Vous êtes sur la page 1sur 7

Difficile de choisir la semaine prochaine sur les chaines télévisée entre des

films fort intéressants : le dimanche 16 mai sur France 2 ,21h05 "Edmond",


film français réalisé par Alexis Michalik et sur Arte à 20h55 : "La leçon de piano",
film australien réalisé par Jane Campion, le mercredi 19 mai sur Arte à 20h55
"Moi, Daniel Blake", film britano-franco-belge réalisé par Ken Loach et sur C8 à
21h15: "Le guépard", film italien réalisé par Luchino Visconti

Aussi ai-je fait le choix de vous présenter ces 4 films.

Edmond d’Alexis Michalik

Décembre 1897, Paris. Edmond Rostand n’a pas encore trente ans mais déjà deux
enfants et beaucoup d’angoisses. Il n’a rien écrit depuis deux ans. En désespoir de
cause, il propose au grand Constant Coquelin une pièce nouvelle, une comédie
héroïque, en vers, pour les fêtes. Seul souci : elle n’est pas encore écrite. Faisant fi
des caprices des actrices, des exigences de ses producteurs corses, de la jalousie de
sa femme, des histoires de cœur de son meilleur ami et du manque d’enthousiasme
de l’ensemble de son entourage, Edmond se met à écrire cette pièce à laquelle
personne ne croit. Pour l’instant, il n’a que le titre : « Cyrano de Bergerac ».

Alexis Michalik est un enfant prodige du nouveau théâtre français. Michalik décida
de monter Edmond pour le théâtre. Le succès critique et public d’Edmond, entériné
par cinq Molières, fut à l’origine de la transposition du matériau au grand écran… à
l’initiative de producteurs de cinéma souhaitant désormais récupérer les fruits de la
réussite d’un spectacle vivant. Edmond est un séduisant objet de cinéma, subtil dans
la mise en abyme mettant en avant le parallèle entre l’inspiration de Rostand et celle
de son personnage.

Le principal sujet d’Edmond est la création artistique. Mais il ne s’agit pas, ici, de
simplement décrire le processus, de le rendre scientifique ou mathématique, de le
montrer comme une succession d’éléments influencés par des paramètres définis.
Créer une oeuvre, la penser, la construire, nécessite de faire don de sa personne.
Les péripéties d’Edmond montrent bien qu’une oeuvre, lorsqu’elle naît, évolue au fil
des impondérables, de l’inspiration et des événements, avant d’arriver à maturation.
Edmond traite de la malléabilité et de l’imprévisibilité d’une œuvre, qui, malgré son
aspect fictif, contient toujours une part de réel et de vivant en elle.
Visuellement, le film est beau : la variété des costumes, les décors (des rues aux
théâtres, en passant par les cafés) sonnent juste, de même pour les quelques effets
numériques utilisés lors des plans larges surplombant Paris. Cette générosité se
retrouve également dans la mise en scène, étonnamment virtuose et inspirée.
Ainsi Edmond développe-t-il son histoire avec maîtrise et passion, soucieux de
mettre au centre de l’attention le couple Edmond-Coquelin, ou plutôt Edmond-
Cyrano, puisque ce dernier sonne évidemment comme le reflet poétique du jeune
écrivain : parallèle que le film exploite efficacement, sans tomber dans
l’identification facile et peu subtile, mais en montrant au contraire, par l’alternance
entre le récit de la vie personnelle d’Edmond Rostand et celui de la naissance
progressive de Cyrano, l’infranchissable gouffre qui sépare l’auteur de son
personnage, malgré leur connivence.
Le film disserte sur cette aliénation du créateur dans sa créature, à quel point celle-
ci le tient éloigné de sa réalité et de ceux qui l’aiment, le positionnant, sa troupe et
lui, seuls face à tous ; pour finalement, lors d’un final à l’émotion incontestable, le
ramener à lui-même et faire de cette longue dépossession une épreuve salutaire
dont il sort transfiguré.
Edmond est un film qui force l’enthousiasme, parce qu’il est écrit et réalisé par un
Alexis Michalik passionné qui domine son sujet, interprété par des acteurs investis,
et qu’il permet à cette pièce de théâtre d’atteindre sa forme la plus noble et de
franchir avec brio le cap (…) périlleux de l’adaptation.

