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Balambo, Hassi 2020
Balambo, Hassi 2020
SENS
2020/1 N° 1 | pages 57 à 76
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Résumé
Vingt ans après les travaux de Philippe D’Iribarne sur le poids de l’islam dans les pratiques
de management au Maroc, ce papier s’intéresse à l’impact du réfèrent religieux sur la per-
formance du collaborateur. Pour ce faire, il se fonde sur un raisonnement hypothético-dé-
ductif permettant d’expliquer la performance par les degrés de religiosité, de spiritualité, et
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Abstract
This paper investigates the influences of religious references on employee performance a
reportedly highly religious country - Morocco. To test the research hypotheses, the structural
equations modelling technique via AMOS was used. Results show that Islamic Work Ethics
explain the job perform of the respondents while controlling for their age, gender, level of
education and position.
Cette diversité s’est ajoutée à celle de la population autochtone, et a donné lieu à un vérita-
ble brassage ethnique et culturel. En ce sens, Allali (2008) affirme que la culture marocaine
est à la fois un melting-pot ayant réussi à fondre en son sein toutes les cultures des peuples
qui ont habité le pays, mais aussi une tour de Babel dans la mesure où lesdites cultures ont
largement gardé leurs spécificités et leurs caractéristiques. Toutefois, malgré la présence de
nombreuses sous-cultures présentant chacune des particularités, la culture marocaine fait
état d’un certain nombre de traits saillants qui la différencient des autres cultures. En effet,
au sein de cette diversité ethnique, linguistique, et culturelle est née la culture marocaine,
développée au fil du temps sous l’emprise de l’Islam jouant le rôle de ciment de cette société.
Plusieurs études en Sciences de gestion (Balambo, 2013) soulignent l’existence d’une forte
religiosité au travail ainsi que la prédominance d’une tendance spirituelle dans l’islam ma-
rocain (Iribarne, 1994). Si ces études mettent en exergue l’importance de la religiosité, de
la spiritualité, et de l’éthique islamique au travail, aucune étude, à notre connaissance, n’a
testé les effets de ces variables simultanées sur la performance des collaborateurs dans un
contexte de travail. L’objet de ce papier est donc de construire un modèle hypothéticodéduc-
tif permettant d’expliquer la performance au travail sous la perspective religieuse et de le
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En ce sens, beaucoup d’historiens dont Lugan (2000), auteur du célèbre «Histoire du Maroc
des origines à nos jours», affirment que la cause profonde de la révolte fut un sentiment de
perte d’indépendance face au pouvoir des califes et de leurs représentants arabes installés
au Maroc. Les Amazighs ont cherché dans le Kharijisme,- doctrine prônant dans son volet
politique une certaine égalité entre les hommes notamment entre les arabes et les nou-
veaux convertis dans l’accès aux fonctions,- une manière de se révolter contre le Khalifat de
l’Orient. Des origines économiques peuvent également être relevées, puisqu’en embrassant
cette nouvelle doctrine les nouveaux convertis étaient égaux avec les arabes conquérants, et
d’un point de vue fiscal, ils n’avaient plus à payer le kharaj et la Jiziya qui étaient respective-
ment des impôts fonciers pour les nouveaux musulmans et des impôts personnels pour les
non musulmans, exigés par les khalifes de Damas. Cette injustice a exacerbé le sentiment
d’appartenance au Kharijisme. Des Etats Kharijites ont ainsi vu le jour, débouchant hélas sur
des guerres intestines jusqu’à effritement total de l’union.
Ces formes d’institutions religieuses ont eu une large part d’influence quant à l’acceptation
de l’autorité, cette dernière étant respectée qu’à la condition de préservation de la dignité.
D’Iribarne (1998, p.283) note ainsi que « dans les pays du Maghreb, un grand respect pour
l’autorité va couramment de pair avec une vive affirmation de l’égalité des humains… On
peut dire que, dans le contexte marocain, quelques signes d’égalité symbolique suffisent
pour donner naissance à une affirmation d’égalité, et que celle-ci ne débouche pas néces-
sairement sur des revendications de pouvoir ». D’Iribarne, (1998, 2000) trouve que c’est la
clé de voûte qui a permis une bonne mise en place des démarches de qualité totale de l’usine
de SGS Thomson à Casablanca.
