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internationale situationniste Comité de Rédaction : Constant, Asger Jorn, Helmat Sturm, Maurice Wyckaert. Tous les textes publiés dans «INTERNATIONALE SITUATIONNISTE » peuvent tre librement reproduits, traduits ou adaptés, méme sans indication d'origine. NOTES EDITORIALES @ LE SENS DU DEPERISSEMENT DE L'ART. La civilisation bourgeoise, main- fenant éendue & l'ensemble de la planéte. et dont le dépassement n'a encore €f¢ accompli nulle part, est huatée par une ombre : la mise ea question de se culture. qui apparait daas la dissolution moderne de tous ses moyens arlistiques. Cette disso- jution s‘étant manifesiée d‘abord au point de départ des forces produc- lives de la sociéte moderne, c’est-a- dire en Europe ot plus tard en Amé- rique, ele se trouve étre depuis longtemps la vérité premiére du mo- dernisme occidental. Ja lbération des formes artistiques a partout si- gaifié leur réduction A rien. On peut appliqner & l'ensemble de Vexpres- sion moderne ce que W. Weidlé éeri- vait en 1947, dans le numéro 2 des Cahiers de ta Pléiade a propos de Finnegan's Wuke : + Cette Somme démesurée des plus _alléchantes contorsions verbales, ect Art poé- Higue en dix mille lecons n’est pas une création de lari; c'est Fautop- sie de son cadavre ». Les crifigues réactionnaires ne manquent pas de signaler. pour sow- tenir leur stupide réve d'un retour aux belles maniéres du passé. que derrigre la floraison inflationniste de nouveautés qui peuvent” servir une sere fois, Ja route de cette Jibé- ration ne méne quiau vide, Cest Emile Henriot natant (Le Mond. 11-2591: «Le tour, maintes fois si gnalé déia, qu’a pris une certaine littérature d’anjour@hui, dans 3a di- rection «© langage de formes > a Fusage de litterateurs spécialisés dans Texercice d'une « Hillérature pour littérateurs », a elle-méme son propre objet, comme fl y a une re- 3 cherehe de peintares pour peintres chereheurs et ne musigue pour musiciens ». Ov Mauriac (L'Express, 5350): « Hl west pas jusqu’aus, pliiosophes dont la lecon est que Faboutissement du poéme doit étre le silence. qui n’éevivent des articles pour nous en persuader, et qui ne publient des romans pour ons prouver qu'il ne faut pas raconter Whistoire >. En face de ces moqueries, tes liques qui se sont choisis moder- nistes louent les beautés de ta dis- solution, en soukailant qu’elle ne se poursuive pas trop vie. Ils sont embarrassés, comme Genevieve Bon- nefoi rendant compte, sous le titre «Mort ow transfiguration 2» de la malheurense Biennale de Paris (Let- ines Nouvelles, numéro 25). Elle cenclat mélancoliquement : « Lave- nir seul dira si cette « néantisa- tion > du langage pictural, assez semblable 4 celle tentéc sur le plan littéraire par Beckett, Tonesco et les meilleurs jeunes romanciers actuels, prélude Aun renouvean de la pein- ture oa & sa disparition en tant qu'art majeur de notre époque. La place me manque ici pour parler de Ia sculpture qui semble en totale désintégration, » Ou bien, abdiquant lout sens du comique, ils prennent hautement le parti da quasi-néant en des formules dignes de passer & Vhistoire pour résumer Tindigence une époque, comme Francoise Choay qui intitule élogiensement un article sur Tapiés : « Tapiés, mys- tique du presque rien > (France- Dbservateur, 30-4-59) Liembarras des critiques moder- nistes est complété par lembarras des artistes modernes A qui la dé- composition accélérée dans tous les secteurs impose sans cesse VYexamen ct Vexplication de leurs hypothéses de travail, Is s'y emploient dans la méme confusion, et souvent dans une imbécillité comparabie. Partout on distingue Ja trace, chez les créa- teurs modernes, d'une conscience traumatisée par le naufrage de Pex- pression comme sphere autonome, comme but absolu; et par la lente apparition autres dimensions de Pactivite, Laeuvre fondamentale d’une avant- garde actuelle doit étre un essai de critique générale de ce moment ; et un premier essai de réponse aux nouvelles exigences. Si Vartiste est passé, par um lent processus, de Tétat d’amuseur — meublant joliment quelques loisirs i l'état de Tambition prophé tique, qui pose des questions, pré- tend donner le sens de la vie, c'est paree que, de plus ca plus, la’ ques- tion de Pemploi de Ja vie est effect. vement posée dans la marge de liberté déja alteinte, et grandissante, de notre appropriation de la nature. Ainsi la prétention de Vartiste dans Ja société bourgeoise va de pair avec la réduction pratique de son domaine d'action réel vers le zéro et de refus. Tout Vart moderne est la revendication révolutionnaire autres métiers, qui sont au-dela de Tabandon des actuelles spécialisa- tions de Yexpression unilatérale en conserve. On sait les retards et les déforma- tions du projet révolutionnaire a notre époque. La régression qui s'¥ est manifestée n’a nulle part été si évidente que dans