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cahiers du CINEMA SHLVAMA AANEMHO OWNS = €D1PO AE Pier Paolo Pasolini Cahiers Si l'on compare -Edipo Re» au =Vengelo», ce aun ne peut manguer de faire & bien des égards, la esprit est vous étiez visagé, alors qu’ici vous semblez beau- coup plus directement, plus personnel Jement impliqué. Pier Paolo Pasolini Sens doute, mais cela demande des précisions. I'étai rieur au _mythe de l'Evan- tend par la que le Christ Dieu : n’étant pas croyant il est evident que jéteis extérieur une telle idée, Mais d'autre part, | éta tres proche du mythe de levangile si Von entend par 18 un mythe religioux au sens le plus large du terme. Fe roche aussi d'une idée-force du monde moderne, que j'y traitais : celle de le possibilité dun dialogue entre marxis tes et chrétiens. Il faut donc s'entendre sur les mots. Certes, je suis plus pro- che du mythe cedipien — l'amour du fils pour le mére, la haine du pere — mais la aussi Je dois preciser : yen Suis plus proche dans la mesure ou je Tat vécu, Jen suis plus éloigné dans mesure OU je l'ai dépassé, comme iI est normal, alors que je n’ai_ pas dépassé mon «appartenance» a le mythologie chrétienne (méme s'il ne agit pas dans mon cas de la mytho- logie chrétienne eu sens officiel du terme) Cahiers Un autre point commun ux deux films, c'est une vision profondé- ment tragique, la mise & nu d'une sorte douleur fondamentale. soln A ‘ne puis répondre, Ce sont des questions que je ne me ose jamais de facon directe. Je crois Quill s'agit 1d davantage de limpres- sion d'un spectateur que de celle d'un auteur. fahlers Pour poser la question iff remment, Il semble qu’ = Edipo a ét Un film tres difficile & tourner, méme tous mes films sont diffciles & toumer sur le plan physique. Les endroits o¥ j'ai tourné SII Vangelo» n’étalent guére plus ac- ces bles que le Maroc ou j'ai tourné ipo». Simplement, pour = Edipo =, Ly 2 eu de plus grandes difficultes de regio, ot de phe grandes ifioutie inancieres. Cahiers Depuis combien de temps pen- siez-vous faire ce film? Pasolini Jy ai pensé pour la premiere fois alors que je tournais encore « Ac- it alors une idée un peu “Kdipo Re” fen air, qui a dormi en moi pendent deux ou trois ar été dernier, & Cannes, J'ai jet de « Théo: tourner maintenant, vais = Théoreme ipo > a pris forme un film ov Tinceste st multiplié au moins par cing, et se trouve mélé @ lidée de Dieu, ‘car la personne avec laquelle les cing mem- bres de la famille commettent l'inceste t tout simplement Diew du divin et di vent au coour dé donné vie & = Edipo », qui 8 ma = Fantaisie « fen priorite. Cahiers Est-ce que lidée ne vous est jamais venue de consacrer un film en: tier aux souvenirs d'enfance, comme ceux que l'on voit dans le ‘prologue d'«Edipo =? ces thomes ‘est imposé et que j'ai tourné Pr Pale Pai, olini Si javais fait cela, le film aurait été plus beau, beaucoup plus beau. Mais sur le moment, cela ne quand je pense & rorétement, Jespére quil sera ‘en fait je n'ai jams faire un film beau, j'ai besoin d'autres dans ce cas précis, lexci- cexcitants tant était le développement merxiste- freudien du theme d'Edipe. Cahiers Il y a dans = Edipo » plusieurs plans dlstints souvenirs. personnels, fantasmagories, un film qui se situe plans. La premiere jouvenirs dente: ce, a la fois trés synthétisés et tres riches, puis il y a Ia partie fantesma- gorique, que j'appelle hallucinatoire, et Qui me semble la meilleure. Elle est totalement inventée, puisque la je ne suis parti de rien de connu, que je me suis laissé guider per le pur plaisir de limagination. Ma seule ba ce quion peut lire dans tout pédie. On ouvre enc; lit : Edipe, roi de Th dire peu ‘de choses. Comme dans = LEvangile », je n’al rien voulu recons- truire d'un point de vue