Michel Foucault, Dits ot derits 1981
21
D. Nocaudie : Aviex-vous imaginé que la technique, la défense
de rupture soit appliquée a la défense des droits de la vie quoti-
dienne?
_J. Verges: Non, mais je m'en réjouis. Cela prouve que la stratégie
judiciaire ne m’appartient plus, qu'elle n'est plus seulement l'affaire
des gens en robe, mais des gens en jeans.
C. Revon : Le titze de votre conclusion m’améne a vous deman-
der: < Quelle est voete loi? >
J. Verges : Ma loi est d’éere contre les lois parce qu’elles pré-
tendent arréter l'histoire, ma morale est d'étre contre les morales
parce quielles prétendent figer la vie
«< Omnes et singulatim » : vers
une critique de la raison politique
4 Qnaes singuim *; Towa Ci of Polite Resa» (e* Ones tingle
fim? er une congue de la ace poioque > mad. .E.Dauat universe de Sato,
{Oe 16 oooce 1979," MeMaret() , The Tar Lect o Hames Vala, 1,
Se Like Gay. Univesgy of Uh res, 198, pp. 223238.
Le titre parait prétentieux, je le sts. Mais la raison en est précisé-
‘ment sa propre excuse. Depuis le xix‘ siéce, la pensée occidentale
fa jamais cessé de eavaller&critiquer le r6le de la raison ~ ou du
‘manque de raison — dans les structures politiques. IL est par
conséquent totalemene déplacé de se lancer une fois encore dans un
aussi vaste projet. La multitude méme des tentatives antérieures est
cependant le garant que toute nouvelle enereprise sera autant cou-
ronnée de succés que les préeédentes ~et, en tout état de cause, Pro-
bablement aussi heureuse.
Me voila, dés lors, dans Vembarras de qui n'a que des esquisses
ct des ébauches inachevables & proposer. Il y a belle lurete que la
Philosophie a renoneé a tenter de compenser l'impuissance de la tai-
son scientifique, quelle ne renee plus d’achever son édifice.
Lune des tiches des Lumiéres était de multiplier les pouvoirs
politiques de Ia raison. Mais les hommes du xix" siecle allaent bien-
tt se demander si Ia raison n'érait pas en passe de devenir trop
‘puissance dans nos sociéeés. Ils commencérent a s'inquieter de Ia
Michel Foucault, Diss ot terits
relation qu’ils devinaient confusément entre une société encline & la
rationalisation et certaines menaces pesant sur l'individu et ses liber-
tés, espace et sa survie
‘Autrement dit, depuis Kane, le r6le de la philosophic a &eé
empécher Ia raison de dépasser les limites de ce qui ese donné
dans Vexpérience; mais, dés cette époque — Cest-i-dire, avec le
développement des Brats modernes et lorganisation politique de la
société =, le ole de Ia philosophic a aussi éeé de surveille les abus
de pouvoir de la rationaité politique ~ ce qui lui donne une espé-
ance de vie assez promertcuse.
Nul n’ignore ces banalités. Mais le fait méme qu’elles soient
banales ne signifie pas quielles n’existene pas. En présence de faits
bbanals, il nous appartient de découvrie— ou de tenter de découvrir =
Jes problémes spécifiques et peut-ée originaux qui leur sone atta-
chés.
Le lien entre la rationalisation et les abus du pouvoir politique
‘est Evident. Et nul n'est besoin d’ateendre la bureaucratie ou les
‘camps de concentration pour reconnaftre Iexistence de telles rela-
tions. Mais le probléme est alors de savoir que faire d'une donnée
aussi évidente,
Allons-nous faire le < procés > de la raison? A mon sens, rien ne
serait plus stéile. D'abord, parce qu'il a'est question ni de culpabi-
lité ni d'innocence en ce domaine. Ensuite, parce qu'il est absurde
invoquer Ia < raison > comme I'entité contraire de la non-raison,
Enfin, parce qu'un tel procés nous piégerait en nous obligeane &
jouer le role arbitraire ex ennuyeux du rationaliste ou de l'ierationa-
lisee
‘Allons-nous sonder cette espace de rarionalisme qui parait érre
spécifique & notre culture moderne et qui remonte aux Lumiéres?
Cest la, je cois, la solution que choisirent certains membres de
Técole de Francfore. Mon propos n'est pas d'ouvrie une discussion
de leurs cruvres ~ et elles sone des plus importantes et des plus pré=
ieuses. Je suggérerais, pour ma part, une autre maniére déeudier
les liens entre la rationalisation et le pouvoie
1) Mest sans doute prudent de ne pas traiter de la rationalisation
de la société ou de la culture comme d'un tout, mais d'analyser ce
processus en plusieurs domaines ~ chacun d'eux s'enracinant dans
lune expétience fondamentale : folie, maladie, mort, crime, sexua~
lieé, exe
2) Je tiens pour dangereux le mot méme de rationalisation,
Quand d’aucuns tentent de rationaliser quelque chose, le probleme
essentiel n'est pas de rechercher sls se conforment ou non aux prin-
BsMichel Foucault, Dits et éerits 1981
cipes de la rationalité, mais de découvtir & quel type de rationalicé
ils one recours.
3) Meme si les Lumigzes ont été une phase extémement impor-
tante dans nove histoire, et dans le développement de la cech~
nologie politique, e cois que nous devons nous référer a des proces-
sus bien plus reculés si nous voulons comprendre comment nous
‘nous sommes laissé prendre au piége de notre propre histoire.
‘Telle fut ma ¢ ligne de conduite > dans mon précédent travail :
analyser les rapports entre des expériences comme la folie, la mort,
le crime ou la sexualité, et diverses technologies du pouvoir, Mon
‘avail porte désormais sur le probléme de lindividualité ~ ou,
devrais-e dite, de I'identité en rapport avec le probleme du < pou-
voir individualisne >
CChacun sait que dans les sociéeés européennes le pouvoir politique a
évolué vers des formes de plus en plus centralisées. Des historiens
étudient cece organisation de IEtat, avec son administration et sa
bureaucratic, depuis plusieurs décennics.
Je voudrais suggérer ici la possibilité d'analyser une autre espéce
de transformation touchant ces relations de pouvoir. Cette trans-
formation est peur-tze moins connue. Mais je cris qu'elle n'est pas
non plus sans importance, surtout pour les sociétés modemes. En
apparence, cette Evolution est opposée a I'évolution vers un Beat
centralise. Je songe, en fait, au développement des techniques de
ouvoir tournées vers les individus et destinées a les diciger de
Faaniére continue et permanente. Si I'Eeat est la forme politique
d'un pouvoir centralise et centalisateus, appelons pastorat le pou~
voir individualisaceur
‘Mon propos est ici de présenter & grands traits l'origine de cette
‘modalité pastorale du pouvois, ou au moins certains aspects de son
histoire ancienne. Dans une seconde coaférence, je tenterai de mon-
tree comment ce pastoat s'est trouvé associé & son contraie, I'Etat
Liidée que la divinieé, le roi ou le chef est un berger suivi d'un erou-
peau de brebis a’était pas familiére aux Grecs et aux Romains. Il y
‘eut des exceptions, je sais — les toutes premigres dans la lireérarure
homérique, puis dans certains textes du Bas-Empire. J'y reviendrai
par la suite. Grossiéeement parlant, nous pouvons dire que la méta-
phore du croupeau est absente des grands textes politiques grecs ou
16
Michel Foucault, Dits et ferits
Tel nest pas le cas dans les sociéxés orientales antiques, en
Egypte, en Assyrie et en Judée. Le pharaon égyprien éeait un berger.
Le jour de son couronnement, en effer, il recevait rituellement la
hhoulette du berger; et le monarque de’Babylone avait droit, entre
autres titres, a celui de < berger des hommes >. Mais Dieu était
‘aussi un berger menant les hommes @ leur pirure et pourvoyant &
leur nourricure. Un hymne égyptien invoquait Ré de la sorte: < O
RE qui veille quand tous les hommes sommeillent, Toi qui cherches
ce qui est bon pour ron bétail...> L'association enere Dieu et le roi
vient narurellement, puisque tous deux jouent le méme réle : le
‘troupeau qu'il surveillent est le méme; le pasteur royal a la garde
des créatures du grand pasteur divin. ¢ Illustre compagnon de
péture, Toi qui prends soin de ta terre ee la noustis, berger de roure
abondance *. >
Mais, comme nous le savons, ce sont les Hébreux qui dévelop-
pérent ec amplifdrent le théme pastoral — avec, néanmoins, une
caractéristique fore singuliére : Dieu, et Dieu seul, est le berger de
son peuple. Iln'est qu'une seule exception positive : en sa qualité de
fondateur de la monarchie, David est invoque sous le nom de pas-
teur **. Diew lui a confié Ia mission de rassembler ua troupeau.
Mais il est aussi des exceptions négatives: les mauvais fois sont
uuniformément comparés & de mauvais pasteurs; ils dispersent le
troupeau, le laissent moutir de sof, et ne le tondent qu’a leur seul
profit. Yahvé est le seul et unique vériable berger. Il guide son
peuple en personne, aidé de ses seuls prophétes. < Comme un trou-
‘Peau tu guidas ton peuple par la main de Mote et d’Aaron >, dit le
psalmiste ***, Je ne peux traiter, bien sir, ni des problémes histo-
riques touchant a l'origine de cette comparaison ni de son évolution
dans 1a pensée juive. Je souhaite uniquement aborder quelques
thémes rypiques du pouvoir pastoral. Je voudeais mere en évi-
dence le contraste avec la pensée politique greeque, et montret
importance qu‘ont prise ensuite ces thémes dans la pensée chré-
tienne ec dans les insticutions.
