Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Jurisprudence Belge: Revue Critique
Jurisprudence Belge: Revue Critique
DE
JURISPRUDENCE
BELGE
•
ANNÉE 1984
SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION :
Le Comité de Direction.
TRENTE-HUITIÈME ANNEE 1984
REVUE CRITIQUE
DE
JURISPRUDENCE BELGE
PREMIÈRE ESPÈCE.
Rapporteur : M. SuRY.
ARRÊT (traduction).
DEUXIÈME ESPÈCE.
Rapporteur: M. STRANARD.
O. COMMUNE DE SERAING-SUR-MEUSE
ET ÉTAT BELGE, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR.)
ARRÊT.
NOTE.
Unité ou dualité des notions de faute et d'illégalité.
Par arrêts du 15 juin 1967 (3), 27 juin 1968 (4) et 23 juillet 1968 (5),
le Conseil d'Etat annula des règlements-taxes adoptés par la commune
(1) Pas., 1981, I, 453; J.T., 1981, p. 417; R. W., 1981-1982, col. 1061 et conclusions
du procureur général Dumon.
(2) Pas., 1975, I, 130.
(2bis) J.T. 1982, 772 et conclusions de M. l'avocat général Velu.
(3) Cons. d'Etat, 15 juin 1967, 3 arrêts, n° 8 12459, 12460, 12461 : R.A.A.O.E., 1967.
p. 597.
(4) Cons. d'Etat, 27 juin 1968, arrêt n° 13092 : R.A.A.O.E., 1968, p. 59.
(5) Cons. d'Etat, 23 juillet 1968, arrêt n° 13ll7 : R.A.A.O.E., 1968, p. 646.
20 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
de Seraing pour les exercices 1962 à 1966 ainsi que les arrêtés royaux
qui les avaient approuvés. Il s'agissait d'arrêtés qui mettaient à charge
de charbonnages des taxes dites de<< démergement >>, destinées à financer
des << travaux de démergement >> afin de prévenir des inondations que les
affaissements de sol causés par l'exploitation des charbonnages aggra-
vaient.
Ces taxes étaient perçues à l'origine sur base du tonnage de houille
extrait, mais à partir de 1960, les communes décidèrent de les répartir
en proportion de la superficie des concessions, qu'elles soient encore ou
non exploitées. Le Conseil,~Etat justifia l'annulation de ces règlements-
taxes par le motif qu'en taxant des biens sans valeur ou des titres juri-
diques reconnaissant ou octroyant la propriété de biens dont les proprié-
taires ne peuvent plus tirer aucune faculté contributive, les communes
J violaient le principe de l'égalité devant l'impôt dans la mesure où la
matière imposée n'est qu'apparente. En se fondant sur la superficie des
concessions comme assiette de l'impôt, les communes se fondaient sur
une apparence - le titre juridique - et non sur la réalité des facultés
contributives que ce titre pouvait recouvrir alors que la faculté contri-
butiv~ d'1.me mine dépend évidemment de ses possibilités d'exploitation.
A la suite de ces arrêts, le charbonnage de Gosson-Kessales obtint
de la commune de Seraing-sur-Meuse le remboursement des taxes de
démergement qu'il lui avait payées sur base des règlements et arrêtés
annulés. La commune refusa par contre de payer des intérêts sur les
sommes indûment payées.
Le charbonnage assigna alors la commune et l'Etat, en la personne du
Ministre de l'Intérieur, afin d'obtenir leur condamnation in solidum au
paiement des intérêts sur les sommes décaissées au titre de taxes de
démergement pour les exercices 1962 à 1966. Cette action fut rejetée par
jugement du 7 juin 197 4 du tribunal de première instance de Liège. Le
charbonnage interjeta appel. En ordre principal, il invoquait l'article 74
des lois coordonnées du 15 janvier 1948 relatives aux impôts sur les
revenus, ·devenues depuis la coordination de 1968, l'article 308 du CIR;
à titre subsidiaire, le charbonnage invoquait l'article 1382 du Code civil
pour réclamer des intérêts compensatoires au taux de 6,5 %· L'arrêt
entrepris rendu le 24 avril1980 par la Cour de Liège confirma la décision
du tribunal déclarant l'action non fondée.
Le premier moyen de cassation invoquait la violation des articles 74
des lois. coordonnées sur les impôts sur les revenus du 15 janvier 1948
et 308 du CIR. Le moyen fut rejeté comme manquant en droit. Il concerne
uniquement l'interprétation de l'article 138 de la loi communale et des
dispositions fiscales précitées. Nous ne nous y attarderons pas.
Le second moyen soutenait que toute transgression d'une disposition
légale ou réglementaire constituait en soi une faute entraînant la res-
ponsabilité civile de son auteur. Il soulève donc, comme dans l'arrêt
du i9 décembre 1980, la question des rapports entre les notions d'illégalité
et de faute en affirmant qu'il y a méconnaissance de la notion légale de
faute.par l'arrêt entrepris dans la mesure oùil a décidé que la commune
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 21
et l'Etat n'avaient pas commis de faute, dès lors que l'illégalité des
règlements-taxes avait été constatée par les arrêts du Conseil d'Etat
dont l'autorité s'impose erga omnes.
La Cour d'appel de Liège avait décidé en effet<< que la diligence et la
prudence qui doivent servir de modèle sont seulement celles que l'on
peut attendre d'un homme normal et qui sont conformes aux usages;
que l'homme d'une prudence normale qui sert de comparaison pour
apprécier si une faute a été commise doit être placé dans les mêmes
conditions << externes >> que l'Etat; que l'omission d'une précaution excep-
tionnelle, qui aurait été inusitée en l'espèce et dont l'expérience ultérieure
aurait seulement démontré l'importance, ne constitue pas une faute;
qu'il faut considérer que pour nombre d'exercices antérieurs, des règle-
ments-taxes identiques avaient été pris et approuvés par arrêtés royaux
sans qu'il y ait jamais discussion ou réclamation; qu'il n'est pas acquis
que l'approbation aurait été accordée à la légère sans examen du pro-
blème; qu'il sied de constater, pour autant que de besoin, qu'il n'est pas
davantage constant que la défenderesse aurait fait preuve de légèreté
lorsqu'elle a décidé de la taxe; qu'on peut à nouveau rappeler que, pour
décider de l'illégalité des règlements-taxes, il a fallu procéder à des études
longues et minutieuses>>.
