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Parcours : Rire et savoir

Explication… : RABELAIS, Gargantua, 1534 : le prologue


Du début à « … travaillent, naviguent et bataillent tellement »

Prologue de l’auteur

Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux (car c’est à vous, et à nul autre,
que sont dédiés mes écrits), Alcibiade, au dialogue de Platon intitulé Le Banquet, louant son
précepteur Socrate, qui est sans discussion le prince des Philosophes, dit, entre autres
paroles, qu’il est semblable aux silènes. Les Silènes étaient jadis des petites boîtes comme
nous en voyons à présent dans les boutiques des apothicaires, peintes au-dessus de figures
comiques et frivoles, comme des harpies, des satyres, des oisons bridés, des lièvres cornus,
des canes bâtées, des boucs volants, des cerfs attelés et telles autres figures représentées à
plaisir pour exciter le monde à rire. Tel fut Silène, maître du bon Bacchus. Mais au-dedans on
rangeait les drogues fines, comme le baume, l’ambre gris, la cardamome, le musc, la civette,
les pierreries en poudre, et autres choses précieuses. Il disait que Socrate était pareil : parce
qu’en le voyant du dehors et en l’estimant par son apparence extérieure, vous n’en auriez pas
donné une pelure d’oignon, tellement il était laid de corps et de maintien risible, le nez pointu,
le regard d’un taureau, le visage d’un fou, simple dans ses mœurs, rustique dans ses
vêtements, pauvre de fortune, infortuné en femmes, inapte à tous les offices de l’État, toujours
riant, toujours buvant à la santé de chacun, toujours plaisantant, toujours dissimulant son divin
savoir. Mais en ouvrant cette boîte, vous auriez trouvé au-dedans une drogue céleste et
inappréciable, un entendement plus qu’humain, une force d’âme merveilleuse, un courage
invincible, une sobriété sans pareille, un contentement assuré, une assurance parfaite, un
mépris incroyable de tout ce pour quoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et
bataillent tellement.
Parcours : Rire et savoir
Explication … : RABELAIS, Gargantua, 1534
Chapitre 23 : la deuxième éducation de Gargantua
De « Pour mieux réussir… » à « … lorsqu’ils suaient ou étaient fatigués »

Pour mieux réussir, il l’introduisait dans les compagnies de gens savants du pays, à
l’émulation desquels lui grandissent l’esprit et le désir d’étudier autrement et de se faire valoir.
Ensuite il le mit à tel train d’études qu’il ne perdait aucune heure du jour, mais emplissait
tout son temps dans les Lettres et le savoir honnête.
Gargantua s’éveillait donc vers quatre heures du matin. Pendant qu’on le frottait, on lui
disait quelque page de l’Écriture sainte à voix haute et clairement avec la prononciation qui
convenait à la matière, et ce rôle était confié à Anagnoste. Selon le propos et le sujet de cette
leçon, souvent il s’adonnait à révérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu, dont la lecture
montrait la majesté et le jugement merveilleux.
Puis il allait au privé vider les résidus naturel ; là son précepteur répétait ce qui avait
été lu, lui expliquant les points les plus obscurs et les plus difficiles.
En revenant ils observaient l’état du ciel, s’il était comme ils l’avaient noté le soir
précédent, en quels signes entraient le soleil et aussi la lune pour cette journée.
Ce fait Gargantua était habillé, peigné, frisé, arrangé et parfumé, et pendant ce temps
on lui répétait les leçons du jour précédent. Lui-même mes disait par cœur, et y appliquait
quelques cas pratiques et concernant l’état des hommes, analyses qu’ils étendaient parfois
jusqu’à deux ou trois heures, mais ordinairement ils arrêtaient lorsqu’il était complètement
habillé.
Puis par trois bonnes heures on lui faisait lecture.
Ce fait, ils sortaient, toujours discutant du sujet de la lecture, puis se déplaçaient au jeu
de paume de Bracque ou dans les prés et jouaient à la balle, à la paume, à la balle à trois,
exerçant élégamment les corps comme ils avaient auparavant exercé les âmes.
Tout leur jeu était libre, car ils laissaient la partie quand cela leur plaisait et s’arrêtaient
ordinairement lorsqu’ils suaient ou étaient fatigués.
Parcours : Rire et savoir
Explication … : RABELAIS, Gargantua, 1534
Chapitre 27 : Frère Jean au combat
De « Ce disant, il mit bas son grand habit…» à « … par le fondement »

Ce disant, il mit bas son grand habit et se saisit du bâton de la croix, qui était de cœur
de cormier, long comme une lance, rond à plein poing, et quelque peu semé de fleurs de lis
presque toutes effacées. Ainsi il sortit en casaque, mit son froc en écharpe, et de son bâton
de la croix il donna si brusquement sur les ennemis qui, sans ordre ni drapeau, sans tambour
ni trompette, vendangeaient parmi le clos – car les porte-guidons et porte-enseignes avaient
mis leurs guidons et leurs enseignes au bord des murs, les tambourineurs avaient défoncé
leurs tambours d’un côté pour les remplir de raisins, les trompettes étaient chargés de
branches, chacun était hors des rangs – il choqua donc si rapidement sur eux sans crier gare
qu’il les renversait comme des porcs, frappant à tort et à travers selon la vieille escrime.
Aux uns il écrabouillait la cervelle, aux autres il cassait bras et jambes, aux autres
disloquait les spondyles du cou, aux autres démoulait les reins, écrasait le nez, pochait les
yeux, fendait les mandibules, enfonçait les dents dans la gueule, écroulait les omoplates,
marbrait les jambes, déboîtait les hanches, débezillait les abattis.
Si quelqu’un se voulait cacher entre les ceps au plus épais, il lui frottait toute l’arête du
dos, et lui cassait les reins comme à un chien.
Si un autre se voulait sauver en fuyant, il lui faisait voler la tête en pièces par la
commissure lambdoïde.
Si quelqu’un grimpait dans un arbre en pensant être en sûreté, il l’empalait de son
bâton par le fondement.
Parcours : Rire et savoir
Explication linéaire … : Joachim DU BELLAY, Les Regrets, 1558, sonnet 32

Je me ferai savant en la philosophie,


En la mathématique et médecine aussi :
Je me ferai légiste1, et d'un plus haut souci2
Apprendrai les secrets de la théologie :

Du luth et du pinceau j'ébatterai3 ma vie,


De l'escrime et du bal. Je discourais ainsi,
Et me vantais en moi d'apprendre tout ceci,
Quand je changeai la France au séjour d'Italie.

O beaux discours humains ! Je suis venu si loin,


Pour m'enrichir d'ennui, de vieillesse et de soin,
Et perdre en voyageant le meilleur de mon âge.

Ainsi le marinier souvent pour tout trésor


Rapporte des harengs en lieu de lingots d'or,
Ayant fait, comme moi, un malheureux voyage.

1/ Spécialiste des lois. 2/ Préoccupation. 3/ Ébattre : distraire, égayer

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