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Stratégique 11e édition

G. Johnson, R. Whittington, K. Scholes, D. Angwin, P. Regnér


F. Fréry

Chapitre 3 – L’analyse de l’industrie


Étude de cas

Une nouvelle page pour la publicité

Au milieu des années 2010, les agences de publicité étaient confrontées à une série de défis inédits. Les marchés
historiques et les méthodes établies, développés pour la plupart en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest suite à
l’émergence de la société de consommation au XXe siècle, étaient radicalement remis en cause.

L’industrie devait faire face à deux évolutions qui bouleversaient sa dynamique et ses structures. La première était
l’irruption de nouveaux acteurs tels que Google et Yahoo!, qui captaient une part croissante des budgets publicitaires. La
seconde était un basculement des marchés vers de nouvelles zones géographiques. Ces changements conduisaient à une
réduction des budgets publicitaires alloués par les clients aux agences historiques, ce qui attisait leur rivalité
concurrentielle.

Le modèle économique de la publicité

Traditionnellement, la tâche des agences de publicité consistait, au nom de leurs clients (les annonceurs), à cibler une
audience spécifique afin de la convaincre de consommer un produit ou un service. Dans cet objectif, les agences
communiquaient sur les marques de leurs clients au travers de toute une série de supports. La marque permettait aux
consommateurs de différencier les offres, et c’était aux agences de publicité de la positionner de telle manière qu’elle soit
associée avec les attributs et les fonctions valorisées par la cible. Il pouvait s’agir de marques grand public (par exemple
L’Oréal, Coca-Cola ou Toyota) ou de marques ciblant des entreprises (par exemple Airbus, IBM ou KPMG). Certaines
marques s’adressaient à la fois aux consommateurs et aux entreprises (par exemple Apple ou Microsoft).

Outre les entreprises privées, la clientèle des agences de publicité comprenait aussi les pouvoirs publics, qui allouaient
d’importants budgets pour accompagner leurs politiques de sécurité routière, d’éducation ou de santé (comme le « Moi(s)
sans tabac » en France). Le gouvernement britannique avait ainsi dépensé 289 millions de livres en publicité en 2014. Les
associations, les partis politiques, les syndicats, voire les églises utilisaient également la publicité pour attirer des donateurs,
recruter des adhérents ou véhiculer divers messages. Ces différents clients représentaient environ 3 % des dépenses
publicitaires mondiales.

Les agences se comportaient effectivement comme des « agents » : c’est au nom de leurs clients qu’elles plaçaient les
publicités dans les médias (télévision, presse, radio, Internet, etc.). Les annonceurs faisaient appel aux agences pour
bénéficier de leur savoir-faire, de leurs compétences, de leur créativité et de leur expérience. Les agences se rémunéraient
généralement au travers d’honoraires proportionnels au temps passé à concevoir les campagnes de publicité, plus une
commission sur les services et les médias achetés au nom des clients. Cependant, depuis quelques années, de grands
annonceurs tels que Coca-Cola ou Procter & Gamble instauraient un nouveau modèle, dans lequel la rémunération de
l’agence était fonction du résultat de la campagne, mesuré par toute une série d’indicateurs (croissance des ventes, part de
marché, etc.).

© 2017 Pearson France – Stratégique, 11e édition – ISBN : 9782326001558


La croissance de l’industrie

Au cours des deux précédentes décennies, le montant global investi en publicité avait très fortement augmenté. Pour
l’année 2015, il était évalué à plus de 180 milliards de dollars rien qu’aux États-Unis et à 569 milliards au niveau mondial.
Même si la crise avait provoqué un recul temporaire, notamment en Europe, on estimait que le marché dépasserait les
719 milliards en 2019. En 2015, l’indice Dow Jones spécialisé dans les agences de médias (qui comptait notamment les
grandes agences de publicité) avait augmenté 15 % plus vite que la moyenne de la Bourse de New York. Le marché mondial
de la publicité avait ainsi connu une croissance de 4,4 % en 2014 et de 4,6 % en 2015, et on s’attendait à une croissance de
4,4 % en 2016 et de 4,5 % en 2017