C'est en 1955 que le problème est pour la première fois abordé dans la
jurisprudence, par un arrêt de la Cour de Bruxelles (6) qui consacre la
thèse de la dualité des notions d'illégalité et de faute. L'espèce était
la suivante : un instituteur, reconnu résistant armé, avait en vain
invoqué l'arrêté-loi du 19 septembre 1945 qui dispose que<< Ut participa-
tion aux opérations militaires de la résistance armée constitue un service
militaire actif >>, pour être dispensé du service militaire; il réclamait à
l'Etat, à titre de dommages et intérêts, la réparation du préjudice causé
par la perte de son traitement d'instituteur pendant les 15 mois du
service militaire qu'il avait dû effectuer comme milicien, invoquant
à l'appui de cette demande un arrêt du Conseil d'Etat du 31 août 1951 (7)
qui avait décidé que le temps passé dans la résistance armée devait être
imputé sur le temps du service militaire actif. La Cour de Bruxelles
écarta la demande en considérant que << la faute· aquilienne ou quasi
délictuelle est une erreur de conduite telle qu'elle n'aurait pas été commise
par une personne avisée et placée dans les mêmes circonstances externes
que l'auteur du dommage; qu'il s'en déduit que l'erreur, commise par
l'auteur du dommage, est susceptible de constituer une cause d'exonéra-
tion quand un individu normal, placé dans les mêmes circonstances ou
conditions externes, l'aurait commise également et que l'erreur d'inter-
prétation reprochée à l'Etat n'a pas été à ce point évidente et certaine
(6) Bruxelles, 4 juillet 1955, Pas., 1957, Il, 31; R.G.A.R., 1957, no 5997 et note
R. 0. DALCQ,
(7) Cons. d'Etat, 31 août 1951, arrêt n° ll038 : R.A.A.O.E., 1951, p. 380.
22 REVUE ORITIQUE DE JURISPRUDENOE BELGE
que l'on puisse assurer qu'une personne avisée, placée dans les mêmes
circonstances que le pouvoir administratif, chargé de 1' exécution des
lois sur la milice, le recrutement et les obligations de service, coordonnées
par l'arrêté royal du 15 février 1937, et de la loi du 28 mars 1951, ne l'au-
rait point également commise >>.
Dès cette époque, cette solution nous a paru illogique et prenant parti
pour l'unité des notions d'illégalité et de faute, nous avions critiqué
l'arrêt de la Cour de Bruxelles dans les termes suivants : <<Saisi d'une
demande de dommages et intérêts fondée sur la violation d'une disposi-
tion légale, il appartenait au juge du fond de décider si oui ou non cette
disposition avait été violée. S'il estimait qu'il y avait eu violation de la
loi, il devait, par le fait même, décider que l'Etat avait commis une
faute et était tenu de réparer le dommage qu'il avait causé parce que la
violation de la loi constituait en soi une faute en dehors de toute considé-
ration d'imprudence ou de négligence. Il n'y a donc pas lieu en pareil cas
de recourir au critère de l'homme avisé et prudent, encore qu'on puisse
affirmer que par hypothèse l'homme avisé et prudent respecte la loi.
Mais c'est là un détour inutile de l'esprit : la violation de la loi constitue
une faute en soi et il suffisait dès lors en l'espèce à la Cour de décider si
la loi avait été violée ou non>> (8).
La Cour d'appel de Bruxelles s'est encore prononcée dans le même sens
dans ses arrêts du 11 mai 1970 (9) et du 19 décembre 1972 (10). Dans le
premier de ces arrêts, la demande se fondait sur un arrêt du Conseil
d'Etat du 1er décembre 1960 (11) annulant un arrêté royal du 5 août 1958
lequel annulait à tort une délibération du Conseil communal d'Ixelles
nommant le demandeur aux fonctions de directeur des bains communaux
à partir du 1er avril 1958 et tendait à obtenir à titre de réparation du
dommage une somme égale au traitement que le demandeur aurait -dû
percevoir entre le 1er avril 1958 et le }er décembre 1960. La Cour avait
rejeté la demande au motif que la délibération annulée par l'arrêté
royal ((n'était pas manifestement régulière; que l'on ne saurait oublier
que le gouverneur de la province, la députation permanente et le substitut
de l'Auditeur Général au Conseil d'Etat l'avaient aussi considéré comme
non conforme au susdit règlement; que l'on ne saurait davantage perdre
de vue que le texte de ce règlement n'est pas exempt d'une certaine
ambiguïté >>, en telle sorte que l'arrêt en avait déduit que<< l'~ppréciation
,de ce texte jugé erronée en droit n'est pas constitutif d'une faute; que
rien ne conduit à penser que l'annulation critiquée procède d'un.examen
.de la question fait à la légère ou d'un manque de compétence profes-
.sionnelle >>.
L'arrêt du 9 décembre 1972 est intervenu dans des conditions compa-
rables, après l'arrêt du Conseil d'Etat du 11 février 1969 (12) mais tout
(8) R.G.A.R., 1957, n° 5997; voy. aussi notre Traité de la resp. civ., t. rer, no 1347.
(9) Pas., 1971, II, 3; R.J.D.A., 1972, p. 152; R.G.A.R., 1972, no 8792.
(10) J.T., 1973, p. 407 et note J. SALMON.
(11) Arrêt n° 8243 : R.A.A.O.E., 1960, p. 914.
