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Bulletin de l'Association de

géographes français

Notes morphologiques sur les grands Chotts tunisiens


Roger Coque

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Coque Roger. Notes morphologiques sur les grands Chotts tunisiens. In: Bulletin de l'Association de géographes français,
N°253-254, 32e année, Novembre-décembre 1955. pp. 174-185;

doi : https://doi.org/10.3406/bagf.1955.7492

https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_1955_num_32_253_7492

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— 174 —

Communication écrite de M. R. Coque


Notes morphologiques sur les grands Chotts tunisiens

L'alignement des Chotts Rharsa, Djerid et Fedjedj constitue


un des traits majeurs de la morphologie du Sud Tunisien. On a
signalé depuis longtemps la présence de plages à Cardium en
bordure des deux derniers. De multiples controverses, centrées
sur l'hypothèse d'une « mer saharienne » relativement récente,
sont nées de ces constatations [1]. Dernièrement, elles ont fourni
des arguments en faveur de l'existence de mouvements
tectoniques quaternaires [2].

Coupe de loved Ètu Guetf.


S. N.

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2. Crûitt fypnvit.
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De toute évidence, les couches à Cardium sont des documents


importants pour le morphologue. Un examen minutieux des sites
anciens, la découverte de gisements nouveaux autorisent à
envisager les problèmes posés par les Chotts tunisiens sur des bases
rénovées.
I) Les deux horizons à Cardium. — L'acquisition
fondamentale réside dans la différenciation de deux horizons à Cardium
d'âge différent. Stratigraphie et morphologie concourent à le
prouver, indiscutablement.
— 17ft —

Sur le bord oriental du Rharsa, la nouvelle coupe de l'oued


Bou-Guetf mériterait de devenir classique en la matière. A la
base de la terrasse qui domine le thalweg d'une dizaine de mètres,
sur la rive droite, un horizon de marnes sableuses à Cardium
abondants, de 7 à 8 centimètres d'épaisseur moyenne, est inter-
stratifié dans un Mio-Pliocène lagunaire et subhorizontal. Or, on
îetrouvera des Cardium dans la pellicule de Quaternaire alluvial
du glacis d'érosion qui ravine l'ensemble précédent, et que
couronne une croûte gypseuse remarquable (fig. 1).
L'indépendance des deux formations fossilifères ne fait aucun
doute. Les coquilles des alluvions ne sauraient provenir d'un
simple remaniement de la couche de base. Etant donnée la
subhorizontalité, et les 6 à 7 mètres de sédiments séparant les deux
niveaux, tout affleurement de celle-ci à l'amont du site est
impossible. Lorsque le Mio-Pliocène se redresse, pour former le
périclinal occidental du dôme de la Chebket-el-Hanek, le glacis
encroûté ne tranche plus que des argiles rouges sableuses à gypse
situées bien au-dessous des faciès lagunaires précédents.
D'ailleurs, la fréquence des tests entiers, malgré leur fragilité,
disséminés dans la masse d'un matériel caillouteux, ne militerait
guère en faveur d'un long transport. En ce point, par conséquent,
la seule stratigraphie suffit à démontrer la superposition de deux
lagunes distinctes.
Il n'en va pas toujours ainsi. Aussi convient-il de souligner le
caractère exceptionnel de la coupe. Elle répond à des conditions
précises dont la réunion en un point ne saurait être fréquente.
L'inefficience locale des plissements atlasiques postérieurs au
Mio-Pliocène a certainement facilité la coïncidence des deux
plages. En outre, il a fallu qu'à chaque phase lagunaire se constitue
au même endroit un milieu favorable à la vie des Cardium.
Comme il est normal, les formations en cause ne sont pas
partout fossilifères. Enfin, l'érosion postérieure devait assurer la
sauvegarde des documents successifs. A ce propos, la croûte
gypseuse a contribué dans une large mesure au maintien de
l'intégrité de la couche supérieure, sans cela particulièrement
vulnérable.
Moins frappantes, les autres coupes n'en sont pas moins
démonstratives, si on allie à l'examen stratigraphique l'analyse
morphologique des lieux. Sur le flanc Sud du Draa-el-Djerid, de
part et d'autre de Tozeur, plusieurs tranchées favorisent
l'observation. A quelque deux kilomètres à l'Ouest du marabout de Sidi-
Ali-Bou-Lafi, par exemple, on repère à l'affleurement un
conglomérat de cailloutis parsemé de débris de Cardium, au sommet du
Mio-Pliocène incliné à 45° Sud. L'ensemble est nettement nivelé
par un glacis d'érosion à croûte gypseuse dont il reste des
témoins nombreux (fig. 2). Aucun test ne se présente dans la
pellicule d'alluvions encroûtées, mais l'analogie avec la coupe de
4.
- 176 —

