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La thyroïde 1
passer le test !
Jennifer Ahlan et Jean-Marie Boutin
O Mme Basedow vous consulte parce que son taux de TSH est de 0,01 mUI/l et celui de T4 libre est de
30 pmol/l. Quel bilan complémentaire demandez-vous ?
O Mme Schmidt veut savoir si elle doit prendre la lévothyroxine à jeun ou au repas. Que lui dites-vous ?
O Chez Mme De Quervain, le taux de TSH passe de 3 mUI à 6 mUI, mais celui de la T4 libre demeure à
15 pmol/l. Quel test est le plus fiable ?
O M. Hashimoto a des anticorps antithyroperoxydases. Doit-on faire un autre dosage au moment
du suivi ?
Quand on évalue une maladie thyroïdienne, le dosage de la TSH est suffisant dans la grande majorité
des cas et est beaucoup plus fiable que celui de la T4 libre.
Repère
Le Médecin du Québec, volume 47, numéro 2, février 2012 27
Tableau I
Critères de dépistage d’un trouble de la thyroïde5,6
Antécédents Bilan anormal
O Autre maladie auto-immune (diabète de type 1, O Anémie
anémie pernicieuse, insuffisance surrénalienne, etc.)
O Taux de CK ou de LDH élevés sans raison connue
O Goitre
O Dyslipidémie (augmentation du cholestérol LDL
O Antécédents d’irradiation de la zone cervicale et total ou hypertriglycéridémie)
O Prise d’un médicament qui atteint la fonction thyroïdienne O Hyponatrémie
(ex. : amiodarone, sunitinib, lithium, interféron, etc.)
O Hyperprolactinémie
O Apnée du sommeil
O Augmentation inexpliquée du taux d’enzymes
O Dépression hépatiques
O Démence
O Leucotrichie (apparition prématurée de cheveux gris)
O Antécédents personnels ou familiaux de dysthyroïdie
environ 0,03 % de la concentration totale. La relation tandis que l’American College of Physicians recom-
entre la TSH et la T4 libre suit une courbe logarith- mande plutôt de le faire chez les femmes de plus de
mique. Par conséquent, une petite modification du 50 ans.
taux de T4 libre produira un changement notable dans
la valeur de la TSH, ce qui explique pourquoi cette der- Quand a-t-on besoin de plus que la TSH ?
nière est plus sensible et doit être mesurée avant tout3. Dans le cas de certaines maladies, la mesure de la
De plus, les valeurs de référence pour la T4 libre sont TSH seule peut être trompeuse. Dans l’hypothyroï-
très étendues. Ainsi, pour un patient donné, une ma- die centrale ou hypophysaire, on préfère donc se fier
ladie fruste de la thyroïde ne donnera pas nécessaire- au dosage de la T4 libre pour ajuster le traitement
ment une T4 libre hors normes alors que la TSH dé- médicamenteux. On vise alors le milieu de l’étendue
passera le cadre de référence4. En contrepartie, la T4 de la normale. Dans le suivi d’une hyperthyroïdie, le
libre sera utile pour évaluer la gravité du trouble thy- dosage de la T4 libre est utile au début du traitement,
roïdien lorsque la TSH sera manifestement élevée car la production de TSH peut être supprimée du-
(⬎ 10 mUI/l) ou supprimée (⬍ 0,05 mUI/l). rant quelques semaines le temps que l’hypophyse
La première étape consiste donc à mesurer la concen- se rajuste7.
tration de la TSH, mais durant une période de stabi- Les autres cas où on doit utiliser la T4 libre com-
lité de quatre à six semaines, soit après et non pendant prennent la résistance aux hormones thyroïdiennes
les premières semaines de traitement d’une hypothy- et les adénomes hypophysaires sécrétant la TSH. Ces
roïdie ou d’une hyperthyroïdie. cas sont toutefois extrêmement rares.
On doit bien sûr doser la TSH chez les patients On peut mesurer la T4 libre lorsque la TSH est
ayant des symptômes cliniques d’hyper- ou d’hypo- anormale, car le résultat obtenu peut nous aider à dé-
thyroïdie. Toutefois, un dépistage peut aussi être né- cider s’il faut traiter ou non un patient (voir l’article
cessaire dans d’autres contextes cliniques. Ainsi, on de la Dre Geneviève Rondeau intitulé : « Dysthyroïdies
doit mesurer la TSH chez les patients sans symptômes subcliniques : quand un peu devient assez »).
atteints d’une maladie auto-immune (ex. : diabète de Le dosage de la T3 libre ajoute peu à celui de la T4
type 1), de dyslipidémie ou d’hypertension artérielle libre. La T3 s’élève parfois plus que la T4 dans certains
ou traités par des médicaments susceptibles d’entraî- cas d’hyperthyroïdie, comme la maladie de Graves et
ner un dérèglement de la thyroïde (tableau I)5,6. À no- les nodules autonomes. Elle peut aussi servir à détec-
ter que l’American Thyroid Association suggère de ter les cas de syndrome de basse T3, car elle sera alors
mesurer la TSH tous les cinq ans à partir de 35 ans le premier paramètre à diminuer.
