Vous êtes sur la page 1sur 10

Venance Grumel

Les « douze chapitres contre les iconomaques » de saint


Nicéphore de Constantinople
In: Revue des études byzantines, tome 17, 1959. pp. 127-135.

Citer ce document / Cite this document :

Grumel Venance. Les « douze chapitres contre les iconomaques » de saint Nicéphore de Constantinople. In: Revue des études
byzantines, tome 17, 1959. pp. 127-135.

doi : 10.3406/rebyz.1959.1201

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1959_num_17_1_1201
LES « DOUZE CHAPITRES
CONTRE LES ICONOMAQUES »
DE SAINT NICÉPHORE DE CONSTANTINOPLE

Depuis quelque vingt ans, saint Nicéphore de Constantinople, le


grand apologiste du culte des images, a fait l'objet d'importants tr
avaux auxquels on ne saurait assez rendre hommage. Nous les rappe
lonsici. C'est d'abord une recherche, fort érudite, modestement qualif
iéede note, du R. P. Blake : « Note sur l'activité littéraire de Nicé
phore Ier, Patriarche de Constantinople » (Byzantion, XIV, 1939, p. 1-15),
puis deux études plus considérables, l'une de J. A. Visser, Nikephoros
und Bilderstreit, Haag, 1952, et l'autre, retraçant toute la vie du per
sonnage et les divers aspects de son activité, The Patriarch Nikephoros
of Constantinople : Ecclesiastical Policy and Image Worship in the
Byzantine Empire, Oxford, 1958, par P. J. Alexander. Grâce à eux,
nous sommes désormais beaucoup mieux renseignés sur l'un des chefs
les plus représentatifs de l'Église byzantine, ainsi que sur l'une des
périodes les plus critiques de son histoire. Mais il arrive aux meilleurs
ouvriers, quelles que soient leur compétence et leur évidente applica
tion, d'être, une fois ou l'autre, victimes d'oublis ou d'inadvertances.
C'est ainsi que les auteurs que nous avons nommés ont omis de signaler
un opuscule de saint Nicéphore, court, il est vrai, mais dont l'impor
tance documentaire est de premier ordre pour l'histoire de ce patriarche
et de la seconde période inonoclaste. Aussi croyons-nous utile
d'attirer l'attention des historiens sur cet écrit oublié et heureux
sommes-nous d'apporter ainsi quelque contribution aux études nicé-
phoriennes.
L'opuscule dont nous parlons est ainsi désigné en abrégé : « Les
Douze chapitres contre les iconomaques de Nicéphore de Constant
inople». Le titre original, que nous donnons plus loin, est beaucoup
plus long : il ne nomme pas les iconomaques. Cet écrit de Nicéphore
est connu depuis plus de trois siècles par une traduction latine faite
par Turrianus (Torres) sur un manuscrit du Vatican non désigné,
et publié pour la première fois avec d'autres pièces du même auteur,
128 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

dans les Antiquae Lectiones de H. Canisius, au tome IV (1603). De là,


il est passé dans YAuctarium de la Bibliotheca Veterum Patrum
(Paris, 1610), t. II, p. 729-731, puis dans la Magna Bibliotheca Veterum
Patrum (Cologne, 1618), t. IX, p. 17-18, et dans le Thesaurus Monumen-
torum Ecclesiasticorum et Historicorum de Basnage (Amsterdam, 1725),
p. 1 sq., très probablement aussi dans d'autres collections, mais
point dans celle de Migne. Il faut dire que cet éditeur avait à sa dis
position la masse considérable de textes grecs de saint Nicéphore
publiés par le cardinal Mai dans sa Nova Patrum Bibliotheca. Ébloui
sans doute par cette riche moisson, il en aura oublié de vérifier si les
quelques textes jusqu'alors connus en latin se trouvaient tous absor
bésou non dans l'énorme apport du texte original. Notre opuscule,
de ce fait, est absent de sa Patrologie grecque. Cette lacune, jointe
à ceci qu'on n'a généralement pas l'habitude,' ni le goût, ni souvent
l'occasion ou la facilité, ou même tout simplement l'idée de compulser
les anciennes collections des Pères, surtout si elles n'offrent qu'un
texte latin, rend bien compréhensible que nos érudits aient pu n'avoir
aucune connaissance des traductions latines de Turrianus.
Ce qui paraît moins explicable, surtout de la part de ceux qui ont
fait une recherche spéciale sur les écrits de Nicéphore, savoir Blake x
et Alexander, c'est l'ignorance où ils sont des éditions grecques de
notre opuscule, dont la première, due au cardinal A. Mai, a déjà plus
d'un siècle d'existence et est accessible dans une collection de textes
que possède toute grande bibliothèque, à savoir le Spicilegium Roma-
num. On l'y trouvera au tome X (paru à Rome en 1844), IIe partie,
pp. 152-156. Le texte est tiré d'un codex Vaticanus du xne siècle.
L'éditeur n'a pas manqué de rappeler que cette pièce se trouvait déjà
en traduction latine, celle de Turrianus, dans les Antiquae Lectiones
de Canisius. A la suite de ce premier opuscule de Nicéphore, Mai en
éditait un autre, transmis aussi par la traduction de Turrianus dans
les Antiquae Lectiones : De differentia Imaginis Christi et Crucis,
Decem syllogisticae demonstrationes. Cet opuscule n'est pas un écrit
à part, comme le croyait d'abord Mai après Turrianus, mais fait
partie du IIIe Antirrheticus de Nicéphore, que le savant cardinal
allait éditer quelques années plus tard dans la Nova Patrum Biblio
theca, t. V (reproduction dans P. G., t. C, col. 428 C — 433 A).
L'autre édition grecque des Douze chapitres contre les iconomaques