l'oued Bou-Guetf est évidente. Or, les circonstances locales font


qu'on peut encore la renforcer.
A quelques dizaines de mètres vers l'Est, une ancienne seguia
révèle une tranche des mêmes alluvions (fig. 3). Des Gardium
entiers, souvent bivalves, y pullulent sur une largeur d'une
vingtaine de mètres, représentant la zone littorale de la lagune
quaternaire. Là aussi, l'ensemble repose en discordance sur un
Mio-Pliocène dont les faciès et le pendage sont ceux du site
voisin. Il est intéressant d'y retrouver le conglomérat de cailloutis,
non fossilifère ici, bien que sa parenté avec le précédent soit
indiscutable. La faible distance séparant les deux points observés
permet même de rétablir à l'œil leur continuité. S'il n'y a plus
superposition des deux couches fossilifères, la discordance angu-

Cetpn é* SU, Ali ttu


Sud

l.Cnitt

laire rend à son tour la discrimination incontestable. A l'Est de


Tozeur, Helba et Bir-Gastilia nous offrent des dispositions
identiques.
L'intérêt de ces coupes-clefs est de fournir un critère sûr pour
identifier des vestiges isolés de plages à Cardium. Il ne peut être
que morphologique. La pauvreté et la banalité des faunes les
rendent inutilisables dans ce but. De son côté, la discordance
angulaire ne saurait servir dans tous les cas. Si l'horizon
quaternaire est toujours subhorizontal, le niveau antérieur n'est pas
partout déformé, par contre, comme nous le montre déjà la
terrasse de l'oued Bou-Guetf. Certes, il existe bien des différences de
faciès entre les deux formations. La plus ancienne, généralement
très consolidée, forme un banc dur laissé plus ou moins en relief
par l'érosion. A l'opposé, l'horizon supérieur revêt l'aspect d'al-
luvions meubles, de grossièreté variable, dont le sommet
seulement se trouve pris dans la croûte gypseuse à l'occasion.
Cependant, l'utilisation de telles caractéristiques semble délicate, en
— 177 —

certaines circonstances au moins. Dans les deux cas, les faciès


peuvent changer latéralement en fonction des conditions sédi-
mentologiques locales. On distingue aisément des zones
deltaïques où les Cardium se mêlent à des apports d'oueds, et des
espaces intermédiaires où la finesse de la sédimentation rend compte
du pullulement des tests intacts, dans des limons ou des marnes.
Par suite de l'interférence de ces circonstances à chacune des
phases lacunaires, d'une cimentation postérieure d'intensité
variable, il devient risqué d'identifier certains gisements d'après
le seul faciès. Alors, la morphologie intervient pour trancher de
façon décisive.
Les coupes précédentes définissent, en effet, les rapports de
chaque horizon à Cardium avec l'ensemble morphologique à
croûte igypseuse, dont le glacis d'érosion constitue l'élément fon-

des çiscnttKts à Cardwm des chuti tunisiens.

Gafaa

A gisement plio-vfHafrmchien.
y gisement quaternaire.
SO Km. m gisement non rent
1 Oued Bouôuetf.
2 Sidi Ali Bou ta/7.
3 Toumbar.

damental. Ce dernier nivelle le plus ancien, la netteté de la


discordance dépendant de l'intensité des déformations tectoniques
que celui-ci a subies antérieurement. Par contre, le plus récent
se présente comme un simple faciès latéral de la nappe d'allu-
vions du même glacis. Il correspond au bord de la lagune ayant
servi de niveau de base au moment de son élaboration. La pré'
sence de la croûte gypseuse élimine tout risque d'erreurs dans la
synchronisation des formes. En définitive, c'est la position des
formations à Cardium par rapport à la morphologie encroûtée
qui rend aisée et sûre leur attribution. Elle a permis
l'établissement d'une carte de la répartition des deux types (fig. 4).
— 178 —

