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Marco Aragno

Aragn0@etu.unige.ch
Boris Wastiau: Anthropologie religieuse
Semestre de printemps 2012

Mami Wata
Unité-diversité/histoires d’images

Histoires et espaces

On rencontre dans toute l’Afrique de l’Ouest actuelle, de l’Angola au Sénégal,


ainsi qu’aux Etats-Unis et dans la zone caraïbe des images qu’on associe
au(x) culte(s) de divinités féminine de l’eau et plus particulièrement à Mamy
Wata. Cette dernière en particulier est liée à la richesse et à la fécondité y
compris dans une dimension sexuelle. Mamy Wata est hybride à la fois
ancienne et moderne, locale et globale, comme elle prend différentes
formes visuelles selon le contexte. Par certains aspects, elle représente une
nouveauté faite de modernité et de tradition. Le nom Mamy Wata est
d’origine anglaise, plus précisément issu de la langue vernaculaire et
véhiculaire qu’on appelle le pidgin qui est utilisé dans les ex-colonies
anglaises1.
D’un point de vue historique, les chercheurs divergent sur l’origine de ces
divinités. Au vu de la littérature consultée, j’ai relevé plusieurs propositions.
Dans l’ouvrage édité par H.J Drewal en 20082, il propose une histoire longue
remontant à 1490. Selon lui, c’est le moment de la rencontre entre l’Afrique,
l’actuel Sierra Leone et l’Occident, plus particulièrement avec les Portugais.
Si on suit l’hypothèse de Drewal, la Mamy Wata pidgin serait le résultat d’une
longue histoire précoloniale, coloniale et postcoloniale3. Pour lui, Mamy Wata
est fondamentalement née avant la colonisation puisque il semble que les
divinités de l’eau existaient il y a des millénaires (figure1). Ces réalités

1
J’ai choisi la transcription « Mamy Wata », adoptée par Drewal, et non « Mammy Wata ».
2
DREWAL Henry John (éd.), Mami Wata, Arts for Water Spirits in Africa and Its Diasporas.
3
DREWAL Henry John (éd.), Sacred Waters, arts for Mami Wata and Other Divinities in Africa and the
Diaspora, p.2
africaines se seraient ensuite nouées avec des réalités européennes. Ses
propositions sont toutes fondées sur des témoignages figurés. Pour
d’autres chercheurs, le culte de Mamy Wata serait plus récent et en lien avec
la modernité. Il serait né au début du 20ème siècle au Sud-est du Nigeria et se
serait diffusé dans toute l’Afrique de l’Ouest4.
Aujourd’hui, selon Charles Gore et Joseph Nevadomsky5, la désignation
Mamy wata recouvre trois niveaux de réalités possibles. Le premier
concerne le complexe de rites et de pratiques en relation avec des divinités
de l’eau qui sont sources de richesses et qui implique une dimension
sexuelle. Ce premier niveau semble correspondre à une réalité africaine
transnationale. Au contraire, un autre niveau de pratiques serait une manière
pidgin de désigner de l’extérieur des cultes particuliers et locaux, dont les
Africains étrangers au culte ne connaissent pas le sens. Dans ce cas,
l’altérité ne serait pas en lien avec l’Europe, mais à l’intérieur des réalités
africaines toujours en relation avec des divinités de l’eau. Le dernier niveau
de sens est utilisé de l’intérieur d’une pratique pour la relier à un contexte
plus général. Par exemple, Olokun, divinité traditionnel liée l’océan dans le
panthéon yoruba peut être associée au culte de Mamy Wata. Quel que soit le
contexte et les points de vue Mamy Wata est une manière de désigner des
pratiques diverses « traditionnelle » ou « moderne » liées à l’eau.