La leçon de piano de Jane Campion


Une femme. Deux hommes. Un piano. Le Désir. Une mélodie, entêtante et
envoûtante, de celles qui nous bercent et nous subjuguent avant même que
l’histoire ne commence. Une voix. Des premières paroles… Et déjà Jane
Campion nous révèle une première contradiction, une première opposition, une de
celles dont le film est imprégné. La voix (off en l’occurrence) est celle d’Ada,
personnage principal du film. Personnage muet et qui pourtant nous dévoile sa
voix… Son timbre et ses pensées.
L’histoire est celle d’Ada McGrath, une jeune femme muette originaire
d’Écosse qui voyage jusqu’en Nouvelle-Zélande avec son piano et sa fille de 9 ans,
Flora, pour rejoindre l’homme à qui son père l’a vendue, Alisdair Stewart. Lorsque
son nouveau mari vient la chercher sur la plage où elle a été débarquée,
accompagné d’une équipe maorie ainsi que de son voisin George Baines, il refuse
d’emmener le piano et le laisse sur place. Le lendemain Ada et sa fille vont
demander à Baines de les emmener à l’endroit où est resté le piano. D’abord
réticent, il finit par accepter. Baines, voyant l’attachement d’Ada pour son
instrument décide de récupérer le piano et, sans consulter sa propriétaire, propose à
Stewart un terrain qu’il possède en échange du piano et de leçons données par Ada.
Stewart accepte et Ada se voit contrainte d’enseigner le piano à un homme qu’elle
méprise. Ada sera obligée de marchander, de se marchander, pour obtenir ce qu’elle
désire : son instrument.
Le marché que Baines propose à Ada est tout simplement du chantage sexuel. Ada
ne décide pas librement d’effectuer des actes sexuels contre service ou argent, elle y
est poussée et quasiment obligée. Le film montre à plusieurs reprises que le piano
d’Ada n’est pas un simple loisir pour elle mais une nécessité quasi vitale, puisqu’il
s’agit de sa seule possibilité de s’exprimer.

Se met en place, entre Ada, Alisdair et George, une dynamique ne relevant pas tant
du triangle amoureux que de la lutte de pouvoir : Alisdair considère Ada comme
son bien et entend la forcer à l’aimer, George ramène le piano chez lui afin de
négocier l’affection d’Ada. Quant à la principale intéressée, elle désire récupérer ce
qui est plus qu’une possession, mais une part d’elle-même.
Initialement, Ada rejette les deux hommes. Puis, elle en vient à s’éprendre de
George, faux rustre cachant une vraie sensibilité, par opposition à Alisdair, faux
gentleman dissimulant une vraie brutalité.
Jane Campion s’amuse des passions, des désirs et des pulsions de ses personnages
dans le but de les confronter avec leurs sentiments et leurs émotions les plus
profondes. Et pour cela, elle met en place un univers basé sur les opposions les
plus vives et les plus intenses : la liberté et le naturel des autochtones dont les
visages sont peints par des signes tribaux et les corps laissés libres face au
puritanisme, à la rigueur et au conservatisme des « colons » dont les corps sont
dissimulés et prisonniers des corsets et des gaines. Même Baines est assimilé aux
indigènes et à leur vie sauvage, face à Alistair, représentant des bonnes mœurs de la
civilisation. Le silence d’Ada fait face aux commérages sans fin du club des bigotes.
La passion de la musique d’Ada s’oppose à l’académisme des autres musiciennes.
Ces dualités, pesantes et contraires, obligent les personnages à choisir. Ils ne
peuvent pas appartenir aux deux univers mis en scène. Leurs décisions, leurs désirs,
leurs fantasmes et leurs émotions ont des conséquences funestes sur leur sort et sur
celui des autres.
Oppositions mais aussi paradoxes, tout le paradoxe de ce film se voit
particulièrement dans la scène culte : la vengeance atroce du mari d’Ada est d’une
violence sans nom, sa rage contraste avec la grande beauté et la grande mélancolie
qui se dégage de la musique qui accompagne la scène. L’acte barbare de couper un
doigt à sa femme pianiste fait froid dans le dos tant l’acteur est habité par la colère
et Ada, elle, par le désespoir d’avoir perdu ce qui la reliait à son piano. C’est sans
doute l’une des plus belles chutes du cinéma, et la plus dramatique aussi, qui suit
cette scène avec Ada marchant de dos et tombant peu à peu dans un désespoir et
une tristesse sans nom. Cette tristesse, on la retrouve tout au long du film
Il faut encore ajouter un atout de grande importance : la musique. Elle est le
langage d’Ada. Elle exprime ses doutes et ses certitudes, sa force et sa faiblesse, sa
délicatesse et sa brutalité. Les airs au piano accompagnent et épousent parfaitement
l’humeur et les sentiments d’Ada. Mélodies entêtantes, mélodies grandiloquentes,
mélodies lancinantes, toutes trouvent une résonance particulière et universelle chez
le spectateur qui s’abreuve des notes. Une fascination s’opère et nous accroche
pour nous guider dans le labyrinthe des émotions des personnages.
Si Jane Campion se veut féministe et a pour habitude de prendre des femmes
comme personnages principaux afin d’en montrer la force dans leur quête de liberté
dans un monde d’hommes, La Leçon de piano pose quelques questions quant au
traitement des agressions sexuelles jusqu’à interroger nos propres perceptions.
Pourquoi le cinéma rend-il sublime et poétique une scène d’abus sexuel ? Comment
nous, spectateurs, pouvons-nous trouver cela beau alors que l’acte est ignoble ?
Quel est le rôle de l’artiste ici ? La Leçon de piano fait autant se révolter qu’aimer.
L’érotisme discret est aussi beau qu’infâme et pourtant, l’intensité de l’œuvre fait
apprécier l’ensemble
La leçon de piano aurait pu être un énième film sur un trio amoureux. Mais par sa
mise en scène, par son regard sur la passion et sur le désir, par son image
impeccable et sa musique enivrante, Jane Campion réalise l’un de ses chefs
d’œuvres. Imprégné de sentiments et de ressenti, de mystères et de certitudes, le
film gagne en intensité et en force grâce aux qualités techniques de la réalisatrice.
Une réussite.La leçon de piano sorti sur les écrans en 1993, a été un succès public et
critique. Le film a remporté 3 Oscars ainsi que la Palme d’Or, permettant à Jane
Campion d’être la première femme à avoir obtenu cette distinction.

