Racf 0220-6617 1986 Num 25 1 2466

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Revue archéologique du Centre

de la France

Dessin et archéologie / Drawing and archaeology


Pierre Laurent

Résumé
L'auteur examine la spécificité et les applications du dessin archéologique comparé à d'autres méthodes, en distinguant le type
de réalisme le mieux adapté à la publication. Quelques données techniques fondamentales accompagnent ces principes en
essayant de situer les problèmes dans un ensemble aussi proche que possible de la réalité concrète.

Abstract
The author sets off the specificity and the application of Archaeological drawing compared with other methods. Moreover he
distinguishes the kind of realism the best adapted to publication. Some technical and fundamental datas are given with these
principles while trying to replace problems as closely as possible to the concrete reality.

Citer ce document / Cite this document :

Laurent Pierre. Dessin et archéologie / Drawing and archaeology. In: Revue archéologique du Centre de la France, tome 25,
fascicule 1, 1986. pp. 87-98;

doi : https://doi.org/10.3406/racf.1986.2466

https://www.persee.fr/doc/racf_0220-6617_1986_num_25_1_2466

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Notes et documents 87

Dessin et archéologie1
DRAWING AND ARCHAEOLOGY
par Pierre LAURENT*

Mots-clefs : Iconographie, Archéologie, Méthodologie, Sélection.


Key-words : Iconography, Archaeology, Methodology, Selection.
Résumé : L'auteur examine la spécificité et les applications du dessin archéologique comparé à d'autres méthodes,
en distinguant le type de réalisme le mieux adapté à la publication. Quelques données techniques fondamentales
accompagnent ces principes en essayant de situer les problèmes dans un ensemble aussi proche que possible de la
réalité concrète.
Abstract : The author sets off the specificity and the application of Archaeological drawing compared with other
methods. Moreover he distinguishes the kind of realism the best adapted to publication. Some technical and
fundamental datas are given with these principles while trying to replace problems as closely as possible to the
concrete reality.

Les quelques remarques que nous présentons ici sont inspirées par une longue fréquentation des vestiges, des
objets archéologiques, et par la mise en œuvre de méthodes propres à les faire connaître et apprécier. Elles portent
sur la qualité des documents graphiques utilisés dans les revues spécialisées ou les ouvrages de plus grande
diffusion.
L'illustration doit présenter, concrètement, le plus souvent en noir sur blanc, de façon parfaitement claire, des
images permettant de se faire une idée précise d'un objet ou d'un témoignage du passé. Si cette mission n'est pas
remplie, la publication perd une partie parfois importante de sa valeur, et cette insuffisance dans le témoignage
risque d'engendrer des erreurs d'interprétation et des discussions sur la nature même du document fourni. Bien des
problèmes ont pour point de départ de mauvais documents figurés.
La description écrite (quelquefois un peu rapide) suppose chez le lecteur un certain niveau de connaissances
spéciales, ce qui n'est pas nécessairement le cas. Le texte peut essayer de convaincre abstraitement, d'affirmer, de
suggérer, mais non de montrer. S'il s'agit d'un témoin matériel rare ou complexe, voire inconnu auparavant, il restera
indéfini, brumeux et même obscur, donnera lieu à des discussions sans fin et finira par être négligé, à moins d'être
publié à nouveau dans de bonnes conditions, par le même archéologue ou, le plus souvent, par un autre. Que de
temps et de travail inutilement gaspillés !
Le Professeur r. vaufrey, dont on connaît l'admirable travail scientifique et la qualité qu'il exigeait des
mémoires publiés dans L'Anthropologie, disait souvent à ses collaborateurs : « Après trente ans, et peut-être moins,
l'illustration est la seule partie d'un travail qui n'ait rien perdu de sa valeur ». En Préhistoire, ce principe paraît se
vérifier dans la plupart des cas. Mais n'en serait-il pas de même dans les autres domaines de l'archéologie ?

1. LE DOCUMENT GRAPHIQUE ARCHEOLOGIQUE.


1.1. LE DOMAINE ARCHEOLOGIQUE.
On a dit que certains archéologues fouillaient et ne publiaient pas, ou publiaient avant de fouiller. On a dit aussi
que quelques-uns fouillaient bien mais publiaient mal, ou que de mauvaises fouilles avaient donné lieu à de belles
publications : il s'agit évidemment là de propos diffamatoires. Il est souhaitable que les sites soient à la fois bien
fouillés et bien publiés. Notre propos étant d'examiner un certain nombre de questions relatives à la bonne
publication, nous donnerons, chemin faisant, quelques exemples. Le terme d'Archéologie, aux sens multiples dans le
temps et dans l'espace, est passé d'une signification générale (étude du passé) à une autre plus restreinte (étude
des témoignages matériels du passé). Notre définition du dessin archéologique sera : la représentation des objets
du passé, quels que soient leur âge et leur provenance, de l'éclat du silex à la sculpture monumentale, en vue de
les transformer en documents plans scientifiquement exploitables, généralement publiables. Les dessins
topographiques, cartographiques, les plans et les coupes stratigraphiques, les relevés architecturaux ne seront pas
considérés ici sous leur aspect de documents de terrain, mais seulement au stade graphique de la publication ; d'une
façon générale, ces dessins sont amenés à leur forme définitive par d'excellents spécialistes, pour qui les pièges
techniques et de la publication n'ont pas de secret.
1. Cette étude fait suite à un article : Le dessin des objets préhistoriques : une introduction. (R. A. CF. 24, 1 , 1985, 83-96, 10 Fig.) mais de façon
indépendante. Les études suivantes porteront sur d'autres questions, souvent d'actualité mais ayant toujours pour objectif principal le document
graphique.
* Ingénieur au C.N.R.S., Université de Bordeaux I, Institut du Quaternaire, U.A. 133 C.N.R.S., avenue des Facultés, 33405 TALENCE Cedex.
R.A.C.F. 25, 1, 1986.