Inter stratifié dans des faciès lagunaires ou de puissants


conglomérats de piedmonts, en fonction de la distribution des reliefs
atlasiques, et bien que concordant sur le complexe sablo-argileux
du Mio-Pliocène, l'horizon ancien souligne de profonds
changements dans les conditions sédimentologiques de la fin du cycle.
A Redeyef, en outre, le Mio-Pliocène est raviné par des alluvions
contenant des bifaces acheuléens (*). En première
approximation, il apparaît donc logique d'attribuer ces premiers Cardium
au Plio-Villafranchien.
L'âge des plages quaternaires sera sans doute déterminable en
fonction de l'étude des industries préhistoriques laissées par les
peuplades qui n'ont pas manqué de fréquenter les bords de la
lagune. A l'oued Akarit et à Gafsa, on connaît actuellement des
industries moustériennes et à lamelles, respectivement à la base
et au sommet d'une terrasse coiffée par la même croûte gypseuse
que celle cuirassant les alluvions à Cardium [3]. Pour l'instant,
nous les dirons moustériennes en attendant plus de précision.
II) Le site morphologique des chotts. — En partant de ces
résultats, on peut tenter une reconstitution de l'évolution
morphologique aboutissant aux chotts actuels. Certains contrastes
dans l'aspect de leurs bordures montagneuses nous avertissent
déjà de l'existence de différences fondamentales de l'un à l'autre.
Ainsi, le démantellement et l'abaissement progressif des cuestas
du Téba,ga vers l'Ouest, le long du Fedjedj. Avec l'évasement
des « foums », elles se réduisent progressivement jusqu'à
devenir de simples chicots alignés sur la plaine. A l'opposé, la
bordure Nord du Djerid est bien différente. Les flancs structuraux
des rides anticlinales, découpés en chevrons par des gorges
étroites et profondes, s'enlèvent au-dessus des glacis de piedmont,
alors que les dépressions monoclinales commencent à peine à
se dégager dans les marnes intercalées entre les barres calcaires.
En fait, à chaque chott correspond un site original. Les plages
à Cardium permettent d'en ébaucher la genèse.
L'originalité du Fedjedj se traduit dans l'existence d'un Mio-
Pliocène, et de son conglomérat à Cardium terminal, transgres-
sifs sur le Crétacé et non plissés. Ils reposent indifféremment sur
le Wealdien du Chott (Aïn-Rhezala), le Barrémien de la bordure
Nord (Bir-Rekeb), les marnes comprises entre les cuestas turo-
nienne et albo-aptienne (Mennchia). Les cotes de la formation à
Cardium, aux environs de 40 mètres, définissent
approximativement la hauteur atteinte par le remblaiement. Elles montrent
que la fossilisation du relief s'est étendue à l'espace compris
entre les cuestas du Tebega occidental, jusqu'aux abords de la
piste de Seftimi. Sans doute devait-elle rejoindre le Mio-Pliocène
d'Oudref, en suivant l'axe de la combe, bien que les derniers

(*) Renseignement dû au D' E.-G. Gobert.


