre et la « mauvaise langue » comme rieur (enseignant, marabout, patron, parent,
« deux redoutables interprétations constamment beaux-parents, etc.) quand on lui parle. Bien
retrouvées comme étant à l’origine des troubles sûr, dans ce système, on peut lire beaucoup de
observés », dans les cas de psychoses puerpé- choses selon l’angle sous lequel on le considère.
rales observées en milieu sénégalais. Pour cet
auteur, le risque peut en effet venir du regard Du côté de la thérapie traditionnelle, certains
envieux et concupiscent de l’autre ou de sa guérisseurs soignent par l’œil, par l’énergie que
« mauvaise langue ». le regard dégage. Le guérisseur pose un regard
fixe sur le membre malade et le patient sent
En fait, ce qui peut nuire à l’autre, c’est de une certaine chaleur. Ces séances sont répétées
regarder finement. Est crainte l’intensité du plusieurs fois, il s’ensuit une amélioration ou
regard. En ce sens, même si la personne qui une guérison.
regarde est « propre », c’est-à-dire n’est pas
un sorcier, regarder quelqu’un finement, inten- À cet aspect positif de l’œil, du regard, on
sément, peut lui porter préjudice en provo- peut ajouter la fonction du regard de la mère
quant chez lui des troubles psychomoteurs, dans la culture sénégalaise. Dans l’éducation
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traditionnelle, « l’œil de la mère » a une fonc-

tion de communication majeure : la mère, en
présence de personnes devant lesquelles elle sortir la mère. Quand un parent agonise, on fait
ne peut parler ouvertement à son enfant, le sortir les enfants pour la même raison. Ne pas
regarde d’une certaine façon, et l’enfant décode regarder, ne pas trop regarder, c’est accorder
le message que sa mère lui envoie et exécute à l’autre la soutoura (le voile). Cet interdit du
la tâche induite. Aujourd’hui, les mères encore regard met en jeu toute l’ambivalence des rela-
attachées aux valeurs traditionnelles déplorent tions humaines transmises à l’autre par l’œil, le
que cette fonction du regard soit perdue. Cette regard, un organe dynamique, actif, qui peut
complicité mère-enfant a été détruite par d’autres agir en bien comme en mal.
formes d’éducation qui obligent les mères à
parler de tout et n’importe où. Fantasme du mauvais œil,
de la mauvaise langue
Dans l’éducation traditionnelle, « l’œil de la dans l’observation
mère » a une fonction de communication
majeure : la mère, en présence de personnes Le fantasme du mauvais œil a été très présent
devant lesquelles elle ne peut parler dès le début de la formation à l’observation,
ouvertement à son enfant, le regarde chez les futurs observateurs et le groupe.
d’une certaine façon, et l’enfant décode Lorsque l’observation a commencé, il pouvait
le message que sa mère lui envoie

se manifester à certains moments de l’obser-
et exécute la tâche induite. vation, par exemple lorsque le bébé pleurait.
Cela éveillait la croyance assez enracinée dans
Il faut pointer les fonctions protectrices, structu- la culture que certaines personnes font pleurer
rantes de l’œil, du regard de la mère posé sur un enfant par leur présence, et parce que leur
son enfant. Sous l’œil bienveillant de la mère, regard s’est posé sur le bébé. Lorsque l’obser-
l’enfant grandit, devient solide et résistant à vatrice du groupe était laissée seule avec le
toutes les agressions physiques ou mystiques bébé dans le salon, ou lorsqu’on lui donnait le
venant de l’extérieur. On peut opposer le bébé dans les bras, celle-ci sentait une certaine
mauvais œil et la mauvaise mère, la marâtre, inquiétude et disait : « Je ne souhaite qu’une
« sorcière mal intentionnée » vis-à-vis de l’enfant chose, que le bébé joue calmement jusqu’au
de la rivale, présente ou disparue. retour de sa maman… » Ses pleurs étaient donc
fort redoutés ! Mais le bébé aussi, à certains
Dans les croyances traditionnelles, on dit que moments, pouvait être investi d’un pouvoir qui
même la mort « a honte de l’œil de la mère ». touche la capacité de « voir » (guiss en wolof) :
Quand un enfant agonise, tant que la mère est les bébés, en effet, sont considérés comme des
présente l’enfant ne meurt pas, car la mort « a intermédiaires entre le monde invisible et nous,
honte de ravir la vie de cet enfant sous l’œil de sa et ils ont la capacité de sentir ce que nous ne
mère ». Pour délivrer l’enfant, les matrones font pouvons pas percevoir. D’autres craintes et
98