Les objets étudiés, qu'ils proviennent de fouilles, de collections publiques ou privées, n'ont d'abord qu'une
existence scientifique limitée, potentielle, pourrait-on dire. Une seconde et très importante étape de leur existence
commence avec leur révélation aux yeux d'un plus large public, permettant à tous les spécialistes, amateurs ou
professionnels, d'en tirer des éléments utiles à la recherche, à l'Histoire, voire au plaisir esthétique. C'est cette
seconde naissance qui est assumée par la publication. Il faut qu'elle se fasse dans les meilleures conditions et que
la photo du bébé ne soit pas ratée.
1.2. LE DOMAINE GRAPHIQUE.
La place et l'importance données à la partie graphique dans les articles et les ouvrages sont extrêmement variées.
L'illustration est considérée comme importante ou secondaire suivant les cas : l'éditeur, le Comité de rédaction,
jouent souvent un rôle important, mais peut-être moins que les règles administratives, le budget, et surtout les
habitudes, salutaires quelquefois, stérilisantes souvent.
Les conditions matérielles de réalisation (papier, qualité d'impression) ont une influence déterminante sur le
résultat final, ce qui fait que deux figures identiques, reproduites dans deux éditions différentes, vont changer
singulièrement d'apparence. Les Recommandations aux auteurs, si elles existent pour la réalisation et la présentation
des figures, sont souvent insuffisantes, imprécises ou trop dogmatiques ; quelquefois, elles semblent ignorer les
techniques nouvelles d'impression. Une information correcte, sans ambiguïté, doit être fournie aux auteurs, mais
en leur laissant une certaine souplesse dans la présentation, en fonction de leurs préoccupations propres, ceci,
finalement, pour le plus grand bien de l'étude publiée.
Il est évidemment plus difficile de donner aux auteurs des conseils sur la qualité graphique et la lisibilité des
représentations d'objets : ce qui est valable pour un plan ou une coupe peut être insuffisant pour un silex taillé ou
une statuette de terre cuite. Sous cet aspect qualitatif, il arrive que des figures soient soumises à un sévère filtrage,
mais l'état actuel d'un grand nombre de publications périodiques laisse quelque doute sur l'efficacité du filtre.
1.3. QUALITE.
Une sorte de sondage, opéré sur des publications récentes, permet de faire le point sur la qualité des dessins
présentés. Nous avons choisi quatre volumes d'études publiés en France, traitant, pour l'ensemble, de périodes allant
du Paléolithique à l'époque médiévale. Ce sont :
A - Eléments de Pré et Protohistoire européenne. Hommage à J.-P. Millotte, Besançon, Paris, 1984.
B - Influences méridionales dans l'Est et le Centre-Est de la France au Néolithique : le rôle du Massif-Central.
Actes du Colloque 1981 (1984), ouvrage collectif.
C - Revue archéologique du Centre de la France, Tome 23, 1 et 2, 1984.
D - Bulletin de la Société Préhistorique Française, Tome 81, 1984.
Chacun de ces volumes comporte un certain nombre d'articles plus ou moins étendus. Nous en avons sélectionné
quelques-uns et non la totalité, en fonction de l'importance de leur illustration.
Le choix des revues ou des recueils est évidemment arbitraire, et dans une certaine mesure, le choix des articles
aussi. Mais il ne s'agissait pas d'entreprendre une étude rationnelle sur un sujet qui ne l'était pas, mais d'obtenir
des résultats largement approximatifs. L'appréciation qualitative, elle, présente au moins deux défauts majeurs :
le sujet est lui-même subjectif (appréciation), et il n'est pas question de juger de la valeur scientifique du
témoignage sans connaître directement les objets concernés. On peut minimiser en partie ces objections en prétendant
qu'une grande habitude permet de déceler souvent l'esprit sous la forme...
Toutes ces réserves faites, nous avons choisi un barème de notation simple : bien (ou très bien), passable (ou
insuffisant), mauvais (ou très mauvais). Il nous a paru inutile de recourir à une pseudo-étude statistique fort
déplacée en la matière. Les chiffres en valeur absolue suffiront.
Le recueil A nous a donné, sur 25 articles retenus, 7 bons, 18 passables ; le recueil B, sur 14 articles, 3 bons,
9 passables et 2 mauvais ; le recueil C, sur 7 articles, 4 bons et 3 passables ; le recueil D, sur 19, 7 bons, 11
passables et 1 mauvais. Pour l'ensemble, sur 65 articles, 21 bons, 41 passables et 3 mauvais. Nous avons peut-être été
généreux pour les « notes », mais il se dégage de l'ensemble une tendance satisfaisante ; il y a vingt ans, les
résultats étaient beaucoup moins bons. Un progrès réel a été réalisé depuis les dernières décennies. Cette impression
est confirmée, d'un point de vue plus scientifique cette fois, par les comparaisons directes que nous sommes en
mesure de faire fréquemment entre les dessins exécutés en ce moment par les étudiants et les chercheurs par
rapport aux modèles.
Nous faisions allusion (§1.2.) à l'influence de la qualité matérielle de l'édition sur la qualité des figures
imprimées. Cette influence est vérifiée ici, où A semble défavorisé (impression assez grise), ainsi que B (impression
écrasée) ; C et D bénéficient d'un excellent papier, mais D s'en sert mal, en réduisant trop la plupart des figures.
A moins que la responsabilité en incombe aux auteurs imprévoyants ?

