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© Caisse nationale d'allocations familiales | Téléchargé le 28/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.66.1.213)
Le football féminin,
une pratique en développement
Entretien
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Laurence Prudhomme – historienne, enseignante d’éducation physique et sportive
Gaëtane Thiney – footballeuse internationale, chargée de mission à la Fédération française de football
Propos recueillis par Mathieu Arbogast et Jérôme Minonzio
Gaëtane Thiney, comment votre sport a-t-il évolué dans la période récente ?
Gaëtane Thiney : La médiatisation est plus importante qu’à mes débuts mais c’est
aussi le regard de la société qui a évolué. Je suis originaire de l’Aube, où j’ai
commencé le football à cinq ans dans un contexte local particulier, très favorable. Je
viens d’un petit village où Marinette Pichon(2), qui a une dizaine d’années de plus
que moi, avait joué avant moi. Elle était la star de l’équipe de France à l’époque et
c’est elle qui m’a donné envie de m’inscrire. Lorsque je suis arrivée, il était donc
presque normal qu’une fille joue avec les garçons. C’est vers 14 ans que j’ai pris
conscience de l’existence d’un football féminin, lorsqu’on m’a signifié que je n’avais
plus le droit de jouer avec les garçons en club. Je suis alors partie dès 14 ans en
première division, où j’ai continué à m’entraîner avec des garçons jusqu’à 17 ans.
Mon parcours est atypique, puisque je suis actuellement la seule de l’équipe de
France à ne pas être passée par un Pôle féminin de la FFF. Mon choix de ne pas
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intégrer le Pôle de Clairefontaine a donc eu pour conséquence que je suis restée avec
les garçons même si, réglementairement, j’aurais dû jouer avec les filles. Lorsqu’en
2003 nous avons été championnes d’Europe des moins de 19 ans, les médias ne se
sont pas intéressés à nous. Pas plus quand je suis arrivée en équipe de France A en
2007, et les stades étaient moyennement remplis, 5 000 à 6 000 personnes.
La Coupe du monde de 2011 a été un déclic. Il n’y avait cet été-là aucune autre
grande compétition sportive internationale, ni pour le football masculin ni dans
d’autres sports. Dans ce contexte de « vide », nous nous sommes retrouvées trois
fois en Une du journal L’Équipe. Je précise que la Coupe du monde se déroulait
en Allemagne où le football féminin est un sport phare : les stades étaient pleins et
nous avons joué devant 56 000 personnes. Les moyens déployés par les télévisions
ont permis de mettre en valeur le jeu et la technique des joueuses, d’en faire un
spectacle attractif, ce qui d’habitude était réservé aux compétitions masculines.
Toutes ces circonstances et notre quatrième place ont fait que nous avons eu un
choc à notre retour. Lorsque nous avons été reçues chez notre équipementier sur les
Champs-Élysées, l’attroupement était tel qu’il a fallu une intervention du service de
sécurité pour que nous puissions sortir dans de bonnes conditions…
Nous avons ensuite été qualifiées pour les Jeux olympiques de 2012. Les médias ont
continué à nous suivre et certaines joueuses, dont je fais partie, ont été dans une
certaine mesure « starifiées ». C’est à cette époque que la FFF a négocié des droits
de retransmission à la télévision de la 1ère division féminine. Leur montant est sans
rapport avec celui du football masculin. Mais c’est le fait d’être diffusées qui est
important.
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Dans l’entre-deux-guerres, de nombreux médecins et éducateurs prétendent que ce
sport entraînerait un risque de stérilité. Dans la deuxième période, le discours s’est
un peu déplacé sur la maternité, les médecins interdisant la pratique du football
durant toute la durée de la grossesse.
