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Cca 052 0127
Cca 052 0127
Dominique Bessire
Dans Comptabilité Contrôle Audit 1999/2 (Tome 5), pages 127 à 150
Éditions Association Francophone de Comptabilité
ISSN 1262-2788
ISBN 2711734102
DOI 10.3917/cca.052.0127
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Dértnir la perftrmance
Dominique Bnssns
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L'auteur tient ici à souligner combim les ctitiques bienueilkntes dzs réuiçeurs lbnt aidëe à progreso dzns
sa rflzxion. Il æprime aussi sa reconnaissance à ses amis du CRI (F, Gautier, J. Meunier, G, et R Nifz,
B, Noir) qui lbnt mcouragée à pméuher dans cexe enneprise semée dbbstachs,
Couplmrufi - CoNTRôE - AuDtr / Tome 5 - Volume 2 - septembre 1999 (p. 127 à 150)
Dominique Brsrnn
DÉFINIR TÂ PERFORMANCE
t29
teur du congrès 1998 de l'Association française de compabilité. Le u pilotage de la performance )
tend à se substituer à I'expression historique de u conrôle de gestion,, jugée dépassée comme en
témoigne le tiue de plusieurs ouweges ou articles récemment parus (Bescos et al.,1994; Malleret,
1994; Mascré, 1994; Lorino, 1995 æ 1997 ;Jacot et Micaelli, 1996).
liusage extensif du mot va cependant de pair avec le n flou o des définitions. Dans le meilleur des
cas, celui otr les auteurs tentent de le définir (voir par exemple Bourguignon, 1995 et 1997 ; Lebas,
1995),le consensus semble impossible. C'est ainsi par exemple que Bourguignon (1997, p. 90-91)
est conduite à identifier trois sens principaux :
l) la performance est succès. Le performance riexiste pas en soi ; elle est fonction des représenta-
tions de la réussite, variable selon les entreprises, selon les acteurs. [...] ;
2) la performance est résulut dz I'action, À l'opposé du précédent, ce sens ne condent pas de
jugement de valeur. [a mesure des performances est ( entendue comme l'évaluation erc
?ost d6
résultats obtenus o (Bouquin, 1986, p. II4) ;
3) la performance est action. Dans ce sens, plus rare en Ëançais qu en anglais, la performance est
un processus et (non un résultat qui apparalt à un moment dans le temps o (Baird, 1986). t...]
u Elle est la mise en actes d'une compétence qui rfest qu'une potentialité. >
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Dans la plupart des recherches sur la performance apparait la nécessité de distinguer des niveaux ou
des dimensions, donr le nombre est d'ailleurs variable. Morin et aL (1984) identifient quatre dimen-
sions : socide (valeur des ressources humaines), économique (efficience économique), politique
(légitimité de I'organisation auprès des groupes externes) et qrstémique (pérennité de l'organisation).
De La Vrllarmois (1998, p. 926) estime que ces quatre dimensions pourraient êue réduites u aux
seules dimensions objective (efficience économique et pérennitQ et subjective (légitimité de l'orga-
nisation auprès des groupes externes et vdeur des ressources humaines) u ; il note aussi que ( tous les
modèles proposant une repr&entation du concept de performance aboutissent à la même condusion :
iest un concept (ou un construit) difficile à appréhender à cause de ses dimensions multiples u.
Malleret (1994) définit a contra.rio trois causes de non-performance : mauvaise finalisation, mauvaise
gesrion des processus et des interfaces et mauvaise gestion des opérations. Jacot et Micaelli (1996,
p. 15-33) proposenr de u déglobaliser o la performance en associant à chacun des quatre niveaux
décisionnels qu'ils retiennent méapolitique, stratégique, tactique et opérationnel quatre
-
niveaux de performan sociétal, financier, marchand et physique. C'est aussi la position
-
qu'adopte Llewellyn (1996) lorsqu'elle évoque une échelle de mesure de la performance allant de
I' accountability financière à l' accountability politique.
u Remenre à plat fles routines par lesquelles nous définissons les finalités, les objectifs, les critères de
performance] conduit t...1 à poser des questions aussi délicates que celles des finalités de I'entre-
prise, de la cohérence entre ses objectifs (productifs, marchands, financiers, sociétaux), de leur perti-
t.t"" p"t rapport à certaines fins, : Jacot et Micaelli (1996, p. 15), au tout début de l'ouvrage
C'oMpxArurrÉ-CoNrnôr-e-ArrDlr/Tome5-Volume2-septembre1999(p.127à'150)
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DÉFIMR tA PERFORMANCE
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intinrlé La Petforrnance éconnrniqile en enilepîise, posent d'emblée le posnrlat d'une relation entre les
trois termes de performance, cohérence et peninence.
