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La Revue de médecine interne 35 (2014) 317–321

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www.sciencedirect.com

Mise au point

L’entretien motivationnel dans la promotion des comportements de


santé : une approche de la relation médecin/malade
Motivational interviewing use for promoting health behavior: An approach of
doctor/patient relationship
X. Benarous a , C. Legrand b,c , S.M. Consoli a,∗,c,d
a
Unité fonctionnelle de psychologie et psychiatrie de liaison et d’urgences, service universitaire de psychiatrie de l’adulte et du sujet âgé, hôpital européen
Georges-Pompidou, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France
b
Hôpital européen Georges-Pompidou, AP–HP, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France
c
Laboratoire de psychopathologie et processus de santé (EA 4057), institut de psychologie, université Paris-Descartes, 71, avenue Édouard-Vaillant, 92100
Boulogne-Billancourt, France
d
Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité, 12, rue de l’École-de-Médecine, 75005 Paris, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : En pratique médicale courante, et tout particulièrement dans la gestion des maladies chroniques, les
Disponible sur Internet le 17 septembre contextes sont innombrables où les décisions relatives à l’état de santé du patient impliquent de le
2013 mobiliser au mieux : depuis la prise régulière d’un antihypertenseur jusqu’à la réalisation d’une mam-
mographie de dépistage, en passant par l’adoption de mesures diététiques dans un diabète. L’aptitude à
Mots clés : initier un comportement de santé dépend de plusieurs paramètres : certains sont liés à la personnalité du
Entretien motivationnel malade, à ses représentations de la maladie et des traitements proposés, d’autres sont du ressort du pra-
Changement de comportements
ticien et dépendent plus ou moins étroitement du mode de communication utilisé au cours de l’entretien
Relation médecin/malade
Maladies chroniques
avec le patient, quel que soit le poids des résistances à changer du côté de ce dernier. L’entretien moti-
Prévention vationnel (EM) est un mode de communication, initialement développé en addictologie, pour explorer
l’ambivalence face à l’arrêt d’une substance, lever les résistances du patient et lui donner envie de mieux
prendre soin de lui. Ses principes généraux et les stratégies de base applicables par tout praticien méritent
d’être connus, car les données de la littérature actuelles plaident en faveur d’une généralisation de la
conduite de l’EM pour promouvoir une grande variété de comportements de santé, qu’il s’agisse de pro-
grammes d’éducation thérapeutique proprement dits, mais aussi d’interventions ponctuelles au cours de
la prise en charge de tout patient. Cet article parcourt les récentes applications de l’EM dans des champs
variés et plaide pour sa diffusion dans la pratique médicale courante.
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne
(SNFMI).

a b s t r a c t

Keywords: Many situations in common medical practice, especially in chronic diseases, require patients to be
Motivational interviewing mobilized for health behavior decisions: for daily intake of an antihypertensive drug, performing a mam-
Behavior change mography for cancer screening, as well as adopting new diet habits in diabetes. Ability to initiate a health
Patient/doctor relationship behavior depends on several parameters. Some of them are related to the patient, his personality, his ill-
Chronic diseases
ness and treatment’s perception; others directly rely on the physician, his attitude and his communication
Preventive medicine
style during the visit, independently of patient’s level of resistance to change. Motivational interviewing
(MI) is a communication technique, first developed for patients presenting a substance abuse disor-
der, to explore their ambivalence, overcome their resistances and give them the willingness of a better
self-care. Its general principles and basic techniques can be applied by every practitioner and deserve to be

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : silla.consoli@egp.aphp.fr (S.M. Consoli).

0248-8663/$ – see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI).
http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.08.009
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better known, given that scientific literature provides evidence for generalizing it in a variety of medical
conditions, in structured patient education programs as well as in usual follow-up, for which time is
generally restricted. This article provides an overview of MI recent applications and argues for its diffusion
in everyday medical practice.
© 2013 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Société nationale française de médecine
interne (SNFMI).