Axes de recherches

Drewal identifie plusieurs axes de recherches. Le premier concerne le lien


de la divinité avec la richesse, avec l’acquisition de biens rapide et sans
morale de la part d’une minorité et dans des contextes précis où la majorité
des gens sont pauvres. L’étude du genre constitue un autre axe de recherche,
c’est un moyen d’observer les rapports de pouvoir entre le masculin et le
féminin. La plupart des recherches portent sur l’analyse de l’unité et la
diversité des cultes de Mamy wata localement et globalement pour pouvoir
4
GORE Charles et NEVADOMSKY Joseph, “Practice And Agency In Mammy Wata Worshipip In
Southern Nigeria” pp. 60-76.
5
Ididem,pp.60-76.
comprendre le lien entre tradition et modernité et par la suite comprendre le
rapport à ces altérités que sont l’Europe et l’Inde. Ces recherches portent sur
des terrains africains, aux Etats-Unis et dans la zone caraïbe, où l’on étudie
l’origine et le processus de créolisation de la divinité.
Quelles que soient les axes de recherches, les études sur le visuel, y compris
la production contemporaine, sont fondamentales.
Dans le cadre de cette présentation, je m’intéresserai aux images sous
l’angle de l’unité et de la diversité.

La sirène

Pour comprendre toute la complexité des profils des divinités désignées


comme Mamy wata, il faut analyser la production visuelle de manière à
percevoir comment et pourquoi les Africains se sont appropriés d’ images
exogènes comme la sirène, la charmeuse de serpent, les divinités indiennes,
des figures du christianisme, de l’islam et du bouddhisme.
Selon les chercheurs, la sirène est la première image qui a donné forme à
Mamy wata. Ils ne savent pas s’il s’agit d’une manière exogène de donner
une forme à une divinité des eaux préexistante ou s’il s’agit de nouvelles
divinités6.
Selon Drewal, la sirène arrive en Afrique de l’ouest dès le 15ème siècle avec
les bateaux portugais, dont les proues étaient ornées d’une sculpture de
sirène (fig.2). Dans l’aire l’actuel Benin, Togo, Nigeria et Sierra Leone, on
retrouve plusieurs objets, masques, statues, plateaux sur lesquels elle figure.
Drewal cite quelques exemples du 16ème siècle au 19ème siècle qui selon moi
sont très hypothétiques.
Un premier objet est une boîte du 17ème siècle, provenant du Nigeria, où il
propose de reconnaître Olokun, divinité de l’Océan appartenant au culte
traditionnel yoruba, sous les traits d’une sirène à deux queues 7(fig.3). Cette
hypothèse de Drewal est fondée sur lien entre le poisson et Olokun qui
apparaît sur de nombreux objets8.

6
DREWAL Henry John (éd.), Mami Wata, Arts for Water Spirits in Africa and Its Diasporas,p.28.
7
Ibidem, p. 45.
8
Ibidem, p. 45.
ème
Sur un autre objet, une cloche rituelle du royaume du Bénin du 19 siècle,
la sirène est associé à Olokun (fig.4). Sur sa partie supérieure figure une
sirène à deux queues. En dessous est sculptée une figure avec une couronne,
une épée, un serpent et un poisson qui représente le roi Oba du Benin. Hors
ce roi est associé à Olokun, donc à l’eau et à la richesse, ce qui confirme
peut-être l’hypothèse d’identification proposée pour la boîte du 17ème siècle.
Toujours au Nigéria, au 19ème siècle, le lien entre la sirène, les femmes et les
divinités de l’eau semble plus évident. Elle apparaît avec des animaux sur un
plateau de cuivre qui servait de cadeau dans le cadre de rites de passage du
statut de jeune fille à femme dans la société secrète féminine Efik (fig.5). Ce
rituel attribue un rôle important aux divinités de l’eau.
Drewal présente encore un tambour de la société ogboni datant du 19ème
siècle, sur lequel est représentée une figure féminine à deux queues qui
ressemble à celle, masculine, de la cloche rituel du royaume du Bénin, mais
elle à changé de sexe (fig.6). Selon Drewal, la sirène serait utilisée comme
métaphore de la richesse et du savoir, car selon un proverbe yoruba «
Personne ne sait ce qu’il y a dans la profondeur de l’océan.»9.
Aujourd’hui, dans toute l’Afrique de l’ouest et surtout au Congo, le lien entre
la sirène et des divinités de l’eau telle que Mamy Wata est plus évident. Elle
est également présente en Haïti suite à la déportation entre le 15ème au début
du 19ème de nombreux esclaves d’origine du Congo.
Drewal cite plusieurs exemples actuels de sirènes en terres cuites en pays
vodoun10, correspondant à l’aire géographique Togo-Benin (fig.7). En ville
comme à la campagne, ces sirènes servent dans le cadre de rituels multiples,
on les retrouve souvent sur des autels, mais Drewal ne donne aucune
information sur leur utilisation dans des pratiques cultuelles. Au Bénin, ces
sirènes peuvent désigner l’ensemble du culte de Mamy wata ou une divinité
spécifique comme Mami Apouke, un avatar de Mamy wata qui aime la
musique douce11. C’est un indice de la pluralité des cultes et des formes
liées à Mamy wata, les sirènes qui la désignent peuvent être présentées en
paire correspondant au masculin et au féminin. Ce culte fait preuve d’une

