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REVUE CRITIQUE

DE

JURISPRUDENCE
BELGE

ANNÉE 1984

ÉTABLISSEMENTS ÉMILE BRUYLANT


RUE DE LA RÉGENCE, 67, BRUXELLES
COMITTÉ DE DIRECTION

MM. PIERRE CoPPENS, professeur à l'Université de Louvain;


ALBERT MEEÙS, conseiller émérite à la Cour de cassation;
Mme YvETTE MERCHIERS, professeur à la Rijksuniversiteit
Gent.
MM. CLAUDE RENARD, professeur émérite de l'Université de
Liège;
JEAN VAN RYN, professeur émérite de l'Université de
Bruxelles, avocat à la Cour de cassation.

SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION :

M. JACQUES HEENEN, professeur à l'Université de Bruxelles.


lJ!Ionsieur André Mast qui, depuis le décès en 1979 du regretté
Jean Limpens, représentait l'Université de Gand au sein du Comité
de Direction de la Revue, a prié celui-ci de bien vouloir le décharge1·
de son mandat afin de pouvoù· se consacre1· entièrement aux nou-
velles éditions de ses traités de droit constitutionnel et de droit
administratif. Le Comité s'est incliné avec regret devant cette déci-
sion qui prive la Revue du concours d'un juriste éminent dont les
grandes qualités ont marqué une œuvre scientifique et une carrière
également fécondes.
Pour succéder à M. Mast, nuJle n'était plus qualifiée que Mme
Yvette Merchiers, professeur à l'Université de Gand. Collaboratrice
régulière et très appréciée de la Revue, auteur de deux des Tables
décennales, elle apportera œtt Comité de Direction, en même temps
que son grand crédit, les qualités de science, d'intelligence, de
dévouement et de bonne grâce dont elle a toujours fait preuve.

Le Comité de Direction.
TRENTE-HUITIÈME ANNEE 1984

REVUE CRITIQUE
DE

JURISPRUDENCE BELGE

PREMIÈRE ESPÈCE.

Cour de cassation, 1re chambre, 19 décembre 1980.

Président : M. WAUTERS, premier président.

Rapporteur : M. SuRY.

Conclusions conformes : M. DuMoN,


procureur général.

Plaidants: MM. CLAEYS BouuAERT et A. DE BRUYN.

I. MOTIFS DES JUGEMENTS ET ARRÊTS. - MATIÈRE


CIVILE. - OBLIGATION DE MOTIVER. - OBLIGATION RÉPON-
DANT À UNE RÈGLE DE FORME.- LA CIRCONSTANCE QUE DES
MOTIFS NE JUSTIFIENT PAS LE DISPOSITIF NE CONSTITUE PAS
UNE VIOLATION DE L'ARTICLE 97 DE LA CONSTITUTION.

II. PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT.- NoTION.

III. PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT. - NoTION.

IV. RESPONSABILITÉ (HORS CONTRAT). - RESPONSA-


BILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. - POUVOIR EXÉCUTIF
ÉDICTANT ET METTANT EN APPLICATION UNE RÉGLEMENTA-
TION ENSUITE D'UN EXCÈS DE POUVOIR. - FAUTE.

V. RESPONSABILITÉ (HORS CONTRAT). - RESPONsA-


BILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. -DOMMAGE CAUSÉ PAR
LE FAIT D'UN RÈGLEMENT ÉDICTÉ PAR UN FONCTIONNAIRE À
6 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE : ' ·: i· ·:, •· ·

L'OCCASION DE L'EXERCICE DE SES FONCTIONS. -ExcÈS DE


POUVOIR. - DEMANDE DE. DOMMAGES ET INTÉRÊTS DIRIGÉE
CONTRE L'ETAT. - DEMANDE DÉCLARÉE NON FONDÉE AU
SEUL MOTIF QUE LEDIT FONCTIONNAIRE A COMMIS DANS L'IN-
TERPRÉTATION DE LA LOI DÉTERMINANT LE POUVOIR RÉGLE-
MENTAIRE UNE ERRElJR QU'~N AUTRE FONCTIONNAIRE, PLACÉ
DANS LA MÊME SITUATION, AURAIT AUSSI COMMISE. - ILLÉ-
GALITÉ. - NoTION.

II. S'il se déduit de dispositions légales que la force majeure,


l'erreur invincible et l'état de nécessité peuvent exclure la respon-
sabilité pénale ou civile ou justifier une infraction, il n'existe
toutefois pas un principe général du droit duquel se déduit
l'exclusion de ces responsabilités et une telle justification en
raison à la fois de la force maje1,tre, de l'erreur invincible: et de
l'état de nécessité.
III. Il n'existe point de principe général' du droit selon lequel << nul
ne peut invoquer comme excuse son erreur de droit )} .
V. Ne justifie pas légalement sa décision l'arrêt qui, pour exclure
la responsabilité civile de l'administration publique à laquelle
il était reproché d'avoir causé un dommage qui était résulté de
ce qu'un fonctionnaire avait, à l'occasion de l'exercice de ses
fonctions, édicté, par excès de pouvoir, un règlement, mis ensuite
en application, se fonde sur les seuls motifs qu' << il est admissible
que ledit fonctionnaire ait cru être compétent pour édicter la
réglementation litigieuse)>, <<que l'erreur commise paT lui aurait
pu être commise par un autre fonctionnaire placé dans la même
situation )} et que l'interprétation donnée par lui quant à la loi,
<< bien qu'erronée en droit, ne comporte pas de faute, le règlement

n'ayant pas été édicté à la légère et sans raison, et (qu'il n'y a


pas eu) de défaut de conscience professionnelle)); d'une part,
l'erreur, quant à l'interprétation de la loi, ne constitue une cause
de justification que lorsqu'elle est invincible, d'autre part,. si la
responsabilité personnelle du fonctionnaire est exclue en raison
d'une telle erreur, celle de l'administration publique elle-même
ne l'est pas nécessairement en raison .de cette seule erreur per-
sonnelle.
(SOCIÉTÉ ANONYME << REDERIJ VIOTOR HUYGEBAERT )),
C. ÉTAT BELGE, MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS.)
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 7·

ARRÊT (traduction).

Vu l'arrêt attaqué, rendu le 23 octobre 1978 par la Cour·


d'appel de Gand;
Sur le moyen pris de la violation des articles 29, 67, 78, 97
de la Constitution, 1382 et 1383 du Code civil, et du principe·
général du droit selon lequel nul ne peut invoquer comme excuse·
son erreur de droit,
en ce que l'arrêt, d'une part, constate que l'ingénieur en chef--
direèteur des ponts et chaussées n'était pas compétent pour-
prendre sur la base de l'article 102 de l'arrêté royal du 15 octobre
1935 le règlement repris dans l'avis à la navigation n° 93, § 8,
mais, d'autre part, rejette la demande de la demanderesse ten-
dant à obtenir la réparation du dommage subi lors de l'abordage,
dont la demanderesse et le premier juge attribuent la cause à.
ce règlement illégal, après avoir affirmé <<que la faute est un
acte illicite; que la faute au sens des articles 1382 et suivants.
du Code civil. est un fait ou un acte que n'aurait pas· commis-
une personne normalement avisée et prudente>>, et après avoir :
a) considéré << qu'il est admissible que ledit fonctionnaire ait cru.
être compétent pour édicter la réglementation litigieuse; que·
l'intimée (ici demanderesse) n'établit nullement que l'erreur·
commise par l'ingénieur en chef-directeur n'aurait pas été com-
mise par un autre fonctionnaire placé dans la même situation>>,
que b) <<ni la portée de l'article 102 du règlement général des.
voies navigables du royaume, ni la nullité du règlement édicté·
ne (sont) si évidentes>>, soulignant que le ministère public a
poursuivi sur la base de ce règlement et que le tribunal correc-·
tionnel de Gand a décidé que ce règlement avait bien force obli--
gatoire, et enfin c) déduit de ces considérations que : << l'inter-
prétation du texte de l'article 102 - erronée en droit - ne·
comporte pas de faute; le règlement visé n'a pas été édicté à la.
légère et sans raison, ni ne résulte d'un défaut de conscience·
professionnelle >>,
alors que, première branche, par aucune de ses considérations-
l'arrêt ne réfute que le règlement a un caractère illégal, ni ne-
justifie le fait qu'un fonctionnaire, agissant dans les limites du
pouvoir exécutif défini par la Constitution, en méconnaissance-
tant des articles 29, 67 et 78 de la Constitution que de la loi.
:8 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

_,. précisant -sa· mission ·propre,' .a induit·· eiF·erfeur .Jes · justîeîables


·en général et la demanderesse en particulier sur la ligne de con-
duite imposée en l'espèce et a trompé ainsi leur confiance dans
les mesures prises par le pouvoir exécutif; que l'éventuelle bonne
:foi de ce fonctionnaire et le fait de son erreur quant aux dispo-
;sitions légales applicables en l'espèce ne peuvent constituer une
·cause d'excuse de sa faute; d'où il résulte que la cour d'appel
·ne pouvait déduire des constatations énoncées à l'arrêt l'absence
·de faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil (violation
·des articles 29, 67 et 78 de la Constitution, 1382 et 1383 du
·Code civil, ainsi que du principe général du droit selon lequel
nul ne peut invoquer comme excuse son erreur de droit); que,
·en invoquant ainsi des motifs ne justifiant pas son dispositif,
l'arrêt n'est pas motivé de manière adéquate; qu'il ne répond
pas davantage de manière adéquate aux conclusions prises par
1a demanderesse, suivant lesquelles<< la faute commise par l'ad-
ministration concerne une violation de la loi et constitue dès
]ors un quasi-délit>> (violation de l'article 97 de la Constitution);
seconde branche, les considérations de l'arrêt ne contiennent
·pas davantage une réponse au moyen invoqué en conclusions
par la demanderesse, suivant lequel<< l'administration des ponts
·et chaussées, qui fait imprimer le règlement général et qui est
chargée de son exécution, doit le connaître mieux que quiconque
.et peut difficilement soutenir qu'elle ignore les limites de sa
propre compétence>> (violation de l'article 97 de la Constitution
.et du principe général du droit selon lequel nul ne peut invoquer
.comme excuse son erreur de droit) :
Attendu que la demanderesse a cité le défendeur, sur la base
·des articles 1382 et suivants du Code civil, pour avoir pris un
:règlement destiné à la navigation qui sortait de la compétence
.à lui conférée par l'arrêté royal du 15 octobre 1935, avec la
·conséquence que son batelier a été induit en erreur sur la priorité
·dont il croyait bénéficier en vertu dudit règlement sur le canal
·Gand-Terneuzen à l'embouchure du<< Ringvaart >>à Gand, erreur
·qui aurait causé l'abordage avec un autre bateau;
Attendu que la demanderesse, le règlement illégal émanât-il
·de l'ingénieur en chef-directeur des ponts et chaussées relevant
~du ministère des travaux publics, invoquait ainsi la responsa-
-bilité directe du défendeur, ledit ingénieur en chef-directeur
.étant son organe;
=====~-"'-~~

REVUE ·CRITIQUE DE JURISPRUDENCE :BELGE 9

Attendu que, après avoir énoncé que la question se posait de


savoir si<< l'administration>> a commis une faute, la cour d'appel
considère que, bien que l'interprétation du texte de l'article 102
dudit arrêté royal fût erronée en droit, aucune faute n'est impu-
table au défendeur, parce que son fonctionnaire, ledit ingénieur
en chef-directeur, en édictant le règlement illégal, n'a pas com-
mis d'acte << que n'aurait pas commis un autre fonctionnaire
placé dans la même situation>>; qu'à l'appui de cette. opinion
l'arrêt se fonde sur les considérations invoquées au moyen;
Attendu que l'arrêt répond aux conclusions de la demande-
resse, suivant lesquelles<< la faute commise par l'administration
concerne une violation de la loi et constitue dès lors un quasi-
délit>>, en considérant que ledit fonctionnaire a peut-être appli-
qué les dispositions de la loi d'une manière illégale, mais que
cette illégalité ne suffit pas à constituer la faute et que cette
application se fonde sur une interprétation qui ne comporte pas
de faute; que l'arrêt répond ainsi implicitement mais d'une
manière certaine aux conclusions de la demanderesse, suivant
lesquelles l'administration, qui fait imprimer le règlement géné-
ral et qui est chargée de son exécution, doit le connaître mieux
que quiconque et peut difficilement soutenir qu'elle ignore les
limites de sa propre compétence, en admettant que le règlement
critiqué n'entraîne pas en l'espèce la faute de l'Etat, puisque
le fonctionnaire qui a appliqué illégalement le règlement général
s'est trompé dans l'interprétation de celui-ci d'une manière qui
exclut la faute;
Attendu que, en tant que la demanderesse invoque que les
motifs de l'arrêt <<ne justifient pas le dispositif>>, elle soulève
un grief étranger à une violation de l'article 97 de la Constitu-
tion, qui ne prescrit qu'une règle de forme;
Attendu que, s'il faut déduire de dispositions légales déter-
minant la responsabilité civile et pénale, et qui ne sont d'ailleurs
pas indiquées au moyen, que la force majeure, l'erreur invincible
ou l'état de nécessité excluent cette responsabilité, cela ne
signifie toutefois pas que, indépendamment de ces disposit.ions
légales, il existe un principe général du droit relatif à la force
majeure, l'erreur invincible et l'état de nécessité ou un autre
principe général du droit, tel que celui invoqué par la deman-
deresse et suivant lequel << nul ne peut invoquer comme excuse
son erreur de droit >>;
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·Attendu que· le Pouvoir exécutif agit fautivement, lorsqu'il


excède les limites de son pouvoir réglementaire fixées par la loi;
Attendu que la seule constatation que tout fonctionnaire placé
dans la même situation aurait donné la même interprétation
erronée que celle du fonctionnaire en cause n'exonère pas l'ad-
ministration de sa responsabilité pour l'excès de pouvoir qu'elle
a comnûs;
Attendu que, dès lors, sur la base des considérations reprises
au moyen, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision;
Que, dans cette mesure, le moyen est fondé;
Par ces motifs, la Cour casse l'arrêt attaqué; ordoime que
mention du présent arrêt sera faite en marge de la décision
annulée; réserve les dépens, pour qu'il soit statué sur ceux-ci
par le juge du fond; renvoie la cause devant la Cour d'appel
d'Anvers.

DEUXIÈME ESPÈCE.

Cour de cassation, 1re chambre, 13 mai 1982.

Président : Chevalier DE ScHAETZEN,


président de section.

Rapporteur: M. STRANARD.

Conclusions conformes : M. VELU, avocat général.

Plaidants : MM. KIRKP ATRICK, SIMONT


et HouTEKIER.

I. IMPOTS.- IMPOSITIONS COMMUNALES. -ARTICLE 138 DE


LA LOI COMMUNALE.- PORTÉE.
II. RESPONSABILITÉ DES POUVOIRS PUBLICS. - FAIT
POUR L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE DE PRENDRE OU D'AP-
PROUVER UN RÈGLEMENT INCONSTITUTIONNEL OU ILLÉGAL. -
CONDITIONS REQUISES POUR QUE CE FAIT SOIT CONSTITUTIF
DE FAUTE.
III. RESPONSABILITÉ DES POUVOIRS PUBLICS. -
ANNULATION D'UN ACTE ADMINISTRATIF PAR LE CoNSEIL
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 11

n'ETAT. -CoNDITIONS REQUISES POUR QUE LA JURIDICTION


JUDICIAIRE, SAISIE D'UNE ACTION EN RESPONSABILITÉ, AIT
L'OBLIGATION DE DÉCIDER QUE L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE,
AUTEUR DE L'ACTE ANNULÉ, A COMMIS UNE FAUTE.

I. L'article 138 de la loi communale ne concerne que les modes de


recouvrement des impositions communales et reste étranger aux
modes de restitution de ces impositions.
II. Sous réserve de l'existence d'une erreur invincible ou d'une
autre cause d'exonération de responsabilité, l'autorité adminis-
trative commet une faut~ lorsqu'elle prend ou approuve un règle-
ment qui méconnaît des dispositions constitutionnelles ou légales
lui imposant de s'abstenir ou d'agir de manière déterminée, de
sorte qu'elle engage sa responsabilité civile si cette faute est cause
d'un dommage.
III. Lorsqu'une juridiction judiciai'i·e est valablement saisie d'une
action en responsabilité fondée sur l'excès de pouvoir résultant
de ce que l'autorité administrative a méconnu des règles consti-
tutirY(I,nelles ou légales lui imposant de s'abstenir ou d'agir de
manière déterminée et que l'excès de pouvoir a entraîné l' annu-
lation de l'acte administratif par le Conseil d'Etat, la constata-
tion, par ce dernier, de l'excès de pouvoir s'impose à cette juri-
diction; dès lors, sous réserve de l'existence d'une erreur invincible
ou d'une autre cause d'exonération de responsabilité, cette juri-
diction doit nécessairement décider que l'autorité administrative,
auteur de l'acte annulé, a commis une faute et, pour autant que
le·lien causal entre l'excès de pouvoir et le dommage soit établi,
ordonner la réparation de celui-ci.
(S.A. DES <<CHARBONNAGES DE GOSSON-KESSALES >>

O. COMMUNE DE SERAING-SUR-MEUSE
ET ÉTAT BELGE, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR.)

ARRÊT.