Spirale 87
toujours possible du sorcier anthropophage

menaces proviennent de l’enfant lui-même. trouble la vie émotionnelle de toute personne
N’est-il pas l’ancêtre réincarné, donc plus puis- et l’emplit de soucis » (1976, p. 28). On peut dès
sant que tout vivant ? N’appartient-il pas aux lors imaginer toute l’angoisse qui s’est emparée
enfants dits « dangereux », entourés d’un halo des participants devant observer les bébés au
d’appréhension ? sein de leur famille. Le bébé, de même que la
femme enceinte, sont des proies de prédilec-
Extraits d’observation tion pour le sorcier anthropophage. Cependant,
du bébé Amina1 précise M. Gueye, « le repas anthropophagique
n’est certes pas un repas cannibalique réel, mais
« Première rencontre avec la maman : la maman est de l’ordre du symbolique » (ibid.). Ce même
est à son 7e mois de grossesse. Tout de suite, regard est porté sur le circoncis et la nouvelle
j’aperçois une dame portant une tunique verte/ mariée car ce sont des moments de fragilité.
blanche, le foulard posé sur sa tête. Seul le ventre Il est difficile de venir visiter une femme enceinte
m’indique que c’est bien elle, la future maman. dans ces conditions, comme de convaincre
La voiture se gare, comme si on se connaissait certaines familles, qui restent sur la défensive.
depuis longtemps ; elle me dit : “Absa nanga Culturellement, on ne demande pas comment
def ?” (Comment vas-tu ?). Je réponds : “Toutes la grossesse évolue, on attend ! C’est pourquoi,

mes excuses, je n’aurais pas dû vous faire à la première rencontre on peut être surpris
sortir à pareil moment (nous sommes entre de constater que c’est la femme enceinte en
12 heures et 14 heures, moment non conseillé à personne qui s’est mise au milieu de la ruelle
une femme enceinte pour des promenades ou pour accueillir l’observatrice à un moment de la
sorties). Elle rétorque : “Amul béna problème, journée qui est déconseillé pour les sorties.
yek sil.” (Ce n’est pas grave, tu peux entrer.)
On entre toutes les deux. » Cet interdit du regard met en jeu toute
l’ambivalence des relations humaines
Commentaires transmises à l’autre par l’œil, le regard,
un organe dynamique, actif, qui peut agir
Lors des séances d’introduction à la formation, en bien comme en mal.
certains membres du groupe signalaient leur
inquiétude en ces termes : « Comment observer Observation n° 23,
un bébé en Afrique, où la notion de persécution, Amina a 5 mois et 2 semaines
de mauvais œil est très présente ? » Ils n’avaient
pas tort, car le mauvais œil est considéré en « J’accuse du retard, mais je suis décidée tout
Afrique comme de l’anthropophagie. C’est un de même à passer voir Amina car à la dernière
regard qui mange, qui détruit. Comme l’affirme séance, elle avait la diarrhée et elle vomissait.
M. Gueye : « L’idée de la foudroyante attaque Cela semblait lié à sa dentition. J’arrive vers
99

11 heures tout en me disant que je vais juste voir s’endort à nouveau ! Sa mère, ayant entendu
comment elle va, partir ensuite chez ma sœur sa voix, croit qu’elle s’est réveillée mais elle la
jusqu’à samedi prochain. “Imagine si on t’avait retrouve en train de dormir. Elle me demande
refusé cette observation !” sera le commentaire si c’est la voix d’Amina qu’elle a entendue.
de la grand-mère maternelle. » Je hoche la tête ; elle reste un moment, puis
me signale qu’elle n’en a plus que pour cinq
Commentaires minutes. »
C’est l’observatrice qui, lorsque le bébé est Commentaires

malade, ne s’autorise pas à rester longtemps
pour le regarder. En général, lorsque la maman Ici, l’observatrice a eu recours à un récital, et cela
passe un bon moment à regarder son enfant, est révélateur du poids de la culpabilité ressentie
on lui conseille de détourner un peu son regard, par l’observateur qui, en quelque sorte, se sent
et cela est valable pour l’observateur, surtout responsable de tout ce que vit le bébé et de tout
à un moment où l’enfant observé est malade. ce qui peut lui arriver. De manière générale,
Nous ne pouvons donc pas nous attendre à dans le cadre de l’observation du bébé selon
une séance complète, l’observatrice passe juste la méthode Esther Bick, on peut considérer le
prendre de ses nouvelles, comme si elle devait regard de l’observateur comme étant bienveil-
préserver le bébé du « danger » lié à son regard. lant, respectueux, rêveur, contenant.

