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Vonda Sinclair

Le Guerrier indomptable
Aventuriers des Highlands – 2

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Roger

Milady Romance
À mon extraordinaire époux,
pour le soutien remarquable qu’il m’apporte.
Chapitre premier

Londres, 1618

— Lady Angélique ! Revenez, mon ange ! appela le vieux lord Chatsworth.


Sacrebleu ! Angélique Drummagan se précipita dans le couloir, ouvrit une porte et se glissa dans
la pièce sombre, impossible à identifier dans le labyrinthe du palais de Whitehall. Elle pria pour que
Chatsworth ne la découvre pas. Il se prenait pour un prétendant digne d’elle et ne faisait que lui baver
sur la main dès qu’il la croisait.
Une respiration fébrile et des gémissements attirèrent son attention. Elle se retourna et se figea en
fouillant les ténèbres du regard. Qui était là ? L’endroit n’était éclairé que par les reflets changeants
de la lune sur la Tamise, qui soulignaient les contours des fauteuils et des canapés.
Un gloussement aigu perça le silence à quelques pas, près d’un sofa devant la cheminée éteinte.
— Chut.
Le silence retomba, troublé par quelques sons de baisers.
— Le roi James désire qu’elle se présente devant lui à l’instant, déclara une voix d’homme
étouffée, derrière la porte close.
— Elle a disparu dans ce couloir, répondit Chatsworth.
La peste soit de ce vieux satyre ! Et du roi ! Angélique recula sur un tapis d’Orient et se faufila
derrière un rideau de brocart.
— Oh, je suis impressionnée par votre habileté à manier l’espadon, milaird, soupira lady Eleanor
avec excitation.
Les rires et gémissements étaient-ils les siens ? Quelle traînée !
— Je ne mérite guère ce titre, mais j’apprécie le compliment.
Un Highlander ? Angélique aurait reconnu entre tous cet accent prononcé qui roulait les « r ».
Eleanor, comtesse de Wexbury, ne s’était jamais compromise avec moins puissant qu’un vicomte.
Que faisait-elle aux côtés d’un barbare ? C’est ainsi que la mère d’Angélique, Dieu ait son âme,
l’aurait qualifié, comme tous les Écossais. Elle le savait mieux que quiconque, elle en avait épousé
un.
Eleanor poussa un cri de volupté. Angélique sentit ses joues s’enflammer. Elle ne comprenait pas
que certaines femmes prennent plaisir à un tel acte. Elle n’abandonnerait plus jamais son corps ni son
cœur à un homme. Ils n’étaient que des porcs sans foi ni honneur, et elle savait qu’elle devrait se
plier à son devoir sans espérer le bonheur… ni l’amour. Ce n’était qu’un stupide rêve d’enfant.
Eleanor hoqueta et l’Écossais émit un grondement. Le sommet du plaisir, d’après certains.
L’expression française, la petite mort, lui semblait plus juste. La jeune femme se sentit prise de
nausée mais les battements de son cœur s’accélérèrent sous l’excitation. Une part d’elle-même,
profondément enfouie, se demanda… Non, plus jamais. Je ne peux me marier et être soumise à la
lubricité d’un homme. Elle pressa une main tremblante contre sa gorge et la trouva humide de
transpiration.
La porte s’ouvrit et les murs blancs reflétèrent l’éclat d’une lampe.
— Lady Angélique ?
La voix nasillarde de Dryden résonna dans la salle. Il était le plus exaspérant des courtisans du roi.
Les deux amants firent silence.
— Je sais que vous êtes là. J’ai entendu un bruit.
Derrière les tentures, Angélique vit la lumière se déplacer sur le plancher. Un bruit sourd retentit,
puis un froissement.
— Sir Lachlan ? Au nom du ciel, que… ?
— Je… me reposais, déclara le Highlander.
— Avez-vous vu lady Angélique ?
— Non.
— Dryden, la lampe, je vous prie, demanda Chatsworth.
— Qu’y a-t-il ?
La lumière se mut dans le silence, de plus en plus éclatante.
Mon Dieu, faites qu’ils ne me trouvent pas, s’il vous plaît. Le sang d’Angélique battait à ses
oreilles. Elle haïssait Chatsworth et qu’il la découvre dissimulée dans une pièce obscure où un
Écossais s’accouplait avec une catin de la cour serait une expérience mortifiante. Elle pourrait même
être accusée d’avoir espionné les deux libertins.
Dryden repoussa le rideau.
— Parbleu ! laissa échapper Angélique avant de se couvrir la bouche de la main.
Dryden lui adressa un sourire mauvais. Derrière lui, Chatsworth tressaillit puis décocha un regard
assassin au dénommé Lachlan, qui restait dans un coin sombre.
Où diable Eleanor s’était-elle éclipsée ? Angélique ne la voyait sous aucun meuble sculpté, dans
cette demi-obscurité.
— Sir Lachlan et vous ? se moqua Dryden. Nul doute que Sa Majesté soit fort intéressée.
— Non ! Ce n’était pas… Lady Eleanor était… où est-elle ?
Angélique sentit l’embarras lui enflammer les joues. Ils pensaient qu’elle s’était compromise avec
ce barbare écossais ? Jamais !
— Inutile de mentir, milady. Venez. Le roi désire vous voir, ordonna-t-il en conduisant la jeune
femme vers la porte. Vous aussi, sir Lachlan.
— Moi ?
— Vous, insista Dryden en lui adressant un signe.
Le Highlander s’avança dans la lumière. Le géant la dépassait de plus de trente centimètres, les
épaules larges, la taille entourée d’un tartan qui laissait ses jambes musclées dénudées à partir du
genou. Elle n’avait guère revu ces atours primitifs depuis ses neuf ans, quand sa mère et elle avaient
quitté l’Écosse.
Il avait un visage à la rudesse virile, la mâchoire carrée et le menton bien découpé, typiquement un
mâle qui pourrait éveiller les plus bas instincts des femmes, mais sans le moindre raffinement. Elle
avait déjà aperçu cet homme sortir de la chambre de lady Catherine la nuit précédente. Il portait alors
un pantalon écossais. Il courtisait donc deux nobles de la cour en même temps ? Peut-être davantage !
Débauché.
Un éclat amusé passa dans ses yeux et il s’inclina.
— Milady.
— Milaird.
Angélique répondit d’une révérence.
Le regard de l’Écossais s’assombrit et se posa sur elle d’un air trop connaisseur. Pour ne pas
laisser voir qu’elle rougissait, la jeune femme tourna les talons et quitta la pièce.
Comme un prisonnier mené à sa cellule, elle marcha aux côtés du Highlander, dont la foulée
couvrait deux de ses pas, à travers plusieurs salles et couloirs ornés de boiseries sombres. Dryden et
Chatsworth suivaient. Elle n’aurait pas été surprise de sentir la pointe d’une épée lui piquer le dos.
Elle jeta un regard prudent mais les deux hommes avaient les mains vides.
Ils traversèrent quatre pièces gardées par des courtisans et des serviteurs royaux avant d’atteindre
l’antichambre aux meubles d’ébène, écrin de superbe velours rouge. Les nombreuses chandelles qui
éclairaient les lieux faisaient briller les feuilles d’or.
Que voulait le souverain ? Il l’avait convoquée deux jours plus tôt, au palais de Hampton Court,
mais il n’avait pas été prêt à la rencontrer avant ce soir. Elle avait détesté quitter le confort de la
résidence de la reine, mais le roi James était son tuteur et elle devait se plier à sa volonté.
Chatsworth et Dryden l’avaient cherchée avant de la découvrir dans la même salle que le Highlander,
la convocation ne pouvait donc pas avoir de rapport avec lui. Pourquoi lui avoir demandé de venir ?
Ils approchèrent des appartements royaux et un valet leur ouvrit la porte sculptée.
— Lady Angélique Drummagan et sir Lachlan MacGrath, annonça-t-il.
Ils entrèrent. Les hommes s’inclinèrent et la jeune femme salua le roi d’une profonde révérence.
Le monarque maigre et vieillissant, aux atours chamarrés de soie colorée, était installé sur un trône
ouvragé placé sur une estrade. Buckingham, son courtisan favori, un jeune homme brun d’une beauté
parfaite, tout juste âgé de vingt ans, se tenait près de lui, ainsi que plusieurs notables de l’aristocratie.
— Vous l’avez trouvée.
Le roi James tourna un regard chassieux et voilé vers le colosse aux côtés de sa pupille.
— Et vous, sir Lachlan, je suis ravi de vous revoir parmi nous.
— Votre Majesté, c’est un honneur suprême, déclara le Highlander en s’inclinant.
Dryden murmura quelque chose à un courtisan qui le répéta à Buckingham. Celui-ci se pencha pour
chuchoter à l’oreille du souverain.
Les yeux du frêle monarque s’écarquillèrent.
— Tous les deux… Vous vous êtes déjà… rencontrés ?
Angélique sentit ses joues s’enflammer.
— Non. Pas comme vous l’entendez.
Le roi adressa un froncement de sourcils à ses courtisans, mais son expression s’adoucit lorsqu’il
regarda Lachlan.
— Peu importe. Voici ma pupille, lady Angélique Drummagan, la nouvelle comtesse de Draughon,
de plein droit. (Il la désigna d’un geste.) Ma chère, voici sir Lachlan MacGrath, un héros à qui nous
devons beaucoup.
Le maudit MacGrath prit la main de la jeune femme et l’embrassa.
— C’est un immense honneur que de vous rencontrer, milady.
Sa voix de baryton et le roulement de son accent écossais la charmèrent plus qu’ils n’auraient dû.
Elle se raidit.
Maintenant que de nombreuses flammes l’éclairaient, elle pouvait constater qu’il offrait un
spectacle intéressant. Ses cheveux d’une nuance fauve étaient beaucoup trop longs pour correspondre
à la mode du moment. Ses yeux brillaient comme de précieux œils-de-tigre. Elle ne s’attarda pas tant
à la couleur qu’à leur expression, une étude sensuelle. Elle avait croisé plus d’un vaurien tel que lui
en France, et elle avait même failli en épouser un.
Elle retira brusquement la main mais se souvint des bonnes manières à temps et s’inclina à son
tour. Elle ne lui offrit qu’une modeste révérence, car il ne méritait pas davantage.
— C’est un honneur, sir Lachlan.
Un léger sourire retroussa le coin de ses lèvres charnues. Elle le détestait déjà, car il venait des
Highlands et se comportait comme un dépravé, mais quelque chose l’empêchait de détourner le
regard.
— Par son esprit avisé et vif, sir Lachlan a sauvé la vie de notre cher marquis de Buckingham et
découvert le repaire des conspirateurs, expliqua le roi James. Nous avons adoubé sir Lachlan il y a
une quinzaine de jours, mais il nous semble qu’il mérite une récompense plus glorieuse encore.
N’est-ce pas, Steenie ?
Buckingham acquiesça.
— Il recevra également un titre, reprit le monarque en adressant un sourire édenté à sa pupille.
Comte de Draughon.
Comment ? Le titre de son défunt père ?
Sous le choc, sans voix, elle manqua de défaillir. Que voulait dire le roi ?
— Oui, très chère, je vous ai enfin trouvé l’époux idéal. Il est écossais, comme vous. Il est d’allure
plaisante et…
— Veuillez m’excuser… Votre Majesté.
Craignant de s’évanouir, Angélique esquissa une rapide révérence et quitta la salle d’audience
comme si le diable la poursuivait. Elle préférait mourir que d’épouser un Highlander dont le passe-
temps favori était de trousser les jupons !

Lachlan observa la charmante jeune femme rousse se précipiter hors de la pièce. Que venait-il de
se passer au juste ? Le souverain avait-il parlé d’époux ? Et d’un comte ? Il n’aurait pas dû boire
autant dans la journée…
Il secoua la tête pour s’éclaircir les idées. Lachlan regarda le roi. Il peinait à croire qu’il se
trouvait de nouveau dans les riches appartements privés du monarque, lui, un Highlander, second fils,
sans titre, qui ne pouvait compter que sur son esprit affûté et son épée. Ces dernières semaines à la
cour, alors qu’il avait profité de chaque instant pour boire, festoyer, chasser et se livrer à d’autres
plaisirs charnels, il ne s’était jamais senti piégé dans une situation plus compromettante. Sa Majesté
voulait l’enchaîner à quelque lady susceptible ? C’était absurde. De toute évidence, Lachlan avait
profité trop longtemps de l’hospitalité du roi et devrait bientôt repartir pour le château Kintalon de
son clan, dans les Hautes Terres.
— Ah, quelle future épousée n’a jamais éprouvé quelque frayeur à l’idée des liens sacrés du
mariage ? plaisanta le monarque en souriant. Levons nos verres !
Il fit signe aux courtisans et serviteurs qui se hâtèrent d’aller chercher des boissons.
« Future épousée » ? Lachlan secoua la tête. Non, il ne pouvait pas se marier. Il aimait trop les
femmes pour s’établir avec une seule.
— Votre Majesté, pardonnez-moi… Mais que dites-vous ? Vous voulez que j’épouse lady
Angélique ?
— Oui, oui. J’ai cru comprendre que vous vous connaissiez déjà, en un sens, ajouta James avec un
clin d’œil.
— Sur mon honneur, je ne l’ai pas touchée. Elle est simplement entrée dans cette pièce où je me
reposais.
Était-elle déjà là lorsque Eleanor et lui étaient arrivés ou s’était-elle glissée derrière le rideau
plus tard ? De qui se cachait-elle ?
— Très bien, déclara le roi. Il ne l’a pas touchée, reprit-il en adressant un regard assassin à
Dryden.
Lachlan accepta un verre de cristal rempli de l’excellent vin grec du souverain.
Un mariage ? Diantre ! Quel désastre ce serait !
— Alors, qu’en pensez-vous, mon garçon ?
Enfer et damnation, il devait refuser. Il fallait garder les lèvres fermement serrées, mais avec des
dizaines d’aristocrates qui le regardaient, dont le roi en personne, il ne pouvait se permettre de rester
muet. Un mariage ? Il n’arrivait même pas à envisager totalement cette notion, mais il savait que ce
serait une torture. Il ne pouvait pourtant pas offenser le roi en rejetant son offre. Et puis, il avait
mentionné un comté, non ?
— Je… je ne sais que dire, Votre Majesté, si ce n’est que je vous remercie. Je suis stupéfié par
tant de générosité.
Lachlan s’inclina. Par tous les saints ! Qu’est-ce que je viens de dire ? Il craignit soudain d’avoir
consenti à cette union.
— Je suis ravi que cela vous plaise, déclara le roi en levant son verre, imité par les courtisans.
Pour le prochain comte de Draughon, chef du clan Drummagan !
Lachlan but une gorgée, mais il n’avait pas envie d’alcool. Il devait garder les idées claires.
— Lady Angélique a grand besoin d’un mari, annonça le souverain. Son père, un ami proche, est
mort sans avoir engendré de fils et Angélique est sa seule héritière. Il désirait qu’elle épouse un bon
Écossais qui puisse la guider et l’aider à gérer son domaine. Elle acceptera, bien sûr, et après le
mariage, elle vous offrira le manoir de Draughon, le comté et toutes ses terres. J’enverrai un
messager confirmer tout cela. Les guerriers du clan sont têtus et il leur faut le tempérament puissant
d’un homme fort pour les diriger. Vous, mon garçon, avez la force du corps et de l’esprit.
— Je vous remercie, Votre Majesté, déclara Lachlan tandis que son estomac se nouait.
Il n’avait aucun souvenir de mésentente entre son propre clan et les Drummagan… Mais si ces
hommes refusaient son autorité ?
— Un lointain cousin mâle, au cinquième degré, prétend à ce titre mais son père, John Drummagan,
ne désirait pas qu’il prenne le pouvoir, pas plus que les membres du clan. De plus, sa lignée est
remise en question. Je n’accepterais de lui remettre le comté que si Angélique souhaitait l’épouser.
Mais je doute que ce soit le cas.
Le roi but quelques gorgées et le vin forma de minces filets au coin de sa bouche. Un courtisan
épongea rapidement le liquide.
Lachlan ne dit rien. Moi, marié ? Il tenta de se représenter la situation, en vain.
— C’est une petite pleine d’esprit et de caractère, mais je suis convaincu que vous saurez
l’apprivoiser prestement, continua le monarque. Le domaine est près de Perth. Je pense que vous le
trouverez fort plaisant.
Le frère de Lachlan était comte et chef de clan, mais lui-même n’avait jamais songé s’élever à ce
niveau.
— Je ne sais quoi dire, Votre Majesté. Je ne suis certainement pas digne d’une telle récompense.
L’un des courtisans toussota et un autre se racla la gorge, tous deux des aristocrates avec des titres
et tant de pouvoir qu’ils ne savaient qu’en faire. Lachlan sentit tout son être se hérisser face au dédain
qu’il lisait dans leurs yeux.
— Oh, mais si, le rassura le roi. N’est-ce pas, Steenie ?
L’homme à la toilette extravagante hocha la tête.
— En effet. Ce brave Écossais m’a sauvé la vie, ajouta-t-il avec un regard sincère.
— D’ailleurs, renchérit James, je sais que vous avez quelques gouttes de sang Stuart dans les
veines, mon petit, remontant à un siècle environ. Le descendant d’une lignée de rois est
indéniablement digne d’être comte de Draughon.
Buckingham hocha une nouvelle fois la tête.
Par le ciel ! Pourrait-il devenir plus puissant que dans ses rêves les plus fous ? Plus puissant que
quiconque ne l’aurait cru de sa part ?
« Vous n’arriverez à rien, lui avait crié son père plus d’une fois. Vous ne pouvez pas vivre à
culbuter toutes les traînées d’ici à Paris, aller et retour ! Et je ne parle même pas de l’alcool et des
jeux. Pourquoi ne prenez-vous pas exemple sur Alasdair ? »
Non, il ne serait jamais l’égal de son frère.
— Ah, je sais ce qui vous préoccupe, mon garçon, reprit le monarque. Le domaine n’est pas
endetté et offre un généreux revenu. Ses terres riches produisent une récolte abondante. Moutons et
bovins sont innombrables.
— Et le clan Drummagan ? Les hommes m’accepteront-ils comme chef ?
— Ils y seront contraints. Angélique est l’héritière légale, et son époux, par le contrat de mariage,
règne à ses côtés à la tête du clan. Je donne à ses membres l’ordre de vous accepter. Quiconque
refusera sera puni pour trahison contre la couronne.
Mais il faudrait épouser la jeune femme aux cheveux de feu qui lui avait lancé un regard noir avant
de fuir. Existait-il une femme, qu’elle fût catin ou noble vertueuse, qu’il n’ait pas su séduire ? Ah,
peut-être une ou deux, mais elles n’étaient guère nombreuses et se trouvaient fort loin.
— C’est un immense honneur, Votre Altesse. Mes très sincères remerciements.
Lachlan s’inclina très bas.
— Nous sommes donc d’accord ?
— Oui, répondit le Highlander sans réfléchir. Mais j’aimerais d’abord m’entretenir avec la lady.
Le roi hocha la tête.
— Soyez prêt à affronter sa résistance. Elle voudrait épouser Philippe Descartes, mais ce n’est pas
envisageable. Ce n’est que le bâtard de quelque noble français, bien trop pleutre de caractère. Je ne
permettrai jamais une telle union.
Angélique se précipita dans sa chambre, claqua la porte et tira le verrou.
Camille se dressa de sa chaise, ses travaux de couture encore entre les mains.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en français.
Angélique, le souffle court, se tourna vers sa confidente.
— Le roi James m’a choisi un vil époux.
Les yeux bleus de Camille s’arrondirent.
— Vraiment ? Qui ?
— Un barbare écossais, un Highlander qui ne fait que séduire les femmes. Un débauché pire que
Girard.
— Personne n’est pire que Girard.
— Bien sûr. Mais je ne peux épouser ce MacGrath. Tu dois porter un message à Philippe.
Angélique s’assit précipitamment à son secrétaire et attrapa une feuille, les mains tremblantes. Elle
faillit renverser la corne à encre en trempant la plume.
— Respirez profondément, milady. Vous ne ferez que gâcher du papier à vous précipiter ainsi.
— Tu as raison.
Angélique s’interrompit, prit deux inspirations lentes, puis se remit à sa tâche à un rythme plus
posé.
— Serait-ce ce grand Highlander avec un kilt, des cheveux abondants comme le péché, et les
épaules larges ?
— Oui. Comment peux-tu déjà le connaître ?
Camille feignit un frisson théâtral.
— Les dames et les servantes parlent… Êtes-vous certaine de ne point vouloir épouser celui-là ?
— Non ! Ne me dis pas que toi aussi tu as partagé sa couche !
— Non, par le ciel, non. Mais j’aimerais, ajouta-t-elle en souriant. Si vous ne voulez pas de lui…
— Tu peux l’avoir, crois-moi. Traîtresse !
— Ce n’était qu’une plaisanterie.
Angélique posa la pointe contre le papier et manqua d’écrire le nom de Philippe. Elle se reprit. Et
si quelqu’un interceptait le pli et le remettait au roi ?
Mon amour, écrivit-elle. Nous devons fuir ensemble. Prévoyez le nécessaire pour cette nuit et
venez me trouver dans ma chambre avant l’aube. Je serai prête.
Camille lut par-dessus son épaule.
— Devez-vous vraiment mentir et espérer l’impossible ?
Angélique fronça les sourcils.
— Comment ?
— Vous ne l’aimez pas, et il n’est pas assez rusé pour vous enlever ici, à Whitehall, sans être
repéré. En fuyant, vous risquez de compromettre votre héritage. Fâchez ainsi le roi, et il pourrait
décider d’offrir les terres et le titre à Kormad.
Angélique réfléchit.
— Oui, tu as raison.
Elle froissa la lettre et prit une nouvelle feuille.
— Philippe doit supplier le roi de lui accorder ma main. C’est la seule solution.
— Pourquoi vouloir si ardemment épouser cette chiffe molle ?
— Parce que…
— La vérité, insista Camille.
Angélique n’accepta cette impertinence que parce que sa confidente était aussi sa cousine française
illégitime et sa meilleure amie.
— Parce que c’est une chiffe molle, précisément, avoua enfin Angélique. Il ne me donnera pas
d’ordres. Il ne m’obligera pas à m’accoupler si je ne le veux pas. Il sera comte, mais c’est moi qui
dirigerai le domaine, seule et sans l’autorité avilissante d’un homme qui disposerait du moindre
aspect de mon existence. Je ne pourrais le permettre, Camille. Je m’étiolerais et mourrais.
La jeune femme sentit sa gorge se serrer et les larmes lui brûlèrent les yeux.
— Chut, ce n’est rien, Ange, l’apaisa Camille en lui caressant le bras. Ne vous enflammez point
ainsi. Maudit soit ce Girard qui a ruiné votre vie !
Angélique repoussa la vague d’émotion qui menaçait de l’envahir et écrivit une nouvelle lettre
pour prier Philippe d’aller demander sa main au roi immédiatement s’il désirait devenir comte. Elle
plia le papier, laissa couler de la cire rouge et le scella d’un motif complexe que seul Philippe
reconnaîtrait comme le sien. Elle avait dérobé ce sceau chez le dernier protecteur de sa mère.
— Porte-lui ceci, dit-elle en déposant la missive entre les mains de Camille. Hâte-toi, de grâce.
— Oui, milady.

Une femme plantureuse aux cheveux de lin passa devant Lachlan si vite qu’il ne put que
l’apercevoir. Que se passait-il ? Personne ne semblait la poursuivre.
— Mmh…
Lachlan reprit sa recherche des appartements de lady Angélique dans le couloir sombre à lambris.
Aller trouver une femme dans sa chambre n’était guère convenable, mais il devait s’entretenir avec
elle immédiatement. D’ailleurs, depuis quand se souciait-il des convenances ? Il sentit son estomac
se nouer et se demanda s’il n’avait pas eu tort d’accepter l’offre du roi.
Enfer et damnation ! Rien n’était facile à dénicher dans le labyrinthe de Whitehall, et les
indications que lui avait données un serviteur n’étaient pas claires. Il estima enfin avoir trouvé la
bonne porte et frappa.
— Qui est-ce ? s’enquit une femme.
Son accent français sensuel et sa voix rauque réveillèrent ses instincts charnels. Il avait un faible
pour les Françaises.
Il frappa encore.
Elle marmonna une imprécation en français qui le fit sourire.
Angélique ouvrit et lui décocha un regard glaçant.
— Pourquoi êtes-vous ici ?
— Je souhaite vous parler, milady, déclara-t-il en s’inclinant.
— Je n’ai rien à vous dire, Highlander. J’ai déjà promis d’épouser un autre homme.
— Vraiment ? Serait-ce Philippe Descartes ?
— Comment le connaissez-vous ?
— Sa Majesté m’a dit qu’il ne lui semblait pas un mari acceptable pour vous.
Angélique écarquilla ses yeux verts. Profitant de l’effet de ses paroles, Lachlan se fraya un chemin
dans la chambre et referma la porte derrière lui.
— Que vous êtes bête ! lança-t-elle en français tout en reculant. Veuillez partir à l’instant,
monsieur. Nous n’avons rien à nous dire.
Il n’avait jamais été qualifié de bête et cela le fit presque rire. Mais il ne voulait pas qu’elle sache
qu’il parlait couramment le français, tout comme l’italien, l’espagnol et l’allemand. Par le passé,
feindre l’ignorance lui avait parfois donné l’avantage.
— Je vous prie de vous exprimer en anglais ou en gaélique.
— Je ne m’abaisserai pas à parler votre erse barbare.
Le dédain affiché de sa langue maternelle le piqua profondément, mais l’accent qui ronronnait
entre ses lèvres crispées éveillait son désir.
— Parce que vous ne le connaissez pas ? Je vous l’apprendrai, si vous voulez.
Elle ferma les lèvres en une ligne mince. Elle n’avait visiblement jamais connu le plaisir d’un
baiser passionné, et il aurait été ravi de le lui enseigner. Peut-être même n’avait-elle jamais connu de
baiser, bon ou mauvais.
Sa voix profonde et ses yeux méfiants étaient ceux d’une femme, mais elle avait le visage juvénile
et le corps presque trop svelte. Cependant, ses vêtements d’élégante soie d’or prouvaient qu’elle ne
manquait de rien.
— Quel âge avez-vous ? demanda-t-il.
— Vingt ans.
Il hocha la tête, ravi qu’elle ne soit pas aussi jeune qu’elle en avait l’air… si elle disait vrai. Il
demanderait à un serviteur dès le lendemain. Cependant, le souverain voulait qu’il l’épouse et il
n’était pas de ceux qui refusent les largesses d’un monarque, même s’il n’avait sacrément aucune idée
de ce qu’il devait en faire.
— Et vous ? Vous devez être très vieux.
Il gloussa.
— Vous constaterez que je n’ai pas de cheveux gris. J’ai vingt-six ans.
Elle leva les sourcils d’un air hautain qui ne fit que lui donner plus d’allure. Il ne pouvait pas
refuser un tel défi.
— Nous avons beaucoup à nous dire avant le mariage.
— Je ne vous épouserai pas. Le roi James ne peut m’y obliger.
— C’est dangereux de défier son roi.
Son expression rebelle et sa posture sévère, les mains sur les hanches, lui apprirent qu’elle était
sans doute l’une des rares femmes au monde qu’il ne pourrait conquérir en douces paroles. Un
sentiment d’échec lui alourdit l’estomac.
— Par le ciel, je me demande en quoi vous êtes une récompense, marmonna-t-il. Peut-être que Sa
Majesté cherche à me punir d’avoir sauvé la vie de Buckingham.
Angélique grommela quelque chose en français qui sonna comme « débauché insolent », mais il
n’en était pas certain.
— Merci du compliment, milady, dit-il avec un clin d’œil.
Le rose de ses joues descendit sur sa gorge et vers la poitrine menue sous son corset. Qu’il aimait
voir la peau crémeuse d’une femme se colorer de passion !
Si elle avait pu lui jeter des lames de glace d’un regard, il serait mort sur place. Elle se détourna.
— Laissez-moi maintenant.
Ses manières ne le trompaient pas. Ce n’était qu’une façade. Ce rougissement lui avait prouvé
qu’elle le trouvait séduisant, qu’elle consente ou non à l’admettre. Mais peut-être était-elle vierge,
ignorante des plaisirs qui l’attendaient dans son lit. Il aurait voulu tenter un baiser aussitôt, mais elle
aurait été capable de lui arracher la langue d’un coup de dents.
— Comme il vous plaira, milady, déclara-t-il en s’inclinant. Je vous verrai demain.
— Bonne nuit, milaird, conclut-elle d’un air condescendant en refermant la porte sur lui.
Il repartit dans le couloir, le cœur battant. Elle l’excitait plus que toutes les femmes qu’il avait
connues. Certes, il ne goûtait pas son ton revêche et ses regards noirs. Non, mais il appréciait que la
chasse offre quelque défi. La plupart des femmes étaient trop aisées à conquérir. Un clin d’œil, un
sourire, et elles étaient à lui.
Plus déterminé que jamais, Lachlan se dirigea vers les appartements privés du roi. Il fit porter un
message par l’un des valets et, cinq minutes plus tard, Buckingham apparut.
— Je souhaite annoncer à Sa Majesté que je serai honoré d’épouser lady Angélique, dit-il.
Le courtisan sourit.
— J’informerai Son Altesse de la nouvelle. Elle sera ravie.
— Je vous remercie.
Lachlan s’inclina et se dirigea vers sa chambre en essayant de ne pas penser à l’avenir qu’il avait
accepté. Il venait peut-être de se condamner à l’enfer.
Il porta une bougie allumée du couloir jusqu’à la pièce sombre. Une voix de femme, le souffle
court, appela son nom en chantonnant, puis un rire léger s’échappa derrière les tentures du lit.
Pendant une seconde, il sentit l’excitation s’emparer de lui en songeant que lady Angélique lui rendait
peut-être une visite-surprise, mais c’était impossible, à moins qu’elle ne soit venue l’assassiner. Il
ouvrit les rideaux.
Eleanor était allongée, nue, sur le couvre-lit de velours, et posa sur lui son regard au maquillage
charbonneux.
— Je suis prête pour vous, souffla-t-elle.
Il scruta sa peau d’ivoire, les pointes rosées qui sublimaient sa poitrine généreuse, le triangle plus
sombre entre ses cuisses fuselées, mais il ne ressentit rien. La chaleur passionnelle qui l’avait
embrasé la première fois qu’il l’avait vue s’était envolée.
Que diable lui arrivait-il ? Il n’avait pas envie d’une femme, nue et consentante ?
— Vous devez partir. Je ne suis pas d’humeur.
Il laissa retomber le baldaquin et plaça la bougie sur le manteau de la cheminée.
— Comment ?
Il se versa du xérès et avala une copieuse gorgée. Par tous les saints, serait-il en train de changer ?
Non, il était juste… préoccupé. Avec tous ces événements inattendus, rien d’étonnant. Il
s’inquiétait de s’être peut-être volontairement jeté dans une fosse à purin.
Derrière lui, la femme s’extirpa du lit.
— J’ai entendu parler de la générosité du roi.
— Déjà ?
Il se retourna et la vit passer une robe de soie.
— Je le savais même avant vous. Elle n’est pas vierge, vous savez.
Vraiment ?
— Moi non plus.
Eleanor répondit d’un sourire moqueur.
— C’est une putain française et vous n’aurez pas une seconde de bonheur avec elle. Elle ne vous
donnera aucun plaisir au lit.
— D’après ce que j’ai entendu dire, les catins françaises sont très douées au lit.
— Vous le regretterez !
— Oui, probablement, marmonna-t-il.
Mais que pouvait-il faire d’autre ? Continuer à courir les femmes en quête d’aventures sans
lendemain ? La futilité de son attitude lui apparaissait brusquement. Cette quête effrénée du plaisir ne
lui semblait plus aussi attirante. Que penserait son ami Rebbie de ce revirement ?
— Un titre et un domaine ne vous engagent pas à être fidèle, déclara sèchement Eleanor.
— Qui a parlé de fidélité ?
— Alors pourquoi me jeter dehors ?
Il ne souhaitait pas l’insulter et se contenta de hausser les épaules. Mais en vérité, il se surprenait
lui-même de s’être si vite lassé d’elle.
— Je vous l’ai dit, je ne suis pas d’humeur.
— Tous les hommes désirent l’épouser, mais aucun ne trouve grâce à ses yeux, hormis ce Philippe.
Qu’est-ce qui vous fait penser qu’elle vous acceptera ?
— Elle obéira au roi, à mon avis.
— Je ne compterais pas trop là-dessus si j’étais vous. Vous ne durerez pas longtemps, de toute
façon. Kormad vous réduira en chair à pâté en un éclair.
— Qui ?
— Le baron de Kormad. Sorley MacGrotie.
— Ah.
C’était un Écossais des Lowlands qu’il avait rencontré une quinzaine de jours auparavant.
L’homme ne l’avait pas impressionné, de taille moyenne, avec un ventre proéminent. Il devait être
bien malhabile au combat.
— C’est le lointain cousin d’Angélique, l’héritier suivant ?
— Oui. Et d’après la rumeur, il ne laissera rien se dresser entre lui et son but.

Après le départ d’Eleanor, Lachlan quitta sa chambre. Il avait troqué son kilt contre un pantalon
noir et un capuchon qui se fondaient dans le couloir obscur. Son épée large à garde en panier battait
contre sa cuisse.
Sorley MacGrotie. Plus Lachlan songeait à ce bâtard, plus sa main le démangeait de tirer son
arme. À quel point le baron de Kormad voulait-il le titre de comte ? Jusqu’où irait-il pour atteindre
son objectif ?
« Il ne laissera rien se dresser entre lui et son but », avait dit Eleanor.
Mmh. Il doutait que cet homme ait déjà vu un Highlander se dresser devant lui. Autant espérer
bouger un roc. Il comptait bien obtenir l’avantage et déjouer les plans du félon. Son instinct le
prévenait d’un combat prochain. C’était sa chance d’être enfin quelqu’un d’important, d’exploiter un
potentiel qu’il ne pensait pas avoir. Maudit soit celui qui tenterait de lui arracher cela.
Lachlan abaissa sa capuche le temps que les gardes de la porte le reconnaissent et le laissent
passer. Au-dehors, dans les rues sombres et boueuses, il écouta les bruits de la nuit, l’écoulement des
eaux fétides de la Tamise, l’aboiement d’un chien… Puis il prit King Street et se dirigea vers
l’auberge de voyageurs la plus proche, La Croix d’or, espérant y trouver Kormad. Mais ses espoirs
furent déçus.
Lachlan entra dans le troisième établissement de la rue longeant la Tamise. L’Éperon noir
résonnait de discussions en anglais et d’éclats de rire. Divers parfums de bière emplissaient l’air
sous le plafond bas, mêlés à l’odeur du sanglier rôti et à la fumée de l’âtre.
Lachlan scruta les dizaines d’hommes installés et repéra son ami, Dirk MacLerie, en fond de salle.
Il s’avança vers lui et s’assit.
Dirk laissa sa main effleurer la garde de son épée et tourna un regard bleu pâle menaçant vers
l’intrus encapuchonné.
— Que voulez-vous, étranger ?
— C’est moi.
Dirk leva ses sourcils auburn.
— Lachlan ?
— Chut. Est-ce que Sorley MacGrotie, baron de Kormad, est venu ce soir ?
— Je ne connais pas.
— Il vient des Lowlands, cheveux noirs, barbe broussailleuse. Un bâtard hideux.
— J’en connais des tas qui correspondent à une telle description.
La porte s’ouvrit sur un groupe bruyant. Parmi les six nouveaux venus se trouvait le fils de catin
dont Lachlan venait de parler.
— C’est lui, là.
— Pourquoi le cherchez-vous ?
— Je vous le dirai plus tard, répliqua Lachlan à voix basse.
La tenancière plantureuse abattit une chope de bière pleine sur la vieille table de bois et un peu de
liquide sombre se renversa. Lachlan lui lança une pièce d’argent, elle le remercia d’un clin d’œil
avant d’aller s’occuper des nouveaux clients.
Kormad et son escorte choisirent une grande table de l’autre côté de la pièce.
— Allons là-bas, chuchota Lachlan en prenant sa boisson. La table vide derrière eux. Allez-y en
premier. Il m’a déjà vu.
— Vous avez intérêt à avoir une bonne raison, marmonna son ami avant de se lever.
Lachlan se fraya un chemin parmi les chaises des habitués et suivit Dirk vers la table proche de ses
ennemis pour s’asseoir dos à eux.
— Surveillez mes arrières, d’accord ?
— Avez-vous déjà eu besoin de me le rappeler ?
Pendant quelque temps, Kormad et ses sbires se contentèrent de discussions futiles, et Dirk adressa
un regard noir à son compagnon. Lachlan secoua la tête puis avala une gorgée de bière tiède.
— Des progrès avec le roi ? demanda enfin l’un des hommes.
Lachlan leva un doigt pour indiquer à Dirk d’être attentif.
— Non, grommela Kormad.
— Si nous enlevons la lady et la forçons à vous épouser, le problème sera réglé.
— Je n’ai pas l’intention de me faire couper la tête à cause de cette traînée vindicative.
— Il faut la courtiser, proposa un autre d’une voix basse et incitative.
— Oui, faites-la défaillir avec vos beaux poèmes.
Les hommes se mirent à rire.
— Ce n’est pas drôle, gronda Kormad. Pour être comte, je dois l’épouser.
— Vous pourriez aussi la tuer, suggéra l’un de ses acolytes.
Lachlan serra sa chope pour refréner son désir de tirer son épée et de procéder en personne à la
décapitation que craignait tant Kormad. Par tous les saints, je la protégerai ! Certes, il ignorait
pourquoi il voulait si ardemment défendre cette reine de glace méprisante et insultante, mais il sentait
en elle quelque chose de vulnérable et de solitaire. Elle lui rappelait un chaton blessé qu’il avait
trouvé sur les terres de son clan quand il était enfant. Lorsqu’il avait voulu l’aider, le petit animal
l’avait griffé, simplement pour se protéger de la seule manière qu’il connaissait.
Dirk fronça les sourcils en étudiant le visage de Lachlan.
— Chut, siffla Kormad.
Les hommes baissèrent la voix.
— Nous pouvons l’enlever et l’emmener en Écosse où vous l’épouserez. C’est parfaitement légal.
— Pour que le roi me fasse pendre comme un cochon à égorger ? Non merci.
— La petite dira au souverain que c’était son désir. Je peux m’en assurer.
— Vous êtes tous trop bêtes pour vous assurer de quoi que ce soit, l’interrompit Kormad. Les
Drummagan sont amis des Stuarts depuis des siècles et je ne mettrai pas cette alliance en danger.
— Notre Jamie n’a pas tellement l’air amical avec vous, marmonna un individu à la voix
mielleuse.
— Alors, à qui le roi va-t-il la marier ? Ce maudit bâtard français ?
— Non, le clan ne l’acceptera jamais comme chef, répliqua Kormad.
— Chatsworth ?
— Trop vieux. Et trop anglais.
— Le clan ne voudra qu’un Écossais de sang pur, affirma Kormad.
— Vous êtes le meilleur candidat. Je crois que vous devriez retourner voir le roi.
— Il pourrait penser à ce Lachlan MacGrath qui a sauvé la vie de Steenie, hasarda un autre
homme.
Dirk fronça les sourcils avec plus de sauvagerie et son regard prit une nuance assassine. Lachlan
se réjouit que son ami comprenne enfin.
— C’est un Écossais, mais un maudit Highlander.
— Le monarque déteste les Highlanders, renchérit Kormad.
— Il a adoubé MacGrath et l’a invité à la chasse de Theobalds. Il aime bien celui-là.
— C’est peut-être sa jolie trogne…
— Steenie devrait surveiller ses arrières, ajouta la voix mielleuse, suscitant de grands rires.
Les bâtards. Lachlan aurait voulu les surprendre en révélant sa présence, mais cela le desservirait.
Feindre de n’être qu’un débauché coureur de jupons leur ferait croire qu’il n’était pas dangereux.
Quelques instants plus tard, le calme revint parmi le groupe.
— La petite est le seul obstacle sur votre chemin, milaird.
— Certes.
— Alors débarrassons-nous de cet obstacle. Accidentellement, bien sûr.
— Pas encore. Voyons d’abord qui le roi choisira pour elle.
Chapitre 2

Dès l’après-midi suivant, Angélique alla s’agenouiller devant le roi, dans la salle du trône. Elle
clignait des yeux sous la morsure de l’eau de rose qu’elle avait posée dessus, à tel point qu’elle
distinguait à peine les motifs du tapis luxueux sous ses larmes.
— Vous devez choisir un époux entre ces trois hommes, déclara James.
— Votre Majesté, veuillez me pardonner, mais j’aime Philippe Descartes. C’est un être bon.
Elle leva le regard vers les chaussures royales et essuya ses fausses larmes d’un mouchoir de soie.
Elle détestait recourir à de tels stratagèmes, mais elle savait son tuteur facilement ému par les pleurs,
surtout les siens, depuis son enfance. La première fois que son père l’avait menée à la cour, à
Édimbourg, elle avait été terrifiée par tous ces étrangers. Lorsque le roi l’avait vue pleurer, il lui
avait offert un bijou en or d’une valeur inestimable. Elle pria pour qu’il soit toujours aussi sensible
car elle devait le convaincre que ses sentiments pour Philippe étaient sincères. C’était son seul
argument valable.
— Philippe n’est pas acceptable, mon enfant. Il est trop jeune, trop faible, et seulement le bâtard
d’un Français. Le comte de Draughon doit être un homme fort, issu d’un mariage légitime, et écossais
de naissance. C’était la volonté de votre père. Le clan n’admettra rien de moins, et moi non plus.
— Mais… mais je ne puis vivre sans Philippe, Votre Majesté.
— Si vous ne pouvez choisir, alors je le ferai pour vous, déclara le monarque d’une voix dure
qu’il n’avait jamais utilisée avec elle. Lequel voulez-vous ?
Bon sang ! Pourquoi Philippe n’avait-il pas obtenu audience auprès du souverain ce même jour
afin de demander sa main ?
Mais elle savait que Philippe n’aurait rien changé car James avait déjà choisi MacGrath. Le choix
qu’il lui offrait n’était qu’une formalité. Après tout, le roi ne pouvait permettre qu’on l’accuse de
marier une femme contre son gré.
Angélique jeta un regard vers les vauriens qui voulaient l’épouser. D’abord son cousin au
cinquième degré, le baron de Kormad, presque deux fois plus âgé qu’elle, avec une barbe noire
broussailleuse et un ventre imposant. Il n’était pas d’une laideur grotesque, mais elle haïssait la lueur
rageuse dans ses yeux. Lorsqu’il avait parlé avec elle, l’animosité qui émanait de lui l’avait révulsée.
Il la traitait comme une souris qu’il aurait voulu enterrer d’un coup de talon. L’épouser la vouerait
aux tourments de l’enfer.
Le deuxième, lord Chatsworth, mi-anglais mi-écossais, avait l’âge d’être son grand-père. Il ne
vivrait sans doute pas longtemps. Peut-être même ne survivrait-il pas à la nuit de noces. Mais
lorsqu’il croisait son regard, il léchait ses lèvres craquelées et lui adressait un sourire édenté. Elle
tressaillait à l’idée qu’il puisse l’effleurer une seule seconde.
Restait le troisième, le Highlander. Elle n’avait aucun mal à le regarder. En vérité, une fois ses
yeux posés sur lui, une force incontrôlable l’obligeait à le contempler jusqu’à scruter chaque détail.
Une chemise de lin blanche et fraîche sous son pourpoint vert sombre mettait parfaitement en valeur
sa poitrine large. Il avait ceinturé à ses hanches minces un kilt vert, bleu et rouge, et le haut du tartan
était fixé à son épaule gauche par une broche d’argent. La garde en panier de son épée brillait à son
côté.
Une étincelle espiègle dansait dans ses prunelles et il souriait plus que tout homme qu’elle
connaissait. Il est vrai qu’il avait de belles dents blanches et régulières. Mais plus important, il ne
montrait aucune colère à son égard, malgré sa réticence à l’épouser. Il semblait d’un caractère facile,
contrairement aux deux autres prétendants. Peut-être pourrait-elle le gouverner sans trop d’efforts.
Une fois marié, il se lasserait sans doute d’elle et retournerait à Londres pour des aventures plus à
son goût, la laissant libre de diriger son domaine à sa guise. C’était exactement ce qu’elle désirait :
un mariage de façade avec un chef absent.
— Très bien. Je choisis sir MacGrath, déclara-t-elle d’une voix qu’elle espérait forte.
Le vaurien, tout sourires, lui adressa un clin d’œil. Elle aurait voulu frapper de ses talons ses
tibias nus.
— Splendide, mon enfant, commenta le roi James.
Le futur époux s’avança sous les regards noirs des prétendants évincés. Lachlan aida Angélique à
se relever et embrassa sa main gantée.
— Je vous remercie de m’avoir choisi, milady. Ne vous en faites pas, je vous protégerai,
chuchota-t-il.
Il se pencha légèrement et respira profondément.
— Quel parfum délicieux. De l’eau de rose, peut-être ?
Les yeux de la jeune femme la brûlaient. Ils devaient être horriblement rouges et gonflés. Mais peu
lui importait de plaire au Highlander ou non. De quoi parlait-il ? La protéger ? De quoi, de qui ?
L’unique danger qui la menaçait venait de ses pratiques lascives… à moins que Girard n’ait franchi
la Manche. Non, il ne viendrait jamais en Angleterre, s’il vivait encore. Il avait trop d’ennemis sur
ces terres.
— Vous serez mariés dans quatre jours, décréta le roi. L’archevêque de Canterbury vous accorde
une licence spéciale.
Tous s’inclinèrent devant le monarque lorsqu’il quitta la salle, escorté par ses courtisans.
Le baron de Kormad s’approcha, les yeux plus sombres que le jais et le visage cramoisi.
— Sir Lachlan, lady Angélique, je vous souhaite beaucoup de bonheur. Nous serons voisins et je
suppose que nous nous verrons souvent en Écosse, déclara-t-il en s’inclinant.
Angélique sentit son estomac se nouer sous l’effet de la malveillance qui émanait de lui.
— Kormad, salua Lachlan en tendant la main.
Le baron regarda la poignée offerte pendant un moment puis tourna les talons et s’éloigna d’une
démarche rigide.
— Je crains qu’il ne nous réserve des ennuis, chuchota Lachlan. Il semble convoiter la future
épouse de son voisin.
— Vous voulez dire les futurs domaine et titre de son voisin, corrigea Angélique. Il n’a que faire
de moi.
Tout comme vous.
— Venez, parlons, proposa Lachlan en offrant le soutien de son bras.
— Si vous insistez.
Ses doigts épousèrent les contours des muscles puissants sous la manche de la chemise. Elle ne se
souvenait pas d’avoir déjà touché de bras aussi épais et solide… comme du fer. Ma foi ! Je ne suis
attirée ni par lui ni par son bras ! Elle desserra son étreinte.
Elle était contrainte d’épouser ce porc, mais rien ne l’obligeait à l’aimer.
Ils traversèrent deux pièces luxueuses et débouchèrent dans l’un des jardins. L’odeur de la Tamise
toute proche gâchait les parfums. Peut-être la jeune femme parviendrait-elle à quitter Londres pour
retrouver l’air frais de la campagne. Elle n’était pas retournée en Écosse depuis son enfance, mais
elle se rappelait l’atmosphère toujours plaisante au manoir de Draughon.
Elle effleura la menthe qui courait le long des pavés du chemin et libéra ses senteurs. Un soleil
doux les baignait de sa chaleur et soulignait les fils d’or dans la chevelure fauve du Highlander.
Le bras de Lachlan se raidit alors qu’il scrutait les alentours.
— Quel est le problème ? demanda-t-elle en s’écartant.
Il s’arrêta.
— J’ai cru entendre quelque chose.
Il attendit un instant puis se tourna vers elle.
— Vous êtes en danger, milady. À cause de Kormad. Ne dites rien de ma mise en garde, mais vous
ne devrez jamais rester seule un seul instant. Il mijote quelque chose.
Un frisson parcourut la jeune femme.
— Comment l’avez-vous appris ? Vous l’a-t-il dit ?
— Je l’ai entendu parler à ses hommes. Avez-vous un garde digne de confiance ?
Angélique, abattue par un sentiment de solitude et de vulnérabilité, secoua la tête. Camille et elle
se protégeaient l’une l’autre depuis un an. Ce n’était pas différent.
— J’en informerai Buckingham. Une fois qu’on sera mariés, c’est moi qui vous protégerai.
Elle apprécia la solennité de son regard. Elle ne l’imaginerait jamais capable d’être fidèle, mais
peut-être pouvait-elle croire qu’il saurait pourfendre Kormad.
— Merci.
— Savez-vous pourquoi votre père ne voulait pas de Kormad comme successeur ?
Elle se sentit honteuse d’en savoir si peu sur son père et ses souhaits, mais personne ne pouvait le
lui reprocher, puisque c’était sa mère qui l’avait éloignée de lui.
— Je sais simplement qu’ils ne s’entendaient pas.
Lachlan hocha la tête et la regarda jusqu’à ce qu’une vague de gêne vienne lui enflammer les joues.
— Je veux que vous le sachiez, lady Angélique, je n’ai que de bonnes intentions pour vous, le
domaine et le titre. Et je vous remercie encore de m’avoir choisi.
Le cœur de la jeune femme bondit à ces aimables paroles. Mais elle savait qu’en vérité, il ne
cherchait qu’à gagner son affection par ruse. Le murmure intime de sa voix, sa manière d’abaisser
légèrement les cils sous le soleil, sa seule présence, tout contribuait à la soumettre à son charme, à la
séduire pour qu’elle croie qu’il était le plus noble des hommes. Mais elle n’était pas si naïve.
— Le roi James avait déjà pris sa décision. Je n’avais pas le choix car je suis une femme. Vous
avez plu au monarque, alors il m’offre à vous, ainsi que tous mes biens. Je ne suis qu’un objet que
l’on possède.
Lachlan fronça les sourcils.
— Je ne vous vois pas du tout ainsi. Vous êtes une lady charmante et vous méritez ce qu’il y a de
mieux.
— Nous allons nous marier. Inutile de me courtiser avec vos compliments et vos mots de miel.
— Je n’essaie pas…
Le regard enflammé par l’irritation, il détourna les yeux.
— Peu importe.
Elle regretta aussitôt ses paroles cruelles. Après tout, cet homme se proposait de la protéger du
danger, mais il était grassement payé pour ses services… un titre et des terres. Pourtant, il aurait pu
être bien pire. Il pourrait être Kormad, Chatsworth ou même Girard. Tous des bâtards.
— Je ne vous mentirai jamais, déclara Lachlan. Vous ne me faites pas confiance pour le moment,
très bien. Mais avec le temps, cela viendra.
— Vous êtes un homme incapable de maîtriser ses bas instincts. Je n’ai pas envie d’un époux qui
fera de moi la risée de la cour.
Il lui lança un regard cassant.
— De quoi parlez-vous ?
— De lady Eleanor.
Ce simple nom lui retournait l’estomac.
— Oui, vous m’avez surpris avec elle, mais nous n’étions pas fiancés à ce moment-là.
— Et vous étiez avec lady Catherine la nuit précédente.
Il sembla un peu penaud un instant et détourna le regard. Mais lorsque ses prunelles d’or sombre
croisèrent à nouveau les siennes, elles brillaient de défi.
— Certes, mais je ne vous avais pas encore rencontrée. Comment pouvez-vous me reprocher
cela ?
— Maintenant que nous sommes promis, dois-je comprendre que vous êtes subitement devenu une
personne différente ?
Vous désirerez toujours de nombreuses femmes, une conquête différente chaque nuit, peut-être.
Je ne vous suffirai jamais. Ses yeux brûlèrent et elle regarda le mouchoir de dentelle entre ses
doigts. Que lui importait ? Elle refusait qu’il la touche.
Il resta silencieux et immobile à ses côtés.
— Mais les hommes sont ainsi faits, non ? Je dois m’y résoudre. Je dois accepter ma place et faire
mon devoir.
Sa gorge lui faisait mal. Ce n’était pas la première fois qu’elle regrettait de ne pas être un homme,
libre de gouverner son propre destin.
— Peu importe ce que je pourrais dire maintenant, ça ne changera rien, murmura le Highlander.
Vous ne me croirez pas. Dans cette situation, milady, nous ne pouvons qu’agir de notre mieux. Nous
ne savons pas encore de quoi demain sera fait. Il y a tellement de possibilités…
Oui, des possibilités de nouvelles maîtresses pour lui. Et pour elle, la solitude et la honte.
Son rêve d’enfant de trouver le grand amour et le bonheur était mort un an auparavant. Elle ne se
fourvoierait jamais à ressusciter cette ridicule aspiration pour un homme si trompeur.
— Quoi qu’il en soit, reprit-il, je compte bien vous protéger. Tâchez de croire en cela, à défaut du
reste.
Lachlan tourna la tête vers l’entrée et Angélique l’imita, redoutant que Kormad ne les ait suivis.
Mais au lieu de son terrible cousin, elle découvrit Philippe Descartes.
— Philippe !
Elle se précipita vers lui et prit ses mains entre les siennes, aussitôt envahie par le sentiment de
calme qu’il lui inspirait à chaque rencontre. Il était son seul véritable ami ici, avec Camille.
Philippe était de taille assez modeste pour qu’elle puisse contempler son visage sans se tordre le
cou. Sa peau pâle était teintée de rose.
— Lady Angélique, salua-t-il en s’inclinant pour embrasser ses doigts gantés. Je suis navré de
n’avoir pu demander audience au roi ce matin encore, déclara-t-il en français. J’ai craint qu’il ne me
fasse pendre. Il ne m’aime guère.
Angélique hocha la tête, le cœur adouci par la compréhension. Philippe avait son âge, c’était à
peine un homme.
— Ne vous inquiétez pas. Je devrai épouser le Highlander, mais il vaut mieux que les deux autres.
Du moins je le pense.
Philippe regarda Lachlan et écarquilla les yeux. Il lâcha immédiatement les mains d’Angélique
avant de reculer.
— Qu’y a-t-il ?
Le jeune Français secoua la tête.
— Je dois partir. Je vous souhaite « bonne chance ». Au revoir.
Il tourna les talons et disparut précipitamment dans le palais.
Lachlan s’approcha de la jeune femme. Il était réellement impressionnant, comme l’un de ces
jeunes lions que le roi James enfermait dans la Tour pour combattre des mastiffs et des ours.
— Qu’avez-vous fait ? interrogea-t-elle. Tiré votre épée ? Tendu votre dague vers lui ?
— Non, je l’ai juste regardé. C’est vraiment un lâche, ce gamin. Il ne pourrait pas vous protéger de
Kormad même s’il le voulait. Vous devriez remercier le roi de ne pas vous laisser l’épouser.
— Veuillez m’excuser, mais je ne suis pas d’accord. Quoi qu’il arrive, je garderai toujours de
tendres sentiments pour Philippe.

Quelques heures plus tard, après le souper au palais, Lachlan demanda à trois gardes royaux de se
poster devant la porte de la chambre d’Angélique. Il s’assura même qu’ils avaient bien pris leur
poste. Que la jeune femme apprécie cette protection ou non, les sentinelles étaient en place. Il était
encore agacé par son commentaire sur son amour pour le petit Français pâlot. Mais pourquoi ?
C’était Kormad le problème, pas ce Philippe.
Après la tombée de la nuit, Lachlan quitta Whitehall pour aller chercher des amis en qui il avait
confiance. Il s’engagea dans King Street et s’approchait de Charing Cross quand des pas retentirent
derrière lui. La main sur le pommeau de son épée, il s’arrêta et se retourna, scrutant le long des
bâtiments enténébrés et des brumes de la Tamise.
Silence. Rien ne bougeait. Enfer et damnation, il détestait devoir prêter attention à ses arrières
dans ces petites ruelles obscures et dangereuses.
Il reprit sa route plus prudemment.
Une forme surgit des ombres près de lui.
— Bâtard !
Il esquiva et tira sa lame.
Deux autres individus apparurent derrière lui, saisirent ses bras et le déséquilibrèrent. Bien décidé
à ne pas lâcher son arme, Lachlan plia les genoux et tenta de s’arracher à la prise de ses ennemis.
Mais ils tenaient bon, tels des loups obstinés, et l’empêchaient d’utiliser ses bras.
— A mhic an ulic ! cria Lachlan.
Le premier assaillant le frappa au creux du ventre. L’air quitta les poumons de Lachlan, remplacé
par une douloureuse sensation d’étouffement.
Il donna un coup de pied à son adversaire et tenta de se défaire des autres en se tordant, mais ils
étaient forts. Il écrasa le pied de la brute à sa droite, libérant ainsi son bras armé, et frappa.
L’homme se reprit et, aidé de son complice, plaqua Lachlan au sol. L’un des attaquants lui saisit
violemment le bras et lui fit lâcher son arme. L’épée claqua sur les pavés.
— Damnation !
Le Highlander se débattit en tentant de repousser les deux bandits.
— Allez, prenez-lui les bras et traînez-le ! Ce chemin est le plus court vers la rivière, ordonna le
chef dans un dialecte des Basses Terres.
— Il faut déjà l’assommer, sinon il va nager.
— Alors faites-le !
— Et vous, que faites-vous, à part jouer les commandants ?
Toujours aplati au sol, Lachlan envoya un genou vers la tête penchée d’un des fils de catin, mais il
esquiva le coup.
— Pleurnichard stupide, tenez-le en place !
L’un des hommes saisit Lachlan par les cheveux.
Le Highlander se dégagea et le frappa dans le ventre en roulant vers le caniveau. Il donna un coup
d’épaule à un autre attaquant au creux de l’estomac, puis lui assena un coup de poing au visage.
— Ouch !
Le chef s’avança, une massue imposante à la main. Lachlan se releva d’un bond, saisit l’arme du
même mouvement et acheva son geste en écrasant son poing sur la figure de l’ennemi. Le nez du
vaurien rendit un son sec qui le réjouit, et l’inconnu chancela en arrière avant de tomber, assis dans la
ruelle.
Ha ! Maintenant, la situation était pleine de promesses. Lachlan souleva l’homme par le pourpoint.
— Qui vous envoie ? Pour qui travaillez-vous ?
— Soyez maudit ! hurla le brigand en tentant d’atteindre le Highlander à l’entrejambe.
Lachlan esquiva en se décalant et envoya l’homme à terre, mais le bandit se releva et se mit à fuir.
Ses acolytes se redressèrent, couverts de l’eau fétide du caniveau, et se hâtèrent de partir à sa suite.
— Bâtards ! cracha Lachlan.
Il ramassa son épée qui luisait dans un coin sombre et les poursuivit un moment avant de les perdre
dans le brouillard.
Des hommes de Kormad… Il était prêt à le parier.
— Iosa is Muire Mhàthair, gronda-t-il avant de reprendre sa route vers La Croix d’or.
Lachlan remit sa lame au fourreau en entrant dans la grande salle éclairée de lanternes, puis il
scruta les clients qui buvaient et mangeaient aux nombreuses tables. Il avait mal à l’estomac, là où
ses agresseurs avaient porté deux coups. Il arrangea sa coiffure et ses vêtements, et se dirigea vers la
table où Robert « Rebbie » MacInnis, comte de Rebbinglen, futur marquis de Kilverntay, dégustait
une bière.
Lachlan s’affala sur une chaise à ses côtés, jeta un regard vers les articulations enflammées et
ensanglantées de ses poings, et jura.
— Eh bien, que vous est-il arrivé ? demanda Robbie en fronçant ses sourcils sombres.
Lachlan s’enveloppa la main d’un mouchoir.
— Je me suis battu. Trois bâtards me sont tombés dessus dans une ruelle obscure et ils ont essayé
de me traîner vers la rivière pour me noyer. Mais je les ai mis en fuite comme de petites souris.
— Qu’est-ce qu’ils vous reprochaient ?
Lachlan s’aperçut soudain qu’il était assoiffé après ces événements et leva deux doigts à l’intention
du serveur. L’homme à large poitrine hocha la tête.
— Eh bien, j’attends, protesta Rebbie.
— Je crois qu’ils sont opposés à mon futur mariage.
Rebbie toussa et manqua de s’étouffer avec sa bière.
— Par l’enfer, de quoi parlez-vous ?
— Félicitez-moi, mon ami, car je suis le prochain comte de Draughon. Je vais me marier.
Même s’il n’était pas encore certain de ses sentiments à propos de cette union qui le laissait
perplexe, Lachlan savait qu’il devait protéger Angélique. C’était une affaire sérieuse, mais il ne put
s’empêcher de rire en voyant son compagnon bouche bée devant lui.
— Une autre récompense royale ? hasarda Rebbie.
— Eh oui. Il semblerait que la vie de Buckingham vaille plus qu’un adoubement.
— Je n’aurais jamais cru entendre cela de mon vivant, déclara Rebbie comme s’il avait la nausée.
— Qu’est-ce qui vous arrive, mon ami ? C’est moi qui me marie, pas vous.
— Certes, mais avec qui vais-je courir la gueuse maintenant ? Vous saviez toujours dénicher les
plus girondes.
Lachlan sourit malicieusement. Il avait en effet un petit talent pour trouver de belles femmes
consentantes.
— Vous aussi, vous pourriez vous marier.
— Holà ! Pas avant longtemps. Pas tant que mon cher père respire. Et il est encore très fringant.
Le tavernier apporta la bière et Lachlan leva sa chope comme pour trinquer.
— Il est temps de penser à s’établir. Nous nous sommes amusés tout notre soûl ces dix dernières
années.
— Certes, et c’est fini.
Une semaine plus tôt, si quelqu’un avait lancé l’idée que Lachlan cesse ses débauches et se marie,
le Highlander aurait réagi comme Rebbie. Mais à présent, il se sentait enthousiasmé par cette
perspective… Une nouvelle aventure en quelque sorte, totalement différente, quelque chose qu’il
n’avait jamais testé. Et pour la première fois depuis une éternité, il lui semblait avoir un but. Il
ressentait le besoin d’accomplir de grandes choses et de conclure cette aventure avec succès.
— Je voudrais que vous veniez avec moi quand je partirai pour Perth, reprit Lachlan. J’ai besoin
de votre aide, et de celle de Dirk.
— Dirk, d’accord. Lui n’est pas encore marié. (Une lueur d’espoir brilla dans les yeux sombres de
Rebbie.) Je n’arrive pas à vous imaginer marié. Croyez-vous que vous serez heureux ?
Lachlan haussa les épaules et regarda fixement sa bière. Le serait-il ? Il l’espérait, mais sa future
épouse ressemblait plus à une guêpe furieuse qu’à un tendre papillon.
— Probablement pas, mais je serai quelqu’un.
— De quoi parlez-vous ? Vous êtes déjà quelqu’un. Votre père était comte.
— Certes, mais je suis le deuxième fils, sans terres ni titres… jusqu’à ce que je me marie.
— Je n’aurais jamais cru que vous étiez assez avide pour troquer votre liberté contre le nœud
coulant du mariage et quelques pièces d’argent.
— Je ne suis pas avide ! Vous me connaissez mieux que cela. Mais je ne suis plus un gamin non
plus. Je crois que j’ai besoin d’un but dans la vie. D’un peu de respect.
— Du respect ? bafouilla Rebbie.
— Certes. Mon frère est respecté, c’est un noble chef et un comte, il commande notre clan. Moi, je
n’ai rien. Je ne suis qu’un bouffon.
Il n’avait jamais laissé échapper de telles paroles, mais il avait toujours eu ce sentiment.
— Qui avez-vous écouté déblatérer, pour imaginer des choses pareilles ?
— Tout le monde. Je sais très bien ce que les gens pensent de moi.
— Certes, vous aimez les femmes accueillantes. Ce n’est pas un crime… Sauf si vous vous faites
surprendre par un père ou un mari enragé, précisa Rebbie en souriant. Mais enfin… À quoi ressemble
votre future épouse ?
— Une petite demoiselle toute jeune, avec des cheveux bouclés d’un roux flamboyant. Les yeux
verts comme les collines d’Écosse l’été.
C’était vrai, elle avait de beaux yeux. Et une bouche adorable quoique trop sévère, qui attendait
désespérément que de tendres attentions viennent l’adoucir. Il rêvait de l’embrasser, de sentir ses
lèvres pleines s’entrouvrir pour glisser sa langue et savourer l’instant sans craindre qu’elle ne le
morde. Mais après tout, il avait toujours aimé prendre des risques, c’était approprié.
— Oh, par le ciel, vous êtes-vous entendu parler ? se moqua Rebbie. Vous vous lasserez d’elle en
une quinzaine de jours.
— Peut-être.
Et si c’était le cas ? Il en profiterait au maximum.
— Est-elle galante avec vous, comme les autres petites ?
— Non, c’est une peste hautaine qui se prend pour une porcelaine française. Elle me déteste. Elle
préférerait m’éventrer que m’embrasser.
Lachlan se surprit à sourire en imaginant cette nymphette enflammée une arme à la main. Elle était
différente, et c’était pour cela qu’elle l’intéressait.
— Alors l’affaire est claire, vous êtes bon pour Bedlam.
— Elle se croit amoureuse d’un freluquet français appelé Philippe.
— Vous ne voulez pas d’un mariage heureux ? demanda Rebbie d’un ton sec.
Lachlan but une gorgée.
— J’ai besoin d’un défi.
— Vous vous ennuyez, alors vous cherchez les complications ?
— Ce n’est pas vraiment de l’ennui. Mais je suis las de vagabonder. Fatigué de mon indolence, de
ma vie sans projet. Je veux bâtir quelque chose pour mes fils. Je crois qu’elle serait une bonne mère
pour eux.
— Pardonnez-moi, mais une lady comme elle ne prendra pas la peine d’élever vos bâtards. Elle
voudra des enfants, à elle.
— Certes, et je suis pour… Les enfants, je veux dire. Mais elle apprendra à accepter aussi Kean et
Orin.
Lachlan repensa à ses deux adorables fils, aux cheveux blonds, comme de petites copies de lui. Ils
lui manquaient tellement ! Il était reconnaissant à son frère de leur servir de tuteur en son absence.
Rebbie secoua la tête.
— Vous êtes devenu aussi bête qu’un mouton.
Lachlan se pencha vers lui et baissa la voix.
— Ce n’est pas elle le problème, c’est Sorley MacGrotie.
— Qui ?
— Le baron Kormad. Son lointain cousin, le prochain héritier en lice. Il convoite le titre et les
terres. Il m’a envoyé ses vauriens ce soir, et il a prévu de s’en prendre à lady Angélique. Dirk et moi,
nous l’avons entendu parler.
Un éclair de fureur traversa les yeux de Rebbie.
— Vous avez besoin d’aide ?
— Certes. J’aimerais que vous veniez avec moi à la cour et que vous surveilliez mes arrières. Dirk
est déjà d’accord. Je dois le retrouver à L’Éperon noir sous peu.
— J’en suis.
Lachlan regarda autour de lui pour s’assurer que personne ne les épiait. Il sortit la dague ornée de
joyaux que lui avait offerte son père, et qu’il gardait dans un fourreau sous son pourpoint.
— Combien m’en donneriez-vous ? demanda-t-il en la plaçant sur la table.
— Comment, voudriez-vous la vendre ? Je n’arrive pas à y croire, s’étonna son ami en le scrutant.
Par le ciel ! Il aurait tant voulu avoir assez d’argent pour ne pas se préoccuper de telles choses !
— J’aimerais lui offrir un cadeau.
— Combien voulez-vous ? Je vous prêterai la somme.
— Non, vous savez que je n’emprunte pas d’argent, l’interrompit Lachlan.
— Vous pourrez me rembourser une fois marié.
— Je ne vais pas lui acheter une bague avec ses propres deniers, mais avec les miens. Alors, êtes-
vous preneur ou non ? Je parie que la dague intéressera Dirk. Ou même Miles.
— Je serai maudit avant que ce Sassenach mette la main sur une si précieuse arme écossaise. Je
vous en donne 10 livres.
Rebbie ouvrit le sporran à sa ceinture et en tira discrètement quelques pièces.
— Une bague, hein ? Elle doit être drôlement jolie à ce prix.
Lachlan haussa les épaules. Un peu plus tôt, il avait parlé à un orfèvre qui pouvait faire le bijou sur
mesure et le lui remettre dès le lendemain. Ce serait un gage modeste, mais il espérait qu’Angélique
le prendrait comme une preuve de sa fidélité et de son honneur.
Lorsque Rebbie prit la dague, Lachlan eut l’impression qu’on lui arrachait le cœur. Son père lui
avait remis l’arme sur son lit de mort et il avait juré de ne jamais s’en séparer. Mais il n’avait pas le
choix. Il ne pouvait se risquer aux jeux de hasard et devait garder son épée.
— Ne vous en faites pas, mon ami. Je vous laisserai peut-être la racheter un jour… si je ne
m’attache pas trop, précisa son compagnon avec un sourire rusé. Et si vous pouvez mettre le prix que
je demanderai.
— Soyez maudit, je ne veux pas la récupérer.
— Bah ! Qu’est-ce que vous mentez mal !
Lachlan vida sa chope.
— Il est temps d’aller trouver Dirk.

Le lendemain, Angélique était assise dans un salon avec les autres nobles qui l’avaient
accompagnée à son départ de la cour de la reine, mais elle n’était pas d’humeur à faire la
conversation. Elle aurait préféré demeurer dans sa chambre, la tête cachée sous les couvertures.
Camille était la seule qui la comprenne, mais elle n’était pas totalement tolérée dans ces réunions de
la noblesse.
Angélique regrettait de ne pas avoir épousé Philippe ou un autre homme docile avant la mort de sa
mère. Maman n’aurait pas approuvé cette union avec un Highlander… Elle aurait accusé
Angélique de reproduire le mariage de ses parents. Et la jeune femme savait que c’était vrai. Les
Écossais ne pouvaient pas rester fidèles… sa mère le lui avait répété bien des fois.
— C’est dans cette salle que vous vous êtes immiscée dans mon tête-à-tête avec sir Lachlan…,
murmura Eleanor qui s’assit près d’Angélique sur un sofa de velours bordeaux.
Angélique, saisie de répulsion, lui lança un regard noir.
— Au comble de la passion, précisa l’importune.
— Je sais de quoi vous parlez, Eleanor.
Cette traînée était pire qu’une chatte en chaleur.
— Et où diable vous êtes-vous faufilée pour rester cachée cette nuit-là ? ajouta Angélique.
L’air suffisant d’Eleanor disparut.
— Au moins, vous vous êtes choisi un homme talentueux au lit. Ce n’était pas le cas de mon défunt
mari.
— Dommage.
— Cela vous est peut-être égal maintenant, mais un jour, vous comprendrez que c’est important.
Angélique ignora la remarque. Cela lui était effectivement égal. Elle n’avait rien trouvé de plaisant
dans l’accouplement. C’était une activité répugnante et douloureuse.
— Votre amant français était-il très doué ? s’enquit Eleanor.
— Je n’avais pas d’amant. Tout juste un fiancé infidèle.
Peu de gens savaient sa vertu compromise. Certains estimaient que ce n’était qu’une rumeur et elle
ne voulait pas que le roi James l’apprenne. Girard l’avait certes demandée en mariage, et elle avait
envisagé d’accepter, avant son déchaînement de violence. Mais ils n’avaient pas été officiellement
fiancés car son père ne l’avait pas permis. Sa mère et elle lui avaient écrit en Écosse. Il avait
répondu d’un refus sans appel en lui ordonnant de venir le rejoindre. Bien sûr, elle n’avait pas obéi.
Girard s’était révélé n’être qu’une vermine empotée et cruelle qui avait fini par la violenter, et elle
était soulagée de ne pas l’avoir épousé. Mais à présent, elle était liée à ce Highlander…
Eleanor gloussa.
— Et bientôt, vous aurez un époux infidèle.
En effet. Une vague de nausée coupa l’appétit d’Angélique et elle reposa sa jolie pâtisserie
rebondie.
— Lachlan m’a dit, il y a deux nuits, dans sa chambre, qu’il n’était pas tenu d’être fidèle. Vous
aurez peut-être à le partager, mais croyez-moi, il en vaut la peine, ajouta la femme en soupirant.
Ce vaurien libidineux…
— Quelle chance j’ai, n’est-ce pas ? déclara Angélique qui rêvait de vider son verre de vin sur la
tête d’Eleanor et de gâcher ses boucles brunes parfaites.
— Certes, vous êtes chanceuse. Son espadon est fort long, dur, et…
— Il suffit.
Angélique savait très bien de quoi parlait la femme. Eleanor gloussa de nouveau.
— Chacun sait que vous avez goûté à chaque homme de la cour, dit Angélique.
La femme sourit avec mépris et abaissa le regard vers la gorge de sa jeune rivale.
— Il se trouve que sir Lachlan est très friand de poitrines opulentes. Je suppose qu’il ne s’amusera
guère en votre compagnie.
Angélique se raidit et se retint de resserrer son étole pour cacher son corps.
— Peu m’importent les poitrines qu’il affectionne.
Il ne touchera pas la mienne. Elle se demanda si elle pourrait attirer cette catin dans une alcôve
pour lui aplatir le nez comme un pain d’avoine écossais. Mais elle se contenta de siroter son vin avec
élégance.
— Peut-être devrais-je lui rendre visite un jour pour soulager sa frustration, suggéra Eleanor.
— Vous ne vous approcherez pas de ce qui m’appartient, déclara Angélique avec calme. Si vous
osez vous y aventurer, vous le regretterez.
— Est-ce une menace ? demanda Eleanor avant de regarder vers la porte. Mais quand nous parlons
du beau diable viril…
Angélique manqua de laisser tomber sa coupe vénitienne en découvrant Lachlan qui approchait sur
les tapis d’Orient, trois colosses impressionnants sur ses talons.
Eleanor se leva et lui adressa une profonde révérence.
— Sir Lachlan, ronronna-t-elle.
Angélique aurait voulu la jeter au sol.
— Lady Eleanor.
Il s’inclina, s’approcha d’Angélique et lui embrassa le dos de la main.
— Milady, murmura-t-il d’un ton plus intime.
Elle évita de croiser son regard car elle se sentait brusquement profondément irritée par Eleanor et
lui. Lachlan se tourna vers ses compagnons.
— Voici ma charmante promise, lady Angélique Drummagan, comtesse de Draughon. Milady, je
vous présente mes amis. Robert MacInnis, comte de Rebbinglen.
L’homme séduisant, aux cheveux noirs, s’avança, lui prit la main et l’embrassa.
— Un plaisir délicieux, comtesse.
— Dirk MacLerie, continua Lachlan.
— Milady, salua l’homme à la crinière auburn, aussi grand que Lachlan.
Il s’inclina brièvement mais ne bougea pas et la scruta fixement de son regard bleu.
— Miles Seabourne, le seul Sassenach suffisamment rebelle pour que je lui fasse confiance.
L’intéressé rit de ce commentaire et s’inclina.
— Milady, c’est un honneur.
Angélique se leva et fit une révérence.
— Enchantée, messieurs.
— Ne vous avais-je pas dit qu’elle était très belle ? demanda Lachlan.
Son sourire et son regard empli de fierté firent frémir le cœur d’Angélique. Elle aurait presque cru
qu’il l’aimait vraiment. Si seulement…
— Certes, fort belle.
Les hommes s’inclinèrent encore et répétèrent leur joie de faire sa connaissance.
— Merci.
Angélique sentit ses joues s’enflammer plus ardemment que jamais. Elle n’avait pas l’habitude de
recevoir les hommages de tant de beaux gentlemen en même temps. Un peu de bonheur vint chasser
son humeur maussade.
À ses côtés, Eleanor se racla la gorge pour attirer l’attention.
— Et voici lady Eleanor, déclara Lachlan.
Il était rarement embarrassé par ses maîtresses passées, mais Eleanor le mettait très mal à l’aise. Il
aurait voulu qu’elle cesse de le poursuivre de manière si flagrante.
Les trois nouveaux venus la saluèrent et Lachlan se tourna vers Angélique.
— Pouvons-nous nous isoler de nouveau dans les jardins ?
— Oui.
Il l’escorta au-dehors en tentant de déchiffrer son regard. Maudits Français… Si elle n’avait été
qu’une naïve fille des Highlands, il aurait lu en elle à livre ouvert, mais Angélique était un mystère
qu’il brûlait de comprendre. Lorsqu’elle avait posé les yeux sur lui à son arrivée dans la salle, elle
avait semblé agréablement surprise, mais elle avait ensuite froncé les sourcils avec dédain comme si
elle regardait le pire rebut de la société. Au moins, elle ne le pensait pas vraiment. Elle était encore
jalouse d’Eleanor, c’était forcément le problème.
Dirk suivit de loin, surveillant les alentours d’un air détaché. Il était le garde le plus sagace du
royaume, et Lachlan s’estimait chanceux de le compter parmi ses proches.
— Quel plaisir que vous ayez décidé d’amener des amis des Highlands aujourd’hui.
Il décida d’ignorer le sarcasme qui suintait de cette remarque.
— Oui. Les amis, c’est important.
— Je ne saurais dire, commenta-t-elle d’un ton amer.
Elle pressa les lèvres et se détourna.
— N’avez-vous pas d’amis ?
Elle haussa les épaules.
— Aucun ?
— Ma compagne, Camille. Philippe. J’avais plusieurs amis en France, mais j’en compte très peu,
ici.
Il fallait qu’elle mentionne encore ce freluquet français… Mais il l’ignora.
— Quel dommage. Je suis certain que vous trouverez plein d’amis en Écosse.
— Peu importe.
Il regarda son expression acerbe et perçut un peu de ce qu’elle cachait.
— Vous n’êtes pas heureuse, Angélique.
Elle lui adressa un regard tranchant.
— Pourquoi non ? insista-t-il.
— Je ne souhaite pas en discuter.
— Je sais que vous considérez notre mariage comme une corvée, mais je pense tout de même que
vous me préférez à Chatsworth ou Kormad. Sinon, pourquoi m’avoir choisi ?
— Le moindre mal…
— Ah… Pour vous, j’incarne le mal, hein ?
— Non, je dirais… juste un mauvais garçon.
Lachlan sourit. Il aurait voulu qu’elle fût également une mauvaise fille et se plie à ses caprices, à
commencer par de lents baisers pour se découvrir l’un l’autre… Ensuite, il délacerait son corset,
puis il débarrasserait de chaque vêtement son joli corps svelte… Elle agoniserait de désir, elle
gémirait et murmurerait son nom. Alors il lui donnerait ce qu’elle espérait en pénétrant la chaleur de
son intimité jusqu’à ce qu’ils atteignent tous deux le paradis. S’il était mauvais garçon, c’était pour la
servir ; il fallait simplement qu’elle s’en rende compte.
— Vous êtes donc sans reproche ? demanda-t-il.
— Naturellement, j’ai des défauts, mais ils ne sont pas aussi voyants que les vôtres.
— Bien sûr que non.
Peut-être qu’elle ne voyait pas son principal défaut, mais c’était clair pour lui. Quelque chose
l’avait rendue amère. Diantre, comment parviendrait-il à l’adoucir ?
— Cette union ne portera que le nom de mariage, déclara-t-elle.
— Vraiment ?
— Oui.
Par le diable ! Lorsqu’elle le laisserait enfin la séduire, il s’assurerait qu’elle prenne plus de
plaisir au lit qu’à toute activité en ce monde.
Il haussa les épaules.
— Comme vous voudrez.
— Je ne veux rien d’autre que de pouvoir dire que j’ai un époux.
— Je ne vous contredis pas, mon ange, répondit-il en se félicitant pour ses talents de diplomate.
Elle crispa les mâchoires.
— Je souhaite partir aussitôt après la cérémonie pour regagner mon domaine.
— Moi aussi. Je suis las de Londres. Ce n’est qu’un ramassis d’immondices. Je me languis de
l’Écosse.
Angélique ne dit rien. Comment la convaincre de parler simplement entre gens aimables ? Il
voulait la connaître mieux, et désirait qu’elle lui accorde au moins un peu de sa confiance.
— Depuis quand avez-vous quitté l’Écosse ? questionna-t-il.
— Onze ans.
— Cela vous manque-t-il ?
— Non. La France me manque. Et ma mère.
Elle se dirigea sous l’ombre d’un arbre qui soutenait un rosier grimpant. Il la suivit.
— Votre mère ?
— Elle est morte l’an dernier.
— Je suis navré de l’apprendre, vraiment.
Elle s’assit sur un banc sous la charmille et il l’imita.
— Ma mère est morte quand je n’étais qu’un gamin, déclara Lachlan. Je me souviens à peine
d’elle. Mon père est décédé il y a cinq ans. J’ai eu du mal à le supporter. Son absence me pèse
encore terriblement.
Angélique le jaugea d’un regard, mais il préférait cela à ses airs assassins.
— Je n’avais pas revu mon père depuis que ma mère l’avait quitté et m’avait emmenée en France.
— Quand est-il mort ?
— Il y a deux mois.
Il hocha la tête.
— Auriez-vous souhaité le voir une dernière fois ?
Elle leva ses fines épaules, les yeux rivés sur ses doigts entrelacés.
— Je le connaissais très mal. Il m’a demandé de revenir plusieurs fois, mais je ne voulais pas
retourner en Écosse.
— Pourquoi ?
— Il souhaitait que je prenne un mari écossais, répondit-elle en le regardant de biais.
— Ah. Alors pas de frère ni de sœur ?
— Non. Et vous ?
— J’ai un frère, chef du clan MacGrath, des Highlands. Il est également comte. Nous sommes très
proches. Vous apprécierez Alasdair. C’est le plus honorable des hommes.
Elle lui lança un regard de défi.
— Comment peut-il être si différent de vous ?
— Oh, Angélique, murmura Lachlan qui espérait que cette pique n’était qu’une manière de
plaisanter. Vous ressemblez vraiment à cette charmante rose.
Il passa les doigts sur les pétales d’un bouton tardif et en respira le parfum délicat.
— Belle, fragile, mais aux épines acérées.
Cette fois, il lut clairement un éclair de vulnérabilité dans la profondeur de ses yeux verts. Elle
avait besoin que quelqu’un la protège, que quelqu’un lui apprenne à rire de nouveau. Quelqu’un à qui
murmurer ses espoirs et ses rêves. Ah, il aurait vraiment voulu qu’elle susurre à son oreille la nuit, et
sentir son souffle chaud contre sa peau.
— N’essayez pas de me séduire, chuchota-t-elle. Vous seriez déçu.
— Je n’essaie pas de vous séduire.
La charmille aurait été l’endroit parfait pour une conquête d’un soir en toute intimité, mais avec
elle, ce défi devrait attendre.
— Très bien. Gardez cela pour vos maîtresses.
Par le ciel ! Il n’avait jamais connu une femme comme elle. Elle était dévorée par la jalousie. Cela
devait cacher quelque chose. Peut-être voulait-elle le garder rien que pour elle. Il sourit et se
détourna.
— Qu’y a-t-il ?
— Rien.
Elle se leva.
— Je souhaite regagner mes appartements.
— Avant que vous partiez… je souhaite vous donner quelque chose.
Il se sentit brusquement nerveux, une sensation qu’il n’avait plus éprouvée depuis longtemps
auprès d’une femme.
— Oui, quoi ?
Mais qu’est-ce qui lui arrivait, par le diable ? Donne-lui une fois pour toutes !
Il mit un genou à terre et tendit une main vers elle.
Elle écarquilla les yeux et il craignit qu’elle ne prenne la fuite. Mais après un moment, elle posa la
main dans la sienne.
— Je sais que je ne vous ai pas demandée en mariage et ça serait idiot de le faire maintenant. (Il
tira l’anneau d’or de la poche de son pourpoint.) Mais je tiens à vous offrir cette bague de fiançailles.
Je l’ai fait créer spécialement pour vous, avec cette émeraude qui me rappelle vos yeux.
Il glissa le bijou au doigt de la jeune femme et se réjouit de voir qu’il lui allait à la perfection.
Elle leva la main et contempla l’anneau.
— C’est ravissant, murmura-t-elle tandis que son regard s’adoucissait légèrement. Je vous
remercie, milaird, ajouta-t-elle avec une révérence.
— De rien, répondit-il en souriant.
Il se redressa et lui tendit le bras.
— Je me ferai un plaisir de vous escorter jusqu’à vos appartements à présent.
— Je préfère m’y rendre seule, déclara-t-elle avec fermeté pour oublier la sensualité qu’il mettait
dans le mot « plaisir ».
L’anneau était un gage touchant, mais il ne pourrait gagner son cœur avec un joli bijou. L’or lui
brûlait presque la peau, réchauffé par la chaleur du Highlander qui l’avait gardé près de son corps.
Le sentiment qui se cachait derrière ce présent lui serra le cœur… en tout cas le sentiment qu’elle
espérait avoir reconnu.
— Bien sûr.
Ses lèvres charnues trahissaient encore un peu de suffisance.
Il savait que sa femme devait partager son lit ; du moins, le pensait-il. Personne ne l’obligeait à se
livrer volontairement au lion. Elle resterait allongée comme un poisson mort sur les draps et il ne
tarderait pas à la laisser en paix.
Elle sourit.
— Je suis heureux de vous voir sourire.
Pas pour longtemps.

