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TROIS ANS APRÈS L'ARRESTATION DE MASSE DU 1er MAI 2000 À

WESTMOUNT LA COURONNE RETIRE LES ACCUSATIONS !1

Anonyme

MONTRÉAL, le lundi 9 juin 2003. Après plus de trois ans de saga judiciaire riche en
rebondissements, la poursuite abandonne les fausses accusations d'"attroupement illégal", de
"troubler la paix" et de"méfait" de moins 5000$ qui avaient été portées contre la plupart des
157 personnes arrêtées lors de la manifestation du 1er Mai Anarchiste, à Westmount, en l'an
2000. Seuls une douzaine de personnes accusées, apparemment introuvables, n'ont pu
bénéficier du retrait de ces fausses accusations et font désormais l'objet de mandats
d'arrestation visés.

Trois ans après, le temps n'a pas vraiment arrangé les choses. Jamais nous n'oublierons cette
manif du 1er mai 2000. Jamais nous ne pardonnerons à la police de nous avoir laissé aucune
chance. Jamais nous ne pardonnerons à la Cour municipale de Westmount d'avoir fait
suspendre ces trois fausses accusations criminelles au-dessus de nos têtes pendant toutes ces
années. Trois ans, on en a toujours autant sur le c¦ur. Les accusations ont été retirées, mais il
n'y a toujours pas eu "justice." Trois ans après, il y a encore des arrêtéEs du 1er mai 2000 sur
qui pèse une menace d'être à nouveau privé de leur liberté pour cette même injustice. Trois
ans après, les vrais coupables n'ont toujours pas été jugés et punis.

Il faut bien comprendre que la décision de la poursuite de retirer les accusations pour les
quelques vingt derniers accusées ne correspond pas à un acquittement puisque le procès sur le
fond dans l'affaire du 1er Mai Anarchiste n'a jamais eu lieu. Comment est-ce que le tribunal
en est arrivé là serait une longue histoire, que nous vous proposons ici de vous raconter. Cet
article se veut un retour complet sur l'ensemble de la saga judiciaire du 1er mai 2000, à
Westmount. Nous reviendrons sur les circonstances de l'arrestation de masse qui a tué la
manif du 1er Mai Anarchiste, sur les procédures judiciaires qui ont été menées à la Cour
municipale de Westmount, puis, sur les querelles de juridiction

La seule façon que vous pourrez comprendre les circonstances très particulières qui ont amené
le tribunal à choisir d'abandonner les accusations, c'est en prenant connaissance de l'ensemble
de la saga de Westmount. Cette histoire est celle d'un long bras de fer entre un appareil
judiciaire qui persécute impitoyablement et un groupe d'accuséEs qui a refusé les offres de la
poursuite et qui a inutilement été récompensé pour sa volonté de se battre jusqu'au bout. Nous
croyons que cette histoire pourra intéresser les activistes qui sont préoccupés par le
phénomène de la judiciarisation de l'activité politique dissidente ici comme ailleurs. Nous
espérons même que des militantEs actuellement accuséEs pourraient peut-être en tirer certains
enseignements judicieux sur les façons possibles de se battre en cour.

Rappel des circonstances de l'arrestation de masse

Le 1er mai 2000, la police de Montréal était prête à livrer combat, à matraquer et à capturer
tous ceux et celles qui se trouvaient à la fois à être anarchistes et au mauvais endroit au
mauvais moment, dans ce cas-ci, être dans les rues de la ville réputée être plus la riche du
Canada: Westmount. Mais le comité d'organisation de la manifestation du 1er Mai Anarchiste
avait prévu tout autre chose : un immense black-block de cagoules et de drapeaux noirs, mais

1
Diffusé par A-Infos.
qui doit demeurer pacifique. Ce sont d'ailleurs les consignes qui avaient été données aux gens
qui avait embarqué dans les autobus qui ont transporté les manifestantEs jusqu'au sommet du
Mont-Royal: pas de casse, pas de bagarre.

Dans le milieu militant, personne n'ignorait que la police était particulièrement sur les dents
depuis la manifestation de la Journée internationale contre la brutalité policière de l'année
2000, qui avait eu lieu six semaines auparavant et qui avait tourné à la casse des vitres d'un
poste de police, de trois Mc Donald's et d'une banque. C'est d'ailleurs pourquoi l'ensemble des
personnes participant à la manifestation du 1er mai comprenait le bien-fondé de ces
consignes. Le comité organisateur de la manifestation avait fait le pari que la police
n'interviendrait que si la manifestation déborde dans le grabuge. Son erreur fatale aura peut-
être été d'avoir sous-estimé le caractère profondément fasciste pro-bourgeois de cette infâme
institution qui portait à l'époque le nom du Service de police de la Communauté urbaine de
Montréal.