Moi Daniel Blake de Ken Loach

Ce film, qui a remporté la palme d’or du festival de Cannes en 2016 , présente


l’intérêt de donner à voir certaines logiques et caractéristiques du système de
protection sociale britannique. Ken Loach offre une critique des politiques
d’activation et plus largement des modalités de gestion mises en œuvre par l’État en
direction des populations sans emploi. Celle-ci s’appuie principalement sur l’histoire
d’un ancien salarié menuisier, proche de la retraite et malade, qui tente vainement
d’obtenir une aide de l’État. La légitimité de Daniel Blake à être secouru ne fait pas
de doute, tant le personnage s’éloigne des traits stigmatisants associés à la figure de
l’assisté. Il n’est ni fainéant ni profiteur ni roublard, comme le prétend la critique
usuelle de l’assistanat.

Le film se déroule dans la ville de Newcastle, située dans le nord-est de l’Angleterre,


où la désindustrialisation a provoqué une augmentation conséquente du chômage.
Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake, un menuisier anglais de 59 ans, est
contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de problèmes cardiaques. Mais bien
que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l’obligation d’une
recherche d’emploi sous peine de sanction. Au cours de ses rendez-vous réguliers
au « job center », Daniel va croiser la route de Katie, mère célibataire de deux
enfants qui a été contrainte d’accepter un logement à 450km de sa ville natale pour
ne pas être placée en foyer d’accueil. Pris tous deux dans les filets des aberrations
administratives de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, Daniel et Katie vont tenter de
s’entraider…