Les règlements sont donc adoucis et édulcorés pour les femmes, alors considérées
comme faibles et fragiles. Les mêmes adaptations réglementaires se répètent d’une
période à l’autre. Les matchs sont réduits à 60 minutes au lieu de 90 et le terrain
est plus petit. Jusqu’en 1989, les joueuses ne pouvaient jouer qu’avec le ballon de
taille « n° 4 » utilisés par les jeunes, plus petit et plus léger que le « n° 5 », utilisé
par les hommes adultes. Les contacts et les « charges » sont interdits tandis qu’on
permet aux joueuses de se protéger la poitrine avec les mains. Les hommes qui se
sont exprimés sur le foot féminin ont accordé beaucoup d’importance à cette partie
du corps féminin et sa protection. Les joueuses des années 1960 rapportent qu’on les
incitait à porter des prothèses protectrices.
Le football est-il différent lorsqu’il est pratiqué par les femmes et par les hommes ?
G. T. : Non. La seule différence est physique. D’abord parce qu’en moyenne les
femmes ne sont pas aussi rapides ou puissantes que les hommes. Cette différence
est aussi liée à l’évolution de notre sport : la qualité et l’intensité de la préparation
physique sont encore récentes et limitées par le statut amateur. La qualité actuelle
du foot féminin est liée à son histoire. Aujourd’hui, les joueuses qui arrivent au
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haut niveau sont formées à partir de la seconde, vers 15 ans, dans les sept Pôles
espoirs féminins. Depuis 1998, date de création du premier Pôle féminin, on forme
de nombreuses joueuses à la pratique du haut niveau, une vingtaine par centre.
G. T. : Des partenariats sont également noués avec l’Union nationale du sport scolaire
pour que le football féminin progresse à l’école. Être associé à la création d’une section
sport-études est une solution idéale pour un club, même si c’est plus compliqué en
région parisienne en raison du faible nombre d’internats. Mais c’est une formule qui a
l’avantage d’offrir une formation proche du domicile familial.
G. T. : La société évolue. Les critiques contre les « garçons manqués » que vous
avez évoquées, je les ai entendues moi aussi mais, de plus en plus, le foot est
aussi perçu comme un sport pour les filles. Auparavant, une fille devait se battre
pour pratiquer un sport, s’affirmer en accentuant peut-être des traits masculins ;
à présent, n’importe quelle fille peut pratiquer sans se poser ces questions.
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un journaliste avait voulu nous faire poser de manière différente pour une photo
d’équipe. La réaction a été immédiate : « Nous voulons être photographiées
comme les garçons », c’est-à-dire comme dans toutes les photos d’équipes : sur
deux rangs, le premier accroupi devant le deuxième debout.
Cela provoque aussi de l’autocensure chez beaucoup de filles, même chez celles qui
savent bien jouer. Dans la cour du collège, ce sont essentiellement les garçons qui
jouent au foot, avec une forte concurrence entre eux. C’est pourquoi j’ai organisé
par exemple un match 100 % féminin où les élèves affrontaient les professeures,
de différentes disciplines. Comme c’était le premier match du collège entre adultes
et élèves, cela en a fait une attraction. Le regard de certains garçons a évolué aussi
après être allés voir un match de l’OL féminin.
Cela signifie-t-il que des actions spécifiques auprès des filles sont nécessaires pour
augmenter le nombre de pratiquantes ?
G. T. : Nous manquons encore de recul sur les évolutions récentes. Il est nécessaire de
mettre en place un observatoire de la pratique, ce qui prend du temps. Aujourd’hui,
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avoir plus de pratiquantes passe par le développement du haut niveau et par la
capacité à accueillir des jeunes en masse. Un manque reste à combler pour les filles
qui préféreraient jouer avec d’autres filles. Aujourd’hui les garçons ne s’inscrivent pas
pour découvrir la pratique, ils n’en ont pas besoin, mais pour la compétition. C’en est
même problématique, nous essayons d’enrayer cette tendance chez les petits, c’est
très regrettable que le moindre match de U9 prenne des allures de Coupe du monde...
Le football est un sport très populaire et il doit rester éducatif. Les tout jeunes joueurs
ne rêvent que de devenir footballeurs professionnels, alors que beaucoup de filles
voudraient tout simplement jouer, pour s’amuser avec leurs copines et leurs copains.