Part, Elle y fut Wautant plus facile que Tes clas- siques da marxisme n’avaient pas développé 14 une critique réelle. Dans une célébre lettre 4 Mehring, Engels notait & la fin de sa ¥ « Nous avons surtout mis accent, et nous étions obligés de le faire, sur la maniére dont Iles notions politiques, juridiques, et les autres notions idéologiques, enfin les ac- tions qui naissent de ces notions, décivent des faits économiques fon- damentaux. Mais ce faisant, nous négligions le cdté formel — le mode apparition de ces notions — en faveur du contenu. > A Pépoque ot s'est constituée la pensée marxiste, le mouvement forme] de dissolution de Part n’était dailleurs pas encore apparent. De méme, on peut dire que c'est seulement en présence du fascisme que le mouvement ouvrier a rencontré pratiquement le pro- bléme du © mode apparition » formel d'une notion politique, U s'est trouvé pew armé pour le domi ner. Les représentants d'une pensée révolutionnaire indépendante —ma- nifestent cux-mémes une certaine carence A tenir un réle dans la re- cherche culturelle @anjourd’hui. Si nous envisageons les démarches, 4 bien des égards différentes, de phi- losophes comme Henri Lefebvre — ces dernieres années — et Lucien Goldmann, nous leur tcouvons ce irait, commun d'avoir —_assemblé beaucoup «'apports positifs, comme importants rappels 4 la vérité pro- gressiste dans in moment ott Pidéo- fogie de la gauche se perd dans un confusionnisme dont on voit bien Jes intéréts; et en méme temps Wétre absents ou insuffisants dans deux ordres de question : Porgani. sation Wune force politique, la découverte de moyens d'action culturels. Ces questions sont juste- ment deux éléments essentiels et inséparables de Vaction transitoire quwil faudrait mener dés A présent vers cette praxis enrichie qu’ils nous présentent généralement comme une image extérieure, entigrement sé parée de nous, au lieu dy étre lige, par le Yent mouvement de lavenir. Dans un article inédit de 1947 («Le matérialisme dialectique est-il une philosophie 2»), recueilli dans son livre Recherches diatectiques, Goldmann analyse trés bien Je résullat, dans Pavenir, du mou- vement culture! qu'il a sous les yeux, en écrivant : « Comme le droit, Péconomie ou la religion, Part 4 en tant que phénomeéne autonome éparé des autres domaines de la vie sociale, sera amené a dispa- raitre dans une société sans classes. Tl n’y aura probablement plus dart séparé ile la vie parce que la vie aura elle-méme un style, une forme dans laquelle elle trouvera son ex- pression adéquate.» Mais Goldmann qui trace cette perspective a tres longue échéance en fonction des prévisions (ensemble du materia. lisme dialectique, nen reconnait pas Ja verification dans lexpression de son temps. II juge Técriture ou Part de son temps en fonction de Pallernative classique - romantique, <1 il ne voit dans le romantisme que Pexpression de la réification. Or, i esi. vrai que la destruction du langage, depuis un siécie de poésie, s'est faite en suivant la tendance ro- mantique. réifi¢e, petite-hourgeoise, de la profondeur ; #t, comme [avait montré Paulhan dans Les Fleurs de Tarbes. en postulant que la pensée inexprimable valait mieux que le mot. Mais Vaspect progressif de cette desiruction, dans la poésie, Vécriture romanesque ou tous les arts plastiques, c'est d’éire en méme temps le témoignage de toute une époque sur Tinsuffisanee de Tex- pression artistique, pseudo-commu- nication. C’est d’avoir été la desiruc- tion pratique des instruments de cette pseudo-communication, posant Ja question de Tinvention «Vinstra- ments supérieurs. Henri Lefebvre (La Somme et le Reste) en vient 4 se demander «si Ja crise de la philosophie ne signi- fle pas son dépérissement et sa fin, cn lant que philosophie >, en ou- pliant que ceci fut & la base de la pensée réyolutionnaire depuis la onziéme Thése sur Feuerbach. Nl 2 présenté une critique plus radicale. dans le numéro 15 Arguments, en- visageant Vhistoire humaine comme Ja traversée et abandon successifs de diverses sphéres : le cosmique, le maternel, le divin, et aussi bien la philosophie, économie. la politique ct enfin Mais nous rejoignons JA cette science-fiction de la pensée révolu- tionnaire qui se préche dans Ar guments, aussi audacieuse pour engager des millénaires @histoire quincapable de proposer une seule nouveauté ici ia fin du siecle; et naluretiement acoquinge dans le présent avee les pites exhumations du néo-réformisme. Lefebvre voit hien que chaque domaine s’effondre en s'explicitant, dorsquril est allé au pout de ses virtualités et de son impérialisme, « lorsqu’il s'est pro- clamé totalité 4 Péchelle humaine (done finie), Au cours de ce déploie- iment, vt seulement aprés cette iHu- soire el outranciére proclamation, la négativité que ce monde portait dgja et depuis longtemps en soi s'affirme, le dément, le ronge, }e démantéle, Pabat. Seule, une