— Maudit soit ce MacGrath ! pesta Sorley MacGrotie, baron de Kormad, en arpentant la petite
salle du Taureau rouge.
— Maudit soit le roi, renchérit Arnie.
— Maudite soit Angélique, ajouta Rufus.
— Silence, imbéciles ! Je ne le laisserai pas voler le domaine et le titre de mon petit Timmy.
Kormad entendait en finir avec cette affaire au plus vite pour pouvoir retourner voir son neveu en
Écosse. Le fils de sa sœur hériterait de ce qui lui revenait de droit, malgré ce que le bâtard qui avait
engendré Timmy, John Drummagan, voulait. Kormad veillerait à réparer cette injustice. Drummagan
allait payer, dans la mort, pour avoir repoussé la douce Lilas.
Angélique n’était pas l’héritière de droit et MacGrath ne deviendrait jamais comte, par le diable !
— On a essayé de le jeter dans le fleuve, geignit Arnie. Il est immense.
— Et fort. Un guerrier très entraîné, compléta Rufus. Et maintenant, il est accompagné de trois
hommes, dont deux autres Highlanders.
— Je me moque de savoir d’où ils viennent, gronda Kormad. Les Hautes Terres, les Basses Terres,
Sassenach, qu’importe ! Je détruirai tous ceux qui suivront ce MacGrath. Dites à Pike de venir, et
vous deux, disparaissez.
Ses acolytes baissèrent la tête et partirent, penauds. Kormad se demanda comment il tolérait
encore leur stupidité. Pike était son atout le plus rusé, et surtout, le plus impitoyable.
Quelques minutes plus tard, il entra, son crâne chauve brillant sous la flamme des bougies.
— Milaird.
— Des mesures désespérées vont être nécessaires contre ce MacGrath.
Pike lui adressa un demi-sourire maléfique ; ses yeux gris étincelant comme de la glace sombre.
— Qu’aviez-vous à l’esprit ? Permettez-moi de le torturer.
— Cela me ferait grandement plaisir… Mais j’ai juste besoin que le Highlander meure. Dans un
« accident ». Angélique aussi.
— Vraiment ? demanda Pike d’un air vorace. La lady aussi ?
— Certes, cette garce ne m’épousera jamais. Tâchez de ne pas échouer. Le roi ne doit pas
soupçonner mes manigances.
— Bien sûr que non, milaird. La discrétion est ma spécialité.
— Je vous paierai bien si vous réussissez.
— Je ne sais pas échouer, déclara Pike avec un sourire.
— Un accident, j’insiste. Ils pourraient tomber d’une haute fenêtre, d’un toit ou d’un pont.
Pike hocha la tête avec enthousiasme.
— Je peux profiter de la femme, d’abord ?
— Comme vous voudrez. Mais ne laissez pas de traces de ce forfait, pas de marques sur son corps
hormis celles dues à la chute.
Pike continua à hocher la tête en quittant la pièce. Cet homme avait sa place à Bedlam…
Chapitre 3

Angélique se réveilla pendant la nuit, persuadée d’avoir entendu un bruit. Elle scruta les ténèbres
de sa chambre. Elle saisit la dague qu’elle dissimulait sous son oreiller et se glissa sur le parquet
derrière le lit. Le petit rayon de lune qui passait par la fenêtre n’éclairait guère la pièce. Seules les
braises luisaient légèrement dans la cheminée. Elle surprit un parfum masculin. Un intrus !
Une lame de plancher craqua et une grande silhouette sombre avança. Parbleu ! Immobile, la jeune
femme attendit le meilleur moment pour frapper.
Lorsque l’homme se pencha au-dessus du lit, elle s’élança, la dague filant vers sa gorge. Mais
avant qu’elle atteigne son but, il se recula, lui saisit le bras et l’attira contre lui. Elle lâcha sa lame.
Mon Dieu, aidez-moi.
— Milady ?
Elle cria pour réveiller Camille, assoupie sur un petit lit dans un coin de la chambre. Une main
ferme s’abattit sur ses lèvres.
— Lâchez-moi ! ordonna-t-elle d’une voix étouffée.
— Chut, c’est moi, Lachlan. Vous devez venir avec moi.
Il retira sa main. Elle se laissa aller, un peu soulagée. La chaleur de ses mains puissantes et la
sensation de sécurité émanant de son corps solide comme un roc semblaient se répandre à travers
elle. Elle reconnaissait maintenant son parfum, agréable mais troublant.
— Pourquoi ?
— Quelqu’un tente de nous tuer. Nous devons aller nous cacher, déclara-t-il tout bas avec passion,
au creux de son oreille.
Elle sentit son souffle sur ses cheveux et sa peau.
— Vous avez perdu la tête. Personne n’essaie de me tuer.
N’est-ce pas ?
— Oh, si, Kormad a des projets.
Kormad. Mon Dieu.
— Je dois préparer mes vêtements, mes bagages.
— Pas le temps. Ne prenez qu’une robe. Je ferai livrer le reste à Draughon.
— Camille doit venir avec moi. Je n’irai nulle part sans elle.
Angélique s’échappa des bras de Lachlan et se précipita dans le coin pour sortir sa cousine de son
profond sommeil.
— Parbleu ! Camille, réveille-toi.
— Quoiiii ? demanda son amie d’une voix traînante en bougeant légèrement.
— Elle a le sommeil profond.
Lachlan se dirigea vers la porte.
— Dirk, j’ai besoin de votre aide. Pouvez-vous porter la suivante de lady Angélique ?
Un homme impressionnant apparut sur le seuil. La lanterne qu’il avait à la main illuminait ses
cheveux de feu et sa lueur soulignait le froncement de ses sourcils.
— Ne peut-elle pas marcher ?
Angélique, ne pouvant attendre le réveil de sa cousine et n’ayant pas d’autre servante près d’elle,
s’empressa de remplir un sac avec une robe toute simple ainsi que des dessous pour elle et sa
cousine.
— Je dois aller m’habiller, précisa-t-elle.
— Pas le temps.
Elle put seulement jeter une couverture du lit sur ses épaules et Lachlan l’entraîna aussitôt hors de
la chambre.
Ils retrouvèrent Dirk qui tenait dans ses bras Camille, endormie, et Rebbinglen qui portait la
lanterne et son épée. Tous se faufilèrent par une petite porte qu’elle n’avait jamais vue, et entrèrent
dans un couloir aussi étroit que sombre. L’atmosphère froide et humide et l’espace confiné lui
donnaient l’impression de suffoquer. Apparemment, c’était l’un de ces passages secrets dont elle
avait entendu parler au sein du mystérieux château de Whitehall.
Ils atteignirent une issue, près des écuries si son odorat ne la trompait pas. Le vent faisait ployer
arbres et buissons. L’éclat timide de la lanterne révélait le sol boueux. Angélique hésita sur le seuil.
— Je suis pieds nus.
— Venez.
Lachlan souleva subitement la jeune femme dans ses bras, au point de lui tourner la tête, et
l’entraîna au-dehors. Ma foi ! Elle essaya de ne pas remarquer la chaleur de son souffle contre ses
cheveux, ni son corps solide et puissant contre le sien. Avant qu’elle puisse déterminer si elle
appréciait ou non ce contact de leurs corps, il la déposa dans un carrosse avec sa cousine et ferma la
portière. Les hommes et le véhicule se mirent en route, passèrent les portes, puis s’engagèrent dans
King Street. Des sabots martelaient le sol tout autour et elle pria pour que ce soient des gardes.
— Camille, bon sang, réveille-toi, pesta-t-elle en secouant sa cousine sur le siège en face. Tu es
une suivante parfaitement inutile.
La jeune femme émergea un peu.
— Quoi ? Nous bougeons ? Où sommes-nous ? interrogea-t-elle d’une voix endormie.
— Dans un carrosse, en route vers Dieu sait où. Lachlan pense que nos vies sont menacées.
— Par Kormad ? demanda Camille en s’asseyant.
— C’est ce que dit Lachlan.
— Vous ne croyez pas qu’il s’agit de Girard ?
— Non, j’espère qu’il a été terrassé par une fièvre, répondit Angélique en s’affaissant contre le
siège de cuir.
La voiture tourna brusquement et elle dut se tenir.
— Mais nous ne pouvons en être certaines.
— Nous ne devons pas en parler, répliqua Angélique en sentant son estomac se nouer.
— Avez-vous pris… l’objet ?
— Bien sûr. Tu sais bien que je ne m’en séparerais pas.
Après un autre virage bien trop rapide, le carrosse s’arrêta brusquement et Lachlan ouvrit la
portière, une torche à la main.
— Venez, toutes les deux.
Il confia la lumière à Rebbinglen.
— Où allons-nous ? s’enquit Angélique.
— Pas le temps pour les questions, l’interrompit-il en lui faisant signe d’avancer.
Il la souleva de nouveau entre ses bras pour traverser la rue, comme si elle ne pesait rien. Dans le
chaos des événements, il était comme une île, une terre protectrice et puissante. Angélique prit
soudain conscience que c’était agréable. Elle n’avait pas connu de véritable sentiment de sécurité
depuis très longtemps. Et puis son odeur était plaisante, celle d’un homme propre encore entouré d’un
parfum de cuir. Sous la lueur de la torche, leurs regards se croisèrent un instant. Il n’était plus le
charmeur qu’elle connaissait. Il n’y avait plus d’amusement dans ses yeux, de sourire sur ses lèvres.
Il était devenu un guerrier impressionnant, avec une bouche décidée, et des prunelles sombres et
indomptables… une facette qu’elle n’avait encore jamais vue chez lui.
Ils se glissèrent par une porte étroite, Camille dans les bras de Dirk derrière eux.
— Quel est cet endroit ?
L’odeur de suif et de vieux livres lui piquait le nez.
Ils débouchèrent dans une grande église mal éclairée par quelques bougies, avec des bancs vides.
Cinq courtisans du roi James en livrées royales attendaient près de la chaire, au côté d’un prêtre
protestant austère.
— Que se passe-t-il ? interrogea Angélique.
— Nous allons nous marier, comme vous le savez, déclara Lachlan qui la déposa sur le sol.
Elle le repoussa.
— Avez-vous perdu l’esprit ? Nous ne pouvons nous marier maintenant. Pas ainsi, murmura-t-elle
furieusement.
— Si, il faut nous marier en secret. Quelqu’un souhaite nous tuer. Il veut votre domaine à tout prix,
quoi qu’il en coûte, reprit-il d’un air sombre qui en disait long sur la gravité de la situation. Le roi
James nous a demandé de nous unir, tout de suite. Il nous a accordé une licence spéciale.
— Mais il me faut ma robe de mariée, et je ne l’ai pas emportée. Je ne vais pas vous épouser en
chemise, une couverture sur les épaules… Et les pieds nus.
— Pas le temps, décréta Lachlan en l’entraînant vers le pasteur. Veuillez commencer, lui ordonna-
t-il.
Il posa une main sur celle de la jeune femme, pressée contre son bras.
Le prêtre commença d’une voix monocorde.
Parbleu ! Angélique se sentit paralysée un moment, hébétée. Que faire ? Elle jeta un coup d’œil de
côté et aperçut Camille, pieds nus, dans un accoutrement semblable au sien. Sa cousine hocha la tête
de manière presque imperceptible et sourit discrètement, le regard franc. Elle approuvait cette
union ? Bon sang !
Angélique trouvait profondément grotesque de se marier si peu vêtue. Ses cheveux étaient en
bataille, ébouriffés et lâchés jusqu’à la taille. Elle était comtesse, pas prostituée. Depuis son enfance,
elle rêvait du jour où elle porterait la délicieuse robe de mariée de confection française qu’avait
arborée sa mère, et de l’instant magique où elle prononcerait ses vœux avant d’embrasser son prince
charmant.
Mais ce jour n’était pas arrivé. Ce jour n’arriverait jamais. Elle regarda Lachlan et perçut un peu
de compréhension dans ses yeux – une communication silencieuse qu’elle ne pouvait saisir totalement
car elle ne le connaissait pas assez. Elle baissa le regard et songea à la bague d’émeraude qu’il lui
avait offerte, un genou à terre. C’était un geste romantique, mais l’avait-il vécu comme elle
l’espérait ?
Mère de Dieu, faites que ce ne soit pas une erreur. Ne le laissez pas s’immiscer dans mon cœur
pour le détruire. Je n’ose pas lui faire confiance.
Lachlan lui donna un petit coup de coude.
— Dites « oui », souffla-t-il sans bouger les lèvres.
— Oui, déclara-t-elle d’une voix forte.
Elle ignorait totalement à quoi elle venait de répondre. Le prêtre reprit son discours bourdonnant.
Sous le choc, pressée d’en finir, Angélique laissa son esprit vagabonder, elle songea aux fissures du
vieux bâtiment, à la chaleur des doigts légèrement calleux de Lachlan sur les siens, alors qu’il passait
une nouvelle bague à son doigt, un bijou d’or étincelant.
— Par cet anneau, je vous épouse. Cet or et cet argent, je vous les donne. Par mon corps, je vous
adore.
La voix de baryton doux de Lachlan prononçant ces vœux la fit sortir de ses pensées. Elle se
concentra sur lui, et elle sut qu’elle n’oublierait jamais cet instant.
Elle répéta ses propres vœux avec raideur et hésitation. Seules les mains puissantes de son fiancé
la maintenaient debout. Elle aurait voulu fondre en larmes, mais elle ne savait pas pourquoi. La
manière dont elle était habillée, ou plutôt déshabillée, comme une catin à son mariage ? L’expression
satisfaite et pleine d’espoir de Lachlan, si différente de sa propre détresse ?
Bien sûr qu’il était heureux. Il allait devenir comte, avec un revenu confortable. Ses biens
devenaient les siens. Il la possédait désormais.
Lachlan passa les doigts dans ses cheveux lâchés et inclina la tête vers elle. La panique lui noua la
gorge. Il posa ses lèvres sur les siennes – un contact d’abord saisissant, mais chaud et attirant. La
douce caresse de sa bouche charnue lui coupa le souffle. Il s’éloigna à peine puis se pencha de
nouveau pour un baiser plus ferme et possessif. Sa barbe de trois jours lui effleura le menton et la
pointe de sa langue sembla goûter le parfum des lèvres d’Angélique. C’était un acte si inattendu et si
érotique qu’elle ne put reprendre sa respiration.
Les sifflements et les cris enthousiastes de ses amis résonnèrent sous les chevrons. Le prêtre
s’éclaircit la voix.
Je dois le repousser, s’ordonna Angélique. Mais elle ne pouvait s’y résoudre. Non pas parce qu’il
était maintenant son mari, mais parce que ce maudit séducteur l’avait envoûtée.

— Par mon corps, je vous adore, murmura Angélique près des tentures de velours de la salle où
elle s’était enfermée seule dans la résidence du comte de Knightly.
Lorsque Lachlan avait prononcé ces mots, ses yeux d’or avaient brillé de sincérité. Mais il ne la
connaissait pas. Comment pouvait-il la regarder comme si elle était la seule femme au monde ?
Quelques jours auparavant, il forniquait avec deux conquêtes différentes en l’espace de deux nuits…
C’était un menteur accompli. Vraiment doué pour cela, et pour d’autres choses encore… comme
les baisers. L’instant où ils avaient scellé leur union en s’embrassant avait été le plus excitant de sa
vie. Dans une église, rien de moins ! Le baiser n’avait pas dû durer plus de cinq secondes, mais il
avait suffi à susciter des sentiments contradictoires en elle.
La porte de la chambre s’ouvrit et se ferma dans un bruit léger. Son nouvel époux s’avança dans
les vêtements anglais, noirs, qu’il avait portés pour la cérémonie. Ils lui donnaient une grâce
fringante, avec ses cheveux clairs tirés en queue-de-cheval. Il ne lui manquait qu’un loup pour se
transformer en caricature de voleur de grand chemin de roman. Une crosse de pistolet et la garde de
son épée étincelaient à sa taille.
Que fallait-il dire à son nouveau mari ? Surtout qu’Angélique n’avait pas confiance en lui… ni en
elle-même.
— Vous n’avez pas mis votre kilt, fit-elle remarquer pour combler le silence.
Il s’arrêta à deux mètres d’elle.
— Non. Il attire trop l’attention à Londres, et il vaut mieux être vêtu de noir pour les déplacements
secrets, de nuit. J’espère que l’esprit de mon père n’a pas vu tout ça. Je ne voudrais pas qu’un seul
membre du clan MacGrath sache que je portais des habits d’Anglais à mon mariage.
— Cela vaut mieux qu’une chemise et une couverture.
— Désolé, à ce propos, mais je n’avais pas le choix. Nous tiendrons une autre cérémonie à
Draughon, devant votre clan… Notre clan. Vous pourrez alors porter votre belle robe de mariée.
Ces paroles la laissèrent perplexe.
— Vraiment ?
— Certes. Cela vous plairait ?
Il avait toujours un regard franc et sincère.
— Oui. Mais… que vous importe ?
— Pourquoi cela ne m’importerait-il pas ?
Elle secoua la tête.
— Vous êtes un homme.
— Certes. Et ?
Il attendit en la regardant fixement, les sourcils levés.
— Les hommes n’ont pas la patience de… Oh, ce n’est rien.
— Je suis très patient. Je ne suis pas le satyre infernal que vous imaginez.
Sur ces mots, il retira son baudrier et entreprit de se dévêtir, jetant chaque pièce de son vêtement
luxueux en tas sur une chaise. D’abord son pourpoint puis son gilet et son pantalon. Cette attitude
présomptueuse était pourtant digne d’un satyre…
Elle détourna le regard vers la fenêtre avant qu’il retire sa chemise. Parbleu, elle ne pouvait pas le
contempler nu, n’est-ce pas ?
Elle s’éclaircit la voix.
— Où sont vos habits de Highlander ?
— Je l’ignore. Dans une de mes malles, j’imagine.
Elle lança un regard vers lui avant de se détourner. Par tous les saints ! Ses muscles étaient
ciselés comme s’ils avaient été taillés dans un marbre chaud et poli, comme les statues qu’elle avait
contemplées en Italie. Une version améliorée du David de Michel-Ange, plus espiègle, avec une
longue crinière blonde. Une chaleur fiévreuse s’empara d’elle.
Elle prit le temps d’inspirer profondément.
— Dois-je vous rappeler que ce n’était un mariage que de nom ?
Le répétait-elle pour lui, ou ressentait-elle aussi le besoin de se le redire ?
— Le roi veut que ce mariage soit consommé pour être légal et ferme.
Le roi ? La peste soit du roi. Elle lui avait obéi. Mais son corps lui appartenait, elle seule pouvait
l’offrir à qui elle voulait, quand elle voulait.
— Ce soir, ajouta-t-il.
La jeune femme fixa les yeux sur un vase bleu de lys blancs sur la coiffeuse, surprise qu’il ne se
brise pas sous le poids de son regard.
— Je me moque de ce que veut le roi.
— Vous voulez aller lui dire vous-même ? demanda-t-il avec une pointe d’amusement.
— Non.
— Dans ce cas… (Lachlan marqua une pause.) Il souhaite qu’une preuve soit offerte à ses hommes
dans l’heure.
— Une preuve ?
Elle le regarda. Il était encore nu, par l’enfer ! Elle lui tourna le dos.
— Oui. Le sang de votre virginité sur les draps.
— Le roi n’est qu’un barbare écossais !
Lachlan eut un rire moqueur.
— C’est juste. Mais peut-être que vous voulez lui dire cela, aussi ?
— Je ne peux offrir le sang de ma virginité. Je ne suis pas vierge.
Voilà, cela devrait le réduire au silence.
— On me l’a appris, répondit-il d’un ton doux, presque agréable.
Le bâtard.
— Qui donc ?
— Peu importe.
Il se dirigea vers l’autre bout de la salle et ouvrit sa malle.
— Mais je n’ai su que Sa Majesté exigeait un drap ensanglanté que récemment. Je ne dis pas que je
suis d’accord, mais c’est le roi. Il ne serait pas sage de s’opposer à lui. Et puis, il veut juste s’assurer
que notre union est légale et le domaine en sécurité.
Lachlan se moquait-il qu’elle ne soit pas vierge ? La plupart des hommes… des époux du moins,
seraient furieux. Elle l’étudia du coin de l’œil. Il lui tournait le dos, et elle ne put s’empêcher de
contempler ses épaules et ses bras musclés par le maniement de l’épée, sa taille fine et son derrière
ferme. Sacrebleu ! Tous les messieurs n’étaient pas aussi bien bâtis. La vue de son corps nu effaçait
toute pensée, même sa colère.
— Ah, ah !
Il sortit son kilt, une chemise de lin et quelques autres vêtements ainsi qu’une flasque. Il jeta la
tenue au pied du lit et tira un petit couteau de son fourreau.
Angélique recula d’un pas.
— Que faites-vous ?
Il défit le lit pour exposer les draps blancs. Il posa les yeux sur son épouse puis sur lui-même.
— Quelle partie de mon corps suis-je prêt à mutiler ?
Aucune ! Avait-il perdu l’esprit ? Quelques cicatrices pâles marquaient déjà sa poitrine, ses bras
et ses jambes, mais elle ne voulait pas qu’il y ajoute une blessure récente.
— Par tous les saints, que ne ferais-je pour une femme diabolique ?
Il ouvrit le flacon d’étain, avala une longue gorgée puis versa un peu de liquide sur la lame. Il
reposa la flasque sur la table de nuit et s’agenouilla dans le lit.
— Ma première blessure de guerre pour vous, ma tendre épouse.
D’un mouvement rapide du poignet, il fit une petite coupure sur son ventre, un peu au-dessus de la
taille.
— Ma foi !
Elle se couvrit la bouche en l’observant. Quel démon s’était donc emparé de lui ?
Son sang coula sur les draps immaculés pendant quelques secondes, se répandant en une tache.
— Voici le sang de votre virginité, ma noble lady. Ne dites à personne ce qui s’est vraiment passé.
Il la regarda et prit le drap du dessus pour le presser contre sa plaie.
— Bon sang, qui aurait cru que je saignerais comme un bœuf ?
Elle se précipita vers lui.
— Vous vous êtes entaillé trop profondément. Allongez-vous.
Il obéit.
— Ce n’est qu’une égratignure. Je suis souvent trop enthousiaste dans ce que je fais. Tenez, versez
un peu de cela dessus.
Il lui tendit la flasque.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Uisge beatha. L’eau-de-vie. La meilleure, distillée dans les Highlands, bien sûr. Goûtez une
gorgée.
Le whisky puissant lui brûla le nez.
— Non.
Elle en répandit sur la plaie.
Il tressaillit et son souffle siffla entre ses dents.
Elle appuya fermement le drap sur la blessure. L’étoffe se déposa et cacha sa virilité, grâce à Dieu,
sans quoi elle aurait été trop nerveuse pour rester si près de lui. Il était son mari, oui, mais quelque
chose l’empêchait de le toucher. Il la brûlerait, comme lors de leur baiser pendant ce mariage
grotesque.
— Souffrez-vous ?
— Non. C’est bon, maintenant, je crois.
Il souleva le linge.
— Je vais vous faire un bandage, sinon vous saignerez dans vos habits et notre ruse sera
découverte.
Elle déchira le bas du drap.
— Levez-vous, s’il vous plaît.
Il obéit et le tissu ne le protégea plus.
— Vous aimez me donner des ordres, hein ?
Elle tâcha de maintenir son regard au-dessus de la ceinture et entoura son ventre musclé de
l’étoffe, mais elle ne pouvait ignorer son membre viril, qui lui semblait plus gros chaque fois que ses
yeux s’aventuraient dessus. Elle se dit que son imagination lui jouait des tours, jusqu’à ce qu’il
commence à se dresser dans sa direction.
Elle se décala pour éviter le contact redouté.
Lachlan eut un sourire goguenard.
— Vous êtes jolie quand vous rougissez, petite Française.
— Je ne rougis pas, déclara-t-elle en sentant ses joues enflammées comme jamais.
— Oh, vraiment ? Pardonnez-moi, mais je vous trouve très virginale. Êtes-vous bien certaine de ne
plus l’être ?
— Évidemment.
— Alors vous avez déjà vu un homme nu ?
Elle songea qu’il devait la taquiner, mais sa voix était un peu plus sèche. Elle se concentra sur sa
tâche en s’assurant que le bandage était bien fixé.
— Angélique ?
Maudit soit-il, ne pouvait-il la laisser en paix ?
— Non, pas complètement. La plupart des gens… ne s’accouplent-ils pas dans le noir ?
Son sourire se fit mutin et rusé.
— Si ce sont des puritains.
— Pas seulement les puritains.
— Les catholiques aussi, alors ? Ah, très bien. Je suis content que vous ne soyez pas trop familière
du corps des hommes.
Elle noua le bandage sous son bras. Sa mission accomplie, elle s’écarta vers la fenêtre, refusant de
regarder encore son corps harmonieux et son membre dressé. En vérité, elle n’en avait jamais vu et
se trouvait plus curieuse qu’elle n’aurait voulu. Avait-il une taille normale ? Il était certainement bien
assez gros pour provoquer une grande douleur pendant l’accouplement. Mais si tel était le cas,
pourquoi les femmes tenaient-elles autant à partager son lit ? Son corps était aussi chaud que si elle
s’était tenue près d’un grand feu de cheminée. La sueur lui glaça la peau.
— Je vous remercie, dit-il.
— Ce n’est rien. Je vous remercie pour votre… sacrifice de sang.
Il rit et elle le contempla. Il tenait son tartan devant lui, mais ses yeux croisèrent les siens,
malicieux et perspicaces. Il lâcha l’étoffe et s’approcha. Elle regarda par la fenêtre.
Non. Allez-vous-en. Ne me touchez pas.
— Angélique.
Il fit courir un doigt sur la peau sensible de son cou et elle réprima un frisson. Il posa ses mains
larges sur sa taille, avec une force possessive. D’un air affectueux, il lui embrassa la tempe, l’oreille,
tandis que son souffle chaud la titillait comme une plume légère. Ses lèvres continuèrent leur
exploration et il lui mordilla le cou à l’ébauche de l’épaule. Sa barbe drue frotta sa peau délicate, en
un picotement un peu douloureux mais aussi en un chatouillement qui lui descendit dans les bras et la
poitrine.
Il fit glisser une main sur son ventre et l’attira en arrière. La chaleur de son corps la brûla presque
sous la fine soierie de sa robe, une impression de tourbillon liquide s’empara du bas de son ventre,
sous sa main. Sacrebleu ! Quel maléfice lui avait-il lancé ?
Son corps était comme un mur solide dans son dos. Elle n’avait pas encore mis ses dessous ni son
vertugadin, et son membre rigide était pressé contre ses fesses. Les instincts primaires de son corps
lui soufflaient de se cambrer et de plaquer sans retenue ses hanches contre les siennes. Non ! Elle
s’obligea à ne pas réagir.
Mais elle ne pouvait se sortir de la tête l’image de cette partie de son corps.
Son autre main monta vers sa poitrine, et il lui caressa le cou du bout des doigts tout en frôlant de
ses lèvres la peau de son cou et le bas de ses mâchoires. Il lui suffirait de tourner la tête pour
savourer l’expérience d’un baiser comme celui de la chapelle.
— Permettez-moi de vous donner du plaisir, Angélique, murmura-t-il.
La jeune femme sentait son corps la trahir, animé de picotements délicieux et d’étranges envies.
Ses poumons se vidèrent et elle lutta pour reprendre son souffle. Cet homme n’était qu’un démon de
la luxure et de la fornication qui exerçait son pouvoir sur elle.
— Par tous les saints, vous êtes magnifique. Votre peau a le goût du miel.
Et s’il la forçait ?
— Non, fit-elle en se dégageant. Je ne veux pas entendre les mensonges bien répétés que vous
servez à vos maîtresses.
— Je disais la vérité, jeune femme.
Sa voix profonde était plus douce qu’il n’était permis, un peu rauque et intime. Il attendit un instant
en silence.
— Vous êtes belle. Aussi délicieuse qu’une pâtisserie dont j’aimerais déguster chaque bouchée.
Elle ferma les yeux en essayant de repousser les images de sa bouche sur sa peau, partout… Elle
voulait chasser l’excitation dérangeante qu’elle ressentait, s’en débarrasser jusqu’à laisser son corps
froid. Mais la sensation était obstinée. Et par tous les saints, sa voix était aussi persuasive que son
contact.
— Nous sommes mariés, dit-il. Il n’y a pas de honte.
Angélique s’obligea à prendre une profonde inspiration.
— Je m’en moque. Vous ne me toucherez pas.
Vous ne me ferez pas de mal. Vous ne me priverez pas de toute maîtrise. Une larme glissa entre
ses cils. Grâce à Dieu, elle était de dos et il ne pouvait la voir.
Il laissa échapper un soupir las et recula.
— Peut-être que l’une de vos conquêtes vous offrira une nuit de noces que vous apprécierez.
Il marmonna quelques paroles dures dans une langue qu’elle ne comprenait pas, certainement en
gaélique. Parfait, elle l’avait fait fuir. C’était vraiment excellent, même si son corps était encore
frustré et impatient. Elle repoussa ses désirs irrationnels.
Un coup brutal retentit à la porte. Elle sursauta et s’empressa de chasser ses maudites larmes.
Lachlan passa sa chemise longue et ouvrit la porte. Après avoir murmuré quelques mots qu’elle ne
comprit pas, il remit le drap taché de sang, roulé, à l’un des hommes du monarque, puis il referma la
porte.
— Nous partons à bord de l’un des plus petits galions du roi à destination de Perth, dans une demi-
heure.
Lachlan finit de s’habiller. Il regarda si longtemps le dos rigide d’Angélique qu’il eut bien du mal
à nouer son kilt. La coupure à son ventre le piquait comme une nuée d’abeilles possédées par des
lutins malveillants.
Quel enfer que le mariage ! Il aurait dû se douter que cela se passerait ainsi. Quelle peste
affriolante, sublime et haïssable !
Par le ciel, il avait envie d’elle. Sa peau était la soie couleur ivoire la plus fine, délicatement
glacée de miel.
Et sa bouche, quand il l’avait embrassée dans la chapelle, avait ce parfum… Il ne savait le définir.
Il n’avait pu s’empêcher de faufiler sa langue entre ses lèvres pour la savourer pleinement. Il aurait
voulu se délecter de sa langue comme d’un bonbon confit tandis qu’il se glissait profondément en elle
et se noyait dans le plaisir qu’il lui offrait. Il aurait voulu la posséder vite et profondément,
l’entendre gémir, non, hurler son nom et en demander davantage.
Il sentit son sexe se durcir à cette idée.
— Iosa is Muire Mhàthair !
Il devrait sortir en quête d’une femme désireuse de le satisfaire, comme l’avait suggéré sa tendre
épouse. Peut-être même qu’il pourrait retrouver Eleanor. Mais c’était exactement ce que voulait
Angélique. Il ne lui donnerait pas raison même s’il devait devenir un moine sans cervelle.
Il claqua la porte de la chambre et s’éloigna à grands pas dans le vaste couloir. Les tapis épais tout
comme les dorures qui luisaient doucement dans l’ombre lui apprirent que la maison était élégante,
très différente du vieux manoir des Highlands, demeure bien-aimée où il avait grandi. Il rejoignit ses
amis et les courtisans du roi dans la bibliothèque.
Ils se turent et l’observèrent avec curiosité quand il entra. Ce n’était pas nouveau, il avait
l’habitude des regards insistants, quelle qu’en soit la raison. Il s’approcha d’une table et se servit un
verre généreux de xérès.
Rebbie s’approcha d’un air hésitant. Que leur arrivait-il, à tous ? Son expression était-elle si
effrayante ?
— Faut-il faire venir un médecin ? demanda son ami d’une voix basse.
— Pourquoi ?
Il espéra qu’ils ignoraient tout de sa coupure et jeta un coup d’œil rapide à sa chemise. Pas de
trace de sang pour le moment.
— Pour votre femme, murmura Rebbie.
— Pourquoi ? Elle était aussi gaillarde qu’un blaireau gavé de musaraignes la dernière fois que je
l’ai vue.
Rebbie se mordit les lèvres un moment, se retenant de rire.
— Qu’est-ce qui ne va pas, à la fin ?
— Nous avons craint que vous ayez tué lady Angélique en la mettant dans votre lit.
— Oh, cela… Non, c’est une fille solide, à moitié écossaise.
Il n’aurait pas à entretenir ce mensonge bien longtemps. D’ici peu, elle brûlerait d’obtenir ses
faveurs et lui réclamerait un aperçu du paradis entre ses draps.

Le carrosse cahotait sur la route marquée par les trous et les ornières, faisant claquer les dents des
occupants. Angélique se tenait très raide, cette fois en tenue irréprochable et tentait d’échapper au
regard fixe de Camille.
— Que vous a-t-il fait ? murmura celle-ci en français après un long moment.
— Rien.
— Mais tout ce sang… Les hommes jasaient.
— Je te raconterai plus tard, mais cela ne doit pas t’inquiéter.
Angélique s’efforça de trier ses pensées entremêlées concernant son vaurien de mari. Elle détestait
devoir l’admettre, mais Lachlan s’était conduit en héros en se coupant de la sorte. Non seulement il
ne l’avait pas violentée, mais il avait inventé cette mascarade pour cacher au roi la perte de sa
virginité et apaiser le monarque. Mais ensuite, cette façon de la toucher, et les sensations aussi
excitantes qu’effrayantes qu’il avait éveillées dans son corps… Cela la laissait perplexe.
— Vous êtes-vous accouplée avec lui ? demanda Camille. Vous a-t-il forcée ?
— Non. Mais tu ne dois en parler à personne.
Sa cousine resta silencieuse un moment.
— Vous ne pourrez vous refuser à votre époux éternellement.
Angélique le savait, mais elle comptait le tenir à distance aussi longtemps que possible. Bien sûr,
il faudrait un héritier, et elle ferait son devoir. Mais elle redoutait cette épreuve.
Une partie d’elle-même appréhendait qu’en le laissant briser son armure, elle ne puisse plus
jamais la reconstruire. Si elle se livrait à lui, il profiterait d’elle de toutes les manières possibles, lui
volant tout pouvoir pour s’imposer dans tous les aspects de sa vie, sur son domaine, sur son clan.
Elle craignait qu’il ne s’immisce dans son lit et s’empare de son corps. Pire encore, elle redoutait
qu’il utilise une nouvelle manœuvre manipulatrice pour se frayer un chemin jusqu’à son cœur. Mais
ensuite, il s’attendrait à ce qu’elle accepte ses multiples conquêtes.
Il n’était pas comme Girard, ce maudit barbare. Pour commencer, le baiser de Lachlan… Elle
peinait à penser à autre chose, si ce n’était son corps nu qu’il lui avait dévoilé si fièrement en
cherchant à l’exciter, elle en était convaincue. La séduction était son unique talent. Cet homme se
berçait d’illusions, tellement il était sûr de lui…
— Il cherchera les faveurs d’autres femmes, fit remarquer Camille.
— Oui, tôt ou tard il le fera, que je me donne à lui ou non. Les hommes comme lui se lassent vite
d’une seule femme.
— Mmh. Peut-être trouverez-vous aussi un amant écossais musclé, lorsque nous aurons atteint
Draughon, ronronna Camille.
— Je n’en veux pas, répliqua sèchement Angélique.
— Fort bien, mais moi oui.
Angélique aurait voulu être aussi blasée à propos de l’accouplement. Elle savait que sa cousine ne
cherchait qu’à amoindrir sa peur sur le sujet.
Une vague de galops et de hennissements entoura le carrosse. Le véhicule accéléra et des coups de
feu retentirent.
— Mère de Dieu !
Angélique sentit son cœur se serrer et s’accrocha comme elle pouvait. Kormad les avait-il
rattrapés ?
— Halte ! hurla une voix masculine.
D’autres coups de feu éclatèrent et l’odeur de poudre à canon brûlée emplit l’air. Des cris
s’élevèrent, en anglais et en gaélique, résonnant entre les bâtiments au-dehors. L’équipage ralentit et
s’arrêta.
— Merde ! Ce n’est pas bon.
Camille souffla la lampe et se précipita sur le banc avec sa cousine. Les deux jeunes femmes
s’aplatirent contre le dossier, loin des fenêtres.
— Kormad nous tuera si nous ne faisons rien, s’alarma Angélique.
D’autres détonations claquèrent et des épées s’entrechoquèrent. Et si leurs assaillants avaient déjà
tué Lachlan ? Non, elle refusait d’y penser.
— Tiens-toi prête.
Angélique sortit une dague de sa poche. Ce ne serait pas la première fois que Camille et elle
défendaient leurs vies.
— Je vais les couper dans leur élan, déclara Camille en tirant un petit pistolet de sa robe.
— J’ignorais que tu avais cela, fit remarquer Angélique qui regrettait d’avoir laissé son propre
pistolet dans sa malle, déposée sur le toit du carrosse. Est-il chargé ?
— Oui. À quoi me servirait-il, sinon ?
Angélique jeta un regard par la fenêtre, ne vit personne et tendit le cou. Elle reconnut le
malheureux qui gisait sur le sol : le cocher. Un autre homme rampa du dessous de la voiture et se
glissa vers l’avant.
Angélique rentra dans le carrosse.
— Ils ont tué le conducteur et quelqu’un essaie maintenant de s’emparer des rênes. Nous devons
sortir et aller nous cacher.
Camille hocha la tête et ouvrit la portière de l’autre côté. Les deux jeunes femmes se faufilèrent
dans les ténèbres et la boue. Angélique prit la main de Camille dans les siennes et l’entraîna à sa
suite avant de passer vers l’arrière du véhicule en quête d’une cachette sûre. Les ombres autour du
bâtiment étaient insondables.
— Retournez dans le carrosse ! ordonna un inconnu juché sur un grand destrier noir.
Angélique ignorait s’il s’agissait d’un homme de Lachlan ou de Kormad.
— Enfer et damnation, marmonna l’individu avant de regarder plus loin. MacGrath !
La voiture se remit à rouler. Un autre cheval galopa à ses côtés. Le cavalier se pencha et souleva
Camille. Elle hurla et laissa échapper son pistolet.
Chapitre 4

Angélique récupéra vivement le pistolet de Camille, visa le dos du ravisseur en fuite et pressa la
détente. Bien que l’arme soit petite, le coup explosa avec fracas, et elle sentit le choc se répercuter
dans ses bras avec une odeur de poudre qui lui piquait le nez. L’homme hurla et laissa tomber
Camille du cheval. Elle s’effondra à terre.
— Sacrebleu !
Ignorant sa main douloureuse, Angélique s’élança et s’agenouilla près de sa cousine. Elle lui
toucha la joue.
— Camille ?
Des sabots claquèrent sur les pavés mais elle ne pouvait détacher son regard du visage de sa
compagne.
— Par le ciel ! Pourquoi n’êtes-vous pas restées dans le carrosse ! s’exclama Lachlan avec un
accent plus prononcé que jamais.
Il descendit de cheval et s’accroupit près d’elles avec une torche. Les flammes manquèrent de leur
brûler la peau.
Le sang de Camille teintait les pavés. Mère de Dieu, ai-je causé sa mort ? Angélique se plia en
deux, l’estomac retourné par la nausée.
— Ils ont tué le cocher ! dit-elle à Lachlan. Un autre homme allait voler le carrosse, je l’ai vu.
— Et maintenant, lui aussi est mort. On ne les aurait pas laissés vous emmener, répondit-il d’une
voix rauque, presque un grondement.
— Ils étaient plus nombreux.
— Non, pas du tout. On maîtrisait la situation.
La jeune femme ferma les yeux pour en expulser ses larmes brûlantes.
— Je l’ignorais. Oh, Camille, je t’en prie, pardonne-moi.
Angélique se pencha, et posa l’oreille près de la bouche et du nez de sa cousine. Elle sentit son
souffle lui réchauffer la peau par bouffées timides.
— Elle vit ! Dieu merci ! Aidez-moi.
Lachlan confia sa torche à son ami anglais, Miles, puis glissa gentiment les bras sous Camille pour
la soulever. Angélique le suivit jusqu’au carrosse et l’aida à installer confortablement sa parente.
— Merci.
— Ne quittez plus le carrosse jusqu’à ce que je l’aie dit ! cria le Highlander en claquant la porte.
Angélique aurait voulu lui lancer une réplique cinglante, mais c’était elle qui aurait mérité des
reproches véhéments pour avoir causé du mal à Camille. La voiture s’ébranla brusquement et
Angélique tomba sur le plancher. Maudit cocher.
— Camille ?
Elle tapota les joues de sa cousine, regrettant de ne pas avoir d’eau froide pour y plonger un linge.
Camille était la personne qui comptait le plus au monde pour elle, comme une sœur, et elle venait de
mettre sa vie en danger.
— Pardonne-moi, je t’en prie. De grâce, réveille-toi.
Des coups de feu retentirent de nouveau.
Merde ! Elle se pencha pour se mettre à l’abri et se placer devant sa cousine.
De nombreux martèlements de sabots résonnèrent et le véhicule accéléra en bondissant parmi les
creux de la route. Le nouveau conducteur criait des ordres en faisant claquer un fouet. Lorsque les
coups de feu s’éloignèrent, elle hasarda un regard au-dehors. Les gardes du roi se pressaient autour
du carrosse.
— Grâce à Dieu, soupira-t-elle lorsque le véhicule s’arrêta.
Elle sut qu’ils avaient atteint les quais en sentant le parfum salé de l’océan, en entendant le
tintement d’une cloche et en percevant le glissement des vagues sur les coques de bois craquant.
Lachlan ouvrit la portière.
— Venez. Il faut faire vite.

Une demi-heure plus tard, Camille, toujours inconsciente, était installée sur le lit du bas dans la
cabine du capitaine à la lumière d’une lanterne suspendue. Angélique égrenait les perles de son
rosaire en faisant les cent pas, priant pour que sa cousine se réveille. Elle lui avait tamponné le
visage avec de l’eau, encore et encore, mais cela n’avait donné aucun résultat.
— Oh, Marie, s’il vous plaît…
Un coup sec retentit à la porte et elle sursauta.
— Qui est-ce ?
— Lachlan.
Elle ouvrit.
— Le barbier et chirurgien de bord est descendu à terre, et demeure introuvable. J’ai fait quérir un
médecin mais il n’est pas encore arrivé. Le capitaine a dit qu’il fallait partir immédiatement à cause
de la marée.
Lachlan tourna la tête vers Camille.
— Ah ! Elle est réveillée ?
Angélique fit volte-face et se précipita vers sa cousine.
— Camille, comment vas-tu ? Dieu soit loué !
Sa suivante posa la main sur sa tête et grommela :
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Vous êtes tombée de cheval.
— Je me rappelle maintenant. Avez-vous tiré sur le bâtard qui m’avait enlevée.
— Oui. Veux-tu que nous attendions le médecin ?
— Non, je les déteste. Je vais bien.
— Si vous en êtes certaine, on va hisser les voiles, déclara Lachlan. Ce n’est pas sûr de rester ici.
— Oui, allez-y.

Kormad regardait fixement ses hommes qui baissaient les yeux sur les vieilles planches de sa
chambre à l’auberge. Six incapables doublés d’imbéciles. Ce maudit bâtard de MacGrath avait fui
avec Angélique et l’avait épousée. Pire encore, il allait devenir chef, comte, et posséder le manoir de
Draughon et les terres environnantes.
— Tout est à moi, par la naissance ! hurla Kormad en frappant la table du poing.
Les flammes vacillèrent furieusement.
— Vous… vous voulez dire à Timmy, mi… milaird, balbutia Arnie.
— Certes ! Mais ce domaine m’appartient jusqu’à ce que mon neveu soit en âge de s’en occuper.
J’attends depuis toujours de prendre ma place à Draughon.
Du moins, il avait espéré et convoité le riche territoire toute sa vie… Il était si proche de l’obtenir
qu’il pouvait presque le toucher.
— Je ne laisserai pas ce dépravé en kilt de MacGrath me le voler ! Il est tout ce qui se dresse
encore entre mes terres et moi.
— Elle l’a choisi, fit remarquer Rufus.
— Je le sais, fils de catin ! Et elle va regretter sa décision. J’y veillerai !
Si elle refusait de choisir Kormad, il ne lui permettrait pas de vivre. Elle n’était qu’un minuscule
caillou sur sa route et il la chasserait sans effort. Les vrais obstacles étaient le roi James et ce maudit
Highlander qu’il avait désigné comme époux pour sa pupille.
— Qu’allez-vous faire ? demanda Arnie.
— Rentrer à Burnglen, et rallier des partisans contre les Drummagan et les clans voisins.
Un coup retentit à la porte.
— Entrez !
L’un des hommes, MacFie, entra en trombe, le souffle court.
— Je suis venu aussi vite que j’ai pu, milaird. J’ai dû me cacher des heures, mais Pike est à bord
de leur navire.
— Vous plaisantez ?
Kormad sentit un frisson d’excitation le parcourir.
— Non. C’est vrai.
— Pike. En voilà un qui sait y faire ! s’exclama Kormad en riant avant de laisser échapper un cri
de triomphe. Où se rend le bateau ?
— Directement à Perth. Pike a dit qu’il vous retrouverait à La Tête de cerf dans trois jours.
MacGrath et sa lady seront probablement morts d’ici là.
— Oui.
La soif de sang envahit Kormad. Dommage qu’il ne puisse l’apaiser sur MacGrath et sa traînée.
Mais Pike ne tarderait pas à conclure l’affaire.
— Trouvez-nous de la place à bord d’un navire marchand à destination de Perth. Un rapide !

— Ah, vous voilà ! lança Rebbie.


Lachlan, les cheveux agités par le vent, se détourna de la mer turbulente dont il surveillait les
vagues qui s’abattaient au loin contre les rivages rocheux. Sa chevelure semblait noire par contraste
avec la lumière orange de l’aube.
— Certes.
La nausée qui tourmentait Lachlan ne venait ni de l’horrible petit déjeuner qu’il avait pris ni de
l’eau agitée qui faisait vaciller le petit galion royal.
— Quel est le problème ? lui demanda Rebbie avec inquiétude… ou curiosité, Lachlan n’en était
pas sûr.
— Rien.
Il avait seulement besoin d’un moment, seul, pour réfléchir ; les quelques marins sur le pont étaient
faciles à ignorer, et l’air frais lui éclaircissait les idées.
— Vous êtes pâle comme une neige de janvier… non… en fait, vous êtes un peu verdâtre. Le mal
de mer ?
— Les flots sont agités ce matin.
Lachlan saisit le bastingage mouillé pour se retenir, espérant mettre fin aux questions de Rebbie.
— C’est vrai. Comment vont les petites dames ?
— Camille va mieux, mais Angélique a le mal de mer.
— Elle se rétablira quand nous atteindrons Perth.
Lachlan hocha la tête.
— Vous devriez peut-être aller au lit aussi. Je crois que vous êtes plus malade que vous ne voulez
bien l’admettre.
— Non.
Lachlan aspira une grande goulée d’air salé et essaya de calmer son cœur emballé. Il ne voulait
révéler à personne comment il se sentait. Une prise de conscience effrayante l’avait frappé aux
premières heures de la nuit et lui perçait les entrailles.
— Trop de boisson la nuit dernière ? s’enquit Rebbie.
— Non.
— Alors, quoi ? Je ne suis pas doué pour les devinettes.
— Par le diable, grommela Lachlan.
Rebbie ne lâchait jamais rien quand il pressentait qu’il lui cachait quelque chose.
— C’est juste que… Je suis marié, expliqua Lachlan, d’un ton trop calme pour son état d’esprit.
Il sentit son sang quitter sa tête, comme une vague d’épuisement physique. Par tous les saints ! Il
n’était pas faible ! Il s’était battu et avait survécu aux batailles entre clans. Il avait voyagé dans toute
l’Europe, avait fait face à la noblesse, et avait gagné les faveurs du roi. Comment un vœu prononcé à
une petite fille désagréable pouvait-il le bouleverser de la sorte ?
— Vous vous en rendez compte seulement maintenant ?
Lachlan aurait dû ne rien dire. Rebbie ne le laisserait plus en paix.
— Non, bien sûr ! Mais cela n’avait pas l’air si réel hier, pas si différent d’une autre aventure que
j’ai déjà connue. Quand je me suis réveillé ce matin, ma première pensée a été « Malédiction, qu’ai-
je fait ? » J’ai même dû prendre le nom de son clan pour devenir chef. Je suis un Drummagan
maintenant, plus un MacGrath.
Une vague frappa la coque et les aspergea d’écume froide.
— Regrettez-vous ?
— Non. Je ne sais pas vraiment ce que j’en pense. Je sais juste que je ne peux pas y échapper.
C’est permanent.
— Comme la prison. J’ai essayé de vous le dire, mais vous n’avez pas écouté.
Il n’aurait pas comparé cela à la prison. Il était simplement effrayé de ne pas être à la hauteur, de
ne pas être un chef, un comte ou un mari digne de ce nom. Il craignait aussi de ne pas aimer le
mariage.
— Je suis simplement un peu dépassé pour le moment. Je suis sûr que cela va passer. Maintenant,
je suis responsable de quelqu’un d’autre que moi. Pas seulement de mon épouse, mais de tout le clan.
C’est nouveau pour moi.
Il posa le poing contre son ventre.
— Une femme, par l’enfer, que diable vais-je faire d’une femme ?
— Je parie que vous trouverez une idée, répliqua son ami en souriant.

— Milady.
Un coup retentit à la porte de la cabine.
— J’ai apporté votre petit déjeuner.
Angélique, couchée sur le lit superposé, en haut, gronda. La nausée la harcelait si fort qu’elle ne
pouvait lever la tête. Avec le roulis, tout lui semblait tourner autour d’elle. Elle avait déjà vomi
plusieurs fois et avait l’estomac vide.
— Non, je n’en veux pas, répondit-elle en espérant que le marin entende.
— Milady, vous devez avoir faim.
— Non !
Bon sang, allez-vous-en.
Seuls les craquements de planches du navire rompirent le silence. Dieu merci, il était parti. Elle
s’assoupit. Après ce qui ne lui parut qu’une poignée de minutes, quelque chose frappa brutalement
contre la porte. Elle se dressa d’un bond. Sa tête lui fit mal et son estomac se révulsa sous ce
mouvement brusque.
— Milady, appela une voix masculine, c’est votre mari. Il est blessé et saigne abondamment.
Une pluie d’épines glacée s’abattit sur elle.
— Comment ? Lachlan ?
— Oui, et il vous fait demander.
Mère de Dieu, protégez-le.
Elle se glissa hors de son lit et atterrit devant Camille.
— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit sa cousine.
— Lachlan est blessé.
Angélique avait l’esprit envahi par l’image de ses yeux rieurs. Sa chaleur protectrice lui manquait.
Elle se dirigea vers la porte en se tenant à la table puis à une chaise.
Elle tira le verrou et découvrit un homme large d’épaules sur le seuil. Ses yeux gris semblèrent la
transpercer et il la regardait étrangement… Avec de la concupiscence, puis plus rien. N’avait-il
jamais vu de femme ?
— Où est Lachlan ?
— Dans la cambuse. On prenait le déjeuner quand une bagarre a éclaté, et il a été coupé au bras. Il
a perdu beaucoup de sang.
— Sacrebleu ! Il saigne terriblement. Conduisez-moi près de lui.
Elle s’accrocha au bras du marin malgré sa puanteur et le laissa l’escorter de la poupe vers le
pont. Les bourrasques glaciales la transperçaient comme des aiguilles. Elle aurait voulu courir, mais
sa jupe lui collait aux jambes et gênait ses mouvements. Elle frissonna et s’aperçut qu’elle avait
oublié sa cape. Mais ils ne tarderaient pas à passer sous le pont, loin du vent.
Elle devait voir Lachlan. Pourquoi était-ce si important pour elle ? Je l’ignore, mais il le faut. Il
l’avait protégée et elle devait maintenant lui rendre la pareille.
— J’espère qu’il ne va pas perdre trop de sang.
L’homme grogna et accéléra le pas.
Le navire tangua et elle manqua de tomber sur le pont humide. Elle avait mal à l’estomac et sa
nausée revenait.
Non, disparais. Je ne peux pas être malade maintenant !
Elle pressa la main sur sa gorge. Mais le malaise la plia en deux et elle s’effondra à genoux en
vomissant.
— Venez ! cria le marin en lui tirant le bras pour la relever. Il faut se dépêcher.
Le geste était si brusque qu’il fit mal à la jeune femme. Par le diable, à quoi jouait cet homme ?
— Non !
La brute la saisit entre ses bras et la jeta sur son épaule. Angélique sentit la panique s’emparer
d’elle.
— Mère de Dieu ! cria-t-elle.
Des bruits de course approchèrent.
— Hé, toi ! Lâche-la !
— Bâtard, fils de catin ! s’exclama un autre.
Les pas pressés se rapprochèrent.
Renversée comme elle l’était, Angélique ne distinguait pas grand-chose. L’épaule du brigand
heurtait son estomac douloureux. Quelqu’un lui attrapa le haut du corps et une lutte s’ensuivit, la
chahutant d’un homme à l’autre. Elle se débattit en donnant des coups de pied. L’individu chauve qui
l’avait enlevée finit par la lâcher et prit la fuite.
— Rattrapez-le !
Était-ce la voix de Lachlan ? Elle paraissait trop dure.
— Angélique ?
Quelqu’un la souleva dans ses bras.
— Par le diable, qu’est-il arrivé ?
— Lachlan ?
Angélique sentait sa tête tourner et regarda son sauveur dans les yeux.
— Oui.
— Saignez-vous ? Comment va votre bras ?
— Quoi ? Non, je ne saigne pas. C’est ce qu’il vous a dit ?
— Oui. Que vous aviez perdu beaucoup de sang. Et que vous vouliez me voir. Vous vous videz
facilement de votre sang.
— Allons ! Je ne suis pas blessé.
Lachlan tourna, la jeune femme toujours entre ses bras, et il sembla à Angélique que le monde
entier virevoltait. Elle ferma brusquement les paupières pour ne pas être malade.
— C’est un homme de l’équipage, capitaine ? demanda Lachlan.
— Non, jamais vu auparavant, déclara une voix profonde et sévère.
Des cris et des imprécations résonnèrent à quelques mètres de là. Angélique entrouvrit les yeux.
Rebbie, Dirk et des membres d’équipage luttaient contre le chauve et tentaient de le maîtriser.
— Qui est-ce ? interrogea Angélique en frissonnant.
Elle se pelotonna contre le corps chaud de Lachlan.
— Je parie que c’est un sbire de Kormad. Comment est-il monté à bord ?
— Je l’ignore, milaird, s’excusa le capitaine.
Le bandit se dégagea et bondit par-dessus bord.
— Par l’enfer, il s’échappe ! Tirez ! hurla Lachlan.
Rebbie et deux autres hommes vidèrent leurs pistolets en direction de l’eau.
— On est bien trop loin en mer pour qu’il atteigne les côtes, même s’il sait nager, observa le
capitaine.
— Je ne veux prendre aucun risque. Continuez à tirer !
Ces ordres donnés, Lachlan porta Angélique vers la cabine du capitaine.
— Que sont devenus les deux gardes que j’avais mis de faction devant sa porte ? demanda-t-il.
Le capitaine pesta et s’éloigna vivement en hurlant des consignes.
— Je parie que ce bâtard les a tués ou assommés. Vous devez être gelée, Angélique.
Une fois dans la cabine, Lachlan ferma la porte. La jeune femme hocha la tête en savourant la
chaleur de sa peau.
— Que lui est-il arrivé ? questionna Camille en s’approchant.
— Un bandit a essayé de la jeter à la mer. Un homme de Kormad, sans doute.
— Sacrebleu ! Installez-la ici, dit-elle en désignant la couchette la plus basse.
— Que fais-tu debout, Camille ? demanda Angélique. Comment va ta tête ?
— J’ai mal, mais cela s’améliore.
— Et vous, comment vous sentez-vous ? s’enquit Lachlan en couchant Angélique sur le lit avant de
la couvrir d’une couverture épaisse et de s’agenouiller près d’elle.
— Je suis terriblement malade, déclara-t-elle en pressant le poing contre son estomac, priant pour
que la nausée s’apaise.
Il lui caressa les cheveux vers l’arrière et laissa glisser son pouce le long de sa joue, le regard
intense et inquiet.
— Est-ce qu’il vous a fait mal, mon ange ?
— Juste un peu à l’épaule. Cela va passer.
Il fronça les sourcils et massa tendrement l’épaule fine de ses doigts chauds et puissants.
— Ce bâtard. Il a eu ce qu’il méritait. Je vais aller voir s’il a refait surface.
Il embrassa sa femme sur le front et se leva. Elle ferma les yeux et savoura les sensations
persistantes de ce baiser si réconfortant.
— Quand je serai sorti, verrouillez la porte et n’ouvrez que pour Rebbie, Dirk ou moi. D’autres
hommes de main ont pu se glisser à bord.
Camille hocha la tête, obéit, puis revint vers le lit.
— Pour l’amour de Dieu ! Kormad est persévérant, n’est-ce pas ?
— Oui, répondit Angélique. Ce monstre voulait me noyer, j’en suis sûre. Je crains que Kormad
n’abandonne pas tant que je serai en vie.

Angélique n’avait jamais été aussi ravie de retrouver la terre ferme que lorsqu’ils accostèrent à
Perth. Elle avait déjà traversé deux fois la Manche, et elle avait été malade chaque fois. Elle était
surtout rassurée d’être loin de cette brute chauve qui avait voulu la tuer. Les hommes sur le pont
avaient repéré l’assassin qui nageait vers la côte, mais ils n’avaient su dire s’il y était parvenu.
Elle pria pour qu’il ne se remette pas à sa poursuite.
Camille et elle avaient pris place dans un carrosse qui cahotait vers le nord de Perth, droit vers la
terre de son enfance. Elle repoussa le rideau et contempla le spectacle familier des Basses Terres
d’Écosse. Les champs vert et brun défilaient, et les collines couvertes d’arbres lui rappelaient de
lointains souvenirs. Elle prit une profonde bouffée d’air frais et vivifiant, mais il ne lui apporta aucun
réconfort. Et si les membres de son clan ne l’aimaient pas, ou ne l’acceptaient pas ? Et si elle était
plus française qu’écossaise à présent et ne réussissait pas à créer de liens avec eux ? Et si Lachlan
trouvait une traînée plantureuse parmi les servantes, prête à réchauffer son lit ?
Ses amis et lui chevauchaient devant la voiture et d’autres hommes escortaient les courtisans du roi
derrière le véhicule, sur la petite route tortueuse.
Camille tenait son bras blessé contre elle, celui sur lequel elle était tombée en chutant du cheval.
Elle avait les yeux gonflés et entourés d’ecchymoses d’un noir bleuté. Heureusement, elle avait
nettoyé tout le sang de ses cheveux, redevenus d’une teinte blonde douce et brillante.
— Je me sens encore terriblement coupable de ta chute, déclara Angélique.
— Nous avons fait ce que nous avions à faire, comme toujours. Ne regrettez rien. Je vous remercie
de m’avoir sauvé la vie.
— Mais je t’ai mise en danger d’abord, en te demandant de quitter le carrosse.
— N’y pensez plus, Ange. Je vous ai sauvé la vie une fois, et maintenant, c’est à votre tour.
Angélique ferma les paupières. Elle haïssait ce souvenir. La simple pensée de Girard lui faisait
horreur. Elle aurait volontiers prié pour qu’il soit mort si une telle prière n’avait semblé si sacrilège.
Elle repoussa ces pensées.
— Nous formons la paire, n’est-ce pas ?
Camille sourit.
— Et maintenant, nous voici embarquées dans notre plus grande aventure, avec plusieurs
séduisants Écossais.
Angélique renifla avec mépris. Certes, son mari était bel homme, mais elle n’était pas convaincue
que ce soit une bonne chose. Des femmes, partout, de toute condition, le regardaient ouvertement ou
lui glissaient œillades et sourires discrètement. Il fallait mettre à son crédit qu’il feignait de ne rien
remarquer.
Un gros rocher près de la route attira son attention. Elle se souvint de son père qui la soulevait
dessus quand elle était petite.
— Nous sommes près de Draughon.
Elle sentit son cœur s’emballer et regarda au-dehors. Derrière les arbres, le large fleuve Tay
scintillait sous le soleil de l’après-midi. Tout lui paraissait familier, mais comme issu d’une autre
existence.
Le carrosse s’arrêta, et elle pencha la tête par la fenêtre. Les hautes grilles de fer noir se dressaient
face à elle et plus loin, se tenait l’immense château médiéval, le manoir de Draughon. Mais devant
les portes s’entassait un important groupe d’hommes armés inconnus. Elle frissonna.

— Halte ! ordonna un petit garde en armure.


Cette demi-portion n’inquiétait pas Lachlan, mais le reste de la troupe le préoccupait davantage.
Les guerriers arboraient toutes sortes d’épées, de haches, de piques et de pistolets, et formaient une
ligne devant les grilles.
— Qui êtes-vous ? demanda le garde.
— Lachlan MacGrath… Drummagan, le nouveau chef du clan Drummagan et comte de Draughon.
— Ha ! Ha ! Ha ! se moqua la sentinelle. Excellente plaisanterie.
Lachlan se raidit face à la moquerie. Une sensation nauséeuse lui noua l’estomac. En vérité, il se
sentait comme un imposteur. Lui, un comte ? Un chef ? Mais personne n’avait à connaître ses doutes.
Il était capable de maintenir l’illusion jusqu’à l’aube.
L’un des courtisans du roi s’approcha et déroula un document légal portant le sceau du monarque.
— La comtesse de Draughon, lady Angélique Drummagan, est dans le carrosse, et nous sommes ici
à la requête de Sa Majesté, le roi James. Cet homme dit la vérité. Il est le nouveau comte de
Draughon et votre chef.
Le détachement d’hommes armés en armures de cuir fut renforcé de vingt ou trente éléments de
plus à l’arrière.
— Personne de votre espèce ne passera ces portes avant que laird Kormad revienne, gronda le
garde.
Les Écossais devaient-ils toujours être aussi rebelles ? Dans des moments pareils, il aurait voulu
étrangler ses compatriotes.
— Kormad ? releva Lachlan.
Maudit soit ce fils de catin.
— Sorley MacGrotie, baron de Kormad, héritier légitime de ce comté.
— Je sais qui il est, mais pour le comté, c’est faux. C’est moi le comte de Draughon. C’est officiel.
— Au nom du roi James, posez vos armes, ouvrez cette grille et libérez le passage ! ordonna
l’émissaire du souverain.
— Je crois…, commença le garde qui fit mine de réfléchir. Eh, non ! Je suis un Drummagan et je ne
veux pas d’un maudit MacGrath des Highlands comme chef. Le roi James déteste ces barbares sans
loi, il n’en enverrait pas un nous diriger.
— C’est la frontière des Highlands, ici. Ce n’est pas comme si nous venions de pays différents.
Nous sommes tous les deux écossais, déclara Lachlan en restant parfaitement calme et courtois.
— Vous n’êtes qu’un barbare, je le vois bien à votre allure, rétorqua le garde tandis qu’il scrutait
le tartan jeté sur l’épaule de Lachlan.
Au moins avait-il opté pour un pantalon et non un kilt ce jour-là… C’était plus pratique pour
chevaucher.
— J’ai été éduqué à Édimbourg, comme votre ancien chef John Drummagan. Mon frère est un
comte écossais et aussi un chef. J’ai du sang noble dans les veines.
— Mais pas du sang de Drummagan.
— Ma femme est une pure Drummagan.
— Pouah ! lança l’homme en crachant par terre. Elle est à moitié française.
— Lançons-nous un petit défi, vous et moi. Le vainqueur aura le château, d’accord ?
Le garde le scruta comme s’il était fou. Rebbie sourit d’un air rusé et Dirk fronça les sourcils.
Lachlan descendit de cheval.
— Qu’en dites-vous ?
Il se dressa devant la sentinelle, l’écrasant du regard, de toute sa hauteur.
— Hum… Quel genre de défi ?
— Un contre un, entre hommes, un combat à l’épée.
Le Highlander tira son arme et recula d’un pas pour se mettre en garde. Son adversaire hésita.
— Allons, petit homme. J’aimerais en finir. On a beaucoup voyagé, et on voudrait manger. Mon
épouse est souffrante et a besoin de s’allonger.
— Pourquoi ce retard ? demanda brusquement une voix de femme à l’accent français derrière
Lachlan.
Il se retourna et découvrit Angélique qui approchait à grands pas, les yeux enflammés de colère et
ses jupons de soie bleue virevoltant dans son sillage.
Elle avait un petit pistolet à la main.
— Par tous les saints, marmonna-t-il.
— Milady ! Vous ne devez pas ! s’exclamaient deux serviteurs du roi qui couraient à sa suite.
— Surveillez mes arrières, ordonna Lachlan à Dirk et Rebbie.
Il se dirigea vers sa femme. Quel petit ange vengeur ! Il remit son épée au fourreau, cueillit le
pistolet dans la main de la jeune lady et la raccompagna vers le carrosse. Ils s’arrêtèrent près de la
portière.
— Écoutez-moi, Angélique, lui murmura-t-il à l’oreille. Vous allez rester à l’abri à l’intérieur
jusqu’à ce que j’aie réglé cette affaire.
Son parfum féminin aux accents floraux éveilla ses sens et fit monter une vague de désir en lui en
cet instant pourtant peu opportun.
— Mais…
— Je suis le laird ici, et je vous protégerai, vous, milady. Pas le contraire, déclara-t-il d’une voix
ferme mais douce.
— Mais je suis chez moi. J’ai grandi ici, ces hommes ne peuvent pas m’empêcher d’entrer !
— Moi non plus. Mais je dois leur montrer seul qui est le chef. Il faut me faire confiance. Je vais
faire passer à Kormad un message qu’il ne pourra pas ignorer.
Elle le saisit par la manche et parut prête à protester, mais elle serra les lèvres.
— Soyez prudent, lança-t-elle simplement avant de le lâcher.
— Comme toujours, répondit-il avec un clin d’œil avant de se pencher prestement pour déposer un
baiser rapide sur ses lèvres.
Angélique sentit sa mâchoire s’affaisser sous le choc.
Il sourit, ouvrit la portière du carrosse, et l’invita à entrer d’un signe. Elle obéit mais tendit les
mains pour qu’il lui rende son pistolet, appuyant son geste d’un regard sévère.
— Rangez-le avant de vous tuer avec, murmura-t-il en lui confiant la petite arme. Ne lui permettez
pas de ressortir, ordonna-t-il ensuite au garde royal.
Lachlan aurait voulu continuer à sourire car la jeune femme s’inquiétait pour lui, mais il dut se
détourner. Son baiser avait été trop bref et il désirait davantage.
Il se tourna de nouveau vers la parodie de chef des rebelles pitoyables, en priant pour que tout le
clan Drummagan ne soit pas comme eux gagné à la cause de Kormad.