1) Le pasteur exerce le pouvoir sur un troupeau plutét que sur
lune terre. Cesc probablement bien plus compliqué que cela, mais,
d'une maniéce générale, la relation entre la divinié, la cere et les
hommes dffére de celle des Grecs. Leurs dieux possédaient la terre,
* Hymoe& Amon-RE (Le Cae, vers 1430 sven Jess Chis), in Barc (A)
‘Bam (Hom Pte de Bani 6, Pa, Ed C1980,
*#* Pyaumne LXXVII, 70-72, Ancien Testament Tnducton ecuménique de la
Bile, Pais, 6. da Ca 1975p 1338 a
Pare EXXVI 2, pt p58
aMichel Foucault, Dits et levity 1981
cc cette possession originelle déterminait les rapports entre les
hommes et les dieux. En occurrence, cest au contraire la relation
du Dieu-berger avec son troupeau qui est originelle et fonda-
mentale, Diew donne, ou promet, une terre a son troupea.
2) Le pasceur rassemble, guide et conduit son troupeat. L'idée
quill appartenait au chef politique dapaiser les hostiicés au sein de
Ia cité ec de faire prévaloir I'unité sur le confit est sans aucun doute
présente dans la pensée grecque. Mais ce que le pasteur rassemble,
Ce sont des individus dispersés. lls se rassemblent au son de sa voix :
«Je sifflerai et ils se rassembleront. > Inversement, il suffit que le
pasteur disparaisse pour que le troupean séparplle, Aurrement dit,
le troupeau existe pat la présence immédiate et action directe du
pasteur. Site que le bon législareur grec, tel Solon, a réglé Jes
‘confit, il laisse derriere lui une cté forte dotée de lois qui lui per-
merrent de durer sans lui
3) Le eble du pasteur est d’assurer le salut de son troupeau. Les
Grecs disaient aussi que la divinité sauvait lacie; ils ne cessérent
jamais de comparer le bon chef & un timonier maintenant son navire
A Mécart des récifs. Mais la maniére dont le pasteur sauve son crou~
peau est bien différente. Il ne s'agit pas seulement de les sauver
tous, tous ensemble, &l'approche du danger. Tout est une question
de bieaveillance constant, individualisée et finale. De bienveillance
constante, car le pasteur veille & la nourtiture de son troupes; il
pourvoit quotidiennement a sa soif et sa faim. Au dieu grec il était
demandé une terre féconde et des récoltes abondantes. On ne lui
cdemandait pas d'entretenir un troupeau at jour le jour, Ex de bien-
veillance individualisée, aussi, car le pasteur veille & ce que toutes
ces brebis, sans exception, soient rassasiées et sauvées. Par Ia suite,
les textes hébraiques, notamment, ont mis l'accent sur ce pouvoie
individuellement bienfaisane: un commentaire rabbinique sur
VExode explique pourquoi Yahvé fit de Moise le berger de son
peuple: i devait abandonner son troupeau pour partic a la
recherche d'une seule brebis perdue.
‘Last and not least, il agit d'une bienveillance finale. Le pasteur
‘aun dessein pour son troupeau. Il faut sot le conduire & une bonne
paeure, soit le ramener au bercail
4) Il est encore une autre différence qui tient a l'idée que l'exer-
ice du pouvoir st un ¢ devoir >. Le chef grec devait naturellement
prendre ses décisions dans l'intérée de tous; ed-il préféré son incérée
personnel qu'il auraic éré un mauvais chef. Mais son devoir érait un
devoir gloricux: méme sil devait donner sa vie au cours d'une
guerre, son sacrifice était compensé par un don extrémement pré=
8
Michel Foucault, Dits et derits
cicux : Vimmortalicé. I ne perdait jamais. La bienveillance pasto-
fale, en rence, et beaucoup plus proche du « dévoueren >
Tout ce que fait le berger, il le fait pour le bien de son troupeau
(Cest sa préoccupation constante. Quand ils sommeillen, lui eile
Le théme de la ville est important. I fic ressorir deux aspects
du dévouement du pasteur. Ea premier lieu il agi, cravaille et se
‘met en frais pour ceux qu'il nourre et qui sont endormis, En second
liea, il ville sur eux. Il préte attention a tous, sans perdre de vue
aucun d'entre eux. Il est amené a connaiere son coupes dans
Vrensemble, et en detail. Il doie connaitre non seulement I'emplace-
‘ment des bons paturages, les lois des sisons et l'ordre des choses,
‘mais aussi les besoins de chacun en particulier. Une fois encore, un
comments rabiniqu sur IBcde di dans es terme suas
es qualités pastorales de Moise: il envoyait pate chaque brebis &
tour de rle~ bord ls ples ey, pour leur donne 8 bret
TPherbe ta plus rendre : puis les plus agées, et enfin les plus viilles,
capables de brouter I'hetbe la plus coriace, Le pouvoir pastoral sup
pose une attention individuelle & chaque membre du troupeat,
soe sont I que des themes que es exes hebragues asain
aux méeaphores du Dieu-berger et de son peuple-troupenu. Je ne
tivement ainsi dans la société juive avant In chute de Jérusalem. Je
ne pretends méme pas que cette conception du pouvoir politique ést
tun tane soit peu cobérente.
‘Cerne sont que des chémes. Paradoxaux, et méme contradictoires,
Le christianisme devaic leur donner une importance considérable,
tant au Moyen Age que dans les Temps modemnes. De routes les
sociétés de U histoire, les nderes ~ je veux dite celles qui sont appa-
ru eB de T Ang re vers ocdenal da cote
‘européen — ont peut-ttre Ex les plus agressive et les plus cc
fame les ont G€ capabler dela violence la play seupehane,
contre elles-mémes aussi bien que contre les autres. Elles invencérent
tun grand nombre de formes politiques différentes. A plusieurs
reprises elles modifigrent en profondeur leurs structures jutidiques.
1 faur gatder a T'esprit qu'elles seules ont développé une érange
technologie du pouvoir traitane l'ismmense majrité des hommes en
troupet avec une poignge de pastes, Aisi éablren-elles entre
les hommes une srie de rappors compleses, continue ec part
Cese assurément quelque chose de singulier dans le cours de
Iie Le dvloppeese den «abo peso tees
direction des hommes a de toute évidence bouleversé de fond en
comble les structures de Ia société antique
19
1981Michel Foucault, Dits et derits 1981
‘Aussi, afin de micux expliquer l'importance de cette rupture, je
voudrais maintenant revenir britvement sur ce que j'ti dit des
Grecs. Je devine les objections que I'on peut m'adresser.
Lune est que les potmes homériques emploient la métaphore
pastorale pour désigner les rois. Dans I'Viade et I'Odysste, I'expres~
sion poimén lain cevient & plusieurs reprises. Elle désigne les chefs et
souligne la grandeur de leur pouvoir. De surcrot, il s agit d'un titre
rituel, fréquent méme dans la littérature indo-européenne tardive.
Dans Beowulf, le roi est encore considéré comme un berger *. Mais
‘que l'on retrouve le méme titre dans les poémes épiques archaiques,
‘comme dans les textes assyriens, n'a tien de réellement surprenant.
‘Le probléme se pose plutdr en ce qui conceme la pensée grecques
il ex au moins une catégorie de textes qui comporrent des references
aux modeles pastoraux : ce sont les textes pythagoriciens. La méta~
phore du pétre apparait dans les Fragments d'Archytas, cvés pat
Seobée Le erme nor In) et i a mot noma (ase)
le pasteur , la loi assigne. Et Zeus est appelé Nomias et
Nemes pace quil velle aa noutiace de se bebis, En le
magistrat doit éere philanthrapos, Cest-i-dite dépourvu dégotsme. IL
doit se montrer plein d'ardeur et de sollicitude, rel un berger.
Gruppe, I’éditeur allemand des Fragments d'Archytas, soutient
aque cela tcahit une influence hébraique unique dans la littérature
srecque ***, Diautres commentateurs, a V'instar de Delatte, afir-
‘ment que la comparaison entre les dieux, les magistrats et les bet-
gers était fréquente en Gréce ****, Il est par conséquent inutile d'y
insister.
‘Je m’en tiendrai a la liteérature politique. Les résultats de la
recherche sont clairs : la métaphore politique du berger n’apparait
nit chez Isocrate, ni chez Démosthene, ni chez Aristote. C'est assez
surprenant quand on songe que dans son Artopagitique Isocrate
insiste sur les devoirs des magistrats: il souligne avec force qu’ils
1 Bavwalf: rede Gites ( stl), conn parle pote dsc au va sil en dae
lece anglosaxon | Boal, pte angnearone (pemiee caducton fanplse pat
TL Bekine), Have, Lepellce, 187.
‘7 Achy de Twente, Fragment, § 22 (its par Jean Scobe, lorie, 43, 120,
Luipaia, B.G. Teubner, 1856, I, p 138), i Chaigne (A. E), Pythaoreo la Pbile
Inpbie pibaprcene, content let fogs de Phila ob Arcytas, Pass, Didi,
1874
ee Gruppe (0. Unter dit Pragmete der Arbyas und dor alien Pytagoer,
Badin, G. cle, 1840
seee' Dalat (Ay Ese! sor la pliiqe pyhagoieen, Pas, Honoré Champion,
1922
M0
Micbel Foucault, Diss et derite
doivent se montrer dévoués et se préoccuper des jeunes gens *. Et
ourtant, pas la moindre allusion pastoral.
