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LA NIANIA

EUGENE ONEGUINE Tout cela est bien loin!


Tchaikovski
Livret du compoositeur et de K.S Chilovski MADAME LARINA
J'étais toujours si élégante...

Personnages LA NIANIA
Comme une gravure de mode!
MADAME LARINA, propriétaire terrienne
LENSKI, fiancé d'Olga MADAME LARINA
EUGÈNE ONÉGUINE, son ami Vêtue au goût du jour et belle!
TATIANA et OLGA, ses filles
LE PRINCE GRÉMINE, vieux général LA NIANIA
F!LIPIEVNA, nourrice de Tatiana Vêtue au goût du jour et belle!
ZARETZKI
MADAME LARINA
MONSIEUR TRIQUET, un Français
Un jour, sans m'avoir consultée...
--------------------
LA NIANIA
On vous a conduite à l'église,
Et puis, bientôt,
ACTE I Notre maître est venu s'installer ici.

MADAME LARINA
PREMIER TABLEAU J'ai tant pleuré les premiers mois,
J'ai failli réclamer le divorce...
La scène représente le jardin de la propriété des Et puis, je me suis occupée du ménage,
Larine. La porte qui donne sur la terrasse est ouverte. Je me suis adaptée, j'ai été heureuse...
Mme Larina. aidée de la nourrice, prépare des confitures.
Tatiana et Olga chantent en duo à l'intérieur de la mai- LA NIANIA
son. Vous vous êtes occupée des soins du ménage,
Vous vous ètes adaptée, vous avez été heureuse.
N°1. Duo et quatuor
Dieu merci!

TATIANA ET OLGA MADAME LARINA


Vous est-il arrivé d'entendre, venue du bois, La force de l'habitude est un don du ciel
La voix nocturne du chantre de l'amour, Qui nous tient lieu de bonheur!
Chantant sa propre tristesse? Oui, oui, certes!
Et celle du chalumeau, La force de l'habitude est un don du ciel
Doux et rustique, au lever du jour, Qui nous tient lieu de vrai bonheur!
Dans les plaines silencieuses?
LA NIANIA
MADAME LARINA Qui nous tient lieu de vrai bonheur Oui, oui. certes,
Elles chantent... Jadis, La force de l'habitude est un don du ciel Qui nous tient
T'en souvient-il, lieu de vrai bonheur
Je chantais aussi...
MADAME LARINA
LA NIANIA Albums, corsets, princesse Pauline,
Vous étiez jeune alors! Recueils de vers sentimentaux,
J'ai tout oublié.
TATIANA ET OLGA
Vous est-il arrivé de soupirer en écoutant LA NIANIA
La douce voix du chantre de l'amour, Vues avez renoncé
Chantant sa propre tristesse? A votre surnom de « Céline »
D'apercevoir au bois Et finalement aimé Chauffe-cœur et bonnet ouatés!
Un triste jeune homme au regard sans flamme?
Avez-vous soupiré?... MADAME LARINA ET LA NIANIA
L'habitude est un don du ciel
MADAME LARINA Qui nous tient lieu de bonnheur!
J'aimais tant Richardson! Oui, oui, certes,
L'habitude est un don du ciel
LA NIANIA Qui nous tient lieu de vrai bonheur!
Vous étiez jeune alors !
MADAME LARINA
MADAME LARINA Mon mari m'aimait sincèrement!
Non que je lisais,
Mais autrefois, Aline, LA NIANIA
Ma cousine de Moscou, Feu notre maître vous aimait!
Me parlait souvent de lui!
Grandisson!... Richardson!... MADAME LORINA
Il avait une confiance aveugle en moi.
LA NIANIA
Oui, oui, je me souviens... LA NIANIA
Monsieur n'était alors Il avait une confiance aveugle en vous.
Que votre fiancé, mais un autre
Occupait tous vos rêves: MADAME LARINA ET LA NIANIA
Vous le trouviez plus séduisant L'habitude est un don du ciel.
Et d'esprit et de cœur... Qui nous tient lieu de bonheur.

MADAME LARINA (On entend le choeur des paysans qui peu à peu se rap-
C'était un fier dandy, proche.)
Gros joueur et sergent de la garde!
N°2. Chœur et danse des paysans

1
- Médée -

LE SOLISTE (Elle esquisse des pas de danse)


Bien lourdes sont mes jambes Sur le pont de la rivière,
D'avoir trop marché Sur le pont de la rivière!
Je ne suis pas faite pour la tristesse,
LE CHŒUR Je n'aime pas rêver dans le silence,
D'avoir trop marché ! Ou bien sur mon balcon, la nuit,
Soupirer du profond de mon âme!
LE SOLISTE A quoi bon soupirer:
Mes blanches mains sont douloureuses Je suis jeune et heureuse!
D'avoir tant travaillé ! Je n'ai point de soucis, et l'on dit
Que je suis comme une enfant!
LE CHŒUR La vie me sera toujours douce,
Mes blanches mains sont lasses Je resterai toujours la même
Et les soucis Pleine d'espoirs,
Serrent mon cœur. Insouciante et joyeuse!
Que dois-je faire? Je ne suis pas faite pour la tristesse,
Comment oublier mon bien-aimé? Je n'aime pas rêver dans le silence,
Bien lourdes sont mes jambes Ou bien sur mon balcon, la nuit,
D'avoir travaillé. Soupirer du profond de mon âme!
(Entrent des paysans portant une gerbe de blé riche- A quoi bon soupirer:
ment décorée.) Je suis jeune et heureuse!
Je n'ai point de soucis, et l'on dit
LE CHŒUR Que je suis comme une enfant!
Salut à vous notre maîtresse,
Notre mère bien-aimée! N°4. Scène
Nous venons offrir à votre gràce
Cette belle gerbe de blé, MADAME LARINA (à Olga)
Car la moisson est faite! Eh bien, ma belle insouciante,
Joyeuse comme un pinson,
MADAME LARINA Te voilà, je pense,
Vous avez bien travaillé, Prête à danser?
Je suis contente de vous.
Chantez-nous un air joyeux! LA NIANIA (à Tatiana)
Tania, Tania, qu'as-tu donc?
LE CHŒUR Ne serais-tu pas malade?
Volontiers, notre maîtresse!
Amusons notre mère, TATIANA
Holà, jeunes filles, Non, nourrice, je n'ai rien.
Disposez-vous en cercle!
Sur le pont de la rivière, MADAME LARINA (au chœur)
Sur le pont de la rivière, Merci, mes bons amis, merci!
Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïnou! Et toi, nourrice,
Sur le pont de la rivière Fais-leur distribuer du vin.
Un beau gars s'avance, Adieu, mes bons amis!
Blond et rose!
Sous sa veste il porte une jolie vielle; LE CHŒUR
Sur son épaule il porte Adieu, notre maîtresse !
Un solide gourdin.
Sous sa veste, une vielle, OLGA
Vaïnou, vainou, vaïnou, vaïnou! Maman, observez Tania!
Sous sa veste une vielle
Et puis aussi un biniou!... MADAME LARINA
Sais-tu qui il cherche? Quoi donc? C'est vrai, ma chère,
Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïnou! Tu es bien pâle
Sais-tu laquelle il cherche?
Ou bien dors-tu déjà? TATIANA
Si tu veilles, montre-toi! Je le suis toujours.
Vaïnou, vaînou, vaïnou, vaïnou! N'avez crainte, maman...
Si tu veilles, montre-toi, Ce que je suis en train de lire me passionne...
Est-ce Sacha, ou bien Macha,
Ou bien la jolie Paracha? MADAME LARINA (elle rit)
Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïncu! Et te rend pâle?
Ou bien la jolie Paracha?
La belle Paracha est venue, TATIANA
Est venue parler au gars. Mais oui, le récit des souffrances
Ne me gronde pas, mon gars De ces deux amoureux m'émeut
Je suis venue comme j'étais, Et j'ai tant pitié d'eux!
Vètue d'une chemise toute simple Oh! comment ils soufrent
Et d'un court jupon!
Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïnou! MADAME LARINA
D'une chemise toute simple! Allons, Tania,
Vaïnou! Moi aussi, jadis,
J'étais émue en lisant.
N°3. Scène et arioso d'Olga Et j'avais tort: c'est du roman!
Dans la vie, il n'y a point de héros!
TATIANA (un livre à la main) N'y pense plus!
Que j'aime, au son de ces chansons,
Me laisser emporter par mes rêves, OLGA
Loin, très loin d'ici... Vous-même, maman, pensez à autre chose:
Vous avez oublié d'enlever votre tablier!
OLGA Si Lenski survenait!
Tania, Tania J'entends un bruit de roues: c'est lui!
Tu rêves sans cesse. Je ne suis pas comme toi (Elle rit. M" Larina s'empresse d'enlever son tablier)
Je me sens joyeuse quand on chante!

