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Cloche d'Or: Roman
Cloche d'Or: Roman
Cloche d'Or: Roman
Ebook308 pages4 hours

Cloche d'Or: Roman

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About this ebook

Personnage singulier que ce "Cloche d'Or" : discret, rugueux, calme, mystérieux. Vagabond de la campagne, clochard des grottes et des granges désaffectées, éternel voyageur parmi les sapinières des montagnes franc-comtoises et des pâturages du Haut-Doubs, il sait se mêler à la foule parisienne lorsque la jolie Dariane, cadre dans une agence de casting publicitaire, lui propose un contrat en or pour passer à la télévision.
Finalement il refuse la proposition puisqu'il ne sait être heureux que dans les villages et les chemins de sa terre natale dans la vallée de La Loue et sur sa roche d'Hautepierre.
Toutefois il conseille à Dariane de prendre contact avec sa soeur Barbara pour qu'elle le remplace devant la caméra.
LanguageFrançais
Release dateMay 14, 2024
ISBN9782322512812
Cloche d'Or: Roman
Author

Jacky Coulet

Révolté par l'arrogance des gens riches et trop bien protégés, Jacky Coulet a préféré quitter son métier de banquier pour vivre libre et créer un restaurant-café-cabaret au coeur du Jura, accompagné de sa famille. Il écrit alors des pièces de théâtre et joue la comédie dans sa guinguette campagnarde, privilégiant la tradition régionale et le bon vivre paysan d'autrefois. C'est l'esprit fantasque qui supplante aujourd'hui le clown dans ses premiers longs manuscrits. Sexagénaire, il a maintenant le passé et l'avenir pour écrire sur la complexité des êtres et des sentiments, noircir des pages sur ses incertitudes avec des mots brodés de rêve et de merveilleux.

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    Cloche d'Or - Jacky Coulet

    1

    — Les artistes ont-ils autant de besoins ? Vedettes nationales reconnues, voire internationales, faut-il qu’elles grattent encore de l’argent en se montrant dans des pubs à la télé ? Du fric, du pèze, du pognon, toujours plus !

    Ainsi interrogeait Dariane, cadre dans une agence publicitaire parisienne. Ses yeux bleus finement maquillés fixaient l’un après l’autre ses collègues assis autour de la table de la salle de réunion. Dominique, le patron de l’agence brisa le silence après l’instant de réflexion générale :

    — Quel message veux-tu faire passer, s’il te plait, Dariane ?

    La jeune trentenaire, ses cheveux blonds frôlant son cou et sa nuque, se leva et s’avança vers l’écran plat qui recouvrait tout le mur du fond, comme une élève qui doit s’expliquer devant le grand tableau noir. Elle s’exprima d’une voix décidée :

    — Un artiste est riche, nul besoin de l’enrichir encore plus, ce n’est pas notre rôle. Je sais que c’est utile pour notre agence, c’est vrai que le public s’approprie l’image de la célébrité, accepte plus facilement le message publicitaire. Puisque Georges Clooney boit ce café, c’est qu’il doit être bon. OK, je comprends, mais notre époque demande des valeurs. De plus en plus de monde souhaite de l’écologie, de la solidarité. Ne nous trompons pas. Notre clientèle attend de la créativité. Le public devant sa télévision, s’il est encore abruti par toutes ces publicités, est prêt à accepter celles-ci lorsque cela correspond à ses valeurs. À part les admirateurs de télé-réalité, les gens veulent frissonner sur des images qui les interpellent vraiment. Haro sur la richesse infernale que le public ne veut plus. Vive la solidarité !

    Sur sa chaise Edouard écoutait d’une oreille, admirait les mollets de sa collègue. Il ne voyait malheureusement pas les jambes dans son entier, les cuisses de Dariane étant cachées par une jupe serrée qui tombait en marge des genoux.

    — Édouard, on dirait que tu ne m’écoutes pas. Je parle de solidarité, c’est important.

    — Justement, j’étais en train d’imaginer les différentes formes de solidarités possibles.

    Dariane sourit et poursuivit :

    — Ces dizaines de milliers d’euros, voire centaines de milliers d’euros pour le tournage d’un clip, ce fric ne pourrait-il pas rejoindre la poche d’un pauvre, d’un SDF, d’un vagabond, d’un clochard ?

    Brouhaha général dans la salle. Mais comme tout ce petit monde savait se tenir, après le choc de la proposition, chacun prit la parole à son tour. En patron qui se respecte, Dominique donna son avis en premier, et son sentiment serait certainement écouté.

