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intoxications professionnelles et domestiques : inhalation aiguë


chez l’adulte, ingestion accidentelle chez l’enfant, accident de
178 siphonnage ou du cracheur de feu [1, 2, 3, 4]. En revanche, les
intoxications suicidaires sont relativement rares. Ils peuvent faire
l’objet d’un usage détourné par les toxicomanes « sniffeurs » [5, 6,
INTOXICATIONS PAR SOLVANTS 7, 8], et sont parfois à l’origine de morts subites chez des adoles-
cents, par anoxie ou effet arythmogène des solvants chlorés [9,
V. Danel 10].

TOXICOCINÉTIQUE
Les solvants forment un vaste ensemble de produits issus du
raffinage du pétrole et de la pétrochimie. Les caractéristiques de ABSORPTION
quelques hydrocarbures et solvants figurent sur le tableau 178.1.
Leurs utilisations sont très larges en milieu industriel. Ils entrent Les dérivés pétroliers et les hydrocarbures aliphatiques sont
également dans la composition de nombreux produits domesti- faiblement résorbés par voie digestive et n’ont qu’une faible toxicité
ques et de bricolage. Ils sont responsables de fréquentes systémique par cette voie [1, 11]. Les autres hydrocarbures (aromati-

Tableau 178.1. Caractéristiques de quelques hydrocarbures et solvants [14]

Pénétration Activation Pouvoir


Volatilité Pouvoir irritant Toxicité spécifique
percutanée métabolique ébrionarcotique
Cyclohexane 0
CH2- (CH2)4-CH2 ++ + Non à ++
+
Toluène + Malformations
CH3-C6H5 ++ à Non + ++ congénitales
++
Xylènes ++
(CH3)2-C6H4 ++ à Non + ++
+++
Chlorure de méthylène + Intoxication
CH2Cl2 +++ à Non ++ ++ oxycarbonée
++
Trichloréthylène ++ + Oui ++ ++ Cœur
CCl2 = CHCl Cancérogène?
Perchloréthylène ++ + Oui (pour 3 %) ++ + Cancérogène?
CCl2 = CCl2
1,1,1-trichloréthane Oui
CCl3-CH3 ++ ++ (pour 6 %) + ++
Tétrachlorure de carbone ++ Foie
CCl4 à + Oui + ++ Rein
+++ Cancérogène
Monochlorobenzène Foie
C6H5Cl ++ + Oui ++ +++ Rein
Cancérogène?
Acétone + + ++
CH3-CO-CH3 +++ à Non à à
++ ++ +++
Acétate d’éthyle +
CH3-CO-O-CH2-CH3 +++ + Non ++ à
++
Tétrahydrofuranne Foie
CH2-O- (CH2)2-CH2 +++ ++ Non +++ + Nerf périphérique?
1,4-dioxanne + Foie et
CH2-O- (CH2)2-O-CH2 + à Oui ++ ++ rein
++
Diméthylformamide Foie
(CH3)2N-CH = O + +++ Oui ++ ++ Cancérogène?
Diméthylsulfoxyde 0
(CH3)2SO à +++ Non ++ +
+
Pyridine ++
NC5H5 ++ ++ Non à ++ Foie
+++
Sulfure de carbone Nerf périphérique
CS2 +++ ++ Oui ++ +++ Vaisseaux
Thyroïde
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Intoxications par solvants 1607

ques, halogénés, et autres hydrocarbures substitués), les alcools, les sans ulcération; la fibroscopie est le plus souvent inutile. Les vomis-
éthers et cétones sont très facilement résorbés par toutes les voies. sements, spontanés ou provoqués, majorent le risque d’inhalation
De façon générale, la voie d’entrée et la pénétration dans l’orga- bronchique.