Angélique jeta un coup d’œil par la fenêtre du carrosse, Camille à ses côtés, et regarda Lachlan
s’éloigner d’un pas assuré jusqu’à l’arrogance. Ce maudit Highlander l’avait embrassée pour la
distraire et prendre les rênes. Et s’il allait se blesser pendant ce stupide duel à l’épée ?
— Nous aurions pu régler cette affaire pacifiquement, s’il m’avait écoutée.
— Vous brandissiez une arme, comme lui, fit remarquer Camille.
— Oui. Mais je ne comptais pas l’utiliser.
Enfin… Sauf si elle avait été obligée…
— Un homme préfère toujours prouver sa force seul. Voyez comme il semble doué.
Angélique renifla avec mépris mais elle devait admettre qu’il s’en sortait bien. Elle admirait sa
posture conquérante lorsqu’il brandissait l’épée.
— Es-tu en train d’observer mon époux ?
— Pas plus que tous les autres, répondit son amie avec un air innocent. Seriez-vous jalouse ?
— Non. Mais veille à ne pas devenir sa maîtresse ou je devrai te renier et trouver une nouvelle
confidente.
— Ne vous inquiétez pas, Ange. Je préfère largement son ami.
— Lequel ?
— Regardez, éluda Camille en désignant la scène.
Lachlan, avec grâce et habileté, engagea le duel contre son adversaire plus petit. Les hommes
échangèrent attaques et parades. L’ombre d’un sourire rusé flottait sur les lèvres de Lachlan. Pour lui,
c’était un jeu. Était-il conscient que sa vie était en danger ?
Que m’importe ?
Pourtant, elle était préoccupée, quelle qu’en soit la raison. Il l’avait protégée, et lui avait permis
d’échapper à Kormad et ses sbires. Elle s’était également habituée à ses yeux rieurs et à son corps
aussi musclé qu’imposant… Elle l’avait déjà vu entièrement nu, et avait relevé la moindre cicatrice
et chaque muscle saillant.
Le métal cliquetait et étincelait sous le soleil. Angélique retint son souffle. Les duels à l’épée
étaient comme des danses mortelles et violentes, aussi belles que sinistres. Auparavant, elle ne les
détestait pas autant…
Les hommes des deux camps criaient des encouragements.
Une lame s’envola brusquement avant de retomber à terre.
— Sacrebleu, murmura Angélique avant que Lachlan se tourne vers elle, son arme toujours à la
main. Grâce à Dieu, il a réussi !
— Vous en doutiez ? demanda Camille.
Angélique haussa les épaules sans quitter la scène du regard.
L’homme de Kormad, désarmé, recula, heurta une pierre et s’étala sur le dos. Lachlan, devant lui,
pressa la pointe de son épée contre sa gorge.
— Quel est votre nom ?
— Edwards.
— Eh bien, Edwards, j’épargnerai votre vie si vous remettez un message pour moi.
— Un m… mess… message, milaird ?
Angélique songea que Lachlan semblait un peu trop fier de lui-même.
— Certes. Allez dire à Kormad que s’il veut le manoir, il faudra qu’il vienne le conquérir lui-
même, s’il en a le courage. Ce domaine appartient à lady Angélique et moi-même.
Il effleura la joue du garde et la petite blessure saigna.
Il m’a mentionnée en premier, songea Angélique avec fierté, tandis qu’une vague de chaleur
adoucissait son cœur vis-à-vis de Lachlan.
Le Highlander recula et rangea son épée au fourreau.
— Levez-vous, réunissez vos hommes et disparaissez.
Le vaincu se releva maladroitement et partit en chancelant. Quatre guerriers le suivirent
précipitamment.
— Quelqu’un d’autre veut me défier ou fuir avec ses complices ? demanda Lachlan.
Personne ne bougea.
— Quelqu’un d’autre est loyal à Kormad ?
Angélique remarqua un homme grand et maigre sur le côté, enveloppé d’une tenue de cuir marron
sombre, qui cachait une épée derrière son dos. Il avait les traits tirés et scrutait le Highlander comme
un chien en arrêt devant une proie.
— Qui est l’intendant, ici ? s’enquit Lachlan en marchant devant les membres du clan encore
présents, prenant le temps de regarder chacun dans les yeux.
Lorsqu’il se retourna, l’homme qui le surveillait s’élança, sa lame pointée droit vers le dos du
Highlander.
Chapitre 5

Une lueur meurtrière dans les yeux, la bouche tordue par un rictus de haine, l’étranger chargea, son
épée large dirigée vers Lachlan.
— Mère de Dieu !
Angélique leva son pistolet, le maintint des deux mains, visa et tira. La petite arme tonna et la
jeune femme sentit la puissance de la décharge lui faire claquer les dents.
Le traître poussa un cri, tomba à terre et glissa sur le sol en laissant échapper son épée.
Lachlan eut un geste d’esquive, son regard passant de l’homme qui gémissait à sa femme.
— Par l’enfer, qu’est-ce que… ?
Où ai-je trouvé de tels réflexes ? s’émerveilla Angélique qui toussa dans la fumée épaisse. Elle
regarda le pistolet et abaissa ses mains tremblantes couvertes de poudre noire.
— Vous avez encore réussi, Ange ! s’exclama Camille. Quelqu’un finira par vous employer comme
mercenaire.
— Ne te moque pas de moi.
Le moment était venu d’affirmer son influence devant Lachlan et les Drummagan. Il ne serait pas
chef seul. Son arme toujours en main, elle descendit du carrosse et avança en tâchant de maîtriser ses
genoux tremblants.
Lachlan se tenait près du traître.
— Enfermez-le, ordonna-t-il à deux membres du clan. Que quelqu’un s’occupe de sa blessure.
La manche droite de l’homme était humide de sang. Lachlan se tourna vers un envoyé du roi.
— Veuillez vous assurer qu’ils font le nécessaire.
Deux robustes Drummagan portèrent le blessé et deux courtisans suivirent. Lachlan se tourna vers
Angélique d’un air stupéfait… à moins que ce ne soit de l’amusement. Oui. Il avait encore ces yeux
rieurs qui la provoquaient et la taquinaient, mais elle distingua aussi une nuance de fierté. Peut-être
l’avait-il sous-estimée, mais il voyait maintenant de quoi elle était capable.
« Il va falloir vous y habituer », aurait-elle voulu dire. Mais elle se retint et se tourna face à son
clan.
— Savez-vous qui je suis ? Je suis lady Angélique Drummagan, comtesse de Draughon de plein
droit, héritière et fille légitime de John Drummagan. Lachlan est mon époux, comte et chef de ce clan.
Ici, nous sommes le laird et sa lady. Ce manoir est notre maison. Abaissez vos armes et laissez-nous
passer.
Lachlan se plaça près d’elle, l’épée toujours tirée, et lui entoura les épaules du bras. Elle savourait
sa manière de vouloir systématiquement la protéger, mais elle lui avait montré qu’elle avait aussi la
force de le défendre. Elle aurait préféré qu’il retire son bras avant de la sentir trembler.
Les hommes du clan étudièrent la jeune femme et le Highlander d’un air inquiet et incertain. Elle
les regarda dans les yeux. Certains lui étaient vaguement familiers, éveillant des souvenirs d’enfance,
et d’autres lui étaient étrangers. Ils devaient lui faire confiance ainsi qu’à son mari, et les respecter.
Pour cela, ils ne devaient percevoir aucune trace de faiblesse ni de peur.
— Vous ressemblez à votre père, petite, murmura l’homme juste devant elle. Milady, excusez-moi,
se reprit-il en baissant le regard avant de mettre un genou à terre.
Ses traits lui rappelaient quelqu’un. Mais quel était son nom ? Byron ? Bryce ? Non, Bryson.
— Êtes-vous Bryson ? demanda-t-elle.
— Oui, milady, dit-il en souriant, une lueur de joyeuse surprise dans ses yeux marron. J’étais le
bras droit de votre père.
— Je me souviens de vous.
Elle observa les gaillards armés derrière, lui et rencontra les yeux pâles et fous d’un autre qu’elle
se rappelait. Sa barbe épaisse avait simplement blanchi.
— Heckie, fit-elle. Vous étiez le barde de mon père.
Il cligna de l’œil.
— Certes, milady. Et je peux encore réciter l’histoire du clan depuis l’ère de Noé !
Ce commentaire frivole la prit par surprise et elle sourit.
— Vous êtes devenue une sacrément jolie lady. Je suis heureux que vous soyez rentrée pour me
permettre d’écrire une nouvelle page de l’histoire des Drummagan.
Il déposa son épée et s’agenouilla.
L’un après l’autre, les membres du clan l’imitèrent.
— Nous sommes reconnaissants pour votre loyauté, déclara Angélique en adressant une révérence
aux Drummagan, elle-même envahie par un sentiment d’exaltation.
— En effet, mes braves, renchérit Lachlan qui s’inclina. À présent, si vous le voulez bien, ouvrez
les portes.
L’un des hommes se releva et alla s’affairer près du verrou.
Lorsque les grilles de fer noires pivotèrent, Angélique avança, les jambes un peu moins faibles.
Lachlan marchait à ses côtés, suivi par les courtisans et ses amis.
— Nous nous rassemblerons tous dans la grande salle pour le souper, annonça Angélique qui faillit
marcher dans l’une des nombreuses déjections de chevaux qui couvraient l’allée. Et nettoyez cet
endroit sans délai ! C’est plus sale qu’une porcherie.
Elle aimait son clan, mais elle ne comptait pas laisser ses membres échapper à leurs obligations ou
la croire faible. Elle avait observé bien assez souvent comment son père donnait des ordres. Lorsque
Lachlan et elle eurent franchi les marches de pierre vers la grande salle, elle la trouva beaucoup plus
propre que les extérieurs, à l’image de ses souvenirs. Elle respira le parfum sucré des joncs frais et
des herbes odorantes répandus sur le sol.
Lorsqu’elle était enfant, Heckie et un autre membre du clan lui avaient raconté les histoires
représentées sur les vastes tapisseries colorées des murs de pierre. Une vague de souvenirs
nostalgiques déferla dans son esprit, laissant une saveur douce-amère. Elle avait vraiment aimé cet
endroit, et il lui avait manqué plus qu’elle ne le pensait.
La chaise en chêne de son père trônait devant la haute table. Elle aurait tellement voulu le voir
assis fièrement à sa place une dernière fois, ses cheveux brun-roux étincelant sous les flammes de
l’âtre ! Elle ne pouvait imaginer cet endroit sans lui. Ces murs étaient imprégnés de sa présence bien
plus que de celle d’Angélique.
Parfois, sous la colère, il avait regretté qu’elle ne soit pas un garçon. Mais à d’autres occasions, il
la regardait tendrement et lui caressait la joue de sa main rugueuse mais tendre. Souvent, de retour de
voyage, il lui offrait une poupée ou une autre babiole.
— Angélique, souffla Lachlan à son oreille.
La jeune femme prit conscience de toute l’assemblée devant elle. Elle battit des cils pour chasser
la brûlure de ses yeux et nettoyer son esprit des vestiges du passé. Plusieurs femmes, servantes et
membres du clan, lui adressèrent une révérence ou baissèrent la tête en signe de respect.
— Bonne journée à vous, je vous remercie pour votre ouvrage. Le manoir est splendide.
Était-ce ce qu’il fallait dire ? Elle jeta un regard vers Lachlan, comme s’il pouvait confirmer.
— En effet, renchérit-il en attirant la main de son épouse sur son épaule. C’est une belle demeure.
— Je suis Angélique Drummagan. Certains d’entre vous se souviennent peut-être de moi lorsque
j’étais enfant. Ma mère m’a emmenée en France quand j’avais neuf ans, mais cet endroit m’a toujours
manqué. Voici mon mari, laird Lachlan MacGrath Drummagan, votre nouveau chef et le comte de ce
domaine.
Les femmes firent une nouvelle révérence et il s’inclina.
— Je suis ravi de vous rencontrer tous.
Ces dames, surtout les plus jeunes, faisaient comme toutes leurs semblables autour de lui : elles le
dévisageaient, envoûtées. Angélique se retint de claquer des doigts pour briser leur transe. Quelles
bécasses !
— Nous venons de Londres et nous voudrions nous reposer un peu avant le souper. Veillez à ce
que notre escorte et les courtisans du roi soient traités avec tous les égards, déclara Angélique d’un
ton plus agacé qu’elle n’aurait voulu.
De toute évidence, si Lachlan cherchait une conquête… ou plusieurs… pour réchauffer son lit, il
n’aurait aucune peine à trouver parmi l’assistance.
Les servantes esquissèrent une révérence et partirent en murmurant, avec un ou deux gloussements
aigus.
Une femme replète à cheveux gris se précipita vers elle avec un large sourire.
— Bienvenue chez vous, milady ! Vous ne vous rappelez peut-être pas, mais j’étais votre nourrice
quand vous étiez toute petite. Je suis si heureuse de vous revoir ici, et avec un mari si bel homme et si
robuste !
— Merci, matrone Mayme. Oui, je me souviens de vous. Nous avons fait tant de jeux ensemble ! Et
vous me racontiez des histoires. Je ne les ai pas oubliées.
— Soyez bénie, mon enfant, déclara la femme en lui tapotant gentiment le bras. Je vais vous guider
avec votre époux jusqu’à vos appartements, où vous pourrez vous reposer. Nous les avons gardés
bien propres et en ordre ces derniers mois car nous attendions votre retour, même sans savoir quand
exactement. Je suis tellement contente que Kormad n’ait pas pris le titre à votre place !
Elle continua à parler gaiement pendant qu’ils montaient un étroit escalier en spirale. Ils entrèrent
dans la chambre seigneuriale.
— Comme vous vous en souvenez, c’était la suite de votre mère, expliqua matrone Mayme. Les
appartements de votre époux sont juste derrière, avec une porte de communication. J’espère qu’ils
vous plairont, milaird.
— Je suis certain qu’ils sont parfaits.
— Je ferais mieux de me dépêcher pour veiller à ce que le souper soit préparé comme il se doit.
Appelez-nous si vous avez besoin de quoi que ce soit.
Elle se retira précipitamment.
Angélique entra dans la pièce qu’avait occupée sa mère. Était-ce encore son parfum qu’elle
respirait dans l’air ? Un mélange de lavande, de violette et d’ambre gris. Angélique s’attendait
presque à la voir assise dans sa chaise préférée, près de la fenêtre. Elle s’avança, comme dans un
rêve d’un lointain passé. Le siège était vide, bien sûr, mais la vue n’avait pas changé, avec des
moutons qui paissaient sur les vastes collines. Des blés à la nuance beige attendaient la moisson dans
les champs. Et au loin brillait le fleuve Tay, que sa mère avait tant aimé regarder.
— Je vous remercie de m’avoir sauvé la vie, dit Lachlan derrière elle.
Angélique sursauta, le regard encore flou, et l’aperçut près du chambranle. Il s’approcha.
— Un problème ?
Elle tapota ses yeux embués et essaya d’abandonner le passé, mais Lachlan posa la main sur sa
joue.
— Pourquoi pleurez-vous ?
— Je ne pleure pas.
Le contact de sa main chaude fit courir une pluie de frissons en elle. Son inquiétude, sa manière de
la toucher, tout témoignait son affection. Mais elle savait que ce n’était que manipulation. Elle ne le
laisserait pas l’envoûter. Un homme tel que lui, s’il se glissait dans son âme, la réduirait en pièces et
n’en laisserait qu’une masse sanglante. Par tous les saints ! Elle le trouvait chaque jour plus
séduisant. Et chaque jour elle se répétait qu’il n’était ni loyal ni fidèle… ce qu’elle recherchait plus
que tout.
Elle s’écarta de lui, dressant un mur froid et protecteur devant ses émotions et sa fragilité, puis
se détourna.
— Tirer sur ce traître… c’était le moins que je puisse faire pour mon époux, un être qui accorde
trop facilement sa confiance.
Lachlan se raidit.
— Je l’aurais arrêté même sans vous.
— Vraiment ? Avant d’avoir eu le dos transpercé par son épée ou après ?
C’était l’idéal pour oublier sa nostalgie : un franc retour à la réalité.
— Je ne suis pas idiot, je sais ce que vous faites, déclara-t-il tandis que la lueur amusée revenait
dans ses yeux. Vous sortez les griffes, petit fauve. La rose montre ses épines de nouveau, hein ? Mais
après ce que vous avez fait, je vous trouve un peu trop sûre de vous pour une lady.
Elle sentit ses joues s’enflammer. Maudite soit sa clairvoyance ! Pourquoi ne se contentait-il pas
de garder ses distances ? Ces mêmes distances indispensables à Angélique pour conserver les idées
claires.
— Non, c’est vous qui êtes trop sûr de vous. Vous êtes plein d’assurance et vous vous fiez aux
étrangers. Je me demande si vous êtes à la hauteur de votre mission de chef de clan.
— Oh, croyez-moi, je le suis, rétorqua-t-il en perdant son sourire, les dents serrées. Et je vous
le prouverai.
Elle détourna les yeux face à la détermination du Highlander. Il ne s’avouerait pas vaincu sans se
battre jusqu’à la mort. Mais l’ennui aurait peut-être raison de lui avant. Il ne pourrait s’adonner à son
passe-temps favori, ici. Pas de jupes de soie à trousser, juste des robes de servantes. Mais elle se
doutait qu’il saurait s’en accommoder.
— Vous ne tarderez pas à vous ennuyer ici, je le crains.
Je le souhaite. Le voulait-elle vraiment ? Comment dirigerait-elle le clan toute seule ? Pourrait-
elle passer un jour sans contempler ce visage arrogant ? Un visage à la mâchoire carrée, aux lèvres
sensuelles et aux yeux d’or brillants d’esprit… qui menaçait sans cesse de la faire tomber sous son
charme.
— Je ne m’ennuie jamais, et cela ne commencera pas ici.
— Vous n’avez jamais été marié non plus, n’est-ce pas ?
— Non, mais j’ai l’intuition que notre union ne sera jamais monotone, affirma-t-il avec un clin
d’œil.
Elle détestait se sentir l’objet de son amusement moqueur. Il ne la prenait pas au sérieux et elle
devait y remédier.
— Peut-être que moi, je me lasserai.
Il sourit derechef sans retenue.
— Eh bien, voilà un défi qui me plaît, milady. Je ne permettrai jamais une telle chose.
— Tout n’est pas soumis à votre commandement ou votre emprise, se força-t-elle à dire.
Lachlan s’approcha d’elle mais elle ne flancha pas malgré l’accélération de son cœur. Je ne le
trouve pas séduisant. Je n’aime ni son corps puissant ni son parfum viril. Je me moque du charme
de ses yeux étincelants ou du sourire de ses lèvres sensuelles. Elle faisait de son mieux pour se
persuader, mais son instinct refusait d’écouter.
— Il existe bien des manières de gouverner. Mes méthodes sont très subtiles.
Il se pencha près de son oreille.
— Et je parie que vous les aimerez, murmura-t-il.
Ses lèvres et son souffle lui effleuraient la peau, et le chatouillis descendit jusqu’à sa poitrine où
elle sentit la pointe de ses seins se dresser sous son corset. Elle maudit en silence son corps qui
appelait le contact des doigts calleux mais doux. Elle avait envie de cette emprise subtile, de son
souffle chaud et de sa langue sur son corps.
Ma foi ! Elle déglutit péniblement et tâcha de se libérer de son charme en lui tournant le dos. Elle
se lécha les lèvres et remarqua qu’elles étaient particulièrement sensibles, comme si elles espéraient
ardemment… Non, n’y pense même pas.
Une fois à quelques pas de lui, elle étudia sa réaction. Il la regardait du coin de l’œil,
attentivement, intensément.
Elle ne pouvait lui permettre de découvrir ses émotions, ni ses envies instinctives et
incontrôlables.
Il se racla la gorge et s’éloigna lui aussi.
— Je serai dans la grande salle… ou peut-être dehors, pour rencontrer des hommes du clan. Je
vous verrai au souper.
Il s’inclina et sortit.
« Rencontrer des hommes du clan » ? Il essayait déjà de la doubler en mettant en avant son
pouvoir viril.
Elle se précipita à la porte où elle découvrit deux laquais qui portaient son coffre et plusieurs
serviteurs accompagnés de Camille.
Parbleu. Elle devait s’occuper de cela avant de pouvoir suivre Lachlan.
Pendant le repas, Angélique s’installa près de Lachlan à la table surélevée de la grande salle, mais
elle ne cessa de se tortiller sur sa chaise en espérant que le souper finisse. Les amis de Lachlan, les
courtisans du roi, l’intendant et sa femme ainsi que Camille étaient assis avec eux. Le reste du clan
mangeait à des tables plus basses, et un mélange de conversations retentissait sous le haut plafond.
Angélique ne se rappelait pas la moitié des noms de ceux qu’on lui avait présentés pendant la soirée.
Elle se souvenait de certains, réminiscences de son enfance. Mais pour les autres, leur nom s’effaçait
un instant après qu’elle l’avait entendu. Pourquoi était-elle si distraite ?
Elle piqua son morceau de poisson. Elle n’avait pas recouvré l’appétit depuis son voyage en mer.
Elle n’aimait pas la manière dont les membres du clan, hommes et femmes, la regardaient à la
dérobée quand ils pensaient qu’elle ne faisait pas attention. Se méfiaient-ils ? Une dame en
particulier, l’épouse de l’intendant, lui décochait un regard noir. Qu’est-ce que cela cachait ?
Elle aurait voulu se rapprocher de la présence protectrice de Lachlan, mais elle s’obligea à
renoncer. Il était un objet d’intérêt plus plaisant que son clan, et aucun détail le concernant ne lui
échappait. Il s’était lavé et changé depuis l’après-midi. Il conversait d’une voix grave avec
l’intendant assis près de lui, Fingall Drummagan.
Rebbie était placé près d’Angélique, suivi de Camille. Angélique n’avait perçu que quelques
bribes où Fingall entretenait le Highlander sur la nourriture et la boisson dont il était si fier, leur
provenance et leur prix. Rebbie semblait décidé à la distraire avec une conversation frivole dont elle
se moquait, bien que Camille boive ses paroles. Angélique voulait surtout connaître la gestion du
domaine dans les moindres détails.
— Le défunt laird Drummagan, Dieu ait son âme, préférait le vin de Gascogne au Bordeaux. Pour
lui, c’était le plus raffiné et il en importait de grandes quantités pour ne jamais en être privé, voyez-
vous, expliqua Fingall avant d’avaler une longue gorgée. Mais il tenait à ce que l’on serve de la bière
à midi. Notre propre bière, brassée sur le domaine. C’est la meilleure dans toute l’Écosse.
Lachlan hocha la tête, et laissa couler son regard neutre vers Angélique. Était-il fâché de la
manière dont elle l’avait provoqué plus tôt ? Elle ignorait ce qui lui était passé par la tête, elle
voulait juste qu’il garde ses distances. Se retrouver assise à ses côtés ne l’aidait en rien.
— Nous sommes heureux que vous soyez de retour chez vous, milady, milaird, lança Fingall en
levant son verre.
— Je vous remercie, dit Angélique.
— Mmf, renifla la femme de Fingall, Bernice, en face de lui. Mais j’aurais préféré que la lady ne
tire pas sur mon frère.
Parbleu ! La sœur du traître ?
— Taisez-vous, Bernice, gronda Fingall avant d’adresser un sourire apaisant à Angélique et
Lachlan. Je m’excuse de l’attitude de mon épouse, elle a tendance à parler alors qu’elle ne devrait
pas.
— Votre frère n’aurait pas dû essayer de tuer son nouveau laird, déclara sèchement Angélique en
destinant à l’insolente son regard le plus intimidant. Je ne permettrai pas de telles violences,
traîtrises et insolences.
— Certes, renchérit Lachlan en regardant sa lady d’un air approbateur avant de lui adresser un clin
d’œil.
Par tous les saints, ne prenait-il rien au sérieux ? Il aurait pu mourir.
— Mon frère n’essayait pas de le tuer, se défendit la femme en grommelant.
— Bernice ! s’exclama son époux d’un ton de mise en garde. Taisez-vous, je le répète.
Elle le transperça du regard.
— Mieux vaudrait pour elle qu’il survive, marmonna-t-elle.
— Sortez ! ordonna l’intendant en désignant l’escalier qui descendait vers les cuisines. Nous
réglerons cela plus tard.
Une fois la femme partie, Fingall s’excusa encore plusieurs fois pour les manières déplorables de
son épouse et ses paroles perfides.
— Ne vous souciez pas d’elle, milaird. Je l’ai bien en main.
— J’en suis ravi, répondit Lachlan.
En vérité, Angélique souhaitait vraiment que sa cible survive. Elle avait fait ce qui lui semblait
juste sur le moment, agissant d’instinct pour protéger Lachlan. Mais elle craignait que Bernice ne
pose problème. Elle pourrait aller jusqu’à empoisonner leurs repas. Si le couple vivait au château,
elle veillerait à ce que tous deux soient cantonnés dans une maison du village et à ce que Bernice soit
congédiée de son emploi au manoir.
Quelques instants plus tard, un violon entama un air et la jeune femme estima que c’était le prétexte
idéal pour s’échapper. Elle s’excusa et se dirigea vers l’escalier, sous le regard perçant de Lachlan,
en espérant qu’il ne lui emboîterait pas le pas.

Angélique ne trouva pas le sommeil pendant l’heure qui suivit, malgré l’épuisement qui lui
alourdissait les membres et lui piquait les yeux. Elle tapota son oreiller dans un tissu propre au
parfum de lavande. La musique lui parvenait de la grande salle, notamment des gigues écossaises, et
mettait ses nerfs à rude épreuve.
Elle avait l’esprit en ébullition, mais au moins, elle se sentait accueillie par certains membres du
clan. Matrone Mayme lui avait envoyé une servante accoutumée aux désirs d’une lady, Inga, qui
l’avait aidé à se dévêtir et à défaire ses cheveux. Une femme de chambre avait préparé un feu
confortable puis les deux domestiques s’étaient retirées. Angélique contemplait les flammes en
essayant de voir clair dans la tourmente de sa vie.
Un coup léger retentit à la porte et Angélique sursauta. Et s’il s’agissait de Bernice, venue venger
son frère ? Non, peut-être Camille, enfin lassée par la fête, qui venait lui souhaiter une bonne nuit.
La jeune femme se leva, enfila une robe de chambre sur sa chemise et s’approcha de la porte.
— Qui est-ce ? demanda-t-elle en tâchant de préférer un anglais à tendance écossaise plutôt que
ses habitudes françaises, dans l’espoir d’être acceptée plus vite par son clan.
— C’est moi, Angélique, répondit Lachlan.
Il prononçait son nom de sa voix profonde de baryton, avec un accent typique des Highlands qui fit
courir d’agréables frissons en elle. Mais peut-être venait-il pour l’accouplement de la nuit de
noces… Elle se figea. Sacrebleu. Pourquoi n’avait-elle pas barré sa porte ?
Trop tard ! Le panneau pivota. Son cœur s’affola et elle recula d’un pas. Lachlan entra, un panier à
la main, et ferma la porte.
— Vous m’avez manqué, pendant le céilith.
— J’étais trop lasse pour la musique et les danses. (Elle serra les poings pour cacher son malaise.)
Qu’y a-t-il dans votre panier ?
— Je n’ai pu m’empêcher de remarquer que vous n’aviez presque rien mangé ce soir. Je ne saurais
vous le reprocher, après ce qu’a dit Bernice. Alors je vous ai apporté du pain, du fromage et du vin.
— Je n’ai pas faim, lança-t-elle avant que l’inquiétude généreuse du Highlander puisse ébranler
ses défenses.
— J’en doute. Vous n’avez pas avalé plus de deux ou trois bouchées. Je ne voudrais pas que l’on
m’accuse d’affamer mon épouse.
Il brisa un petit morceau de pain frais qu’il tendit devant les lèvres de la jeune femme. L’odeur
était divine et elle s’aperçut qu’elle avait recouvré l’appétit. Elle ouvrit la bouche et il y posa la
nourriture.
— C’est bon, non ? déclara-t-il en avalant une bouchée lui aussi.
Il s’avança vers le feu et se laissa tomber sur le sofa.
— Venez vous asseoir.
Que manigançait-il ? Elle ne voulait pas risquer de se montrer trop à l’aise avec lui. Il ne semblait
pourtant pas si menaçant. Elle se laissa couler sur le coussin moelleux près de lui, et il coupa un
morceau de fromage jaune et dur avant de lui offrir de la même manière. Les flammes réchauffaient
les jambes d’Angélique, enveloppée d’une lueur à l’intimité attirante. Ils mâchèrent en silence, mais
la jeune femme ne trouva pas cela déplaisant.
— Bernice ne reviendra plus travailler au manoir, annonça Lachlan.
— Avez-vous parlé de cela avec Fingall ?
Peut-être aurait-elle dû le faire, mais sur le moment, son seul désir avait été d’échapper à
l’animosité ambiante et aux regards scrutateurs de son clan. Il faudrait qu’elle se montre plus forte le
lendemain…
— Certes. Ils ne vivent plus au manoir, de toute manière. Ils ont une maison en lisière du village.
Le généreux revenu de l’intendant suffit à subvenir à leurs besoins.
— Grâce à Dieu ! Cette Bernice est une réelle menace, et son frère a bel et bien cherché à vous
tuer. Quel goujat ! Fingall m’en voulait-il ?
— Non. Il a continué à s’excuser et a exprimé sa volonté de se racheter.
— J’espère qu’elle est la seule encore présente qui ne nous soit pas loyale.
— Moi aussi. Tous les Drummagan que j’ai rencontrés m’ont juré allégeance. Demain, Dirk,
Rebbie et moi soumettrons les hommes à un entraînement plus rigoureux. Si Kormad décidait
d’attaquer, nous devons être prêts.
À l’évocation d’une attaque ou d’une bataille, Angélique sentit un froid glacial l’envahir.
— Pensez-vous qu’il le fera ?
— Je ne saurais dire, mais il ne renoncera pas si facilement.
Lachlan tendit à sa femme un nouveau morceau de pain. Lorsqu’elle voulut le prendre dans sa
main, il secoua la tête et le pressa contre ses lèvres. Elle mangea en étudiant le Highlander avec
attention. Ses yeux de tigre luisaient sous les flammes, comme le duvet qui ornait son menton.
— Quand voulez-vous organiser le second mariage et le festin ? demanda-t-il.
Elle déglutit, surprise par ce changement de sujet.
— Lorsque ma robe de mariée sera arrivée de Londres.
— Une semaine et demie, c’est cela ? Si votre toilette n’arrive pas d’ici à sept jours, j’enverrai
quelqu’un la récupérer directement.
Il lui offrit un morceau de fromage et laissa négligemment son doigt caresser ses lèvres avant de lui
donner la bouchée.
— Les femmes du clan font un excellent fromage, ne trouvez-vous pas ?
Elle hocha la tête. Il était effectivement meilleur que la plupart des fromages français, mais elle
craignait que cette saveur ne vienne surtout de la manière dont il le lui servait. Aucun homme n’avait
fait cela pour elle auparavant.
Il déboucha la bouteille et la lui tendit.
— C’est du brabant.
Elle n’avait pas coutume de boire au goulot, mais elle trouva l’idée amusante. Après deux gorgées
du vin sucré au miel et épicé aux clous de girofle, elle lui redonna le flacon. Il but longuement et se
lécha les lèvres.
Un instinct primitif lui intima de prendre une nouvelle gorgée pour placer ses lèvres là où Lachlan
venait de poser les siennes. Quelle folle pensée… Elle se rappela son baiser, au mariage, cet élan
possessif, sa langue se glissant dans sa bouche d’une manière saisissante et dérangeante. Cette image
souleva une vague de chaleur en elle.
— Voulez-vous préparer la cérémonie et le festin avec les autres femmes ? demanda-t-il.
Elle déglutit péniblement, repoussa ce souvenir et cacha ses émotions.
— Oui.
— Arrangez ces noces selon vos désirs.
« Désirs » ? Elle étudia son expression neutre puis hocha la tête.
Il se leva, s’étira et bâilla.
— Il est tard, déclara-t-il en se tournant vers la porte. Je vous laisse ceci au cas où vous auriez
soif, précisa-t-il en posant la bouteille de vin, rebouchée, sur la table.
— Merci.
Il s’inclina.
— Bonne nuit.
— Bonsoir. Où allez-vous ? laissa-t-elle échapper avant de s’en vouloir pour ces paroles.
Il s’arrêta et essaya, en vain, de cacher un sourire malicieux. L’espièglerie revint dans ses yeux.
— Je peux rester, si vous le souhaitez.
— Non, je voulais simplement… Oubliez cela.
Il laissa son regard brûlant courir un instant sur elle puis se détourna.
— Je vais peut-être m’offrir un doigt de whisky, si j’ai votre autorisation.
— Oui. Profitez bien.
— Dormez bien.
Il s’inclina encore. La porte se referma dans un claquement derrière lui. Elle peinait à croire qu’il
était parti sans même tenter de l’embrasser.
Du whisky ? Il avait esquivé habilement sa question en omettant de préciser où il comptait boire.
Était-ce un prétexte pour quelque aventure ? Avait-il déjà trouvé une maîtresse à Draughon ?
Mmf !
Elle n’avait pas sauvé sa misérable petite vie pour qu’il la couvre de honte dès sa première nuit au
manoir. Elle passa des pantoufles et se glissa dans le salon de sa suite pour écouter à la porte
mitoyenne. Pas un bruit. Elle se faufila dans le salon de Lachlan et s’arrêta à la porte de la chambre.
Pas de gloussements ni de gémissements. Il n’avait pas eu le temps de ramener une conquête.
Elle frappa doucement, puis plus fort. Silence. Elle prit une bougie et ouvrit la porte. La pièce était
vide. Elle contourna la malle au milieu de la pièce et se dirigea vers le lit. Une servante l’avait
préparé bien proprement, et il n’avait pas été touché. Elle attrapa la flasque de whisky sur la table de
nuit et la secoua, écoutant le liquide clapoter dedans. S’il voulait juste un dernier verre, pourquoi ne
pas l’avoir bu directement dans sa chambre ? Où était-il allé ? Dans le lit d’une autre femme du
château ?
Que manigançait-il ? Peut-être pourrait-elle le débusquer sans qu’il le sache. Elle s’approcha de
l’âtre froid, retira une pierre au pied de la cheminée, à l’angle du mur. Elle pressa du pied le levier
de métal qu’elle trouva dessous et un grincement suivi d’un claquement retentit derrière la tapisserie.
La jeune femme grimaça sous le fracas, regarda la porte de la chambre, puis s’empara du tisonnier.
Elle se faufila sous la tenture en prenant soin d’écarter sa bougie de l’étoffe et poussa une porte
dérobée pour révéler un étroit escalier en spirale. Des toiles d’araignées formaient un entrelacs
complexe devant elle et elle se servit du tisonnier pour les écarter avant de s’engager dans les
ténèbres humides. Des débris et des gravats craquaient sous ses pas et s’enfonçaient sous ses fines
chaussures de cuir. Aucun humain n’avait dû s’aventurer là depuis plus de dix ans.
Enfant, elle avait joué dans ces passages secrets et avait appris l’art dangereux mais fascinant de
voir sans être vu. Personne ne lui dévoilait quoi que ce soit, mais elle finissait toujours par découvrir
les secrets.
Elle gardait un souvenir très net de la terrible dispute entre ses parents sur les nombreuses
maîtresses de son père. Sa mère l’avait aimé, c’est pour cela qu’elle avait tant souffert de son
infidélité. Et si Angélique s’apprêtait à connaître la même situation ? Non, elle ne tomberait pas
amoureuse de Lachlan. C’était impossible. Cela reviendrait à causer sa propre perte, dans la
souffrance.
En bas des marches, le sol amorçait une montée et le couloir étroit se divisait vers deux pièces,
une chambre d’amis et la bibliothèque. Plus loin, il passait à hauteur du plafond impressionnant de la
grande salle où de petites ouvertures permettaient d’observer toute l’assistance sans être visible. Si
Lachlan s’y trouvait, elle le verrait. Autrefois, ces meurtrières avaient permis aux gardes de
surveiller les invités et même de tirer des flèches si nécessaire.
Aucun son ne provenait de la chambre d’amis, et elle put vérifier par une fissure que la pièce était
plongée dans le noir. Des voix masculines retentirent dans la bibliothèque. Angélique s’arrêta
derrière la porte, posa sa bougie à terre et approcha l’œil d’un trou discret dans le mur.
Lachlan, Dirk, Rebbie et Miles étaient assis à une table. Ils jouaient aux cartes et buvaient un
whisky ambré dans de délicats verres en cristal. Ainsi, il n’avait pas menti. Dieu merci ! Pendant un
instant, elle se détendit et écouta sa voix profonde. Il pouvait être si agréable et si persuasif, surtout
avec son accent écossais qui faisait rouler ses mots. Les hommes discutaient du clan et des
événements de la journée. Peu après, Dirk et Miles quittèrent leurs amis pour regagner leurs
chambres.
Rebbie battit les cartes tandis que Lachlan attisait les charbons dans la cheminée.
— Pourquoi n’êtes-vous pas avec votre petite femme ? Ne voulez-vous pas lui témoigner votre
gratitude pour vous avoir sauvé la vie aujourd’hui ? demanda Rebbie avec un sourire entendu.
— Ce n’est pas drôle. Je suis surpris de ne pas être la risée de tous après son petit numéro.
— Cela vaut mieux que la mort.
— Je l’aurais arrêté à temps.
Angélique ne pouvait croire une telle ingratitude ; il laissait parler sa fierté arrogante.
— D’après ce que j’ai vu, les hommes du clan vous respectent, fit remarquer Rebbie.
— Ils ne me font pas confiance.
— Ce n’est que votre premier jour ici. Lorsqu’ils auront appris à vous connaître, je suis certain
qu’ils seront loyaux au point de donner leur vie pour vous.
— J’espère qu’ils me laisseront les commander. Je veux aussi les protéger. Mais j’espère
qu’Angélique ne cherchera pas à saper mon autorité. Je sais que c’est son clan par la naissance, mais
c’est moi le chef.
— Je suis sûr que vous savez très bien comment tenir les rênes de la jeune dame…
— Plus facile à dire qu’à faire ! Mais oui, pour le moment, je la maîtrise. Je commence à la
comprendre. Elle aime déclencher une dispute plus que toute autre chose. Mais j’ignore encore si elle
cherche la bagarre contre moi ou contre elle-même.
Angélique serra les dents si fort qu’elle craignit de les briser. Le rustre ! Le balourd ! Le goujat !
— Mmh, réfléchit Rebbie, pourquoi voudrait-elle se battre contre elle-même ?
— Elle ne le voudrait pas, mais elle m’aime plus qu’elle n’est prête à l’admettre, déclara Lachlan
d’un ton amusé. Et je me suis assuré qu’elle soit occupée à prévoir la seconde cérémonie de mariage
et le festin pendant les dix prochains jours, tandis que je m’occuperai des problèmes importants du
clan.
Le bâtard ! Angélique crispa ses poings si fort que ses ongles s’enfoncèrent dans ses paumes. Elle
aurait voulu se glisser par la fissure du mur pour l’étrangler à l’instant. Elle peina à se concentrer sur
le reste de la conversation alors que son sang lui grondait aux oreilles.
— Votre mariage n’est pas important ? s’enquit Rebbie.
— Si, mais nous sommes déjà unis. Cette union-là ne sera qu’une formalité, pour Angélique et le
clan.
— Elle n’a pas conscience de l’indulgence de son cher mari, observa Rebbie d’un ton sec.
— Certes, murmura Lachlan en se détournant de l’âtre. Il est tard et je vais aller retrouver mon lit.
— Pas celui de votre femme ? demanda Rebbie en ouvrant la porte.
Lachlan prit le candélabre et suivit son ami.
— Les portes de nos chambres sont voisines, alors…
Il laissa sa phrase en suspens et la fin s’évanouit tandis qu’ils quittaient la pièce.
Maudit soit-il ! Quel animal ! Ainsi, il croyait la maîtriser ? Angélique récupéra sa bougie et se
précipita dans l’escalier. Elle se cogna l’orteil contre l’une des marches de pierre et la douleur
manqua de l’aveugler.
— Mère de Dieu, hoqueta-t-elle.
Était-il brisé ? Ses fines pantoufles ne la protégeaient pas. Elle laissa échapper le tisonnier dans un
claquement retentissant et il tomba parmi les débris amoncelés dans l’escalier. Elle serra les doigts
autour de la bougie et reprit son ascension en boitant.
En haut, la porte était encore ouverte. Elle la franchit et la referma. Elle se dégagea de la lourde
tapisserie et se hâta de remettre en place la pierre de la cheminée, sur le levier. Elle posa la bougie
sur le sol, mais celle-ci chavira et la flamme s’éteignit.
— Parbleu ! souffla-t-elle.
Elle courut vers la porte dans le noir mais sa jambe heurta violemment un gros objet dur. Elle
s’écroula et jura en massant sa peau meurtrie. La maudite malle de Lachlan !
Quelque part, une porte s’ouvrit. Le salon de Lachlan… Au nom du ciel ! Je dois me cacher !
Chapitre 6

Angélique rampa sur le plancher et le tapis, toujours sans rien voir. Elle trouva le lit et se glissa
dessous en priant pour qu’il n’abrite aucune araignée.
La porte s’ouvrit et la lumière d’une bougie envahit les lieux. Lachlan fredonnait gaiement une
chansonnette écossaise, en sifflotant même quelques parties. Angélique ne voyait que ses bottes, qui
se rapprochaient de la cheminée. Il posa son chandelier sur le manteau avec un léger tintement. Il
cessa de siffler, se pencha et ramassa la bougie éteinte qui lui avait échappé. Sacrebleu !
Le silence flotta. Il tourna lentement les talons et la jeune femme entendit une lame d’acier siffler
contre un fourreau de cuir. Angélique osait à peine respirer. Elle ne voulait pas se trahir, mais elle ne
tenait pas davantage à ce qu’il la frappe de son épée ou de sa dague en la prenant pour un voleur.
La lumière de la bougie descendit vers elle et le Highlander la posa sur le sol. Il s’agenouilla et
regarda sous le lit en plissant les yeux.
— Angélique ? Est-ce vous ?
— Merde, marmonna-t-elle avant de sortir de sa cachette.
— Par l’enfer, que faites-vous sous mon lit ? Je préférerais nettement vous découvrir dedans…
La jeune femme, les joues en feu, se leva et se dirigea vers la porte comme elle le pouvait avec son
tibia et son orteil douloureux. Il se plaça devant la sortie.
— Vous boitez ?
— Je me suis blessé la jambe contre votre maudit coffre.
Elle tendit la main vers le loquet, mais il l’empêcha d’ouvrir.
— Je suis fatiguée et je voudrais aller me coucher, déclara-t-elle d’un ton sec.
Ah, il la maîtrisait ? Un chapelet d’horribles insultes s’égrena dans sa tête.
— Laissez-moi regarder, dit-il en remettant son épée au fourreau avant de désigner la chaise près
du lit. Asseyez-vous pour que je voie ce que je peux faire pour vous soigner.
— Non. Ce n’est rien, je vous assure.
Comment osait-il dire qu’il l’occupait avec le mariage pendant qu’il gérait les affaires
importantes ?
Il pencha la tête, et observa la jeune femme d’un air charmant et séducteur. Cela ne fit que donner
davantage à Angélique envie de l’étrangler.
— Vous m’en voulez, remarqua-t-il.
— Non, je n’ai pas de raison pour cela.
Imbécile !
— En effet, quelle raison auriez-vous ? murmura-t-il avec le sourire, tout en la scrutant
intensément. Alors… vous me rendiez une petite visite ?
— Je voulais simplement regarder s’il restait ici quelque souvenir de mon père.
Joli mensonge, se complimenta-t-elle.
— Certes, il reste beaucoup d’objets lui ayant appartenu. Que vouliez-vous voir ?
— Très bien. Je m’y intéresserai demain. Veuillez m’excuser. Je vous souhaite une bonne nuit.
— Angélique, dites-moi la vérité. Pourquoi êtes-vous ici ? Je ne me fâcherai pas.
Lui non, mais elle se sentait plus furieuse qu’un feu de l’enfer. Elle brûlait de le confondre, de lui
répéter les propos arrogants et insensibles qu’il avait tenus à Rebbie sans savoir qu’elle écoutait,
mais c’était impossible. Elle ne voulait pas qu’il se doute de l’existence des passages secrets, ou elle
ne pourrait plus l’espionner à l’avenir. Elle devait percer tous les pièges retors de sa tromperie et de
ses manipulations.
De plus, l’un des motifs qui l’avait poussée à l’épouser était d’avoir cru qu’elle pourrait le
maîtriser facilement. Et maintenant, il cherchait à inverser les rôles ? Sacrebleu, il allait voir !
— Angélique ?
Sa voix était basse et intime, étonnamment saisissante. Angélique était prête à frapper le
Highlander, mais cette idée s’évapora brusquement.
Elle chercha fiévreusement un mensonge, mais elle avait la tête vide.
— Je me demandais où vous étiez.
— Vous vouliez me voir ?
— Je me demandais si…, commença-t-elle en fermant les yeux, regrettant de ne rien avoir trouvé
d’autre.
— Si ?
— Si vous aviez… de la compagnie.
— De la compagnie ? Vous voulez dire si j’étais avec une femme ?
Il désigna la pièce d’un grand geste des bras.
— Comme vous pouvez le voir, non, pas du tout. Je suis tout à vous, ajouta-t-il en baissant le ton
d’une octave pour le rendre plus profond et plus séducteur.
Angélique sentit une agréable chaleur ainsi qu’une impatience dévorante glisser sur son visage et
son corps. Elle le haïssait de savoir si facilement briser ses défenses malgré ses efforts pour
demeurer froide et détachée.
— Je souhaite regagner ma chambre maintenant, déclara-t-elle.
— Si vous voulez passer cette porte, il faut payer la sanction.
— Combien ? demanda-t-elle avant de prendre conscience qu’il ne pouvait s’agir d’argent.
— Mmh… Voyons… (Il leva un sourcil.) Trois.
— Trois quoi ?
— Trois baisers, milady, murmura-t-il.
Elle recula d’un pas, puis d’un second, cherchant désespérément à échapper à sa présence
envoûtante.
— Cela ne vous fera pas mal, je vous le jure, précisa-t-il.
Elle ne s’inquiétait pas des baisers, mais de ce qui pourrait suivre, l’accouplement, cet homme qui
la dominerait. Elle ne pouvait le permettre. De plus, elle avait toujours envie de l’étrangler.
— Vous ressemblez à une biche aux abois, mon amour. Je ne vous ferai aucun mal. Pourquoi ne
pouvez-vous me faire confiance sur la moindre petite chose ?
« Amour » ? « Confiance » ? Après ce qu’il avait dit à Rebbie dans la bibliothèque ? Il cherchait
encore à la manipuler.
Lachlan appuya nonchalamment l’épaule contre la porte et scruta la jeune femme.
— Pourquoi avez-vous peur de moi ?
— Je n’ai pas peur de vous. J’ai sommeil, rétorqua-t-elle entre ses dents serrées.
— Vous ne semblez pas très fatiguée. Vous paraissez fâchée, ce qui n’était pas le cas tantôt, quand
je suis venu dans votre chambre. Peut-être que vous ne vouliez pas que je parte, ajouta-t-il d’un air
engageant. Vous vouliez que je dorme dans votre lit.
Elle resta bouche bée, les mots bloqués dans la gorge. L’image du Highlander partageant sa couche
était plus qu’elle ne pouvait supporter.
— Mais oui, c’est cela, la raison, insista-t-il avec un éclat malicieux dans le regard.
— Vous vous trompez, milaird.
— Alors expliquez-moi ce revirement d’humeur.
Elle aurait voulu le frapper de ses poings.
— Ah. Peut-être me soupçonniez-vous d’être allé rejoindre une autre femme. Ce qui veut dire…
que vous êtes jalouse.
— Je ne suis pas jalouse, grommela-t-elle.
— Quoi qu’il en soit, vous ne pouvez quitter cette pièce sans avoir payé votre dû. Et si vous avez
une arme, veuillez la déposer.
— Je n’ai pas d’arme.
— Ce doit être une première… Vous n’alliez pas m’assassiner avec cette femme imaginaire que
vous pensiez trouver dans mon lit ?
— Non.
Il la regarda attentivement.
— Je devrais peut-être vous fouiller pour en être sûr. Un homme n’est jamais trop prudent, surtout
quand son épouse apprécie autant de porter dagues et pistolets.
Angélique recula encore d’un pas et sentit le mur contre son dos. Il n’oserait tout de même pas
faire cela…
Il inclina la tête et l’observa.
— Venez, je ne vais pas vous fouiller. Je vais vous dire un secret, ajouta-t-il en tendant la main.
Elle secoua la tête tandis que son cœur s’emballait, battant si vite qu’elle aurait voulu pouvoir fuir.
Par le ciel, elle refusait de le toucher. Cela la distrairait trop facilement de l’essentiel, et elle
craignait de ressentir encore ces besoins charnels aussi dérangeants qu’effrayants. Il avait fière
allure, et sa voix profonde faisait rouler doucement ses paroles.
Il s’avança vers elle et elle commit l’erreur de se laisser piéger contre la paroi de pierre.
Ses yeux séducteurs se firent plus sombres dans la pénombre, et il baissa légèrement les cils.
L’ombre de sa haute silhouette et son parfum viril enveloppèrent la jeune femme. Elle se demanda si
sa chevelure fauve était aussi soyeuse qu’elle en avait l’air.
Il effleura son front de ses lèvres chaudes puis l’embrassa en un geste d’affection qu’elle n’avait
pas reçu depuis bien des années. Elle ne pouvait résister à la persuasion de ses doigts sous son
menton, et elle leur obéit en relevant la tête. Son souffle chaud effleura sa bouche. Il toucha le coin de
ses lèvres des siennes. Leur forme, leur arrondi sensuel, lui tourna la tête et effaça toute pensée
rationnelle de son esprit. Elle sentit ses seins frémir. Il pressa sa bouche contre la sienne, pencha la
tête et glissa sa langue contre sa lèvre supérieure. Une vague dangereuse et sensuelle saisit la jeune
femme. Elle entrouvrit les lèvres, peut-être sous la surprise ou parce qu’une force incontrôlable la
poussait à lui obéir, elle n’en savait rien. Il lui caressa la joue d’un doigt et glissa brièvement la
langue dans sa bouche. L’excitation la traversa, comme un torrent de lave charriant mille sensations.
— Mmm… Mon secret, c’est que…
Il l’embrassa encore, plongea sa langue entre ses lèvres en un jeu érotique, pour s’amuser avec la
sienne et la retirer avant qu’elle se languisse.
— … vous êtes la seule que je désire.
Angélique sentit son cœur bondir. Une part d’elle, profondément enfouie, aurait voulu que ce soit
vrai, comme un besoin aussi vital que l’air. Pendant un instant de grâce, elle s’imagina qu’il était
franc. Pendant qu’elle avait relâché son attention, elle avait laissé ses mains se plonger parmi la soie
chaude des cheveux de Lachlan tandis que du bout des doigts, elle lui effleurait la nuque. Ce contact
était merveilleux, et elle savoura de sentir ses seins pressés contre sa poitrine puissante.
Ses lèvres expertes savouraient les siennes. Sa langue éveillait en elle une faim qu’elle n’aurait
jamais imaginée. Sorcier…
Il laissa courir ses mains le long de son corps jusqu’à ses fesses. Seules sa fine tenue de nuit et une
étole protégeaient sa peau, et la chaleur du Highlander la brûla contre l’étoffe. Elle fut brusquement
tirée de cette transe sensuelle en sentant la raideur de granit du membre de Lachlan contre son ventre.
Il va me forcer ! Il va me faire mal !
Un choc soudain la saisit. Elle s’arracha à l’étreinte du Highlander, se précipita vers la porte et
s’enfuit.

Enfer et damnation ! Lachlan avait presque apaisé la colère d’Angélique et la sentait


s’abandonner à l’excitation. Mais il était allé trop vite. Par l’enfer, de quoi avait-elle eu peur ? Pas
de ses baisers, elle adorait ses baisers. Mmm, elle avait une saveur de paradis, plus sucrée qu’une
tarte dorée au miel, et il aurait voulu pouvoir mordre en elle.
Il pressa une main contre son érection pour tenter d’apaiser sa frustration. C’était peut-être ceci.
Peut-être que son membre dressé l’avait effrayée. Pourtant, elle l’avait déjà vu à Londres. Il ignorait
ce que cette partie de son corps pouvait avoir de terrifiant. Les femmes lui avaient déjà dit qu’il était
fort bien pourvu, mieux que la plupart des hommes, mais elles avaient toujours semblé apprécier
cette particularité. Peut-être qu’Angélique craignait cette taille, si elle n’avait pas beaucoup
d’expérience. Elle n’était peut-être pas vierge, mais il devinait qu’elle n’était pas experte non plus.
Elle était venue dans sa chambre pour constater si une femme s’y trouvait. Quelle jalouse… Elle
ne voulait pas réchauffer sa couche, mais elle ne permettait pas qu’une autre prenne sa place. En
résumé, elle voulait faire de lui un moine !
Depuis l’âge de quatorze ans, il n’avait plus dû soulager lui-même sa frustration. Les femmes
l’avaient trop gâté ! Il aimait le sexe et en désirait souvent. Mais à présent, rien. Il était privé de
l’une de ses activités favorites par son épouse. Une épouse qui lui inspirait des rêves érotiques. Il y
songeait aussi le jour, en s’imaginant dompter cette chatte sauvage, la faisant ronronner dans son
oreille et enfoncer ses griffes dans son dos pour le maintenir au-dessus d’elle, entre ses cuisses.
Il jura en sentant le désir ardent le brûler et fit les cent pas. Il voyait bien qu’elle avait envie de
lui, avec son regard langoureux et curieux, sa façon de s’accrocher à lui et de recevoir ses baisers,
comme elle venait de le faire.
Un fantasme naquit dans son esprit. Il se la représenta en train de le chevaucher et de l’introduire
en elle… d’aller et venir sur lui… au comble de l’excitation. Mmm. Comme il aurait voulu la sentir
monter sur lui et le posséder avec fougue, comme habitée par un succube lascif. Il lui donnerait tout le
plaisir possible, si elle le lui permettait.
Demain. Oui, le lendemain, c’était décidé, il la séduirait.

Trois jours après que Kormad et ses sbires eurent quitté Londres, ils se retrouvèrent dans une salle
commune de La Tête de cerf, à Perth. La table était couverte des restes de leur repas.
— Par l’enfer, où est Pike ? marmonna Kormad. Il a dit qu’il nous retrouverait ici, aujourd’hui. Le
navire est arrivé, il devrait déjà être là.
Il espérait que Pike avait pu précipiter MacGrath et Angélique par-dessus bord, dans les eaux
profondes et glacées de la mer du Nord.
Les hommes de Kormad, rassemblés autour de la table, secouèrent la tête et haussèrent les épaules.
Il venait de leur offrir un succulent repas, et voilà comment ils le remerciaient ?
— Eh bien, allez le chercher, bande de rustres ! Fouillez les autres auberges et tavernes.
— Oui, milaird.
Tous se levèrent et se dirigèrent vers la porte.
— MacFie, restez !
Le plus intelligent de ses hommes revint.
— J’ai un autre travail pour vous, reprit Kormad à voix basse. Traînez un peu dans les environs, et
voyez si un laird et sa lady sont morts noyés alors qu’ils venaient ici. Vous saurez comment faire sans
éveiller les soupçons.
— Oui, milaird.
MacFie se hâta de partir à son tour.
Kormad grommela et avala une gorgée de bière brune chaude. Il avait laissé quelques soldats
loyaux en charge de garder les portes de Draughon, un mois plus tôt. Il espérait qu’ils tenaient
toujours leur poste. Ils devaient être encore en place si MacGrath et sa catin n’étaient plus de ce
monde.
Une heure plus tard, MacFie revint.
— La rumeur dit que le comte de Draughon et sa lady sont arrivés hier, en bonne santé.
— Enfer ! s’exclama Kormad en frappant la table du poing si fort qu’il fit trembler les couverts.
Personne ne pouvait-il faire du bon travail ? Pas même Pike ? Où allait ce monde s’il devenait
impossible de trouver un bon mercenaire ?
Kormad jura, fulminant, et passa une heure à aller et venir dans l’auberge en élaborant des dizaines
de manières de tuer MacGrath et Angélique, sans jamais être impliqué directement, bien sûr. Oui, il
savait se montrer inventif. Draughon lui reviendrait, ainsi qu’à Timmy, bientôt. Très bientôt.
Arnie et Rufus apparurent à la porte et avancèrent péniblement en soutenant le musculeux Pike, qui
boitait. Son pourpoint et ses pantalons sales étaient déchirés, et il avait une jambe blessée. Même son
crâne chauve était maculé de sang et de boue.
Kormad se précipita vers lui.
— Que vous est-il arrivé ?
Pike, le visage tuméfié, d’une teinte noir et bleu, leva vers lui un regard vitreux et injecté de sang.
Il empestait le whisky, l’eau de mer et le poisson.
— Les hommes de MacGrath se sont ligués contre moi. J’ai dû… sauter du navire. J’ai failli me
noyer. Des marins… m’ont sorti de là… pour me voler et me frapper.
— Les bâtards ! Avez-vous accompli votre mission ? gronda Kormad.
— Non, répondit le mercenaire, les dents serrées et le corps tremblant. Mais je suis prêt à prendre
ma revanche auprès de MacGrath, pour toute la souffrance endurée.
— Ah, j’aime cette philosophie ! s’exclama Kormad en souriant.
Pourquoi tous ses hommes n’étaient-ils pas comme Pike ?
— Eh bien, fils de catin, qu’attendez-vous ? Aidez Pike à monter dans un carrosse. Nous allons à
Burnglen.
Ils trouveraient un médecin sur la route, puis Kormad et ses mercenaires fondraient sur Draughon
lorsque ses occupants s’y attendraient le moins.

Le lendemain soir, Lachlan se glissa dans la baignoire de bois remplie d’eau bien chaude, installée
devant la cheminée de sa chambre. La lumière des flammes animait les pierres des murs. Les
griffures profondes de son bras lui faisaient mal et ses muscles étaient endoloris d’une journée
entière d’entraînement intense.
Ses amis et les hommes du clan avaient subi le même sort. Ils n’avaient pas à savoir qu’il cherchait
à se soulager d’une frustration sexuelle monumentale, un sentiment qu’il n’avait jamais connu. Il avait
craint que les Drummagan ne lui en veuillent pour ce qu’il avait exigé d’eux, mais ils semblaient le
regarder avec plus de respect, de confiance et d’admiration après des heures d’exercices éreintants.
La chaleur le détendit et il laissa son esprit rêver à Angélique. Il n’avait pas vu revenir son joli
démon de la journée. Son épouse ne l’avait pas rejoint pour le petit déjeuner, ni le déjeuner,
déléguant un serviteur avec l’excuse d’être trop prise par le festin du mariage pour venir.
Il était ravi qu’elle s’occupe des tâches de la maison, mais elle lui manquait. Il repensa à la
manière dont elle s’était introduite dans sa chambre la nuit précédente car elle le soupçonnait d’avoir
séduit une autre femme et cela le fit sourire. Elle était possessive et piquante comme un hérisson.
Cela voulait forcément dire qu’elle l’aimait bien et qu’elle devait avoir envie de lui, d’une certaine
manière. Peut-être qu’elle ne voulait pas affronter la vérité pour le moment, mais c’était un début.
Pourquoi ne s’était-elle pas glissée dans son lit la veille ? Ce n’était qu’un fantasme. Il n’avait
jamais eu autant de mal à séduire une femme.
Quelqu’un frappa à la porte. Il leva la tête.
— Qui est-ce ?
— Bryson, milaird.
— Entrez.
Puisque Bryson avait été le bras droit du précédent seigneur, Lachlan lui avait offert le même titre.
Après tout, c’était une charge héréditaire, et il semblait très capable.
— Désolé de vous déranger, chef.
Bryson, les cheveux noirs et la carrure musclée, pénétra dans la chambre et s’inclina brièvement.
— Je vous ai demandé de venir. Qu’en est-il de Kormad ?
— Il est chez lui. Il est arrivé en carrosse ce matin. Vous avez aussi parlé d’un géant chauve.
— Oui ?
— Les hommes ont porté quelqu’un comme cela dans le château de Burnglen. Il était conscient,
mais gravement blessé.
Ce bâtard avait donc survécu à un plongeon en pleine mer du Nord… Étonnant, surtout quand si
peu de gens savaient nager. Il faudrait surveiller un ennemi aussi résistant et aussi obstiné.
— Qu’ont fait Kormad et ses sbires ensuite ?
— Le baron a envoyé deux éclaireurs nous espionner d’une colline, mais ils ne se sont pas
aventurés sur nos terres. Tout le reste était normal. Toujours autant de gardes à leur poste habituel.
— Parfait. Merci, Bryson. Vous êtes un bon élément.
— Milaird, répondit l’intéressé en s’inclinant avant de partir.
Lachlan laissa aller sa tête contre la baignoire en songeant à la fierté et au privilège qu’était de
diriger les Drummagan. Ils étaient robustes, forts et intelligents. Ils étaient déjà des combattants
efficaces. Ils n’avaient plus qu’à parfaire légèrement leur technique.
Il était reconnaissant envers son père et son frère aîné, Alasdair, de lui avoir appris à mener des
hommes et à les entraîner. Que penserait son frère de lui, maintenant qu’il était comte et chef de
clan ? Il faudrait lui envoyer un courrier et faire circuler la nouvelle.
La porte s’ouvrit brusquement et Lachlan porta aussitôt la main à son épée, derrière le bassin.
Angélique entra.
Lachlan soupira et se détendit en souriant.
— Quelle agréable surprise, mon ange.
Le visage sévère, elle se dirigea vers lui et s’arrêta brusquement au centre de la pièce. Son regard
descendit sur son torse et remonta vivement.
— Ma servante m’a dit que vous vous étiez coupé pendant l’entraînement. Pourquoi dois-je être
informée de vos blessures par le biais des serviteurs ? Pourquoi ne pas m’avoir parlé de votre état ?
demanda-t-elle. Vous qui avez tendance à trop saigner !
Il manqua d’éclater de rire.
— Il n’y a pas de quoi vous inquiéter, ma charmante épouse. Ce n’était qu’une égratignure. Je vais
bien.
— Laissez-moi voir.
— Pour cela, il faut vous approcher.
Pourquoi se sentait-il coquin en prononçant ces mots à l’intention de sa femme ?
Elle fit un pas timide vers lui.
— Ici, indiqua-t-il en posant le bras sur le bord de la baignoire.
Elle se précipita vers lui et s’agenouilla. Il fut surpris quand elle passa doucement le doigt le long
de sa plaie.
— Une égratignure ? Mère de Dieu ! Vous appelez cela une égratignure ?
— Certes. Je ne saigne plus, et je n’ai pas eu besoin d’être recousu.
— Que faisiez-vous ? interrogea la jeune femme dont les yeux verts étincelèrent face aux flammes,
envoûtants.
Son inquiétude lui serra le cœur et il se surprit à désirer… Quoi, il ne le savait pas exactement.
Mais elle se souciait de sa santé, et il savait qu’au fond, cela voulait dire qu’elle n’était pas
indifférente. Pourquoi ne le laissait-elle pas la toucher ? L’embrasser ? Lui faire l’amour ?
— J’ai entraîné les hommes, comme je l’ai dit la nuit dernière.
— En vous battant à l’épée ?
— Certes. C’est un bon exercice.
Elle se releva et son regard s’attarda sur le corps du Highlander, dans l’eau. Elle ferma
brusquement les yeux, tourna les talons et se dirigea de l’autre côté de la pièce. Il n’y pouvait rien
s’il avait une érection dès qu’elle se tenait près de lui ! Comme il aurait aimé l’attirer dans le bain et
la contempler couverte d’eau… Mais nul doute que cela la transformerait encore en chatte sauvage. Il
devait être bien plus subtil que cela.
— Merci de votre sollicitude. Qu’avez-vous fait aujourd’hui ? s’enquit-il.
— J’ai conversé avec matrone Mayme pour préparer le menu du mariage. J’ai dressé une longue
liste de tout ce dont nous aurons besoin.
— Je suis impatient de savourer tous les trésors que vous avez en réserve.
Elle lui lança un regard. Il se mordit les lèvres pour ne pas sourire. Il aimait tellement la
provoquer de la sorte !
Les yeux de la jeune femme s’attardèrent une fois de plus sur le torse du Highlander. Il lut
clairement une étincelle d’intérêt. Il feignit de l’ignorer, prit le savon, et se frotta la poitrine et le cou.
Il leva un bras et poursuivit sa toilette.
Elle parut fascinée par ses gestes et il lui fallut un long moment avant de se ressaisir.
— Je vous souhaite une bonne nuit, monsieur.
— Je préférerais que vous ne m’appeliez pas ainsi.
Trop froid et distant.
— Très bien, milaird.
— Lachlan, corrigea-t-il.
Le silence retomba et elle regarda le sol.
— Lachlan, murmura-t-elle enfin.
Avait-elle déjà dit son nom ? L’entendre prononcé de sa voix rauque, avec son accent irrésistible
lui fit bouillir le sang. Il sentit son sexe se raidir encore davantage, frémissant, et regretta qu’elle ne
le contemple pas cette fois. Qu’elle ne le caresse pas. Il avait tellement envie de la caresse de ses
mains douces sur sa peau…
— Voulez-vous vous joindre à moi ? proposa-t-il.
Elle se raidit et recula vers la porte.
— Non. Je me suis déjà baignée. Je dois partir.
— Voudriez-vous dormir ici ? Je serais ravi que vous acceptiez.
Non, j’adorerais cela ! Par tous les saints, il lui ferait tant de choses ! Il l’embrasserait, la
caresserait, goûterait sa peau de sa langue… Ce serait la séduction la plus lente, la plus envoûtante
qu’il ait offerte… S’il pouvait se maîtriser. Oui, il pouvait. Pour elle, il ferait tout le nécessaire pour
la combler. Tout. Il esquissa un sourire.
— Non. Je ne suis pas prête, souffla-t-elle.
— Je comprends votre nervosité, répondit-il avec douceur.
Par l’enfer, il commençait à se sentir un peu nerveux lui-même. Et si impatient. Il continua à se
savonner le ventre comme s’ils parlaient d’un sujet aussi anodin que le menu du souper.
— Je n’apprécie guère… l’accouplement, lâcha-t-elle.
— Que vous est-il arrivé ? demanda-t-il.
Quel est le fils de catin qui vous a dégoûtée de l’expérience la plus agréable qui se puisse
pratiquer ici-bas ? Quelque imbécile empoté, à n’en pas douter. Pendant des années, il avait changé
l’opinion de nombre de dames concernant le sexe, souvent après le trépas de leur vieux mari
maladroit. C’était un crime de ne pas avoir su satisfaire leurs épouses ni leur donner le moindre
plaisir.
Angélique afficha de nouveau son air de biche piégée.
— Rien. Je déteste cela, c’est tout.
— J’y remédierai également. Je n’ai jamais été avec une femme qui n’y ait pas pris plaisir.
Elle le transperça d’un regard de haine pure. Elle tourna les talons, regagna sa chambre et claqua
la porte.
— Par le ciel ! Je suis un imbécile, murmura-t-il dans la pièce silencieuse.
N’apprendrait-il jamais à tenir sa langue ?
Il termina rapidement son bain et se sécha. Il s’entoura la taille de la serviette humide, traversa la
pièce et frappa à la porte d’Angélique.
Silence.
— Angélique ? appela-t-il en frappant encore.
— Allez-vous-en !
— Je suis désolé de ce que j’ai dit, mais je ne partirai pas.
Il tourna la poignée et ouvrit. Si elle voulait vraiment le tenir à l’écart, pourquoi n’avait-elle pas
barré sa porte ?
Elle se tenait près de l’âtre et lui jeta un regard de glace.
— Vous ne pouvez entrer dans ma chambre sans que je vous en donne la permission.
— Je suis votre mari et j’entrerai quand il me plaira, déclara-t-il en fermant la porte.
— Que vous êtes goujat ! s’exclama-t-elle en français.
C’était ce qu’elle pensait de lui, alors ?
— Je suppose que ce n’était pas un compliment. Mais nous sommes mariés. Il va falloir accepter
cette idée, Angélique.
— Dois-je vous rappeler que ce n’est un mariage que de nom ? Vous étiez d’accord sur ce point.
— Pas du tout.
— Oh, si ! Votre parole ne vaut-elle rien ?
— Ne mettez pas mon honneur en doute. J’ai dit que vous pouviez agir comme vous le désiriez,
mais vos désirs ne sont pas encore clairs pour moi.
Elle plissa les paupières d’un air furieux.
— J’ai été parfaitement claire, pourtant, monsieur. Je ne partagerai pas votre lit.
— Et comment comptez-vous produire un héritier pour cet illustre domaine ? Une immaculée
conception ?
— Ne vous moquez pas de moi.
— C’est une question honnête.
Les yeux écarquillés, elle le scruta.
— Allez-vous me forcer ?
Il recula comme si elle l’avait giflé.
— Non ! Comment pouvez-vous me demander une telle chose ? Je ne vous forcerai jamais, ni vous
ni aucune femme.
Elle se détourna pour regarder les flammes timides de la cheminée.
— Angélique, j’aimerais que vous n’ayez pas peur de moi ainsi. Je ne vous ferai aucun mal, et je
ne vous obligerai à rien si vous ne le voulez pas. Je voudrais simplement vous montrer l’amour que
peuvent se témoigner un homme et une femme. Croyez-le ou non, une nuit ensemble peut être
divertissante, agréable et surprenante.
— Pour vous, j’en suis certaine.
— Pour vous aussi. J’écarterai mes besoins pour m’attacher d’abord à satisfaire les vôtres.
— Je n’ai aucun de ces besoins, déclara-t-elle avec un regard noir.
— Mais si, voyons. Vous n’en avez pas conscience, c’est tout. Ou alors, vous mentez.
— Non, veuillez me croire sur parole.
— Je pense que vous protestez trop. J’ai surpris votre manière de me regarder. Vous avez aimé
mes baisers.
Et lui avait adoré les siens. En vérité, il aurait voulu pouvoir lui en voler un autre à cet instant. Il
couvrirait son corps charmant de baisers si elle le laissait faire.
Elle rougit mais garda la bouche fermement serrée.
— Je crois aussi qu’aucun homme n’a su vous satisfaire.
Au fond de lui, il en était ravi car il voulait être le seul qui lui enseigne le plaisir. Et il voulait
qu’elle ne puisse plus se passer des joies de la chair.
— Je vous l’ai dit, je ne suis pas vierge.
— Cela ne change rien. Vous avez peut-être été avec un homme, mais vous n’avez pas apprécié ce
moment. Une femme mérite de prendre autant de plaisir qu’un homme.
Pour elle, il était prêt à honorer cette promesse.
— Je ne suis pas intéressée, souffla-t-elle.
Pourtant, comme une caresse timide, son regard curieux glissa sur sa poitrine, puis sur l’étoffe fine
qui enveloppait ses hanches, et plus bas.
« Pas intéressée » ? Comme elle mentait mal !
— Juste un baiser, dit-il.
— Comment ?
Le conflit entre la peur et le désir dans ses yeux faisait saigner l’âme du Highlander. Comment
pouvait-elle penser qu’il lui ferait du mal ?
— Un baiser, c’est tout ce que je vous demande ce soir.
— Je ne le souhaite point.
— Vous avez aimé celui d’hier. Je croyais que rien ne vous effrayait.
— Je n’ai pas peur de vous.
Ses mots résonnaient comme un feulement de chat sauvage. Si fragile, et pourtant si sauvage.
— Certes, et je crois que c’est pour cela que vous m’avez choisi plutôt que les deux autres
prétendants.
Il tenait à lui rappeler que c’était elle qui avait pris la décision de l’épouser ; tout en veillant à ce
qu’elle se souvienne des bâtards avec lesquels elle pourrait être unie à cet instant. Aucun n’aurait été
aussi compréhensif que lui.
— Je ne voulais pas épouser un homme assez âgé pour être mon grand-père.
— Je peux comprendre. Et Kormad ?
— Lui, je le déteste plus que tout.
Lachlan hocha la tête.
— Et Philippe ? Vous a-t-il donné du plaisir ?
Elle ne dit rien et se contenta d’observer les flammes.
— Je pensais bien que non.
— Eh bien, si.
Oh, un nouveau mensonge !
— Vraiment ? Alors vous devez me laisser une chance de vous le faire oublier.
— Impossible. Je n’oublierai jamais Philippe.
Que diable trouvait-elle à ce couard minuscule ? C’était probablement encore un mensonge pour
tenir Lachlan à distance.
— Un baiser, Angélique, c’est tout ce que je réclame. Si vous aviez épousé Chatsworth ou
Kormad, ils vous auraient déjà forcée à partager leur couche. Mais je ne ferai rien de tel. Je vous
demande de venir à moi de votre propre choix.
Le feu crépita dans le silence.
Angélique, l’estomac noué, serra ses mains moites, incapable d’oublier la douleur et l’humiliation
subies entre les bras de Girard… et sous son corps. Cette façon dont il avait inséré de force son
membre dressé en elle, comme un bélier prenant une forteresse, la faisant saigner, la giflant, la
frappant… Les larmes lui piquèrent les yeux et elle se détourna de Lachlan pour qu’il ne les voie pas.
Il n’était pas comme Girard, ce n’était pas un violeur, et il n’était pas en colère. Il n’avait rien de
semblable à Girard, mais c’était tout de même un homme qui désirait s’emparer de son corps, diriger
sa vie. Le sexe était un dangereux moyen de manipulation, qu’il soit doux ou violent, car il ne servait
qu’à la soumettre à ses ordres. La faire plier sous la volonté masculine. Lachlan tenait visiblement à
être le chef, libre d’entrer dans sa chambre quand il le désirait.
Pendant un instant, elle admit la vérité. Il l’attirait d’une manière effrayante. Son charme triomphait
de sa résistance. Ce n’était pas que l’attrait physique de sa virilité et la beauté sauvage de ses
muscles bien dessinés, mais aussi son regard embrasé, et sa voix profonde et grave si envoûtante.
Elle ne maîtrisait même plus le rythme de son souffle quand il était près d’elle et l’observait
attentivement.
Mais si elle s’accouplait avec Lachlan, et que la souffrance et la terreur connues avec Girard
revenaient hanter son esprit ? Comme si l’horreur se répétait… Que ferait-elle ? Le souvenir risquait
d’être trop réel, trop pénible à supporter.
— Un petit bisou sur la joue, encouragea Lachlan d’un ton léger qui formait un contraste marquant
avec les tourments intérieurs de la jeune femme.
— Très bien.
Finissons-en, qu’il s’en aille ! Elle ne supportait plus la pression qu’il lui imposait.
Il s’approcha lentement et elle sentit son cœur battre plus vite à chaque pas.
Elle regarda ses yeux à la nuance d’or sombre et tendit la joue vers lui.
Allons, qu’il fasse vite.
Il s’approcha tout près de son visage et respira ses cheveux. Son souffle chaud caressa la tempe et
l’oreille d’Angélique. Elle frissonna et attendit.
Il respira, plus doucement, contre sa joue, et sa barbe de trois jours rugueuse et virile fit frémir la
moindre parcelle de féminité en elle. Des picotements saisissants lui descendaient dans le cou, dans
la poitrine, jusqu’à la pointe de ses seins. Il soupira encore, avec chaleur, sensualité et subtilité,
toujours sans la toucher.
Des sensations charnelles dérangeantes s’emparèrent d’elle et elle détourna le regard.
— Allez-vous-en, murmura-t-elle.
— Est-ce vraiment ce que vous désirez ? chuchota-t-il contre son oreille sans cesser ses
manœuvres de séduction.
Il saisit son lobe d’oreille entre ses lèvres. La vague d’érotisme que ce geste suscita terrifia la
jeune femme et elle repoussa le torse du Highlander.
Il lui attrapa les poignets et les leva au-dessus de sa tête. Piégée ! La panique s’empara d’elle.
— Arrêtez ! Bâtard ! hurla-t-elle en tentant de se dégager de son étreinte.
Il s’interrompit, la maintenant contre le mur, et la regarda droit dans les yeux.
— Oui, ne suis-je pas une bête ? Non ? Un goujat ? demanda-t-il en français.
Un frisson glacé parcourut la jeune femme.
— Mais vous ne parlez pas français !
— Si, madame. J’ai passé plus d’un an en France.
— Vous m’avez menti.
— Non.
Elle frémit en lisant la colère sur ses traits.
— Vous avez feint l’ignorance.
— Il paraît que je suis rusé. Je sais de quoi vous me traitiez quand vous vous figuriez que je ne
comprenais pas. Que penseriez-vous si je disais de telles choses sur vous en gaélique ?
Il parlait pourtant d’elle à ses amis, mais en anglais, et quand elle n’était pas là. Maudit soit-il !
— Je ne vous insulterais pas en gaélique, ni devant vous ni dans votre dos. Je ne suis pas le bâtard
que vous imaginez.
— Pardonnez-moi.
Elle baissa le regard d’un air soumis et pria pour qu’il la libère et ne cherche pas à la forcer. S’il
essayait, elle deviendrait folle et tenterait de le tuer.
— Je vous pardonne.
Il esquissa une moue curieuse, attendit, puis passa les lèvres au coin de sa bouche, persuasif,
déterminé et fervent. Il mordilla, caressa la barrière serrée de sa langue. Une excitation involontaire
s’abattit sur Angélique comme la foudre. Ses méthodes de séduction étaient si affirmées, si
puissantes, et elles risquaient de lui donner le pouvoir… Il usait de sa magie sur elle comme sur
toutes les autres.
Sa gorge se serra. Elle hoqueta et détourna la tête en essayant de libérer ses poignets.
— Lâchez-moi !
— Pas avant que vous m’ayez embrassé comme une épouse doit embrasser son mari.
— Bâtard !
— Je suis né du lit de mes parents, comme il se doit. Et comme le feront nos enfants.
Elle secoua la tête.
— Ne me touchez pas. Vous avez connu des centaines de femmes. Je ne veux pas attraper une
maladie.
Enfin une bonne raison. Mère de Dieu, et si c’était le cas ? Elle n’y avait pas songé auparavant.
Il plissa les yeux, recula et la relâcha enfin.
— Je n’ai pas de maladie, madame, déclara-t-il d’un ton ferme.
— Qu’en savez-vous ? insista-t-elle en s’écartant.
— Je ne présente aucun symptôme. Je suis toujours très prudent. Je ne couche jamais avec des
catins ni des servantes.
— Les dames nobles portent aussi des maladies.
— Oui, mais ces choses-là se savent.
— À moins que vous ne soyez spécialisé dans le dévoiement de vierges ?
Il haussa les épaules.
— Si elles me le demandent gentiment. Mais tout cela, c’est du passé. Maintenant, mon corps
n’appartient qu’à vous.
Ah ! Pensait-il vraiment qu’elle allait le croire ?
— Prouvez-moi que vous n’avez aucune maladie. Faites venir un médecin.
Il lui lança un regard noir.
— Vous plaisantez.
— Non. Je suis formelle. Je veux qu’un médecin inspecte votre… membre et s’assure qu’il est
sain.
Chapitre 7

Lachlan rit, mais son hilarité fut vite remplacée par une grimace perplexe.
— Je vous assure, milady, que mon « membre » est en bonne santé.
— Je ne puis en être sûre, insista Angélique.
Un libertin comme lui avait été avec trop de femmes pour en tenir le compte. Elle était soulagée
d’avoir pensé à cela avant qu’il soit trop tard.
— Si je me fais examiner et que les résultats sont bons, alors vous m’accueillerez dans votre lit,
c’est cela ? Chaque nuit ?
Parbleu. Elle n’avait pas réfléchi à la suite.
— J’y songerai.
— Pas question, je veux votre parole, déclara-t-il avec le regard d’un guerrier endurci aux
batailles. Un contrat signé.
— Avez-vous perdu l’esprit ?
— Non. Ce n’est que justice. Je satisfais vos exigences, vous devez répondre aux miennes. Et
comme je suis magnanime, je vous accorde en plus de m’accompagner pour rencontrer les chefs des
clans avec lesquels nous avons une alliance, dans les environs. Je dois aller les voir, avec leurs
épouses, ces jours prochains.
Elle se raidit. Comment osait-il ?
— Je viendrai même si vous ne l’autorisez pas. Je suis la comtesse.
— Non. Nos vœux de mariage établissent bien que vous êtes tenue de m’obéir. Je dois toujours
faire ce qui est le mieux pour le clan, et pour votre sécurité.
Quelle excuse ridicule !
— Vous perdez en séduction, monsieur. Votre femme vous résiste, et vous avez recours aux
contrats, aux manigances et au chantage ?
— Je n’ai pas encore commencé à vous courtiser. Mais si vous le désirez… (Il haussa les
épaules.) Je pensais que vous éleviez l’honnêteté au-dessus de toute vertu. La séduction n’implique
pas toujours la vérité et la droiture. C’est un jeu, une manipulation qui donne du plaisir aux deux
joueurs. Est-ce ce que vous souhaitez jouer ?
— Non.
— Alors que voulez-vous ?
Sous les flammes, ses yeux d’or semblaient percer tous les secrets de son âme.
— Quels sont vos désirs enfouis, Angélique ?
Elle ne lui révélerait jamais rien de tel. Si elle en avait, ils étaient bien cachés, enterrés sous les
décombres de son cœur, depuis que Girard l’avait brisé sans pitié. Elle n’avait ni la volonté ni la
force de recommencer, de confier encore ses rêves à un autre séducteur. Non, en vérité, tous ses rêves
étaient morts.
— Je ne veux rien de vous.
Elle essaya de s’exprimer d’une voix forte, mais seul un murmure glissa de ses lèvres.
— Pardonnez-moi, mais je ne vous crois pas. Vous voulez quelque chose, ou vous ne m’auriez
jamais choisi.
— Je n’avais pas le choix.
— Mais si. En épousant Chatsworth, vous auriez certainement été veuve très vite.
Elle secoua la tête.
— Je ne pouvais le tolérer, pas même une seule nuit.
— Et moi, pourrez-vous m’accorder une nuit ?
— Je l’ignore. Peut-être.
— Une nuit, donc.
Il prit une feuille sur le secrétaire de la jeune femme, trempa une plume dans l’encre et se mit à
écrire.
— Que faites-vous ?
— J’établis notre contrat. Si mon « membre » est reconnu sain par le médecin, vous devrez
m’accueillir une nuit dans votre lit. Sauf si vous préférez venir dans le mien. Et je ne parle pas de
dormir. Suis-je assez clair ou voulez-vous que j’explicite ?
— Si c’est une manœuvre de séduction, elle laisse beaucoup à désirer.
— Voulez-vous la séduction ou l’honnêteté ?
— Les deux, laissa-t-elle échapper.
Merde ! Elle se couvrit la bouche.
— Ah…, murmura-t-il, les yeux étincelants d’espièglerie. Eh bien, voilà, milady a enfin dévoilé
ses désirs. J’en prends note.
— J’ai parlé trop vite. Je ne le pensais pas.
— Ne vous justifiez pas.
Il continua à écrire et elle prit soudain conscience qu’il devait être bien éduqué pour être aussi à
l’aise avec une plume.
— J’ai juste besoin de votre signature, ici.
Il lui présenta le feuillet et désigna le bas de page.
Elle lut les lettres rapidement tracées.

Moi, Angélique, épouse de Lachlan, lui accorde toute une nuit, de 21 heures à 9 heures du
matin, dans le même lit à des fins de plaisir sexuel sous toutes les dénominations possibles
(accouplement, bagatelle, procréation) s’il m’apporte la preuve écrite de sa santé sexuelle et de
l’absence de maladie, avec une signature du médecin. Si je passe avec lui une nuit comme il est
explicité plus haut, je pourrai l’accompagner pour rencontrer les chefs de clan des environs et
leurs épouses.

— Soyez maudit, marmonna-t-elle.


Elle se dirigea vers le secrétaire et signa.
— Voilà, c’est fait.
Elle lui jeta le papier et lança avec humeur la plume sur le bureau.
Il sourit comme un renard tenant une poule entre ses crocs.
— Merci, mon bel ange.
Il souffla sur le feuillet pour sécher l’encre et se dirigea vers la porte.
— Je veux une déclaration signée et scellée du docteur, celui du village tout proche.
Lachlan s’inclina.
— Autre chose, ma reine ?
— Hmf.

— Que diable se passe-t-il à Draughon ? s’exclama Kormad devant la cheminée de la grande salle
sombre et pleine de courants d’air de Burnglen.
MacFie, qui revenait d’une mission d’éclaireur, arriva tout courant, la tenue en loques.
— Je n’ai pas vu les guerriers que vous aviez postés là-bas, milaird.
— Enfer et damnation !
Ces hommes étaient ses atouts les plus courageux et les plus rusés. Il ne lui restait plus beaucoup
d’éléments. Pike était terrassé par la fièvre. Nombre des autres mercenaires étaient trop idiots pour
faire mieux que de laver les écuries. Il lui fallait des membres du clan Drummagan ralliés à sa cause.
S’il était leur chef, ce serait possible.
— Mes hommes ont-ils fui le manoir comme des lapins ? Sont-ils morts ? Sont-ils enfermés dans
les geôles de Draughon ?
— Je l’ignore, milaird.
— Envoyez Murray et Rusty à leur recherche. Que trois hommes soient affectés à la surveillance
de Draughon à toute heure. S’ils ont une occasion de tuer MacGrath ou sa traînée, qu’ils le fassent !
— Oui, milaird.
Kormad entendit un bruit étouffé sur le côté et se retourna. Il découvrit son neveu, petit garçon aux
cheveux roux qui se cachait à demi derrière une chaise, ses yeux agrandis par la curiosité rivés sur
son oncle.
— Timmy.
Kormad traversa la pièce, s’assit et tendit la main. L’enfant se leva et se hissa sur ses genoux. Il lui
rappelait sa sœur, et chaque regard lancé par ces grands yeux verts innocents était comme un coup de
poing dans l’estomac.
— N’ayez crainte, Timmy. Je m’occupe de tout. Vous hériterez du titre et des terres que votre père
vous a refusés. Un jour, vous serez comte de Draughon et chef du clan Drummagan.
Mais je le serai d’abord, afin de tout mettre en ordre pour vous.
Cette catin de Drummagan paierait pour les péchés de son père.

