Vous êtes sur la page 1sur 9

Le football féminin, une pratique en développement

Entretien avec Laurence Prudhomme-Poncet, Gaëtane Thiney


Dans Informations sociales 2015/1 (n° 187), pages 119 à 126
Éditions Caisse nationale d'allocations familiales
ISSN 0046-9459
DOI 10.3917/inso.187.0119
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2015-1-page-119.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Caisse nationale d'allocations familiales.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Sport(s) et social
Lutter contre les stéréotypes

Le football féminin,
une pratique en développement
Entretien

Le football féminin est pratiqué depuis longtemps mais vit dans


l’ombre médiatique de son homologue masculin. Toutefois, son
développement s’est accéléré depuis une décennie grâce au nombre
croissant de joueuses et aux résultats spectaculaires de l’équipe
nationale dans les compétitions internationales. Pour évoquer ces
transformations, la revue Informations sociales a réuni Laurence
Prudhomme, historienne et enseignante d’éducation physique et
sportive et Gaëtane Thiney, joueuse aux nombreuses sélections
internationales, mais aussi chargée de mission à la Fédération
française de football.
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)
Laurence Prudhomme ­– historienne, enseignante d’éducation physique et sportive
Gaëtane Thiney ­– footballeuse internationale, chargée de mission à la Fédération française de football
Propos recueillis par Mathieu Arbogast et Jérôme Minonzio

Laurence Prudhomme, pouvez-vous retracer les grandes périodes de l’histoire


du football féminin en France ?
Laurence Prudhomme : Le football féminin apparaît en 1917, dans une société
féminine de gymnastique parisienne, nommée Femina sport, créée en 1912 – et qui
existe d’ailleurs encore aujourd’hui ! Les joueuses pratiquent d’abord entre elles
puis contre des équipes scolaires masculines, avant la naissance d’un championnat
en 1918-1919. Entre ces débuts il y a un siècle et aujourd’hui, le football féminin
suit une progression irrégulière, avec une première phase de croissance de 1917
jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Il traverse ensuite une période noire jusque
dans les années 1960, où il réapparaît dans le cadre de fêtes de clubs ou de tournois
masculins. Ce sont alors des clubs masculins qui cherchent à attirer le public avec
le spectacle « folklorique » inédit d’un match entre deux équipes féminines. C’est le
cas à Humbécourt en 1965, à Gerstheim en 1967 ou à Reims en 1968. Comme il y a
suffisamment de joueuses motivées pour poursuivre l’aventure, le football féminin se
développe ensuite progressivement.

Il est d’abord pratiqué en marge des fédérations de football masculines, puisque


d’abord l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA)(1) puis
la Fédération française de football (FFF), association créée en 1919, refusent
d’intégrer le football féminin. Il se développe donc au sein de fédérations
féminines, qui visent à favoriser la pratique par les femmes d’activités athlétiques

n° 187 Informations sociales 119

IS 187.indd 119 07/05/15 11:30


Sport(s) et social
Lutter contre les stéréotypes

et de sports collectifs comme le football, le basket, la « barette » (ancêtre du


rugby), etc. Il faut attendre 1970 pour que le foot féminin soit intégré dans la
Fédération française de football. Au niveau international, c’est également au
cours des années 1970 que le football féminin est reconnu dans la plupart des
pays où il est pratiqué. Les premières compétitions internationales se structurent
également à cette période.