(12) Arrêt n° 13390: R.A.A.O.E., 1969, p. 177.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 23
***
Avant de signaler la jurisprudence en sens contraire, une réflexion
s'impose à propos de la thèse de la dualité des notions de faute et d'illé-
galité qui a ainsi été consacrée par trois de nos cours d'appel et la Cour
du travail de Gand. On peut se demander, en effet, s'il ne faut pas y voir·
une nouvelle manifestation de la réticence que les juridictions de fond
ont souvent montrée à se recopnaître compétentes pour sanctionner la
responsabilité des pouvoirs publics~ En effet, la thèse de l'unité n'était-
elle pas, sur le plan de la logique, beaucoup plus naturelle et plus facille
à admettre que celle de la dualité des notions de faute et d'illégalité?
L'analogie avec les solutions de la jurisprudence concernant l'identité
deE3 fautes civiles et pénales au sens de l'article 1382 du Code civil et-
des articles 418 et suiv. du Code pénal (14) ne pouvait-elle pas facilement
conduire les juridictions de fond à considérer que l'autorité des arrêts du
Conseil d'Etat imposait que l'illégalité constatée par la juridiction
administrative lie la juridiction civile, l'acte illégal étant nécessairement
illicite dans le chef des pouvoirs publics (15)?
(13) Non publié- cité par M. VELU dans ses conclusions : cf. J.T., 1982, p. 772.
(14) Cass., 5 octobre 1893, Pas., 1893, I, 321 et 328; cass., 7 janvier 1952, R.G.A.R.r
n° 5059; cass., 10 février 1949, Pas., 1949, I, 168; cass. 31 janvier 1980, R.G.A.R. 1981,.
no 10504; MAZEAUD et TUNe, t. II, no 1822; DALOQ, Traité de la responsabilité civile,
t. Il, nos 3995 et suiv.
(15) Cf. infra.
:24 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
***
A deux reprises, la Cour d'appel de Bruxelles s'est prononcée en
faveur de la thèse de l'unité des notions d'illégalité et de faute.
L'arrêt du 20 mars 1959 (25) intervint après qu'un arrêt du Conseil
d'Etat eut annulé une adjudication (26), ensuite de quoi un soumission-
naire évincé demanda la réparation du préjudice qu'il prétendait avoir
subi. La Cour d'appel de Bruxelles considéra que la faute de l'autorité
administrative résultait de l'arrêt du Conseil d'Etat décidant qu'il y
(16) Cf. notre Traité de la responsabilité civile, t. Jer, nos 1291 et suiv.
(17) Pas., 1920, I, 239.
(18) Cf. notre Traité de la responsabilité civile, t. Jer, nos 1312 et 1335; CAMBIER,
La responsabilité de la puissance publique, 1947, p. 120 et suiv.
(19) Notre Traité de la responsabilité civile, t. Jer, nos 1331 et suiv.
(20) Pas., 1963, I, 744 et conclusions du premier avocat général Van der Meersch;
R.O.J.B., 1963, p. 93 et note DABIN.
(21) Pas., 1963, I, 905; R.O.J.B., 1963, p. 116 et note DABIN.
(22) Pas., 1971, I, 952; R.G.A.R. 1971, n° 8703.
(23) Voy. par exemple pour la. mise en vigueur par l'arr. roy. du 16 décembre 1981
de l'art. 50 de la loi du 9 juillet 1975 sur le contrôle des assurances.
(24) Cf. notre étude sur<< La place de l'arrêt de la Cour de cassation du 7 mars 1963
dans la jurisprudence relative à la responsabilité de la puissance publique», Mélanges
Ganshof van der Meersch, t. 3, p. 40 et suiv.
(25) Pas., 1960, II, 156; J.T., 1961, p. 153.
(26) Cons. d'Etat, 9 mars 1956, arrêt no 5012, R.A.A.O.E., 1956, p. 185.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 25
III. - LA DOCTRINE.
(27) Pas., 1978, II, 114; J.T., 1979, p. 484, R.G.A.R., 1980, n° 10116 et note
GALLUS.
(28) Cons. d'Etat, 26 mars 1974, arrêt n° 16321, R.A.A.O.E., 1974, p. 305.
(29) WAELBROECK, <c Le juge belge et le droit communautaire>>, Rev.· belge de dr.
inter., 1965, p. 361; MAURICE FLAMME,« Pour un contrôle juridictionnel plus efficace de
l'administration», J.T., 1972, n° 439, p. 21; JACQUES SALMON, note sous Bruxelles,
19 décembre 1972 (supra, note 8); NoVELLES, Dr. adm., VI, Le Conseil d'Etat, 1975,
n° 1851; MAST, Overzicht van het Belgisch administratief recht, Se éd., 1981, n° 566,
p. 582.
26 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
du 13 mai 1982 en disant que : <<ce n'est ni la thèse de l'unité des notions
d'illégalité et de faute, ni la thèse de la dualité de ces notions; c'est une
position que l'on pourrait qualifier de médiane : si le fait pour l'au:torité
administrative d'excéder son pouvoir ·réglementaire est en principe
constitutif de faute, il n'en demeure pas moins que l'erreur de droit pour
autant qu'elle soit invincible ou tme autre cause étrangère peuvent
exonérer cette autorité de sa responsablité. >>
L'arrêt ne dit pas que l'erreur de droit invincible ou une autre cause
étrangère peuvent exonérer l'administration, contrairement à ce que dit
l'arrêt du 13 mai 1982 (cf. infra). A cet égard aussi, le sommaire de
l'arrêt à la Pasicrisie en dit plus que ne décide l'arrêt lui-même lorsqu'il
affirme<< d'une part, l'erreur quant à l'interprétation de la loi, ne constitue
une cause de justification que lorsqu'elle est invincible, d'autre part,
si la responsabilité personnelle du fonctionnaire est exclue en raison
d'une telle erreur, celle de l'administration publique elle-même ne l'est
pas nécessairement en raison de cette seule erreur personnelle >>.
Mais si ces problèmes n'ont pas été tranchés par l'arrêt, ils ont été
examinés dans les conclusions du procureur général Dumon qui pose très
exactement les questions soulevées par l'illégalité de l'acte, invoquée
comme fondement de l'action en responsabilité.