Le lendemain, de bon matin, Lachlan passa devant Dirk, Rebbie et plusieurs hommes du clan qui
prenaient leur petit déjeuner dans la grande salle. Il songea trop tard qu’il aurait été plus habile de
s’éclipser par la porte de service, afin de ne pas éveiller leur curiosité.
— Bien le bonjour à tous, lança-t-il lorsqu’ils le virent, sans interrompre sa marche vers la sortie.
— Où allez-vous avec tant de hâte ? demanda Rebbie dont la voix résonna sous le haut plafond.
Lachlan s’arrêta. Ils attendaient sa réponse, et tous le regardaient.
Il refusait de leur avouer qu’il allait trouver un médecin car cette peste d’Angélique l’exigeait de
lui, maudite soit-elle. Il était un parangon d’indulgence, un modèle pour tout époux. Elle aurait dû le
remercier de se montrer si magnanime.
Il sourit avec peine.
— Je serai vite de retour.
Rebbie se leva et le suivit jusqu’à la porte en l’observant avec curiosité.
— Ce n’est qu’une simple course pour ma femme, lui dit son ami à voix basse.
Par l’enfer, si Rebbie découvrait le fin mot de l’histoire, Lachlan ne serait jamais en paix.
— Quel genre de course ?
— Rien qui doive vous inquiéter. Continuez votre repas.
Rebbie haussa les épaules et regagna sa place. Lachlan se précipita dans l’écurie et sella un
cheval, aidé par les jeunes serviteurs qui s’empressaient de lui apporter tout le nécessaire. Il se hissa
sur l’animal, l’éperonna et quitta le château au galop.
Après vingt minutes de chevauchée à maudire Angélique sans discontinuer, il s’arrêta devant la
demeure du médecin du village voisin. C’était plus simple de se débarrasser de cette corvée chez lui
que de demander au docteur Ellis de venir au manoir où tout le monde voudrait connaître l’objet de
sa visite. Une pluie fine tombait, et il regarda les nuages gris et bas. Ah, qu’il était bon de retrouver
cette chère Écosse !
Des bruits de sabots rapides approchèrent sur la route du château et il serra la main sur la garde de
son épée. Dirk et Rebbie apparurent au tournant.
Malédiction !
Ils se placèrent près de lui, leurs chevaux soufflant et chassant des mottes de terre noire de leurs
fers.
— Par l’enfer, à quoi pensez-vous, à chevaucher seul ainsi ? s’exclama Dirk. Kormad ne rêverait
pas plus belle occasion de vous tendre une embuscade.
— Je suis toujours sur mes gardes. Et il ne me fait pas peur.
Lachlan avait passé deux pistolets et une épée à sa ceinture.
— Que faites-vous devant la demeure du médecin ? Êtes-vous souffrant ? demanda Rebbie.
— Non. Peu importe. Ne racontez à personne que je suis venu ici.
— Seulement si vous nous dites la vérité.
— Soyez maudits, gronda Lachlan en se détournant.
Rebbie se mit à rire.
— Allons, dites-nous. Avez-vous besoin de quelque potion pour stimuler votre virilité ?
Dirk eut un rire goguenard.
— Après votre vigoureuse nuit de noces à Londres, je n’aurais jamais cru, renchérit Rebbie, bien
décidé à le provoquer jusqu’au bout.
— Non, je n’ai nul besoin de potion, grogna le Highlander. (Il soupira.) Angélique a appris ma
réputation avec les dames et elle veut s’assurer que je n’ai… pas de maladie.
Dirk et Rebbie se mirent à rire si fort qu’ils manquèrent de tomber à terre. Les chevaux piétinèrent
et s’agitèrent.
— Ce n’est pas drôle. Alors ne dites rien, à personne, ou je ne veux plus jamais voir vos trognes
de bâtards.
Lachlan se détourna et frappa à la porte.
Une demi-heure plus tard, Lachlan referma la même porte pour sortir. Il se sentait humilié comme
jamais. Le docteur Ellis avait scruté son membre avec une loupe et il grimaça à ce souvenir. Il avait
examiné la moindre parcelle de son corps pendant qu’il y était. Il avait même observé l’épaisseur de
ses cheveux et reniflé son haleine. Le médecin s’était permis de toucher et presser tant de choses que
s’il n’avait été un professionnel, Lachlan lui aurait coupé les doigts.
Le Highlander rangea le maudit document, signé et scellé, dans son pourpoint, heureux que la pluie
ait cessé.
— Alors, avez-vous la syphilis ? demanda Rebbie, assis sur son cheval.
— Non. Je suis officiellement en bonne santé.
Il le savait déjà. Mais à présent, Angélique devrait aussi l’admettre et le récompenser d’une nuit
dans son lit. L’attente était à peine tenable.
Rebbie se redressa sur sa selle.
— Combien avez-vous dû le payer pour ces mensonges ?
— Que le diable vous emporte !
Son ami se mit à rire.
— Vous n’avez pas encore eu de nuit de noces, n’est-ce pas ?
Le ton était sobre, mais sans appel.
Cela ne le concernait en rien ! Lachlan fronça les sourcils.
— Et le sang sur le drap ? interrogea Rebbie.
— C’était le mien. Je me suis coupé. N’en parlez à personne. Le roi voulait un mariage consommé,
mais Angélique n’était pas d’humeur.
— Il a eu toutes les dames de Londres dans son lit, mais sa propre femme se refuse à lui,
commenta Dirk en exagérant sa surprise.
— Imbéciles. Je n’ai pas eu toutes les dames de Londres, déclara Lachlan en montant à cheval. Et
il ne faudra pas longtemps pour que mon épouse me traîne d’elle-même dans son lit et refuse de me
laisser partir.
— Quelqu’un veut parier ? demanda Rebbie en se frottant les mains d’un air cupide.
— Certes ! renchérit Dirk.
— N’y pensez même pas.
Lachlan éperonna son cheval et partit au trot, suivi de ses amis qui firent la course entre les arbres,
vers Draughon. Il était impatient de voir l’expression d’Angélique quand il lui montrerait le document
demandé. Et il était plus impatient encore de la découvrir nue entre ses draps.
Quelque chose siffla à l’oreille de Lachlan.
— Par l’enfer… Des flèches !
Dirk jura.
Lachlan talonna sa monture et galopa en se penchant pour esquiver les projectiles, tout en scrutant
en vain les buissons à sa gauche. Les lâches, les bâtards ! Une flèche se ficha dans sa selle. Où était
sa targe quand il en avait vraiment besoin ?
Les sabots des chevaux de Dirk et Rebbie résonnaient derrière lui. Le Highlander jeta un regard
vers ses compagnons. Rebbie tirait au pistolet vers les buissons. Dirk avait une flèche dans l’épaule
et une grimace effrayante se peignait sur son visage.
Maudits soient Kormad et ses hommes ! S’ils voulaient la guerre, ils l’auraient.
Une heure plus tard, Lachlan retirait lui-même la flèche dans l’épaule de Dirk et aidait à le tenir
pendant que le forgeron cautérisait la plaie à vif. Ce n’était pas facile, car Dirk était fort et aussi
furieux que deux bœufs marqués au fer.
— Heureusement que ce n’est pas le côté où vous maniez l’épée, commenta Lachlan en lui tendant
une bouteille de whisky à la couleur de tourbe.
— Certes, après cela, vous auriez enfin été capable de me mettre à terre.
Il avala une longue gorgée d’eau-de-vie.
— En effet.
Lachlan sourit, puis il quitta la pièce. Dirk était l’un de ses meilleurs et plus anciens amis, et il
espérait que sa blessure ne lui causerait pas de fièvre. Pendant qu’il se reposait, Lachlan allait
remettre le document signé à une certaine lady…
Angélique l’attendait derrière la porte de la chambre d’amis, les yeux écarquillés, inquiète et pâle.
— Comment va-t-il ?
— Il sera remis dans quelques jours. Venez. Je dois vous parler.
Il désigna l’escalier en spirale et la laissa le précéder.
Dans le couloir, il lui ouvrit la porte de son salon personnel et lui fit signe d’entrer. Elle passa
devant lui d’un air troublé et il sentit sa jupe de soie effleurer ses jambes.
Il referma la porte, adressa une révérence dans les règles à son épouse et lui montra le papier.
Malheureusement, il n’avait pas de plateau d’argent pour le présenter…
— Voici ce que vous avez réclamé, milady.
Les traits tirés, elle brisa le sceau rouge et lut le document… très lentement. Non. Elle le lisait
deux fois.
— Comme vous pouvez le constater, mon « membre » et toute autre partie de mon corps sont en
parfaite santé.
— Un instant.
Elle se rendit dans son propre salon et ouvrit une petite boîte sur une table. Il la suivit. Elle en
sortit un papier et compara les signatures du médecin.
Maudite soit-elle, elle ne le croyait même pas. Quand lui ferait-elle enfin confiance ?
— Seriez-vous en train de penser que j’ai imité la signature du docteur Ellis ? Je ne suis pas un
menteur, Angélique. Si je dis que je suis allé trouver le médecin, c’est que je l’ai fait. Il m’a examiné
de la tête aux pieds. Vous pouvez demander à Rebbie et Dirk si vous avez besoin de témoins.
Angélique le toisa de son regard vert et froid.
— Préférez-vous que nous nous retrouvions dans votre chambre ou la mienne ce soir ? s’enquit-il.
— Aucune.
Il sentit son sang s’échauffer. La rage lui comprima la poitrine et manqua de l’étouffer. Il s’était
douté qu’elle tenterait de se défiler malgré sa promesse et le contrat signé. Il était réputé pour son
tempérament affable, mais elle avait raison de sa patience.
— Alors votre parole ne vaut rien !
— Votre contrat ne spécifie pas quand je devrai passer une nuit avec vous. Je le ferai, mais après
la seconde cérémonie. Je suis ravie que vous soyez en parfaite santé, mais je ne suis pas prête à
faire… cela. Nous devrions d’abord apprendre à mieux nous connaître.
Il se répéta de garder son calme, à maintes reprises.
— La nuit après la cérémonie, je vous veux dans mon lit. Et toutes les nuits après cela.
Respire profondément…
Elle ne répondit pas et se contenta de le regarder, les yeux baissés sur son pourpoint. Si elle le
craignait, le voir en colère n’arrangerait rien. Mais pourquoi ne pouvait-elle pas se montrer plus
raisonnable ?
— Angélique, j’ai risqué ma vie pour vous obtenir ce ridicule papier signé. Je sais que vous auriez
préféré que la flèche de Kormad me traverse le cœur plutôt que l’épaule de Dirk. Mais que feriez-
vous alors ? Croyez-vous vraiment pouvoir mener les hommes de ce clan toute seule ? Pensez-vous
qu’ils sauront vous protéger de Kormad lorsque vous serez débarrassée de moi ? Non. Soit vous
finirez mariée à lui, soit vous serez tuée aussi. Cela semble sans pitié, mais c’est la vérité.
Des larmes brillèrent dans les yeux de la jeune femme.
— Je suis heureuse… que vous n’ayez pas été blessé, murmura-t-elle d’une voix étranglée.
Elle tourna les talons et se précipita dans sa chambre.
Le Highlander regagna le salon de sa suite, claqua la porte, s’empara d’un candélabre de fer et le
jeta contre le mur de pierre. Le fracas fut répété par l’écho.
— Iosa is Muire Mhàthair !
Maudit soit son cœur de glace ! Il se laissa tomber sur une chaise derrière son bureau. Il restait
encore plusieurs jours avant la seconde célébration.
Il n’avait jamais eu autant de peine à attirer une femme dans son lit, et il s’agissait de sa propre
femme – une situation dont il n’avait pas voulu dès le début. Il avait deviné que son union serait un
désastre.
Elle le détestait. C’était cela. Elle ne voulait pas de lui et était totalement insensible à son charme.
Sorcière !
Pourtant, il avait envie d’elle. Elle rendait ce défi plus complexe chaque jour, et cela ne faisait
qu’attiser sa passion.
Il sortit en claquant la porte et descendit l’escalier. Non seulement son épouse lui avait déclaré la
guerre, mais son voisin venait également de faire de même. Il allait devoir rencontrer les chefs des
clans des alentours et s’assurer que les alliances des Drummagan étaient fortes. Si Kormad voulait
une bataille, il l’aurait.

Deux jours plus tard, les malles d’Angélique arrivèrent de Londres, avec son trousseau et sa robe
de mariée. Dans l’intimité de sa chambre, la jeune femme déplia la toilette française de dentelle et de
soie bleu pâle, et l’étendit sur le lit.
— Exquise, souffla-t-elle.
Elle soupira, pressa le vêtement contre elle et plongea le nez contre les plis. Le parfum de sa mère
s’attardait encore sur l’étoffe.
Vous me manquez, maman.
Sa mère lui avait remis la robe cinq ans plus tôt, en France. Angélique se souvenait très bien de sa
voix profonde, comme si elle lui parlait à l’oreille à cet instant.
— J’aimais votre père quand j’ai porté ceci à notre mariage, disait-elle. Nous nous étions
rencontrés à la cour du roi James, au palais de Holyrood. Tout était si élégant. J’étais une toute jeune
fille, pas plus âgée que vous, la tête pleine d’espoirs et de rêves. (Le sourire nostalgique de sa mère
avait pris une nuance douce-amère.) Ces rêves ont été brisés, mais cela ne signifie pas que les vôtres
aient à subir le même sort, Angélique. Chaque femme doit trouver le bonheur, à sa manière. J’ai très
vite découvert que votre père ne m’aimait pas comme je l’aimais. Alors vous devez choisir votre
époux soigneusement. Ne tombez pas amoureuse avant d’être certaine que l’élu de votre cœur vous
aime. N’épousez pas un Écossais, ce sont des barbares qui ignorent tout des sentiments.
— Comment savez-vous que tous les Écossais sont comme père ? avait demandé Angélique.
— J’en ai connu plusieurs pendant que nous avons vécu en Écosse, et croyez-en mon expérience,
ce sont tous les mêmes. Ils aiment plus que tout l’excitation des batailles et le combat. Ils ne désirent
qu’exercer leur pouvoir sur les autres, principalement les femmes. Et il leur faut une conquête
différente chaque nuit. Peu importe que ce soit une lady ou une souillon des cuisines. Ils les veulent
toutes.
Angélique avait cru sa mère. Comment en aurait-il été autrement ? Les idées de sa mère étaient les
seules qu’on lui ait enseignées. Et à ce jour, la jeune femme avait constaté que tous les hommes, pas
seulement les Écossais, correspondaient à cette catégorie de barbares assoiffés de pouvoir et
obsédés par la débauche. Les sentiments des femmes leur étaient indifférents.
— Pourquoi n’êtes-vous pas ici, maman ? murmura Angélique dans la pièce vide.
En portant le précieux pendentif de diamant que sa mère lui avait offert, sous sa robe de mariée,
elle aurait le sentiment que son esprit l’accompagnerait pendant la cérémonie.
On frappa à la porte. Angélique étala de nouveau la toilette sur son lit, s’essuya les yeux et ouvrit.
Camille se précipita à l’intérieur, les joues rouges et le souffle court.
— Lachlan et ses hommes sont de retour. Vous vouliez que je vous en informe…
— Merci. Où est-il allé ?
— Il a visité une famille de voisins… Hem… Un clan voisin, je veux dire.
Un nuage de contrariété passa sur le visage d’Angélique.
— Il a rendu visite à un autre clan ? Sans moi ? Il avait promis de m’emmener. Et même sans
promesse, j’ai le droit d’y aller.
Elle savait très bien qu’il agissait ainsi parce qu’elle s’était refusée à lui. Elle lui dirait ce qu’elle
pensait d’une telle attitude. Sans elle, il n’aurait d’autres biens que les vêtements sur son dos. Il lui
devait tout. Il fallait qu’il la traite avec davantage de respect !
La porte de la chambre s’ouvrit sans annonce et Lachlan entra, ses longs cheveux fauves détachés
et ébouriffés par le vent, son regard d’or bruni illuminé par l’excitation. Il sentait les herbes des
chemins.
— Milady, salua-t-il en s’inclinant profondément avant de lui tendre un bouquet de fleurs sauvages.
— Milaird, merci.
Les parfums mêlés des marguerites, des roses et des feuillages verts la tirèrent de ses pensées,
distraites par ce cadeau romantique inattendu. Cela faisait longtemps qu’aucun homme ne lui avait
offert des fleurs. Mais peut-être qu’il cherchait simplement à détourner son attention…
— Ah, la robe de mariée est enfin arrivée, s’écria-t-il avec un geste théâtral vers le lit.
— Où étiez-vous ? demanda Angélique en revenant au sujet qui l’intéressait. Vous avez rendu
visite aux clans voisins ?
Son regard devint glacial en se posant sur elle.
— Veuillez nous excuser, Camille, mais je dois parler avec ma femme.
Angélique ne releva pas le ton moqueur qu’il laissa filtrer en énonçant son titre.
Camille se retira en refermant la porte. Le silence plana un long moment. La tension était si
palpable qu’Angélique peinait à respirer.
— Alors ? interrogea-t-elle. Où ?
— Demandez-moi gentiment et je répondrai, déclara-t-il avec un sourire moqueur.
— Où êtes-vous allé, milaird ? reprit-elle avec une exquise courtoisie.
Elle tenait les racines des pauvres fleurs sous une poigne de fer et se retenait de jeter le bouquet au
visage du Highlander.
— C’est mieux, mais vous devez encore faire un effort. Je suis allé rendre visite aux chefs des
clans Robertson et Buchanan. Ils seront présents à notre mariage.
— J’ai le droit de rendre visite à nos voisins avec vous, lança-t-elle d’un ton sec.
— Et j’ai le droit de partager le lit de ma femme le soir. Nous n’obtenons pas toujours ce que le
bon droit devrait nous accorder. N’est-ce pas, milady ?
— Sans moi, vous ne posséderiez que l’épée à votre côté et votre maudit kilt.
Il la scruta d’un air menaçant.
— Et sans moi, Kormad vous aurait déjà assassinée.
— Hmf. Vous êtes un garde du corps fort bien payé, monsieur.
— Peut-être suis-je un étalon onéreux que vous ne savez pas monter.
Devait-il toujours tout ramener au sexe ? Barbare têtu et sans cœur…
— Nous dirigeons ce clan ensemble. Je suis la comtesse !
Elle lui jeta le bouquet. Les fleurs rebondirent contre sa poitrine et les pétales s’envolèrent.
Il ne réagit qu’en cillant et en crispant les mâchoires.
— Et je suis le comte, ainsi que le chef.
— Grâce à moi.
— Et grâce au roi James. Et à mes talents de stratège, qui m’ont valu les faveurs du souverain.
Lachlan esquissa un sourire.
— Je suis heureux que nous nous souvenions tous deux de l’origine de cette débâcle, conclut-il
sèchement.
Il avait raison, bien sûr. Même si elle était comtesse de plein droit, elle n’était qu’une femme
privée de tout pouvoir par le mariage. Pourtant, elle refusait de lui accorder quoi que ce soit. Il ne
faisait que l’aider un peu à gouverner.
— Je souhaite être tenue informée des affaires du clan.
— Je vous informerai. Que voulez-vous savoir ? demanda-t-il avec une politesse mielleuse.
— Ne vous moquez pas de moi. J’ai le droit d’être à vos côtés, et de vous assister pour les
décisions qui affectent le clan et le domaine. Ces hommes pensent que vous êtes le seul à les mener.
Lachlan parut furieux.
— Si vous cherchez à saper mon autorité, vous ne ferez que créer de nouveaux conflits. Voulez-
vous la paix ou les disputes ? Avez-vous la moindre idée de ce dont sont capables les Écossais en
cas de conflit ? Une simple dispute peut se transformer en massacre. Je ne veux pas de bain de sang.
— Moi non plus, mais je veux vous accompagner à la prochaine visite de chef de clan.
— Inutile. J’ai envoyé un messager inviter deux autres clans au mariage et au festin. Vous pourrez
les rencontrer à cette occasion.
— Très bien, mais j’ai le droit de savoir ce qui se passe. Les disputes, les jugements, les accords.
Ce serait le souhait de mon père, s’il était là.
— Je vous le dirai en privé, si c’est tout ce que vous souhaitez. Mais je ne vous autorise pas à me
donner des ordres devant mes gens.
— Vos gens ?
— Certes, les Drummagan sont mes gens à présent. Lorsque vous m’avez choisi, et m’avez épousé
devant les hommes du roi et Dieu, vous m’avez donné ce droit.
Il tourna les talons et partit en claquant la porte.

— Milaird ?
La voix plaintive du serviteur et son grattement à la porte de la bibliothèque mettaient les nerfs de
Lachlan à rude épreuve.
— Je travaille ! J’ai besoin de silence ! hurla le Highlander.
— Oui, milaird.
Des pas s’éloignèrent.
Lachlan avala une longue gorgée de xérès. Sous la lumière des bougies, il plissa les yeux sur les
longues lignes de chiffres tracées sur le livre devant lui. Par l’enfer ! Il devenait fou. Un éclat de rire
dans la grande salle lui donna envie de tuer le responsable à coups de canon. Cela ne lui ressemblait
pas. Avant, il appréciait les fêtes. Il n’avait jamais été d’une humeur aussi détestable.
Les courtisans du roi et Miles, son ami anglais, étaient partis le matin en laissant Lachlan libre de
diriger le domaine et le clan.
Ah !
— Le pouvoir, marmonna-t-il.
Certes, il commandait les hommes du clan, assurait la sécurité du manoir, autant de tâches aisées…
Mais maîtriser Angélique et la convaincre de se plier à ses désirs, c’était comme de vouloir dompter
un fauve enragé.
Rebbie et Dirk l’avaient convaincu qu’ils avaient tous besoin d’une journée de repos car ils
s’étaient entraînés sans relâche pendant une semaine et que les hommes du clan étaient trop fourbus
pour bouger. Ils prendraient leur congé une fois qu’ils auraient visité les deux autres clans. Quelles
donzelles ils étaient !
S’il ne pouvait ni s’exercer ni voyager, par tous les saints, il boirait. Il lui fallait quelque chose
pour ne plus songer à cette fille du démon qu’était Angélique. Il aurait voulu l’étrangler ! Mais il
savait que s’il posait les mains sur son joli cou délicat, il ne penserait plus qu’à savourer le contact
de sa peau douce comme la soie, à faire glisser ses lèvres sur sa gorge, vers son corset. Il couvrirait
son corps de baisers. Peut-être la mordillerait-il un peu… Son parfum de femme emplirait ses sens et
l’envoûterait.
Par tous les diables ! Quel parfum avait sa poitrine ? Quelle saveur ? Et plus bas, entre ses cuisses,
elle devait être aussi délicieuse qu’une tarte aux prunes. Sucrée et acidulée. Il voulait se repaître de
son corps, lécher, mordre. Il sentit son érection monter sous son kilt et gémit en se servant un autre
verre.
Il espérait qu’elle l’imagine avoir passé les deux nuits précédentes avec une autre. Il priait l’enfer
qu’elle soit si jalouse qu’elle en perde le sommeil. Le problème était que même si dix femmes
avaient été en sa compagnie à cet instant, il n’en aurait voulu aucune. Il ne voulait qu’Angélique.
La privation de sexe l’avait rendu fou et il était obsédé par sa maudite épouse. Lorsqu’il l’aurait
possédée, il se lasserait probablement d’elle. Du moins le craignait-il. Mais c’était la seule femme
qu’il désire qui lui ait résisté si longtemps, et il ne savait pas à quoi s’attendre. Sans doute perdait-il
pied avec la réalité à force de la poursuivre. Il ne souhaitait même pas la désirer. Maudite soit-elle !
Si seulement elle n’avait pas été si féminine, si belle, si attirante. Il aurait voulu ne pas lui accorder
une pensée de la journée.
Rebbie et Dirk ne pouvaient pas comprendre. Personne ne pouvait, sauf peut-être son frère,
Alasdair, mais il était trop loin pour lui rendre visite, au cœur des Highlands. Bien sûr, Alasdair ne
se priverait pas de lui affirmer que cette situation infernale n’était que ce qu’il méritait pour ses
actes.
Lachlan abattit sa tête contre le bureau. Que pouvait-il faire avec Angélique ? Comment gagner sa
confiance ? Que ferait-il si elle se refusait à lui lors de la nuit de noces ? Il redoutait encore plus ce
moment qu’il ne l’attendait, car il savait ce qui se passerait. Une nouvelle dispute, encore un rejet.
Et cela le rendrait fou. Alors il échouerait, et ne serait ni un bon chef ni un bon comte ni un bon mari,
comme il l’avait craint.

Angélique, en superbe robe verte, descendit vers la grande salle pour souper, suivie de ses deux
gardes. Elle se sentait prisonnière dans son propre château. Ils avaient commencé à l’escorter
pendant que Lachlan visitait les autres clans. Lorsqu’elle leur avait ordonné de la laisser, ils avaient
déclaré que les instructions de leur laird surpassaient les siennes. Elle ne savait plus si elle devait
maudire Lachlan ou apprécier son souci pour sa sécurité.
Dans la grande salle, elle s’approcha de la table mais ne trouva personne assis.
— Où est le laird ? s’enquit-elle auprès de Fingall.
— Il travaille dans la bibliothèque, milady, dit-il en s’inclinant. Il a demandé à ne pas être
dérangé.
— À quoi travaille-t-il ? marmonna-t-elle en repartant dans le couloir. Attendez ici, je souhaite
parler au laird seule, ajouta-t-elle pour les gardes.
Elle ouvrit la porte et découvrit Lachlan, la tête sur le bureau tournée vers elle. Elle referma
doucement et s’approcha à pas légers.
Le souffle lent et régulier, il ne bougeait pas. Les paupières fermées, l’air détendu, il ressemblait à
un enfant grandi trop vite… à l’exception du dessin viril de sa mâchoire carrée, de sa barbe de trois
jours et de ses lèvres sensuelles. Enfin un instant où il n’essayait pas de la séduire avec ses yeux
calculateurs et trop incisifs. Il n’était pas en colère non plus. Elle aurait pu s’asseoir et le contempler
ainsi un moment. Elle devait admettre qu’il avait un physique agréable.
Une demi-bouteille de xérès était posée près de lui avec un verre presque vide.
— Bien entendu, murmura-t-elle.
Cela expliquait tout.
Lachlan se réveilla en sursaut et s’assit. Il battit fébrilement des paupières et secoua la tête comme
pour éclaircir ses pensées.
— Vous êtes, comme le dit la formule, ivre mort, déclara-t-elle en savourant son expression
embrouillée – une vision rare chez lui.
— Non… Je n’ai bu qu’un doigt de xérès.
Des nombres à l’encre noire couvraient sa joue. Angélique rit en se couvrant la bouche d’un air
moqueur.
— Quoi ? demanda-t-il, subitement plus sérieux.
Elle tira un mouchoir propre de sa poche et le trempa dans l’alcool.
— Vous avez de l’encre sur le visage.
Il regarda les livres.
— Enfer, j’ai sali la page !
— Attendez, laissez-moi la retirer.
Elle posa une main contre son visage. La barbe picota ses doigts, le souffle du Highlander
réchauffa ses poignets. Elle nettoya les nombres. Ses membres frémissaient sous le contact et des
sensations intenses couraient le long de ses bras.
Lachlan la regarda de ses yeux ensommeillés mais séducteurs, avec un soupçon d’irritation. En cet
instant, elle le perça à jour. Ce n’était qu’un trop grand gamin gâté habitué à obtenir tout ce qu’il
désirait des femmes. Mais pas d’elle, il ne savait comment faire. Elle se mordit les lèvres pour
retenir un sourire.
— C’est l’heure de souper, dit-elle en enlevant une dernière trace. Voilà, tout est parti.
— Je vous remercie.
Elle sentit son cœur se serrer en voyant sa mine triste. Il semblait… différent. Sans arrogance.
— Ce n’est rien.
— Maudits livres.
Il referma sèchement le plus proche, se leva, et se dirigea vers la fenêtre.
— Qu’y a-t-il ?
Il observa le crépuscule pendant un moment.
— Rien.
— Tête de mule, marmonna-t-elle.
— C’est l’hôpital qui se moque de la charité.
Elle voulut lui adresser un regard noir mais se retint. Elle savait qu’il avait raison. Sa mère avait
souligné son obstination à de multiples reprises. Et Dieu savait à quel point elle était têtue avec lui.
Mais elle n’avait pas le choix.
— Alors, où étiez-vous ces deux dernières nuits ? interrogea-t-elle.
Il haussa les épaules.
— Ici et là.
Elle avait regardé dans sa chambre chaque nuit, deux ou trois fois. Une fois, elle l’avait vu dormir
aux petites heures de l’aube. Parfois, elle se demandait s’il avait fait comme elle s’y attendait et avait
pris une maîtresse. Camille l’avait mise en garde à d’innombrables reprises, répétant qu’il trouverait
quelqu’un pour satisfaire sa luxure, et elle pressait sa cousine d’aller le retrouver. Angélique savait
que sa confidente avait raison, mais elle ne pouvait se résoudre à entrer dans son lit. Dès qu’elle y
pensait, elle se figeait, et le souvenir de la douleur revenait.
Elle écarta sa peur et se concentra sur quelque chose qu’elle pouvait maîtriser.
— Y a-t-il un problème avec les livres de comptes ?
Il soupira longuement et se tourna vers elle.
— Je suis doué pour les langues, mais pas pour les chiffres.
— Les langues ?
— Oui, je parle et lis six langues. Je comprends le fonctionnement rapidement. Mais les comptes
du domaine… je les jetterais au feu !
— Moi, je suis douée pour les chiffres, déclara-t-elle, fière de son éducation et de ce petit talent.
— Vraiment ?
Elle hocha la tête.
— Ma cousine m’a appris, en France.
— Alors vous pourrez peut-être m’aider à m’occuper de ceci. Je ne suis pas certain de faire
confiance à Fingall, notre trésorier, ni à quelques-uns des serviteurs. À tous ceux qui ont eu affaire
aux fonds du domaine.
— Je vous aiderai demain. Le souper est prêt et l’on nous attend.
Il soupira, comme épuisé.
— Êtes-vous sûre d’avoir bien enlevé toutes les traces d’encre ? Si Rebbie les voit, cela lui fera
encore un motif de moquerie.
Elle retint un sourire et craignit qu’il ne l’ait remarqué quand son regard se fit plus incisif sur elle.
— Oui, tout est lavé.
Pendant de tels instants, elle pouvait s’imaginer passer de bons moments avec Lachlan. Non pas
parce qu’il était d’humeur maussade, mais parce qu’il se montrait honnête et humble… et un peu
incertain. Exactement comme elle se sentait, tout le temps.
— Sur quoi Rebbie vous taquine-t-il ?
— Que croyez-vous ? demanda-t-il d’un œil accusateur.
— Oh, souffla-t-elle, les joues en feu. Eh bien, cela ne le regarde en rien.
— Croyez-vous que cela l’arrête ? C’est l’homme le plus curieux du monde.
— Il n’est pas marié, il ne peut pas comprendre.
Lachlan renifla avec dérision.
— Je doute que beaucoup de couples mariés nous ressemblent.
— Sans doute pas.
— Je pense que nous sommes bizarres au-delà de toute mesure.
Elle le regarda d’un air de reproche. Devait-il toujours tout exagérer ?
— Quoi ? Je ne dis que la vérité, ajouta-t-il.
Un craquement retentit dans un coin de la pièce… d’une fissure entre les pierres. Quelqu’un se
cachait dans le passage secret derrière la bibliothèque.
Chapitre 8

Angélique se précipita vers l’interstice, celui qu’elle avait utilisé pour écouter Lachlan et Rebbie
quelques nuits auparavant.
— Qui est là ?
Elle regarda par la fissure mais ne distingua aucune flamme de bougie.
Silence. Des frissons nauséeux la saisirent.
— Par l’enfer, que se passe-t-il ? demanda Lachlan par-dessus son épaule.
— Quelqu’un nous écoutait.
— Comment ?
— Vous voyez cette fissure entre les pierres ? Elle est assez large pour observer et écouter. Il y a
un passage secret derrière cette pièce.
— Par le ciel ! Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? lui reprocha-t-il avec un regard noir.
— J’avais… j’avais oublié.
Elle aurait voulu garder ce recours secret pour l’espionner encore, mais maintenant qu’un traître
s’y était glissé, ce n’était plus sûr.
— Comment entre-t-on dans ce passage ?
— Je vous montrerai quand nous aurons plus de temps, déclara-t-elle en se dirigeant vers la sortie,
suivie par son mari.
— Certes. Vous devrez me révéler tous les passages secrets et leurs accès. C’est vital, pour la
sécurité du clan… et de notre foyer.
— De qui pensez-vous qu’il s’agissait ? murmura-t-elle.
— Peut-être Fingall le trésorier, ou l’un de ses complices. Je déteste devoir dire une telle chose,
mais nous ne pouvons plus faire confiance à notre propre clan.

Après le souper, lorsque le ménestrel entama une gigue virevoltante et que tous furent occupés à
regarder danser les femmes, Lachlan escorta Angélique vers le salon de sa suite. Il devait en
apprendre plus sur ces passages et celui qui les espionnait. Leurs quatre gardes du corps personnels
les suivirent mais restèrent dans le couloir.
— Peut-on parler ici sans risque d’être entendus ? souffla-t-il à l’oreille de la jeune femme.
— Oui.
Elle s’écarta et sembla réprimer un frisson. Il croisa son regard, d’un vert plus sombre que de
coutume.
— Je vais vous montrer le moyen le plus simple d’entrer.
Lachlan prit une bougie et la suivit dans sa chambre.
— Vous plaisantez ? Dans ma propre suite ?
— En effet. Après tout, c’est la chambre du laird, dit-elle en barrant la porte de l’intérieur. Mon
arrière-grand-père avait fait concevoir ainsi la partie neuve du manoir afin de garder un œil sur ses
invités.
Elle déplaça une pierre à la base de la cheminée et pressa un levier. Un cliquètement de métal
retentit derrière la tapisserie.
Lachlan prit conscience qu’il n’avait même pas songé à regarder derrière l’épais tissu.
— Faites attention avec les flammes, mit en garde Angélique avant de se glisser derrière l’étoffe.
Lachlan alluma une autre bougie sur le manteau de la cheminée et lui emboîta le pas en soutenant la
tapisserie comme une tente.
Il portait son épée au fourreau sur le côté, et un petit poignard, au cas où ils croiseraient le traître.
Angélique poussa la porte dérobée.
— Laissez-moi passer devant, je porte la bougie.
Lachlan baissa la tête et descendit une marche d’un escalier de pierre juste assez large pour un
homme de sa taille. Des débris craquèrent sous ses bottes. Il savoura le contact de la main
d’Angélique, délicatement posée sur son épaule afin de se soutenir tandis qu’ils descendaient vers les
ténèbres. C’était cependant la seule chose agréable dans cette situation. Par l’enfer, il n’aimait pas
cet endroit étrange. Il estima plus prudent de tirer l’épée et se tint sur ses gardes.
— Quelqu’un pourrait-il se faufiler par ici pour venir m’assassiner dans mon sommeil ? murmura-
t-il en imaginant cette vision de cauchemar.
— Non, souffla Angélique près de son oreille, avec un soupir chaud qui le fit frémir de désir.
Personne ne peut ouvrir de ce côté… Pas sans provoquer un horrible fracas. Cela vous réveillerait,
non ? Nous avons laissé ouvert, ce qui nous permettra de revenir sur nos pas. Un seul passage
débouche dans ce sens, à partir de l’armurerie.
— Ah. Très bien.
Au pas suivant, il sentit quelque chose sous sa semelle. Il s’écarta et baissa la bougie.
— Par le diable, qu’est-ce que c’est ? Un tisonnier ?
Il le poussa du pied pour mieux le voir.
— Est-ce le mien ? J’ai remarqué qu’il manquait et j’ai demandé à un serviteur de m’en donner un
autre.
— Je… je ne saurais dire, balbutia Angélique, un peu agitée.
— Prenez garde de ne pas marcher dessus.
Ils atteignirent le bas des marches. Le couloir s’étirait devant eux et ils n’en distinguaient pas
l’extrémité. Des ténèbres denses les enveloppaient au-delà du halo lumineux de la bougie.
— La meilleure chambre d’amis du manoir se trouve de l’autre côté de ce mur, chuchota
Angélique. Et voici la fissure par laquelle espionner.
— Vos ancêtres observaient leurs invités au lit ?
— Je suppose que oui. Plusieurs rois et reines de la lignée des Stuarts ont dormi ici, même notre
roi James il y a bien des années. Des ducs, de nombreux comtes, beaucoup de nobles sont passés ici.
Votre clan n’avait-il rien de tel pour espionner ses visiteurs ?
— Non.
Peut-être que son clan n’était pas assez méfiant…
— Encore quelques pas, et nous serons derrière la bibliothèque.
Lachlan avança.
— Ah, ah ! Regardez ceci.
Il avait pris garde de laisser une bougie allumée sur le manteau de cheminée dans la bibliothèque
et presque tout l’espace était visible à travers l’ouverture horizontale.
— Plus loin, en hauteur, se trouvent les meurtrières vers la grande salle. Vous entendez cette
musique étouffée ?
— Certes. Mais où sont les autres entrées vers ce passage ? demanda-t-il.
— Comme je vous l’ai dit, il y en a une dans l’armurerie… une sortie cachée derrière une étagère
d’armes. Il y a une autre entrée dans la salle du trésor, derrière une tapisserie. Ce passage mène aussi
vers des tunnels qui traversent tout le domaine.
— Où aboutissent-ils ?
— Je l’ignore. Lorsque j’étais enfant, les grilles de fer qui les fermaient étaient barrées, et au-delà,
il faisait noir. Peut-être que les issues ne sont pas visibles de l’extérieur et ne sont destinées qu’à
servir en dernier recours, pour que le chef et sa famille s’échappent. Presque personne n’avait accès
à ces passages, et peu en connaissaient seulement l’existence.
— Eh bien, maintenant, quelqu’un est au courant. Nous devons découvrir quelle entrée cette
personne a utilisée et essayer de surprendre notre espion lorsqu’il rentre ou sort. S’il a entendu notre
précédente conversation, il sait que je soupçonne quelqu’un de contrefaire les comptes.
— Oui.
— Retournons sur nos pas. Je ferai plus de recherches seul, ou avec un homme en qui j’ai
confiance. Je ne veux pas vous mettre davantage en danger.
— Je ne suis pas en danger, protesta-t-elle comme s’il l’avait insultée. J’ai exploré ces passages
très souvent, enfant.
— Vous êtes une courageuse lady, mais maintenant, il y a un traître dans ces tunnels.
Il n’avait pas la place de contourner la jeune femme tant le passage était étroit.
— Il va falloir que vous marchiez devant. Prenez la bougie.
Elle pressa le pas et monta l’escalier. Il la suivit en grimpant les marches deux à deux et heurta
accidentellement ses fesses. Elle eut un hoquet de surprise et lâcha la bougie. La flamme grésilla et
mourut, les laissant dans l’obscurité totale.
— Merde !
Lachlan posa une main sur son épaule et lui caressa le cou.
— Chut, ne vous énervez pas. Restez calme.
— Il fait aussi noir que dans une geôle, gémit-elle en français, le souffle fébrile.
— J’en suis conscient. Allons, avancez d’un pas à la fois, et nous y arriverons.
— Très bien.
Elle fit ce qu’il disait, la main plaquée contre le mur de pierre brute pour se soutenir.
Du métal cliqueta contre la pierre derrière eux. Tous deux se pétrifièrent. Lachlan se tourna sur le
côté, et regarda sans rien voir, pas même une lueur. Le silence retomba. S’il avait été seul, il aurait
rampé dans les ténèbres pour en avoir le cœur net, mais il ne pouvait se permettre de mettre
Angélique en péril.
— Qu’était-ce ? demanda-t-elle dans un murmure à peine audible.
Lachlan se retourna et heurta son visage contre Angélique, peut-être contre sa joue. Elle soupira
mais ne s’écarta pas. Sa peau douce et son parfum de femme, sucré, lui firent oublier où il se trouvait.
Il l’effleura de ses lèvres en savourant ses senteurs.
Elle battit des cils, lui chatouillant le nez.
— Oh.
C’était à peine un soupir… Leurs lèvres se touchèrent. Elle s’était tournée pour lui faire totalement
face. Le désir s’empara de lui brutalement. Il voulut l’attirer contre lui et manqua de laisser tomber
son épée. Il parvint à se reprendre et glissa son autre main au bas du dos de la jeune femme. Par tous
les saints, quand il sentit qu’elle nouait les bras autour de son cou, il crut mourir de bonheur et de
désir ! Elle avait envie de lui.
Sans qu’elle proteste, il se délecta de sa bouche, mordilla ses lèvres et faufila sa langue entre
elles. Sa saveur unique le rendait fou et il aurait voulu se noyer en elle. Elle toucha timidement sa
langue de la sienne, et une agréable réaction se produisit sous son kilt. Iosa is Muire Mhàthair ! Il
aurait pu la posséder là, sur ces marches.
Inconsciemment, il perçut des bruits de pas. L’alerte atténua son ardeur et il se retourna
brusquement, mettant fin à leur baiser.
— Écoutez, chuchota-t-il.
Des pas s’éloignèrent et une porte claqua. Puis le silence revint. Qui diable était-ce ?
Angélique reprit son ascension de l’escalier et il suivit, une chose en tête… ou plutôt trois. Un
autre baiser. La déshabiller. La mener dans son lit.
Ils passèrent enfin la porte. Lachlan referma et se dégagea de la tapisserie. La lumière de la bougie
sur la cheminée lui fit plisser les yeux. Angélique replaça la pierre de la cheminée et le Highlander
remit son épée au fourreau.
Malgré le danger, son instinct lui intimait avant tout de tenter de séduire Angélique. Ils étaient dans
sa chambre, après tout. Mais il se ressaisit. Ce n’était pas le mieux à faire. Chaque fois qu’il s’y était
risqué, elle était devenue furieuse et avait commencé une dispute. Il aurait plus de chances avec une
approche moins directe. Elle abaisserait sa garde. Oui, il devait d’abord la convaincre de
l’apprécier, de ne pas le craindre, alors seulement, elle aurait envie de l’accueillir dans son lit…
toutes les nuits. Il lui apprendrait à aimer la sensualité et le sexe, à son rythme. Elle avait dit qu’elle
voulait de l’honnêteté et de la séduction. Il était capable de lui offrir les deux.
— Comment découvrir qui était là ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas encore. Je m’en charge.
Bon sang, son envie d’elle nuisait à son bon sens. Il parvenait à peine à réfléchir. L’abstinence lui
faisait cet effet.
— Pourquoi me regardez-vous ainsi ? interrogea-t-elle.
Il lut une mise en garde dans ses yeux. Son désir devait se voir. Mais après un tel baiser, comment
pouvait-elle le lui reprocher ?
Il prit une profonde inspiration et tâcha de changer son expression.
— Comment ?
Elle le scruta encore d’un air soupçonneux puis retira la barre de la porte.
— Bonsoir, monsieur.
— Lachlan, corrigea-t-il.
— Lachlan.
Son accent caressa son nom d’une façon terriblement excitante. Il faillit revenir sur sa décision
d’attendre pour la séduire, mais elle avait déjà disparu en refermant la porte.
Il jura.
Il se sentait frustré, mais son nouveau plan lui paraissait plus ingénieux. Pour une fois il écoutait sa
tête et non son… Il baissa les yeux sur son érection, qui soulevait le sporran de son kilt.
— Sois patient. Bientôt…
Il devait d’abord se concentrer sur la découverte de l’identité du traître dans les passages secrets.

Le lendemain, Lachlan s’entraîna encore toute la matinée avec les hommes du clan, mais il ne
cessait de penser à sa rencontre prochaine avec Angélique, dans une salle récente, une étude où ils
seraient au calme afin de regarder les livres de comptes. Il était devenu stupide à cause d’elle, avec
un regard absent, comme son frère l’était devenu pour une lady anglaise la dernière fois qu’il l’avait
vu. Même l’arrivée du clan Buchanan, avec le chef, sa famille et leur escorte, ne put troubler ses
pensées romantiques. Il se surprit à contempler fixement sa superbe… non… son insupportable
femme pendant tout le déjeuner et il manqua une grande partie des conversations autour de lui.
Une fois les Buchanan installés dans les chambres d’amis pour se reposer de leur voyage, Lachlan
se dirigea vers le cabinet.
Angélique était assise au bord d’une immense fenêtre, les yeux rivés sur le jardin en contrebas.
Elle l’attendait. Il faillit sourire mais se retint, de peur qu’elle ne s’en irrite de nouveau. Pour une
raison qu’il ne comprenait pas, elle semblait plus gracieuse quand il était d’humeur maussade. De
toute évidence, elle ne souhaitait pas son bonheur.
— Vous voilà, Angélique.
Elle se tourna vers lui.
— Le ciel est magnifique aujourd’hui. Si bleu ! Et les nuages ressemblent à des piles de laine
blanche soigneusement lavée.
— Certes.
Il portait deux chaises droites qu’il posa devant le bureau.
La lumière de l’après-midi emplissait la pièce.
— Mais vous êtes plus belle encore, reprit-il.
Elle détourna le regard, les joues roses.
— Merci.
Elle s’assit et il s’installa près d’elle.
— Êtes-vous certaine que personne ne peut nous espionner ici ? demanda-t-il en savourant son
léger parfum de rose, regrettant de ne pouvoir enfouir son visage dans ses cheveux.
— Oui. Avant que l’aile qui abrite nos appartements soit construite, la chambre du chef se trouvait
ici. Il n’avait aucune raison de s’espionner lui-même.
— Ah, oui, c’est logique.
Bien sûr, il savait à quoi servaient les anciennes études, car Kintalon, son château au cœur des
Highlands, possédait une construction similaire.
— Mon père a fait ajouter cette grande fenêtre afin de contempler les terres et profiter de la vue.
— C’est très beau.
Entre les murs d’enceinte, plusieurs serviteurs vaquaient à leurs occupations. Au-delà des arbres
verts, des montagnes brunes couvertes de bruyère se dressaient vers le nord. Les terres des MacGrath
étaient là-bas, et cela faisait des mois que Lachlan n’avait pas revu son foyer. Ici, le paysage était
plus luxuriant et le temps plus doux qu’au nord des Highlands. Les Drummagan avaient accepté
Lachlan comme chef, et Angélique paraissait s’adoucir lentement. Très lentement. Mais il progressait
dans sa mission.
Ses mollets nus effleurèrent les jambes de la jeune femme à travers l’étoffe de ses jupons. Sa
sensualité s’éveilla aussitôt. Il aurait tant aimé sentir ses douces jambes nues se glisser contre les
siennes. Non… Lui envelopper les hanches… Pendant que, debout, il la posséderait contre le mur.
Par tous les saints ! Quelle vision ! Il lui suffisait d’être dans la même pièce qu’elle pour avoir une
érection, mais avec de tels fantasmes, sa frustration atteignait des sommets. Son sexe semblait
l’accuser d’avoir perdu tout pouvoir de séduction…
Angélique retira sa jambe. Hmm… Peut-être qu’elle avait ressenti la même étincelle. Lachlan
ouvrit un livre de comptes et chercha la bonne page.
— Oh, quel beau cheval !
Lachlan suivit le regard d’Angélique dans la cour, à gauche, derrière un mur. L’un des serviteurs
menait un animal sellé vers les écuries.
— Vous aimez les chevaux blancs ?
— Oui. J’en avais un en France, Blanche, une jument, mais j’ai dû la laisser. Elle était très
affectueuse et avait le sabot léger.
Angélique contempla la monture, et son regard tendre et nostalgique saisit Lachlan. Il n’avait
jamais surpris une telle expression sur son visage. Il se sentit capable de lui accorder n’importe
quelle volonté.
— Je n’ai jamais monté de cheval blanc. Trop visible de nuit, marmonna-t-il pour qu’elle ne
soupçonne pas ses intentions.
Mais il comptait bien découvrir le propriétaire de l’animal et tenter de lui acheter la jument, ou
une semblable, pour l’offrir à Angélique. Elle s’était moquée de lui, la veille, quand il s’était couvert
d’encre, mais la voir sourire et rire en valait la peine. Voir ses traits s’illuminer d’amusement et de
joie suscitait en lui d’étranges sensations… Telles qu’il ne voulait pas les comprendre ni les étudier.
Un cheval serait un cadeau de mariage parfait, qui la rendrait heureuse.
— Pour ce qui est des comptes, fit-il, j’ai essayé de reprendre les lignes que j’avais tachées. Vous
voyez ?
Le cheval disparut dans les écuries et elle se tourna vers le grand livre.
— C’est assez clair.
Il lui expliqua ce que représentait chaque ligne dans les revenus et dépenses du domaine.
— Quelle somme pour du vin italien ! fit-elle remarquer en désignant le chiffre.
— Certes, acheté il y a trois mois seulement, et je n’en ai pas bu une goutte.
— Peut-être n’est-il pas encore arrivé.
— Il a été rayé des inventaires, dit-il en cherchant dans la liasse de documents celui dont il parlait.
Voyez, reprit-il en le montrant à Angélique.
— Peut-être que les serviteurs, les hommes du clan ou même les mercenaires de Kormad l’ont bu
avant notre arrivée.
— Certes. Mais peut-être qu’il n’a pas été bu parce qu’il n’existe pas.
Ils passèrent plus d’une heure à analyser les chiffres et Angélique nota tous les problèmes qu’ils
rencontrèrent. Non seulement elle releva des paiements pour des marchandises qu’elle n’avait pas
trouvées dans le manoir, mais elle remarqua aussi que de nombreux calculs étaient faux.
— Fingall ne peut tout de même pas être pire que moi en matière de chiffres et de comptes, déclara
Lachlan. Cela devrait être sa spécialité.
— En effet.
Le Highlander soupira.
— Je n’aime pas l’idée de le relever de ses fonctions. C’est un poste héréditaire. Il m’a dit que
tous les fils de sa lignée avaient été responsables comme Am Fear Sporain, au sein du clan
Drummagan, depuis deux cents ans.
— Mais il nous vole sans honte, protesta Angélique. Je doute vraiment que cela vienne d’un
manque de talent au calcul.
Lachlan acquiesça.
— Nous le questionnerons.
— Tous les deux ?
— Oui.
Angélique lui adressa un regard plus chaleureux et plus aimable, comme si elle était disposée à
l’aimer à cet instant. Il avait tant espéré surprendre cette expression sur son visage… L’excitation
l’envahit comme une rivière de miel chaud. Mais s’il tentait quoi que ce soit, elle risquait de
s’éloigner ou de revenir à son ancienne animosité. Quoique la veille, dans l’escalier sombre, elle
n’ait pas protesté…
Elle le regarda et replaça une mèche fauve derrière son oreille. Ce simple geste le captiva et
revêtit une nuance plus sensuelle qu’il n’aurait cru. Il lui prit la main et l’embrassa brièvement sur le
poignet tandis qu’elle glissait hors de son étreinte.
Elle écarquilla les yeux une seconde puis détourna le regard. Lachlan ne fit rien de plus. Par le
diable, qu’il aimait la toucher ! Sa peau frémissait encore au souvenir de ses doigts soyeux. Et le
parfum de son poignet, une fragrance de rose et de femme, lui emplissait encore les sens et
l’envoûtait.
Il l’imagina se hisser sur ses hanches, l’embrasser profondément et lui retirer fébrilement ses
vêtements, comme si elle l’attaquait. Oui, là, dans l’étude, il aurait voulu la posséder, s’introduire
lentement en elle. Elle devait être si étroite… Il se la représentait humide, lançant soupirs et
gémissements pour lui. Mais il irait doucement et la ferait attendre, jusqu’à ce qu’elle le supplie
d’aller plus vite, plus profondément.
Elle le scruta. Il ne savait pas ce qu’elle discernait dans ses prunelles, mais elle étouffa un hoquet
et son regard s’assombrit. « Ne vous détournez pas », aurait-il voulu dire.
Il se pencha et l’embrassa sur la bouche. C’était un baiser presque chaste, simple et innocent. Il ne
trahissait en rien le désir tumultueux en lui. Elle ferma les paupières et il sentit ses lèvres répondre
aux siennes avec hésitation. Il lui entoura la figure des mains et lui caressa le front.
Le bout de sa langue effleura brièvement la lèvre supérieure du Highlander. Une nouvelle vague
d’excitation le gagna. Avide de la dévorer, il retint sa réponse instinctive, qui l’aurait effrayée. Sa
prudence fut récompensée d’une autre caresse de sa langue. Par l’enfer, la petite Française savait ce
qu’était un baiser ! Ses gestes timides étaient les plus excitants qu’il ait connus.
Il répondit d’un même mouvement, plus bref que le sien. Elle retint son souffle. Il passa de nouveau
la langue sous sa lèvre inférieure et la retira prestement.
Elle hoqueta, et enfouit les mains dans ses cheveux et son écharpe de tartan, pour l’attirer contre
elle. C’est cela, ma belle, venez chercher ce que vous désirez. Il l’aiguillonna encore de manœuvres
plus subtiles de sa langue. Elle accepta chaque baiser et en redemanda, semblant le défier de ses
gestes provocants.
Un cri lointain retentit mais Lachlan n’y prêta pas attention. Quelqu’un siffla.
Angélique se dégagea de son étreinte brutalement et regarda vers la fenêtre.
— Merde !
Elle se leva d’un bond et se précipita hors de la pièce. Plusieurs hommes du clan et des serviteurs
se tenaient au-dehors et observaient la baie vitrée avec de larges sourires.
— Ne savez-vous pas respecter l’intimité des gens ? cria le Highlander derrière la fenêtre.
L’attroupement se dispersa comme une volée d’oiseaux.
— C’est cela, courez donc, bâtards.
Ils avaient effrayé Angélique et gâché toutes ses chances d’obtenir ce qu’il désirait plus que tout.
Son désir pour elle lui brûlait le corps et son sexe se dressait comme une pique.
— Par tous les diables !
Il abattit le poing sur la table et se redressa.
— Patience, murmura-t-il en prenant une profonde inspiration.
Au moins, la jeune femme commençait à l’apprécier et à se fier à lui davantage. Il devait entretenir
ce changement. Il ne restait plus beaucoup de temps avant le mariage.
Pour éviter de croiser les hommes dans la grande salle, il prit l’escalier extérieur et se rendit aux
écuries.
— Je vous ai vu mener un cheval blanc tout à l’heure, dit-il au jeune serviteur. À qui appartient-il ?
— Lady Robertson est arrivée avec, milaird.
— Ah. Merci.
Lachlan étudia la jument, et la jugea robuste et en bonne santé. Il alla trouver le chef du clan
Robertson, devant la cheminée de la grande salle, et l’interrogea à propos de l’animal.
L’homme, grand et fort, était habillé à la manière des Lowlands et arborait une barbe opulente.
— Ma femme me couperait le cou si je vendais sa monture préférée, dit-il en souriant. Mais j’ai
deux autres bêtes blanches si vous souhaitez les voir.
— En effet, cela me plairait.
Un cheval serait un cadeau merveilleux pour Angélique, même s’il le lui offrait avec quelques
jours de retard.
Il ferait tout pour qu’elle l’apprécie, même s’il devait mourir dans cette folle entreprise.

Angélique, impatiente, se tenait debout au milieu de sa chambre pendant que ses servantes
arrangeaient les innombrables éléments de sa robe de mariée. Camille leur donnait des ordres. La
toilette la démangeait et elle était un peu trop grande, exigeant quelques retouches. Lorsque les
servantes l’eurent coiffée de nattes enroulées en motifs complexes, Camille lui posa une couronne de
roses blanches sauvages et de bruyère blanche séchée sur la tête.
Malheureusement, tous ces préparatifs ne procuraient pas à Angélique la joie qu’elle avait imaginé
ressentir lorsqu’elle en rêvait à quinze ans. Elle avait peu dormi la nuit précédente. Elle avait
d’abord pris les dernières dispositions pour le mariage et le festin. Puis dans son lit, la nervosité
l’avait tenue éveillée. Les festivités avaient commencé tôt le matin avec un petit déjeuner réunissant
tous les invités, puis les danses avaient débuté.
En un sens, elle était soulagée que Lachlan et elle soient déjà mariés, sans quoi elle se serait sentie
encore plus nerveuse. Pourtant, elle craignait évidemment la nuit où elle devrait tenir sa promesse de
partager son lit. Son souffle devint plus court et un léger vertige la gagna. N’y pense pas et occupe-
toi d’abord des événements de la journée.
Quelques minutes plus tard, Heckie l’escorta vers les marches du perron et ils traversèrent la cour
intérieure pavée. Elle était heureuse qu’il lui offre son bras robuste car elle avait les genoux
flageolants. Je dois être forte. Elle songea au pendentif de diamant, sous sa robe, posé entre ses
seins. Le cadeau de sa mère lui donnait du courage. Elle imagina sa mère, forme angélique, qui la
regardait du ciel en souriant. Une sensation de calme l’enveloppa.
Ils suivirent le joueur de cornemuse des Drummagan. Les notes aiguës lui heurtaient les oreilles.
Les hommes et les femmes du clan, souriants, ainsi que des habitants du village voisin, étaient alignés
des deux côtés de l’allée. Ils s’inclinaient, faisaient la révérence et lançaient des vœux de bonheur à
pleine voix. Angélique afficha un sourire figé et leur adressa des signes de tête. Elle n’était pas
encore prête lorsque son escorte et elle entrèrent dans la petite chapelle de pierre accolée au mur
d’enceinte de Draughon.
Son estomac se noua quand elle s’aperçut que le moindre recoin de l’église était bondé. Tous les
invités se levèrent quand elle franchit le seuil. Les immenses vitraux, qu’elle avait toujours aimés,
brillaient de mille couleurs sous le soleil. Lachlan se tenait devant l’autel dans ses plus beaux atours
de Highlander. Mais elle ne prit pas garde à son kilt et son tartan. Son attention allait à son sourire.
Elle savait pourquoi il était aussi réjoui… Elle lui avait promis une nuit de noces. Elle baissa les
yeux, et sentit ses mains trembler à l’idée de se trouver allongée, sans un seul vêtement, près de lui.
Elle l’avait vu nu et craignait qu’il ne lui fasse terriblement mal en s’imposant en elle. Elle tressaillit
en se souvenant de l’impuissance qu’elle avait ressentie lorsque Girard l’avait forcée, la privant de
son droit de choisir.
Camille, qui se tenait à ses côtés en tant que demoiselle d’honneur, lui adressa un sourire rassurant
lorsqu’elle arriva devant Lachlan.
Le Highlander prit sa main droite dans la sienne.
— Vous êtes splendide, souffla-t-il.
Elle aurait voulu lui répondre que lui aussi, mais elle ne parvint qu’à esquisser un bref sourire
vacillant. Elle avait la bouche si sèche qu’elle redoutait de ne pouvoir prononcer une parole. Les
gants blancs de la jeune femme l’empêchaient de sentir la peau chaude et calleuse des mains de son
mari comme lors de la première cérémonie. Ce modeste réconfort lui manquait.
Tandis que le prêtre récitait les textes, Angélique prit conscience du nombre de Drummagan et
autres chefs de clan derrière Lachlan et elle, qui les regardaient s’unir pour la vie.
Cette fois, lorsque son époux l’embrassa, elle s’aperçut avec un pincement de honte qu’elle
accueillait volontiers ses lèvres sur les siennes et les audaces de sa langue, inappropriées devant tant
de monde. Si seulement la nuit de noces consistait en baisers et non en… accouplement, elle aurait
été comblée.
Lachlan, souriant, posa la main d’Angélique sur son bras et la guida vers la sortie d’un pas vif. Au-
dehors, des pistolets tonnèrent vers le ciel pour les saluer tandis que les cloches sonnaient à la volée.
Les invités poussèrent un grand cri de joie et une pluie de grains les couvrit pendant qu’ils couraient
dans la cour pavée. Angélique se laissa gagner par l’allégresse générale. Sans même en avoir
conscience, elle se mit à rire.
Lachlan la saisit soudain et l’embrassa. Par les cieux, un baiser aussi bref qu’efficace ! La foule
s’enthousiasma bruyamment à cette vue, et lança des cris, des sifflements et des rires. Angélique ne
pouvait détacher son regard du visage souriant de l’homme qui la portait vers le haut des marches du
château. Sur le seuil, un homme du clan remit à la jeune femme un panier rempli de pain et de
fromage. Ensuite, Lachlan la porta dans la grande salle et la déposa sur sa chaise ornée de guirlandes
à la table principale. Il s’installa près d’elle. Oui, ce maudit pendard vivait un moment glorieux…
mais elle aussi !

— Milaird, Kormad est aux portes, il demande à entrer, murmura Bryson à l’oreille de Lachlan,
alors qu’il partageait le festin avec ses hôtes.
Ce bâtard ne manque pas de toupet !
— Vous plaisantez, souffla Lachlan pour que personne n’entende.
Bryson secoua la tête, ses yeux sombres parfaitement sérieux.
Avec les réjouissances bruyantes, la musique et les danses, nul ne semblait avoir remarqué
l’interruption.
— Je reviens tout de suite, déclara Lachlan à Angélique, assise près de lui.
Il suivit Bryson vers un coin isolé.
— Combien de guerriers avec lui ?
— Une dizaine.
— Sont-ils en tenue de combat ?
— Non.
— Dites à Rebbie et Dirk de me retrouver au-dehors. Ne leur expliquez pas pourquoi. Et que
personne, aucun invité ni ma femme, n’apprenne ce qui se passe.
— Oui, milaird.
— Postez dix archers sur le toit.
Bryson hocha la tête et s’éloigna rapidement.
Deux des gardes du corps personnels de Lachlan lui emboîtèrent le pas vers la sortie. Il regarda
vers les portes. Le soleil se couchait, et Kormad et son escorte étaient de simples silhouettes.
Plusieurs gardes du clan Drummagan se tenaient face à lui, l’air décidés.
— Que se passe-t-il ? s’enquit Rebbie en rejoignant son ami.
Dirk et les autres hommes s’attroupèrent sur les marches.
— Nous avons des invités malvenus, déclara Lachlan en désignant les portes. Kormad et une
dizaine de soldats.
Le chef du clan Buchanan se fraya un passage à coups d’épaule.
— Kormad cherche-t-il les ennuis ? demanda-t-il d’une voix grondante.
— Nous l’ignorons encore. Le détachement n’est pas en armures.
— Les apparences peuvent être trompeuses.
— Certes.
Plusieurs autres hommes les rejoignirent, du clan Drummagan et d’autres clans, tous armés d’épées
ou de pistolets. Ils s’approchèrent des grilles en masse.
— Kormad, que c’est aimable à vous de nous rendre visite, déclara Lachlan en le scrutant droit
dans ses yeux noirs et malveillants.
— MacGrath… Oh, mais je peux certainement vous appeler Draughon puisque vous êtes
maintenant comte… Quelle joie de vous revoir, repartit-il avec un rictus qui ne put passer pour un
sourire. Je n’ai pas été invité à votre repas de mariage. Je suis blessé.
— Je ne vous savais pas de retour de Londres, répliqua Lachlan en feignant d’ignorer qu’il avait
tiré une pluie de flèches sur lui et touché Dirk.
— J’avais posté quelques-uns de mes hommes ici pour que le clan Drummagan et le manoir
Draughon soient en sécurité jusqu’à l’arrivée du nouveau laird. Je me demande ce qui leur est arrivé.
Sont-ils ici, enfermés dans vos geôles… ou morts ?
— Rien de cela. Je vous ai renvoyé vos gens avec un message. Ne l’avez-vous pas reçu ?
Kormad ne dit rien, les sourcils froncés, et regarda fébrilement autour de lui avant de reporter son
attention sur Lachlan.
— Quel message ?
— Le chef de vos hommes nous refusait l’entrée. Je l’ai provoqué en duel et j’ai gagné. Mais je
l’ai laissé vivre pour qu’il puisse vous dire que si vous désiriez le château de Draughon, vous
devriez venir le réclamer vous-même. Est-ce le motif de votre venue ?
Kormad évalua Lachlan d’un regard, puis s’attarda sur la troupe amassée derrière lui… De
nombreux hommes robustes dont un autre comte, un baron et trois chefs de clan, sans compter les
gardes du corps et des Drummagan armés.
Kormad rit, un son faux et forcé.
— Non, bien sûr que non. Mes hommes n’ont agi ainsi que poussés par leur bêtise. Je ne leur ai
jamais ordonné d’empêcher lady Angélique ni vous d’entrer, simplement les éventuels bandits qui
auraient menacé de piller le manoir.
— Oh, je vous remercie pour votre sollicitude. Le château est maintenant en sécurité, et entre de
bonnes mains. Vos hommes et vous êtes les bienvenus au banquet si vous nous remettez d’abord toutes
vos armes.
Kormad hésita.
— J’apprécie votre hospitalité, mais je dois reprendre la route. Je ne suis rentré qu’hier et j’ai
quantité de choses à faire.
— J’en suis certain.
D’autres manigances et projets de trahison.
— Bonne soirée à vous, Draughon. Et encore félicitations pour votre mariage.
— Je vous remercie.
Kormad et son escorte remontèrent à cheval, tournèrent bride et s’éloignèrent.
— Vous devriez prendre en otage l’un de ses hommes ou des membres de sa famille. Cela devrait
l’aider à se tenir tranquille, déclara Buchanan.
— Il se moque du sort de ses gens, fit remarquer Rebbie. Je suppose que c’est pour cela qu’ils ont
fui lorsque vous les avez chassés, c’était préférable à affronter Kormad et leur échec.
Lachlan hocha la tête.
— Sans aucun doute.
— Il faudra surveiller ce pendard de près, conclut Buchanan avant de rentrer au château, suivi par
la plupart des hommes.
Lachlan appela Bryson en privé.
— Veillez à ce que tous les gardes demeurent à leur poste. Informez-moi immédiatement s’il y a un
problème.
— Oui, milaird.
Lachlan monta les marches.
— Je vais rester ici surveiller, déclara Dirk près du portail, le bras gauche en écharpe et son épée
dans la main droite.
— Hors de question, répliqua son ami. Vous êtes encore en convalescence. La nuit dernière, vous
avez eu de la fièvre.
Dirk regarda autour de lui d’un air soupçonneux les guerriers qui se postaient dans les lueurs du
crépuscule. Il baissa la voix.
— Comment être sûr que vous pouvez vous fier aux Drummagan ? Vous ne savez même pas quel
genre d’hommes ils sont.
— Je ne leur fais pas confiance. Mais nous ne pouvons que nous tenir sur nos gardes en
permanence et attendre qu’ils aient prouvé leur loyauté.
Certes, il en soupçonnait déjà de voler dans les coffres de Draughon…
Dirk hocha la tête.
— Je vais quand même rester un peu dehors. C’est trop bruyant à l’intérieur.
Le regard sauvage et méfiant de son ami inquiéta Lachlan.
— Savez-vous quelque chose que vous ne me dites pas ?
— Non. Mais j’ai un mauvais pressentiment…

Angélique fit de son mieux pour ignorer la large main chaude de Lachlan sur son épaule alors
qu’elle était assise près de lui à la grande table. Elle tira sur le ruban de satin rouge et ouvrit le
coffret enveloppé d’une étoffe écossaise. Il contenait deux dagues d’argent et de cuivre, incrustées de
joyaux, une plus massive et une plus fine.
— Qu’elles sont jolies ! s’exclama-t-elle en passant les doigts sur la surface douce des rubis et
émeraudes qui décoraient les gardes de chacune. Les fourreaux étaient ornementés de la même
manière.
— Rebbie, espèce de bâtard ! s’exclama Lachlan en souriant. Je ne peux accepter ma part de ce
cadeau.
— Cela ne vous plaît pas ? Alors peut-être devrais-je l’envoyer à Miles.
— Non, ce serait un sacrilège ! Je vous remercie, Rebbie, reprit Lachlan en serrant la main de son
ami avec enthousiasme. Vous êtes trop généreux.
Angélique passa les dagues à Lachlan mais décida au dernier moment de garder la sienne.
— Merci, laird Rebbinglen. Votre présent est un grand honneur.
— Le plaisir est pour moi, madame. J’ai pensé qu’il vous faudrait de quoi tenir tête à ce gredin.
Les hommes rirent à cette remarque.
Angélique sentit ses joues s’enflammer et elle se demanda s’ils se doutaient de la bataille qu’elle
menait déjà contre son époux. Et à présent, elle craignait que la trêve ne prenne fin… Elle se tourna
vers le cadeau suivant et défit le nœud autour d’une boîte en chêne ciselée. Elle souleva le couvercle.
Deux coupes d’argent reposaient sur un velours vert sombre.
— Oh.
Elle en prit une. Un onyx noir, ovale, et un dragon gravé décoraient le côté.
Elle avait déjà vu et touché cet objet fait sur mesure. En France. Girard. Une douche glacée
s’abattit sur elle et le souffle lui manqua. Elle scruta l’assistance, où se pressaient des dizaines de
personnes. Où était-il ? Où était Girard ?
Chapitre 9

— Qu’y a-t-il ? murmura Lachlan à l’oreille d’Angélique.


Elle laissa échapper la coupe et il la rattrapa.
— Qui nous envoie ce cadeau ? chuchota-t-elle en regardant les recoins sombres de la grande
salle.
Elle ne repéra nulle part l’homme grand, aux cheveux noirs et au regard malveillant. Il n’y avait
pas de carte ni de message dans la boîte.
— Qui devons-nous remercier pour ce délicieux présent ? demanda Lachlan à la foule qui
l’entourait.
Il y eut quelques murmures et certains secouèrent la tête d’un air d’ignorance. Un peu à l’écart,
Camille pâlit. Angélique se mit à trembler, saisie de nausée. Lachlan lui prit la boîte et la confia à un
serviteur.
Mère de Dieu. Girard était venu la tuer.
— Qu’est donc devenue la musique ? s’exclama le Highlander avec un geste vers les musiciens.
Que tout le monde danse ! Veuillez nous excuser.
Il se leva et offrit sa main à Angélique.
— Venez, dit-il à voix basse. Je crois que vous avez besoin de respirer à l’écart des réjouissances.
Elle continua à chercher Girard des yeux tandis que Lachlan la guidait vers l’étude toute proche. Il
alluma des bougies et vérifia qu’il n’y avait pas de convives dans la pièce. Angélique songea qu’elle
devait parler à Camille à l’instant. Elles n’étaient plus en sécurité.
— Qu’est-ce qui vous préoccupe autant avec ces coupes ? s’enquit Lachlan en se plaçant devant
elle.
Il avait un ton plein de compassion, mais ses prunelles ambrées étaient sauvages.
— Vous êtes devenue pâle comme un spectre et la terreur s’est emparée de vous.
Elle craignit qu’il ne lise la réponse dans son regard et baissa les yeux en secouant la tête.
— Ce n’est rien.
— Ne me mentez pas, Angélique. J’ai promis de ne pas vous mentir, j’en attends donc autant de
vous.
Elle pressa ses paupières closes, envahie par la peur.
— Je ne peux pas vous le dire.
— Pourquoi ? questionna-t-il plus sèchement.
Elle ne pouvait pas lui confier ses secrets les plus sombres.
— Je peux juste vous dire que… j’ai déjà vu ces coupes auparavant. Elles avaient été faites
spécialement pour une certaine famille. Et la personne qui les possédait… n’est pas quelqu’un de
bien.
— Est-il français ou anglais ?
— Français.
— Et vous avez vu ces coupes en France ?
— Oui.
— Quels étaient vos rapports avec cet homme ? interrogea Lachlan d’un ton qui trahissait le
combattant endurci en lui.
Le cœur d’Angélique se serra. Si elle n’était pas prudente, il risquait de tout comprendre.
— Je n’ai pas parlé d’un homme.
— Mais vous ne m’avez pas repris quand j’ai demandé s’il était français.
— Je ne peux rien vous dire.
— Vous ne pouvez pas ou vous ne voulez pas ?
Elle ne savait quoi répondre et ne désirait que quitter la pièce pour échapper à ses questions. Dans
le silence, Lachlan prit une profonde inspiration, comme s’il était fatigué. Peut-être essayait-il
d’apaiser sa colère…
— Vous pouvez tout me dire, Ange, continua-t-il d’une voix plus douce. Je suis votre mari, il ne
doit pas y avoir de secrets entre nous.
Elle secoua la tête, incapable de confier ce fardeau horrible à quelqu’un d’autre que Camille.
— Je vous ai protégée si longtemps, et vous me refusez encore votre confiance ? demanda-t-il,
perplexe et un peu peiné.
— Je fais confiance à votre capacité à me protéger, souffla-t-elle.
C’était un guerrier puissant et habile, indéniablement.
Lachlan fit quelques pas.
— Alors, si ces coupes sont ici, je suppose que cet homme qui n’est pas quelqu’un de bien est
aussi dans notre château. Ai-je raison ?
Il s’arrêta et la regarda.
— Je ne l’ai pas vu ; peut-être a-t-il envoyé quelqu’un.
— Pensez-vous que ce cadeau soit un message ?
— Peut-être.
— Et quel serait le sens de ce message ?
Elle ne répondit pas. Mais en son for intérieur, elle hurlait de toute son âme. Le message était trop
horrible pour le prononcer.
— Angélique, si vous ne me dites pas ce qui se passe, ou ce qui est arrivé autrefois, je ne peux
protéger ni notre clan ni vous. Cet homme est-il dangereux ?
— Oui, très dangereux.
— Qu’a-t-il fait ?
Non, elle ne pouvait lui révéler cela. Face à son silence, il soupira de nouveau.
— Pourquoi rendez-vous les choses si difficiles ? Le clan tout entier est peut-être en danger en ce
moment même.
Peut-être pouvait-elle lui donner quelques éléments…
— Son nom est Girard. Guy Laurent, comte de Girard… Un homme très dangereux.
— Comment est-il ? demanda Lachlan, le regard perçant.
Il ressemblait à un aigle d’or prêt à fondre sur un lapin et à l’emprisonner de ses serres.
— Grand et mince, les cheveux noirs. Il portait une moustache et une courte barbe.
Elle se dirigea vers la sortie.
— Qu’a-t-il fait ? Pourquoi est-il venu ?
— C’est tout ce que je peux vous dire… Mais je le répète, il est extrêmement dangereux. Il veut ma
mort et celle de Camille.
Elle ouvrit fébrilement la porte et se mit à courir pour aller rejoindre sa cousine. Derrière elle,
Lachlan lança un juron.
Elle monta en hâte les marches vers son salon privé et y trouva Camille.
— Où étiez-vous ? s’exclama sa confidente en lui saisissant le bras.
Elles se précipitèrent dans la chambre et Angélique barra la porte.
— Lachlan m’a interrogée sur les coupes, souffla-t-elle d’une voix tremblante.
— Que lui avez-vous dit ?
Angélique, les genoux flageolants, s’assit sur le divan.
— Qu’elles devaient venir de Girard et qu’il était dangereux. Je le lui ai décrit, et c’est tout. Je ne
peux pas lui dire…
— Que va faire Lachlan ?
— Je l’ignore. Renforcer la sécurité, j’imagine.
— Il n’abandonnera pas avant de connaître toute l’histoire.
Angélique sentit son estomac se nouer.
— Je sais. Mais que faire si Girard est ici ? Est-il dans le manoir ou nous attend-il hors des murs ?
Camille s’agenouilla devant la cheminée et attisa les braises avec le tisonnier, soulevant une gerbe
d’étincelles.
— Nous aurions dû nous assurer que cette vipère était morte quand nous en avons eu l’occasion,
gronda-t-elle.
— Nous ne sommes pas des tueuses.
— Non, en effet. Mais ce bâtard mérite la mort. Cela ne serait que justice.