archéologique ‘ou philologique. Je n'ai donc lu & ce sujet aucun texte grec, critique ou historique, ou philologique, concernant ce «Moyen Age» grec ou je voulais situer l'histoire. J'ai tout inventé moi, c'est la du film. Eneul a Qui rest ni plus ni moins que « 'CEd) pe» de Sophocle. La, et je ne sais si Fai réussi, je voulais’ un peu faire ce ‘que Godard dans «La Chinoise » ap- pelle « troisieme mouvement » du film ly @ enfin la demiére partie, sans doute la plus erbitraire, un peu didac- tigue méme, qui me semble toutefois ‘essez heureuse sur le plan plastique Crest le moment de ia sublimation Quest-ce que la sublimation? C'est un choix idéologique, mais naturellement tun choix ideologique incertain. D'abord Edipe est un poste décadent, puis un poéte marxiste, puis plus rien, quel- Qu'un qui va mourir (la Je me suis servi éléments empruntés & «CEdipe & Colonne »). Cahiers Si vous m'accordez une ques- tion un peu indiscréte : révez-vous en couleur ou en noir et blanc? Les cou- leurs du prologue sont réellement oni- rique Pasolini Je réve des deux fagons. Tou- tefois je dois dire que plutdt que celle du prologue (je ne crois pas avoir Jamais révé de couleurs semblables), les reves que J'ai faits (par exemple, je me souviens d'un réve, vieux de dix fans, ou T'explosion d'un volean mettai foule effrayée) ont inspire couleurs des épisodes de la peste Lidée densevelir oripeaux bariolés, C'est moi qui I'al eue, et c'est une ide Qui a les couleurs de mes propres reves. Cahiers L'idée du prologue et de I'épi- logue estelle venue tout de suite? Pasolini Immédiatement, oul. Le film ‘est pratiquement né d'eile. En tant que ist peut-étre un de mes défauts) je ne connais jamais d'hésitations. En tant que metteur en scéne, quand je toure, et surtout quand je monte, j'ai des inquiétudes infinies, mais, comme scéneriste, mais. J'ai une idée, et je sens immé- a Giatoment une sorte de bonheur, ou d violence qui me guident. Iéerie inci le scénario, du premier au dernier mot, sans connaltre angoisse de Ihést tion. Mes scénarios naissent comme ils nnaissert, ils ne sont jamais récrits Cahiers ‘Bien que ce soit un mot qui appartienne au vocabulaire idéaliste le plus dévalué, on pourrait done parler inspiration ? Pasolini Si par inspiration on entend désir de créer, oul. Il s'agit d'une avi- Gite, presque dune voracité dagir. Je Wal pas de temps a perdre, une idée ‘me vient, Je m'en empare. C'est vrai- ment de la voracité plutot que de inspiration. Linspiration intervient seu nt impre- ynt_du tournage. En si les autres cinéastes un film est toujours Imprévu parce quion ne sait jamais Points en sont réeliement ins. pirés. Cahiers Vous avez opéré ments importants par rapport au texte de Sophocle ? change- Pasolini Par rapport a Sophocie, non Fal opéré des reductions, mais pas de veritables changements. Le seul chan gement important, per rapport & So- Phocle, crest qu'é la fin Je! supprimé trusion des filles : parce qu'au fond, méme. Et les filles Por @ mon Edipe, 1 Antigone. I'y a ainsi une exclusion, Par ‘rapport au texte, plutbt quune Inodifiewtion Cahiers Et les paroles du Sphinx? Pasolini Les paroles du Sphinx n'e tent pas dans. le texte de Sophec! On en parie seulement. Cela concerne «antefatto » (les faits antécédents). Le Sphinx fait partie de le mythologie. de ce quion lit dans les encyclopedies ou les manuels scolaires, pos du texte luiméme. Il n'est pes précisé comment, ‘i en quels termes, CEdipe a rencontré le Sphinx. ‘opéré un change iment par rapport 8 la mythologie popu- laire non par rapport & isant_du Sphinx, tout dEdipe + Edipe peut faire 'amour avec sa mere seulement & condition de refouler le Sphinx dans l'abime, c'est-a-dire dans 80n propre inconscient. Catinrs "A Vorgine, Vous ne pensiez tourer ce film