2. SPECIFICITE DU DESSIN ARCHEOLOGIQUE.


2.1. PHOTOGRAPHIE ET DESSIN.
Il est quelquefois tentant d'opposer, dans un choix de documents à publier, dessin et photographie, en
considérant les avantages et les inconvénients des deux procédés. Cette opposition n'a, dans la pratique, aucun sens.
Si la photographie, lors de son évolution, n'a pas supprimé l'utilisation du dessin, celui-ci ne saurait, dans de
nombreux cas, rivaliser avec elle. Ils sont complémentaires : à la photo de donner l'aspect direct, « réaliste » des
choses ; au dessin de donner une vision synthétique (après analyse), qui est déjà une interprétation.
Notes et documents 89

Le dessin va souvent utiliser une base photographique afin d'alléger une partie de l'étude préliminaire, et va aller
au delà, techniquement, de ce qui est directement perçu. La photo pourra également dépasser l'aspect visuel par
d'autres voies à l'aide de nombreux accessoires et de types d'éclairages adaptés ; elle pourra aussi changer l'échelle
de perception par de forts grossissements révélant des traces minimes. D'une façon générale, le dessin va se
consacrer à une représentation à l'échelle humaine, celle de nos sens.
Les possibilités des méthodes photographiques dans leur ensemble sont loin d'être épuisées. Après les techniques
rappelées plus haut, des incursions sont fréquentes dans les parties non visibles du spectre. La radiographie rend
de grands services. Le procédé a posteriori qu'est le redressement des vues optiques perspectives paraît séduisant
au premier abord mais déforme trop les reliefs.
La photogrammétrie a des applications nombreuses et diverses, en cours de développement, passant de la grande
architecture à la statuaire et aux cavités souterraines. De nombreux essais ont été faits pour son application aux
petits objets ; ils sont prometteurs dans certains domaines. Le banc périphotographique peut apporter beaucoup
à la publication des poteries peintes (courrier c.n.r.s., 1982), sans toutefois résoudre entièrement les problèmes de
géométrie sphérique.
Il est certain que les hologrammes, d'abord utilisés dans des domaines fort éloignés de l'archéologie, pourront
avoir des applications du plus haut intérêt. Différents aspects récents des méthodes physiques ont été abordés à
l'occasion d'une exposition au Grand-Palais (La vie mystérieuse des chefs-d'œuvre, 1980).
Ayant écarté l'idée d'une rivalité sérieuse entre photographie et dessin, il nous sera plus facile d'établir certaines
comparaisons d'emplois et de résultats.
pierre-Paul rubens, mettant son talent au service du grand amateur d'art peiresc (1580-iô37) dessina, en 1622, le
chef-d'œuvre qu'est le Grand Camée de France (ou Camée de Tibère ou d'Auguste). De grande taille, ciselé sur
sardoine, il fut conservé à la Sainte-Chapelle jusqu'à la Révolution ; il se trouve actuellement à la Bibliothèque
Nationale. Une excellente photographie (bianchi-bandinelli 1969) nous montre les personnages de la scène figurée
avec une grande précision. Le dessin de rubens, publié en Angleterre (pigott 1978, Fig. 11), montre à quel point le
dessin est fidèle : il est difficile, sinon impossible, de le prendre en défaut. De plus, il supprime des incertitudes
dans les zones d'ombre inévitables dans la photographie des reliefs ; il élimine quelques reflets suffisants pour
rendre la lecture incertaine ; il supprime les valeurs coloriées foncées, artistiquement utilisées lors de la ciselure, mais
qui masquent certains détails. La grande valeur scientifique de ce dessin s'explique-t-elle uniquement parce que
l'auteur en est rubens ? Peut-être pas. La fidélité de la reproduction était courante dans les temps
pré-photographiques, et l'artiste ne craignait pas de se soumettre au modèle ; il ne redoutait pas en cela une trahison de sa
personnalité. Il convient de souligner aussi que ce dessin est un original et n'est pas, en conséquence, trahi par une
copie gravée. Beaucoup de reproches d'inexactitude et de déviation formulés contre les auteurs d'illustrations
anciennes sont injustes : malgré leur grande conscience, les graveurs ne pouvaient que transposer.
La photographie en couleurs paraît résoudre aisément les problèmes posés par les peintures, puisque nous
disposons d'un arsenal considérable dans ce domaine. Tout n'est pas si simple, et les résultats ne sont pas grandement
satisfaisants.
Le domaine de la peinture est vaste, entre les grottes ornées, naturelles ou artificielles, et les milieux arides dont
on connaît la problématique graphique, les peintures murales occidentales ou orientales et les fresques médiévales,
toujours en péril. Ces différentes œuvres nécessitent des relevés exacts, souvent urgents. Les peintures de chevalet,
les panneaux, les rouleaux, les enluminures, les fresques détachées, qui se trouvent déjà en sécurité, sont
relativement faciles à relever d'une manière ou d'une autre. Si les sujets sont indéplaçables, l'opération risque de
devenir un cauchemar, sauneron l'évoque clairement pour les tombes égyptiennes : « ... le dégagement est incomplet,
ou la lumière nulle, ou l'encombrement est tel que les angles de prise de vue sont insuffisants ; ensuite le champ
de l'objectif ne correspond pas toujours à celui de l'œil... Ensuite viennent les problèmes dus à la dégradation des
parois, faussant l'image ou en dissimulant une partie, aux ombres portées... ». « Pour les peintures des tombeaux,
l'expérience montre que, dans l'état présent des techniques, les meilleures reproductions photographiques en
couleurs sont encore des trahisons ; jusqu'ici, seule la reproduction patiente à la main et l'impression en couleurs dans
certains cas privilégiés, ont pu se rapprocher suffisamment de l'original. » (sauneron 1968).
Le caractère à la fois analytique et synthétique du relevé manuel (qui utilise aussi les services de la photographie)
permet de triompher de la plupart des obstacles, à condition que les spécialistes chargés de ce travail soient
compétents, pointilleux sur l'exactitude, et possèdent un optimisme à toute épreuve. C'est de cette façon qu'ont été
relevées les fresques des tombes thébaines par les équipes de l'Oriental Institute de Chicago. Un ouvrage publié
en France (DAVIES 1954) permet d'apprécier ces relevés. Pour d'autres sujets, plus récents, les mêmes procédés ont
été employés en U.R.S.S. (mongait 1959).
Continuant leur œuvre jusqu'à ces dernières années, les égyptologues de l'Université de Chicago, après avoir fait
à Louqsor un extraordinaire travail, craignent de ne pouvoir continuer, faute de moyens, malgré l'imminence d'un
désastre : les bas-reliefs peints sont menacés de destruction par des remontées de sel, un des phénomènes
secondaires provoqués par le barrage d' Assouan.
Les photographies en couleur publiées il y a trente ans par les éditions Skira (Les Grands Siècles de la peinture)
sont parmi les meilleures réalisées avant celles de Jean vertut (Préhistoire, Egypte), mais elles sont loin de donner
satisfaction (CLERE 1957). Ainsi, contrairement aux apparences, la photographie n'est pas une panacée universelle,
non plus dans le domaine de la couleur. Ce sont surtout les publications commerciales à grand tirage qui bénéficient
de photos de qualité. Cet état de chose regrettable existe depuis longtemps (DAUX 1942), mais ne s'est pas démenti
au cours des ans. Les moyens de la fouille ou de la prospection sont souvent assurés ; il n'en est pas de même des
moyens de publication scientifique.
90 R.A.C.F. 25, 1, 1986.