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- Médée -
Qui luit sur l'absurde firmament!
MADAME LARINA
Mais oui! LENSKI
Ah, mon ami,
TATIANA Nous sommes encore plus dissemblables
Il n'est pas seul... Que la vague et le roc, la poésie et la prose,
L'onde et la flamme!
MADAME LARINA
Qui cela peut-il être? TATIANA
L'heure est venue et mes yeux s'ouvrent!
LA NIANIA (elle accourt suivie d'un serviteur) C'est iui, c'est lui - je l'ai reconnu!
Madame, c'est Monsieur Lenski, Hélas, plus de repos pour moi,
En compagnie de Monsieur Onéguine! Ni la nuit ni le jour
Son image chérie
TATIANA (elle veut s'enfuir mais M" Larina la retient) Occupera toutes mes pensées!
Je préfère partir! La flamme ardente de l'amour
Va dévorer mon âme!
MADAME LARINA
Où cours-tu, Tania? OLGA
On te critiquera!... Seigneur, Je savais bien
Mon bonnet est tout de travers! Que l'apparition d'Onéguine
Allait faire grande impression
OLGA (à Mme Larina) Et intriguer tous nos voisins!
Demandez qu'on fasse entrer! Tous vont se poser des questions,
Avancer des hypothèses,
MADAME LARINA (au serviteur) Plaisanter non sans méchanceté
Fais vite entrer! Et voir en lui le futur de Tania

N°5. Scène et quatuor


(Linski s’approche d'Olga. Onéguine regarde Tatiana
qui est là, debout immobile, les yeux baissés, puis
LENSKI s’approche d’elle et lui parle)
Mesdames, je me suis permis
De venir avec un ami que je vous présente: N°6. Scène et arioso de Lenski
Onéguine, mon voisin.
LENSKI (à Olga)
ONÉGUINE Quel grand bonheur, quel grand bonheur
Je suis très heureux. De vous revoir enfin!

MADAME LARINA (cérémonieuse) OLGA


Nous sommes ravies... Prenez des sièges... Nous nous sommes pourtant vus hier!
Je vous présente mes deux filles.
LENSKI
ONÉGUINE Certes!
Je suis très, très heureux. Tout un jour sans vous voir
C'est une éternité!
MADAME LARINA
Passerons-nous au salon OLGA
Ou bien préférez-vous Une éternité!
Rester ici, dans le jardin? Quel grand mot!
Je vous en prie, Un mot terrible!
Pas de cérémonies entre nous
Ne sommes-nous pas voisins! LENSKI
Terrible, oui,
LENSKI (à Onéguine) Mais pas pour mon amour!
Comme il fait bon ici!
J'adore ce jardin où règnent (Lenski et Olga se promènent)
L'ombre et la solitude
ONÉGUINE (il parle à Tatiana avec une politesse froide)
MADAME LARINA Dites-moi,
Parfait! Je pense que vous devez
J'ai à faire dans la maison; Mourir d'ennui dans cette solitude,
Vous deux, prenez soin de vos hôtes! Belle, certes, mais pénible!
Je doute que vous ayez ici
ONÉGUINE (à Lenski) Beaucoup de distractions...
Dis-moi, laquelle est Tatiana?
Je suis curieux de le savoir. TATIANA
Je lis énormément.
LENSKI
Celle qui semble mélancolique ONÉGUINE
Et ne dit mot. Certes!
La lecture nourrit l'âme et le coeur;
ONÉGUINE Pourtant on ne peut passer sa vie,
Se peut-il que tu aimes l'autre? Un livre à la main !

LENSKI TATIANA
Pourquoi? Parfois je me promène en rêvant...

ONÉGUINE ONÉGUINE
J'aurais choisi la première, A quoi donc rêvez-vous?
Si j'étais poète, comme toi!
Olga a un visage inerte: TATIANA
On dirait la madone de Van Dyck, La rêverie est ma compagne
Toute ronde, comme la lune stupide Depuis que j'étais tout enfant...