Dès que la centaine de participantEs ont débarqué des autobus, les policiers casqués et armés
de bâtons et de boucliers sont apparus aux diverses extrémités. Les policiers ne disaient rien
mais tout le monde devinait qu'une manoeuvre d'encerclement était en branle. Les
manifestantEs, qui n'avaient pourtant pas commencer à manifester, se sont repliés sur la seule
voie d'issue qui n'avait pas encore été bouchée : un petit escalier étroit en bois, qui permet de
descendre la côte très à pic de ce lieu connu sous le nom du Summit Circle. On avait semé les
flicsS mais pour à peine quelques minutes.

Après avoir marché quelques coins de rue sans incidents, les bataillons de flics anti-émeute
réapparaissent et bloquent la rue en prenant les manifestantE en sandwich. Près de la moitié
de manifestantEs se détachent alors du peloton principal pour tenter une fuite désespérée en
coupant à travers d'une propriété. Peine perdue : la cour arrière débouchait sur une falaise.
L'intervention policière anti-émeute a été brutale et sans pitié, plus particulièrement à l'égard
des personnes qui ont cherché à s'enfuir. Une jeune femme s'est retrouvée avec une jambe
brisée en chutant et un jeune homme s'est fait pointer une arme à feu sans aucune raison.

Les policiers responsables de cette opération de répression massive ont par la suite prétendu
que l'ordre d'intervention avait été donné à cause d'un incident, dont personne dans la
manifestation n'avait été témoin, qui impliquait un jeune punk complètement ivre qui était
monté dans les autobus et un policier en moto qui bloquait la circulation automobile. Le jeune
homme était tellement saoul qu'il avait de la misère à marcher et n'était tout simplement plus
en mesure de suivre le groupe de manifestantEs, qui avait continué sa route, sans l'attendre.
C'est comme ça que personne n'avait remarqué cette scène insolite où ce jeune intoxiqué est
tombé par terre en essayant de faire chuter un policier de sa moto.

Bien sûr, les véritables motifs de cette arrestation de masse sont ailleurs puisque, comme nous
l'avons indiqué ci-haut, les policiers étaient en train de se préparer à encercler les
manifestantEs avant même cet incident somme toutes banal. En effet, la manifestation se
déroulait dans un secteur où certains des hommes les plus puissants du pays ont élu résidence,
qu'on pense entre autres aux premiers ministres canadiens Brian Mulroney et Pierre Éliott-
Trudeau (aujourd'hui décédé), ou encore à certaines familles bourgeoises, tel que les
Bronfman. D'ailleurs, l'ensemble des manifestantEs a été inculpé de " méfait " de moins de
5000$ pour trois graffitis qui auraient été fait lors de la marche dans Westmount, incluant un
tag sur la résidence des Bronfman, au 15 rue Belvedere, dont la valeur foncière dépasse les 3
millions$ mais qui est inhabitée depuis 1995 (!)
Enfin, les flics ont mis des heures à arrêter une par une les 157 personnes coincées entre les
lignes policières, sous la pluie. Une attente encore plus longue nous attendait au Centre-
Opérationnel Sud. Lors de la détention au C.-O. Sud, le sergent-détective Pietro Poletti a posé
des gestes de violence gratuite contre un jeune manifestant arrêté, un incident qui a d'ailleurs
fait l'objet d'un procès devant le Comité de déontologie policière, près de deux ans plus tard, à
la fin d'avril 2002. Dans une décision biaisée à plus d'un égard, le Comité avait toutefois
blanchit le SD Poletti de tout acte dérogatoire.

Dans les médias, on aura surtout retenu de cet événement que parmi les 157 personnes
arrêtées et détenues, on comptait un journaliste, soit M. Yves Schaëffner, à l'époque rédacteur
en chef de l'hebdomadaire ICI, ainsi que trois photographes de presse. M. Schaëffner a eu
beau montrer sa carte de presse aux policiers anti-émeute, il a quand même été écroué au C.-
O. Sud avec tout le monde. La FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec)
avait d'ailleurs dénoncé les quatre arrestations dans un communiqué qui sera reprit dans la
plupart des médias de masse. Un mois plus tard, les accusation de M. Schaëffner et d'une
photographe de presse étaient abandonnées.

Une vingtaine de journées d'audition devant la Cour municipale de Westmount

La majorité des 157 personnes arrêtées sont libérée sur promesse de comparaître, tandis que
dix personnes sont demeurées détenus pour comparaître devant le juge Keith Ham, qui restera
saisit du dossier du 1er mai 2000 du début jusqu'à la fin. À noter que 11 personnes d'âge
mineur arrêtées sur les lieux de l'encerclement de masse n'ont jamais été inculpéEs
formellement de quoi que ce soit. Quant au jeune punk en état d'ébriété avancé, il sera accusé
séparément au Palais de justice de Montréal de " voie de fait sur un agent. " En 2001, il
accepte de régler son dossier et le tribunal le condamne à respecter une ordonnance de
probation lui interdisant de participer à toutes manifestations durant trois ans.