2.2. REALISME VISUEL ET REALISME INTELLECTUEL.


Le document graphique d'archéologie doit être, par définition, réaliste. Mais ce réalisme peut se manifester sous
diverses formes.
Regarder un dessin (ou une photo), image unique d'un objet volumineux, équivaut à un bref coup d'œil sur
l'original, sous un seul angle, un « instantané », ce qui est très insuffisant. Réduire un volume à une représentation
plane exige de suggérer dans l'image-surface la troisième dimension ; cela peut se faire aisément. Mais l'aspect
métrique du sujet ne peut apparaître dans ces conditions : il faudra plusieurs vues, coordonnées par un système
de projections rigoureux, pour ne rien laisser dans l'indéfini.
Par là se trouve posée la question non plus du réalisme mais des réalismes.
Le réalisme visuel, direct, constitue une indication générale, disons photographique. Un autre type de réalisme
est le réalisme intellectuel. Le réalisme visuel va vouloir représenter ce que l'on voit ; le réalisme intellectuel ce
que l'on sait, ou ce que l'on déduit de sa vision. G. H. luquet avait abordé cette question, il y a une cinquantaine
d'années, en particulier dans deux études, l'une consacrée à l'art préhistorique (luquet 1926), l'autre, aux dessins
des enfants et des « primitifs » (luquet 1930). Bien des auteurs ont abordé le sujet sous un aspect ou sous un autre,
mais les travaux de luquet, un peu vieillis, restent intéressants grâce à un large éventail de comparaisons
graphiques.
Tout artiste, à partir du moment où il ne se consacre pas à un réalisme dépourvu d'imagination a tendance à
hiérarchiser les parties ou les détails des figures. Cette hiérarchisation peut être dictée par son milieu et demeurer
conventionnelle ou peut devenir, au contraire, très personnelle. Dans la représentation d'un personnage humain,
la tête sera presque toujours privilégiée, en fonction de ses vertus expressives. Pendant un libre apprentissage du
dessin, les enfants (précisons : dans les sociétés occidentales) montrent les attributs de leurs personnages au fur
et à mesure de l'apparition de l'intérêt psychologique qu'ils leur portent, luquet note, par exemple, que les
oreil es apparaissent d'abord dans les dessins d'un enfant, chez une dame, parce qu'elles sont indispensables pour le
port de boucles d'oreilles.
Le réalisme visuel peut rester fragmentaire, ou lacunaire, tout en devenant ce que nous appellerions «
surréaliste » — mais qui est un réalisme intellectuel : parties cachées ou internes chez un être vivant, dans un objet. « Le
rôle du dessin n'est pas de les faire voir [les attributs], mais de les faire comprendre » (luquet 1930 : 114). Nous
sommes là très près de la définition du dessin-document, à une différence près : il faut aussi montrer les attributs. Il
y a une finalité dans le choix des parties représentées, ce qui amène, en systématisant une tendance parfaitement
logique, à construire des figures de manière à ce que chacun de leurs éléments renforce l'identification du sujet.
Les figures humaines ainsi construites par les Egyptiens sont bien connues, plus que leurs interprétations des
constructions, des jardins et des bassins, si proches de nos dessins techniques (Fig. 1). C'est sans doute grâce à ce
réalisme intellectuel que les projections égyptiennes sont plus claires (au moins pour les dessinateurs) que de savantes
et confuses perpectives ; elles constituent une excellente leçon d'« analyse logique » des choses.
Ce document graphique archéologique procède du réalisme intellectuel, en conservant un réalisme visuel. Il est
appuyé par la connaissance particulière de la discipline concernée. Ce type de dessin, avec quelques autres utilisés
dans le cadre de la Recherche, a reçu le qualificatif de dessin « scientifique », sans doute parce que les termes «
artistique » ou « technique » paraissaient tous deux (peut-être à tort) inadéquats.
Il existe un troisième type de réalisme, dont l'emploi peut être dangereux dans le domaine qui nous intéresse.
C'est le réalisme artistique, non photographique, mais d'interprétation libre par rapport au sujet : l'anti-dessin de
rubens, en quelque sorte. En voici quelques exemples inédits exécutés au début du siècle par J. béguin, affichiste
connu sous le nom de j. d'Elen (Fig. 2). Les incontestables qualités artistiques de ces dessins, et, en particulier,
un relief obtenu par une technique « longitudinale » inspirée de la gravure, sont incompatibles avec le réalisme
exigé par le dessin d'industries lithiques. Les directions de percussion n'apparaissent pas, sauf dans les cas où le
relief ne pouvait être figuré autrement (elles sont toutefois décelables en raison de la qualité de rendu du relief).
Des plages noires trop voisines rendent l'impression difficile. Quelques dessins de j. béguin figurent dans un article
de E.G. gobert(1912) : ils sont plus satisfaisants parce que mieux adaptés à la représentation de la poterie ou de l'os,
plus proches des objets « classiques ».
2.3. ADAPTATION.
La mise au point d'un document correct implique une adaptation de la méthode de travail aux caractères
spécifiques d'un sujet, familier si le dessinateur est lui-même archéologue. Si le dessinateur est de formation artistique
(et uniquement artistique), il aura beaucoup de connaissances à assimiler pour mener à bien son travail ; il lui
faudra aussi oublier un certain nombre d'idées préconçues, venues des anciens ou des nouveaux académismes.
Beaucoup d'objets ou d'œuvres ont été défigurés parce que cette adaptation n'était pas réussie. Citons deux cas.
MORIN-jean, après avoir abordé, entre autres choses, la typologie des fibules de la Gaule romaine, écrit un petit
livre consacré à l'art préhistorique ; il l'illustre de dessins confus qui ne reflètent pas les œuvres : c'est un échec
amplifiée par l'utilisation probable de documents de seconde main (morin-jean 1933). Plus près de nous, un ouvrage
de s. GIEDION, La naissance de l'art, est illustré en grande partie et sans doute sur les indications de l'auteur, par
un tenant de l'utilisation systématique de la technique pointillée ; les dessins accompagnent les photographies et
se veulent explicatifs : mais il s'agit d'une pseudo-précision qui dénature les œuvres. Leur auteur a-t-il jamais vu
une œuvre préhistorique ? (giedion 1965). L'artiste, pour atteindre le bon objectif, devra retrouver un esprit neuf,
une faculté d'étonnement et surtout une grande humilité, qualité enviable par sa rareté.
L'histoire de l'Archéologie fourmille d'exemples de la façon dont on peut trahir, en toute bonne foi, les figures
appartenant à une plastique étrangère ; le travail pourtant extraordinaire des artistes de l'Expédition d'Egypte est
un exemple connu, mais il en est d'autres. Dans les derniers siècles, chaque fois qu'une civilisation ancienne
surgissait du sol, elle était esthétiquement traduite d'abord dans le sens culturel propre à son interprète. Au Moyen-
a