9
Ibidem, p.42, 40 et47.
10
Ibidem, p. 90.
11
Ididem, p. 90
grande diversité, mais il est majoritairement féminin, contrairement à ce qui
se passe dans l’aire géographique Congo.
12
Selon Bogumil Jewsiecki , l’imaginaire de la sirène apparaît au Congo après
la deuxième guerre mondiale dans des espaces urbains liés à une plus
grande libéralisation des m urs et plus particulièrement au phénomène de la
prostitution. Mamy wata, sous forme de sirène, est alors représentée par les
artistes contemporains comme une mulâtre ou une européenne (fig.8). Elle a
la peau claire, les cheveux lisses, elle est parfois associée à Eve, au diable, à
un danger pour les hommes. Parfois la présence du serpent est peut-être
une allusion à la charmeuse de serpent dont il sera question tout à l’heure.
Cette Mamy Wata servirait à « soigner » (Healing) le manque d’argent et
l’échec financier, mais elle peut aussi assumer des aspects excessivement
séducteurs pour l’homme en lien avec la prospérité des Blancs, une sorte de
piège13. La sirène congolaise est bien une divinité de l’eau mais
contrairement au vodoun, le culte n’est pas institutionnalisé et n’est pas relié
à des ancêtres spécifiques. La sirène congolaise est plutôt de l’ordre d’un
imaginaire urbain marqué par la modernité, l’image de la transition d’une
Afrique traditionnelle à une Afrique moderne.
Dans d’autres espaces africains, la sirène, toujours associée à Mamy Wata
et à la quête de richesse, présente des profils différents illustrant l’unité et la
diversité des cultes correspondant à cette divinité14.La sirène venue de
l’Europe constitue un premier exemple d’unité et de diversité des
représentations et des cultes de Mamy Wata.

La charmeuse de serpent

L’image de la charmeuse de serpent est également venue d’ailleurs et qui


prend des formes différentes selon le temps et l’espace. Elle est un autre
exemple de l’unité et de la diversité des cultes liés à Mamy Wata.
Drewal encore est le chercheur qui s’est le plus intéressé à ce type de

12
Bogumil Jewsiecki, “Mami Wata/ Mamba Muntu paintings in the Democratic Republic of the Congo”,
Mami Wata, Arts for Water Spirits in Africa and Its Diasporas, p.126-133.
13
Ibidem, p. 128.
14
BRIVIO Alessandra (éd.), Mami wata, l’inquieto spirito della acque, Milano, .p.129.
représentation. Cela s’explique par son intérêt pour les relations entre
l’Afrique et l’Europe. Selon lui, le début de cette iconographie date de 1887
avec une chromolithographie de Hambourg représentant une charmeuse de
serpent de Polynésie appelée Maladjamaute (fig. 9). On ne sait pas vraiment
expliquer comment et par quel biais cette image à été diffusé en Afrique.
Drewal a proposé plusieurs hypothèses. La première attribue la diffusion à
des marins provenant de Hambourg qui ont vendu et exporté cette
chromolithographie en souvenir de l’exposition universelle de 1887. Selon
Newadomsky, la figure de la charmeuse de serpent se serait diffusée au
début du 20ème siècle depuis le Sud-est du Nigéria15. La première figure de
charmeuse de serpent date de 190116(fig.10). Cette sculpture en bois a été
retrouvée dans le delta de la rivière du Niger, plus particulièrement dans la
ville de Bonny. Son association à la chromolithographie de Hambourg a été
établie par Drewal, parce que son habillement, ses longs cheveux noirs en
coton, ses boucles d’oreilles, la position de ses bras et le serpent ressemble
à celle de Hambourg. Cette symbolique est une expression d’une altérité en
relation avec l’Europe, la Polynésie et l’Inde.
La diffusion pourrait être également due à l’installation de marchands
indiens et libanais en Afrique de l’ouest entre 1930-1940. Ceux-ci auraient
introduit la chromolithographie car ils pratiquaient des cultes hindous et
vendaient les images de leurs divinités. La dernière hypothèse de Drewal met
en lien la production des presses de Bombay avec les marchés d’Accra au
Ghana.
Cette image, plus récente que la sirène, se retrouve dans toute l’Afrique de
l’ouest à l’exception du Congo. Pour comprendre l’unité et la diversité de
Mamy Wata à travers l’image de la charmeuse de serpent, il faut envisager
différents contextes où elle prend des aspects matériels très différents.

