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AGRONOMIE 37

Aude
Comprendre les causes des fuites
de nitrates pour mieux les prévenir
Pour résoudre les problèmes de lessivage des nitrates, il est primordial d’en identifier les
causes. C’est l’un des enseignements d’une étude approfondie menée dans l’Aude sur le
sous bassin du Charlet. Un travail de longue haleine qui a mobilisé plusieurs moyens :
enquête sur les pratiques agricoles, études des assolements puis de la lame d’eau drai-
nante, simulations via le logiciel Aqualéa®.

Le sous-bassin du Charlet, dans


l’Aude, présente des sols de molasse
sensibles au ruissellement.

1
Aqualéa® : pour
quantifier le risque
de lessivage
Aqualea® permet de quantifier
les risques de lessivage de
l’azote sous culture et de simuler
l’impact de différents scénarios
de pratiques culturales. Ce
logiciel fonctionne à la parcelle et
peut être utilisé à l’échelle d’un
© ARVALIS-Institut du végétal

bassin versant par agrégation des


parcelles. Il permet d’estimer le
contenu en azote minéral du sol à
des périodes clés puis de simuler
le transfert en profondeur de
l’azote pour chacune d’entre elles.

C
lassée en zone vul- alluvions en bord de cours d’eau Les données de sorties se
nérable depuis 1994, filtrent l’eau et alimentent ainsi la synthétisent autour de deux
la petite région de nappe alluviale. S’ajoutent à cela notes d’échelle allant de 1 à 10 :
la Piège, située dans les pratiques culturales plutôt l’ « aquanote » et la « léanote ».
l’Aude, est sous sur- favorables aux fuites de nitrates, La première représente la
veillance. Elle abrite le sous bassin telles que l’épandage d’effluents
concentration en nitrate dans les
amont du Charlet, qui couvre un organiques. Les rotations sont
eaux de drainage, et la seconde, la
peu moins de 200 hectares, mais dominées par le blé dur. Elles
quantité d’azote perdue en kg/ha.
se trouve particulièrement exposé peuvent être biennales, la céréale
aux risques de lessivage des ni- alternant avec le tournesol, ou Dans le cas du Charlet, Aqualéa®
trates compte tenu de son contexte quadriennales (tournesol - blé dur a été utilisé avec l’hypothèse que
pédo-climatique. D’une part, les – colza - blé dur). les effets du ruissellement et du
sols y sont en forte pente. D’autre drainage étaient identiques, la
part, la roche mère, de la molasse, majorité des ruissellements étant
est quasi-imperméable (tableau 1). Des teneurs en nitrates de nature hypodermique. Cette
De plus, les précipitations peuvent toujours élevées dans hypothèse a été validée par une
être violentes à l’automne entraî- comparaison entre les reliquats
certains cas
nant du ruissellement en surface estimés par le logiciel et ceux
et un lessivage latéral dessous, Menée de 1994 à 2002, l’action mesurés sur le terrain.
le long de la molasse. Seuls les Fertimieux a permis de réduire

PERSPECTIVES AGRICOLES - N°398 - MARS 2013


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d’entre eux, très concernés par les