au Maroc, mais en Boum mandé de faire un film avec eux, et J'ai 6t6 lé-bas effectuer des repérag Mais je n'ai pas trouvé ce que je Fee que, bien gi reroya la révolution industrielle en pleine cam- agne qui en fait un pays véritablement Poetique, cette présence méme rendait mon entreprise impossible : les vieux villages de bois ont été completement détruits. II n'y a plus rien de vieux, maintenant, en Roumanie, au sens “ libére du mythe d'CEdipe, des rites agrestes, du mythe du Roi de la Pluie ‘et autres, du mythe du Pere en somme. De toute facon, mon voyage n'a pas été inutile parce que jy ai trouvé de la musique, des chants populaires, a substitués au Choour de Sophoel Siques, juste tres différenciée : le réle de la musi- ‘que Japonaise n'est pas le méme que celui des chants populaires roumains. Pasolini La musique japonaise est re- prise la fin. C'est un peu ce quon ourrait appeler vulgairement = Le Theme du destin d'Edipe ». (Elle vient lorsque Cedipe, comme je le disais tout & Theure en’ plaisantant, devient un poste décadent). Les chants roumains, eux, sont de vrais chants, populaires, réalistes, du peuple qui ploie sous un ferdeau : épidemie de este ou régime tyrannique ; ils sont, Je le répéte, une forme d'équivalenc du Chosur que je ne pouvais. évidem- ment utliger tel quel dens le film. Cahiers Comment avez-vous choisi les ‘acteurs 7 Pasolini Franco Citti, 'y ai pensé des t6 fidele & ma ce choix = Aecattone -. Je suis re Premiére idée. A origin Stait irrationnel, mais mai ‘comprends critiques me_reprochent avoir fait dEdipe un tuel : c'est précisément cela que je ne voulais pas, et que Franco ne pouvait @tre. Parco’ qu'un intellectuel, par na- ture, sait deja, tandis qu’Edipe ne connait pas la vérité, et ne la décou- vre que peu & peu. Tout d'abord. il ne veut méme pas la voir, cotte vérits, puis petit & petit, une fois sur le che: min, il veut la connaitre. C'est This. toire d'un homme destiné & T'action, & faire des choses, non & les connaitre, & les comprendre. J'ai done choisi un Innocent, un homme simple, afin que 3a découverte de la vérité soit, de fagon vraisemblable, dramatique, “puis agressive. Cahiers Quelle a été Ia réaction de acteur face au personage? Pasolini Franco sait que, lorsqu'll tra- vaille avec moi, je lutiise pour ce auil ose done jamais de était un Wu sens enfantin du Je ‘veux dire : intimidé. Cahiers Lorsquion voit Franco Citti dans = Accattone », ou méme dans «Mamma Roma » is Quil s'agit d'un acteur en train dinter- préter un role, Dans «Edipo =, oul, Pasolini Moi, oui, je savais quill était tun acteur, méme dans = Accattone Je savais ‘quill avait, non pas le sens critique dun acteur petit-bourgeois, eu ‘sens scolaire ou. académique,, mais Quil était bel et bien co quil est convenu dappeler =un acteur_né Certains des acteurs que jutiise sont ‘ctours. uniquement parce qu’a un mo- ment donné leur visage est _photoge- nique. Franco a quelque chose en plus. Gahiers ‘Ce oui est trés beau sur le personnage de Silvana Mangano (Jo- Caste), clest absence totale de psy- chologie. Elle est plutot une sorte de fantéme. Pasolini Crest exactement co que ji 6j8 dit, un homme destine & agir et non & com- prendre, dont 'évolution vers sa vérité cachée ‘est tout le drame, Jocaste est toute différente : elle est un pur mys- tere, Toutefois, je dois dire, tout bien pesé, qu’a mon sens le personage ‘de _Jocaste est plus reuse! que site" change mais elle n’évolue pas. Dou I fantOmatique que vous signalez. Cahiers Et en ce qui conceme les autres acteurs? Pasolini Je les traitement 4 lintérieur du film, une sorte de désa- Cralisation quasi humoristique. Dans la mesure ou je m’étais jeté dans le mythe & &me et corps perdus, javais besoin aussi de maintenir une certaine un certain