Au sein de cette croissance générale, l’équilibre du marché publicitaire connaissait cependant de fortes évolutions. Des
régions négligeables en termes d’investissement publicitaire à la fin du XXe siècle prenaient une importance croissante,
notamment les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), mais aussi le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. On
avait ainsi vu apparaître des agences spécialisées dans le marketing islamique, qui veillaient à véhiculer des messages
respectueux des convictions des consommateurs musulmans. L’analyse des tendances futures montrait l’émergence de
marques de grande consommation dans des régions du monde où les investissements publicitaires étaient encore
embryonnaires (voir le tableau 1). On estimait au total que les marchés émergents contribueraient à 38 % de la croissance
des investissements publicitaires entre 2016 et 2019, dont 25 % pour la Chine, avec notamment de fortes progressions en
Indonésie, en Inde et aux Philippines. En 2016, la Chine et le Brésil faisaient déjà partie des six premiers marchés mondiaux.

Tableau 1 : Dépenses publicitaires par région sur les principaux supports : journaux, magazines, télévision, radio,
cinéma, affichage, Internet (en millions de dollars américains, conversions au taux moyen de 2011)

2011 2012 2013 2014 2015

Amérique du 164 516 169 277 175 024 183 075 191 130
Nord

Europe de 107 520 111 300 114 712 119 531 124 790
l’Ouest

Asie-Pacifique 113 345 122 000 130 711 137 639 145 695

Europe de l’Est 29 243 32 284 35 514 36 691 37 305

Amérique 31 673 34 082 36 836 38 530 39 226


latine

Afrique Moyen- 24 150 25 941 28 044 29 334 30 625


Orient

Monde 470 447 494 884 520 841 544 800 568 771
Source : Zenith, janvier 2016

En termes d’industries, trois des dix plus gros annonceurs mondiaux étaient des constructeurs automobiles. Cependant,
les trois entreprises dont les budgets publicitaires étaient les plus élevés étaient Procter & Gamble, Nestlé et L’Oréal.
L’automobile, l’agroalimentaire, la santé, les cosmétiques, la distribution, les télécommunications et le divertissement
figuraient parmi les 20 principaux clients de la publicité. Les marques globales étaient celles qui dépensaient le plus : les
100 plus gros annonceurs représentaient environ 50 % des dépenses publicitaires mondiales.

La concurrence

Il existait toutes sortes d’agences publicitaires, depuis de minuscules boutiques d’une ou deux personnes (qui sous-
traitaient l’essentiel de leur activité à des créatifs indépendants), jusqu’à des groupes mondiaux rassemblant plus de
190 000 salariés. L’industrie avait connu une phase de concentration qui avait donné naissance à des réseaux d’agences
globaux (voir le tableau 2), dont les plus gros avaient leur siège à New York, Londres ou Paris.

Ces réseaux multi-agences s’appuyaient sur la créativité de leurs équipes (mesurée par de nombreux classements et
trophées), leur pouvoir de négociation dans l’achat d’espaces dans les médias, leur connaissance des marchés et leur
présence internationale. Certains groupes s’étaient intégrés verticalement pour proposer toute une gamme de services à
leurs clients. Omnicom avait ainsi fait l’acquisition d’imprimeurs et de centres d’appel.

Derrière les géants mondiaux, les concurrents de taille moyenne s’appuyaient sur leur connaissance approfondie de
certains marchés, se spécialisaient dans certains services comme le numérique, ou construisaient une réputation
d’innovation et de créativité grâce à des campagnes particulièrement remarquées. Cependant, ils utilisaient plus souvent
des créatifs indépendants que les grands réseaux.