Lachlan s’assura qu’Angélique se trouvait dans sa chambre, bien gardée, et se dirigea vers la
grande salle. Il allait démasquer ce Girard ou son messager. Ce bâtard allait payer pour s’être
introduit chez lui et avoir effrayé sa femme. Diable, comme elle le vexait quand elle refusait de lui
révéler toute la vérité ! Pourquoi ne lui faisait-elle toujours pas confiance ?
— Milaird, appela une voix de femme dans l’ombre.
Lachlan s’arrêta, la main sur la garde de son épée, et scruta les ténèbres du couloir.
Eleanor sortit de derrière une colonne et sourit.
— Aimeriez-vous vous essayer à quelques passes d’armes avec moi ?
— Par l’enfer, que faites-vous ici ?
— Seriez-vous surpris ?
— Certes. Comment êtes-vous entrée ?
Elle gloussa.
— Vos sentinelles n’ont pas résisté longtemps face aux arguments de mon noble décolleté.
Il ignora sa manière provocante de tendre la poitrine vers lui. Des pendants d’oreilles et des
colliers tintaient autour de ses seins, et son corset en couvrait tout juste les pointes.
— Avec qui avez-vous voyagé ?
— Seulement mes serviteurs.
— Vous devez partir. Je suis marié maintenant.
Il se tourna vers la grande salle, décidé à découvrir les secrets du mystérieux cadeau et à
s’emparer de ce bandit français.
Lorsqu’il jeta un regard en arrière, Eleanor avait disparu. Il détestait que le passé revienne le
hanter. Il adressa un signe à ses amis et Bryson, et les conduisit dans l’étude. Une fois à l’intérieur, il
posta un garde à la porte et referma la porte.
— Nous avons un problème, annonça Lachlan d’une voix basse.
— Encore ? demanda Rebbie.
— Certes. Angélique et moi avons de bonnes raisons de penser qu’un homme dangereux, un
Français, est ici. C’est un noble nommé Guy Laurent, comte de Girard. Il nous a envoyé un cadeau de
mariage, les coupes. Il pourrait s’agir d’un message caché ou d’une menace. Angélique m’a confié
que cet individu voulait tuer Camille et elle.
— Malédiction ! À quoi ressemble-t-il ? interrogea Rebbie.
— Grand et mince, les cheveux noirs, peut-être une moustache et une barbe. Il pourrait s’être
grimé. Je n’ai pas encore découvert pourquoi il était ici, mais il représente une menace sérieuse pour
Angélique. Nous devons la protéger à tout prix.
— Si nous trouvons un Français, nous le mettrons aux fers, dit Bryson.
— Parfait. Renforcez la sécurité cette nuit. Ne laissez plus entrer personne dans l’enceinte du
château. Je veux que les gardes surveillent attentivement les invités. Demain, il nous faudra renvoyer
les convives que nous ne connaissons pas bien.
— Oui, milaird.
Bryson s’inclina, fit signe à d’autres hommes du clan et s’en alla.
— Rebbie, Dirk, commença Lachlan en fermant la porte. Eleanor est ici.
— Qui ?
— Une comtesse anglaise dont la présence n’est pas requise. Je ne lui fais pas confiance.
— Oh, une lady que vous avez courtisée ?
— Distrayez-la. Séduisez-la. Peu importe tant que vous ne faites rien qui mérite la potence.
Demain, je la ferai renvoyer chez elle aussi, avec la majorité des invités.
— Vous croyez peut-être que nous sommes attirés par vos miettes ? s’insurgea Rebbie.
— Vous ne vous êtes jamais plaints auparavant.
Ses amis lui lancèrent un regard de reproche.
— De plus, c’est une veuve esseulée, avide d’hommes, et fort aventureuse au lit. Elle a les
cheveux noirs, une robe voyante, de nombreux bijoux et une poitrine opulente. Vous la reconnaîtrez
sans peine.
— Elle est pour toi, déclara Rebbie.
— Non, à toi, protesta Dirk.
— Vous réagissez comme de jeunes perdreaux. Elle déborde de lubricité et cherche un mâle. De
quoi vous plaignez-vous ?
Lachlan se dirigea vers la porte en passant devant ses amis.
— Maintenant, par tous les saints, il est l’heure de ma nuit de noces.
— On croirait que c’est sa première fois, se moqua Rebbie.
— S’il vous plaît, veillez à ce qu’Eleanor ne soit pas embusquée dans mes appartements. Elle était
coutumière du fait, à Londres.
Après être allé en cuisine chercher une bouteille de brabant, Lachlan alla frapper à la porte de la
chambre d’Angélique.
— Qui est-ce ? répondit Camille.
— C’est moi, Lachlan.
La suivante entrouvrit la porte et jeta un regard.
— Comment se porte Angélique ? demanda-t-il.
La jeune femme regarda derrière elle.
Angélique murmura quelque chose en français, quelque excuse impliquant qu’elle était souffrante.
Le Highlander profita de la distraction de la suivante pour entrer dans la pièce.
— Vous n’allez pas bien, Angélique ?
Les yeux écarquillés, sa femme recula loin de lui. Avait-elle peur ?
— Monsieur ? s’exclama Camille, que l’inquiétude faisait parler plus fort que de coutume.
— Je souhaite m’entretenir avec mon épouse, seul.
— Camille, reste, supplia Angélique d’une voix inégale, paniquée.
Lachlan observa sa femme, puis la jeune suivante, espérant être assez éloquent. Il n’était plus
disposé à tolérer de nouveaux mensonges sur une prétendue maladie ou autres échappatoires.
— Ange, pardonnez-moi. Je vous attendrai dans le salon, souffla Camille avant de sortir
précipitamment.
Sage décision… Lachlan ferma la porte et tira le verrou.
Angélique se tenait près de la cheminée, très raide, le visage pâle, les poings serrés.
C’était la dernière chose dont il avait besoin… un intrus qui terrifie son épouse la nuit de leurs
noces officielles. Il lui faudrait user de tous ses talents de séducteur pour l’apaiser après cela.
— Vous êtes malade ? Que se passe-t-il ? s’enquit-il d’une voix calme, ravi de voir qu’elle avait
opté pour une toilette de soie plus simple avec un châle de dentelle.
— J’ai l’estomac noué et la nausée.
— Je suis certain que ce n’est que de la nervosité… C’est parfaitement compréhensible. J’ai
renforcé la sécurité dans tout le château. Tous les hommes du clan sont aux aguets et cherchent ce
vaurien de Girard, ou tout intrus français.
— Très bien.
— Je vous ai dit depuis le début que je vous protégerais, et je tiendrai ma promesse, répondit-il
d’une voix qu’il espérait la plus apaisante possible. Vous n’avez plus à vous en faire maintenant. Vous
êtes en sécurité.
— Merci.
Elle lui adressa une petite révérence d’un geste raide et le scruta d’un air soupçonneux.
Il déposa la bouteille de vin sur la table de chevet et s’approcha lentement d’elle en tendant les
mains. Elle les prit avec hésitation. Il embrassa ses doigts nus en savourant le contact de sa peau
douce et fraîche. Froide, en vérité ! Il devait lui faire oublier ses peurs.
— Venez.
Il la mena au divan près de la cheminée. Elle voulut s’asseoir à l’autre bout des coussins, mais il
la fit tomber sur ses genoux. Elle tenta de se dégager, mais il la tint solidement.
— Chut, tout va bien. Nous ne sommes pas au lit. Je veux juste que vous restiez assise un moment
pour que je puisse vous parler.
Elle s’installa, toute droite, et retint son souffle.
— Prenez une inspiration, mon amour, sinon, vous allez défaillir.
Elle lui lança un regard noir mais obéit en inspirant de manière audible.
— Excellent. Détendez-vous. Je ne fais rien, je suis simplement assis… et nous buvons du vin,
Il déboucha la bouteille de brabant et la lui tendit.
Elle avala une timide gorgée.
— Encore.
Il ne voulait pas qu’elle s’enivre, mais un peu de chaleur dans ses veines l’aiderait à se calmer.
Lorsqu’elle eut avalé trois gorgées, il prit à son tour une bonne rasade du vin parfumé au miel et au
clou de girofle avant de reposer la bouteille sur la tablette près de son épaule.
Il prit le temps de contempler la beauté de la jeune femme. Sa peau d’ivoire sans défaut était
encore un peu trop pâle, et ses yeux d’un vert étincelant trop écarquillés étaient encore emplis de
terreur. Ses lèvres, dont il avait tellement envie, étaient d’un rose sombre et d’une rondeur sensuelle.
Ses cheveux d’un roux flamboyant étaient encore coiffés en nattes enroulées, comme pour la
cérémonie. Il mourait d’envie de passer les mains entre ses boucles soyeuses et de les défaire, pour
qu’elles s’étalent librement sur un oreiller. Il manqua de jurer en sentant une excitation brusque raidir
son sexe et tendre ses muscles, mais il tint sa langue. D’abord, il devait calmer son épouse et lui faire
oublier ses soucis. C’était sa responsabilité de lui faire apprécier sa nuit de noces autant que lui.
— Vous étiez particulièrement ravissante, aujourd’hui, et vous l’êtes encore, murmura-t-il en lui
caressant la main.
— Merci.
— Et comment m’avez-vous trouvé ?
Elle eut l’air surprise et retint un sourire.
— Ravissant.
— Holà, « ravissant » ? Ne vouliez-vous pas dire beau ou fringant ?
Une étincelle d’amusement s’alluma brièvement dans ses yeux verts.
— Qu’en pensez-vous ? demanda-t-il.
— Oui. Vous êtes… beau, milaird.
Sa peau était d’un rose lumineux sous les flammes, un teint plus avenant que sa couleur de cendres
précédente.
— Lachlan, corrigea-t-il.
Elle se détourna.
— Oui, Lachlan.
— Que dites-vous ? Je ne vous entends point. Dites-le à mon oreille.
Sur ses gardes, elle étudia son regard. Il se tapota le lobe.
— Vous n’êtes pas sourd.
— Certes non, mais j’aime votre façon de prononcer mon nom.
— Pourquoi ?
— Vous avez un agréable accent français qui semble ronronner et le « c » résonne profondément
dans votre gorge. Allons, pour me faire plaisir.
Il mit ses cheveux derrière son oreille et attendit.
— Absurdités !
— Ah, non, je ne m’appelle pas ainsi.
Elle secoua la tête et se pencha vers son oreille.
— Lachlan, susurra-t-elle en effleurant sa peau de son souffle chaud.
Mmm… Des frissons d’excitation lui parcoururent le corps et son érection s’intensifia.
— Très joli, commenta-t-il.
Elle s’écarta légèrement et il regretta de ne plus la sentir contre sa poitrine. Il aurait voulu qu’elle
reste allongée sur lui à lui chuchoter à l’oreille toute la nuit.
— Vous souvenez-vous de votre coiffure à notre premier mariage ? demanda-t-il.
— Un désastre.
— Non, vos boucles de feu étaient lâchées sur vos épaules et vous descendaient presque jusqu’à la
taille. C’était d’une indicible beauté.
Il désespérait de la revoir ainsi, mais cette fois, sans tout ce tissu pour voiler sa peau crémeuse.
Cependant, il devait être patient.
Elle répondit d’un regard sceptique mais elle avait visiblement rougi.
— C’est la vérité. Me permettez-vous de défaire vos cheveux ce soir ?
Angélique savait où voulait en venir ce séducteur. Il l’encourageait subtilement à se dévêtir et à
aller au lit, une manœuvre après l’autre. Certes, Lachlan était rusé, mais elle aussi. Aucun homme ne
jouissait d’un charme et d’un pouvoir d’attraction aussi désarmants que ce maudit Highlander. Son
attitude désinvolte et joueuse visait à la mettre dans ce même état d’esprit pour faire tomber ses
défenses.
Il entoura son doigt d’une mèche rousse tombée de la coiffure. Le léger tiraillement sur sa tête
envoya un frisson d’impatience le long de son cou. L’impatience de quoi, elle n’aurait su dire…
Certainement pas de s’accoupler. Peut-être un autre baiser, mais c’était tout. Son attention était
irrésistiblement attirée par le membre de Lachlan, dur comme la pierre sous son kilt. Par tous les
saints ! Elle ignorait s’il l’intriguait ou la terrifiait. Mais elle savait que cette partie de son corps
était destinée à la faire souffrir, qu’il le veuille ou non.
— Me laisserez-vous ôter les épingles de vos cheveux et détacher vos nattes ? murmura-t-il.
Girard ne lui aurait jamais demandé cela. Il aurait arraché les attaches, sans se soucier de son avis.
— Oui.
Parbleu ! Que venait-elle de dire ? Qu’était-elle en train de permettre ?
— Je vous remercie.
Lachlan entreprit de défaire sa coiffure complexe, retirant doucement les épingles avant de les
laisser tomber au sol. Il semblait patient et ne tirait pas assez sur ses mèches pour lui faire mal.
Toutes les sensations que les gestes du Highlander suscitaient sur sa tête provoquaient une vague
d’anxiété et de désir qui submergeait son corps. Il dénoua les tresses et étala les boucles entre ses
mains. Il passa les doigts dans ses cheveux défaits et y enfouit le nez pour savourer leur parfum.
— Mmm.
Mère de Dieu. Il était beaucoup trop sensuel. Mais, étrangement, elle aurait voulu se pencher elle
aussi sur son cou et peut-être sur ses cheveux, pour respirer son odeur.
— Oui, c’est la plus belle chose que j’aie jamais vue, déclara-t-il en laissant glisser ses doigts de
ses cheveux à sa gorge avant de contempler son visage.
Les yeux du Highlander avaient la couleur du whisky sous les flammes et paraissaient trois fois
plus enivrants.
Il approcha sa figure de la sienne et son regard se posa sur ses lèvres avant que leurs bouches se
touchent. Elle ignorait pourquoi elle ne se levait pas d’un bond pour fuir. Son baiser était doux,
naturel et excitant. Envoûtant. Il lui caressa la lèvre supérieure de la langue. C’était une étreinte de
rêve qui chassait toute raison, comme si la jeune femme s’était autorisée de goûter le plus sucré des
desserts… parfumé au miel et au girofle. Sa langue se faufila insidieusement dans sa bouche,
profondément, avec un élan possessif. Angélique sentit la pointe de ses seins se durcir
douloureusement.
Lachlan glissa la main sur sa cuisse, sous sa robe, de plus en plus haut. Son autre main, posée sur
ses hanches, la maintenait près de son membre dressé.
Ses baisers se firent plus passionnés, ses muscles plus tendus, son étreinte devint plus fébrile.
La panique noua la gorge d’Angélique. Elle détourna le visage, cherchant sa respiration,
tremblante tandis qu’elle prenait conscience de jusqu’où elle lui avait permis d’aller.
— Mon Dieu, Angélique, souffla-t-il d’une voix rauque.
Il s’interrompit, le front contre la joue de la jeune femme, son souffle court contre son oreille.
— Mmm, vous êtes délicieuse et… par tous les saints ! je vous désire tellement que cela me fait
mal.
Sa voix était un murmure sauvage.
Angélique sentit les larmes lui brûler les yeux.
Elle aussi souffrait, tout son faible corps était douloureux, jusqu’au plus intime recoin qu’il
désirait posséder. Mais cette douce souffrance risquait de devenir terriblement plus brutale s’il
obtenait ce qu’il voulait…
Elle le repoussa par les épaules et s’aperçut qu’elle ne pouvait pas les bouger. Il avait les bras
noués autour d’elle, sans lui faire mal, mais sans permettre qu’elle s’échappe.
— Ne faites pas cela, souffla-t-elle d’un ton haché.
Elle s’en voulut de laisser les larmes couler sur ses joues.
— Angélique, soupira-t-il en déglutissant avec peine. Ne soyez pas ainsi, je vous en prie.
— Non.
— Vous me désirez aussi. Je le sens, dans vos baisers, les gestes de vos mains. Vous m’avez attiré
contre vous.
La gorge de la jeune femme se serra et elle ne put que secouer la tête. Elle était captive, prise au
piège.
— Angélique, répéta-t-il en un souffle rauque et suppliant. N’ayez pas peur de moi. Je ne vous
ferai aucun mal. Je le jure.
— Vous ne pourrez pas faire autrement… que vous le vouliez ou non.
Il n’était pas une femme, il ne pouvait pas connaître cette douleur.
Il respira profondément pendant un moment.
— Vous avez dit ne plus être vierge. Est-ce vrai ?
Elle acquiesça.
— C’est de perdre sa virginité qui fait mal, mon ange. Ensuite, la douleur disparaît. Il ne reste que
le plaisir.
C’était peut-être vrai pour d’autres femmes, mais…
— Non.
Elle ne parvenait pas à imaginer du plaisir, seulement le contraire.
— Vous pensez que je mens ?
Peut-être pas, simplement, il ne comprenait pas.
— Vous êtes un homme, comme tous les autres. Je n’aime pas l’accouplement.
— Pourquoi ?
— C’est douloureux… et humiliant.
Le feu et la glace envahissaient le corps de la jeune femme.
— Avec qui avez-vous partagé un lit auparavant ? demanda-t-il d’une voix plus dure.
Elle ne pouvait lui répondre. Elle ne pouvait prononcer le nom de Girard.
— Ou est-ce une pure invention ? la provoqua-t-il. M’avez-vous menti ?
Elle secoua la tête.
— Avec un homme que je voulais épouser, en France.
— Ce bâtard n’a-t-il pas été capable de vous donner du plaisir ?
Le souffle de Lachlan, près de son oreille, souleva quelques mèches rousses.
Elle remua derechef la tête.
— Je ne suis pas comme lui.
— Ne pouvez-vous comprendre ? Vous avez un… membre… très imposant. Cela ne peut que faire
mal.
Il pourrait la fendre en deux.
Lachlan soupira.
— Très bien. Nous n’allons pas nous accoupler pour le moment. Je n’utiliserai mon « membre »
que lorsque vous me le direz.
Elle sentit un peu de soulagement apaiser ses muscles tendus.
— Qu’allez-vous faire ?
— Vous donner du plaisir, murmura-t-il.
— Comment, interrogea-t-elle, l’estomac noué.
Comme elle aurait voulu se détendre et croire qu’il lui disait bien la vérité. Mais d’après son
expérience, ce qu’un homme considérait comme du plaisir ne lui procurait que de la souffrance.
— Je toucherai votre corps de mes mains et de ma bouche. Je vais vous caresser et vous
embrasser… partout.
« Partout » ? Par le ciel ! Sa voix était exceptionnellement passionnée et tentatrice.
— Vous n’en tirerez aucune… satisfaction, fit-elle remarquer.
— Vous ne me connaissez vraiment pas…
Elle le craignait, en effet. Mais elle connaissait les hommes, ils se laissaient parfois dépasser par
leurs désirs. Il pourrait perdre son sang-froid.
— Lorsque je m’y attendrai le moins, vous me pénétrerez de votre membre.
— Non, pas avant que vous le demandiez, Angélique ! Par tous les saints, faites-moi confiance au
moins une fois.
Non. Elle ne pouvait s’abandonner à lui. Il perdait déjà patience. Elle ne pouvait se fier
suffisamment à lui pour une telle chose. S’il mentait, il la briserait.
Il se leva en la soulevant dans ses bras et la porta jusqu’au lit. La panique noua la gorge de la
jeune femme et elle se débattit pour fuir.
— Non ! cria-t-elle en luttant.
— Bon sang, Angélique, je ne sais plus que faire ! Si vous refusez de m’accorder votre confiance,
je vais vous prouver que je la mérite.
Il l’allongea sur la couche et la maintint de son grand corps puissant.
— Non ! Arrêtez, bâtard ! lança-t-elle en français.
Elle était piégée et suffoquait sous son poids. Toute lutte contre cette force de la nature était futile.
Camille frappa à la porte.
— Angélique ?
— Camille !
— Taisez-vous, ordonna Lachlan. Je ne vais pas vous faire de mal.
Il lui plaça les mains au-dessus de la tête et entoura rapidement ses poignets d’un lien.
— Non !
Elle tira dessus, mais il avait déjà noué la corde improvisée, ceinture ou foulard, à la tête du lit. La
terreur la paralysa.
— Ne me regardez pas ainsi. J’ai promis de ne vous faire aucun mal.
Les larmes coulaient sur les joues d’Angélique, comme une rivière incontrôlable. Par le ciel, il
allait la violer.
Il s’éloigna un instant et revint avec un large ruban qu’il noua à une cheville.
Elle recouvra un peu de conscience et lui décocha des coups de pied de toutes ses forces. Mais ce
n’était pas suffisant et il attacha le lien au lit.
— Détachez-moi à l’instant, brute ! Vous n’êtes qu’un vil animal ! cracha-t-elle en français.
— Je le sais bien, milady.
Il s’assit près d’elle. Elle voulut le frapper de son pied libre mais il lui saisit la cheville et retira
sa pantoufle. Son regard lubrique glissa sur ses jambes, là où sa robe s’était retroussée.
— Et maintenant, qu’allez-vous faire, jolie chatte sauvage ?
Tous les sentiments d’affection qu’elle avait pu ressentir pour lui étaient morts. Elle savait depuis
le début qu’elle ne pouvait se fier à ce vaurien.
— Vous allez devoir me violer, bâtard, car je ne vous permettrai jamais de me toucher !
— Non. Je n’ai jamais forcé une femme et je ne ferai jamais rien de tel, répondit-il calmement.
Mais vous, vous me supplierez de vous faire l’amour avant que ceci soit fini.
— Jamais ! Je vous tuerai dans votre sommeil, siffla-t-elle entre ses dents serrées.
— Vous êtes une lady assoiffée de sang. Mais cela me plaît. (Il regarda autour de lui.) Vous vous y
connaissez en torture, non ?
— En torture ?
Mère de Dieu ! Qu’allait-il lui faire ? La torturer puis la violer, sans doute.
Il se dirigea vers le secrétaire et revint.
— Voilà.
Quelque chose frôla son pied nu. Une plume.
Le chatouillement la surprit. Elle poussa un petit cri et tressaillit.
— Arrêtez !
Il maintint son pied libre en place et fit courir la plume contre son mollet. Il s’immobilisa au
genou, le caressa en cercle, puis il remonta à l’intérieur de sa cuisse. Elle rua et tira sur ses liens, se
débattant en vain pour échapper à cette stimulation.
Elle essaya de rester insensible, mais c’était une torture perverse. Pas douloureuse, mais elle ne
pouvait supporter ce chatouillement.
— Je vous déteste ! lança-t-elle.
Il fit redescendre la plume vers son pied, déplaçant la sensation, puis, délaissant l’objet, il passa
doucement les doigts contre son mollet. Cela ne la chatouillait plus autant. Une partie d’elle aimait
les mains de Lachlan, une autre les haïssait.
Elle tourna la tête, regrettant de ne pouvoir se cacher. Lentement, ses paumes remontèrent le long
de ses jambes. Bâtard. Il lui réunit les cuisses et repoussa doucement son corps sur le côté. Non, elle
ne le laisserait pas toucher…
Il lui caressa l’arrière de la cuisse et remonta sa robe. Puis il laissa glisser sa paume sur ses
fesses. Choquée, elle ravala un hoquet, se retourna et lui donna un coup de pied.
Il s’allongea, sur elle, dominateur. Le souffle court, elle tourna la tête.
— Laissez-moi, homme des cavernes !
— Est-ce que je vous fais du mal ? murmura-t-il en passant doucement les lèvres contre son
oreille.
Une sensation, qu’elle détesta, tournoya en elle. Pas de la peur, de l’excitation. Il se redressa et
attendit qu’elle le regarde. Alors, il se pencha sur ses lèvres. Elle crut qu’il allait l’embrasser, mais
il se contenta de demeurer assez près pour qu’elle perçoive son souffle. Avide de ses lèvres, elle
ouvrit les siennes, envahie par le besoin pervers de sentir sa langue contre la sienne, pour la
posséder, avec ce goût de péché impérieux qu’elle dégustait dans chaque baiser. Non, je n’en ai
aucune envie !
Il frotta doucement sa joue contre la sienne et elle sentit sa barbe de trois jours, râpeuse, contre sa
peau fine. Une fois de plus, il laissa ses lèvres glisser tout près des siennes. Par le ciel, embrassez-
moi !
Non, n’en faites rien !
Le souffle lui manqua et elle ferma les yeux. Son corps tremblait, comme fiévreux. Sans doute
souffrait-elle de quelque horrible affection causant délire et folie.
Il s’écarta et descendit du lit. Où allait-il ? Elle le foudroya du regard derrière ses larmes. Oh, par
tous les saints, il se déshabillait et retirait la broche de son kilt !
— Je vous déteste, murmura-t-elle en français.
Il retira sa ceinture et défit l’étoffe de tartan.
— Non, mon ange, répliqua-t-il dans la même langue. Vous vous détestez parce que vous m’aimez.
— Quel goujat !
Elle se débattit de nouveau contre ses liens.
— Vous ne pourriez pas être fidèle à une seule femme.
— Voulez-vous que je le sois ?
— Ce serait une perte de temps. Vous en êtes incapable.
— J’ai fait bien des choses que les autres tenaient pour impossibles. Ne me sous-estimez pas.
— Détachez-moi !
— Seulement quand vous vous fierez à moi.
— Jamais ! Vous croyez pouvoir gagner ma confiance ainsi ? Vous êtes fou !
Il ôta sa chemise et dévoila ses muscles bronzés, puis il remonta sur le lit. Son érection était
impressionnante, comme une arme. Mère de Dieu, non !
Elle retint son souffle et il repoussa sa robe en haut de ses cuisses, fermement serrées. Ses mains,
rendues calleuses à force de tenir l’épée, glissèrent sur la peau d’Angélique en éveillant une cascade
de frémissements. Il exposa totalement son intimité.
Quelle indécence ! C’était humiliant. Elle ferma les yeux pour se cacher de lui… et d’elle-même.
Doucement, il toucha les boucles de son sexe et y passa les doigts. Il s’arrêta à l’endroit le plus
sensible.
— Angélique, vous êtes humide… très humide.
Sa voix passionnée semblait émerveillée.
— Savez-vous ce que cela veut dire ?
Elle serra les paupières et se détourna. Je ne veux pas le savoir.
— Cela signifie que vous avez envie de moi, que vous me désirez.
Non, pas du tout ! Mais elle était paralysée par sa chaleur, incapable de lutter. Son corps refusait
de l’aider.
Il l’embrassa en haut des cuisses, sur les hanches. Il remonta encore sa robe et continua ses baisers
sur son ventre. Il fit jouer sa langue dans son nombril.
Oh, par le ciel, non ! La sensation brûlante et liquide s’intensifia en elle, comme une douleur au
plus profond de ses reins.
Son corps avait faim d’une chose que son esprit haïssait. Elle ne se maîtrisait plus, c’était Lachlan
qui la dominait.
Elle ne put réprimer tout à fait un gémissement. Son corps se raidit, tendu comme un arc, vers un
but inconnu. Elle se cambra vers le Highlander puis s’obligea à cesser.
Lentement, il reprit ses baisers le long de son bas-ventre, vers son sexe. Elle voulut serrer les
cuisses, mais il avait coulé un genou entre elles.
Ses jambes tremblèrent, elle n’avait plus de forces. Il lui releva les genoux et l’embrassa à
l’intérieur des cuisses, les écartant devant lui. Elle était totalement à sa merci.
— Oh, souffla-t-elle.
Quel homme scandaleux ! Elle gémit en priant pour ne pas avoir mal.
— Mmm, vous avez un parfum de paradis.
Son intimité pleurait douloureusement… avide de quelque chose… Il la toucha, ouvrant doucement
son sexe, laissant son souffle chaud courir sur sa peau sensible, puis passa sa langue.
— Mmm.
— Mon Dieu ! hoqueta-t-elle.
Son corps prit les rênes, ses hanches se tendirent vers lui et ses cuisses s’écartèrent pour
l’accueillir sans retenue.
— Parfaite.
Il avait pris possession d’elle.
Elle ne parvenait à se concentrer que sur ce qu’il faisait, l’ouvrant sous ses doigts pour introduire
sa langue. Il referma ses lèvres sur sa peau et aspira, éveillant une violente sensation en elle. Rien de
douloureux, mais un besoin, l’envie de quelque chose. Pas son membre, non, elle n’en voulait pas.
Elle sentit sa langue glisser en elle ; aller et venir. Comment pouvait-il faire une telle chose ?
C’était certainement immoral et probablement un péché… Le plus érotique qu’elle puisse imaginer,
cependant.
— Mmm, vous êtes aussi délicieuse qu’une tarte aux prunes, murmura-t-il en réchauffant sa peau
de son souffle.
Elle laissa échapper un gémissement contre son gré.
— Vous voyez ? Vous aimez cela.
Elle secoua la tête avec véhémence.
— Non, je déteste !
— Menteuse. J’adore vous entendre gémir. Recommencez.
Il glissa sa langue en elle, plus profondément… non, c’était son doigt. Avant qu’elle puisse
protester, il aspira de nouveau sa peau, léchant un point sensible à l’extrême, rapidement,
intensément. La sensation manqua de l’aveugler et lui faire perdre l’esprit. Il allait la rendre folle.
Soudain, son corps parut possédé, habité, bombardé et enflammé avec intensité.
Du plaisir ? Non, c’était au-delà de cela.
Elle sentit qu’il avait introduit deux doigts en elle qui allaient et venaient. Et elle les accueillait en
le haïssant de lui infliger un tel désir pour lui. Il lui tira doucement les cheveux et exposa encore son
corps. Sa langue se fit plus rapide et l’érotisme de la sensation plus intense et plus variée. Elle savait
qu’elle gémissait, criait, mais elle ne pouvait se retenir. Son corps se pressait contre ses doigts, mais
elle voulait davantage, autre chose qu’il ne lui offrait pas. Le démon invisible qui la possédait la fit
tressaillir violemment sous lui, plaquant son corps plus fermement contre ses lèvres.
La possession sembla prendre fin et elle s’affaissa sur le lit, les muscles inertes et tout son être
infiniment sensible. Elle voulut se dégager loin de lui, se replier sur elle-même et se cacher
complètement.
— Mmm… Angélique, voilà ce que j’avais à offrir.
Lachlan se lécha les lèvres comme pour se délecter encore de sa douce saveur sensuelle. Par tous
les saints, il n’avait jamais connu une étreinte aussi délicieuse et il ne l’avait même pas pénétrée !
Sur le point de jouir à son tour, il s’écarta et s’agenouilla.
Angélique sanglota et détourna la tête pour la plonger contre l’oreiller.
— Non, ne pleurez pas, dit-il en lui passant la main sur les hanches. N’avez-vous pas aimé ?
— Non, allez-vous-en ! ordonna-t-elle en français, les yeux humides.
Lachlan avait déjà connu des femmes qui pleuraient en connaissant l’orgasme, surtout leur premier,
mais pas de cette façon. Il avait coutume de larmes de joie et d’émerveillement, parfois un éclat de
rire comblé. Mais Angélique paraissait en pleine détresse.
— N’ayez pas peur, mon ange. Je vous ai dit que je ne vous ferais aucun mal.
— Je n’ai pas peur. Vous êtes une brute !
— Quel est le problème ?
Il ne comprenait pas la jeune femme, hostile après un plaisir aussi intense qu’évident.
— Les hommes… Je les déteste.
Alors ce n’était pas seulement lui ?
— Pourquoi ?
— Ce n’est pas votre affaire.
— Quelqu’un vous a-t-il fait du mal ? Votre premier amant, l’homme que vous deviez épouser ?
Elle hocha faiblement la tête, à la surprise de Lachlan.
Au nom du ciel, non. Comment avait-il pu ne pas comprendre ?
— Dites-moi son nom.
— Girard, souffla-t-elle.
Le Highlander sentit la jalousie et la rage s’insinuer en lui comme un poison, lui nouant les tripes.
— Girard ? C’est lui que vous vouliez épouser ? Celui que vous craignez maintenant, qui vous
menace ? Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ?
— Je ne voulais pas que vous le sachiez, répondit-elle d’une petite voix.
— Que me cachez-vous d’autre ? Quels secrets ?
— Aucun.
Par tous les diables, dans quelle histoire suis-je impliqué ?
— Par tous les saints, que vous a fait ce bâtard ?
Elle secoua la tête.
— Dites-le-moi. Vous a-t-il frappée ?
Elle acquiesça mais garda les yeux fermés.
— Quoi d’autre ?
— Rien.
— Non, je ne vous crois pas.
Des larmes perlèrent sous ses longs cils.
— Vous a-t-il forcée ?
Il voulait poser la question d’une voix douce, mais la seule idée d’un tel acte la transforma en
grondement.
Elle se tourna contre l’oreiller, ses boucles dissimulant son visage.
— Ange… Ce fils de catin vous a-t-il violée ?
Chapitre 10

Enfer et damnation ! Girard l’avait violée. Lachlan sentit l’envie irrépressible de transpercer ce
bâtard de son épée, non, de lui couper la gorge et de le réduire en morceaux !
Angélique pleurait en silence, le corps agité de sanglots.
Le Highlander lui libéra les poignets et la cheville. Une fois libre, elle se roula en boule et il
l’enveloppa d’une couverture. Il s’agenouilla près du lit et lui caressa la tête, dégageant les boucles
de son visage, dans l’espoir de l’apaiser et de racheter la rudesse de son attitude.
— Je vais le tuer, gronda-t-il doucement d’une voix rauque. Par tous les saints, je le jure. Quand
cela s’est-il produit ?
Elle ouvrit enfin les yeux mais ne croisa pas son regard.
— Il y a un an, en France. La première fois, quand il m’a demandée en mariage, il ne m’a pas
forcée. Je pensais être amoureuse de lui, et j’ai stupidement accepté que nous devenions amants. J’ai
détesté l’acte, douloureux et humiliant. Puis je l’ai surpris avec une autre femme, une servante. Je lui
ai dit que je ne voulais plus jamais le voir et cela l’a enragé. C’est alors qu’il m’a violée.
Une rage sanguinaire, non, une soif de sang sinistre s’empara de Lachlan à un point qu’il n’avait
jamais connu. Il se leva et s’éloigna, craignant qu’elle ne perçoive la violence qui irradiait de lui. Il
avait envie de briser quelque chose.
— Si jamais je le vois, je le tue, je le jure !
Elle ferma les paupières et d’autres larmes coulèrent.
Lachlan se rhabilla rapidement en songeant à l’enfer qu’elle avait dû subir, tâchant de refréner sa
colère à cette idée. Pas étonnant qu’elle ait refusé qu’il la touche. Et il l’avait entravée ! Il l’avait
terrifiée et elle avait dû croire qu’il allait la forcer à son tour ! Il n’avait cherché qu’à lui donner du
plaisir, mais il avait agi comme un bâtard.
Une fois habillé, il s’agenouilla de nouveau près du lit et passa une main dans les boucles
d’Angélique, s’efforçant de la réconforter comme il le pouvait.
— Je suis désolé de vous avoir attachée. Je ne savais pas.
— Ce n’est rien.
— Non, je n’aurais pas dû faire cela. Je ne voulais pas vous faire peur.
Elle ne dit rien. Il ne sut qu’ajouter. Comment pouvait-il l’apaiser alors que sa seule présence la
terrifiait plus que tout ?
— J’espère que vous pourrez me pardonner. Dormez, maintenant, je vous verrai demain.
Il ne voulait pas la laisser ainsi. Il aurait aimé la rejoindre dans le lit, la serrer contre sa poitrine,
lui caresser les cheveux et l’embrasser jusqu’à ce qu’elle aille mieux. Jusqu’à ce qu’elle soit
heureuse. Mais c’était impossible. Il se sentait impuissant, plus morose que jamais, et il referma la
porte en sortant. Dans le salon, Camille le fusilla de son regard embué de larmes, les poings serrés.
— Je ne lui ai pas fait de mal. Je l’ai effrayée, sans le vouloir… mais je ne lui ai pas fait mal.
Il traversa la pièce et regagna sa chambre.
La rumeur de la musique et des danses montait de la grande salle, mais il n’était pas d’humeur
festive. Par l’enfer, il voulait surtout affronter un dénommé Girard et se venger de ce qu’il avait fait à
Angélique.
— Iosa is Muire Mhàthair !
Lachlan n’avait jamais connu de femme violée. Les ladies qui venaient à lui aimaient le sexe et
étaient consentantes. Il ne savait pas comment se comporter avec une femme qui détestait l’acte et le
craignait.
Il ne lui avait pas fait de mal. Elle finirait par comprendre qu’il ne lui voulait que du bien.
Il arpenta longuement la pièce et devina qu’il ne trouverait pas le sommeil. Il quitta ses
appartements et descendit. Il débusquerait ce bâtard français ou le messager qui avait livré les
coupes.

Angélique s’éveilla d’un rêve saisissant comme elle n’en avait jamais fait. Elle avait les yeux
enflés et irrités à force de pleurer. Une simple bougie et les charbons ardents de sa cheminée
diffusaient une faible lumière. Avait-elle été réveillée par un songe ou un souvenir ? La sensation
frémissante et chaude de Lachlan embrassant doucement son corps, faisant glisser sa barbe courte
contre son ventre… Le Highlander écartant ses jambes pour l’embrasser entre les cuisses et caresser
des recoins interdits. Sa langue suscitant une fièvre étrangement délicieuse en elle. C’était une
excitation passionnée, et c’était la première fois qu’elle la ressentait de sa vie… grâce à Lachlan.
Il lui avait donné un orgasme. Elle avait entendu des femmes en parler, en France, « la petite
mort »… Mais elle n’avait pas supposé que ce fût aussi intense, consumant tout son être. Elle avait
pensé que cela devait être simplement agréable, mais la jouissance s’emparait de son corps et de son
âme, bien au-delà du plaisir. C’était presque effrayant. Comme une « petite mort », en effet…
Ses sens étaient de nouveau enflammés. Des images lui emplissaient l’esprit. Elle s’imagina que
Lachlan revenait vers elle, la caressait de sa langue, et lui faisait toutes sortes de choses décadentes
et interdites.
— Je n’aime pas cela, murmura-t-elle.
Ou plutôt, je ne devrais pas aimer cela. Pourtant, Lachlan avait transformé une corvée détestable
en un enchantement. Elle avait encore envie de son contact magique dans les recoins les plus secrets
de son corps. Elle pressa la main contre son entrejambe. La pression apaisa un peu la sensation de
besoin, mais elle sentit qu’elle était humide. Il lui avait dit ce que cela signifiait.
Comment pouvait-elle désirer ce qu’elle détestait depuis un an ? Un acte qui la rendait malade et
lui donnait des cauchemars ? Était-ce parce que Lachlan était un expert pour séduire les femmes ? Ou
était-ce autre chose ?
Il ne l’avait pas forcée. Il aurait pu, elle était attachée, impuissante, à sa merci. Mais il ne lui avait
fait aucun mal. Toute la peur n’était venue que d’elle, pas de ses gestes. Il avait même fait le serment
de venger sa souffrance. Lachlan était-il un homme en qui elle pouvait avoir une entière confiance ?
Le besoin de son bas-ventre ne cessait pas et augmentait lorsqu’elle pensait au Highlander. Elle ne
voulait tout de même pas partager son lit !
Lorsqu’elle songeait à son corps aux muscles ciselés et à son membre puissant, elle aurait dû être
terrifiée… mais ce n’était pas le cas. Non, l’image ne faisait qu’accroître son excitation. Elle savait
que son sexe ne pourrait que lui causer une douleur atroce, mais elle en avait envie. Elle se
demandait comment il serait dans sa main. Dur comme la pierre, certes, mais chaud ? Doux ?
Peut-être désirait-elle simplement se débarrasser de la corvée de l’accouplement. Elle craignait
cet instant depuis si longtemps ! Si elle le faisait une fois, peut-être que la suivante ne serait pas aussi
terrible. Elle était bien obligée d’accomplir son devoir et de concevoir un enfant, un héritier. Elle
voulait en finir avec tout cela et apaiser son excitation absurde.
Elle se leva et passa une robe de chambre. Tandis qu’elle nouait la ceinture, une idée lui vint. Elle
l’attacherait dans son lit et ce serait elle qui aurait le pouvoir. Elle n’aurait plus aussi peur de lui si
elle le savait entravé.
Elle prit la bougie sur le manteau de cheminée et se glissa dans les ténèbres glacées des
appartements de Lachlan. Elle ouvrit la porte en priant pour que les gonds ne grincent pas et referma.
Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Je dois avoir perdu l’esprit.
Sous la flamme, elle vit Lachlan dans son lit, endormi sur le dos, un bras sur le visage. La
couverture dissimulait à demi sa poitrine, et les muscles massifs laissés à nu ainsi que ses épaules et
ses bras puissants réveillèrent son besoin douloureux. Pouvait-on dire d’un homme qu’il était beau ?
Cela semblait étrange, mais c’était vrai. Un maître devrait le sculpter ou le peindre dans cette
posture.
Elle s’avança et posa la bougie sur la table de chevet. Le souffle du Highlander changea et elle
craignit qu’il ne s’éveille. Elle le scruta un instant mais il respirait profondément, de manière égale,
les yeux clos.
Elle prit sa ceinture et lui noua le poignet à la tête du lit. Maintenant, le plus difficile… Elle
attrapa doucement son autre bras. Sacrebleu ! Il était plus lourd qu’une branche d’arbre, mais elle
parvint à le soulever et à l’attacher aussi avec le ruban de soie.
Un ronflement échappa à Lachlan. Sa poitrine s’élevait et s’abaissait doucement. Avec quoi
pouvait-elle lui entraver les chevilles ? Elle regarda autour d’elle. Ah, ah ! Elle prit sa large ceinture
de cuir sur la chaise où il l’avait posée sur son kilt. Elle réunit ses pieds, entoura ses chevilles et les
noua au pied du lit, puis fit passer la bande de ceinture restante sous les liens. Un taureau n’aurait pu
se libérer.
Elle vérifia qu’il avait toujours les paupières closes. Prise d’un léger vertige, elle repoussa la
couverture, révélant deux stries de muscles en bas de son ventre et un étrange ruban de muscles sur
ses hanches. Une fine ligne de boucle d’or sombre descendait de son nombril à son sexe protubérant.
C’était bien le mot, car il se dressait fièrement.
Elle le scruta de nouveau, mais il restait immobile, les yeux fermés, le souffle égal. Elle tendit une
main tremblante et s’empara de son sexe. La peau était d’une chaleur fiévreuse et elle recula en
tressaillant.
Elle se reprit et le toucha de nouveau, le trouvant aussi doux que du chêne poli. Non, plus encore,
de la soie tendue sur du granit. Au sommet, s’épanouissait une large crête sensuelle. Elle fit glisser sa
main dessus. C’était ferme, mais moins que le reste, avec une peau de velours.
Elle devait le réveiller. Serait-il fâché ?

Lachlan observait Angélique entre ses paupières entrouvertes et feignait de dormir en respirant
profondément. Par l’enfer, que préparait-elle ? Lorsqu’elle toucha son sexe, il lui fallut toute sa
volonté pour ne pas pousser un grognement de plaisir.
Cette petite rusée croyait-elle vraiment qu’un guerrier écossais ne se réveillerait pas sous de telles
attentions ?
Diable ! Et si elle le fouettait, ou sortait une dague pour se venger de sa conduite toute récente ? Il
regretterait de l’avoir laissée l’attacher dans cette posture vulnérable, mais il pourrait probablement
déchirer l’étoffe fine pour s’enfuir si nécessaire. Mais s’il en jugeait par ses égards envers son
érection, elle avait tout autre chose en tête. Par tous les saints, il l’espérait ! Il pouvait à peine y
croire maintenant qu’il savait ce qu’elle avait enduré un an plus tôt.
La main fraîche de la jeune femme se referma sur son sexe tendu et la passion déferla en lui si fort
qu’il se retint de cambrer les hanches. Il réprima un gémissement et fit mine de s’éveiller.
— Angélique ?
Il tira sur ses liens et confirma qu’il pourrait aisément se libérer les mains s’il le désirait. Sa
femme ne savait pas faire un nœud, mais il était prêt à jouer le jeu.
— Que faites-vous ? Pourquoi m’avoir attaché ?
— Ne parlez pas.
Elle tira une étoffe de sa poche et lui banda les yeux.
— Qu’allez-vous faire ? demanda-t-il.
— Quelque chose que je vais probablement regretter.
— Par le ciel ! J’espère que cela n’implique pas un fouet.
— Je l’ai oublié.
— Dieu soit loué.
Elle fit courir sa main sur sa poitrine comme pour en découvrir chaque parcelle. Elle glissa un
doigt dans son nombril et il sentit une vague de désir l’envahir. Son érection tressaillit et elle saisit
son sexe pour le presser doucement. Le plaisir lui arracha un grognement. En effet, elle n’avait rien
d’une vierge timide…
Il entendit l’étoffe bruire contre sa peau et imagina Angélique en train de se déshabiller. Oui, je
vous en prie. Il la désirait tellement ! Il se tint immobile, rigide, et attendit.
Elle monta sur le lit et le chevaucha en s’emparant de son sexe. L’extrémité était chaude et humide.
Il grogna. Oui, prends-moi, ma belle. Il saisit la tête du lit, tendit les muscles et sentit que son
érection augmentait encore.
Elle se pressa contre lui et glissa son membre en elle. Il savoura le bonheur d’entrer de quelques
centimètres dans son intimité étroite et humide.
— Oh ! s’exclama-t-elle.
Il gémit et marmonna une imprécation en gaélique.
— Angélique ?
— Désolée de faire cela, milaird.
— Non, mon Dieu, je vous désire si fort !
Il s’abandonna au désir et donna un coup de hanches. Oh, oui ! Un peu plus profond.
— Détachez-moi et je vous le prouverai !
Elle laissa échapper un cri, le souffle court, et se souleva.
— Non, arrêtez.
— Retirez ce bandeau, je veux vous voir.
— Non. Ne bougez pas.
Elle s’abaissa et il donna un autre coup de reins.
Il pénétra encore dans sa chaleur, ivre de désir.
— Par tous les saints, vous me tuez !
Il tourna la tête d’un côté et de l’autre pour déloger un peu le tissu sur ses yeux et l’apercevoir.
C’était une nymphe magnifique, aux courbes fines et crémeuses, dont les seins dressés s’agitaient
avec elle. Comme il aurait aimé en déguster un ! Il grogna, mourant d’envie de prendre l’un de ces
tétons roses dans sa bouche pour un jeu sensuel.
Elle posa les mains sur sa poitrine et se redressa, puis s’abaissa de nouveau. Quelle torture
délicieuse ! Ses longues boucles rousses le chatouillaient.
Sa respiration courte et rapide tout comme sa chaleur humide trahissaient son désir. Oui,
Angélique, chevauche-moi. Pendant quelques secondes, il contempla leurs corps unis et il manqua de
perdre tout sang-froid. Quelle vision érotique !
— Je ne savais pas que vous vouliez cela. Je pensais que vous aviez peur.
— Chut, ne parlez pas.
Elle accentua le rythme, les paupières closes. Elle était à couper le souffle, le visage marqué par la
passion, les sourcils froncés, les joues rougies, les lèvres entrouvertes.
C’était une première pour le Highlander. Aucune femme ne l’avait jamais ligoté avant de le
posséder. Et étrangement, il commençait à aimer cette sensation… Les coups de hanches étroits et
doux de la jeune femme le rendaient fou. Il en voulait plus, il désirait qu’elle aille plus vite, qu’elle
s’enfonce plus profondément.
Il lutta pour réprimer son désir montant et attendre sa compagne.
— Détachez-moi que je puisse vous donner du plaisir.
— Non !
— Vous n’en profitez pas autant de la sorte.
— Je ne vous laisserai pas le pouvoir.
« Le pouvoir » ? C’était donc la raison… Il avait d’abord cru qu’elle se vengeait de sa conduite,
mais elle souhaitait qu’il soit à sa merci. Elle ne le craindrait pas s’il ne pouvait pas la toucher. Mais
il voulait le lui entendre dire.
— Pourquoi faites-vous ceci ?
— Vous vouliez une nuit de noces, je vous la donne.
Ah.
— Est-ce tout ?
— Je veux savoir pourquoi tant de femmes vous désirent dans leur lit. Qu’avez-vous de spécial
hormis ce membre imposant ?
Il manqua de rire mais se reprit.
— Merci du compliment, mais vous ne saurez ce dont je suis capable que si vous me détachez.
J’aime utiliser mes mains, et ma bouche.
— Je sais, murmura-t-elle en passant un doigt sur ses lèvres.
Il leva la tête et prit son doigt dans sa bouche. Certes, elle le savait, mais ce qu’il lui avait fait peu
avant n’était qu’un début.
Avec un bref ronronnement, elle retira la main. Elle pressa sa poitrine contre son torse et lui
embrassa la gorge sans cesser de bouger ses hanches. Il sentit les pointes de ses seins contre sa peau.
— Mmm. Embrassez-moi, soupira-t-il en aspirant à un lien émotionnel plus profond avec elle,
quelque chose qu’il ne comprenait pas.
D’ordinaire, le sexe passionné et sauvage était sa spécialité. Mais il n’avait pas envie d’une brève
étreinte avec elle. Il voulait prendre le temps de l’explorer tout entière. Il ne connaissait pas encore
le parfum de ses seins, il aurait voulu la toucher, partout à la fois.
Elle se pencha, et lui mordilla les lèvres en glissant légèrement et brièvement la langue entre elles.
Il les ouvrit pour l’accueillir dans sa bouche. Dans cette position, il en profita pour donner un coup
de hanches et la pénétrer plus profondément. Elle eut un hoquet et l’accepta sans bouger. Il gémit.
Elle allait lui faire perdre la raison.
— Vous me poussez à bout, mon ange, dit-il.
— Je ne suis pas votre ange.
— Oh si, vous l’êtes ! souffla-t-il. Je suis en vous, mon amour. Vous êtes ma femme, comme vous y
avez consenti vous-même.
Un frémissement brûlant déferla en lui. Il voulut se retenir en pensant à quelque chose de rebutant,
mais il était trop excité et la désirait trop.
La jouissance le saisit comme une vague de bonheur et d’absolue plénitude. Son esprit sombra
dans un océan de plaisir. Il frissonna et grogna, surpris par l’ampleur de son orgasme.
— Ah, mon Dieu !
Il respira bruyamment à plusieurs reprises.
Angélique était toujours allongée contre sa poitrine. Il aurait voulu libérer ses bras pour la serrer
contre lui. Après un moment, elle se souleva, séparant leurs corps, et descendit du lit.
— Ne partez pas, relâchez-moi.
Elle enfila rapidement sa chemise de nuit et sa robe de chambre.
— Je ne peux pas rester.
— Pourquoi.
— Peut-être que je vais avoir un enfant, après cela.
— Comment ?
— Il nous faut un héritier pour être le prochain comte de Draughon, non ?
— Certes…
Était-ce la seule raison pour laquelle elle l’avait chevauché avec passion ? Non, elle le désirait
intensément. Elle était si excitée… et l’était encore.
— Détachez-moi.
Il aurait pu se libérer, la prendre dans ses bras pour l’obliger à demeurer avec lui, mais… non. Il
fallait que l’envie de passer la nuit avec lui vienne d’elle. C’était son choix.
Elle lui délia une main et avant qu’il se soit débarrassé du ruban, elle disparut dans ses
appartements.
— Angélique ? Malédiction, marmonna-t-il.
C’était la première fois qu’il faisait l’amour à une femme sans lui donner d’orgasme… mais c’était
sa faute !
Il retira la soierie de son poignet et défit sa ceinture de cuir aux chevilles. Il s’entoura la taille du
drap et se rendit à la porte d’Angélique. Il tira le loquet mais elle avait barré l’accès. Pourquoi cela
le surprenait-il ?
Il frappa.
— Angélique.
— Il est temps de dormir, milaird.
— Laissez-moi entrer. Je veux juste vous parler.
— Non. Vous avez eu votre nuit de noces. Voilà. C’est fini.
Non, c’était loin d’être fini…

Angélique se précipita dans son lit et se couvrit la tête du drap, le corps toujours frémissant de
désir. Elle se sentait vide et froide. Elle avait envie que Lachlan l’enlace, la pénètre. Elle voulait sa
chaleur. Elle ne comprenait pas. Son membre dressé lui avait fait mal lorsqu’elle l’avait rentré de
force, mais après qu’elle avait commencé à bouger, quelque chose avait changé et la sensation était
devenue divine. L’accouplement aurait dû être une tâche rébarbative et pénible, cette nuit avait été
incompréhensible. Un plaisir secret. L’opposé absolu de ce que Girard lui avait fait. Pourtant, les
mêmes parties du corps étaient concernées. Comment était-ce possible ?
Elle avait été choquée de s’apercevoir qu’elle aimait cela. Cela n’avait aucun sens. Non, elle ne
pouvait se laisser aller sur cette pente glissante du désir ou de l’amour.
Elle craignait d’apprécier un peu trop son époux. Il cherchait à voler son cœur et à lui cacher sa
véritable nature, mais elle n’était pas aussi naïve qu’il l’aurait voulu. Il trouverait sans doute
quelqu’un d’autre, plusieurs femmes, probablement, qui le distrairaient, tôt ou tard. Ce que ferait
Angélique n’aurait plus aucune importance. Il valait mieux qu’elle ne s’attache pas à lui.

— Alors, comment s’est passée votre nuit de noces tant attendue ? s’enquit Rebbie à Lachlan,
d’une voix assez basse pour que les hommes autour d’eux n’entendent pas.
Ils se tenaient, avec Dirk, dans la cour, où les membres du clan Drummagan préparaient la
traditionnelle cérémonie d’intronisation du chef. Chaque homme apportait une pierre destinée à
construire une petite pyramide, sous les ordres de Heckie. Lachlan regarda le ciel gris en espérant
que la pluie patiente encore.
Rebbie lui donna un coup d’épaule et leva un sourcil.
— Pourquoi ne prenez-vous pas modèle sur Dirk, qui ne se mêle que de ce qui le regarde ?
interrogea le Highlander.
Il lui était arrivé, par le passé, de révéler quelques-uns de ses exploits avec ces dames, mais sa
nuit de noces n’était pas le sujet de telles discussions.
— Il veut savoir aussi, déclara Rebbie.
— Mais il ne demande pas.
— Si décevante que cela, alors ? grimaça son ami.
— Non, c’était bien.
En vérité, Angélique lui avait offert l’orgasme le plus incroyable et le plus éblouissant qu’il ait
connu. Il regrettait seulement qu’elle n’ait pas pris le même plaisir.
— Seulement « bien » ? Pas magnifique ?
— Certes, magnifique. Mais cela doit rester privé entre un homme et son épouse.
— Je vois, reprit Rebbie d’un ton sec. Lady Eleanor aurait bien eu un petit entretien privé avec
vous la nuit dernière. Je l’ai trouvée cachée dans votre chambre, comme vous l’aviez craint, alors
que vous étiez avec lady Angélique.
— Enfer, je l’avais oubliée.
Il n’aurait pas cru que la jeune femme soit si obstinée.
— Merci de l’avoir éloignée et occupée. Où est-elle ?
— Toujours enfermée dans la chambre de la tour, où je l’ai emmenée hier soir, seule.
— Il faut la renvoyer de Draughon avant qu’Angélique découvre qu’elle est là. Elle me pose trop
de problèmes.
Lachlan regarda Angélique, sur les marches du manoir. Quelle allure royale… Elle ressemblait à
une reine dans sa robe dorée avec sa tiare ornée de joyaux. Leurs regards se croisèrent, il lui adressa
un clin d’œil et elle se détourna vivement avec nervosité. Avait-il cependant surpris un peu de rose
sur ses joues ?
Il aurait voulu la caresser de sa langue de la tête aux pieds, rester au lit avec elle toute la journée,
explorer chaque parcelle de son corps parfait et toutes les facettes de son esprit rusé. Il ne se
lasserait jamais d’elle. Cette prise de conscience le frappa comme un coup de poing dans l’estomac.
Diantre ! Comment pouvait-il en être sûr ? Il n’avait pas de réponse, il le savait, tout simplement. Il
regarda de nouveau devant lui et songea à la prochaine fois qu’il la verrait en tête à tête.
— Qu’est-ce qui vous amuse autant ? s’enquit Rebbie.
— Rien, répondit Lachlan sans pour autant réprimer son sourire béat.
Dirk se pencha vers ses compagnons.
— L’amour le rend stupide.
— Je préférerais que vous disiez « heureux », le corrigea Lachlan avec un regard de reproche.
— Oh, saint Andrew, venez-nous en aide ! marmonna Rebbie.
— C’est une cérémonie importante et sérieuse, fit remarquer Lachlan. Elle mérite mon attention
sans distraction aucune.
— Certes. Alors cessez de regarder votre petite femme et soyez attentif.
— Vous dites trop de bêtises.
Lachlan tenta de ne plus penser à Angélique et de se concentrer sur l’activité du moment. Il avait
assisté à l’intronisation de son frère, dans les Highlands, cinq ans plus tôt. La tradition des
Drummagan était très similaire. Il espérait simplement que la pyramide de pierres, qui symbolisait sa
position élevée de chef de clan, ne s’écroulerait pas quand il s’assiérait sur la chaise à son sommet.
Le prêtre protestant récita une prière. Heckie, en tant que Seanachaidh, récita la généalogie des
Drummagan depuis le XIe siècle, puis la lignée de Lachlan depuis le XIIe siècle, que le vieil homme
avait apprise du Highlander seulement quelques jours auparavant.
Lachlan était honoré. Il ne parvenait toujours pas à croire qu’il recevait un titre, devenait le chef
d’un clan puissant et avait épousé Angélique.
La nuit précédente avait certes été une nuit de noces très étrange, mais elle était inoubliable. Il
devrait s’assurer dès ce soir que la jeune femme prenne autant de plaisir que lui, et il pria pour
qu’elle ait renoncé à lutter contre lui.
Quant à ce bandit de Girard, il n’avait pas vu trace de ce fils de catin. Personne n’avait su dire qui
avait apporté les coupes.

Angélique, en route pour le déjeuner dans la grande salle, traversait le couloir peu éclairé en
croisant serviteurs et membres du clan. Elle était restée loin de Lachlan toute la matinée et devait
maintenant se préparer à s’asseoir près de lui. Son estomac se noua sous une nervosité soudaine. Et
s’il mentionnait la nuit dernière, avec elle ou avec ses amis ? Elle mourrait de honte. Cependant, elle
était impatiente d’être près de lui. Trop impatiente. Elle ne devait pas se permettre de prendre goût
ainsi à son charme.
— Je vais porter un plateau de nourriture à lady Eleanor, murmura une femme.
« Eleanor » ?
Angélique se retourna brusquement.
— Attendez.
Les serviteurs se figèrent.
— Milady ?
— Qu’avez-vous dit ?
La jeune servante qui avait parlé baissa son regard timide et fit une révérence.
— Laird Rebbinglen m’a demandé de porter un plateau de nourriture à lady Eleanor, comtesse de
Wexbury, dans la chambre de la tour sud.
Un torrent de fureur embrasée déferla dans les veines d’Angélique.
— Que fait-elle là ? Quand est-elle arrivée ?
— Je… je l’ignore.
Angélique oublia son devoir de se rendre dans la grande salle et se dirigea vers la tour sud. Elle
découvrirait ce que cette catin faisait là. Lachlan devait être informé de sa présence si Rebbie le
savait. Mais pourquoi est-ce que personne ne lui en avait touché mot ? Pourquoi Lachlan avait-il
permis à Eleanor de rester ? Angélique craignait de connaître déjà la réponse, même si son cœur
refusait de l’admettre.
Un grand garde robuste en épaisse armure de cuir, une épée au côté, se tenait devant la porte.
— Ouvrez, intima Angélique.
— Milady, dit-il en s’inclinant. On m’a ordonné de ne pas le faire.
— Que voulez-vous dire ? Je sais qu’Eleanor est là-dedans.
— J’ai ordre de ne laisser pénétrer ni vous ni personne.
— Moi ? De qui tenez-vous ces ordres ?
— Laird Rebbinglen, milady.
— Vous ne travaillez pas pour Rebbinglen mais pour moi.
— Avec tout le respect que je vous dois, milady, laird Rebbinglen a précisé que ces instructions
venaient de votre époux.
Un frisson parcourut la jeune femme.
— Mon époux ?
— Oui. Notre laird. Personne ne peut entrer ni sortir sauf les deux lairds et la servante qui apporte
à manger.
Une rage glacée envahit Angélique. Elle avait besoin d’étrangler quelqu’un… Lachlan !
— Laissez-moi entrer ou je vous démets de vos fonctions. Votre solde vient de mes coffres.
Le garde s’agita et hésita un moment.
— Je dois demander au laird.
— Non, maintenant !
— Que Dieu me vienne en aide, marmonna-t-il en ôtant le verrou et en ouvrant la porte.
Eleanor se leva de devant la fenêtre.
— Dieu soit loué, vous… (Son sourire s’éteignit.) Oh, Angélique.
La jeune femme dut faire un effort pour pénétrer dans la chambre.
— Que faites-vous ici ? Je ne me souviens pas de vous avoir invitée.
Eleanor posa sa main couverte de bijoux sur une poitrine ornée de riches étoffes, de pendentifs et
de perles.
— Quelle horrible manière d’accueillir une amie.
— Vous n’êtes pas mon amie. Vous convoitez mon époux.
Eleanor sourit… ou plutôt produisit une parodie malveillante de sourire.
— Et je l’ai déjà connu. J’avoue que vous avez de la chance.
Angélique eut l’impression d’être frappée au ventre par une hache. Que voulait dire Eleanor ?
Avait-elle été avec Lachlan depuis le mariage ? Avait-elle partagé son lit ici même ?
— Oh, oui, petite Angélique. C’est en effet un exemple impressionnant de virilité, si séducteur et si
irrésistible, n’est-ce pas ? La nuit dernière était extraordinaire.
Vous mentez, parvint-elle à dire en un souffle furieux.
Elle mentait forcément… n’est-ce pas ?
— Croyez-vous ? Alors comment puis-je savoir que son couvre-lit est vert et que ses fenêtres
donnent sur la cour, ou que la tapisserie sur son mur représente Flodden ?
Quelle catin…
— Je vais vous tuer.
Angélique se jeta sur Eleanor, les mains tendues vers sa gorge. Mais avant qu’elle l’atteigne,
quelqu’un la saisit par-derrière et la souleva. Elle se débattit contre l’homme qui la maintenait.
— Angélique, calmez-vous, gronda Lachlan à son oreille.
Elle redoubla d’efforts pour le frapper, avec des coups de pied et d’épaules aussi frénétiques que
virevoltants. Mais il la porta hors de la pièce, malgré son agitation, descendit les marches et la mena
dans l’étude.
Il ferma la porte du pied.
— Lâchez-moi, bâtard ! fulmina-t-elle en français.
— Pas avant que vous vous soyez calmée.
Elle cessa de se débattre mais une douleur mortelle la traversait comme une lame.
— Je savais que je ne pouvais pas vous faire confiance. Je savais que les hommes tels que vous ne
peuvent pas changer.
Il la reposa et elle se détourna de lui, reculant vers le mur opposé. Ses yeux la brûlaient, sa gorge
était serrée. Non, je refuse de pleurer.
— Je n’ai rien fait, déclara-t-il sur la défensive, le regard furieux.
— Ne mentez pas. Je sais que Rebbie et vous l’avez enfermée là pour votre plaisir, et de façon que
j’ignore sa présence.
— Rebbie l’a fait enfermer pour qu’elle reste à l’écart de ma chambre.
— Parce que vous ne pouvez pas vous passer d’elle ?
— Non, elle ne m’intéresse pas.
— Elle était dans votre chambre la nuit dernière !
— Mais je n’y étais pas à ce moment-là. Rebbie l’a trouvée, chassée et enfermée dans la tour.
— Vous saviez déjà qu’elle était là, n’est-ce pas ? Si vous dites vrai, pourquoi ne pas l’avoir
renvoyée ?
Les mots sortaient péniblement de sa gorge, et elle détestait sa faiblesse et son émotion pour ce
maudit bâtard.
— Je voulais le faire, mais j’avais oublié sa présence ce matin.
— « Oublié » ? Vous pensez que je vais vous croire ?
Comment pouvait-il oublier cette catin qui cherchait à détruire leur mariage ?
— Vous la gardiez là pour vous distraire entre cérémonies, repas, obligations et visites de mon lit.
Vous avez interdit au garde de me laisser entrer dans la tour. Je vais la faire escorter aux portes. Si
vous tenez à avoir des maîtresses, très bien, mais pas Eleanor.
Angélique quitta la pièce en essayant d’avoir l’air forte, mais elle se sentait comme une pierre
jetée dans l’océan… Elle se noyait, sombrait lentement.

— C’est la faute de cette bécasse d’Angélique ! pesta Eleanor, comtesse de Wexbury, devant les
grilles de Draughon.
Elle avait été renvoyée avec ses malles et attendait le carrosse qu’elle avait loué. Elle resserra sa
cape bordée de velours pour se protéger du vent écossais cinglant.
— Je ne tolère pas que l’on me traite comme une poissonnière de village ! Je me vengerai de cette
insulte, de cette humiliation ! fulmina-t-elle à l’intention de sa suivante.
La jeune Anglaise eut la sagesse de garder le regard baissé. Les gardes, tout proches, regardaient
devant eux pour ne pas croiser les yeux de la comtesse furieuse.
C’était le comble de l’impolitesse que de chasser ainsi un de ses pairs, une représentante de la
noblesse. Elle dénoncerait auprès de toutes ses connaissances l’ignorance et la méchanceté
d’Angélique.
Un quart d’heure plus tard, alors que d’énormes gouttes commençaient à tomber, le carrosse
d’Eleanor arriva des écuries.
— J’espère qu’Angélique est contente, marmonna-t-elle en montant dans le véhicule. Nous nous
arrêterons au village, à l’auberge de Breakstane, ordonna-t-elle au cocher.
Pendant qu’elle s’installait, ses serviteurs chargèrent les malles puis embarquèrent.
En traversant le hameau la veille, elle avait repéré une hôtellerie qui semblait décente. Il fallait
une demi-journée seulement de chevauchée jusqu’à Perth, elle n’était donc pas trop rudimentaire.
Eleanor n’était pas encore résolue à renoncer à une dernière nuit avec Lachlan… Voire plusieurs
autres nuits. Il était l’amant le plus remarquable qu’elle ait connu et elle ne pouvait le chasser de son
esprit, même dans ses rêves. Il était si jeune, si fort, si viril… Elle n’avait jamais rencontré de
partenaire si attirant avant lui.
Heureusement, Eleanor avait enfin perdu son vieux mari, emporté par une mort naturelle, un homme
de trente-trois ans son aîné. Elle ne comptait plus reporter les plaisirs de la vie. Bien sûr, son père
l’avait contrainte à épouser ce vieux comte et elle n’avait pas eu son mot à dire. Elle avait dû
supporter son répugnant contact pendant plus de dix ans et lui donner un héritier. Mais elle pouvait
enfin choisir avec quel homme partager sa couche.
Angélique ne saurait jamais apprécier Lachlan et ses prouesses sensuelles à leur juste valeur,
comme elle-même. Il se lasserait vite de cette nouvelle épouse rébarbative et à ce moment-là,
Eleanor voulait être suffisamment proche pour accourir soulager ses besoins charnels, qu’elle savait
abondants.
Elle espérait que son complice serait plus heureux dans sa mission de briser leur couple. Sinon,
elle rendrait visite à Kormad. Il l’aiderait probablement, s’il pouvait obtenir le domaine par la même
occasion.
Chapitre 11

— Maudit soit-il.
Angélique quitta la grande salle vers ses appartements. Elle avait sauvé les apparences à grand-
peine pendant le repas, en présence du clan, alors qu’elle avait le cœur brisé. Elle aurait dû tuer
Lachlan la nuit précédente pendant qu’il était attaché, au lieu de se donner à lui. Maintenant qu’il
l’avait possédée, il chercherait une autre compagne. Mais pas Eleanor, elle s’en était assurée.
Angélique était certaine que n’importe quelle femme conviendrait, du moment qu’elle était en vie.
Dépravé lascif et égoïste !
Cela aurait dû être un crime d’agir comme lui… L’obliger à savourer les choses indécentes qu’il
lui avait infligées avec sa bouche la nuit dernière. Mais c’était elle l’imbécile, pour avoir décidé de
l’accepter en elle. Elle craignait que cet acte ne lui ait aussi donné accès à son cœur. Ou peut-être
était-ce ce qu’ils avaient fait avant, les baisers, les paroles murmurées, ses mains qui la caressaient.
Encore maintenant, elle avait faim de ces gestes, même si le Highlander ne serait jamais honnête.
— Mademoiselle, souffla en français une voix masculine, dans une alcôve sombre entre la grande
salle et l’étude.
Elle s’arrêta. L’accent et le ton lui étaient familiers. Ce n’était pas Girard… n’est-ce pas ? Elle
recula.
— Qui est là ?
— C’est moi, Philippe.
Le jeune homme qu’elle avait autrefois envisagé d’épouser sortit la tête de sa retraite. Elle se
précipita vers lui.
— Oh, Philippe, que faites-vous ici ? demanda-t-elle en français.
— Je devais vous voir, mon cœur, répondit-il en lui prenant les mains pour les embrasser. Je vous
aime. Vous devez quitter ce barbare.
Elle retira ses mains en prenant conscience que, même s’il restait son ami, il n’était qu’un enfant
immature.
— De quoi parlez-vous ?
— Il doit y avoir un moyen pour vous sauver de ce mariage. Vous détestez ce sauvage, n’est-ce
pas ?
Le détester ? Certes, elle haïssait bien des aspects chez Lachlan. Mais il restait son mari. Elle
avait prononcé les vœux sacrés du mariage et entendait bien les respecter le plus longtemps possible.
De plus, leur union était maintenant consommée, après sa folie insensée de la nuit précédente. Elle
scruta les ombres derrière elle pour s’assurer que personne n’écoutait, puis se tourna de nouveau
vers Philippe.
— Non, le mariage ne peut être défait. Il est trop tard.
— Il n’est jamais trop tard. Je connais des gens, des amis, qui nous aideraient. Nous pourrions
rentrer en France et y vivre heureux. Mon père m’a écrit. Il me donnera un petit domaine à la
campagne.
La voix et le regard du jeune homme étaient désespérés. Angélique n’aimait pas cela chez lui.
— Votre père ?
Aux dernières nouvelles, il le détestait et refusait de le reconnaître.
— Oui, c’est un noble fortuné.
— Je ne peux abandonner mes terres et mon clan. C’est mon héritage, par ma lignée. Je ne peux
permettre, à aucun prix, que Kormad s’en empare.
— Mais vous êtes une lady. Vous n’avez pas à vous soucier du commandement d’un clan de
barbares non civilisés.
— C’est votre opinion, et je ne la partage pas. De plus, ce clan est parfaitement civilisé.
— Je suis désolé, mon amour.
Il mit un genou à terre et la jeune femme s’aperçut qu’elle n’était en rien émue. C’était un enfant
timide comparé à Lachlan.
— Je vous en supplie, réfléchissez, pourquoi ne pas fuir avec moi ? s’exclama Philippe en lui
reprenant la main. Je vous rendrai heureuse. Vous ne connaîtrez pas le bonheur aux côtés de cette
brute dominatrice.
— Ne faites pas cela, Philippe. Je suis mariée, murmura-t-elle en réprimant l’envie de retirer
encore la main de son emprise moite.
Elle ne voulait pas le blesser et espérait qu’ils pourraient demeurer amis.
— Ne pouvez-vous comprendre cela ?
— Votre mère a quitté votre père, son époux, pour regagner sa France bien-aimée. Vous pouvez
faire de même.
C’était vrai, mais… la situation était différente. Elle devait accomplir son devoir et porter un
héritier légitime ; elle le ferait pour sa famille et ses ancêtres. Et même si c’était une pure folie, une
partie d’elle espérait que Lachlan se révélerait plus honorable et plus fidèle qu’elle ne le pensait.
Elle ne pouvait pas prouver qu’il avait passé la nuit avec Eleanor.
Comment Angélique pouvait-elle rêver qu’il développe des sentiments pour elle ? C’était stupide.
Pourtant, elle ne pouvait s’en empêcher.
— N’avez-vous jamais entendu parler d’annulation ou de divorce ? s’emporta Philippe en lâchant
sa main pour se lever. Vous avez été forcée de l’épouser. Mes amis nous aideront.
— Quels amis ?
— Qu’est-ce qui se passe ici ? gronda Lachlan derrière la jeune femme.
Angélique tressaillit et se retourna. Il lui sembla que son cœur allait bondir hors de sa poitrine.
— Philippe est venu en visite… pour nous souhaiter un heureux mariage.
Malgré la pénombre, le regard terrifiant du Highlander ne laissait aucun doute. Une lueur mortelle
le traversa tandis qu’il observait le Français. Angélique se rappela que le libertin frivole était aussi
un guerrier aguerri, redoutable à l’épée. Il avait probablement déjà tué de nombreux ennemis au
combat.
— Je vois, il faudra renvoyer les gardes qui ont laissé entrer cette vermine dans le château.
Lachlan saisit la main de la jeune femme et l’entraîna vers l’étude.
— Je veux m’entretenir avec vous en privé, mon épouse.
Elle sentit son cœur s’emballer. Sainte Marie mère de Dieu, aidez-moi ! Qu’allait-il faire ?
Il referma la porte derrière eux.
— De quoi parliez-vous tous les deux ?
— Rien d’important.
Une soudaine migraine la gagna alors qu’elle tentait de se souvenir de chaque parole échangée
avec Philippe.
— Vous complotiez contre moi ?
— Bien sûr que non, milaird.
Elle recula hors de sa portée.
— Milaird, répéta-t-il en l’imitant. Vous n’utilisez ce titre que lorsque vous me cachez quelque
chose. Que tramez-vous ?
Ses mains tremblaient et elle ne savait que dire. En colère, il perdait toute raison, comme tous les
hommes, persuadé de pouvoir collectionner les maîtresses mais lui refusant le moindre ami.
— Pourquoi est-il ici ? Que vous a-t-il dit ?
— J’ignore pourquoi il est venu, et il ne m’a rien dit.
— Vous mentez, madame. J’ai entendu une partie de votre conversation. Je comprends même le
français, aviez-vous oublié ?
Mon Dieu. La situation était grave. Qu’allait-il faire ? La frapper ? La forcer à partir ?
— Au cas où vous ne vous en souviendriez déjà plus, Angélique, il a parlé d’annulation et de
divorce. Puis il a ajouté : « Vous avez été forcée de l’épouser. Mes amis nous aideront. » Vous aider à
quoi ? Envisagez-vous de me quitter ?
Son souffle court lui faisait tourner la tête.
— Non. Je lui ai répondu que je ne voulais pas faire cela.
— Je ne vous ai pas entendue refuser. Vous avez demandé de quels amis il parlait.
— Avant, j’avais dit « non » ; qu’il était trop tard.
— Intimez-lui de partir ou je le fais jeter dehors !
Elle détesta qu’il devienne aussi dominateur et lui donne des ordres. C’était son domaine, depuis
sa plus tendre enfance, pas le sien.
— Non.
— Quoi ? gronda-t-il. Vous empruntez un chemin glissant, madame.
— Pas plus que vous, monsieur. Vous enfermez votre maîtresse dans la tour ! Je suis chez moi. Mes
amis sont les bienvenus ici autant que les vôtres. Vous avez fait venir Eleanor.
— C’est faux. Je ne l’ai pas invitée.
— Vous avez refusé de lui dire de partir, j’ai dû m’en charger. Et j’ignore toujours si vous avez
partagé son lit ou non la nuit dernière.
— Non, grinça-t-il, les dents serrées.
— Comment puis-je savoir ? Elle a maintenu que si. C’est votre parole contre la sienne, et aucune
n’est fiable.
Il soupira laborieusement et tenta de la faire taire d’un regard.
— Vous êtes un homme gouverné par son appétit sexuel.
— Il n’y a rien de mal à cela ! Et si ma mémoire est bonne, vous ne manquiez guère d’appétit vous-
même, la nuit dernière, quand vous êtes montée dans mon lit pour me chevaucher comme une
pouliche ! Vous avez enfin trouvé comment utiliser votre coûteux étalon !
La fureur lui enflamma les joues.
— Vous n’êtes pas un gentleman.
— Quel est le rapport ? Je dis la vérité.
Elle avait les pensées embrouillées et elle ne parvenait pas à réfléchir à ce qu’elle allait répondre.
— Ordonnez-lui de partir, insista Lachlan. Je ne fais pas confiance à ce bâtard chétif.
— Ne traitez pas Philippe de bâtard. C’est vous, le bâtard.
— Pourquoi le défendez-vous ? Je sais que vous n’aimez pas cette fouine !
Angélique se redressa avec obstination. Comment osait-il décréter qui elle aimait ou non ?
— Si ? demanda-t-il.
— Peut-être.
— Très bien, dans ce cas, accueillez-le dans votre lit, je m’en moque !
— Parfait, c’est ce que je vais faire !
Angélique quitta la pièce en trombe, le sang embrasé par la rage. Lachlan paierait pour ses
infidélités.
Elle découvrit Philippe, timide et effrayé, dans un coin de la grande salle bondée. Personne ne
sembla remarquer qu’elle le prenait par le bras et l’accompagnait dans l’escalier. Elle allait montrer
à Lachlan qu’elle n’avait pas peur de lui et qu’elle n’obéirait pas dès qu’il hausserait le ton. Elle le
prendrait au mot. S’il avait droit à des maîtresses, elle pouvait bien avoir un amant… ou du moins
faire semblant.

— Je m’en moque, marmonna Lachlan en s’éloignant du château sans un regard pour ce qui
l’entourait.
Angélique pouvait bien avoir son freluquet si elle y tenait tellement.
— Ce mariage n’est qu’une farce de toute façon. Catin infidèle, comploteuse et agressive !
En arrivant dans les écuries, il fut saisi d’une émotion puissante, une soif de sang, une envie de
bataille ! Il tourna les talons, retraversa la grande salle et monta les marches de pierre, concentré
exclusivement sur sa destination. Du feu coulait dans ses veines. Il se sentait la force d’abattre une
tour de pierre à mains nues.
— Lachlan ? appela Rebbie en lui emboîtant le pas.
— Pas maintenant. J’ai de la vermine à tuer, répliqua-t-il tandis qu’il tirait l’épée.
Devant la porte du salon d’Angélique, il frappa de toutes ses forces contre le panneau de chêne
plein. Il s’ouvrit en heurtant quelque chose et le Highlander entra sans attendre.
— S’il pose un doigt sur vous, je vais découper ce bâtard membre après membre !
Angélique se tenait devant la cheminée, seule. Où était ce fils de catin ?
Quelqu’un se glissa par la porte derrière lui et il aperçut un pan de cape rouge.
— Lâche ! s’écria le Highlander en le poursuivant.
— Lachlan ! appela Angélique qui le suivait aussi. Il ne m’a pas touchée.
— Vous ne voulez pas que je tue votre amant, hein ?
— Il n’est pas mon amant, idiot !
Elle lui lança une étoffe roulée contre le dos, mais il ne s’arrêta pas.
Lorsque Lachlan atteignit la cour, il aperçut Philippe qui franchissait les portes ouvertes.
— Maudit fils de catin.
Il détesta la lueur victorieuse dans les yeux d’Angélique. Et il lui fallut toute sa volonté pour ne
pas la jeter sur son épaule et la remmener dans sa chambre pour lui donner une bonne fessée. Elle le
toisa et disparut dans le manoir.
Lachlan fit signe à deux soldats.
— Suivez ce freluquet, attrapez-le et enfermez-le dans une geôle, ordonna-t-il à voix basse. Ne lui
faites pas de mal et ne parlez de sa capture à personne. Je l’interrogerai plus tard.
— Oui, milaird.
Les hommes partirent à cheval.
Lachlan retourna dans la grande salle où de nombreux regards curieux se posèrent sur lui. Il
s’inclina devant l’assistance.
— Continuez.
Il gagna les appartements d’Angélique en montant les marches deux à deux. La porte du salon était
ouverte. Ses gardes du corps étaient à leur poste, le regard détaché, comme si Lachlan n’avait pas eu
l’air d’un possédé. Certes, il était conscient de sa folie, mais il s’en moquait. Angélique était sa
femme et il refusait de la partager. Il frappa à la porte de la chambre.
— Angélique ?
— Partez !
Après avoir trouvé sa porte barrée la veille, il avait décidé que cela ne se reproduirait pas et avait
récupéré la planchette de chêne pendant le petit déjeuner.
Il leva le loquet et poussa. Quelque chose bloquait l’accès, une malle, qu’il repoussa en insistant.
— Je refuse de vous parler, monsieur.
— Oh si, vous me parlerez, et réjouissez-vous-en.
— Vous êtes jaloux !
Angélique lui tourna le dos.
Il claqua la porte, remit la malle devant, et s’avança vers la jeune femme.
— Je ne suis pas jaloux ! Je suis votre maudit mari. Aucun homme ne connaîtrait de vie heureuse
en vous épousant, c’est un fait.
— Merci. De même pour vos épouses.
Il la saisit par la taille, l’obligea à le regarder et la pressa contre le mur le plus proche. Il saisit
son menton dans sa main et contempla ses lèvres, d’un rose épanoui. Il ne les partagerait pas.
— Avez-vous embrassé ce bâtard ?
— Oui, cracha-t-elle entre ses dents serrées.
— Menteuse.
Lachlan plaqua sa bouche contre la sienne, avec force. Une seconde plus tard, elle le mordit.
— Oh ! On aime mordre, n’est-ce pas ?
Il lui prit la lèvre inférieure entre les dents, sans pour autant la faire saigner. Une émotion sauvage
brilla dans ses prunelles assombries, aussi ardente que l’excitation dans le corps de Lachlan.
Il libéra sa bouche et lui mordilla le cou.
Elle eut une inspiration sifflante et tout son corps frémit. Elle agrippa ses vêtements et l’attira
contre elle. Ah, comme il aimait la sentir répondre si passionnément… Il tira sur sa manche pour
dénuder son épaule et l’effleura de ses dents avant de passer sa langue sur sa peau douce, chaude et
attirante. Maudits jupons qui faisaient barrage ! Il souleva sa robe et glissa la main sur ses bas de
soie, puis sur la peau infiniment fine à l’intérieur de ses cuisses.
Elle hoqueta.
— Arrêtez.
— Pourquoi ?
Le regard perdu dans ses yeux emplis de désir, il coula un doigt contre ses replis humides.
— Parce que je risque de découvrir à quel point vous me désirez ?
— Je ne vous désire pas, répondit-elle dans un souffle.
— Non ?
Il écarta les lèvres de son sexe et sentit à quel point elle était prête.
— Vous mentez mal, madame.
— C’est Philippe que je désire.
Ah, quel mensonge ridicule !
— Vraiment ?
— Oui. Tout comme vous convoitez Eleanor.
— Par le ciel ! Je ne veux pas d’elle. Vous êtes la seule que je désire, avoua-t-il.
C’était une vérité qui lui donnait l’impression de mettre son âme à nu.
— Vraiment, qui ment à présent ? se moqua-t-elle, le souffle court.
— Après la nuit dernière comment pouvez-vous en douter ?
— Je ne suis plus une enfant naïve, monsieur. Je connais les hommes et leurs… désirs. Ils
convoitent les femmes qu’ils ne peuvent avoir, et ils veulent beaucoup de maîtresses car ils aiment
varier… Ils se lassent facilement.
— Alors vous me connaissez bien mal.
Incapable de s’imaginer lassé d’elle, il caressa avec douceur et fermeté le point sensible entre ses
cuisses. Elle gémit et ferma ses paupières.
Oui… Il la caressa, encore et encore, puis glissa un doigt en elle. Elle émit une sorte de sanglot
mais ne chercha pas à s’échapper.
Il sentit la tension qui naissait en elle et, alors que la jouissance allait atteindre son comble, il
retira sa main.
— Qui désirez-vous ?
Tremblante, la respiration hachée, elle lui lança un regard noir. Il caressa l’intérieur de ses cuisses
en petits mouvements tentateurs.
— Touchez-moi, murmura-t-elle.
— Je veux plus que vous toucher.
— Oui. Faites-le.
Elle serra les doigts sur son écharpe de tartan.
Il parvint à puiser en lui des trésors de patience et de sang-froid.
— Pas avant que vous ayez dit que vous me désiriez.
— Je vous désire, chuchota-t-elle en français, d’une voix plus douce qu’un souffle.
Par tous les saints ! Elle était si belle et si passionnée qu’il était prêt à la dévorer comme une
prune bien mûre !
— Dites mon nom.
— Lachlan.
Il s’empara de sa bouche en un baiser profond tandis que des frissons le parcouraient. Il avait trop
envie d’elle. Il retroussa son kilt et ses jupons entre eux, et souleva la jeune femme. L’invitant à nouer
ses jambes autour de ses hanches, il s’introduisit en elle. Elle était si étroite qu’il perdit toute
maîtrise.
— Ah, par tous les saints, Angélique, gronda-t-il.
Il s’arrêta et prit le temps de la savourer, si chaude, si humide, si exquise.
Elle enfouit les mains dans ses cheveux, serra les poings, tira sur ses boucles, avec de délicieux
petits cris comme des sanglots.
— Lachlan ?
— Oui, c’est bon, mmh ?
Il bougea et continua à la pénétrer, avec douceur mais sans s’arrêter.
— Oui, souffla-t-elle.
Chaque coup de hanches avait un parfum de paradis, sublimé par l’enthousiasme de la jeune
femme. Comme il l’avait soupçonné, elle le désirait en elle, comme lui. Il devenait avide et ne
voulait pas que cet instant cesse ! Le plaisir était absolu et Lachlan sentit qu’il atteignait son apogée.
Il ralentit et caressa le point sensible du sexe d’Angélique avec son pouce. Elle cria, retint son
souffle et remua avec lui.
— Oui, ma belle, abandonne-toi.
Lorsqu’il sentit ses muscles frémir autour de lui, il s’enfonça profondément en elle. Elle hurla,
accrochée à lui, saisie par l’orgasme. Il s’abandonna, laissant le feu qu’il contenait le parcourir,
puissant, le consumant si intensément que pendant un instant, ses pensées l’abandonnèrent. Il grogna,
le visage dans les cheveux d’Angélique.
— Iosa is Muire Mhàthair !
Il n’avait jamais rien ressenti de si intense.
Les jambes flageolantes, il porta la jeune femme sur le lit et s’allongea avec elle, toujours en elle.
Il lui embrassa tendrement les lèvres. Il ne voulait pas la laisser. Pas cette fois, pas maintenant
qu’elle avait avoué le désirer.
Les muscles de son sexe se raidirent, caressant le membre de Lachlan, et il se retira pour aller se
déshabiller. Lorsqu’il enleva chemise et tartan, Angélique le regarda de ses yeux assombris par ses
cils un peu humides.
Il refusait de penser à ce sentiment à lui nouer les tripes qu’elle lui inspirait. Pas maintenant. Elle
était comme une tempête en pleine mer, prête à le submerger, à l’engloutir. Il avait ressenti et haï sa
douleur quand elle avait cru qu’il l’avait trompée avec Eleanor. Mais elle refusait de lui faire
confiance. Cela le rongeait jusqu’à l’âme de savoir qu’elle le jugeait si peu digne de confiance alors
que c’était ce qu’il souhaitait le plus qu’elle lui accorde. Cela, et sa dévotion, son affection.
Il espérait qu’elle appréciait ce qu’elle voyait car il n’en avait pas encore fini avec elle pour ce
jour-là. En fait, il craignait de ne jamais vouloir en finir…
Elle ne protesta pas quand il défit les boucles et les rubans de sa robe. Il délaça son corset, le
retira, et elle l’aida à passer le fourreau au-dessus de sa tête. Une soudaine vulnérabilité adoucit son
regard et elle croisa les bras devant sa poitrine.
— Vous ne pouvez plus jouer les timides maintenant. Il est trop tard, fit-il remarquer en souriant.
Il écarta ses bras. Il l’embrassa avec fougue puis contempla ses seins.
— Vous avez tenu ces mets de choix loin de moi pendant trop longtemps.
— Vous ne…
Il déposa un léger baiser d’adoration sur l’un d’eux.
— Quoi ?
— Ils sont trop petits, souffla-t-elle.
L’incertitude dans les yeux de la jeune femme le toucha.
— Non. Vos seins sont ravissants.
Il lécha la pointe, la pressa et la suça doucement.
— Parfaits.
Elle gémit et ferma les paupières.
— Mmm.
Il passa à l’autre sein en savourant la sensation des doigts d’Angélique dans ses cheveux, qui
l’attiraient contre elle.
Il laissa son regard courir sur son superbe corps nu, relevant chaque détail exquis. Certes, elle
avait la poitrine petite, mais les seins ronds et dressés, parfaitement proportionnés pour sa silhouette
mince. Il ne mentait pas, c’était effectivement la plus belle poitrine qu’il ait admirée. La jeune femme
était fine, avec des fesses rondes et délicieuses. Il aurait voulu les mordre, lécher tout son corps et le
garder en mémoire.
— Angélique, vous êtes la plus belle création de Dieu.
— Taisez-vous, dit-elle en posant un doigt sur ses lèvres.
Il l’embrassa.
— Pourquoi ?
Elle saisit son sexe, à demi en érection.
— Oh !
Il était trop tôt. Mais il regarda ses petites mains inexpérimentées le caresser et sentit son membre
se durcir de plaisir.
— Mmm.
Il ne pouvait résister longtemps à son influence…
Elle se plaça au-dessus de lui, se redressa et guida sa virilité en elle. Il gronda, appréciant
l’initiative. Cette femme savait exactement ce qu’elle voulait et le prenait ! Elle le chevaucha pendant
plusieurs minutes extatiques.
Il lui caressa les seins, les pressant doucement, savourant le simple fait d’observer son épouse
profiter de son corps. Une épouse qui le craignait et détestait le sexe quelques jours plus tôt. Lui
donner du plaisir était devenu son but premier dans la vie. Il n’était pas certain de quand cela s’était
produit, mais à présent, il ne brûlait que de l’entendre crier son nom au comble de la passion.
Avant qu’il s’y soit attendu, un orgasme agita le corps de la jeune femme. Elle cria et s’affaissa sur
sa poitrine. Il reprit le déhanchement qu’elle avait arrêté pendant qu’elle le serrait contre elle.
Se maîtrisant parfaitement, il la fit rouler sur le dos et se dressa au-dessus d’elle.
Lorsqu’elle se fut calmée, il la poussa.
— Sur vos mains.
Elle s’assit et se souleva sur les paumes tandis qu’il lui soutenait les hanches. Il la pénétra et elle
laissa sa tête tomber en arrière.
— Lachlan, gémit-elle.
— Oui.
Une émotion enflammée lui traversa la poitrine. Il rapprocha Angélique de lui, prit ses bras pour
les nouer à son cou et effleura ses lèvres des siennes. Je ne veux que vous. Comprenez-vous ? Pas
d’autre femme. Il aurait voulu lui répéter cela, mais ces paroles n’auraient fait que réveiller le
souvenir de sa jalousie. Et elle ne pourrait s’empêcher de demander pour combien de temps…
Il l’ignorait. Peut-être pour toujours. Il ne pouvait imaginer se lasser de regarder dans ses yeux, de
se perdre dans son corps brûlant. Mais il aurait voulu lire autre chose dans son regard, une confiance
absolue. De l’amour. Comment gagner de telles choses ? Comment révéler les secrets qu’elle
cachait ?
Après une minute, il perçut un changement dans son souffle et se laissa aller. Ils atteignirent le
plaisir ensemble.
Il l’allongea et l’étreignit pendant qu’ils se reposaient.
— Angélique, murmura-t-il peu après que sa propre respiration fut redevenue normale.
Elle ne répondit pas. Dormait-elle déjà ? Il l’embrassa sur la joue, se glissa silencieusement hors
du lit et s’habilla. Pendant qu’elle était assoupie, il allait voir quelles informations il pouvait tirer de
Philippe.

