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Lecontrat 123, > Préparation Analyse du sujet Le sujet était accessible a l'tudiant de L2, impliquant une analyse des régles telatives a la sanction de l’inexécution du contrat. La décision 4 commenter a été rendue sous l’empire du droit antérieur a la réforme du droit des contrats réalisée par 'ordonnance du 10 février 2016. Elle a donc été analysée a 'aune de ce droit, mais en évoquant néanmoins les dispositions issues de Vordonnance. Plan du corrigé I/ Une solution rendue sous empire du Code civil de 1804 A~Un arrét réaffirmant la possibilité pour le créancier de demander 'exécution ‘forcée en nature de la convention inexécutée B—Un arrétréaffirmant le principe de la force obligatoire des conventions Il/ La solution aurait-elle été la m&me si lle avait été rendue en application de la réforme de 2016 7 ‘A—Lapplication potentielle de la disproportion manifeste B—Le recours possible au mécanisme de la bonne foi > Corrigé Le contena obligationnel du contrat dépend de interprétation qu’en fait le juge. Cette dernire peut toutefois étre peu évidente dans certaines espéces. Larrét rendu par la 3° Chambre civile de la Cour de cassation le 4 mars 2021 illustre les difficultés auxquelles pouvont faire face les juges dans l'identification du but des parties. En L'espace, une femme avait confié & une société la maitrise d’ouvrage de la construction d’une maison. Alors que le devis pré- voyait quela construction des murs devait se faire en béton banché, celle-ci avait été réalisée en agglo a bancher avec ferraillage. Apras avoir fait procéder a une expertise, la femme avait assi- gné le maitre de Pouvrage afin d’obtenir la démolition et la recons- truction de 'immeuble litigieux. Le 3 octobre 2019, la cour d’appel de Montpellier avait rejeté la demande de la créanciére en jugeant que « Ja réalisation “en agglo a bancher avec ferraillage” était conforme cux régles de l'art » et « que la substitution de matériau ne Exécution forcée en nature 124 Corrigé présentait aucun inconvénient ». La plaidante avait ensuite formé un pourvoi contre cette décision. Elle soutenait que la construction litigieuse n’stait pas conforme au devis conclu et que la partie envers laquelle 'engagement nlavait pas été exécuté pouvait parfaitement forcer l'autre A exécuter la convention lorsqu’elle était possible. Des lors, le créancier d'une obligation inexécutée peut-il demander l’exécution forcée en nature de celle-ci lorsque l'exécu- tion est possible mais que l’inexécution ne présente « aucun incon- vénient » pour le créancier ? La 3° Chambre civile de la Cour de cassation sasse larrét rendu par la cour d’appel de Montpellier. Elle juge que 'ouvrage n’tait pas. conforme aux stipulations contractuelles et que l’exécution forcée en nature était possible dés lors que la cour d'appel n’avait pas constaté que celle-ci était impossible. La solution s'explique par le fait que V'arrét a été rendu sous Vempire du Code civil de 1804 (1) mais il convient de se demander si elle aurait été identique si elle avait été rendueen application de la réforme de 2016 (I). I/ Une solution rendue sous l’empire du Code civil de 1804 Cet arrét vient réaffirmer que tout créancier dispose de la possibilité de demander l'exécution forcée en nature de la convention non exécutée (A) en vertu du principe de la force obligatoire des conven- tions (B). A-Un arrét réaffirmant la possibilité pour le créancier de demander ’exécution forcée en nature de la convention inexécutée Lancien article 1184 du Code civil prévoyait que « la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallag- matiques, pour le cas ott l'une des deux parties ne satisfera point & son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle I'engagement n'a point été exécuté, Lecontrat 125 a le choix ou de forcer l'autre & l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dom- mages et intéréts ». Cet article laisse au créancier de obligation inexécutée le choix entre deux options : (1) demander la résolution du contrat ainsi que des dommages et intéréts ou (2) demander l'exécution forcée en nature, A condition que celle-ci soit possible. En espace, la prestation réalisée n’était pas conforme aux sti- pulations contractuelles. Le matériau utilisé pour la construction de