nisme sont liées au degré de viscosité et de volatilité ainsi qu’à la
tension de surface du produit; ainsi par exemple la résorption SYSTÈME NERVEUX CENTRAL
pulmonaire est d’autant plus importante que le produit a une faible
viscosité, une grande volatilité et une faible tension de surface. Tous les hydrocarbures et solvants peuvent entraîner une
dépression nerveuse centrale lors de l’ingestion d’une quantité
DISTRIBUTION importante. Elle est le plus souvent modérée après ingestion de
dérivés pétroliers et d’hydrocarbures aliphatiques. L’inhalation de
Elle concerne tous les organes avec un tropisme marqué pour fortes concentrations provoque des manifestations ébrionarcotiques
les tissus riches en graisses (tissu adipeux, système nerveux central, avec sensations d’ivresse, céphalées, vertiges et nausées, réversibles
moelle osseuse…) qui peuvent être le siège d’un stockage relatif, en quelques heures après retrait de l’atmosphère contaminée. En cas
expliquant l’élimination plus lente des solvants chez les sujets d’exposition massive, apparaissent des troubles de conscience
obèses. Du fait de leur faible poids moléculaire, la plupart des pouvant aller jusqu’au coma, parfois convulsif (anoxie). L’inhalation
solvants traversent facilement le placenta par simple diffusion. de vapeurs concentrées de tétrahydrofuranne (THF) pourrait être
responsable de convulsions.
BIOTRANSFORMATION
PEAU ET MUQUEUSES
Les solvants sont métabolisés pour une fraction variable, princi-
palement au niveau du foie, en composés hydrosolubles éliminés La projection oculaire d’un solvant ne provoque, dans la majo-
par le rein et/ou en composés volatils (CO2, CO) éliminés par les rité des cas, qu’une conjonctivite irritative banale. Le traitement
poumons. Le plus souvent, la biotransformation hépatique passe consiste en un lavage précoce, abondant et prolongé pendant au
d’abord par une oxydation microsomiale impliquant les mono- moins 10 à 15 min, à l’eau courante. Certaines molécules plus agres-
oxygénases à cytochromes P450. Les métabolites sont ensuite conju- sives comme le chlorure de méthylène, le diméthylformamide
gués à des substrats endogènes (acide glucuronique, glutathion, (DMF), le tétrahydrofuranne, la pyridine, la N-méthylpyrrolidone
sulfates…) pour former des composés plus hydrosolubles et plus peuvent entraîner un œdème, voire des érosions superficielles de la
polaires, donc plus facilement excrétables. cornée. La projection cutanée est habituellement sans conséquence
Quelques molécules, chimiquement stables initialement, subis- notable et relève également d’un lavage à l’eau courante. Néan-
sent une activation métabolique : l’oxydation microsomiale moins, les composés cités ci-dessus peuvent provoquer, à forte
provoque l’apparition de métabolites intermédiaires hautement concentration et si le contact est prolongé des brûlures chimiques
réactifs (époxydes, radicaux libres…), plus toxiques que la molécule pouvant aller jusqu’à l’épidermolyse avec décollements cutanés. Les
mère, capables de se lier de façon covalente à des macromolécules brûlures dues au diméthylformamide sont volontiers retardées,
cellulaires et de provoquer des effets cytotoxiques et/ou génotoxi- d’aspect souvent fripé et cartonné. Leur prise en charge est non
ques. La conjugaison au glutathion est un des principaux spécifique.
mécanismes protecteurs vis-à-vis de ces métabolites réactifs; il est En cas de contamination étendue et prolongée, les brûlures
dépassé lors d’une exposition à forte dose et/ou répétée. peuvent se compliquer d’une intoxication systémique associant des
signes ébrionarcotiques et des manifestations liées à l’éventuelle
toxicité spécifique du solvant.