    — Proposition à réfléchir, bien que je n’y croie pas : manque d’expérience de l’acteur, trop longue formation. Quel clochard serait capable de tourner dans nos studios ? L’idée est ingénieuse et c’est vrai que l’on trouverait des annonceurs de type société solidaire qui seraient partants. Mais pour passer à la télé, ce n’est pas gagné !

    La grimace qui suivit signifiait encore mieux sa réponse négative.

    Bien sûr quatre autres collègues suivirent la décision du patron. Le chef de production proposa une publicité sélective pour une région, histoire de tâter le terrain. Seul Edouard approuva totalement les arguments de Dariane. Il contemplait la naissance des seins sous le chemisier de sa collègue, puis son déhanché lorsqu’elle vint s’asseoir à sa place en face de lui. Edouard se pencha vers elle.

    — Après la réunion, viens boire un café avec moi au « Charleston », on causera de ta proposition.

    — Si c’est vraiment pour parler boulot, OK, sourit-elle.

    Edouard laissa passer Dariane devant lui sur le trottoir. Ce bien-portant se dandinait tellement derrière sa collègue que l’on voyait son abondante barbe noire trembler dans le vent printanier. Ils s’installèrent à une table du bar devant la baie vitrée et commandèrent leurs cafés.

    — Ton mari est mon grand copain depuis de longues années. C’est un peu à cause de moi d’ailleurs que tu l’as épousé.

    Il fixa Dariane dans les yeux et ajouta sur le ton de la plaisanterie :

    — Pour mon plus grand malheur.

    Elle retira ses lunettes tendance qu’elle posa sur la table.

    — Arrête avec ça, tu sais bien que je ne voulais pas de toi, tu n’es pas mon genre. Seule sur une ile déserte j’aurais peut-être craqué, on aurait passé de bons moments de franches rigolades avec un boutentrain comme toi.

    — Justement mon rêve est d’être Robinson Crusoé. Un beau jour une jeune princesse blonde accosterait sur mon ile en marchant sur l’eau, s’avancerait vers moi dans sa robe blanche, me présenterait l’alliance, me passerait la bague au doigt et m’enlacerait, m’embrasserait et l’on vivrait d’amour et d’eau fraiche.

    — Je croyais que tu m’avais invitée à boire un café pour parler de mon idée.

    Edouard se redressa sur sa chaise.

    — Je défendrai ta proposition au sein de l’agence. Il faut que cela fasse écho auprès des collègues. On doit convaincre le patron. Pour en revenir à ton mari, puisqu’il travaille dans une société de conseils marketing et informatique reconnue nationalement, et qui plus est, où la valeur de solidarité est mise en avant, et comme il est adjoint, il peut attendrir sa superbe patronne pour accepter le projet.

    Le mot « attendrir » pinça le cœur de Dariane, elle qui restait toujours méfiante vis-à-vis de cette Gaëlle, véritable bombe, taille et visage mannequin, mariée certes, mais tellement désirée par tous ces mecs, y compris son mari. Elle savait que ces porcs en chaleur tournaient tous autour d’elle dans les bureaux de la société.

    Dariane se redressa à son tour sur sa chaise.

    — Tu as raison, et j’y avais déjà songé. Je vais en parler dès ce soir à Eddy, je suis certaine qu’il saura convaincre sa patronne.

    Sur cette dernière phrase, elle montra un sourire amer. Puis après avoir discuté encore une bonne heure du bien fondé de cet esprit solidaire, du désir de se mettre à la recherche d’un vagabond dans les rues parisiennes ou même du métro, ils se séparèrent, une bise sur les deux joues.

    Dans le luxueux appartement du quartier de La Muette, Eddy se courbait sur un dossier urgent pour son boulot. Assis en bout de table de la salle à manger, il sentit la main de sa femme se poser sur son épaule. Il se retourna, elle l’embrassa sur le front, puis retira son gilet qu’elle lança sur la banquette.

    — Salut Eddy, ce fut une journée éprouvante à l’agence. J’ai fait une proposition concernant l’approche de la publicité à la télévision et j’ai du mal à convaincre les collègues, et même le patron. Seul ton ami Edouard me soutient.

    Elle vint s’asseoir en face d’Eddy et lui sourit.

    — Tu peux m’aider dans mon projet, ce serait dans l’intérêt de nos deux boites.