Paton, en revanche, parle souvent du. pasteut-magistat. IL en
évoque l'idée dans le Critias, La République ** ex Les Lois, ec il en
discute a fond dans Le Politique. Dans le premier ouvrage, le theme
du pasteur est assez secondaire. On trouve parfois, dans le Critias,
quelques évocations de ces jours heureux ot 'hummanitéécait direc-
tement gouvernée par les dieux ee paissat sur d'sbondantes péures.
Parfois encore, Platon insite sur la nécessaire vereu du magiserat —
par opposition au vice de Trasimaque (La République). Enfin, le
probleme est parfois de définir le role subalterne des magistats: en
vérit, de méme que les chiens de garde, ils n'ont qu’'a obéir a
<< ceux qui se trouvent au sommet de I'échelle > (Les Lois) #*
Mais, dans Le Politique ****, le pouvoir pastoral est le probleme
central et fait objet de longs développements. Peut-on definir le
décideur de la cité, le commandant comme une sorte de pasteur?
analyse de Platon est bien connue. Pour répondre a cette ques-
tion, il procéde par division. Il établit une distinction entre
homme qui transmet des ordres 4 des choses inanimées (e,g.,
rarchirece) et homme qui donne des ordres aux animaux; entre
homme qui donne des ordres a des animaux isolés (@ un attelage
de boeuf, par exemple) et celui qui commande a des troupeaux; e,
enfin, entre celui qui commande & des troupeaux danimaux et celui
qui commande a des rroupeaux humains. Et nous retrouvons 1a le
chef politique: un pasteur d’hommes.
Mais cette premiere division demeure peu sarisfasance. Il
convient de 1a pousser plus avant. Opposer les hommes & tous les
autres animaux n'est pas une bonne méthode. Aussi le dialogue
tepartil de zéro pour proposer de nouveau coute une série de dis-
‘nccions : entre les animaux sauvages et les animaux domestiques;
ceux qui vivent dans les eaux ee ceux qui vivent sur terre; ceux qui
fone des comes et ceux qui n'en ont pas; ceux qui ont la corne du
pied fendue et ceux dont elle est d'un seul morceau; ceux qui
* Locate, Afmpasitign, in Diseare, «Il (ead, G. Mahies), Pcs, Ley Belles
Lene, « Callin des univers de Fence >, 1942, § 36, p. 72599; 775 $58,
Pie
1° Platon, Gra (aad. A. Rivand, Pars, es Bales Lees, « Cllecion det uni=
verte de France», 1925, 109 b, p. 257-258; M1 ed pp. 260-261, Le Replat
(ad. & Cambey, Pacis Tas Belles Lecce, « Callaon des gniversiés de France >
lime 343 b, p29 ec 343 ed, p32.
Paton, Lar Los, lve X, 906 b (Cad. des Places), Pass, Les Bele Lees,
leon des university de’ Fane > 1951, Xl, 1" pace, p17
Plato, Ls Pliige, 261 b-262 a ed. A. Die), Pass, Les Beles Lees, «Col
Iecion des uaiverités de France >, 1950, pp- 8-3.
1981Micbel Foucault, Dits ef ferits 1981
suvent se reproduire par croisement et ceux qui ne le peuvent pas.
Br le dialogue se pert dans ses inernabls subdivisions.
‘Aussi, que montrent le développemene initial du dialogue et son.
éhec subséquent? Que la méthode de la division ne peut rien prou-
ver du tout quand elle nest pas correctement appliquée. Cela
‘montre aussi que l'idée d'analyser le pouvoir politique comme la
relation entre un berger et ses animaux était probablement assez
controversée a l'époque. En fait, cest la premigre hypothése qui
vient a lesprit des interlocuteurs quand ils cherchent & découvrie
Vessence du politique. Etait-ce alors un lieu commun? Ou Platon
discutaitil plusse d'ua théme pychagoricien? L'absence de la méta-
phore pastorale dans les autres textes politiques contemporains
semble plaider en faveur de la seconde hypothése. Mais nous pou-
‘vons probablement laisser la discussion ouverte .
Ma recherche personnelle porte sur la maniére dont Platon s'en
prend a ce théme dans le reste du dialogue. Il le fait d'ubord au
‘moyen ‘arguments méthodologiques, puis en invoquant le fameux
mythe du monde qui tourne autour de son axe.
‘Les arguments méthodologiques sont extrémement intéressants,
Ce n'est pas en décidant quelles espéces peuvent former un tou
‘peau, mais en analysane ce que fait le berger que I'on peut die si le
foi est ou non une sorte de pasteur.
Qu’est-ce qui caractérise sa viche? Premigrement, le berger est
seul a la téte de son troupeau. Deuxitmement, son travail est de
veiller a la nourtieure de ses bétes; de les soigner quand elles sont
‘malades; de leur jouer de la musique pour les rassembler et les gui-
det; d organiser leur reproduction dans le souci d'obtenit la meil-
leute progéniture. Ainsi retrouvons-nous bel et bien les thémes
typiques de la métaphore pastorale présents dans les textes orien-
Be quelle est la tiche du roi a I'égard de tout cela? Comme le
pasteur, il est seul ala ete de lacité. Mais, pour le reste, qui fournit
4 Thuanié st nour? Leroi? Non, Le cutter, Ie boulan,
xe. Qui s'occupe des hommes lorsqu’ils sont malades? Le roi?
Reo Ue mec, Br qr ls pide pr ln muse? Le mae de
sgymnase ~ et non le roi. Ainsi bien des citoyens pourraientils «x85
Tgitimement préxendre au ttre de < pasteur d'hommes >. Le poli-
tique, comme le pasteur du troupeau humain, compte de nombreux
rivaux. En conséquence, si nous voulons découvrir qu'est réelle-
rent et fondamentalement le politique, nous devons écarter de lui
‘cous ceux dont le flot lenvironne >, et ce faisant démontret en
Quoi il n'est pas un pasceur.
Michel Foucault, Dits et terits
Platon recourt donc au mythe de univers coumant autour de
son_axe en deux mouvements successfs et de sens contraie,
Dans un premier remps, chaque espéce animale appartenait & un
‘toupeau conduit par un génie-pasteur. Le troupeau humain était
conduit parla divinité en personne. Il pouvait disposer 4 profusion
des fruits de la rere; il a'avait besoin d'aucun abri; et, apres la
‘mort, les hommes revenaient a la vie, Une phrase capitale ajoute
«< La Divinité érant leur pasteu, les hommes a’avaient point besoin
de constitution politique *. »
Dans un second temps, le monde tourna dans la direction oppo-
sée, Les dieux ne furent plus les bergers des hommes, qui se rettou-
-varene ds lors abandonnés a eux-mémes. Car ils avaient requ le feu.
Que serait alors le role du politique? Allaie-! devenit pasteur & la
place de la divinité? Pas du tout. Son r6le serait désormais de tisset
tune toile solide pour Ia cité. frre un homme politique ne voulait
pas dire nourir, soigner ce élever sa progéniture, mais associ :
associer différentes vertus; associer des tempéraments contraires
(fougueux ou modérés), en se servant de la < navette » de l'opinion
poplaire, Liart royal de gouverner consistait & tassembler les
vvivants , et tisser ainsi < le plus magnifique de tous ls tissus >. Toute
Ja population, < esclaves et hommes libres, enveloppés dans ses
plis > *
Le Politique apparatt done comme la réflexion de I'Antiquité
lassique la plus systémacique sur le chéme du pastorat, qui était
appelé a prendre tant d'imporance dans !Occident chrétien. Que
nous en discutions semble prouver qu'un ehéme, d'origine orientale
peur-érre, était suffisamment imporeant du temps de Platon pour
mériter une discussion; mais n‘oublions pas qu'il était contesté.
Pas entigrement, cependant. Car Platon reconnaissait bel et bien
au médecin, au cultvateur, au gymnaste et au pédagogue la qualité
de pasteurs. En revanche, il refusait qu’ils se mélassent d'activités
politiques. Tl le dit expliciement : comment le politique trouve-
‘aie-il jamais le temps d’aller voir chaque personne en particulier, de
lui donner & manger, de lui offtir des concers, et de la soigner en
cas de maladie? Seul un dieu de I'ége d'or pourrait se conduire de la
sorte; ou encore, tel un médecin ou un pédagogue, étte responsable
de la vie et du développemenc d'un petit nombre d'individus, Mais,
sinués entre les deux ~ les dieux et les bergers ~, les hommes qui
déxiennent le pouvoir politique ne sont pas des pasteurs. Leur tiche
+ wid, 2716, p25
O° tid, 3116, 7.88.
1981Michel Foucault, Dits et éerits 1981
ne consiste pas a encretenir la vie d'un groupe d'individus. Elle
consiste a former et & assurer I'unité de la cité, Bref, le probleme
politique est celui de la relation entre Lun et la multitude dans le
cadre de la cité et de ses citoyens. Le probleme pastoral concerne la
vie des individus.
‘Tout cela semble, peut-tere, fore lointain. Sijinsste sur ces tex-
tes anciens, C'est qu’ils nous montrent que ce probléme ~ ou plurét,
cee série de problémes ~ s'est posé ets t6e. Ils couvrent Ihistoire
‘occidentale dans sa toraité, et ils sone encore de la plus haute
‘importance pour Ia société contemporaine. Ils ont trait aux relations
centre le pouvoir politique a I'ceuvre au sein de I'Brat en tant que
‘cadee juridique de I'unité et un pouvoir que nous pouvons appeler
< pastoral >, done le re est de veller en permanence a la vie de
tous et de chacun, de les aider, d'améliorer leur sort.