ÉLIMINATION
Une fraction plus ou moins importante, variable selon les molé- VOIES RESPIRATOIRES
cules, est éliminée sans transformation par le poumon. Elle est
supérieure à 50 % de la dose absorbée pour le chlorure de méthylène Une broncho-pneumopathie chimique par fausse route peut
et voisine de 90 % pour le perchloréthylène et le 1,1,1-trichloré- être observée à la suite d’une ingestion accidentelle (enfant), d’un
thane. Les métabolites hydrosolubles provenant de la accident de siphonnage chez l’adulte, d’un accident du cracheur de
biotransformation hépatique sont excrétés par le rein. feu [12], ou d’une manœuvre intempestive d’évacuation digestive
(vomissements provoqués, lavage gastrique). Elle est le plus souvent
associée à des hydrocarbures de faible viscosité. La diffusion des
DOSES TOXIQUES hydrocarbures jusqu’aux alvéoles est facilitée par l’inspiration forcée
ET ANALYSE TOXICOLOGIQUE et leur faible tension superficielle (« pouvoir mouillant »); ils solubili-
sent le surfactant lipidique et induisent une réaction inflammatoire.
Les doses toxiques sont très variables; elles dépendent du Un accès de toux initial, une gêne respiratoire, une douleur rétroster-
produit en cause et de la voie d’entrée. L’inhalation pendant quel- nale, doivent faire suspecter une inhalation. La corrélation
ques minutes de 3 000 ppm de trichloréthylène provoque un coma, radioclinique est mauvaise [4]. L’auscultation est un meilleur critère;
tandis qu’avec les solvants pétroliers, il faut des concentrations de elle peut objectiver des râles bronchiques et quelques crépitants.
l’ordre de 10 000 ppm; pour le chlorure de méthylène, l’inhalation L’évolution peut se faire en quelques heures vers une véritable pneu-
de 20 000 ppm pendant 30 min est nécessaire à l’apparition d’un mopathie. Des opacités floconneuses mal limitées, souvent
coma. L’inhalation trachéo-bronchique de quelques millilitres d’un paracardiaques droites, sont visibles sur la radiographie pulmonaire
solvant pétrolier peut entraîner une pneumopathie chimique alors au bout de 24 à 48 h. Une fièvre traduit la surinfection, fréquente. Le
que l’ingestion de 100 à 200 ml peut n’avoir que des conséquences traitement est celui d’une pneumopathie infectieuse. La corticothé-
minimes chez l’adulte. L’ingestion d’une gorgée de solvant pétrolier rapie n’a pas démontré son intérêt, l’antibiothérapie ne doit pas être
est suffisante pour provoquer une somnolence chez l’enfant. L’inges- systématique. L’apparition d’un œdème aigu du poumon lésionnel
tion de 10 à 20 ml de tétrachlorure de carbone peut entraîner une avec syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) est
intoxication grave. L’analyse toxicologique est rarement disponible exceptionnelle; le traitement est non spécifique. En l’absence de
en urgence; elle a en fait peu d’intérêt clinique. Elle peut avoir un symptômes dans les 4 à 6 h après l’exposition, l’évolution vers une
intérêt médico-légal et en cas d’exposition professionnelle. Au pneumopathie est peu probable.
moindre doute, des prélèvements biologiques (sang, urine) doivent La pyrolyse des solvants chlorés, comme le trichloréthylène ou
être conservés pour analyse ultérieure. le chlorure de méthylène, libère du chlore, de l’acide chlorhydrique
gazeux et du phosgène. Ces gaz sont caustiques, à l’origine d’un
œdème aigu du poumon lésionnel ou d’équivalents mineurs (toux,
INTOXICATIONS AIGUËS dyspnée, oppression thoracique), immédiats ou retardés. La pyrolyse
des fréons libère également du phosgène, ainsi que de l’acide fluo-
APPAREIL DIGESTIF rhydrique gazeux. L’inhalation de vapeurs très concentrées de
solvants chlorés, de pyridine, de tétrahydrofuranne, peut entraîner
Après ingestion, pratiquement tous les solvants entraînent des des signes irritatifs des voies aériennes supérieures, voire même
nausées, des vomissements, des douleurs abdominales, de la diar- déclencher un bronchospasme chez des sujets sensibles (asthmati-
rhée. Ces symptômes sont dus à une congestion muqueuse diffuse ques, bronchiteux chroniques).