Fait particulier au moment de la comparution des 10 de Westmount, le 2 mai 2000, plusieurs


dizaines de policiers avait installé un barrage devant la Cour municipale de Westmount
interdisant aux amiEs et aux sympathisantEs d'avoir accès au tribunal. Seule une mère d'un
des 10 détenus, ainsi que la copine de celui-ci, ont pu pénétrer dans la cour après de pénibles
parlementations avec la police. Informé de la situation par l'accusé Jaggi Singh, le juge Ham
ne voit aucun problème à ce que la police bloque délibérément l'accès à son tribunal. Déjà, le
processus judiciaire dans cette cause débutait avec un flagrant déni de justice fondamentale. À
l'issue de la comparution détenu, les 10 de Westmount sont libérés sous des conditions
restreignant leur liberté de manifester.

Personnage coloré, le juge Ham est un ancien militaire favorable au rétablissement de la peine
de mort. Habitué à faire des procès pour des tickets de stationnement, le juge Ham se retrouve
avec une cause d'une envergure peu commune: 146 personnes accusées au criminel, en
matière sommaire, représentées par une équipe de sept avocats en défense qui demande et
obtient un procès conjoint pour tous les dossiers du 1er mai 2000. Le moins que l'on puisse
dire, c'est que ce juge anglophone qui parle, à l'occasion, un français des plus laborieux (!) a
pu tester à plus d'une occasion les limites de sa compétence en matière criminelle sommaire.
Pour ainsi dire, c'est le procureur de la Couronne John Donovan qui a essentiellement dicté au
juge Ham quelles étaient les décisions qu'il devait prendre tout au long de la vingtaine de
journées d'audition qu'aura nécessité la cause du 1er mai 2000.
De septembre 2000 au mois de juin 2001, l'équipe de la défense fera entendre une série de
requêtes, qui nécessiteront une vingtaine de journées d'audition, basées sur les droits
constitutionnels garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. L'ensemble de ces
requêtes sera rejeté les unes après les autres par le juge Ham. À l'occasion, le juge Ham a été
vu en train de lutter contre le sommeil durant certaines journées d'audition (parfois avec un
succès discutable). Au cours d'une journée d'audition, le juge Ham pété les plombs et s'était
mis à hurler en pleine cour à un accusé à cause qu'il n'aimait pas son t-shirt. C'était un t-shirt
avec une croix nazi barrée avec un cercle rouge (de toute évidence, le caractère antinazi
évident du t-shirt a totalement échappé au juge).

La première des requêtes de la défense est une requête en arrêt des procédures pour les 10
accusés qui ont comparu détenus. Les avocats en défense ont plaidé que les 10 de Westmount
avait été privé du droit à un procès public et équitable en raison du barrage policier bloquant
l'accès à la Cour municipale de Westmount, le 2 mai 2000. Pour le juge Ham, cette situation
ne justifiait pas un arrêt des procédures. Selon lui, la présence de journalistes à l'extérieur de
la Cour était suffisante pour assurer le droit à un procès public!

Ensuite, la défense a présenté une requête en communication de la preuve. Encore une fois, la
requête est rejetée, cette fois-ci sous le motif douteux que ce ne soit pas le temps ("...now is
not the time ") de divulguer la preuve bien que la Cour suprême du Canada avait elle-même
établit, dans la célèbre cause de la Reine c. Stinchcomb, que l'accusé a droit à la
communication de toute la preuve avant le procès.

Puis, la défense a présenté une requête en exclusion de la preuve afin de faire déclarer
inadmissible en preuve le vidéo d'identification de la police sur lequel on voit défilé, les unEs
après les autres, les 157 personnes arrêtées et détenues à Westmount, le 1er mai 2000. La
défense avait plaidé que le consentement des personnes arrêtées à être filmées
individuellement par la police n'avait pu être libre et volontaire étant donné que ces personnes
étaient détenues et n'avaient pas encore eu la chance d'exercer leur droit d'appeler un avocat à
ce moment là. Pour des raisons qui seront expliquées plus tard, cette requête n'a jamais été
terminée. Toutefois, fait intéressant, lors de l'audition de cette requête, le SD Poletti avait lui-
même dû admettre que la police n'avait pas le pouvoir d'obliger les prévenus à se laisser
filmer.

En avril 2001, l'accusé Alexandre Popovic, qui se représentait lui-même dans cette cause, a
aussi présenté une requête verbale pour demander la modification de ses conditions de remise
en liberté qui lui avait été imposé lors de la comparution du 1er mai 2000. De plus, l'accusé-
requérant avait ajouté qu'en cas de refus, il demandait au tribunal de préciser par écrit que la
condition lui interdisant de participer à toutes manifestations ne s'appliquait qu'uniquement
sur le territoire de Westmount. Il est à noter que les avocats en défense qui représentait des
accusés qui comptait parmi les 10 de Westmount se sont joint à cette requête pour leurs
clients.