La difficulté pour la fédération est d’avoir une offre qui réponde à ces deux types
de demande, de loisir et de compétition. Nous devons être en mesure de créer des
écoles où les filles peuvent jouer avec les filles sans objectif de compétition et peut-
être que des garçons viendront jouer avec elles. La fédération aide les clubs à se
doter d’équipements adaptés lorsque ceux-ci manquent et, lorsqu’ils existent, à se
doter d’un encadrement de qualité.
L’un des axes porte sur les instances dirigeantes, un autre sur les encadrants, les
éducateurs et, bien entendu, les pratiquants. La fédération est sur la bonne voie sur
ce terrain, avec le soutien du ministère des Sports pour lequel c’est une priorité.
Ainsi, pendant deux ans, j’ai eu en charge la promotion du football auprès d’élèves
de primaire, en partenariat avec l’Union sportive de l’enseignement du premier
degré (Usep) et l’Éducation nationale. L’opération s’appuyait sur l’équipe de France
féminine et sur ses valeurs en s’adressant aux élèves des deux sexes. Beaucoup de
classes ont participé, avec enthousiasme.
À l’origine du projet, il y a le constat que le foot n’est plus pratiqué à l’école primaire.
Pour prendre une image, les enseignants en avaient assez des lunettes cassées…
Notre opération, déclinée également au collège et au lycée, consistait à associer
un cycle de pratique du football à la réalisation d’une vidéo libre. Les lauréats ont
passé une journée avec nous à Clairefontaine, car l’opération était orientée vers les
jeux Olympiques 2012 auxquels nous participions. Le projet est renouvelé par la
Direction technique nationale. Elle sera orientée chaque année vers l’événement de
l’année qui suit : en 2015 l’Euro 2016 masculin, en 2016 l’Euro féminin 2017, les
grands rendez-vous des femmes et des hommes étant décalés d’un an.
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G. T. : J’espère que dans dix ans les joueuses seront aussi bien dotées que nous
aujourd’hui ; nous avons vraiment un grand confort. Mais j’espère aussi que nous
conserverons la maturité actuelle, il faut rester vigilants. J’ai des sponsors mais je
garde conscience du prix de chaque chose, j’ai conscience que ce sont des privilèges.
Avec les joueuses de ma génération, nous avons un rôle à jouer ; nous avons vécu
l’amélioration de notre situation matérielle mais nous devons transmettre aux nouvelles
joueuses nos valeurs. J’ai toujours fait le choix de rester joueuse amatrice malgré des
sollicitations pour devenir professionnelle, et d’avoir un autre métier. Il ne faudrait
pas que les jeunes joueuses s’imaginent qu’être footballeuse, c’est automatiquement
évoluer dans le confort qui est le nôtre. La réalité est différente, l’immense majorité
vient jouer au football pour rien. Parmi les 200 ou 300 jeunes filles qui vont sortir
des Pôles espoir, une ou deux seulement atteindront nos conditions privilégiées. Nous
devons nous préoccuper des 298 autres, qui ne rêvent que de ça. Nous devons les
amener au très haut niveau, tout en leur faisant comprendre qu’elles devront avoir un
autre travail. Nous devons éviter qu’une jeune de 20 ans à qui on propose un contrat
de 1 500 euros par mois arrête ses études du jour au lendemain. Si elle se blesse,
elle n’aura plus rien. Les clubs doivent les accompagner pour qu’elles se forment,
s’éduquent en tant que personnes et pas seulement comme joueuses.
Notes
1 – L’USFSA est une fédération omnisports créée en 1887, régissant une vingtaine de pratiques sportives dont le football.
2 – Marinette Pichon a été joueuse de football professionnelle, sélectionnée au sein de l’équipe de France entre 1994
et 2007 (112 sélections, 81 buts).
3 – Le contrat fédéral permet la rémunération financière de footballeurs non professionnels pour les clubs de la 3e à la 6e division.
4 – Pour le football professionnel masculin, les championnats « National » et « CFA » (acronyme de Championnat de
football amateur) correspondent respectivement à la 3e et la 4e division.
5 – Le Programme éducatif fédéral de la FFF est disponible à l’adresse suivante :
http://www.fff.fr/actualites/144081-552593-lancement-du-programme-educatif-federal
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