Le procureur général Dumon n'admet la thèse de l'unité des notions de
faute et d'illégalité qu'avec certaines réserves; il en craint les conséquen-
ces en présence de la complexité des normes qui s'imposent à l'administra-
tion et dont les sources sont aussi bien internationales que nationales.
Il lui paraît que la solutio17- à adopter doit prendre en considération,
d'l.llle part, les responsabilités respectives de l'administration et de ses
agents et, d'autre part, la distinction entre le caractère prévisible de
l'erreur d'interprétation et son caractère invincible. La première question
découle des solutions de notre jurisprudence au sujet de la responsabilité
personnelle de l'agent- organe ou préposé- à côté de celle de laper-
sonne morale de droit public. La seconde implique que pour rechercher si
l'erreur était ou non insurmontable, on tienne compte non seulement de
l'acte de l'agent mais aussi de la <<faute anonyme>> des services eux-
mêmes. Le procureur général conclut dès lors à la cassation parce que le
juge du fond s'est contenté de constater que l'erreur aurait pu être
commise par un autre fonctionnaire placé dans la même situation mais
sans rechercher si cette erreur était non seulement invincible pour
l'agent mais si elle n'impliquait pas aussi une faute du <<service >>.
L'arrêt du 13 mai 1982 est moins concis que celui du 19 décembre
1980; il le complète heureusement en précisant mieux la position de la
Cour qui suit en cela les conclusions de Monsieur V elu, avocat général.
Celui-ci rappelle notamment que l'Etat comme les autres personnes de
droit public sont soumis aux règles du droit civil et notamment à celles
qui régissent la réparation des dommages découlant des atteintes fautives
portées aux droits subjectifs ou aux intérêts ligitimes des particuliers.
La faute aquilienne, ajoute Monsieur V elu, peut présenter deux aspects :
ou bien, elle constitue une violation d'une norme de droit national ou de
droit international, ayant des effets directs dans l'ordre juridique national,
REVUE CRITIQUE DE -JURISPRUDENCE BELGE 29·
(43) Voy. dans ce sens DABIN et LAGASSE, R.C.'J.B., 1949, n° 19, et 1963, no 10;
DE PAGE, Traité, t. II, nos 595, 596, 926 et 935; notre Traité de la responsabilité civile,.
t. Ier, nos 260, 264bis et 301.
~30 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
V. - CONCLUSIONS.
Nous rejoignons ici l'exposé du procureur général Dumon dans ses con-
clusions (47). L'action dirigée contre l'administration aura alors une autre
cause que celle dirigée contre le fonctionnaire lui-même.
On pourrait dans cette perspective aller plus loin et considérer que si
1' erreur qui constitue 1'illégalité peut être invincible dans le chef de l'agent,
elle ne le sera jamais dans le chef de la personne morale elle-même, même
dans les hypothèses de changement de la jurisprudence ou d'intervention
d'une loi interprétative (48) parce que l'Etat est un en telle sorte que si
l'illégalité est la conséquence d'une intervention législative ou d'un
revirement de la jurisprudence, l'Etat doit encore en supporter les con-
séquences dès lors que l'illégalité est constatée erga omnes.
En est-il de même lorsqu'il s'agit de la violation de l'obligation générale
de prudence ? Apparemment non, bien qu'il soit sans doute exceptionnel
qu'on puisse constater dans ce cas séparément l'illégalité de l'acte. Dans
ce cas, le recours à la notion d'erreur invincible ne s'impose nullement;
il suffit pour que l'acte ne soit pas fautif que l'agent se soit comporté
comme un fonctionnaire normalement prudent pour qu'il ne puisse être
considéré en faute.
Mais ce critère peut-il être appliqué tel quel à l'administration? Nous
l'avons pensé (49) et cela nous paraît exact chaque fois que la respon-
sabilité de l'administration dans ce domaine est engagée en raison de
la faute· d'un de ses organes, déterminé ou indéterminé. Mais est-ce
encore vrai lorsqu'il s'agit de ce que Monsieur le procureur général Du-
mon appelle dans ses conclusions sous l'arrêt du 19 décembre 1980,
la faute anonyme du service? Le critère du bon père de famille a-t-il
encore un sens dans ce cas et ne suffit-il pas de constater ici encore que
l'administration est sortie du cadre légal auquel toute son activité est
nécessairement limitée. La faute du service est-elle une notion que
notre jurisprudence doit encore préciser, qui se distinguerait des caracté-
ristiques et des critères de la faute au sens de l'article 1382 du Code civil
ou doit-elle être confondue avec celle-ci en ce sens qu'il s'agirait de la
faute commise par l'ensemble des agents du service mais que d'autres
agents placés dans la même situation n'auraient pas commise?
R. o. DALCQ,
PROFESSEUR EXTRAORDINAIRE À LA F AOULTÉ DE DROIT
DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN,
Président : M. LEGROS,
président de section.
Rapporteur: M. SACE.
ARRÊT.
NOTE.
l. - POSITION DU PROBLÈME.
(l) Articles 1235, 1376 et suivants du Code civil. Sur les conditions requises pour
qu'il y ait obligation de restituer, voy. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil
belge, t.III, se éd., 1967, p. 10, n° 5, et p. ll, nO 7; c. GAVALDA et J. STOUFFLET, Droit
de la banque, 1974, p. 448, no 349; M. CABRILLAC et J.-L. RIVES-LANGE, vo Virement;
Encycl. Dalloz, Commercial, IV, 1975, n° 62.
(2) Voy. J. VAN RYN et J. HEENEN, Principes de droit commercial, t. III, 1re éd.,
Bruxelles, 1960, p. 299, n° 2063, qui examinent les divers cas qui peuvent se présenter
en pratique. Sur la responsabilité éventuelle de la banque, voy. L. SIMONT et A. BRUY-
NEEL, <<Chronique de droit bancaire privé - Les opérations' de banque (1978-1979) 1>,
Rev. Banque, 1979, p. lll, no 49.
