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QU'EST-CE QU'UN ENFANT PEUT ATTENDRE D'UN

PSYCHANALYSTE ?
Martine Menès

ERES | « Analyse Freudienne Presse »

2012/1 n° 19 | pages 99 à 109


ISSN 1253-1472
ISBN 9782749234212
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-analyse-freudienne-presse-2012-1-page-99.htm
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Martine Menès1
Auteur

Qu’est-ce qu’un enfant

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peut attendre d’un psychanalyste ?

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Un enfant a priori n’attend rien de la psychanalyse,
mais il peut attendre d’un psychanalyste. Contrairement
aux adultes qui vont en rencontrer un avec un transfert à
la psychanalyse, l’enfant, lui ignore tout de la psychanalyse.
Encore que l’on rencontre parfois des préadolescents qui
en ont une idée, par le témoignage d’un copain qui leur
donne l’adresse, ou par une expérience vécue. J’ai rencontré
une fillette – 12 ans maximum – avec une demande expli-
cite à cet égard. À cette époque-là, je travaillais en CMPP de
grande banlieue, dans lequel arrivait le tout-venant. Elle
avait demandé très impérativement à sa mère d’aller voir
un psychanalyste et non un psychologue. Évidemment,
j’étais très curieuse : qu’avait-elle demandé de différent, où
voyait-elle la différence ? Et bien, quand elle était petite, elle
avait rencontré une psychologue dont les questions l’avaient
gênée ; elle était allée s’informer sur Internet, et elle m’a dit

1. Martine Menès, AME, membre de l’EPFCL.


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tout de suite : « Eh bien, toi, c’est simple, toi, tu écoutes et


tu ne demandes rien… »
Donc un enfant peut attendre d’un psychanalyste d’être
écouté.

PRÉALABLE : QU’EST-CE QU’UN ENFANT ?

Un enfant, c’est un prépubère – Freud ne parle pas


d’adolescence, mais de puberté. À partir de la puberté, le
jeune rencontre la même chose qu’un adulte, c’est-à-dire

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la question du sexe effectif, et celle de sa jouissance, de son
choix de sexuation. Avec la puberté, la position et l’offre de
l’analyste sont différentes de celles face à un plus jeune. Les
analyses avec les adolescents sont assez rares. Quelquefois, ils
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s’engagent et c’est effectivement une analyse. Mais la plupart


du temps, ils la font par éclipses ; ils font avec l’analyse exac-
tement ce qu’ils font avec tout le reste, ils zappent, ils partent,
ils reviennent, et parfois ils s’installent dans l’analyse une fois
qu’ils sont plus ou moins installés dans une vie indépendante
relativement stable.

LES SPÉCIFICITÉS DE L’ENTRÉE

L’enfant n’est pas autonome, ne peut venir seul, ne peut


pas payer ses séances. Ce sont les adultes tutélaires qui font
tout cela pour lui, ce qui démontre qu’eux aussi ont une
demande, ce qui est d’un embarras certain.
Lui, qu’est-ce qu’il demande ? La plupart du temps, rien ;
c’est l’autre qui demande pour lui, et qui plus est, l’autre le
fait au nom de ce qui fait symptôme chez l’enfant, non pas
pour lui, mais pour les parents, pour l’école, pour l’ordre
social, etc. D’emblée, il y a malentendu. Pour l’enfant, le
trouble qu’il sème peut même faire point d’idéal. Pour illus-
trer cela, voici une petite vignette : des parents accompagnent
un jeune garçon de 9-10 ans, rebelle à tout, très difficile. Le
père se plaint beaucoup du comportement de l’enfant ; ce

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père paraît lui-même très difficile, s’avère parfois violent,


entre autres avec son fils. Et puis, à la fin de l’entretien – c’est
souvent à la fin de l’entretien que quelque chose d’essentiel se
dit, sur le pas de la porte –, ce père, avec un petit sourire, dit :
« J’étais comme ça à son âge ! » Tout était dit. J’ai commencé
à recevoir l’enfant, et un jour, fatiguée de son silence décidé,
je lui demande très imprudemment : « Cela ne doit pas être
facile pour toi ? » Il me foudroie du regard et me dit : « Mais
on est comme ça chez nous ! » Il n’était pas question que ce
garçon lâche son comportement violent à l’école. Son Idéal