1. Introduction moduler l’aptitude au changement de comportement du patient.


Or les interventions traditionnelles (informer, conseiller), par leurs
1.1. Vignette 1 approches plus ou moins directives, peuvent être d’une efficacité
limitée pour entraîner des changements significatifs et durables
Vous recevez dans votre cabinet un homme, âgé de 60 ans, chez les patients, d’où l’intérêt d’explorer d’autres voies pour sus-
célibataire, que vous suivez pour une broncho-pneumopathie chro- citer la motivation du patient.
nique obstructive. C’est un ancien agriculteur retraité, tabagique à Historiquement, l’entretien motivationnel (EM) a émergé en
70 paquets-années, non sevré. Vous évoquez lors de la consultation tant que mode de communication, initialement développé en
l’intérêt d’une vaccination antigrippale afin d’éviter une nouvelle addictologie, pour aider au sevrage alcoolique. Dès 1991, les indi-
décompensation respiratoire aiguë. Malgré les informations trans- cations de l’EM se sont élargies pour être appliquées à d’autres
mises et les tentatives pour le convaincre, le patient refuse. comportements de santé : tabagisme, alimentation, exercice phy-
sique, gestion du diabète, hypertension, jeu excessif, adhésion à un
1.2. Vignette 2 traitement [4]. Depuis les années 2000, on assiste à une accélération
du rythme des publications sur l’efficacité de l’EM. Cependant, si de
Laura, âgée de 42 ans, vous amène son fils Paul de 5 ans à distance nombreuses études ont été publiées, très peu l’ont été en français.
d’une infection urinaire aiguë un mois auparavant. Vous évoquez L’EM est, en fait, mal connu en France malgré les travaux d’équipes
avec la mère l’intérêt de compléter les examens par une imagerie. francophones [1,5]. Les conditions mêmes d’application de l’EM
La mère se montre d’emblée réticente et inquiète quant aux consé- dans la promotion des comportements de santé ont évolué. Bien
quences d’un tel examen sur la santé de son fils. Après un temps, que l’EM prenne tout son sens au sein de programmes structurés
elle finira par accepter, sensible au fait que vous lui ayez permis d’éducation thérapeutique, en prévention secondaire ou tertiaire
d’exprimer, sans réserve, ses craintes, mais aussi son souhait de de pathologies chroniques, le cas échéant déjà marquées par des
voir son fils reprendre sa scolarité sans arrière-pensée. complications, son usage tend à se diversifier et à s’étendre à des
interventions médicales de plus en plus brèves, dans des cadres
En pratique médicale courante, et tout particulièrement dans
variés [5–8].
la gestion des maladies chroniques, les contextes sont en effet
nombreux où des décisions relatives à l’état de santé du patient
impliquent de le mobiliser au mieux : adoption d’une auto-mesure 2. Aspects théoriques
régulière du débit respiratoire de pointe dans l’asthme, perte de
poids, application de dermocorticoïdes, ou encore acceptation d’un 2.1. Fondements historiques de l’entretien motivationnel
examen complémentaire, etc. La déontologie médicale actuelle vise
en effet à promouvoir le modèle d’une plus grande autonomie du L’EM a été initialement décrit en 1983 par William R. Miller
patient, en le plaçant au centre du dispositif de santé [1,2]. Au- dans le traitement de l’addiction à l’alcool. Plusieurs travaux anté-
delà de l’élaboration d’un diagnostic et d’un traitement, il importe rieurs ont influencé Miller : les travaux de Carl Rogers sur les
que les patients comprennent leur maladie et son traitement afin méthodes de conseils non directifs (client-centered therapy) [9],
de mieux y adhérer. Mais s’agit-il là d’une simple question de ceux de Leon Festinger sur la « dissonance cognitive », concept qui
qualité de l’information fournie par le médecin, ou encore d’une sera développé plus loin dans le texte [10], ceux de Daryl Bem sur
démocratisation de l’information médicale accessible facilement au « l’auto-perception » (self-perception theory), soulignant le fait que
plus grand nombre d’usagers, ne serait-ce que par l’intermédiaire le sujet déduit ses attitudes et croyances par la seule analyse de
d’internet ? L’abandon d’un modèle de communication paternaliste ses propres comportements [11], et le modèle trans-théorique de
place en réalité désormais le soignant en position de recherche changement de Prochaska et Di Clemente [12].