Observation n° 24, L’observation du bébé nous apprend aussi que
Amina a 5 mois et 4 semaines le regard est un puissant moyen de projection
d’émotions primitives. Comme le disait une
« Après l’avoir dorlotée pendant un moment, participante du séminaire : « le regard dévoile »
la bonne (femme de ménage) se rapproche ou même, pourrait-on dire, le regard pénètre à
de moi. Amina dort toujours, au moment de la l’intérieur du psychisme de l’autre et risque de
déposer à mes côtés, elle a semblé se réveiller, lui faire vivre un sentiment d’intrusion, comme
je la tapote un tout petit peu ; elle s’endort à si ses contenus psychiques étaient « dévoilés » et
nouveau. Je garde ma main sur elle craignant sa beauté intérieure susceptible d’être détruite.
qu’elle ne se réveille. Elle s’endort profondé- Nous pouvons nous rendre compte, à partir
ment. Sa maman vient entre temps, se rend de l’expérience de l’observation du bébé en
compte qu’elle dort et me dit : “Je reviens tout milieu sénégalais, que ce fantasme d’intrusion
à l’heure.” Elle porte une tunique blanche avec et de violation de l’intimité était très puissant
un pantalon en dessous. Amina dort profon- chez l’observateur, et pouvait être renforcé
dément, à un moment donné elle sursaute, je par certains événements de la vie du bébé
mets à nouveau ma main sur elle, la tapote (par exemple, une maladie ou une hospitali-
encore, je me suis même permis de faire un sation). Ce fantasme venait aussi renforcer les
récital tout en la tapotant ; Dieu merci, elle sentiments de culpabilité chez l’observateur,
100

Spirale 87
Extraits d’observation
du bébé Émile2
Observation n° 24,
Émile a 9 mois et 2 jours
avec des moments de grande anxiété, partagés
également au niveau du groupe. Comme nous « C’était une visite non programmée ; elle a
l’avons vu dans les extraits d’observation, le eu lieu au service de pédiatrie d’un hôpital
fantasme du « mauvais œil » était présent et de Dakar. Vers 21 h 30, je reçois l’appel de la
actif surtout chez les observateurs. Nous avons maman qui, la voix étouffée par les pleurs, me
remarqué, à partir de petits détails, que lorsque raconte qu’Émile vient d’être hospitalisé en
le bébé était au sein par exemple, l’observatrice urgence à l’hôpital. Elle avait du mal à parler
du groupe ne pouvait pas regarder le bébé téter. tellement elle semblait choquée ; tout ce que
En même temps, ces exemples nous montrent j’ai pu retenir, c’est qu’Émile a fait des crises
aussi combien le vécu de l’observatrice pouvait convulsives. Pierre, le papa, dut prendre le télé-
être proche de celui de la mère. C’est presque phone pour m’expliquer que c’est la pédiatre

