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Benarous 2014
Benarous 2014
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Mise au point
i n f o a r t i c l e r é s u m é
Historique de l’article : En pratique médicale courante, et tout particulièrement dans la gestion des maladies chroniques, les
Disponible sur Internet le 17 septembre contextes sont innombrables où les décisions relatives à l’état de santé du patient impliquent de le
2013 mobiliser au mieux : depuis la prise régulière d’un antihypertenseur jusqu’à la réalisation d’une mam-
mographie de dépistage, en passant par l’adoption de mesures diététiques dans un diabète. L’aptitude à
Mots clés : initier un comportement de santé dépend de plusieurs paramètres : certains sont liés à la personnalité du
Entretien motivationnel malade, à ses représentations de la maladie et des traitements proposés, d’autres sont du ressort du pra-
Changement de comportements
ticien et dépendent plus ou moins étroitement du mode de communication utilisé au cours de l’entretien
Relation médecin/malade
Maladies chroniques
avec le patient, quel que soit le poids des résistances à changer du côté de ce dernier. L’entretien moti-
Prévention vationnel (EM) est un mode de communication, initialement développé en addictologie, pour explorer
l’ambivalence face à l’arrêt d’une substance, lever les résistances du patient et lui donner envie de mieux
prendre soin de lui. Ses principes généraux et les stratégies de base applicables par tout praticien méritent
d’être connus, car les données de la littérature actuelles plaident en faveur d’une généralisation de la
conduite de l’EM pour promouvoir une grande variété de comportements de santé, qu’il s’agisse de pro-
grammes d’éducation thérapeutique proprement dits, mais aussi d’interventions ponctuelles au cours de
la prise en charge de tout patient. Cet article parcourt les récentes applications de l’EM dans des champs
variés et plaide pour sa diffusion dans la pratique médicale courante.
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne
(SNFMI).
a b s t r a c t
Keywords: Many situations in common medical practice, especially in chronic diseases, require patients to be
Motivational interviewing mobilized for health behavior decisions: for daily intake of an antihypertensive drug, performing a mam-
Behavior change mography for cancer screening, as well as adopting new diet habits in diabetes. Ability to initiate a health
Patient/doctor relationship behavior depends on several parameters. Some of them are related to the patient, his personality, his ill-
Chronic diseases
ness and treatment’s perception; others directly rely on the physician, his attitude and his communication
Preventive medicine
style during the visit, independently of patient’s level of resistance to change. Motivational interviewing
(MI) is a communication technique, first developed for patients presenting a substance abuse disor-
der, to explore their ambivalence, overcome their resistances and give them the willingness of a better
self-care. Its general principles and basic techniques can be applied by every practitioner and deserve to be
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : silla.consoli@egp.aphp.fr (S.M. Consoli).
0248-8663/$ – see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI).
http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.08.009
318 X. Benarous et al. / La Revue de médecine interne 35 (2014) 317–321
better known, given that scientific literature provides evidence for generalizing it in a variety of medical
conditions, in structured patient education programs as well as in usual follow-up, for which time is
generally restricted. This article provides an overview of MI recent applications and argues for its diffusion
in everyday medical practice.
© 2013 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Société nationale française de médecine
interne (SNFMI).
la résistance et est le révélateur d’une interaction patient–soignant 2.2.4. Rolling with the resistance
dysfonctionnelle ou l’expression d’une dissonance dans la relation Rolling with the resistance signifie « rouler » avec les résistances,
thérapeutique. c’est-à-dire, s’y adosser comme cela peut être le cas dans la navi-
L’EM ne se réduit pas à une technique, mais constitue un style gation marine, plutôt que de s’y confronter directement ou de
d’approche clinique, un style de communication [13] dans lequel la s’y opposer. En effet, dans le modèle de l’EM, il s’agit plutôt
relation thérapeute–patient joue un rôle central. L’objectif princi- d’intégrer les résistances du patient qui doivent être entendues
pal de l’EM est d’aider le patient à identifier ses propres motivations par le praticien comme un indicateur de tension dans la relation
au changement, d’examiner et d’expliciter son ambivalence face à thérapeute–patient. Il paraît vain de chercher à vaincre la force
la décision de changer de comportement, et in fine de favoriser le de contre-argumentation d’un patient ambivalent, mais il convient
changement. L’ambivalence consiste en la présence de tendances d’utiliser judicieusement l’énergie qu’elle contient.