3
- Médée -
Et, certes, il ne pouvait mieux faire!
ONÉGUINE Puisse son exemple servir aux autres,
Vous aimez la méditation; Car si vous saviez comme il est pénible
Jadis, j'ai été comme vous... De veiller un malade jour et nuit,
Sans jamais le quitter d'un pas!
(Oneguine et Tatiana s'éloignent de l’autre côté du
jardin, tandis que Lenski et Olga reviennent.) LA NIANIA
Ma chère colombe marche à pas lents,
LENSKI Baissant la tête.
Je vous aime, Olga, Elle est si timide!... Hé,
Comme seule l'âme d'un poète Ce jeune seigneur l'aurait-il troublée?...
Est encore capable d'aimer!
Partout, toujours, la même image, (Elle s'éloigne. l'air pensif)
Le même songe, un seul désir
Et une seule peine d'amour! DEUXIÈME TABLEAU
Enfant, je t'avais aimée,
Avant même de connaitre les tourments du cœur, N°8. Introduction et scène de la nourrice
J'ai été le témoin ému
De tes jeux d'autrefois! La chambre de Tatiana, sobrement meublée; quelques
Ces jeux, auxquels je prenais part chaises de bois, peintes en blanc à l'ancienne mode et
Sous les grands arbres du jardin... recouvertes d'indienne, des rideaux de la même étoffe et.
Ah je t'aime! au-dessus du lit, des livres. Un miroir est posé sur la
Je t'aime comme seule l'âme d'un poète commode. Devant la fenêtre, une table, une plume. En lon-
Est encore capable d'aimer! gue robe de nuit blanche, Tatiana, pensive. est assise
Tu remplis tous mes rêves,
devant le miroir. La nourrice est auprès d'elle.
Tu es mon seul désir,
Tu es ma joie et ma peine!
Je t'aime, je t'aime, LA NIANIA
Et jamais rien, Assez bavardé!
Ni l'éloignement, Il est temps de dormir.
Ni le bruit d'une fête Demain, je te réveillerai pour la messe.
Ne sauront dégriser une âme Dors vite, Tania!
Qui brûle d'amour pour toi!
TATIANA
OLGA Nourrice, j'étouffe
A l'ombre de ces grands arbres, Ouvre la fenêtre et viens t'asseoir ici.
Nous avons grandi côte à côte...
LA NIANIA (ouvrant la fenêtre)
LENSKI Tatiania, qu'as-tu donc?
Je t'aime!
TATIANA
OLGA De la peine...
T'en souvient-il, du temps de notre enfance, Parle-moi de l'ancien temps.
Nos parents nous avaient déjà
Promis l'un à l'autre! LA NIANIA
De quoi, Tafia ?... Jadis
LENSKI Je connaissais bien des contes
Je t'aime! Je t'aime! Et de vieilles légendes
Pleines de méchants esprits
Et de pures jeunes filles...
(Sur la terrasse où la nuit peu à peu tombe, Mme Lari-
Mais j'ai tout oublié depuis:
na parait) Je me fais vieille.
Je n'ai plus de mémoire!...
N"7. Scène finale

TATIANA
MADAME LARINA Nourrice, parle-moi
Ah! vous voilà! Où donc est Tania? De ton propre passé:
As-tu été amoureuse?
LA NIANIA
Elle doit se promener avec notre hôte LA NIANIA
Au bord de l'étang. Je vais l'appeler. Fi donc, Tania! De mon temps,
On ne parlait jamais d'amour!
MADAME LARINA Sinon, feu ma belle-mère
Dis-lui qu'il est grand temps M'aurait gaillardement corrigée!
De rentrer. Je gage que nos invités
Meurent de faim! TATIANA
Mais alors, comment t'es-tu mariée?
(La nourrice sort)
LA NIANIA
MADAME LARINA (à Lenski) Selon la volonté de Dieu! Mon Ivan
Entrez, je vous prie. Était encore plus jeune que moi,
Or, j'avais treize ans!
LENSKI Deux semaines de suite, la marieuse
Nous vous suivons! Est venue voir mes parents,
Et puis, un jour, mon père m'a bénie!
(On voit apparaitre Onéguine et Tatiana suivis de la J'en ai pleuré de peur!
nourrice qui essaie d'écouter leur entretien. Tout en On m'a fait une belle tresse
traversant la scène, Onéguine chante. Tatiana est trou- Et conduite à l'église en chantant...
blée) Et je me suis retrouvée dans une autre famille...
Tu ne m'écoutes pas?...
ONÉGUINE (à Tatiana)
Mon oncle connaissait les usages: TATIANA
Une fois tombé gravement malade, Nourrice, nourrice,
Il ne tarda pas à rendre son âme, Je souffre tant!

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- Médée -
Je suis au bord des larmes! Elle me parlait dans mon silence,
Lorsque je secourais les pauvres
LA NIANIA Ou allais prier pour dissiper
Mon enfant, tu es malade! La tristesse de mon âme...
Que le Seigneur te protège! Et dans mes nuits silencieuses,
Vite, de l'eau bénite! N'était-ce point toi qui venais
Tu es toute brûlante!... Te pencher à mon chevet,
Pour me parler doucement à l'oreille,
TATIANA (hésitante) Me chuchoter des mots d'amour,
Je ne suis pas ... malade... Des mots d'amour et d'espoir?...
Nourrice... j'aime... je suis amoureuse... Qui es-tu? Mon bon ange
Laisse-moi, laisse-moi seule... Ou bien un cruel tentateur?
Je suis amoureuse... Oh, dissipe mes doutes!
Ou bien tout cela est-il vain,
LA NIANIA Mirages et fantômes d'un trop jeune cœur,
Comment cela? Et ma destinée serait tout autre?...
Ah! qu'importe! Je livre mon sort
TATIANA Entre tes mains,
Va, nourrice, laisse-moi seule. En versant des larmes
Donne-moi une plume, du papier Et te conjurant de m'aider...
Et approche la table... Je dormirai bientôt... Oh! oui, je te supplie!...
Je suis seule, si seule,
LA NIANIA Et nul ne me comprend!
Bonne nuit, Tania... Ma raison m'abandonne
Et je dois périr en silence!
(Elle sort.) Je t'attends!
Je t'attends! Un mot,
N°9. Scène de la lettre
Un seul mot d'espoir!
Ou bien qu'un reproche mérité
Mette fin à mes rêves!
TATIANA
J'ai fini! J'ai peur de me relire!
Qu'importe si je cours à ma perte! J'ai honte et j'ai peur!
Pleine d'un fol espoir, Mais je fais confiance
J'appelle un bonheur inconnu, A son sentiment de l'honneur!
Je découvre la volupté de vivre!
Je bois le poison des désirs,
N°10. Scène et duo
Des rêves délirants me poursuivent.
Partout, partout, je le revois.
Partout, il est présent! (Tatiana s'approche de la fenêtre et tire le rideau.
Non, ce n'est pas cela, je recommence... Le jour envahit la pièce)
(Elle déchire la lettre.)
Mon Dieu! Mon Dieu! Qu'est-ce que j'ai?... TATIANA
Je ne sais par quoi commencer... Oh! il fait jour! Tout s'éveille.
Je vous écris - c'est tout vous dire! Et le soleil se lève...
Que pourrais-je ajouter? J'entends le chalumeau du pâtre
A présent, il dépend de vous Dans le silence...
De me châtier par votre dédain! Et moi.. et moi!...
Mais non! pitié pour ma détresse,
Ne me repoussez pas, (Entre la nourrice)
Ayez pitié de moi!
Au début, je voulais me taire. LA NIANIA
Croyez-le: vous n'auriez jamais rien su Il est temps, mon enfant! Debout!
De ma honte... Mais tu es prête, ma beauté!
Non, jamais ! Ma colombe matinale!
Je m'étais juré de garder secret Hier au soir, tu m'as fait peur,
L'aveu d'une âme en délire... Mais, Dieu merci, te voilà bien alerte,
Hélas, je ne peux plus me taire! Il ne reste plus trace de ta tristesse,
Que mon destin s'accomplisse! Et tu es belle comme une fleur!
Courage! Il saura tout!...
Pourquoi, pourquoi être venu TATIANA
Troubler ma solitude?... Nourrice, rends-moi un service...
Je n'aurais pas connu ce tourment
D'une jeune âme découvrant l'amour. LA NIANIA
Qui sait, avec le temps, Bien volontiers... Ordonne...
Peut-être aurais-je trouvé un compagnon,
Serais-je devenue sa fidèle épouse TATIANA
Et la vertueuse mère de ses enfants?... Ne vas pas croire... non, non...
Un autre que toi? ... Oh! non, jamais, Vois-tu... Oh, ne refuse pas!
Jamais je ne l'aurais accepté
Le destin en a décidé: je suis à toi, LA NIANIA
Telle est la volonté du ciel! Je te le promets devant Dieu!
Toute ma vie n'a été que l'attente
D'une rencontre avec toi. TATIANA
C'est Dieu lui-même qui t'envoie: Sans rien dire à personne,
Tu es mon compagnon jusqu'à la mort! Demande à ton neveu d'aller porter
Tu m'apparaissais dans mes songes Cette lettre à 0... à notre voisin...
Et je t'aimais avant de t'avoir vu, Mais surtout qu'il n'en souffle mot
Ton doux regard m'attirait, A personne!
Et ta voix résonnait dans mon âme... Et qu'il ne cite pas mon nom...
Il y a longtemps... Non, non ce n'était pas un songe...
Tu es entré... je t'ai reconnu, LA NIANIA
Et, de tout mon cœur enflammé, A qui faut-il porter la lettre?
Je me suis écriée: c'est lui! Tu vois, je deviens vieille et sotte!
C'est lui! Nous avons beaucoup de voisins:
Ta voix m'était familière: Comment veux-tu que je devine?