Au Nigéria17, dans le groupe culturel Igbo, la divinité est représentée


manières soit sous la forme d’une sirène soit sous la forme d’une

15
GORE Charles et NEVADOMSKY Joseph, “Practice And Agency In Mammy Wata Worship In
Southern Nigeria”, p. 67.
16
DREWAL Henry John (éd.), Mami Wata, Arts for Water Spirits in Africa and Its Diasporas, p.53.
17
Ibidem, p. 108-125.
charmeuse de serpent (fig.11). On l’associe à une divinité spécifique ou à
une « école d’esprits libres » c’est-à-dire sans relation au panthéon yoruba
18
classique . Selon Drewal, elle ne serait pas inscrite dans le cadre d’un culte
public comme Olokun, qui lui aussi est une divinité de l’eau, mais elle
correspondrait à un culte privé. Charles Gore nuance cette proposition en
constatant que dans certains lieux de culte sur les autels Mbaris, Mamy
Wata est vénérée avec Olokun19 sous l’aspect d’une charmeuses de serpent
sous forme de sculpture ou d’image servant à appeler et à invoquer des
forces spirituelles dont on ne dit pas si elles ont une relation avec l’eau. Dans
ce même groupe culturel, Mamy wata est également présente au sommet
des masques accompagnée de saints, de la Madone ou de missionnaires
européens pour honorer ces mêmes forces spirituelles. Toujours dans le
groupe igbo, dans le cadre de la société secrète Ejagham, qui signifie
« secret du python », la divinité est devenue l’emblème et l’idéal de la beauté.
Parmi les Annang Ibibio, un autre groupe culturel yoruba, elle est associée à
Eka Abasi, la mère de dieu, une divinité de la fertilité qui vit dans l’eau. Dès
1940, la chromolithographie est présente sur les autels dans le rituel
d’éducation de la jeune fille avant le mariage (fig. 12). Lors de l’initiation,
l’initiée reçoit un autel avec en son sein des esprits dont Mamy Wata. Celle-ci
assume de multiples formes selon le contexte, souvent des masques ou des
statues.
Au sein d’un même groupe culturel, on observe donc des différences de
formes et de significations. C’est également le cas d’un groupe culturel à
l’autre même si toutes ses divinités sont liées à l’eau.

Dans plusieurs cultures établies dans la région Togo, Ghana et Bénin,


correspondant à la culture vodoun, la chromolithographie de la charmeuse
de serpent de 1887 est le plus souvent utilisée pour représenter une Mamy
wata particulière ou l’ensemble du culte. Ce cas est intéressant parce qu’il
montre une fois encore l’unité et en même temps toute la diversité du
18
Ibidem, p. 109.
19
GORE Charles et NEVADOMSKY Joseph, “Practice And Agency In Mammy Wata Worshipip In
Southern Nigeria”, p.66.
phénomène lié à Mamy Wata. De la sculpture à la peinture, les
représentations de la divinité sont très différentes. Par exemple, Mamy wata
peut même être représentée avec trois têtes sous les traits d’un dieu
hindou20(fig.13). Le lien entre la chromolithographie et les divinités vodouns
préexistantes met également en évidence l’association du serpent à la
divinité androgyne Dan ou Damballah Ouedo.
Les artistes et les pratiquants de cette religion l’ont également mis en lien
avec des divinités indiennes qui sont ainsi présentes sur les autels pour
représenter certaines Mamy Wata, comme je traiterai dans ma partie
« autres références culturelles ».