Cette requête a connu le même sort que les précédentes: rejetée. Cependant, ce refus de
préciser par écrit que la condition ne s'appliquait qu'à Westmount aura eue des conséquences
dramatiques pour l'accusé Jaggi Singh, puisque suite à son arrestation du 20 avril 2001, à
Québec, lors du Sommet des Amériques, le tribunal avait refusé de lui accordé la remise en
liberté en se basant sur le fait qu'il aurait violé sa condition de Westmount qui lui aurait
interdit de prendre part à toute manifestation. Or, lors d'une audience au début du mois de
mai, la Cour municipale de Westmount a dû se rendre à l'évidence et admettre que cette
condition ne s'appliquait qu'à Westmount, après avoir écouté l'enregistrement mécanique de
l'audition du 2 mai 2000.

En effet, lors de sa comparution du 2 mai 2000, l'accusé Jaggi Singh avait demandé à la Cour
si la condition ne s'appliquait qu'à Westmount et la réponse avait été positive. Ainsi, Singh
aurait pu éviter les 17 jours de détention qu'il avait passé à la prison d'Orsainville si la Cour
municipale de Westmount avait accepté de préciser par écrit la portée de l'application de la
condition d'interdiction de manifester. Face à une telle injustice, la Cour n'a eu d'autre choix
que de prononcer l'arrêt des procédures pour Singh dans le dossier de Westmount et ordonner
la modification en conséquence pour les 9 autres accusés qui faisaient l'objet de cette
condition.

Parallèlement à l'audition des requêtes en défense, la Couronne fait des offres de règlements
municipaux à l'ensemble des accuséEs, à l'exception de deux, l'un en raison de ses antécédents
judiciaires en semblable matière, l'autre en raison des accusations supplémentaires de " bris de
conditions " qui ont été déposés contre lui suite à son arrestation le 1er mai 2000. L'offre de
Donovan est la suivante: en échange d'un plaidoyer de culpabilité à une infraction à un
règlement municipal de Westmount, passible d'une amende totalisant 75$, les trois fausses
accusations criminelles sont retirées. Peu d'accuséEs s'empressent d'accepter l'offre. Au
contraire, la plupart des accuséEs estiment avec raison que Donovan essaie de se sortir de ce
méga-dossier dans lequel il est en train de s'empêtrer. Seule une poignée d'accuséEs acceptent
l'offre, les autres continuent de maintenir leur non-culpabilité et de refuser de payer quoi que
ce soit.

Enfin, en mai 2001, la défense a présenté une requête en arrêt des procédures pour faire
déclarer le tribunal de Westmount non indépendant et non impartial au sens de la Charte
canadienne des droits et libertés. Cette requête était inspirée d'une demande d'injonction
déposée par la Conférence des juges municipaux du Québec, laquelle était signée par une
quarantaine de juges, incluant le juge Ham, qui attaquait la constitutionnalité de la fameuse loi
portant sur les fusions municipales. En effet, cette loi prévoyait l'abolition des cours des
municipalités fusionnées et entraînerait des pertes d'emploi parmi les juges municipaux, ce
qui faisait craindre à la Conférence que les magistrats pourrait perdre leur indépendance
judiciaire par rapport au pouvoir politique.

Ainsi, la défense s'est basée sur l'aveu extrajudiciaire du juge Ham, à l'effet que son
indépendance judiciaire était menacée par l'abolition de la Cour municipale de Westmount,
pour plaider devant cette même cour que le droit des accuséEs d'être jugé par un tribunal
indépendant et impartial était désormais sérieusement compromis. Bien entendu, le juge Ham
se retrouvait dans une position pour la moins délicate puisqu'il revenait à lui de statuer sur sa
propre indépendance en tant que magistrat.

Un an et demi de querelles de juridiction

La décision du juge Ham sur cette requête devait être rendue le 11 juillet 2001. Or, au lieu de
cela, le greffier de la Cour municipale de Westmount a contacté la journée même l'un des
procureurs en défense pour l'informer qu'il était inutile de se déplacer au tribunal puisque le
juge Ham n'était pas prêt à rendre sa décision ce jour là et que celui-ci communiquerait
éventuellement par téléphone pour l'aviser de la prochaine d'audition. Ce jour là, en l'absence
des personnes accusées et de leurs procureurs, le juge Ham a fixé une nouvelle date d'audition
pro forma en septembre. De toute évidence, le juge Ham ne cherchait qu'à gagner du temps. À
ce moment là, la demande d'injonction de la Conférence des juges municipaux, à laquelle le
juge Ham était parti prenante, n'avait toujours pas été réglée en Cour supérieure du Québec.