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- Médée -
Chez qui faut-il aller? Explique-toi. entendant les pas d'Onéguine.)

TATIANA (avec impatience) TATIANA


Vraiment, tu n'es pas perspicace! C'est lui!... C'est lui!...
Seigneur, qu'a-t-il pensé?
LA NIANIA que va-t-il me dire?.. Oh, pourquoi,
Je suis bien vieille, Écoutant la détresse de mon âme,
Vieille et sotte! Incapable de me dominer,
Autrefois, je comprenais A-t-il fallu que je lui écrive?
A demi-mot ce qu'on voulait. Car, à présent, mon cœur devine
Qu'il va rire de moi,
TATIANA Lui qui m'a tentée!
Nourrice, nourrice, qu'importe! Seigneur! que je suis malheureuse
Ce n'est pas de toi qu'il s'agit, Et pitoyable !
Mais de cette lettre! Un bruit de pas... On vient...
C'est lui!... C'est lui!...
LA NIANIA
Bon, bon, je t'écoute. ONÉGUINE
Vous m'avez écrit,
TATIANA Ne le niez pas. J'ai lu
Ce n'est pas de toi qu'il est question... L'aveu d'une âme confiante,
D'un innocent amour...
LA NIANIA J'aime votre franchise;
Ne te fâche pas, ma colombe, Elle a ranimé en moi
Si je suis un peu sotte... Des sentiments éteints.
Pourtant, je ne saurais vous approuver,
TATIANA Et je serai franc avec vous
Onéguine! Autant que vous l'avez été.
A votre tour, écoutez ma confession
LA NIANIA Et soyez mon juge...
Là, c'est clair!
TATIANA
TATIANA Mon Dieu! Quelle honte, quelle souffrance!
Chez Onéguine...
ONÉGUINE
LA NIANIA Si j'avais voulu limiter ma vie
J'ai compris! Au cercle étroit de la famille,
Si le destin m'avait octroyé
Le sort heureux d'un époux et d'un père,
TATIANA
Croyez-moi, je n'aurais point cherché
Fais porter cette lettre
D'autre épouse que vous...
A Onéguine par ton neveu.
Mais je ne suis pas fait pour le bonheur,
Mon âme lui est étranecre!
LA NIANIA Vaines sont vos perfections:
Oui, oui, c'est entendu... Je ne suis pas digne d'elles.
Tu sais, je suis un peu sotte... Croyez-le bien, j'en fais serment.
Te voilà toute pâle de nouveau!... Notre union serait un désastre.
Quelle qu'aurait été la force de mon amour,
TATIANA L'accoutumance l'aurait tué vite!
Cc n'est rien, nourrice... Tristes seraient les roses
Fais porter la lettre par ton neveu! De notre hyménée -
Et cela pour longtemps!
TROISIÈME TABLEAU On ne ressuscite point le passé,
Et je ne saurais rajeunir mon âme!
N°11. Choeur des jeunes filles Je vous aime comme un frère...
Peut-être même davantage...
La sène se passe dans le jardin du domaine des Larine. Écoutez-moi sans colère
On aperçoit des massifs de lilas, et d‘acacias, un petit Et dites-vous qu'une jeune fille
banc, des parterres de fleur abadonnés. Des paysannes Peut substituer d'autres rêves à ses rêves premiers.
cueillent des framboises. Apprenez à vous dominer,
Car tous ne vous comprendront pas comme moi,
LE CHŒUR DES JEUNES FILLES Et l'inexpérience peut engendrer des malheurs.
Jeunes filles,
Belles amies, LE CHŒUR (en coulisse)
Jouez et vous promenez. Jeunes filles,
Jouez en faisant cueillette! Belles amies,
Chantez belles chansons. Jouez et vous promenez,
Belles vieilles chansons, Jouez en faisant cueillette
Invitez beaux jeunes gens Qu'un garçon se présente,
Dans votre ronde joyeuse! Nous l'attirerons,
S'il vient à passer par ici, Puis nous nous enfuirons
Nous l'attirerons, En lui jetant des cerises!
Et puis nous nous enfuirons Pour qu'il ne vienne plus guetter,
En lui jetant des cerises, Pour qu'il ne vienne plus surprendre
Des cerises et des framboises Nos rondes joyeuses!
Et de rouges groseilles!
Pour qu'il ne vienne plus guetter (Onéguine tend la main à Tatiana qui le regarde lon-
Nos belles chansons! guement de ses yeux suppliants, puis se lève machinale-
Pour qu'il ne vienne plus surprendre ment et s'éloigne sans un mot en s'appuyant sur son bras.
Nos rondes joyeuses! On entend le chœur dans le lointain.)
N°12. Scène et aria d'Onéguine
ACTE II
(Tatiana arrive en courant et s'asseoit sur le banc en

6
- Médée -

PREMIER TABLEAU D'entendre ces stupides commérages!