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du Moi était logé à la place de ce trait du père : « J’étais
comme ça à son âge », moyen pour lui d’être adopté par son
père. Donc, pour que ce comportement violent fasse symp-
tôme, il faudrait qu’il perde sa valeur d’identification.
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Effectivement, toute la question de la cure avec les


enfants est qu’ils cessent d’être un symptôme qu’on amène,
pour avoir eux-mêmes un symptôme, dans une demande
qu’ils adressent à ce partenaire étrange qui s’appelle un
psychanalyste. Je vais prendre pour illustrer un cas « ouvert
à nos interventions », comme l’écrit Lacan dans les Notes à
Jenny Aubry 2, celui de l’enfant symptôme du couple parental.
Pour que l’enfant passe d’« être le symptôme » à « avoir un
symptôme » qu’il adresse à ce drôle de partenaire qui ne sait
rien sur lui et qui l’écoute, la première chose à faire, comme
dirait Marx, c’est une offre, puisque là comme ailleurs, c’est
l’offre qui crée la demande. Mais ce qui complique les choses,
c’est qu’il y a deux conduites de cure qu’on retrouve dans la
pratique clinique :
Tout d’abord, il y a la tendance à se mettre à l’écoute des
parents seuls. J’ai vu, dans le CMPP où je travaillais, les portes
des bureaux fermées, des enfants errer dans les couloirs parce
que les collègues recevaient les parents. Ce n’est pas du tout
mon option. L’analyste peut se mettre un temps à l’écoute
des parents, avec l’espoir d’une rectification subjective de

2. J. Lacan, « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001.

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leur part qui permettrait une levée du symptôme de l’enfant.


Mais alors, on peut se demander de qui, ou de quoi […] on
est l’analyste.
Ou bien on peut faire l’offre d’écoute à l’enfant. Dans ce
cas-là, on fait le pari que c’est lui-même qui fera ce travail de
séparation, parce que la place ne peut être creusée que par lui.
La mère ne peut pas éjecter l’enfant, si l’enfant n’y met pas
du sien. Cela relève de la responsabilité du sujet, et l’éthique
de l’analyse est de l’y amener.
Lacan précise que l’enfant « n’est pas responsable de

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tout, nous acceptons avec lui une part de déterminisme
qui remonte au moins à deux générations d’avant le sujet ;
déjà son existence est plaidée, innocente ou coupable, avant
même qu’il ne vienne au monde […]. C’est même pour cela
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qu’en gros il y aura erreur sur la personne, c’est-à-dire sur les


mérites de ses parents, dans son Idéal du Moi » – on retrouve
cette question d’identification à l’Idéal du Moi – « tandis que
dans le vieux procès de justification au tribunal de Dieu, le
nouveau bonhomme reprendra un dossier d’avant ses grands-
parents : sous la forme de leur Surmoi 3 ». Effectivement,
la constellation signifiante préexiste au sujet enfant dans le
discours qui l’accueille avant même qu’il s’actualise comme
vivant ; il reste pour partie forcé d’y entrer. C’est ce que
Lacan appelle le « choix forcé », mais ce « choix forcé » ne
recouvre pas toute la question de son propre désir ; le sujet
enfant n’est pas que désir de l’autre, il est aussi le créateur
de son inconscient. Donc, à partir du moment où l’analyste
décide de recevoir l’enfant, ce qu’il lui propose au fond, c’est
de réexaminer les éléments du dossier et son propre choix.
L’enfant ne peut apercevoir comment il est déterminé, qu’à
comprendre en quoi il est intéressé au désordre, dont par
ailleurs, la plupart du temps, il ne se plaint pas, même s’il en
souffre, contrairement aux névrosés adultes.

3. J. Lacan, « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : Psychanalyse et


structure de la personnalité », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 653.

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Le problème, c’est qu’un enfant a des parents qui sont


actuels, caractérisés, et que cela a des conséquences immé-
diates sur lui. Je pense néanmoins que les deux offres, l’offre
de travailler avec l’enfant et les parents, et l’offre de ne
travailler qu’avec l’enfant, ne correspondent pas du tout à
la même position. J’ai souvent eu l’impression que recevoir
longuement les parents, faire des entretiens préliminaires qui
n’en finissent pas, recevoir les parents sans l’enfant – dans
certaines situations particulières – tout en le signifiant à l’en-
fant, tout ce travail, s’il est orienté par la psychanalyse, n’est

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pas de la psychanalyse. L’offre de l’analyse ne s’adresse qu’à
un sujet et pas à plusieurs. C’est pourquoi sans doute Lacan
précise que l’enfant symptôme du couple, c’est aussi le cas le
plus complexe.
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Il y a une difficulté supplémentaire lorsqu’il s’agit d’un


très petit, qui ne parle pas. La médiation de la parole paren-
tale est alors nécessaire et l’élaboration se fait avec le ou les
parents. L’enfant alors en est l’adresse.