Iæ mot cohérence semble a priori ne pas soule'/er de difficultés particulières de déftnition : selon
Capet et aI (1986, p.333), par cohérence ( on entend que les décisions sont logiques entre elles
(cohérence interne) et par rapport à une échelle de préférences (cohérence externe) ,.
Il en va eutrement du mot pertinence, qui semble devoir son succès récent eu titre provocateur de
l'ouvrage de Johnson et lGplan (Rehuance Lost, 1987) : s'il a été depuis repris dans le titre de
nombreux ouvrages et anicles de contrôle de gestion (Mévellec, l99l ; Johnson, 1992; ECOSIB
1996), il parait parfois entouré du même flou que celui qui entoure le mot performance. Habituel-
lement, la peninence se définit en relation avec un utilisateur et une intention. Cependant, dans
cenains cas, la pertinence semble confondue avec la cohérence : elle peut mesurer alors une certaine
capacité à combler un écart par rappoft à la norme (Le Moigne, 1996, p.33), oubien refléter l'adé-
quation entre les mo)æns et les objectiÊ (Bescos et aI, 1993, p. 39 u). Dans d'autres cas, la perti-
nence est assimilée à la précision, voire à l'enactitude.
Ces différences d'interprétation ont des conséquences concrètes, comme le montre le débat sur la
normalisation compable. Colasse (1996, p. 30-31), analysant le projet de cadre conceptuel du
Comité permanent de la doctrine comptable, met en évidence, pouf la critiquer sévèrement, la
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ffi.*''._æ*ffi Iæshlaothèsesfondamentales
Différents courants de pensée se réclament du consuuctivisme. Au-delà de cette apparente diversité,
il est cependant possible de repérer deux hypothèses fondatrices : I'hypothèse phénoménologique et
I'hypothèse téléologique (Le Moigne, 1995, p. 66-83). La première hypothèse affirme le primat
absolu de I'expérience humaine : la réalité riest pas une donnée, elle est un construit humain. La
seconde hypothèse postule la cepacité du sujet à élaborer ses propres fins et prend explicitement en
compte la dimension intentionnelle de toute râlité.
Llapproche retenue se réfère à la thôrie des cohérences humaines développée par Nifle (1986).
sens (un concept qui exprime l'hlpoth&e téléo-
Elle considèrcla r&Jité comme une acnralisation du
logique) et comme le déploiement d'une trialectique sujet-objet-projet (référence à I'hypothèse
phénoménologique).
l-e sens e$ défini comme un certain regard pofté sur le monde, une logique paniculière qui sous-
tend les comporrements, les attitudes et les représentations d'un individu ou d'une collectivité, leur
donne une orientation déterminée et en garantit la cohérence. Il est associé à un qrstème de valeurs
spécifique et à une position épistémologique définie. Le sens qu'un être ou un groupe humain
donne à une situation n'est finalement que le sens dans lequel il est intérieurement disposé. La
Ainsi défini, le concepc de sens subsume l'ensemble des acceptions usuelles du mot sens en fran-
çais : u Faculté d'éprouver les impressions que font les objets matériels ; faculté de connaître d'une
manière immédiate et intuitive i discernement, entendement, jugement, raison ; manière de
comprendre, de juger d'une personne, manière de voir, point de vue particulier ; idée ou ensemble
d'idées intelligible que repr&ente un signe ou un ensemble de signes ; acception, signification,
vdeur ; idée intelligible à laquelle un objet de pensée peut être repporré (raison d'&re) ; ordre des
éléments d'un processus, direction . . . , (Le Robert) a.