Religiosité
La religiosité a fait l’objet d’un intérêt croissant en Sciences de gestion à travers plusieurs
travaux (El Akremi et al, (2007) ; Balambo, (2012) ; Balambo et Houssaini, (2013) ; Schwartz
and Huismans, (1995) ; Saroglou et al. (2004). Cette dimension a souvent été intégrée dans
des modèles explicatifs pour comprendre certaines sociétés à sensibilité religieuse, puis-
qu’elle est considérée comme une spécificité culturelle déterminant les comportements, les
attitudes et les perceptions des individus dans leurs relations aux autres.
L’inscrire comme dimension culturelle renvoie à une conception où les dimensions cultuelles
et rituelles, les expériences, les interactions avec la communauté, la compréhension, l’intéri-
orisation des textes canoniques donnent lieu à un comportement spécifique.
Comme nous l’avons montré plus haut, la société marocaine est largement marquée par la
religion. Elle donne ainsi lieu à des signes de religiosité correspondant à une sensibilité reli-
gieuse, à une compréhension vague de la religion se manifestant dans le comportement sans
qu’elle ne soit forcément en cohérence avec les préceptes originels de la religion.
Beaucoup de travaux attestent d’une forte religiosité dans le contexte marocain (Balambo,
2012, 2013 ; Bourquia et al. 2007 ; Geertz 1973 ; D’Iribarne 1997 ; Al Maache, 2002 ; Rachik
et Tozy, 2007).
Spiritualité
La spiritualité jouit d’une importance grandissante dans la littérature managériale et dans
celle relative au comportement de consommation Tischler, 1999). Il convient alors de dis-
tinguer la religiosité de la spiritualité.
Si la religiosité renvoie à une compréhension, intériorisation et pratique d’un ensemble de
préceptes canoniques mis en place par une religion ; la spiritualité renvoie quant à elle, à un
cheminement personnel (quête de sens, accomplissement personnel) et son impact sur la
société. Dans le contexte organisationnel, cela s’assimile à la recherche d’un état personnel
hautement évolué ou de son potentiel le plus élevé, pouvant engendrer ainsi une plus grande
créativité, motivation et engagement organisationnel (Neck and Milliman, 1994).
Cela laisse à penser que la spiritualité pourrait être pensée à l’extérieur de toute apparte-
nance doctrinale ou religieuse.
Dans le contexte islamique et marocain plus particulièrement, cette quête spirituelle est
fortement associée au soufisme (Balambo et Houssaini 2014).
Le soufisme est, dans la tradition islamique, la voie ésotérique et mystique de l’islam. Il
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Ce combat de l’âme charnelle pousse alors le soufi à se conformer à un code de conduite (Al
Adab), avec des conséquences sur tous les aspects de la vie sociale et les comportements
comme l’ascèse (Zohd), la retraite (Khalwa), l’évocation continuelle de Dieu (Zikr), l’abondant
à Dieu (Tawakoul), la danse extatique, la purification du corps par la faim ou le jeûne pour
élever son âme charnelle considérée comme lieu des passions et des désirs (Balambo and
Houssaini, 2014).
Ce code de conduite (Adab) une fois appliqué dans toutes les sphères de la vie sociale devrait
permettre au soufi l’atteinte du sens et de la connaissance divine.
Un constat à nuancer car certains auteurs comme Saat et al. (2009) défendent l’idée selon
laquelle la religiosité ne se traduit pas forcément par un comportement et dépend de varia-
bles plutôt situationnelles.
Néanmoins, une grande partie de la littérature défend le fait que pour les personnes ayant un
degré de religiosité fort cela se traduit dans leur vie personnelle ou sociale et devrait avoir
également des répercussions sur leur comportement organisationnel. La religiosité constitue
ainsi le moyen de réaliser une forme d’identification et de cohérence entre la croyance, l’in-
tention et l’action. A titre d’ exemple, la recherche d’Adams, (2008) établit une corrélation
positive entre le respect de certains éléments cultuels notamment la prière et la motivation
dans un contexte de travail. De même, Jayarminghe et Soobaroyen (2007) mettent en ex-
ergue l’influence significative de la religiosité sur la forme que prend la responsabilité au
sein d’une organisation. La religiosité permet également de renforcer, sur le plan attitudinal
et comportemental, la moralité des décisions prises par les décideurs (Delener, 1994) et le
renforcement des attitudes positives au travail (Srednicki et Masco, 2010).