Eleanor descendit les marches de bois de l’auberge pour aller dîner dans la salle commune. Tous
les regards se tournèrent vers elle et sa suivante quand elles entrèrent. Elle pria pour qu’il n’y ait pas
de voleurs parmi les hommes.
— Milady, salua le propriétaire robuste en s’inclinant. J’espère que vous nous permettrez de vous
servir à souper ce soir.
— Peut-être.
Si quelque chose venu de l’humble cuisine lui semblait correct… Mais elle essayait de ne pas
traiter trop durement ces malheureux roturiers.
— Je vous ai réservé la place parfaite.
Il la guida vers une table en retrait, près de la fenêtre, à un angle. La vue sur la rue pavée et les
écuries n’avait pourtant rien de remarquable… Sa suivante et un valet se tenaient tout près, si elle
avait besoin de quelque chose. Parfois, le titre de comtesse rendait la vie bien solitaire. Comme elle
aurait aimé que Lachlan ou un autre membre de l’aristocratie soit présent !
Eleanor commanda, on lui servit du vin, puis elle attendit en scrutant les visages des clients. Tous
des roturiers. D’après leurs vêtements, il n’y avait même pas un baron de campagne parmi eux.
Un homme grand et mince, avec les cheveux noirs et une élégante tenue, descendit l’escalier. Ses
prunelles sombres la remarquèrent aussitôt. Ah, enfin quelqu’un qui présentait un intérêt. Il devait
avoir un titre, ou au moins être riche. Elle crut que ses yeux lui jouaient des tours quand elle vit qu’il
lui manquait un bras.
Il s’approcha et s’inclina.
— Madame, veuillez excuser mon audace, mais permettez-moi de me présenter. Je suis Guy
Laurent, comte de Girard, à votre service.
— Un comte français ? dit-elle en remarquant son accent.
Elle avait enfin de la chance !
— Certes oui.
Il avait la peau très pâle, mais une flamme rusée brillait dans son regard couleur de nuit.
— Eleanor Stanhope, comtesse de Wexbury.
Elle tendit la main et il la baisa.
— Enchanté, madame.
— C’est un plaisir. Voudriez-vous vous joindre à moi ?
— Merci. Rien ne me ferait plus plaisir.
Il prit une chaise et s’installa face à elle.
— Du vin ?
Elle fit signe à sa servante de lui servir un verre. Eleanor était extrêmement curieuse d’apprendre
comment il avait perdu son bras, mais elle savait se tenir.
— Qu’est-ce qui vous amène aux confins de l’Écosse ?
— Une visite à une vieille connaissance, répondit-il.
Son accent français était très prononcé.
— Et de qui s’agit-il ?
— Elle est également comtesse. Peut-être la connaissez-vous ? Angélique Drummagan ?
— En effet ! Nous étions toutes deux dames de compagnie de Sa Majesté la reine Anne. Vous ne
seriez pas… l’ancien prétendant d’Angélique ?
Si cet homme pouvait éloigner Angélique de Lachlan, le Highlander redeviendrait libre, pour elle.
Quel heureux hasard !
— Je suis flatté, vous avez donc entendu parler de moi ?
— Je sais seulement qu’elle désirait épouser un noble français mais que son père, écossais, avait
interdit cette union. Elle ne m’a pas révélé de nom.
Il sourit, mais son expression avait quelque chose de feint.
— Vous m’avez démasqué.
— Je suppose que vous avez appris son récent mariage.
— Oui.
Il but une gorgée de vin puis reposa son verre avec un regard critique.
— Que pouvez-vous me dire sur l’heureux élu ?
« Heureux » ? Mmh, visiblement, il avait toujours des sentiments pour Angélique.
— Lachlan MacGrath est un homme bien, un Highlander. Le mariage a été arrangé par le roi,
voyez-vous, en récompense. Mais je crains que ce couple ne soit fort mal assorti.
— Cet homme est-il courageux, puissant ?
— Certes, l’on peut le qualifier de guerrier. Très grand, fort, et habile à l’épée. Et rusé, aussi. Il a
sauvé la vie d’un favori de Son Altesse en mettant au jour un projet d’assassinat.
— Ah, ah !
Girard s’adossa contre sa chaise et son expression devint glaciale.
— Et sa famille ?
Eleanor prit garde de ne pas trahir sa joie. Ce Girard était visiblement jaloux. Peut-être allait-il
enlever Angélique !
— Le nouveau comte de Draughon est un second fils, frère d’un comte et chef de clan. Lachlan est
remarquable. Personne n’aurait la folie de l’affronter directement.
— Hmm.
Girard leva un sourcil et attendit la suite.
— Il a plusieurs gardes et des guerriers entraînés qui voyagent avec lui. Si quelqu’un convoitait
l’un de ses biens, il serait plus sage de s’en emparer discrètement pendant qu’il ne regarde pas.
— Vraiment ?
Eleanor hocha la tête en observant les pensées conspiratrices qui semblaient défiler dans le regard
du comte. Elle ne voulait pas qu’il défie Lachlan. Il n’avait aucune chance contre lui avec un seul
bras, mais un pistolet restait d’une précision mortelle entre une main experte.
— Avez-vous vu Angélique récemment ? reprit-il.
— Oui, je reviens justement du manoir de Draughon et des festivités du mariage.
— Comment va-t-elle ?
— Elle souffre d’avoir dû épouser un homme qu’elle n’aime pas.
Girard sourit étrangement, sa moustache noire et sa barbe nettement taillées lui conférant un aspect
diabolique.
— Pauvre petite Angélique.
— L’aimiez-vous ? demanda Eleanor avec espoir.
— Ah, l’amour. Quelle émotion complexe, n’est-ce pas ?
Le sourire rusé reparut. Quelque chose n’était pas normal chez cet homme censé être jaloux,
furieux, désirant Angélique pour lui seul.
— Certes. Parfois, un désir intense peut passer pour de l’amour.
— Je vois que vous êtes pleine de sagesse.
Il la regarda plus intensément, décelant la sensualité qu’elle cherchait à dissimuler si elle n’était
pas devant un mâle à son goût.
L’excitation la gagna.
— Je vous remercie.
Oh, quelle importance s’il n’avait qu’un bras ? Cet homme était intrigant et courtois. Avec sa
silhouette mince, il ne serait jamais l’égal de Lachlan et ses muscles saillants, mais il pourrait la
distraire en attendant.
— Angélique m’a dérobé quelque chose, déclara Girard d’un ton de conspirateur. Peut-être
accepteriez-vous de m’aider à le reprendre ?
— Peut-être, si vous m’aidez en retour. Elle aussi m’a volé quelque chose… mon amant. Et je veux
le récupérer.
Girard rejeta la tête en arrière, hilare. Lorsque son rire cessa, il prit la main d’Eleanor et la baisa.
— Je pense que nous avons un accord, madame.
Chapitre 12

— Laissez Angélique dormir aussi longtemps qu’elle voudra. Lorsqu’elle se réveillera, préparez-
lui un bain, ordonna Lachlan aux servantes.
Après tout, il fallait que sa femme soit occupée. Il espérait que l’interrogatoire de Philippe ne
prendrait pas longtemps et qu’il serait de retour pour partager ce bain avant qu’il soit froid.
Il mit près d’une heure pour dire « au revoir » aux convives du mariage, puis il descendit dans les
geôles, Rebbie et Dirk sur les talons.
— Nous venons voir le Français, déclara Lachlan au garde.
— Oui, milaird.
Il les guida dans le passage souterrain sombre et humide, puis ouvrit une porte de bois et de métal.
Dirk entra avec une torche, suivi de Lachlan qui tira son épée, et de Rebbie.
Le jeune prisonnier était ramassé dans un coin et les regardait en plissant les paupières sous les
flammes. Le Highlander aurait eu pitié de lui s’il n’avait pas tenté de lui voler Angélique.
— Comment vous appelez-vous ?
— Philippe Descartes, milord.
Il s’avança légèrement mais resta à genoux.
— Pourquoi êtes-vous venu ici, à Draughon ?
Le prisonnier écarquilla tant les yeux que Lachlan craignit qu’ils ne sortent de leurs orbites.
— Je ne suis qu’un vieil ami d’Angélique. Je voulais vous féliciter pour votre mariage, dit-il en
inclinant brièvement la tête.
— Mmf, quel piètre mensonge, marmonna Lachlan qui repensa aux coupes. Avez-vous apporté un
cadeau ?
— Un… un cadeau ? Veuillez me pardonner, milord, mais non. Je vous en enverrai un si…
— Non, je me demandais si vous n’aviez pas déposé le présent d’un autre.
— Non.
Le regard de Philippe soutint le sien quelques secondes puis s’abaissa vers la lame étincelante au
côté du Highlander.
Peut-être disait-il vrai, mais comment en être sûr ? Ce rat d’égout ignorait sans doute ce qu’était la
franchise.
— Qui a voyagé avec vous depuis Londres ?
— Personne.
— Je ne veux plus de mensonges, gamin ! Je veux la vérité.
Philippe se raidit, les mains tremblantes et le regard agité.
— Vous avez voyagé ou parlé avec quelqu’un. Qui était-ce ?
— Eleanor, la comtesse de Wexbury, milord, avoua-t-il.
Rebbie marmonna une imprécation et Dirk lui lança un coup d’œil inquiet.
— Je vois, fit Lachlan.
Que manigançait cette traînée ?
— Et qui d’autre ?
— Ses serviteurs, c’est tout, je le jure.
La voix du jeune homme se brisa et malgré ses vingt ans, il en parut dix de moins.
— Que vous a dit Eleanor ?
— Sir ?
— Je sais qu’Eleanor et vous complotez contre Angélique et moi. Vous voulez détruire notre
mariage. Avouez vos projets.
— Il… il n’y en avait aucun, milord.
— Vous mentez encore, gronda Lachlan. Voulez-vous que je vous explique combien il est
dangereux de me mentir ?
Il leva sa lame, comme pour en évaluer le tranchant.
Philippe trembla et une sorte de spasme lui agita le visage.
— Elle voulait… avoir une entrevue avec vous. Et moi, je désirais voir Angélique une dernière
fois avant de rentrer en France.
— Qu’a-t-elle dit sur ma femme ou moi ?
— Elle témoigne beaucoup d’intérêt pour vous, milord.
— Pourquoi ?
— Je pense qu’elle ressent une grande affection à votre égard. Peut-être vous aime-t-elle, même si
elle n’en a rien dit.
Rebbie renifla avec mépris et Lachlan se retint de l’imiter.
Eleanor ne reconnaîtrait pas l’amour s’il venait à voleter juste sous son nez. Se compromettre avec
elle avait été l’une des plus graves erreurs de sa vie.
— Que vous a-t-elle demandé de faire ici ?
Philippe se racla la gorge, regarda les trois robustes Highlanders puis l’épée du laird.
— Si vous nous avouez toute la vérité, il ne vous sera fait aucun mal, promit Lachlan.
Le souffle de Philippe était court et bruyant.
— Eleanor voulait que je… détourne Angélique de vous.
— Je vois, répondit Lachlan qui savait que son ancienne conquête pouvait être diabolique et rusée.
Pensez-vous qu’Eleanor soit retournée à Londres une fois partie du manoir ?
— Je l’ignore… Mais je devais la retrouver à l’auberge de Breakstane, au village, si nous étions
séparés.
— Connaissez-vous le baron Kormad ?
— Je l’ai croisé, mais je ne lui ai jamais parlé.
— Et un comte français du nom de Girard ?
— Je ne l’ai jamais rencontré. Je sais seulement qu’il a demandé la main d’Angélique mais qu’elle
a mis un terme à leur relation.
Lachlan laissa peser son regard malveillant sur le jeune homme prostré devant lui, espérant
l’effrayer pour de bon.
— J’accepterai de vous laisser partir si vous promettez de ne plus jamais remettre les pieds à
Draughon et de ne plus jamais vous approcher de lady Angélique. Elle est ma femme et le restera. Je
vous conseille de rentrer en France et d’y demeurer.
— Oui, milord, je le ferai. Merci.
Toujours agenouillé, Philippe s’inclina et toucha presque le sol du front.
Lachlan et ses amis sortirent de la cellule. Près des escaliers des geôles, le laird s’adressa au
garde à voix basse.
— Relâchez-le mais que deux hommes le suivent discrètement. Voyez s’il va rejoindre une
comtesse nommée Eleanor Stanhope à l’auberge de Breakstane. Dans ce cas, qu’ils découvrent ce qui
se trame. Qu’on vienne me faire un rapport ce soir.

— Où étiez-vous ? demanda Angélique quand son mari revint dans sa chambre quelques minutes
plus tard.
Il s’arrêta et la contempla dans la grande bassine de bois. Le feu brillait sur sa peau d’ivoire
mouillée. Les pointes dressées de ses seins affleuraient. Cette vision lui coupa le souffle et provoqua
aussitôt une érection.
— Nos derniers invités sont partis.
Lachlan se déshabilla rapidement et jeta ses vêtements en tas sur le sol.
— Comment ? Je n’ai même pas pu leur dire « au revoir ».
Angélique parlait certes des hôtes, mais son regard était concentré, avec appétit, sur les parties les
plus intimes du corps du Highlander.
— Je leur ai transmis vos remerciements et votre gratitude.
Il s’agenouilla près de la baignoire et regarda la jeune femme. Elle avait les joues rosées, peut-être
par l’eau chaude ou par le désir. Des mèches humides frôlaient sa nuque, et il aurait voulu faire de
même de ses lèvres.
— Êtes-vous dans l’eau depuis longtemps ?
— Pas trop.
— Pensez-vous qu’il y aurait la place pour moi ?
— Peut-être.
Avec un sourire timide, elle recula, sortit le haut du corps du bain et releva les genoux. Il constata
avec bonheur qu’elle n’hésitait plus à lui laisser voir sa poitrine.
Il pénétra dans l’eau et s’assit.
— Ahhh, délicieux et bien chaud.
— Oui.
— Venez. Asseyez-vous entre mes jambes.
Même dans la pénombre, il était évident qu’elle avait rougi.
— Je vous jure que vous ne risquez rien. Je me retiendrai de vous faire l’amour pour le moment…
si j’y arrive.
Il lui adressa un clin d’œil et un sourire rusé.
Elle rit. Si Lachlan aimait un son, c’était bien celui-là, car il signifiait qu’Angélique était heureuse.
— Nous parlerons d’autres sujets pour ne pas trop y penser.
Un coup résonna à la porte.
— Votre repas, milaird, dit une servante.
Le Highlander saisit la chemise de son épouse sur une chaise et lui couvrit la poitrine avec.
— Entrez.
La jeune femme laissa échapper un hoquet de surprise et rougit.
— Pourquoi avez-vous… ?
— J’ai faim, pas vous ?
La porte s’ouvrit et une domestique entra avec un plateau de nourriture et de boissons.
— Veuillez le déposer ici, dit Lachlan en indiquant une chaise près de lui où elle installa le repas.
Merci.
— Milaird, milady.
La bonne s’inclina et partit.
— Mère de Dieu, je suis mortifiée, souffla Angélique.
— Pourquoi ? demanda-t-il en rompant un morceau de pain qu’il avala.
— Nous sommes nus… ensemble… dans le bain.
— Vous étiez couverte. Les servantes vous assistent constamment pour le bain et l’habillage. Et
elle ne pouvait voir sous la surface de l’eau avec tout ce savon. De plus, vous êtes sublime nue, vous
ne devriez pas avoir honte.
Elle soupira.
— Vous êtes un idiot.
Il rit et lui tendit un bout de pain.
— Si vous vous approchez, je vous nourrirai bien.
— Je pensais que nous prenions un bain. Est-ce devenu un repas, maintenant ?
— Certes. Nous pouvons faire les deux à la fois. Cela nous laisse plus de temps pour… d’autres
activités.

Une demi-heure plus tard, l’eau commença à refroidir. Lachlan et Angélique s’étaient nettoyés, et
s’étaient lavé les cheveux l’un l’autre en partageant bouchées savoureuses et gorgées de vin.
Angélique trouva tout cela d’une intimité presque choquante, mais elle s’amusa comme jamais depuis
des années. Lachlan n’avait fait aucune tentative d’accouplement, peut-être avait-il eu son compte de
plaisirs charnels, du moins pour le moment… bien qu’il ait affiché une érection pendant la moitié du
temps. Cette intimité avec un homme était nouvelle pour elle et elle ne savait pas définir ses
sentiments à cet égard. Elle craignait de se laisser gagner par son envoûtement de séducteur avec
beaucoup trop de plaisir.
— Faisons un jeu de hasard, le jeu du risque, qu’en dites-vous ? demanda Lachlan en sortant du
bain.
Des gouttelettes perlaient sur les muscles bien dessinés de ses épaules et de sa poitrine. Il passa
lentement une serviette sur le corps nu de sa femme et elle sentit de délicieuses sensations lui
parcourir la peau.
— Je ne sais pas y jouer. Ma mère ne m’a jamais permis de me perdre en jeux d’argent.
Elle frissonna sous un courant d’air et prit une chemise sur le bord du matelas.
Lachlan lui arracha le vêtement et le jeta.
— Dans ce cas, je vais vous corrompre, dit-il avec un clin d’œil. Allons, au lit.
— Cette chemise était propre !
— Vous n’en avez pas besoin.
Elle grommela mais monta sur la couche. Que préparait-il ? Elle ne voulait pas rester nue des
heures entières. L’activité qu’il envisageait semblait plus adaptée à une maîtresse qu’à une épouse.
Elle se demanda alors si elle pouvait être les deux pour lui. Quelle idée stupide mais excitante…
Il se sécha, prit quelque chose dans son sporran puis rejoignit Angélique, s’appuyant contre les
coussins, le drap autour des hanches. Le sentir nu, près d’elle, dans le lit éveilla chez Angélique de
nouvelles envies, plus intenses. Sa cuisse musclée frôlait la sienne et lui rappelait l’instant érotique
où ses jambes s’étaient glissées entre les siennes. Trois bougies allumées sur la table de chevet
faisaient briller quelques gouttelettes oubliées sur sa poitrine. Angélique retint l’envie insensée de
les lécher, puis de laisser courir ses lèvres sur le torse de Lachlan, embrassant chaque parcelle de sa
peau.
Il secoua la main et de petits claquements retentirent.
— Vous n’avez jamais joué au jeu du risque ?
— Non.
— C’est simple. Celui qui perd son lancer de dés doit embrasser l’autre où il le désire. Nous
jouerons tour à tour.
— Que voulez-vous dire… embrasser… n’importe où ?
Avait-il lu dans son esprit ?
— Certes.
— Ma foi ! Vous êtes plein de malice !
Il la couva d’un regard sensuel à l’extrême.
— Et cela vous plaît.
En effet, mais elle refusait de l’admettre. Elle espéra qu’il ne voyait pas ses joues rougir de fièvre.
— Vous y avez déjà joué.
— Pas avec le même enjeu. D’ordinaire, je parie de l’argent ou des armes. Voici les règles entre
nous. Vous choisissez un nombre entre cinq et neuf, et lancez les dés. Si le résultat choisi est atteint,
vous gagnez. Sinon, les règles s’appliquent à tous les autres nombres. Les dames d’abord.
Il lui remit les dés au creux de la main.
— Comment savoir si vous ne mentez pas sur les règles ?
— Vous pensez que je pourrais mentir ? Que vous soyez gagnante ou non, je prendrai plaisir aux
conséquences !
Elle cacha son sourire mutin et secoua les dés comme il l’avait fait.
— Je choisis le chiffre sept.
Les dés roulèrent et formèrent un onze.
— Parbleu.
— Vous avez gagné, déclara-t-il.
— Comment ? Vous inventez. Vous avez dit que je gagnais si j’obtenais le résultat choisi.
— Pourquoi tricher si cela vous permet de gagner ? Ce sont les règles. Demandez à Rebbie et Dirk
si vous ne me croyez pas… mais plus tard. Pas maintenant. Où voulez-vous votre baiser ?
Par tous les saints ! Cet homme était peut-être idiot, mais un baiser de sa part la tentait.
— Vous embrasserez mon cou.
— Le cou ? Est-ce tout ?
— Oui. Quel est le problème ?
— Rien. Mais je pensais que vous seriez moins sage… avec un gage plus risqué.
Il se pencha vers elle. Elle inclina la tête en arrière et il pressa les lèvres contre sa gorge. Il
mordilla et chatouilla, lui donnant des frissons. La jeune femme roula de côté en riant. Il sourit.
— À mon tour. Huit.
Il agita les dés.
— Cinq, annonça-t-il.
— Vous avez perdu.
— Non, je peux les relancer.
— Cette fois, je jure que vous inventez !
— Je joue à ce jeu depuis l’âge de neuf ans, je connais les règles.
Il jeta les dés et fit un huit.
— Enfer !
— Mais vous avez gagné. C’est le nombre que vous aviez choisi.
— Certes, mais si l’on obtient son pari lors de la seconde chance, ce n’est pas valable. Vous l’avez
encore emporté.
Elle sourit et désigna son épaule. Il lui lança un regard envoûtant et l’embrassa doucement, puis il
passa la langue sur sa peau.
Elle frissonna et se dégagea pour qu’il ne la séduise pas encore, sans effort. Ses seins dressés se
languissaient du contact de sa bouche. Elle sentit l’excitation s’emparer de son bas-ventre.
Les yeux de Lachlan brillaient d’un charme diabolique et il plaça les dés dans la main
d’Angélique.
— Cinq.
Elle les fit rouler et le Highlander sourit en découvrant un trois.
— Perdu.
— Ne puis-je pas rejouer ?
— Non. Le trois est toujours éliminatoire.
— Je compte vraiment vérifier auprès de quelqu’un ces règles que vous inventez.
Il hocha la tête.
— Vous devriez, en effet. Mais pour le moment, je veux mon baiser, déclara-t-il en désignant ses
lèvres.
La jeune femme se pencha pour lui déposer un baiser furtif sur la bouche.
— Trop rapide. Cela ne compte pas.
— Si, bien sûr.
— Les baisers doivent durer au moins le temps de compter jusqu’à cinq.
— Vous inventez encore des règles ?
— Lâche, murmura-t-il avec un air de défi.
Elle se pencha avec réticence et lui donna un plus long baiser sur les lèvres. Après tout, elle devait
prouver son courage. Sa bouche ferme et douce remua contre la sienne. Elle accueillit son souffle
chaud et son désir s’enflamma. Elle voulut le consumer et passa la langue entre ses lèvres.
— Mmm.
Il laissa échapper ce léger gémissement mais ne bougea pas et laissa son regard, assombri par ses
cils baissés, pénétrer l’âme de la jeune femme. Elle se força à s’écarter. Mère de Dieu, elle était trop
sensible à son charme.
— Beaucoup mieux, ronronna-t-il.
Elle perdit le tour suivant avec un deux. Il désigna son torse, et elle l’embrassa en prenant le temps
de passer lentement les lèvres sur ses muscles tendus et ses quelques boucles, comme elle avait
imaginé le faire précédemment. Ses tétons étaient très érotiques. Elle les effleura de sa langue tandis
qu’il émettait une respiration sifflante.
Il choisit ensuite le sept et gagna. Avec un sourire rusé, il posa le doigt juste sous son nombril. Le
drap couvrait toujours son érection.
Par tous les saints, il ne pouvait pas sérieusement penser…
— Vous n’êtes qu’une bête, déclara-t-elle en français.
— Certes.
Il s’allongea sur les coussins et elle se pencha pour embrasser le coin de peau aux muscles raidis.
Quelques boucles couraient sur son bas-ventre mince et lui chatouillèrent la bouche de façon
délicieuse. Elle fit aller et venir ses lèvres et se rapprocha pour s’enivrer de son parfum viril si
tentant, tout comme l’était la perspective de passer la nuit à l’embrasser partout où il demanderait.
— Mmm.
Elle se rassit et il lui confia les dés.
— Je vous déconseille de perdre, milady, car j’ai déjà dressé une sentence impressionnante.
« Dressé » ? « Impressionnante » ? Ses joues s’enflammèrent.
— Je sais à quoi vous pensez.
Il leva un sourcil.
— Oh, vraiment ?
— Six, annonça-t-elle en hochant la tête avant de faire rouler les dés.
Un onze apparut et il siffla avec un sourire coquin.
— Perdu.
— Sacrebleu !
Il gloussa et s’étendit de nouveau contre les coussins, les mains croisées derrière la tête.
— Si vous savez déjà à quoi je pensais, embrassez-moi. Si vous avez vu juste, je vous accorderai
trois victoires en prime. Mais si vous vous trompez, je vous mordrai l’arrière-train, et cela fera mal !
Elle ne put retenir un éclat de rire.
— C’est ridicule, vous êtes fou.
— Certes, mais vous savez que j’excelle au jeu. Je suis même prêt à inscrire la bonne réponse si
vous m’apportez cette plume et du papier.
— Je n’irai pas là-bas nue.
Elle était entièrement enveloppée d’un drap et ne comptait pas abandonner cette défense.
— Alors j’irai.
Il se leva, affichant son érection, et traversa la pièce. Par le ciel, il n’avait donc aucune pudeur ?
La jeune femme observa ses épaules larges et ses muscles puissants, et soupira avant de pouvoir
s’arrêter. Elle n’aurait jamais pensé un jour prendre plaisir à regarder un homme nu.
Devant le bureau, il se pencha pour écrire, offrant le spectacle intrigant de son fessier mince.
— Veillez à ce que je puisse identifier le mot.
— Vous le connaissez.
Lorsqu’il se retourna et revint vers elle, son érection avait augmenté et elle se força à détourner les
yeux.
Il se rallongea et se couvrit, mais le relief des draps trahissait son excitation.
— Vous aimez parier, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en espérant le distraire.
— Certes, car je gagne souvent, déclara-t-il d’un air satisfait. Et maintenant, madame, mon baiser.
Elle n’avait plus peur de lui mais ne se sentait pas encore totalement à l’aise. Il avait probablement
écrit quelque terme décrivant son membre viril et l’embrasser à cet endroit serait scandaleux. Mais…
cela l’intriguait. Elle avait entendu des femmes murmurer sur cette pratique, en France, et expliquer
que les hommes adoraient une telle attention. Sans doute était-ce comme la nuit précédente où il lui
avait donné du plaisir avec sa bouche.
Une lueur de défi passa dans son regard et son sourire. Elle savait qu’il ne l’en croyait pas
capable. Il pensait qu’elle avait peur.

Elle se dressa au-dessus de lui, retira le drap et révéla sa virilité triomphante. Ma foi ! Une
chaleur intense s’empara d’elle tandis qu’elle l’observait. Elle se pencha, et respira son parfum viril
et hypnotique. Elle embrassa son sexe une fois… puis deux. Sa peau était chaude, douce comme la
soie et sa chair dure comme la pierre. Elle passa le bout de la langue comme pour tester sa saveur.
Lachlan se raidit et grogna.
Elle se redressa et le regarda, droit dans ses yeux presque clos par le désir.
— Mm, soupira-t-il en laissant couler quelques mots en gaélique. Vraiment, vraiment délicieux, je
vous remercie.
Il respira profondément à deux reprises comme pour se calmer.
— Y aurait-il une chance que vous recommenciez ?
— Non, certainement pas !
Du moins pas tout de suite. Même si elle le désirait, elle ne se plierait pas à ses moindres envies
charnelles. Il risquerait de croire qu’il avait le pouvoir.
— Dommage.
Il se redressa soudain et renversa la jeune femme contre le matelas.
— Parce que vous avez encore perdu !
— Comment ? Mais c’est à cela que vous songiez. Vous vouliez que j’embrasse votre sexe.
Un grondement bref envoya son souffle lui chatouiller l’oreille.
— Je le désirais certes ardemment, mais ce n’est pas ce que j’ai écrit.
— Vous vous êtes joué de moi, rustre !
Elle se débattit pour se défaire de son étreinte ferme. Il laissa échapper un rire rusé.
— Je vous l’ai dit, je suis doué au jeu.
— Donnez-moi ce papier que je lise.
— Vous pensez encore que je mens ?
— Oui !
— Très bien.
Il se leva, prit la feuille sur le bureau et la lui remit.
— Le coude ? lut-elle. Pourquoi voudriez-vous que je vous embrasse le coude ?
— Mes coudes aiment bien cela, déclara-t-il avec un sourire.
— Quel tricheur !
Quelle audace et quelle bêtise de sa part de l’avoir embrassé de cette façon indécente. Elle ne s’en
remettrait jamais.
— J’ai joué le jeu. Maintenant, j’ai le droit de mordre votre joli derrière tout rond.
— Non, vous allez me faire mal.
— Vous avez accepté le pari.
— Si vous me faites mal, j’aurai le droit de vous mordre trois fois, aussi fort que je veux, où je le
veux. D’accord ?
— Diantre ! Vous apprenez vite, je suis fier de vous. Très bien, vous pourrez me mordre où vous
voulez… Mais si vous choisissez mon sexe, vous devrez être très douce.
— Très bien.
Par tous les saints, elle ne pouvait tout de même pas le mordre à un tel endroit, si ?
— D’accord, fit-il en clignant de l’œil.
— Écrivez-le et signez.
— Je ne comprends pas pourquoi vous refusez toujours de me faire confiance.
Il se rendit vers le secrétaire et nota rapidement le contrat. Enveloppée du drap, elle le suivit et
vérifia le papier.
— Maintenant, penchez-vous, dit-il avec un sourire de loup affamé.
Elle courut sur le lit et s’étendit prestement. Il s’allongea à demi sur elle, la fit pivoter et retira le
drap qui couvrait ses fesses.
— Mmm, je vais me régaler.
Il déposa d’abord un baiser, glissa ses dents sur sa peau, puis les pressa doucement contre sa chair.
Ce n’était pas une vraie morsure, et la jeune femme n’avait nullement souffert. Il fit de même sur
l’autre côté. Elle sentit sa barbe de trois jours la chatouiller et rit.
— Vous n’avez droit qu’à une morsure, monsieur.
— Je n’ai pas encore mordu.
— Si, et vous m’avez fait mal.
— Menteuse ! Cela fait-il mal ? demanda-t-il en lui léchant la peau.
— Non.
Par le ciel, sa langue était merveilleusement habile. Le désir se fit douloureux entre ses cuisses.
— Et ceci ?
Il l’embrassa plusieurs fois.
— Non.
Une sensation d’excitation traversa son entrejambe et elle eut envie du sexe dressé du Highlander,
en elle.
Derrière elle, Lachlan lui écarta les jambes et se faufila entre elles. Jouer avec Angélique était
plus amusant qu’avec toutes ses maîtresses précédentes. La jolie chatte sauvage avait rentré ses
griffes et s’était transformée en chaton ronronnant qui réclamait ses caresses.
Lorsqu’il ouvrit ses jambes, elle cambra le dos. Quelle invitation… Il posa une main sous son
ventre et la releva, écarta les lèvres de son sexe et passa la langue au milieu. Son excitation
intensifiait la sienne. Il lécha son point le plus sensible et elle retint une exclamation.
Elle se cambra plus encore et se plaqua contre lui comme pour en demander davantage. Il continua
ses attentions jusqu’à ce qu’elle gémisse et pousse de petits cris.
Il se mit à genoux et passa son sexe entre ses replis délicats comme des pétales de rose. Il la
pénétra à peine et la chaleur de la jeune femme l’enveloppa comme une douce souffrance. Conscient
qu’elle pouvait être sensible, il refréna ses mouvements.
— Mmm…
À chaque coup de hanches, il s’introduisait davantage.
— Lachlan ! cria-t-elle.
— Oh, Angélique. Vous aimez cela ?
— Oui.
Toujours en elle, il faufila les bras sous sa poitrine et se coucha de côté, l’entraînant avec lui. Il
pressa le dos de la jeune femme contre son torse, et lui mordilla l’oreille en la réchauffant de son
souffle. Elle alternait de délicieux gémissements et quelques mots soupirés en français. Le simple fait
de l’écouter lui donnait envie de la posséder plus profondément, mais il devait se retenir.
Il fit glisser sa main sur ses seins vers son entrejambe et lui releva la jambe.
Il continua son déhanchement en lui effleurant l’oreille de ses lèvres et en passant la main sur sa
peau en une caresse circulaire. Totalement abandonnée, elle cria et repoussa les hanches contre lui,
au rythme de ses reins. Enfer, elle lui enflammait le corps et lui donnait envie d’une étreinte plus
sauvage.
— Lachlan ! hurla-t-elle, au comble du plaisir.
Il avait tellement rêvé d’entendre cela un jour !
— Oh, vous êtes si belle.
Il la serra contre lui pendant l’orgasme.
Il grogna en savourant la caresse de son corps contre le sien tandis qu’il jouissait en elle. Il
recouvra son souffle après de longues secondes et lui embrassa le cou en prenant conscience que
chaque étreinte était meilleure que la précédente. Comment était-ce possible ? D’ordinaire, il se
lassait d’une femme après quelques nuits, mais avec Angélique, il se sentait plus intrigué, plus
emprisonné par son charme magique chaque fois.
Il la tourna vers lui. Il posa les lèvres sur son front et l’attira contre lui. Ils restèrent ainsi à se
reposer devant le feu et il perdit la notion du temps. Il savait seulement qu’il était heureux, comblé,
chez lui.
Quelqu’un frappa à la porte et le tira de sa rêverie.
— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Angélique, en français, la voix ensommeillée.
— Je vais aller voir.
Il se leva et la couvrit d’un drap.
Il enfila une chemise puis entrouvrit la porte.
— Milaird, laird Rebbinglen voudrait s’entretenir avec vous, annonça l’un des gardes du corps
personnels de la jeune femme.
— J’arrive, répondit-il avant de refermer.
Il revint vers le lit, embrassa son épouse sur la joue et prit son tartan.
— Rebbie veut me parler. Je reviens vite.
— Il est tard.
— Certes.
Elle ne dit rien pendant qu’il s’habillait.
— Puis-je dormir ici ce soir ? demanda-t-il en observant sa réaction.
— Oui, souffla-t-elle d’un air vulnérable.
Un frisson presque douloureux passa dans la poitrine de Lachlan.
— Ce sera un plaisir.
Il prit le temps de déposer un long baiser sur ses lèvres.
Il ne voulait pas quitter la jeune femme, mais il devait voir Rebbie. Son ami ne les aurait pas
interrompus si ce n’était pas important.
Il le trouva dans la grande salle avec Dirk et l’un des soldats qui avaient suivi Philippe.
— Venez.
Il les conduisit dans l’étude et ferma la porte.
— Quelles sont les nouvelles ?
Le garde prit la parole en premier.
— Milaird, le jeune Français est effectivement allé à l’auberge pour rencontrer une lady richement
vêtue. Nous nous sommes assis non loin, mais nous n’avons rien pu entendre. Ils ont chuchoté et ont
bu du vin, puis ils se sont retirés pour la nuit dans des chambres séparées.
— Maintenant, venez-en à la partie intéressante, encouragea Rebbie.
— Nous sommes restés dans la salle commune pour voir si l’un d’eux repartait, mais nous ne les
avons pas revus. En revanche, un autre homme est arrivé. Un homme avec un seul bras, lui aussi
français, d’après son accent. Il était mieux habillé que l’autre, et l’aubergiste le choyait et s’inclinait
sans cesse. Ce devait être un noble.
— Avez-vous découvert son nom ? interrogea Lachlan en retenant presque son souffle.
— Non, nous n’avons entendu mentionner que son titre, comte.
— Par tous les diables, c’est Girard, j’en suis certain ! s’exclama Lachlan.
La terreur d’Angélique lui revint à l’esprit. Il ne pouvait qu’imaginer la souffrance qu’elle avait
endurée sous les mains et le corps de ce bâtard lorsqu’il l’avait forcée. Le Highlander était prêt à
castrer ce fils de catin.
— Notre priorité est de protéger Angélique. Je crains qu’il ne cherche à l’assassiner ou à
l’enlever. Pourquoi serait-il ici, sinon ?
Rebbie et Dirk hochèrent la tête.
— Autre chose ? demanda-t-il au garde.
— Non.
— Merci, excellent travail. Je vous verrai demain.
Une fois le soldat parti, Lachlan s’adressa à ses amis à voix basse.
— Vous ne devez répéter ceci à personne, jamais, mais je vais vous confier pourquoi Girard est si
dangereux pour Angélique. Jurez-vous de garder le secret ?
— Oui.
Les deux hommes attendirent, l’air inquiets. Lachlan haïssait de devoir simplement prononcer ces
mots…
— Girard l’a violée.
— Non… Le bâtard, gronda Rebbie.
L’expression de Dirk revêtit brusquement une froideur meurtrière.
— Oui, et j’espère qu’il me donnera une raison de le tuer sans hésiter, reprit Lachlan.
Ses compagnons comprenaient ce qu’il voulait dire. Il n’avait jamais occis un homme de sang-
froid et ne le pourrait jamais, mais sa rage était intense et il avait soif de justice.
— Si Girard essaie d’approcher Angélique, je prendrai cela comme une autorisation à le tuer. Je
protège ce qui est mien. Il ne posera plus jamais un seul doigt sur elle. Avant l’aube, nous partirons
pour l’auberge.
Chapitre 13

Quelqu’un toqua légèrement à la porte de la chambre d’Angélique. Elle crut d’abord que Lachlan
revenait, mais il n’aurait pas frappé.
— Qui est-ce ?
— C’est moi, répondit Camille en passant la tête.
— Entre.
Angélique s’assit sur le lit en se couvrant la poitrine des draps et couvertures.
Sa confidente referma la porte brusquement.
— Eh bien, je vois que vous avez grandement consommé votre union. Est-il bon amant ?
Angélique sentit ses joues s’enflammer.
— Ne pose pas de telles questions.
Elle ne pouvait pas parler des instants intenses qu’elle partageait avec Lachlan. Il n’y avait pas de
mots, en français ni en anglais, pour décrire fidèlement les sensations étonnantes et les sentiments
qu’il éveillait en elle. Ils étaient trop complexes, indécents et divins à la fois. Ce qui aurait dû la
révulser était devenu incroyable et délicieux.
— Je l’avais deviné à ses mouvements… et à sa manière de vous regarder.
Angélique aurait voulu demander comment il la regardait exactement, mais elle le savait déjà :
avec un intérêt profond et sensuel. Ses yeux trahissaient clairement ses désirs charnels. Elle
frissonna.
Camille s’assit près du feu, remua les braises et ajouta du bois.
— Il semble également bon et juste.
— J’imagine.
Angélique repensa à leur jeu et à la manière dont il l’avait manipulée pour obtenir ce qu’il
voulait… et la satisfaire aussi, étant donné le plaisir qu’elle avait reçu.
— Pas seulement juste, je dirais même bienveillant, reprit Camille. J’avais vraiment craint qu’il ne
tue Philippe dans les geôles, mais il l’a libéré.
Angélique fut saisie par la nouvelle.
— Pourquoi Philippe était-il dans les geôles ?
— Oh, vous ne saviez pas ? Il l’a fait enfermer brièvement et est allé le trouver… sans doute pour
l’interroger. Puis il l’a laissé partir, libre comme l’air. Peu d’hommes seraient aussi magnanimes
avec un rival ayant cherché à éloigner leur femme en suggérant qu’elle divorce.
— Sacrebleu ! Quand l’a-t-il arrêté ? J’ai vu Philippe s’en aller et passer les portes.
— Après votre dispute, tout en course et hurlements. Vous parlez d’une scène de ménage ! gloussa
Camille.
— Dis-moi ce que tu sais, je t’en prie.
— Lachlan a envoyé un homme rattraper Philippe. Vous deviez être ici, en sa séduisante
compagnie, pendant ce temps.
— Le bâtard ! s’écria-t-elle en se rapprochant du bord du lit. Il me manipule !
— Mais je vous ai dit qu’il avait été clément avec Philippe. Il ne lui a fait aucun mal.
— Il m’a caché la vérité !
Angélique enfila sa chemise et sa robe.
— Il avait promis de m’informer de tout.
Pire que tout, il avait jeté son ami en prison.
— Si j’avais su que vous réagiriez ainsi, je ne vous aurais rien dit, se plaignit Camille.
— Comment ? Tu es ma cousine. Je croyais que tu étais mon amie.
— Certes, mais vous ne pouvez reprocher à Lachlan d’avoir voulu vous protéger. Il est le meilleur
mari que vous auriez pu trouver.
— Tu es aussi stupide que lui, marmonna la jeune femme, bien qu’elle ne puisse s’imaginer mariée
à un autre.
— Ce n’est pas ma faute si vous refusez de voir la vérité. Il donnerait sa vie pour vous. Si Girard
revient, ce sera une chance de l’avoir comme protecteur.
C’était sans doute vrai. Angélique lui faisait confiance pour la protéger, comme toujours, mais…
— Je tuerai Girard moi-même.
— Comme la dernière fois ? demanda Camille d’un ton sarcastique.
— Je saurai mieux viser à l’avenir. Tu dois rester à mes côtés, Camille. Nous nous protégeons
l’une l’autre, tu n’as pas oublié ?
Elle s’assit sur le sofa, près de sa cousine.
— Oui, je serai toujours avec vous, mon amie.
— Mais Lachlan… Je dois régler cette affaire avec lui.

Angélique sentit un frisson l’envahir quand Lachlan revint une heure plus tard. Il entra et retira ses
bottes.
— Je pensais que vous dormiriez, dit-il.
— Non.
Elle était assise près de la cheminée et contemplait les flammes.
— J’attendais votre retour.
— Dans ce cas, vous auriez dû m’attendre au lit, nue, répondit-il d’un air provocateur.
Elle ne le regarda pas car elle savait qu’elle lirait une expression séductrice sur son visage. Peut-
être même ajouterait-il un sourire charmeur ou un clin d’œil. Elle devait rester concentrée sur sa
colère.
— Vous deviez m’informer de toutes les décisions concernant le clan et moi.
— Que voulez-vous dire ?
— Vous avez emprisonné Philippe sans me prévenir.
Elle n’aimait pas le jeune Français, mais il était innocent. Elle ressentait souvent l’envie de le
protéger. C’était son ami depuis une époque où elle n’en avait guère.
Lachlan soupira et se laissa tomber sur une chaise devant elle.
— Je n’avais pas le temps de vous consulter. J’ai dû me décider vite. Il me fallait découvrir ce
qu’il savait.
— Vous ne m’avez rien dit parce que vous vouliez que je sois docile au lit, répliqua-t-elle avec un
regard sévère qu’il lui rendit.
— Je ne vous ai pas forcée. C’était votre choix. Vous m’avez demandé de le faire, parce que vous
aviez envie de moi. Je ne suis pas homme à refuser l’invitation de sa belle et désirable épouse.
Ainsi, il cherchait à la distraire avec ses compliments ?
— Si j’avais su que vous aviez jeté Philippe dans ces détestables cachots, je n’aurais même pas
voulu rester dans la même pièce que vous.
Lachlan plissa les yeux.
— Voulez-vous savoir ce que votre très cher Philippe m’a avoué ?
— Comment ? L’avez-vous torturé pour lui soutirer des informations ?
— Non, je ne torture pas. Il conspire avec Eleanor pour nous séparer.
— Eleanor ? Il ne ferait pas cela. Il ne la connaît pas assez.
— Apparemment, Eleanor et lui se sont liés rapidement. Ils ont fait le voyage de Londres
ensemble.
— Vraiment ?
Dans ce cas, Philippe n’était plus son ami. Quiconque se compromettait avec Eleanor ne méritait
pas qu’elle le défende.
— Certes, mais ce n’est pas le pire. J’ai des raisons de croire que Girard réside à l’auberge du
village.
Un frisson glacé s’empara de la jeune femme.
— Non… Girard ?
— L’on m’a dit qu’un comte français s’y trouvait. Il est comme vous l’avez décrit, grand et fin, les
cheveux noirs. Il n’a qu’un bras. Cela lui ressemble-t-il ?
— Un bras ? Mère de Dieu !
Son souffle se fit court et fébrile. L’heure était venue. Il allait la tuer. Il aspirait à se venger.
— Angélique ? Qu’y a-t-il ? Comment a-t-il perdu son bras ?
Les larmes brûlèrent les yeux de la jeune femme. Elle avait la gorge nouée. Il lui semblait se
retrouver de nouveau sur ce pont, en France…
Lachlan vint s’asseoir près d’elle sur le sofa. Il l’attira contre lui et elle reposa la tête sur sa
poitrine. Il lui caressa les cheveux mais ne put l’apaiser. Non, car Girard ourdissait son assassinat.
— Dites-le-moi, Angélique. Je dois savoir pour protéger le clan et vous-même de cet homme. Que
va-t-il faire ?
— Il va me tuer… et Camille aussi.
— Pourquoi ?
— Par vengeance.
— Pourquoi voudrait-il se venger ? Je sais seulement que vous vouliez l’épouser et que vous étiez
amants. Il vous a trompée et vous l’avez rejeté. Alors il vous a forcée, c’est cela ?
— Oui. Mais ensuite, il m’a pris l’unique objet de valeur qui me restait de ma mère. Un gros
pendentif en diamant, taillé en briolette, appelé le « diamant de Boehm ». Elle me l’a confié sur son
lit de mort. Son amant le lui avait offert des années auparavant et avait même précisé dans son
testament que le bijou serait officiellement à elle après sa mort. Cet homme était l’oncle de Girard,
c’est pourquoi il prétendait que le diamant faisait partie de son héritage et que ma mère avait intrigué
pour le voler à son oncle. Girard n’est pas aussi riche qu’il s’en donne l’air, vous savez, il est très
endetté. Après m’avoir violée, il a arraché le pendentif de mon cou et s’est sauvé. Mais je ne pouvais
admettre qu’il garde la seule chose que ma mère possédait, la seule chose qu’elle m’ait laissée avec
sa robe de mariée. Alors Camille et moi lui avons repris le bijou.
— Par le ciel, vous êtes courageuse !
Lachlan l’entoura d’un bras et lui caressa la joue de l’autre main. Ce geste tendre la réconforta,
comme le regard sombre et inquiet de son époux.
— Nous devions faire vite avant qu’il le vende. Quelques nuits plus tard, nous nous sommes
déguisées et avons fouillé sa chambre, en vain. Nous nous sommes cachées pour attendre près de
chez lui. Girard et son ami Pierre ont fini par rentrer d’une soirée passée à s’enivrer. Camille et moi
étions toutes deux armées de pistolets chargés et de couteaux.
— Vous êtes toujours armée jusqu’aux dents, fit remarquer Lachlan d’un ton fier et sérieux.
— Seulement parce que je n’ai pas le choix.
La nausée la gagna au souvenir de cette nuit, si noire, si froide.
— Girard m’a fait tomber d’un coup de poing, il a découvert qui j’étais et a voulu me violer de
nouveau. Nous avons lutté et je lui ai tiré dessus. J’ai manqué le cœur, mais je l’ai touché au bras.
Son ami a poursuivi Camille, une épée à la main. Ils se sont battus et Pierre a chuté du pont. Il doit
s’être noyé. Nous n’avions pas l’intention de tuer qui que ce soit. J’ai repris le diamant que portait
Girard. Camille et moi avons fui et nous sommes restées quelque temps à Paris. Nous n’avions plus
entendu parler de Girard jusqu’à l’arrivée de ce cadeau, les fameuses coupes. Et maintenant, vous
m’apprenez qu’il n’a qu’un bras. Nul doute qu’il a dû être amputé à cause de la blessure par balle.
— J’ignorais que j’avais épousé un redoutable guerrier en jupons, fit remarquer Lachlan en
l’embrassant sur le front.
Ce geste tendre lui réchauffa le cœur. Elle se sentait plus en sécurité dans les bras du Highlander,
mais elle craignait que même lui ne puisse la sauver face à une telle menace.
— Il va chercher à venger la perte de son bras et la mort de Pierre, s’il n’a pas survécu. Girard
voudra aussi me reprendre le diamant.
— Où est ce bijou ? Je ne l’ai jamais vu.
— Je le garde bien dissimulé.
— Où ? demanda Lachlan. Maintenant, vous devez enfin me faire suffisamment confiance pour me
le montrer.
Bien qu’elle profite pleinement de la protection de ses bras, quelque chose en elle empêchait la
jeune femme de s’abandonner totalement.
— C’est vrai, je vous fais confiance mais vous devez comprendre… C’est difficile après tout ce
qui m’est arrivé. Pendant plus d’un an, j’ai dû constamment être aux aguets. Durant cette période,
Camille était la seule à qui je pouvais me fier.
— Je sais.
Lachlan lui embrassa la tempe et l’affection qu’il lui transmit la toucha profondément.
— Vous n’avez pas à me le montrer maintenant, reprit-il. Seulement quand vous serez prête. Y a-t-
il autre chose que je doive savoir sur Girard ?
— Il est élégant mais c’est une vipère au venin mortel. Il commettra les pires félonies un sourire
aux lèvres. Il peut avoir l’air chaleureux, amical, charmant, mais il a un cœur de glace. Je doute qu’il
ait une âme. Pourtant, j’ai ignoré longtemps sa véritable nature. Vous vous tiendrez à l’écart de lui,
n’est-ce pas ? Vous ne devez pas l’affronter directement.
Le regard de Lachlan s’illumina d’une flamme prédatrice, comme celui d’un lion.
— Vous l’avez affronté directement ; pourquoi ne le ferais-je pas ?
— Il est en colère et peut-être même désespéré. Il doit me tenir responsable pour tout ce qu’il a
perdu. Il pourrait bien être encore plus pauvre que l’année passée. Il n’abandonnera pas facilement.
— Moi non plus.

Kormad étudia l’homme grand et mince, manchot, qui traversait la grande salle de Burnglen. De
manière générale, il n’aimait pas les Français, mais celui-ci semblait pressé de le rencontrer, d’après
l’heure matinale. Il doutait qu’il vienne avec des hommes pour alimenter la petite armée que Kormad
avait réunie ces dernières années.
— Comte de Girard, à votre service, monsieur, annonça le Français en s’inclinant profondément.
— Baron Kormad.
Ce dernier était tenté de sourire face à la pose élégante de son visiteur, mais il s’avança et lui serra
la main. Au moins, la poignée de l’étranger était ferme. Peut-être pourrait-il se révéler un allié
puissant ?
— Que pouvons-nous faire l’un pour l’autre ?
— J’aime les hommes qui vont droit au but. J’ai cru comprendre que nous avions des ennemis
communs, Angélique Drummagan et ce MacGrath qu’elle a épousé.
— Qui vous envoie ? demanda Kormad.
Si c’était un tour que lui jouait le Highlander, il mettrait fin à la plaisanterie prestement et dans le
sang.
Girard leva un sourcil sombre d’un air résolument démoniaque.
— La comtesse de Wexbury m’a dit que vous consentiriez peut-être à m’aider.
— Eleanor Stanhope ?
Mmf. Cette prétentieuse l’avait toujours rejeté.
— Oui, apparemment, MacGrath était son amant et elle voudrait le récupérer. J’ai dû lui promettre
que nous ne lui ferions aucun mal.
Kormad n’accepterait jamais une promesse aussi stupide. MacGrath n’était qu’un débauché qui ne
méritait pas son titre de comte.
— Vous avez mon attention. Pourquoi MacGrath et sa nouvelle femme sont-ils vos ennemis ?
— Angélique m’a volé quelque chose. Et j’ai cru comprendre qu’ils s’étaient emparés de terres
qui vous reviennent de droit.
— Oui, en effet !
Une rage et une détermination nouvelles s’enflammèrent en lui. Il allait récupérer Draughon.
— Peut-être pourrions-nous collaborer ? suggéra Girard en caressant sa fine moustache noire.
— Comment cela ? Avez-vous des hommes à ajouter à mes combattants ?
— Non. Je n’ai qu’un serviteur qui n’est pas soldat. Je ne suggère pas de bataille mais quelque
chose d’infiniment plus subtil.
— C’est-à-dire ?
— Un subterfuge. Que quelqu’un s’introduise au château et les brise de l’intérieur.
— Certes, j’aime votre façon de penser. Mais qui ferait ceci ?
Une idée brillante lui vint soudain. L’une de ses lointaines cousines vivait dans les environs.
Neilina Lockhart était ravissante, et soutenait les exigences de Timmy et lui car elle partageait leur
haine pour le défunt John Drummagan. Neilina et sa sœur Lilas avaient été les meilleures amies du
monde.
Les portes de Burnglen s’ouvrirent à la volée et le tirèrent de ses pensées.
— Milaird, lança MacFie en se précipitant vers lui.
— Qu’y a-t-il ?
— MacGrath et ses guerriers sont partis à cheval vers le village.
— Eh bien, ne restez pas planté ainsi ! Préparez les hommes !

Protégés par des armures de cuir épais, Lachlan, Rebbie, Dirk et cinq membres du clan entrèrent
dans la salle commune de l’auberge de Breakstane. Le Highlander repéra aussitôt Eleanor qui
mangeait à une table près de la fenêtre. Elle lui adressa un sourire radieux et agita les doigts en un
salut mutin.
— Bigre, il n’est là que depuis cinq secondes et une femme l’invite déjà dans son lit, marmonna
Rebbie.
— Je vais l’interroger. Cherchez Girard.
Lachlan s’approcha de la table de la comtesse.
— Oh, Lachlan, qu’il est bon de vous voir.
La voix d’Eleanor était si sirupeuse qu’elle lui donna la nausée. La comtesse laissa son regard
glisser sur son corps.
— Vous semblez vêtu pour quelque sauvage bataille écossaise. C’est excitant.
— S’il le faut, j’en arriverai là.
— Accepteriez-vous de vous joindre à moi ? Oh, et félicitations pour votre mariage et votre
nouveau titre.
— Je vous remercie, dit-il en s’asseyant face à elle. L’on m’a rapporté que vous aviez fait le
voyage de Londres avec Philippe Descartes.
Elle se rembrunit.
— Eh bien… Pas exactement avec lui. Nous nous sommes trouvés à voyager vers la même
destination, mais pas pour les mêmes raisons.
— Êtes-vous sûre que vous n’aviez pas également le même but… Vous interposer entre Angélique
et moi ?
— Non. Jamais.
Sa moue était encore plus insupportable que son ton mielleux.
— Connaissez-vous un Français du nom de Girard ? demanda-t-il avec plus de rudesse.
Elle pâlit.
— Je ne dirais pas que je le connais. Je l’ai croisé.
— Ici ?
— Oui, en effet. Il était présent hier, mais je ne l’ai pas vu aujourd’hui.
— A-t-il mentionné Angélique ou moi ?
Eleanor hésita une seconde de trop.
— Non.
Ainsi, elle avait décidé de lui mentir…
— A-t-il dit pourquoi il était ici ?
— Je ne lui ai parlé qu’une minute. Nous nous sommes présentés. Nous n’avons pas discuté du
motif de notre venue.
— Et vous, pourquoi êtes-vous ici ? Pourquoi être venue à Draughon ?
— Je voulais simplement présenter mes félicitations à lady Angélique et vous. Je pensais que,
puisque nous sommes amies, je pourrais passer un peu de temps en Écosse, mais Angélique s’est
révélée beaucoup moins accueillante que je n’aurais cru.
Quel ramassis de billevesées…
— Pouvez-vous m’apprendre quelque chose sur Girard ? C’est très important.
— Je ne sais rien de plus.
— Je crois que si, répliqua-t-il avec un regard dur et menaçant.
— Je vous jure, Lachlan, reprit-elle d’un ton intime. Si je disposais d’informations, je vous les
donnerais avec joie.
Il perdait son temps avec elle et ses mensonges. Il ne se sentait pas capable de la faire avouer une
dague à la main. Mais ses manœuvres lui donnaient déjà des indications : Girard était ici, il avait
parlé d’Angélique avec Eleanor, et il devait avoir mis en place une nouvelle conspiration.
— Très bien, déclara Lachlan en se levant et en s’inclinant brièvement. Dans ce cas, je vous
souhaite une bonne journée.
— Attendez ! Peut-être aimeriez-vous… (elle baissa la voix en un murmure) un peu de compagnie
pour la journée ? J’ai la meilleure chambre de l’auberge. Cela reste modeste, mais…
— Non, merci.
Lachlan tourna les talons et alla rejoindre ses compagnons à une table de l’autre côté de la salle.
— J’ai parlé avec le propriétaire, chuchota Rebbie. Girard demeure ici, mais il est parti très tôt ce
matin. Il devrait revenir.
Lachlan eut l’impression qu’une masse d’acier lui tombait sur l’estomac.
— Il est peut-être en route pour Draughon pour trouver Angélique.
Dirk avala une longue gorgée de bière et reposa sa chope.
— Nous ne l’avons pas croisé sur le chemin.
— S’il allait au château, il aurait veillé à ce que nous ne le surprenions pas, fit remarquer Rebbie.
Peut-être qu’il a pris une autre route ou s’est caché en voyant notre groupe arriver.
— Il faut rentrer. Je vais laisser un garde surveiller l’auberge, décida Lachlan.
Un quart d’heure plus tard, en route pour Draughon, les hommes repérèrent une volée d’oiseaux qui
quittaient un buisson devant eux. Un éclat de métal brilla dans les ombres. Lachlan sentit ses cheveux
se dresser sur sa nuque. Il fit signe à ses compagnons d’arrêter.
— On nous attend là-bas, expliqua-t-il en désignant l’endroit.
Son escorte prit les armes et se tint prête.
— Kormad ! cria Lachlan. Je sais que vous êtes là !
Rien. Pas un mouvement.
Lachlan mit en joue.
— Si vous n’êtes pas là, alors je ne ferai aucun mal en tirant dans les buissons.
Avant qu’il presse la détente, un coup partit des fourrés et la balle siffla au-dessus de sa tête.
— Tout le monde recule !
Il ne voulait pas que ses soldats et leurs chevaux soient blessés. Ils se mirent hors de portée de tir.
— Quelqu’un est touché ?
Un chœur de « non » et quelques imprécations lui répondirent.
— Sortez et battez-vous comme des hommes, bande de lâches ! cria Lachlan.
Un froissement derrière lui attira son attention et il fit tourner sa monture, découvrant soudain cinq
attaquants à pied, qui chargeaient, épée à la main. Il fit feu et toucha un assaillant en haut du torse,
près de l’épaule. Il tomba. Lachlan remit son pistolet à sa ceinture et sortit à la place une épée large à
garde en panier, afin de dévier le premier coup porté. Le fils de catin qui l’avait frappé lui rappelait
quelque chose. Il l’avait déjà vu dans les rues de Londres quand des bandits avaient essayé de
s’emparer du carrosse d’Angélique.
L’air s’emplit d’éclats de métal et de jurons.
Enfin, Lachlan trancha l’avant-bras de son adversaire. L’homme hurla et s’enfuit. Un autre guerrier
en armure de cuir complète, y compris un heaume, se précipita. Lui aussi était reconnaissable… Le
bâtard chauve qui avait tenté de jeter Angélique par-dessus bord.

— Où est-il, Camille ? demanda Angélique en regardant par la fenêtre dépolie de la chambre de sa


suivante donnant sur la cour du château.
Elle priait pour voir Lachlan franchir les portes sur son imposant cheval bai.
— Il devrait être rentré, il est presque midi.
— Veuillez vous calmer et vous asseoir. C’est un guerrier, un chevalier. Il n’est pas aussi fragile
que vous l’imaginez.
Camille poursuivait ses travaux d’aiguilles sans effort.
— C’est un homme vulnérable comme tous les autres, déclara Angélique.
Elle traversa la pièce et se rassit.
— Girard est vil et pervers. Impossible de prédire ce qu’il va faire.
— Je crois que vous êtes tombée amoureuse de votre mari, la provoqua Camille sur un air de
chansonnette.
Angélique renifla avec mépris.
— Absurde. Le fait que je me préoccupe de sa santé ne veut pas dire que je l’aime.
Elle refusait de l’aimer. Cela aurait fait d’elle une imbécile.
— Oh, alors qu’est-ce que cela signifie ? interrogea Camille en la défiant de son regard bleu.
— Cela signifie que je me soucie de la santé de mon époux, rien de plus. J’ai besoin d’un mari et il
semble correspondre à ce que j’attends pour le moment.
— Oui, en effet. Je suis heureuse que vous en preniez enfin conscience.
— S’il mourait, je devrais trouver un autre époux, qui risquerait d’être encore pire.
Camille laissa échapper un rire sarcastique.
— Encore pire ? Vous vous êtes toujours menti à vous-même, ma chère cousine, depuis que nous
sommes enfants. Je ne crois pas que Lachlan ait le moindre défaut.
Angélique s’abstint de tout commentaire, mais c’était probablement vrai.
— Comment s’est passée la nuit dernière ? demanda sa confidente.
— Ne me provoque pas.
La nuit dernière… Angélique n’osait repenser à leurs étreintes, toujours aussi intenses et
passionnées. Le plaisir charnel que lui procurait Lachlan était indescriptible. Ensuite, il la tenait
contre lui pendant leur sommeil, dans sa chaleur protectrice et tendre. Comme cet aspect du mariage
était agréable ! Mais ce matin, il était déjà parti à son réveil. Comment osait-il partir sans un « au
revoir » pour une mission aussi capitale et aussi dangereuse ?
Des sabots claquèrent sur les pavés de la cour en contrebas. Angélique se précipita à la fenêtre
mais ne put reconnaître si le cavalier était Lachlan, faute de transparence.
— Ils sont de retour.
Elle sortit en toute hâte de la chambre, traversa la grande salle et arriva dans la cour. Rebbie
descendait de cheval, le bras et la main en sang. D’autres guerriers étaient également blessés et
Angélique sentit son cœur s’arrêter.
— Où est Lachlan ? s’enquit-elle, la gorge si sèche qu’elle ne put émettre qu’un murmure.
Elle regarda les hommes.
— Lachlan ?
Oh, mère de Dieu, faites qu’il soit en vie.
Elle le vit sortir des écuries et s’élança vers lui. Elle chercha fébrilement des traces de sang ou de
blessures sur son corps mais n’en vit pas.
— Lachlan, êtes-vous blessé ? Saignez-vous ?
— Non.
Il avait encore une expression intense de guerrier.
Angélique se jeta contre lui.
— Merci, mon Dieu !
Il la souleva dans ses bras pendant qu’elle embrassait son visage malgré sa barbe naissante, la
poussière et la sueur. Pourtant, elle apprécia de sentir sa peau sous ses lèvres.
— Je vais très bien, merci, déclara le Highlander avec un sourire.
Il se demanda ce qui arrivait à sa petite femme, mais il en profitait pleinement. Elle éveilla aussitôt
en lui des étincelles de désir… et de bonheur.
— Grâce au ciel, dit-elle en continuant à poser de petits baisers sur ses joues.
C’était inhabituel mais délicieux. Il tourna la tête et sourit en entendant les commentaires taquins
des hommes alentour. Il décida de profiter de cet instant en privé et porta la jeune femme vers les
marches de l’entrée. Les cris et les sifflements masculins s’accentuèrent. Il se sentit envahi de fierté à
l’idée qu’elle affiche ouvertement sa tendresse pour lui.
— Je suis si heureuse que vous soyez rentré, murmura-t-elle.
— Vous tremblez, mon ange.
Il traversa la grande salle et la porta vers l’étude. Il n’avait pas le temps de monter encore un
escalier pour atteindre la chambre.
— J’avais peur. Je ne voulais pas qu’il vous soit arrivé du mal.
Le cœur du Highlander s’emballa follement.
— Pourquoi ?
Il s’émerveilla de son corps léger entre ses bras et savoura son aveu, puis il ferma la porte.
— Vous êtes mon mari, dit-elle dans un souffle.
Son regard assombri soutint celui du Highlander, lui communiquant tant de choses… dont la peur et
le désir. Et d’autres choses encore, qu’il n’aurait jamais cru lire dans ses yeux. De la confiance et de
l’amour ? Ou était-il en train de rêver ?
— Certes, je suis votre époux, et je m’en réjouis.
Il la laissa reposer les pieds à terre.
Elle glissa un bras à son cou et attira son visage vers elle. Il dévora sa bouche pulpeuse, et sentit
une érection immédiate et spectaculaire. La main d’Angélique le caressa à travers la laine de son kilt.
Lachlan se rappela soudain l’embuscade.
— Je devrais aller me laver avant que…
Elle secoua la tête.
— Non ?
— Je vous veux, maintenant, chuchota-t-elle contre ses lèvres. Je veux que vous me fassiez
l’amour.
Le désir s’empara de lui, enveloppant son cœur d’un sentiment puissant et doux, le faisant battre
comme un tambour de guerre.
— Avec plaisir.
À cet instant, elle semblait l’accepter totalement, avec ses défauts et ses qualités.
Il la souleva contre une table au centre de la pièce, retira les armes à sa ceinture et releva ses
jupons sur ses cuisses fines. C’était la vision la plus féminine et la plus excitante qu’il connaisse.
— Allongez-vous, l’invita-t-il en écartant ses jambes.
Elle obéit et il se pencha pour se repaître d’elle. Elle gémit et poussa de petits cris tandis qu’il
passait sa langue profondément. Elle se cambra, bougea doucement, les mains accrochées dans les
cheveux de Lachlan.
Il ne pouvait plus attendre. Il se leva, souleva son kilt et caressa son intimité de son sexe.
— Mmm.
Il voulut la pénétrer doucement, mais il ne tint qu’un instant. Elle était prête pour lui. Son corps
caressait le sien de la manière la plus envoûtante qui soit, lui arrachant un plaisir profond… Non,
plus que du plaisir. Quelque chose de fort qu’il n’avait jamais connu. Quelque chose qui le faisait
frémir et faisait bouillir son sang. Il grogna, s’introduisant plus profondément, accentuant ses coups
de hanches en contemplant sa figure marquée par la passion, ses yeux assombris par ses cils épais…
Qu’elle était belle !
Elle hoqueta et cria.
— Oh, oui, ma belle.
Elle se redressa pour s’accrocher à son cou en murmurant et en gémissant :
— Oui, s’il vous plaît, mon chéri.
« Mon chéri » ? Elle ne l’avait jamais appelé ainsi. Ces seuls mots manquèrent de le submerger de
plaisir, et avec les sensations de leurs corps unis dans l’étreinte, il faillit perdre son sang-froid.
— Ah, par tous les saints, Angélique !
Il aimait être en elle plus que tout au monde.
Ses cris de passion s’accentuèrent à mesure que l’orgasme approchait. Il ne chercha pas à atténuer
ces sons merveilleux, même s’il était possible que les hommes de la grande salle entendent. Il voulait
que le clan sache qu’elle avait envie de lui. Elle affichait une façade froide devant eux, mais son
épouse était un ange de feu lorsqu’il posait les mains sur elle. Il espérait que cela prouverait au clan
sa dévotion envers lui et renforcerait la loyauté des Drummagan.
Il lui fit l’amour doucement mais intensément. Il s’abîma dans un plaisir extraordinaire pendant de
longues secondes. Lorsqu’il reprit conscience, deux gardes entrèrent brusquement.
Angélique hurla et Lachlan la cacha de son corps, bien qu’ils soient tous deux habillés.
— Par l’enfer, que voulez-vous ?
— Pardon, milaird. Nous pensions que vous étiez en train de la tuer. Ces cris à glacer le sang, nous
n’avions jamais rien entendu de tel.
Il était trop stupéfait pour rire.
— Vous semble-t-elle assassinée ?
La jeune femme dissimula ses joues rouges et son expression mortifiée contre la poitrine de son
époux.
— La petite mort…
Lachlan sourit largement aux gardes. Ils rirent et quittèrent la pièce.
Angélique lui frappa le bras.
— Pourquoi leur avoir dit cela ? D’ailleurs, je ne comprends pas ce qui les a fait venir.
— Vous avez crié très fort pendant l’extase.
— Certainement pas.
— Oh si, et j’ai adoré cela, répondit-il, plus fier que jamais de son talent d’amant et du désir de sa
femme pour lui.
Elle s’empourpra encore davantage.
— Pourquoi ne pas m’avoir fait taire ?
— Je crois que c’est évident.
Elle lui lança un regard de reproche.
— Vous vouliez qu’ils m’entendent.
— Je voulais qu’ils sachent à quel point mon adorable petite épouse m’aime.
Il retint un rire qu’elle n’aurait sûrement pas apprécié.
— Je ne vous aime pas.
— Non, je sais à quel point vous me détestez, ma chérie.
Elle pouvait continuer à se mentir si c’était ce dont elle avait besoin. Il l’embrassa en haut de la
poitrine. Son corset était délacé et il l’abaissa légèrement, écarta les pans de sa robe et lécha la
pointe de ses seins affleurant juste au-dessus du tissu.
— Mm, aussi délicieux que des baies sucrées.
Toujours en elle, il sentit les muscles d’Angélique se raidir autour de son sexe. Il durcit de
nouveau.
Le souffle de la jeune femme devint plus court entre ses gémissements.
— Lachlan, souffla-t-elle en l’attirant contre elle.
Il se replaça et la pénétra profondément.
— Oui, murmura-t-elle, encore plus…
Il posa une main sous ses hanches et se laissa aller à des coups de reins plus forts cette fois
jusqu’au plaisir.
Une heure plus tard, ils se délectaient d’un bain chaud dans la chambre d’Angélique, quand
quelqu’un frappa à la porte.
— N’aurons-nous jamais la paix ?
Lachlan sortit du bassin, plaça sa chemise devant lui et ouvrit la porte.
— Oui ? demanda-t-il en découvrant un garde.
— Milaird, une femme vient d’arriver, une cousine de lady Angélique. Elle a été attaquée sur le
chemin, près de Burnglen, et l’un de ses serviteurs a été tué.
— Par le ciel ! Kormad !
Chapitre 14

Angélique se précipita dans la grande salle pour accueillir sa seconde cousine et amie d’enfance,
Neilina Lockhart.
— Dieu soit loué, vous n’avez pas été tuée pendant l’attaque de Kormad !
Les vêtements de la jeune femme étaient déchirés, sales et froissés, ses cheveux auburn emmêlés
tombaient sur ses épaules.
— Angélique !
Le souffle rauque, elle prit sa cousine dans ses bras.
— J’ai eu de la chance, contrairement à ce pauvre Jérôme. Ils l’ont tué et sont partis en emportant
son corps. Nul doute qu’ils l’ont jeté à l’eau.
Elle s’écarta, les joues rouges, et sanglota dans son mouchoir.
— Mère de Dieu, ma pauvre amie, vous devez vous reposer. Les hommes se chargeront de
Kormad.
Angélique passa le bras autour de la taille de Neilina, et l’accompagna vers l’escalier et la
chambre d’amis. Elle ordonna aux serviteurs de monter ses malles.

Les deux servantes de Neilina rajustèrent sa coiffure et versèrent de l’eau dans une bassine.
— Vous devez vous changer, milady, vos habits sont déchirés.
Malgré la boue sur ses joues, il était évident que Neilina était une femme d’une grande beauté.
Angélique se souvenait qu’elle était déjà très jolie enfant, lorsqu’elles jouaient ensemble pendant les
rassemblements du clan.
— Non, je vais bien, dit-elle en congédiant les domestiques d’un geste. Je souhaite donner son
cadeau à ma cousine Angélique.
— Vous êtes trop aimable de penser à moi dans un instant pareil.
— Absurde.
Lorsque les serviteurs eurent apporté le coffre de Neilina, elle l’ouvrit et en sortit une boîte de
bois sculpté.
— Je suis si heureuse qu’ils n’aient pas volé le présent que j’ai apporté pour votre époux et vous.
Félicitations pour votre mariage.
Neilina lui remit le coffret et s’inclina.
— Je vous remercie, mais vous n’auriez pas dû.
Angélique se demanda comment Neilina parvenait à demeurer aussi calme et aussi convenable
après les événements violents qu’elle venait de vivre. Par le ciel, elle aurait pu se faire tuer ou
violer. Il était vrai que les femmes de sa famille étaient réputées pour leur force de caractère.
Angélique souleva le couvercle et découvrit un ensemble de cuillères en argent posées sur du
velours rouge.
— Oh, quel cadeau extravagant et ravissant. Je vous remercie.
C’était en effet l’un des plus précieux présents qu’ils avaient reçus.
— Je suis heureuse qu’il vous plaise.
— Certes, et Lachlan va l’adorer également, dit-elle avant de refermer le coffret. Maintenant, je
suis certaine que vous désirez vous reposer et vous changer. Je vous verrai au repas de ce soir.
J’espère que vous resterez avec nous quelque temps.
La comtesse faisait cette offre par politesse, tâchant d’être une hôtesse parfaite, mais aussi parce
qu’elle voulait vraiment renouer les liens avec sa cousine.
— Merci. Cela me plairait vraiment.
Angélique était certaine d’avoir imaginé l’étincelle rusée dans les yeux de la jeune femme, car
lorsqu’elle regarda de nouveau, elle avait disparu.

Deux jours plus tard, au souper, Lachlan observa les convives de la table principale. Le regard
impertinent de la cousine d’Angélique croisa le sien et le soutint. Il avait reçu de telles œillades
assez de fois pour savoir ce qu’elles sous-entendaient. Mais il ne voulait de l’intérêt d’aucune dame
hormis son épouse, assise près de lui. Il lui prit la main et l’embrassa, espérant signifier à Neilina
qu’il était pris et ne souhaitait avoir affaire à aucune autre partenaire.
Angélique lui sourit. Il se pencha vers elle et lui chuchota à l’oreille :
— J’ai hâte de vous retrouver au lit.
Il l’embrassa sur le lobe. Ces dernières nuits ensemble avaient été incroyables.
Elle rougit et lui pinça doucement l’arrière du genou sous la nappe. Diantre, cela suffisait à lui
provoquer une érection ? Il aurait aimé qu’elle glisse la main le long de sa jambe, sous le tartan, pour
mesurer à quel point il tenait à elle ! La montée rapide de son excitation lui donna le tournis. Il plaqua
la main de sa femme contre sa cuisse. Par tous les saints, il était plus raide qu’une corne de bélier. Ne
pouvait-il lui résister ? S’il continuait ainsi, il la soulèverait de sa chaise pour la porter dans la
chambre avant la fin du repas.
— Milaird, dit un serviteur derrière son épaule.
— Oui ?
— Une missive est arrivée pour vous.
Lachlan prit le petit document plié et brisa le sceau. Le message venait du chef Robertson, qui
l’invitait chez lui pour inspecter les juments blanches dont ils avaient parlé et en choisir une pour sa
femme si elles convenaient. Un autre acheteur était intéressé, Lachlan devait donc prendre une
décision rapidement.
Le Highlander s’empressa de replier la lettre avant qu’Angélique veuille la lire et la rangea dans
son sporran. La jument blanche devait être un cadeau-surprise pour le mariage. Il était certain que son
épouse apprécierait, après avoir appris qu’elle avait dû abandonner un animal semblable en quittant
la France. Les terres des Robertson n’étaient qu’à deux ou trois heures de cheval. Il pouvait faire
l’aller-retour en une journée, avant même qu’Angélique s’aperçoive qu’il était parti.
— Que se passe-t-il ? s’enquit-elle.
— Rien, tout va bien.
Il refréna un sourire et se demanda s’il devrait acheter deux bêtes. Sans doute deux juments la
rendraient-elles deux fois plus heureuse.
Angélique l’observa d’un air soupçonneux, mais il ne pouvait gâcher la surprise. Il l’embrassa sur
la joue.
— Venez avec moi à l’étage, maintenant, chuchota-t-il.
Elle rougit violemment et regarda autour d’elle. Lachlan se moquait de ce que pensaient les autres.
— Nous devons vous laisser, veuillez nous pardonner, déclara-t-il aux convives en se levant, la
main de sa femme dans la sienne.
Il l’attira à sa suite sous les sourires et les commentaires taquins. Par le ciel, si elle refusait de le
suivre, il la jetterait sur son épaule ! Mais peut-être son désir était-il identique au sien. Il l’espérait
ardemment.
— Lachlan, lui reprocha la jeune femme en un murmure pendant qu’ils montaient les marches. Vous
êtes parfaitement indécent.
— Oui, parfaitement ! admit-il en riant.