Le concept de sms intègre aussi, selon nous, un certain nombre de notions qui sont déjà utilisées
en sciences de gestion, mais ne sont pas toujours définies avec une précision suffisante, faute d'une
concePtualisation appropriée. Il peut être notamment rapproché de la notion de schèrne d'interpréta-
tion t, utilisée par nombre d'auteurs qui se réclament du courant baptisé Critical Management
Accounting. Barnrnek (1984, p. 355), en paniculier, définit les schèmes dinterprêtatioa 5 en des
termes qui s'appliquent parfaitement au concept de sens tel que nous I'entendons. Selon elle, ceux-ci
< opèrent comme des schémas qui façonnent notre enpérience du monde, nous permettent à la fois
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CoMr'râBnrrÉ - CorrnôLB - Auorr / Tome 5 - Volume 2 - septembre 1999 (p. 127 à 150)
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DÉFINIR TA PERTORMANCE
L34
Figure 1. La trialectique sujet-obiet-proiet
Sujet
Dimensîon suhiective
ou intentionnelle
objet Projet
Dimension obiective Dimension proiective
ou di me nsio n atlenti on ne I le Plan ou dimension ntionnelle
des opérations
Au vecteur vertical correspond la dimension subjectiue. Toute râité humaine est râité d'un
sujet et par cela intentionnelle. Lintention peut prendre de multiples visages : désir, motivation,
propension, volonté, aspiration... C'est sous cette dimension que le sujet est envisagé comme être
de sens.
Le vecreur horizontal orienté vers la gauche uaduit la dimension oQjectiue, l'ohjet se définissant
comme ce qui se distingue d'un contexte et ce dont nous sommes distincts. Cete dimension
exprime donc noue expérience de I'dtérité.
Le vecteurprojet est le produit (vectoriel) des deux auûes. Il correspond à la dimension ration-
nelle (ou projectiue) qui ordonne les objets selon la logique du sujet ; cette dimension nous présente
larâlité ordonnée et déployée dans I'espace et le temps.
Ia raison riest donc pas première et causale, elle est seconde et subséquente. Si, sur le plan théo-
rique, le caracrère contingent de la rationalité fatt depuis longtemps figure d'évidence (Simon,
1949), iest le plus souvent en relation avec les capacités limitées des individus. La perspective ici
retenue se différencie des approches usuelles en rapportant cet espect contingent aux intentions des
individus, dans une approche qui présente quelques analogies avec celle proposée par Crozier et
Friedberg (1931) : les conflits de rationdité sont ainsi en réalité des conflits d'intention et reflètent
des divergences sur le sens à attribuer à une siruation donnée.
C'est aussi la dimension projective qui donne à,la râlité sa dynamique : la réalité n est pas figée
dans une relation immuable entre le sujet et I'objet ; elle émerge et se transforme dans le temps et
l'espace et s'inscrit ainsi dans une histoire. C'est pour décrire ce processus que Piaget (1988' P. 12)
évoque u félaboration solidaire du sujet et des objets > et que Giddens forge le concept de sffuctura-
tion (1984).
CoMplABrurÉ - Corvrnôrr - Auorr / Tome 5 - Volume 2 - septembre 1999 (p. 127 L 150)
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DÉFIMRI.1{'PERFORMANCE
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Ces uois dimensions, sur lesquelles repose toute réalité, sont indissociables. Sujet, objet et projet
n'ont pas d'existence en soi ; le sujet riexiste que par rapport à I'objet, via le projet, et inversement.
Il n'y a pas donc pas d'objectivation sans sujet objectivant, pas d'obseryation sans intendon, pas plus
qu il ny a de sujet sans objet : la subjectivité ne peut s'exprimer que dans le rapport à un objet quel-
conque. C'est ce que Berkeley faisait déjà remerquer au xvII" siècle : u liobjectivité est tout aurant
pan de l'observateur que de l'objet observé o (cité par Morgan, 1988, p,452), Piaget (1988, p. 12)
prolonge la réflexion en meftant en évidence la relation dynamique le projet enffe le sujet et
l'objet : il écrit que u la connaissance ne procède en ses soruces ni d'un - sujet conscient
- de lui-même,
ni d'objets déjà constitués t...] qui s'imposeraient à lui : elle résulterait [selon les premières leçons de
l'andpe psycho-génétiquel d'interactions [...] relevant des deux à la fois ,.