D’autres études démontrent que la religiosité peut constituer un facteur favorisant le lien de
confiance entre les supérieurs ayant un degré de religiosité fort et leurs subordonnées. Ainsi,
plus ils fréquentent les lieux de culte en groupe, plus cette confiance se renforce du fait
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Spiritualité et performance
La spiritualité telle que nous l’avons conceptualisée est différente de la religiosité, bien
qu’il existe, comme c’est le cas dans la spiritualité musulmane, une imbrication entre les
deux. Cette spiritualité peut revêtir un sens très diffus, dans le sens où elle peut concerner
plusieurs aspects de la vie sociale.
Le contexte organisationnel en est un, dans la mesure où, comme le souligne Marques
(2006 p.885), celle-ci est : « la conscience que l’interdépendance, le respect et la recon-
naissance ne sont pas limités à nous-mêmes et à notre environnement privé, mais sont
également très applicables à tous ceux avec lesquels nous travaillons sur une base régulière
ou occasionnelle ». Ce rôle pourrait prendre davantage d’importance dans les sociétés mod-
ernes marquées par l’exacerbation de l’individualisme, où l’entreprise paraît comme un des
rares lieux d’interactions sociales, où des questions existentielles et/ou spirituelles pren-
nent toute leur légitimité. Il devrait donc y avoir une continuité entre l’engagement spirituel
et la conduite professionnelle dans le contexte du travail. Par exemple, Wang (2010)
démontre comment dans le contexte du confucianisme chinois, les acteurs impliqués
dans des supply chains arrivent à développer la coopération et une répulsion pour l’op-
portunisme, en s’appuyant sur les valeurs spirituelles du confucianisme chinois. Dans le
même contexte asiatique, certains auteurs (Mohamed et al. 2004) mettent en lumière l’in-
térêt des entreprises pour les philosophies spirituelles orientales qui expliquent certaines
réussites professionnelles.
Dans la même lignée, Balambo (2013), dans le contexte marocain, démontre que les vertus
traditionnelles de Niya (cohérence entre l’intention et l’action) et Lkelma (le sens de la parole
donnée) ancrées dans la spiritualité musulmane influencent très significativement l’attribu-
tion de la confiance dans un contexte de supply chain.
La spiritualité permettrait d’améliorer le rapport du collaborateur au travail en lui donnant
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Dans le contexte de la spiritualité islamique, une étude en Malaisie a révélé que les entre-
preneures musulmanes expliquent en grande partie leur succès par la spiritualité. Pour elles,
la spiritualité leur a permis de mieux gérer les aléas liés aux projets, de mieux contenir
le stress, et d’améliorer leur motivation (Grine et al., 2015).
Pour Karakas, (2009) la spiritualité est bénéfique pour les collaborateurs et participe
à la performance organisationnelle à travers le bien-être et la qualité de vie des employés.
Elle contribue à donner du sens au travail, et au développement d’un sentiment d’intercon-
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2.3. Résultats
Les analyses descriptives (Annexe 2) révèlent que tous les indicateurs possèdent une distri-
bution normale à en juger par les valeurs des tests d’asymétrie (Skewness) et d’aplatisse-
ment (Kurtosis). En effet, les énoncés des échelles ne posent pas de problème de normalité
étant donné que la valeur absolue de l’asymétrie se situe entre -2 et +2 (Tabachnik et Fidell,
2007) et que celle de l’aplatissement ne dépasse pas 8 en valeur absolue (Roussel et Wa-
cheux, 2005).
Des analyses au moyen d’équations structurelles ont été menées dans le dessein de tester
les hypothèses d’influences de la spiritualité, de la religiosité et de l’éthique islamique du
travail sur la performance des travailleurs. Pour ce faire, le logiciel AMOS 24 a été mobilisé
pour estimer les coefficients et les indices.
L’analyse du modèle structurel traite de l’appréciation de l’ajustement de ce modèle aux
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répondant. Les analyses révèlent que seule l’influence de l’éthique islamique du travail sur
la performance des travailleurs est statiquement significative (tableau 2).
Ainsi, selon ces résultats, l’hypothèse nulle, selon laquelle les paramètres requis pour avoir
des estimations égales, est vérifiée. Comme le tableau ci-dessous le montre, la plupart des
liens proposés par le modèle, y compris concernant les variables de contrôle, ne sont pas
vérifiés.
Conclusion
Ce travail avait pour objectif de vérifier, dans un pays à forte religiosité, le lien potentiel entre
la religiosité, la spiritualité, et l’éthique islamique au travail avec la performance des collabo-
rateurs. Les résultats générés permettent de confirmer l’existence d’un lien significatif entre
l’éthique islamique au travail et la performance. Cependant, la religiosité et la spiritualité
n’ont pas d’effet direct sur la performance au travail.
Bibliographie
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