totalité accomplie peut révéler qu'elle nest pas la tolalité. » Ge schéma, qui s'appliaue plutét A la philosophic apres Hevel, définit parfaitement Ja crise de Part moderne, comme il est trés facile de le vérifier en en étu- diant une tendance dxtréme : par exemple, la poésie, de Mallarmé au surréalisme, Ces conditions, déja dominantes & partir de Baudelaire, constituent ce que Panlhan appelle la Terreur, considérée par Ini comme une crise accidentelte du langage, sans tenir compte du fait qu’elles. concernent —paraliélement fous les autres movens «expression artistiques. Mais Vampleur des vues de Lefebvre ne Ini sert & rien quand il écrit des poemes qui sont, quant 4 Jeur date, sur le modéle historique de 1925, et quant au nivean d’effi- cacité atteint par cette formule, au plus bas. Et quand il propose une conception de Part moderne (le romantisme-révolutionnaire), il conseille aux artistes de revenir & ce genre (expression —- ou & Wan tres plus anciens encore -— pour exprimer la sensation profonde de la vie, et les contradictions des hommes avaneés de leur temps ; cest-a-dire indistinctement de Ieur public et d’eux-némes. Lefebvre veut ignorer que cette sensation et ces contradictions ont déja été ex- primécs par tout l'art moderne, et justement jusqu’é la destruction de Vexpression elle-méme. Ul n’y a pas, pour des révolution- naires, de possible retour en arrigre. Le monde de Vexpression, quel que soit son contenu, est deja périmé. Il se répéte scandaleuse- ment, pour se maintenir aussi long- temps que Ja société dominante réussira 4 maintenir la privation et la rareté qui sont les conditions anachroniques de son régne, Mais le maintien ou ta subversion de cette société n'est pas une question ulopique : c'est la plus brilante question d’aujour@hui, celle qui commande toutes les autres, Le- febvre devrait :ponsser plus loin Ia réflexion 4 partir @une question qu'il a posée dans le méme article : «Chaque grande époque de Tart ne futelle pas une féte funébre en Phouneur dun moment disparu ? > Ceci est également vrai 4 Véchelle individuelle, o& chaque cuvre est une fete funébre et commémorative Wun moment disparu de sa vie. Les créations de V’avenir devront mode- Ter directement la vie, créant et banalisant ies _« instants exception. nels », La difficulté de ce sant est mesurée par Goldmann quand il re- marque (dans une note de Re- cherches dialectiques, page 144) : «Nous mavons aucun moyen dac- tion directe sur l'affectif. >» Ce sera la tache des créateurs dune nou- velle culiure dinveater ces moyens, 1 faut trouver des instruments opératoires intermédiaires entre cette praxis globale dans laquelle se dissoudra un jour chaque aspect de la vie totale dune société sans classes, et Yactuelle pratique indivi- duelle de Ja vie «privée >, avec ses pauvres recours artistiques ou au- tres. Ce que nous appelons situa- tions & construire, est Ia recherche Wune organisation dialectique de réalités partielles passagéres, ce qu’André Frankin a désigné comme «une planification de Fexistence » individuelle, wexeluant pas mais, au contraire, « retrouyant » le hasard (dans sa Critique da Non- Avenir). La situation est concuc comme le contraire de Loeuvre d'art, qui est un essai de valorisation absolue, ct tie conservation, de Pinstant pré- sent, Ceci est l'épicerie fine esthe- lique d’un Malraux, dont il est a noter que les « intellectuels de gauche », qui s‘indignent de le voir aujourd’hui a ie tte de la plas mé- prisable et imbécile eseroquerie politique, Pavaient auparavant pris au sérieux — aveu qui contresigne leur faillite. Chaque situation, aussi consciemment coastruite qu'elle puisse étre, contient sa mégation et ya inévitablement vers som propre renversement. Dans la conduite de la vie individuelle, ung action situa- tionniste ne se fonde pas sur idee abstraite du progrés vationaliste (selon Descartes « nous rendre maitres et possesseurs de Ia na~ ture 2}, mais sur une pratique de Varrangement @u milieu qui nous conditionne. Le constructeur de situations, si l'on reprend un mot de Marx, ¢ en agissant par ses mouyements sur la nature exté rieure et en la transformant. transforme en méme temps sa propre nature. > Une thése d’Asger Jorn, dans les conyersations qui ont mené a la formation de VIS., était le projet 7 de mettre fin A la séparation qui s'est produite vers 1930 entre les artistes @avant-yarde et la gauche révolutionnaire, auparavant all Le fond du probléime est que, de- puis 1930, il m’y a plus eu ai mouve- ment révolutionaaire, ni avant-garde artistique pour répondre aux possi- bilités de Tépoque. Un nouveau départ, ici et 14, devra certainement se faire dans Vunité des problémes et des réponses. Les obstacles évidents de Pac- tualité déterminent une certaine ambigaité du mouvement situation. nisle comme péle @attraction pour des artistes préts a faire tout autre chose. Gomme les