Daniel Blake ne correspond pas cependant à la définition du chômeur. L’arrêt de


son activité professionnelle fait suite à des problèmes de santé, où, après un épisode
cardiaque, ses médecins le déclarent inapte au travail. Sa maladie n’est cependant
pas reconnue comme invalidante par le système de protection sociale qui lui refuse
l’octroi d’une allocation. Il se trouve alors renvoyé au service public de l’emploi,
soumis aux devoirs et obligations des chômeurs sans toutefois pouvoir y répondre,
puisque son état de santé l’empêche d’accepter les éventuelles offres d’emploi qui
pourraient lui être proposées. Dans sa quête pour faire valoir et obtenir des droits à
être protégé, on suit Daniel Blake se débattre avec la dématérialisation des
procédures administratives, la dépersonnalisation des services, les injonctions
contradictoires et les procédés humiliants qui accompagnent l’accès aux prestations.
Face à ce qui s’apparente à une impasse, résultant directement du système de
gestion des populations sans emploi, Daniel Blake et sa compagne d’infortune sont
dès lors contraints à une mobilisation quotidienne visant la survie. Le film s’attache
également à montrer leur lutte pour maintenir une respectabilité, bien difficile à
préserver, à mesure que les ressources s’amenuisent et que les perspectives de
trouver une issue honorable se rétractent.
Moi, Daniel Blake s’inscrit dans cette riche lignée de films militants en faveur des
plus démunis et de celles et ceux qui souffrent d’injustice. Daniel Blake et Katie, qui
symbolisent toute cette partie de la société mise de côté par les politiques menées
en Europe occidentale, que l’on voit mais dont on ne soupçonne pas toujours la
souffrance, ou que l’on préfère ignorer pour ne pas ressentir un sentiment de
culpabilité. C’est la triste histoire des sacrifiés sur l’autel de la précarité, ceux qui
souffrent en silence et que le système broie et pousse à bout, jusqu’à l’impasse.

Avec ce long-métrage bouleversant d’humanité où deux âmes en difficulté trouvent


un écho l’un chez l’autre dans une relation tendre et émouvante, Ken Loach, parce
qu’il a encore ce regard alerte sur les maux de la société, parce qu’il n’en a pas
terminé avec son combat pour donner la parole et une tribune aux petites gens
non-entendus, nous offre un nouveau brûlot jamais dans l’agressivité, toujours
dans l’échange et l’envie d’exprimer, dénonçant seulement ce que notre monde
pourrait essayer d’améliorer pour mieux respecter ses concitoyens valeureux. Sans
cynisme, sans calcul, sans manichéisme, Moi, Daniel Blake est aussi subtil
qu’intelligent et intelligible, seulement motivé par l’envie de témoigner pour son
prochain, parce que Loach sait pertinemment qu’il a plus de chance d’être entendu
que ces pauvres voix que l’on n’écoute pas.
Le guépard de Luchino Visconti
Fidèle adaptation d’un roman écrit en 1957 par Tomasi di Lampedusa, Le
Guépard témoigne d’une époque représentée par cette famille aristocrate pendant le
Risorgimento, « Résurrection » qui désigne le mouvement nationaliste idéologique
et politique qui aboutit à la formation de l’unité nationale entre 1859 et 1870. Le
Guépard est avant tout l’histoire du déclin de l’aristocratie et de l’avènement de la
bourgeoisie, sous le regard et la présence de félins, impétueux, dominateurs du
Guépard, le prince Salina. Face à lui, Tancrède est un être audacieux, vorace,
cynique, l’image de cette nouvelle ère qui s’annonce.

L'histoire se situe dans la Sicile du XIXe siècle, durant les années 1861-1863, lors
du débarquement de l'armée de Garibaldi. Don Fabrizio, prince de Salina, habite
une luxueuse demeure aux environs de Palerme. C'est là qu'il apprend que les
troupes garibaldiennes s'apprêtent à envahir l'île. Le prince ne s'émeut pas outre
mesure des événements qui agitent un monde en pleine mutation, car il a appris à
les considérer avec un certain recul. Ne voulant en aucun cas changer ses habitudes,
décide-t-il de partir en villégiature avec sa femme et ses sept enfants dans sa
résidence de campagne, où la population l'accueille avec respect et affection. Lors
du banquet qu'il offre pour fêter son retour au village, le maire don Calogero
présente sa fille, la splendide Angelica, dont la beauté et la joie de vivre séduisent
immédiatement le jeune et fougueux Tancrède. Deux ans plus tard, quand
Tancrède, le neveu du prince Salina, qui s'était enrôlé dans l'armée régulière
piémontaise, afin de soutenir le retour de la monarchie constitutionnelle en la
personne de Victor-Emmanuel, revient dans sa famille, impatient de revoir
Angelica, les pères se sont déjà entendus pour faciliter l'union qui réunira la
nouvelle bourgeoisie, ardente et ambitieuse, à la vieille aristocratie, digne et
résignée. C'est à l'occasion d'un bal fastueux qu'Angelica fait son entrée officielle
dans le monde, accueillie par les officiers du royaume et les bourgeois parvenus, et
par le prince Salina lui-même, avec lequel elle danse une valse que l'assemblée,
subjuguée par la beauté du couple, contemple avec ravissement.