Fig. 1 : Réalisme intellectuel. Perspectives égyptiennes, a. Vues partielles des jardins de Rekh-mi-Re et de Kena-
moun très schématisées (d'après vandier 1964). b. bassins ; les flèches indiquent le sens de rabattement des
éléments figurés. b. Maison et jardin d'EI Amarna (d'après davies 1903).

Fig. 2 : Dessins artistiques de J. Béguin, inédits, a et b, Redeyef (Tunisie), c. Aaïn Sendès


(Tunisie).

Fig. 3 : Vues panoramiques, a. site de la province du Shansi (d'après chia lam po 1973).
b. Relevé photogrammétrique d'un centre historique (Doc. IGN, Unesco).
92 R.A.C.F. 25, 1, 1986.

• CHIP D LUNATE BONE SCRAP


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LEGEND
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Fig. dans
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et vue oblique,
b. Croquis
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d'un matériel
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archéologique
aérienne (d'après
(d'aprèssaint-joseph
wendorf 1984).
1965).Même échelle
Notes et documents 93

Orient, où les archéologues ont mis au jour tant de vieilles civilisations en si peu de temps, en Amérique, où les
grandes cultures précolombiennes étaient fort étranges, en Extrême-Orient, où le caractère parfois subtil des
témoins du passé échappait souvent à l'observateur, la tendance au classicisme, à la « romanisation » était grande.
Plusieurs générations ont été nécessaires pour saisir, en acceptant leur originalité hors des normes habituelles, les
styles et les caratères propres à chaque société.
Il est aussi malaisé de représenter correctement un sujet que l'on ne connaît pas que de copier des inscriptions
dont les caractères et la signification sont ignorés ; aussi la culture personnelle du dessinateur va-t-elle jouer un
rôle important dans la valeur significative des documents produits. Culture classique, bien sûr, mais aussi issue des
domaines scientifiques et techniques, la géométrie, par exemple, et ses applications graphiques ; les techniques
issues des sciences physiques permettront une meilleure analyse spatiale des sujets, et leur comparaison, s'il y a
lieu, avec des homologues actuels.
Ces connaissances, qui ne sont pas pour autant nuisibles à l'archéologue non dessinateur, permettent d'éviter des
erreurs d'interprétation, ou de simple bon sens, par une expérience du contact avec la matière, dure et concrète.