1. Blake a même poussé le soin jusqu'à consulter Mgr Devreesse, alors vice-préfet à la
Vaticane, qui lui a indiqué les écrits de Nicéphore qu'il connaissait dans cette bibli
othèque; parmi eux ne figure pas celui dont nous nous occupons.
LES DOUZE CHAPITRES CONTRE LES ICONOMAQUES 129

est celle de Papadopoulos-Kérameus, parue dans une collection bien


connue des byzantinologues, les 'Ανάλεκτα ιεροσολυμιτικής σταχυολογίας,
t. I (1891), p. 454-460. Le savant grec la tirait d'un manuscrit
très ancien, certainement du xe siècle, le cod. 2 de Sainte-Croix. Il
ne connaissait pas alors, en donnant cette édition, celle de son prédé
cesseur, dont il eût pu profiter en quelques endroits, mais, quelques
années plus tard, en décrivant ledit manuscrit dans le t. III de sa
Ίεροσολυμιτική βιβλιοθήκη (1897), et en rappelant à cette occasion
sa propre édition, il porte un jugement très sévère sur celle de Mai,
qu'il qualifie de « lacuneuse et de très mauvaise ».
Si aucune de ces deux éditions n'a été connue de nos spécialistes,
ce n'est pas faute d'avertissement. Un recueil documentaire uni
versellement connu, le Dictionnaire de théologie catholique, a mentionné
l'une et l'autre, l'une à l'article Iconoclasme (par C. Emereau), où
était indiquée l'édition de Papadopoulos-Kérameus, l'autre à l'article
Nicéphore de Constantinople (par R. Janin), où était indiquée l'édition
de Mai. Ces mentions ne sont pas dans le corps de l'article — c'est
peut-être un tort — mais seulement dans la bibliographie, qu'on n'a pas
consultée avec une attention suffisante. A défaut de ces mentions dis
crètes, il y en a d'autres, très explicites, celles-là, qui ont échappé —
comment? pourquoi? — à l'enquête de nos spécialistes. En effet,
j'ai personnellement, par trois fois — je m'excuse de le rappeler —
attiré l'attention sur ce document : d'abord dans mon article : « Quel
ques témoignages byzantins sur la primauté romaine » (Echos d'Orient,
t. XXX (1931), pp. 423-424), où je cite un extrait, d'après l'édition
de Papadopoulos-Kérameus; j'y indique les anciennes éditions latines
ci-dessus (à l'exception de la première, celle de 1603, que je n'avais
pas encore repérée) ; ensuite, dans mon article : « Nicéphore de Constant
inople et la primauté romaine » (U Unité de V Église, t. IV, nov.-
déc. 1935, p. 546), où je mentionne les deux éditions; enfin dans un
recueil qui doit être à la portée, comme instrument de travail, de
tout byzantiniste : Les Regestes des Patriarches de Constantinople
(voir « Nicéphore Ier », dans les remarques finales, où sont les références,
fasc. II, 1936, p. 39-40). J'y explique que cette pièce ne peut prendre
place dans la série des « actes » de Nicéphore, parce qu'il est posté
rieur au temps de son patriarcat.
Ces observations achevées, revenons à notre document.
Des deux éditions que nous avons signalées, la seconde est assur
émentla meilleure, l'ouvrier étant pour le moins aussi bon et le manus