louvrage n’était pas celui qui avait été prévu par les parties. La cour d’appel avait jugé que cette substitution de matériau «ne présentait aucun inconvénient », si bien que la démolition et reconstruction de l'ouvrage étaient pas nécessaires. La Cour de cassation censure ce raisonnement : le soul fait que Youvrage ne soit pas conforme aux stipulations contractuelles suffit A justifier la demande tendant a voir démolis puis reconstruits les ouvrages L:tigieux, peu important que la substitution de matériau ne cause aucun préjudice au créancier. En effet, le préjudice est une conséquence de l’inexécution du contrat et non pas, comme on le croit souvent a tort, une condition de celle-ci. Ainsi la délivrance d'une chose différente mais de valeur plus grande que la chose promise demeure néanmoins une inexécution contractuelle. B-Un arrét réaffirmant le principe de la force obligatoire des conventions Cet arrét s’2xplique par la volonté de la Cour de cassation de rappe- ler limpor-ance du principe de la force obligatoire des conventions. Toute inexécution des stipulations contractuelles est de nature a déclencher les sanctions prévues par le Code civil, sans qu’il soit nécessaire d’établir que Vinexécution litigieuse cause un quel- conque préjudice au créancier. En effet, le raisonnement de la cour d’appel consistant & consi- dérer que texécution forcée en nature de la convention n’était pas nécessaire en ce que la « substitution de matériau “ne présentait aucun inconvénient” » était critiquable, la seule inexécution du contrat étant en elle-méme constitutive d’une violation de l'accord de volonté justifiant le principe de Vexécution forcée. Le raisonne- Exécution forcée en nature 126 _Cortigé ment de la cour d’appel conduisait & substituer l'appréciation du juge aux prévisions contractuelles des parties, Par ailleurs, la Cour de cassation a rappelé que seule l'impossi- bilité de procéder a l’exécution forcée en nature permettrait de rejeter la demande formée par le créancier; or, e1 espace, la cour d’appel r/avait nullement caractérisé une telle impossibilité qui peut étre matérielle, juridique ou morale. Des lors, la seule force obligatoire des contrats justifie la demande d’exécution forcée formée par le créancier, II/ La solution aurait-elle été la méme si elle avait été rendue en application de la réforme de 2016? S'ile avaiont 6té appliqués au litige, deux mécanismes iscus de la réforme de 2016 auraient pu modifier la solution du litige : la dis- proportion manifeste (A) et la bonne foi (B). A-Lapplication potentielle de la disproportion manifeste La réforme de 2016 a modifié les dispositions relatives a ’exécution forcée en nature. Si le droit antérieur a été maintanu, une nouvelle exception & l’exécution forcée en nature a été consacrée au sein du Code civil. Désormais, le nouvel article 1221 du Code civil dispose que « le créancier d’une obligation peut, aprés mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son. coat pour le débi- teur de bonne foi et son intérét pour le créancier ». En l'espéce, la cour d’appel avait rejeté la demande du créancier en jugeant que les inexécutions reprochées ne présentaient pour ce dernier aucun inconvénient. Si la Cour de cassation a pu censurer ce raisonnement dés lors qu’il avait été rendu en application du droit antérieur a la réforme de 2016, il est permis de douter qu'une telle jurisprudence puisse perdurer. En effet, la position de la cour d’appel est conforme aux nouvelles dispositions ce l'article 1221 du Code civil; s'il est établi que l’inexécution ne présente aucun incon- Lecontrat_ 127 vénient pour le créancier, la démolition et reconstruction de You- vrage, aux frais du débiteur, seraient en tout état de cause « mani- festement disproportionnées », et donc de nature @ faire échec au jeu de l'exécution forcée en nature. Une telle solution est toutefois critiquable sur le plan de la force obligatoire des conventions et du respect de la parole donnée. En effet, rien ’empécherait désormais un maitre d’ouvrage de substi- tuer au matériau convenu un matériau qui serait moins onéreux pour lui, afin notamment d'augmenter le profit financier de 'opéra- tion, tout 2n invoquant ensuite opportunément la disproportion manifeste qui résulterait de la mise on conformité du bion ou de la prestation