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Généralités sur la mécanique de la rupture

I. Introduction
La rupture est un problème auquel l’homme aura à faire face aussi longtemps qu’il construira
des édifices ou fabriquera des structures. Ce problème est actuellement plus crucial avec le
développement de structures complexes lié au progrès technologique. Les avancées dans la
connaissance de la mécanique de la rupture permettent aujourd’hui de mieux prévenir le
risque de rupture. Cependant, beaucoup de mécanismes de rupture sont encore mal connus
notamment lorsqu’on utilise de nouveaux matériaux ou de nouveaux procédés. On distingue
deux catégories de rupture des structures :
- soit une négligence dans la conception, dans la construction ou dans l’utilisation de
la structure;
- soit l’utilisation d’un nouveau matériau ou d’un nouveau procédé, qui peut
provoquer une rupture inattendue.

Dans le premier cas, le risque de rupture peut être évité dès lors que la structure est bien
dimensionnée avec un choix de matériaux adaptés et que les chargements sont correctement
évalués. Dans le deuxième cas, la prévention de la rupture est plus délicate. Lorsqu’on utilise
un nouveau matériau ou un nouveau procédé, il y a souvent un certain nombre de facteurs que
le concepteur ne maîtrise pas toujours.
Dès la moitié du 19ème siècle, l’usage de l’acier et des autres alliages métalliques a entraîné
une augmentation du nombre d’accidents. Ponts, chemins de fer, réservoirs sous pression,
conduites et toitures connurent des accidents aussi spectaculaires que meurtriers. En effet,
l’utilisation d’alliages métalliques était réservé à des structures fortement sollicitées. Un
certain nombre de ces accidents étaient dus à un mauvais dimensionnement ou à une
mauvaise conception, mais certains accidents étaient également dus à la présence de défauts
initiaux qui avaient permis l’initiation de fissures.
C’est à partir de la seconde guerre mondiale que l’on commença à sérieusement s’intéresser à
ce problème. En effet, un grand nombre de pétroliers et des bateaux de liberté « Liberty
ships » construits durant la guerre, aux coques entièrement soudées, présentèrent des ruptures
fragiles sérieuses. Un certain nombre d’entre eux se brisèrent même complètement en deux.
Ces ruptures se produisirent souvent sous de faibles contraintes, parfois dans le port même.
Elles eurent lieu la plupart du temps durant les mois d’hiver et prirent naissance dans des

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zones de concentrations de contraintes. C’est à partir de cette époque, correspondant
également au début de l’utilisation d’alliages à plus haute résistance, que débutèrent les
recherches sérieuses dans le domaine des fissures et de la rupture fragile. Ceci a abouti à la
création d’une nouvelle discipline : la mécanique de la rupture, qui permet de décrire la
propagation d’une fissure et la rupture d’un élément fissuré.
Durant les dernières décennies, le développement de la mécanique de la rupture a
incontestablement conduit à une meilleure fiabilité des structures ; il est difficile d’estimer ce
que ce là représente en termes de coût et surtout de vies humaines sauvées. Lorsque les
concepts de la mécanique de la rupture sont correctement appliqués, le type 1 de rupture peut
être évité et la fréquence des ruptures de type 2 peut aussi être réduite.
Les premiers essais de rupture ont été menés par Léonard de Vinci bien avant la révolution
industrielle, qui a montré que la résistance à la traction de fils de fer variait inversement avec
leur longueur. Ces résultats suggéraient que les défauts contenus dans le matériau contrôlaient
sa résistance ; plus le volume est important (fil de fer long) plus la probabilité de présence de
fissure par exemple est importante.
Cette interprétation qualitative fût précisée plus tard en 1920 par Griffith qui établit une
relation directe entre la taille du défaut et la contrainte de rupture. Griffith appliqua l’analyse
des contraintes autour d’un trou elliptique à la propagation instable d’une fissure ; il formule
ainsi à partir du premier principe de la thermodynamique, une théorie de la rupture.
La mécanique de la rupture a été introduite par Griffith vers 1920. L’objectif de la mécanique
de la rupture est de caractériser le comportement à la fissuration des structures à l’aide des
paramètres quantifiables au sens de l’ingénieur, notamment le champ de contraintes, la taille
de la fissure et la résistance à la fissuration du matériau. Les premiers développements
théoriques d’analyse des champs de déplacements, déformations et contraintes au voisinage
d’une fissure ont été entrepris par Westergaard vers 1940. L’extension de la discipline a été
amorcée par Irwin vers 1957. Depuis cette date, le développement de la mécanique de la
rupture s’étend aux problèmes non linéaires matériellement et géométriquement, aux
problèmes de bifurcation des fissures en modes mixtes et plus récemment aux composites,
aux techniques numériques de résolution et à l’état de l’art relatif au dimensionnement de
diverses structures complexes.
Au cours des années 70, de nombreux critères ont été définis permettant d'étendre la
mécanique de la rupture au comportement élastoplastique des matériaux. L'introduction du
concept d'écartement critique des lèvres de fissure par Wells en 1960 a été suivie par celle du