LE TRANSFERT CHEZ L’ENFANT

Cette question du travail avec les enfants reprend un


débat qui a fait flamber le milieu psychanalytique pendant la
guerre (1941-1946), entre Melanie Klein et Anna Freud. Ce
débat, dont on trouvera la retranscription dans les Controver-
sial Discussions, les « Controverses de Londres 4 », porte sur la
question de la possibilité ou non du transfert avec l’enfant.
Melanie Klein affirme que la vie fantasmatique du
nourrisson est très active. Il vit dans des intentions, des
affects (amour, haine), et des états d’angoisse qui sont liés à
ces affects. Ils orientent dès les premiers temps de sa vie ses
relations sur un mode particulier. La constitution précoce
de la relation est marquée d’ambivalence du fait de la non-

4. Les controverses Anna Freud-Melanie Klein, 1re édition française aux PUF,
1966.

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satisfaction permanente, d’où l’introjection d’objets internes


bons et mauvais, et l’établissement d’un surmoi originaire
issu des tendances agressives de l’enfant. N’importe qui,
fréquentant des bébés, a pu remarquer cela chez les tout
petits. De là, Melanie Klein soutient que tout enfant pouvant
s’exprimer est capable d’établir une relation transférentielle
et de s’adresser à un analyste comme à un partenaire singu-
lier pouvant l’accompagner dans ses questions : tout ce qui
se déroule sur la scène de la cure est interprétable. Melanie
Klein y va très fort avec l’interprétation, elle considère tout

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ce qui se déroule dans les séances, comme des formations
de l’inconscient : le jeu, le dessin sont traités à l’équivalence
de l’association libre, de ce qu’est l’association libre chez les
adultes. Les différences avec la psychanalyse d’adulte ne sont
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que des différences techniques.


Anna Freud soutient le contraire : il n’y a pas de psycha-
nalyse possible avec un enfant, parce qu’il n’y a pas de
transfert possible, l’enfant étant trop pris dans la réalité de sa
dépendance à des adultes, aux adultes parentaux en particu-
lier. Elle s’oppose à la thèse kleinienne d’un Œdipe précoce
que Melanie Klein établit comme synchrone et structurel et
elle soutient l’existence d’un stade « anobjectal » – sans objet.
Elle considère que le transfert est impossible avec les enfants,
car ils ne peuvent répéter ce qu’ils sont en train de vivre,
de subjectiver, de construire. Selon elle, il n’y a pas d’objet
psychique précoce. Le complexe d’Œdipe mobilise toute la
libido de l’enfant vers les parents et rend donc l’adresse à un
autre adulte impossible. Qui plus est, l’agir paraît à Anna
Freud comme une limite incompatible avec le cadre analy-
tique. C’est vrai, lorsque l’on a des petits enfants dans un
bureau, il faut supporter qu’ils bougent. Elle met en avant
essentiellement les constructions de fonction défensive du
Moi, trop fragiles face aux exigences pulsionnelles, et qui
rendent l’analyse de la réalité impossible.
Donc, pour Anna Freud, le Surmoi n’est que en consti-
tution, tandis que pour Melanie Klein, il est précoce et

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ressemble beaucoup plus au Surmoi dont parle Lacan, au


Surmoi obscène et féroce qui dit : « Jouis du sein, jouis des
pulsions, jouis de tout ! » et que l’enfant entend : « J’ouis…
j’entends… j’obéis. »

L’ÉTHIQUE DE L’ANALYSE

En fait, ce désaccord révèle une conception très diffé-


rente de l’appareil psychique. Anna Freud représente les
tenants de l’analyse du moi, elle se place du côté des psycho-