comme si elle pouvait se charger, par sa posi- qui leur avait demandé de l’évacuer d’urgence
tion d’observatrice, des aspects persécuteurs à l’hôpital où le bébé est reçu en pédiatrie.
liés à la relation avec le bébé. On pourrait même Sentant leur désarroi, je leur propose de venir
avancer l’hypothèse que cette fonction de l’ob- les rejoindre à l’hôpital, Pierre dit que ce n’est
servatrice « détoxifiait » certains éléments de la pas la peine, ils sont sur le chemin de retour
relation mère-bébé, comme si elle la libérait des car on leur a donné rendez-vous le lendemain
« mauvais aspects » ou des « mauvais esprits ». à 11 heures pour avoir des informations sur leur
Le mauvais œil et la mauvaise langue, selon les fils. Je leur promets d’être présent à 11 heures.
croyances sénégalaises, peuvent être à l’origine Ce fut une nuit difficile pour moi. J’ai eu du
du malheur et des maladies ; le mauvais œil à mal à trouver le sommeil. Beaucoup de ques-
l’origine des malheurs n’était-il pas celui de l’ob- tions me sont passées par la tête : que s’est-il
servateur ? Cette question a été ressentie très passé pour qu’Émile fasse des convulsions ?
douloureusement par l’observateur et le groupe Est-ce lié à la fièvre ? Pourquoi cette fièvre ne
de travail, à certains moments de l’observation cède-t-elle pas malgré tous les antibiotiques et
du bébé Émile. Un de ces moments a été parti- antipyrétiques ? Les parents ne risquent-ils pas
culièrement éprouvant pour l’observateur et le de mettre fin à mes visites, moi, l’observateur
groupe, et a demandé un grand effort d’élabora- qui vient pour “observer” leur enfant, quand on
tion psychique, comme nous allons le voir dans sait la place et la valeur symbolique du regard
les extraits d’observation. dans nos croyances ? Ai-je trop parlé de l’enfant
101

d’autrui ? Suis-je porteur de mauvaise langue ? va vers elle et lui explique calmement qu’ils ont
Le groupe est-il mauvais et porteur de catt besoin d’informations sur l’état de leur fils avant
(“langue pointue” synonyme de guigne) ? Cette de partir ; elle lui explique qu’Émile n’a plus
méthode est-elle applicable dans notre contexte fait de crise et qu’ils ont arrêté les perfusions.
culturel ? Toutes ces questions sont restées sans Ils vont le mettre en observation, le temps
réponse. Mon seul recours reste la prière pour de faire des prélèvements afin d’identifier le
que cet enfant s’en sorte. Je me suis levé très tôt, germe en cause avant de le libérer. De toute
décidé à changer mon programme initial. Je suis façon, ils ne pourront pas le voir avant lundi.
arrivé en avance à l’hôpital, pour avoir des infor- Ces quelques mots ont l’air de rassurer M. et
mations sur la situation clinique d’Émile avant Mme P. qui décident de rentrer. Nous sortons
l’arrivée des parents. ensemble de l’hôpital. Le père m’explique qu’à
la maison, tout a changé depuis l’hospitalisation
« L’hôpital est désert. Il ne semble pas y avoir d’Émile. Katy, la sœur d’Émile, qui a 7 ans, pleure
beaucoup d’activités. Je me dirige vers le service. tout le temps et veut voir son frère. Louis, le
Je pénètre dans le bâtiment abritant le service de grand frère qui a 17 ans, a fait une crise de nerfs
pédiatrie. Tout est propre et calme. Des parents quand ils sont rentrés sans Émile. Il a reproché
attendent dans le couloir. Je leur dis bonjour. à ses parents de l’avoir abandonné aux mains
Je leur demande où se trouve le personnel. des médecins. La maman dit qu’elle est inquiète
Ils me répondent qu’ils n’ont vu personne. pour son fils aîné, car il n’a jamais réagi comme

J’entends du bruit à l’étage. Je monte par l’esca- cela. Pierre, le papa, pense qu’au contraire, c’est
lier. […] Une dame en blouse blanche s’adresse bon signe. Il avait besoin de s’exprimer car il ne
aux dames que j’avais trouvées dans le hall en le fait jamais. Il reste toujours silencieux. »
leur disant que la visite n’a pas encore démarré.
Elles n’ont qu’à attendre dehors jusqu’à 11 heu- Commentaires
res, l’heure de la visite. Les dames sortent en
protestant. […] L’observateur et tout le groupe de travail ont
été bouleversés par cette hospitalisation, qui a
« Je me décide alors à attendre dehors les fait surgir beaucoup de questions et beaucoup
parents d’Émile. À 11 h 05, je les aperçois, arri- d’angoisses. Comme nous l’avons vu, l’observa-
vant vers moi. Pierre est devant. Mme P. le suit teur a été très secoué et renvoyé aux fantasmes
et lui tient son casque de moto. Elle a les yeux de de « mauvais œil » lié au regard et, indirecte-
quelqu’un qui n’a pas dormi de la nuit et a beau- ment, à l’observation. Il a dû faire face à ce
coup pleuré. Ses yeux sont injectés et elle parle moment difficile seul, puisque le groupe vivait
avec peine. Les salutations sont très brèves. la première longue séparation de plusieurs
Pierre me remercie d’être venu et me demande mois, due aux vacances d’été. Cela l’a renvoyé
depuis quand je suis arrivé. […]. Une infirmière aux appréhensions émises au tout début du
vient nous demander de ne pas rester dans le séminaire par rapport à l’observation en milieu
couloir. Ce n’est pas l’heure des visites ; Pierre africain. Par ailleurs, l’observateur, en lisant
102