Le fameux < probléme de I'Exat-providence > ne met pas seule
‘ment en évidence les besoins ou les nouvelles techniques de gouver-
rement du monde actuel. II doit ére reconnu pour ce qu'il est:
une des exeréemement nombreuses séapparitions du délicatajuste-
ment entre le pouvoir politique exercé sur des sujees civls et le pou-
voir pastoral qui stexerce sur des individus vivant.
Je n'ai naturellemene pas la moindre intention de retrace I'évo-
lucion du pouvoir pastoral a travers le christianisme. Les immenses
problémes que cela poserait se laissent facilement imaginer : des
problémes doctrinaux, els que le titre de < bon pasteur > donné aut
‘Christ, aux problémes instcutionnels, tels que l'organisation parois-
siale, ou le pareage des responsabilités pastorales entre prétres et
Exéques.
‘Mon seul propos est de mertre en lumidre deux ou trois aspects
«que je tens pour imporeants dans |’évolution du pastorat, i, dans
la technologie du pouvoir.
Pour commencet, examinons la construction théorique de ce
théme dans la lieéracure chrétienne des premiers siécles : Chrysos-
tome, Cyprien, Ambroise, Jér6me, et, pour la vie monastique, Cas-
sien ou Benoft. Les themes hébraiques se trouvent considérablement
transformés sur au moins quatre plans.
1) D’abord, en ce qui concerne la responsabilité, Nous avons vu
gue le pasteur devait assumer la responsabilité du destin du trou-
peau dans sa totalicé et de chaque brebis en particulier. Dans la
conception chrétienne, le pasteur doit rendre compte ~ non seule-
‘ment de chacune des brebis, mais de toutes leurs actions, de tout le
bien ou le mal qu'elle sone suscepribles de faire, de tour ce qui leur
Michel Foucault, Dits et éerits
De surcroft, entre chaque brebis ee son pasteur, le christianisme
congoit un échange et une circulation complexes de péchés et de
sméries. Le péché de la brebis est aussi imputable au berger. Il
devra en répondre au jour du Jugement dernier. Inversement, en
aidant so troupeau & trouver le salut, le pasteur trouvera aussi le
sien, Mais, en sauvant ses brebis, il court le risque de se perdee; s'il
veut se sauver Iui-méme, il doit donc nécessairement court le risque
deere perdu pour les autres. Sl se perd, c'est le roupeau qui sera
‘exposé aux plus grands dangers. Mais laissons ces paradoxes de cbc.
‘Mon but éait uniquement de souligner la force et la complexité des
liens moraux associant le pasteur chaque membre de son trou-
peau, Ex surtout, je voulais rappeler avec force que ces liens ne
concemnaient pas seulement la vie des individus, mais aussi leurs
acres dans leurs plus infimes détails
2) Ta deuxiéme altération imporeante a trait au probléme de
robédience ou de lobtissance. Dans la conception hébrarque, Dieu
ean un past le woupean qu le suit se sourmer 8s voloné ast
Le christianisme, pour sa part, concut la relation entre le pasteur
et ses brebis comme une relation de dépendance individuelle et
compléte. C’est assurément I'un des points sur lesquels le pastorat
ceétien diverge radicalement de la pensée grecque. Si un Grec avait
a obeir, il le faisaie parce que c'érait la loi, ou la volonté de la cié
Sil lui arrivaie de suivre la volonté de quelqu'un en particulier
(médecin, orateur ou pédagogue), cest que cette personne avait
sasionnellement persuadé dele faire, Ec cela devai ée dans un des-
sein stricrement déterminé : se guérit, acquérir une compérence,
faire le meilleur choix.
Dans le christanisme, le lien avec le pasteur est un lien indivi-
duel, un lien de soumission personnelle. Sa volonté est accomplie
‘non parce qu’elle est conforme a la loi, mais, principalement, parce
aque telle est sa olonté. Dans les Insitutions cénobitiques de Cassien,
fon trouve maintes anecdotes édifiantes dans lesquelles le moine
‘rouve son salut en exécutant les commandements les plus absurdes
de son supérieur *. L'obédience est une vertu, Ce qui veut dire
guielle n'est pas, comme chez les Grecs, un moyen provisoire pour
Parvenit & une fin, mais plue6e une fin en soi. Cest un écat per-
‘manent; les beebis doivent en permanence se soumettre& leurs pas-
teurs : sxbditi, Comme le dit saine Benoit, les moines ne vivent pas
suivant leur libre arbitre; leur voru est d'éere soumis a 'autorité
+ Cosi (.), Intiatos cabitiqus (end. JC, Guy, Pati, Ba ds Ce, cl
«Sources cvteeaies >, 0° 109, 1965
Ms
1981Michel Foucault, Dits et terits 1981
d'un abbé : ambulantes alieno judicio ot imperio *. Le chtistianisme
‘grec nommait aparheia cet état d’obédience. Et V’évolution du sens
de ce mot est significative. Dans la philosophie grecque, apatbeia
désigne empire que l'individu exerce sur ses passions grice &
Texercice de la raison. Dans la pensée chrétienne, le pashos est la
volonté exercée sur soi, er pour soi. L'apatheia nous délivre d'une
celle opinidereté
3) Le pastoratchrétien suppose une forme de connaissance part-
culigte entre le pasteur et chacune de ses brebis. Certe connaissance
ct particuliére. Elle individualise. IL ne suffic pas de swoir dans
quel éxat se trouve le roupeau. Il faut aussi connaftre celui de
chaque brebis, Ce théme existait bien avant le pastorat chrétien,
mais il fue considérablement amplifié en trois sens différents : le
berger doit éxre informé des besoins matétiels de chaque membre
ddu eroupeau, et y pourvoir quand Cest nécessaire. Il doit savoir ce
«qui se passe, ce que fait chacun deux ~ ses péchés publics. Last and
tot least, il doit savoir ce qui se passe dans I'ime de chacun deux,
connaitre ses péchés secrets, sa progression sur la voie de la sainteté.
‘Afin de sassurer de cette connaissance individuelle, le christia-
nisme s‘appropria deux instruments essentiels a 'ceuvre dans le
monde hellénique : I'examen de conscience et la direction de
conscience. Il les reprit, mais non sans les altérer considérablement.
Liexamen de conscience, on le sait, était répandu parmi les
pythagoriciens, les stotciens et les épicuriens, qui y voyaient un
‘moyen de faire le compte quotidien du bien ou du mal accompli au
regard de ses devoirs. Ainsi pouvait-on mesurer sa progression sur la
vie de la perfection, ie. la maferise de soi et empire exerce sur ses
propres passions. La ditection de conscience était aussi prédomi-
ante dans certains milieux cultivés, mais elle prenait alors la forme
de conseils donnés ~ et parfoisrétribués — en des circonstances parti-
caligremene difficile : dans laffliction, ou quand on souffrai d'un
revers de fortune.
Le pastorat chrétien associa étroitement ces deux pratiques. La
direction de conscience consticuait un lien permanent: la brebis ne
se laissait pas conduire & seule fin de franchie vicrorieusement quel-
‘que passe dangereuse; elle se laissait conduire & chaque instant. Eere
‘Buidé éaie un érar, et vous étiez fatalement perdu si vous tentiez d'y
échapper. Qui ne soulffre aucun conseil se fetrit comme une feuille
morte, die Péternelle rengaine. Quant @ examen de conscience, son
* Regal Soci Benita Ripe de eit Bunt, ad A. de Vogt, Pais. da
cer, cll «Sources cutsnnes >, w UBL, 1972, chap. ¥: «De Vobéimance des di
ciples >, pp. 465-469),
6
Michel Foucault, Dits ot tsrits
propos n'était pas de cultiver la conscience de soi, mais de lui per-
mettre de s'ouvrir entigrement a son directeur ~ de lui révéler les
profondeurs de lime.
Il existe maints textes ascétiques et monastiques du f" sie sur
le lien entre Ia direction et Vexamen de conscience, et ceux
‘montrent a quel point ces techniques éeaientcapitales pout le chris
sdanisme ec quel était déja leur degré de complexité. Ce que je vou-
Arais souligner, c'est qu'elles traduisent Iappaition d'un tres
éarange phénoméne dans la civilisation gréco-tomaine, cest-a-dire
organisation d'un lien entre l'obéissance totale, la connaissance de
soi et I confession a quelqu'un d'aucre.
4) Il est une autre transformation ~ la plus importante, peu
éxre, Toutes ces techniques chtétiennes d'examen, de confession, de
direction de conscience ec dobédience ont un but: amenet les indi-
vidus a ceuvrer & leur propre « mortification > dans ce monde. La
‘mortification n'est pas la mort, bien sir, mais un renoncement & ce
monde et a soi-méme : une espéce de more quotidienne. Une mort
qui est censée donner la vie dans un autre monde. Ce n'est pas la
premiere fois que nous trouvons le théme pastoral associé a la mor,
‘mais son sens est autre que dans lidée grecque du pouvoir poli-
fique. Il ne s'agit pas d’un sacrifice pour la cité; la mortificaion
chrésienne est une forme de relation de soi a soi. C'est un élément,
tune partie intégrante de lidentité chrétienne.
‘Nous pouvons dire que le pastorat chrésien a introduit un jew
que ni les Grecs ni les Hébreux n’avaient imaging, Un érrange jeu
don es lements sn ve la mor, la vit, Feder, le ind
vVidus, lidentté; un jeu qui semble n'avoir aucun rapport avec celui
Ae act gui sure eaves le sacfice de ses copes, Fa ei
sant a combiner ces deux jeux ~ le jeu de la cié et du cicoyen et le
jeu du berger et du troupeau — dans ce que nous appelons les fats
‘modernes, nos sociétés se sone révélées véritablement démoniaques.