36 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
(17) Cette interprétation extensive, <<mue par de louables motifs pratiques 11, est
généralement approuvée par la doctrine. Voy. P. BouZAT, chron., Rev. sv. crim. et dr.
pén. vomp., 1969, p. 410.
(18) Voy. notamment cass. fr., 4 juin 1915, D., 1921, 1, 57, obs. NAST, S., 1918-1919,
1, 225, obs. Roux; 17 février 1949, S., 1949, 1, 149, obs. LEMEROIER; 21 avril 1964,
J.O.P., 1965, II, 13.973, obs. R. ÜTTENHOF; 4 novembre 1964, J.O.P., 1965, II, 14.066,
obs. A. CHAVANNE; 21 février 1968, J.O.P., 1969, II, 15.703, obs. DE LESTANG, Rev.
sv. crim. et dr. pén. vomp., 1969, p. 410, chron. P. BoUZAT; 28 mai 1975, Bull. vrim.,
n° 138; Il janvier 1977, D.S., 1977, I.R., 88, Bull. crim., n° 13, J.O.P., 1977, IV, 60;
10 février 1977, J.O.P., 1977, IV, 89, Bull. vrim., n° 57; 30 novembre 1977, J.O.P.,
1978, IV, 39; Bull. vrim., n° 381; Rev. sc. crim. et dr. pén. vomp., 1978, p. 355, chron.
P. BouzAT.
(19) Voy. E. GARÇON, op. cit., p. 590 et suiv. : <<le détenteur qui n'a sur l'objet
qu'un pouvoir ·de fait et qui en abuse, qui s'en sert pour s'approprier cet objet, est
dans le même cas que s'il avait commis une soustraction : c'est un voleur 11 (p. 593,
n° 204).
(20) Le cas de l'erreur provoquée par l'accipiens a été mentionné supra, note 13.
(21) Cass. fr., 17 janvier 1930, Gaz. pal., 1930, l, 501; 22 janvier 1948, S., 1949,
1, 149, obs. LEMERCIER, Rev. sv. crim. et dr. pén. camp., 1949, p. 748, chron. P. BoUZAT,
J.O.P., 1948, II, 4345, obs. M.-J. PIERRARD. Voy. cass. fr., 24 octobre 1972, Gaz. pal.,
25-27 mars 1973, p. 9, Rev. sv. vrim. et dr. pén. vomp., 1973, p. 417, chron. P. BouzAT.
(22) Surtout à l'occasion de la réception d'une somme supérieure à celle ·qui est
due. Voy. cass. fr., 1er mars 1850, Bull. vrim., n°-75, S., 1850, 1, 635, D., 1850, 1, 118;
22 mai 1856, Bull. crim., n° 188, S., 1856, 1, 690, D., 1856, 1, 373; 14 nov.embre 1861,
Bull. vrim., no 228, S., 1862, 1, 553, D., 1862, 1, 56; 7 janvier 1864, D., 1864, 1, 328;
2 décembre 1871, Bull. crim., n° 171, S., 1872, 1, 148, D., 1871, 1, 353; 15 mars 1917,
S., 1920, 1, 234; 23 octobre 1958, Bull. crim., n° 650, J.O.P., 1958, IV, 167.
(23) Cass. fr., 25 août 1853, Bull. vrim., n° 423, D., 1853, 5, 488.
(24) Cass. fr., 2 mai 1845, Bull. crim., n° 158, S., 1845, 1, 474, D., 1845, 1, 298;
31 janvier 1856, Bull. vrim., n°, 36; 5 janvier 1861, Bull. crim., n° 5, S., 1861, 1, 320;
D., 1861, 1, 48; 15 juillet 1909, Bull. crim., n° 375; 2 février 1912, Bull. crim., n° 64;
17 janvier 1930, précité; 22 janvier 1948, précité; Paris, 14 avril 1959, J.O.P., 1959,
n, 11.250.
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
A. - L'incrimination.
(34) J.-J. HAus, Exposé des motifs, in J. NYPELS, Législation criminelle de la Bel-
gique, t. III, Bruxelles, 1868, p. 509, n° 54.
(35) Idem. ibid. De plus se pose une question de preuve : ((le fait d'appréhender
une chose perdue ne dit rien; il est muet; il ne prouve point que son auteur a le dessein
de s'approprier cette chose; car il peut s'en saisir avec l'intention de la restituer au
propriétaire, quand celui-ci la réclamera. La culpabilité de l'agent doit donc être
appréciée d'après les faits qui ont suivi l'appréhension 1) (Idem, p. 510). Même raisonne-
ment en cas de rétention frauduleuse d'un trésor (Idem, p. 512).
(36) Idem, p. 510. Avant tout, ((un vol peut conduire à des actes de violences; il
jette, dans tous les cas, un juste effroi dans la société; tandis qu'aucun effet semblable
ne résulte de l'appréhension frauduleuse d'une chose perdue>). Voy. R. LEGROS, ((Con-
sidérations sur le vol Il, Rev. dr. pén. et crim., 1954-1955, p. 654, n° 3 : ((L'important
dans le vol, c'est la violence extrinsèque, la ruse intrinsèque, et l'effroi qu'elles provoquent 1),
(37) Il est intéressant de noter qu'en droit romain la réception d'un paiement faite
frauduleusement par une personne qui n'est pas créancière est englobée dans la notion
très large du vol (contrectatio jraudulosa) : Dig., 47, 2, 43, 2. Voy. TH. MoMMSEN, Le
droit pénal romain, trad. par J. DUQUESNE, t. III, Paris, 1907, p. 37, note 2. En droit
anglais la. rétention frauduleuse d'une chose transmise par erreur est expressément
considérée comme un vol par la loi : Thejt Act de 1968, section 5 (4). Cette disposition
vise tous les cas dans lesquels celui qui reçoit la chose par erreur a l'obligation de la
restituer ou de rendre sa valeur. Voy. J. SMITH et B. HoGAN, Oriminal Law, 3e éd.,
Londres, 1973, p. 418.