Gaëtane Thiney, comment votre sport a-t-il évolué dans la période récente ?
Gaëtane Thiney : La médiatisation est plus importante qu’à mes débuts mais c’est
aussi le regard de la société qui a évolué. Je suis originaire de l’Aube, où j’ai
commencé le football à cinq ans dans un contexte local particulier, très favorable. Je
viens d’un petit village où Marinette Pichon(2), qui a une dizaine d’années de plus
que moi, avait joué avant moi. Elle était la star de l’équipe de France à l’époque et
c’est elle qui m’a donné envie de m’inscrire. Lorsque je suis arrivée, il était donc
presque normal qu’une fille joue avec les garçons. C’est vers 14 ans que j’ai pris
conscience de l’existence d’un football féminin, lorsqu’on m’a signifié que je n’avais
plus le droit de jouer avec les garçons en club. Je suis alors partie dès 14 ans en
première division, où j’ai continué à m’entraîner avec des garçons jusqu’à 17 ans.
Mon parcours est atypique, puisque je suis actuellement la seule de l’équipe de
France à ne pas être passée par un Pôle féminin de la FFF. Mon choix de ne pas
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)
intégrer le Pôle de Clairefontaine a donc eu pour conséquence que je suis restée avec
les garçons même si, réglementairement, j’aurais dû jouer avec les filles. Lorsqu’en
2003 nous avons été championnes d’Europe des moins de 19 ans, les médias ne se
sont pas intéressés à nous. Pas plus quand je suis arrivée en équipe de France A en
2007, et les stades étaient moyennement remplis, 5 000 à 6 000 personnes.

La Coupe du monde de 2011 a été un déclic. Il n’y avait cet été-là aucune autre
grande compétition sportive internationale, ni pour le football masculin ni dans
d’autres sports. Dans ce contexte de « vide », nous nous sommes retrouvées trois
fois en Une du journal L’Équipe. Je précise que la Coupe du monde se déroulait
en Allemagne où le football féminin est un sport phare : les stades étaient pleins et
nous avons joué devant 56 000 personnes. Les moyens déployés par les télévisions
ont permis de mettre en valeur le jeu et la technique des joueuses, d’en faire un
spectacle attractif, ce qui d’habitude était réservé aux compétitions masculines.

Toutes ces circonstances et notre quatrième place ont fait que nous avons eu un
choc à notre retour. Lorsque nous avons été reçues chez notre équipementier sur les
Champs-Élysées, l’attroupement était tel qu’il a fallu une intervention du service de
sécurité pour que nous puissions sortir dans de bonnes conditions…

Nous avons ensuite été qualifiées pour les Jeux olympiques de 2012. Les médias ont
continué à nous suivre et certaines joueuses, dont je fais partie, ont été dans une
certaine mesure « starifiées ». C’est à cette époque que la FFF a négocié des droits
de retransmission à la télévision de la 1ère division féminine. Leur montant est sans
rapport avec celui du football masculin. Mais c’est le fait d’être diffusées qui est
important.

120 Informations sociales n° 187

IS 187.indd 120 07/05/15 11:30


Sport(s) et social
Lutter contre les stéréotypes

Au niveau des clubs, dans quelles régions ce sport s’est-il implanté?


L. P. : Le football féminin est d’abord très parisien lors de sa naissance en 1917 et
dans les années 1920. À son apogée, en 1923, il y a 18 équipes parisiennes. Les
joueuses font de la propagande pour les activités physiques, notamment pour la
gymnastique puis les sports athlétiques, et des équipes se créent à Reims, Rouen,
Lille, Toulouse, Marseille, même si la pratique reste fortement concentrée autour de
Paris. Concernant la renaissance du football féminin dans les années 1960, il existe
deux foyers essentiels de réapparition : l’Alsace et la région rémoise. Le stade de
Reims, dont l’équipe masculine est alors dominante et très populaire, contribue à la
diffusion du football féminin. Par la suite celui-ci se développe dans toute la France,
quoique moins en Bretagne et en Corse.

Le développement de ce sport chez les femmes n’a-t-il pas été freiné


par des discours et des règlements différents de ceux concernant les hommes ?
L. P. : D’emblée, le football féminin a été accueilli avec méfiance. Dans les décennies
1920-1930, les réticences et l’hostilité provenaient des milieux sportifs du football
mais aussi des médecins ou encore des éducateurs. Dans les années 1960-1970, ce
sont les mêmes griefs qui ressurgissent. Le football est accusé de viriliser les femmes,
de les enlaidir… On a critiqué les « garçonnes » pendant la première phase et les
« garçons manqués » dans la seconde.
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)
Dans l’entre-deux-guerres, de nombreux médecins et éducateurs prétendent que ce
sport entraînerait un risque de stérilité. Dans la deuxième période, le discours s’est
un peu déplacé sur la maternité, les médecins interdisant la pratique du football
durant toute la durée de la grossesse.