En août 2001, la défense a alors déposé une demande en bref de prohibition devant la Cour
supérieure du Québec afin d'interdire au juge Ham de siéger dorénavant dans la cause du 1er
mai 2000. Le motif au soutien de la requête était que le juge Ham avait perdu sa juridiction
dans les dossiers du 1er mai 2000 en fixant une nouvelle date d'audition en l'absence de la
défense. Cette initiative a eu pour effet de suspendre les procédures à la Cour de Westmount.
Puis, le 11 décembre 2001, la défense bat en retraite et se désiste de sa requête. Cette décision
avait été prise après que l'aide juridique eu refusé d'émettre des mandats couvrant les frais de
la Cour supérieure et après que la Cour d'appel du Québec eu rejeté la requête de la
Conférence des juges municipaux du Québec contre la loi sur les fusions municipales.

La ville de Westmount cesse d'exister à partir du 1er janvier 2002. Toutefois, la Cour
municipale de Westmount, au même titre que les autres tribunaux des autres municipalités,
voit son existence prolongée d'un an, question de ne pas trop perturber l'administration de la
justice avec une réforme majeure très controversée à laquelle les cours municipales ne
semblent pas être prêtes. Le méga-dossier du 1er mai 2000 ne fait plus parler de lui. Pendant
plus de quatre mois, les accuséEs et leurs procureurs n'ont plus aucunes nouvelles de la Cour
de Westmount.

Le procureur de la poursuite John Donovan attend jusqu'au 22 mars 2002 pour faire parvenir
une lettre aux avocats en défense les informant qu'il avait demandé au greffier d'inscrire les
dossiers des accuséEs du 1er mai 2000 sur le rôle de comparution du 24 avril suivant.
L'équipe de la défense refuse en bloc de se présenter à ladite date d'audition du 24 avril, en
signifiant au procureur Donovan et au juge Ham que la Cour municipale de Westmount avait
perdu sa juridiction en n'agissant pas dans les trois mois du dernier acte judiciaire commis
dans un dossier soit, dans ce cas-ci, à partir du 11 décembre 2001, date du désistement de la
requête pour l'émission d'un bref de prohibition.

Bref, la défense boycotte désormais le tribunal présidé par le juge Ham. Et pour cause: en
comparaissant physiquement ou par avocat devant Ham, les accuséEs redonnaient
automatiquement la juridiction à ce dernier. Donc, le 24 avril, aucun procureur des accuséEs
ne s'est présenté devant Ham. Malgré l'absence de tous les représentants de la défense, le
procureur Donovan fait reporter l'audition des causes au 29 mai 2002. Une greffière a envoyé
par la poste une convocation écrite aux procureurs des personnes accusées. Le 29 mai, aucun
avocats en défense, ni aucun de leurs clientEs, ne se présentent devant le juge Ham.

C'est à ce moment là que le procureur de la Couronne John Donovan demande que des
mandats d'arrestation visés contre les accuséEs soient émis par la cour de Westmount.
Cependant, si les mandats sont émis, ils ne sont pas exécutables. Les avocats en défense
avaient avisé Donovan que tout recours judiciaire entreprit par la cour de Westmount à l'égard
des accuséEs serait attaqué devant une instance supérieure. Le procureur Donovan a alors
accepté de suspendre l'exécution des mandats d'arrestation visés tant et aussi longtemps que le
litige sur la question de la juridiction ne serait pas réglé en Cour supérieure du Québec.

C'est à ce moment là que le grand groupe des accuséEs est pour la première fois divisé en
deux, quand certains des avocats en défense acceptent de prendre les offres de règlements
municipaux du procureur Donovan. Il est à noter que certainEs des accuséEs n'ont pas
apprécié de ne pas avoir été consulté par leur procureur avant que celui-ci n'accepte l'offre de
règlement de la poursuite. Dès la fin du mois de juin 2002, il ne reste plus que trois avocats en
défense qui représentent environ une trentaine ou une quarantaine d'accuséEs, ainsi qu'un
accusé qui se représente seul.