Vu l'arrêt attaqué, rendu le 24 avril 1980 par la Cour d'appel


de Liège; .
Sur le premier moyen, pris de la violation des articles 74 des
lois coordonnées du 15 janvier 1948 relatives aux impôts sur les
revenus, 308 du Code des impôts sur les revenus, 138 de la loi
12 REVUE CRITIQUE DE .JURISPRUDENCE BELGE

communale du 30 mars 1836 et, pour autant que de besoin~


138 de la loi communale telle que cette disposition a été modifiée
par l'article 1er, 42o de la loi du 27 mai 1975 portant adaptation
du texte français de la loi communale et de la loi provinciale
au droit actuellement en vigueur,
en ce que, après avoir constaté que la défenderesse avait mis
en vigueur pendant plusieurs années consécutives un règlement-
taxe établissant une taxe spéciale de répartition sur les conces-
sions de mines de houille, taxe dite de << démergement >>; que les
règlements-taxes relatifs aux exercices 1962 à 1966 furent annu-
lés par le Conseil d'Etat; qu'en conséquence, la défenderesse
remboursa à la demanderesse le montant des taxes que celle-ci
avait payées en exécution des règlements annulés (arrêt du
26 juin 1975), et <<qu'il n'est pas contesté, et ce à bon droit,
que les taxes dont il s'agit constituaient des impositions directes>>·
(arrêt attaqué), la Cour d'appel, par l'arrêt attaqué, confirmant.
le jugement dont appel, déclare non fondée l'action de la deman-
deresse tendant à faire condamner la défenderesse au paiement.
des intérêts moratoires prévus par l'article 74 des lois coordon-
nées du 15 janvier 1948 et, pour les exercices postérieurs à la
coordination de 1964, par l'article 308 du Code des impôts sur·
les revenus, intérêts calculés sur les montants décaissés par la
demanderesse en exécution des règlements-taxes annulés, aux
motifs <<que ni l'article 74 des lois organiques d'impôts sur les
revenus, ni l'article 308 du Code des impôts sur les revenus, qui
procède dudit article 74, ne sont d'application en l'espèce; qu'ils.
ne visent que la matière des impôts sur les revenus et non point.
les taxes communales; que ces dispositions constituent une déro-
gation aux règles du Code civil; que la disposition de l'article 74,.
ou 308, prise dans un cadre déterminé, à savoir celui des impôts.
sur les revenus, ne saurait par analogie trouver application en
d'autres matières à défaut de texte spécial; que par ailleurs.
l'article 138 de la loi communale énonce, notamment, que les
impositions communales directes seront recouvrées conformé-
ment aux règles établies pour la perception des impôts au profit.
de l'Etat; qu'on ne saurait donner une interprétation extensive
à la notion de recouvrement, en manière telle qu'elle contiendrait.
celle de restitution avec paiement d'intérêts>>,
alors que, en vertu de l'article 138 de la loi communale, il y a.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE :BELGE 13

lieu d'appliquer les règles établies en matière d'impôts d'Etat,_


c'est-à-dire, actuellement, les règles établies en matière d'im-·
pôts sur les revenus, pour tout ce qui concerne le recouvrement
des impositions communales directes; que dans le sens qui lui
est traditionnellement reconnu en matière fiscale, la notion de
recouvrement inclut notamment la débition d'intérêts << de·
retard>>, à défaut de paiement par le contribuable dans le délai
légal et, parallèlement, la débition d'intérêt~ << moratoires >> à
charge de l'autorité, en cas de restitution d'impôts indûment
perçus; qu'en conséquence, les intérêts moratoires prévus par
l'article 74 des lois coordonnées du 15 janvier 1948 et ultérieu-
rement repris par l'article 308 du Code des impôts sur les revenus
doivent être appliqués en cas de restitution de taxes commu-
nales directes indûment perçues (violation de toutes les dispo-
sitions visées au moyen) :
En tant que le moyen est dirigé contre le défendeur :
Attendu que, dans la mesure où il est critiqué par le moyen,
le dispositif est étranger au défendeur;
En tant que le moyen est dirigé contre la défenderesse :
Attendu que si, par application de l'article 138 de la loi com-
munale, les impositions communales directes sont recouvrées
conformément aux règles établies pour la perception des impôts
au profit de l'Etat selon lesquelles, en vertu de l'article 305 du
Code des impôts sur les revenus, à défaut de paiement dans les
délais fixés aux articles 303 et 304 du même Code, les sommes
dues sont productives, au profit du Trésor, pour la durée du
retard, d'un intérêt fixé par mois civil, les dispositions de la loi
communale ne font pas référence aux règles établies en cas de
restitution par le Trésor d'impôts au profit de l'Etat notam-
ment par l'article 308 du Code des impôts sur les revenus;
Attendu que l'article 138 de la loi communale ne concerne
que les modes de recouvrement des impositions communales et
reste étranger aux modes de restitution de ces impositions;
Qu'en décidant que les dispositions des articles 74 des lois
coordonnées du 15 janvier 1948 relatives aux impôts sur les
revenus et 308 du Code des impôts sur les revenus<< prises dans
un cadre déterminé, savoir celui des impôts sur les revenus, ne
sauraient par analogie trouver application en d'autres matières
]_4 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

~à défaut de texte spécial, et qu'on ne saurait donner une inter-


prétation extensive à la notion de recouvrement en manière telle
qu'elle contiendrait ·Celle de restitution avec paiement d'inté-
.rêts >>, l'arrêt ne viole pas les dispositions légales que le moyen
:indique;
Que le moyen manque en droit;
Sur le deuxième moyen, pris de la violation des articles 107
·de la Constitution, 1382, 1383 du Code civil, 9 de la loi du
.23 décembre 1946 portant création du Conseil d'Etat et 14 des
]ois sur le Conseil d'Etat, coordonnées par arrêté royal du
12 janvier 1973, ainsi que du principe général du droit relatif
.à l'autorité de chose jugée des décisions des juridictions statuant
,en matière administrative,

en ce que, après avoir constaté que la défenderesse ·avait mis


·en vigueur, pendant plusieurs années consécutives, un règlement-
·taxe établissant une taxe spéciale de répartition sur les conces-
:sions de mines de houille, taxe dite de << démergement >>; que les
-règlements-taxes relatifs aux exercices 1962 à 1966 furent annu-
lés par le Conseil d'Etat de même qu~ les arrêtés d'approbation
.de ces règlements, pris par le défendeur en vertu de son pouvoir
·de tutelle; qu'en conséquence, la défenderesse remboursa à la
·demanderesse le montant des taxes que celle-ci avait payées en
·exécution des règlements annulés (arrêt du 26 juin 1975), la
·cour d'appel, par l'arrêt attaqué confirmant le jugement dont
appel, décide que les défendeurs n'ont pas commis de fauté, la
·première en adoptant et le second en approuvant, en vertu de
.son pouvoir de tutelle, les règlements ultérieurement annulés
·par le Conseil d'Etat et déclare en conséquence non fondée
l'action de la demanderesse en tant que cette action se fondait
;sur les articles 1382 et 1383 du Code civil et tendait à faire con-
·damner solidairement les deux défendeurs au paiement des
intérêts, au taux de 6,5 %, sur les montants décaissés par la
·demanderesse en exécution des règlements annulés, aux motifs
·<<que la diligence et la prudence qui doivent servir de modèle
.sont seulement celles que l'on peut attendre d'un homme normal
·et qui sont conformes aux usages; que l'homme d'une prudence
normale qui sert de comparaison pour apprécier si une faute a
,,été commise doit être placé dans les mêmes conditions << externes >>
'que l'Etat; que l'omission d'une précaution exceptionnelle, qui
~=============~

REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 15

aurait été inusitée en l'espèce et dont l'expérience ultérieure


aurait seulement démontré l'importance, ne constitue pas une
faute; qu'il faut considérer que pour nombres d'exercices anté-
rieurs, des <<règlements-taxes>> identiques avaient été pris et
approuvés par arrêtés royaux sans qu'il y ait jamais discussion
ou réclamation; qu'il n'est pas acquis que l'approbation aurait
été accordée à la légère sans examen du problème; qu'il sied de
constater, pour autant que de besoin, qu'il n'est pas davantage
constant que (la défenderesse) aurait fait preuve de légèreté
lorsqu'elle a décidé de la taxe; qu'on peut à nouveau rappeler
que, pour décider de l'illégalité des règlements-taxes, il a fallu
procéder. à des études longues et minutieuses >>,

alors que toute transgression d'une disposition légale ou régle-


mentaire constitue en soi une faute entraînant la responsabilité
civile de l'auteur de la transgression, sans qu'il faille rechercher
en outre si ·ce dernier a agi par imprudence, négligence ou im-
prévoyance; qu'en ce qui concerne spécialement les autorités
administratives, elles ne peuvent agir que dans les limites de la
loi; que tout acte qui comporte un excès de pouvoir est néces-
sairement un acte illicite et que, dès lors, s'il a causé un dom-
mage à autrui, pareil acte entraîne nécessairement la responsa-
bilité de la personne publique au nom de laquelle il a été accom-
pli; que les arrêts d'annulation du Conseil d'Etat ont autorité
de chose jugée erga omnes et s'imposent notamment au juge
civil statuant sur une action en responsabilité fondée sur l'excès
de pouvoir constaté par le Conseil d'Etat; d'où il suit qu'en
décidant que les défendeurs n'avaient pas commis de faute, la
première en adoptant et le second en approuvant les règlements
ultérieurement annulés pour excès de pouvoir par le Conseil
d'Etat, et ce, pour le motif que ces autorités administratives
n'avaient pas <<agi à la légère, sans examen du problème>>,
l'arrêt méconnaît la notion légale de faute et l'autorité de chose
jugée des arrêts d'annulation du Conseil d'Etat (violation de
toutes les dispositions légales et du principe général du droit
visés au moyen) :
Sur les fins de non-recevoir opposées au moyen par la défen-
deresse et déduites de ce que le moyen réunit les exposés de
deux moyens distincts en les confondant et en omettant de pré-
ciser de quelle disposition légale chacun des moyens distincts
Revue Critique 1984, 1 - 2.
16 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUPENOE BELGE

implique la violation et ne précise pas, en tant qu'il invoque la


violation des articles 9 de la loi du 23 décembre 1946 portant
création du Conseil d'Etat, 14 des lois coordonnées sur le Conseil
d'Etat, 107 de la Constitution et du principe général du droit
relatif à l'autorité de chose jugée s'attachant aux arrêts d'annu-
lation du Conseil d'Etat, en quoi ces dispositions légales ont été
violées par l'arrêt attaqué :
Attendu que la demanderesse fait grief à l'arrêt de l'avoir
déboutée de son action, d'une part, en décidant en violation de
la notion légale de faute que les défendeurs n'avaient pas com-
mis de faute en adoptant et en approuvant les règlements ulté-
rieurement annulés pour excès de pouvoir par le Conseil d'Etat
et, d'autre part, en considérant qu'un acte annulé par le Conseil
d'Etat au motif qu'il comporte un excès de pouvoir n'est pas
nécessairement un acte illicite qui, s'il a causé un dommage à
autrui, entraîne la responsabilité de la personne publique au
nom de laquelle il a été accompli;
Que la demanderesse indique dans un moyen unique les dis-
positions légales que l'arrêt aurait méconnues; que ce moyen
ne fait pas valoir deux griefs distincts mais un seul. grief fondé
sur ces dispositions légales ;
Qu'à cet égard, les fins de non-recevoir ne peuvent être
accueillies ;
·Attendu qu'en tant qu'il invoque la violation des articles 107
de la Constitution, 9 de la loi du 23 décembre 1946 portant
création du Conseil d'Etat et 14 des lois coordonnées sur le
Conseil d'Etat, le moyen n'indique pas en quoi ces dispositions
légales ont été violées;
Qu'à cet égard, les fins de non-recevoir sont fondées;

Sur le surplus du moyen :


Attendu que l'action de la demanderesse tendait, en ordre
subsidiaire, à faire condamner les défendeurs, en vertu des
articles 1382 et 1383 du Code civil, à lui payer des intérêts com-
pensatoires sur des taxes communales qu'elle avait décaissées à
titre de taxes de démergement pour certains exercices et qui lui
avaient été ultérieurement remboursées; que la demanderesse
reprochait aux défendeurs d'avoir agi fautivement, la première,
en adoptant pour lesdits exercices des règlements établissant
REVUE CRITIQUE DE J:URISPRUDENCE BELGE 17

ces taxes, règlements qui furent annulés par le Conseil d'Etat


au motif qu'ils violaient les règles constitutionnelles de l'égalité
devant la loi et de l'égalité devant l'impôt, le second, notamment
en approuvant ces règlements par des arrêtés qui, pom le même
motif, furent annulés aussi par le Conseil d'Etat;
Attendu que, pour déclarer non fondée cette action subsi-
diaire, l'arrêt décide que les défendeurs n'ont pas commis de
faute, aux motifs que la diligence et la prudence qui doivent
servir de n1odèle sont seulement celles que l'on peut attendre
d'un homme normal et qui sont conformes aux usages; que
l'homme d'une prudence normale qui sert de comparaison pour
apprécier si une faute a été commise doit être placé dans les
mêmes conditions << externes >> que l'Etat; que l'omission d'une
précaution exceptionnelle, qui aurait été inusitée en l'espèce et
dont l'expérience ultérieure aurait seulement démontré l'impor-
tance, ne constitue pas une faute; qu'il faut considérer que, pour
nombre d'exercices antérieurs, des <<règlements-taxes>> iden-
tiques avaient été pris et approuvés par arrêtés royaux sans
qu'il y ait jamais discussion ou réclamation; qu'il n'est pas
acquis que l'approbation aurait été accordée à la légère sans
examen du problème; qu'il sied de constater, pour autant que
de besoin, qu'il n'est pas davantage constant que la commune
aurait fait preuve de légèreté lorsqu'elle a décidé de la taxe; que
la commune n'a fait que suivre les directives des autorités de
tutelle qui s'étaient entourées d'un maximum de garantie;
qu'ainsi, une commission interministérielle avait été constituée
en vue d'étudier plus précisément les problèmes desdits <<règle-
ments-taxes>> et, après une étude approfondie, avait elle-même
élaboré le règlement << taxe de démergement >>; que la commune
ne cessa d'être confirmée èt confortée dans sa bonne foi quant
à la régularité de la taxe; que, par une suite ininterrompue
d'arrêtés royaux, l'autorité de tutelle ne cessa d'approuver la
taxe de démergement; que la consultation d'un juriste vantée
par la demanderesse n'est pas de nature à ébranler la conviction
de l'absence de toute mauvaise foi dans le chef de la commune;
Attendu que des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard,
il apparaît que par divers arrêts le Conseil d'Etat a annulé les
règlements litigieux ainsi que les arrêtés royaux qui les avaient
approuvés comme étant contraires aux dispositions des articles 6
et 112 de la Constitution;
18 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

Attendu que l'Etat et les autres personnes de droit public


sont, comme les gouvernés, soumis aux règles de droit et notam-
ment à celles qui régissent la réparation des dommages découlant
des atteintes portées par des fautes aux droits subjectifs et aux
intérêts légitimes des particuliers;
Qu'aucune disposition constitutionnelle ou légale ni aucun
principe général du droit ne soustrait l'autorité administrative,
dans l'exercice de son pouvoir réglementaire ou de son pouvoir
de tutelle, à l'obligation résultant des articles 1382 et 1383 du
Code civil de réparer le dommage causé à autrui par sa faute;
Attendu que, sous réserve de l'existence d'une erreur invin-
cible ou d'une autre cause d'exonération de responsabilité,
l'autorité administrative commet une faute lorsqu'elle prend ou
approuve un règlement qui méconnaît des règles constitution-
nelles ou légales lui imposant de s'abstenir ou d'agir de manière
déterminée, de sorte qu'elle engage sa responsabilité civile si
cette faute est cause d'un dommage;
Attendu que les décisions d'annulation du Conseil d'Etat ont
autorité de chose jugée erga omnes;
Que, lorsqu'une juridiction judiciaire est valablement saisie
d'une action en responsabilité fondée sur l'excès de pouvoir
résultant de la méconnaissance de telles règles constitutionnelles
ou légales ayant entraîné l'annulation d'un acte administratif
par le Conseil d'Etat, la constatation par ce dernier de l'excès
de pouvoir s'impose à elle; que, dès lors, sous la réserve indiquée
ci-avant, cette juridiction doit nécessairement décider que l'au-
torité administrative, auteur de l'acte annulé, a commis une
faute et, pour autant que le lien. causal entre l'excès de pouvoir
et le dommage soit établi, ordonner la réparation de celui-ci;
Attendu que des seules constatations et considérations énon-
cées dans les motifs de l'arrêt reproduits ci-avant ne saurait
légalement se déduire que les défendeurs se trouveraient exo-
nérés de leur responsabilité pour les excès de pouvoir qu'ils ont
commis, la première, dans l'exercice de son pouvoir réglemen-
taire, le second, dans l'exercice de son pouvoir de tutelle;
Que dès lors l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision que
les défendeurs n'ont pas commis de faute;
Que, dans cette mesure, le moyen est fondé;
Par ces motifs, la Cour casse l'arrêt attaqué sauf en tant qu'il
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 19

décide que ni l'article 74 des lois coordonnées du 15 janvier 1948


ni l'article 308 du Code des impôts sur les revenus ne sont
d'application en l'espèce.

NOTE.
Unité ou dualité des notions de faute et d'illégalité.

l. - LES FAITS DANS LES DEUX ESPÈCES.

A. - L'arrêt du 19 décembre 1980 (1).

Le tribunal correctionnel de Gand, statuant en degré d'appel, avait


condamné un sieur Vanhuffel, à la suite d'un abordage, pour infraction
à l'article 8 de l'avis à la navigation n° 93 du 23 octobre 1967 émanant
de l'ingénieur en chef-directeur des Ponts et Chaussées. Sur pourvoi
du condamné, la Cour de cassation cassa cette décision par arrêt du
1er octobre 1974 (2) au motif que l'ingénieur en chef-directeur n'avait
aucun pouvoir. réglementaire mais seulement le pouvoir de prendre des
mesures lorsque, dans une situation concrète déterminée, la liberté ou la
sécurité de la navigation est compromise. La juridiction de renvoi acquitta
le prévenu. A la suite de cette décision, la partie civile, la S.A. Rederij
Victor Huygebaert assigna l'Etat sur base de l'article 1382 du Code
civil pour avoir pris un règlement excédant la compétence du fonction-
naire qui l'avait édicté, ce qui avait induit son batelier en erreur sur la
priorité dont il croyait bénéficier en vertu du règlement précité. cette
erreur ayant causé l'abordage.
La Cour d'appel de Gand rejeta la demande et les moyens de cassation
indiquent que la Cour d'appel avait considéré,<< qu'il est admissible que
ledit fonctionnaire ait cru être compétent pour édicter la réglementation
litigieuse, que l'intimée n'établit nullement que l'erreur commise par
l'ingénieur en chef-directeur n'aurait pas été commise par un autre
fonctionnaire placé dans la même situation ... que ni la portée de l'ar-
ticle 102 du règlement général des voies navigables du Royaume, ni la
nullité du règlement édicté ne sont si évidentes >).