© 2017 Pearson France – Stratégique, 11e édition – ISBN : 9782326001558


Tableau 2 : Les cinq plus gros réseaux mondiaux d’agences publicitaires en 2014

Chiffre Nombre de
Nom du réseau Résultat brut Agences et marques
d’affaires salariés

WPP 11,5 milliards de 1 662 millions de 190 000 JWT, Grey, Ogilvy,
(Royaume-Uni) livres livres Young & Rubicam

Omnicom 15,5 milliards de 1 944 millions de 74 000 BBDO, DDB, TBWA


(États-Unis) dollars dollars

Publicis Groupe 7,2 milliards 829 millions 77 000 Leo Burnett,


(France) d’euros d’euros Saatchi & Saatchi, Publicis,
BBH

IPG (États-Unis) 7,5 milliards de 788 millions de 48 700 McCann Erickson, FCB,
dollars dollars Lowe & Partners

Havas (France) 1,9 milliard 263 millions 11 186 Havas Conseil


d’euros d’euros
Source : AdAge, Omnicom, WPP, Publicis, IPG, Havas.

Beaucoup de petites agences apparaissaient et beaucoup disparaissaient. La plupart étaient fondées par d’anciens salariés
des grandes agences, à l’image de Adam+Eve, issue de Young & Rubicam. Réciproquement, les grands réseaux rachetaient
fréquemment des petites agences spécialisées afin d’acquérir leurs compétences, de parfaire leurs gammes de services ou
de s’adresser à de nouvelles cibles. Publicis avait ainsi acquis Razorfish pour 530 millions de dollars en 2009, alors que WPP
avait mis la main sur AKQA pour 540 millions de dollars en 2012. Dans les deux cas, il s’agissait pour ces réseaux historiques
d’accompagner le basculement vers la publicité en ligne.

Le marché de la publicité était en effet fortement bouleversé par l’irruption des géants d’Internet tels que Google, Yahoo!
ou Bing, qui utilisaient les données qu’ils récoltaient sur leurs utilisateurs pour les monétiser auprès des annonceurs. Sir
Martin Sorrell, le directeur général de WPP, soulignait que les interactions de son groupe avec Google prenaient une
importance croissante, au point de concurrencer les relations historiques avec les chaînes de télévision ou la presse, voire
de mettre en cause le partenariat avec certains annonceurs. Le groupe WPP avait ainsi dépensé plus de 4 milliards de
dollars avec Google en 2015 (soit un doublement en trois ans) et 1 milliard avec Facebook. Martin Sorrell considérait que
Google était à la fois un ami et un ennemi. Google était un ami car il permettait aux agences de placer des publicités très
ciblées grâce à ses puissants algorithmes, mais c’était également un ennemi car il ne partageait pas ces algorithmes avec
les agences et devenait donc un concurrent potentiel en termes de connaissance des consommateurs, une compétence
historique des agences. Lors de sa tentative avortée de fusion avec Omnicom en 2013, Maurice Lévy, président de Publicis
avait déclaré : « Ensemble, nous allons former un acteur important avec lequel les géants du Net vont devoir négocier. Nous
voulons avoir accès à toutes les données qu’ils détiennent sur les consommateurs. » Il affichait le souhait de devenir « le
5e continent de la publicité, derrière la bande des quatre du numérique, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ».Avec le
développement d’Internet et de la publicité en ligne, une nouvelle espèce d’agences était apparue, à l’image de Razorfish
et d’AKQA. Elles offraient toute une série de services dédiés à Internet : conception de sites, référencement sur les moteurs
de recherche, réalisation de bannières, conseil. Elles étaient qualifiées d’agences car elles créaient elles aussi des
campagnes et négociaient l’achat d’espaces pour leurs clients sur des sites tels que Facebook, Twitter, YouTube ou
Instagram. Cependant, contrairement aux médias traditionnels tels que la télévision, il était souvent impossible de négocier
le prix des emplacements sur les moteurs de recherche, où tout était automatisé par des algorithmes. Le modèle
économique de la publicité était donc condamné à évoluer.

La publicité en ligne voyait ses budgets augmenter bien plus vite que ceux des autres médias, car les annonceurs
constataient son efficacité (voir le tableau 3). En 2015, Google détenait 55 % des 81,6 milliards de dollars dépensés sur les
moteurs de recherche dans le monde, alors que Facebook augmentait également sa présence.