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critère de l'intégrale J, proposé par Rice en 1968. Ce paramètre a connu une large utilisation
en raison de la facilité de sa mise en œuvre et de ses propriétés numériques.

II. Utilisation de la mécanique de la rupture


La mécanique de la rupture a pour objet l'étude de la tenue mécanique des structures
contenant des défauts ou fissures. Elle s'efforce de :
- caractériser les champs de contraintes et déformations singuliers en pointe de fissure;
- relier l'amplitude de ces champs en pointe de fissure à la géométrie de l'éprouvette et
son chargement global ;
- établir les conditions énergétiques nécessaires à l'accroissement de la fissure ;
- décrire la cinétique de propagation de fissures;
- définir des critères permettant de déterminer une taille critique des défauts, au-delà
de laquelle pour une sollicitation donnée, la rupture sera instable.
La figure 1 compare l’approche classique pour le dimensionnement des structures basée sur la
limite d’élasticité du matériau 'σe' à l’approche utilisant le concept de ténacité KC issu de la
mécanique linéaire de la rupture (MLR). Dans le premier cas, on dimensionne les structures
pour que les contraintes appliquées 'σ' restent inférieures à la limité d’élasticité (σ < σe ). On
utilise en général un coefficient de sécurité pour prévenir tout risque de rupture fragile (σ< α
σe avec α<1). Cette approche est à deux variables 'σ' et 'σe' ; elle fait abstraction de l’existence
d’éventuels défauts sous forme de microfissures par exemple.
L’approche basée sur la mécanique linéaire de la rupture est à trois variables : la contrainte
appliquée 'σ' , la ténacité 'KC' qui remplace la limité d’élasticité et une variable additionnelle
qui est la taille du défaut 'a'.

Figure 1: a) Approche classique. b) Approche de la mécanique linéaire de la rupture.

III. Rupture par fissuration


Les fissures sont présentes dans toutes les structures, elles peuvent
exister sous forme de défaut de base dans le matériau ou peuvent être induites durant la
construction, ces fissures sont responsables de la majorité des ruptures qui se produisent dans
les structures et pièces de machines en service, soumises à des efforts statiques ou

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dynamiques. La mécanique de la rupture a globalement pour objectif de prévoir le
comportement des fissures susceptibles de se trouver dans toutes structures industrielles
soumises à des sollicitations mécaniques.
La rupture par fissuration est la création d’une surface de discontinuité. Elle est le terme
ultime d’un essai de traction et quelquefois la seule réaction à un essai de déformation. La
mécanique des solides aborde les problèmes de calcul de structures où l’on parle d’un élément
de volume dont les dimensions sont de 1 mm et de structure pour 10 à 103 mm. Dans ce
domaine, on traite du problème de la ‘rupture par fissuration’.
Le mécanisme de rupture par fissuration peut intervenir selon deux types de fissuration :
 La fissuration brutale : pour les solides, ou pour les matériaux à très haute résistance,
les contraintes de travail sont très élevées, une énergie potentielle considérable est ainsi
créée ; la présence de petites fissures peut alors conduire à une rupture brutale qui souvent
ne s’accompagne pas de déformations plastiques macroscopiques par suite de la très faible
ductilité.
 La fissuration successive : il s’agit ici, d’une succession de mécanismes (fragile-
ductile) qui, sous contraintes répétées, entraîne la fissuration successive, appelée la
rupture par fatigue. Cette fissuration peut intervenir sans déformations plastiques
appréciables avec un grand nombre de variation de cycles de contraintes, ou elle peut
s’accompagner de grandes déformations plastiques et intervenir à un petit nombre de
cycles. On parlera de la fatigue oligocyclique.
Les facteurs qui influencent le comportement à la rupture par fissuration des matériaux sont
de deux natures : métallurgique et mécanique. Les facteurs mécaniques concernent l’état de
déplacements, déformations et contraintes, ainsi que les conditions d’environnement tel que la
température ou le taux d’humidité relative.
On observe deux types de rupture principaux suivant les mécanismes mis en jeu : une rupture
fragile contrôlée par une contrainte normale, et une rupture ductile, précédée de déformations
plastiques et contrôlée par les contraintes de cisaillement. Pour ces types de rupture, les
déformations à rupture, l'énergie de rupture, les faciès de rupture sont différents. De même,
les sollicitations extérieures imposées auront une influence sur le mode de rupture.