B. - L'arrêt du 13 mai 1982 (2bis).

Par arrêts du 15 juin 1967 (3), 27 juin 1968 (4) et 23 juillet 1968 (5),
le Conseil d'Etat annula des règlements-taxes adoptés par la commune

(1) Pas., 1981, I, 453; J.T., 1981, p. 417; R. W., 1981-1982, col. 1061 et conclusions
du procureur général Dumon.
(2) Pas., 1975, I, 130.
(2bis) J.T. 1982, 772 et conclusions de M. l'avocat général Velu.
(3) Cons. d'Etat, 15 juin 1967, 3 arrêts, n° 8 12459, 12460, 12461 : R.A.A.O.E., 1967.
p. 597.
(4) Cons. d'Etat, 27 juin 1968, arrêt n° 13092 : R.A.A.O.E., 1968, p. 59.
(5) Cons. d'Etat, 23 juillet 1968, arrêt n° 13ll7 : R.A.A.O.E., 1968, p. 646.
20 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

de Seraing pour les exercices 1962 à 1966 ainsi que les arrêtés royaux
qui les avaient approuvés. Il s'agissait d'arrêtés qui mettaient à charge
de charbonnages des taxes dites de<< démergement >>, destinées à financer
des << travaux de démergement >> afin de prévenir des inondations que les
affaissements de sol causés par l'exploitation des charbonnages aggra-
vaient.
Ces taxes étaient perçues à l'origine sur base du tonnage de houille
extrait, mais à partir de 1960, les communes décidèrent de les répartir
en proportion de la superficie des concessions, qu'elles soient encore ou
non exploitées. Le Conseil,~Etat justifia l'annulation de ces règlements-
taxes par le motif qu'en taxant des biens sans valeur ou des titres juri-
diques reconnaissant ou octroyant la propriété de biens dont les proprié-
taires ne peuvent plus tirer aucune faculté contributive, les communes
J violaient le principe de l'égalité devant l'impôt dans la mesure où la
matière imposée n'est qu'apparente. En se fondant sur la superficie des
concessions comme assiette de l'impôt, les communes se fondaient sur
une apparence - le titre juridique - et non sur la réalité des facultés
contributives que ce titre pouvait recouvrir alors que la faculté contri-
butiv~ d'1.me mine dépend évidemment de ses possibilités d'exploitation.
A la suite de ces arrêts, le charbonnage de Gosson-Kessales obtint
de la commune de Seraing-sur-Meuse le remboursement des taxes de
démergement qu'il lui avait payées sur base des règlements et arrêtés
annulés. La commune refusa par contre de payer des intérêts sur les
sommes indûment payées.
Le charbonnage assigna alors la commune et l'Etat, en la personne du
Ministre de l'Intérieur, afin d'obtenir leur condamnation in solidum au
paiement des intérêts sur les sommes décaissées au titre de taxes de
démergement pour les exercices 1962 à 1966. Cette action fut rejetée par
jugement du 7 juin 197 4 du tribunal de première instance de Liège. Le
charbonnage interjeta appel. En ordre principal, il invoquait l'article 74
des lois coordonnées du 15 janvier 1948 relatives aux impôts sur les
revenus, ·devenues depuis la coordination de 1968, l'article 308 du CIR;
à titre subsidiaire, le charbonnage invoquait l'article 1382 du Code civil
pour réclamer des intérêts compensatoires au taux de 6,5 %· L'arrêt
entrepris rendu le 24 avril1980 par la Cour de Liège confirma la décision
du tribunal déclarant l'action non fondée.
Le premier moyen de cassation invoquait la violation des articles 74
des lois. coordonnées sur les impôts sur les revenus du 15 janvier 1948
et 308 du CIR. Le moyen fut rejeté comme manquant en droit. Il concerne
uniquement l'interprétation de l'article 138 de la loi communale et des
dispositions fiscales précitées. Nous ne nous y attarderons pas.
Le second moyen soutenait que toute transgression d'une disposition
légale ou réglementaire constituait en soi une faute entraînant la res-
ponsabilité civile de son auteur. Il soulève donc, comme dans l'arrêt
du i9 décembre 1980, la question des rapports entre les notions d'illégalité
et de faute en affirmant qu'il y a méconnaissance de la notion légale de
faute.par l'arrêt entrepris dans la mesure oùil a décidé que la commune
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 21

et l'Etat n'avaient pas commis de faute, dès lors que l'illégalité des
règlements-taxes avait été constatée par les arrêts du Conseil d'Etat
dont l'autorité s'impose erga omnes.
La Cour d'appel de Liège avait décidé en effet<< que la diligence et la
prudence qui doivent servir de modèle sont seulement celles que l'on
peut attendre d'un homme normal et qui sont conformes aux usages;
que l'homme d'une prudence normale qui sert de comparaison pour
apprécier si une faute a été commise doit être placé dans les mêmes
conditions << externes >> que l'Etat; que l'omission d'une précaution excep-
tionnelle, qui aurait été inusitée en l'espèce et dont l'expérience ultérieure
aurait seulement démontré l'importance, ne constitue pas une faute;
qu'il faut considérer que pour nombre d'exercices antérieurs, des règle-
ments-taxes identiques avaient été pris et approuvés par arrêtés royaux
sans qu'il y ait jamais discussion ou réclamation; qu'il n'est pas acquis
que l'approbation aurait été accordée à la légère sans examen du pro-
blème; qu'il sied de constater, pour autant que de besoin, qu'il n'est pas
davantage constant que la défenderesse aurait fait preuve de légèreté
lorsqu'elle a décidé de la taxe; qu'on peut à nouveau rappeler que, pour
décider de l'illégalité des règlements-taxes, il a fallu procéder à des études
longues et minutieuses>>.

II. - L A JURISPRUDENCE ANTÉRIEURE DES COURS D'APPEL.

C'est en 1955 que le problème est pour la première fois abordé dans la
jurisprudence, par un arrêt de la Cour de Bruxelles (6) qui consacre la
thèse de la dualité des notions d'illégalité et de faute. L'espèce était
la suivante : un instituteur, reconnu résistant armé, avait en vain
invoqué l'arrêté-loi du 19 septembre 1945 qui dispose que<< Ut participa-
tion aux opérations militaires de la résistance armée constitue un service
militaire actif >>, pour être dispensé du service militaire; il réclamait à
l'Etat, à titre de dommages et intérêts, la réparation du préjudice causé
par la perte de son traitement d'instituteur pendant les 15 mois du
service militaire qu'il avait dû effectuer comme milicien, invoquant
à l'appui de cette demande un arrêt du Conseil d'Etat du 31 août 1951 (7)
qui avait décidé que le temps passé dans la résistance armée devait être
imputé sur le temps du service militaire actif. La Cour de Bruxelles
écarta la demande en considérant que << la faute· aquilienne ou quasi
délictuelle est une erreur de conduite telle qu'elle n'aurait pas été commise
par une personne avisée et placée dans les mêmes circonstances externes
que l'auteur du dommage; qu'il s'en déduit que l'erreur, commise par
l'auteur du dommage, est susceptible de constituer une cause d'exonéra-
tion quand un individu normal, placé dans les mêmes circonstances ou
conditions externes, l'aurait commise également et que l'erreur d'inter-
prétation reprochée à l'Etat n'a pas été à ce point évidente et certaine

(6) Bruxelles, 4 juillet 1955, Pas., 1957, Il, 31; R.G.A.R., 1957, no 5997 et note
R. 0. DALCQ,
(7) Cons. d'Etat, 31 août 1951, arrêt n° ll038 : R.A.A.O.E., 1951, p. 380.
22 REVUE ORITIQUE DE JURISPRUDENOE BELGE

que l'on puisse assurer qu'une personne avisée, placée dans les mêmes
circonstances que le pouvoir administratif, chargé de 1' exécution des
lois sur la milice, le recrutement et les obligations de service, coordonnées
par l'arrêté royal du 15 février 1937, et de la loi du 28 mars 1951, ne l'au-
rait point également commise >>.
Dès cette époque, cette solution nous a paru illogique et prenant parti
pour l'unité des notions d'illégalité et de faute, nous avions critiqué
l'arrêt de la Cour de Bruxelles dans les termes suivants : <<Saisi d'une
demande de dommages et intérêts fondée sur la violation d'une disposi-
tion légale, il appartenait au juge du fond de décider si oui ou non cette
disposition avait été violée. S'il estimait qu'il y avait eu violation de la
loi, il devait, par le fait même, décider que l'Etat avait commis une
faute et était tenu de réparer le dommage qu'il avait causé parce que la
violation de la loi constituait en soi une faute en dehors de toute considé-
ration d'imprudence ou de négligence. Il n'y a donc pas lieu en pareil cas
de recourir au critère de l'homme avisé et prudent, encore qu'on puisse
affirmer que par hypothèse l'homme avisé et prudent respecte la loi.
Mais c'est là un détour inutile de l'esprit : la violation de la loi constitue
une faute en soi et il suffisait dès lors en l'espèce à la Cour de décider si
la loi avait été violée ou non>> (8).
La Cour d'appel de Bruxelles s'est encore prononcée dans le même sens
dans ses arrêts du 11 mai 1970 (9) et du 19 décembre 1972 (10). Dans le
premier de ces arrêts, la demande se fondait sur un arrêt du Conseil
d'Etat du 1er décembre 1960 (11) annulant un arrêté royal du 5 août 1958
lequel annulait à tort une délibération du Conseil communal d'Ixelles
nommant le demandeur aux fonctions de directeur des bains communaux
à partir du 1er avril 1958 et tendait à obtenir à titre de réparation du
dommage une somme égale au traitement que le demandeur aurait -dû
percevoir entre le 1er avril 1958 et le }er décembre 1960. La Cour avait
rejeté la demande au motif que la délibération annulée par l'arrêté
royal ((n'était pas manifestement régulière; que l'on ne saurait oublier
que le gouverneur de la province, la députation permanente et le substitut
de l'Auditeur Général au Conseil d'Etat l'avaient aussi considéré comme
non conforme au susdit règlement; que l'on ne saurait davantage perdre
de vue que le texte de ce règlement n'est pas exempt d'une certaine
ambiguïté >>, en telle sorte que l'arrêt en avait déduit que<< l'~ppréciation
,de ce texte jugé erronée en droit n'est pas constitutif d'une faute; que
rien ne conduit à penser que l'annulation critiquée procède d'un.examen
.de la question fait à la légère ou d'un manque de compétence profes-
.sionnelle >>.
L'arrêt du 9 décembre 1972 est intervenu dans des conditions compa-
rables, après l'arrêt du Conseil d'Etat du 11 février 1969 (12) mais tout

(8) R.G.A.R., 1957, n° 5997; voy. aussi notre Traité de la resp. civ., t. rer, no 1347.
(9) Pas., 1971, II, 3; R.J.D.A., 1972, p. 152; R.G.A.R., 1972, no 8792.
(10) J.T., 1973, p. 407 et note J. SALMON.
(11) Arrêt n° 8243 : R.A.A.O.E., 1960, p. 914.
(12) Arrêt n° 13390: R.A.A.O.E., 1969, p. 177.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 23

en développant dans ses motifs la thèse de la dualité des fautes, comm&


l'arrêt du l l mai 1970, en considérant que l'annulation par le Conseil.
d'Etat de la décision dommageable n'établissait pas par elle-même le,
caractère illicite de cette décision, spécialement lorsqu'il s'agit d'une·
irrégularité purement formelle, la Cour retint cette fois la responsabilité·
de l'Etat en considérant que celle-ci avait commis une faute en privant le·
demandeur des garanties prévues par le texte légal applicable et dont le,
respect eût pu conduire à une décision différente.
Les Cours d'appel et du travail de Gand se sont également prononcées.
en faveur· de la dualité des notions de fautes et d'illégalité.
La Cour d'appel l'a fait dans l'arrêt du 23 octobre 1978 qui donna lieu
à l'arrêt annoté du 19 décembre 1980 et nous avons exposé ci-dessus le~
circonstances dans lesquelles il est intervenu.
L'arrêt de la Cour du travail de Gand du 22 septembre 1978 a également
fait l'objet d'un pourvoi en cassation mais bien que le premier moyen de-
cassation soumettait à la Cour le problème de l'unité des notions de faute·
et d'illégalité, la Cour ne s'est pas prononcée sur la question dans son
arrêt du 16 mars 1981 (13), le moyen ayant été déclaré irrecevable à
défaut d'intérêt, l'arrêt ayant considéré que même s'il y avait eu faute,.
il n'y aurait eu aucun lien de causalité avec le dommage allégué.
Signalons enfin que l'arrêt entrepris par la Cour de cassation le 13 mai
.1982 et rendu le 24 avril1980 par la Cour d'appel de Liège est identique à.
d'autres arrêts rendus le même jour par cette Cour.

***
Avant de signaler la jurisprudence en sens contraire, une réflexion
s'impose à propos de la thèse de la dualité des notions de faute et d'illé-
galité qui a ainsi été consacrée par trois de nos cours d'appel et la Cour
du travail de Gand. On peut se demander, en effet, s'il ne faut pas y voir·
une nouvelle manifestation de la réticence que les juridictions de fond
ont souvent montrée à se recopnaître compétentes pour sanctionner la
responsabilité des pouvoirs publics~ En effet, la thèse de l'unité n'était-
elle pas, sur le plan de la logique, beaucoup plus naturelle et plus facille
à admettre que celle de la dualité des notions de faute et d'illégalité?
L'analogie avec les solutions de la jurisprudence concernant l'identité
deE3 fautes civiles et pénales au sens de l'article 1382 du Code civil et-
des articles 418 et suiv. du Code pénal (14) ne pouvait-elle pas facilement
conduire les juridictions de fond à considérer que l'autorité des arrêts du
Conseil d'Etat imposait que l'illégalité constatée par la juridiction
administrative lie la juridiction civile, l'acte illégal étant nécessairement
illicite dans le chef des pouvoirs publics (15)?

(13) Non publié- cité par M. VELU dans ses conclusions : cf. J.T., 1982, p. 772.
(14) Cass., 5 octobre 1893, Pas., 1893, I, 321 et 328; cass., 7 janvier 1952, R.G.A.R.r
n° 5059; cass., 10 février 1949, Pas., 1949, I, 168; cass. 31 janvier 1980, R.G.A.R. 1981,.
no 10504; MAZEAUD et TUNe, t. II, no 1822; DALOQ, Traité de la responsabilité civile,
t. Il, nos 3995 et suiv.
(15) Cf. infra.
:24 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

On sait comment avant 1920, le pouvoir judiciaire a volontairement


Testreint sa compétence à l'égard de l'exécutif en créant la fiction de
i'Etat- personne publique- et de l'Etat- personne privée (16). De
même, l'arrêt du 5 novembre 1920 (17) ne fut pas compris à l'époque où
il intervint malgré l'affirmation que<< dès lors qu'une personne qui se dit
titulaire d'un droit civil allègue qu'une atteinte a été portée à ce droit
-et qu'elle demande la réparation du préjudice qu'elle a éprouvé, le pou-
voir judiciaire peut et doit connaître de la contestation et il est qualifié
pour ordonner, le cas échéant, la réparation du préjudice, même au cas où
l'auteur prétendu de la lésion serait l'Etat, une commune, ou quelqu'autre
personne de droit public, comme aussi au cas où la lésion serait causée
par un acte illicite de l'administration publique>>. Se fondant davantage
sur les conclusions du procureur. général Leclercq (18), la jurisprudence
créa une nouvelle distinction entre les actes de décision et les actes d'exé-
<lution, refusant de se reconnaître compétente à l'égard des premiers (19).
Il fallut attendre les arrêts du 7 mars 1963 (20) et 26 avril 1963 (21) pour
que cette distinction disparaisse mais même encore aujourd'hui certaines
des voies ouvertes par la Cour de cassation, telles celles qui découlent de
l'arrêt du 23 avril 1971 (22), sanctionnant l'abstention de prendre les
dispositions permettant la mise en vigueur d'un arrêté royal, sont rare-
ment invoquées alors que les cas ne manqueraient pas où il aurait pu
utilement en être fait usage (23). Nous avons déjà signalé cette auto-
limitation du pouvoir judiciaire qui a conduit la Cour de cassation bien
plus que les juridictions de fond à jouer dans ce domaine un rôle créa-
teur (24).

***
A deux reprises, la Cour d'appel de Bruxelles s'est prononcée en
faveur de la thèse de l'unité des notions d'illégalité et de faute.
L'arrêt du 20 mars 1959 (25) intervint après qu'un arrêt du Conseil
d'Etat eut annulé une adjudication (26), ensuite de quoi un soumission-
naire évincé demanda la réparation du préjudice qu'il prétendait avoir
subi. La Cour d'appel de Bruxelles considéra que la faute de l'autorité
administrative résultait de l'arrêt du Conseil d'Etat décidant qu'il y

(16) Cf. notre Traité de la responsabilité civile, t. Jer, nos 1291 et suiv.
(17) Pas., 1920, I, 239.
(18) Cf. notre Traité de la responsabilité civile, t. Jer, nos 1312 et 1335; CAMBIER,
La responsabilité de la puissance publique, 1947, p. 120 et suiv.
(19) Notre Traité de la responsabilité civile, t. Jer, nos 1331 et suiv.
(20) Pas., 1963, I, 744 et conclusions du premier avocat général Van der Meersch;
R.O.J.B., 1963, p. 93 et note DABIN.
(21) Pas., 1963, I, 905; R.O.J.B., 1963, p. 116 et note DABIN.
(22) Pas., 1971, I, 952; R.G.A.R. 1971, n° 8703.
(23) Voy. par exemple pour la. mise en vigueur par l'arr. roy. du 16 décembre 1981
de l'art. 50 de la loi du 9 juillet 1975 sur le contrôle des assurances.
(24) Cf. notre étude sur<< La place de l'arrêt de la Cour de cassation du 7 mars 1963
dans la jurisprudence relative à la responsabilité de la puissance publique», Mélanges
Ganshof van der Meersch, t. 3, p. 40 et suiv.
(25) Pas., 1960, II, 156; J.T., 1961, p. 153.
(26) Cons. d'Etat, 9 mars 1956, arrêt no 5012, R.A.A.O.E., 1956, p. 185.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 25

avait eu excès de pouvoir; la Cour décida cependant que l'action n'était


pas fondée à défaut de preuve du lien de causalité entre la faute et le
dommage allégué, le demandeur ne prouvant pas que, si l'adjudication
n'avait pas été entachée d'excès de pouvoir, il aurait nécessairement été
désigné.
L'arrêt du 14 septembre 1978 est sans doute plus important en raison
de sa motivation approfondie qui justifie la thèse de l'unité des notions de
faute et d'illégalité (27). Un entrepreneur avait dû interrompre les
travaux de construction d'un immeuble à la suite d'un arrêté royal
annulant l'autorisation de bâtir accordée par la députation permanente.
Sur recours de l'entrepreneur, le Conseil d'Etat annula l'arrêté royal (28)
quatre ans après l'interruption des travaux. L'entrepreneur réclamait à
l'Etat le préjudice que cette interruption lui avait causé et la Cour fit
droit à cette demande. Après avoir rappelé que la faute civile consiste en
une erreur de conduite, par référence à un homme moyen placé dans des
circonstances identiques, la Cour affirme que <<l'activité de l'exécutif
n'est licite que dans la stricte mesure où la loi lui permet d'agir; il n'y
a pas là un critère différent de comportement mais la prise en considéra-
tion des éléments objectifs qui déterminent les normes directement
applicables à l'agent >>; elle ajoute que <<si l'erreur de droit peut être à
l'origine de la transgression de la loi ... toute considération à cet égard
est aussi indifférente que celle de l'intention, de l'imprudence ou de la
négligence de l'agent>> puisque cette transgression, en l'espèce constitutive
d'excès de pouvoir, <<est la manifestation la plus évidente d'une erreur de
conduite >>. La constatation de 1'illégalité par le Conseil d'Etat supprime
la nécessité de rapporter la preuve de la faute, le contrôle du juge devant
se limiter à l'identité de l'acte illégal avec le fait qui sert de fondement
à la demande d'indemnisation.