détachement, pour emporter 0 aural font ete le frein & mokméme ‘choi ger. Crest Iu! qui regarde le Sphinx, et ‘son regard suffit & le désacralis sans son regard, le Sphinx aurait été, ‘soit esthétisant, soit simple Ieitaire. Ainsi de Carmelo ‘campe un Créon ambigu, avec un pro: longement presque comique. En ce qui conceme Tiresias, Javais tout d'abord tongé 8 Orson Welles, Je rai pu Cahiers ii aureit été trée different de Julian’ Beck. Pasolini Je ne dirais pas tres different I-aurait été une variante, mais pas le contraire. Courait toujours até un Tir Sias profondément mythique, jou par lun tres grand acteur (comme. Julian Beck lest aussi). Welles, simplement ‘urait probablement ajouté au person: nage une dimension morale, pimentée 6. son intelligence et de sa cruauté orainaires.': i aurait ete un Tiresias secusateur. Julian Beck, non, il est plus sens le plus mystérieux du mot. Il a fait tomber le moralisme du person nage au profit de son prophetisme. Cahiers li me semble que ce film est véritablement unique dans l'histoire du cinéma, non tant & cause de son sujet gu’a cause de attitude de auteur. cor il est tree embigu je suis plongée dans co jusqu'au cou (comme tout le monde, dire2-vous, mais toute mon cou: vre, poésies, romans, etc. démontre que je lai vécu d'une fagon trauma- tique un peu particuliére), deutre part Fai voulu avoir une attitude extréme- ment détachée vis-d-vis de lul. Je me ‘suis imposé (méme pas : ce fut natu: Fel) de considérer le mythe avec le maximum objectivité. Je parlais tout & Theure de recul humoristique. Je ourrais aussi bien parier d'un certain esthétisme de image. C'est de cette contradiction apparente que provient, Je crois, la particularité du film : un mé- lenge inextricable d'abandon total & la Crate (ama Bee, ed) ce force du mythe, dens le méme temps qu'une grande résistance contre lui Cahiers Ne pourrait-on pas voir le film comme une sorte de meditation sur les choses — dordinaire cachées, enfouie: — qui rendent possible (ou' impossi bie) le fait de faire des films, ou dos poésies, ou = de l'art» en général ? Pasolini Vous voulez dire que dans = Edipo = je me suis reposé & nouveau le probleme du cinéma, de comment faire du cinéma? Cahiers Pas seulement : je veux dire gue le film est une double recherche des origines, sur le plan biographique ft esthetique. Pasolini Pour parler banalement, je considere + Edipo» comme le plus Cinématographique de tous mes films, ‘Alors que pour tous mes autres films, fet surtout’ pour = Accattone +, Ber- nardo Bertolucci a raison lorsqu'll dit quion_ne peut pes perier de cinéma (le r’avais pes de formation cinéphi lique, je n’aimais pas certains plans ourtant typiques du cinéma, une cer- taine forme de récit pourtant validée par tout le cinéma; je manifestais une forme de refus, conscient ou incont cient, jo ne sais, @ faire du cinéma, je préférais faire de la peinture, ou je ne sais trop quoi), ici, pour la pre- miere fois, j'ai accepté ies régles, cer- taines régies inhérentes @ ceite forme expression. Par exemple, dans tous les films, il y a un personnage qui sort du champ, le leissent vide, et un autre qui y entre : je n’avais jamais fait cola, Je considérais quill s'agissait d'une régle banale. Peut-stre parce que Jaime le cinéma aujourd'hui plus qu’au- trefois, dans « Edipo = j'ai utilisé meme cette figure, ll_ny avait jamais non plus, dans mes films, de cadrage avec un personage. sn amorce, pour tes memes relsons = dans’ Eapo iy en 2 bemvcoup. leat imtie do pournaore Fiqwentae : en ce-sene, iy 2 bien fer'cote “découverte du cindna. dont Vous’ perianal fat porta," on ene, Go" Site voions etneiome” go Seat manfestes. f. moloreque fal Vout fare ce fl (et four vor, te Sreore, un dlément Se défense contre ievmyhey En vat, cote etude