Spirale 87
son observation, avait fait un lapsus et avait

parlé de « dame blanche » au lieu de « dame
à la blouse blanche » ! On ne pouvait pas se
tromper, la formatrice, qui est une italienne, est
la seule dame blanche du groupe, celle qui avait On peut être frappé par le fait que les angoisses
« importé » une méthode d’observation basée de séparation et de mort que les parents ont
sur le regard et sur une parole qui traduit les vécues par rapport à leur bébé semblaient en
vécus plus intimes. Alors, si nous suivons cette même temps avoir renforcé les liens déjà très
pensée, la « dame blanche » n’était-elle pas solides établis entre l’observateur et la famille.
à l’origine du mauvais œil et de la mauvaise À partir de la description de l’observateur des
langue ? Rappelons aussi que « la dame en conditions dans lesquelles Émile a été hospi-
blouse blanche » est celle qui demande d’at- talisé, le groupe a beaucoup discuté sur le
tendre dehors, puisque ce n’est pas l’heure des système de fonctionnement des structures sani-
visites. Au fond, la dame blanche du groupe taires sénégalaises, avec le peu de respect pour
avait aussi fait attendre « dehors » l’observa- la personne, qu’elle soit enfant ou adulte, et un
teur et le groupe pendant les longues vacances manque d’empathie et du sens de la communi-
d’été ! L’observateur en l’espace d’une nuit a cation. Les questions éthiques liées à l’hospitali-
vécu beaucoup d’angoisses concernant, d’une sation des enfants sans accompagnateur ont été
part, l’applicabilité de la méthode en contexte soulevées. Émile est aperçu derrière une vitre,

africain, et d’autre part, les considérations cultu- pieds et mains liés, tout seul, au grand dam des
relles sur le mauvais œil et la mauvaise langue. parents, si bien que son père finit par mono-
Effrayé il s’est accusé et, avec lui, tout le groupe loguer et semble être tout seul face à sa détresse.
est jugé coupable, surtout d’avoir peut-être trop Quant au groupe, chacun est parti dans des
regardé par ses yeux et trop parlé de l’enfant évocations de souvenirs amers concernant les
dans le groupe. Avec émotion l’observateur expériences d’hospitalisation. L’hôpital, au lieu
a fait partager, à travers sa lecture de l’obser- d’être un lieu de soin, est présenté comme un
vation, toutes les questions qui l’ont angoissé. lieu de maltraitance et d’inhumanité. Plusieurs
La solitude et l’angoisse de l’observateur l’ont voix se lèvent pour dire que l’hôpital est une
aussi amené à être plus « actif » et, en s’ap- institution qui ne soigne pas, et pointent de
puyant sur son statut de médecin, à essayer nombreuses failles dans son fonctionnement.
d’en savoir plus sur la maladie de l’enfant et Des expériences personnelles sont évoquées,
son diagnostic. Naturellement, cet épisode très comme le vécu d’un participant par rapport à
douloureux a éveillé des sentiments intenses de l’hospitalisation de son propre fils. Un autre
persécution et de culpabilité également chez les participant aborde le besoin dans le contexte
parents. Toute la famille a été très bouleversée africain de laisser au moins un membre de la
par cette hospitalisation et les deux enfants famille à l’hôpital pour l’accompagnement,
aînés ont accusé les parents d’avoir abandonné car le retour de tous à la maison fait évoquer
Émile seul à l’hôpital. la mort.
103