Cette scène du fastueux bal qui occupe un tiers du film est aussi la plus célèbre, la
plus significative, la plus fascinante. Elle marque d'abord par sa magnificence et sa
somptuosité : somptuosité des décors, soin du détail du Maestro Visconti qui
tourna cette scène en huit nuits parmi 300 figurants. Magnificence du couple formé
par Tancrède et Angelica, impériale et rayonnante dans sa robe blanche.
Rayonnement du couple qu’elle forme en dansant avec Salina, aussi. La fin du
monde de Salina est proche mais le temps de cette valse, dans ce décor somptueux,
le temps se fige. Ils nous font penser à cette réplique de Salina à propos de la Sicile :
"cette ombre venait de cette lumière". Tancrède regarde avec admiration, jalousie
presque, ce couple qui représente pourtant la déchéance de l’aristocratie et
l’avènement de la bourgeoisie. Un suicide de l'aristocratie même puisque c’est Salina
qui scelle l’union de Tancrède et Angelica, la fille du maire libéral, un mariage
d’amour mais aussi et avant tout de raison entre deux univers, entre l'aristocratie et
la bourgeoisie. Ces deux mondes se rencontrent et s’épousent donc aussi le temps
de la valse d’Angelica et Salina. Là, dans le tumulte des passions, un monde
disparaît et un autre naît. Ce bal est donc aussi remarquable par ce qu’il symbolise :
Tancrède, autrefois révolutionnaire, se rallie à la prudence des nouveaux bourgeois
tandis que Salina, est dans une pièce à côté, face à sa solitude, songeur, devant un
tableau de Greuze, la Mort du juste, faisant « la cour à la mort » comme lui dira
ensuite magnifiquement Tancrède.
Angelica, Tancrède et Salina se retrouvent ensuite dans cette même pièce face à ce
tableau morbide alors qu’à côté se fait entendre la musique joyeuse et presque
insultante du bal. L’aristocratie vit ses derniers feux mais déjà la fête bat son plein.
Devant les regards attristés et admiratifs de Tancrède et Angelica, Salina s’interroge
sur sa propre mort.

L’objectif de Luchino Visconti n’est pas d’enterrer l’aristocratie et de faire


l’apologie de la révolution. Il s’agit davantage de faire la part des choses, d’exposer
un pan crucial de l’histoire italienne, d’exprimer l’inéluctable mouvement des
choses, le remplacement de l’ancien par le nouveau, mais aussi d’alerter sur le fait
que le nouveau n’est pas nécessairement meilleur. Bien qu’acceptant la situation, le
Prince Salina l’exprime d’ailleurs dans une phrase tout à fait évocatrice : « Nous
fûmes les Guépards, les Lions ceux qui nous remplaceront seront les chacals et des hyènes… Et
tous, Guépards, chacals et moutons, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la
Terre. » Ces chacals et ces hyènes trouvent d’ailleurs leur incarnation dans les
personnages de Tancrède et d’Angelica, entre le bellâtre qui sert une révolution
pour ensuite se mettre dans les rangs du nouvel ordre, et la jeune effrontée,
sensuelle et capricieuse.
Le Guépard montre la capacité d’un homme à renoncer, tout en exposant son regard
nostalgique sur le passé, bienveillant sur le présent, et vigilant sur le futur. On peut
y voir, dans la destruction de l’ancien ordre établi, et la construction d’un nouveau,
l’opportunité pour des personnes indignes de confiance de devenir influentes.

Ce film est un incomparable chef-d'œuvre du septième Art, il a reçu Palme d’or au


Festival de Cannes en 1963… à l’unanimité. Le film de Luchino Visconti, qui
parvient, comme très peu de ses pairs, à atteindre la perfection autant sur la forme
que sur le fond.

Vous aimerez peut-être aussi