28 La thyroïde : passer le test !
Quels anticorps doit-on doser d’anticorps antithyroperoxydases viendra confirmer
Formation continue
et dans quel contexte ? que l’hypothyroïdie est attribuable à une thyroïdite
de Hashimoto, la cause de plus de 90 % des cas. Par
Il y a trois types principaux d’anticorps qu’on peut contre, une fois le diagnostic posé et le patient traité,
doser : les antithyroperoxydases (antiTPO), les anti- il ne sert plus à rien de doser les antithyroperoxydases.
thyroglobulines (antiTg) et les antirécepteurs à TSH De plus, ces anticorps peuvent diminuer, voire dispa-
(connus comme TSH receptor antibody ou TRaB). Les raître avec le temps.
antithyroperoxydases, anciennement appelés anticorps Les antirécepteurs à TSH doivent toutefois être me-
antimicrosomiaux, sont présents dans plus de 95 % surés chez toutes les femmes enceintes ayant des an-
des cas de thyroïdite de Hashimoto et dans de 50 % à técédents de maladie de Graves, car ils peuvent en-
80 % des cas de maladie de Graves. On les trouve aussi traîner une hyperthyroïdie néonatale en traversant
chez 13 % de la population euthyroïdienne8. le placenta. La présence de ces anticorps aide à diffé-
Les anticorps antithyroglobulines sont dirigés contre rencier la maladie de Graves d’une thyroïdite silen-
la thyroglobuline, protéine stockée dans la thyroïde cieuse, particulièrement si la scintigraphie est contre-
et qui sert à la synthèse des hormones thyroïdiennes. indiquée. Toutefois, il faut se rappeler que ces anticorps
Ils sont présents chez de 50 % à 70 % des patients at- sont absents chez près de 20 % des patients atteints
teints de la maladie de Graves, de 80 % à 90 % des pa- de la maladie de Graves et que les résultats ne sont
tients ayant une thyroïdite de Hashimoto et de 3 % à généralement pas disponibles rapidement.
11,5 % des personnes euthyroïdiennes8. Leur utilité
dans le diagnostic de la maladie de Hashimoto est li- Quel examen d’imagerie pour la thyroïde ?
mitée, car la plupart des patients vont aussi avoir des La scintigraphie est l’outil diagnostique le plus
antithyroperoxydases. Par contre, le dosage des anti- important en cas d’hyperthyroïdie (voir l’article des
thyroglobulines est très utile dans le suivi du cancer Dres Émilie Daoust et Hortensia Mircescu intitulé :
de la thyroïde, car la thyroglobuline sert de marqueur « Quand la thyroïde s’emballe », dans le présent nu-
néoplasique. Ainsi, si ces anticorps sont présents chez méro), mais est peu utile pour l’évaluation des nodules
un patient traité pour un cancer de la thyroïde, la va- où l’échographie est de loin préférable. Trois agents
leur de la thyroglobuline risque d’être sous-estimée. radiopharmaceutiques sont utilisés pour la scintigra-
Enfin, les antirécepteurs à TSH sont présents dans phie : l’iode 123, l’iode 131 et le pertechnétate de
de 10 % à 20 % des cas de thyroïdite de Hashimoto technétium 99m (Tc-99m). L’iode 123, plus coûteux,
et dans de 80 % à 95 % des cas de maladie de Graves. n’est pas offert partout, car il nécessite un cyclotron
Comme leur nom l’indique, ils peuvent se lier au ré- et a une demi-vie très courte. Beaucoup de centres ont
cepteur de la TSH, soit pour stimuler ou pour blo- donc recours à l’iode 131, qui est moins cher, mais
quer la production d’hormones thyroïdiennes, ce qui émet plus de rayonnements. On l’utilise aussi dans un
déterminera l’évolution clinique. Les antirécepteurs but thérapeutique. Les valeurs normales de captation
de la TSH sont des immunoglobulines de type IgG se situeront entre 15 % et 30 % après 24 heures. La
et peuvent donc traverser le placenta. thyroïde du fœtus ayant la capacité de capter l’iode
En général, le dosage de ces anticorps est peu utile. dès la 11e semaine, l’iode 131 pourrait la détruire et
Le dosage des antithyroperoxydases peut nous aider est donc contre-indiqué chez la femme enceinte ou
quand on hésite à traiter un patient (voir l’article de qui allaite. En outre, il doit être utilisé avec prudence
la Dre Geneviève Rondeau intitulé : « Dysthyroïdies chez les jeunes enfants.