Après cette séance, l’observateur continue à

parler de l’hospitalisation d’Émile. Les bonnes
nouvelles concernant son évolution d’Émile
amènent un grand soulagement dans le groupe
de travail. Voici comment l’observateur nous aux sports, il veut tout le temps garder son frère.
décrit la situation une semaine plus tard. Émile ne mange pas beaucoup ; il n’accepte que
de temps en temps le sein. »
Observation n° 25,
Émile a 9 mois et 7 jours Commentaires
« La veille, vers 16 heures, je reçois un coup de Nous avons l’impression que le bébé a vécu
fil de Mme P. m’annonçant la sortie d’Émile de aussi très fortement un sentiment de persécu-
l’hôpital. Il est à la maison et tout le monde est tion, au point que le sein de sa maman est refusé,
content et soulagé. Je lui demande des nouvelles comme s’il avait vécu une perte de la confiance
de son fils. Elle me répond qu’il va très bien, et de base par rapport au « sein maternel » qui n’a
qu’il s’amuse même. Je promets de passer à la pas su le protéger, qui n’a pas pu empêcher cette
maison le lendemain ; sa voix était très gaie. épreuve de la maladie et de l’hospitalisation.
Elle parlait vite et fort. L’hospitalisation d’Émile Le sein est vu ici comme un objet qui représente
avait beaucoup renforcé nos relations. On s’ap- la mère tout entière, et son pouvoir protecteur et

pelait tous les jours, soit eux pour donner des tout-puissant. Nous savons en effet que pour le
nouvelles, soit moi pour en prendre. Et, prati- jeune enfant, la maman ou le sein sont toujours
quement tous les deux jours, on se voyait à l’hô- responsables de ce qui survient (de bon ou
pital […]. En allant voir Émile sorti de l’hôpital, de mauvais). Dans la dynamique décrite par
j’avais fait un détour dans une grande surface l’observateur, le sein et les événements doulou-
de la place qui se trouve près de la maison des reux sont associés. Après ces événements,
parents afin d’acheter des cadeaux pour Émile. nous découvrons qu’Émile porte un gris-gris à
Je viens avec un sachet contenant des céréales son cou (ce qui a une fonction de protection)
et des petits pots. À mon arrivée, vers 17 heures, et les participants évoquent les croyances féti-
tout le monde est dans le couloir à cause de la chistes au Cap Vert, pays d’origine des parents.
coupure d’électricité. Toute la famille est réunie. Le grand frère adolescent semble avoir vécu un
Même Louis, le grand frère, est de la partie. moment de grand rapprochement avec Émile
C’est lui qui porte Émile. Celui-ci a beaucoup et a peut-être senti la fragilité des parents à
maigri mais garde un regard vif. Il me regarde ce moment, et le fait qu’il devait soutenir leur
tout en restant immobile. Katy, sa grande sœur, fonction parentale. Nous avons été frappés par
est à côté de sa mère. Je remets le sachet à la grande sensibilité de l’adolescent à l’égard du
Mme P. qui me remercie. La maman me dit bébé. De plus, sentant la détresse des parents,
qu’Émile ne quitte son grand frère que quand il il a dû essayer de les soutenir en prenant un peu
a faim ou qu’il a sommeil. Ce dernier ne va plus leur place.
104

Spirale 87
L’angoisse de perte de toute la famille semble

avoir renforcé les liens entre les deux frères…
L’observateur rappelle qu’après cet événement, une contribution à une meilleure connaissance
ils semblent avoir synchronisé leurs rythmes de du développement psychique des bébés et à
vie, dormant même ensemble. Ce rapproche- une amélioration de leur prise en charge.
ment a beaucoup touché les deux parents et
l’observateur. Cette observation, qui précède le La formation à la méthode elle-même reste un
premier anniversaire du bébé, a été un moment des déterminants de son efficacité psychique
crucial pour l’observateur et le groupe. L’obser- auprès des soignants intéressés. Nous restons
vateur a vécu directement les angoisses du par conséquent convaincus que cette méthode
bébé et de la famille, en les reprenant en lui, peut nous aider à changer profondément, et par
en les faisant siennes. Après cette observation, là même, à changer la qualité de nos pratiques
l’observateur a beaucoup parlé de la crainte avec les bébés, les enfants, et même les adoles-
d’être indifférent à la souffrance du bébé et de cents et leurs parents. La psychiatrie africaine
la famille : « Être là et ne rien dire, ne rien faire, d’aujourd’hui et, au-delà, le secteur sanitaire
ça pèse ! » Pourtant, la description de l’obser- en général, en ont singulièrement besoin pour
vateur nous montre que, malgré le fait « de ne pouvoir rester fidèles à une éthique de travail,
rien faire », le travail psychique a été intense et face aux défis que constituent les fortes muta-