prolétaires, théo- riquement, devant Ja nation, les situationnistes campent aux portes de Ja culture, [ls ne veulent pas s'y établir, ils inserivent en cneur dans Tart moderne, ils sont les organisatcurs de Pabsence de cette avant-garde esthétique que la cri- tique hourgeoise attend et que, tou- jours décue, elle s'appréte a saluer A la premiére occasion, Ceci ne va pas sans risque de diverses interpré- tations rétrogrades, et méme @ l'in- terieur de VES. Les artistes de la decomposition, par exemple Ala der- nigre foire tenue 4 Venise, parlent déja de « situations >. Ceux qui comprennent tout en termes de vieilleries arlistiques, comme for- mules verbales anodines destinées & assurer la vente @aeuvrettes pictu- rales encore plus anodines, peuvent yoir TLS. gj parvenue a un certain suecés, 4 une certaine re- connaissance : cest parce qu'ils wont pas compris devant quel grand tournant encore @ prendre Nous nous sommes rassemblés. Bien sr, le dépérissement des formes artistiques, s'il se_traduit par Fimpossibilité de leur renouvel- Jement créatif, wentraine pas im- meédiatement leur véritable dispa- rition pratique. Elles peuvent se répéler avec diverses nuances. Mais tout révéle = Pébranlement de ce monde >, pour parler comme Hegel dans ia préface de la Phénoménolo- gie de VEsprit : « La frivolité et ennui qui envahissent ce qui subsiste encore, Je pressentiment vague dun inconnu sont les signes annonciateurs de quelque chose Wautre qui est en marche. » Nous devons aller phis Join, sans nous attacher A rien de Ia culture moderne, et non plus de sa négation. Nous ne youlons pas travailler au spectacie de la fin un monde, mais ada fin du monde du spectacle. @ LE CINEMA APRES ALAIN RESNAIS. La «nouvelle vague > de réalisa- teurs qui effectue en ce moment ia reléve du cinéma francais est dé- finie Wabord par Vabsence notoire et complete de nouveauté artistique, fat-ce simplement au stade de Vin- tention. Moins négativement, elle est caractérisée par quelques conditions économiques particuliéres dont le trait dominant est sans doute Vim- portance prise en France, depuis une dizaine d’années, par une cer- taine critique de cinéma qui repré- sente une force d’appoint non négligeable pour V'exploitation des films. Ces critiques en sont venus 4 employer cette force directement 4 leur usage, en tant qu’auteurs de films. Ceci constitue Ieur seule unité, Les valorisations —respee- tueuses qu’ils plaquaient sur une production dont {out leur échappait servent désormais pour leurs pro- pres ceuvres, devenues réalisables & bon marché dans Ja mesure méme ol ce jeu de valorisation peut remplacer, pour un public assez étendu, Jes coffenses attractions du star system. Ta «nouvelle vague > est principalement expression des intéréts de cette couche de cri tiques. Dans la confusion dont ceux-ci ont toujours véen, comme critiques et comme cinéastes, le film d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour. passe avec le reste de la fameuse vague, et recteille le méme genre Wadmiration, Tl est facile de re- connaitre sa supériorité, Mais il semble que peu de gens se pré- oceupent de définir la nature de cette supériorité. Resnais avait déja fait plusieurs courts-métrages, avec le plus grand talent (Nuit et Brouillard), “mais c'est Hiroshima gui marque un saut qualitatif dans 4e développement de son ceuvre ct dans celui du spec- tacle cinématographique mondial. Si Von met & part des expériences qui sont restées jusqu’ici en marge du cinéma, tels certains films de Jean Rouch, quant au contenu, ot ceux du groupe lettriste vers 1950, quant aux recherches _formelles (sou, Wolman, Marco — les corres- pondances du premier surtout avec Resnais n’étant curiewsement signa- lées par personne), Hiroshima ap- parait comme le film de plus original, celni qui contient le plas @innova- tions depuis Pépoque de Wafficma- tion du cinéma parlant. Hiroshima, sans renoncer 4 une maitrise des pouvoirs de Pimage, est fondé sur la prééminence du son : Fimportance de la parole procéde non seulement une quantité et méme Pune qualité inhabituelles, mais du fait que te déroulement du film est beaucoup moins présenté par Jes gestes des personnages filmés que par leur récitatif (equel peut aller jusqu’a faire souverainement le sens de Fimage, comme c'est le cas pour le long travelling dans Jes rues qui termine la :premiére séquence). Le public conformiste sait qu'il est permis admirer Resnais. Ii Padmire done tout comme un Chabrol. Resnais, par diverses dé- clarations, a montré qwil avait suivi une ligne réféchie dans la recherche Wun cinéma fondé sur Pautonomie du son (en définissant Hiroshime comme un « long court-métrage » commenté; en reconnaissant son inférét pour quelques films de Guitry ; en parlant de sa tendance vers un opéra_cinématographique). Cependant, Ja discrétion personnelle 8 et la modestie de Resnais ont aidé 4 estomper