contradictoires, en l’occurrence entre la volonté de changer un
comportement donné et le souhait, voire le besoin, de maintenir 2.2.5. To support self-efficacy
le statu quo. Miller suggère que plutôt que de tenter de convaincre To support self-efficacy signifie soutenir le sentiment d’efficacité
son patient de changer, par l’administration directe d’arguments, le personnelle du patient. Il s’agit de soutenir l’optimisme et la
praticien doit essayer d’obtenir des arguments en faveur du chan- croyance du patient dans sa capacité à réaliser un changement pour
gement auprès du patient lui-même, c’est-à-dire faire évoquer au améliorer sa situation actuelle. La croyance du patient dans sa pos-
patient de tels arguments. Le concept de « discours-changement » sibilité de changement est en effet un facteur prédictif positif de la
se réfère ainsi à la modification progressive du discours du patient survenue effective de ce changement [14].
au fil des entretiens, lui permettant de verbaliser sa motivation. L’EM comporte deux phases qui se calquent sur deux ensembles
En revanche, le recours à un style de communication de type d’étapes de la spirale de Prochaska. La première phase concerne
« confrontationnel », destiné à forcer les résistances du patient plu- la résolution de l’ambivalence et la construction de la motivation
tôt qu’à les comprendre, s’avère souvent plus ou moins délétère intrinsèque au changement : le thérapeute doit faire émerger un
et régulièrement ne fait que renforcer les résistances, alors qu’un discours-changement chez le patient (plus ce discours est élaboré,
style « empathique » peut aider le patient à développer un senti- plus il est probable que se mette en place le changement) [14]. Dans
ment d’efficacité personnelle (croyance des individus quant à leurs la deuxième phase, il s’agit de renforcer l’engagement du patient qui
capacités à réaliser des performances particulières) et favoriser les a déjà commencé à agir dans le sens du changement, en consolidant
initiatives du patient [3]. L’EM valorise la collaboration plutôt que avec lui le changement amorcé et en l’aidant à trouver, chaque fois
la confrontation, l’autonomie réfléchie plutôt que la soumission à que possible, ses propres solutions.
l’autorité.
2.3. Stratégies de base de l’entretien
2.2. Principes généraux de l’entretien motivationnel
L’EM doit être mené de façon à permettre au patient de déve-
lopper sa motivation. Les stratégies de base de la conduite de l’EM
L’EM est défini par ses concepteurs comme « une méthode
sont résumées par l’acronyme OARS en anglais :
de communication, directive, centrée sur la personne, visant
l’augmentation de la motivation intrinsèque par l’exploration et la
2.3.1. Open-ended questions
résolution de l’ambivalence » [13]. Miller et Rollnick proposent de
L’usage de questions ouvertes (auxquelles l’interlocuteur peut
conduire l’entretien avec les patients selon cinq principes généraux
répondre de façon personnelle et nuancée, et pas simplement par
(résumés par l’acronyme « DEARS » en anglais), qui synthétisent
« oui », « non » ou de manière trop brève) permet d’établir un climat
l’esprit général de l’EM
de confiance et d’encourager le patient à évoquer ses préoccupa-
tions, en évitant une focalisation prématurée sur les symptômes. Il
2.2.1. To develop discrepancy s’agit donc de favoriser l’exploration du vécu du patient, en partant
To develop discrepancy signifie induire une dissonance cogni- du plus général et en allant vers le plus spécifique : « Qu’est-ce qui
tive chez le patient, c’est-à-dire souligner la différence entre ce vous préoccupe au sujet de la prise de votre traitement ? ».