III. - LA DOCTRINE.

Une part importante de la doctrine belge qui s'est penchée sur le


problème se prononce en faveur de la dualité des notions de faute et
d'illégalité. Monsieur le procureur général Dumon d'abord, Monsieur
l'avocat général Velu ensuite, dans les remarquables conclusions qu'ils
ont prises dans les deux affaires faisant l'objet de la présente note, ont
fait le relevé exhaustif de cette doctrine et nous ne pouvons que reprendre
les références qu'ils citent à ce sujet (29). Tous ces auteurs affirment que
celui qui poursuit la réparation du dommage que lui a causé une illé-

(27) Pas., 1978, II, 114; J.T., 1979, p. 484, R.G.A.R., 1980, n° 10116 et note
GALLUS.
(28) Cons. d'Etat, 26 mars 1974, arrêt n° 16321, R.A.A.O.E., 1974, p. 305.
(29) WAELBROECK, <c Le juge belge et le droit communautaire>>, Rev.· belge de dr.
inter., 1965, p. 361; MAURICE FLAMME,« Pour un contrôle juridictionnel plus efficace de
l'administration», J.T., 1972, n° 439, p. 21; JACQUES SALMON, note sous Bruxelles,
19 décembre 1972 (supra, note 8); NoVELLES, Dr. adm., VI, Le Conseil d'Etat, 1975,
n° 1851; MAST, Overzicht van het Belgisch administratief recht, Se éd., 1981, n° 566,
p. 582.
26 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

galité doit en outre démontrer la faute de l'administration ... <til est


excessif de rendre responsable l'administration de toutes les erreurs de
droit qu'elle commet elle-même. L'interprétation des lois est un art que
la complexité sans cesse .croissante de la législation rend de plus en plus
malaisé à maîtriser pleinement. Il n'est guère raisonnable d'affirmer
qu'une administration prudente et diligente interprète nécessairement la
loi de manière correcte (30).
Cette solution s'inspire peut-être d'une mauvaise interprétation de la
doctrine et de la jurisprudence françaises antérieures à 1973. La thèse de
la dualité des notions de faute et d'illégalité s'imposait en effet nécessaire-
ment à cette époque en France dès lors que, pour engager la responsabilité
de l'administration la faute de service devait présenter une certaine
gravité, en sorte que 1'Etat se trouvait en France soumis du point de la
responsabilité à un régime qui se différenciait du droit commun et où
toute illégalité n'impliquait pas une faute engageant la responsabilité
de 1' administration (31). La jurisprudence française a toutefois évolué
dans ce domaine depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 26 janvier 1973
qui décide que l'illégalité retenue <<à supposer même qu'elle soit impu-
table à une simple erreur d'appréciation a constitué une faute de nature
à engager la responsabilité de la puissance publique)) (32). Ce revirement
a été confirmé à plusieurs reprises depuis lors (33).
La doctrine française est également divisée, chaque thèse ayant ses
partisans (34).
La thèse de l'unité des deux notions a été défendue en Belgique par
Monsieur Paul De Visscher dès 1951 (35) et par nous-même en 1955 (36).
Elle était enseignée aussi par De Page (37) et Dabin et Lagasse dans leurs
chroniques de jurisprudence (38); elle fut reprise aussi par Monsieur
Van Welkenhuyzen (39). Monsieur Jean-Luc Fagnart s'y est rallié égale-
ment tout en réservant l'hypothèse de l'erreur invincible dans l'inter-
prétation de la loi (40), .erreur qui revêtirait les caractéristiques de la
force majeure et qui pourrait se produire à la suite d'un revirement de
.jurisprudence ou en cas d'adoption par le Parlement d'une loi interpréta-
tive allant à l'encontre d'une jurisprudence établie.

(30) J. SALMON, note précitée, J.T., 1972, p. 412.


(31) Cf. arrêt Bianco, 8 février 1873, Dalloz, 1873/3/17.
(32) G.P. 1973, 2, 859 et note J. P. RouGEAUX; Reo. C.E., 1973, p. 78.
(33) Voy. cité par Monsieur l'avocat général Velu, les arrêts du 12 décembre 1973
(Rec. C.E., Tab. p. 1107), 22 mai 1974 (ibid., p. 297), 6 octobre 1976 (ibidem, p. 392).
(34) Cf. MoDERNE, F., «Illégalité et responsabilité pour faute de service : vers de
nouvelles relations>), Rev. de l'adm. (France), 1974, p. 24 et suiv. et les réf. citées.
(35) Note sous Cons. d'Etat, 24 avril 1951, arrêt n° 847 : R.J.D.A., 1951, p. 236 ..
( 36) Voy. les réf. citées supra, notes 4 et 6.
(37) Traité, t. II, n° 1063.
(38) R.O.J.B., 1949, p. 58, no 17; 1952, p. 221, n° 12; 1955, p. 63, n° 9; 1964, p. 289~
n° 67.
(39) :Note R.C.J.B., 1977, p. 421 et suiv. sous l'arrêt de la Cour de cassation du
.7 novembre 1975.
. (40) «La responsabilité de l'administration du chef d'excès de pouvoir&, Adm. publ..
trimes., 1979/1980, p. 56 et suiv.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 27

On peut encore citer en faveur de la thèse de l'unité des notions de


faute et d'illégalité, un passage des conclusions prises par Monsieur
le procureur général Ganshof van der Meersch, alors premier avocat
général sous un arrêt du 16 décembre 1965 (41); il s'y exprimait dans les
termes suivants : <<lorsqu'une requête en annulation de l'acte d'une
autorité administrative a été introduite devant le Conseil d'Etat et que
l'acte a été annulé pour excès de pouvoir, rien ... ne saurait priver le
requérant du droit d'assigner ensuite devant la juridiction judiciaire
en réparation du préjudice causé par l'acte annulé. L'arrêt du Conseil
d'Etat aura, toutefois, comme effet nécessaire de faire perdre au juge
judiciaire sa totale liberté d'appréciation. La décision qui porte sur
l'excès de pouvoir à autorité de chose jugée. Si donc la demande est·
fondée sur le même fait, le juge est lié par cette décision. Le tribunal ne
pourra rejeter la demande de dommages et intérêts, fondée sur l'acte
incriminé devant le Conseil d'Etat,· que dans la mesure où la faute invo-
quée ne s'identifie pas avec les éléments de l'excès de pouvoir ou du
détournement de pouvoir qui auraient été retenus par le Conseil d'Etat.
Non seulement il n'existe aucun obstacle à intenter l'action en domma-
ges et intérêts mais celle-ci est grandement facilitée par l'arrêt du Conseil
d'Etat sur le recours en annulation >>.

IV. - LES ARRÊTS DU 19 DÉCEMBRE 1980 ET DU 13 MAI 1982.

La Cour n'a pris position sur le problème de l'unité ou de la dÙalité


des notions de faute et d'illégalité que dans les deux arrêts faisant l'objet
de la présente note.
L'arr~t du 19 décembre 1980 casse l'arrêt de la Cour d'appel de Gand
du 23 octobre 1978 sur les conclusions conformes du procureur général
Dumon.
Si l'on écarte de la motivation de l'arrêt les motifs concernant la
violation de l'article 97 de la Constitution ainsi que celui, combiE;m justi-
fié rejetant la violation d'un soi-disant principe général de droit suivant
lequel <<nul ne peut invoquer comme excuse son erreur de droit>> (42),
l'arrêt est d'une remarquable concision : d'abord, l'affirmation d'un
principe - <<le pouvoir exécutif agit fautivement lorsqu'il excède les
limites de son pouvoir réglementaire fixées par la loi>>-; ensuite la cri-
tique de la motivation de l'arrêt entrepris-<< la seule constatation que
tout fonctionnaire placé dans la même situation aurait donné la même
interprétation erronée que celle du fonctionnaire en cause, n'exonère pas
l'administration de sa responsabilité pour l'excès de pouvoir qu'elle a
commis». L'arrêt se prononce clairement en faveur de l'unité des notions
d'illégalité et de faute, sans réserve, et nous ne pouvons suivre Monsieur
l'avocat général Velu lorsqu'il commente l'arrêt dans ses conclusions

(41) Pas., 1966, 1, 513 : l'arrêt ne tranche pas expressément le problème.


(42) Voy. à ce sujet le passage des conclusions du procureur général Dumon sur le
danger d'invoquer à tout propos l'existence d'un principe général de droit pour éviter
de devoir indiquer les dispositions violées : R. W. 1981-1982, col. 1062 et 1063.
28 REVUE CRITIQUE· DE JURISPRUDE.NCE BELGE

du 13 mai 1982 en disant que : <<ce n'est ni la thèse de l'unité des notions
d'illégalité et de faute, ni la thèse de la dualité de ces notions; c'est une
position que l'on pourrait qualifier de médiane : si le fait pour l'au:torité
administrative d'excéder son pouvoir ·réglementaire est en principe
constitutif de faute, il n'en demeure pas moins que l'erreur de droit pour
autant qu'elle soit invincible ou tme autre cause étrangère peuvent
exonérer cette autorité de sa responsablité. >>
L'arrêt ne dit pas que l'erreur de droit invincible ou une autre cause
étrangère peuvent exonérer l'administration, contrairement à ce que dit
l'arrêt du 13 mai 1982 (cf. infra). A cet égard aussi, le sommaire de
l'arrêt à la Pasicrisie en dit plus que ne décide l'arrêt lui-même lorsqu'il
affirme<< d'une part, l'erreur quant à l'interprétation de la loi, ne constitue
une cause de justification que lorsqu'elle est invincible, d'autre part,
si la responsabilité personnelle du fonctionnaire est exclue en raison
d'une telle erreur, celle de l'administration publique elle-même ne l'est
pas nécessairement en raison de cette seule erreur personnelle >>.
Mais si ces problèmes n'ont pas été tranchés par l'arrêt, ils ont été
examinés dans les conclusions du procureur général Dumon qui pose très
exactement les questions soulevées par l'illégalité de l'acte, invoquée
comme fondement de l'action en responsabilité.
Le procureur général Dumon n'admet la thèse de l'unité des notions de
faute et d'illégalité qu'avec certaines réserves; il en craint les conséquen-
ces en présence de la complexité des normes qui s'imposent à l'administra-
tion et dont les sources sont aussi bien internationales que nationales.
Il lui paraît que la solutio17- à adopter doit prendre en considération,
d'l.llle part, les responsabilités respectives de l'administration et de ses
agents et, d'autre part, la distinction entre le caractère prévisible de
l'erreur d'interprétation et son caractère invincible. La première question
découle des solutions de notre jurisprudence au sujet de la responsabilité
personnelle de l'agent- organe ou préposé- à côté de celle de laper-
sonne morale de droit public. La seconde implique que pour rechercher si
l'erreur était ou non insurmontable, on tienne compte non seulement de
l'acte de l'agent mais aussi de la <<faute anonyme>> des services eux-
mêmes. Le procureur général conclut dès lors à la cassation parce que le
juge du fond s'est contenté de constater que l'erreur aurait pu être
commise par un autre fonctionnaire placé dans la même situation mais
sans rechercher si cette erreur était non seulement invincible pour
l'agent mais si elle n'impliquait pas aussi une faute du <<service >>.
L'arrêt du 13 mai 1982 est moins concis que celui du 19 décembre
1980; il le complète heureusement en précisant mieux la position de la
Cour qui suit en cela les conclusions de Monsieur V elu, avocat général.
Celui-ci rappelle notamment que l'Etat comme les autres personnes de
droit public sont soumis aux règles du droit civil et notamment à celles
qui régissent la réparation des dommages découlant des atteintes fautives
portées aux droits subjectifs ou aux intérêts ligitimes des particuliers.
La faute aquilienne, ajoute Monsieur V elu, peut présenter deux aspects :
ou bien, elle constitue une violation d'une norme de droit national ou de
droit international, ayant des effets directs dans l'ordre juridique national,
REVUE CRITIQUE DE -JURISPRUDENCE BELGE 29·

qui impose une obligation déterminée de faire ou de ne pas faire, ou bien,.


c'est un acte ou une abstention qui, sans constituer un manquement à de-
telles normes, s'analyse en une erreur de conduite qui doit s'apprécier
selon le critère de l'homme normalement raisonnable et prudent placé
dans les mêmes conditions (43). Monsieur l'avocat général Velu prend
alors position sur le problème lui-même dans les termes suivants :
<<la seule réserve est la cause d'exonération : il n'y a pas de faute et,.
partant, pas de responsabilité lorsque le dommage doit être attribué à
une cause étrangère, c'est-à-dire pour reprendre la formule de De Page
<<à une cause qui n'est pas imputable à celui qui l'a apparemment pro-
voquée. << Tel est le cas notamment lorsque le dommage est imputable
à l'erreur de droit assimilable à la force majeure, c'est-à-dire à l'erreur-
invincible. Si le fait pour un particulier ou pour une autorité administra-
tive de transgresser une règle de droit leur imposant de s'abstenir ou
d'agir d'une manière déterminée est en soi constitutif de faute, même·
lorsque l'auteur du manquement a agi comme l'aurait fait n'importe·
quèlle personne normalement soigneuse et prudente placée dans les
mêmes circonstances, par contre, cette violation de la règle de droit ne
saurait être considérée comme une faute lorsqu'elle procède d'une erreur·
de droit invincible ou qu'il existe une autre cause d'exonération de
responsabilité. Ainsi donc, sous réserve de l'existence d'une erreur·
invincible ou d'une autre cause d'exonération de responsabilité, l'autorité,
administrative agit fautivement lorsqu'elle prend ou approuve un règle-
ment méconnaissant des règles constitutionnelles ou légales qui lui
imposent une obligation de s'abstenir ou d'agir de manière déterminée.
Il va de soi que sa responsabilité n'est engagée toutefois que si le lien
causal entre l'inconstitutionnalité ou l'illégalité du règlement et le·
dommage est établi >>.
La Cour a cette fois suivi entièrement le ministère public dans ses consi-
dérationS en décidant que : << Attendu que, sous réserve de 1' existence-
d'une erreur invincible ou d'une autre cause d'exonération de responsa--
bilité, l'autorité administrative commet une faute lorsqu'elle prend ou
approuve un règlement qui méconnaît des règles constitutionnelles ou
légales lui imposant de s'abstenir ou d'agir de manière déterminée, de-
sorte qu'elle engage sa responsabilité si cette faute est cause d'un dom-
mage; << Attendu que les décisions d'annulation du Conseil d'Etat ont
autorité des choses jugées erga omnes >>; << Que lorsque une juridiction
judiciaire est valablement saisie d'une action en responsabilité fondée sur·
l'excès de pouvoir résultant de la méconnaissance de telles règles consti-
tutionnelles ou légales ayant entraîné l'annulation d'un acte administratif
par le Conseil d'Etat, la constatation par ce dernier de l'excès de pouvoir·
s'impose à elle; que, dès lors, sous la réserve indiquée ci-avant, cette
juridiction doit nécessairement décider que l'autorité administrative,.
auteur de l'acte annulé, a commis une faute et, pour autant que le lien

(43) Voy. dans ce sens DABIN et LAGASSE, R.C.'J.B., 1949, n° 19, et 1963, no 10;
DE PAGE, Traité, t. II, nos 595, 596, 926 et 935; notre Traité de la responsabilité civile,.
t. Ier, nos 260, 264bis et 301.
~30 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

..causal entre l'excès de pouvoir et le dommage soit établi, ordonner la


ll'éparation de celui-ci 1>.
L'arrêt du 13 mai 1982 vient donc ainsi nuancer la portée de celui du
19 décembre 1980. Si le pouvoir exécutif agit fautivement lorsqu'il
·dépasse les limites de son pouvoir réglementaire telles que :fixées par la
lloi, c'est à la condition que cet excès de pouvoir ne soit pas la conséquence
.d'une erreur invincible.

V. - CONCLUSIONS.

La Cour s'est ainsi prononcée en faveur de l'unité entre les notions de


faute et d'illégalité, sous la seule réserve de l'erreur invincible. Elle n'a
toutefois pas indiqué quand cette condition serait réalisée. La seule
-indication que l'on ait reçu est que la constatation que l'agent ne se
:serait pas conduit différemment d'un autre agent normalement raison-
nable et prudent placé dans les mêmes circonstances, ne suffit pas pour
que l'on puisse considérer qu'il y a erreur invincible. Faut-il par contre
-limiter cette erreur aux hypothèses envisagées par Monsieur Fagnart (44)?
La Cour n'a pas eu l'occasion de répondre à cette question.
Cette conclusion qui se dégage des deux arrêts annotés ne nous satisfait
pas entièrement. S'il elle nous paraît exacte lorsqu'ils' agit de la violation
,d'une obligation déterminée ou de l'illégalité d'un acte qui contrevient
à une telle obligation, elle nous paraît plus difficile à accepter dans le
-cadre des obligations indéterminées et plus particulièrement dans le
-cadre de l'obligation générale de prudence sanctionnée par les arti-
cles 1382 et 1383 du Code civil alors pourtant que<< l'acte qui constitue
une faute aquilienne n'a pas le caractère d'un acte légal 1> (45).
Dans le cadre des obligations déterminées, il faut considérer que
-celles-ci s'imposent aux individus comme aux pouvoirs publics. Comme
nous l'écrivions jadis, << le manquement à la loi ou aux règlements con-
.stitue le cas où la faute est la moins discutable. La faute existe dès que
la loi a été violée 1> ( 46). Dans ce cas, le critère du bon père de famille
passe au second plan parce que l'homme raisonnable et prudent respecte
la loi. L'absence de faute ne suffit pas à l'exonérer puisque la violation de
l'obligation déterminée prouve la faute; l'auteur de l'acte devra donc
prouver une cause étrangère pour se justifier et s'il s'agit d'une erreur de
·droit, il devra prouver le caractère invincible de celle-ci. Et ce qui est vrai
pour l'individu, c'est-à-dire pour l'agent de la personne morale, l'est
aussi pour celle-ci, sauf au demandeur en réparation à prouver que
_ferreur invincible admise dans le chef de l'agent n'a pas le même carac-
tère dans le chef de l'administration qui peut avoir commis une autre
faute, par exemple en nommant un agent incompétent ou en n'organisant
pas adéquateme~t son activité. Il y aura alors faute anonyme du service.