Je probléme du sens de Févolution qu'il représente. Ainsi, la critique s'est partagée en réserves et Gloges également inadéquats. I‘objeetion la plus banale et la plus fausse consisie a dissocier Resnais de Marguerite Duras, en sa- luant Je talent du metteur en scéne pour déplorer l'exagération Httéraire des dialogues. Le film est ce qu'il esi cause de cet emploi du Jangage. que Resnais a voulu, et que son scénariste a réussi, Jean-Fran- cois Revel, dénoncant trés juste- ment, dans Arts (2 Hi, Ja « révo- lution rétrospective » menée par le psendo-modernisme des , romanesque on cinémato- graphique, comme! T'erreur d’y englober Resnais & cause de son commentaire, «pastiche de Clau- del». Ainsi Revel, qui depuis loag- temps s'est fait apprécier par ine telligence de ses attaques sans jamais définir ce qu'il aime, montre une faiblesse soudaine quand il s'agit de distingner, dans la paco- lille 4 la mode, tne nouveauté réelle. Ce qu'il préfére. d'aprés son article @Arts, simplement a canse du contenu. syinpathique, c’est la mal- heureuse “convention cinématogra- phique des Tripes au soleil, de Bernard-Aubert, Les partisans de Resnais parlent assez libéralement de genie, & cause du prestigieux mystére du terme, qui dispense ’expliquer importance objective «'Hiroshima : apparition dans le cinéma «commercial» du mouvement ¢auto-destruction qui domine tout l'art moderne. Les admirateurs d'Hiroshima s’ef- forcent d’y trouver les petits cétés admivables, par of ils le rejoin- draient. Ainsi, tout le monde va parlant de Faulkner et de sa temporalité. La-dessus, Agnés Varda, qui n'a rien, nous dit qu'elle doit tout 4 Faulkner. En fait, chacun insiste sur le temps bouleversé du film de Resnais pour ne pas en voir les autres aspects destructifs. De la méme facon, on parle de Faulkner comme d'un spécialiste, accidentel, 9 de Vémiettement du temps, acciden- tellement rencontré par Resnais, pour oublier ce qwil est déjd advenn du temps, et plus générale- ment du récit tomanesque, avec Proust et Joyce. Le temps d’Hiros- hima, la confusion d'Hiroshima, ne sont pas une annexion du cinéma par fa littérature; c'est Ja suite dans le cinéma du mouvement qui 2 porté toute Pécriture, et @abord 1a poésie, vers sa dissolution. On a aussi tendance & expliquer Resnais, de méme yue par des talents exceptionnels, par des mo- tivations psychologiques personnel- Jes — ies uns comme Jes autres ayant évidemment un réle, que nous n’examinerons pas ici, Ainsi, on entend dire que le théme de tous les films d’Alain Resnais est la mémoire, comme par exemple celui des films de Hawks est Pamitié vi- rile, etc. Mais on veut ignorer que Ja mémoire est forcément le theme significatif de ‘apparition de la phase de critique interne d’un art. De sa mise en question ; sa contesta- tion dissolvante. La question du sens de la mémoire est toujours lige A la question du sens dune permanence transmise par Vart. Le plus simple acces du cinéma au moyen dexpression libre est en méme temps déjd dans la perspec- tive de Ia démolition de ce moyen. Des que le cinéma s’enrichit des pouvoirs de Part moderne, if rejoint la crise globale de Part’ moderne. Ge pas en avant rapproche le cinéma de sa mort, en méme temps que de sa liberté : de la preuve de son insuffisance. Dans le cinéma, la revendication une liberté dexpression égale A celle des autres arts masque la faillite générale de Pexpression au bout de tous les arts modernes. [expression artistique n’est en rien une véritable self-expression, une réalisation de sa vie. La proclama- tion du « film @autenr > est déja périmée avant @avoir effectivement dépassé la prétention et Je réve. Le cinéma, quia virtuellement des plus forts que Jes arts traditionnels, est chargé de trop de chaines économiques et morales pour pouvoir étre jamais libre dans les présentes conditions sociales. De sorte que Je procés du cinéma sera toujours en appel. Et quand Je renversement prévisible des conditions culturelles et sociales permetira un cinéma libre, beau- coup autres domaines d’actions auront été introduits nécessaire- @ LE DETOURNEMENT COMME ET COMME PRELUDE Le détournement, c'est-a-dire le réemploi dans une nouvelle unité éléments artistiques préexistants, vest une tendance permanente de Vactuelle avant-garde, _antérieure- ment & la constitution de} comme depuis. Les deux lois fonda- mentales du détournement sont la perte @importance — allant jusqu’a la déperdition de son sens premier — de chaque élément autonome de- tourné; et en méme temps, l'orga- nisation d'un autre ensemble signi- fiant, qui confére 4 chaque élément sa_nowvelle portée. Ty a une force spécifique dans de détournement, qui tient évidemment 4 Fenrichissement de Ja plus grande part des termes par la coexistence en eux de leurs sens ancien et im- meédiat —- leur double fond. H y a une utilité pratique par la facilité @emploi, et Jes virtualités