Je ne l'ai pas volé!
N°13. Entracte et valse avec scène et chœur Pourquoi suis-je venu
A ce bal absurde? Pourquoi?
Un bal a lieu chez les Larine. Olga danse avec Lenski. Je ne pardonnerai jamais à Lenski
Tatiana avec Onéguine. Chacun s'épie. Mme Larina traverse De m'avoir entraîné!
la scène avec l'air affairé de la maitresse de maison. Je vais courtiser Olga
Pour le faire enrager... La voilà!
LES CONVIVES
Quelle surprise! (Olga passe à côté de lui, en compagnie de Lenski.)
Pouvions-nous nous attendre
A une musique militaire? ONÉGUINE (à Olga)
Quelle ambiance! Accordez-moi cette danse!
Voilà bien longtemps
Que nous n'avons vu pareille réception! LENSKI (à Olga)
C'est un glorieux festin, Vous me l'aviez promise!
N'est-ce pas, messieurs?
Bravo, bravo, bravo, bravo! ONÉGUINE (à Lenski)
Quelle heureuse surprise! Tu dois faire erreur!
Bravo, bravo, bravo, bravo!
Quelle surprise pour tous! (Il danse avec Olga)

DE VIEUX HOBEREAUX LENSKI


Il est rare, dans nos manoirs, Mon Dieu! Mon Dieu!
D'entendre les sons joyeux d'un bal! Je n'en crois pas mes yeux... Olga!...
La chasse est notre passe-temps! Oh, mon Dieu!
Nous aimons les bruits de la meute!
LES CONVIVES
DAMES MÛRES Un vrai festin!
Quel plaisir, dites-nous, Quelle surprise!
A courir bois et plaines! Quel buffet!
Ils rentrent harassés... Quelle ambiance!
Et c'est notre « fête » ! Un vrai festin!
Quelle surprise,
JEUNES FILLES (elles entourent le lieutenant) Quelle bonne surprise!
Cher Trifone Pétrovitch, Une musique militaire!
Vous êtes si drôle! Et quelle ambiance!
Merci, merci à vous! Bravo, bravo, bravo, bravo!
Ah, quelle heureuse surprise!
LE LIEUTENANT Bravo, bravo, bravo, bravo!
Allons donc! Un vrai festin!
C'est moi le plus heureux! Et cette musique militaire.
Aucun ne s'y attendait!
JEUNES FILLES Un vrai festin!
Nous allons danser tout notre soûl! Quelle ambiance!
Un vrai festin!
LE LIEUTENANT Un festin glorieux!
Je suis des vôtres!
Allons-y, dansons! N°14. Scène et couplets de M. Triquet

(Onéguine danse avec Tatiana. A ce moment tous les LENSKI (il s'approche d'Olva qui vient de danser avec
danseurs s’arrêtent et observent le couple.) Onéguine)
Ai-je vraiment mérité cette raillerie?
DAMES MÛRES Olga, pourquoi etes-vous si cruelle?
Voyez, voyez tous ces jeunes lions Qu'ai-je donc fait?
Qui s'adonnent à la danse!
OLGA
SECOND GROUPE Je ne vois pas
Il serait grand temps... Ce que vous pouvez me reprocher!

PREMIER GROUPE LENSKI


Un beau parti!... Vous avez dansé avec Onéguine
L'écossaise, la valse...
SECOND GROUPE Je vous ai invitée -
Dommage pour elle! Vous m'avez refusé!

PREMIER GROUPE OLGA


Il va l'épouser... Vladimir, c'est étrange
Tu te fâches pour des bagatelles!
LES DEUX GROUPES
Et la tyranniser! LENSKI
On dit qu'il est joueur! Des bagatelles! Des bagatelles!
Pouvais-je rester indifférent
Quand tu riais avec lui...
(Onéguine tend l'oreille)
Il se penchait vers toi et te serrait la main...
Car j'ai tout vu!
LES DEUX GROUPES DE DAMES MÛRES
C'est un ignare à moitié fou,
OLGA
Il ne baise pas la main des dames,
Ridicule! Tu as tort
Il est franc-maçon
D'étre jaloux de lui.
Et ne boit à table que du vin!
Nous avons bavardé...
D'ailleurs, il est charmant.
ONÉGUINE
Me voilà décortiqué! Je suis las

7
- Médée -

LENSKI
Il est charmant!... Olga, LES CONVIVES
Tu ne m'aimes donc plus ! Bravo, bravo, bravo, monsieur Triquet!
Votre couplet est admirable
OLGA Et si joliment chanté!
Tu es étrange!
N°15. Mazurka et scène
LENSKI
Tu ne m'aimes plus... LE LIEUTENANT
Veux-tu danser Le cotillon avec moi? Tous à vos places
Le cotillon commence!
ONÉGUINE Je vous en prie
Non, avec moi!
Vous l'avez promis... ONÉGUINE (il fait un tour de danse avec Olga, la fait as-
seoir, puis, comme s'il venait d'apercevoir Lenski, se
OLGA (à Onéguine) tourne vers lui)
Et je tiens parole! Tu ne danses pas, Lenski?
(à Lenski) Tu es là comme un Childe Harold!
Votre jalousie mérite un châtiment! Qu'as-tu donc?

LENSKI LENSKI
Olga!... Moi? Je n'ai rien!
J'admire quel merveilleux
OLGA Ami tu fais!
En aucun cas!
(Mr Triquet. entouré de jeunes filles, apparaît au ONÉGUINE
fond le la scène.) Quoi donc?
Regardez. En voilà des nouvelles!
Voilà monsieur Triquet Pourquoi es-tu fâché?

ONÉGUINE LENSKI
Qui est-il? Moi, fâché?... Pas le moins du monde!
J'admire ton jeu
OLGA Et ta façon mondaine
Un voisin qui vit chez les Kharlikov De tourner la tête aux jeunes filles.
Faut-il croire que Tatiana
LES JEUNES FILLES Ne te suffise pas, que par amitié pour moi
Monsieur Triquet, monsieur Triquet, Tu veuilles séduire Olga,
Chantez de grâce un couplet! La troubler, puis rire d'elle?
Ah! l'honnête homme!
TRIQUET
J'ai, en effet, apporté un couplet, ONÉGUINE
Mais où donc est Mademoiselle Larina? Quoi?
Il faut qu'elle soit en face de moi! Mais tu es fou!
Car le couplet est fait pour elle !
LENSKI
(On installe Tatiana au milieu d'un cercle formé par Bravo!
tous les invités. M. Triquet lui chante ses couplets. Tu m'offenses, et ensuite
Elle est toute confuse et veut s'en aller, mais on la Tu me traites de fou!
retient)
(Les danseurs s'arrêtent, les invités quittent leurs
LE CHŒUR DES JEUNES FILLES places et font cercle autour des deux jeunes gens.)
La voilà ! La voilà !
LES CONVIVES
TRIQUET Qu'y a-t-il? Que se passe-t-il?
Aha!
Voilà la reine de ce jour! LENSKI
Mesdames, faites silence, Onéguine,
Je vais chanter! Vous n'êtes plus mon ami
(Avec conviction.) Je ne veux plus vous connaître,
A cette fête conviés Vous êtes un homme
De celle, dont le nom est fêté, Digne de mépris!
Contemplons le charme et la beauté!
Son regard doux et enchanteur LES CONVIVES
Toujours rayonne dans nos cœurs, Quelle surprise!
Ah! quelle joie, et quel bonheur! Ils ont l'air de se disputer
Brillez, brillez, toujours, belle Tatiana! Tout à fait sérieusement!
Brillez, brillez, toujours, belle Tatiana!
ONÉGUINE (il entraîne Lenski à part)
LES CONVIVES Écoute, Lenski, tu as tort!
Bravo, bravo, bravo, monsieur Triquet! Cessons d'attirer l'attention de tous ces gens!
Votre couplet est admirable Je n'ai troublé le repos de personne,
Et si joliment chanté! Et, franchement, je n'ai pas envie
De le faire!
TRIQUET
Nous vous souhaitons d'être heureuse, LENSKI (de plus en plus furieux)
D'être toujours la fée de ces rives, Pourquoi
De n'être jamais triste ou malade! Lui serrais-tu la main
Et, au milieu de vos bonheurs, En lui parlant à l'oreille?
N'oubliez point votre serviteur, Je l'ai vue rire en rougissant...
Ni vos chères compagnes! Que lui racontais-tu?...
Brillez, brillez, toujours, belle Tatiana!
Brillez, brillez, toujours, belle Tatiana! ONÉGUINE