Ces vecteurs définissent deux à uois plans qui donnent consistance à la réalité :
- le plan des opérations (ou plan facnrel) selon lequel les choses existent u en fait D, sont
présentes, par exemple dans un espece p$rsique ;
- le plan des représentations selon lequel les choses ont une forme, une image, par laquelle les
identifier dans un espace de signes auquel le langage et I'imaginaire perricipent ;
-
le plan des relations selon lequel les choses ont une valeur, une qualité par laquelle les appré-
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nff$*ffif,"t}li.ï' PRrNcrPEs,,
Par essence, l'évaluation d'une réalité quelconque est un ace de jugement qui vise à lui conférer une
valeur '2. Dès lors que cette réalité implique une pluralité d'acteurs, l'évaluation mobilisera des
qntèmes de vdeurs différents : fouvrier d'un atelier de production ou le technicien du service de
maintenance riévalueront pas de la même manière que la direction générale de I'entreprise I'intro-
ducdon d'une innovation technologique : I'ouvrier sera sensible à I'impact sul son emploi, à I'in-
fluence sur son degré de qualification ou à l'éventuelle réduction de pénibilité de son travail, le
technicien appréciera laîeclité de réparation du nouvel équipement, pourra tirer fiené d'interven-
tions sur des machines sophistiquées ou y trouvera une nouvelle source de pouvoir, la direction
générale memra I'accent sur la réduction des cotts, la flexibilité ou I'image de modernité que projette
cette nouvelle technologie.
Il est donc fondamental de reconnaltre cette pluralité des points de vue et d'en rendre compte
dans les processus d'évaluation, en y impliquant des représentants des différena systèmes de vdeurs ;
c'esr I'une des conditions de la crédibilité et de l'utilisation des résulats de cette évduation '3.
La hiérarchie des valeurs qui fonde l'évaluation est toujours sous-tendue, implicitement ou expli-
cirement, par la référence à un plus grand bien et donc par une certaine conception de ce qu'est ce
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i*_-Ë*tr*ff#.ffi cRIrÈREs
Il n'y a pas d'évaluation valide d'une quelconque râlité sans prise en compte de I'ensemble de ses
dimensions, subjective aussi bien qu objective et rationnelle. À chacune d'elles, il est possible d'asso-
cier, selon une hiérarchie définie, un critère spécifique : à la dimension subjective correspond la
perrinence, à la dimension rationnelle, la cohérence et à la dimension objective, la performance
(figure 2 ci-contre).
Les trois critères sont indissolublement liés selon une hiérarchie définie.
Le critère de pertinence vient en premier. Il est associé à des questions du type : les actions entre-
prises voncelles dans le u bon > sens, qont-elles oppornrnes, ont-elles une raison d'êûe, sont-elles
bien fondées ? Ce critère permet d'appréhender la râhté dans sa dimension subjective. I-iutilisation
de ce critère mer en jeu la responsabilité des acteurs et s'oppose à une démarche d'évduation qui se
reuancherait derrière la u rationdité o ou l'u objectivité ,. Ia peninence d'une entreprise, quelle
qu elle soit, s'apprécie par rapport à une intention ; elle s'exprime par référence à des choix poli-
Pertinence
Dimension subjeaîve
Performance Cohérence
Dlrnenslon objeclive Dlmenslon ratlonnelle
CoMI'HBtrrrÉ - CoNrRôLE - AnDtt / Tome 5 - Volume 2 - septembre 1999 (p. 127 à 150)
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DÉFIMR IÂ PERFORMANCE
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le critère de perfortnance permet de prendre en compte dans tous les sens du terme la
-
dimension objective de la réahÉ.Il mesure le degré de progression dans le sens identifié comme le
-
u bon u sens. Ce critère renvoie aux trois E : économie, efficience et efficacité. Il uaduit aussi les
progrès vers l'objectif Êxé (Capron et Quairel, 1998, p. 578) ou I'avancement dans un plan d'action
(Mascré, 1994, p.60). il est subordonné aux deux précédents : la performance ne peut être conçue
comme absolue et isolée ; elle ne peut s'apprécier que par rappoft à une intention donnée, explicite
ou implicite. La plupart des auteurs I'admettent : la performance u rt'existe pas de façon intrinsèque,
elle est détnie par les utilisateurs de l'information par repport au contexte décisionnel caractérisé par
un domaine et un horizon de temps , (kbas, 1995, p.68) ; u Une évaluation de la performance
n'est pas neurre : elle privilégie ou non toujours le point de vue de certains acteurs, et un examen de
ses critères permet d'identifier les réalisations d'objecdfs qu'elle entend valoriser , (Le Maitre, 1998,
p. S20). Pour être le dernier, ce critère n'en est pas moins aussi imporant que les deux auues : l'ob-
jectivation, quelque difficile qrielle soit, est nécessaire sous peine de verser dans le subjectivisme,
aussi réducteur à sa manière que I'objectivisme. Pour prolonger les exemples précédents, le construc-
reur aéronautique doit pouvoir mesurer le gain effectif obtenu sur les cycles de fabrication et le
fabricant de montres la qualité de ses produits te.