(38) J.-J. HAUS, op. cit., p. 511.
(39) ((Dans l'un et l'autre cas, le délit consiste à retenir frauduleusement la chose
ou à la livrer à des tiers, c'est-à-dire à la vendre, la donner en gage, en prêt, etc., dans
l'intention d'en dépouiller le propriétaire 1) (Idem, p. 511).
42 REVUE CRITIQUE:DE JURISPRUDENCE BELGE
B. - L'élément matériel.
(40) La chose celée doit appartenir à autrui; mais <<il importe peu que l'identité
du légitime propriétaire de la chose n'ait pu être constatée>> (cas.'l., 18 janvier 1909.
Pas., 1909, I, 100).
(41) F. BALLION, v 0 Gel j1·auduleux, R.P.D.B., Oompl., t. II, 1966, p. 149, n° 4.
(42) Il s'agit d'une application de la règle de l'autonomie du droit pénal. Voy.
R. LEGROS, <<Essai sur l'autonomie du droit pénal>>, Rev. dr. pén. et crim., novembre
1956, n° 17. Pour des exemples récents de ce principe en matière de vol, voy. J .-L. Gou-
TAL, <<L'autonomie du droit pénal : reflux et métamorphose>>, Rev. sc .. crim. et d1·.
pén. camp., 1980, p. 911, n° 38.
(43) J. V AN RYN et J .. HEENEN, op. cit., t. III, pe éd., p. 283, no 2039.
(44) Idem, p. 295, no 2056.
(45) Idem, p. 297, n° 2059.
(46) En effet, <<le banquier devient lui-même débiteur du bénéficiaire dès le moment
où la somme est inscrite au compte de celui-ci>> (idem, p. 298, n° 2059) et« la créance
nouvelle. que le bénéficiaire acquiert à l'égard du banquier trouve sa cause dans le
contrat de dépôt de fonds qu'il a conclu avec celle-ci>> (Idem, p. 299, no 2062). Sur le
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 43
Or, tout droit quelconque (47) peut faire l'objet d'une possession (48)-
·emprise immédiate et effective sur une chose (49) - et les droits de
~réance sont en principe meubles (50).
régime juridique des virements effectués par le débit d'un compte ouvert auprès d'une
banque en faveur d'un compte tenu par une autre banque, voy. L. SIMONT et A. BRUY-
NEEL, op. cit., p. 109, n° 48.
(47) L'article 1240 du Code civil est relatif au· paiement f!l'it c< à celui qui est en
possession de la créance>>.
(48) H. DE PAGE, op. cit., t. V, p. 726, n° 828.
(49) Idem, p. 723, n° 827.
(50) 'Idem, p. 622, n° 693. S'il s'agit d'un.compte courant, voy. infra, n° 20.
(51) La première branche du moyen, qui n'est pas reproduite dans la Pasicrisie
(1979, I, 1081) mais bien dans la Revue de droit pénal et de criminologie (1979, p. 688),
précise la conception que se faisait le prévenu de la notion de chose mobilière, qui est,
selon lui, ~la même que dans l'article 528 du Code civil>>. Il en déduisait que <<seuls
les meubles dont la propriété peut être acquise par la possession, c'est-à-dire ceux qui
peuvent se transporter d'un lieu à un autre, tombent sous l'application de (l'article 508
du Code pénal)>> et« que l'inscription d'une so=e sur un compte à vue n'est en aucun
cas le transfert d'une chose, mais qu'elle est une opération comptable s'analysant en
un mandat faisant naître une créance au profit du bénéficiaire de cette inscription ».
Cette branche ne visait toutefois que l'absence éventuelle de réponse aux conclusions
par l'arrêt attaqué.
(52) Bruxelles, 29 janvier 1965, Pas., 1966, II, 36. Voy. J. VAN RYN et J. HEENEN,
Examen de jurisprudence. Titres négociables, opérations de bourse, opérations de
.banque>>, Revue, 1972, p. 400, n° 55; L. SIMONT et A. BRUYNEEL, op. cit., p. 110, n° 48.
(53) Cass., 31 décembre 1883, J.T., 1883, p. 53, Pas., 1891, II, 364, en note.
(54) Grand Larousse de la langue française, t. III, 1973, p. 2383. L'expression<< par
hasard>> signifie <<d'une manière fortuite ou accidentelle>> (Ibid.).
(55) Cass., 31 décembre 1883, précité. << Evénements imprévus et non liés à une
.cause légitime>> (J. NYPELS et J. SERVAIS, Le Code pénal interprété, t. IV, 1899, p. 191,
n° 4); <<événement qui n'a été ni voulu, ni prévu» (R.P.D.B., v° Cel frauduleux, n° 13).
(56) Oass., 31 décembre 1883, précité.
44 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
un cas fortuit pour telle personne, alors qu'il a été prévu, voire voulu
par telle autre (57).
La cause déterminante de l'arrivée de l'objet entre les mains du délin-
quant peut être une erreur, un accident, un malentendu, sans qu'il faille
distinguer si cette remise est le fait soit d'un intermédiaire (58), soit de
la victime elle-même (59). Dans ce dernier cas, le solvens peut être inca-
pable de consentement valable, en droit comme en fait (60). Son consen-
tement peut aussi être exclu par l'erreur qu'il commet sur la personne
du destinataire (61), l'identité, la nature ou la valeur de la chose
remise {62). Un des cas les plus fréquents en pratique est la réception
d'un double paiement, par exe;mple par virement postal (63).
(67) Article 16, alinéa l er, de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire·
du Code de procédure pénale. Il s'agit d'un exemple de l'application du système de la.
légalité des preuves en droit pénal. Voy. R. LEGRos,<< La. preuve légale en droit pénal 11,
in La preuve en droit, Bruxelles, 1981, p. 168. Voy., en matière d'abus de'confia.nce:
ca.ss., 5 octobre 1977, Pas., 1978, I, 148.
(68) Ca.ss., 25 avril 1932, Rev. dr. pén. et crim., 1932, p. 620.