d’une alliance et de négociation, pour faire accepter les soins ou La formation médicale traditionnelle conduit le médecin à déve-
les comportements de santé qui lui semblent les plus adaptés. lopper avec son patient un mode de communication spécifique :
Des modèles de changement de comportements de santé, position d’expert pour le médecin, interrogatoire médical, recueil
comme le modèle dit « trans-théorique » (ou encore « de la porte exhaustif à l’aide le plus souvent de questions fermées, abord du
tournante », appelé également « spirale » de Prochaska et Di Cle- patient focalisé sur le motif de la consultation. Un tel style, par
mente) ont été proposés pour aider les praticiens [3]. Ces modèles ailleurs pertinent pour une démarche diagnostique, ne peut être
soulignent le fait que tout changement d’habitude implique la tran- transposé sans dommages à une démarche thérapeutique visant
sition par plusieurs étapes successives qui appellent, chacune, des à faire face à un problème de santé chronique. Afin d’induire un
attitudes appropriées de la part du soignant, pour permettre au changement de comportement chez un patient, s’assurer de ses
patient de progresser dans sa motivation et obtenir le changement connaissances sur la question ne suffit pas toujours. Il est important
souhaité. L’aptitude du patient à initier ou à changer un compor- d’évaluer sa motivation et d’étudier les facteurs éventuels de résis-
tement ayant des effets sur sa santé dépend de plusieurs facteurs. tance au changement. Ces facteurs de résistance ne se réduisent
Certains sont liés à la personnalité du patient, à ses connaissances pas à des facteurs inhérents au patient lui-même, mais doivent
et aux compétences acquises, en lien avec sa maladie et ses trai- être considérés comme l’expression chez le patient d’une réaction
tements, mais aussi à ses représentations de la maladie et des au « réflexe correcteur » du médecin qui peut, face à une situa-
traitements proposés. D’autres sont liés au praticien, à son style tion problématique, être tenté de la corriger, pour le « bien-être »
de communication et à la qualité de la relation lors de l’entretien. de son patient. La perception par le patient d’une perte de sa
Le mode de communication utilisé au cours de la consultation peut liberté d’agir (encore appelée réactance) peut se traduire par de
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la résistance et est le révélateur d’une interaction patient–soignant 2.2.4. Rolling with the resistance
dysfonctionnelle ou l’expression d’une dissonance dans la relation Rolling with the resistance signifie « rouler » avec les résistances,
thérapeutique. c’est-à-dire, s’y adosser comme cela peut être le cas dans la navi-
L’EM ne se réduit pas à une technique, mais constitue un style gation marine, plutôt que de s’y confronter directement ou de
d’approche clinique, un style de communication [13] dans lequel la s’y opposer. En effet, dans le modèle de l’EM, il s’agit plutôt
relation thérapeute–patient joue un rôle central. L’objectif princi- d’intégrer les résistances du patient qui doivent être entendues
pal de l’EM est d’aider le patient à identifier ses propres motivations par le praticien comme un indicateur de tension dans la relation
au changement, d’examiner et d’expliciter son ambivalence face à thérapeute–patient. Il paraît vain de chercher à vaincre la force
la décision de changer de comportement, et in fine de favoriser le de contre-argumentation d’un patient ambivalent, mais il convient
changement. L’ambivalence consiste en la présence de tendances d’utiliser judicieusement l’énergie qu’elle contient.
contradictoires, en l’occurrence entre la volonté de changer un
comportement donné et le souhait, voire le besoin, de maintenir 2.2.5. To support self-efficacy
le statu quo. Miller suggère que plutôt que de tenter de convaincre To support self-efficacy signifie soutenir le sentiment d’efficacité
son patient de changer, par l’administration directe d’arguments, le personnelle du patient. Il s’agit de soutenir l’optimisme et la
praticien doit essayer d’obtenir des arguments en faveur du chan- croyance du patient dans sa capacité à réaliser un changement pour
gement auprès du patient lui-même, c’est-à-dire faire évoquer au améliorer sa situation actuelle. La croyance du patient dans sa pos-
patient de tels arguments. Le concept de « discours-changement » sibilité de changement est en effet un facteur prédictif positif de la