    Dariane reprit son exposé qu’elle avait présenté le matin même à son agence, insista sur le côté innovant de cette publicité avec un clochard à la une, de l’intérêt pour la société SMS@, là où travaillait son mari, mais aussi pour marquer l’esprit du consommateur.

    En cette fraiche journée printanière, Eddy avait déjà pris sa douche du soir et restait vêtu d’un peignoir argenté.

    — Je ne suis pas certain du succès que tu promets, le consommateur a besoin d’être mis en valeur. Un clip publicitaire doit marquer les esprits en trente secondes, voire quinze. Comment un SDF peut-il faire passer le message de la qualité d’un produit ?

    — Ne parle pas de ce que tu ne connais pas, s’agaça son épouse. Tu voudrais m’expliquer mon métier, occupe-toi plutôt correctement du tien.

    Avant même qu’Eddy ne réponde, elle regretta son emportement.

    — Désolée, je n’aurais pas dû te dire cela, mais vois-tu, je tiens tellement à ce projet que… que j’ai du mal à accepter les objections. À part ton ami Edouard, je n’ai aucun soutien. J’espérais au moins que mon mari…

    Le beau quadragénaire aux cheveux châtains courts allongea sa haute silhouette fine que le peignoir semblait épaissir et se servit un scotch sur le mini bar.

    — Depuis quelques semaines, tu ne sais plus me parler gentiment, j’en ai pris l’habitude. Tu deviens agressive et tu n’acceptes aucune contrariété, surtout si elles viennent de moi. Ce n’est pas ainsi que tu vas m’associer à tes projets. Ce n’est pas par une attitude dédaigneuse que tu gagneras tes challenges.

    Dariane bondit de sa chaise et s’approcha du mini bar.

    — Merci de ne pas me proposer de boisson. Vois-tu, c’est cela que j’appelle du dédain.

    Elle se servit elle-même un Porto.

    Eddy tendit son paquet de Marlboro. Elle tira une cigarette, son mari fit de même. Ils s’approchèrent de la terrasse, leurs avant-bras posés sur la balustrade. Plus serein l’un et l’autre, ils reprirent leur conversation commerciale. Aucune conclusion positive ne sortit de la fraicheur de la terrasse. Ils rentrèrent ensemble dans la pièce à vivre. Dariane partit en cuisine préparer un minimum pour la soirée, appela les deux enfants qui se chamaillaient dans une des chambres à coucher. Devant la plaque de cuisson, elle se rappelait les jours d’amour avec Eddy, ils semblaient déjà loin, mais toujours son projet en tête, elle se dit que les hommes sont tous les mêmes, et ce soir au lit Eddy finirait bien par se rallier à son projet tout comme il saurait s’unir à son corps de jeune femme qu’il avait tant désiré.

    Les deux enfants couchés, le couple sortit en chœur de la salle de bain, visiblement plus détendu. Eddy, remarquant l’air coquin de son épouse, s’en alla rejoindre le lit qui lui tendait les bras. Nu sous les draps, il attendit que Dariane retire son déshabillé, ruminant son plaisir à venir. Elle se glissa à son tour sous la couette et se colla au corps de son mari, ce qu’elle n’avait pas osé depuis de longs jours. L’amour initié par Dariane, les préliminaires voulus par la jolie blonde, la sensualité et la tendresse de la jeune femme neuf ans plus jeune que son époux achevèrent de transformer l’esprit du mâle, tout comme son sexe. Sur l’oreiller il accepta tout, aussi bien le projet de Dariane que la volupté qu’elle venait de lui offrir.

    Repu de son plaisir, il se redressa, caressa la joue de sa femme qui regardait le plafond sous la lumière des spots.

    — C’était bien… et toi ?

    — Moi aussi, il y avait si longtemps, ronronna-t-elle.

    — Je plaiderai pour ton projet auprès de ma patronne. Mais pour mieux la convaincre, il serait bon d’associer à la valeur solidaire le côté féministe. Gaëlle y est sensible. Une clocharde lui conviendrait mieux. Qu’en penses-tu ?

    — Pourquoi pas, si cela peut la décider, d’autant que mon patron adhère également à cette cause. Maintenant on dort, je suis fatiguée, bonne nuit.

    Marceau, six ans, ne dormait pas, heureux d’avoir reconnu les plaintes et les soupirs trop longtemps contenus derrière la cloison de la chambre des parents. La benjamine âgée de quatre ans sommeillait depuis longtemps.