_ Comme vous pouvez Je remarquer, j'ai tenté ici non pas de
résoude un probléme, mais de suggéret une approche de ce pro-
bleme, Celui-c est du méme ordre que ceux sur lesquels je travalle
depuis mon premier livre sur la folie et la maladie mentale. Comme
je Iai die précédemment, il a trait aux relations entre des expé-
fiences (elles que la folie, la maladie, la transgression des lois, la
sexualicé, l'identite), des savoits (tels que la psychiatric, la méde-
cine a iminologi, a clog ta psycholgi) leposvor
(comme le pouvoir qui sexerce dans les institutions psychiatr
ex plnales, asl que dans cous ler nutes income ul mane
du conubie individuel).
1981Michel Foucault, Dits et terits 1981
Note civilisation a développé le systéme de savoir le plus
‘complexe, les structures de pouvoir les plus sophistiquées: qu’a fait
de nous cette forme de connaissance, ce type de pouvoir? De quelle
maniéee ces expétiences fondamentales de la folie, de la soutfrance,
de la more, du crime, du désir et de I'individualicé sont-elles liées,
méme si nous n’en avons pas conscience, a la connaissance et au
pouvoir? Je suis certain de ne jamais trouver la réponse; mais cela
ne veut pas dire que nous devons renoncer a poser la question.
0
‘J'ai tenté de montser comment le christanisme primitif « donné
forme a Y'idée d'une influence pastoral s'exercant contin ment sur
les individus era travers la démonseration de leur verté particule
Er j'ai tenté de moncrer combien cette idée de pouvoir pastoral éxait
Grrangéte a Ia pensée geecque en dépit d'un certain nombre
d‘emprunts tels que V'examen de conscience pratique et la direction
de conscience.
‘Je voudrais maintenant, au prix d'un bond de plusieuts sites,
décrire un autre épisode quia revéea en soi une importance part-
culigre dans histoire de ce gouvernement des individus par leur
propre vérité.
et exemple se rapport la formation de I'ftar au sens moderne
du terme. Si rablis ce rapprochement historique, ce n'est pas, bien
évidernment, pout laisser entendre que l'aspect pastoral du pouvoir
disparut au cours des dix geands siécles de I'Burope chrétienne,
catholique et romaine, mais il me semble que, contrairement &
toute artente, cette période n'a pas éc€ celle du pastorattriomphant.
Fr cela pour diverse raisons : d’aucunes sont de nature économique
~ le pastorat des Ames est une expérience typiquement urbaine, di
ficilement conciliable avec la pauvreté et l'économie rurale extensive
des débuts du Moyen Age. D’aueres raisons sont de nature cultu-
relle: le pastorae ese une technique compliquée, qui requiert un cer~
tain niveau de culture ~ de Ia part du pasteur comme de celle de
son eroupeau, Dautres raisons encore ont erat & la structure socio~
politique. Le féodalisme développa entre les individus un tissu de
liens personnels d'un type «és différent du pastorat.
‘Non que je prétende que I'dée d'un gouvernement pastoral des
hommes ait entizrement disparu dans I'Eglise médiévale. Elle est
cen vérité, demeurée, et l'on peut méme dire qu'elle a fait montre
dune grande vitalice. Dex séries de fats tendent a le prouver, En
[premier lieu, es formes qui avaient éxé accomplies au sein méme
de M'Eglise, en particulier dans les ordres monastiques ~ les dif-
8
Michel Foucault, Dits ot derits
‘erentes réformes opérant successivement i Vintérieur des monas-
teres existants ~, avaient pour bur de rétablir la rigueur de I'ordre
pastoral parmi les moines. Quant aux ordres nouvellement créés
= dominicains er franciscains ~ ils se proposérent avane cout d'ffee-
‘wet un travail pastoral parmi les fidéles. Au cours de ses crises suce
cessives, 'Eglise tentainlassablement de retrouver ses fonctions pas-
torales, Mais il y a plus. Dans la population elle-méme, on assiste
tout au long du Moyen Age au développemene d'une longue suite
de lurtes done Ienjen était le pouvoir pastoral. Les adversaires de
MEglise qui manque a ses obligations rejerent sa structure hiérar~
chique et partent en quéte de formes plus ou moins spontanées de
‘communauté, dans laquelle le troupeau pourrait erouver Ie pasteur
dont il a besoin. Certe recherche d'une expression pastorale revétt
de nombreux aspects : parfois, comme dans le cas des Vaudois, elle
donna liew a des luctes d'une extréme violence; & d'autres occasions,
comme dans la communauté des Fréres de la vie, certe quéte
demeura pacifique. Tantot elle suscita des mouvements de grande
ampleur tels que celui des Hussites, tant6e elle fermenta. des
‘groupes limites comme celui des Amis de Diew de Oberland. 11
Sagit tant6t de mouvements proches de I'hérésie (ainsi des
‘Béghards), tant6t de mouvements orthodoxes remnuants fixés dans le
iron méme de I'Eglise (ainsi des oratoriens italiens au xv" siéce).
J'évoque rout cela de maniéce fore allusive a seule fin de sou-
ligner que, s'il n’éait pas instieué comme un gouvernement effectif
et pratique des hommes, le pastorat fut au Moyen Age un souci
constant et un enjew de luttes incessantes. Tout au long de certe
période se manifesta un ardent désir d’établir des relations pasto-
tales entre les hommes, et cette aspiration affecta aussi bien le cou-
tant mystique que les grands réves millénaristes.
Certs, je n’entends pas tater ici du probléme de la formation des
rats. Je n’entends pas non plus explorer les différents processus
économiques, sociaux et politiques dont ils procédent. Eafin, je ne
prétends pas non plus analyser les difféents mécanismes ec institu-
tions dont les Brats se sont dotés afin d'assucerleut survie. Je vou-
drais simplement donner quelques indications fragmentaites sur
uelque chose qui se trouve a mi-chemin entre IEtat, comme type
organisation politique, et ses mécanismes, & savoir le ype de
rationalicé mise en ceuvre dans Fexercice du pouvoir Etat.
Je Vai évoqué dans ma premitre conférence. Plutot que de se
demandes si les aberrations du pouvoir d’Etat sont dues & des exces
9
1981Michel Foucault, Dits et Ceriss 1981
de rationalisme ou dirationalisme, il serait plus judicieux, je coi,
de s'en tenir at eype spécifique de rationalicé politique produit par
Vat. ard ; poli
‘Aprés cout, a cet égard au moins, les pratiques politiques res-
semblen aux scientifiques: ce nest pas la ruson en général > que
Ton applique, mais toujours un type trés spécifique de ratonalité.
‘Ce qui est frappant, cest que la rationalieé du pouvoir d'fxat
aie réfléchie et parftitement consciente de sa singularté. Elle
r'ézaic point enfermée dans des pratiques spontanes et aveugls, et
ce n'est pas quelque analyse rétrospective qui I'a mise en lumigre.
Eile fut formulée, en particulier, dans deux corps de doctrine : Ia
rai d'brat et la théorie de la police. Ces. deux expressions
acquirent bientdt des sens érois et péjratfy, je le sais. Mais, pen-
dant les quelque cent cinquance ou deux cents ans que prit la for-
‘mation des Etats moderns, elles gardérent un sens bien plus large
aujourd'hui
a doctrine de la son a'featcenta de defn en quoi les pri
cipes et les méthodes du gouvernement éatique different, par
exemple, de la maniére dont Dieu gouvernait le monde, le pére, 58
famille, ou un supéticus, sa communauté, "
‘Quane a la doctrine de la police, elle défint la nacure des objets
de Facivi ain de Eat ele dfn a maar ds objec
wil poursut, la forme générale des instruments qu'll emploie.
Case done de ce sjttme de rationale que je voudeis parler
maintenant, Mais il fae commences par deux primis
1) Meinecke ayane publié ua live des plus imporants su la raison
Wier fe pat esenellement de la heone de police
2) L’Allemagne et ale se heureérent aux plus grandes diffculeés
ppour se consituer en Eras, et ce sone ces deux pays qui produisient
fe plus grand nombre de réflexions sur la raison d'Eeat et la police.
Je renverrai donc souvent 4 des textes itaiens et allemands
Commencons pat Ia raison d'Eeat, dont voici quelques définitions :
Borero : < Une connaissance parfuite des moyens a travers les-
yuels les Exats se forment, se renforcent, durent et croissent **. >
Palazzo (Discour sur le gouvernement ola véitable ris d'Bat,
+ Meineke (), Die lve dor Saatrtion in der neater Gucci, Bedi, Olen-
bousg, 1924 (le dele avon eB da Pte der temps modems, a. M. Che
Genéve, Dior, 1973)
‘Boer (G), Dele rained Sate dit li, Rome, V. Pagal, 1590 (Raion
et Goueroment Eaton di lt, ead, G. Chapenys, Pus, Guillaume Cade,
1399, lvee I: « Quale dose est In exison Bat >, P.
130
Michel
sult, Dits et derits
1606): < Une méthode ou un art nous permertant de découvrir
comment faire régner Vordre et la paix au sein de la Répu-
blique *. >
‘Chemnitz (De ratione status, 1647): « Certaine considération
politique nécessaire pour toutes les affaires publiques, les conseils et
Jes projets, dont le seul but est la préservation, I'expansion et la fli
cité de I'Etar; quelle fin I'on emploie les moyens fes plus rapides
et les plus commodes **. »
Arrétons-nous sur certains traits communs de ces définitions.