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Économique
Dimension objective Plan
des opérations
Dimensions Causes
Niveau Niveau Niveau Dimensions
et plans de non-
dans la trialectique de décision de performance d'accountability performance de la performance
Plan des
représentations
Plan des Opérationnel Physique Gestion
opérations des opérations
Plan des
relations
CoMt'lABntrÉ - Covrnôre - AuDrr / Tome 5 - Volume 2 - septembre I 999 (p. l2Z à l!,})
Dominique Brssnr
DÉFINIR IA PERFORMANCE
rÆ
Au sein de cette vision dominante, deux variantes e$rêmes se rencontrent. Soit la dimension ration-
nelle se voit atuibuer un carectère causal : la performance e$ alors le produit quasi mécanique de la
cohérence (variante l). Soit cette dimension elle-même est purement et simplement occultée : la
râlité est supposée se limiter à sa dimension objective ; les conditions sont dors réunies pour que la
problématique de l'évaluation se réduise à celle de la mesure 20 (variante 2). Ces concePtions se
réêrent, implicitement ou explicitement, à des positions épistémologiques d'inspiration positiviste
et résultent de combinaisons dans des proporrions variées de suucuralisme (variante 1) et de maté-
rialisme (variante 2).
Memre le sujet u hors jeu o apparalt cependant illusoire et appauvrissant : < Iiimpossibilité de
réduire I'interprétant à la dimension objective [...] renvoie de âit à I'impossibilité de se débarrasser
du sujet interprétant. t...] lÆ prix à payer est clair : en rompant I'identité entre le sujet agissant et le
sujet interprétanr, on rompt le lien enre cognition (interprétant) et action (objet-signe) u (l.orino,
1996, p.96). En supprimant la subjectivité de l'interprétation, on supprime toute possibilité d'ap
prentissage. Les approches d'inspiration constructiviste se démarquent précisément de ces conceP-
tions en intégrant de manière explicite I'acteur et en mettant l'accent sur les finalités (læ Moigne,
t996, p.37-38).
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CoMprallurÉ - C.oNrRôLE - AuDrr I Tome 5 - Volume 2 - septembre 1999 (p, 127 à 150)
Dominique Brsnr
DEFIMR IÂ PERFORMANCE
r41
'ffi*ë*ry*ffi, Elémentsduneméthodologiegénéraledévaluation
læ terme de méthodologie fait Êéquemment I'objet d'un usage peu rigoureux qui a peu à voir avec
son sens philosophique originel. Sous ce mot, on entend le plus souvent un ensemble de techniques
et d'outils alors que ce aoncept dewait renvoyer à une science des systèmes de connaissance se réfé-
rant explicitement à une épistémologie (Lodh et Gaffikin, 1997, p. 445).k modèle proposé ci-
dessus semble remplir les conditions posées pour fonder une méthodologie : il repose sur des
posidons épistémologiques explicitées et se présente comme un guide général pour l'évaluation de
toute râlité, ainsi que nous tentons de le montrer ci-dessous.
la structure ternaire de la râlité se décline dans les différents plans et dimensions, selon une
logique que l'on pourrait qualifier de fractale 2'. Le concept de stratégie, qui exprime la dimension
projective de I'entreprise, illustre ce principe : comme toute autre râlité, la stratégie a une dimen-
sion subjective, une dimension objective et une dimension projective ; elle se déploie tant dans le
champ des opérations que dans celui des représentations et des relations.
Elle s'inscrit dans un réseau de relations tant internes qu'externes. L|adyse stratégiqae proposée
par Crozier et Friedberg (1981) met I'accent sur les jeux de relations qui se déroulent au sein de I'or-
ganisation. l,a notion de champ concunentiel développée par Porter (1982) met en évidence les inter-
ections de I'entreprise avec ses partenaires-adversaires qui peuvent se développer selon trois types
CoMPIABUTÉ - @xlnôLe - Atptr / Tome 5 - Volume 2 - septembre 1999 (p. 12:7 à 150)
Dominique Brssne
DÉFIMR IÂ PERFORMANCE
142
principaux de registres relationnels : affiontement, évitement et coopération (Joffre et Koenig,
1992).