Des risques de lessivage fonction des types de sol et des périodes fuites de nitrates, ne présentaient
certaines années aucune parcelle
A B C D nue pendant l’hiver.
Périodes
Déc. Janv. Fév. Mars Avril Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov.
Risques élevés : sols saturés Risques forts par Risques faibles Risques
Molasse Drainage latéral entraînement à nuls d’entraînement fort La lame d’eau drainante
latéral
sous surveillance
Risques moyens, sols saturés Risques faibles Risques moyens Risques faibles
Colluvions
si irrigation à nuls Pour trouver un indicateur de
Risques très élevés, sols saturés Risques faibles Risques très Risques moyens milieu davantage lié aux pratiques
Alluvions
élevés si irrigation à forts agricoles, l’étude s’est donc concen-
Tableau 1 : Les risques de lessivage en fonction des types de sol et des périodes de l’année. trée vers une analyse de la lame
d’eau drainante. Celle-ci a été réali-
sée sur trois campagnes (2002-2003,
2003-2004 et 2004-2005) avec l’aide
significativement les pratiques les tiques agricoles et les teneurs en du logiciel Aqualéa® (encadré 1).
plus à risque sur l’ensemble de la nitrates des eaux n’a pu être mis Ce travail a montré que la hauteur
région de La Piège tout en amélio- en évidence. de la lame variait en fonction de
rant la balance azotée de l’ordre de la pluviométrie annuelle et que sa
40 unités/ha. Sauf qu’un suivi de la Des différences importantes teneur en nitrates évoluait de fa-
qualité des eaux mis en place pour d’excédents azotés ont été mises en çon inverse aux précipitations par
mieux connaître l’évolution de la
teneur en nitrates dans les deux
évidence entre sous bassins, avec effet de dilution. Cette approche
a permis d’expliquer pourquoi
cours d’eau principaux de la petite des valeurs régulièrement élevées sur les teneurs en nitrates retrouvées
région a montré des teneurs en ni- les trois dépassant le plus souvent la dans les eaux sur la campagne
trates plus ou moins régulièrement
supérieures à la norme réglemen-
norme des 50 mg/l. 2003-2004 (75 à 90 mg/l) ont été
inférieures à toutes les autres : de
taire. Une étude plus exhaustive a L’étude des assolements a quant à 220 mm, la hauteur de la lame était
permis d’identifier les bassins et elle montré que 30 % des parcelles très supérieur à la valeur médiane,
les sous bassins les plus contribu- étaient en interculture longue en située autour de 140 mm.
teurs en nitrates. Parmi eux, trois moyenne sur le bassin versant.
sous bassins du Charlet amont ont Mais cet élément ne s’est pas non L’épandage
d’effluents
révélé des teneurs en nitrates sys- plus avéré efficace pour expli-
organiques peut
Les flux plus justes
tématiquement dépassent 50 mg/l. quer les différences de teneurs
constituer une
Des travaux ont donc été menés en nitrates dans les eaux entre Une analyse plus fine portant sur
pratique à risque en
afin de trouver des explications… sous bassins. Au contraire : deux les quantités totales de nitrates
matière de fuite de
Puis des solutions.
nitrates.

L’impact des pratiques


agricoles sur les nitrates
difficile à identifier
Une enquête exhaustive des pra-
tiques agricoles sur tous les îlots
culturaux du bassin versant du
Charlet a été réalisée sur les cam-
pagnes 2002 à 2006. Elle s’est fo-
calisée sur la fertilisation azotée
(minérale et organique) et l’assole-
ment, plus particulièrement sur le
type d’interculture. Résultat, des
différences importantes d’excé-
dents azotés ont été mises en évi-
dence entre sous bassins, avec des
valeurs régulièrement élevées sur
les trois dépassant le plus souvent
la norme des 50 mg/l. Malgré tout,
© N. Cornec

aucun lien systématique entre les


excédents azotés issus des pra-

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AGRONOMIE 39

scénarios agronomiques sur le les-


sivage des nitrates.
La modélisation a d’abord fait res-
sortir les risques liés à la plupart
des intercultures (hormis le cou-
vert permanent prairie), notam-
ment dans les sols de colluvions
ou de molasses. Trois cas ont été
identifiés comme plus probléma-
tiques : les intercultures entre col-
za et blé, blé et blé, blé et tournesol
(figure 1). Ce résultat traduit l’effet
conjugué de l’absence de couver-
ture hivernale des sols et de la fer-
tilisation azotée parfois excéden-

© J. Y. Maufras, ARVALIS-Institut du végétal


taire sur blé dur et colza.

Trois scénarios à l’étude


Compte tenu de ces risques, trois
types de scénarios ont été envisa-
gés pour améliorer la situation :
ajuster la fertilisation azotée, mo-
Blé dur et tournesol
difier l’assolement ou implanter
font partie des
lessivées (également calculées par sieurs années. Il est du coup diffi- des cultures intermédiaires. Dans
principales
Aqualéa®), a montré cependant cile à corréler statistiquement avec le premier cas, la dose optimale
productions
que celles-ci augmentaient lorsque les indicateurs est modélisée
la lame d’eau était plus impor-
cultivées sur le sous
bassin du Charlet.
de pratiques Même s’il semble chaque année
tante : en 2003-2004, 41 à 49 kg culturales. Pour pertinent, le calcul de en fonction du
d’azote ont été lessivés contre 19
à 27 kg en 2004-2005, campagne
mieux évaluer
les effets des
flux reste difficile à rendement réa-
lisé a posteriori.
où la lame d’eau voisinait les facteurs agrono- déterminer de façon Cette hypothèse
70 mm seulement. Le lessivage miques, l’utilisa- fiable sur plusieurs entraîne des
des nitrates est donc d’autant plus
fort que la lame d’eau drainée est
tion du modèle
Aqualéa ® est
années. réductions de 20
à 30 % par rap-
importante. donc apparue nécessaire. Il a per- port à la quantité d’azote apportée
Pour mieux évaluer les pratiques mis de tester l’impact de différents a priori avec la méthode du bilan.
à risque, les flux par sous bas-
sins ont été obtenus à partir des
débits estimés à chaque exutoire Davantage de risques entre colza/blé, blé/tournesol et
de mesure, conjugués aux teneurs blé/blé
moyennes mensuelles mesurées
sur les campagnes 2004 et 2005. Aquanote
12
Cette approche s’est avérée inté- moy. Aquanote - colluvion
moy. Aquanote - molasse
ressante pour l’année 2004 : les 10
sous bassins où les flux sont appa-
rus les plus élevés correspondent 8
à ceux les plus concernés par les
excédents d’azote. Mais en 2005,
6
les débits mesurés ont été faibles
et peu de différence de flux ont pu
4
être mis en évidence.