critutilisé étant meilleur. Si celle de Mai est déficiente, c'est que l'éditeur
9
130 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES
ne pouvait connaître ni même soupçonner le manuscrit de Sainte-
Croix, tandis que Papadopoulos-Kérameus a fait son édition en igno
rant celle de Mai, qu'il pouvait connaître et qui, en quelques endroits,
aurait pu lui être utile. Lacuneuse, l'édition romaine l'est assurément,
car il y manque un long passage qui tient une page dans l'édition de
Papadopoulos-Kérameus : il consiste en une suite de citations des
Pères commentant la parole de saint Paul : Conservez les traditions
que vous avez reçues soit par écrit, soit sans écrit. Leur absence ne nuit
absolument en rien au sens du document et à la suite des idées. Gomme
autres lacunes, il y a à signaler, au chapitre vu, les mots Δοκήτων και
Εύτυχιτών qu'il faut placer après Μανιχαίων dans la désignation des
ancêtres des iconomaques ; au chapitre ix, le mot κατά (ρ. 458, 1. 26
dans P.-K.), qui manque dans Mai; à la fin du chapitre x, la proposi
tion : και ήδη και δια τοΰτο τοις κανόσιν υπόκεινται. Au chapitre vi,
les deux éditions sont différemment lacuneuses et se complètent
mutuellement : dans l'édition romaine, à l'endroit où est indiquée
la présence au VIe concile œcuménique « des autres trônes aposto
liques et archiératiques », il manque après αρχιερατικών θρόνων les
mots διά τε των συνοδικών γραμμάτων και οικείων τοποτηρητών, etc
Ιχρήσαντο αυτοί οι αρχιερείς προς το έπιτελεσθήναι την σύνοδον.
Par contre, immédiatement après ce texte, il manque dans
Pap.-Kér. plusieurs mots qui sont dans Mai et que nous soulignons
ici : ής (i. e. συνόδου) και εν τω δρω οι νυν άποστήσαντες υπέγραψαν,
τά τε Ιδιόχειρα αυτών πατήσαντες (και εαυτούς άναθεματίσαντες deest
in Mai) και την έπ'αύτοΐς ... Au chapitre iv, il manque dans Pap.-
Kér. la désignation numérique du concile : τετάρτου. Enfin, Pap.-
Kér. est à corriger à la p. 459, 1. 19, où l'on lit Δια τούτων πάντων ένεκεν.
A la place de διά, il faut διό (c'est pourquoi), comme dans Mai.
Après cette brochette de remarques sur le texte édité, où sont négli
gées les variantes minimes (synonymes, interversions de mots), pas
sons à l'analyse du document. Voyons d'abord le titre : Les Douze
Chapitres de notre saint Père Nicéphore patriarche de Constantinople
par lesquels sont confondus les chefs de V apostasie qui ont attaqué notre
foi à nous chrétiens et repoussé V « économie » faite dans la chair et pour
notre salut du Seigneur Christ notre Dieu — · d'Où il résulte qu'ils se
trouvent selon les divins canons et les lois conformes à la religion étran
gers à la sainte Église de Dieu, de sorte qu'il ne leur est pas permis de
prendre la parole à Véglise ni au tribunal commun et public.
Il est à noter que ce titre est précédé dans l'édition de Pap.-Kér. de
cet autre : σύμβολον πίστεως. Celui-ci ne saurait évidemment lui
LES DOUZE CHAPITRES CONTRE LES ICONOMAQUES 131