Sa mise en æuvre concrète exige enfin la réalisation d'un certain nombre d'opérations.
Toute réalité possédant cette strucrure ternaire, les mêmes principes et les mêmes critères d'éva-
luation sont susceptibles de lui être appliqués. Ainsi, de même qu'il est possible d'analyser la perti-
nence, la cohérence et la performance d'une stratégie, de même est-il envisageable d'appliquer ces
critères à des objea aussi divers que des projets, des décisions d'investissement (dimension ration-
nelle), des politiques, et notamment des politiques publiques (dimension intentionnelle), des identi-
tés culturelles, des images publicitaires (champ des représentations), un climat social (champ des
relations), le matériel (plan factuel) comme l'immatériel 22 (a contrario tout ce qui nappanient pas
au plan factuel)...
Dimension subjective
intuition
7
Dimension objective
observation
mesure Plan
des opérations
CrMPrABrurÉ - CoNIRôLE - AuDn / Tome 5 - Volume 2 - septembre 1999 (p. 127 à 150)
Dominique Brsslnr
DÉFIMR LA PERFORMANCE
L43
saisir l'intention qui préside à une action et d'en apprécier la pertinence. Cette aptirude reste cepen-
dant peu vdorisée, même si certains travaux, notamment sur le compoftement des dirigeants,
tendent à la réhabiliter (Lebraty, 1996). Toute notre formation est en effet orientée vers le dévelop
pement de nos facultés de raisonnement et laisse en friche nos aptitudes à l'intuition, laissant à la
seule accumulation d'expériences le soin de la former. N'étant pas maltrisée, I'intuition peut ainsi
apparalue comme un moyen de connaissance aussi dangereux que puissant.
--ffi1,,ï,W.ffi#T. rNsrRUMENrArroN
Le professionnalisme dans l'évaluation exige qu'à chaque mode de connaissance soit associée une
instrumentation qui lui soit propre. Cet appareillage eniste pour la dimension objective saisie grâce à
une science de la mesure sans cesse enrichie 2a, et pour la dimension rationnelle appréhendée à I'aide
de modèles toujours plus sophistiqués 2t. Il reste en revanche pauvre pour la dimension subjective,
qui relève plus dune instrumenation qualitative que quantiative.
Cette dernière dimension éant la plus difficile à appréhender, pour des raisons qui tiennent
autant à la culture qu'à I'insuffisance de I'instrumentation, elle est la première à être écartée dans les
pratiques d'évaluation, ce qui revient à éliminer toute référence à I'intention et à la valeur, et consti-
tue en soi une négation du principe même de toute &aluation (Nifle, I996a, p. 2). De Cambourg
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Toute évaluation essaie de jeter un éclairage sur une action passée, présente ou à venir. Qui doit
bénéficier de cet éclairage ? Pour s'assurer de sa légitimité, de sâ pertinence, il faut apporter à cene
question une réponse satisfaisante. Envisageons le problème de févaluation des compétences des
salariés d'une entreprise. Si l'analyse est destinée à cerains salariés pour leur permettre par oremple
de se réorienter, une approche personnalisée sera privilégiée et il sera souhaitable de garder aux résul-
tats un cerain caractère de confidentialité. Si l'éclairage est destiné aux dirigeants, la démarche
nécessitera probablement des quantifications ; la justification du plan de formation pourra éventuel-
lement s'appuyer sur une diffirsion des données collectées. Ces deux cas de figure correspondent à
des situations profondément différentes, eûe ce soit sur le plan des enjeux, des procédures à choisir,
des méthodes et de l'information à rechercher. Toute confusion sur ce point est susceptible de
remettre en question la validité de l'&aluation.
l,a seconde question est : à quoi sen l'évaluation ? Prenons le cas de l'évaluation d'une entreprise.
Pour éablir des comptes consolidés par la méthode de la mise en équivalence, le montant des capi-
Conclusion
Llexploration du concept de performance conduit finalement à s'interroger de façon plus générale
sur la méthodologie de l'évaluation. Si les dimensions rationnelle et objective semblent assez bien
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C-otr{presuTÉ-C.rrNrRôrs-Ar.rDn/Tome5-Volume2-septembrelggg(p,l27Lli,})
Dominique Brssrnn
DÉFINIR IA PERFORMANCE
L48
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