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1608 Affections et leurs traitements

COEUR ET VAISSEAUX L’examen peut montrer une hépatomégalie sensible. Biologique-


ment, il existe une cytolyse massive avec des alanine transférases très
TROUBLES DU RYTHME élevées, jusqu’à plus de 100 fois la normale; le taux de prothrombine
et le facteur V sont abaissés de façon variable, signant l’insuffisance
De nombreux hydrocarbures volatils, en particulier les solvants hépatocellulaire. Lorsqu’elle est pratiquée, la biopsie montre une
chlorés (trichocéphale, trichloréthylène), peuvent entraîner des nécrose centrolobulaire. Dans un nombre non négligeable de cas, le
troubles de l’excitabilité myocardique (tachycardie, salves d’extrasys- diagnostic n’est porté qu’au 3e ou 4e jour, lorsque l’atteinte hépa-
toles ventriculaires, tachycardie voire fibrillation ventriculaire) tique se complique d’une tubulopathie aiguë oligoanurique par
lorsqu’ils sont inhalés [5, 6, 7, 8, 10]. Des morts subites par arythmie nécrose tubulaire. L’évolution se fait, dans près de 90 % des cas, vers
ventriculaire, liée à une sensibilisation du myocarde aux catéchola- la guérison sans séquelle grâce à l’hémodialyse qui a transformé le
mines endogènes, ont été rapportées chez des toxicomanes pronostic. L’éthylisme chronique, à l’origine d’une induction des
« sniffeurs ». L’exposition à de très fortes concentrations de fréons enzymes microsomiales, est un facteur aggravant démontré.
provoque un coma pouvant se compliquer d’une diminution de la Le traitement comprend des mesures de réanimation sympto-
contractilité myocardique et de troubles du rythme. Les troubles matiques, l’hémodialyse et l’administration intraveineuse précoce
sont nettement favorisés par une éventuelle pathologie cardiaque de N-acétylcystéine (Fluimucil), qui limite la nécrose hépatorénale en
préexistante, l’hyperadrénergie (effort physique, stress) et surtout restaurant le stock de glutathion intracellulaire et en neutralisant
l’hypoxie [5, 7, 8]. Des décès par inhalation volontaire de butane, directement les métabolites électrophiles [20]. Sur des arguments
méthane, propane et éthane, ont également été rapportés. expérimentaux, l’oxygénothérapie hyperbare a été proposée pour
L’intoxication aiguë par le trichloréthylène, le plus souvent par limiter la peroxydation lipidique initiée par les radicaux libres; son
ingestion dans un but suicidaire, est bien documentée. Le tableau éventuel bénéfice n’est pas validé en clinique [21]. Expérimentale-
clinique associe des troubles neuropsychiques (état pseudo-ébrieux, ment, la prostaglandine E1 a un effet hépatoprotecteur; elle a été
ataxie, troubles du comportement, hallucinations, troubles de la utilisée avec succès dans quelques cas d’hépatites fulminantes,
vigilance, coma), des troubles digestifs précoces, intenses et virales et toxiques (monochlorobenzène); son mécanisme d’action
prolongés (épigastralgies, vomissements, diarrhée caustique) et des est inconnu.
troubles cardio-vasculaires (collapsus, troubles du rythme) [13, 14].