(44) Cf. supra, note 40 et texte.


(45) Concl. du procureur général Ganshof van der Meersch sous cass., 7 mars 1963,
.J.T., 1963, p. 226.
(46) Notre Traité de la responsabilité civile, t. Jer, 1967, n° 301.
REVUE 'CRITIQUE DE · JURISPRUDENCE BELGE 31

Nous rejoignons ici l'exposé du procureur général Dumon dans ses con-
clusions (47). L'action dirigée contre l'administration aura alors une autre
cause que celle dirigée contre le fonctionnaire lui-même.
On pourrait dans cette perspective aller plus loin et considérer que si
1' erreur qui constitue 1'illégalité peut être invincible dans le chef de l'agent,
elle ne le sera jamais dans le chef de la personne morale elle-même, même
dans les hypothèses de changement de la jurisprudence ou d'intervention
d'une loi interprétative (48) parce que l'Etat est un en telle sorte que si
l'illégalité est la conséquence d'une intervention législative ou d'un
revirement de la jurisprudence, l'Etat doit encore en supporter les con-
séquences dès lors que l'illégalité est constatée erga omnes.
En est-il de même lorsqu'il s'agit de la violation de l'obligation générale
de prudence ? Apparemment non, bien qu'il soit sans doute exceptionnel
qu'on puisse constater dans ce cas séparément l'illégalité de l'acte. Dans
ce cas, le recours à la notion d'erreur invincible ne s'impose nullement;
il suffit pour que l'acte ne soit pas fautif que l'agent se soit comporté
comme un fonctionnaire normalement prudent pour qu'il ne puisse être
considéré en faute.
Mais ce critère peut-il être appliqué tel quel à l'administration? Nous
l'avons pensé (49) et cela nous paraît exact chaque fois que la respon-
sabilité de l'administration dans ce domaine est engagée en raison de
la faute· d'un de ses organes, déterminé ou indéterminé. Mais est-ce
encore vrai lorsqu'il s'agit de ce que Monsieur le procureur général Du-
mon appelle dans ses conclusions sous l'arrêt du 19 décembre 1980,
la faute anonyme du service? Le critère du bon père de famille a-t-il
encore un sens dans ce cas et ne suffit-il pas de constater ici encore que
l'administration est sortie du cadre légal auquel toute son activité est
nécessairement limitée. La faute du service est-elle une notion que
notre jurisprudence doit encore préciser, qui se distinguerait des caracté-
ristiques et des critères de la faute au sens de l'article 1382 du Code civil
ou doit-elle être confondue avec celle-ci en ce sens qu'il s'agirait de la
faute commise par l'ensemble des agents du service mais que d'autres
agents placés dans la même situation n'auraient pas commise?

R. o. DALCQ,
PROFESSEUR EXTRAORDINAIRE À LA F AOULTÉ DE DROIT
DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN,

(4 7) Cf. supra., note l.


(48) Cf. supra, note 40 et texte.
(49) Cf. notre Commentaire de l'arrêt du 4 janvier 1973 (J.T., 1973, p. 550 et observ.
J. L. FAGNART) dans notre Examen de jurisprudence à la R.O.J.B., 1974, p. 258, no 84,

Revue Critique 1984, 1 - 3.


32 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

Cour de cassation, 2e chambre, 16 mai 1979 (*).

Président : M. LEGROS,
président de section.

Rapporteur: M. SACE.

Conclusions conformes : Mme LIEKENDAEL,


avocat général.

Plaidant: Mme I. BENTIN-DE RooVER


(du barreau de Bruxelles).

I. VIREMENT. - VIREMENT PAR ERREUR. - APPLICATION


DE L'ARTICLE 508 DU CODE PÉNAL.

II. CEL FRAUDULEUX. - CoDE PÉNAL, ARTICLE 508. -


ELÉMENT CONSTITUTIF. - ÜBTENTION PAR HASARD DE LA
POSSESSION D'UNE CHOSE MOBILIÈRE APPARTENANT À AUTRUI.
-NoTION.

III. CEL FRAUDULEUX. - CoDE PÉNAL, ARTICLE 508.


ELÉMENT CONSTITUTIF. - INTENTION FRAUDULEUSE.
NoTION.

I et II. L'obtention par hasard de la possession d'une chose mobi-


~ière appartenant à autrui, élément constitutif de l'infraction de
cel frauduleux prévue à l'article 508 du Code pénal, peut con-
sister, pour le titulaire d'un compte bancaire, en l'inscription
par erreur d'une somme d'argent au C'J'édit de ce compte.
III. L'intention frauduleuse requise par l'article 508 du Code
pénal est la recherche d'un enrichissement ou d'un profit; justifie
légalement sa décision relative à l'existence de cette intention
frauduleuse le juge qui constate que l'esprit de fraude ayant

(*) Cet arrêt a été publié partiellement à la Pasicrisie 1979, I, 1081.


REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 33

animé le prévenu, titulaire d'un compte bancaire au crédit duquel


une somme d'argent a été inscrite par erreur, s'est matérialisé
par des transferts ou prélèvements qui ont mis ce prévenu dans
l'impossibilité de restituer le bien d'a~ttrui.

{BELLETTI, C. SOCIÉTÉ ANONYME


<<SOCIÉTÉ GÉNÉRALE DE BANQUE>>.)

ARRÊT.

Vu l'arrêt attaqué, rendu le 8 mars 1979 par la Cour d'appel


de Bruxelles;
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue
sur l'action publique exercée à charge du demandeur :
Sur le premier moyen, pris de la violation des articles 97 de
la Constitution et 508 du Code pénal,
en ce que l'arrêt condamne le demandeur du chef de cel frau-
duleux en énonçant << que la possibilité matérielle de disposer
librement d'une somme d'argent est une chose mobilière, telle
que cette notion apparaît à l'article 508 du Code pénal>>,
première branche, sans répondre aux conclusions par lesquelles
le demandeur faisait valoir que, la notion de chose mobilière
dans l'article 508 du Code pénal étant la même que dans l'ar-
ticle 528 du Code civil, seuls les meubles dont la propriété peut
être acquise par la possession, c'est-à-dire ceux qui peuvent se
transporter d'un lieu à un autre, tombent sous l'application de
cet article 508, que l'inscription d'une somme sur un compte à
vue n'est en aucun cas le transfert d'une chose, mais qu'elle est
une opération comptable s'analysant en un mandat faisant
naître une créance au profit du bénéficiaire de cette inscription;
seconde branche, par l'inscription de la somme litigieuse sur
son compte à vue chez la défenderesse, le demandeur n'a pas,
en raison de la nature juridique de cette inscription, obtenu la
possession d'une chose mobilière, de sorte que la condition
essentielle d'application de l'article 508 du Code pénal n'était
pas établie et qu'en condamnant le demandeur, l'arrêt viole
cette disposition légale :
34 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

Sur la.· première branche ·:


Attendu qu'en énonçant que << la possibilité matérielle de
disposer librement d'une somme d'argent est une chose mobi-
lière, telle que cette notion apparaît à l'article 508 du Code
pénal>>, l'arrêt répond aux conclusions indiquées au moyen;
Qu'en sa première branche, le moyen manque en fait;

Sur la seconde branche :


Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt qu'une somme
d'un ~illion de francs fut virée par erreur par la défenderesse au
crédit du· compte du demandeur et que, depuis le mois de mars
1977, le demandeur a effectué sur cette somme des transferts
ou des prélèvements;
Attendu qu'ainsi, la Cour d'appel justifie légalement sa déci-
sion que, par l'inscription de cette somme au crédit de son
compte, le demandeur a obtenu par hasard la possession d'une
chose mobilière appartenant à autrui;
Qu'en sa seconde branche, le moyen manque en droit;
Sur le second moyen, pris de la violation des articles 97 de
la Constitution et 508 du Code pénal,
en ce que l'arrêt condamne le demandeur du chef de cel frau-
duleux en énonçant<< q~e l'esprit de fraude qui a animé le pré-
venu s'est matérialisé depuis le mois de mars 1977, par les
transferts ou prélèvements qui l'ont 1nis dans l'impossibilité de
restituer le bien d'autrui >>,
première branche, sans répondre aux conclusions par lesquelles
le demandeur relevait une série de faits et de circonstances, dont
il prétendait déduire l'absence, dans son chef, d'intention frau-
duleuse;
seconde branche, sans constater suffisamment l'intention
frauduleuse requise pour l'application de l'article 508 du Code
pénal :

Sur les deux branches réunies :


Attendu qu'en énonçant << que l'esprit de fraude qui a animé
le prévenu s'est matérialisé depuis le mois de mars 1977, par
les transferts ou prélèvements qui l'ont mis dans l'impossibilité
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 35

de restituer le bien d'autrui>>, l'arrêt répond aux conclusions


indiquées au moyen et justifie légalement sa décisiôli que le
demandeur a agi dans une intention frauduleuse;
Que l'intention frauduleuse requise par l'article 508 du Code
pénal est la recherche d'un enrichissement ou d'un profit;
Qu'en aucune de ses branches, le moyen ne peut être accueilli,
Et attendu que les formalités substantielles ou prescrites à
peine de nullité ont été observées et que la décision est con-
forme à la loi ;

II. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision ren-


due sur l'action civile exercée à charge du demandeur;
Attendu que le demandeur ne fait valoir aucun moyen spécial;
Par ces motifs, la Cour rejette le pourvoi; condamne le de-
mandeur aux frais.

NOTE.

Virement par erreur et cel frauduleux.

l. - POSITION DU PROBLÈME.

1. - Une banque avait viré, par erreur, la somme d'un million de


francs au crédit d'un compte. Le titulaire de celui-ci s'empressa d'effec-
tuer des prélèvements et des transferts, de telle sorte qu'il se trouva dans
l'impossibilité de rembourser lorsque l'erreur fut découverte.

2. - Dans un pareil cas, le banquier, qui a vraisemblablement fait


le virement soit sans ordre, soit à un autre compte que celui mentionné
dans l'ordre, a le droit de rectifier l'erreur par une contrepassation. Si
le pseudo-bénéficiaire a retiré le montant du virement, le banquier peut
lui en réclamer le remboursement. TI s'agit en effet d'un paiement indu (1),
dans le chef du banquier {2).
Le droit civil vient ainsi en aide au solvens. Mais le comportement de

(l) Articles 1235, 1376 et suivants du Code civil. Sur les conditions requises pour
qu'il y ait obligation de restituer, voy. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil
belge, t.III, se éd., 1967, p. 10, n° 5, et p. ll, nO 7; c. GAVALDA et J. STOUFFLET, Droit
de la banque, 1974, p. 448, no 349; M. CABRILLAC et J.-L. RIVES-LANGE, vo Virement;
Encycl. Dalloz, Commercial, IV, 1975, n° 62.
(2) Voy. J. VAN RYN et J. HEENEN, Principes de droit commercial, t. III, 1re éd.,
Bruxelles, 1960, p. 299, n° 2063, qui examinent les divers cas qui peuvent se présenter
en pratique. Sur la responsabilité éventuelle de la banque, voy. L. SIMONT et A. BRUY-
NEEL, <<Chronique de droit bancaire privé - Les opérations' de banque (1978-1979) 1>,
Rev. Banque, 1979, p. lll, no 49.
36 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

l'accipiens indélicat peut-il tomber sous le coup de la loi pénale? Nous


allons voir qu'il en va différemment en France et en Belgique. En effet,
en droit français, la rétention frauduleuse d'un paiement effectué par
erreur échappe à toute répression, tandis qu'en droit belge, elle fait
l'objet d'une ·infraction particulière : le cel frauduleux (3).

II. - DROIT FRANÇAIS.

3. - Le vol est, on le sait, la soustraction frauduleuse de la chose


d'autrui. La jurisprudence française interprète largement la notion de
soustraction et, assimile au vol une série de situations de fait, où ne se
retrouve pas cet élément constitutif, et qui n'ont pas été incriminées
comme telles par la loi (4).
Ainsi, ont été considérées comme des vols l'appréhension d'une chose
perdue (5) et l'appropriation illicite d'un trésor (6), à condition qu'au
moment de la découverte de la chose, l'inventeur ait l'intention de la
garder pour lui (7).
Les critères objectifs, matériels, de la soustraction ont subi un certain
effacement, dans un but d'efficacité répressive, alors que des critères plus
<<intellectuels>> tendent à venir au premier plan (8). D'tme part, par
référence à la théorie civiliste de la possession (9), la soustraction a été

(3) Article 508 du Code pénal. A infraction particulière, terminologie spéciale : le


mot cel est ignoré des dictionnaires de la langue et fait uniquement partie du langage
juridique belge, tant en doctrine qu'en jurisprudence, par analogie avec le terme recel.
Notons que le traité des Pandectes (t. XVI, 1885), consacré à cette matière, est intitulé
<< Cèlement d'objets trouvés ou obtenus par hasard.- Cèlement d'un trésor>>. Le mot
cèlement ne figure d'ailleurs pas plus dans les dictionnaires. On a écrit également<< recel
frauduleux>> (notice de cass., 5 juillet 1875, Pas., 1875, I, 332) et <<cel délictueux>>
(cass., 18 janvier 1909, Pas., 1909, I, lOO). L'action de celer (cacher) se dit celation en
médecine légale, en parlant de la grossesse (LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française,
1873). En ancien français, on trouve également les formes celaison (A. HATZFELD et
A. DARMESTETER, Dictionnai1·e général de la langue Jmnçaise, t. I, 1890-1900) et celison
(A. J. GREIMAS, Dictionnaire de l'ancien français jusqu'au milieu du XIVe siècle, 2e éd.,
1968). Assez curieusement, les recueils de jurisprudence réunissent parfois sous un
intitulé unique cel et recel, infractions pourtant fort différentes.
(4) Voy. R. LEGROS,<< Considérations sur le vol>>, Rev. dr. pén. et crim., 1954-1955,
p. 666, n° 12, qui souligne que cette tendance<< a nécessairement pour incidence fâcheuse
de ne pas alerter le législateur sur la nécessité de nouvelles incriminations >>.
(5) Cass. fr., 31 mai 1978, Gaz. pal., 1979, 21-22 mars, p. 8, Rev. sc. crim. et dr. pén.
comp., 1979, p. 337, chron. P. BouzAT. Voy. J. VASSOGNE et O. BERNARD, V0 Vol,
Encycl. Dalloz, Droit pénal, 1969, nos 44 et suiv.; A. CHAVANNE et M.-CL. FAYARD,
V0 Vol, Juriscl. pénal, 1973, nos 158 et suiv., et la jurisprudence citée par ces auteurs.
(6) Cass. fr., 24 novembre 1976, Bull. crim., n° 342, D.S., 1977, inf. rap., 40; 3 mars
1894, s., 1895, l, 157.
(7) Cass. fr., 11 mai 1928, S., 1930, l, 40. Voy. R. Vourn, Précis de droit pénal spé-
cial, 4e éd. par M.-L. RASSAT, t. rer, 1976, p. 27, no 15.
(8) Voy. C. J. BERR, <<Aspects actuels de la notion de soustraction frauduleuse>>,
Rev. sc. crim. et dr. pén. comp., 1967, p. 56, no 8, qui ajoute qu'« il n'est pas étonnant,
dans ces conditions, que la notion apparaisse à bien des égards comme dénuée de la
netteté si indispensable aux concepts juridiques>> (Idem, p. 52, n° 3).
(9) Voy. J. LÉAUTÉ, <<Le rôle de la théorie civiliste de la possession dans la juris-
prudence relative au vol, à l'escroquerie et à l'abus de confiance>>, in La Chambre
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 37

définie comme étant << la prise de possession à l'insu et .contre le gré du


propriétaire ou précédent possesseur( ... ), l'usurpation, invita domino, de
la véritable possession dans ses deux éléments simultanés et concomi-
tants du corpus et de l'animus >> (10), ce qui permet de viser non seule-
ment l'hypothèse où l'agent s'est mis lui-même en. possession, mais aussi
certains cas où il a reçu la chose par tradition. D'autre part, la soustrac-
tion est perçue de moins en moins comme une activité purement maté-
rielle et consiste de plus en plus en un rapport de volontés entre l'auteur
de l'infraction et sa victime (11).

4. - La jurisprudence française décide qu'il ne peut y avoir vol en


cas de remise purement volontaire de la chose par son propriétaire ou
possesseur (12), ni lorsque l'accipiens se l'est fait remettre par dol ou
fraude (13). Mais n'est pas assimilée à une remise volontaire, celle qui
est faite par un tiers abusé par le voleur sur le véritable propriétaire de
la chose et qui n'a été qu'tm instrument passif (14), pas plus que eel1e
effectuée par un dément, un débile mental ou un enfant (15). ·

5. - En revanche, selon la Cour de cassation de France, il y a bien


vol, même en cas de remise volontaire de la chose par son propriétaire,
lorsque celui-ci l'a transmise sous condition tacite d'une restitution
immédiate (16) ou dans des conditions telles que le tradens n'ait, pas

criminelle et sa jurisprudence, Recueil d'études en hommage à la mémoire de M. Patin,


Paris, 1966, p. 233.
(10) E. GARÇON, Code pénal annoté, éd. par ~1. RousSELET, M. PATIN et M. ANCEL,
t. Il, Paris, 1956, p. 575, n° 48. Le professeur Garçon fut l'initiateur de cette doctrine.
Sur les limites de cette théorie, voy. D. VEAUX, <<Vol et transfert de propriété,>, Mé-
langes en l'honneur du Doyen P. Bouzat, 1981, p. 368, n° 30.
(11) Voy. P. A. PAGEAUD, <<L'intention de la victime comme critère de la notion
de soustraction 1>, J.C.P., 1955, I, 1256.
(12) Cass. fr., 24 novembre 1927, Bull. crim., n° 266; 26 avril 1955, D., 1955, 455.
(13) Cass. fr., 8 novembre 1878, D., 1879, I, 387; 11 décembre 1879, S., 1880, 1,
336; 10 février 1954, S., 1955, 1, 44; 23 mai 1973, Gaz. pal., 12-13 septembre 1973,
Rev. sc. crim. et dr. pén. comp., 1973, p. 909, chron. P. BouZAT. Si l'accipiens use de
manœuvres frauduleuses, il se rend éventuellement coupable d'escroquerie. Mais de
simples mensonges ne constituent pas, en principe, de telles manœuvres (cass. fr.,
16 octobre 1957, Bull. crim., n° 636; cass., 5 novembre 1974, Pas., 1975, I, 277). Voy.
toutefois M.-P. LucAs DE LEYSSAC, <<L'escroquerie par simple mensonge? 1>, D., 1981,
chron., 17.
(14) Cass. fr., 10 février 1954, Bull. crim., n° 69, Rev. sc. crim. et dr. pén. comp.,
1955, p. 326, chron. P. BouzA~'; 24 octobre 1972, Bull. crim., n° 306, Rev. sc. crim. et
dr. pén. comp., 1973, p. 417, chron. P. BouZAT.
(15) Cass. fr., 18 mai 1876, S., 1876, 1, 317, D., 1877, 1, 95; 31 août 1899, D., 1902,
1, 331; 25 mai 1938, D.H., 1938, 453; 15 décembre 1960, D., 1960, 190, obs., S., 1960,
116; T.G.I. Versailles, 13 mai 1970, Gaz. pal., 1971, 1, 34, obs. J.-P. DouCET; cass. fr.,
25 janvier 1973, D., 1973, I.R., 40; 4 mai 1973, Bull. c1·im., n° 207; 26 juin 1974, Bull.
crim., n° 243; 17 janvier 1978, Gaz. pal., 19-20 juillet 1978, p. 19, Rev. sc. crim. et dr.
pén. comp., 1978, p. 867, chron. P. BouzAT.
(16) Par exemple lorsque la chose est remise en simple communication, en vue d'une
vérification. Voy. cass. fr., 11 janvier 1867, S., 1867, 1, 306; 1er mars 1951, D., 1951,
277; 28 mai 1975, Bull. crim., no 138.
38 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE ;BELGE

entendu abandonner la possession (17). En effet, dans .ces hypothèses,


<<la détention purement matérielle, non accompagnée d'une remise de
la possession, n'exclut pas l'appréhension qui constitue un des éléments
du délit de vol>> (18).
Cette jurisprudence, qui se fonde sur la notion civiliste de possession,
a donc assimilé à la soustraction frauduleuse, la simple rétention frau-
duleuse, quand seul le corpus a été livré, sans aucune intention de trans-
férer la possession ou la détention (possession précaire), au sens du droit
civil (19).