    2

    Une grosse demi-heure de métro pour rejoindre le quartier de la Défense et Dariane atteignait les bureaux de l’agence « VERPUB ». Dans le hall d’entrée, elle s’attarda le temps d’une bise sur la joue d’Edouard qui buvait son café dans une banquette de cuir laiteux, elle grimpa le large escalier de marbre, traversa la salle de travail. Quatre bureaux jumelés, accompagnés chacun de trois ordinateurs, se côtoyaient devant une baie vitrée qui donnait sur l’esplanade de la Défense. La lumière du soleil levant à travers les vitres accentua le sourire de Dariane. Elle salua deux collègues assis devant leurs écrans, frappa à la porte du bureau de Dominique et déposa une bise sonore sur la joue de son patron.

    — Je viens insister auprès de toi sur ma proposition lors de notre précédente réunion de travail.

    Dominique montra du doigt une chaise, et son employée s’assit en face de son patron.

    — Vois-tu Dominique, j’ai beaucoup discuté de cette histoire avec mon mari. Eddy doit parler aujourd’hui même à sa patronne. Il est persuadé qu’elle sera d’accord, mais Gaëlle serait certainement partante s’il s’agissait plutôt d’une clocharde. À vérifier. Ne serais-tu pas d’accord d’approuver ce projet ?

    Qu’il soit content ou qu’il soit indifférent, Dominique se frottait souvent les mains avant d’entamer un dialogue, non pas un simple va-et-vient de ses doigts serrés, mais carrément un mouvement circulaire de plusieurs secondes comme s’il passait ses mains savonneuses sous un robinet d’eau tiède. À la question de Dariane, il insista sur sa manie tout en posant son regard doux brun dans les yeux bleus de Dariane.

    — Depuis la semaine passée, ma réflexion a évolué. Et si Gaëlle répond favorablement, surtout pour une clocharde, alors, je serais partant puisque moi aussi, je pencherais pour le côté féminin, histoire d’être à la page, voire de sublimer l’affiche, un bébé qui pleurniche dans les bras de la pauvre femme.

    — Peut-être ne pas trop en faire pour une première. Si notre coup d’essai est un coup de maître alors il sera toujours temps de faire évoluer notre spot.

    Ils discutèrent encore un long moment. Pour Dariane ce serait un coup de génie, pour Dominique, plus prudent, un coup d’essai. L’entretien s’acheva sur l’aspect financier.

    — Pour une grande vedette de cinéma ou de la chanson, on offre environ cinq cent mille euros pour la préparation d’un clip. Faudrait diviser la valeur par trois pour un clochard. Disons… cent cinquante mille euros.

    — Tu rigoles, Dominique, la valeur d’un humain ne se négocie pas. Si je propose un SDF à la place d’un artiste, j’estime que le gain doit être identique. C’est justement cela qui fera la force de notre publicité.

    — Le consommateur ignore les dessous du contrat. Il ne connait pas les coûts du tournage de notre clip ni les conséquences financières sur nos acteurs.

    — Dans son inconscient, le consommateur comprend que l’artiste accumule les richesses, même si dans l’immédiateté de l’image publicitaire il s’en fiche souvent. Dans le message publicitaire du clochard, il faut justement réveiller la conscience du consommateur. Une voix off peut par exemple suggérer le côté financier de la pub, même si ce n’est pas habituel. Le téléspectateur y serait sensible, j’en suis certaine. Ou même un message écrit en fin de spot, comme une annonce officielle informant de l’intérêt à aider une personne pauvre. Il faut en finir avec l’hypocrisie, la sincérité payera !

    — Pour en revenir au nerf de la guerre, cinq cent mille euros pour une clocharde c’est beaucoup. Contrairement à un acteur qui maitrise son métier, un clochard ou une clocharde demandera une préparation plus longue, une formation, ce qui n’est pas gagné d’avance, sans parler du coût pour dénicher la perle rare.

    Dariane se leva et ajouta, comme pour clore la conversation :

    — D’accord, on peut baisser de cinquante ou cent mille euros, mais il faut au moins que ce vagabond hérite d’une belle somme, et tu verras, Dominique, le retour sur investissement sera gagnant.

    Dominique, patron affable, répondit d’un hochement de tête. Dariane rejoignit l’espace détente au rez-de-chaussée, sûre d’y retrouver Edouard devant un énième petit noir. En s’approchant de lui, elle serra le poing droit, et d’une secousse de son avant-bras vers le bas, son collègue comprit que Dariane avait gagné la partie.

    — Ne reste plus qu’à convaincre notre cliente, dit la jeune femme en s’approchant de la machine à café.