8
- Médée -
Écoute-moi, c'est absurde! La jalousie étreint son cœur,
Regarde, on nous entoure ! Mais ce n'est pas ma faute!
Non, ce n'est pas ma faute!
LENSKI (hors de lui) Les hommes se disputent toujours
Que m'importe! Vous m'avez offensé, Et sont prêts à se battre
J'exige réparation! Pour des bagatelles!

LES CONVIVES LENSKI


Qu'y a-t-il ? Mon ange est innocent!
Dites-nous ce qui se passe? Innocent!
C'est lui l'infime séducteur,
LENSKI Et je le châtierai!
C'est simple !
J'exige que monsieur Onéguine ONÉGUINE
M'explique sa conduite. Suffit! Je suis à vos ordres!
Il refuse de le faire... Vous êtes insensé
Soit! Qu'il accepte mon défi! Et méritez une leçon!

MADAME LARINA (elle se fraye un chemin à travers la fonde LENSKI


et s'adresse à Lenski) A demain! Nous verrons lequel
Oh! mon Dieu, pas ici, pas ici! Donnera une leçon à l'autre!
Je suis un fou, soit! Mais vous...
N°16. Finale Vous êtes un lâche séducteur!

LENSKI ONÉGUINE
Sous ce toit! Sous ce toit Taisez-vous ou je vous tue!
Sous ce toit, comme un rêve d'or
J'ai vécu mon adolescence! LES CONVIVES
Sous ce toit, j'ai connu la première joie Quel scandale! Nous n'admettrons pas
D'un amour chaste et tendre ! Qu'ils se battent en duel!
Mais je viens d'y apprendre une autre chose: Ne les laissons pas sortir!
La vie n'est pas un roman, Tenez-les, tenez-les!
L'honneur est un vain mot, Ne les laissez pas sortir!
L'amitié est duperie...
OLGA
ONÉGUINE Vladimir, calme-toi, je t'en supplie!
En toute honnêteté,
Je dois me faire des reproches. LENSKI
Je ne devais pas plaisanter Olga, Olga, adieu à jamais!
Avec cette passion timide.
Je devais me conduire (Lenski sort en courant. Olga se précipite derrière
Comme un homme. Lenski, mais tombe évanouie. Onéguine s'éloigne à la hâ-
Comme un homme de cœur et d'esprit, te.)
Et non pas comme un jouet de préjugés futiles!
LES CONVIVES
TATIANA Ils vont se battre!
Troublée au plus profond de mon être,
Je ne comprends pas sa conduite. DEUXIÈME TABLEAU
Et la jalousie me ronge!
Mon cœur est plein de peine, N°17. Introduction, scène et aria de Lenski
Une main glacée s'est posée sur lui
Et le serre, le serre, me fait si mal La scène représente un moulin à eau, un rideau d'ar-
bres sur la berge d'une petite rivière. Il est encore
OLGA et MADAME LARINA tôt. Le soleil est à peine levé. Au lever de rideau.
Je crains que cette nuit de fête
Lenski et Zaretski, son témoin, attendent Onéguine. Lens-
Ne s'achève par un duel!
ki est assis, pensif, au pied d'un arbre. Zaretski arpen-
LES CONVIVES te la scène avec impatience.
Pauvre Lenski! Pauvre jeune homme!
ZARETSKI
ONÉGUINE Eh bien! Votre adversaire ne vient pas?
Je me suis conduit comme un sot!
LENSKI
LENSKI Il ne tardera plus.
J'ai appris qu'une bien-aimée
Pouvait être belle comme un ange, ZARETSKI
Mais fausse et perverse Son absence me surprend:
Comme un démon! Il est six heures passées
Et je pensais le trouver là!
TATIANA
Je suis perdue, je suis perdue, LENSKI
Mais il m'est doux de périr par lui! Où donc, où donc avez-vous fui,
Je suis perdue, je suis perdue, Heures dorées de ma jeunesse?
Mais je n'ose murmurer! J'interroge en vain l'avenir:
A quoi bon murmurer? L'ombre profonde me le cache!
Il ne saurait me rendre heureuse... D'ailleurs à quoi bon? Le destin est le maitre!
Je suis perdue, je suis perdue, Vais-je tomber, frappé à mort,
Je le sais! Ou serai-je épargné ?...
Le sommeil ou la veille -
OLGA Chaque chose a son temps!
Les hommes ont le sang chaud, Bénis soient le jour et ses soucis,
Ils n'acceptent pas les compromis Bénies soient les ténèbres!
Et finissent toujours par se disputer! Le jour se lèvera,
Le soleil va luire,

9
- Médée -
Et moi, je descendrai peut-être rière un arbre.)
Dans l'ombre mystérieuse du tombeau!
Le noir Léthé engloutira ZARETSKI
Jusqu'au souvenir du poète! Maintenant, avancez!
Tous m'auront oublié, mais toi?
Toi?... Toi?... Olga... (Zaretski frappe trois fois dans ses mains. Tout en
Viendras-tu, ô ma bien-aimée, s'avançant de quatre pas, Onéguine lève son pistolet,
Pleurer sur ma tombe précoce? Lenski commence à viser. Onéguine tire. Lenski chancelle
Diras-tu: Il m'a aimée, et tombe en lâchant son arme. Zaretskl se précipite et
A moi seule, il a voué
l'examine longuement.)
L'aube triste de sa vie passionnée?
Olga! Olga! Je t'ai aimée.
A toi seule j'ai voué ONÉGUINE
L'aube triste d'une vie passionnée! Tué?
Olga! Olga!! Je t'ai aimée!
Ma bien-aimée, ma seule amie, ZARETSKI
Viens-tu?... Viens-tu?... Tué!
Oh! viens vers moi! Je suis l'époux!
Vers moi!... Vers moi!... (Onéguine effaré se cache la tête dans les mains.)
Je t'attends, ma bien-aimée,
Viens, oh! viens: je suis l'époux!
Où donc, où donc avez-vous fui, ACTE III
Heures dorées de ma jeunesse?