— 179 —

témoins plio-villafranchiens ne dépassent pas Bir-Rekeb vers


l'Est. Ainsi a été enfouie une bonne partie d'une vieille
morphologie développée aux dépens du vaste dôme du Fedjedj,
représentant d'une structure anté-atlasique à l'extrémité
septentrionale de la plate-forme saharienne. La surrection de l'Atlas ne
s'y est guère traduite que par des mouvements verticaux,
localement, comme l'atteste la subhorizontalité du Mio-Pliocène et du
conglomérat dans tout le secteur.
Précédant le développement de la deuxième phase lagunaire,
une érosion active avait commencé l'exhumation des formes
fossilisées. Elle devait se trouver stoppée avant d'atteindre son
terme. A l'Ouest, les plages à Gardium quaternaires ravinent le
Mio-Pliocène (Toumbar), quelquefois la formation plio-villafran-
chienne elle-même (Aïn-Rhezala). Vers l'Est, au contraire, elles
surmontent directement le Wealdien de la combe, de part et
d'autre du chott (Aïn-el-Attrous, Draa-el-Rhorifa, Henchir-
Souinia, Oued-el-Atra). L'intensité du déblaiement décroît donc
de l'Est vers l'Ouest. On s'explique alors l'abaissement, puis la
disparition de Tebaga dans cette direction, mal dégagé encore de
son manteau mio-pliocène. La restitution du rivage quaternaire
est facile, à partir des témoins, en l'absence de toutes
déformations tectoniques postérieures généralisées. Tous viennent
s'aligner vers la cote 40 également. En retrouvant le niveau atteint
précédemment, la nouvelle lagune assurait une fossilisation
comparable du relief. Ainsi le chott Fedjedj vient-il se loger dans
l'axe d'une combe, dégagée dans une structure saharienne avant
la sédimentation mio-pliocène, en partie fossilisée et exhumée à
deux reprises.
Les emplacements du Djerid et du Rharsa sont beaucoup
moins antiques. Ils s'intègrent pour l'essentiel dans un ensemble
morphologique et structural bien différent. Sur les flancs Sud du
Draa-el-Djerid et des premiers anticlinaux du Cherb, le
Mio-Pliocène et son conglomérat à Cardium terminal sont concordants
sur le substratum crétacé, l'ensemble étant affecté de pendages
de 40 à 50° Sud. Leur étude identifie le site structural de chaque
chott. Si la bordure Nord du Djerid correspond à une zone syn-
clinale, les couches se relèvent à nouveau au-delà du Draa pour
former le dôme du Rharsa, symétrique du puissant anticlinal
d'argiles rouges mio-pliocènes de la Chebket-el-Hanek. Ici
commence le domaine atlasique, mis en place lors de la grande phase
tectonique du Sud Tunisien. Sa jeunesse rend compte du
caractère rudimentaire des formes développées dans les plis surgis au
Nord du Djerid, simples ébauches d'une morphologie
jurassienne, et en même temps de la violence du contraste avec les
alignements démantelés du Tebaga.
De tels bouleversements sembleraient interdire ici toute
tentative d'une reconstitution de la physionomie de la lagune plio-
— 180 —

villafranchienne, afin d'opérer la liaison avec la phase


correspondante de l'évolution du Fedjedj. Cependant, deux gisements
heureusement épargnés par les forces tectoniques apportent leur
témoignage à propos. L'intérêt paléogéographique des plages de
Toumbar et de l'oued Ben-Guetf, respectivement sur les bords
orientaux du Djerid et du Rharsa, est de premier ordre. Dans les
deux cas, l'horizon à Cardium, maintenu subhorizontal, avoisine
les 40 mètres comme dans l'ensemble du Fedjedj. L'uniformité
remarquable de ces altitudes confirme le niveau atteint par les
lagunes plio-villafranchiennes, et du même coup leur
interdépendance.
La stabilité des deux points en cause n'en requiert pas moins
des explications différentes. A Toumbar, elle se conçoit par la
localisation sur la plate-forme saharienne ayant faiblement réagi
à l'orqgénie atlasique, généralement. Situé à l'Ouest du dôme de
Fedjedj, dont nous savons l'inertie, le Mio-Pliocène y fossilise
une topographie campano-maëstrichtienne, en pente douce vers
le chott, comme le prouvent les sondages du Nefzaoua. Dans ce
secteur, on restituerait sans risques d'erreurs importants le
rivage de la lagune ancienne en suivant la courbe des 40 mètres.
Nous devons le témoignage de la coupe de l'oued Bou-Guetf à
d'autres circonstances. En plein système atlasique, cette stabilité
accidentelle ne s'explique qu'en fonction de particularités dans
la répartition de l'effort orogénique. En fait, elle s'exprime par
l'existence d'un ensellement, prolongation vers le Nord de celui
de Tozeur, entre les dômes du Rharsa et de la Ghebket-el-Hanek.
Le cas reste donc exceptionnel. Placée à la rencontre des
domaines saharien et atlasique, la lagune plio-villafranchienne a subi
ici de profondes vicissitudes souvent. La surrection des
anticlinaux, et l'accélération correspondante de l'érosion, élaboraient
une physionomie régionale nouvelle, ébauche de l'actuelle.
Ainsi, la lagune quaternaire se dédoublera-t-elle, installée
d'une part dans la combe aisément dégagée aux dépens du Mio-
Pliocène meuble du Rharsa, et d'autre part dans la cuvette syn-
clinale du Djerid. Dispersés autour de chacun d'eux, ses témoins
nullement déformés confirment à chaque fois la cote 40. Aux
rares points demeurés stables, malgré la naissance de l'Atlas, les
deux niveaux fossilifères se superposent, comme il est de règle
dans l'ensemble du Fedjedj. Ailleurs, leur voisinage, en dépit de
l'ampleur des mouvements tectoniques interposés entre les deux
phases lagunaires, est significatif du style atlasique tunisien.
C'est par une simple flexion des flancs, principalement
méridionaux, que les plis se sont peu à peu confirmés. D'où le vigoureux
redressement de l'horizon à Cardium plio-villafranchien autour
du tracé de l'ancien littoral. Dans les roches tendres des pied-
monts, le rythme de l'érosion concomitante devait suffire à
assurer le maintien de la surface topographique. Ainsi se créaient les
— 181 —