certainement utile ! Mais cela a permis un travail tions sociales avec leurs cortèges de troubles
de compréhension beaucoup plus profond puis- liés à la gravido-puerpéralité et de maladies
que, comme nous l’avons vu, l’observateur a infantiles, et les forts taux de prévalence de la
partagé un vécu émotionnel très intense avec mortalité infanto-juvénile.
toute la famille, et ce partage émotionnel a beau-
coup aidé les parents et le bébé. Nous pensons Tenant compte de l’intérêt de cette méthode
que la famille a pu bénéficier de la présence, et de l’expérience engrangée après dix années
de l’attention et de l’élaboration psychique de de pratique, l’université Cheikh-Anta-Diop de
l’observateur et du groupe de discussion. Ces Dakar a créé, au titre de l’année académique
moments difficiles vécus par l’observateur et le 2017-2018, un diplôme universitaire sur l’obser-
groupe ont contribué à renforcer les liens entre vation du bébé selon la méthode Esther Bick.
la famille et l’observateur, et entre l’observateur
et les participants au groupe. Bibliographie
Conclusion
Ba, I., Sandri, R. 2009-2010. « Formation à l’observation
L’introduction en 2008 au Sénégal de la forma- selon Esther Bick. Mise en place d’un groupe au
tion des professionnels de la petite enfance à Sénégal, perspectives », Psychopathologie afri-
l’observation du bébé selon Esther Bick constitue caine, 35 (3), p. 259-278.
105

Résumé
L’introduction au Sénégal en 2008 de la formation à
l’observation du bébé selon la méthode Esther Bick a
suscité de nombreux questionnements de la part des
professionnels de santé et de l’enfance. Ces questionne-
ments étaient relatifs à son adaptabilité et à son utilité
dans notre contexte africain, sénégalais en particulier.
Cette méthode pratiquée jusque-là dans les pays du
Nord peut-elle être réalisée dans nos pays du Sud
comme le Sénégal ? Quelle peut être son utilité dans
des pays à forte morbidité et mortalité infanto-juvénile ?
Qu’est-ce que cette méthode d’observation du bébé
dans sa famille ou dans les lieux de soin peut apporter

aux bébés, aux familles, aux professionnels, à la santé
publique de façon générale ? Toutes ces questions
ont été posées par les participants aux séminaires
Delion, P. (sous la direction de). 2004. L’observation d’observation et ont fait l’objet de discussions dans
du bébé selon Esther Bick. Son intérêt dans la le groupe. Pour y répondre, nous partons du matériel
pédopsychiatrie aujourd’hui, Toulouse, érès, coll. clinique issu des observations du bébé réalisées au
« 1001 et un bébés ». Sénégal, qui nous ont permis d’aborder certains aspects
Gueye, M. 1976. Les psychoses puerpérales en milieu socioculturels relatifs aux représentations du bébé
sénégalais (à propos de 92 observations), thèse, dans la société traditionnelle sénégalaise, notamment
ucad, Dakar. la place du regard.
Haag, M. 2002. « La méthode d’Esther Bick pour l’ob-
servation régulière et prolongée du tout-petit Mots-clés
au sein de sa famille », tirage privé. Observation du bébé selon Esther Bick, psychiatrie,
Ly, O.D. 1997. « Souffrance psychique, imaginaire et Sénégal, aspects socioculturels, regard.
intervention dans la tradition. La valeur d’une
interaction », Psychopathologie africaine, 28 (3),
p. 339-356.
Meltzer, D. 1984. « Conférence sur l’objet esthétique », 1. Réalisée par Mame Absa Dieng.
Bulletin du gerpen, 3. 2. Réalisée par Idrissa Ba.
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Spi 087 0093

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Apports de l’observation du bébé selon la méthode Esther

Bick pour la psychiatrie au Sénégal

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Modalités d’observation du bébé

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La question de l’étranger peut se poser, mais il Il ne faut pas entretenir de relations

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L’intérêt pour les parents d’accueillir un observa-

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traditionnelle, « l’œil de la mère » a une fonc-

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toujours possible du sorcier anthropophage

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C’est l’observatrice qui, lorsque le bébé est Commentaires

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