Plus le temps avance, plus le nombre d'accuséEs rétrécit, certainEs se résignant, souvent de
guerre lasse, à en finir une fois pour toutes avec cette vieille histoire en mandatant leur avocat
pour qu'il accepte l'offre de Donovan. Enfin, c'est vers la mi-décembre 2002 que la juge
Nicole Duval Hesler de la Cour supérieure rejette la requête en bref de prohibition de la
défense et ordonne la reprise des procédures qui sont suspendues depuis plus d'une année dans
le dossier du 1er mai 2000. Il est à noter que la juge Duval a déjà été juge à la Cour
municipale de Westmount, et que, de ce fait, le juge Ham ne lui est pas inconnu. (le jugement
est disponible à l'adresse URL suivante :
http://www.canlii.org/qc/jug/qccs/2002/2002qccs16359.html )

Le revers en Cour supérieure met à risque les accuséEs contre qui des mandats d'arrestation
visés peuvent être exécuté d'un jour à l'autre, à moins que le jugement de Duval ne soit porté
en appel. Étant donné que les avocats en défense n'iront en appel de cette décision que si l'aide
juridique accepte d'émettre des mandats pour la Cour d'appel du Québec, l'un des accuséEs se
rend à l'aide juridique faire une demande de mandat pour la Cour d'appel dans les jours qui
suivent la décision. De son côté, la Cour municipale de Westmount fixe le dossier du 1er mai
2000 pour une audition pro forma, le 6 mars 2003. Les accuséEs peuvent donc passer le temps
des fêtes de l'année 2002 sans être inquiétés par la menace d'être arrêté par la police.

Toutefois, la réponse de l'aide juridique se fait attendre. Comme la date d'audition du 6 mars
2003 se rapproche, l'accusé qui a fait la demande de mandat contacte l'aide juridique pour
savoir qu'est-ce qui se passe. C'est le sort de la longue contestation de la juridiction du juge
Ham dans le dossier du 1er mai 2000 qui est en jeu: faut-il se présenter ou non devant Ham, le
6 mars 2003? À deux ou trois jours avant le pro forma du 6 mars 2003, il ressort d'une
conversation entre l'accusé et une avocate de l'aide juridique qu'il y aurait peu d'espoir que le
mandat pour aller en Cour d'appel soit émis.

Les retrouvailles en 2003

La Cour municipale de Westmount étant désormais formellement abolie depuis le 1er janvier
2003, les procédures dans la cause du 1er mai 2000 se déplacent dans la nouvelle Cour
municipale d'arrondissement de Côte-Saint-Luc-Amstead-Montréal-Ouest (en fait, c'est
l'ancienne salle de réunion du conseil municipal qui a été reconvertie en salle de cour). Le 6
mars 2003, le juge Ham reprend sa juridiction dans la cause du 1er mai 2000 lorsque le seul
avocat en défense qui occupe encore au dossier, Me Denis Poitras, et l'accusé Alexandre
Popovic se présentent devant lui. Seul un autre accusé (sur un total de 32) est aussi présent, et,
à la surprise générale, le procureur Donovan retire les trois fausses accusations contre lui, en
donnant pour seule explication que la Couronne n'avait aucune preuve à présenter contre lui!

C'était donc une journée de retrouvailles, après un an et demi de procédures en Cour


supérieure. D'ailleurs, les deux enquêteurs, les SD Poletti et Paul-Antoine Giard, étaient aussi
présents puisque la poursuite voulait procéder au procès. La défense a alors rappelé à la cour
où en étaient rendues les procédures au moment où elles avaient été suspendues, en août 2001,
date dépôt de la première requête en bref de prohibition contre le juge Ham. Me Poitras a
rappelé que le juge Ham doit rendre sa décision dans la requête en arrêt des procédures pour
cause d'absence d'indépendance judiciaire (ça, c'est la décision que Ham devait rendre le 11
juillet 2001!) et qu'il reste à faire les arguments dans la requête en exclusion de la preuve.
L'avocat a aussi ajouté que la défense avait besoin des notes sténographiques des journées
d'audition de la requête en exclusion de la preuve pour préparer ses plaidoiries.

Donovan a reprit sa bonne vieille habitude d'expliquer au juge ce qu'il doit faire. Tout d'abord,
il faut rendre jugement dans la requête en arrêt des procédures pour cause d'absence
d'indépendance judiciaire, et qu'il faut rejeter cette requête à cause du jugement de la Cour
d'appel du Québec d'octobre 2001 qui rejetait la contestation de la loi sur les fusions
municipales par la Conférence des juges municipaux. Ensuite, il faut fixer de nouvelles dates
d'audition pour terminer la requête en exclusion de la preuve, ce qui ne sera pas chose facile
puisque la Cour municipale d'arrondissement de Côte-Saint-Luc-Amstead-Montréal-Ouest n'a
réservé qu'une journée par semaine pour l'audition de causes en matière criminelle. Enfin, il
faut que le juge Ham ordonne la transcription des notes sténographiques des journées
d'audition de la requête en exclusion de la preuve.

Ham rend d'abord jugement dans la requête en arrêt des procédures en rejetant tout
simplement la requête. Puis, la cour fixe de nouvelles dates d'audition, soit le 17 avril et le 5
juin 2003. L'accusé Popovic est relevé de son mandat d'arrestation visé mais Donovan reporte
la levée des mandats visés pour les autres accuséEs à la prochaine date d'audition. Enfin, le
juge Ham ordonne la production des notes sténographiques des journées d'audition de la
requête en exclusion de la preuve de février et mars 2001. Comme la ville de Westmount est
maintenant chose du passé, c'est à la ville de Montréal que revient de payer la facture
dispendieuse de la confection des notes sténographiques (on parle facilement de plusieurs
milliers de dollars).