Le pronostic vital est lié à la survenue, souvent retardée, de troubles DIMÉTHYLFORMAMIDE (DMF)
du rythme, en particulier ventriculaires. Là aussi, l’hyperexcitabilité
est favorisée ou provoquée par les situations entraînant une Faiblement volatil mais doué d’une excellente pénétration
décharge de catécholamines : hypoxie, hypercapnie, agitation, expo- percutanée, le diméthylformamide peut provoquer une cytolyse
sition au froid. Le diagnostic repose sur l’anamnèse, la clinique, et la hépatique, habituellement bénigne, après contact unique ou répété
recherche des métabolites dans le sang et les urines (trichloroé- sur plusieurs jours. Typiquement, le tableau comporte des brûlures
thanol, acide trichloracétique). Le dosage du trichloréthylène est des mains, accompagnées de signes ébrionarcotiques, puis des trou-
possible mais peu souvent disponible et sans grand intérêt pratique. bles digestifs, une asthénie et un subictère survenant 24 h à cinq
Les solvants chlorés sont radio-opaques [15]. La prise en charge jours après le début de l’exposition [22]. Les transaminases ne sont
repose sur une réanimation symptomatique avec oxygénothérapie, que modérément augmentées dans la majorité des cas; la biopsie
et sur l’administration de propranolol en cas d’hyperexcitabilité montre une stéatose puis une nécrose centrolobulaire. L’administra-
ventriculaire : injection intraveineuse lente de 2,5 à 5 mg, puis relais tion précoce et prolongée de N-acétylcystéine paraît efficace pour
par une perfusion continue de 0,5 à 1 mg.h–1 ; le sevrage doit être limiter la cytolyse. Des suicides par le T61, euthanasiant à usage
progressif. Les sympathomimétiques, qui aggravent et peuvent vétérinaire associant agents anesthésiques et curare en solution dans
déclencher les troubles du rythme, sont formellement contre- du diméthylformamide ont été rapportés, par ingestion ou injection
indiqués. parentérale [23, 24]. La survenue retardée d’une atteinte hépatique,
De façon générale, toute intoxication par solvant ou hydrocar- parfois sévère, est attribuée au diméthylformamide ou ses
bure donnant lieu à des troubles de conscience et/ou d’importantes métabolites.
brûlures impose une surveillance hospitalière d’au moins 36 à 48 h
avec monitorage cardiaque; en effet, des arythmies retardées ont été DIVERS
décrites alors même que les signes neurologiques avaient disparu.
Le 1,2-dichloréthane provoque une hépatonéphrite tout à fait
superposable à celle due au tétrachlorure de carbone, volontiers
ANGOR compliquée d’une rhabdomyolyse. Une atteinte hépatique a été
Le chlorure de méthylène est partiellement métabolisé en décrite avec d’autres produits comme le 1,3-dichloro-2-propanol, le
monoxyde de carbone. Lors d’une exposition massive, ses effets tétrahydrofuranne, le dioxanne et la pyridine. Une atteinte hépato-
ébrionarcotiques, marqués, sont aggravés par une intoxication rénale a été occasionnellement signalée lors d’intoxications
oxycarbonée retardée de plusieurs heures [16, 17, 18]. En général, le massives, le plus souvent par ingestion, par certains solvants pétro-
taux de carboxyhémoglobine n’est que modérément augmenté, de liers ou cétones (cyclohexanone); leur pathogénie est indéterminée.