6. - Pourtant, en dépit de la définition très large qu'elle a donnée


de la notion de soustraction, la jurisprudence française refuse d'assimiler
au vol la rétention frauduleuse d'une chose remise par erreur (20), au
motif que cette remise exclut la soustraction, qui << emporte l'idée d'une
appréhension, d'un enlèvement qui doit être le fait du coupable>> (21).
Ce principe a été affirmé à de nombreuses reprises par la Cour de cassation
de France, que l'erreur porte sur l'objet remis (22}, sur la quittance de
la totalité de la dette dont seule une partie a été payée (23}, ou sur la
personne de l'accipiens (24).
On justifie d'ordinaire ces décisions en constatant qu'en pareil cas, il
y a une véritable tradition de la possession et que << la justa causa de cette

(17) Cette interprétation extensive, <<mue par de louables motifs pratiques 11, est
généralement approuvée par la doctrine. Voy. P. BouZAT, chron., Rev. sv. crim. et dr.
pén. vomp., 1969, p. 410.
(18) Voy. notamment cass. fr., 4 juin 1915, D., 1921, 1, 57, obs. NAST, S., 1918-1919,
1, 225, obs. Roux; 17 février 1949, S., 1949, 1, 149, obs. LEMEROIER; 21 avril 1964,
J.O.P., 1965, II, 13.973, obs. R. ÜTTENHOF; 4 novembre 1964, J.O.P., 1965, II, 14.066,
obs. A. CHAVANNE; 21 février 1968, J.O.P., 1969, II, 15.703, obs. DE LESTANG, Rev.
sv. crim. et dr. pén. vomp., 1969, p. 410, chron. P. BoUZAT; 28 mai 1975, Bull. vrim.,
n° 138; Il janvier 1977, D.S., 1977, I.R., 88, Bull. crim., n° 13, J.O.P., 1977, IV, 60;
10 février 1977, J.O.P., 1977, IV, 89, Bull. vrim., n° 57; 30 novembre 1977, J.O.P.,
1978, IV, 39; Bull. vrim., n° 381; Rev. sc. crim. et dr. pén. vomp., 1978, p. 355, chron.
P. BouzAT.
(19) Voy. E. GARÇON, op. cit., p. 590 et suiv. : <<le détenteur qui n'a sur l'objet
qu'un pouvoir ·de fait et qui en abuse, qui s'en sert pour s'approprier cet objet, est
dans le même cas que s'il avait commis une soustraction : c'est un voleur 11 (p. 593,
n° 204).
(20) Le cas de l'erreur provoquée par l'accipiens a été mentionné supra, note 13.
(21) Cass. fr., 17 janvier 1930, Gaz. pal., 1930, l, 501; 22 janvier 1948, S., 1949,
1, 149, obs. LEMERCIER, Rev. sv. crim. et dr. pén. camp., 1949, p. 748, chron. P. BoUZAT,
J.O.P., 1948, II, 4345, obs. M.-J. PIERRARD. Voy. cass. fr., 24 octobre 1972, Gaz. pal.,
25-27 mars 1973, p. 9, Rev. sv. vrim. et dr. pén. vomp., 1973, p. 417, chron. P. BouzAT.
(22) Surtout à l'occasion de la réception d'une somme supérieure à celle ·qui est
due. Voy. cass. fr., 1er mars 1850, Bull. vrim., n°-75, S., 1850, 1, 635, D., 1850, 1, 118;
22 mai 1856, Bull. crim., n° 188, S., 1856, 1, 690, D., 1856, 1, 373; 14 nov.embre 1861,
Bull. vrim., no 228, S., 1862, 1, 553, D., 1862, 1, 56; 7 janvier 1864, D., 1864, 1, 328;
2 décembre 1871, Bull. crim., n° 171, S., 1872, 1, 148, D., 1871, 1, 353; 15 mars 1917,
S., 1920, 1, 234; 23 octobre 1958, Bull. crim., n° 650, J.O.P., 1958, IV, 167.
(23) Cass. fr., 25 août 1853, Bull. vrim., n° 423, D., 1853, 5, 488.
(24) Cass. fr., 2 mai 1845, Bull. crim., n° 158, S., 1845, 1, 474, D., 1845, 1, 298;
31 janvier 1856, Bull. vrim., n°, 36; 5 janvier 1861, Bull. crim., n° 5, S., 1861, 1, 320;
D., 1861, 1, 48; 15 juillet 1909, Bull. crim., n° 375; 2 février 1912, Bull. crim., n° 64;
17 janvier 1930, précité; 22 janvier 1948, précité; Paris, 14 avril 1959, J.O.P., 1959,
n, 11.250.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

tradition se trouve dans la double volonté des parties, l'une de trans-


mettre, ou plus exactement d'abdiquer la possession, l'autre de l'acquérir.
Sans doute, cette remise s'explique ordinairement par un acte juridique·
antécédent, vente, payement, contrat de transport, etc.; mais cet acte
n'est que le motif de la tradition. Or, l'erreur portant sur ce motif n'em-
pêche pas que la volonté des parties ne se soit rencontrée pour produire·
un effet déterminé, à savoir : le transfert de la possession; l'accipiens·
ensaisiné ne peut donc plus usurper la possession, c'est-à-dire soustraire :
il détourne>> (25). Et cette explication vaut, que l'erreur soit commune
aux deux parties lors de la remise ou même qu'elle n'existe que dans le·
chef du seul tradens, l'accipiens sachant, au moment de la tradition,.
qu'il reçoit ce qui n'est pas dû (26).
Dans l'état actuel du droit français, le titulaire d'un compte bancaire-
qui retient frauduleusement les sommes qui y ont été versées par erreur,
ne peut donc être poursuivi devant les juridictions répressives.

7. - On remarquera toutefois le peu de cohérence de la solution


française. ll existe, en effet, une contradiction flagrante entre la juris-
prudence relative à la remise par erreur et celle qui décide que << la déten-
tion purement matérielle, non accompagnée d'une remise de possession,.
n'exclut pas l'appréhension qui constitue un des éléments du délit de
vol>> (27). Lorsque son consentement est vicié par l'erreur, la victime
transmet-elle autre chose qu'une << détention purement matérielle >> ? Que·
l'erreur porte sur l'objet même de la tradition ou sur la personne du
destinataire, peut-on considérer que les volontés se soient vraiment
rencontrées (28)?
L'explication, parfois avancée (29), que le droit civil assure, par la
répétition de l'indu, une protection suffisante, ne nous paraît pas con-
vaincante, car il faudrait alors exclure du droit pénal tous les cas où la

(25) E. GARÇON, op. cit., p. 586, n° 134.


(26) Idem, no 135.
(27) Voy., en ce sens : H. DoNNEDIEU DE VABRES,<< De la soustraction frauduleuse·
en matière de vol l), Rev. sc. crim. et dr. pén. comp., 1941, p. 204; P. BouzAT, chron.,
idem, 1948, p. 300; P. A. PAGEAUD, op. cit., J.C.P., 1955, I, 1256; A. CHAVANNE et
M.-CL. FAYARD, op. cit., no 71.
(28) Pourquoi faire échapper à la répression celui qui reçoit un paiement indu puis.
le garde frauduleusement et punir comme un voleur le destinataire d'un objet qui,
frauduleusement, conserve un autre objet d'une valeur bien supérieure, incorporé au
précédent par l'effet d'une inadvertance (cass. fr., 5 janvier 1861, D.P., 1861, 1, 48;
11 juillet 1862, D.P., 1862, 1, 443; 5 avril 1873, D.P., 1873, 1, 95; 15 juillet 1909,.
Bull. crim., n° 375; 24 novembre 1927, S., 1929, 1, 160; 27 janvier 1930, Gaz. pal.,.
1930, 1, 501) ou le nouvel occupant d'un immeuble qui reçoit et s'approprie une lettre,
adressée à l'ancien locataire, dont il est devenu fortuitement détenteur, ainsi que le:
chèque qu'elle contient et qu'il endosse à l'ordre d'une société dont il est le directeur?
(cass. fr., 30 novembre 1977, J.C.P., 1978, IV, 39). Voy. R. Vourn, op. cit., p. 28,.
n° 16, qui souligne que la solution donnée dans le cas de la remise faite par erreur ne
concorde pas avec la jurisprudence qui assimile à la remise involontaire ou inconsciente
celle qui, faite volontairement, n'est cependant consentie que dans l'ignorance de la.
valeur de l'objet ou de la nature de l'acte accompli (cass. fr., 28 mars 1846, S., 1846,..
1, 328; 28 février 1896, D., 1897, 1, 176; 4 juin 1908, Bull. crim., n° 231).
(29) C. J. BERR, op. cit., p. 86, n° 42.
-40 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

victime a la possibilité de faire valoir' ses droits au civil : vol, abus de


··confiance, chèque sans provision ...
La contradiction est insoluble et on a proposé d'abandonner la juris-
-prudence relative à la remise par erreur (30). Toutefois, comme il serait
injuste d'infliger le sort du<< voleur vulgaire>>, de celui qui s'est emparé
·du bien d'autrui, à<< un homme dont le seul tort, certain, mais moindre,
·est d'avoir profité d'une situation de fait dont il n'était pas l'auteur >>,
·On a proposé de créer, à l'exemple de certains droits étrangers, un délit
nouveau (31).
C'est la démarche suivie par le législateur belge dès 1867.

Ill. - DROIT BELGE : LE CEL FRAUDULEUX.

A. - L'incrimination.

8. - L'article 508 du Code pénal belge punit<< d'un emprisonnement


·de huit jours à deux ans et d'une amende de vingt-six à cinq cents francs :
ceux qui, ayant trouvé une chose mobilière appartenant à autrui ou en
.ayant obtenu par hasard la possession, l'auront frauduleusement celée
ou livrée à des tiers; ceux qui, ayant découvert un trésor, se le seront
approprié au préjudice des personnes auxquelles la loi en attribue une
partie >>.
Cette infraction, dénommée habituellement cel frauduleux vise trois
comportements délictueux différents : le fait, pour l'agent, de fraudu-
leusement celer ou livrer à des tiers une chose mobilière appartenant à
'autrui, qu'il a trouvée (32); le même fait à l'égard d'une chose dont. il a
·obtenu par hasard la possession; celui, enfin, de s'approprier illicitement
un trésor (33). Seul le second aspect nous intéresse dans le cadre limité
·de cette étude.
Ainsi qu'il apparaît des travaux préparatoires du Code pénal, l'ar-
-ticle 508 avait une triple justification.

(30) H. DoNNEDIEU DE VABRES, op. cit., p. 204.


(31) Idem, ibid. Il ne suffirait pas de mettre les qualifications de vol, d'abus de con-
-fiance et d'escroquerie en conformité avec les solutions jurisprudentielles, comme cer-
·tains l'ont proposé : M.-S. CousiN-HOUPPE,<< Vers une continuité de la loi pénale dans
le domaine des principales infractions portant atteinte juridique aux biens >>, Rev. sc.
-crim. et dr. pén. comp., 1977, p. 794.
(32) En France, il peut s'agir d'un vol : voy. supra., n° 3. L'article 1er de la loi
belge du 30 décembre 1975 (Monit., 17 janvier 1976) punit des peines prévues à l'ar-
-ticle 508 du Code pénal << quiconque, en dehors des propriétés privées, trouve un bien
·dont il ne connaît pas le propriétaire et s'en empare (et ne le remet pas), sans retard,
.à une administration co=unale, de préférence à celle du lieu où ce bien a été trouvé >>.
La loi précise que <<cette obligation ne s'applique toutefois pas aux biens placés en
·dehors d'une habitation aux fins d'enlèvement ou jetés aux immondices>>. Il semble
que le droit de la Grèce classique punissait de mort << celui qui s'emparait d'une chose
-trouvée>>, suivant Diogène de Laërte, Vie des Philosophes, I, 2. Voy. J.-J. THONISSEN,
.Le droit pénal de la République athénienne, Bruxelles, 1875, p. 302.
(33) C'est-à-dire en violation de l'article 716 du Code civil. En France, il peut s'agir
,d'un vol. Voy. supra, no 3. Platon rangeait parmi les grands criminels celui qui avait
·dérobé un trésor considérable (Lois, VIII). Voy. J.-J. THONISSEN, op. cit., p.-302, note 6.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 41

Tout d'abord, il fallait exclure du champ d'application du vol certains


comportements assimilés à cette infraction par la jurisprudence, malgré
leur caractère sui generis : le fait, d'une part, de trouver une chose
appartenant à autrui et de la retenir frauduleusement et, d'autre part,
celui de découvrir un trésor et de se l'approprier illégalement. En effet,
le vol << suppose que l'agent a appréhendé la chose d'autrui, avec l'inten-
tion d'en dépouiller le propriétaire)) (34). Si cette résolution est posté-
rieure à la prise de possession, le fait << ne constitue donc ni un vol, ni un
abus de confiance; c'est une fraude sui generis, qui n'est prévue par
aucune loi pénale, mais qui mérite d'être réprimée)) (35).
En second lieu, ces faits doivent être réprimés de façon distincte, car
il faut leur appliquer des peines moins sévères que celles qui frappent
le vol. En effet, << sous le rapport de la moralité du fait ou de la culpabilité
de l'agent, la conscience publique établit une notable différence entre
celui qui ramasse frauduleusement une chose perdue et le voleur ordi-
naire )) (36).
Enfin, troisième justification : il était nécessaire d'étendre la répres-
sion à une situation qui n'était pas assimilée au vol (37) par la jurispru-
dence et était donc impunie : << le cas où, par hasard, on est entré en
possession d'un objet mobilier d'autrui, c'est-à-dire où, par suite d'une
erreur, on a livré à quelqu'un des effets ou des valeurs qui devaient être
remis à un autre)) (38). Ici, l'agent acquiert la possession de la chose par
la tradition, alors que dans les hypothèses précédentes, il l'obtenait par
1' occupation (3 9).

(34) J.-J. HAus, Exposé des motifs, in J. NYPELS, Législation criminelle de la Bel-
gique, t. III, Bruxelles, 1868, p. 509, n° 54.
(35) Idem. ibid. De plus se pose une question de preuve : ((le fait d'appréhender
une chose perdue ne dit rien; il est muet; il ne prouve point que son auteur a le dessein
de s'approprier cette chose; car il peut s'en saisir avec l'intention de la restituer au
propriétaire, quand celui-ci la réclamera. La culpabilité de l'agent doit donc être
appréciée d'après les faits qui ont suivi l'appréhension 1) (Idem, p. 510). Même raisonne-
ment en cas de rétention frauduleuse d'un trésor (Idem, p. 512).
(36) Idem, p. 510. Avant tout, ((un vol peut conduire à des actes de violences; il
jette, dans tous les cas, un juste effroi dans la société; tandis qu'aucun effet semblable
ne résulte de l'appréhension frauduleuse d'une chose perdue>). Voy. R. LEGROS, ((Con-
sidérations sur le vol Il, Rev. dr. pén. et crim., 1954-1955, p. 654, n° 3 : ((L'important
dans le vol, c'est la violence extrinsèque, la ruse intrinsèque, et l'effroi qu'elles provoquent 1),
(37) Il est intéressant de noter qu'en droit romain la réception d'un paiement faite
frauduleusement par une personne qui n'est pas créancière est englobée dans la notion
très large du vol (contrectatio jraudulosa) : Dig., 47, 2, 43, 2. Voy. TH. MoMMSEN, Le
droit pénal romain, trad. par J. DUQUESNE, t. III, Paris, 1907, p. 37, note 2. En droit
anglais la. rétention frauduleuse d'une chose transmise par erreur est expressément
considérée comme un vol par la loi : Thejt Act de 1968, section 5 (4). Cette disposition
vise tous les cas dans lesquels celui qui reçoit la chose par erreur a l'obligation de la
restituer ou de rendre sa valeur. Voy. J. SMITH et B. HoGAN, Oriminal Law, 3e éd.,
Londres, 1973, p. 418.
(38) J.-J. HAUS, op. cit., p. 511.
(39) ((Dans l'un et l'autre cas, le délit consiste à retenir frauduleusement la chose
ou à la livrer à des tiers, c'est-à-dire à la vendre, la donner en gage, en prêt, etc., dans
l'intention d'en dépouiller le propriétaire 1) (Idem, p. 511).
42 REVUE CRITIQUE:DE JURISPRUDENCE BELGE

B. - L'élément matériel.

1° La possession d'lille chose mobilière appartenant à autrui.