inépui- sables de réemploi; a propos. du moindre effort permis par le détour- nement, nous avons déja dit (Mode dempioi du délournement, mai 1956) : « Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie avec daquelle on bat en bréche toutes Jes murailles de Chine de Vintelligence. » -Cependant, —_ ces points par eux-mémes ne justifient pas le recours au procédé que la phrase précédente montrait « se heurtant de front a toutes Tes ment. Il est probable qu’alors la liberté du cinéma sera largement dépassée, oubliée, dans le développe- ment général Wun monde oi le spectacle ne sera plus dominant. Le trait fondamental du — spectacle moderne est la mise en scéne de sa propre ruine. Cest importance du film de Resnais, assurément concu en dehors de cette perspective his- forique, d’y ajouter une nouvelle confirmation. NEGATION conventions mondaines et juridi- ques.» Ti y a un sens historique au détournement. Quel est-il ? «Le détournement est un jew dit A Ja capacité de dévalorisation >, écrit Jorn, dans son étude Peintare dé- tournée (mai 1959), et il ajoute que tous les éléments du passé ewlturel doivent étre «réinvestis » on dispa- railre, Le détournement se révéle ainsi @’abord comme la négation de la valeur de Vorganisation anté- rieure de Yexpression. Il surgit et se renforce de plus en plus dans Ja période historique du dépérisse- ment de expression artistique. Mais, en méme temps, les essais de réemploi du « bloc détournable > comme matériad pour un autre ensemble expriment la recherche d'tme construction plus vaste, a un niveau de référence supérieur, comme une nouvelle unité moné- taire de la création, VLS. est_un mouvement trés particulier, une nature ditférente des avant-gardes artistiques précé- dentes, L’LS. peut ére comparée, dans Ja culture, par exemple a un laboratoire de recherches, et aussi bien a un parti, of mous sommes situationnistes, et o& rien de ce que nous faisons n’est situationniste. Ceci n'est un désaven pour per- sone, Nous sommes partisans dun certain avenir de la culture, de fa 10 vie. L’activité situationniste est un métier défini que nous n’exercons pas encore. Ainsi, la signature du mouvement. Ja trace de sa présence et de sa contestation dans la réalité culturetle aujourd'hui, puisque nous ne pou- vons en aucun cas représenter un style commun, quel qu'il soit, c'est @abord Yemploi du détournement. On peut citer, au stade de Fexpres- sion détournée, les peintures modi- fises de Jorn; le livre « entiére- ment composé éléments préfabri- qués > de Debord et Jorn, Mémoir (dans lequel chaque page se lit en tous sens. et oi les rapports réci- proques des phrases sont toujours inachevési ; les projets de Constant pour des ‘sculptures détournées dans Je cinéma, le documentaire dé- tourné de Debord Sur le passage de quelques personnes & travers wre assez courte nnité de temps. Au stade de ce que le Mode d'emploi du détowmnement appelait ¢ Vultra-dé- tournement, c’est-i-dire les tendan- ces du délournement 4 s’appliquer dans la vie sociale ef quotidienne » (par exemple Jes mois de passe ou le dégnisement vestimentaire, apparte- nant & la sphére du jew), i] fandrait parler, A des niveaux différents, de Ja peinture industrielle de Gallizi dn projet ¢ orchestral » de Wye- kaert pour une peinture a la chaine avec division du travail sur la base de le couleur ; des multiples détour- nements <édifices qui seront A Vorigine de Yurbanisme unitaire. Mais ce serait aussi le dieu de citer les formes mémes de I's organisa tion» de PLS., et de sa propagande. Ace point de Ia marche du montle, toutes les formes de Vex- pression commencent & tourner & vide, et se parodient elles-mémes, Comme les lecteurs de cette revue peuvent Je constater fréquemment, Yécriture aujourd'hui a toujours quelque chose de parodique. « I! faut, annoncait le Mode d’emploi. concevoir un stade parodique-sé- ricux of Paccumulation d’éiéments aétournés, loin de vouloir susciter Vindignation ou le rire en se réfé. rant a la notion @une ceuvre ori- ginale, mais marquant au contraire notre indiiférence pour un original idé de sens et oublié, s’emploierait a rendre un certain sublime. » Le parodique-sérienx reconvre les contradictions @une époque ot nous trouvons, aussi pressantes, Pobliga- tion et la presque impossibilité de rejoindre, de mener, tne action collective totalement novatrice. Ot le plus grand séricux s’avance mas- que dans le double jeu de Tart et de sa négation; of les essentiels voyages de découverte ont été en- trepris par des gens (une si émou- vante incapacité. @ L'URBANISME UNITAIRE A LA FIN DES ANNEES 50 En aoat 1956, un tract signé par les groupes qui préparaient la for- mation de I'S. appelant & boycot- ler le prétendu ¢ Festival de PArt d’Avant-Garde » conyogné alors & Marseille, faisait. observer qu'il S'agissait de la plus compléte sélec- tion officielle de «ce qui représen- tera