Les règlements sont donc adoucis et édulcorés pour les femmes, alors considérées
comme faibles et fragiles. Les mêmes adaptations réglementaires se répètent d’une
période à l’autre. Les matchs sont réduits à 60 minutes au lieu de 90 et le terrain
est plus petit. Jusqu’en 1989, les joueuses ne pouvaient jouer qu’avec le ballon de
taille « n° 4 » utilisés par les jeunes, plus petit et plus léger que le « n° 5 », utilisé
par les hommes adultes. Les contacts et les « charges » sont interdits tandis qu’on
permet aux joueuses de se protéger la poitrine avec les mains. Les hommes qui se
sont exprimés sur le foot féminin ont accordé beaucoup d’importance à cette partie
du corps féminin et sa protection. Les joueuses des années 1960 rapportent qu’on les
incitait à porter des prothèses protectrices.

Existe-t-il un lien entre la médiatisation du football féminin


et sa professionnalisation ?
G. T. : La professionnalisation concerne peu de clubs : Lyon et le Paris Saint-
Germain, ainsi que Montpellier dans une moindre mesure. Le premier dirigeant
de club masculin professionnel à miser sur une équipe féminine est ainsi Louis
Nicollin à Montpellier, autour des années 2000. Puis, toujours bien avant la Coupe
du monde 2011, le dirigeant de l’Olympique lyonnais (OL) Jean-Michel Aulas
a décidé à son tour de créer une équipe féminine et d’y investir fortement, en
intégrant le FC Lyon qui était jusque-là une équipe autonome.

n° 187 Informations sociales 121

IS 187.indd 121 07/05/15 11:30


Sport(s) et social
Lutter contre les stéréotypes

Cette évolution économique a soulevé des problèmes juridiques, car le championnat


reste amateur et, dans la plupart des clubs, on ne peut compter que sur la prise
en charge des frais de déplacement et quelques primes de matches. Pour que les
joueuses puissent avoir un salaire en tant que footballeuses et que des transferts
soient possibles, les instances ont étendu au foot féminin le « contrat fédéral »(3),
comme il en existe dans des clubs masculins de niveau national et de CFA(4). Lyon
a alors pu proposer ces contrats à des joueuses américaines, suédoises, venues de
championnats professionnels... L’OL a remporté la coupe d’Europe en 2011, attirant
l’intérêt des médias, et trois mois plus tard débutait la Coupe du monde en Allemagne.

En soi, on peut parler aussi de professionnalisation dans la manière de se préparer,


avec notamment une préparation physique de haut niveau. La qualité de jeu
s’en ressent.

Le football est-il différent lorsqu’il est pratiqué par les femmes et par les hommes ?
G. T. : Non. La seule différence est physique. D’abord parce qu’en moyenne les
femmes ne sont pas aussi rapides ou puissantes que les hommes. Cette différence
est aussi liée à l’évolution de notre sport : la qualité et l’intensité de la préparation
physique sont encore récentes et limitées par le statut amateur. La qualité actuelle
du foot féminin est liée à son histoire. Aujourd’hui, les joueuses qui arrivent au
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)
haut niveau sont formées à partir de la seconde, vers 15 ans, dans les sept Pôles
espoirs féminins. Depuis 1998, date de création du premier Pôle féminin, on forme
de nombreuses joueuses à la pratique du haut niveau, une vingtaine par centre.

Le foot féminin a quarante ans de retard sur le masculin dans la structuration et la


qualité d’entraînement mais, grâce à l’expérience des hommes, nous sommes en train
de le rattraper rapidement. Dans les années à venir, la qualité de jeu va continuer à
s’améliorer, car plus de joueuses auront bénéficié de la formation française, qui est
l’une des meilleures au monde.

Progressivement, la fédération se met en mesure d’accueillir les jeunes femmes


qui recherchent cette formation de haut niveau. Aujourd’hui, pour les garçons, la
préformation commence dans des Pôles dès 12 ans contre 15 ans pour les filles : ce
retard-là n’est pas encore comblé. L’une des explications est que les joueuses ne sont
pas suffisamment nombreuses aujourd’hui pour justifier une préformation. Entre 12
et 15 ans, elles sont donc encadrées dans les clubs, d’ailleurs de mieux en mieux.