(69) Cass., 6 février 1961, Pas., 1961, I, 607.
(70) A. MARCHAL et J.-P. JASPAR, op. cit., t. Jer, p. 592, n° 1601.
(71) Pand., eod. vo, no 43; J. CoNSTANT, Manuel de droit pénal, 2e P., t. Il, 1949,
p. 267, n° 1219.
(72) Pas., 1925, I, 105.
(73) Pour être possesseur, il faut l'animus domini, <<l'intention de se comporter en
maître de la chose ou du droit, d'agir à titre de propriétaire 11 (H. DE PAGE, op. cit.,
t. V, p. 741, n° 843). Cette intention se rencontre notamment chez <<celui qui entend
garder la chose ou user du droit, tout en sachant pertinemment qu'i1 n'est point pro-
priétaire de cette chose ou titulaire de ce droit (possesseur de mauvaise foi) : le voleur~
par exemple 11 (Ibid.).
(74) S. HUYNEN, obs. sous Bruxelles, 28 janvier et 4 février 1946, J.P., 1946~ p .. 302.
(75) Ca.ss., 18 janvier 1909, Pas., 1909, I, lOO.
·46 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
15. - Geler signifie cacher, garder, tenir secret, caché (77), soustraire
.aux regards, nier la possession de l'objet, soit à l'autorité, soit au véri-
table propriétaire, conserver la chose nonobstant la réclamation de ce
·-dernier (78). Mais, ainsi que le décide la Cour de cassation,<< s'il est vrai
que le cel frauduleux comprend le fait par l'agent de nier la possession
.de l'objet ( ... ), comme le genre comprend l'espèce, il ne l'implique pas,
·et ( ... ) le fait de << celer >> peut se réaliser en dehors de toute dénégation
par l'inventeur de la possession de l'objet, comme il appert d'ailleurs
clairement des travaux préparatoires; ( ... ) la soustraction matérielle de
1'objet aux regards n'est qu'tine des formes que peut revêtir le cèlement
·et n'a pas été érigée par la loi en condition essep.tielle du fait qu'elle
incrimine >> (79).
(76) Les travaux préparatoires de l'article 508 précisent également que c'est l'ap-
tpropriation frauduleuse qui doit être punie. Voy. J. NYPELs, op. cit., p. 601.
(77) Grand Larousse de la langue française, t. Ier, 1971; P. RoBERT, Dictionnaire
·de la langue française, t. Ier, 1953.
(78) Pand., eod. v 0 ., n° 44.
(79) Casa., 4 novembre 1912, Pas., 1913, I, 7. En l'espèce le cèlement a consisté,
pour l'agent, dans le fait d'offrir en vente un tapis en se faisant passer pour le proprié-
·taire de cet objet qu'il s'était approprié. Compar. casa., 5 juillet 1875, Pas., 1875, I, 332.
(80) J. NYPELS, op. cit., p. 601.
(81) Casa., 16 septembre 1974, Pas., 1975, I, 54.
(82) Agit avec intention frauduleuse, <<celui qui a pour but de se procurer à lui-
même ou à autrui des profits, des avantages illicites>> (R. LEGROS, L'élément moral dans
-les infractions, Liège-Paris, 1952, p. 233, n° 278. Compar., en matière de. faux en écri-
tures, casa., 22 février 1977, Pas., 1977, I, 659, et en matière de banqueroute fraudu-
leuse, J. P. SPREUTELS, <<Considérations sur la banqueroute>>, in L'entreprise en difficulté,
Bruxelles, 1981, p. 353, n° 34).
(83) Compar., en matière de recel, J. P. SPREUTELs, <<L'élément moral du.recel >>,
.J.T., 1978, p. 30, n° 4.
REVUE _CRITIQUE DE JURISP_RUDENCE _BEL.GE 47
19. - Dans l'espèce soumise à la Cour, les faits étaient assez simples.
Le titulaire du compte n'avait effectué aucun transfert ou prélèvement
avant de s'être aperçu que les fonds lui avaient été virés par erreur. La
situation peut toutefois être différente si, entre l'arrivée des fonds et la
découverte de l'erreur par le titulaire du compte, ce dernier a déjà
enregistré diverses opérations, tant au crédit qu'au débit. Dans ce cas,
l'erreur peut être signalée par la banque à son client, spontanément ou
après réclamation de la part du véritable bénéficiaire du virement. Le
titulaire du compte peut aussi s'apercevoir de l'erreur lui-même, par
exemple au reçu· d'un extrait de compte. A ce moment, le compte pré-
sente un nouveau solde qui est évidemment nul, débiteur ou créditeur.
Dans les deux premières hypothèses - compte nul ou débiteur - , le
titulaire de celui-ci n'est plus en possession de la créance résultant du
virement par erreur.
En effet, le compte est un <<acte juridique, générateur d'obligations
ou, à tout le moins, de conséquences juridiques qui en sont le résultat
recherché)) (93). Le compte bancaire substitue à un ensemble d'obliga-
tions une obligation unique, concrétisée à tout moment par un solde
unique (94). Celui-ci est lui-même l'expression d'une obligation ou d'un
droit de créance <<résiduaire 1>, véritablement né du compte. N'étant plus
en possession de la créance résultant du virement par erreur, le titulaire
du compte serait donc bien incapable de la celer ou de la livrer à des
tiers frauduleusement. En effet, on l'a vu (95), le cel frauduleux est un
délit instantané, qui n'est consommé qu'à la naissance de. l'intention
frauduleuse, même si celle-ci est postérieure à l'entrée en possession de
la chose. La solution est la même que s'il s'était agi d'une somme d'ar-
gent ou de tout autre meuble corporel qui aurait été aliéné par celui qui
en avait obtenu par erreur et de bonne foi la possession, avant qu'il ne
s'aperçoive de l'erreur commise.