3. L'UTILISATION DU DESSIN.
3.1. LES SUJETS TRAITÉS.
Nous ne pouvons que survoler rapidement le vaste domaine des applications, en donnant quelques exemples.
Le dessin chargé de la description du milieu, du site, de la fouille, et de la signification des vestiges est très
éloigné du dessin des objets. Il part du paysage, dont il s'inspire, aussi bien que des projections verticales (photos
aériennes, cartographie, planimétrie). La vue panoramique est un paysage simplifié permettant de situer les sites,
les groupements architecturaux, les vestiges anciens ; elle est d'un usage traditionnel en ce sens qu'elle est proche
du paysage pictural. D'une grande utilité, elle joue le rôle de l'élévation en architecture et présente, comme la
photographie, mais de façon plus sélective, une image visuelle. On la retrouve sous des formes diverses : très classique
(Fig. 3, b), ou réalisée par des moyens techniques entièrement différents (Fig. 3, a). Le dessin, en traduisant les
données de la photo aérienne, verticale ou oblique, va préciser des détails de structures de surface ou enfouies,
en liaison avec le paysage actuel schématisé (Fig. 4, b).
Le dessin fait à partir d'un point de vue élevé, réel ou supposé, est d'un usage fréquent et ancien (vues de villes,
d'ouvrages fortifiés, d'opérations stratégiques) ; il peut être proche de la vue panoramique. Mettant davantage
l'accent sur le relief, il se rapproche du bloc-diagramme.
Les plans de structures réelles ou « recomposées » après analyse sélective des vestiges sont largement utilisés.
Ils méritent une attention vigilante parce que leur exécution définitive demande des précautions. Il s'agit d'éviter
qu'un document mal étudié ou trop réduit devienne illisible (Fig. 4, a). Fort heureusement, ces plans sont souvent
beaucoup mieux adaptés à la publication (thevenot 1973) ; ceux qui illustrent les travaux suisses sont parmi les
meilleurs.
L'univers des objets archéologiques est extraordinairement varié ; celui de leur traitement graphique également.
Ne dressons pas de catalogue mais citons quelques cas.
La pierre, en Préhistoire, exige un dessin d'une nature spéciale, essentiellement technique. Les métaux, sous
leurs diverses formes, peuvent être représentés de manière réaliste, schématique ou délibérément technique.
Il existe pour la poterie deux points de vue différents dans l'utilisation du dessin : celui des préhistoriens et celui
des historiens classiques, pour prendre les extrêmes ; c'est la dualité poterie primitive /poterie semi-industrielle
qui se manifeste. Les premiers utilisent une représentation très réaliste de tessons souvent modestes (Fig. 5, c) ;
les seconds sont partisans de dessins normalisés (Fig. 5, b), appelant un code d'analyse des formes. Ces deux
approches correspondent à des stades technologiques différents, et à des états de conservation tout aussi différents.
Les vestiges dont les constituants sont d'origine animale (os, ivoire, coquille, bois de cervidé...) sont nombreux
à toutes les époques. Le dessin pourra les montrer à la fois comme objets manufacturés et comme éléments ana-
tomiques, pour ceux qui ne sont pas entièrement modifiés par l'action humaine, ou en envisageant uniquement
leurs formes secondairement acquises. Cette dernière façon de voir mérite d'être modifiée, même pour les périodes
récentes, où la paléontologie prend maintenant une importance méritée ; on peut regretter que son absence,
auparavant, nous ait privés pendant longtemps de données sérieuses sur la faune des périodes historiques. Parmi les
vestiges d'origine animale, il convient de ne pas oublier les cuirs, mais aussi les corps quelquefois conservés
naturellement ou artificiellement, qui sont certes du domaine de l'anthropologie physique, mais qui deviennent aussi
objets archéologiques s'ils sont tatoués.
On connaît l'importance archéologique des éléments végétaux, à partir du moment où se développe l'utilisation
des textiles : débris de tissus, ou leurs empreintes, vêtements complets, ornements, tapis (tourbières, sols gelés,
milieux desséchants). Leur dessin est essentiellement technique, la photo se chargeant de l'aspect général. Dans
certaines tombes des régions andines, la conservation quasi-totale des vestiges organiques desséchés (momies,
vêtements, ornements, mais aussi tous produits d'origine végétale) est fréquente. La fouille, malgré son intérêt,
devient aussi un cauchemar.
Le bois, minéralisé, carbonisé, desséché ou saturé d'eau, est rarement conservé au paléolithique sous forme
d'objet fabriqué ; mais il est assez fréquent pour les périodes plus récentes (armes, outils récipients, barques,
canalisations, chemins boisés). On le dessine de manière aussi réaliste que possible, sauf pour les schémas et les
ensembles construits.
En art, la lecture et l'interprétation des scènes ou des motifs figurés exigent souvent un travail considérable de
reconnaissance, de décomposition de sujets enchevêtrés. L'art paléolithique en témoigne, mais ses mélanges de
gravures sont involontaires. Les bijoux et les décors de l'Europe barbare offrent un champ d'analyse graphique
94 R.A.C.F. 25, 1, 1986.

pig. 5 : Poteries, a. Représentation explicite d'une poterie, cimetière des Lépreux, Montbron, (Charente). Dessin
inédit. En grisé, coulées de vernis, ai. Position du vase dans la sépulture (d'après a. debenath 1972). b. Poteries à
représentation normalisée (d'après normalisation... 1979). c. Tessons du Bronze moyen et du Néolithique (d'après
J. ROUSSOT-LARROQUE 1975).
Notes et documents 95