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thérapies d’enfants qui ont une visée éducative, des « ortho-
thérapies ». Elle réduit le travail analytique auprès d’un enfant
à une alliance éducative avec les parents. Par contre, Melanie
Klein se situe du côté des pionniers de l’analyse du discours.
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D’ailleurs, Lacan s’est inspiré de certains de ses travaux


ouvertement. Il a repris un certain nombre de ses notions, en
particulier « la réalité psychique archaïque », qui pourrait ne
pas être si loin de sa conception de l’inconscient réel.
Lacan, dans le Séminaire Le transfert, dit : « La tendance
Melanie Klein met l’accent sur la fonction d’objet de l’ana-
lyste dans la relation transférentielle. » L’analyste en place
d’objet, c’est une des dernières thèses de Lacan. Si Melanie
Klein a été amenée à faire fonctionner la présence analytique
dans l’analyse, l’intention de l’analyste comme premier
objet pour le sujet, c’est dans la mesure où elle pense la
relation analytique comme dominée dès les premiers mots
par les fantasmes inconscients. Les avancées de Lacan après
les années 1973, où il met en avant dans la formation de
l’inconscient non seulement les signifiants articulés, mais
lalangue, vont, me semble-t-il, dans le même sens. Ce qu’il
appelle lalangue, c’est, pour simplifier, la « lallation », ce sont
vraiment les premiers mots entendus dans leur matérialité
sonore, qui s’inscrivent comme réel dans l’inconscient.
Pour reprendre ce que disait Lacan, l’analyse, encore
plus avec les enfants, fait partie de l’inconscient. La névrose
de transfert de l’enfant – je ne parle ici que de l’enfant

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névrosé – est prise dans le temps réel de sa névrose infantile.


Autrement dit, c’est la névrose tout court. Chez un enfant, ce
n’est pas une pure répétition, c’est un acte. La face « produc-
tion de savoir » de l’inconscient du transfert domine celle
de « répétition », ce qui fait de l’enfant un analysant plutôt
exceptionnel, peu encombré des automatismes relationnels.
L’analyste, d’une certaine façon, entre dans l’inconscient
de l’enfant, ce qui explique ce qui se passe avec Hans, tout
comme avec plusieurs jeunes qui sont revenus me voir des
années après une « tranche » dans l’enfance. Ils se rappelaient

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éventuellement mon nom, mais n’avaient aucun souvenir du
travail qu’ils avaient pu faire. Rien, le refoulement absolu
comme pour Hans : Freud raconte qu’il l’a rencontré lorsque
celui-ci avait 5 ans, puis vingt ans après. Hans lui dit alors
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qu’il ne se souvenait absolument de rien.

LA DOUBLE FACE DU TRANSFERT

Le transfert a deux faces. Il y a le transfert répétition qui


est pris dans la compulsion de répétition. C’est un transfert
qui insiste du côté de la demande, qui est reproduction des
affects, de la demande des premières relations ; c’est le type
de transfert dont parlent surtout les freudiens et les post-
freudiens quand ils traitent du contre-transfert parce qu’ils
font de la relation, ce qu’ils appellent la névrose de transfert,
une reproduction du côté du patient et la réponse du côté des
affects chez l’analyste, ce qu’il est d’ailleurs censé maîtriser.
Cette phase du transfert peut exister chez les enfants, dès
lors qu’ils ont constitué l’analyste en sujet-supposé-savoir.
L’enfant a une grande personne devant lui, il est poussé à
faire la même demande qu’avec le personnage parental, éven-
tuellement le personnage maternel. Alors, l’art de la conduite
de la cure est d’éviter avec les enfants de rentrer uniquement
dans ce type de transfert. Voilà pourquoi parfois je dis d’une
façon un peu provocatrice que, pour être psychanalyste avec

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des enfants, il vaut mieux ne pas les aimer parce que l’amour
est un empêchement.
Et il y a une autre phase du transfert qui est production
de savoir. Celle-ci suppose que le sujet mette l’analyste en
position « d’objet cause » et plus seulement sachant, à partir
duquel il commence à se demander quelle est sa place dans
la vie, qu’est-ce qu’il fabrique, qu’est-ce qui le gêne, lui,
qu’est-ce qui ne va pas, etc. Le transfert devient une machine
à produire les signifiants inconscients (tuché) et non plus
seulement répétitifs (automaton). Dans cette face de produc-

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tion sous transfert, l’amour ou son envers ne s’adresse pas
tant au sujet-supposé-savoir qu’au savoir lui-même. À ce
temps logique, il ne s’agit plus d’obtenir le savoir (S2) de
l’autre, mais de produire un savoir (S1), jusque-là inarticulé.
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L’analyste renvoie le sujet à une place où il le soumet (?)