Un autre exemple est constitué par des masques de l’actuel Sierra Leone et
Côte d’Ivoire21. Ces masques sont en lien avec des sociétés initiatiques
masculines ou féminines ou à des amalgames de cultes divers selon le
groupe culturel d’où provient le masque (fig. 14). Ces masques sont portés
durant les festivals annuels en l’honneur de plusieurs divinités, dont Mamy
wata, qui font référence à plusieurs traditions. Ils sont le reflet de mélanges
de tradition et de modernité, donc d’une certaine nouveauté. Durant ces
mêmes festivités, les acteurs des rituels de mascarade préparent des
statues appelées « spirit spouse »22. Ces dernières représentent une femme
ou un mari qui vit dans l’au-delà (fig.15). Placées sur un autel domestique,
elles servent à trouver un époux, à avoir des enfants et de l’argent comme
les masques. Elles ont les mêmes caractéristiques que la charmeuse de
serpent, c’est-à-dire les cheveux lisses, les boucles d’oreilles, la peau claire
et les seins proéminents.

De l’autre côté de l’Atlantique, en Haïti, Drewal a observé un processus de


créolisation. Sur des drapeaux rituels, il constate la présence de la sirène ou
de la charmeuse de serpent23, voire des deux. Le chercheur ne sait pas par
quel biais sont arrivées ces représentations, mais il suppose qu’elles
proviennent de la traite négrière entre le 16ème et le 18ème siècle. Dans le

20
DREWAL Henry John (éd.), Mami Wata, Arts for Water Spirits in Africa and Its Diasporas, p.90.
21
Ibidem,p.73-87.
22
DREWAL Henry John (éd.), Mami Wata, Arts for Water Spirits in Africa and Its Diasporas, p.84.
23
Ibidem, p. 142-157.
panthéon vaudou, un lwa (esprit) est nommé « Lasirèn » (fig.16). Il est
associé à la séduction et à la richesse. Ce lwa est présent dans les deux
types de rites vaudou, le culte Rada et le culte Petwo. Le premier culte est de
nature « fraiche » et tranquille, le deuxième est de nature violente et
« chaude ». Dans le rite Rada, « Lasirèn » est comparée à Eziri des eaux,
divinité de couleur blanche et calme. Dans l’autre rite, on l’associe à Eziri
Danto, esprit de l’amour, de couleur noir et représenté comme une mère très
possessive et liée à l’océan. Ces différences sont selon les vodouisants deux
« chemins » de la même divinité. Dans ces deux cosmologies, on représente
ce Iwa accompagné de poissons, de baleines et de serpents sur des
drapeaux servant à invoquer les esprits. Ses attributs sont la couronne, le
miroir et la trompette et les Haïtiens confectionnent des poupées en son
honneur. A lire Drewal, il n’y aurait pas de statue en Haïti.
La chromolithographie de la charmeuse de serpent se retrouve sur des
autels ou figurée sur des drapeaux. Drewal propose deux hypothèses pour
sa présence dans le culte (fig.17). La première établit un lien avec le serpent
divin d’origine fon Damballah. La deuxième propose que les artistes qui ont
produit les drapeaux ont établi un lien entre le culte de la sirène et celui de
Mamy Wata dont ils ont perçu les différents modes de représentations. Dans
la perspective de recherche sur les pratiques d’hybridation l’exemple haïtien
est intéressant. On y constate en effet l’importance de la sirène et son
mélange avec la charmeuse de serpent. Par contre, on ne sait pas si elles
sont représentatives de l’ensemble du culte en Haïti et l’usage qu’en font les
pratiquants individuellement.