ne mapas rouse comme avec = Vange- Ia er Loreqcon ‘wavalle, on 80 pose Souvent de four problémes, cule feralont leer mboeesi qrepree’ up tt en ce sone, meme Tereur eet utle So cae eoeretie secre Quel recul souhane a" te reine Gven toe fable par, et que Toutes thes résatancee ont sié inves Goktre Aracvovs’ pu wor les rushes gr cours de’ tourage? Pasoln’ Nom, Jot tout vy & la foe, Jervoue late imeginer Tépouvante, a agedie que fut fot Ge vor dun seul couple resultat'Ge tout um mole Si'veval, Cut une chowe presque iaupporaba : slave Le montage 2 6tb cficie 7 Pasolini: Difele, ou comme toujours, moins que’ dhablude. Moine que Ghabtude’ dons la mesure. ov pour Ta premiere fol, justement, J reapoctas Eerteines regies acquses, En tournant fovals present, &Feeprt le fa que Jo"tateals un fm, ot cela ms. ot en Ge teat chacken™ sek dea foe, jo ravaie aucun ‘éoment pour aie un racoord. correct Cahiers Dans « Eepo , vous. changiez pour le premire tow doperateur ‘Ce Ret plus Dell Coll mois Fuzzoln cela vous sil pose des probleme? Poaoim si change per neceeate is Delli Colli n’était pas libre, Rottunno qui devait le remplacer, non plus, et Jai pris Ruzzolini, dont je suis tres ‘un Delli Colli_ peut-étre tun peu plus rude, mais avec les mé- mes ceractéristiques fondamentales. I! avait dailleure travaillé avec mol, com- me assistant-opérateur, sur « Il Vange- lo +, = La Ricotta = et = Uccellacci e uccellini» Cahiers Excusez-moi prologue. Ou acti été tourné ? Pasolini Seurais voulu le tourner sur les lieux mémes de mon enfence, & Sacile, dans le Frioule, Cela a été im possible pour des produc: tion, Je voulais tou ou. vrire» & Milan, prés des usines, et la partie « bourgeoise » & Bologne (ou Jal €té étudiant, moi-méme un = poste fent », en somme). Devant tourner 2 Milan et Bologne, j'ai di choisir un troisiéme lieu point trop éloigne de den revenir au ces deuxla : je me suis rabattu sur la campagne milanaise. Cahiers Ls images qu'on °F volt correspondent & des précis, ou «réinventés » ? Pasolini Ce sont des souvenirs « ans logiques », plutét qu'exacts. Par exem- ple, je me souvenais de saules, et le scénario parle de saules : j'ai di les remplacer par des peupliers. Quant au pré (mais un pré cest plus abstral plus géométrique), il correspond plus cactement au pré od ma mere mem. 7 lorsque j'étais enfant. Les (la robe et le chapeau jaune de la mere) je les ai fait reproduire d'aprés de vieilles pho- tographies. Le costume de lofficier est fentique & celui dun officier des an- nées 30. Cahiers On n'a jamais vu une enfance racontée aussi totalement et en aussi peu de plans (sinon, trés différemment, dans = Au hasard, Balthazar -). Pasolini Pour moi aussi, c'est la une des réussites du film. Cahiers Une impression trés forte que mia fait le film cest (si vous voulez sur un modéle un peu borgésien) non seulement que la partie antique poi vait &tre le réve de la partie modern ‘et aussi bien le contraire : que la partie moderne peut étre le réve, Ihal- lucination de la partie antique. ily a la un telescopage des temps tres trou- lant. Y avez-vous pense ? Pasolini Pas du tout, j'y pense main tenant, maie cela me semble tras beau, ‘et Jedopte immédiatement cette idée. Jo dirai dorénavant & tout le monde que je lei eue avant de faire Ie film! ire Ge Dept, ln pritrese enous Ges etre. En tout cas, ce qui m'a impressionné, moi, c'était’ de retrouver le grande place de Bologne, aujourd'hui, pleine de monde, apres notre plongée dans la pré-histoire : c’était cela le reve. Cahiers En tout cas. les procédes em- pour filmer le partie moderne yeaucoup plus « irréalistes » que employés pour filmer la. part tentique : courtes foceles, etc. Pasolini J'ai fait cela pour un de ces problemes qui se posent lors du tour. age, et qui se revélent