se réfère ainsi à la modification progressive du discours du patient survenue effective de ce changement [14].
au fil des entretiens, lui permettant de verbaliser sa motivation. L’EM comporte deux phases qui se calquent sur deux ensembles
En revanche, le recours à un style de communication de type d’étapes de la spirale de Prochaska. La première phase concerne
« confrontationnel », destiné à forcer les résistances du patient plu- la résolution de l’ambivalence et la construction de la motivation
tôt qu’à les comprendre, s’avère souvent plus ou moins délétère intrinsèque au changement : le thérapeute doit faire émerger un
et régulièrement ne fait que renforcer les résistances, alors qu’un discours-changement chez le patient (plus ce discours est élaboré,
style « empathique » peut aider le patient à développer un senti- plus il est probable que se mette en place le changement) [14]. Dans
ment d’efficacité personnelle (croyance des individus quant à leurs la deuxième phase, il s’agit de renforcer l’engagement du patient qui
capacités à réaliser des performances particulières) et favoriser les a déjà commencé à agir dans le sens du changement, en consolidant
initiatives du patient [3]. L’EM valorise la collaboration plutôt que avec lui le changement amorcé et en l’aidant à trouver, chaque fois
la confrontation, l’autonomie réfléchie plutôt que la soumission à que possible, ses propres solutions.
l’autorité.
2.3. Stratégies de base de l’entretien
2.2. Principes généraux de l’entretien motivationnel
L’EM doit être mené de façon à permettre au patient de déve-
lopper sa motivation. Les stratégies de base de la conduite de l’EM
L’EM est défini par ses concepteurs comme « une méthode
sont résumées par l’acronyme OARS en anglais :
de communication, directive, centrée sur la personne, visant
l’augmentation de la motivation intrinsèque par l’exploration et la
2.3.1. Open-ended questions
résolution de l’ambivalence » [13]. Miller et Rollnick proposent de
L’usage de questions ouvertes (auxquelles l’interlocuteur peut
conduire l’entretien avec les patients selon cinq principes généraux
répondre de façon personnelle et nuancée, et pas simplement par
(résumés par l’acronyme « DEARS » en anglais), qui synthétisent
« oui », « non » ou de manière trop brève) permet d’établir un climat
l’esprit général de l’EM
de confiance et d’encourager le patient à évoquer ses préoccupa-
tions, en évitant une focalisation prématurée sur les symptômes. Il
2.2.1. To develop discrepancy s’agit donc de favoriser l’exploration du vécu du patient, en partant
To develop discrepancy signifie induire une dissonance cogni- du plus général et en allant vers le plus spécifique : « Qu’est-ce qui
tive chez le patient, c’est-à-dire souligner la différence entre ce vous préoccupe au sujet de la prise de votre traitement ? ».
que la personne est actuellement et ce qu’elle souhaiterait être. Il
s’agit donc de faire percevoir par le patient la divergence entre son 2.3.2. To affirm
comportement actuel et les buts et valeurs fondamentales qui sont Affirmer la valeur du patient signifie avaliser ses aptitudes à
les siens, afin d’aider le patient à mieux réaliser les inconvénients changer et à réussir un projet dans lequel il s’engage. En pra-
du statu quo. tique, le praticien doit reconnaître et soutenir les changements
opérés, même si ces derniers ont été en deçà des attentes du
2.2.2. To express empathy patient, valoriser les expériences passées de changements positifs,
To express empathy signifie « faire preuve d’empathie », en tant même minimes, ainsi que tenir compte des difficultés traversées
que mode d’écoute actif du patient, dans le but de chercher à par le patient. Cette attitude permet de soutenir la motivation et de
comprendre ses sentiments et ses points de vue, sans jugement. renforcer le sentiment d’efficacité personnelle du patient, en préve-
L’approche qui sous-tend ce principe est l’acceptation. Pour Carl nant le découragement. Par exemple, lors de la mise en place d’un
Rogers, l’empathie consiste à percevoir avec justesse le cadre de sevrage tabagique : « Vous avez vécu des moments difficiles depuis
référence interne de son interlocuteur, ainsi que les raisonnements votre arrêt du tabac, je trouve très positif l’engagement dont vous
et émotions qui en résultent. avez fait preuve pour passer à travers tout ça ».