Le lendemain matin, pendant qu’ils mangeaient, Angélique constata que sa cousine Neilina
dévisageait ouvertement Lachlan. Elle pensa d’abord que son amie voulait dire quelque chose, mais
elle lut soudain un intérêt sensuel dans ses yeux. Lachlan l’avait-il remarqué ? Il était concentré sur
son repas mais prit le temps d’adresser un regard de braise et un clin d’œil à son épouse. La veille,
ils avaient encore partagé un moment intense et inoubliable de passion. Elle était irrémédiablement
dépendante de son charme. Il avait réussi à gagner son cœur et son âme. Lui et son affection aussi
séductrice qu’espiègle étaient de délicieuses gorgées d’ambroisie que réclamaient son corps et son
esprit. Il l’emplissait d’un sentiment de bonheur tel qu’elle n’en avait jamais connu.
C’était pour cela que les regards furtifs et intéressés de Neilina provoquaient en elle une rage et
une inquiétude si puissantes qu’elle avait l’impression qu’un bélier de siège cherchait à lui briser la
poitrine. Encore une fois… Sa cousine dévorait Lachlan des yeux. Angélique ne s’était pas attendue à
être ainsi trahie par les siens…
Mère de Dieu, Neilina était belle, plus encore qu’Eleanor. Et si Lachlan la trouvait séduisante,
irrésistible ? Une peur glacée monta en elle.
Angélique tâcha de se conduire normalement jusqu’à ce que le repas s’achève et que les convives
se dispersent. Mais Neilina continuait à observer Lachlan qui discutait avec Rebbie.
Quelle traînée ! Angélique l’aurait étranglée.
Lachlan semblait inconscient de cet intérêt, mais il savait comment cacher ses sentiments. Il se
dirigea vers un couloir et Neilina partit à sa suite. Angélique se raidit et les suivit en silence, en
restant tapie dans l’ombre.
— Milaird, appela Neilina d’une voix douce.
Après quelques pas, Lachlan s’arrêta et se tourna à demi vers elle.
— Oui ?
— Peut-être pourrais-je venir vous retrouver plus tard dans votre chambre ?
Une haine empoisonnée envahit les veines d’Angélique à l’égard de sa traîtresse de cousine. Sa
rage était telle qu’elle mobilisait toute son attention et troublait sa vision. Elle serra les poings sur
ses jupons, regrettant de ne pas y avoir dissimulé une arme.
Lachlan contempla Neilina en silence pendant un moment, mais Angélique était trop loin pour
définir clairement son expression.
— La chambre de la tour sud, après le coucher du soleil, dit-il enfin.
Angélique se figea et le sang battit si fort à ses oreilles qu’elle n’entendit plus rien. Ses jambes se
dérobèrent et elle s’affaissa contre le mur de pierre derrière elle avant de s’écrouler en boule, saisie
de nausée. Une lance de désespoir la frappa en plein cœur. Le bâtard ! Elle savait qu’il agirait ainsi,
mais elle lui avait fait confiance. Pourquoi l’avait-elle laissé traverser ses barrières ?
Neilina et Lachlan s’éloignèrent chacun de son côté. Angélique obligea ses jambes flageolantes à
la porter à sa chambre. Elle bloqua la porte de deux malles et se glissa dans le lit, la tête sous les
couvertures. Oh, mère de Dieu, elle peinait à respirer. Son corset lui comprimait les poumons. Il lui
semblait avoir une corde autour du cou. Lentement, elle inspira, et l’horreur de ce qui s’était passé la
happa. Lachlan, non. Un sanglot l’agita. Non. Hors de question. Vous êtes à moi. Ne la touchez pas !
Quelle était cette ignoble émotion qui la dévorait de l’intérieur comme un lion cruel ? Qui
l’écrasait et aspirait sa vie avec la violence d’une immense vague ?
Je ne l’aime pas. Non !
Mais elle savait que c’était faux. Rien d’autre ne pouvait être aussi douloureux.
— Je suis si stupide. Stupide ! Stupide !
Elle frappa des poings son oreiller tandis que des larmes chaudes coulaient sur ses joues.
Elle allait tuer Neilina, à moins de se restreindre à un face-à-face avant de la chasser. Mais si elle
faisait cela, Lachlan trouverait simplement une autre femme.
Je n’irai pas à la tour. Je n’irai pas contempler sa traîtrise !
Mais elle devait le faire. Il lui fallait une preuve. Elle devait le mettre face à ses actes et lui faire
savoir qu’il n’était pas capable d’être fidèle, comme elle l’avait dit.
Et son existence prendrait fin à cet instant.

Lachlan se réunit avec Rebbie et Dirk dans l’étude, et ferma la porte.


— J’ai un problème et j’ai besoin de votre aide, commença-t-il à voix basse. Je pars ce matin vers
les terres des Robertson pour acheter un couple de juments blanches en cadeau de mariage pour
Angélique. Le chef m’a dit qu’un autre acheteur était intéressé, alors je dois me hâter. C’est une
surprise, et je souhaite qu’elle ne se doute de rien. J’emmènerai six hommes du clan pour m’escorter.
Je veux que vous restiez ici pour éviter qu’Angélique devine où je suis parti, mais aussi pour la
protéger en cas d’attaque. De plus, je me méfie de lady Neilina. Elle vient de s’offrir à moi.
— Je n’y vois rien d’inhabituel, déclara Rebbie en levant un sourcil.
— Je ne lui fais pas confiance. Je la soupçonne d’être une espionne de Kormad.
— Mais il a attaqué son carrosse, non ? fit remarquer Dirk.
— C’est ce qu’elle prétend. Mais ce n’est peut-être qu’un mensonge pour être accueillie en toute
confiance.
— Ah, c’est possible, admit Rebbie.
— Quoi qu’il en soit, elle ne m’intéresse pas. Je désire être fidèle à Angélique.
Il ne ressentait tout simplement aucun désir pour une autre. Angélique s’était emparée de lui et il
prenait ses vœux de mariage au sérieux.
— Dirk, j’ai une mission pour vous, et je pense qu’elle vous plaira.
Son ami fronça les sourcils.
— Quoi donc ?
— Je veux que vous vous fassiez passer pour moi, mettiez un de mes kilts et alliez trouver lady
Neilina dans la chambre de la tour sud juste avant le coucher du soleil. Assurez-vous qu’il fasse
sombre et qu’elle ne puisse voir votre visage. Nous faisons à peu près la même taille et comme elle
ne nous connaît que peu, elle ne devrait pas remarquer la différence.
— Mmh, c’est juste… C’est une mission qui pourrait me plaire ! déclara Dirk en souriant.
— Plus important, vous tenterez de lui soutirer toutes les informations possibles, précisa Lachlan.
— Bien sûr. Ce sera un plaisir.

Angélique, les mains tremblantes, se glissa dans l’escalier étroit de la tour sud. Elle n’avait pas vu
Lachlan de la journée. Il l’évitait évidemment maintenant qu’il avait l’esprit occupé par une autre.
Quel dépravé ! Il n’avait aucune honte. La faim et le dégoût lui tordaient l’estomac. Elle n’avait rien
pu avaler de la journée. Le dénouement terrible était proche. Qu’avait-elle osé imaginer ?
Elle avait attendu trop longtemps et le soleil s’était couché.
Elle s’arrêta devant la porte et écouta. Des bruissements lui parvinrent, puis un grognement
masculin s’éleva. Le bâtard ! Je vais le tuer avec ma traînée de cousine.
Couverte d’une sueur froide, Angélique entrouvrit silencieusement la porte. Il avait été assez
stupide pour ne pas fermer à clé ; sans doute était-il trop excité pour y penser. Une couverture épaisse
masquait l’étroite fenêtre de la salle ronde, assombrissant encore le crépuscule. Les silhouettes
étaient cependant très claires : un homme grand, en kilt, à cheveux longs, se dressait derrière une
femme penchée sur la table, les jupons relevés. L’homme lui tenait les hanches et la pénétrait en
grondant. La femme hoquetait et gémissait.
— Oh, Lachlan, oui !
Angélique crut qu’elle allait vomir. Elle descendit les marches fébrilement, trébucha en bas et
tomba à genoux. Sans comprendre où elle trouva la force, elle se releva et courut jusqu’à sa chambre.
Là, elle s’effondra et sentit son estomac remonter dans sa gorge, sans que rien ne sorte.
Je ne veux rien ressentir. Rien ! Il est mort, à mes yeux.
Une fois son estomac remis, elle se leva.
— Je ne peux pas rester ici.
Le corps agité de tremblements, elle ouvrit sa malle et y jeta des vêtements.
— Que faites-vous ?
Angélique sursauta, se retourna et découvrit Camille sur le seuil.
— Je pars.
— Pourquoi ?
— Lachlan possède ma cousine à l’instant même. Le bâtard ! Je me doutais qu’il ne changerait pas.
— Comment ? L’avez-vous vu ?
— Oui, de mes propres yeux. Ce matin, je l’ai entendu lui dire d’aller le retrouver et ils étaient à
l’endroit convenu quand je suis arrivée.
— Le gredin ! Je n’aurais jamais cru qu’il ferait une chose pareille ! Il semblait si épris de vous,
ma cousine.
— Oh, il est charmant et trompeur, pire que Girard.
Même Girard ne l’avait pas autant fait souffrir.
— Où allons-nous ? interrogea Camille.
— Tu veux venir avec moi ?
— Bien sûr. Je vous accompagne partout. Comment pourrait-il en être autrement ?
Elle n’avait qu’une vraie amie, Camille, qui ne la trahirait jamais et ne l’abandonnerait jamais.
— Allons à Londres. Je vais demander le divorce.
— Sur quel motif ? Le mariage a clairement été consommé. Pas d’impuissance…
— Ce n’est pas drôle. Je parle d’inceste.
— Comment ?
— Il s’accouple avec ma cousine au second degré, qui devient donc sa cousine par alliance. C’est
donc un inceste par affinité. Et si cela ne marche pas, j’aurai tout de même recours à l’argument de
l’impuissance. J’adorerais le contraindre à prouver sa virilité devant la cour.
Ah ! Elle n’adorerait rien du tout. Elle était morte à l’intérieur et ne voulait plus revoir Lachlan.
— Où irons-nous ensuite ?
— Je n’ai pas encore décidé. S’il quitte le domaine, je reviendrai peut-être ici. Sinon, en France.
Nous irons voir l’oncle Louis, dans le Sud. Ma mère et moi lui avions rendu visite une fois, il y a
quelques années.
— Et le manoir ? Et le clan ?
— Que m’importe ? rétorqua-t-elle en tâchant de s’exprimer clairement malgré sa gorge nouée. Je
ne veux même plus vivre. Mes gens me détestent. Ils aiment Lachlan. Il est leur chef et je ne le serai
jamais. Je n’ai pas ici la place que j’espérais trouver. Et je ne peux supporter un mari infidèle et ses
traînées.
— Au moins, parlez-lui d’abord. Angélique, je sais que vous l’aimez.
— Non ! Je ne lui adresserai plus jamais la parole. Demande au palefrenier de préparer le
carrosse dans les écuries pour que personne ne sache que nous partons. Que quelques hommes portent
nos malles, mais qu’ils n’en disent rien. Personne ne se rendra compte de notre départ avant
longtemps.
Une demi-heure plus tard, les deux femmes se glissèrent par une porte de service vers les écuries,
profitant de l’obscurité. Leurs bagages étaient chargés et le cocher attendait.
— Nous allons à Perth, déclara-t-elle à l’intention de celui-ci et de ses deux gardes du corps
armés.
Les guerriers hochèrent la tête et montèrent à bord, l’un près du cocher, l’autre à l’arrière du
véhicule. Les deux femmes auraient besoin de protection pour passer près du domaine de Kormad, et
Angélique n’était pas assez stupide pour ignorer cela.
Le cocher fouetta les chevaux et ils franchirent les portes que les sentinelles avaient ouvertes peu
de temps avant.
Angélique, assise près de Camille, contempla les lumières aux fenêtres de Draughon et les torches
de la cour qui perçaient les ténèbres. Elle observa la tour sud. Entre ses murs, Lachlan avait brisé son
cœur mille fois.
Je suis comme ma mère. Elle fuyait un chagrin dont elle ne pourrait jamais se défaire. D’autres
hommes avaient aimé sa mère, mais elle n’avait jamais ressenti la même chose. Pas comme elle
l’avait fait avec le père d’Angélique.
Sa gorge se serra.
— Je n’aimerai plus jamais, souffla-t-elle. Je le jure.
— Oh, Ange.
Camille alla s’asseoir près d’elle et la prit dans ses bras.
— Je savais que vous l’aimiez. Vous auriez dû parler avec lui.
Angélique secoua la tête.
— Non. Je pourrais le tuer avec sa traînée si j’en avais l’occasion.
Le chemin devint plus caillouteux. Le cocher réduisit l’allure mais les deux femmes se sentirent
malmenées par les ornières. La nuit s’assombrit tandis que les nuages glissaient devant la lune et les
étoiles.
Non loin, des sabots tonnèrent contre le sol et firent sursauter Angélique.
— Oh ! cria quelqu’un, et le carrosse ralentit.
— Où sommes-nous ? demanda la jeune femme.
— Au village ?
— Non, pas déjà.
Angélique avait oublié de charger son pistolet, elle tira une dague.

À la moitié du chemin de retour, Lachlan jeta un regard aux deux juments blanches qui semblaient
briller dans le crépuscule. Oui, Angélique allait les adorer. Elles étaient belles, puissantes et
intelligentes. Deux membres du clan les menaient. Il aurait voulu être rentré avant la nuit, mais
l’hospitalité des Robertson ne connaissait aucune limite. Ils avaient partagé nourriture, boissons et
discussions animées pendant trop longtemps.
Un cri de guerre résonna dans les buissons, et des chevaux se précipitèrent vers Lachlan et son
escorte de six guerriers.
— Par l’enfer !
Lachlan tira son épée et chargea vers les attaquants.
Kormad, encore ? Le bâtard !
Sa lame faucha l’un des cavaliers ennemis.
Des coups de feu retentirent, illuminant l’ombre pendant une seconde. Un homme hurla. Des
chevaux hennirent et se cabrèrent. Dans la confusion et les ténèbres, il était difficile d’identifier les
assaillants. Les hommes lâchèrent les juments blanches et elles s’enfuirent au galop.
— Ne le tuez pas tout de suite ! cria quelqu’un.
Kormad !
Un ennemi à pied saisit les rênes de la monture de Lachlan pendant que deux complices
s’élançaient vers lui par le côté. Avant que le Highlander puisse frapper, l’un d’eux s’accrocha à son
bras tenant l’épée. Un autre lui donna un coup de poing dans l’estomac.
Il se débattit mais ne parvint pas à libérer son bras de la sangsue qui manqua de lui déboîter
l’épaule. Une vive douleur le transperça. Les bâtards le firent tomber de sa selle. Une fois au sol,
Lachlan abandonna son épée et s’empara de la dague à sa ceinture, plus pratique pour le combat
rapproché. Mais avant qu’il puisse la tirer, quelqu’un le frappa à la tête et il perdit connaissance.

— S’il s’agit de Kormad, pourquoi les gardes ne font-ils pas feu ? murmura Angélique dans le
carrosse.
— Je l’ignore, répondit Camille. Et s’il s’agissait de Girard ?
La terreur s’abattit comme une pierre dans l’estomac d’Angélique.
— Milady.
L’un des gardes ouvrit la porte.
— Laird Rebbinglen est ici. Il doit vous parler.
Il se retira, remplacé par Rebbie, une torche à la main.
— Lady Angélique, que faites-vous si loin de Draughon à cette heure avancée ?
Il fronça les sourcils et scruta les deux femmes.
Les lèvres d’Angélique restèrent closes. Comment aurait-elle pu parler, dire la vérité sur la
trahison de Lachlan ?
— Votre époux a été capturé, reprit Rebbie. Kormad l’a enlevé alors qu’il revenait de chez les
Robertson.
— Les Robertson ? Comment cela ?
— Lachlan est parti avec quelques hommes du clan, dont l’intendant, pour aller chez les Robertson
ce matin. Alors qu’il rentrait, Kormad et ses sbires ont attaqué son détachement et abattu un homme.
Ils se sont emparés de Lachlan et ont fait passer le mot qu’ils le garderaient en otage jusqu’à obtenir
ce qu’ils voulaient. Faute d’accord d’ici à un jour, ils le tueront.
— Mère de Dieu.
La confusion gagna Angélique. Comment Lachlan pouvait-il être allé chez les Robertson ? Elle
l’avait vu de ses propres yeux dans la tour. Était-ce un mensonge destiné à la faire revenir ?
— Le garçon d’écurie nous a dit que vous étiez partie. Je ne sais pas ce que vous faites ici, ni
comment vous nous êtes passée devant sans être vue, mais vous devez rentrer à Draughon avec nous.
— Oui, nous rentrons.
Peu importait ce que Lachlan avait fait, elle ne l’abandonnerait pas aux mains de Kormad. S’il était
bien prisonnier, elle l’aiderait.
Il fallut quelques minutes au cocher pour faire demi-tour, puis ils regagnèrent Draughon.
— Où alliez-vous ? demanda Rebbie alors qu’Angélique et lui se trouvaient dans l’étude en
compagnie de Dirk, Camille et Fingall.
— Je ne désire pas en parler. C’est entre Lachlan et moi, déclara la jeune femme, l’estomac
nauséeux quand elle repensait à ce qu’elle avait vu dans la tour sud.
Pendant un long moment, un silence tendu régna dans la pièce.
— Et pourquoi Lachlan aurait-il été chez les Robertson ? interrogea-t-elle.
Rebbie et Dirk échangèrent un regard, avec cette sorte de communication silencieuse que les
hommes utilisaient quand une femme ne devait pas découvrir leurs secrets.
— Il est allé vous acheter une jument blanche comme cadeau de mariage, finit par avouer Rebbie.
— Deux juments blanches, précisa Dirk.
— Vraiment ?
Combien de temps leur avait-il fallu pour inventer cette histoire ? Ils ne s’étaient même pas mis
d’accord ! Les deux amis de son époux étaient prêts à mentir pour le protéger, quoi qu’il advienne. Ils
lui étaient loyaux jusqu’à la mort et elle ne leur faisait pas plus confiance qu’à lui.
— Si fait.
— Et maintenant, Kormad le retient prisonnier. Comment le libère-t-on ? demanda-t-elle en tâchant
de se concentrer sur le problème du moment et non sur ses émotions en charpie.
— Kormad n’agit pas seul. Je pense que vous savez qui est Girard.
Angélique eut l’impression qu’un vent glacé s’abattait sur elle.
— Mon Dieu. Pas Girard. Il est ici, et il aide Kormad ?
— Effectivement.
Elle croisa le regard terrifié de Camille.
— Dieu nous vienne en aide. Il va le tuer.
— Nous nous assurerons que cela n’arrive pas, déclara Rebbie d’une voix grave. Girard veut
quelque chose qu’il croit être en votre possession. Un pendentif en diamant.
Le bijou était précisément pendu à une chaîne qu’elle portait, l’imposante pierre froide pendant
entre ses seins. Il ne la réconfortait pas et lui faisait l’effet d’un nœud coulant.
— Oui, je le lui donnerai… s’il relâche Lachlan sans lui faire de mal.
Elle retira le collier de sous son corset.
— Parfait. Il a également demandé que vous le lui remettiez en personne, mais nous ne pouvons
mettre votre vie en péril. Nous déguiserons l’un des hommes les plus petits du clan en femme et il se
fera passer pour vous.
Elle secoua la tête.
— Cela ne prendra pas. Girard verra la différence. Ce n’est pas un imbécile.
— Lachlan ne nous pardonnera jamais si nous vous mettons en danger. Nous ne pouvons permettre
que vous soyez mêlée à l’échange.
— Je le ferai. C’est moi qui prends les décisions me concernant.
— Vous resterez ici… avec tout le respect que je vous dois, milady.
Le ton de Dirk était impératif et son expression sauvage.
— Lachlan nous fera trancher la gorge si vous êtes blessée.
— Oh oui, confirma Rebbie, il y veillera personnellement.
La jeune femme se sentit impuissante et chercha vainement un argument.
— Mais… je dois vous aider.
— Vous nous aidez en renonçant à votre bijou. Si vous me permettez…
Rebbie tendit la main, paume levée. Angélique serra le diamant contre sa poitrine un moment. La
pierre précieuse représentait maintenant les deux personnes qu’elle avait le plus aimées : sa mère qui
la lui avait offerte et Lachlan pour qui elle devait y renoncer.
Elle déposa le pendentif dans la main de Rebbie.
— Très bien, reprit-elle. Ramenez-le vivant… Ramenez-le-moi. Je vous en prie.

Lachlan doit vivre.


— Pour que je puisse l’étrangler de mes mains, marmonna la jeune femme dans son salon privé,
vide et froid.
Il savait vraiment comment lui déchiqueter le cœur.
Elle arpenta nerveusement la pièce puis alla se placer devant la fenêtre pour regarder vers le
fleuve Tay. Burnglen était trop éloigné pour qu’elle le distingue derrière les arbres et la brume
épaisse qui dérivait comme un amas de nuages tombé du ciel.
Enfant, elle avait vu le château ; elle savait que c’était un manoir ancien d’allure détestable. Il était
petit comparé à Draughon, et ses pierres gris sombre étaient sinistres. Elle imaginait Lachlan,
souffrant, peut-être inconscient, dans les profondeurs des cachots. Des larmes démangèrent ses yeux
irrités.
Mère de Dieu, protégez-le.
Rebbie avait le diamant dans sa poche. Avec Dirk et une dizaine de guerriers, il procéderait à
l’échange. Qu’arriverait-il quand Girard et Kormad comprendraient que le jeune homme grimé n’était
pas Angélique ? Elle aurait dû insister.
Quand reviendraient-ils avec Lachlan ? Plus de deux heures s’étaient déjà écoulées.
Camille dormait dans sa chambre. Angélique craignait de ne plus jamais manger ni dormir de sa
vie.
Un coup sourd résonna dans le couloir et elle s’approcha de la porte. Un homme grogna. Du métal
tinta, suivi d’autres coups. Quelqu’un avait-il franchi les portes et s’en prenait-il à ses gardes ? Un
frisson la saisit. Elle courut dans la chambre, passa sa cape épaisse pour se protéger, et s’arma de
tout ce dont elle disposait en cachant dagues et pistolets dans les poches secrètes du vêtement. Elle
n’avait plus de quoi barrer la porte et ses malles n’étaient pas assez lourdes pour la bloquer.
Elle entendit la porte de son antichambre voler en éclats.
— Sainte Marie, mère de Dieu, sauvez-nous, pria-t-elle en français avec un signe de croix.
Puis elle leva devant elle un pistolet chargé. Elle observa le seuil.
— J’ai tué les intrus, milady !
— Fingall ? Est-ce vous ? demanda-t-elle, soulagée.
— Oui, répondit l’intendant dans le couloir. Deux individus masqués se sont introduits dans le
château et ont tué vos gardes. Mais je me suis occupé d’eux.
— Mère de Dieu ! Mes gardes sont morts ?
Elle se signa à nouveau. Elle ne les connaissait pas vraiment, mais ils étaient restés dans son
sillage pendant des semaines et l’avaient bien protégée. Elle détestait l’idée qu’ils aient connu cette
fin horrible.
— Je vous protégerai moi-même, milady.
Fingall passa par la porte brisée et entra dans la pièce, une dague ensanglantée au côté.
— Pensez-vous que d’autres vont venir ? interrogea Angélique, son arme toujours levée, non pas
vers Fingall mais vers la porte.
Elle ne savait toujours pas si l’intendant les volait ou s’il était digne de confiance.
— Je ne saurais dire s’il y en a d’autres. J’espère que non.
Il regarda la porte puis la jeune femme, nerveux.
— Et les sentinelles postées à l’entrée ?
— Je ne suis pas sorti. Baissez votre arme, milady, vous risqueriez de vous blesser.
— Je ne me blesserai pas. Je suis douée avec un pistolet.
Des pas précipités résonnèrent dans le couloir et Fingall s’élança vers elle.
— Allez dans la chambre, milady ! Vous serez en sécurité !
— Non ! Ne me touchez pas !
Elle allait régler le problème elle-même.
Les pas se rapprochèrent et elle laissa son doigt effleurer la détente. Fingall lui saisit le bras droit,
souleva brusquement l’arme et la lui arracha. Il passa l’autre bras autour d’Angélique pour
l’emprisonner.
— Non !
Elle lui donna des coups de pied dans les mollets et se tortilla pour s’échapper, mais il était trop
fort.
Un étranger, un géant aux cheveux noirs en armure de cuir, apparut sur le seuil. Qui était-il ?
Personne qu’elle connaisse.
— Fouillez-la et désarmez-la ! ordonna-t-il.
— Fingall, comment avez-vous pu faire cela ? Traître !
Il la poussa au sol sur le ventre et elle se débattit. Il lui immobilisa les jambes entre les siennes et
lui maintint les mains dans le dos. Puis il sortit les dagues cachées dans ses poches de cape.
— Bâtard ! Arrêtez !
L’étranger lui jeta une couverture sur la tête et elle ne vit plus rien. Non ! Elle devait se dégager.
Lorsque Fingall se releva, elle se tordit, se retourna et frappa des pieds. Mais les hommes étaient
plus rapides et plus forts. Ils l’enroulèrent dans une couverture en un instant, une étoffe sombre,
serrée, qui la fit suffoquer. Elle hurla en essayant de dégager ses bras et ses jambes mais la laine
l’emprisonnait.
Elle inspira péniblement dans l’espace réduit.
Calme-toi. Respire. Réfléchis !
Ses assaillants, un à la tête et un aux pieds, la soulevèrent vers une destination inconnue. Elle
n’entendit que leurs pas, une porte qui se fermait et un grincement métallique par moments. Ils la
transportaient, la tête en bas, dans des escaliers abrupts et elle heurtait régulièrement des murs de
pierre. La couverture se desserra un peu et elle glissa la main dans la poche secrète de sa jupe, où
elle avait dissimulé la dague que Rebbie lui avait offerte. Grâce à Dieu ! Elle perçut la garde
ouvragée contre sa main comme un réconfort, le seul qu’elle puisse trouver à cet instant.
Pourquoi personne n’empêchait ces bâtards de l’emmener hors du manoir ? Les sentinelles de la
porte viendraient certainement à son secours.
— Aidez-moi ! C’est moi, lady Angélique !
Sa hanche heurta violemment le mur et une douleur intense la traversa. Le géant l’avait fait exprès.
Un claquement puissant résonna. Les portes ?
— Gardes ! Aidez-moi !
Les deux vauriens la laissèrent choir sur le sol, et le choc lui secoua tous les os. Elle ignora la
douleur et roula pour se libérer de la couverture. Elle sortit la tête. Le grand étranger menait deux
chevaux tandis que Fingall se soulageait dans les buissons tout proches. Où suis-je ? Elle regarda
derrière elle et vit une petite grille de fer… La sortie du passage secret. Elle se dressa d’un bond et
se mit à courir.
— Attrapez-la, elle s’enfuit !
Un instant plus tard, Fingall lui saisit la jupe et l’attira vers lui. Elle tomba et sentit ses mains
glisser contre des rochers. Une pierre de rivière, polie par l’eau, se cala presque naturellement dans
sa main. Lorsqu’elle fut assez proche, la jeune femme l’abattit contre la tête de Fingall qui poussa un
cri.
— Imbécile ! lança le géant, probablement un homme de Kormad.
Il repoussa Fingall et tordit les bras d’Angélique dans son dos. Il lui soufflait contre l’oreille et se
plaqua contre ses fesses.
— Si ce maudit Français ne vous désirait pas à ce point, je vous prendrais là, sur le sol. Alors ne
me tentez pas. J’aime les garces avec du caractère.
Un Français ? Mon Dieu, ce devait être Girard. Ce chien ne montrerait aucune pitié. Si c’était ce
qu’elle craignait, elle pria pour connaître une mort rapide et sans douleur.
— Gardez la bouche bien fermée, ou je vous la remplirai d’une chose que vous risquez de ne pas
aimer.
Son ravisseur donna un coup de pied dans un tas de crottin de cheval pour appuyer sa menace. Elle
essaya de se défaire de son emprise, mais il était trop fort. Il lui lia les mains dans le dos, puis lui
attacha les pieds et la renversa sur le dos du cheval.
Elle se força à respirer normalement en réfléchissant à un plan.
— Fingall, vous venez ? lança le géant.
— Oui.
Elle avait toujours la dague sur elle. S’ils lui libéraient les mains, elle pourrait l’utiliser. Et si
Rebbie et Dirk n’avaient pas pu sauver Lachlan, elle s’en chargerait elle-même.

— Beau travail, Fingall, déclara un homme derrière Angélique.


Elle se retourna. La barbe noire et le regard diabolique de Kormad la gelèrent jusqu’aux os.
Les hommes l’avaient fait descendre de cheval et avaient défait ses liens. Elle se tenait maintenant
devant la repoussante entrée de Burnglen. Tout y était gris, du ciel trop lourd aux pierres du manoir et
de la cour.
— Où est mon mari ? demanda-t-elle en s’imposant un ton assuré et mordant.
Kormad se mit à rire et désigna la porte.
— Vous le verrez bientôt. Bienvenue à Burnglen.
Oserait-elle entrer dans ce repaire démoniaque, d’où elle risquait de ne jamais ressortir ? Dans la
poche secrète, entre les plis de ses jupons, elle effleura la garde de la dague, avec la ferveur qu’elle
aurait consacrée aux perles d’un chapelet, puis elle murmura une prière pour obtenir force et
protection. Avec une prise sûre et un coup bien choisi, elle pourrait tuer un homme à condition de ne
pas heurter un os. Son lointain cousin français lui avait enseigné cela.
Son premier instinct fut d’attaquer Kormad, mais il portait une armure de cuir renforcée de clous
métalliques. Elle n’aurait jamais la force de faire traverser une telle carapace à sa lame. De plus, la
cour était pleine de gardes armés.
— Menez-la à l’intérieur, ordonna Kormad au géant qui l’avait enlevée.
— Non ! cria-t-elle.
Le colosse la souleva, la jeta sur son épaule, et lui fit monter les marches. Son estomac se révulsa
au contact douloureux de son épaule et sous l’effet de la nausée. Quelle tragédie la guettait entre ces
murs ?
Kormad suivit en souriant avec malice. Les bâtards ! Essayer de poignarder le géant qui la portait
serait vain, car lui aussi était couvert de cuir épais. Elle se réservait pour le bon moment, lorsque son
coup pourrait changer la donne. Peut-être tuerait-elle d’abord Girard.
Une fois dans la grande salle de Burnglen, le garde la reposa rudement. Étourdie, elle chancela
mais se retint à l’une des longues tables. L’odeur était horrible, mêlant nourriture pourrie et
excréments de chien.
— Enfin nous nous retrouvons, ma douce, lança en français une voix suave et mortelle.
Elle se retourna, et son regard croisa les yeux sombres et diaboliques de Girard.
Chapitre 15

Girard. Venu la tuer… la violer peut-être. Mère de Dieu !


Des griffes de glace semblaient lui lacérer la poitrine et lui coupaient le souffle.
— Vous m’avez manqué, ma petite chérie.
Il révéla ses dents en une parodie de sourire, les pupilles dilatées. Son bras manquant soulignait
son aspect maléfique, car elle connaissait l’histoire qu’il cachait. Elle lui avait fait cela. Il serait sans
pitié. Elle préférait mourir à l’instant que d’endurer sa malice.
Elle inspira péniblement et essaya de penser normalement. Par le ciel, elle faisait face à un
démon… Je ne vais pas m’évanouir. Je ne vais pas m’évanouir…
— L’avez-vous fouillée et désarmée ? demanda Girard.
Sa voix, un écho de tous ses cauchemars, lui larda le corps d’épines de terreur.
— Inutile, affirma Kormad.
— Vous ne connaissez pas notre petit ange, n’est-ce pas ? fit remarquer le Français d’un ton
presque amusé.
— Si vous voulez qu’elle soit fouillée, faites-le vous-même !
Le regard de Girard transperça Angélique comme un poignard.
— Où est cette garce de Camille ?
— Pas ici, réussit à répondre Angélique d’une voix forte.
Non, elle ne lui laisserait pas voir ce qu’il lui avait fait. Il n’aurait pas la satisfaction de sentir
qu’il l’avait réduite en pièces, physiquement, émotionnellement, et qu’elle n’était qu’un ouvrage
reprisé retenu par des coutures trop fragiles.
— Alors vous paierez pour ses crimes en même temps que pour les vôtres.
Angélique se concentra sur l’idée de survivre et s’assura de sentir la dague dans sa poche. Elle
espérait qu’il chercherait à la fouiller. Il ne portait pas d’armure de cuir comme les autres. Mais si
elle le tuait, Kormad la tuerait probablement en retour.
Que dois-je faire ? Lachlan… Il saurait quoi faire. Il était fort, chaleureux et protecteur.
— Je veux voir mon époux, déclara-t-elle en parvenant à peine à sortir ces mots de sa gorge nouée.
— Oh, vous le verrez, rétorqua Kormad en riant. Peut-être désirez-vous que nous vous enterrions
dans la même tombe ? Ensemble, à jamais.
Non. Lachlan ne pouvait pas être mort. Elle se concentra sur son sourire, mais ce souvenir lui fit
venir les larmes aux yeux.
— Oh, mais il semblerait que vous soyez amoureuse de votre petit mari, railla Girard.
Elle ne voulait pas qu’il lise quoi que ce soit en elle. Il perçait déjà ses défenses sans vergogne.
— Non. C’est un bâtard comme vous.
Girard esquissa un demi-sourire.
— Vous pourrez lui dire « au revoir » avant que je vous ramène en France.
— Comment ? En France ? Non.
— Elle n’ira nulle part, intervint Kormad dans un grondement. Excepté peut-être six pieds sous la
terre d’Écosse.
Girard lui adressa l’un de ses regards aiguisés de démon.
— Nous avons un accord.
— Et cela n’en fait pas partie.
— Vous me l’avez promise en premier, protesta un homme chauve en s’avançant.
Qui… ? Oh, par l’enfer, c’était le monstre qui avait essayé de la tuer sur le navire quelques
semaines plus tôt.
— Promise, à vous ? s’insurgea Girard. Je peux en disposer à ma guise. Elle m’appartient ! Avez-
vous compris ?
Ils se disputèrent en criant et en aboyant comme des chiens, tirant sa vie à eux comme une peau de
biche en pleine curée. Lequel planterait ses crocs dans sa chair le premier ? Angélique sentit ses
jambes trembler et elle tomba à genoux. Elle ne parvenait plus à respirer. Par le ciel… Le viol, la
torture et la mort, ils allaient user et abuser de son corps. Les ténèbres de l’oubli éternel seraient plus
douces.
Debout, tu es forte, lui intima une petite voix en elle. Ou était-ce un ange gardien qui murmurait à
son oreille ?
Je ne peux pas. Il ne me reste plus rien.
Girard lui saisit l’avant-bras et la releva brusquement.
Maintenant, lui ordonna sa part combative. Elle prit fermement la garde de la dague entre ses
doigts et porta la lame en un coup ascendant vers le ventre de Girard. L’acier mordit l’étoffe et la
chair. Le Français hurla et projeta la jeune femme à terre, où elle heurta douloureusement ses hanches
et ses épaules.
— Vous voyez ! s’exclama Girard. Vous comprenez pourquoi je voulais qu’on la fouille ?
Il déchira son vêtement pour examiner la plaie. Pas assez profonde.
Kormad rit et arracha l’arme des mains d’Angélique.
— Emmenez-la dans les geôles et jetez-la avec son MacGrath, ordonna-t-il aux gardes.
Deux hommes la relevèrent, un à chaque bras, lui faisant mal aux épaules. Mais elle était heureuse
d’entendre le nom de son époux. Lachlan était-il encore en vie ? Je vous en prie, mère de Dieu !
— Attendez, fouillez-la avant, se reprit Kormad.
Leurs mains épaisses explorèrent son corps, ses seins, ses jambes, ses hanches, et elle manqua de
vomir.
— Cessez !
— Pas d’autres armes, déclara l’un des gardes.
— Emmenez-la. Nous avons de plus urgents problèmes à régler. Que Georges selle les chevaux.
Précédé de ses complices, un soldat imposant entraîna la jeune femme chancelante. Des marches
conduisaient à un passage de pierre étroit, sombre et souterrain. Elle trébucha et serait tombée si le
monstre ne l’avait pas tenue. Elle parvenait à peine à respirer dans cet endroit abject et humide.
Un garde ouvrit une porte qui grinça et l’homme qui tenait Angélique la jeta dans les ténèbres
d’une cellule avant de refermer dans un claquement.
Des imprécations en gaélique résonnèrent dans le noir.
— Angélique ! Par l’enfer, comment vous êtes-vous retrouvée ici ?
— Lachlan ? demanda-t-elle en regardant autour d’elle, incapable de distinguer quoi que ce soit.
Où êtes-vous ?
— Ici.
Le soulagement s’empara de la jeune femme, et il lui sembla que tout son corps s’affaissait.
— Grâce à Dieu, vous êtes en vie. Êtes-vous blessé ?
Elle le trouva dans l’ombre et passa les mains sur son pourpoint, ses bras, ses épaules.
— Saignez-vous ?
— Non.
Il la prit par la taille et la serra contre lui, c’était la plus merveilleuse sensation au monde.
— J’ai une migraine abominable, mais je survivrai, dit-il d’une voix rauque et profonde contre son
oreille. Kormad vous a-t-il fait du mal ?
— Non. Girard aussi est là. Ils se disputent quant à mon sort… Me tuer ou permettre à Girard de
me ramener en France. Je n’irai pas…
— Mais à quoi pensaient Rebbie et Dirk pour laisser ce bâtard s’emparer de vous, par l’enfer ?
gronda-t-il en ajoutant quelques mots rugueux qu’elle ne comprit pas.
— C’est la faute de Fingall. Les hommes de Kormad et lui ont tué mes gardes du corps et m’ont
enlevée par les passages secrets.
— Maudit Fingall. J’avais chargé quelqu’un de le surveiller et j’avais posté deux sentinelles en
permanence devant les passages secrets.
— Elles sont probablement mortes, et je prie pour que Rebbie et Dirk s’en soient sortis.
— Moi aussi.
Elle se complaisait dans son étreinte chaleureuse, mais le souvenir de sa trahison la révulsait. Elle
recula.
— Je me suis dit que s’ils ne pouvaient vous secourir, je le ferais moi-même, misérable mécréant.
— Je sais, je suis un imbécile. Si vous mourez, ce sera ma faute, se désespéra-t-il. Je n’ai même
pas été capable de vous protéger.
— Je n’avais pas besoin de votre protection.
— Alors pourquoi aviez-vous besoin de moi ?
Pour des choses trop précieuses pour être dites… Les yeux d’Angélique finirent par s’accoutumer
à l’obscurité. Le rayon d’argent qui filtrait par une meurtrière souligna les cheveux fauves de
Lachlan, son visage carré, ses épaules larges.
— Ce dont j’avais besoin, vous ne pouvez me l’offrir, alors cela n’a pas d’importance.
— Dites-moi.
— La fidélité.
— Je vous ai au moins accordé cela. C’est tout ce que j’ai su vous donner.
— Pensez-vous vraiment que je vais croire vos mensonges ?
Comment pouvait-il envisager qu’elle ne découvre pas la vérité ?
— Quels mensonges ? demanda-t-il.
— Je sais ce que vous avez fait hier.
— Vous m’en voulez de vous avoir acheté deux juments blanches ?
— Non ! s’emporta Angélique, la gorge douloureuse. Neilina. La tour sud. Je ne suis pas stupide.
— Par l’enfer, c’était Dirk avec Neilina. Nous avons conçu un plan pour qu’elle croie que c’était
moi, mais c’était en fait Dirk qui jouait mon rôle.
Lachlan ne changerait jamais. Il était peut-être même convaincu par ses propres mensonges.
— Vous me pensez vraiment naïve à l’extrême…
— Non. Ce n’était qu’un piège contre elle.
Elle lui tourna le dos.
— Comment allons-nous nous enfuir d’ici ?
— Angélique, vous ne pouvez pas croire que c’était moi. J’ai rencontré des membres du clan
Robertson pour acheter deux juments comme surprise, un cadeau tardif pour notre mariage. Interrogez
Dirk et Rebbie.
— S’ils sont en vie, je ne leur ferai pas plus confiance qu’à vous. Ce sont des amis loyaux, ils
seront donc naturellement prêts à mentir pour vous.
— Alors demandez aux membres du clan Robertson à quel moment je suis arrivé au domaine et en
suis parti, insista-t-il avant de nommer les hommes qui l’avaient accompagné. Questionnez qui vous
voudrez.
— Je n’en aurai pas l’occasion. Vous savez bien que Kormad va nous tuer. Il nous fera enterrer
dans la même tombe… pour que nous soyons ensemble à jamais.
Un sanglot s’échappa de sa gorge serrée.
— Venez.
Lachlan l’attira dans ses bras, le dos contre sa poitrine musclée. Ses bras puissants l’entouraient
avec fermeté. Elle se débattit.
— Non, vous n’êtes qu’un débauché. J’avais confiance en vous. Je pensais que vous aviez changé,
je croyais vos paroles.
Elle ne pouvait s’empêcher de pleurer bien qu’elle tente de retenir ses larmes.
— Je vous le jure, sur mon honneur, je n’ai pas touché Neilina. J’arriverai à vous le prouver.
— Je vous ai entendu, vous l’avez invitée à vous rejoindre au coucher du soleil, dans la tour sud.
— En effet, mais je n’y suis pas allé. Je n’ai jamais envisagé de le faire. J’ai chargé Dirk de
prendre ma place pour qu’il découvre si elle était une espionne de Kormad, ce que je soupçonne.
— Vous… L’homme avec elle portait un kilt. Dirk n’en a pas.
— Il portait le mien. Il faisait semblant d’être moi !
Disait-il la vérité ? Elle aurait voulu le croire. Son rêve le plus cher était qu’il soit honnête, mais
une partie d’elle refusait d’être naïve et confiante. Plus maintenant.
— Elle gémissait votre nom pendant…
Angélique fut interrompue par l’image de Lachlan possédant une autre femme et la nausée lui
monta à la gorge.
— Ce n’était pas moi. Je vous l’ai dit, vous êtes la seule que je désire, affirma-t-il d’un ton bas et
passionné.
Il la fit pivoter et l’attira contre lui, le visage sur sa poitrine. Elle le laissa faire. Elle avait besoin
d’un peu d’espoir. Elle s’enivra de son parfum unique et désirable, et elle se souvint des instants
d’intimité intense qu’ils avaient partagés. Comme elle aurait voulu…
— Je suis désolé que vous ayez cru que c’était moi et que cela vous ait fait du mal, reprit-il. Je
vous jure, mon amour, que je ne mens pas. Dirk s’est fait passer pour moi. C’était nécessaire pour
qu’elle ne se doute pas que je la soupçonnais d’espionnage. Comment aurais-je été capturé dans la
lande si je m’étais trouvé dans la tour sud ?
— Je ne sais pas quand on vous a capturé. J’ai fui.
— Comment cela ?
— Je vous avais quitté, expliqua-t-elle en s’écartant. J’étais en route pour Londres, pour demander
le divorce, quand Rebbie et Dirk ont intercepté mon carrosse.
— Malédiction !
Sa voix était glaciale, comme si elle l’avait trahi.
— C’était mon droit !
— Vous alliez faire cela sans même m’en parler ? Sur une simple supposition ?
— Je vous ai dit…
— Vous me jugez et condamnez sans être sûre ?
Sa voix résonna entre les murs. Le court instant de bonheur était fini. Elle ne pouvait plus se bercer
d’illusions.
— Je savais que cela arriverait, quand je vous ai épousé. Je me doutais que vous auriez des
maîtresses et des catins, que vous me tromperiez. Je savais que vous m’attacheriez à vous grâce à
votre charme, que vous obtiendriez ma confiance, et que vous me piétineriez le cœur ensuite. Je
n’aurais vraiment pas dû être surprise, mais je voulais y croire. Je suis trop sotte. Pourquoi faisiez-
vous semblant ?
Pourquoi ne pas simplement avoir été sincère sur ses intentions ?
— Je n’ai pas fait semblant avec vous ! Je vous ai promis dès le début de ne pas vous mentir et j’ai
tenu parole.
Lachlan lança un regard accusateur à Angélique dans la pénombre. Comment pouvait-elle croire
une telle chose ? N’avait-elle rien appris sur lui ces dernières semaines ?
— Je ne sais plus ce qui est vrai, murmura-t-elle.
Ces mots percèrent la poitrine de Lachlan comme des dagues. Personne ne l’avait encore accusé de
mentir. Infidèle ? Par l’enfer, il n’avait même pas été tenté de regarder une autre femme depuis leur
mariage. Étrangement, elle était tout ce qu’il désirait. Il ne comprenait pas pourquoi, mais elle n’était
pas comme ses semblables. Elle était spéciale et lui évoquait quelque chose qu’il n’avait jamais
ressenti auparavant. Il ne voulait que la rendre heureuse, la protéger et lui offrir tout ce qu’elle
souhaitait.
Mais sa rage était piquée par la souffrance dans la voix de la jeune femme. Elle tenait à lui, elle le
voulait pour elle seule. Cela lui plaisait, mais son manque de confiance et ses doutes le lardaient de
coups cruels. Comme tous les autres, y compris son père, elle n’attendait de lui que le pire. Il n’était
qu’un bon à rien sans talent ni foi et ne pourrait jamais s’améliorer. Quel imbécile il était. Leur
capture était entièrement sa faute.
Il devait lui prouver qu’il disait vrai. Mais comment ? Les témoignages de Dirk et Rebbie ne
valaient rien. Personne d’autre n’avait été informé de leur ruse contre Neilina. Mais de nombreux
hommes l’avaient vu chez les Robertson.
Cependant, rien de tout cela n’aurait d’importance s’ils ne parvenaient pas à s’échapper. Il avait
lamentablement échoué à la protéger. Quelle sorte de mari était-il ?
— J’ai une idée, chuchota-t-elle. Vous allez faire semblant de me frapper. Je vais hurler et le garde
viendra.
— Je refuse de laisser croire que je frappe ma femme.
— C’est une ruse. Il ouvrira la porte pour nous séparer et vous, caché derrière, surgirez pour
l’assommer.
— Il ne viendra probablement pas seul. Et il sera lourdement armé s’il me croit violent.
— Avez-vous une meilleure idée ? demanda-t-elle d’un air de défi sans élever la voix.
— Certes. Vous faites mine de me frapper. Ils croiront que je me suis cogné la tête contre le mur.
J’ai déjà une bosse, alors ce sera crédible. Vous hurlez de façon hystérique. Ils ne penseront pas que
vous êtes dangereuse et si j’ai l’air inconscient ou mort, ils entreront. Alors, nous les désarmerons.
S’ils sont deux, il faudra être prudents.
— Très bien.
— Feignons de nous disputer, murmura-t-il. Allons, donnez quelques coups.
La main de la jeune femme jaillit de nulle part et claqua contre sa joue.
— Ouch !
Il sentit la brûlure sur sa joue et la douleur de son ancienne blessure se réveilla.
— Devez-vous toujours être aussi follement enthousiaste ?
— Vous m’avez dit de le faire.
— Pas si fort, chuchota-t-il.
— Mauviette !
— Oh ! Allons, montrez-moi ce dont vous êtes capable, petite traînée !
Elle lui donna un coup maîtrisé dans la poitrine et il chancela en arrière en une chute calculée, bien
qu’il fasse tout pour qu’elle ait l’air vrai au cas où un garde les surveillerait par la trappe de la porte.
Angélique hurla et l’espace confiné intensifia sa voix.
— Je l’ai tué ! Je l’ai tué !
— Par l’enfer, qu’est-ce qui se passe ici ? gronda un gardien dans le couloir.
— J’ai tué mon mari ! Mais il le méritait, vermine infidèle !
C’était un peu trop. Lachlan surveilla la porte sous ses paupières entrouvertes. Un homme entra et
s’arrêta sur le seuil, une torche dans une main et une dague dans l’autre, l’épée toujours au fourreau.
Angélique était prostrée dans un coin et faisait semblant de pleurer.
— Je ne voulais pas le tuer. Je l’ai juste poussé. Il est tombé et j’ai entendu son crâne craquer
contre le mur.
Le geôlier fixa la torche entre deux pierres de la paroi et s’avança pour toucher Lachlan du bout du
pied. Le Highlander ne bougea ni ne respira, et l’homme décida de se pencher sur lui. Lachlan en
profita pour saisir le poignet près de la dague et retourner la lame vers la poitrine du garde tout en
saisissant la garde de son épée. Le soldat se dégagea d’un bond en jurant et lâcha son poignard. Le
Highlander avait maintenant les deux armes.
— Que se passe-t-il ? demanda un autre garde qui entra à son tour.
Angélique jaillit de derrière la porte et lui brisa le pot de chambre vide sur la tête. Il s’effondra.
Le premier gardien recula vers la sortie.
— Halte !
Lachlan se leva et indiqua un angle de la pointe de l’épée.
— Par là.
L’homme obéit et le Highlander enjamba le garde inconscient pour rejoindre Angélique dans le
couloir. Elle verrouilla la cellule.
Le soldat hurla et Lachlan ferma la petite ouverture en haut de la porte pour étouffer ses cris.
Des bruits de pas et des voix se dirigèrent vers eux dans le passage obscur que n’éclairait qu’une
torche.
— Enfer, les hommes de Kormad !
— Je suis prête, déclara Angélique, une dague à la main.
— Où avez-vous trouvé cela ?
— Sur le second garde.
— Faites attention.
Bon sang, et s’il ne parvenait pas à tous les tuer et à la protéger ? La nausée le saisit à la pensée
des horreurs qu’elle devrait endurer s’il mourait. Viol, torture et mort. Il n’avait pas le droit
d’échouer.
L’épée dans une main et la dague dans l’autre, Lachlan affronta le premier des mercenaires de
Kormad. Le spadassin grand et vêtu de cuir chargea, abattant sa lame sur celle du Highlander. Le
coup fit vibrer le bras de Lachlan et le fracas de l’acier emplit l’espace confiné. Le couloir était
heureusement trop étroit pour que deux hommes puissent combattre de front. Lachlan désarma son
adversaire et le transperça rapidement. La fureur de la bataille lui enflamma les veines.
Un autre combattant enjamba son comparse malheureux et attaqua. Lorsqu’il fut à terre, Lachlan se
concentra sur le suivant. Mais ses deux complices et lui restaient en retrait, les yeux écarquillés dans
l’ombre.
Quelqu’un chargea derrière les hommes et un cri de guerre s’éleva.
Rebbie ? Oui, c’était bien lui, avec Dirk derrière lui. Les lames s’entrechoquèrent en mouvements
flous. Lachlan engagea l’affrontement contre l’ennemi le plus proche. Ce dernier chancela et tomba.
Le Highlander abattit le pommeau de son épée contre son crâne, l’assommant.
— Lachlan ! Vous êtes vivant ! s’exclama Rebbie en lui donnant une claque sur l’épaule. Venez !
— Combien d’hommes dehors ?
— Aucun, nous nous en sommes occupés.
— Je vous remercie, dit Lachlan en prenant la main d’Angélique pour l’amener près de lui. Où
sont les nôtres ?
— Il y a eu deux ou trois morts, expliqua Rebbie. Mais nous ignorons ce qu’il est advenu des
autres. C’était le chaos. Quand nous avons vu Fingall et son complice emporter Angélique, nous
avons compris qu’il fallait agir vite.
Au-dehors, Dirk leur désigna trois chevaux de Kormad.
Un autre garde apparut à l’angle d’un mur et chargea.
— Aidez Angélique à monter, dit Lachlan à Dirk.
Il engagea un échange contre le soldat. Celui-ci était rapide et habile.
D’autres mercenaires de Kormad affluèrent des marches du manoir. Où diable avait-il trouvé tant
d’hommes ?
— Il faut partir tout de suite, Lachlan !
Dirk lança une pierre à l’adversaire. Elle lui rebondit sur l’épaule mais suffit à le distraire et le
Highlander lui coupa le bras. En hurlant des imprécations, l’ennemi battit en retraite.
Lachlan sauta sur le dos du cheval derrière Angélique et suivit ses amis pour passer, au galop, les
portes béantes et non gardées.
— Suivez-les ! ordonna quelqu’un derrière eux.
Des sabots martelaient à leur suite vers Draughon.
— Maudits fils de catin !
Lachlan tenait fermement sa femme contre lui. Il regarda en arrière et repéra deux sbires de
Kormad qui les poursuivaient.
Les grilles de fer de Draughon apparurent.
— Ouvrez les portes ! cria Lachlan.
Les gardes lui obéirent en toute hâte et les montures entrèrent à toute allure dans la cour. Les grilles
se refermèrent derrière les fugitifs dans un claquement.
— Où sont les autres ? Tous les hommes n’ont quand même pas été tués !
Lachlan descendit d’un bond et aida Angélique.
— Je l’ignore, répondit Rebbie. Nous avons pris une dizaine de guerriers avec nous pour aller à
Burnglen.
Le passage secret avait été infiltré et Lachlan ne savait pas à quoi s’attendre. Il tira l’épée et monta
les marches en courant avant d’ouvrir la porte sur une grande salle bondée.
Kormad et Girard sursautèrent et se tournèrent vers lui, les yeux écarquillés.
— Que diable faites-vous ici ?
L’instinct de Lachlan lui dictait d’éventrer Girard puis Kormad. Mais la prudence le figea sur
place.
— Qui leur a permis d’entrer ? s’emporta-t-il.
Ce château appartenait à Angélique et lui, et ces deux bandits se tenaient dans la grande salle
comme s’ils avaient été chez eux.
— Faites sortir dame Angélique ! cria l’un de ses anciens gardes. Ils ont ligué tous les autres
contre vous !
L’homme était assis dans un coin, le visage couvert de sang et les mains liées dans le dos.
Kormad le frappa du poing dans la mâchoire et le soldat tomba à genoux.
— Eh bien, voilà l’un des derniers hommes qui te sont fidèles, MacGrath. Je te laisse deviner qui
est l’autre ! se moqua Kormad en riant.
Un autre garde dans la pièce, visiblement indemne et libre, détourna le regard. Et ceux aux portes,
étaient-ils traîtres ou loyaux ? Plusieurs hommes, guerriers et dignitaires du clan Drummagan lui
décochaient des œillades dures et accusatrices. Où était Bryson, son bras droit et chef de guerre ? Et
Heckie ? Combien l’avaient trahi ?
Lachlan regarda derrière lui où Angélique se tenait devant Rebbie et Dirk, en sécurité pour le
moment mais pâle et les yeux écarquillés.
— Partez immédiatement ! ordonna le Highlander à ses ennemis.
Kormad répondit en riant :
— Le clan Drummagan sait tout de vos félonies, MacGrath. Peut-être que votre femme ne sait pas
encore tout. Meurtre, viol.
— Fils de catin trois fois maudit !
Lachlan se retint péniblement de céder à son instinct. Il aurait voulu se jeter sur Kormad, l’épée au
clair. Mais ses compagnons et lui étaient en minorité. Il recula vers Angélique.
— MacGrath a violé ces deux femmes, déclara Kormad en désignant l’épouse de Fingall qui
feignait de pleurer et Neilina qui lui lançait un regard noir.
— Vous êtes fou ! s’indigna Lachlan. Je ne les ai pas touchées.
— Nous avons des témoins. Plusieurs, en fait. Nous savons aussi que vous avez tué le Français,
Philippe. Nous avons des preuves.
Derrière lui, Angélique hoqueta.
— Philippe est mort ?
— Certes, demandez donc à votre mari.
— Je ne sais rien de cela, rétorqua Lachlan.
— Nous avons retrouvé votre dague dans son dos, renchérit Kormad.
— Vous m’avez pris mes armes quand vous m’avez assommé et capturé.
— Angélique a tué un homme, en France, l’année dernière, ajouta Girard.
— Des mensonges, encore, gronda Lachlan sans cacher sa haine pour Girard.
Il lui fallut toute sa volonté pour ne pas lui séparer la tête du corps.
— C’est vous le violeur, et j’entends vous faire payer vos crimes.
— Ne vous inquiétez pas, mes amis, déclara Kormad à l’intention du clan. J’ai envoyé l’un de mes
hommes dénoncer leurs exactions auprès des autorités. Emparez-vous d’eux !
Lachlan recula pour faire bouclier devant sa femme.
— Protégez-la.
Dirk et Rebbie tirèrent leurs épées. Dos à dos, les trois hommes formaient un triangle autour
d’Angélique. Lachlan lui prit la main de son côté libre.
— Je vois que vous êtes prêt à tuer d’autres innocents, observa Kormad. Cela se passerait
tellement mieux si vous vous rendiez et reconnaissiez vos crimes.
— Nous n’avons commis aucun crime. C’est vous et ce maudit Français qui êtes coupables. Des
violeurs, des assassins et des voleurs, voilà ce que vous êtes.
— Vous battre ne servira à rien. J’ai déjà montré au clan les documents légaux, reprit Kormad. Le
précédent chef, John Drummagan, a épousé ma sœur en secret, et ils ont eu un fils. Timothy, seul
héritier mâle légitime de John Drummagan, est donc le comte de plein droit. Je suis son tuteur et je
vais donc assumer la charge de chef jusqu’à ce qu’il soit en âge de me succéder.
— Quelle folie ! Ne me dites pas que vous croyez aux mensonges de cet homme, demanda Lachlan
aux membres du clan qu’il croyait loyaux, et en qui il avait confiance. Vous m’avez prêté allégeance
mais vous préférez donner foi aux mensonges de ce gredin plutôt qu’à la parole de votre chef ?
Plusieurs hommes baissèrent les yeux, mais d’autres soutinrent son regard d’un air accusateur.
— Les faux papiers sont faciles à faire. Les faux témoins sont aisés à trouver pour qui les paie
suffisamment, n’est-ce pas, Kormad ? Je suppose que tisser cette toile de mensonges vous a coûté une
petite fortune.
— Cela n’a rien coûté car ce n’est que la vérité.
— Oui, et je vais emmener cette meurtrière en France où elle sera jugée.
Girard posa sur Angélique un regard animé d’une flamme impie. Du désir mêlé d’une haine
profonde… Lachlan ne pouvait permettre que la jeune femme tombe entre ses mains, à aucun prix.
Elle subirait un sort pire que la mort. À eux trois, ils ne pouvaient pas triompher de Kormad, Girard,
leurs sbires et tout le clan Drummagan… Pas en veillant à la sécurité d’Angélique. Il aurait dû
demander aux hommes du roi de rester encore quelques semaines. Maintenant, il n’avait plus que ses
deux amis fidèles pour combattre à ses côtés.
— Rebbie, Dirk, nous repartons par où nous sommes venus.
— Écartez-vous ! cria Dirk.
Lentement, le petit groupe recula vers la porte. Lachlan et Dirk bloquèrent l’entrée de l’extérieur
avec plusieurs grosses pierres qu’ils firent rouler des côtés.
— Vite ! Aux écuries. Ils vont nous suivre.
Deux guerriers de Kormad coururent vers eux, lames au clair. C’étaient les hommes qui les avaient
poursuivis un peu plus tôt. Rebbie affronta l’un et leurs épées s’entrechoquèrent. Dirk vint à bout du
second en deux passes et courut aider son ami.
— Lorsque vous l’aurez tué, assurez-vous que les grilles soient ouvertes ! cria Lachlan.
Il porta Angélique jusqu’aux écuries.
— Je n’arrive pas à croire que les miens nous aient trahis, gémit-elle. Que faut-il faire ?
— Angélique ! s’exclama Camille en accourant du jardin attenant aux cuisines. Grâce à Dieu !
— Où étais-tu ?
— Je me cachais, Girard veut ma mort.
— Sellez cinq chevaux frais, ordonna Lachlan au garçon d’écurie avant de reposer Angélique.
— C’est fait, milaird, dit ce dernier en guidant une monture. Je me doutais que vous en auriez
besoin à votre retour.
— Où irons-nous ? interrogea Angélique.
Elle semblait si petite, très pâle, ses grands yeux verts emplis de confiance… Elle se fiait à lui
pour assurer sa sécurité. Lachlan avait échoué si lamentablement qu’il ne méritait plus cette
confiance, mais il s’en réjouissait tout de même.
Déterminé à racheter ses fautes, il vérifia les fixations des selles et des sangles. Il la sauverait,
même si c’était tout ce qu’il accomplissait dans sa vie.
— Je n’ai pas saboté les harnais, milaird. Je sais que Kormad est le plus méprisable menteur
d’Écosse. Je serai vos yeux et vos oreilles pendant votre absence.
— Je vous remercie. Prenez garde à vous. (Lachlan regarda Angélique.) Pouvez-vous monter
seule ?
— Oui.
Il aida les deux femmes à se hisser sur les montures et fit de même. Une fois que Rebbie et Dirk
furent libérés de leur adversaire et eurent rejoint leur ami, tous passèrent les grilles au galop. Lachlan
jeta un regard en arrière et vit le clan entier affluer par les portes…

— Où allons-nous ? s’enquit encore Angélique, deux heures après, lorsqu’ils firent une pause pour
laisser les chevaux boire dans une rivière.
Ils étaient entourés de champs vallonnés et de quelques buissons. Angélique savait seulement
qu’ils allaient au nord, vers les Highlands, en direction des sommets bruns et ronds des monts
Cairngorms qu’elle distinguait au loin.
— Au château Kintalon, sur les terres des MacGrath. Mon clan de naissance ne nous rejettera pas
si facilement.
Lachlan avait le visage maculé de sang séché et envahi d’une barbe de trois jours d’un brun doré.
Ses cheveux et son tartan étaient sales et ensanglantés. Mais c’était son expression qui préoccupait le
plus Angélique ; car le charmeur espiègle avait disparu, et avait laissé la place au guerrier inquiet à
la bouche dure et au regard féroce.
— Pourquoi ne pas avoir demandé l’aide des clans alentour, avec lesquels nous avons des
alliances ?
— Si les Drummagan peuvent nous trahir si facilement, il en sera de même pour tous ceux qui
croiront les mensonges et les faux papiers de Kormad. Mais je suis prêt à confier ma vie et la vôtre à
mon frère. Son manoir est le seul endroit où je suis certain que nous serons en sécurité.
Il s’inquiétait de sa sécurité ? Elle ne pouvait plus le regarder dans les yeux. Son clan lui faisait
honte. Elle ne parvenait toujours pas à croire que les siens avaient trahi Lachlan et elle si aisément.
— Kormad et Girard sont les hommes les plus démoniaques que je connaisse, dit-elle. Je suis
certaine que l’un d’eux a tué Philippe.
Il avait été son ami quand les autres se détournaient d’elle et il allait lui manquer. Mais il n’avait
jamais possédé son cœur comme Lachlan. Cependant, Philippe n’avait jamais fait de mal à personne
et ne méritait pas d’être assassiné de sang-froid. Sans elle, il ne serait jamais venu en Écosse. En un
sens, elle se sentait coupable.
Lachlan l’observa, le regard incisif.
— Avidité, vengeance… Ce sont des motivations puissantes.
— Que devons-nous faire ? Nous ne pouvons tout de même pas permettre à Kormad de garder
Draughon.
— Certes non. Mais d’abord, je dois veiller à vous mettre en sécurité. Je ne peux pas assurer votre
protection pendant que j’affronte ces deux démons et leur cohorte. De plus, maintenant que le clan est
de son côté, je n’ai plus de combattants avec moi. Je ne suis pas idiot au point d’ignorer quand il faut
se retirer pour rassembler ses troupes. Les hommes du clan MacGrath sont plus nombreux que les
Drummagan, et je pense qu’ils accepteront de venir à notre aide.
— Merci de me protéger, murmura-t-elle.
— Inutile de me remercier.
Il alla se laver le visage et les bras dans l’eau teintée de tourbe de la rivière toute proche.
Elle était heureuse d’avoir échappé aux griffes de Kormad, mais qu’adviendrait-il si ni Lachlan ni
elle ne pouvaient revenir à Draughon ?

Avant le crépuscule, ils atteignirent un vieux château délabré où vivait un camarade de Lachlan et
Rebbie, qu’ils avaient rencontré durant leurs études à l’académie. Le baron jovial les nourrit
fastueusement, et Camille et Angélique passèrent la nuit dans une chambre indépendante.
Lachlan, Rebbie et Dirk se contentèrent du sol de la grande salle avec les serviteurs. Le lit
d’Angélique était confortable, mais le corps chaud et musclé de Lachlan lui manquait contre son dos.
Peut-être ne pourraient-ils plus se tenir ainsi enlacés. Elle dormit peu, d’un sommeil peuplé de
cauchemars de Girard et Kormad.
Avant l’aube, les fugitifs mangèrent rapidement et reprirent la route, pour ne pas permettre à
Kormad et ses hommes de les rattraper… s’ils les suivaient. Le baron leur offrit des couvertures, des
tentes et de la nourriture pour qu’ils ne manquent de rien s’ils ne trouvaient pas de refuge la nuit
suivante.
Lachlan avait un peu meilleure mine, ayant pu se laver et emprunter des vêtements propres à son
ami. Son expression restait cependant fermée et déterminée.
Ils chevauchèrent toute la journée, à un rythme soutenu. La chaîne des Cairngorms se dressait
autour d’eux. Malgré la brume, Angélique distinguait quelques amas de neige au sommet des
montagnes. Elle n’avait jamais été autant au nord de l’Écosse et trouvait le paysage désolé mais
magnifique. Des nuages noirs s’entassaient au-dessus d’eux et le vent du nord était glacial.
Lachlan s’arrêta et descendit de cheval. Il prit une couverture de laine dans ses bagages, la passa
autour d’Angélique et lui couvrit la tête. Il avait des gestes doux mais efficaces, et semblait distant.
— Merci, fit-elle.
— Dites-moi si vous avez froid.
Elle hocha la tête.
— Pouvez-vous envelopper Camille d’une couverture ? demanda Lachlan à Rebbie avant de
retourner à sa monture.
Le regard intime et insistant que Lachlan posait autrefois sur elle manqua soudain à Angélique.
Elle ne savait même pas pourquoi elle désirait le voir encore chez un homme tel que lui. Ce n’était
qu’un rappel de plus que ses rêves d’amour étaient ridicules.
Lorsqu’ils reprirent leur chevauchée, une mince bruine tomba et Angélique n’en fut que plus
reconnaissante pour l’épaisse couverture de laine qui la préservait de l’humidité. Elle n’était
clairement pas une fille des Highlands, mais Lachlan paraissait dans son élément.
Au coucher du soleil, la pluie cessa mais le froid demeura. Ils s’arrêtèrent à l’abri de quelques
arbres, faute de château ou de fermette en vue.
Les hommes déposèrent les sacs. Tandis que le ciel s’assombrissait, Angélique et Camille
contemplèrent les montagnes qui avaient l’air accueillantes malgré leur aspect lugubre. Une
végétation brune et basse les couvrait, sans doute de la bruyère, mais pas d’arbres. C’était un autre
monde, après les Lowlands toutes en verdure et buissons.
Des pas approchèrent.
— Lady Angélique, puis-je m’entretenir avec vous ? s’enquit Dirk.
— Oui.
C’était inhabituel. Il lui parlait rarement sauf pour la saluer. Camille se retira.
Le regard bleu aiguisé de Dirk semblait capable de transpercer son interlocuteur. Il paraissait très
sérieux, mais il avait les joues rouges.
— Vous savez, c’était moi dans la tour sud, avec Neilina. Lachlan ne vous serait pas infidèle.
Angélique ne sut que répondre. Répétait-il ce que Lachlan lui avait demandé de dire ou avait-elle
effectivement surpris cet homme en plein acte charnel avec une femme. Ses joues s’enflammèrent.
Elle espérait qu’il était sincère, mais elle n’était pas assez naïve pour le croire sur parole. Son
innocence était morte depuis longtemps.
— Je n’ai pas de preuve de ce que vous avancez. Celui que j’ai vu ressemblait exactement à
Lachlan et… ma cousine a prononcé son nom.
Dirk fronça les sourcils.
— Elle m’a appelé Lachlan, et je ne l’ai pas corrigée puisque je me faisais passer pour lui. C’était
ma mission de déterminer si elle nous espionnait pour Kormad. C’était clairement le cas. Je connais
Lachlan depuis plus de dix ans, et je ne l’ai jamais vu épris d’une femme comme de vous.
— Nous sommes mariés, il doit entretenir une façade crédible.
— Je le jure devant Dieu, il est amoureux de vous, même s’il ne vous l’avouera sans doute pas.
C’est tout ce que je voulais dire. Bonne soirée.
Il s’inclina brièvement et s’éloigna à grands pas.
Dirk ne lui avait jamais autant parlé. Elle ne savait pas si elle devait le croire. Lachlan,
amoureux ? Une telle chose était-elle possible ?
Dirk rejoignit son ami qui montait une tente et lui glissa quelques mots. Lachlan s’avança vers
Angélique, le visage solennel. Que manigançaient-ils ?
— Je dois vous dire quelque chose, Angélique, commença-t-il en rajustant le tartan sur son épaule.
L’endroit et le moment sont mal choisis pour cela, mais je n’ai guère le choix.
Elle se sentit envahie par la panique. Allait-il avouer son infidélité quelques secondes après que
Dirk avait tenté de la convaincre du contraire ?
— Qu’y a-t-il ?
Il prit une profonde inspiration, hésita, et la regarda droit dans les yeux.
— J’ai deux fils.
— Comment ? Des fils ?
Elle avait dû mal entendre.
— Oui, deux petits bouts. Orin et Kean. Ils vivent avec le clan MacGrath, à Kintalon.
— Mère de Dieu !
Il lui semblait que le sol humide s’était dérobé sous ses pieds.
— Êtes-vous certain que c’est tout ? Un homme comme vous a dû semer une vingtaine de bambins
dans toutes les régions que vous avez visitées.
Il leva un sourcil.
— Essayez-vous d’être drôle ?
« Drôle » ? Elle l’aurait étranglé. Il la tournait en ridicule, sa femme ne savait même pas que son
époux avait deux fils.
— Pourquoi ne pas m’en avoir informée plus tôt ?
Qui était cet homme ? Savait-elle quoi que ce soit de lui ? C’était un étranger.
— Je n’ai rien dit car je savais que vous seriez fâchée. Et c’est le cas, non ?
Elle n’était pas certaine de ses sentiments sur le moment. Il lui semblait être prise dans un
tourbillon, sans rien maîtriser, sans pouvoir se rattraper à quoi que ce soit. Elle n’avait plus ni époux
ni domaine… d’autres en avaient pris possession.
— Avez-vous déjà été marié ?
— Non.
Comme elle l’avait soupçonné, les enfants n’étaient que le résultat de ses innombrables frasques
sexuelles.
— Et leurs mères ?
Des femmes à qui il avait offert les mêmes bonheurs intimes et sensuels qu’à elle. Elle était son
épouse, mais cela ne la rendait pas différente des autres : elle n’était qu’une conquête parmi des
centaines. Elle l’avait certes déjà compris à Draughon.
— La mère de Kean est morte tragiquement il y a quelques mois, dans un incendie. Celle d’Orin vit
toujours au village. Mais je ne la fréquente plus, bien sûr.
— Bien sûr, marmonna Angélique.
Savoir s’il fréquentait ou non une femme ne dépendait que d’une décision sur un coup de tête, et de
son envie du moment.
— Vous auriez pu me le dire… Me parler de vos fils.
Elle se sentait abattue, perdue.
— Je sais que vous ne m’en parlez maintenant que parce que nous allons à Kintalon, où je les
croiserai sans doute. Et si nous n’étions pas venus ? Me l’auriez-vous avoué un jour ?
Chapitre 16

Le soir suivant, des flocons voletaient dans le crépuscule gris pendant que le superbe spectacle de
Kintalon et ses tours ancestrales apparaissait au loin. Un lac tout proche ressemblait à une vaste
étendue de verre noir.
— Dieu merci, murmura Lachlan en sentant une douce chaleur lui envahir la poitrine.
Il ne s’était pas rendu compte à quel point ses terres lui manquaient.
Il avait failli à son devoir envers Angélique, mais il comptait bien reprendre Draughon. Il ne se
laisserait pas vaincre. L’estomac noué, il la regarda qui frissonnait sous ses couvertures. Enfer et
damnation, il devait se comporter en meilleur mari.
— Nous y sommes presque, lança-t-il, ses paroles emportées par le vent glacial.
Une demi-heure plus tard, ils traversèrent le village et s’approchèrent des grilles du château. L’un
des gardes le reconnut et ouvrit tandis qu’un autre courait vers le manoir, sans doute pour prévenir
son frère. Ils entrèrent dans l’enceinte vide éclairée d’une seule torche qui faisait briller les pavés
couverts de neige.
Son frère sortit de la tour en souriant et s’avança vers eux.
— Lachlan ! Les premières neiges viennent à peine de tomber.
— Certes.
Lachlan descendit de cheval, serra la main d’Alasdair, puis l’attira contre lui en une embrassade
fraternelle.
Dirk et Rebbie mirent également pied à terre et saluèrent Alasdair, qu’ils avaient rencontré des
années auparavant. Lachlan souleva Angélique pour la descendre de cheval et l’enveloppa d’un bras
pour partager un peu de sa chaleur. Elle se sentait parfaitement bien près de lui et le contact de ses
mains lui manquait douloureusement.
— Je vous présente mon épouse, Angélique, comtesse de Draughon. Angélique, mon frère,
Alasdair, comte de MacGrath.
— Enchantée, milaird. Lachlan m’a beaucoup parlé de vous.
Elle lui adressa une révérence.
Alasdair s’inclina et lui embrassa la main.
— Le plaisir est mien, milady. Félicitations pour votre mariage.
Dirk aida Camille à descendre de sa monture et Lachlan la présenta également.
— Rentrez vite, la neige ne cesse d’épaissir. Le garçon d’écurie s’occupera de vos bêtes.
Alasdair leur désigna l’entrée du château.
— Lachlan ? demanda-t-il en restant sur le seuil.
Le Highlander laissa Angélique se glisser sous son bras et suivre les autres à l’intérieur.
— Oui ?
Des flocons parsemaient les cheveux noirs d’Alasdair, et ses yeux sombres brillaient de curiosité
et de joie.
— Lorsque vous m’avez informé par missive de votre mariage, j’ai eu peine à vous croire.
— J’avoue que c’était inattendu. Je dois vous parler en privé dès que possible. Je crains que ma
venue ne soit pas une simple visite de courtoisie.
Alasdair hocha la tête et lui donna une tape amicale sur l’épaule avant de le guider vers les
marches.
— Avez-vous épousé Gwyneth ? s’enquit Lachlan.
— Certes, répondit son frère avec un large sourire. Je ne lui permettrai plus de m’échapper !
— J’en suis heureux. Félicitations à vous également.
Dans la grande salle, la chaleur et les flammes lumineuses de l’âtre, le parfum du pain frais et du
ragoût de mouton fumant étaient accueillants, et il se sentit de retour chez lui.
Gwyneth se précipita vers eux, le ventre plus arrondi que dans son souvenir, et Lachlan se
demanda si le prochain comte MacGrath avait déjà été conçu. Il sourit et embrassa la jeune femme
sur la joue.
— Gwyneth, quel plaisir de vous voir. Voici ma charmante épouse, Angélique. Angélique, je vous
présente ma belle-sœur, Gwyneth.
— C’est un plaisir, milady, déclara leur hôtesse.
Les deux femmes échangèrent une révérence.
— Vous devez être gelés, ajouta-t-elle. Venez vous réchauffer près de la cheminée. Les serviteurs
vont apporter à manger dans un instant et je fais préparer vos chambres. Je suis ravie que vous soyez
venus.
Angélique, stupéfaite, regarda Lachlan saluer d’autres membres du clan qui lui souriaient, lui
serraient la main et lui frappaient l’épaule. Certains le taquinèrent sans pitié. Un bras passé autour
d’Angélique, il la présentait fièrement à chacun.
— Je vais parler à Alasdair de la situation à Draughon, dit-il enfin en l’embrassant sur le front
avant de disparaître dans un couloir.
Ce geste bref et affectueux la désorienta un instant, lui rappelant brusquement le temps passé où
elle partageait son lit.
— Vous semblez épuisée, venez vous asseoir, invita Gwyneth.
Elle escorta Camille et Angélique vers la haute table, non loin de la chaleur rassurante du foyer.
Les serviteurs s’affairaient à apporter plats et boissons. Gwyneth choya les deux femmes comme deux
enfants, leur servant du ragoût et leur versant de la bière.
— Pendant que ces messieurs discutent de leurs affaires d’hommes, mangeons !
L’accent anglais aristocratique de la châtelaine la faisait se démarquer parmi tous ces Highlanders
et Angélique se demanda comment elle avait rencontré le frère de Lachlan.
Un bambin d’environ six ans s’approcha de Gwyneth. Elle le serra contre elle et le présenta
comme son fils, Rory. Après avoir timidement salué les invitées, il s’éclipsa pour aller jouer avec un
groupe d’enfants.
Gwyneth sourit.
— Nous avons été agréablement surpris de recevoir la missive annonçant votre mariage avec
Lachlan.
Angélique aurait voulu tenir la nouvelle pour tout aussi agréable, mais pour le moment, elle ne
savait que penser ou ressentir.
— Notre union a été tout aussi surprenante pour moi. Elle a été arrangée par le roi James, voyez-
vous.
— Je n’aurais jamais cru que Lachlan se marierait.
— Il n’aurait sans doute pas dû.
Sacrebleu, qu’avait-elle dit ? Maintenant, tout le monde allait se douter qu’ils n’étaient pas
heureux. Gwyneth rougit, fronça légèrement les sourcils et se concentra sur sa tarte aux baies.
— Veuillez m’excuser, je ne voulais pas dire cela.
Les larmes qui menaçaient depuis des jours affluèrent dans les yeux d’Angélique. L’épuisement, la
peur et la confusion avaient raison d’elle.
— C’est à moi de m’excuser. Je ne voulais pas vous contrarier, répondit Gwyneth.
— Ne vous alarmez pas, milady, intervint Camille en tapotant le bras d’Angélique. Ils se sont tout
simplement disputés.
— Veuillez me pardonner, je ne souhaitais aucunement me montrer indiscrète.
Le regard inquiet de Gwyneth se dirigea vers l’autre extrémité de la pièce et Angélique se
retourna.
Un jeune enfant d’environ trois ou quatre ans était installé sur les larges épaules de Lachlan. Il
avait son sourire et les cheveux blonds, ce qui donnait l’impression étrange que le Highlander portait
une reproduction miniature de lui-même.
— L’un de ses fils, murmura Angélique.
Bien qu’elle soit prévenue, en voir un de ses yeux était comme un coup au cœur. Elle tenta de
respirer normalement et s’aperçut qu’elle ne pouvait détourner le regard de son mari et du bambin,
qui jouaient au cheval avec enthousiasme.
Lachlan fit passer l’enfant tête en bas et il se mit à rire si fort qu’il faillit s’étouffer. Lachlan
semblait plus heureux que jamais. Les jeux. C’était tout ce qu’il connaissait. Lui-même était plus un
enfant qu’un homme. Puis elle se souvint des jeux qu’ils avaient partagés dans leur chambre, et de sa
version audacieuse du jeu du risque. Oui, en ces instants, c’était bien un homme. Elle s’était alors
tellement amusée… Mais c’était du passé.
— Je suis épuisée. Voyez-vous un inconvénient à ce que j’aille m’allonger ? demanda Angélique.
— Bien sûr que non. Je reviens dans un instant.
Gwyneth traversa rapidement la grande salle et alla dire quelque chose à Lachlan. Il hocha la tête
et adressa un bref regard à son épouse en reposant le bambin à terre.
Gwyneth revint.
— Veuillez me suivre, tous deux, je vais vous montrer vos appartements.
Lachlan emboîta le pas de ces dames, à l’écart, dans un escalier étroit et peu éclairé. Gwyneth
ouvrit une porte.
— Lady Angélique, voici la chambre de Lachlan et vous. Camille, la vôtre est plus loin.
Les deux femmes s’éloignèrent.
Angélique s’arrêta mais refusa de regarder son époux lorsqu’il s’approcha.
— Je voudrais une chambre séparée, déclara-t-elle.
Elle avait besoin de repos et voulait se libérer de ses émotions, ce qu’elle ne pouvait faire en
présence de Lachlan.
— Je dois vous protéger, nous devons dormir dans la même pièce, fit-il remarquer d’une voix
basse et rauque.
— Ce n’est qu’un prétexte.
— Appelez cela comme il vous plaira. Je suis votre mari, et nous partagerons cette chambre, même
si je dois dormir sur le sol.
— Le sol ? J’approuve cette idée.
Une partie d’elle voulait le faire cruellement souffrir, comme il l’avait fait, mais une autre voix
s’insurgeait contre la perspective qu’il dorme à terre. Non, le grand lit aux rideaux bleus de velours
fin était aussi le sien.
Il la poussa dans la pièce et ferma la porte derrière eux. Une épaisse bougie blanche brûlait sur le
manteau de la cheminée et les flammes dansaient dans l’âtre.
— C’était l’un de vos fils.
Il tourna vers elle son regard assombri et pénétrant.
— Il ressemble à une miniature de vous.
Lachlan esquissa un sourire.
— En effet. J’espère que vous accepterez de le rencontrer.
Elle avait l’esprit envahi par trop de pensées et de sentiments.
— Peut-être. Mais pour le moment, je suis épuisée. Si vous le permettez, je vais dormir un peu
seule.
— C’est exactement ce qu’il vous faut.
Lachlan rabattit les couvertures et tapota les oreillers pour les gonfler.
— Voulez-vous que je vous apporte autre chose ? À manger, à boire ?
— Non merci.
— Dans ce cas, je reviens bientôt. Si vous avez besoin de moi, je serai à la bibliothèque avec
Alasdair.
On frappa à la porte. Il ouvrit et découvrit Camille. Il s’inclina avant de se retirer.
Il quitta sa propre chambre, celle où il avait dormi la majeure partie de sa vie, hanté par le
sentiment qu’elle ne lui appartenait plus. Il avait déçu Angélique de tellement de manières… Peut-
être que ceux qui pensaient qu’il n’arriverait à rien avaient raison. Peut-être qu’il n’était
effectivement pas à la hauteur des responsabilités qu’on lui confiait. Peut-être n’avait-il aucun talent.
— Par le ciel, marmonna-t-il.
Cette fois, il n’échouerait pas. Il reprendrait Draughon, même s’il devait mourir pour y parvenir.
Il entra dans la bibliothèque et trouva Alasdair devant la cheminée, un pichet à la main.
— Claret ?
— Oui, merci.
Son frère lui servit le vin dans une timbale en étain et lui tendit.
— Alors… Vous, le séducteur des Highlands, vous voilà marié ?
Alasdair prit aussi un verre.
— Certes, répondit Lachlan en faisant claquer sa timbale contre la sienne. À nos charmantes
épouses.
Il but une longue gorgée du vin épicé.
— Je n’aurais jamais imaginé cela, fit remarquer son frère en souriant.
— Moi non plus. Mais je ne pouvais refuser l’offre généreuse du roi. Et je devais protéger
Angélique.
— Le mariage vous plaît-il ?
— Oui.
Lachlan ne put retenir un sourire en repensant aux instants de bonheur qu’il avait partagés avec
Angélique. Ils faisaient l’amour jour et nuit. Ils jouaient et riaient tous les deux. Retrouveraient-ils un
jour cette complicité et cette harmonie ?
— Je vois bien que votre épouse compte beaucoup pour vous.
Lachlan hocha la tête en regardant son verre. Son frère ne connaissait pas leur histoire et il ne
comptait pas l’éclairer.
— J’ai entendu une rumeur selon laquelle… vous vous seriez disputés ?
— Enfer, comment avez-vous… ?
La porte s’ouvrit, et Rebbie et Dirk entrèrent avant de refermer derrière eux.
— Navrés de l’interruption, s’excusa Rebbie en s’arrêtant. Devrions-nous repasser plus tard ?
— Non, fit Lachlan. Nous en avions fini avec ce sujet.
— Je n’en suis pas certain, mon frère, rétorqua Alasdair avec un sourire.