N°18. Scène du duel


PREMIER TABLEAU
ZARETSKI (il s'approche de Lenski) N°19. Polonaise
Les voici! Mais qui donc accompagne
Votre ami? La scène représente l'un des salons d'une riche demeu-
Je ne le connais pas! re de Pétersbourg. Les invités dansent une polonaise puis
regagnent leur place. Les autres froment de petits grou-
(Onéguine fait son entrée, accompagné de M. Guillot,
pes et bavardent.
son domestique, qui porte les pistolets.)
N°20. Scène et aria du prince Grémine
ONÉGUINE (il s'incline)
Veuillez m'excuser: ONÉGUINE
Je me suis fait attendre!
L'ennui me poursuit jusqu'ici,
Rien ne peut le chasser,
ZARETSKI Pas même la folle agitation du monde!
Où donc est votre témoin? J'ai tué en duel mon meilleur ami,
Car, en matière de duels, J'ai vécu jusqu'à vingt-six ans,
Je tiens au respect des formes Sans but et dans une oisiveté
Et n'admets qu'on abatte un homme Qui a fini par me lasser!
Que selon les règles de l'art Point de femme, pas d'occupation,
Et des plus strictes traditions, O vanité de l'existence!
Transmises par nos aïeux! Un trouble s'est emparé de moi,
J'ai voulu voyager, errer -
ONÉGUINE Triste consolation,
En quoi nous vous approuverons! Pénible et volontaire exil
Mon témoin? J'ai voulu quitter mes terres.
Je vous le présente: monsieur Guillot. Le silence des plaines et des bois
Et je ne prévois pas d'objection Où un spectre ensanglanté
En ce qui le concerne! M'apparaissait chaque jour...
Certes, il n'est guère connu, J'ai erré sans aucun but,
Mais c'est un parfait honnête homme En proie à un unique sentiment...
(à Lenski) L'errance elle-même m'a lassé
Commencerons-nous? Et m'a versé dans l'ennui!
Me voici de retour, et, le soir même,
LENSKI Dans un grand bal mondain!
Soit, commençons
(Tatiana parait au bras de son mari, le prince Grémi-
(Zaretski s'éloigne avec M. Guillot pour discuter avec ne. Elle s'assied sur le divan. Les invités viennent l'un
lui des conditions du duel) après l'autre s'incliner devant elle.)
LENSKI ET ONÉGUINE (ils attendent debout, sans se regar- LES CONVIVES
der) Voyez! La princesse Grémine!
Deux ennemis! Il n'y a guère longtemps
Que le désir de tuer nous a séparés! UN GROUPE D'HOMMES
Il n'y a guère longtemps, nous partagions Laquelle?
Nos pensées, nos joies et nos loisirs...
Nous voilà prêts à nous entretuer LES DAMES
De sang-froid, Celle qui s'est assise à la table.
Comme deux ennemis héréditaires!...
Ah! LES HOMMES
N'allons-nous pas nous réconcilier, Comme elle est belle!
Tant que le sang n'a pas coulé,
Nous étreindre amicalement?... ONÉGUINE
Non! Non! Non! Non!
Tatiana?... Non!... Ce n'est pas possible!
Elle, venue du fond de ses steppes?...
(Zaretski et Guillot ont déjà chargé les pistolets et Non, non, ce n'est pas possible!
mesuré la distance entre les deux adversaires. Zaretski A la fois si simple et majestueuse,
place les adversaires et leur tend les pistolets. Tout Tellement à l'aise,
cela se fait sans un mot. Guillot, troublé se cache der- Comme une reine...

10
- Médée -
D'irritante vanité.
TATIANA (elle parle aux invités qui l'entourent et dési- De calculs sordides -
gne du regard Onéguine dont le prince Grémine vient de Elle rayonne comme un astre,
s'approcher) La nuit, sur un ciel pur.
Qui donc est-ce là-bas, Et m'apparait comme entourée
Avec le prince... Je vois mal... D'un chœur d'anges radieux!
L'amour nous enflamme à tout âge,
LES HOMMES C'est un bienfait pour le jeune homme,
Un faux original, Qui ne fait que découvrir la vie,
Un fou bizarre et triste C'est un bienfait pour l'homme mûr,
Qui rentre de voyage... A la tête grisonnante,
Et endurci par l'existence!
UN GROUPE Onéguine, j'aime Tatiana
Onéguine, de retour parmi nous. Avec l'ardeur de la jeunesse..
Ma vie s'écoulait triste,
TATIANA Puis elle est apparue,
Onéguine? Tel un soleil perçant les nuages,
M'apportant le bonheur, illuminant ma vie...
LES HOMMES
N°21. Scène et arioso d'Onéguine
Vous le connaissez?

TATIANA GRÉMINE (il se dirige vers Tatiana, en compagnie d'Oné-


1l était notre voisin de village. guine)
(à part) Suis-moi, je vais te présenter.
Mon Dieu, aidez-moi à dissimuler (À Tatiana.)
Le trouble qui m'envahit! Je te présente
Mon cousin et ami, Onéguine.
ONEGUINE (a Grémine)
Dis-moi, prince, qui est cette personne, (Onéguine s'incline profondément. Tatiana répond avec
Au béret cramoisi, qui s'entretient une parfaite simplicité, comme si elle n'éprouvait aucune
Avec l'ambassadeur d'Espagne? émotion.)

GRÉMINE TATIANA
Aha! Tu es resté longtemps absent! Je suis très heureuse...
Attends. Je vais te présenter. Nous nous sommes déjà vus autrefois...

ONÉGUINE ONÉGUINE
Qui est-elle? À la campagne... Il y a longtemps!

GRÉMINE TATIANA
Ma femme! D'où venez-vous? De notre région?

ONÉGUINE ONÉGUINE
Tu es marié? Je l'ignorais! Oh! non, je reviens
Depuis longtemps? D'un long voyage!

GRÉMINE TATIANA
Près de deux ans. Depuis longtemps?

ONÉGUINE ONÉGUINE
Qui est ta femme ? Aujourd'hui même!

GRÉMINE TATIANA (à Grémine)


Tatiana Larina. Tu la connais? Mon ami, je suis lasse...