l’ordre de 10 %, et n’apparaît pas responsable du décès. Cependant,
plusieurs observations font état de taux pouvant atteindre 30 %, AUTRES ATTEINTES
voire même 50 %. L’inhalation prolongée de vapeurs concentrées
peut favoriser la survenue d’une crise angineuse ou d’un infarctus du Des cas d’injections parentérales d’hydrocarbures, ou de
myocarde chez le coronarien. produits domestiques ou phytosanitaires en solution dans des
hydrocarbures (insecticides), ont été rapportés, le plus souvent dans
FOIE ET REIN un contexte suicidaire [25, 26]. Les manifestations cliniques sont
liées au mode d’injection. L’injection intraveineuse peut entraîner
Les hépatonéphrites résultent le plus souvent d’expositions une toxicité systémique avec en particulier une atteinte pulmonaire
accidentelles à forte dose, par inhalation de vapeurs et/ou contami- semblable à celle qui est observée après inhalation. L’injection sous-
nation cutanée étendue et prolongée, à des dérivés dont la cutanée n’entraîne que des signes locorégionaux, souvent retardés et
biotransformation produit des métabolites réactifs. Il s’agit le plus volontiers extensifs : réaction inflammatoire, cellulite, abcès stérile;
souvent de solvants chlorés comme le chloroforme ou le tétrachlo- une intervention chirurgicale (incision et drainage) est souvent
rure de carbone. Cependant le chlorure de méthylène, le nécessaire. Des nécroses cutanées et tendineuses peuvent être obser-
trichloréthylène, le tétrachloréthylène et le 1,1,1-trichloréthane ne vées. Enfin l’injection sous forte pression (pistolet à peinture, à
sont pas hépatotoxiques; les hépatites rapportées avec ces molécules graisse) peut entraîner un véritable syndrome compartimental.
sont actuellement attribuées aux impuretés des produits industriels.
Selon le solvant, l’atteinte peut être purement hépatique ou prédo-
miner sur le foie ou sur le rein. TRAITEMENT : REMARQUES GÉNÉRALES
Dans tous les cas, le traitement est essentiellement symptoma-
TÉTRACHLORURE DE CARBONE
tique, avec une priorité pour le maintien de la fonction respiratoire
Après une phase ébrionarcotique, s’installent, dans un délai de (oxygénation, intubation, ventilation artificielle). La surveillance
12 à 24 h, des troubles digestifs (anorexie marquée, nausées, vomis- porte sur la respiration, l’état hémodynamique et l’électrocardio-
sements) et un ictère ou subictère accompagné d’urines foncées [19]. gramme, l’état neurologique (survenue possible de convulsions),
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Intoxications par solvants 1609

l’équilibre acido-basique (acidose métabolique) et hydroélectroly- [8] Meredith TJ, Ruprah M, Liddle A et al. Diagnosis and treatment of acute
tique (déshydratation). poisoning with volatile substances. Human Toxicol, 1989, 8 : 277-286.
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Le traitement de la broncho-pneumopathie chimique n’est pas Emerg Med, 1984, 13 : 68.
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doivent pas être systématiques. J Emerg Med, 1983, 3 : 292-294.
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En cas de collapsus, les amines sympathomimétiques doivent 1992, 5 : 112-114.
être utilisées avec prudence; elles peuvent déclencher la survenue de [13] Perbellini L, Olivato D, Zedde A, Miglioranzi R. Acute trichlorethylene poiso-
troubles du rythme, en particulier avec les solvants chlorés et les ning by ingestion : clinical and pharmacokinetic aspects. Intensive Care Med,
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L’épuration digestive en cas d’ingestion est controversée. Seul le ning by X-ray examination. Br J Ind Med, 1987, 44 : 424-425.
lavage gastrique peut être envisagé en cas d’ingestion massive [16] Leikin JB, Kaufman D, Lipscomb JW, Burda AM, Hryhorczuk DO. Methylene
chloride : report of five exposures and two deaths. Am J Emerg Med, 1990, 8 :
récente (< 1 h), et de risque potentiel de toxicité systémique. Les 534-537.
voies aériennes doivent être protégées par une intubation trachéale. [17] Manno M, Rugge M, Cocheo V. Double fatal inhalation of dichloromethane.
Aucune manœuvre d’épuration digestive n’est indiquée en l’absence Hum Exp Toxicol, 1992, 11 : 540-545.
de toxicité systémique. Les ingestions minimes ne nécessitent qu’un [18] Rioux JP, Myers RA. Methylene chloride poisoning : a paradigmatic review. J
pansement gastrique, en particulier chez l’enfant, et une Emerg Med, 1988, 6 : 227-238.
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