Angélique se glissa dans l’escalier sombre et désert vers la bibliothèque où Lachlan devait
retrouver son frère. Une femme de chambre lui avait aimablement indiqué où elle se trouvait.
Angélique remercia le ciel de ne croiser personne, et seul l’écho d’une conversation dans la grande
salle troubla le silence. Elle avait essayé de dormir, mais elle ne tenait pas en place.
La porte de la bibliothèque était un panneau de chêne épais et sculpté mais un fin rayon de lumière
passait par une fissure dans l’embrasure. Si elle se plaçait de la bonne manière, elle entendait tout ce
qui se disait à l’intérieur. Les hommes ne faisaient rien pour baisser la voix. Ils parlèrent d’abord du
clan Drummagan et des problèmes de Draughon, puis Rebbie évoqua Neilina.
— Qui est cette Neilina ? s’enquit Alasdair.
— Par tous les saints, Rebbie, ne pouvez-vous vous taire de temps en temps ? gronda Lachlan.
— Difficilement.
Angélique attendit la réponse de Lachlan, l’estomac noué par la nausée. Allait-il admettre sa
culpabilité ?
— C’est la cousine d’Angélique et de Kormad. Elle travaille pour lui, comme espionne, et a tenté
de me séduire.
— Vous et vos maîtresses, le railla Alasdair.
— Ce n’est pas ma maîtresse et elle ne l’a jamais été. J’ai envoyé Dirk la retrouver à ma place
pour lui soutirer des informations. Elle ne savait même pas que c’était lui avant que l’affaire soit
faite.
— Que s’est-il passé ensuite ?
— Elle était furieuse, répondit Dirk. Et Angélique pense qu’elle était avec Lachlan parce que je
portais son kilt. Nous avons essayé de la convaincre du contraire, mais elle croit toujours Lachlan
coupable.
— Je ne puis la blâmer, connaissant vos habitudes, Lachlan, fit remarquer Alasdair.
— Soyez maudit, j’ai changé.
Alasdair rit.
— Alors vous êtes fidèle à votre épouse ?
— En effet.
— Est-ce vrai ? demanda son frère à Dirk.
— Oui. Il n’est plus aussi drôle qu’avant. Plus d’orgies avec lui. Il est littéralement obsédé par ce
petit bout de femme, grommela son ami.
— L’aimez-vous ? interrogea Alasdair d’une voix douce.
Dans l’ombre, Angélique respirait à peine, par crainte de ne pas entendre sa réponse, mais plus
terrifiée encore qu’elle soit négative.
— Qui ? questionna Lachlan.
— Ne soyez pas stupide. Lady Angélique.
— Elle est très belle. Je l’apprécie et elle m’apprécie.
— Vous n’avez pas répondu à ma question.
— Vous savez bien que je ne m’amourache pas des femmes.
— Est-il amoureux ? demanda Alasdair.
— Oh, oui, totalement, confirma Dirk.
— Soyez maudits, tous deux ! Ne me prêtez pas des paroles que je n’ai pas dites.
— Vous ne l’avouerez jamais. Savez-vous que son épouse ne l’a pas laissé partager son lit tant
qu’il n’a pas été chez un médecin faire examiner son membre et vérifier qu’il n’avait pas la vérole ?
— Bon sang, Rebbie ! s’indigna Lachlan en s’empourprant.
Son ami laissa échapper un grand rire. Angélique sentit ses joues s’enflammer. Pourquoi leur
avait-il tout révélé ? Lachlan marmonna quelques jurons.
— Eh bien, je suis officiellement en bonne santé et exempt de maladies.
— C’est un miracle, se moqua Alasdair.
— Quel frère vous faites.
— Alors, combien de temps vous a-t-elle tenu à distance, cette fois ? s’enquit Rebbie. Une
semaine ?
— Je ne discuterai pas de mes rapports intimes avec ma femme en présence de mécréants tels que
vous.
— Aucune dame ne lui a résisté bien longtemps. Nul doute que son épouse ne fera pas exception,
déclara Alasdair.
— Même si elle a parfois envie de le tuer, fit remarquer Rebbie.
— Je suis certain qu’une relation orageuse lui sied à ravir.
— Bâtards, allez-vous cesser de parler de mon mariage comme deux poissonnières échangeant des
ragots ?
— Je pense vraiment qu’il l’aime, dit Alasdair d’un ton surpris.
— Bien sûr. Il ne pense qu’à elle.
— Ne vous l’avais-je pas prédit ? Vous êtes tombé sur le derrière.
— Mon derrière va bien, merci.
— Cupidon lui a visé l’arrière-train, se moqua Dirk.
Ils rirent. Angélique s’éventa de la main, les joues en feu, en se demandant si Rebbie avait raison,
et si Lachlan l’aimait.
— Vous êtes stupides.
Le bruit d’une chaise raclant le sol résonna brusquement.
— Je vais me coucher.
— Non, revenez, nous sommes désolés.
D’autres rires vinrent nuancer les excuses.
— Il ne supporte pas qu’on le raille, alors qu’il le fait volontiers aux autres.
— Sa fierté est plus haute que le Ben Nevis.
— Allez-vous cesser de parler de moi comme si je n’étais pas là ? Vous n’êtes que des commères.
Je pensais que nous discuterions de la situation à Draughon. Si ce n’est pas le cas, je vais me
coucher.
Angélique sursauta et se précipita dans l’escalier. Elle courut dans la chambre, ferma la porte,
sauta dans le lit et se couvrit la tête de la couverture. Ses mains tremblaient, tout son corps
frissonnait.
Tout cela était-il vrai ? Avait-il été fidèle ? L’aimait-il, même s’il refusait de l’avouer ?

Deux heures plus tard, Lachlan entra silencieusement dans la chambre. Il se glissa vers la couche.
Angélique dormait, comme il l’avait prévu. La voir ainsi allongée dans son lit le toucha
profondément. Sa peau d’ivoire sous les flammes, ses cheveux de feu… Elle était si belle qu’il ne
put détourner le regard pendant de longues secondes. Par tous les saints ! Elle l’avait ensorcelé.
Il avait terriblement envie d’elle mais ne la toucherait pas tant qu’elle n’en exprimerait pas le
désir. Il n’était pas coupable des crimes qu’elle lui reprochait, pour la première fois de sa vie, et il
ne ramperait pas à ses jolis pieds. Si elle ne le croyait pas et ne lui pardonnait jamais, il souffrirait
en silence. Aussi longtemps qu’il le pourrait.
Et s’ils ne se réconciliaient jamais ? Et si elle ne l’embrassait plus et ne lui offrait plus ces rares et
doux sourires qu’il surprenait parfois pendant leurs jeux amoureux ? Il vivrait en enfer. Un sentiment
de vide l’envahit. Il se languissait de ses mains sur son corps. Il se souvint de la caresse de ses doigts
le long de sa poitrine, de son ventre, de la peau sensible de son bas-ventre. Elle l’avait fait trembler
d’un geste, si proche de son entrejambe. Elle s’était jouée de lui, provocante, et il avait connu un
désir sans égal.
Ce souvenir fit durcir son sexe.
Il soupira brusquement et se dirigea vers la cheminée pour ajouter deux briques de tourbe. Il se
laissa tomber sur la chaise matelassée et regarda Angélique. Ah, que ne donnerait-il pour se
déshabiller et se faufiler entre les draps chauds, près d’elle… Simplement pour la serrer contre lui.
Mais il ne méritait pas ce bonheur. Il lui avait fait perdre son domaine et ne prétendrait à ses droits
de mari que lorsqu’il les aurait mérités en récupérant Draughon.

Le lendemain, vers le milieu de la matinée, Angélique entrouvrit la fenêtre pour mieux contempler
les Highlands couvertes de neige. Le soleil éclatant brillait sur les sommets blancs et le loch reflétait
le ciel bleu presque au point de l’aveugler. De légers flocons et pépites de glace flottaient encore
dans l’air. La différence avec le paysage des Lowlands, qu’ils avaient quitté quelques jours
seulement auparavant, était frappante.
Ils étaient loin de Draughon. Lachlan avait prévu de partir avec d’autres hommes dans deux jours.
Penser qu’il puisse être blessé au combat si loin d’elle la dévastait. Et s’il était tué sans qu’elle le
revoie ? Autant mourir aussi…
Dans la cour enneigée en contrebas, Lachlan discutait avec son frère. Elle savoura secrètement sa
vue. En se réveillant, elle avait découvert son mari endormi sur une chaise près du foyer. Il ne s’était
pas imposé dans le lit… pourtant son lit en vérité. Elle était étrangère ici. Elle se sentait vulnérable,
taraudée de questions. Que ressentait-il vraiment pour elle ? Elle pria pour qu’il puisse apprendre à
l’aimer.
Une femme, le ventre arrondi, passa les grilles en compagnie d’un enfant de cinq ou six ans. Il lui
lâcha la main et se précipita vers Lachlan. Il le prit dans ses bras, le serra contre lui et le jeta sur son
épaule comme un sac de grain. Le rire de l’enfant résonna sèchement dans l’air froid. Son fils aîné,
sans doute.
Alasdair s’éloigna et la femme enceinte vint vers Lachlan. Angélique se raidit en appréhendant une
déferlante d’émotions. Mais Lachlan ne toucha pas l’inconnue, même après avoir reposé l’enfant. Il
lui parla simplement d’une voix basse pendant plusieurs minutes. Puis il piocha dans son sporran,
récupéra quelque chose et le lui donna. De l’argent. Sacrebleu, cette femme portait son enfant.
Encore.
L’estomac retourné par la nausée, Angélique ferma la fenêtre et tira l’épais rideau, replongeant la
pièce dans l’obscurité.
Qui avait-elle épousé ? Un homme qui désirait un harem ? Angélique avait commis l’erreur la plus
stupide qui soit en tombant amoureuse de ce vaurien.
Lorsque Lachlan entra dans la chambre, peu après, il la trouva assise devant le feu.
— Vous sentez-vous bien ?
Elle ne pouvait le regarder, cela aurait été trop douloureux.
— Oui. Pourquoi n’irais-je pas bien ?
— Gwyneth a dit que vous vous reposiez. Je pensais que vous dormiez.
— Je ne fais pas de siestes, déclara-t-elle d’une voix cassante avant de s’apercevoir qu’elle se
comportait comme un enfant irritable.
— Que se passe-t-il ?
Son estomac se noua, et elle sentit monter sa souffrance et sa rage.
— Alors, vous allez encore être père ?
— Comment ?
— Je vous ai vu parler à cette femme, expliqua-t-elle en désignant la fenêtre.
— Oh, non, le petit n’est pas de moi. Je ne l’ai pas fréquentée depuis des années.
— Lui avez-vous donné de l’argent ?
— Oui, pour mon fils et elle. Pour les vêtements et la nourriture.
— Oui, bien sûr, vous avez profusion d’argent maintenant, fit-elle remarquer d’un ton haineux
et amer.
Pourtant, c’était la vérité, il avait épousé Angélique pour sa fortune et son domaine.
Il ne dit rien pendant un instant.
— Préféreriez-vous que je les laisse mourir de faim en guenilles ?
Sa voix n’exprimait pas la colère qu’Angélique avait attendue mais était empreinte de résignation.
Elle se sentait navrée pour eux, victimes eux aussi des frasques de Lachlan.
— Non, bien sûr.
Mais cela signifiait-il qu’ils vivraient à ses crochets ?
— Je ferai bientôt venir mes fils avec nous, quand nous aurons récupéré Draughon.
— Comment ?
Elle eut l’impression d’avoir reçu un coup de poing. Elle le regarda et lut son expression
déterminée.
— Oui. Ils me manquent. La mère de Kean est morte et il vit ici, au château, depuis. Alasdair et
Gwyneth s’occupent parfaitement de lui, mais je veux m’en charger moi-même. Pour les deux. Je n’en
ai jamais eu l’occasion. Vous voulez que je me comporte de façon responsable, et je vais le faire. Je
veux le devenir.
Sur ce point, elle l’admirait. Mais se retrouver instantanément mère de deux fils, les bâtards de son
époux… Que penseraient les autres d’elle si elle les acceptait sans plus de questions ?
— Vous décidez sans même me demander mon avis.
Il se dirigea vers la cheminée et contempla quelque chose sur le manteau pendant un moment.
— Ils vous aimeront. Et vous les aimerez aussi si vous leur donnez une chance de vous conquérir.
Ce sont des enfants innocents. Ils n’ont rien fait de mal.
Les larmes brulèrent les yeux d’Angélique et elle baissa le regard. Elle le savait, elle ne leur
reprochait pas les fautes de leur père.
— Kean m’a demandé si vous étiez une princesse.
— Par tous les saints, je ne sais pas m’occuper d’enfants.
— Nous emploierons une gouvernante. Cela pourrait être bientôt nécessaire, de toute manière.
Elle s’obligea à le regarder et il cligna de l’œil. Tout n’était donc que plaisanteries pour lui ?
— La mère de votre aîné ne vous en voudra-t-elle pas de lui enlever son fils ?
— Non, c’était ce dont elle me parlait. Elle craint de ne pouvoir veiller sur lui lorsqu’elle aura
accouché. Orin est un peu turbulent et se met toujours dans des histoires impossibles, comme moi à
son âge. Mais ne vous inquiétez pas, il m’obéit.
— Il vous ressemble tellement.
C’était vrai pour les deux garçonnets.
— Oui, en effet.
Il sourit avec affection, avec amour. Il pouvait aimer ses enfants, mais pas elle. Elle se sentit pire
que ridicule d’être jalouse des fils de son mari.
— Angélique.
Il se plaça derrière elle et posa ses mains puissantes sur ses épaules, caressant en profondeur ses
muscles tendus.
— J’espère que vous comprenez. Je suis désolé de ce que j’ai fait par le passé, depuis que je vous
ai, parce que je sais que cela vous contrarie. Mais je ne regrette pas d’avoir ces petits. Ne voyez-
vous pas ? Ce sont mes trésors.
Elle se pencha en avant pour échapper à son contact hypnotique et tenta de cacher l’émotion dans
ses yeux.
Il vint s’agenouiller devant elle et prit ses bras entre ses mains.
— Angélique, qu’est-ce qui ne va pas ? Dites-le-moi.
Elle secoua la tête.
— Lorsque nous aurons des enfants, je les aimerai tout autant.
Il pouvait aussi aimer leurs enfants, mais pas elle. Quelle idiote elle était, à se soucier de ses
sentiments. Il l’enveloppa de ses bras et lui embrassa les cheveux, la tempe. Elle adorait son odeur
de savon et de musc, elle adorait le contact de son corps puissant. Cela faisait longtemps qu’il ne
l’avait pas touchée, car elle ne l’avait pas permis. Et cet instant était merveilleux, comme dans ses
souvenirs. Elle aurait voulu l’embrasser elle aussi, serrée corps contre corps.
— Nous devons concevoir un fils pour être le prochain comte de Draughon, murmura-t-il. Mais
après, il faudra avoir une fille, une petite brindille qui vous ressemblera comme deux gouttes d’eau.
Comment pouvait-il dire de telles choses ? Comme si cela lui importait, comme s’il voulait fonder
une véritable famille avec elle. Les larmes lui montèrent aux yeux et elle posa la tête contre sa
poitrine.
— Chut, souffla-t-il en lui caressant les cheveux tandis qu’il la berçait doucement. Nous
regagnerons Draughon, n’ayez crainte.
— J’espère que vous avez raison.
Oui, autant qu’il pense qu’elle s’inquiétait de ne jamais retrouver Draughon, alors que c’était lui
qu’elle craignait vraiment de perdre.

Après le souper, Angélique s’installa devant la cheminée de la grande salle. Lachlan l’avait
convaincue de rencontrer ses fils. Il les amena et s’agenouilla devant eux.
— Kean, voici ma femme, lady Angélique.
Lachlan chuchota autre chose à l’oreille de son cadet.
— Milady.
Le bambin la dévisagea, les yeux écarquillés, puis lui adressa une petite courbette.
Angélique sentit sa gorge se nouer.
— C’est un plaisir de vous rencontrer, Kean.
Il sourit largement, ses yeux marron clair et son air charmant si semblables à ceux de Lachlan que
cela manqua de lui briser le cœur. Quel adorable chérubin…
— Et voici Orin.
Lachlan se leva et posa la main sur l’épaule du garçon.
— Milady.
Malgré ses cinq ans, il réalisa une révérence théâtrale comme s’il s’était entraîné régulièrement à
cette pratique. Angélique ne put retenir un sourire.
— Orin. Je suis ravie de vous rencontrer.
Orin avait les cheveux clairs et les traits de son père, mais ses yeux étaient d’un bleu limpide.
Kean se rapprocha lentement d’elle en la regardant intensément.
— Vous êtes jolie, dit-il.
— Merci. Quel petit charmeur vous êtes.
Elle sourit et toucha ses cheveux blonds, fins comme ceux d’un nouveau-né. Il prit cela pour une
invitation, lui grimpa sur les genoux et se blottit contre elle.
Ne sachant que dire à un enfant de cet âge, Angélique demanda de l’aide du regard à Lachlan. Le
vaurien, tout sourires, se contenta de cligner de l’œil. Elle passa les bras autour de Kean pour le
maintenir et sentit une émotion nouvelle monter en elle… un bonheur maternel chaleureux. Lachlan et
elle pourraient un jour avoir un fils comme Kean, et une partie d’elle-même le désirait intensément.
Au-dehors, dans la cour, des hommes crièrent et elle sursauta.
— Restez ici, dit Lachlan.
Il se dirigea vers l’entrée avec son frère et plusieurs guerriers.
Deux gardes vinrent à eux et leur parlèrent à voix basse.
Lachlan revint vers Angélique.
— Kormad, Girard et leur troupe sont devant les grilles.
Chapitre 17

— Je n’aurais jamais cru que Kormad et Girard nous retrouveraient, confia Lachlan à Alasdair
alors qu’ils passaient des armures de cuir cloutées dans l’armurerie.
Rebbie, Dirk et les MacGrath se préparaient de la même manière, et choisissaient des armes.
— C’est mieux ainsi, répondit son frère. Nous les vaincrons ici même. Sur nos terres, nous aurons
l’avantage.
— Combien d’hommes ont-ils ? s’inquiéta Lachlan.
— Une vingtaine.
— Je déteste l’idée que des Drummagan soient tués. Je suis censé être leur chef.
— Certes, mais s’ils se battent aux côtés de Kormad, ce sont des traîtres. Et vous ne désirez pas
d’homme déloyal parmi votre clan.
Lachlan savait que son aîné disait vrai. Pourtant, il avait un sentiment d’échec à leur égard.
Pourquoi les Drummagan ne lui avaient-ils pas fait confiance ? Pourquoi s’étaient-ils retournés contre
lui si facilement ?
Une fois leurs armes et boucliers en main, les MacGrath sortirent dans la neige et le vent glacé.
Le soir tombait et plongeait la cour dans une lumière sinistre.
— Remettez-le-nous ! ordonna Kormad quand Lachlan et Alasdair furent à une vingtaine de mètres
des grilles fermées. C’est un fugitif, recherché à Perth pour meurtre et pour viol.
— Autant de charges que vous avez inventées, répliqua Lachlan.
L’un des sbires de Kormad tira au pistolet à travers les barres de fer de la herse.
Alasdair et Lachlan se mirent à l’abri derrière un mur. Les archers MacGrath postés sur les
remparts firent pleuvoir leurs flèches sur les hommes de Kormad. Parmi les cris, d’autres détonations
explosèrent de part et d’autre. Une nouvelle volée de flèches arriva et toutes tombèrent de l’autre
côté des grilles.
— Lachlan MacGrath, espèce de bâtard ! cria Girard en français.
Le seul son de sa voix mit le Highlander en rage.
— Je tuerai ce fils de catin veule même si je dois en mourir !
Il avait déjà confié en privé à son frère ce que le Français avait fait subir à Angélique.
— Est-ce le manchot ?
— Oui, ma femme s’est offert une minuscule vengeance en lui condamnant le bras d’une balle
de pistolet.
Alasdair lui adressa un sourire impie.
— Nos épouses sont toutes deux des battantes assoiffées de sang !
— Oui, nous avons de la chance…
Lachlan regarda derrière le mur et une balle lui siffla au-dessus de la tête. Il esquiva.
— Diantre !
Il s’allongea et visa l’un des maudits mercenaires de Kormad. Il tira. L’homme tressaillit et hurla,
et Lachlan se remit à l’abri du mur. Les complices de sa cible tirèrent en représailles.
Les soldats de Kormad lancèrent des flèches enflammées vers le toit de Kintalon. Heureusement,
Alasdair avait ordonné de fermer tous les volets. Quelques instants plus tard, quelques traits
retombèrent pour frapper les hommes qui les avaient allumés.
— Retraite ! ordonna Kormad.
Ses troupes se retirèrent.
Alasdair rassembla ses guerriers et, quelques instants plus tard, ils étaient à cheval pour
poursuivre les assaillants. Ils veillèrent à ce que les grilles soient bien refermées derrière eux et
plusieurs gardes restèrent défendre le château.
— Capturez-les si vous le pouvez ! ordonna Alasdair.

Par une fissure des volets, Angélique regardait les MacGrath partir en chasse derrière les hommes
de Kormad, y compris des représentants de son propre clan qui l’avaient trahie. Dans la lumière du
soir, elle repéra la silhouette de Lachlan, qui chevauchait en tête avec son frère. L’estomac noué, elle
se signa. Mère de Dieu, protégez-le.
Elle tourna la tête et vit Gwyneth, les paupières closes et le visage livide. Puis elle ouvrit ses yeux
bleus humides et croisa son regard.
— Chaque fois qu’Alasdair part sur ce destrier noir…
Elle déglutit et secoua la tête.
Angélique comprenait. La vie était incroyablement fragile, même pour un guerrier entraîné et en
armure.
— Je suis vraiment navrée d’avoir imposé mes problèmes à votre clan.
— Ce n’est pas votre faute. Et je vois bien que vous êtes inquiète pour Lachlan.
— Oui. Il prend trop de risques. Il se croit immortel.
— Comme tous les hommes.
Angélique hocha la tête et se souvint de l’abondance avec laquelle Lachlan saignait. Elle pria pour
qu’il ne soit pas blessé.

Peu après, alors que la lune faisait briller la neige, les cavaliers revinrent en criant. Les sabots
claquèrent sur les pavés et le cœur d’Angélique s’emballa. Où était Lachlan ? De la fenêtre, elle ne
distinguait pas qui étaient les ombres, malgré les quelques torches. Gwyneth et elle descendirent à
toute allure les marches vers le perron.
Lorsque la châtelaine ouvrit l’épaisse porte, un froid vif transperça la robe d’Angélique. Elle
n’avait pas pensé à prendre un châle ni une cape. Les deux femmes regardèrent par la porte
entrouverte. Les MacGrath faisaient descendre de cheval des hommes ligotés qu’ils conduisaient vers
une aile éloignée du manoir.
— Ils les emmènent dans les geôles, expliqua Gwyneth. Écoutez, dit-elle avec un soupir de
soulagement, c’est Alasdair qui donne des ordres. Dieu soit loué. Le voici avec Lachlan.
Elle désigna un homme aux cheveux clairs qui se détacha de l’attroupement de guerriers et de
montures. Angélique reconnut sa foulée et remercia le ciel. Au fond de son cœur, elle ressentit
soudain la certitude que son époux ne l’avait pas trahie. Elle craignit d’avoir commis l’erreur de
tomber amoureuse. Si seulement il partageait ses sentiments…

Une demi-heure plus tard, Lachlan suivit les autres hommes vers la grande salle et savoura la
chaleur des deux cheminées, sur sa peau glacée. Kormad et Girard avaient été capturés et il avait à
moitié accompli sa mission pour récupérer Draughon. Il scruta la vaste pièce en quête de sa femme.
Quelqu’un le tira par le bras et se serra contre lui. Des boucles rousses emplirent sa vision.
Angélique se pressa contre sa poitrine, et son parfum de lavande et de rose envahit ses sens. Une
excitation inattendue vibra en lui. Mais ce n’était pas de l’excitation sexuelle, ce qui le surprit. Il ne
pouvait décrire cela que comme du bonheur.
— Angélique ?
Elle lui prit la main et l’attira vers l’escalier moins encombré. Elle passa la main à son cou et alla
chercher un baiser. Qu’avait-il fait pour mériter tant d’attentions ? Il voulut la provoquer
malicieusement en se retirant juste avant leur baiser, mais le souffle de la jeune femme sur ses lèvres
était un doux tourment. Il se rapprocha et leurs lèvres se touchèrent. Un frisson le parcourut. Elle était
sensuelle, attirante et délicieuse.
Il l’embrassa comme il brûlait de le faire depuis des jours, profondément et passionnément, sa
saveur envoûtante l’enivrant. Elle avait dû lui pardonner. Lorsqu’elle se dressa sur la pointe des
pieds pour se rapprocher, il la souleva et la pressa contre l’angle d’un mur de pierre pour
l’embrasser de nouveau avec emportement.
Deux membres du clan MacGrath passèrent dans l’escalier et sifflèrent en ajoutant quelques
encouragements libertins.
C’était vrai, tout le monde aimait le taquiner… Lachlan sourit, reposa la jeune femme et la cacha à
leur vue. Lorsqu’ils furent partis, il regarda son épouse, ses yeux sombres, ses lèvres rouges
entrouvertes. Il sentit monter une érection qui promettait de durer.
— En quel honneur ai-je mérité cela ? demanda-t-il.
— Je me suis inquiétée pour vous. Je suis heureuse que vous alliez bien.
Sa voix était comme un souffle, intensément féminine, et son accent plus prononcé que jamais.
Comme lorsqu’il était rentré de l’affrontement avec Kormad, elle se montrait très affectueuse… et
certainement très excitée. Par tous les saints ! Il aurait voulu lui faire tant de choses s’ils avaient été
seuls… Mais le moment était mal choisi.
— En effet, je vais bien. Je dois me rendre dans les geôles pour interroger les hommes que nous
avons capturés. Nous devons voir clair dans cette histoire de faux papiers et d’accusations
mensongères. Il faudra probablement plusieurs heures.

Plus tard dans la nuit, un son réveilla Angélique. Un clapotis d’eau. Le feu était faible, mais lui
suffit à voir le corps nu de Lachlan qui se lavait près de la bassine. Ses muscles étincelaient comme
du bronze sculpté sous les flammes.
— Qu’avez-vous appris ? s’enquit-elle.
Il se tourna vers elle.
— Je vous croyais endormie.
— Je l’étais.
Elle avait voulu rester éveillée et l’attendre, mais elle avait dû s’assoupir.
Il termina sa toilette et se sécha le visage, les bras, le corps. Sans même le vouloir, il la séduisait,
par sa sensualité naturelle, ses gestes assurés et ses muscles délicieux. Son sexe était au repos mais
elle le vit grossir à mesure qu’il s’approchait du lit pour s’asseoir sur le bord.
— Alors je suis content de vous avoir réveillée.
— Pourquoi ?
Elle aurait voulu l’interroger sur les prisonniers, mais elle désirait surtout le toucher.
— Parce que…, commença-t-il en lui prenant la main pour l’embrasser. Vous êtes plus amusante
éveillée.
Elle ne réfléchit plus et passa le bout des doigts sur sa barbe naissante, le pouce glissant contre ses
lèvres sensuelles. Sa bouche semblait dessinée pour des baisers indécents, et elle frissonna tandis
qu’elle sentait confusément en elle le besoin de savourer ses lèvres et de boire à son souffle. Son
regard était posé sur elle comme une flamme d’or sombre. Il baissa les sourcils et serra la mâchoire.
Il lui embrassa le bout des doigts et la paume. Oh, cette chaleur frémissante… elle remonta dans sa
main, son bras, sa poitrine et gagna tout son corps. Sa langue frôla sa paume et un désir douloureux
s’empara d’elle.
Elle s’assit et l’embrassa vivement. Son cœur tressaillit. Vous êtes à moi, Lachlan.
— Vous êtes à moi, laissa-t-elle échapper, entre hoquet et cri.
Elle n’avait pas prévu de prononcer sa pensée à haute voix.
— Oui, je suis à vous, et vous êtes à moi, souffla-t-il entre ses lèvres.
— Je ne voulais pas…
— Chut…
Il prit possession de ses lèvres et la fit basculer sur l’oreiller. Son esprit cessa de fonctionner
tandis que sa langue se jouait possessivement de la sienne.
Elle saisit ses cheveux par poignées, enroulant les fils de soie entre ses doigts pour mieux tenir sa
tête pendant qu’il se repaissait de ses lèvres. Peu importaient ses péchés, peu importait s’il lui brisait
encore le cœur le lendemain, elle refusait de se priver de cet instant de bonheur.
Entre chaque baiser, il murmura des mots qu’elle ne comprenait pas. Que… que dites-vous ? Mais
elle ne put prononcer une parole. Elle avait besoin d’air et de son souffle. Toute sa peau fourmillait
de son désir qu’il la touche. Il défit la ceinture de sa chemise de nuit, et souleva sa fine robe de soie
pour passer ses paumes rudes contre ses cuisses et ses hanches. Des frissons embrasés coururent en
elle. Elle se cambra et le laissa retirer ses vêtements.
— Oh, Angélique, vous êtes si ravissante.
Il posa les lèvres sur ses seins et faufila les mains dans son dos pour la maintenir contre lui. Il la
dévora de ses lèvres et de sa langue, sa barbe effleurant sa peau sensible tandis qu’un plaisir intense
la submergeait.
Il s’allongea près d’elle, et reprit ses baisers envoûtants et passionnés, ses grandes mains glissant
sur ses fesses pour aller soulever sa cuisse. Il aligna son corps avec le sien, ses muscles tendus
contre sa chair tendre, son sexe dressé contre son bas-ventre. Il ne cachait pas son désir pressant et
elle avait envie de lui, besoin de le sentir en elle.
Il semblait partout, sa chaleur, sa raideur, sa bouche sensuelle. Elle laissa échapper un hoquet
d’impatience, de désir vain pour ce qu’il ne pouvait lui offrir. Elle voulait son corps, mais aussi son
cœur.
— Lachlan, maudit soyez-vous.
Elle saisit son sexe d’une main, sentant sous sa poigne ferme la peau chaude et soyeuse ainsi que la
chair dure comme l’acier. Elle voulait le posséder, corps et âme, pour qu’il ne regarde plus jamais
d’autres femmes. Pour qu’il ignore jusqu’à l’existence des autres femmes. Pour qu’il n’y ait plus
qu’elle. Elle le caressa de haut en bas et il gronda d’autres mots en gaélique, les hanches cambrées,
les dents serrées.
Il se tourna brusquement et la plaqua sous lui. Entre ses cuisses, sa main explora ses replis les plus
secrets. Ses doigts glissèrent sur elle, et elle sut qu’elle était prête pour qu’il la possède
profondément, sans retenue.
— Mmm, murmura-t-il en se mordant la lèvre.
Ses yeux plongèrent dans ceux d’Angélique, les paupières à demi baissées sur un reflet de luxure
intense. Les termes gaéliques qui roulaient sur sa langue devaient avoir des sens sexuels indécents…
Ou étaient-ils plus affectueux ?
Elle cambra les hanches contre lui, sans cacher son envie.
Il lui sembla qu’il tremblait en lui écartant les cuisses et en relevant ses genoux. Il prit son sexe
dans une main, et caressa sa chair enflammée et frémissante. Elle hoqueta de plaisir et se déhancha.
Oui, faites-le.
Elle retint son souffle quand il la pénétra, comme une invasion qu’elle avait longtemps désirée. Il
se contint en coups de reins modestes, d’abord, pour qu’elle en demande plus. Mais à chaque
déhanchement, il la pénétrait davantage. Il testa ses limites, mais elle ne sentait aucune douleur, juste
la sensation érotique de s’ouvrir pour lui, qui la submergeait d’un plaisir extatique. Ses larges
épaules musclées au-dessus d’elle augmentaient son désir pour lui. Il était si magnifique qu’elle
savourait chaque détail de leur union. Son regard, plongé dans le sien, lui transmettait des émotions
qu’aucun mot, en aucune langue, ne pouvait exprimer. Union, émotion, intensité.
Il se laissa tomber sur elle, l’épaule près de sa tête, et effleura ses lèvres des siennes. Elle
s’abandonna, criant de plaisir à chaque sensation qu’il provoquait en elle.
Elle sentit le souffle du Highlander devenir brûlant contre son oreille. Elle passa les mains contre
ses joues en sueur et dans ses cheveux, repoussant les mèches égarées sur son visage. D’un doigt, il
stimula le point de magie pure juste au-dessus de leurs sexes unis. Le frémissement se transforma en
un tourbillon trop intense pour qu’elle le supporte. Quelque chose la catapulta par-dessus le bord du
monde, la submergeant d’une euphorie que seul Lachlan savait lui offrir.
Il la pénétrait intensément, profondément, grognant et grondant des mots en gaélique. Pendant
plusieurs secondes, le temps parut s’arrêter.
La respiration de Lachlan sortait en grandes goulées lorsqu’il se retira et s’affaissa près d’elle.
— Par tous les saints, Angélique ! souffla-t-il d’une voix rauque. Vous aurez raison de moi si nos
étreintes sont toujours de si intenses aventures !
Il la tint contre lui et elle appuya la tête contre sa poitrine. Ah, elle désirait tant de choses… Qu’il
soit sien, pour toujours. Qu’ils partagent une telle intimité chaque nuit et chaque jour. Qu’il l’aime
enfin. Qu’elle parvienne à l’aimer sans craindre qu’il ne lui brise le cœur sur un caprice.

— Il semble encore tout joyeux, murmura Rebbie à Dirk tandis qu’ils traversaient la cour enneigée
le lendemain. Alors, elle vous a pardonné ?
— De quoi parlez-vous ? demanda Lachlan qui prit le temps de savourer l’air froid revigorant et
ses souvenirs de la nuit passée.
— Ne feignez pas l’ignorance. Vous souriez comme si vous aviez perdu tout bon sens.
— Vraiment ? interrogea Lachlan qui se retint de rire. Eh bien… Il est vrai que maintenant,
Angélique me croit, quand je dis que je n’étais pas avec Neilina.
— Pourquoi ?
— Elle a recouvré la raison ?
Lachlan ouvrit la porte des geôles, sans savoir exactement comment ni pourquoi Angélique avait
changé d’attitude. Mais l’important était qu’elle l’ait fait.
— Et elle a accepté Orin et Kean.
Lorsqu’elle avait tenu le cadet contre elle en témoignant de l’affection pour son enfant sans mère,
Lachlan avait senti son cœur se serrer. Angélique était la femme la plus aimante qui soit, mais elle
gardait ce secret caché derrière une épaisse armure d’acier.
Rebbie renifla.
— Vous êtes le bâtard le plus chanceux que je connaisse.
— Non, je suis juste malin.
— Ah !
Ils pénétrèrent dans le souterrain bas de plafond, où les attendaient Alasdair ainsi que quelques
hommes dont ses cousins Fergus et Angus. Plusieurs bougies et une torche éclairaient la pièce.
Alasdair fit signe à son frère de les rejoindre à la table placée au centre.
— Faites-les entrer, dit-il à l’un des gardes.
Peu après, le gardien revint avec un prisonnier entravé, l’un des Drummagan avec lequel Lachlan
n’avait jamais créé de liens. C’était un homme silencieux, au regard d’acier soupçonneux.
— Que pouvez-vous nous dire sur les faux documents que Kormad a présentés ? questionna
Lachlan.
— Je n’en sais rien, répliqua le captif en serrant la mâchoire avec détermination.
C’était le genre d’homme qui tiendrait bon même sous la torture.
— Savez-vous où sont ces papiers à présent ?
L’homme secoua la tête. C’était une perte de temps.
Ils interrogèrent deux autres détenus, tous les lèvres scellées.
— Faites venir Bryson, demanda Lachlan.
Le garde hocha la tête en emmenant le prisonnier peu coopératif.
Le fait que son bras droit se soit retourné contre lui surprenait Lachlan plus que tout et lui donnait
la nausée. Il l’avait vraiment cru loyal au-delà de tous, sauf peut-être Heckie. Il ignorait où se
trouvait ce dernier mais il espérait qu’il était en sécurité.
Peu après, le garde poussa Bryson dans la pièce. Il se tint devant eux, les mains liées derrière le
dos.
— Bryson, je suis extrêmement déçu de vous retrouver dans les rangs de Kormad, déclara Lachlan.
L’homme robuste aux cheveux noirs regarda brièvement la porte fermée menant aux cellules.
— Je ne suis pas avec lui, murmura-t-il. Je vous suis toujours loyal, chef.
Lachlan étudia son regard sans déterminer s’il y décelait de la sincérité. Il ne le connaissait pas
assez. Malédiction, il était trop idiot d’accorder sa confiance sans hésiter. Et si c’était un mensonge ?
— Pourtant, vous vous êtes battu comme un beau diable contre nous la nuit dernière. Pourquoi vous
croirais-je ?
— Je suis venu vous aider à vaincre Kormad et le Français, mais je ne veux pas qu’ils le
découvrent, sinon, ils tueront ma famille.
— Ils ont menacé les vôtres ?
— Oui !
— Savez-vous où sont les faux papiers ? Nous avons fouillé Kormad, mais ils n’étaient pas sur lui,
ni sur son cheval.
— Ils sont cachés à Burnglen, mais j’ignore où exactement.
— Combien d’hommes a-t-il laissés garder les lieux ?
— Trois au moins. Il en a posté davantage à Draughon.
Le bâtard.
— Combien de Drummagan m’ont trahi ?
— Une vingtaine. Ils ont enfermé les autres dans les geôles.
Lachlan se réjouit que Kormad ne les ait pas tués, mais ils étaient peut-être blessés. Il devait
veiller à les faire libérer et les mettre en sécurité au plus tôt.
— Je vous remercie, Bryson. Seriez-vous prêt à retourner avec nous sur les terres de Kormad pour
aider à récupérer les documents ?
— Oui.
Bryson mit un genou à terre comme le jour où il avait prêté allégeance. Il avait le regard sombre
mais respectueux.
Lachlan se sentit un peu réconforté quand un autre Drummagan lui jura fidélité, accepta de les aider
et fut libéré. Alasdair chargea des gardes de surveiller les deux hommes et ne leur permit pas de
reprendre leurs armes. Lachlan avait prévu qu’une trentaine de soldats, principalement des
MacGrath, se mettraient en route le lendemain matin pour le château de Kormad. Lachlan les mènerait
tandis qu’Alasdair resterait pour veiller sur Angélique et les autres. Lorsque Lachlan aurait trouvé
les faux papiers, ils pourraient essayer de reprendre Draughon. Mais pour le moment, il devait
expliquer son plan à Angélique en espérant qu’elle ne cherche pas à l’en dissuader…

Kormad serra les dents et jura. Il détestait cette cellule ignoble, sombre et humide. Pike et
plusieurs de ses hommes attendaient dans la même pièce. Pourquoi Bryson était-il si long ? Kormad
lui avait dit quoi faire deux nuits auparavant : feindre d’être loyal envers Lachlan MacGrath pour les
faire sortir de ce trou à rats. Il l’avait choisi pour trois raisons. Il était le bras droit du chef et Lachlan
serait plus enclin à le croire, il était très habile et il avait une famille. S’il n’obéissait pas, sa femme
et son fils seraient tués. Kormad y veillerait. Il les avait fait enfermer dans les geôles de Draughon et
avait donné l’ordre à l’un des gardes de les exécuter s’il n’était pas de retour à une certaine date.
Kormad avait toujours entendu vanter la rudesse des Highlanders, mais il commençait à en douter.
Le chef des MacGrath ne les avait même pas torturés pour obtenir des informations. Il était mou et
trop clément ; Kormad songea qu’il ne serait même pas une menace dès l’instant que ses hommes et
lui quitteraient leur cellule.
Au loin, une porte s’ouvrit et se ferma puis des pas résonnèrent.
— Je crois qu’il arrive, prévint Kormad.
Les prisonniers se levèrent en retenant leur souffle. Une lanterne brilla, la serrure cliqueta et la
porte s’ouvrit.
— Vite, l’aube est presque levée, annonça Bryson en leur faisant signe de sortir.
— Ah, Bryson ! s’exclama Kormad. Je savais que vous réussiriez. Relâchez mes autres hommes,
dit-il en montrant les cachots voisins.
Un autre Drummagan, un compagnon de Bryson, l’aida, sans doute pour préserver la famille de son
ami. Kormad les laisserait peut-être vivre…
— Où pouvons-nous trouver des armes ? demanda Girard en sortant d’une cellule. Il me faut au
moins deux pistolets chargés et un couteau.
— Faites la queue, le rembarra Kormad en grognant.
Le Français mettait sa patience à rude épreuve, et s’il n’y prenait pas garde, il finirait avec une
balle dans le crâne.
— J’ai les armes de cinq gardes. Ils étaient lourdement équipés, déclara Bryson.
— Comment les avez-vous tués ? interrogea Kormad, avide d’histoires de triomphe et de situations
qui poussaient les hommes à des actes désespérés.
— Pendant la nuit, alors que presque tout le monde dormait et que personne ne regardait, nous nous
sommes chargés en silence de nos gardiens personnels et avons caché les corps, puis nous avons
neutralisé les gardes des geôles, un à un, en nous jetant sur eux par surprise pour leur trancher la
gorge.
— Vos talents de guerrier m’impressionnent, Bryson. Je vous nommerai à un poste prestigieux
lorsque nous serons de retour à Draughon. Mais pour le moment, j’ai une nouvelle mission pour vous.
Je veux que vous me rameniez cette sorcière d’Angélique. Ne la tuez pas, mais n’hésitez pas à
disposer de tous ceux qui se mettront en travers de votre route.
— Je suis impatient de la tenir de nouveau entre mes bras, dit Girard avec un sourire de dément.

Quelqu’un frappa à la porte d’Angélique. Lachlan avait insisté pour qu’elle barre le panneau quand
il s’était levé à l’aube.
— Qui est-ce ? demanda-t-elle en s’approchant.
— C’est moi, Lachlan, souffla une voix.
Parfait, elle voulait le voir avant son départ. Elle supportait à peine qu’il parte en guerre, si loin
d’elle. Elle priait pour qu’il ne soit pas blessé.
Elle ouvrit la porte, mais Lachlan n’était pas là. Girard et Bryson se tenaient sur le seuil. Des
aiguillons de glace la paralysèrent une seconde, puis elle voulut refermer mais les deux hommes l’en
empêchèrent.
— Non ! hurla-t-elle. À l’aide !
Girard poussa la porte.
— Tenez-la bien. Couvrez-lui la bouche, ordonna-t-il à Bryson qui obéit. Cette fois, vous ne
m’échapperez pas, catin.
Elle cria derrière la main sale et ensanglantée du Drummagan. Comment le propre bras droit de
son père pouvait-il la trahir ? Elle donna des coups de pied et se tordit. Elle parvint à se dégager de
sa main et hurla encore.
Girard la gifla violemment. Pendant quelques secondes, tout devint noir et confus, puis elle prit
conscience d’être plaquée au sol sous l’un des hommes. Ses épaules et ses genoux étaient douloureux
après sa chute et sa joue la brûlait.
— Bâtard !
Si seulement elle avait pu atteindre sa dague, attachée à son mollet, mais Bryson était trop fort pour
elle. Elle avait beau frapper et se débattre, il maintenait une étreinte de fer.
— Bâillonnez-la avec ceci, lança Girard.
Bryson lui enfonça un tissu épais dans la bouche et le noua derrière son crâne.
— Non, maudit ! voulut-elle crier.
Mais elle ne laissa échapper que des grommellements.
— Liez-lui les mains.
— Vous avez dit que vous ne lui feriez aucun mal, rappela Bryson.
— J’ai dit que je ne la tuerais pas, du moins pas tout de suite. Mais Kormad fera exécuter votre
femme et votre fils si vous n’obéissez pas. Vous venez de massacrer cinq gardes des MacGrath, que
pensez-vous qu’ils vous feront si nous vous abandonnons entre leurs mains ?
Angélique émit des cris étouffés tandis que Bryson lui attachait les mains si fermement que la
cordelette lui rentrait dans les poignets. Pourquoi n’avait-elle pas préparé son arme avant d’ouvrir ?
Lachlan, où êtes-vous ?
L’un des hommes la releva et lui entoura les épaules d’une couverture. Prise de vertige, elle
chancela. Sacrebleu ! Elle ne pouvait plus compter sur son poignard maintenant. Qu’allaient-ils lui
faire ?
Girard passa la tête dans le couloir puis fit signe à Bryson de venir. Le Drummagan entraîna
Angélique dans un escalier très étroit qui devait servir d’escalier de service. Elle regarda autour
d’elle mais ne vit personne. Elle voulut appeler à l’aide, mais ne put que grogner.
— Silence, ordonna Girard en la poussant.
Elle se prit les pieds dans ses jupons et tomba sur Bryson, devant elle. Il la rattrapa et la remit
d’aplomb, sa poigne de fer sur son épaule. Mère de Dieu ! Elle allait mourir. Girard allait enfin
prendre sa revanche.
Cesse de pleurer, bon sang, et réfléchis ! Mais elle voyait à peine tant ses larmes coulaient. Elle
ne restait debout dans l’escalier que parce que Bryson la tenait. Comment allait-elle se sortir de cette
situation ? J’ai connu pire. Ou peut-être pas…
Ils arrivèrent aux cuisines et Girard agita un pistolet devant lui. Les servantes hurlèrent et
reculèrent. Bryson fit avancer Angélique, vacillante, dans la neige du potager, puis lui fit contourner
le château vers la cour et les écuries. Le choc du vent glacé lui coupa le souffle. Elle frissonna
violemment et ses muscles se raidirent. Bryson la poussa en avant, sans lâcher son bras.
Où étaient tous les autres ? Elle chercha frénétiquement du regard un visage familier, quelqu’un qui
pourrait venir à son aide.
Ils s’approchèrent de Kormad et des traîtres Drummagan qui attendaient à l’abri d’un angle de mur,
les vêtements couverts de sang. Non ! Ils semblaient déjà s’être battus. Comment s’étaient-ils
échappés ? Deux gardes MacGrath gisaient non loin sur le sol et teintaient la neige de leur sang. Elle
fut prise de nausée et les larmes lui brûlèrent les yeux. Mère de Dieu, où est Lachlan ?
Kormad posa le regard sur elle et se mit à rire.
Bâtard. Je vais vous tuer.
— Partons, à présent, déclara Girard.
Elle avait les jambes si raides qu’elle pouvait à peine marcher. Elle tituba et glissa sur les pavés
gelés mais Bryson la maintint debout. Le vent rejeta sa cape en arrière, la glaçant jusqu’aux os malgré
sa robe de laine. Derrière un rideau de larmes, elle distingua quelques vieillards et jeunes enfants du
clan MacGrath reculer, les yeux écarquillés, en voyant approcher le détachement de Drummagan.
— MacGrath ! cria Kormad derrière elle.
Elle se tordit et essaya de se libérer, en vain, de la main puissante fermée sur son bras, la
maintenant à sa place comme un bouclier devant eux. Les lâches !
Lachlan et son frère apparurent aux portes du château.
Non, partez, loin du danger ! aurait-elle voulu crier. Puis elle se prit à espérer que Lachlan tue
Kormad et Girard.
Kormad le regarda en riant.
— Il semble très surpris.
— Maudits bâtards, relâchez-la immédiatement ! ordonna le Highlander en tirant l’épée.
— Et pourquoi ferais-je cela ? demanda Kormad d’un ton anormalement joyeux.
— Si vous touchez à un seul de ses cheveux…, siffla Lachlan entre ses dents serrées.
Il avait la mine sombre et aussi menaçante que la lame dans sa main. Il s’avança.
— Arrêtez-vous, l’interrompit Girard.
Il leva le bras et plaça le canon glacé de son arme sur l’oreille de la jeune femme. Elle fut saisie
de frissons si violents qu’elle sentit ses dents claquer. Elle les serra à s’en faire mal. Sainte Marie,
mère de Dieu, je vous en prie…
— Que voulez-vous ? gronda Lachlan.
— Je crois que vous le savez déjà, fit remarquer Kormad.
— Libérez-la et prenez-moi à sa place, lança le Highlander.
Angélique secoua la tête. Non, non ! Ils seraient encore plus pressés de le tuer qu’avec elle.
— Cela me plaît, répondit Kormad avec un sourire moqueur. Que tous les MacGrath posent leurs
armes.
Lachlan murmura quelque chose à Alasdair, derrière lui, et déposa les armes.
— Il en va de même pour d’éventuelles dagues, ou autres couteaux et pistolets, précisa Kormad.
Dites à votre frère de reculer et de rappeler ses hommes.
Non, Lachlan, imbécile !
Elle préférait mourir que de le perdre maintenant.
Lachlan leva les mains en signe de reddition et approcha de quelques pas.
— Relâchez-la.
Une bourrasque glacée emporta ses paroles dures et repoussa ses cheveux à l’arrière.
— Pas avant que vous soyez arrivé ici.
Lorsque Lachlan fut assez proche, l’un des sbires de Kormad s’empara de lui. Il ne se débattit pas,
le regard rivé sur son épouse.
— Relâchez-la !
Une flamme sauvage s’empara des traits de Lachlan, l’écho du guerrier indomptable en lui, et il se
libéra de l’homme qui lui tenait les bras. Il se précipita vers Angélique, et une lame apparut soudain
dans sa main, tournée vers Girard. Le mouvement rapide détourna le pistolet du Français et il fit feu
près de l’oreille d’Angélique, l’assourdissant. Lachlan atterrit sur la captive, à terre. Sa main avait
protégé l’arrière de sa tête et il la couvrait si complètement qu’elle crut manquer d’air.
D’autres coups de feu retentirent, des lames s’entrechoquèrent et des cris résonnèrent. Une
bataille. La jeune femme n’entendait que de façon étouffée. Elle essaya de voir ce qui se passait,
mais les cheveux de Lachlan l’en empêchaient.
Mère de Dieu, faites qu’il aille bien.
Elle hurla sous son bâillon, mais ne produisit qu’un grognement pathétique. Le corps de Lachlan
était un poids mort sur elle. Elle pria de toutes ses forces car c’était tout ce qu’elle pouvait faire.
Un instant plus tard, Lachlan roula sur le côté et elle avala de grandes goulées d’air gelé dans ses
poumons en feu. Mais c’était quelqu’un qui l’avait retourné et le tirait maintenant par la cheville.
Girard ! Le bâtard ! Elle inclina la tête pour regarder son époux. Il gisait sur le sol, les yeux clos,
tandis que les guerriers se battaient autour de lui. Il avait du sang sur ses cheveux clairs. Avait-il reçu
une balle dans la tête ?
Oh, mon Dieu, non, je vous en prie !
Il fallait qu’elle vienne à son secours. Ses mains liées étaient derrière son dos et frottaient contre
les pavés. La friction relâcha légèrement la corde et elle tira en tentant d’affiner encore ses petites
mains pour passer l’un des nœuds. Girard la traîna vers les écuries et ferma la porte pour bloquer la
rumeur chaotique de l’extérieur.
Ses doigts étaient à la fois brûlants et gelés, douloureux, mais cela lui était égal. Elle parvint à
libérer une main.
Girard voulut la relever, une tâche difficile avec un seul bras. Il n’était plus aussi fort qu’avant.
— Debout ! ordonna-t-il en français.
Elle fit mine de défaillir et s’effondra, ramassée sur elle-même. Elle en profita pour glisser
discrètement la main sous ses jupons et récupérer sa dague.
Lorsqu’il lui tira de nouveau le bras, elle se redressa vivement et le frappa dans le ventre avec
considérablement plus de forces que lors de sa précédente tentative. Bien que ses mains blessées
tremblent, elle enfonça la lame.
— Aaahhh !
Il s’éloigna en titubant, ouvrit son pourpoint et observa le sang qui imbibait sa chemise blanche.
— Sale catin !
Il s’élança vers elle. Elle se releva et battit en retraite dans une stalle remplie de paille. La grande
porte des écuries s’ouvrit.
— Angélique !
Lachlan ? Elle l’aperçut par une fissure du bois, les cheveux ensanglantés, mais ne put émettre
qu’un gémissement sous l’étoffe. Attention à Girard !
Elle tirait sur le bâillon étroitement noué, sans parvenir à le retirer de sa bouche.
— Bâtard, où est Angélique ?
Un coup de feu assourdissant retentit. Le bras de Lachlan tressaillit et une tache rouge apparut sur
sa manche. Il s’élança sur Girard, l’épée à la main. Les lames se croisèrent. Angélique s’avança avec
précaution, ses mains tremblantes serrées sur sa dague humide du sang de Girard. Lachlan réalisa
deux passes, une pour envoyer voler l’arme de son adversaire, et une pour l’attaquer à la gorge. Le
sang jaillit de la blessure et le Français tomba, les mains autour du cou. Ses yeux emplis de haine
cherchèrent Angélique. Il l’avait déjà regardée ainsi, en France. Mais cette fois, il ne rouvrirait pas
les paupières.
Lachlan se retourna et ses yeux fous trouvèrent enfin son épouse.
— Allez-vous bien ? demanda-t-il en se précipitant vers elle et en prenant la dague de ses mains
raides pour couper le bâillon.
Elle l’entoura de ses bras.
— Oui, mais vous, vous êtes sévèrement blessé !
Elle s’écarta avec un regard inquiet pour ses cheveux et sa chemise sanguinolents.
— Avez-vous été touché à la tête ?
— Juste une éraflure.
Le sang maculait sa manche déchirée et gouttait de ses doigts comme du vin.
— Girard vous a tiré dans le bras. Mère de Dieu, vous perdez beaucoup de sang !
— Certes, mais je survivrai, déclara-t-il malgré son teint bien trop pâle.
— Nous devons vous conduire près d’un médecin.
— Gwyneth est guérisseuse, interrompit-il d’un ton rauque et essoufflé.
Il ferma les paupières un instant et saisit la porte de la stalle de son bras valide.
— Bon sang !
Il s’effondra de nouveau et ferma les yeux.
La panique noua la gorge d’Angélique.
— Lachlan !
Elle tomba à genoux près de lui et déchira sa manche. Par tous les saints, un trou imposant lui
marquait le bras, à lui qui saignait tant ! Elle repéra son bâillon sur le sol et le noua au-dessus de la
plaie. Elle avait entendu dire que cela aiderait à arrêter l’hémorragie.
La porte de l’extérieur claqua. Kormad, ensanglanté, le regard possédé, se rua vers elle. La dague
de la jeune femme se trouvait près de la main inerte de son époux. Elle s’en saisit et recula.
— Ah, ah ! s’écria Kormad. Je vais vous tuer, même si cela est la dernière chose…
Elle lança son arme. La lame atteignit sa cible et se planta dans la gorge de Kormad. Il s’écroula,
les mains serrées sur la garde, tandis qu’un flot de sang coulait de la plaie.
Il grogna, rampa vers elle un instant, puis s’effondra dans la paille.
Agitée de tremblements, Angélique saisit l’épée de Lachlan, déterminée à protéger la vie de son
époux au prix de la sienne.
Kormad ne bougea pas et la jeune femme reprit son examen du Highlander. Elle sentait son souffle
chaud contre sa main, et il saignait moins abondamment.
— Mère de Dieu, venez-moi en aide.
Des hommes affluèrent vers les écuries et son cœur bondit dans sa poitrine. Non, pas encore des
Drummagan !
— Où est Lachlan ? demanda Alasdair, une épée ensanglantée à la main, les vêtements rougis dans
l’affrontement.
— Grâce à Dieu ! Il est ici ! Il a besoin d’aide. Il a perdu beaucoup de sang.
— Occupez-vous d’eux, ordonna-t-il aux MacGrath en désignant les deux cadavres sur le sol.
Il s’agenouilla près d’Angélique et leva la main devant le nez de son frère.
— Fergus, venez m’aider.
Les deux robustes Highlanders soulevèrent Lachlan et le portèrent au-dehors, sous les bourrasques.
Ils traversèrent un champ de cadavres et se dirigèrent vers la grande salle. Angélique suivit, l’esprit
embrumé, craignant que ses jambes tremblantes ne la trahissent.
— Gwyneth ! appela Alasdair.
— Oh, par tous les saints !
Son épouse se précipita vers eux.
— Comment allez-vous ? demanda-t-elle à Angélique.
— Bien.
Les hommes déposèrent Lachlan près de la cheminée, sur le sol. Gwyneth donna des ordres aux
serviteurs avec l’autorité d’un général face à ses troupes. Ils étaient déjà occupés à faire bouillir de
l’eau, des herbes médicinales et du whisky non loin.
Angélique ne pouvait que prier et essuyer ses larmes, les mains et la robe maculées de sang.
— Il va falloir retirer la balle de plomb puis cautériser la plaie, déclara Gwyneth.
— Oui, allons-y, confirma Alasdair.
— Êtes-vous blessée, Ange ? s’enquit Camille qui apparut soudain près d’elle et lui posa la main
sur la joue.
La jeune femme secoua la tête et se mit à trembler de tout son corps.
— Venez, je vais vous aider à vous laver un peu, l’encouragea sa confidente.
Mais Angélique agita derechef la tête. Elle ne pouvait détourner le regard de son mari. De son
visage livide et immobile. Réveillez-vous, Lachlan !
Incapable de tenir debout plus longtemps, elle tomba à genoux. Camille l’imita et la prit entre ses
bras en lui chuchotant quelques mots réconfortants en français.
Lorsque Gwyneth retira la balle, le sang se remit à couler.
— Non, il ne doit pas perdre plus de sang ! Il saigne toujours abondamment ! s’exclama Angélique,
paniquée.
— Accompagnez-la à l’étage, murmura Alasdair à un serviteur.
— Non ! Je dois rester près de lui !
— Chut, nous allons vous nettoyer un peu, chuchota Camille.
Avec deux autres femmes, sa cousine l’obligea à regagner sa chambre. Comme elle résistait, un
guerrier MacGrath aux cheveux noirs la souleva et la porta jusqu’à sa porte… La porte de la
chambre de Lachlan. Il la déposa sur une chaise devant l’âtre et partit. Camille donna des
instructions rapides et les serviteurs apportèrent une grande bassine d’eau.
Camille s’agenouilla près d’Angélique.
— Mon Dieu ! Regardez vos mains, Ange !
Elles étaient éraflées, écorchées, ensanglantées.
— C’est sans importance.
Non, rien n’aurait plus jamais d’importance si Lachlan n’ouvrait plus les yeux.
Camille lui lava les mains dans l’eau chaude savonneuse qui semblait brûlante comme de la chaux
contre sa peau. Elle serra les dents mais ne dit rien. C’était une modeste punition pour avoir été assez
stupide pour se faire capturer et utiliser afin d’attirer Lachlan.
Une autre femme lui entoura les mains de bandages et Camille lui passa un linge humide sur la
figure. Des larmes chaudes coulaient sur la peau fraîche et trempée de ses joues.
— Chut, il va s’en sortir, Angélique. Ils savent ce qu’ils font.
— Il doit vivre, murmura la jeune femme. Il faut prier, Camille.
— Oui, nous allons prier.
— Je ne peux pas le perdre.
Je l’aime et je ne le lui ai pas encore dit.

Le lendemain, Angélique était assise, seule, au chevet de Lachlan. Elle regardait son teint de
cendres, les yeux irrités par le manque de sommeil et les larmes salées. L’hémorragie avait cessé la
veille, une fois la plaie cautérisée. La terrible douleur ne l’avait même pas réveillé. Gwyneth avait
changé ses pansements le matin même et fait tout ce qu’elle pouvait.
Angélique se leva et s’installa au bord du lit, contre ses hanches. Elle lui toucha le visage, dévorée
par l’envie qu’il ouvre les yeux. Elle avait besoin de revoir leur teinte de whisky et leur expression
moqueuse. Sa barbe naissante était plus drue après une nuit supplémentaire, mais elle savourait même
ce petit détail prouvant qu’il vivait. Elle sentait son souffle faible contre sa main.
— Restez avec moi, susurra-t-elle en français. Je suis désolée de ne pas vous avoir cru. J’avais
tort sur votre compte. Vous êtes le meilleur des hommes, honorable, fidèle et noble.
Il ne bougea toujours pas.
— Je vous aime.
Toujours aucune réaction.
— M’entendez-vous ? Réveillez-vous.
Elle pressa et secoua sa main indemne. Mère de Dieu, n’était-elle tombée amoureuse de lui que
pour le perdre l’instant d’après. Comment le destin pouvait-il être si cruel ? Elle posa la main de
Lachlan contre sa joue et éclata en sanglots bruyants. Que lui arrivait-il ? Elle n’avait jamais pleuré
ainsi. Toutes les souffrances de sa vie s’étaient amoncelées derrière ses yeux et dans sa gorge, au
point de manquer de l’étouffer.
— Par tous les saints, que s’est-il passé ? demanda Gwyneth en entrant.
Elle se pencha sur Lachlan pour l’examiner.
Angélique voulait cesser de pleurer mais n’y parvenait pas. Elle tomba à genoux près du lit et se
mit à prier en silence malgré ses larmes.
Douce Marie, je l’aime. Ne me l’enlevez pas, je vous en supplie. J’ai commis bien des erreurs
dans mon existence, mais je vous en prie, laissez-le vivre.
D’autres personnes se mirent à parler autour d’elle, mais elle ne voulait pas affronter d’autres
regards.
— Ange, lui dit Camille qui la prit dans ses bras pour la relever. Avez-vous vu ? Lachlan a
grimacé !
Angélique s’essuya les yeux et malgré son regard encore flou, il lui sembla voir les lèvres de son
mari bouger.
— Il essaie de dire quelque chose, fit remarquer Gwyneth.
Alasdair s’approcha.
— Oui, mon frère ?
— Ange, murmura Lachlan d’une voix sèche et rauque.
La jeune femme n’osa pas respirer, craignant d’avoir rêvé.
— Angélique, chuchota-t-il plus clairement.
Il bougea la tête et entrouvrit les paupières.
— Je suis là.
Elle sentit sa gorge se serrer en lui prenant la main pour la porter à ses lèvres. Elle redoutait qu’il
ne lui dise simplement quelques mots avant de mourir.
— Vous devez vous remettre, insista-t-elle.
— Oui.
— Il doit boire une tisane médicinale, déclara Gwyneth.
Alasdair souleva son frère pour l’asseoir et Lachlan grogna.
— Buvez, dit Gwyneth en pressant une tasse contre ses lèvres.
Lachlan prit une gorgée et grimaça.
— Essayez-vous… de m’achever ?
Gwyneth sourit, les larmes aux yeux.
— Cette herbe aidera votre sang à se renouveler. Vous en avez perdu tellement !
Après quelques gorgées, il détourna la tête.
— Assez, souffla-t-il d’une voix rauque.
Ils l’aidèrent à se rallonger.
— Souffrez-vous beaucoup ? s’inquiéta Angélique.
— J’aurais bien besoin… de whisky.
Il prit une profonde inspiration et ouvrit les yeux pour observer ceux qui se tenaient à son chevet.
— N’ayez pas l’air si inquiets. On ne me tue pas si aisément.
Il arrêta son regard sur Angélique et tendit la main vers la sienne. Elle savoura la chaleur de sa
peau sur la sienne.
Il est vivant. Il va survivre.
Une vague étincelante de soulagement et de gratitude l’envahit et de nouvelles larmes lui emplirent
les yeux, de joie cette fois.
— Nous devrions le laisser se reposer un peu, suggéra Gwyneth. Je reviendrai bientôt avec du
bouillon.
Rebbie, Dirk et plusieurs MacGrath quittèrent la chambre, laissant Angélique seule avec son
époux. Elle se pencha et embrassa son front glacé.
— En quel honneur ? s’enquit-il.
— Parce que je vous aime et que vous devez vivre pour rester près de moi.
— Oh, Angélique…
Il la contempla un long moment, le reflet d’un sourire faisait pétiller son regard empreint
d’émotion.
— Moi aussi, je vous aime, mon ange.
Sa vision devint floue et ses yeux brûlèrent.
— Le pensez-vous vraiment, murmura-t-elle, ou n’est-ce que… ?
Sa gorge nouée ne lui permit pas de finir sa phrase.
— Je le pense vraiment. Je n’ai jamais dit cela à une autre femme. J’ignorais ce que ces mots
signifiaient avant d’être lié à vous, ma chatte sauvage. Ne vous ai-je pas déjà répété que je ne vous
mentirais pas ?
Il l’observa d’un air sérieux.
— Je n’ai pas été un bon mari parce que je n’ai pas su vous protéger, ni votre héritage, mais je
promets de me rattraper.
— Comment pouvez-vous dire cela ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils. Vous avez failli
mourir à cause de moi, pour me sauver la vie. Je ne pourrai jamais vous remercier pour ces actes
héroïques.
— Quelles bêtises ! J’avais promis de tuer Girard et je ne l’ai pas fait. Il vous a fait souffrir.
Quiconque vous fait du mal doit payer, je le jure. Et Kormad ?
— Mort, dit-elle sans parvenir à ajouter qu’elle l’avait exécuté elle-même. Ainsi que plusieurs
traîtres de mon clan. Bryson et quelques autres ont survécu. Les autorités étudient les preuves et les
témoignages.
Rebbie avait trouvé son pendentif de diamant sur le corps de Girard et le lui avait redonné, mais
c’était Lachlan son précieux trésor, désormais.
— Je suis navrée d’avoir douté de votre honneur et de votre fidélité. Je sais que vous avez été
honnête, murmura-t-elle.
Il esquissa un sourire.
— En effet.
— Je vous crois.
— Vous êtes la seule femme que je voie maintenant. Je suis comme aveugle face aux autres, et ce
depuis notre rencontre. Je ne comprends pas pourquoi, mais c’est ainsi. Venez vous allonger près de
moi, invita-t-il en l’attirant doucement contre lui.
— Non, vous êtes souffrant, nous ne pouvons pas…
— Chut.
Cela sembla exiger beaucoup d’efforts, mais il leva son bras indemne pour lui passer le bout des
doigts sur le visage et dans les cheveux.
— N’avez-vous pas dit que vous m’aimiez ? demanda-t-il en l’observant intensément de ses yeux
d’or à l’éclat sauvage.
— Si, je vous aime.
— À quel point ?
— Plus que je n’ai jamais aimé quiconque. Plus qu’il n’y a d’eau dans les océans. Plus qu’il n’y a
d’étoiles dans le ciel.
Il déglutit péniblement.
— C’est beaucoup. Pourtant, je jure que je vous aime plus encore.
Il l’attira contre lui, et pressa ses lèvres contre les siennes en un baiser chaleureux et très doux,
d’émotion pure.
Épilogue

Une semaine plus tard, lorsque Lachlan s’en sentit capable, ils organisèrent un festin en l’honneur
des deux frères et de leurs nouvelles épouses. Lachlan chargea Rebbie, son cousin Fergus MacGrath
et quelques autres de résoudre les derniers problèmes à Draughon, de récupérer les faux papiers à
Burnglen et d’aller trouver les autorités à Perth pour leur expliquer l’affaire.
Deux semaines s’écoulèrent et Lachlan recouvra la force de tenir assis à cheval plusieurs heures. Il
se prépara à partir avec Angélique, Camille et Dirk, ainsi qu’une dizaine de gardes et cousins
MacGrath.
— J’aimerais que vous restiez jusqu’au printemps, regretta son frère, son souffle formant de petits
nuages dans l’air glacé du matin.
— J’adorerais aussi, mais je dois veiller à ce que tout aille bien à Draughon, répondit Lachlan en
observant le froncement de sourcils sérieux de son frère. Je vais bien, mère poule !
— Prenez soin de lui, demanda Alasdair à Dirk.
— Comme s’il en avait besoin, marmonna celui-ci avant d’adresser un sourire malin à son ami.
— J’ai envoyé des messagers prévenir des chefs de clan et des connaissances sur le chemin pour
qu’ils vous permettent de dormir chez eux, ajouta Alasdair.
— Je vous remercie, mon frère. Nous nous reverrons bientôt. Au printemps ? Nous reviendrons
chercher Orin et Kean, et je ferai connaissance avec ton nouveau fils… ou ta petite fille !
— Certes.
Alasdair lui serra la main, l’embrassa et lui frappa le dos assez fort pour lui faire cracher quelque
chose.
— Oh…
Lachlan refusa de trahir la moindre faiblesse ou il serait contraint de passer une nuit de plus ici. Il
se tourna vers sa monture. Il savait comment se tenir en selle, mais monter avec un seul bras valide
posait problème. Alasdair et Dirk l’attrapèrent et le hissèrent sur le dos de la bête.
— Bon sang ! Prévenez-moi quand vous décidez de faire cela !
— Quelle ingratitude, grommela Dirk.
Lachlan savait qu’il plaisantait, mais il y avait peut-être un fond de vérité. Il devrait faire preuve
de reconnaissance…
— Merci, mon ami.
Dirk réprima à peine son sourire en montant à cheval.
Lachlan regarda Angélique sur une jument baie près de lui. Il lui adressa un clin d’œil et elle
répondit d’un sourire complice. Oui, il devait montrer sa reconnaissance pour bien des choses, mais
surtout à son adorable épouse. Ces trois dernières semaines, elle s’était occupée de lui comme d’un
enfant malade et l’avait gâté déraisonnablement. Quelques jours après son réveil, après qu’il l’avait
convaincue qu’il ne mourrait pas, ils s’étaient permis de faire l’amour comme jamais. Il n’aurait
jamais cru qu’une telle profondeur de sentiments puisse accompagner l’acte. Il comprenait maintenant
pourquoi Alasdair avait remué ciel et terre pour Gwyneth. Il se sentait capable de faire de même pour
Angélique.
Ils chevauchèrent lentement vers le sud, mais l’automne tardif ne les aidait pas. Ils durent attendre
la fin d’une tempête de neige dans un autre château à mi-chemin, avant de pouvoir continuer. Il leur
fallut une semaine entière pour atteindre Draughon.
Enfin, ils passèrent les grilles de leur manoir. Rebbie descendit les marches pour les accueillir
dans la cour.
— Il était temps, bande de fainéants. J’ai failli envoyer un détachement à votre recherche.
— Quelles nouvelles ? demanda Lachlan en mettant pied à terre.
Il aida Angélique, ravi de sentir ses forces lui revenir.
— Tout va bien, il n’y a pas à s’inquiéter, le rassura son ami. Nous avons trouvé les faux papiers à
Burnglen et nous avons pu prouver que les signatures étaient imitées. Certains témoins achetés ont été
arrêtés et d’autres ont fui. Nous avons découvert les Drummagan loyaux enfermés dans les geôles et
ils ont témoigné contre Kormad.
— Heckie ?
Rebbie sourit.
— Oui, il va bien, aussi grincheux que de coutume.
Lachlan glissa son bras autour des épaules d’Angélique et ils entrèrent dans la grande salle, suivis
de leur escorte.
— Milaird, milady.
Les serviteurs et membres du clan s’inclinèrent avec respect, puis un grand cri de joie s’éleva.
Lachlan les remercia, serrant des mains, mais triste que seule la moitié du clan soit encore
présente. Pourtant, il était enfin certain de pouvoir faire confiance à ces gens.
— Qui est-ce ? demanda Angélique.
Un petit enfant se tenait près de la grande table. Il paraissait étrangement familier, avec ses yeux
verts, ses cheveux roux, ses traits et même la forme de son visage.
— C’est Timmy, expliqua Rebbie. Nous l’avons trouvé à Burnglen avec sa gouvernante. Lady
Angélique… il serait apparemment votre… demi-frère naturel.
— Mère de Dieu, vraiment ? Le fils de mon père ?
Elle s’avança.
— C’est ce que dit la rumeur, mais même moi, je vois un air de famille.
Angélique s’agenouilla près du garçon.
— Bonjour, Timmy.
Il s’enfuit pour se cacher dans les jupes de sa gouvernante.
Lachlan regarda Angélique l’amadouer gentiment et s’émerveilla qu’elle arrive même à le
convaincre de chuchoter quelques mots avec elle. Il était très jeune, tout juste quatre printemps.
Bientôt, il aurait oublié son oncle Kormad. Timmy grandirait à Draughon avec Orin et Kean, décida-
t-il. Ce serait un excellent début à leur famille.
Rebbie rejoignit Lachlan et Dirk.
— Je dois vous parler, dit-il doucement.
Ils le suivirent jusqu’à la bibliothèque.
— Qu’y a-t-il ? Un problème ?
— Non, mais je voulais que vous sachiez que lorsque je suis arrivé il y a quelques semaines,
Eleanor s’était établie ici.
— Vous plaisantez ! Elle a eu ce culot ?
Rebbie se mit à rire.
— Oui, mais je l’ai renvoyée en Angleterre avec ses malles. J’espère qu’elle vous laissera en
paix, Angélique et vous.
— Merci de vous être occupé de cette plaie.
— Quant aux deux juments blanches que vous aviez achetées en cadeau de mariage à lady
Angélique, elles sont dans les écuries, disponibles dès que vous désirerez les lui montrer !
— Oh ! Je me demandais où elles étaient parties.
Lachlan était impatient de lire la joie sur les traits de sa femme lorsqu’il lui offrirait les montures.
— Lorsqu’elles se sont sauvées la nuit de l’attaque, elles sont retournées chez les Robertson. Le
chef a envoyé ses hommes les reconduire.
— Je suis soulagé.
Rebbie ouvrit le tiroir d’un secrétaire et tendit à Dirk une missive avec un cachet de cire rouge.
— Ceci est arrivé pour vous.
— Pour moi ? demanda son ami en fronçant les sourcils.
— Oui, c’est à votre nom.
Dirk brisa le sceau et déplia le papier. Il se plaça près de la fenêtre et lut en silence pendant un
long moment.
Puis il abaissa la missive.
— Enfer, murmura-t-il.
— Qu’y a-t-il ?
— Je vous le dirai plus tard.
Il plia la lettre et quitta rapidement la pièce.
— Mmf, grommela Lachlan, je n’aime pas lorsqu’il agit ainsi.
— C’est l’homme le plus secret que je connaisse. C’est assez vexant, renchérit Rebbie.
— Avec vos talents de commère, je ne doute pas que vous découvrirez bientôt la vérité, déclara
Lachlan en ouvrant la porte.
— Eh ! protesta Rebbie en fronçant les sourcils.
Lachlan sourit.
— En attendant, il est temps que ma ravissante épouse et moi nous retirions pour la soirée.
Ils avaient beaucoup de repos et d’étreintes passionnées à rattraper.
Lachlan entra dans la grande salle et vit Angélique qui discutait avec la gouvernante de Timmy. Il
prit la main de sa femme et l’embrassa.
Elle écarquilla les yeux avant de le regarder. Il posa un nouveau baiser sur sa peau de satin et elle
rosit.
Il s’approcha, lui chuchotant à l’oreille :
— Je pense qu’il est temps de prendre un long bain chaud, qu’en dites-vous ?
Elle sourit puis jeta un coup d’œil vers les personnes qui les observaient. Elle rougit davantage.
Lui ne se souciait pas de qui regardait ni si les autres se doutaient de son désir et de son amour pour
son épouse. Il la souleva entre ses bras et la mena vers l’escalier au milieu des rires et des sourires
du clan, ainsi que de quelques commentaires libertins.
— Lachlan, le gronda-t-elle doucement. Votre bras ! Il n’est pas encore guéri. Vous allez vous faire
mal.
— Non, mon bras est plus fort maintenant. Et vous ne pesez pas plus lourd qu’un bourgeon de
jacinthe des bois.
— Tout le monde nous regarde ! fit-elle remarquer dans un murmure scandalisé.
— Je me moque qu’on sache à quel point j’aime ma femme, déclara-t-il en essayant de lui
mordiller le menton ou le cou, bien qu’elle ne cesse de gigoter.
— Mais…, balbutia-t-elle.
Elle finit par se tenir tranquille et il monta rapidement les marches. Elle le contemplait de ses
grands yeux emplis d’émotion. Oui, comment pouvait-elle contrer son dernier argument ? Il sourit
d’un air malicieux.
— Moi aussi, je vous aime, mon Highlander indomptable, chuchota-t-elle.
En haut de l’escalier, elle lui entoura le visage des mains et l’embrassa avec passion. Lachlan
sentit son cœur fondre car il savait qu’il ne se lasserait jamais d’entendre ces mots. Et il ne se
lasserait jamais de satisfaire sa petite chatte sauvage !
REMERCIEMENTS

Je remercie particulièrement Sharron Gunn, Jody Allen et Cindy Vallar pour avoir traduit les
expressions en gaélique et en français, pour avoir répondu à mes questions difficiles et m’avoir aidée
dans mes recherches.
Vonda Sinclair aime par-dessus tout explorer l’Écosse, d’Édimbourg aux terres sauvages de la
côte nord. C’est sans doute ce qui lui inspire ces héros au kilt sexy en diable et ces jeunes filles au
caractère bien trempé qui leur font perdre la tête. Ses romans lui ont valu de nombreuses
récompenses : EPIC Award, Laurie Award et une place en finale du Golden Heart. Elle vit dans les
montagnes de Caroline du Nord avec son merveilleux mari, toujours prêt à l’encourager. Elle est
peut-être en ce moment même en train d’inventer une autre saga écossaise…
Du même auteur, chez Milady :

Aventuriers des Highlands :


1. Le Guerrier sauvage
2. Le Guerrier indomptable

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Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : My Wild Highlander


Copyright © 2011 Vonda Sinclair

Tous droits réservés.


Initialement publié par Smashwords.

© Bragelonne 2015, pour la présente traduction

Photographies de couverture : © Period Images/© Shutterstock

L’œuvre présente sur le fichier que vous venez d’acquérir est protégée par le droit
d’auteur. Toute copie ou utilisation autre que personnelle constituera une contrefaçon et sera
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ISBN : 978-2-8205-1981-8

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Couverture
Titre
Dédicace
Chapitre premier
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Épilogue
Remerciements
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