conditions indispensables au retour de la lagune quaternaire


dans les parages de celle qui l'avait précédée.
Chacun des chotts occupe donc un emplacement original. Si
le Fedjedj s'installe en plein domaine saharien, en un site fixé
de longue date dans une structure ancienne, celui du Rharsa ne
se précise qu'avec la surrection de l'Atlas méridional. Elément de
liaison entre les deux, le Djerid réalise effectivement une
situation intermédiaire, placé dans le domaine atlasique par la
bordure septentrionale, mais encore profondément engagé dans la
plate-forme saharienne vers le Sud et l'Est.
III) Le problème des communications avec la mer. —
Quelques-unes des discussions les plus âpres suscitées par les Car*
dium des chotts concernent le problème des communications
entre les lagunes et la mer. Par suite de l'étroitesse du couloir
qui sépare le Fedjedj du golfe de Gabès, il se pose en des termes
particuliers au Sud Tunisien. Il convient d'examiner la valeur
des documents mis à notre disposition en la circonstance.
En premier lieu, il faut insister sur le médiocre intérêt du
matériel paléontologique. Son trait le plus remarquable réside
dans l'extrême pauvreté des faunes liées à chacun des épisodes
lagunaires. La prépondérance quasi-absolue des Cardium stupéfie
autant que leur pullulement. Seules, des Hydrobies et des Gorbi-
cules s'y mêlent en nombre très restreint, et localement. On sait
que de telles caractéristiques fauniques correspondent à des
milieux confinés. L'instabilité des conditions et les insuffisances
alimentaires n'y autorisent plus guère que la vie de rares espèces
particulièrement résistantes. A l'heure actuelle, ce sont des
faunes appauvries comparables qui peuplent les lagunes mortes de
la Méditerranée.
L'aspect des tests des Cardium conduit à des conclusions
analogues. Leur minceur et la faiblesse de leur taille,
comparativement aux individus marins, signalent également des milieux
instables et médiocrement approvisionnés [4]. P. Mars, qui a
examiné quelques échantillons, les relie effectivement à la
variété Cardium glaucum, faciès lagunaire de l'espèce
méditerranéenne.
Par leur composition et l'allure des individus, les faunes des
plages sont celles de lagunes mortes typiques. L'inconstance du
milieu qu'elles traduisent ne peut s'expliquer qu'en fonction de
leur isolement. On conçoit, alors, la succession de périodes de
sursaturation et de dilution parallèlement aux variations
annuelles et saisonnières du bilan hydraulique, les températures
subissant elles-mêmes des fluctuations appréciables.
Cependant, si de tels faits appuient incontestablement
l'hypothèse de l'isolement, ils ne résolvent pas pour autant le problème,
qui se trouve seulement repoussé dans le temps. Ils n'interdisent
pas de penser à une rupture de communications antérieures,
- 182 —