Dernier détail: Donovan déclare que le juge Ham va prendre sa retraite dans les prochaines
semaines. Toutefois, le procureur de la Couronne indique que le juge en chef lui avait
confirmé que Ham conservait sa juridiction dans la cause du 1er Mai 2000!! Dans la semaine
qui suit l'audition, c'est avec consternation que la défense apprend que l'aide juridique a émis
le mandat pour en appeler en Cour d'appel du Québec contre la décision de la juge Duval
rejetant la requête en bref de prohibition, en décembre 2002!!

Par la suite, le bruit circule que Donovan va demander l'exécution des mandats visés pour tous
les accuséEs qui ne se présenteront pas devant le juge Ham, à la date fixée du 17 avril 2003.
Des efforts sont alors entreprit pour retracer les quelques 30 accuséEs dans la cause du 1er
mai 2000. Entre-temps, d'autres accuséEs cèdent au chantage de Donovan et acceptent son
offre de règlement municipal. Le 17 avril 2003, neuf personnes accusées se déplacent
physiquement devant le juge Ham et sont relevées de leur mandat visé. Me Poitras indique à
la cour le nom de sept clientEs qui acceptent l'offre de la poursuite. Puis, les procédures sont
suspendues.

À la reprise de la séance, le procureur Donovan déclare que la ville de Montréal refuse de


produire les notes sténographiques. En clair, ce que Donovan aurait pu ajouter, c'est que la
ville refuse d'exécuter l'ordonnance émise par un juge municipal, ce qui ressemble drôlement
à un outrage au tribunal! Mais la cour ne va pas exercer son autorité contre la ville. Au lieu de
cela, c'est l'abandon des trois fausses accusations criminelles qui est accordée à huit des
accuséEs présentEs physiquement devant Ham. Tout indique que c'est le refus de la ville de
faire les transcriptions qui est à l'origine de la décision du retrait des trois fausses accusations
de la part du même Donovan qui semblait être prêt à procéder au procès lors de l'audition
précédente, un mois auparavant.
Toutefois, le procureur Donovan n'accorde pas cette libération à l'accusé Popovic. Il provoque
l'étonnement lorsqu'il déclare le plus sérieusement du monde à la cour que " M. Popovic a
écrit des choses sur ce procès sur son site internet. " (!!) C'est la seule raison que Donovan est
capable d'avancer pour soutenir sa décision de maintenir les trois fausses accusations contre
l'accusé Popovic. Le procureur avoue cependant que ce sont les policiers qui lui ont parlé d'un
site internet où il y aurait des écrits sur le procès (le SD Giard et un autre enquêteur était en
effet présents en début de séance). Il est à noter que jamais les procédures dans la cause du 1er
mai 2000 n'ont été frappées d'un interdit de publication, et que, conséquemment, on ne
pourrait reprocher à l'accusé d'avoir commis un outrage au tribunal (contrairement à la ville de
Montréal...).

Le fait que la source de cette allégation pour le moins vague et étrange soit identifiée comme
étant la police en dit plus long que l'allégation en elle-même, si on prend en considération que
ledit accusé est connu publiquement comme étant un militant actif du Collectif Opposé à la
Brutalité Policière, le COBP. Si, en théorie, Donovan est le représentant de " sa majesté la
Reine ", dans les faits, il agit pour le compte de son véritable client: le service de police.
Manifestement, le client-policier ne voulait pas voir l'accusé Popovic se tirer d'affaire
indemne dans le dossier du 1er mai 2000 et il a exercé son droit de veto en conséquence. Le
seul intérêt que la police pourrait avoir à se servir du procureur de la Couronne pour lancer
une vague allégation impossible à prouver est celui d'essayer de " colorer " le procès.

Aussi loufoque puisse-t-elle sembler être, cette allégation semble néanmoins être
symptomatique d'un certain malaise ressenti au service de police face à la couverture des
procès à saveur politiques sur le web. En autonome 2002, dans le procès des 61 personnes
accusées d'" émeute " du 15 mars 2000, la procureure de la Couronne Mona Brière avait tenté
d'introduire en preuve le site internet du COBP. Le juge du procès, Joseph Tarasofsky, avait
accueilli l'objection de la défense en statuant sur le caractère préjudiciable pour les accuséEs
d'être associés à un site internet, alors qu'il n'avait aucune preuve devant lui qui les relie au
site internet en question. Toutefois, Tarasofsky avait ajouté que l'objection était maintenue
"sous réserve", et que si des faits nouveaux devaient apparaître durant le cours du procès, sa
décision sur l'objection pouvait être modifiée.