que la personne est actuellement et ce qu’elle souhaiterait être. Il
s’agit donc de faire percevoir par le patient la divergence entre son 2.3.2. To affirm
comportement actuel et les buts et valeurs fondamentales qui sont Affirmer la valeur du patient signifie avaliser ses aptitudes à
les siens, afin d’aider le patient à mieux réaliser les inconvénients changer et à réussir un projet dans lequel il s’engage. En pra-
du statu quo. tique, le praticien doit reconnaître et soutenir les changements
opérés, même si ces derniers ont été en deçà des attentes du
2.2.2. To express empathy patient, valoriser les expériences passées de changements positifs,
To express empathy signifie « faire preuve d’empathie », en tant même minimes, ainsi que tenir compte des difficultés traversées
que mode d’écoute actif du patient, dans le but de chercher à par le patient. Cette attitude permet de soutenir la motivation et de
comprendre ses sentiments et ses points de vue, sans jugement. renforcer le sentiment d’efficacité personnelle du patient, en préve-
L’approche qui sous-tend ce principe est l’acceptation. Pour Carl nant le découragement. Par exemple, lors de la mise en place d’un
Rogers, l’empathie consiste à percevoir avec justesse le cadre de sevrage tabagique : « Vous avez vécu des moments difficiles depuis
référence interne de son interlocuteur, ainsi que les raisonnements votre arrêt du tabac, je trouve très positif l’engagement dont vous
et émotions qui en résultent. avez fait preuve pour passer à travers tout ça ».
la répétition, la reformulation (par la substitution de synonymes, qu’une demande soit formulée par la personne intéressée. Cela est
l’usage de métaphores), la paraphrase (l’écoutant infère le sens de notamment le cas pour les enfants ou les adolescents, au sujet des-
ce qui vient d’être dit), et le reflet complexe. Par exemple, le patient : quels la demande vient le plus souvent d’un tiers : vaccinations des
« C’est vrai que j’abuse de temps en temps, mais je ne pense pas avoir enfants [28], ivresses chez l’adolescent [26]. Ce peut être aussi le
un problème de consommation pour autant ». Le médecin : « Donc, cas pour les personnes âgées [29]. L’EM est aujourd’hui appliqué
à la fois vous semblez avoir des difficultés avec l’alcool, mais vous par de nombreux intervenants du système de soins : médecin, psy-
ne voulez pas être étiqueté comme ayant un problème ». chologue, infirmier [2]. Cette flexibilité rend compte également de
sa diffusion dans des domaines variés : médical, sanitaire, social,
judiciaire. De nouvelles modalités d’intervention sont apparues et
2.3.4. To summarize
ont montré leur efficacité : techniques d’entretiens par téléphone
Résumer les propos du patient va permettre d’aider ce dernier
[27] ou entretiens destinés à des groupes de patients [30].
à mieux élaborer son projet de changement. En synthétisant le
Un des enjeux actuels est de mieux affiner le champ
contenu de l’échange, on rassemble les idées du patient, on peut
d’application et les modalités d’utilisation de l’EM. Dans les études
faire une transition ou exprimer des liens entre ce qui vient d’être
récentes, il semblerait que les approches individuelles soient plus
dit et des propos antérieurs (exprimés dans le même entretien ou au
efficaces que celles en groupe, celles en face à face plus que celles
cours d’entretiens précédents). Par exemple : « Alors, jusqu’à main-
par téléphone, mais aussi, que l’efficacité dépende de la durée des
tenant vous m’avez dit que vous étiez préoccupé par la quantité
sessions (bien que l’EM ait pu être appliqué pour des sessions de
d’alcool. Vous ne semblez pas trop savoir quoi penser du fait que
moins de 15 minutes) [22], et du nombre total d’entretiens [13]. On
vous semblez boire plus que les autres. Et vous vous demandez si
peut également noter que l’utilisation de l’EM sous forme d’une
votre consommation affecte votre mémoire et votre sommeil. . . ».
session unique avant le démarrage d’un programme de sevrage
alcoolique augmente significativement la probabilité de succès de
3. Efficacité de l’entretien motivationnel ce dernier [31].
devant pas être réservé aux addictologues et psychothérapeutes, prevention of disordered gambling: a randomized clinical trial. Addiction
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