Toujours de l’autre côté de l’Atlantique, en République Dominicaine, Mamy


Wata est associée dans le cadre du culte du vodu à la figure chrétienne de
Santa Marta la Dominadora. Cette association est attestée depuis 1960,
depuis le moment où des boutiques religieuses ont vendu des statues de la
sainte pour représenter Mamy (fig.18). Selon certains Dominicains, il y a
plusieurs « chemins » de la déesse, l’un blanc et l’autre noir. Dans cet espace,
Mamy Wata n’est pas représentée sous forme de sirène comme en Haïti
mais seulement la figure de la charmeuse de serpent est utilisée. Elle est
présente sous forme de chromolithographie sur les autels où elle servirait à
garder de bonnes relations avec l’être aimé dans le cadre de cultes en lien
avec l’eau. Drewal ne présente pas dans son article des drapeaux en honneur
de la divinité, donc on ne sait pas s’ils existent. En République Dominicaine,
le lien avec le christianisme est évident. La question se pose de savoir si
ailleurs le recours à la référence chrétienne ou à d’autres religions est
présente et si elle est étudiée.

Autres références culturelles

Un certain nombre de chercheurs ont constaté des liens entre Mamy Wata,
le bouddhisme, l’hindouisme, le christianisme, l’islam et l’astrologie24. Il faut
donc s’interroger sur les raisons de ses associations et sur leur fréquence
par rapport à la sirène et à la charmeuse de serpent. Dans la littérature
consultée, aucun chercheur n’apporte de réponse à cette question ni à celle
du contexte culturel où ces divinités sont présentes. Seule Dana Rush
s’interroge sur la signification des divinités indiennes dans le vodoun25. Dans
ce culte, selon ses quatre informateurs, la mer est le lieu de l’altérité, du
coup les figures indiennes seraient une manière de donner une expression à
cette altérité. Mais Dana Rush souligne la présence de divinités indiennes
dans le panthéon vodoun en général sans qu’il y ait forcément relation à des
divinités de l’eau. La question se pose de savoir si ces constructions
visuelles sont utilisées pour leurs qualités esthétiques et parce qu’elles
permettent également une plus grande liberté d’interprétation pour les
pratiquants (fig. 19).
Les références islamiques et chrétiennes sont moins étudiées. En ce qui
concerne l’islam, les chercheurs s’interrogent sur la présence d’al-buraq, le
cheval ailé de Mahomet qui a volé de la Mecque à Jerusalem26(fig.20). Le
lien avec le christianisme apparaît peu dans la littérature scientifique. On
peut donc se poser la question s’il est peu présent et du coup peu étudié.

24
Dans les monographies de ces cherchercheurs, on retrouve ses associations: GORE Charles et
NEVADOMSKY Joseph, BRIVIO Alessandra et DREWAL Henry John.
25
RUSH Dana, “Global Mami: “India” and Mami Wata in west African vodu”, Mami wata, l’inquieto
spirito della acque, p. 47-65.
26
Ibidem, p. 59.
Conclusion

Dans le cadre de mon travail, j’ai privilégié les propositions de Drewal, qui
s’intéresse plutôt aux images dans une dimension transnationale, mais en
tenant compte des différences locales telles qu’elles sont présentées par
différents chercheurs. Par contre, je n’ai pas suivi la position de Charles Gore
et Joseph Nevadomsky27 qui analysent les pratiques rituels de Mamy Wata à
l’échelle locale et individuelle pour pouvoir comprendre la capacité
subjective à produire du sens. Ces deux auteurs ne s’intéressent pas à une
vision globale qui selon eux obscurcit le geste singulier. Pour moi, ces deux
visions sont complémentaires, mais j’ai mis l’accent d’abord sur la diversité
et sur l’unité en général et non pas sur le rôle des acteurs. Dans la
perspective que j’ai choisie, l’utilisation de l’image de la chimère, proposée
par Maria Luisa Ciminelli est éclairante pour comprendre Mamy Wata28.
Cette métaphore met l’accent sur l’aspect multiforme mais toujours
reconnaissable de la divinité. L’image de la chimère est ne manière de
souligner la capacité de Mamy Wata à articuler l’ancien et le moderne,
l’indigène et l’altérité, le local et le global.