étendu. Les civilisations des bassins du Tigre et de l'Euphrate ont produit des poteries dont le décor aux motifs
peints paraît abstrait au premier abord, mais qui n'est que la stylisation de motifs naturalistes. Le déchiffrement
(terme justifié) des gravures et sculptures précolombiennes, où la composition procède d'un assemblage de motifs
stylisés mais souvent partiels, et d'éléments réalistes imbriqués, ne peut se faire que par un redéploiement des
figures supposées. Les différentes étapes de ce travail seront présentées dans les publications et justifieront de façon
claire les interprétations finales.
Les reconstitutions, au sens large, d'ensembles monumentaux ou mobiliers, de techniques de fabrication (taille
de la pierre, poterie, tissage, mécanismes, machines, etc..) exigent une grande clarté et ne supportent pas la
médiocrité. Les images synthétiques de paysages anciens, de la vie quotidienne, etc.. doivent être aussi exactes
que possible, mais permettent une certaine souplesse d'exécution.
3.2. CHOIX ET UTILISATION.
3.2.1. choix arbitraire. Les objets isolés présentant un intérêt inhabituel seront traités avec grand soin. Ils
peuvent constituer un apport précieux à la technologie, à la typologie ou à l'art. Les ensembles homogènes, qui
permettent une étude générale, contribuent à une vision archéologique enrichie, qu'ils proviennent de fouilles
récentes ou de collections muséologiques : ils seront examinés dans leurs rapports et analogies avec la même rigueur.
Le choix de la méthode de présentation publiée se heurte à quelques problèmes théoriques, à l'obligation de
choisir entre des options contradictoires. Ainsi, l'on peut voir :
- représenter des séries d'objets typiques, considérés (souvent à raison) comme les « fossiles directeurs » d'un type
industriel, d'une culture (au sens plus ou moins restreint) spécifique : le but implicitement recherché est de
justifier l'attribution à une séquence déterminée. L'inconvénient de la méthode, employée surtout dans la première
partie du XXe siècle, était de créer des niveaux archéologiques à valeur générale, presque « universelle », d'une
homogénéité satisfaisante pour l'esprit, mais un peu trop impérialiste « de Brest au Kamtchatka ».
- représenter, dans une optique voisine, les objets sélectivement choisis parmi « les plus beaux », en évitant
d'insister sur le menu peuple des vestiges plus frustes. Tromperie involontaire sur le niveau qualitatif, pour des
raisons esthétiques (les nôtres). L'excès inverse se manifeste aussi : c'est le choix des objets que nous appelons
pathologiques, dont l'intérêt est manifeste pour le dessinateur saturé de belles pièces, ou pour les archéologues
qui veulent singulariser leurs publications. On peut noter que les industries préhistoriques qui ont mis le plus de
temps à devenir d'une nature claire aux yeux des préhistoriens, ont souvent été victimes de l'une de ces deux
tendances, privilégiant l'un des aspects plutôt que l'autre.
- représenter, par volonté d'objectivité, des pièces de toute nature, du stade archéologique décrit. Ce problème
particulièrement sensible en préhistoire, repose sur des critères de représentativité : les nôtres, toujours. Si cette
dernière démarche est la moins mauvaise, une nouvelle difficulté surgit. Dans la généralité des cas, il est
impossible de figurer toutes les pièces d'un niveau archéologique (d'ailleurs partiellement fouillé). Si l'on fait un choix
numérique, proportionnel aux types représentés, qui sont eux-mêmes fonction de l'expérience et de la pratique
acquises des mêmes types d'industries, il reste toujours matière à discussion. Franchissant allègrement ces
obstacles, et à la recherche d'une scrupuleuse neutralité et honnêteté, ou d'une indécision allant jusqu'au burida-
nisme, on peut (et l'on fait) parfois une représentation proportionnelle : tant de types, tant d'objets dans chaque
type, en choisissant un taux en fonction de la richesse de l'ensemble (5 %, 10 %...). Ce très beau principe,
d'apparence scientifique, va aboutir à une surreprésentation des types les plus communs, les moins intéressants
archéologiquement (500 grattoirs sur extrémité de lame dans un niveau du Paléolithique supérieur) au détriment
d'objets plus significatifs culturellement. Précisons que nous parlons toujours de représentation graphique. La
situation est inextricable : on ne peut donner en réalité qu'une image graphique approximative, mais pourtant
indispensable ; elle ne satisfera pas les esprits avides de certitudes.
Une dernière hypothèse consiste à ne donner aucune image concrète, et à remplacer toute représentation par une
analyse extrêmement élaborée. Cette méthode est mise en œuvre depuis longtemps, mais a, semble-t-il, beaucoup
de mal à produire autre chose que des théories ou des propositions méthologiques. Cette voie aura ses héros, mais
aussi ses frustrés qui, dans une optique pythagoricienne, croient aux nombres-miracles qui résolvent les problèmes
par illumination. Ils auront malgré tout, pour refaire surface dans un univers réel, solide, qui reste celui de
l'archéologie, besoin de faits et d'images concrètes. A moins que l'Archéologie et l'Histoire, perdant pied dans cette
fondrière, ne soient plus que les branches desséchées d'une philosophie abstraite.
3.2.2. ou est la juste mesure ? Si beaucoup de travaux pèchent par la pauvreté ou l'absence de documents
figurés, d'autres en sont surchargés : on y trouve souvent des objets semblables, alignés sur de nombreuses pages, sans
qu'aucune étude précise ne vienne mettre en lumière leurs éventuelles différences. Dans certains cas, on rencontre
aussi des figures d'une extrême simplicité, comme une brique d'argile ou un morceau de pot, occupant une page
entière, alors que des objets de facture plus subtile seront littéralement anéantis par une réduction insensée. Où
réside le juste milieu dans tout cela ?
Il semblerait que ce soit là une question de bon sens ; mais est-il aussi bien partagé qu'on le dit ? Il consisterait
à utiliser les documents nécessaires, à une échelle convenable, alors que souvent la mise en page ressemble au
résultat d'une loterie (voir quelques années récentes Bull. Soc. Préhist. franc.).
Un vieux principe, mais pas nécessairement désuet pour autant, et qui garde toute sa valeur, consiste à ne pas
inonder les revues de matériaux sans utilité. Chaque objet figuré est nommé en légende, et cité ou commenté dans
le texte. Il est anti-scientifique de donner des planches d'illustrations portant la simple mention : Objets provenant
du niveau Y, en se gardant bien de leur attribuer une identité quelconque et de les citer dans le texte. On assiste
là à un dédoublement de publication, qui pourrait, à la limite, traiter deux sujets différents. Cela pourrait être aussi
une manière de masquer une insuffisance typologique.
96 R.A.C.F. 25, 1, 1986.