dans vingt aus Timbécillité des années 50>. Tart moderne de cette période aura été en effet doming, et presque exclusivement composé. par des répétitions camouflées, par une stagnation qui traduit Pépisement 11 définitif de tout Tancien thédtre @opérations culturel, et Pimpuis- sance d’en chereher un nouveau. Cependant, souterrainement, certai- nes forces se sont constituées dans le méme temps. I] en va ainsi de a conception d’un urbanisme unitaire, apercue dés 1953, et désignée pour la premiére fois & la fin de 1956 dans un tract distribué 4 Poccasion @une manifestation de nos cama- rades italiens, & Turin (« Paroles obscures, écrivait La Nuova Stampa du 11 décembre, dans le genre de cet avertissement : « Mavenir de vos enfants en dépend, manifestez en faveur de Turbanisme uni- taire!>). L'urbanisme unitaire est au centre des précccupations de PLS. ; et quels que soient les délais et les difficultés d’application, ¢’est trés justement que le rapport inaugural de la Conférence de Miinich constate qu’avec son appa- rition sur le plan de }a recherche et du projet, Purbanisme unitaire est déja commencé, Voit que les années 50 vont finir, ces jours-ci. Sans chercher & prévoir si leur imbéeillité dans Tart et Pusage de la vie, qui tient a des causes générales, peut s'atlénuer ou s'aggraver immédiatement, il est temps @examiner ou en est PU.U aprés un premier stade de dévelop- pement. Plusicurs points sont a préciser. D’abord Purbanisme unitaire n'est pas une doctrine d’urbanisme, mais une critique de l'urbanisme. De la méme facon, noire présence dans Part experimental est ane critique de Part, la recherche sociologique doit étre une critique de la socio~ logic. Aucune discipline séparée ne peut étre acceptée en elle-méme, nous allons vers tne création globale de Vexistence. WVurbanisme unitaire est distinct des problémes de Vhabitat, et cepen- dant destiné 4 les englober ; 4 plus forte raison, distinct des échanges commercianx actuels, Tl envisage en ce moment um terrain dexpérience pour Pespace social des villes fu- tures, [I n’est pas une réaction contre Je fonctionnalisme, mais son dépas- sement : il s’agit Watteindre, au-dela de Futilitaire immédiat, un environ- nement fonctionnel passionnant, Le fonctionnalisme, qui prétend encore a Vavant-garde parce qu'il rencontre encore des résistances passéistes, a déja Fargement triomphé. Ses ap- ports positifs : Vadaplation a des fonctions pratiques, innovation technique, le confort, le bannisse- ment de Vornement surajouté — sont aujourd'hui des banalités, Mais son champ d'application tout compte fait étroit n'a pas conduit le fone- tionnalisme & une relative modestie tnorique. Pour justifier philosophi- quemeni Textension de ses principes de renouvean 2 toute Vorganisation de la vie sociale, le fonctionnalisme a fusionné, comme sans y penser, avec les doctrines conservatrices les plus immobiles (et, en méme temps, i s'est figé lui-méme en doctrine immobile). Ii faut construire des at- mospheres inhabitables ; construire les rues de la vie réeite, les décors d'un réve éveillé, La question de ta construction des églises fournit un crilére particuligrement voyant. Les architectes fonetionnalistes ont ten- dance & accepter de construire des églises, pensant — s'ils ne sont pas des idiots déistes — que V’église, édifice sans fonction dans un urba- nisme fonctionnel, peut étre traitée comme un libre exercice de for- mes plastiques. Leur erreur est de négliger Ia réalité psyeho-fonction- nelle de Véglise. Les fonctionna- listes, qui expriment Putilitarisme technique dune époque, ne peuvent réussir une seule église, au sens ot Ia cathédrale a été la réussite uni- taire @une société qu'il fant bien ap- peler primitive, enfoneée beaucoup plus loin que nous dans 1a miséra- ble prehistoire de Fhumanité. Les architectes situationnistes, eux, cher- chant & créer, 4 Pépoque méme des techniques qui ont permis le fonc- tionnalisme, des nouveaux cadres de comportement délivrés de 1a banalité aussi bien que de tous les vieux tabous. sont absolument op- posés a Védification, et méme a la conservation, de batiments reli- gieux avec lesquels ils se trouvent en concurrence directe. L'urbanisme unitaire rejoint objectivement les intéréts d’one subversion ensemble. Autant que de habitat, Pur banisme unitaire est distinet des problémes esthétiques. 