L'existence de l'intention frauduleuse, de même que le moment où
elle apparaît, sont des éléments dont la preuve incombe évidemment au
ministère public. Lorsque le compte enregistre de nombreuses opérations
dans les deux sens, parmi lesquelles le virement par erreur est noyé, le
caractère éventuellement frauduleux des retraits postérieurs à celui-ci
ne pourra pas toujours résulter de la simple lecture du compte. Le
parquet devra alors se fonder sur des éléments extrinsèques pour établir
la mauvaise foi de l'agent.
La question est plus délicate si, au moment où le titulaire du compte
prend conscience de l'erreur, le solde est créditeur. Il ne pourra plus,
dès lors, disposer de ce solde que dans la mesure où celui-ci n'est pas
constitué par les fonds provenant du versement erroné, sous peine de
commettre un cel frauduleux. Il faudra donc << disséquer 1> le compte et
comparer le total des retraits effectués depuis l'inscription du virement
(96) J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., t. III, pe éd., Bruxelles, 1960, p. 315,
n° 2086.
(97) Idem, p. 324, n° 2097.
(98) Idem, p. 326, n° 2099.
(99) Idem, p. 327, n° 2100.
(100) Idem, p. 328, n° 2100.
(101) P. VAN ÜMMESLAGHE, op. cit., p. 328, n° 8, citant CHAVANNE, Essai sur la
notion de compte en droit civil, 1947, n° 154.
50 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
(102) J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., t. III, }re éd., p. 326, n° 2099.
(103) Idem, p. 299, no 2063.
(104) F. T'KINT, <<L'application de l'article 445, alinéa 4, de la loi sur les faillites
aux sûretés constituées en période suspecte en garantie du solde d'un compte courant l>,
cette Revue, 1975, p. 74, n° 7 et la note 15. Voy. toutefois J. V AN RYN et J. HEENEN,
op. cit., t. III, p. 329, no 2101.
(105) Idem, ibid.
(106) Cass., 18 mai 1973, Pas., 1973, I, 873, note W.G.; R. W., 1973-1974, col. 1974
et les conclusions de M. le procureur général W. J. Ganshof van der Meersch; voy.
L. SIMONT et A. BRUYNEEL, op. cit., Rev. de la Banque, 1979, p. 689, n° 16 et les
références.
(107) Cet arrêt, qui consacre l'enseignement des professeurs Van Ryn et Heenen
(op. cit., III, }re éd., p. 337, no 2109), est dans la ligne de la théorie de la compensation
continue des créances et des dettes entrées en compte, formulée plus tard par J. M. NE-
LISSEN, De rekening courant, Anvers-Amsterdam, 1976, p. 241. Voy. A.-M. STRANART-
THILLY, <<Aspects du contrat de gage dans la jurisprudence récente l>, Bijzondere over-
eenkomsten- Actuele problemen, Anvers, 1980, p. 407.
(108) Voy. A.-M. STRANART-THILLY, <<Saisies-arrêts en banque l), Au service des
intermédiaires jinancim·s, Bruxelles, 1980, p. 47 à 49.
(109) A.-M. STRANART-THILLY, op. cit. à la note 107, p. 407, qui cite l'arrêt de la
Cour de cassation de France du 13 novembre 1973, D., 1974, chron. XXI, p. 101,
note J. L. RIVES-LANGE.
(110) Le fait d'admettre la saisie-arrêt du solde créditeur avant clôture du compte
est, en effet, une brèche dans le principe de l'indivisibilité du compte courant, dans
l'intérêt du tiers saisissant (A.-M. STRANART-THILLY, op. cit., p. 407). Mais on considère
généralement que la saisie ne rend alors, en principe, indisponible que le solde créditeur
REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 51
III. - CoNCLUSIONS.
existant au jour de la saisie (A.-M. STRANART-THILLY, op. cit., à la note 94, p. 127).
Certains se fondent toutefois sur le principe de l'indivisibilité pour justifier que les
effets de la saisie-arrêt d'un compte bancaire devrait s'étendre aux montants ultérieurs
se rattachant à des créances entrées en compte avant la saisie (voy. G. DE LEVAL,
« Saisies et droit commercial )), Les créanciers et la faillite, Commission droit et vie des
affaires, XXXIV 6 Séminaire, Liège, novembre 1982, Rapports, p. rv-29 et rv-30). La
raison invoquée est qu'il serait anormal de considérer le compte comme un ensemble
indivisible dans les relations entre correspondants et de ne pas permettre au créancier
du client de s'en prévaloir (Idem, p. rv-30). Tant l'application de l'indivisibilité que
son rejet sont ainsi invoqués dans l'intérêt des tiers!
(ll1) J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., t. III, pe éd., p. 327, n° 2100, qui pré-
cisent qu' << on ne doit pas hésiter à faire fléchir dans l'intérêt des tiers la règle de l'indi-
visibilité, dans la mesure où le mécanisme normal du contrat ne risque pas d'être
faussé» (Idem, p. 334, no 2106). On constate ainsi une tendance vers l'uniformisation
des règles applicables à la convention de compte, un rapprochement entre le compte
courant et le compte de dépôt (J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., t. Ier, 2 6 éd., p. 45,
no 28; P. VAN ÜMMESLAGHE, op. cit., p. 321).
(ll2) F. T'KlNT, op. cit., p. 74, n° 7 : <<Dans l'esprit des parties, le solde provisoire
est une créance réelle. Il apparaît au bilan des sociétés et dans toute situation comp-
table)),
(ll3) L'autonomie du droit pénal,<< en lui permettant de sanctionner des situations
qui débordent le cadre strict d'autres disciplines juridiques, renforce, en réalité, la
protection organisée par celles-ci)) (R. LEGRos, op. cit., à la note 42, n° 27).
52 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE
JEAN p. 8PREUTELS,
SUBSTITUT DU PROCUREUR DU ROI À BRUXELLES
AssiSTANT À LA FACULTÉ DE DROIT
DE L'UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES.
( 114) Voy. R. LEGROs, << Considérations sur les lacunes et l'interprétation en droit
pénal>>, Rev. dr. pén. et crim., octobre 1966.