De la modélisation pour
0
aller plus loin Prairie/Prairie Blé/colza Tournesol/blé Colza/blé Blé/tournesol Blé/blé

Même s’il semble pertinent, le Figure 1 : Risques de lessivage de l’azote des différentes successions sur collu-
calcul de flux reste donc difficile à vion et molasse.
déterminer de façon fiable sur plu-

PERSPECTIVES AGRICOLES - N°398 - MARS 2013


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Les améliorations sont significa-


tives en sols de colluvion, mais Simulations : pas de solution miracle
plus faibles sur sols de molasse. Aquanote
12
Elles sont en particulier insuffi-
santes dans le cas des intercultures 10
de type tournesol - blé, blé - blé et
blé - colza. 8

Dans le second scénario, l’intro-


6
duction d’un colza dans la rotation
a permis de diminuer légèrement 4
le lessivage dans l’interculture blé/
colza par rapport à celles de type 2
blé/tournesol ou blé/blé. Mais elle
0
semble l’augmenter sur les blés Tournesol/blé Blé/colza Blé/tournesol Blé/blé Colza/blé
suivants. Ce scénario apparaît Etat initial Optimisation de la fertilisation azotée
donc insuffisant pour modifier de Implantation de cultures Implantation de cultures
intermédiaires (dates théoriques) intermédiaires (dates réelles)
façon significative une concentra-
tion de départ élevée, de l’ordre de Figure 2 : Comparaison des différents scénarios sur un sol de molasse
120 mg/l dans le cas le plus diffi- pour la campagne 2004-2005.
cile. D’autres cultures pourraient
peut-être s’avérer intéressantes
(pois, sorgho…) mais l’étude reste tion plus précoce de la culture. (figure 2). Des mesures complé-
à faire. Lorsque l’implantation est réussie, mentaires doivent être mises en
la simulation montre un effet posi- œuvre, que ce soit dans le cadre
tif essentiellement en interculture des programmes d’action zones
Des mesures longue, tout particulièrement en vulnérables ou de façon plus vo-
complémentaires sols de molasse. Dans les sols de lontaire : mise en place de bandes
colluvions, cette stratégie produit tampons, implantation de prairies
nécessaires
le même effet qu’un ajustement de sur les zones à risque (molasse de
Dans le troisième et dernier scé- fertilisation azotée. haut de coteaux), gestion de la fer-
nario, deux types d’implantations Les simulations réalisées avec le tilisation organique (doses et dates
de cultures intermédiaires ont Introduire un colza logiciel Aqualéa® montrent donc d’apport). Leurs mise en place est
été simulées : un cas « idéal » et dans la rotation a que l’amélioration de la gestion de complexe car elles nécessitent de
une situation correspondant à la permis de diminuer la fertilisation azotée et l’implan- raisonner à plusieurs échelles :
pratique, donc tenant compte des légèrement le tation de cultures intermédiaires parcelle, exploitation, bassin ver-
contraintes climatiques locales lessivage dans ne sont pas suffisantes pour faire sant et même filières pour assu-
que sont les retards de levée de l’interculture blé- baisser les teneurs en nitrates en rer la pérennité économique des
15 jours à 1 mois et la destruc- colza, sans pour dessous des seuils réglementaires exploitations. 
autant résoudre le
problème.

Christophe Bonnemort,
Chambre d’agriculture de l’Aude
christophe.bonnemort@aude.chambagri.fr,
Sophie Vallade,
ARVALIS-Institut du végétal
© J. Y. Maufras, ARVALIS-Institut du végétal

s.vallade@arvalisinstitutduvegetal.fr

avec la collaboration de
Sylvie Nicolier (ARVALIS-Institut
du végétal), Sandra Dellasignora
(Chambre d’agriculture de l’Aude et
les stagiaires David Bioteau, Solenn
Guillaume et Nicolas Rabin

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