ONÉGUINE (Tatiana sort en s'appuyant au bras de Grémine et en


Nous étions voisins. répondant aux saluts qui lui sont adressés. Onéguine la
mit des yeux.)
N°20a. Aria du prince Grémine
ONÉGUINE
GRÉMINE Est-ce la même Tatiana.
L'amour nous enflamme à tout âge, Celle à qui, autrefois.
C'est un bienfait pour le jeune homme, Au fond d'une campagne perdue,
Qui ne fait que découvrir la vie, Pris d'une ardeur moralisatrice,
C'est un bienfait pour l'homme mûr, J'ai fait la leçon?
A la tête grisonnante Cette toute jeune tille
Et endurci par l'existence. Que j'ai dédaignée...
Onéguine, j'aime Tatiana Est-ce la même, aujourd'hui
Avec l'ardeur de la jeunesse... Si indifférente et sûre d'elle?
Ma vie s'écoulait triste, Mais qu'ai-je donc? Je crois rêver!
Puis elle est apparue, Quel est ce trouble qui envahit
Tel un soleil perçant les nuages, Mon âme froide et paresseuse?
M'apportant le bonheur, illuminant ma vie! Le dépit, la vanité, ou bien l'amour,
Dans un monde d'enfants gâtés, Cette passion de la jeunesse?
De frivolité stupide ; Point de doute, j'aime!
Dans un milieu d'escrocs tristes et ridicules, J'aime comme un jeune homme
Prompts à juger avec malveillance; Qu'étreint une passion naissante!
De bigotes empanachées, Qu'importe si je cours à ma perte!
De larbins volontaires; Le cœur rempli d'un fol espoir,
Dans un milieu de fausseté Je bois le poison des désirs,
Et d'hypocrites tromperies, Un rêve délirant me poursuit,
De basses calomnies, Partout, partout, je la revois!
D'agitation stérile, Sa chère image me poursuit!

11
- Médée -
Partout, partout!... TATIANA
Le bonheur était si proche...
DEUXIÈME TABLEAU Si possible!... Si proche!

N°22. Scène finale ONÉGUINE


Le bonheur était si proche...
Un salon dans la maison du prince Grérnine. Si proche!... Si possible!

TATIANA TATIANA
Je souffre tant! De nouveau, Onéguine Le bonheur était si proche...
Se dresse sur mon chemin, impitoyablement... Si possible! ... Si proche!...
Son regard enflammé a troublé mon âme, A présent, mon destin
A ressuscité la passion d'autrefois, Est fixé, et sans retour
Comme si rien ne s'était passé, Je suis mariée, et vous devez
Comme si je n'avais jamais cessé de le voir! Renoncer à moi, je vous en conjure!

(Elle pleurs'. Soudain. Onéguine apparais dans l'em- ONÉGUINE


brasure de la porte, il reste immobile, les yeux fixés Renoncer à vous Oh, non!
sur Tatiana en larmes, puis il s'approche d'elle et se Je veux vous voir à tout instant,
met à genoux. Tatiana le regarde sans étonnement ni co- Vous suivre pas à pas.
lère et lui fait signe de se lever.) Guetter un regard. un sourire.
Vous guetter d'un regard amoureux,
Vous écouter sans fin et mesurer
TATIANA
La perfection de votre âme,
Il suffit, levez-vous! Je vous dois Me sentir mourir en votre présence,
Une explication franche et sincère...
(Il se jette à ses genoux et lui prend la main)
Onéguine, vous souvenez-vous
D'un rendez-vous, dans une allée Souffrir par vous :
De notre jardin, lorsque, humblement, Voilà mon rêve et mon seul bonheur!
J'écoutai votre sermon...
TATIANA
ONÉGUINE Onéguine, votre cœur est noble,
Pitié, pitié pour moi! Vous avez le sens de l'honneur!
Je me suis trompé, je souffre tant!
ONÉGUINE
TATIANA Je ne peux renoncer à vous!
Oncguine, j'étais bien meilleure.
J'étais plus jeune alors, TATIANA
Je vous aimais de tout mon cœur, Eugène! Vous devez
Mais qu'ai-je trouvé dans le vôtre? Renoncer à moi, je vous en conjure!
Une réponse si sévère!... Certes,
L'amour d'une jeune fille ONÉGUINE
N'avait rien d'inédit pour vous... Pitié, pitié pour moi!
Mais à présent... mon sang se glace
Quand l'évoque votre regard glacial TATIANA
Et cette leçon!... Et pourtant, A quoi bon mentir... Je vous aime...
Je ne saurais vous en vouloir,
Car vous avez agi en honnète homme ONÉGUINE
Et vous avez eu raison de le faire, Qu'entends-je!...
Puisque, n'est-ce pas, dans la solitude Qu'as-tu dit?
De la campagne, je ne vous plaisais point... Oh! mon bonheur, ma vie
Mais alors, pourquoi m'importunez-vous? Je retrouve la Tatiana d'autrefois!
Pourquoi vous mettre à mes genoux?..
Est-ce parce que dans le grand monde TATIANA
Je dois paraître à présent. Non! Non!
Parce que je suis riche et connue, On ne fait pas revivre le passé!
Mariée à un homme qu'on admire, J'appartiens à un autre,
Parce que nous sommes reçus à la cour? Mon destin est fixé,
Parce que ma honte Et je lui serai fidèle!
Ferait jaser
Et vous vaudrait dans la société ONÉGUINE
Une enviable réputation? Ah! ne me chasse point, je t'aime!
Et tu m'aimes aussi!
ONÉGUINE Tu sacrifies à tort ta vie,
Mon Dieu! Mon Dieu! Est-ce possible Le ciel l'a dit: tu es à moi!
Que dans mon humble supplication, Toute ton existence a été le gage
Votre froid regard ne voie De notre union!
Que sordide calcul? C'est Dieu qui m'envoie,
Votre reproche me tourmente! Je suis ton compagnon jusqu'au cercueil.
Oh! si vous pouviez savoir Tu ne peux me repousser,
Comme il est douloureux de souffrir d'amour, Tu dois renoncer pour moi
Faire vainement appel à la raison Au monde vain, à ton foyer
Pour dompter ses sentiments, C'est le destin qui te l'ordonne.
Vouloir étreindre vos genoux,
Fondre en larmes à vos pieds, TATIANA
Vous implorer, vous avouer ma passion Onéguine, je resterai ferme
Et tout ce que je n'ai pas su dire naguère! Je nme suis donnée à un autre,
Et jamais je ne le trahirai!
TATIANA J'ai juré, je serai fidèle!
Je pleure! Votre appel passionné
ONÉGUINE Trouble mon cœur,
Pleurez! Vos larmes me sont plus chères Mais je dois être honnête.
Que tous les trésors du monde ! Je dois accomplir mon devoir
Et rester sourde aux appels de l'amour!

12
- Médée -

ONÉGUINE
Oh non!
Tu ne peux pas me repousser!
Tu dois renoncer à tout.
A tout, à tout!
Au monde vain, à ton foyer!
C'est le destin qui te l'ordonne!
Ne me repousse pas, je t'en conjure
Tu m'aimes!
Tu ruinerais ta vie!
Tu es à moi, à tout jamais!

TATIANA
Je pars!

ONÉGUINE
Non! Non! Non! Non!

TATIANA
Suffit!

ONÉGUINE
Écoute-moi!

TATIANA
Non, je suis ferme!

ONÉGUINE
Je t'aime! Ah, je t'aime!

TATIANA
Laisse-moi!

ONÉGUINE
Je t'aime!

TATIANA
Adieu à tout jamais!

7ONÉ7GUINE
Tu es à moi!

(Tatiana se retire)

ONÉGUINE (il reste quelques instants stupéfait. terrassé


par la douleur)
La honte! La solitude! Oh! mon triste destin!

FIN

13

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