III.1.Rupture fragile
La rupture fragile, se produit par clivage, le plus souvent sans déformation plastique, et les
morceaux peuvent se réassembler parfaitement. La rupture par clivage correspond à la
propagation rapide d'une fissure le long d'un plan cristallographique particulier. La fissure se
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propage perpendiculairement à la contrainte principale maximale. Lors de son avancée, la
fissure change de direction à chaque fois qu'elle rencontre un joint de grain puisqu'elle suit le
plan de clivage le plus favorablement orienté dans chaque grain. Macroscopiquement, le
faciès de rupture présente un aspect cristallin brillant. Le clivage intervient aussi bien dans les
matériaux parfaitement cristallisés que dans les matériaux partiellement cristallisés comme
certains polymères, ou essentiellement amorphes comme le verre.
C'est une rupture contrôlée par la contrainte normale ou contrainte de clivage ; elle se produit
sans déformation plastique. Les ruptures fragiles, qui se caractérisent par l'absence de
déformation plastique macroscopique, et donc par la propagation très rapide des fissures avec
faible consommation d'énergie. Le comportement macroscopique du matériau reste élastique,
il rompt avant d'avoir quitté ce régime élastique, c'est le cas des céramiques, et les métaux ou
certains polymères à basse température. La rupture par fissuration rapide peut aussi intervenir
pour des conditions anormales :
 basse température relative ;
 grandes vitesses d'application de la charge (choc mécanique) ;
 fatigue ;
 défauts préexistants ou créés en service ;
 milieu radioactive ou présence d'hydrogène fragilise le matériau.

La rupture fragile se manifeste au niveau des liaisons intra-atomiques sans qu’il y ait une
déformation plastique macroscopique importante, et donc par la propagation très rapide des
fissures. Cette propagation peut être de caractère trans-granulaire ou inter-granulaire.
La rupture fragile trans-granulaire suit des plans cristallographiques bien définis appelés plans
de clivages. Sur un plan macroscopique, la cassure présente donc un aspect lisse brillant.
La rupture fragile interg-ranulaire survient si les joints des grains sont fragilisés par
accumulation d’impuretés. Elle présente deux aspects sur un plan microscopique : La
propagation de la fissure suit les joints de grains avec déformations plastiques locales très
réduites.

III.2. Rupture ductile


La rupture ductile est précédée d'une déformation plastique importante : l'aspect est
granuleux, on observe souvent des cupules liés à une décohésion autour des inclusions. Les
ruptures purement ductiles, qui se caractérisent par une déformation plastique importante de la

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pièce et un faciès de rupture avec des lèvres de cisaillement en surface dans le cas de pièces
massives, en biseau dans le cas de pièces minces.
La ductilité est liée à une plasticité importante. En règle générale, la rupture résulte de la
germination, croissance et coalescence de cavités amorcées sur des inclusions, précipités ou
autres défauts à l’échelle microscopique. Ces cavités ont pour origine la décohésion
inclusion/matrice ou la rupture de l’inclusion. Leur croissance résulte de la déformation
plastique, et leur coalescence s’accompagne d’un phénomène d’instabilité plastique local. La
surface de rupture résultant de ces mécanismes présente un aspect de cupules au fond
desquelles on peut généralement observer l’inclusion d’origine. En présence d’un défaut de
type fissure, ces trois étapes de la rupture ductile se succèdent en avant du front, là où la
déformation plastique est importante, impliquant ainsi une avancée continue du défaut
(Fig.2).
La rupture ductile est liée essentiellement à la présence d’inclusions ou de précipités. Dans ce
mode de rupture, la déformation plastique est en général importante (absorption d’une énergie
élevée). La rupture résulte de la naissance des cavités. L’allongement de ces cavités dans le
sens de la déformation et la coalescence de celles-ci par striction ou cisaillement conduisent à
la rupture finale. A l’échelle macroscopique, la cassure a un aspect fibreux. On voit la
naissance de microreliefs appelés cupules. Ces cupules ont des formes allongées dans la
direction de la déformation, ou bien ont des formes liées à celles des particules qui leur
donnent naissance.