    Edouard qui la serrait d’un peu trop près, faisant mine de l’aider dans le positionnement du gobelet sous le bec du percolateur, montra ses dents blanches.

    — Tu parles comment qu’Eddy va te la manipuler, la jolie Gaëlle, connaissant le macho, il saura trouver les bons arguments !

    Dariane se retourna et montra un air pincé.

    — On est d’accord, tu parles bien de mon mari, là ? Cela ne me fait pas rire.

    — Tu sais bien que je déconne.

    — Justement, tu déconnes trop souvent sans même réfléchir à ton humour un peu lourd.

    Trois tours plus au nord, Eddy, planté lui aussi devant une machine à café, patientait debout, son gobelet brulant entre les mains. Il connaissait l’heure précise où Gaëlle le rejoindrait. La patronne et son directeur adjoint aimaient aborder les sujets sensibles autour de l’ambiance de la pause détente. Un horaire bien à eux, dix-heures trente. Les autres collègues évitaient ce moment-là, sachant que le couple dirigeant discutait de choses qui demandaient un minimum de confidence.

    Comme chaque matin, il la vit s’avancer depuis l’autre bout du large couloir blanc. Toujours élégante, elle portait ce jour-là un chemisier crème parsemé d’écailles bleues sans brillance, une jupe trois-quarts vieux rose laissant deviner de séduisants mollets. Les longs cheveux blonds de la trentenaire dégageaient l’oreille droite où le lobe se cachait derrière une boucle argentée. Ses chaussures à talons rehaussaient encore cette grande femme. Chaque matin Eddy croyait découvrir un nouveau mannequin. Et chaque matin, sûr de sa belle personne, Eddy se disait que son physique et son charme correspondaient parfaitement à cette bombe, qui toujours, lui refusait des avances à peine déguisées. Les yeux bleus de Gaëlle, habitués à la curiosité, semblaient vérifier la propreté du carrelage, les nuances entre le jour artificiel et les rayons de soleil qui s’infiltraient par la fenêtre. Son regard se tourna enfin sur la tenue vestimentaire de son adjoint, elle tentait de percer les intentions profondes de son employé écrites dans ses yeux azur. Gaëlle ne savait jamais si le sérieux de son adjoint correspondait à l’envie de sa féminité ou à une réelle soif du travail bien accompli. Peut-être les deux.

    — Tu es toujours très élégant, Eddy, ce costume te va à merveille. Est-ce Dariane qui t’habille ?

    — Disons qu’elle me conseille. Quant à toi, Gaëlle, tu restes la plus charmante des femmes de toute la tour.

    — Tu m’as glissé deux mots ce matin sur l’audacieuse proposition de ta femme. J’ai réfléchi. Pourquoi pas, mais je suis pareille que le patron de l’agence publicitaire, tu connais mon côté féministe, il est évident que je préfèrerais que l’on recherche une clocharde. On associerait dans notre publicité, solidarité, féminisme, et pourquoi pas, un côté écologiste.

    Eddy jeta son gobelet dans la poubelle inox.

    — Je suis heureux que tu sois partante pour ce projet.

    — Pas si vite. Il faut bien étudier la chose. L’aspect financier parait intéressant. Le spot couterait nettement moins cher, mais sommes-nous certains de la pertinence de la relation entre notre métier de soutien aux entreprises et un clochard tombé de nulle part ?

    Eddy plissa le front.

    — Dariane souhaite que l’on attribue la même somme d’argent à un vagabond qu’à un artiste, principe d’équité, dit-elle.

    Gaëlle prit le temps de la réflexion, son regard dans les yeux de son adjoint.

    — Ta femme a peut-être raison. Il faudrait que tu proposes un rendez-vous avec le patron de l’agence VERPUB afin que l’on puisse avancer sur ce projet. Je pense que nous pouvons mettre pas mal de billes dans ce genre de spot télé, cela peut permettre un bon retour sur investissement.

    — À vérifier si les chaines de télé acceptent ce challenge.

    — À partir de l’instant où l’on respecte la déontologie de l’audiovisuel, je ne vois pas ce qui l’en empêcherait. Quoiqu’il en soit, cela relève de la compétence de VERPUB.

    Midi sonnait qu’Eddy sortait de sa société de marketing informatique SMS@. Julie, jeune fille à l’épaisse crinière noire, petite, attendait sur le trottoir d’en face. Il se dirigea vers elle. Le couple s’installa dans un restaurant à l’écart du quartier de la Défense. Tout juste assis, Eddy prit la main de la jeune fille, l’approcha de sa bouche et caressa de ses lèvres les doigts féminins.