Bibliographie

Monographies

BRIVIO A. 2010, BRIVIO Alessandra (éd.), Mami wata, l’inquieto spirito della
acque, Milano, Centro Studi archeologia Africana, 2010.
DREWAL H.J. 2008a, DREWAL Henry John (éd.), Sacred Waters, arts for
Mami Wata and Other Divinities in Africa and the Diaspora, Bloomington,

27
GORE Charles et NEVADOMSKY Joseph, “Practice And Agency In Mammy Wata Worshipip In
Southern Nigeria”, pp. 60-76.
28
CIMINELLI Maria Luisa, « Mami Wata: come funziona una chimera? », Mami wata, l’inquieto spirito
della acque,p. 67-83.
Indiana University Press, 2008.
DREWAL H.J. 2008b, DREWAL Henry John (éd.), Mami Wata, Arts for Water
Spirits in Africa and Its Diasporas, Los Angeles, University of California, 2008.

Articles

BORTOLOTTI Ch. 2009, BORTOLOTTO Chiara, “La sirène Mami Wata: un cas
de réemploi transculturel”, L’autre, Cliniques, Cultures et sociétés, revue
transculturelle, no 1, (2009), pp. 37-45.
GORE,NEMADOVSKY 1997, GORE Charles et NEVADOMSKY
Joseph, “Practice And Agency In Mammy Wata Worshipip In Southern
Nigeria”, African arts, no 2, (printemps 1997), pp. 60-76.
Photographie:
Fig.1 Drewal, Peinture sur un rocher provenant du desert du Kalahari qui
montre des hommes (sirènes) parmi des poissons, des serpents et le
mythique « rain bull » de la culture San. p.29.
Fig. 2 Sirène de style baroque qui dominait un autel des bidjogos sur l’île de
Formose. p.36.
Fig. 3 boîte en bois du peuple yoruba owo, 18ème siècle, 45cm de long-7 de
large. p.45.
Fig. 4 cloche rituelle, royaume Edo du Bénin, 19ème siècle, ivoire, 22cm de
haut-9 cm de large, p.42.
Fig. 5 Plateau décoré avec un poinçon, Sud-est Nigéria, 19ème siècle, cuivre,
diamètre 45cm, p.40.
Fig. 6 tambour de oshugbo ou de la société secrète ogboni, Nigéria, 19ème
siècle, bois, 81cm, p. 47.
Fig. 7 Poteries vodoun de Porto-Novo, vaisselle rituelle. A droit Mami apouke,
p. 91.
Fig. 8 artiste contemporain abdal 22, Kinshasa 1990, acrylique sur canevas
59*46cm, p. 130.
Fig. 9 Adolph Friedländer company, la charmeuse de serpent de 1880,
réimprimée en 1955 pour un calendrier de Bombay, chromolithographie,
36*26cm, p. 51.
Fig. 10 Photographie prise par J.A Green dans le delta du Niger d’un chapeau
rituel, montre inspiration de la chromolithographie, p. 53.
Fig. 11 Masque de Mamy wata, nord territoire igbo, milieu 20ème siècle, bois,
pigment, 83cm, p. 109 et 111.
Fig. 12 John Onyok, état de Akwa Ibom, bois, peinture, raffia, 41cm, p. 117.
Fig. 13 Plan autel de la Mamissi Katarina Walas, papi wata Densu en or, p. 90.
Fig. 14 Masque face Jolly, Sierra Leone, 1980, bois, pigment, cordes, 92cm, p.
72.
Fig. 15 « spirit spouse » figure sert pour la chance, p. 85.
Fig. 16 Yves Telemark, 1955, Port-au-Prince, Lasirene diamant, satin, rayons,
1m*83cm, p. 143.
Fig. 17 Nadine Portilus, Port-au-Prince, satin, perles, 1980, 105*91cm, p.150.
Fig. 18 Statue de Santa Marta la Dominadora, plâtre, pigment, 1975, 30*5cm,
p. 158.
Fig. 19 Joseph Kossivi Ahiator, Aflao, Ghana, roi indien de Mamy wata, 2005,
pigment sur habit, 225*267cm, p.57.
Fig. 20 RUSH Dana, “Global Mami: “India” and Mami Wata in west African
vodu”, Mami wata, l’inquieto spirito della acque, Lomé, Togo, 1996, p. 59.

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