L. P. : Par ailleurs, il existe des sections sport-études acceptant de jeunes footballeuses.


La première a été créée en 1991 et d’autres ont suivi à partir de 2000 dans le cadre du
plan de développement du foot féminin lancé par la fédération.

G. T. : Des partenariats sont également noués avec l’Union nationale du sport scolaire
pour que le football féminin progresse à l’école. Être associé à la création d’une section
sport-études est une solution idéale pour un club, même si c’est plus compliqué en
région parisienne en raison du faible nombre d’internats. Mais c’est une formule qui a
l’avantage d’offrir une formation proche du domicile familial.

122 Informations sociales n° 187

IS 187.indd 122 07/05/15 11:30


Sport(s) et social
Lutter contre les stéréotypes

Est-il plus facile aujourd’hui pour une fille de s’inscrire au football ?


L. P. : Il y a encore quelques années, le premier problème était le faible nombre
de clubs. Cela explique notamment que de nombreuses footballeuses ont
débuté ce sport assez tard, après avoir pratiqué l’athlétisme par exemple. Mais
il existe une autre cause, à un niveau plus profond : des réticences, voire des
interdits familiaux, font que spontanément les filles ne s’inscrivent pas au foot.
Elles vont plus facilement vers le basket, l’athlétisme ou même le handball.
C’est probablement un peu moins vrai aujourd’hui avec la multiplication des
clubs.

G. T. : La société évolue. Les critiques contre les « garçons manqués » que vous
avez évoquées, je les ai entendues moi aussi mais, de plus en plus, le foot est
aussi perçu comme un sport pour les filles. Auparavant, une fille devait se battre
pour pratiquer un sport, s’affirmer en accentuant peut-être des traits masculins ;
à présent, n’importe quelle fille peut pratiquer sans se poser ces questions.

L. P. : Je crois effectivement qu’il existait un besoin d’être « comme les hommes »,


donc de faire comme eux, de jouer du vrai football et pas un succédané. Lorsque
que je jouais en club, j’ai entendu des partenaires plaisanter en disant « Tu t’es
déguisée en femme aujourd’hui », à propos d’une équipière maquillée. Un jour,
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)
un journaliste avait voulu nous faire poser de manière différente pour une photo
d’équipe. La réaction a été immédiate : « Nous voulons être photographiées
comme les garçons », c’est-à-dire comme dans toutes les photos d’équipes : sur
deux rangs, le premier accroupi devant le deuxième debout.

G. T. : J’aurais du mal à expliquer pour quelles raisons les joueuses se présentent


de manière plus féminine aujourd’hui. Peut-être est-ce une demande implicite
de la société. Les équipements ont évolué en ce sens eux aussi. Par exemple, les
maillots avec lesquels j’ai débuté ne ressemblaient à rien ; ils sont maintenant
beaucoup plus cintrés. Aujourd’hui, il est devenu important que l’équipe de
France féminine produise une belle image. Cette dimension esthétique permet
aussi à des spectateurs d’accrocher à notre sport. C’est plus lié au sport en
lui-même qu’au sexe des joueurs, je ne pense pas que le football féminin
soit plus technique ni plus beau à regarder que le masculin. D’ailleurs, on
nous complimente sur le fair-play, le fait que nous ne nous roulons pas par
terre à chaque contact. Mais peut-être que là aussi nous avons quarante ans
de retard. Rien ne dit que ce ne sera pas le cas dans quelques années… On
peut faire la même réflexion concernant l’argent. La grande différence avec
le football masculin est économique. Le comportement des footballeurs est
souvent critiqué, tandis que nous autres joueuses aurions un comportement
« sain » vis-à-vis de l’argent. Mais si l’on donnait 200 000 euros à des filles de
12 ans pour signer dans un club, et qu’ensuite on leur donnait 40 000 euros
par mois, comment réagiraient-elles ? Si nous subissions la même pression
économique médiatique et politique que les hommes, nous aurions sans doute
des comportements similaires. Aujourd’hui, les comparaisons ne sont pas
possibles car les situations sont incomparables.