Si la publication classique exige un dosage iconographique sérieux, il se pose une autre question au sujet du
document brut. Le document brut, iconographique, et par là sauvé de l'oubli ou de la destruction, est celui qui ne
suggère dans l'immédiat aucun commentaire ou aucune comparaison de la part de son détenteur, qui peut ne pas avoir
accès à certaines sources d'information. Il reste souvent dans un tiroir, faute de pouvoir lui consacrer quelques
pages plus ou moins erudites. Il peut y rester longtemps et s'y faire oublier, si l'on ne le publie pas, sans
commentaires, ou avec une interrogation. Il est non seulement probable qu'une réponse viendra, mais encore qu'ils
suscitera un certain intérêt. Mais l'aveu d'ignorance est un grand péché, en France.
La plupart des Corpus n'ont jamais eu la chance de venir à leur terme. Œuvres de longue haleine, ils rencontrent
des difficultés de tous ordres ; leur ambition de départ s'émousse rapidement, ils retrouvent un regain de vitalité,
s'essoufflent à nouveau, n'étant pas seulement victimes de conditions économiques mais aussi de mésententes entre
spécialistes. Quelques synthèses moins prétentieuses pourraient peut-être jouer le même rôle, plutôt que de voir
ces vastes entreprises parodier l'interminable rédaction du dictionnaire de l'Académie Française. Certains de ces
inventaires partiels, comme ceux de G. cordier, donnent satisfaction aux spécialistes. Pour un plus large public,
de petits volumes, à l'échelle d'un pays ou d'une région, pourraient s'inspirer d'un exemple italien (Preistoria ita-
liana 1962) toujours critiquable parce qu'hétérogène, mais qui a le mérite d'exister.
Un minimum d'illustrations conviendra pour donner des interprétations ou des démonstrations essentiellement
théoriques. Les illustrations abondantes seront nécessaires pour révéler des documents dont la signification repose
sur un aspect quantitatif (différents niveaux de gisements archéologiques). L'un des dangers des classifications
typologiques systématiques réside dans la tendance à transformer des descriptions individuelles (portraits) en
descriptions collectives (portraits-robots), plus proches des formes théoriques que des formes réelles. Le Corpus, lui,
est plus à sa place dans les travaux de synthèse.
Les documents bruts trouvent difficilement leur place dans une revue spécialisée ; il faudrait pourtant résoudre
ce problème qui tient à la fois aux auteurs potentiels et aux éditeurs. On a pu reprocher à des documents analogues
d'« encombrer » des revues. Mais, choisis avec discernement, ils trouveraient leur place dans les Nouvelles et
correspondances du Bulletin de la Société Préhistorique Française, par exemple, ou dans G allia Préhistoire,
Informations, si cette revue publiait d'autres travaux que des articles de synthèse ou des découvertes récentes en fouille.
Un schématisme typologique dans les figures est peut-être une des choses les plus dangereuses pour l'avenir d'un
travail archéologique : voulant représenter principalement les types, il finit par ne plus représenter que les types ;
on glisse de l'idéogramme au signe, avec un alphabet de plus en plus restreint. C'est une nette régression, menant
à une sorte de cryptographie purement théorique.
Si la plupart des cas que nous venons d'exposer concernent surtout la préhistoire, ils ne sont pas inconnus dans
les disciplines où les témoignages matériels industriels sont nombreux.
3.2.3. données techniques. Nous aborderons plus tard les moyens techniques employés pour obtenir, suivant les
besoins, des représentations sinon exhaustives, du moins explicites des sujets (Fig. 5 a ; Fig. 6). Parmi les
nombreuses méthodes possibles, nous ne mentionnerons que les éléments simples d'usages les plus courants, servant
à la mise au point des figures. L'épaisseur et l'opacité du trait doivent être compatibles avec les changements
d'échelle proposés, les densités de hachures également, ainsi que les types de trames quelles qu'elles soient. Le let-
trage, réduit au minimum à l'intérieur d'une figure, ne doit être ni démesuré ni timide, ni trop gras ni trop fin. Il
est utile d'insister sur le fait que si une réduction change lettres et signes d'échelle sans changer leur forme en
théorie (réductions proportionnelles), l'impression va dilater légèrement tous les traits (surtout en offset) et par
conséquent les « engraisser ». Le résultat est clair : deux traits, lettres ou signes trop serrés vont fusionner ; les parties
vides des lettres et des signes vont se boucher, au point de perdre leur forme initiale.
Donner à l'impression des photocopies (Fig. 4 a) (qui ont déjà été victimes de ces phénomènes) consiste à
doubler les risques. Les publications en offset récentes, où elles ont été massivement utilisées, en sont pleines, si bien
qu'il est assez facile de distinguer, parmi les impressions courantes, les articles datant des 5 ou des 15 dernières
années. Chaque fois que cela est possible, pas de photocopies au clichage... ou après les avoir modifiées de telle
façon qu'elles constituent pratiquement un nouveau document original.
Pour terminer, quelques mots sur les lettres-transfert et les trames mécaniques. Ces procédés constituent un gain
considérable de travail et de temps dans l'élaboration des figures. Mais, malgré certaines affirmations publicitaires,
elles ne sont pas faites pour durer. Inutile de mettre de côté des documents réalisés avec leur concours : leur emploi
doit être immédiat, soit par clichage définitif, soit par transfert sur support stable. Leur durée de conservation est
indéterminable et dépend des conditions de stockage. On a enregistré des changements rendant des cartes
inutilisables après cinq ans sur support stable. C'est dire avec quel soin on doit envisager leur emploi à longue échéance.
Il semble d'autant plus admirable que de grands dessins d'ensemble, exécutés manuellement, offrent peu de prises
à ces accidents, grâce à l'homogénéité de leurs éléments. Nous avons vu des plans âgés de cent ans, sur calque
« cuir », où rien n'avait changé d'aspect (encre ni pâlie ni écaillée, tirages diazos parfaits) datés de 1880. Seulement
trois ennemis subsistent : l'eau, le feu et les termites !

Ce tour d'horizon, bien limité, a peut-être enfoncé des portes ouvertes, mais aussi permis de rappeler quelques
notions de base, souvent égarées au milieu d'un remue-ménage un peu confus, où les nouvelles idées (ou nouvelles
anciennes idées) et les nouvelles techniques (peut-être pas très bien digérées) finissent par obscurcir l'horizon
technique graphique.
Notes et documents 97

Fig. 6 : Statuette fali ancienne (Nord-Cameroun). Hauteur, 16 cm. Vue synthétique et vues complémentaires. Coll. privée.
98 R.A.C.F. 25, 1, 1986.

« Editer sans une illustration complète, c'est imposer sa façon de voir ; publier avec des documents iconographiques
nécessaires, c'est proposer une interprétation et offrir les moyens de se faire une opinion. » (duval 1961).
Faut-il encore que cette iconographie soit à la hauteur de ce qu'elle expose. Et si tel est le cas, il est utile qu'elle
jouisse d'une certaine indépendance, de manière à créer une autre approche critique du document, approche
intéressante puisqu'elle part d'un point de vue de praticien, en quelque sorte, mais qui, à quelques nuances près, va
rendre plus crédible encore les hypothèses émises par les auteurs. Les compétences existent ou se forment. Il s'agit,
dans le climat culturel saupoudré d'anarchie dans lequel nous nous trouvons, de bien les employer, avant que
l'archéologie ne se soit enfouie sous le résultat de ses propres fouilles.
Enfin, tant pour l'iconographie que pour les textes scientifiques, il convient de ne pas oublier que, dans le cadre
de la publication...
... « Nous mettons en dignité nos bestises quand nous les mettons en moule. » (Montaigne, Ess. m, 13).

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