conséquence d'une évolution littorale classique, et cause de


l'appauvrissement progressif de la population. Les rivages
méditerranéens, ceux du golfe des Syrtes en l'occurrence, nous
fournissent des exemples multiples de phénomènes analogues en cours
de développement. En réalité, vu sous son aspect paléontologique,
le problème devient celui de l'ensemencement des lagunes. Est-il
accidentel, comme certains le prétendent, ou lié à des contacts
marins plus ou moins prolongés ? Les données faunistiques
actuelles n'autorisent en aucune façon un choix entre ces deux
alternatives (*).
Les documents morphologiques paraissent devoir conduire à
des résultats plus positifs. Le retour des plans d'eau vers des
cotes comparables, à des époques nettement séparées, nous incline
déjà en faveur d'un rattachement au niveau de base général.
Mais le critère essentiel réside dans l'analyse de la topographie
de l'époque de la lagune quaternaire. Une croûte gypseuse,
élaborée dès sa fin et avant le déclenchement de la grande phase
de ravinement postérieure, en a permis la conservation de restes
importants. Les témoins des plages à Cardium, comme
l'ensemble de la grande plaine de remblaiement au Nord de Gabès, sont
cuirassés par cette formation. Sa présence permet de rétablir
avec une rare précision la continuité de couloirs à faible pente,
depuis les plages du chott Fedjedj jusqu'au golfe, le long des
oueds Melah et Akarit. Ce dernier fournit, en outre, des indices
particulièrement intéressants dans les berges de son cours
inférieur. Sous la croûte, plusieurs petites cuvettes à Cardium,
interstratifiées au sommet du matériel alluvial, s'échelonnent de
l'amont vers l'aval. Doit-on y voir des maillons d'une chaîne
ayant assuré jadis la liaison avec le golfe ? D'après leur position,
leur synchronisme avec les plages du chott ne fait aucun doute ;
mais il manque le passage aux formations marines d'aval.
Si l'on prolonge par la pensée la petite falaise qui termine la
plaine de remblaiement au-dessus du littoral actuel, il faut
imaginer le rivage en plein igolfe. Tout accroissement de la distance
entre la lagune et la mer rend plus osée l'hypothèse d'un lien
entre les deux. Mais nous ne devons pas oublier qu'un tel tracé
résultait alors de l'évolution d'une côte basse, soumise à des
apports continentaux, dont on mesure le volume à l'ampleur de
l'accumulation représentée par la plaine, et bordant un golfe sans
marées appréciables. C'est bien en-deçà de cette avancée extrême
que nous devons rechercher la ligne primitive. Des indices
semblent nous autoriser à la fixer à proximité immédiate du rivage
actuel. Au Sud de Gabès, on connaît une plage à Strombes à la
base même de la formation encroûtée. L'oued Akarit recèle un

(*) Nous ne discutons pas ici des éléments nouveaux apportés par la
découverte récente de Foraminifères marins dans le Djerid (Milhokoff).
— 183 —

atelier moustérien, que l'on paralléliserait volontiers avec le


Tyrrhénien placé dans la même situation stratigraphique. On a
vraisemblablement là des points d'un littoral antérieur au
maximum de l'épandage alluvial, à une époque qui réunissait les plus
grandes chances pour l'établissement de communications entre
la lagune et la mer.
Avec l'exhaussement et l'allongement des cônes d'épandage,
aux dépens de l'espace marin, les liens ont dû se faire de plus en
plus précaires jusqu'à la rupture définitive. Alors se produisit
l'appauvrissement corrélatif d'une faune évoluant dans un
milieu désormais fermé. Tel est le schéma dans lequel on doit
envisager le problème sans s'éloigner des faits.
IV) Le creusement des chotts actuels. — C'est à partir du fond
des lagunes quaternaires que s'est effectué le creusement des
chotts actuels. L'examen de la topographie, en fonction des
conditions locales, conduit à une discussion des problèmes posés par
leur approfondissement.
La constatation la plus riche de sens concerne les variations
de leur altitude. L'opposition entre le groupe Djerid-Fedjedj et le
Rharsa est fondamentale à ce point de vue. Nettement au-dessus
du niveau de la mer, les deux premiers s'opposent au dernier qui
se maintient notablement au-dessous. De tels contrastes, en des
lieux soumis aux mêmes conditions régionales, ne s'expliquent
que par des différences dans l'intervention des facteurs locaux.
La première tentation consiste à faire appel aux phénomènes
de subsidence quaternaire [5]. Le tandem Djerid-Fedjedj nous y
inclinerait volontiers. Sensiblement plus bas, le premier coïncide
avec une cuvette synclinale, considérée comme subsidente par
certains, sur son bord septentrional au moins. Par contre, la
stabilité du second inscrit dans un dôme n'est guère contestable. De
plus, il présente une pente régulière vers l'Ouest que l'on verrait
aisément en relation avec l'affaissement de son voisin. Mais le
cas du Rharsa crée de sérieuses difficultés à cette explication
tectonique. Son surcreusement ne saurait y trouver une justification
puisqu'il s'installe également dans une structure anticlinale.
Ainsi, le chott le plus profond se trouve être précisément celui
où toute éventualité d'un affaissement est à écarter. De son côté,
la non-déformation des plages quaternaires à Gardium, sur la
bordure Nord du Djerid elle-même, renforce le doute sur la
réalité des subsidences. D'ailleurs, leur existence éventuelle ne
ferait que déplacer le problème morphologique, car, de toute
façon, le fond actuel des chotts résulte d'un travail de l'érosion.
La présence de terrasses autour de chacun d'eux, celle des plaiges
à Cardium en particulier, l'atteste suffisamment.
Ce sont des variations locales dans l'efficacité des agents
d'érosion qu'il faut mettre en cause, celle du vent principalement. On
connaît la primauté de son rôle dans le façonnement des dépres-
— 184 —