1) La raison d’ftat ese considérée comme un < art >, est-i-dire
uune technique se conformant a cereaines régles. Ces régles ne
‘egardent pas simplement les courames ou les traditions, mais aussi
la connaissance ~ la connaissance rationnelle. De nos jours, I'expres-
sion raison d’Etat évoque I’ « anbitrare > ou la < violence >. Mais,
époque, on entendait par la une rationalité propre a l'art de gou-
verner les Etats.
2) D’od cer art de gouverner tire-t-i sa raison d’éere? La réponse
a cette question provoque le scandale de la pensée politique nais-
sante. Br, pourtant elle est fort simple: 'art de gouvemer est
rasionnel, sila réflexion I'améne a observer la nature de ce qui ese
gouveré ~ en Foccurrence, I Etat.
Or proféret une telle platitude, c'est rompre avec une tradition
‘our a la fois chrétienne et judiciaire, une tradition qui prétendait
que le gouvernement était fonciérement juste Il respectat rout un
systéme de lois : lois humaines, loi naturelle, loi divine.
UL existe a ce propos un texte rds révélateur de saint Tho-
‘mas ***, Il rappelle que ¢ l'art, en son domaine, doit imiter ce que
la narure accomplit dans le sien >; il n'est raisonnable qu'a cette
condition. Dans le gouvernement de son royaume, le roi doit imicer
le gouvernement de la nature par Diew; ou encore, le gouvernement
du corps par lime. Le roi doie fonder des cités exactement comme
* Palazzo (G. A), Dior dl goers «della ragins vedi Sen, Verse, G. de
Franceschi, 1606 (Disord government del roto sae Ba, ta A de Vale
‘ies, Douay, Bakazar Bele, 1611, I” pace: « Des cues et pares da ouverne.
‘ment >, chap. m: « De le niton die» pI)
$* Chesnie (B. P. vo), Disetaic de Ratione Stns in Inpro errs rma
_germaxice (pamphlet publi sous le penadonyme d Hippolchas a Lpice, Pars, 1647
Insts de prince Allemagne, 0 Po ate gue ett eet emp, la rion dba a
ant lagu i! derait ti gover nd. Borgo da Chase, Pass, 1712, C1.
omsideraions gata ar la ran Est. De La raion dat vga, 2, 12)
‘7 Saine Thomas Aqui, De regimine Principio ad gem Cyr (1260), Uerech
IN. Keselas ec G. de Lempe, 1473 (Dx guaromement rye trad Rogue, Pa Ed
de. Gare foie cl < es Mate ea pique sae» 1956, 9-
).
1981Michel Foucault, Dits ef derits 1981
Dieu créa le monde ou comme I'ime donne forme au corps. Le roi
doit aussi conduite les hommes vers leur finalité, comme Diet le
faic pour les écres natuels, ou comme I'ime le fait en dirigeant le
corps. Ft quelle ext la finalicé de l'homme? Ce qui est bon pout le
corps? Non, Il n’aurait besoin que d’un médecin, pas d'un roi. La
richesse? Non plus. Un régisseur sufficait. La vérite? Méme pas.
Pour cela, seul un maitce ferait V'afaire. L’homme a besoin de
quelqu'un qui soie capable d'ouvrir la voie& la félicicé célesre en se
conformant, ic-bas, & ce qui est honertum.
Comme nous pouvons le voir, l'art de gouverner prend modéle
sur Dieu, qui impose ses lois & ses créarures. Le modéle de gouver-
rnement rationnel avance par saint Thomas n'est pas politique, tan-
dis que, sous lappellation « raison d’Etat >, les xvi et xvi siécles
recherchérent des principes suscepribles de guider un gouvernement
pratique. Ils ne sincéressent pas a la nature ni a ses lois en général
Ts stintéressent & ce qu’est I'Eeae, a ce que sont ses exigences.
Ainsi pouvons-nous comprendre le scandale religieux soulevé par
ce type de recherche. Cela explique pourquoi la raison d’Brar fat
assimilée a Tathéisme. En France, notamment, cette expression,
apparue dans un contexte politique, fut communément qualifice
dicathée>
3) La raison d'ftar s‘oppose aussi a une autre tradition. Dans
Le Prince, le probléme de Machiavel est de savoir comment l'on
peut procéger, contre ses adversares intérieurs ow extérieurs, une
province ou un cerrtoire acquis par Vhéricage ou la conquéte *.
Toute Ianalyse de Machiavel cente de définir ce qui entretient ou
renforce le lien entre fe prince et I'Erat, tandis que le probléme
pposé par Ia raison d'Eeat ese celui de l'existence méme et de la
nature de I'Etat. Cest bien pourquoi les théoriciens de la raison
Era s'efforcérent de reser aussi loin que possible de Machiavel;
celui-ci avait mauvaise réputation, et ils ne pouvaient reconnaftre
son probléme comme leut. laversement, les advetsires de la raison
d'ftac tentérent de compromerre ce nouvel art de gouverner, en
dénongant en lui I'hétitage de Machiavel. En dépit des querelles
confuses qui se développérent un sigcle aprés la rédaction du
Prince, la raiton d'Etat marque cependant l'appariion d'un type
de rationalité extrémement quoique en partie seulement ~ dif-
ferent de celui de Machiavel
Le dessein d'un tel are de gouverner est précisément de ne pas
enforcer le pouvoir qu'un prince peue exercer sur son domaine. Son
1 (8). U Price Rowe, Bado, 1332 CL Prin, en Raves, suv
ati, Garier, 1960)
Michel Foucault, Dits e brits
but est de renforcerI'fra lui-méme. C'est Ia Pun des traits les plus
caractéristques de toutes les definitions mises en avant aux xv et
xvi siécles, Le gouvernement rationnel se résume, pour ainsi dire, &
ceci: étant donné la nature de I'Etat, il peut tertasser ses ennemis
pendant une durée indéterminée. Il ne peut le faire qu’en aug-
‘mentant sa propre puissance. Er ses ennemis en font autant. L'Etat
dlone le seul souci serait de durer finite eréscertainement en cata~
serophe. Cette idée ese de la plus haute importance et se ratache &
une nouvelle perspective historique. En fait, elle suppose que les
Etats sont des réalivés qui doivent de route nécesicé eésister pendant
une période historique d'une durée indéfinie dans une aire géo-
‘graphique contesée.
4) Enfin, nous pouvons voir que la raison d’Etat, au sens d'un
gouvernement tationnel capable d'acrote la puissance de I'Erat en
accord avec Iui-méme, passe pa la consticution préalable d'un cet-
tain type de savoir. Le gouvemement n'est possible que si la force
de I'Brat est connue; ainsi peutelleéte entretenue, La capacité de
Etat et les moyens de Paugmenter doivent aussi ére connus, de
sméme que la force et la capacieé des aueres Etats, Lat gouverné
doic en effet résister contre les autres. Le gouvernement ne saurait
donc se limite la seule application des principes généraux de cai-
son, de sagesse ex de prudence. Un savoir est nécessaire : un savoir
concret, précis ex mesuré se rapportant ala puissance de 'Era. Last
de gouverne, caracréristique de la raison d'Eat, est intimementlié
au développement de ce que l'on a appelé statistique ow arith-
métique politique — c'est-d-dire a la connaissance des forces respec-
tives des différents Etats. Une telle connaissance était indispensable
au_bon gouvernement
Pour nous résumer, la raison d’Etat n'est pas un att de gouveret
suivant les lois divine, naturelles ou humaines. Ce gouvernement
1'a pas & respecerl'ordre général du monde. I s'ait d'un gouver-
rnement en accord avec la puissance de I'Eta, Cest un gouveme-
ment dont le but est d'accroftre cette puissance dans un cadre
‘extensif et compétitif.
Ge que les aureurs des xvu' et xvun" sides entendent par la
« police » esters différent de ce que nous mettons sous ce terme. Il
vvaudrait la peine d’écudier pourquoi la plupare de ces auteurs sont
‘lien ou llemands, mais “quimpore! Par , il
nentendent pas une institution ou un mécanisme fonctionnant au
sein de 'Ecar, mais une technique de gouvernement propre a I'Etac;
13
1981Michel Foucault, Dits et terits 1981
des domaines, des techniques, des objectifs qui appellent I'incer-
vention de I'Btat.
Pour étre clair et simple, jilluscrerai mon propos par un texte
aqui tient a la fois de I'uropie et du projet. Cest 'une des pre-
‘igtes utopies-programmes deat policé. Turquet de Mayerne la
‘composa et la présenca en 1611 aux états généraux de Hollande *.
Dans Science and Rationalism in the Government of Loxis XIV **,
J. King attire I'stention sur importance de cet éxrange ouvrage
dont le titre, Monarchie aristodémocratique, suffit & montret ce qui
compre aux yeux de lauteur: il s'agit moins de choisit entre ces
différents types de constitution que de les assortir en vue d'une fin
Vinle: Pat. Tarquet la nomme aussi Cité, République, ov
encore Police.
‘Voici organisation que propose Turquet. Quatre grands digai-
taires secondent le roi. Lun est en charge de la justice; le
deuxitme, de l'armée; le erosiéme, de l'échiquier, cest-a-dire des
impérs et des ressources du roi; et le quatriéme, de la police. I
semble que le rble de ce grand commis da éere essentiellement
moral. D'aprés Turquet, il devait incalquer & la population < la
modeste, la charté, la fidélité, Fassiduié, la coopération amicale
et honnéceté ». Nous reconnaissons la une idée traditionnelle: la
vertu du sujet est le gage de la bonne administration du royaume.