convenir; il est du reste absent de l'édition romaine. C'est sans doute


originairement une indication marginale employée comme point de
repère et passée ensuite dans le texte.
Le chapitre Ier établit le principe général de l'autorité de l'Église
qui s'exprime par la tradition soit écrite, soit non écrite. Les chapitres n,
m et iv exposent que les nouveaux hérétiques sont condamnés par
les conciles Ier, IIIe et IVe, qui professent la nature humaine du Christ
que détruit leur prétention de déclarer le Christ απερίγραπτος. Le
chapitre ν s'appuie sur le canon du VIe concile (in Trullo), qui inter
ditd'employer des icônes représentant V « Agneau » et ordonne de
les remplacer par des images du Christ. Le chapitre vi rappelle le IIe
concile de Nicée sur les images, véritablement œcuménique à cause de
la participation des autres trônes apostoliques, à l'horos duquel ont
souscrit ceux qui ont maintenant apostasie et se sont par là anathe
matises. Le chapitre vu accuse les iconomaques de nier la réalité
de l'Incarnation du Christ et de la tenir pour apparente, à la suite des
manichéens, des docètes et des eutychiens, du fait qu'ils déclarent
le Christ απερίγραπτος selon son élément humain (κατά το άνθρωπί,νόν).
Le vine leur reproche d'avoir, dans leur mépris de la tradition, démoli
les temples, enfoui les autels, brûlé les images sur les places publiques,
brisé les vases sacrés, et avec cela foulé et effacé la croix du Christ,
plus criminels envers ces symboles de notre foi que les Juifs et les
païens eux-mêmes. Le chapitre ix les accuse d'être les auteurs de la
persécution des chrétiens : mutilation des membres, sang versé, morts
violentes, chaînes et prisons, faim, exils, confiscations, en y excitant
les impies qui étaient au pouvoir par des promesses de longue vie et
prospérité, dont l'événement a montré le caractère mensonger. Le
xe les accuse d'avoir corrompu les écrits des saints Pères. Le xie leur
reproche de s'être séparés de l'Église catholique et d'avoir fait des
conventicules schismatiques.
Le xne regroupe l'ensemble des articles précédents : par leur apos
tasie de la foi de l"Église catholique, leur mépris des coutumes, lois et
mystères des chrétiens, et par l'anathème jeté par eux contre les
saints Pères, ils se trouvent rejetés par les trônes apostoliques et n'ont
aucune part avec les orthodoxes, sont sujets à mille peines et anathèmes
et sont privés de l'espérance et du salut des chrétiens.
Comme on le voit, cet opuscule n'est pas un écrit de controverse.
Aucune discussion, aucune argumentation. C'est un exposé, une liste
des crimes et forfaits pour lesquels les chefs de l'hérésie se trouvent
rejetés de l'Église catholique. Tous les chapitres commencent par δτι
132 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

(parce que) et sont suspendus à cette particule causale. C'est une suite
d' « attendus » qui appellent une sentence. Et la sentence, la voici.
« A cause de tout cela, même s'ils paraissent quelque jour se repent
ir de leurs blasphèmes et de leurs crimes, ils ne peuvent pas être
reçus de Dieu et de l'Église catholique, car leur repentir n'est pas
sincère, quoi qu'ils promettent, mais faux et simulé. Nous savons en
effet que telle est la religion des Manichéens dont ils sont les associés
et les mystes; ils imposent pour loi et dogme à leurs initiés, s'ils sont
surpris par les chrétiens et doivent rendre compte de leur erreur misé
rable, d'avoir à la nier et à la rejeter, mais ensuite, dès que l'occasion
se présente et qu'ils en ont la liberté, de retourner à leur vomisse
ment et de s'attacher à leur erreur et impiété. Aussi, celui qui les reçoit
devient compagnon de leur perte et est soumis à mille anathèmes. » Et
ici le patriarche invoque l'attitude de l'évêque de Rome envers les
iconomaques comme preuve qu'ils sont bien séparés de l'Église cathol
ique. « Qu'ils soient rejetés de l'Église catholique, on en a le témoi
gnage et l'assurance dans les lettres envoyées, il y a peu de temps, par
le très saint et très bienheureux hiérarque de l'ancienne Rome, c'est-
à-dire du Siège premier et apostolique, et encore dans la conduite
de ses topotérètes et apocrisiaires, qui non seulement n'ont point
communié avec eux, mais n'ont même pas voulu les voir ni les entendre
aucunement, et finalement ont refusé de prendre le repas avec eux. »
Et le patriarche de terminer : « A cause de toutes ces choses, nous
aussi (c.-à-d. comme les apocrisiaires du pape) nous repoussons la
communion et refusons de nous rencontrer avec eux pour ne pas
tomber sous le même anathème qu'eux, et nous trouver extérieurs
et étrangers aux trônes apostoliques, et — ce qui est pire que tout —
déchus du royaume du Christ notre Dieu et condamnés au feu éternel. »
Ce document appelle quelques remarques. Commençons par le situer
chronologiquement. Nous avons vu plus haut au chapitre vi que
Nicéphore dit que les promesses de longue vie et prospérité faites
aux souverains iconomaques ont été démenties par les événements.
Il ne pouvait s'exprimer de la sorte tant que Léon V était au pouvoir.
C'est donc après la mort de cet empereur que le document a été écrit.
Les dernières lignes de la conclusion permettent de préciser en quelles
circonstances. Elles expriment en effet le refus très net du patriarche
de communier avec les chefs de l'hérésie et même de converser avec
eux. Or, on sait qu'après la mort de Léon V (25 déc. 820), le nouvel
empereur invita les orthodoxes à une discussion avec les chefs de
l'hérésie pour arriver à un accord, ou du moins à un modus vivendi.
LES DOUZE CHAPITRES CONTRE LES ICONOMAQUES 133