2.3.3. Reflective listening


2.2.3. To amplify ambivalence L’écoute réflective consiste à reprendre en écho de façon plus
To amplify ambivalence souligne l’importance d’explorer et de ou moins élaborée les propos tenus par le patient. Ce type de
rendre explicite l’ambivalence, c’est-à-dire la coexistence chez le communication a plusieurs avantages : montrer au patient qu’il a
patient de désirs et de motivations contradictoires, en faveur d’un été entendu dans sa réalité, vérifier qu’on a bien compris ses propos,
changement ou en défaveur de celui-ci. Sa présence est normale recontextualiser, pour le mettre en perspective son discours. On
chez tout patient. distingue plusieurs types de reflets, du plus simple au plus élaboré :
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la répétition, la reformulation (par la substitution de synonymes, qu’une demande soit formulée par la personne intéressée. Cela est
l’usage de métaphores), la paraphrase (l’écoutant infère le sens de notamment le cas pour les enfants ou les adolescents, au sujet des-
ce qui vient d’être dit), et le reflet complexe. Par exemple, le patient : quels la demande vient le plus souvent d’un tiers : vaccinations des
« C’est vrai que j’abuse de temps en temps, mais je ne pense pas avoir enfants [28], ivresses chez l’adolescent [26]. Ce peut être aussi le
un problème de consommation pour autant ». Le médecin : « Donc, cas pour les personnes âgées [29]. L’EM est aujourd’hui appliqué
à la fois vous semblez avoir des difficultés avec l’alcool, mais vous par de nombreux intervenants du système de soins : médecin, psy-
ne voulez pas être étiqueté comme ayant un problème ». chologue, infirmier [2]. Cette flexibilité rend compte également de
sa diffusion dans des domaines variés : médical, sanitaire, social,
judiciaire. De nouvelles modalités d’intervention sont apparues et
2.3.4. To summarize
ont montré leur efficacité : techniques d’entretiens par téléphone
Résumer les propos du patient va permettre d’aider ce dernier
[27] ou entretiens destinés à des groupes de patients [30].
à mieux élaborer son projet de changement. En synthétisant le
Un des enjeux actuels est de mieux affiner le champ
contenu de l’échange, on rassemble les idées du patient, on peut
d’application et les modalités d’utilisation de l’EM. Dans les études
faire une transition ou exprimer des liens entre ce qui vient d’être
récentes, il semblerait que les approches individuelles soient plus
dit et des propos antérieurs (exprimés dans le même entretien ou au
efficaces que celles en groupe, celles en face à face plus que celles
cours d’entretiens précédents). Par exemple : « Alors, jusqu’à main-
par téléphone, mais aussi, que l’efficacité dépende de la durée des
tenant vous m’avez dit que vous étiez préoccupé par la quantité
sessions (bien que l’EM ait pu être appliqué pour des sessions de
d’alcool. Vous ne semblez pas trop savoir quoi penser du fait que
moins de 15 minutes) [22], et du nombre total d’entretiens [13]. On
vous semblez boire plus que les autres. Et vous vous demandez si
peut également noter que l’utilisation de l’EM sous forme d’une
votre consommation affecte votre mémoire et votre sommeil. . . ».
session unique avant le démarrage d’un programme de sevrage
alcoolique augmente significativement la probabilité de succès de
3. Efficacité de l’entretien motivationnel ce dernier [31].