Mais, lorsque nous entrons dans les détails, la perspective est un
peu difference
“Turquet suggéte 1a création dans chaque province de conseils
chargés de maintenit ordre public. Deux veilleraient sur les pet-
sonnes; deux autres sur les biens. Le premier consel s'occupant des
personnes devai veller aux aspects posits, acifs et producti de la
vie. Autrement dit, ils’occuperait de léducation, déterminerait les
goats ec les apticudes de chacun et choisirat les méviers — les
‘métiers utiles: route personne de plus de vingt-cing ans devait ére
inscrite sur un registte indiquant sa profession, Ceux qui n'éraient
pas utilement employés étaient considérés comme la lie de la
socée.
Te deuxidme conseil devaie s'occuper des aspects négatifs de la
vie : des pauvres (veuves, orphelins, vieilards) nécessiteux; des per~
sonnes sans emploi; de ceux dont les activités exigeaient une aide
ppécuniaire (ee atnrquels on ne demandaie aucun intérée); mais aussi
+ mae Tu, Le Monaro mm
ot dr orm egies pin, Pain J Be, 6
rte in Gs Lima nl te Goer of Lat 1, aire, The
Joes Hope Pr 1588
1
Michel Foucault, Dits et ferits
de la santé publique ~ maladies, épidémies ~ et accidents tels que
les incendies et les inondations
‘Lun des conseils en charge des biens devaie se spécialisr dans les
‘marchandises et produits manufactures. Il devait indiquer quoi pro-
dire ec comment le fate, mais aussi contrler les marchés et le
commerce. Le quatriéme conseil villesit au < domaine >, ie, au
terrtoie eta 'espace, contrlant les biens priv, les legs, les dona~
tions et les vente; réformant les droits seigneuriaux; et s occupant
des routes, des fleuves, des édifices publics et des forés.
A bien des égards, ce texte s'apparente aux utopies politiques si
nombreuses &I'époque. Mais il est aussi contemporain des grandes
discussions chéoriques sur la raison dat et organisation adminis-
tracive des monarchies. Il est hautement représencatif de ce que
devaient éte, dans Vesprie de l'époque, les eiches d'un Ezat gout
verné suivant Ia tradition.
Que démoneee ce texte?
1) La police > apparait comme une administration dirigeant
V'Etat concurremment avec la justice, l'armée et l'échiquier, Cest
vrai. En fait, poureant, elle embrasse tout le reste. Comme
Vexplique Turquer, elle tend ses activités a toutes les situations, &
tout ce que les hommes fone ou encreprennent. Son domaine
comprend la justice, la finance et W'atmée,
2) La police englobe cout. Mais d'un poine de vue exteémement
particulier. Hommes et choses sont envisagés dans leurs rappors: la
coexistence des hommes sur un tertitoire; leurs rapports de pro-
priété; ce qu’ils produisenc; ce qui s'échange sur le marché, Elle
STincéresse aussi a la maniere done ils vivent, aux maladies et aux
accidents auxquels ils sont exposés, C'est un homme vivant, actif et
productif que la police survelle. Turquet emploie une remarquable
expreson: homme et le véiable obje dela ple, alee ei
3) Une relle intervention dans les activités des hommes pourrait
bien étre qualfige de toaltaire. Quels sone les buts poursuivis? Is
relévent de deux categories. En premiet lieu, la police a affaire avec
tout ce qui fait Lomementation, la forme et la splendeur de la cié.
1a splendeur ne se rapporee pas uniquement a la beauté d'un Brat
onganisé a la perfection, mais aussi @ sa puissance, a sa vigueur,
Ainsi la police assure-t-elle la vigueur de I'Eeat ec la metelle au
premier plan. En second lieu, autre objectif de la police est de
développer les relations de ‘travail et de commerce entre es
hhommes, au méme titre que Vaide et V'assiseance mutuelle, Li
* Mayerne L Turquee 42), oP cit tive tt, p 208.
1981Michel Foucault, Dits ot ferits 1981
encore, le mot qu'emploie Turquet est important: Ia politique doie
asuret la < communication > ene les hommes, a sens large du
terme, Sans quoi les hommes ne pourtaient vivre; ou leur vie serait
petcaire, mistable et perpétuellement menacée.
"Nous pouvonsteconnaftre li, e ris, ce qui es une idée impor-
‘tante. En tant que forme d’ intervention rationnelle exergant le pou-
voir politique sur les hommes, le rle de la police ext de lear donner
tn peti supplément de ve; et, ce faisane, de donner &I'Erac un peu
plus de force. Cela se fait par le contréle de la < communication >,
Cest-a-dire des activités communes des individus (travail, produc-
tion, échange, commodités).
Vous objecterez : mais ce n'est que I'utopie de quelque obscur
auteur. Vous ne pouvez guére en déduire la moindre conséquence
significative! Pour ma part, je pretends que cet ouvrage de Tur-
quet n'est qu'un exemple d'une immense liteérature circulant dans
Ia plupare des pays européens de Iépoque. Le fie qu'il sie exces-
sivemen simple et pourant fort désaillé met en évidence on ne
peut plus cairement des caractéristiques que l'on pouvait
‘reconnaftre partout, Avant rout, je dirais que ces idées ne furent
pas morenées. Elles se diffusérent cout at long du xvi" & du
xvur' siécle, soit sous la forme de politiques concrétes (telles que le
caméralisme ou le mercantilisme), soit en tant que matiéres a
enseignement (la Polieiwisenchaftallemande; n’oublions pas que
est sous ce tite qu'éaie enseignée en Allemagne la science de
T'administration). o a
Il ese deux perspectives que je voudras, non pas érudier, mais
cout tu mioing suggter Je commence par me ‘ifrer A un
compendium administatf francais, puis aun manuel allemand.
1) Tout hstorien coanat le compendium de De Lamare Au
début du xvur' siécle, cet administrateur entreprit la compi tion
des 1eglements de police de cout le royaume. C'est une source iné-
puisable d'informations du plus haut intérét, Mon proposes ici de
‘moncrer la conception éaérale de la police qu'une tlle quanceé de
teples ex de réglements pouvait fate natre chez un administatcur
comme de Lamare
De Lamare explique quil est onze choses sur lesquelles la police
dloit veiller &inévieur de I'Eea: 1) la eeligion; 2) 1a moralté;
5) la santé; 4) les approvisionnements; 5) les roues, les pons et
hausstes, et les edifices publics; 6) la sécurité publique; 7) les
fats liberaux (en gros, es ars et les sciences); 8) le commerce;
‘ Lamare QM. de), rw de le alice, Paci Jean Cot, 1705, 2 vo
136
Michel Foucault, Dits et lerits
9) es fabriques; 10) les domestiques et hommes de peine; 11) les
pauvres,
La méme classification caractéise tous les eraités relatifs a la
police. Comme dans le programme utopique de Turquet, excep-
tion faite de 'armée, de Ia justice & proprement parler et des
contributions directes, la police veille apparemment a cout, On
peut dite la méme chose différemment: le pouvoir royal s'était
affirmé contre le féodalisme grice l'appui d'une force armée,
ainsi qu'en développant un systéme judiciaire et en écablissant un
systéme fiscal, Cest ainsi que sexercaittraditionnellement le pou-
voit royal. Or la police > désigne l'ensemble du nouveau
domaine dans lequel le pouvoir politique et administratif centra~
lise peut incerveni.
Mais quelle est donc la logique & V'ceuvre dertiére intervention
dans les ites culturels, les techniques de production a petite échelle,
la vie intellectuele et le réseau routier?
La sponse de De Lamare parait un tantinet hésitante. La police,
précise-il en substance, veille & tout ce qui touche au bonbenr des
hommes, aprés quoi il ajoue : la police velle a tout ce qui régle-
mente la socitvé (les rapporss sociaux) qui prévaue
hommes *. Et enfin, assure-til, la police veille au vivant
sur cette définition que je vais martarder. C'est la plus originale, et
elle éclaite les deux autres; et de Lamare lui-méme y insite. Voici
quelles sone ses remarques sur les onze objets de la police. La police
soccupe de la religion, non pas, bien sir, du point de vue de la
vvérité dogmatique, mais de celui de la qualité morale de la vie. Ea
veillane a la santé et aux approvisionnements, elle s'applique pré=
server In vie; s'agissant du commerce, des fabriques, des ouvriers,
des pauvres ex de l'ordte public, elle s'occupe des commodités de la
En veillane au chédere, a la litérature, aux spectacle, son objet
n'est auere que les plaisirs de la vie. Bref, la vie ext l'objet de la
police: 'indispensable, I'utile ec le superflu, C'est a la police de
ermettre aux hommes de survivre, de vivre et de faire mieux
encore
‘Ainsi retrouvons-nous les autres definitions que propose de
Lamare:: Ie seul et unique dessein de la police est de conduire
homme au plus grand bonheur done il puisse jouir en cette vie. Ou
encore, la police prend soin du confore de I'ame (grice a la religion
€¢ la morale), du confort du comps (nourrieue, santé, habillement,
logement), et de la tichesse (industrie, commerce, main-<'ceuvte),
id, ize, capt, Be.
thd, ps
1981Michel Foucault, Dits et ferits 1981
(u enfin, Ia police ville aux avantages que on ne peut tr que
de la ie cn vce,
2) Jetors mntenant un coup il sur les manus allemand
Ils devaient étre employés un peu plus tard pour enseigner la science
de Tadminieadoes Cx encgnement fut epenst cs dives
chives, en purus 1 Goringen, et reveot une imporance
‘arte por Europe connenaee Cet W que free formes es
foncrionnaites prussiens, auttichiens et russes — ceux qui devaient
accompli ley coemes de Joseph Ie de la Gande Cathie, Cer
tains Francais, dans lentourage de Napoléon notamment, connais-
‘Sen fore bien les tine de le Plettuencbof
ue rouraivon dans co manus?