Son idée à lui, pour le moins au début, était de laisser chacun libre de
vénérer ou de ne pas vénérer les images, comme étant chose indiffé
rente, pourvu seulement que rien ne fût changé dans la capitale où
aucune image ne devait plus paraître 2. Les iconophiles ne pouvaient
accepter un tel compromis.
On connaît le refus des évêques et des higoumènes orthodoxes par
la lettre que Théodore Studite écrivit en leur nom 3. Notre document
manifeste celui de Nicéphore. Le patriarche, d'un ton ferme et décisif,
repousse catégoriquement tout contact avec les hérésiarques. Ils
sont hors de l'Église; on ne doit point les rencontrer ni même espérer
leur conversion. Ces invitations à la paix religieuse eurent lieu dans
les premiers mois de 821. On peut même préciser la circonstance, à
savoir la vacance du trône patriarcal, mars-avril 821. C'est alors en
effet que les conditions étaient les plus favorables. L'apaisement
apporté par le changement de régime devait se prolonger et se comp
léter à l'occasion du changement de patriarcat. On a du reste une
indication de Théodore Studite qui ne permet pas de s'écarter du
premier trimestre 821. Dans une lettre écrite sur la fin de la guerre
civile soulevée par Thomas le Slave, Théodore, à l'occasion d'une
nouvelle invitation impériale à discuter avec les iconoclastes, rap
pelle celle qui a été faite par le basileus régnant (Michel II), il y a
trois ans, προ τριών ετών et le refus qu'il y a opposé, et aussi celui du
patriarche 4. Or Thomas le Slave fut pris et supplicié au milieu d'oc
tobre 823 5. On voit que les trois ans ne sont pas même achevés
depuis l'avènement de Michel II. Il est donc nécessaire de placer l'opus
cule de Nicéphore à la fin de l'hiver ou au début du printemps 821,
et sans nul doute, dans la circonstance de la vacance. Il suit de là que
l'ambassade mentionnée ne peut être que celle du pape Pascal Ier
sous Léon l'Arménien. Comme très probablement elle eut lieu en 818,
cela correspond au temps marqué par Nicéphore προ χρόνων τινών
(peut-être y avait-il τριών) 6. Cette ambassade ne paraît pas chez les
anciens chroniqueurs byzantins, et est passée inaperçue des histo
riens modernes.
Il reste un dernier point à relever dans l'opuscule de Nicéphore, à

2. Vita Theodori, n. 118; P. G., XCIX, col. 221.


3. Theodori Studitae Epist. Sirmondi coll., n, 86; P. G., 99, col. 1329-1332.
4. Sirm., n, 129; P. G., t. C, col. 1417 B.
5. Genesius, Bonn, 44-45; Theoph. Cont., Bonn, 47, 70. Cf. Bury, A History of Eastern
Roman Empire from the Fall of Irene bis the Accession of Basile I (802-867), p. 462-464.
6. Toutefois, la leçon de Pap.-Kér. est πρό Χρόνου τινός, ce qui est indéterminé, mais
doit signifier ici : « il y a peu de temps », comme nous avons traduit ci-dessus.
134 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