et ce, alors méme qu'il serait a Vorigine du défaut de conformité. C'est pourquoi le texte a mis en place une condition, celle de la bonne foi du débiteur... B-—Le recours possible au mécanisme de la bonne foi Larticle 1104 du Code civil dispose déja que « les contrats doivent &tro |. ..] exScutés de bonne foi. Cotte disposition ost d’ordre public ». De méne, le nouvel article 1221 du Code civil dispose que pour que le mécanisme de la disproportion manifeste puisse faire échec Aune demande d’exécution forcée en nature, le débiteur doit étre de bonne foi. Il prévoit en effet que « le créancier d’une obligation peut, aprés mise en demeure, en poursuivre 'exécution en nature sauf si cetle exécution est impossible ou s'il existe une dispropor- tion manifsste entre son cofit pour le débiteur de bonne foi et son intérét pour le créancier ». En Lespace, le recours au mécanisme de la bonne foi permet- trait de départager le créancier et le débiteur. Il apparait en effet logique qu'une demande d’exécution forcée en nature, formée par un créancier animé par une volonté de nuire au débiteur, soit reje- tée. Inversement, il serait peu logique qu’une demande d’exécution forcée en nature soit rejetée sous couvert de disproportion mani- feste pour le débiteur, dés lors que Cest ce dernier qui est de mau- vaise foi et qu'il a été intentionnellement & Vorigine de la situation litigieuse. C’est notamment le cas lorsqu’il substitue une prestation & une autre par souci d’économie ou par paresse... Encore faudrait-il définir de maniére suffisamment précise la notion de bonne foi, une entreprise qui reste malaisée, ce qui ne Exécution forcée en nature 128 _Corrigé peut que susciter une forte insécurité juridique quant au champ d'application de l'exception & la disproportion manifeste. En conclusion : La réforme de 2016 nest pas revenue sur le principe de la force obligatoire des conventions, mais elle lui a porté de sérieuses atteintes en consacrant divers mécanismes, notamment Vabus de dépendance, la révision pour imprévision ct la dispropor- tion manifeste. Si les rédacteurs de la réforme de 2016 étaient animés par la volonté de créer une certaine solidarité entre le créancier et le débiteur, celle-ci risque de demeurer vaine lorsque ces derniers ont des intéréts antagonistes. C’est en particulier le cas lorsque l'un d’eux s‘enrichit aux dépens de l’autre, avec la bénédiction du législateur. Bonus : Un point bonus peut étre accordé @ l'étudiant qui aura été capable d’évoquer de facon pertinente 1a distinction entre les obligations de faire, de ne pas faire, et de donner Lancien article 1142 du Code civil prévoyait cue, contrairement aux obligations de donner « Toute obligation do jaire ou do ne pas faire se résout en dommages et intéréts en cas d'inexécution de la part du débiteur ». Les obligations de faire ou de ne pas faire ayant un caractére personnel, leur exécution forcée était malaisée. Cet article entrait toutefois en opposition avec ‘ancien article 1184 ali- néa 2 qui indiquait quant a Jui que, peu important Ja nature de Vobligation concernée, « La partie envers laquelle engagement n'a point été exécuté a le choix ou de forcer l'autre @ I’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander Ia résolution avec dommages et intéréts ». La jurisprudence a été confrontée a la question de la conciliation de ces deux articles, et I’a tranchée en retenant que I’exécution forcée en nature pouvait toujours étre ordon- née lorsque celle-ci est possible (Civ. 3°, 11 mai 2605, n° 03-21.136); ce n’est qu’en cas d’impossibilité que seule Ja réparation par l'attri- bution de dommages et intéréts pouvait étre mise en ceuvre. La réforme du droit des contrats opérée par I’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 est venue confirmer cette unification des régles applicables, le nowvel article 1221 du Code civil n’opérant plus de distinction entre les différents types d’oblications. La possibi- lité d’obtenir l’exécution forcée en nature est érigée en principe par cette nouvelle disposition, les deux exceptions consistant dorénavant en impossibilité et en l’existence d’une disproportion manifeste entre le cot de l’exécution forcée en nature pour le débiteur et son intérét pour le créancier.

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