à la question de ses actes. L’on comprend là que le travail
analytique n’est pas tant la levée d’un refoulement primaire
que la construction d’une théorie personnelle consacrée par
l’élaboration du fantasme.

LA CONDUITE DE CURE AVEC UN ENFANT

S’il y a des particularités dans le travail analytique avec


les enfants, elles sont dans la conduite de la cure, du côté
de la stratégie plus que de la tactique. Elles sont liées à son
mode d’adresse à « la cantonade », et à son mode d’expression
en acte autant qu’en discours. Mais l’actuel de l’inconscient
est le transfert, et l’acting devient analyse s’il y a un « bon
entendeur ».
La question stratégique concerne le traitement du trans-
fert non du jeune sujet mais des adultes tutélaires. Car l’en-
fant ne vient pas seul, c’est même, nous l’avons dit, un des
traits ce qui le définissent. Il n’est pas libre de son acte, il
dépend, pour le suivi de ses rencontres avec l’analyste, de ses
parents, tant pour l’éventuel paiement des séances que pour
la possibilité de les poursuivre dans le temps. Il faut donc

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que l’analyste s’assure du transfert des adultes décideurs qui,


eux aussi, de façon connexe, vont développer une névrose
de transfert. C’est d’ailleurs ce qui explique les glissements
de cure de l’enfant à un des parents, pas si rares, et la très
grande difficulté dans laquelle se trouve l’analyste de l’enfant
quand il s’agit d’adresser, même à sa demande, un parent
vers la psychanalyse avec un autre analyste que lui-même. Il
faut donc que le psychanalyste s’assure du maintien de cette
névrose parallèle sans la traiter – c’est le comble, une sorte
de pratique de l’analyse à l’envers – s’il veut maintenir les

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conditions nécessaires à la poursuite de la cure avec l’enfant.
Autrement dit l’analyste se tient, pour le parent, à la place
mesurée du sujet supposé savoir, ni trop, ni trop peu. C’est
peut-être ce que Freud entendait par la nécessité d’« agir
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analytiquement en même temps sur les parents 5 » ? Il va


jusqu’à considérer que les parents sont un danger pour le
traitement 6. Le problème avec les enfants, explique-t-il, c’est
que les parents réclament qu’on leur « rende » un enfant
docile, qui ne leur cause aucune difficulté. Or l’enfant « après
sa guérison suit avec d’autant plus de décision sa voie propre,
et les parents sont plus mécontents qu’auparavant 7 ». On ne
peut que constater l’écart avec la position éducative prônée
par sa fille Anna Freud.

LES FINS, LA FIN

Que sont les fins d’une analyse avec un enfant ? Puisque


je m’en suis tenue à l’enfant névrosé, je me bornerai à ce que
pourraient être les fins de l’analyse avec un enfant névrosé,
à savoir qu’il reprenne le cours « normal », chronologique

5. S. Freud, (1932), « Éclaircissements, applications, orientations », Nouvelles


conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984, p. 195.
6. Ibid., p. 203, et S. Freud (1915-1917), Introduction à la psychanalyse, Paris,
Petite bibliothèque Payot, 1965, p. 437.
7. S. Freud (1920), « Psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine »,
Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 248/249.

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autant que faire se peut, structural, de sa névrose infantile,


c’est-à-dire qu’il passe par barrer/rencontrer la castration,
barrer l’Autre maternel, créer ses propres objets, régler son
propre rapport à la castration et entrer dans la période de
latence pour s’intéresser à autre chose qu’à l’intime et au
pulsionnel. Pour Freud, c’est quand le sujet est capable
d’aimer, de travailler, de penser. C’est repérable chez un
enfant. Lacan indique que quand le sujet est heureux, cela
suffit.
Mais reste la question de la fin. Quand un enfant a fait

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le tour normal de sa névrose infantile, est-ce qu’on peut dire
que c’est une fin d’analyse, si une fin d’analyse, c’est d’avoir
pris au moins la mesure de la castration, d’être relativement
décidé sur son propre désir, et de pouvoir se séparer de l’ana-
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lyste ? Ou bien est-ce la fin d’une tranche ? Lorsque le sujet


devenu adulte reprend un trajet analytique, ce qui n’est pas
si rare, dira-t-on qu’il fait une deuxième tranche, ou qu’il
entreprend une analyse ?

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