n° 187 Informations sociales 123

IS 187.indd 123 07/05/15 11:30


Sport(s) et social
Lutter contre les stéréotypes

Dans votre pratique d’enseignante d’éducation physique et sportive, comment


abordez-vous la différence entre les filles et les garçons ?
L. P. : Je ne vois pas de différence dans l’enseignement selon le sexe des élèves. C’est
le fait qu’ils soient débutants ou aient déjà une expérience qui va modifier mon
enseignement. Or on donne plus facilement un ballon à un garçon, même bébé,
qu’à une fille. C’est ce qui explique qu’à l’âge scolaire les différences de pratique se
sont déjà creusées entre filles et garçons.

Cela provoque aussi de l’autocensure chez beaucoup de filles, même chez celles qui
savent bien jouer. Dans la cour du collège, ce sont essentiellement les garçons qui
jouent au foot, avec une forte concurrence entre eux. C’est pourquoi j’ai organisé
par exemple un match 100 % féminin où les élèves affrontaient les professeures,
de différentes disciplines. Comme c’était le premier match du collège entre adultes
et élèves, cela en a fait une attraction. Le regard de certains garçons a évolué aussi
après être allés voir un match de l’OL féminin.

Cela signifie-t-il que des actions spécifiques auprès des filles sont nécessaires pour
augmenter le nombre de pratiquantes ?
G. T. : Nous manquons encore de recul sur les évolutions récentes. Il est nécessaire de
mettre en place un observatoire de la pratique, ce qui prend du temps. Aujourd’hui,
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)
avoir plus de pratiquantes passe par le développement du haut niveau et par la
capacité à accueillir des jeunes en masse. Un manque reste à combler pour les filles
qui préféreraient jouer avec d’autres filles. Aujourd’hui les garçons ne s’inscrivent pas
pour découvrir la pratique, ils n’en ont pas besoin, mais pour la compétition. C’en est
même problématique, nous essayons d’enrayer cette tendance chez les petits, c’est
très regrettable que le moindre match de U9 prenne des allures de Coupe du monde...

Le football est un sport très populaire et il doit rester éducatif. Les tout jeunes joueurs
ne rêvent que de devenir footballeurs professionnels, alors que beaucoup de filles
voudraient tout simplement jouer, pour s’amuser avec leurs copines et leurs copains.
La difficulté pour la fédération est d’avoir une offre qui réponde à ces deux types
de demande, de loisir et de compétition. Nous devons être en mesure de créer des
écoles où les filles peuvent jouer avec les filles sans objectif de compétition et peut-
être que des garçons viendront jouer avec elles. La fédération aide les clubs à se
doter d’équipements adaptés lorsque ceux-ci manquent et, lorsqu’ils existent, à se
doter d’un encadrement de qualité.

La dérive de l’ultra-compétition chez les jeunes découle de la pression des parents


mais parfois aussi de l’encadrement. La fédération travaille à faire émerger des
projets de club et met fortement l’accent sur la formation des éducateurs. Cela passe
aussi par une action auprès des présidents de club. Beaucoup de chantiers sont
actuellement ouverts sur tous ces sujets.

S’agit-il aussi d’éducatrices ?


G. T. : Un important plan de féminisation est en cours depuis 2012 à tous les niveaux
de la fédération. Il est conduit par la secrétaire générale de la FFF, Brigitte Henriques.

124 Informations sociales n° 187

IS 187.indd 124 07/05/15 11:30


Sport(s) et social
Lutter contre les stéréotypes

L’un des axes porte sur les instances dirigeantes, un autre sur les encadrants, les
éducateurs et, bien entendu, les pratiquants. La fédération est sur la bonne voie sur
ce terrain, avec le soutien du ministère des Sports pour lequel c’est une priorité.
Ainsi, pendant deux ans, j’ai eu en charge la promotion du football auprès d’élèves
de primaire, en partenariat avec l’Union sportive de l’enseignement du premier
degré (Usep) et l’Éducation nationale. L’opération s’appuyait sur l’équipe de France
féminine et sur ses valeurs en s’adressant aux élèves des deux sexes. Beaucoup de
classes ont participé, avec enthousiasme.