sions fermées des régions arides. Nous sommes donc amenés à


discuter des conditions offertes à son action dans chacun des
trois cas en cause. Deux ordres de considérations entrent en jeu
alors : d'une part concernant le matériel voué à l'action éolienne,
d'autre part le niveau de base.
Au point de vue lithologique, les données apparaissent
sensiblement comparables d'un chott à l'autre. Au départ, leur
identité fut quasi-absolue, les premiers éléments à évacuer consistant
en matériaux analogues sédimentés dans les lagunes. Même en
atteignant le soubassement rocheux, elles ne furent pas
sensiblement modifiées, la déflation y rencontrant un matériel d'origine
lagunaire seulement plus ancien. Les faciès sablo-argileux du
Mio-Pliocène du Rharsa, par exemple, peu différents du
Quaternaire du Djerid, qui provient essentiellement de leur
remaniement, conservaient des conditions favorables à l'enlèvement
éolien. Peut-être l'était-elle un peu moins dans le Fedjedj, à ce
moment-là, des dolomies et des grès s'intercalant dans les
formations meubles du Wealdien ? Cependant, on ne saurait
admettre que de simples nuances expliquent des contrastes aussi
saisissants, en particulier quand il s'agit de celui opposant le Rharsa
au Djerid, en dépit d'un matériel pratiquement semblable.
La responsabilité en revient donc aux différences entre les
niveaux de base locaux de la déflation. Ainsi se pose le problème
du rôle des nappes dans l'évolution morphologique des
dépressions fermées. Affleurantes, elles constituent une surface-limite
pour l'érosion, l'humidité assurant une cohésion suffisante des
éléments fins. Le creusement des chotts n'a pu s'effectuer, par
conséquent, qu'au rythme fixé par leurs particularités
hydrauliques.
A ce point de vue, le Rharsa paraît nettement original. On n'y
connaît guère d'indices révélateurs de l'existence d'une nappe
actuelle, ni même d'une présence ancienne à des niveaux plus
élevés. Il semble entièrement dépourvu d'émergences, comme les
terrasses qui l'entourent de cônes encroûtés de sources mortes.
Au contraire, le Djerid est réputé par la multiplicité et
l'ancienneté des signes de sa richesse en eaux peu profondes. Ses
« aioun », disséminés en plein chott, sont célèbres, et des
sources anciennes accompagnent sa bordure Nord, en aval des plages
à Cardium quaternaires. Tout y trahit la présence répétée d'une
eau proche de la surface. Ce contraste est évidemment d'origine
structurale. En position synclinale, le Djerid concentre les
ressources d'un vaste bassin-versant en une nappe artésienne
périodiquement affleurante. Logé dans une dôme, le Rharsa ne peut
bénéficier d'une présence analogue. Dans le premier cas, la
déflation n'a pu se développer qu'au rythme déterminé par
l'enfoncement de la zone aquifère, tandis qu'elle agissait sans entraves
dans le second.
— 185 -

Bien qu'en position anticlinale, le cas du Fedjedj se


rapprocherait plutôt de celui du Djerid. La multiplication des sources
actives, ou non, sur ses bords, en fait foi. La remontée et l'épan-
chement des eaux profondes s'y effectuent à la faveur de
nombreuses failles, contre-coups de l'orogénie atlasique sur cette
vieille structure. Là encore, le creusement en a été
considérablement ralenti.
En conclusion, le surcreusement du Rharsa tient à la
rencontre de conditions lithologiques et hydrauliques éminemment
favorables à une action efficace et continue du vent. Par contre,
dans le Djerid et le Fedjedj, le jeu des nappes réussissait à
l'atténuer et à la fragmenter dans le temps. Dans ces circonstances
réside la cause fondamentale de la naissance d'un décalage
progressivement accentué entre l'approfondissement du Rharsa et
celui de ses voisins. Il démontre le rôle fondamental du facteur
hydraulique dans ce domaine.

Bibliographie sommaire

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