Dès les années 1960, l’usage de l’EM s’est répandu dans le


4. Formation à l’entretien motivationnel
domaine des addictions, notamment de l’alcoologie. Le projet
MATCH est la plus grande étude d’évaluation de l’efficacité de dif-
Des programmes de formation destinés aux médecins géné-
férentes prises en charge de l’addiction à l’alcool. Il a regroupé
ralistes, médecins du travail, mais aussi à l’ensemble des
plusieurs approches thérapeutiques (d’où son nom). Cette étude
professionnels de santé, rencontrent un engouement majeur
a permis de montrer la place majeure qu’occupe l’EM dans cette
[32,33]. Le mode de formation le plus adapté consiste en un sémi-
indication, par rapport aux autres approches [15,16].
naire interactif sur deux jours, suivi d’une supervision. De tels
Progressivement l’EM s’est diffusé à l’ensemble du champ de
séminaires incluent typiquement une introduction aux concepts
l’addictologie, notamment les addictions sans drogue, comme le
fondamentaux, une présentation des principes guidant l’entretien,
jeu pathologique [17], ainsi qu’aux troubles psychiatriques, comme
ainsi qu’une mise en pratique par des exercices en groupe. Cette
les troubles du comportement alimentaire [18]. Par ailleurs, son
formation doit aboutir à l’intégration de l’EM aux autres approches
usage s’est étendu dans la prise en charge de nombreuses patholo-
dont le praticien est familier. Les compétences acquises tendent
gies chroniques, pour lesquelles soutenir la motivation du patient
toutefois à diminuer progressivement avec le temps, d’où la néces-
tout au long de la prise en charge est indispensable pour pro-
sité d’un suivi systématique ou d’une supervision du praticien [34].
mouvoir l’alliance thérapeutique et l’adhésion aux traitements.
Les exemples sont nombreux : chez les patients diabétiques afin
d’adopter des règles hygiéno-diététiques [19], lors du suivi de 5. Conclusion
patients souffrant de troubles cardiovasculaires afin de promouvoir
une activité physique régulière [20], ou pour encourager l’adhésion L’EM constitue une approche thérapeutique visant à promou-
thérapeutique de patients séropositifs au virus HIV traités par voir des changements de comportement de santé. Le recours à l’EM
antirétroviraux [21]. Des méta-analyses ont permis d’évaluer plus peut engendrer à la fois plus de satisfaction chez le patient, car il se
précisément l’efficacité de l’EM [22–25]. Dans la plus récente, le sent mieux entendu et compris par le praticien, mais aussi plus de
recours à l’EM était associé à une efficacité supérieure de 14 à 20 %, satisfaction et de gratification chez le praticien, lorsqu’il peut voir
comparativement à des groupes témoins « faibles » (aucun traite- émerger une modification de comportement du patient. La pra-
ment ou liste d’attente), et de 2 à 15 %, comparativement à des tique de l’EM nécessite un apprentissage rigoureux, une pratique
groupes témoins bénéficiant d’autres approches jugées valides. régulière et un temps de supervision, si l’on souhaite développer de
Les modalités d’utilisation de l’EM tendent à se diversifier, manière durable ses compétences et progresser ainsi dans sa pra-
en s’éloignant du champ de l’éducation thérapeutique et de tique. Lorsque cette technique est maîtrisée, elle peut s’appliquer
l’addictologie, pour des interventions plus ponctuelles en centres à une grande variété de comportements de santé et se pratiquer
de soins primaires, visant à promouvoir un comportement de santé, dans des délais relativement brefs, sans allonger véritablement la
d’où l’élargissement de son application dans des domaines où la durée des consultations médicales, ni augmenter significativement
contrainte temporelle est majeure. Il peut s’agir, par exemple, la fréquence des consultations de suivi dans une pathologie au long
d’aider un patient à parler de ses difficultés d’alcool, aux urgences cours.
[26], ou de promouvoir un comportement de santé au cabinet Au regard des données actuelles de la littérature, l’EM a fait
du médecin, que ce soit pour la prise d’un nouveau médica- la preuve de son efficacité dans de nombreuses indications. Il est
ment prescrit sur une durée limitée ou lors de la réalisation au moins aussi efficace que diverses thérapies spécifiques utili-
d’un examen complémentaire comme une mammographie [27]. sées dans la prise en charge de comportements à risque ou de
Ainsi, l’EM a montré son efficacité sous forme de 2–3 séances nombreuses pathologies chroniques, même si son effet le plus
avant l’instauration d’un traitement, pour majorer la motivation du exemplaire concerne le champ des conduites addictives. Nous
patient et la probabilité d’adhésion au traitement [25]. L’EM fournit avons souhaité encourager, dans ce texte, des praticiens d’origines
aux praticiens les moyens de développer une intervention adaptée diverses, internistes, spécialistes de diverses disciplines, omnipra-
aux degrés de préparation au changement du patient. Il permet ticiens, à se familiariser avec les concepts de l’EM et à saisir les
également de travailler un changement de comportement avant opportunités de formation qui peuvent leur être offertes, l’EM ne
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