Siesta iolitia *, Hlohenthal distingue les cubeiques
suivant Te nombre det copes; a teligion cela morality la
Sane our afer des pesonnes x des bins (en par
caulier par rapport aux incendies et aux inondations); I'administra-
don dl jit les agement ce plain des coyens comment
ts poauer, comment les modtte Sut aor tuts une ste de
chaptac su ley Neves, es fr, es mines, es saline loge
tnen afin pseu apie sures dient moyen dae
ar des bien pur Fagicalare, Tindusie ou le nego.
Dans aon Alig dla folie **, Willebrand bord sucesive
men a mori aac mdi la at ln uc dee
rier, les édifices publics et Turbanisme. En ce qui conceme les
sues sour au mos, iy a pas grande fence avec lie de
De Tamar
Mai de cous cx exe, le pls impor ext celui de Joi,
Elements de police ***. Lobjet spécfique de la police rete défini
commen een it Pins ans Vo J pe
ttanmoins on ouvrage de maite un pe afte, I commence
par ude ce qui appele les « bienfonds de Vat > cesta
tr sone Teg ne sonic
up les campagne Puls qui sons habeas Coombe,
Epinaner démographige, sant, morale, immigrcon), Ps
on ust anus ey css eres ales tarchandies, tet
produits manufacturés, ainsi que leur circulation qui souleve des
+ aa Lie dpa pein cna
tin ot jae dient, Leg. G- Hist, TTT
‘Tilebcn JP), Mb a l,m fern Paersizoment
te ils, Mambots iene, 1765 "
‘Mt JH. Gonlobe toe), Gods der Paley Winenbafi, Ging,
1 Vu den Hoc, 1736 Clits fons de i a. M, Ts Pai Roe
theo.
Michel Foucault, Dits et derits
problémes couchant a leur codt, au crédie et & Ja monnaie, Enfin,
Ja demitee partie est consacrée a a conduite des individus : leur
moralité, leurs capacités professionnelles, leur honnéteté et leur res-
pect de la loi
‘A mon sens, Vouvrage de Justi est une démonstration beaucoup
plus fouillée de lévolution du probleme de a police que lintro-
duction de De Lamare a son compendium de réglements. Il y a
quatre raisons a cela
Premitrement, von Justi définit en termes bien plus dlairs le
paradoxe central de la police. La police, explique-til, est ce qui
permet a I’Eat d'accroitre son pouvoir et d'exercer sa puissance
dans toute son ampleur, Par ailleurs, la police doit garder les gens
heureux ~ le bonheur érant compris comme la surve, la vie et une
vie améliorée *. Il définic parfaivemene ce qu'il tient pour le but
de are modeme de gouvemner, ou de la rationalité éatique : déve-
lopper ces éléments constitutifs de la vie des individas de telle
sorte que leur développement renforce aussi la puissance de I’Etat.
Puis von Justi établic une distinction entre cette téche, qu’a
Vinstar de ses contemporains il nomme Polizei, et la Polisi, Die
Politik. Die Politik est foncitrement une efche négative. Elle
consiste, pour I’Etat, a se battre contre ses ennemis de lintérieur
comme de I'extéricur. La Polizei, en revanche, est une tiche posi-
tive : elle consiste a favoriser ala fois la vie des citoyens ef la
vigueur de I'Bex.
‘On touche 1a au point important: von Justi insiste bien plus
gue ne le fait de Lamare sur une notion qui devait prendre une
imporcance croissante au cours du xvut siécle ~ la population. La
population érait définie comme un groupe d'individus vivants.
Leurs caractétistiques étaient celles de tous les individus apparce-
nant a une méme espéce, vivant ote a cbte. (Ainsi se caractéri-
saient-ils par des taux de mortalité et de fécondité; ils étaient
sujets & des épidémies et a des phénoménes de surpopulation; ils
préseneaient un certain type de tépartition terticoriale,) Certes, de
Lamare employait le mot < vie > pour définir 'objet de ta police,
ais il n'y insistait pas outre mesure. Tout au long du xvut siecle,
surtout en Allemagne, c'est la population ~ ie. un groupe
d'individus vivants dans une aire donnée — qui est définie comme
objet de la police.
Enfin, il sufft de lite von Justi pour s'apercevoir qu'il ne s‘agit
pas seulement d'une utopie, comme avec Turquet, ai d'un
compendium de réglements systématiquement répertoriés. Von
tid, teroeson: «Prncipes glndeaux de poe», §2-3, p. 18.
1981Michel Foucault, Dits et lets 1981
Justi préend élaborer une Polzeiwisienschaft. Son livre n'est pas
tine simple liste de prescriptions. C'est aussi une grille a travers
laquelle on peut observer I'Etar, cesticdire son tericoir, se res-
sources, sa population, ses villes, etc. Von Justi associe la « statis-
tique > (la description des Fats) et l'art de gouverner. La Polizei-
twitenschaft es rout a la fois un art de gouvemner et une méthode
ur analyser une populasion vivant sur un cerioire.
Pe ells consideration historique doivent paaie es lin-
tains; elles doivent sembler inutiles au regard des préoccupations
actuelle, Je a’iais pas aussi Join que Hermann Hesse, qui affirme
{que seule ese fEconde la « référence constante & histoite, tu passé
ce: A TAntiquité ». Mais 'expérience m'a appris que I'histoie des
diverses formes de rationalité réusst parfois mieux qu'une critique
abstrate & ébcanler nos certcudes et notre dogmatisme. Des sitles
durant, la religion a'a pu supporter que I'on racontt son histoit.
“Aujourd'bui, nos écoles de rationale n’apprécent guére que Yon
fecive leur histoire, oe qui ese sans doute significa
Ge que jai voulu monerer, cest une direction de recherche. Ce
ne sont la que des rudiments d'une érude sur laquelle je ravalle
depuis maiatenane deox ans. Il s'agie de analyse historique de ce
‘que nous appellerions, d'une expression désuéte, l'art de gouver-
Cecte écude repose sur un certain nombre de postulats de base,
ue je résumerais de la manigre suivante
1) Le pouvoir n'est pas une substance. Il n'est pas non plus un
smystéieux aeeibue dont il faudraiefouiller les origines. Le pouvoir
s'est qu'un wype particulier de relations entre individus. Ec ces
relations sone spécifiques : autrement dit, elles n'ont rien a voir
avec l'échange, la production et la communication, méme si elles
leur son ascites. Le ic dsinif da pou, cet qu cerains
hommes peuvent plus ou moins entgrement décerminer la
Conduite dues hommes ~ mas jamais de maniee exhaustive 01
coerctive. Un homme enchainé et bareu est soumis a la force que
Ton exerce sur ui. Pas au pouvoir. Mais si on peut lamenee a par-
lee, quand son ultime recours aurait pu éere de cenir sa langue,
préférant la more, cese donc qu’on ’a poussé se comporter d'une
certaine maniéee. Sa iberé a éc assujettie au pouvoit. I a &€ sou-
mis au gouvernement. Si un individu peut rester libre, si limitée
aque puisse ére sa liberté, le pouvoir peut I'assujettir au gouverne-
ment. Il n'est pas de pouvoir sans refus ou révolte en puissance
2) Pour ce qui est des relations entre hommes, maints facteurs
<écerminent le pouvoit. Et, pourtane, a rationalisation ne cese de
160
Michel Foucault, Dits et ferits
oursuivre son ceuvre et revér des formes spécifiques. Elle difitre
de la rationalisation propre aux processus économiques, ou aux
techniques de production et de communication; elle difidre aussi
de celle du discours scientifique. Le gouvernement des hommes
par les hommes ~ qu’ils forment des groupes modestes ou impor-
fants, qu'il s'agisse du pouvoir des hommes sur les femmes, des
adulees sur les enfants, d'une classe sur une autre, ou dune
bureaucratic sur une population — suppose une certaine forme de
tationalité, et non une violence instrumentale.
3) En conséquence, ceux qui résistent ou se rebellent contre une
forme de pouvoir ne sauraient se contentet de dénoncer la violence
ou de critiquer une institution. Il ne suffie pas de faite le procés de
la raison en général. Ce qu'il faut remettre en question, c'est la
forme de rarionalité en présence. La critique du pouvoir exercé sur
les malades mentaux ou les fous ne saurait se limiter aux insticu-
dons psychiatriques; de méme, ceux qui contestent le pouvoir de
Punir ne sauraient se contenter de dénoncer les prisons comme des
institutions rorales. La question est : comment sont rationalisées les
relations de pouvoir? La poser est la seule facon d’éviter que
autres insticutions, avec les mémes objectifs et les mémes effes,
ne prennent leur place.
4) Des siécles durant, l'Btar a écé Vune des formes de gouver-
nement humain les plus remarquables, l'une des plus redoutables
Que la critique politique ait fai grief & "feat d’éete simultané-
‘mene un facteur d'individualisation et un principe totalitaire est
fore cévélateur. Il suffic d'observer Ia rationalité de Exar naissant
ct de voir quel fur son premier projet de police pour se rendre
compte que, dés le rout début, I'Ecat fur a la fois individualisane
et toralitaire. Lui opposer lindividu et ses intéréts est tour aussi
hhasardeux que lui opposer la communauté et ses exigences
La rationalité politique s'est développée et imposée au fil de
histoire des sociéeés occidentales. Elle s'est d’abord enracinge dans
Tide de pouvoir pastoral, puis dans celle de raison d'Etat. Liindi-
vidualisation et Ja totalisation en sont des effets inévitables. La
liberation ne peut venir que de I'attaque non pas de l'un ou laure
de ces effets, mais des racines mémes de la rationalité politique.
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