Figure 2: Mécanisme de la rupture ductile.

L'examen du faciès permet généralement de remonter au mode de sollicitation


a) dans les cas de la traction,
 si le matériau est ductile, il présente donc une forte capacité de déformation et les
contraintes de cisaillements ont responsables de plastification importante avant rupture. Les

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cassures s'amorcent près du centre puis se propagent vers la surface ; elles se terminent par
des lèvres de cisaillement inclinées à 45° sur l'axe de sollicitation
 si le matériau est fragile, la rupture est rigoureusement perpendiculaire à l'axe de la
sollicitation en traction.
b) dans le cas de la compression,
 dans un matériau ductile, les contraintes de cisaillement sont encore à l'origine de
déformations importantes, mais ne se traduisent que rarement par une rupture
 dans un matériau fragile, la pièce rompt perpendiculairement à la direction de la
contrainte maximale de traction
c) dans le cas de la torsion,
Si le matériau est ductile, les contraintes de cisaillement sont toujours la cause de
déformations importantes ; le vrillage du fibrage (aspect fibreux) du matériau en surface est
l'indice de ce type de rupture
d) dans le cas de la flexion, on trouvera une combinaison d'états de contrainte de traction et de
compression. Les ruptures s'amorceront toujours sur la fibre la plus tendue, que le matériau
soit ductile ou fragile, les faciès obtenus auront les mêmes caractéristiques que ceux observés
en traction ou compression.

III .3. Modes élémentaires de fissurations


D’un point de vue macroscopique, on peut considérer deux modes principaux de rupture : la
rupture plate et la rupture inclinée. La rupture plate correspond à une surface de rupture
globalement perpendiculaire à la direction de la contrainte principale maximale. La rupture
inclinée dans le sens transversal par rapport à la direction de propagation s’accompagne
souvent de grandes déformations. L’examen du faciès de rupture permet bien souvent de
détecter, après rupture, le mécanisme de rupture et le type de fissuration produit.
La rupture est caractérisée au moins localement, par la séparation irréversible d’un milieu
continu en deux parties de part et d’autre d’une surface géométrique (Fig.3). La coupure
existante ou nouvellement créée est appelée fissure, c’est une surface de discontinuité pour le
champ de contraintes. Irwin, a constaté qu’il existe trois mouvements indépendants qui
séparent les surfaces libres fissurées et les a classées selon des modes. Ces modes désignent
une séparation géométrique (Fig.4).
- Mode I : ou mode d’ouverture, est caractérisé par un chargement et un déplacement
des surfaces de la fissure perpendiculaire au plan de fissuration, il est considéré comme étant
le plus fréquent en mécanique de la rupture pour beaucoup de matériaux.
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- Mode II : (mode par glissement droit), les surfaces de la fissure se déplacent dans le
même plan et dans une direction perpendiculaire au front de la fissure.
- Mode III : (mode par déchirement ou glissement anti-plan), les surfaces de la fissure
se déplacent dans le même plan et dans une direction parallèle au front de la fissure.
Une fissure dans un solide peut être sollicitée selon les trois modes de fissuration. On définit
des champs de déplacements, déformations et contraintes au voisinage de la fissure, selon le
mode de chargement, bien que la combinaison des trois modes constitue le cas général (mode
mixte) .

Figure 3: Fissure dans un milieu continu.

Figure 4: Définition des modes pures de fissuration.

Figure 5: Mode mixte de fissuration I+II.

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Exemples de ruptures des structures

Pont de Sully-sur-Loire après sa rupture brutale 1985. Rupture fragile d’un liberty-ship.

Rupture d'un rail sur la ligne du RER, due au gel 2003. Rupture par fatigue de l'avion South west Jet.

Fissure initiées au niveau d'un rivet d'un hublot.

Rupture de l’essieu avant d’une locomotive. Propagation de la fissure dans un porte-conteneurs 2011.

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