par la suite nen étre pas : il s'agissait de relier stylistiquement les deux parties. Si Favais tourné de facon réaliste la par. tie moderne, J'auraisobtenu un contraste facile et ennuyeux. C’est pour cela que je l'ai_montrée comme un réve, avec les objectifs déforments. |! re fallait pas donner Timpression, tout & coup, de se trouver 8 Bologne au sens réaliste du terme, mais détre & ceux Bologne, justement, comme en un réve Cahiers’ Pourquoi, ‘dans la partie anti- ‘mig. des intertitres por- texte? pens des personages. Plutot que dutil Ja voix off, procédé du cinéma d'au jourd'hul, j'ai utilisé les intertitres, pro: cédé du cinéma muet. Cahiers Sur quels critéres avez-vous choisi les vétements de le partie anti- que? Pasolini Ce sont des habits inventés, presque arbitraitement. J'ai consulté dee ouvrages sur l'art azteque, sur ‘Sumer. Certaing costumes. proviennent directement de l'Afrique noire. Cela parce que la préhistolre, pratique- ment, a été la méme partout. J'aurais voulu aller plus loin, sur ce point pré~ cls : rendre les costumes encore plus arbitraires et préhistoriques. Mais je Wal pas eu le temps d'approfondir le probleme. Cahiers Justement, une fois le film ter- miné, y atil des choses que vous ‘auriez almé reprendre ? Pasolini Deux ou trois choses, oul Hélas, je savais déj. alors que je les toumais, que Jaurais di les tourer différemment. Par exemple, jaurais feimé créer une pause entre la mort du ere et la rencontre du Sphinx. A ce moment, le film aurait eu besoin d'un moment de repos : il est trop plein trop bourré de choses. I fallait une parenthése, heureuse, presque humo- Fistique. Je voulals tourer une danse de Ninetto avec un oiseau bariolé, rouge, vert, bleu. CEdipe regardait cette danse, et ce moment desthétisme pur aurait’ été utile. Une respiration, une ‘Question de rythme. Avant de tourner, je voyais tous les enfants avec ces clseaux. Au moment de tourner, il a 6té impossible d’en dénicher un’ seul Je ne suis pas satisfait non plus de la partie tournée en studio. Non tant Femour entre le fils et la mere (ue aime bien, parce qu'un it, en studio ‘OU pas, reste un it, concret, vrai, et {que la scéne est tournée en gros plans), mais tout ce qui conceme la partie publique, que je n'aime pas. Savais besoin d'étre plus libre. Je voulais ce troisiéme mouvement du film (toujours our citer Godard) extrémement fidele 2u texte de Sophocle, et touné tres studio, ai da ‘et = inven joureusement, presque par miracle, j'ai pu tourner au Maroc une scéne prévue en studio la rencontre du vieux serviteur qui de. vait tuer CEdipe, enfant. La campagne marocaine @ sauvé la scéne. Cahiers. Pourquoi interpr méme le réle du Grand Prétre ? Votre Feplique est la plus longue du film. Pasolini Pour deux raisons. La premiere parce que, sur place, je n'ai trouvé Personne qui convensit. La seconde arce que cette phrase est Ia premiere du texte de Sophocle (ainsi commence la tragédie), et qu'il me plaisait d'intro- duire” mol-méme, en tant qu'auteur, Sophocle @ l'intérieur de mon film. Cahiers II me semble que le sentiment de la mort est plus fort et plus pr int dans la partie moderne que dans la partie antique, Il est plus dans ce pré vert ou sur le chapeau jeune de a mére que dans le texte méme de la tragédie. Pasolini Certainement, parce que le partie antique, c'est une angoisse vi- tale, pas une angoisse de la mort Méme lorsqu’on voit la peste, ce n'est pes la mort qu'on voit, mais son aspect hornble et extérieur. La tragédie af fronte les themes de la vie alors que les images denfance sont déjé tout imprégnées de la mort par laquelle le film se termine réellement. (Propo: recuelllis au magnétophone et traduits de italien par Jean-André Fieschi.)

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