savoir l'opposition irréductible de ce patriarche non seulement à


l'iconoclasme, mais aux iconoclastes, déclarés pour toujours séparés
de l'Église, à l'égal des Manichéens dont il est vain d'attendre une
conversion sincère, qu'on estime impossible.
Cette attitude est à situer dans le cadre des discussions entre ortho
doxes sur la conduite à tenir envers les inonoclastes repentants. Au
temps de la persécution, Théodore Studite les recevait à pénitence
et arrêtait leur situation canonique, s'ils étaient prêtres ou diacres.
D'autres que lui, évêques et prêtres, en firent autant. Une telle conduite
fut approuvée au temps de l'accalmie (en 821) dans une réunion du
patriarche et de plusieurs évêques, Théodore étant présent 7. Mais
bientôt un libelle parut, sous forme de lettre encyclique, qui procla
maitirrémissible le péché d'iconoclasme et jetait le blâme sur tous
ceux qui avaient réconcilié les repentants. On y prétendait que les
iconoclastes étaient des manichéens et que c'est une loi pour les mani
chéens, lorsqu'ils renoncent de bouche à leurs erreurs, de les conser
ver dans leur cœur, et qu'ainsi toutes leurs confessions étant feintes,
on ne doit jamais les recevoir dans l'Église. L'auteur du libelle était
un simple moine nommé Théodore. Il envoya son encyclique, bien
entendu, à son célèbre homonyme. Dans la réponse qu'il lui fit, celui-
ci le reprit vivement sur cette audace qui le faisait s'ériger, lui simple
moine, en législateur de l'Église. Sur le fond, il répond ce qui suit :
Entre iconoclastes et manichéens il y a une similitude ou assimilation,
mais non identité; c'est comme quand l'Apôtre dit que l'avarice est
une idolâtrie : l'une n'est l'autre que par similitude; on traite en effet
différemment les avares — -ils sont nombrex parmi nous, dit saint Théo
dore — et les idolâtres; de même on ne doit pas traiter les iconoclastes
comme les manichéens 8. Est-ce à dire que Théodore partageait la
même idée que l'auteur du libelle sur la conduite à tenir envers les
manichéens? Certainement non, mais il se place sur le plan de l'auteur
du libelle. Lui-même, en effet, s'était vivement élevé autrefois contre
le décret de Michel Ier vouant à la mort tous les manichéens, et il
déclare dans une de ses lettres à propos de ce décret que ce qu'il y
a à faire pour les hérétiques, c'est, non de les maudire, mais de prier
pour eux et de les instruire 9. Il était de ces opposants dont Théo-
phane dit, en les blâmant, qu'ils avançaient pour prétexte la conversion

7. Theod. Stud. Epist., Sirm. π, 152; P. G., 99, col. 1473 B.


8. Id., π, 162; P. G. 99, col. 1504-1516.
9. Id., il, 155; P. G. 99, col. 1481-1485.
LES DOUZE CHAPITRES CONTRE LES ICONOMA.QUES 135

possible de ces impies 10. Quant au patriarche Nicéphore, son attitude


antérieure à ce sujet est caractérisée par le fait que c'est lui-même, avec
son synode, qui avait provoqué l'édit de mort contre les Athingiens
et les Pauliciens ou manichéens, par la raison qu'ils étaient inconver-
tissables u. On voit ici que son sentiment à leur égard n'a pas varié.
Mais on voit en outre qu'il pousse, lui aussi, jusqu'au bout l'assimi
lationentre iconomaques et manichéens, et qu'à cause de cela il les
considère comme définitivement et irrémissiblement rejetés hors de
l'Église catholique, toute conversion de leur part ne pouvant qu'être
fausse et simulée. Il est juste d'ajouter que cette position extrême
de Nicéphore envers les iconoclastes ne concerne que les chefs de
l'hérésie et les doctrinaires. C'est d'eux en effet qu'il s'agit dans son
opuscule. C'est pourquoi il pouvait approuver la condescendance
envers ceux qui n'avaient failli que par faiblesse.
Comme on a pu s'en apercevoir, l'opuscule de Nicéphore que nous
venons de présenter est le document-témoin de la prise de position
de ce patriarche au lendemain de la mort de Léon l'Arménien et à
l'avènement du nouveau souverain qui voulait amener la paix dans
l'Église par un essai de rapprochement des solutions extrêmes. Il
méritait par là d'avoir une place de choix dans l'histoire de l'icono-
clasme de cette période, et bien entendu dans celle de ce patriarche.
Dans un prochain article, nous attirerons l'attention sur un autre
écrit de cette période, généralement oublié des historiens, qui ne le
cède pas en importance à l'opuscule de Nicéphore, je veux parler de
la lettre de Pascal Ier à Léon l'Arménien, et, à cette occasion, de la
double ambassade de cet empereur au pape et de ce pape au basileus.
V. Grumel.

10. Théophane, Chronographia, a. 6304, éd. C. de Boor, I, p. 495, 1. 1-6.


11. Ibid.; cf. V. Grumel, Regestes..., n° 384.

Vous aimerez peut-être aussi