© 2017 Pearson France – Stratégique, 11e édition – ISBN : 9782326001558


Tableau 3 : Dépenses publicitaires mondiales par support
(en millions de dollars américains, conversions au taux moyen de 2011)

2011 2012 2013 2014 2015

Journaux 93 019 92 300 91 908 90 070 88 268

Magazines 42 644 42 372 42 300 40 185 39 391

Télévision 191 198 202 380 213 878 210 670 210 459

Radio 32 580 33 815 35 054 34 457 34 130

Cinéma 2 393 2 538 2 681 2 767 2 850

Affichage 30 945 32 821 34 554 36 143 36 324

Internet 70 518 80 672 91 516 130 019 156 543

Total 463 297 486 898 511 891 544 311 567 956
Source : Zenith, septembre 2015

Note : les totaux sont inférieurs à ceux du tableau 1 car celui-ci inclut des dépenses
pour quelques pays qui ne distinguent pas les supports.

Pour autant, alors que la publicité classique était une activité soumise à des réglementations variables d’un pays à l’autre
(interdiction de la promotion de certains produits comme le tabac ou l’alcool, encadrement de la publicité comparative,
respect des lois sur la liberté d’expression, implantation des supports), les géants d’Internet profitaient de leur présence
mondiale pour échapper à de nombreuses contraintes légales et fiscales. On estimait ainsi que, en France ou au Royaume-
Uni, Google payait de 20 à 30 fois moins d’impôts qu’il aurait dû, grâce à des montages financiers complexes entre ses
multiples filiales (Irlande, Pays-Bas, Bermudes). Plusieurs gouvernements européens, fortement endettés, entendaient
cependant mettre fin à ces pratiques et lever une « taxe Google ».

La publicité sur mobile, sur des sites tels que YouTube, Pinterest ou Twitter, prenait rapidement de l’importance et il était
prévu qu’en 2019 elle représenterait 28 % du marché publicitaire, tous supports confondus. C’est une des raisons pour
lesquelles Google et Facebook avaient procédé à plusieurs acquisitions dans ce secteur (voir le tableau 4). Si Internet était
la première cause d’évolution du marché de la publicité, beaucoup d’experts estimaient que l’inévitable convergence du
Web, de la télévision, des smartphones, des tablettes et des ordinateurs aurait des conséquences majeures. Parallèlement,
les plateformes de cocréation publicitaire comme eYeka, DOZ ou Creads, qui s’appuyaient sur de larges communautés
d’internautes, risquaient à terme de concurrencer les agences.

Tableau 4 : Dépenses publicitaires sur mobile aux États-Unis

2015 2016 2017 2018 2019

Dépenses publicitaires sur mobile 31,59 43,60 52,76 61,20 69,15


(millions de dollars)

Taux de croissance 65,0 % 38,0 % 21,0 % 16,0 % 13,0 %

En pourcentage du total des dépenses 53,0 % 63,4 % 68,2 % 70,7 % 72,0 %


publicitaires en ligne

En pourcentage du total tous supports 17,3 % 22,7 % 26,2 % 28,8 % 31,0 %


Source : eMarketer.com

Toutes ces évolutions entraînaient un déplacement des compétences dans la publicité. Traditionnellement, l’industrie
estimait que la créativité de quelques individus particulièrement talentueux distinguait les meilleures agences. Or, avec
l’émergence de Google ou Facebook, on pouvait se demander si la capacité à extraire les données les plus précises grâce
aux algorithmes les plus pertinents n’allait pas se substituer à la créativité individuelle. Au talent des créatifs succéderait la
science des analystes.

Adapté d’un cas préparé par Peter Cardwell.


Sources : Zenith, septembre 2015 ; havas.com ; interpublic.com ; wpp.com ; publicisgroupe.com ; omnicomgroup.com.

© 2017 Pearson France – Stratégique, 11e édition – ISBN : 9782326001558


Questions
1. Effectuez une analyse des 5(+1) forces de la concurrence de la publicité en 2015. Quels facteurs clés de succès en
déduisez-vous ?
2. Quelles sont les grandes évolutions dans l’industrie ? Les facteurs clés de succès vont-ils changer ?
3. En vous appuyant sur les analyses menées dans les deux questions précédentes, quelle stratégie conseilleriez-vous
aux dirigeants de Publicis ?

© 2017 Pearson France – Stratégique, 11e édition – ISBN : 9782326001558

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