À l’origine du projet, il y a le constat que le foot n’est plus pratiqué à l’école primaire.
Pour prendre une image, les enseignants en avaient assez des lunettes cassées…
Notre opération, déclinée également au collège et au lycée, consistait à associer
un cycle de pratique du football à la réalisation d’une vidéo libre. Les lauréats ont
passé une journée avec nous à Clairefontaine, car l’opération était orientée vers les
jeux Olympiques 2012 auxquels nous participions. Le projet est renouvelé par la
Direction technique nationale. Elle sera orientée chaque année vers l’événement de
l’année qui suit : en 2015 l’Euro 2016 masculin, en 2016 l’Euro féminin 2017, les
grands rendez-vous des femmes et des hommes étant décalés d’un an.

Quels sont à vos yeux les défis actuels du football féminin ?


© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)
G. T. : J’espère que dans dix ans les joueuses seront aussi bien dotées que nous
aujourd’hui ; nous avons vraiment un grand confort. Mais j’espère aussi que nous
conserverons la maturité actuelle, il faut rester vigilants. J’ai des sponsors mais je
garde conscience du prix de chaque chose, j’ai conscience que ce sont des privilèges.
Avec les joueuses de ma génération, nous avons un rôle à jouer ; nous avons vécu
l’amélioration de notre situation matérielle mais nous devons transmettre aux nouvelles
joueuses nos valeurs. J’ai toujours fait le choix de rester joueuse amatrice malgré des
sollicitations pour devenir professionnelle, et d’avoir un autre métier. Il ne faudrait
pas que les jeunes joueuses s’imaginent qu’être footballeuse, c’est automatiquement
évoluer dans le confort qui est le nôtre. La réalité est différente, l’immense majorité
vient jouer au football pour rien. Parmi les 200 ou 300 jeunes filles qui vont sortir
des Pôles espoir, une ou deux seulement atteindront nos conditions privilégiées. Nous
devons nous préoccuper des 298 autres, qui ne rêvent que de ça. Nous devons les
amener au très haut niveau, tout en leur faisant comprendre qu’elles devront avoir un
autre travail. Nous devons éviter qu’une jeune de 20 ans à qui on propose un contrat
de 1 500 euros par mois arrête ses études du jour au lendemain. Si elle se blesse,
elle n’aura plus rien. Les clubs doivent les accompagner pour qu’elles se forment,
s’éduquent en tant que personnes et pas seulement comme joueuses.

Pour transmettre ces valeurs, faut-il s’adresser également aux parents ?


G. T. : La fédération se penche sérieusement sur la question. Concernant les petits, il
y a des chartes à construire. Le Programme éducatif fédéral mis en place par la FFF
en 2014 s’adresse à aux parents et aux enseignants et pas simplement aux jeunes et
aux entraîneurs(5). Le rôle des parents y est beaucoup évoqué. La Ligue du football
amateur a aussi énormément travaillé sur le rôle des parents. Les enfants s’approprient
souvent les rêves que les parents ont pour eux.

n° 187 Informations sociales 125

IS 187.indd 125 07/05/15 11:30


Sport(s) et social
Lutter contre les stéréotypes

Notes

1 – L’USFSA est une fédération omnisports créée en 1887, régissant une vingtaine de pratiques sportives dont le football.
2 – Marinette Pichon a été joueuse de football professionnelle, sélectionnée au sein de l’équipe de France entre 1994
et 2007 (112 sélections, 81 buts).
3 – Le contrat fédéral permet la rémunération financière de footballeurs non professionnels pour les clubs de la 3e à la 6e division.
4 – Pour le football professionnel masculin, les championnats « National » et « CFA » (acronyme de Championnat de
football amateur) correspondent respectivement à la 3e et la 4e division.
5 – Le Programme éducatif fédéral de la FFF est disponible à l’adresse suivante :
http://www.fff.fr/actualites/144081-552593-lancement-du-programme-educatif-federal
© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)

126 Informations sociales n° 187

IS 187.indd 126 07/05/15 11:30

Vous aimerez peut-être aussi