    3

    Nouvelle réunion à l’agence publicitaire en cette fin de semaine ensoleillée. Gaëlle participait en tant qu’annonceuse et sa présence serait déterminante puisque c’était sa société qui devait cracher au bassinet. Dans les sobres mais riches bureaux de VERPUB, elle donna sa vision d’entrée de jeux :

    — Vous êtes les professionnels de la publicité, je ne vais donc pas vous apprendre votre métier. J’accepte l’audacieuse proposition de votre agence avec en tête d’affiche un vrai clochard. Cependant voici mes conditions : première condition, un tarif payé correctement, soit l’équivalent d’un contrat sur sept spots publicitaires pour cinq cent mille euros, ce que toucherait un artiste bien connu en France. Deuxième condition, que votre message publicitaire explicite la rétribution financière de l’artiste et du clochard, troisième condition, je souhaite que ce soit une clocharde, quatrième et dernière condition, que l’accent soit porté sur l’aspect solidarité qui correspond à la valeur essentielle de ma société.

    — Il faudrait prévoir des coûts supplémentaires pour la formation d’une clocharde méconnue. Ces gens-là sont loin du charisme d’un acteur ou d’un chanteur.

    — Votre rôle n’est-il pas de mettre en valeur votre vedette principale ? Et ne croyez-vous pas qu’un ou une clocharde n’a pas un charisme à sa façon ? Quoi qu’il en soit, j’offre cinq cent mille euros tout compris, à vous de prendre en charge les frais annexes, il faut que votre figurant perçoive la somme intégrale.

    L’autorité de Gaëlle avait parlé. Une cliente fidèle, cela se respecte. De ses mains, Dominique joua du tambour sur son gros ventre et s’enfonça dans son siège.

    — Vos valeurs correspondent aux miennes, ce sera d’autant plus facile pour mon équipe à réaliser ce spot orienté féminisme et solidarité. OK pour vos conditions.

    Il fit pivoter son fauteuil.

    — À toi de jouer Dariane, je te laisse une semaine pour me dégoter la clocharde idéale qui saura jouer la fée princesse des temps modernes.

    Treize heures, Gaëlle et son adjoint Eddy accompagnaient Dominique et son directeur artistique ainsi que Dariane sur l’esplanade du général de Gaulle à la Défense. Ils s’installèrent autour d’une table ronde d’un restaurant chic du quartier. La patronne de SMS@ s’approcha de la table, guidée par Eddy qui retirait une chaise pour inviter Gaëlle à s’asseoir. Sa femme regardait d’un mauvais œil la démarche de son mari. Était-ce de la galanterie mal venue ou un classique léchage de bottes bien connu de son époux ? Elle s’assied à côté de Gaëlle. Eddy retira son manteau trois-quarts qu’il laissa dans les mains d’une serveuse et s’installa en face des deux femmes.

    La discussion s’anima autour des enjeux de ce clip publicitaire original où deux collègues devaient se partager l’essentiel de la tâche : au directeur artistique de jouer le bon metteur en scène, à Dariane de trouver la perle rare et de la former. Durant tout le repas, Eddy imagina les longues jambes de sa patronne qui s’élançaient hors de la robe salopette croisée. Cela le démangeait de bousculer de ses pieds les chaussures de Gaëlle. Dariane n’aurait pas été assise à cette table, aurait-il osé ? Pas sûr. Il se croyait gentleman, mais bavait devant la classe et la beauté de sa patronne. Il minauda jusqu’à ce que l’on serve le café, déclarant que Dariane aurait tôt fait de dénicher la perle rare, cirant les pompes de Dominique, sans oublier Gaëlle dont la clairvoyance ne la trompait jamais, disait-il.

    Gaëlle sourit à Dariane :

    — Comment comptes-tu aborder ta SDF, et surtout qu’elle genre de clocharde vas-tu rechercher ?

    Le petit noir brulait la langue de Dariane. Elle reposa sa tasse sur la nappe de coton, puis chercha sa réponse. Elle commencerait par déambuler dans les couloirs du métro, continuerait par les allées du bois de Vincennes et les trottoirs fréquentés des 18e et 19e arrondissements. Avec tous ces pauvres sans-abris, elle se faisait fort de sortir de la misère une belle personne qui le méritait tout autant que Gad Elmaleh

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