9. -.Ainsi que le prévoit l'article 508 du Code pénal, le cel fraudu-


leux exige, dans le chef de son auteur, la possession d'lille chose mobilière
appartenant à autrui (40).
Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt commenté, le demandeur en
cassation estimait que <<par l'inscription de la somme litigieuse sur son
compte à vue chez la défenderesse, (il n'avait) pas, en raison de la nature
juridique de cette inscription, obtenu la possession d'lille chose mobilière~
de sorte que la condition essentielle d'application de l'article 508 du .Code
pénal n'était pas établie et qu'en condamnant le demandeur, l'arrêt (de
la Cour d'appel avait violé) cette disposition légale>>.
Tout d'abord, il faut observer que, pas plus ici qu'en matière de vol,
il n'y a lieu d'appliquer toutes les dispositions du Code civil sur la dis-
tinction des biens (41). On emploie le sens usuel des mots, débarrassé de
la fiction juridique (42). Mais, dans notre cas, sens juridique et sens
courant peuvent se rejoindre.
Le compte en banque << résulte d'une convention expresse ou tacite et
constitue un acte juridique : les banquiers conviennent avec leurs clients
que leurs opérations seront réglées par lille inscription en compte, ce qui
permet de déterminer à tout moment la position créditrice ou débitrice
des parties>> (43). Le virement, mécanisme bancaire intimement lié. à la
notion de compte, s'analyse en une <<opération par laquelle lill compte
en banque est, à la demande de son titulaire, débité d'une certaine somme
afin de la porter au crédit d'un autre compte>> (44). C'est un acte juri-
dique à caractère formel, qui se réalise par une double passation en
compte. <<Par l'inscription au débit de son compte, le donneur d'ordre
voit sa créance contre le banquier diminuer tandis que celle du bénéfi-
ciaire augmente au moment où son compte est crédité>> (45). Le virement
ne se réduit pas à lill simple mandat (46). Son bénéficiaire est donc
titulaire d'un droit de créance.

(40) La chose celée doit appartenir à autrui; mais <<il importe peu que l'identité
du légitime propriétaire de la chose n'ait pu être constatée>> (cas.'l., 18 janvier 1909.
Pas., 1909, I, 100).
(41) F. BALLION, v 0 Gel j1·auduleux, R.P.D.B., Oompl., t. II, 1966, p. 149, n° 4.
(42) Il s'agit d'une application de la règle de l'autonomie du droit pénal. Voy.
R. LEGROS, <<Essai sur l'autonomie du droit pénal>>, Rev. dr. pén. et crim., novembre
1956, n° 17. Pour des exemples récents de ce principe en matière de vol, voy. J .-L. Gou-
TAL, <<L'autonomie du droit pénal : reflux et métamorphose>>, Rev. sc .. crim. et d1·.
pén. camp., 1980, p. 911, n° 38.
(43) J. V AN RYN et J .. HEENEN, op. cit., t. III, pe éd., p. 283, no 2039.
(44) Idem, p. 295, no 2056.
(45) Idem, p. 297, n° 2059.
(46) En effet, <<le banquier devient lui-même débiteur du bénéficiaire dès le moment
où la somme est inscrite au compte de celui-ci>> (idem, p. 298, n° 2059) et« la créance
nouvelle. que le bénéficiaire acquiert à l'égard du banquier trouve sa cause dans le
contrat de dépôt de fonds qu'il a conclu avec celle-ci>> (Idem, p. 299, no 2062). Sur le
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 43

Or, tout droit quelconque (47) peut faire l'objet d'une possession (48)-
·emprise immédiate et effective sur une chose (49) - et les droits de
~réance sont en principe meubles (50).

10~ - Ce raisonnement nous paraît avoir été confirmé par la Cour


·de cassation dans l'arrêt commenté, qui déclare que le moyen manque en
droit, au motif que le juge du fond a justifié légalement sa décision
<< que, par l'inscription de cette somme au crédit de son compte, le deman-
deur a obtenu par hasard la possession d'une chose mobilière apparte-
nant à autrui>> (51).
L'arrêt doit être d'autant plus approuvé que le virement, selon la
jurisprudence, est un<< véritable transfert de fonds réalisé par l'inscription
du montant à virer au crédit du compte du bénéficiaire >> et que << ce trans-
fert de monnaie scripturale est, sur un mode plus abstrait, le simple
·équivalent juridique de la transmission d'une somme d'argent>> (52).

2° L'obtention par hasard de la possession.

11. - En l'absence de définition légale, le mot hasard doit être pris


-dans son sens usuel (53) : lm concours de circonstances, un événement
fortuit ou inexplicable (54), <<tout cas fortuit, imprévu>> (55). Il s'agit
d'une question de fait, appréciée souverain.ement par le juge du fond (56).
Le hasard est lme notion essentiellement relative : un événement sera

régime juridique des virements effectués par le débit d'un compte ouvert auprès d'une
banque en faveur d'un compte tenu par une autre banque, voy. L. SIMONT et A. BRUY-
NEEL, op. cit., p. 109, n° 48.
(47) L'article 1240 du Code civil est relatif au· paiement f!l'it c< à celui qui est en
possession de la créance>>.
(48) H. DE PAGE, op. cit., t. V, p. 726, n° 828.
(49) Idem, p. 723, n° 827.
(50) 'Idem, p. 622, n° 693. S'il s'agit d'un.compte courant, voy. infra, n° 20.
(51) La première branche du moyen, qui n'est pas reproduite dans la Pasicrisie
(1979, I, 1081) mais bien dans la Revue de droit pénal et de criminologie (1979, p. 688),
précise la conception que se faisait le prévenu de la notion de chose mobilière, qui est,
selon lui, ~la même que dans l'article 528 du Code civil>>. Il en déduisait que <<seuls
les meubles dont la propriété peut être acquise par la possession, c'est-à-dire ceux qui
peuvent se transporter d'un lieu à un autre, tombent sous l'application de (l'article 508
du Code pénal)>> et« que l'inscription d'une so=e sur un compte à vue n'est en aucun
cas le transfert d'une chose, mais qu'elle est une opération comptable s'analysant en
un mandat faisant naître une créance au profit du bénéficiaire de cette inscription ».
Cette branche ne visait toutefois que l'absence éventuelle de réponse aux conclusions
par l'arrêt attaqué.
(52) Bruxelles, 29 janvier 1965, Pas., 1966, II, 36. Voy. J. VAN RYN et J. HEENEN,
Examen de jurisprudence. Titres négociables, opérations de bourse, opérations de
.banque>>, Revue, 1972, p. 400, n° 55; L. SIMONT et A. BRUYNEEL, op. cit., p. 110, n° 48.
(53) Cass., 31 décembre 1883, J.T., 1883, p. 53, Pas., 1891, II, 364, en note.
(54) Grand Larousse de la langue française, t. III, 1973, p. 2383. L'expression<< par
hasard>> signifie <<d'une manière fortuite ou accidentelle>> (Ibid.).
(55) Cass., 31 décembre 1883, précité. << Evénements imprévus et non liés à une
.cause légitime>> (J. NYPELS et J. SERVAIS, Le Code pénal interprété, t. IV, 1899, p. 191,
n° 4); <<événement qui n'a été ni voulu, ni prévu» (R.P.D.B., v° Cel frauduleux, n° 13).
(56) Oass., 31 décembre 1883, précité.
44 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

un cas fortuit pour telle personne, alors qu'il a été prévu, voire voulu
par telle autre (57).
La cause déterminante de l'arrivée de l'objet entre les mains du délin-
quant peut être une erreur, un accident, un malentendu, sans qu'il faille
distinguer si cette remise est le fait soit d'un intermédiaire (58), soit de
la victime elle-même (59). Dans ce dernier cas, le solvens peut être inca-
pable de consentement valable, en droit comme en fait (60). Son consen-
tement peut aussi être exclu par l'erreur qu'il commet sur la personne
du destinataire (61), l'identité, la nature ou la valeur de la chose
remise {62). Un des cas les plus fréquents en pratique est la réception
d'un double paiement, par exe;mple par virement postal (63).

12. - Il semble bien, en revanche, que la jurisprudence n'assimile


pas au hasard l'erreur qui vicie le consentement ou la volonté de l'auteur
de la remise, mais sans les rendre inexistants, par exemple l'erreur sur
les obligations de ce dernier ou sur les droits du bénéficiaire {64). Ainsi
la Cour de cassation décide qu'il n'y a pas cel frauduleux lorsque le débi-
teur remet par erreur au créancier le montant total d'une facture, dans
l'ignorance qu'un tiers en a déjà acquitté une partie pour lui, car cette
somme fait <<partie d'une somme plus forte qui lui avait été consciem-
ment et volontairement payée)) (65). De même, ne commet pas ce délit
le prévenu qui reçoit une somme d'argent qui lui a été remise en paie-
ment d'un loyer qui lui est dû et qui fait frauduleusement une fausse
quittance pour acompte, s'appropriant ainsi une partie de la somme
versée, sans qu'elle vienne en déduction de la dette (66).

13. - On sait que<< lorsque l'infraction se rattache à l'exécution d'un

(57) R.P.D.B., eod. v 0 , no 13.


(58) Le hasard consiste alors dans l'erreur commise par ce dernier (Idem, n° 14).
(59) Pand., v 0 Oèlement d'objets trouvés, n° 23.
(60) J. NYPELS et J. SERVAis, op. cit., p. 192, n° 7. Voy. corr. Turnhout, 4 février-
1881, B.J., 1881, 368; corr. Courtrai, 21 novembre 1888, Pas., 1889, III, 176.
(61) Voy. cass., 31 décembre 1883, précité (chèque); Gand, 17 novembre 1880, Pas.,.
1881, Il, 197 (effet de commerce); Gand, 31 mai 1884, J.T., 1884, p. 743 (lettre).
(62) Voy. cass., 6 février 1961, Pas., 1961, I, 607 (encaissement d'une somme supé-
rieure au montant d'un chèque lors de la perception de celui-ci au guichet d'une banque);.
Gand, 16 janvier 1871, Pas., 1871, II, 286 (pièce d'or d'une valeur supérieure); Gand,.
27 mai 1891, Pas., 1891, II, 364 (paiement indu) : <<L'erreur, alors même qu'elle émane
du propriétaire de la chose remise, constitue un véritable cas fortuit et imprévu à l'égard
de celui à qui elle procure inopinément la possession d'une chose qui ne devait lui être
remise à aucun titre : l'intention du propriétaire, outre qu'elle est viciée dans son
essence par l'erreur ne diminue en rien le hasard à l'égard de celui qui re9oit la chose)),
(63) A. MARCHAL et J.-P. JASPAR, Droit criminel, t. rer, 2e éd., 1965, p. 592, n° 1598.
(64) R.P.D.B., eod. vo, no 18.
(65) Cass., 25 avril 1932, Pas., 1932, I, 136, notice; Rev. dr. pén. et crim., 1932,.
p. 620.
(66) Cass., 20 avril 1931, Pas., 1931, I, 140, notice. Ne commet pas non plus de cet
frauduleux, la personne qui re9oit en paiement partiel de sa marchandise une certaine-
somme, puis nie l'avoir re9ue et refuse de la r.estituer (Bruxelles, 9 février 1886, J.T.,
1886, p. 349). En effet, la remise de la somme est bien ici le résultat d'une volonté
consciente et valable du propriétaire (J. NYPELS et J. SERVAis, op. cit., t. IV, p. 193,.
n° 7).
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 45·

contrat dont l'existence est déniée ou dont l'interprétation est contestée,


le juge de répression, en statuant sur l'existence de ce contrat ou sur-
son exécution, se conforme aux règles du droit civil 1> (67). La preuve du
paiement à l'origine du cel est donc régie par les dispositions du Code-
civil, notamment par l'article 1341 relatif à la preuve testimoniale (68)·
ou elle peut être faite par toutes voies de droit lorsque l'accipiens est
commerçant et qu'il n'est pas établi que le paiement a w1e cause étran-
gère au commerce (69).

3° L'appropriation illicite par le cel ou la cession.

14. - Il faut une appropriation matérielle de l'objet (70), soit secrè-


tement, en le celant, soit ostensiblement, par sa tradition à des tiers (71) ..
Selon un arrêt rendu le 12 janvier 1925 par la Cow· de cassation ..
l'article 508 du Code pénal<< érige en infraction le fait de celui qui, ayant
trouvé une chose mobilière appartenant à autrui, ou en ayant obtenu
par hasard la possession, en dispose à son profit au préjudice du proprié-
taire ou du possesseur véritable 1> (72). En effet, c'est en faisant appel à
la notion de possession et à l'élément intentionnel, à l'animus (73) qui
l'accompagne nécessairement, que l'on peut caractériser les différents.
délits contre les propriétés ou contre les éléments du patrimoine. Ces.
infractions sont constituées par le passage illicite de la possession animo-
domini du légitime propriétaire ou possesseur à l'auteur du délit. Pour
le cel frauduleux, ce passage se réalise par une rétention anima dominï
d'une chose obtenue par hasard (74). Ce délit et le vol<< ont cette affinité,
qu'ils consistent tous deux dans l'appropriation frauduleuse de la chose
d'autrui 1> (75). Selon l'arrêt précité du 12 janvier 1925, <<la volonté de·
s'approprier la chose ( ... ) résulte, selon le législateur, de certains agisse-
ments qu'il indique sous la forme alternative, et qui consistent à avoir·
frauduleusement celé ou livré la chose à des tiers; ( .... ) il apparaît ainsi ( ... );
que les faits de cel ou de cessions à des tiers ( ... ) ne sont que des signes;
extérieurs manifestant légalement sous des aspects différents l'intention

(67) Article 16, alinéa l er, de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire·
du Code de procédure pénale. Il s'agit d'un exemple de l'application du système de la.
légalité des preuves en droit pénal. Voy. R. LEGRos,<< La. preuve légale en droit pénal 11,
in La preuve en droit, Bruxelles, 1981, p. 168. Voy., en matière d'abus de'confia.nce:
ca.ss., 5 octobre 1977, Pas., 1978, I, 148.
(68) Ca.ss., 25 avril 1932, Rev. dr. pén. et crim., 1932, p. 620.
(69) Cass., 6 février 1961, Pas., 1961, I, 607.
(70) A. MARCHAL et J.-P. JASPAR, op. cit., t. Jer, p. 592, n° 1601.
(71) Pand., eod. vo, no 43; J. CoNSTANT, Manuel de droit pénal, 2e P., t. Il, 1949,
p. 267, n° 1219.
(72) Pas., 1925, I, 105.
(73) Pour être possesseur, il faut l'animus domini, <<l'intention de se comporter en
maître de la chose ou du droit, d'agir à titre de propriétaire 11 (H. DE PAGE, op. cit.,
t. V, p. 741, n° 843). Cette intention se rencontre notamment chez <<celui qui entend
garder la chose ou user du droit, tout en sachant pertinemment qu'i1 n'est point pro-
priétaire de cette chose ou titulaire de ce droit (possesseur de mauvaise foi) : le voleur~
par exemple 11 (Ibid.).
(74) S. HUYNEN, obs. sous Bruxelles, 28 janvier et 4 février 1946, J.P., 1946~ p .. 302.
(75) Ca.ss., 18 janvier 1909, Pas., 1909, I, lOO.
·46 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

d'appropriation, élément constitutif de l'infraction ùnique que cette


·disposition légale définit et punit>> (76).

15. - Geler signifie cacher, garder, tenir secret, caché (77), soustraire
.aux regards, nier la possession de l'objet, soit à l'autorité, soit au véri-
table propriétaire, conserver la chose nonobstant la réclamation de ce
·-dernier (78). Mais, ainsi que le décide la Cour de cassation,<< s'il est vrai
que le cel frauduleux comprend le fait par l'agent de nier la possession
.de l'objet ( ... ), comme le genre comprend l'espèce, il ne l'implique pas,
·et ( ... ) le fait de << celer >> peut se réaliser en dehors de toute dénégation
par l'inventeur de la possession de l'objet, comme il appert d'ailleurs
clairement des travaux préparatoires; ( ... ) la soustraction matérielle de
1'objet aux regards n'est qu'tine des formes que peut revêtir le cèlement
·et n'a pas été érigée par la loi en condition essep.tielle du fait qu'elle
incrimine >> (79).

16. - Livrer à des tiers, c'est disposer de la chose à titre onéreux


-ou gratuit. Le législateur a voulu <<comprendre sous une expression
.générique tous les actes de disposition, sans entrer dans tme énumération
:inutile >> (80).

C. - L'élément moral : l'intention frauduleuse.

17. - Pour déterminer l'élément moral d'une infraction, il faut


·~<
rechercher la volonté du législat01.ll' en se fondant sur le texte qui
réprime cette infraction et la nature de celle~ci >> (81).
L'élément moral du cel, le dol spécial requis, est l'intention fraudu-
leuse (82). La loi n'exige pas un dessein plus précis dans le chef de l'agent,
comme par exemple la volonté de nuire. Décider le contraire serait tenir
·compte, à l'encontre de la volonté du législateur, du mobile (83). <<Le
juge, dans tous les cas, doit s'attacher à ne tenir compte que du mobile
·ou du motif précis retenu par la loi, à l'exclusion des mobiles et des

(76) Les travaux préparatoires de l'article 508 précisent également que c'est l'ap-
tpropriation frauduleuse qui doit être punie. Voy. J. NYPELs, op. cit., p. 601.
(77) Grand Larousse de la langue française, t. Ier, 1971; P. RoBERT, Dictionnaire
·de la langue française, t. Ier, 1953.
(78) Pand., eod. v 0 ., n° 44.
(79) Casa., 4 novembre 1912, Pas., 1913, I, 7. En l'espèce le cèlement a consisté,
pour l'agent, dans le fait d'offrir en vente un tapis en se faisant passer pour le proprié-
·taire de cet objet qu'il s'était approprié. Compar. casa., 5 juillet 1875, Pas., 1875, I, 332.
(80) J. NYPELS, op. cit., p. 601.
(81) Casa., 16 septembre 1974, Pas., 1975, I, 54.
(82) Agit avec intention frauduleuse, <<celui qui a pour but de se procurer à lui-
même ou à autrui des profits, des avantages illicites>> (R. LEGROS, L'élément moral dans
-les infractions, Liège-Paris, 1952, p. 233, n° 278. Compar., en matière de. faux en écri-
tures, casa., 22 février 1977, Pas., 1977, I, 659, et en matière de banqueroute fraudu-
leuse, J. P. SPREUTELS, <<Considérations sur la banqueroute>>, in L'entreprise en difficulté,
Bruxelles, 1981, p. 353, n° 34).
(83) Compar., en matière de recel, J. P. SPREUTELs, <<L'élément moral du.recel >>,
.J.T., 1978, p. 30, n° 4.
REVUE _CRITIQUE DE JURISP_RUDENCE _BEL.GE 47

motifs .personnels à l'agent et spéciaux au cas d'espèce, c'est-à-dire les


intérêts ou les sentiments plus lointains qui ont déterminé l'action>> (84).
Le législateur a voulu <<exprimer par le mot frauduleusement, géné-
ralement employé dans le Code, l'intention de s'enrichir aux dépens
d'autrui, essentielle au fait dont il s'agit>> (85). La Cour de cassation a
défini l'intention frauduleuse requise par l'article 508 comme étant <<la
recherche d'un enrichissement ou d'un profit>>, sans distinguer <<entre
les profits ou avantages d'ordre politique et ceux d'une autre nature>> (86).
Cette intention peut exister soit au moment de l'appréhension, soit seu-
lement plus tard (87). C'est lorsqu'elle naît que le délit est consommé et
que la prescription commence à courir (88). Il s'agit d'une infraction
instantanée. C'est le fait de s'approprier frauduleusement la chose, non
de la détenir illégalement (89).
Ainsi que le soulignent les travaux préparatoires, <<cette intention ne
résulte pas du fait même, car l'agent peut garder la chose avec le dessein
de la rendre, dès qu'il en découvrira le propriétaire ou qu'il aura con-
naissance de la réclamation de ce dernier>> (90). C'est donc par les circon-
stances qui ont accompagné le fait que le dessein frauduleux doit être
prouvé (91), ce qui peut causer de sérieuses difficultés (92).