La police ne rate jamais une occasion de tenter d'entraver le libre exercice de la liberté
d'expression et d'opinion, particulièrement quand l'exercice de cette liberté fondamentale
risque d'exposer des pratiques peu recommandables existant au sein de l'appareil policier
montréalais. Faute d'être capable de museler la critique de la police et du système judiciaire
sur l'internet, les flics, par le biais de procureurs de la Couronne complices, cherchent sans
doute à rappeler que cette liberté de s'exprimer est étroitement surveillée et que tout ce que
nous écriront, posterons, diffuseront, pourrait peut-être un jour servir contre nous, en cour. Ce
genre de tactique d'intimidation est davantage susceptible de susciter l'effet contraire

Toujours est-il qu'à ce moment là, l'accusé Popovic a nié en cour qu'il avait un site internet et
a réaffirmé son droit à la liberté d'expression. Là-dessus, le procureur Donovan a reporté
l'audition du dossier de l'accusé avec les autres, le 5 juin suivant. C'est finalement à cette date
que le procureur Donovan annonce le retrait des trois fausses accusations contre l'accusé
Popovic ainsi que pour sept autres co-accuséEs qui se sont déplacés physiquement eux aussi
pour éviter de tomber sous mandat d'arrestation. À cette occasion, l'un des accusés présents
s'est présenté devant le juge Ham avec le même t-shirt antinazi qui l'avait fait sortir de ses
gonds (ce n'était toutefois pas le même accusé que celui qui s'était fait crier après). Cependant,
le juge Ham, désormais officiellement à la retraire, n'a semblé rien remarquer...

Malheureusement, 10 des 157 arrêtéEs du 1er mai 2000 à Westmount ne sont toujours pas
tirés pas d'affaire puisque le juge Ham a fait exécuter les mandats d'arrestation visés qui
étaient suspendues depuis le 29 mai 2002. Que va-t-il leur arriver? Mystère. Chose certaine, la
police ne risque pas de lancer une vaste chasse à l'homme pancanadienne afin de les retrouver.
Le pire qui pourrait les attendre, c'est d'être interpellé par les flics sur la rue, pour une raison
X-Y-Z, et que ceux-ci découvrent, après enquête, qu'un mandat d'arrestation visé a été émis
contre eux par un certain juge Ham pour un certain événement, à Westmount, en mai 2000.
Les flics auront le pouvoir de les détenir, le temps de leur faire remplir une nouvelle promesse
de comparaître.

On ne le dira jamais assez: il est capital de continuer à se tenir informé du sort de sa cause
quand on est accusé. Vous laissez aller les choses au hasard, et voilà ce qui peut vous arriver.

Maintenant, quel bilan peut-on tirer de toute cette saga judiciaire du 1er mai 2000? Sur les
157 personnes arrêtées et détenues en masse pour avoir eu l'audace de manifester sous la
bannière anarchiste à Westmount, 11 personnes mineures n'ont jamais été inculpées, 146
personnes ont été inculpées de fausses accusations criminelles, environ une centaine d'entre
eux et elles ont été condamnées à payer une amende se chiffrant à 74$ et, à défaut d'en
acquitter la somme, pourraient se retrouver incarcéré; environ 20 d'entre eux et elles ont
bénéficié d'un retrait des accusations, l'un d'entre eux a fait 17 jours de prison pour rien, l'un
d'entre eux a été interdit de manifester pendant 3 ans et 10 d'entre eux et elles font l'objet d'un
mandat d'arrestation visé. Il n'y a jamais eu de procès.

Comme score, c'est assez nul merci. Pouvons-nous tourner la page? L'affaire du 1er Mai
Anarchiste est-t-elle vraiment terminée ou est-ce que les manifestantEs injustement arrêtéEs
et détenuEs par la police de Montréal vont s'adresser à un tribunal afin de demander la
réparation à laquelle eux et elles ont droit? C'est ce que nous découvrirons d'ici peu...

IT'S NOT OVER UNTIL IT'S OVER

+++

(Cet article n'est pas signé parce que je ne veut pas qu'il serve de preuve contre moi en cour
un de ces jours. Je revendique le droit à l'anonymat pour me protéger d'attaques possibles de
l'État contre moi, au même titre que le manifestant qui manifeste cagoulé pour se soustraire au
fichage de la surveillance vidéo policière lors des manifestations. Au fond, j'espère juste
emmerder un peu plus toute cette bande de flics.)

+++

Pour toute information sur la cause du 1er mai 2000, vous pouvez envoyer un courriel à
mbubuv@yahoo.com

PS: Les personnes qui figurent parmi les 157 personnes arrêtées sont particulièrement
encouragées à prendre contact.

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