subcliniques : quand un peu devient assez »). Par Le Tc-99m est souvent utilisé en premier lieu pour
ailleurs, si on décide de traiter un patient en raison de évaluer la morphologie de la thyroïde. L’examen est
ses symptômes ou de la valeur de sa TSH, la présence complété à l’aide d’iode 131, car on ne peut obtenir un
L’échographie constitue l’examen d’imagerie le plus important dans l’évaluation d’un nodule thyroïdien.
Repère
30 La thyroïde : passer le test !
Tableau II
Formation continue
Causes de malabsorption de la lévothyroxine13
Problèmes gastro-intestinaux Médicaments Aliments
cessite l’administration de plusieurs doses par jour, Date de réception : le 26 juillet 2011
et son effet cardiovasculaire est plus marqué. Son as- Date d’acceptation : le 22 août 2011
sociation avec la lévothyroxine ne semble pas appor- La Dre Jennifer Ahlan n’a déclaré aucun intérêt conflictuel. Le Dr Jean-
ter d’avantages additionnels. Marie Boutin a été conférencier pour Eli Lilly et Novo Nordisk en
2010 et 2011.
Retour sur les cas
Après avoir exclu une grossesse chez Mme Basedow, Bibliographie
vous demandez une scintigraphie de la thyroïde afin de
1. Lepage R, Albert C. L’évolution du laboratoire d’endocrinologie au
déterminer s’il s’agit d’une maladie de Graves, d’un adé- cours des cinquante dernières années. Ann Biol Clin Qué 2008 ; 45
nome toxique ou d’une thyroïdite. Le dosage des antiré- (1) : 2-20.
cepteurs à TSH peut aussi vous guider. 2. Surks MI, Boucai L. Age- and race-based serum thyrotropin refer-
Vous répondez à Mme Schmidt qu’il est préférable de ence limits. J Clin Endocrinol Metab 2010 ; 95 (2) : 496-502.
3. Spencer CA, Lopresti JS, Patel A et coll. Applications of a new chemi-
prendre la lévothyroxine à jeun, car la nourriture peut
luminometric thyrotropin assay to subnormal measurement. J Clin
en diminuer l’absorption. Comme les études ont été me- Endocrinol Metab 1990 ; 70 (2) : 453-60.
nées avec des aliments, l’effet des boissons sur l’absorp- 4. Nicoloff JT, Spencer CA. The use and misuse of the sensitive thy-
tion est moins certain. rotropin assays. J Clin Endocrinol Metab 1990 ; 71 (3) : 553-8.
Le dosage de la TSH étant beaucoup plus fiable que 5. Ladenson PW, Singer PA, Ain KB et coll. American Thyroid Asso-
celui de la T4 libre, c’est cette valeur que vous utiliserez ciation guidelines for detection of thyroid dysfunction. Arch Intern
pour Mme De Quervain. À la lumière des résultats obte- Med 2000 ; 160 (11) : 1573-5.
nus, une hypothyroïdie pourrait être en train de se déve- 6. Helfand M, Redfern CC. Screening for thyroid disease: an update.
lopper, et cette patiente devra donc faire l’objet d’un suivi. Ann Intern Med 1998 ; 129 (2) : 144-58.
Le dosage des anticorps antithyroperoxydases a per- 7. Roti E, Gardini E, Magotti MG et coll. Are thyroid function tests too
frequently and inappropriately requested? J Endocrinol Invest 1999 ;
mis que M. Hashimoto porte bien son nom. Mainte - 22 (3) : 184-90.
nant que le traitement est amorcé, le dosage n’a pas à 8. Hollowell JH, Staehling NW, Flanders WD et coll. Serum TSH, T(4),
être répété. 9 and thyroid Antibodies in the United States population (1988 to
L’ajustement de la lévothyroxine se fait de quatre à six semaines après le début du traitement ou le chan-
gement de dose dans le but d’équilibrer la TSH.
Repère
Le Médecin du Québec, volume 47, numéro 2, février 2012 31
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