18. - Dans l'arrêt du 16 mai 1979, la Cour de cassation confirme sa


définition de l'intention frauduleuse - << la recherche d'un enrichissement
ou d'un profit >> - et décide que le juge du fond a justifié légalement
sa décision que le' prévenu a agi dans une pareille intention en énonçant
<<que l'esprit de fraude qui a animé le prévenu s'est matérialisé ( ... ) par
les transferts ou prélèvements qui l'ont mis dans l'impossibilité de resti-
tuer le bien d'autrui >>.

19. - Dans l'espèce soumise à la Cour, les faits étaient assez simples.
Le titulaire du compte n'avait effectué aucun transfert ou prélèvement
avant de s'être aperçu que les fonds lui avaient été virés par erreur. La

(84) R. LEGRos, op. cit., n° 275.


(85) J. NYPELS, op. cit., p. 601. L'auteur du délit doit<< avoir agi frauduleusement,
c'est-à-dire dans la vue de réaliser un bénéfice)) (Idem, p. 602).
(86) Cass., ,30 octobre 1939, PaB., 1939, 1, 444.
(87) J. NYPELS et J. SERVAIS, op. cit., t. III, p. 193, n° 8.
(88) G. ScHUIND, Traité pratique de droit criminel, 4e éd., par A. V ANDEPLAS, t. Ièr,
Bruxelles, 1980, p. 459; R.P.D.B., eod. vo, no 34.
(89) Liège, 31 juillet 1878, PaB., 1879, III, 63. Cette solution est actuellement
admise par la doctrine unanime. Toutefois les PandecteB (eod. v 0 , nos 50 et 51) .font une
distinction entre la tradition de l'objet, fait instantané, et son cèlement, fait continu.
Le recel est un délit instantané en droit belge, mais continu en droit français.
(90) Exp6sé des motifs, in J. NYPELS, op. cit., p. 511.
(91) Idem, ibid. Voy., par exemple, corr. Dinant, 8 décembre 1931, Rev. dr. pén.
et crim.,-1932, p. 412.
(92) J. NYPELS et J. SERVAIS, op. cit., p. 193, n° 8 : <<Souvent la preuve résultera
de certai:Os· faits significatifs qui. ont suivi l'appréhension : le prévenu a nié avoir
trouvé ou reçu la chose; il l'a déposée au Mont-de-piété; il n'a aucun égard à la récla-
mation du' propriétaire qui est connu, etc ... )), L'existence de l'intention frauduleuse
est appré'ci~e souverainement par le juge du fond (cass., 5 juillet 1875, PaB;, I, 332).
Revue Critique 1984, 1 - 4.
48 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

situation peut toutefois être différente si, entre l'arrivée des fonds et la
découverte de l'erreur par le titulaire du compte, ce dernier a déjà
enregistré diverses opérations, tant au crédit qu'au débit. Dans ce cas,
l'erreur peut être signalée par la banque à son client, spontanément ou
après réclamation de la part du véritable bénéficiaire du virement. Le
titulaire du compte peut aussi s'apercevoir de l'erreur lui-même, par
exemple au reçu· d'un extrait de compte. A ce moment, le compte pré-
sente un nouveau solde qui est évidemment nul, débiteur ou créditeur.
Dans les deux premières hypothèses - compte nul ou débiteur - , le
titulaire de celui-ci n'est plus en possession de la créance résultant du
virement par erreur.
En effet, le compte est un <<acte juridique, générateur d'obligations
ou, à tout le moins, de conséquences juridiques qui en sont le résultat
recherché)) (93). Le compte bancaire substitue à un ensemble d'obliga-
tions une obligation unique, concrétisée à tout moment par un solde
unique (94). Celui-ci est lui-même l'expression d'une obligation ou d'un
droit de créance <<résiduaire 1>, véritablement né du compte. N'étant plus
en possession de la créance résultant du virement par erreur, le titulaire
du compte serait donc bien incapable de la celer ou de la livrer à des
tiers frauduleusement. En effet, on l'a vu (95), le cel frauduleux est un
délit instantané, qui n'est consommé qu'à la naissance de. l'intention
frauduleuse, même si celle-ci est postérieure à l'entrée en possession de
la chose. La solution est la même que s'il s'était agi d'une somme d'ar-
gent ou de tout autre meuble corporel qui aurait été aliéné par celui qui
en avait obtenu par erreur et de bonne foi la possession, avant qu'il ne
s'aperçoive de l'erreur commise.
L'existence de l'intention frauduleuse, de même que le moment où
elle apparaît, sont des éléments dont la preuve incombe évidemment au
ministère public. Lorsque le compte enregistre de nombreuses opérations
dans les deux sens, parmi lesquelles le virement par erreur est noyé, le
caractère éventuellement frauduleux des retraits postérieurs à celui-ci
ne pourra pas toujours résulter de la simple lecture du compte. Le
parquet devra alors se fonder sur des éléments extrinsèques pour établir
la mauvaise foi de l'agent.
La question est plus délicate si, au moment où le titulaire du compte
prend conscience de l'erreur, le solde est créditeur. Il ne pourra plus,
dès lors, disposer de ce solde que dans la mesure où celui-ci n'est pas
constitué par les fonds provenant du versement erroné, sous peine de
commettre un cel frauduleux. Il faudra donc << disséquer 1> le compte et
comparer le total des retraits effectués depuis l'inscription du virement

(93) J. v AN RYN et J. HEENEN, Principe8 de droit commercial, t. rer, 2e éd., Bruxelles,


1976, p. 46, no 28.
(94) Idem, ibid.; A ..M. STRANART, <<La saisie-arrêt >l, LeB voieB conBervatoireB et
d'exécution- Bilan et perBpective, Bruxelles, 1982, p. 126; P. VAN ÜMMESLAGHE, <<Le
droit et la. comptabilité : réflexions sur les effets juridiques du compte)}, Journ. dr.
flBcal, 1977, p. 322, no 2.
(95) Voy. Bupra, n° 17. Rappelons que c'est l'appropriation frauduleuse de la. chose
qui est réprimée et non le simple fait de la. posséder ou de la. détenir illicitement.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 49

par erreur au montant de la créance acquise indûment. Si les retraits


égalent ou dépassent ce montant, il faut considérer que le titulaire du
compte n'est plus en possession de la somme virée par erreur. Si, au con-
traire, les retraits sont inférieurs au montant du versement erroné, le
titulaire du compte ne pourra plus disposer du solde créditeur de celui-ci
à concurrence de cette différence.

20. - La situation serait-elle différente s'il s'agissait d'un compte


courant? Rappelons que celui-ci est <<un contrat par lequel deux ou
plusieurs personnes en relation d'affaires conviennent que les créances
et les dettes réciproques naissant de leurs opérations entreront dans ce
compte, afin d'en faire masse et d'en suspendre la liquidation, à charge
de payer, à la clôture du compte, le solde qui résultera de la compensation
générale effectuée à ce moment)) (96). Dans la théorie classique, par ce
que, faute de mieux, on appelle l'effet << novatoire )) du compte courant,
toute créance entrant en compte est éteinte et remplacée par des droits
nouveaux résultant du contrat de compte courant lui-même (97). Les
créances sont transformées en articles de crédit et de débit. Aussi long-
temps que le compte <<court)), aucune des parties n'est créancière ni
débitrice de l'autre, en vertu du principe dit de l'<< indivisibilité)) (98).
En conséquence, les divers articles de crédit et de débit ne se compensent
pas entre eux (99) et la partie dont la position en compte est créditrice
ne peut exiger aucun paiement de ce chef (lOO).
Une application stricte de cette théorie classique, en particulier du
principe de l'indivisibilité, pourrait modifier les solutions envisagées plus
haut. En effet, dans la mesure où l'on considérerait le compte courant
comme un ensemble indivisible, on ne pourrait isoler le solde tel qu'il
se présente à un moment donné - celui de la prise de conscience de
l'erreurpar le titulaire -pour déduire, si ce solde est nul ou débiteur,
que la créance résultant du virement par erreur est éteinte. On ne pour-
rait pas non plus << disséquer )) le compte pour faire apparaître la mesure
dans laquelle le solde créditeur éventuel serait constitué par les fonds
versés par erreur. Il faudrait, au contraire, ne tenir compte que du solde
final du compte, tel qu'il se présenterait à la çlôture de celui-ci.
Toutefois, une application aussi stricte de la théorie du compte courant
irait à l'encontre de la jurisprudence et de la doctrine récentes.
En effet, malgré l'effet novatoire, l'entrée d'une obligation eri compte
n'en fait pas disparaître complètement toutes les caractéristiques. Ainsi,
la disparition de l'obligation ou la diminution de son montant postérieure-
ment à son entrée en compte doit aboutir à une modification correspon-
dante de l'article du compte (101). Le principe de l'indivisibilité n'est

(96) J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., t. III, pe éd., Bruxelles, 1960, p. 315,
n° 2086.
(97) Idem, p. 324, n° 2097.
(98) Idem, p. 326, n° 2099.
(99) Idem, p. 327, n° 2100.
(100) Idem, p. 328, n° 2100.
(101) P. VAN ÜMMESLAGHE, op. cit., p. 328, n° 8, citant CHAVANNE, Essai sur la
notion de compte en droit civil, 1947, n° 154.
50 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

également plus admis d'une mamere absolue. Les divers articles du


compte ne sont pas unis par un lien tellement étroit, puisque certains
peuvent produire des effets juridiques indépendamment des autres. Ainsi
en est-il de la contrepassation en cas de non-paiement d'un effet es-
compté (102) ou, précisément, de virement par erreur (103). De plus, le
client d't.me banque peut généralement disposer à tout moment, par
chèque ou par virement, du crédit que le compte présente en sa
faveur (104). Chaque opération est suivie de l'établissement d'un arrêté
de compte, nécessaire au calcul des intérêts par échelle (105).
La principale dérogation au principe de l'indivisibilité a été apportée
par la Cour de cassation en ce qui concerne les sûretés constituées pen-
dant la période suspecte pour garantir le solde du compte courant (106).
On sait qu'à cette occasion la Cour a véritablement<< disséqué>> le compte
en considérant le solde débiteur provisoire comme une dette pure et
simple et en écartant la règle de l'indivisibilité en ce qui concerne les
remises réciproques postérieures à la constitution de la sûreté en les
traitant comme autant de paiements faits par le client ou de crédits
accordés par le banquier (107).
La question de la saisissabilité du compte courant avant la clôture de
celui~ci est encore sujette à controverses en droit belge (108). On peut
toutefois penser que la Cour de cassation, dans la ligne de la jurispru-
dence rappelée ci-dessus, ne serait pas hostile à admettre la saisissabilité
du solde créditeur du compte (109).
En conclusion, il semble bien que l'application stricte des mécanismes
classiques du compte courant, effet novatoire et indivisibilité, est écartée
lorsque'les intérêts des tiers sont en cause : créancier saisissant (llO) ou

(102) J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., t. III, }re éd., p. 326, n° 2099.
(103) Idem, p. 299, no 2063.
(104) F. T'KINT, <<L'application de l'article 445, alinéa 4, de la loi sur les faillites
aux sûretés constituées en période suspecte en garantie du solde d'un compte courant l>,
cette Revue, 1975, p. 74, n° 7 et la note 15. Voy. toutefois J. V AN RYN et J. HEENEN,
op. cit., t. III, p. 329, no 2101.
(105) Idem, ibid.
(106) Cass., 18 mai 1973, Pas., 1973, I, 873, note W.G.; R. W., 1973-1974, col. 1974
et les conclusions de M. le procureur général W. J. Ganshof van der Meersch; voy.
L. SIMONT et A. BRUYNEEL, op. cit., Rev. de la Banque, 1979, p. 689, n° 16 et les
références.
(107) Cet arrêt, qui consacre l'enseignement des professeurs Van Ryn et Heenen
(op. cit., III, }re éd., p. 337, no 2109), est dans la ligne de la théorie de la compensation
continue des créances et des dettes entrées en compte, formulée plus tard par J. M. NE-
LISSEN, De rekening courant, Anvers-Amsterdam, 1976, p. 241. Voy. A.-M. STRANART-
THILLY, <<Aspects du contrat de gage dans la jurisprudence récente l>, Bijzondere over-
eenkomsten- Actuele problemen, Anvers, 1980, p. 407.
(108) Voy. A.-M. STRANART-THILLY, <<Saisies-arrêts en banque l), Au service des
intermédiaires jinancim·s, Bruxelles, 1980, p. 47 à 49.
(109) A.-M. STRANART-THILLY, op. cit. à la note 107, p. 407, qui cite l'arrêt de la
Cour de cassation de France du 13 novembre 1973, D., 1974, chron. XXI, p. 101,
note J. L. RIVES-LANGE.
(110) Le fait d'admettre la saisie-arrêt du solde créditeur avant clôture du compte
est, en effet, une brèche dans le principe de l'indivisibilité du compte courant, dans
l'intérêt du tiers saisissant (A.-M. STRANART-THILLY, op. cit., p. 407). Mais on considère
généralement que la saisie ne rend alors, en principe, indisponible que le solde créditeur
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 51

curateur de faillite (111). Enfin, l'indivisibilité sera écartée dans la mesure


où elle méconnaît la réalité économique qu'est, à chaque instant, le
solde du compte (112).
C'est évidemment cette réalité que le juge pénal prendra en considé-
ration, dans un souci de protection des tiers et de la société en général,
pour déterminer si les éléments constitutifs de l'infraction de cel frau-
duleux sont réunis (113).

III. - CoNCLUSIONS.

21. - En France, la rétention frauduleuse d'une chose remise par


erreur ne constitue aucune infraction pénale. Si c'est très logiquement
que la jurisprudence française refuse d'y voir un vol, en l'absence de
véritable soustraction, cette solution est toutefois en contradiction avec
sa tendance vers une définition très large de cet élément constitutif du
vol, qui se rapproche ainsi de la notion de contrectatio du droit romain.
Il faut espérer que le législateur prenne conscience de ce problème et
érige le fait en une infraction distincte, semblable au cel frauduleux,
prévu par l'article 508 du Code pénal belge.

22. - L'arrêt commenté étend l'infraction de cel frauduleux à l'ap-


propriation illicite d'une somme virée sur un compte bancaire par erreur,
c'est-à-dire par hasard dans le chef du bénéficiaire.
Interprétant les termes de l'article 508 du Code pénal, la Cour de
cassation décide que le fait d'être titulaire de la créance résultant de
cette opération constitue bien la possession d'une chose mobilière appar-
tenant à autrui, au sens de la loi pénale. Certes, si l'on considère que les
termes légaux ne visent pas expressément cette situation, il s'agit d'une

existant au jour de la saisie (A.-M. STRANART-THILLY, op. cit., à la note 94, p. 127).
Certains se fondent toutefois sur le principe de l'indivisibilité pour justifier que les
effets de la saisie-arrêt d'un compte bancaire devrait s'étendre aux montants ultérieurs
se rattachant à des créances entrées en compte avant la saisie (voy. G. DE LEVAL,
« Saisies et droit commercial )), Les créanciers et la faillite, Commission droit et vie des
affaires, XXXIV 6 Séminaire, Liège, novembre 1982, Rapports, p. rv-29 et rv-30). La
raison invoquée est qu'il serait anormal de considérer le compte comme un ensemble
indivisible dans les relations entre correspondants et de ne pas permettre au créancier
du client de s'en prévaloir (Idem, p. rv-30). Tant l'application de l'indivisibilité que
son rejet sont ainsi invoqués dans l'intérêt des tiers!
(ll1) J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., t. III, pe éd., p. 327, n° 2100, qui pré-
cisent qu' << on ne doit pas hésiter à faire fléchir dans l'intérêt des tiers la règle de l'indi-
visibilité, dans la mesure où le mécanisme normal du contrat ne risque pas d'être
faussé» (Idem, p. 334, no 2106). On constate ainsi une tendance vers l'uniformisation
des règles applicables à la convention de compte, un rapprochement entre le compte
courant et le compte de dépôt (J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., t. Ier, 2 6 éd., p. 45,
no 28; P. VAN ÜMMESLAGHE, op. cit., p. 321).
(ll2) F. T'KlNT, op. cit., p. 74, n° 7 : <<Dans l'esprit des parties, le solde provisoire
est une créance réelle. Il apparaît au bilan des sociétés et dans toute situation comp-
table)),
(ll3) L'autonomie du droit pénal,<< en lui permettant de sanctionner des situations
qui débordent le cadre strict d'autres disciplines juridiques, renforce, en réalité, la
protection organisée par celles-ci)) (R. LEGRos, op. cit., à la note 42, n° 27).
52 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

interprétation extensive en droit contraignant, e'est-à-dire en défaveur


du prévenu. Celle-ci n'est possible que si elle se cantonne dans les limites
que constitue la volonté du législateur (114). Ce dernier n'a sans doute
pas envisagé le cas du virement par erreur, mais son intention est cer-
taine : punir l'accipiens qui, profitant de l'erreur du solvens, s'accapare
frauduleusement de l'objet du paiement indu. Et peu importe que celui-ci
soit effectué en espèces ou par une inscription au crédit d'un compte.
Prétendre le contraire serait d'ailleurs faire échapper à la répression un
nombre très élevé de ces agissements malhonnêtes, en raison de l'accrois-
sement considérable que connaît l'usage de la monnaie scripturale. Et si
l'on songe que c'est par celle-ci que se réalise souvent les plus importants
transferts de fonds, l'impunité serait d'autant plus inéquitable.

JEAN p. 8PREUTELS,
SUBSTITUT DU PROCUREUR DU ROI À BRUXELLES
AssiSTANT À LA FACULTÉ DE DROIT
DE L'UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES.

( 114) Voy. R. LEGROs, << Considérations sur les lacunes et l'interprétation en droit
pénal>>, Rev. dr. pén. et crim., octobre 1966.

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