1 va contre le spectacle passif, principe de notre culture of organisation du spectacle s’étend dantant plus scandaleusement qu’augmentent les moyens de Vintervention humaine. Alors qu’aujourd’hui les viiles elles- 12 mémes sont données comme un Ia- meniable spectacle, un supplément auA musées, pour ies touristes pro- menés en aulocars de verre, PUU. envisage le miliew urbain comme terrain d'un jen en participation. Teurbanisme unitaire vest pas idéalement séparé du terrain actuel des villes. II est formé a partir de Fexpérience de ce terrain, et & par- lir des constructions — existantes. Nous avons autant 4 exploiter les decors actuels, par Taffirmation Wun espace urbain ladique tel que le fait reconnaitre la dérive, qu’ en construire de totalement inédits. Celie interpénetration (usage de ia ville présente, construction de la ville future) implique le maniement dq détournement architectural. Vurbanisme unitaive est opposé a la fixation des villes dans le temps. Tl conduit & préconiser au contraire la transformation permanente, un. mouvement secéléré (abandon et de reconstruction de la ville dans le temps, el & occasion aussi dans Yespace. Oa a pa ainsi envisager de firer parti des conditions climati ques ou se sont développées déja deux grandes civilisations architee- turales -— au Cambodge et dans le sud-est du Mexique — pour construire dans la forét vierge des villes mouvantes. Les nouveaux quartiers (une telle ville pourraient Gre construils toujours plus vers Ouest, défriché a mesure, tandis que PEst serait & part égale aban- donné & Penvahissement de la végé- lation tropicale, créant elle-méme 13 Emplacement pour une maison a usage situationniste. Au point central de PAllée des Cygnes, 2 Paris, le socle de l'édifice serait je pont éu chemin de fer désaffecté qui coupe Vile, inutitement pour Finstant, La largeur de la maison est celle de ile. Le passage, déja fimicé aux piétons par l'escalier qiti com- mande le nord de Tile, continue sous la maison; laquelle peut communiquer direc~ tement avec les deux rives (15° et 16° arroi dissements) par les ponts qui se raccordent a ses faces latérales. Ce projet, établissant une habitation permanente, tend & rien moins qu'a peupler, 2 "ecemple des stations de FAntaresique, !2 troisitme ile de Paris, jusqu’s ce jour déserte des couches de passage graduel entre la ville moderne et la nature sauvage. Cette ville poursuivie par Ia forét, outre Ja zone de dérive inégalable qui se formerait derriére clle, et un mariage avec la nature lus hardi que’ les essais de Frank Lloyd Wright, présenterait Vavantage @une mise en scéne de la fuite du temps, sur un espace social condamné au renouvellement créa- tif. Lurbanisme unitaire est contre la fixation des personnes 4 tels points Wune ville. 1 est le socle dune civilisation des loisirs et du jeu. On doit noter que dans le earcan du systéme économique —actuel, la lechnique a été employée a mul plier les pseudo-jeux de la passivit et de Pémicttement social (télévi- sion), alors que les nouvelles formes de participation Iudique également rendues possibles sont réglementées par toutes les polices : ainsi, les sans-filistes amateurs, réduits & un boy-scoutisme technicien. Carte du pays de Tendre, 1656. Lexpérience situationniste de la dérive étant en méme temps moyen étude et jeu du miliew ucbain, elle est sur Je chemin de Purbanisme amitaire. Ne pas vouloir séparer le théorique du pratique, & propos de VU. eest non seulement faire avancer la construction (ou les re- cherehes sur la construction, par les maquettes) avec la pensée théori- que ; mais c’est surtout ne pas sépa- rer Yemploi Iudique direct de Ja ville, collectivement ressenti, de Purbanisme comme construction. Les jeux et émotions réels dans les villes actuelles sont inséparables des projets de YU.U., comme plus tard tes réalisations de PUL, ne doi- vent ‘pas se séparer de jeux et Wémotions qui aaitront dans cet accomplissement, Les dérives que VInternationale situationniste est appelée A entreprendre au prin- temps de 1960 a Amsterdam, avec d’assez puissants moyens de transport et de télécommunication, sont envisagées aussi bien comme 14 une étude objective de la ville, et comme un jeu des communications. En effet. la dérive, en dehors de ses enseignements essentiels, ne permet qu'une connaissance frés exacte- ment datée. En quelques années, la constraction ou la démolition de maisons, le déplacement des mier sociéiés et des modes suffisent & changer le réseau d’attractions su- perficielles d'une ville; phénoméne Wailleurs irés encourageant pour le moment of nous parviendrons une liaison active entre la dérive et la construction urbaine situation- niste, IT est certain que, jusque-la, le milien urbain changeca tout seul, anarchiquemeat, démodant finale ment les dérives doat les conclusions mont put se traduire en changements conscients de ce milieu. Mais Je pre- mier enseignement de ia dérive est sa propre existence en jeu. Nous ne sommes qu'au début de Ta civilisation urbaine ; nous avons encore & Ja faire nous-mémes, quoi- qu’en partant de conditions pré- existantes. Toutes les histoires que nous vivons, la dérive de notre vie, sont marquées par la recherche, ou Je manque, (une construction supé- rieare. Le changement de Penviron- nement fait surgic de nouveaux états de sentiments, @abord passive- ment ressentis, puis qui en viennent & réagir constructivement, avec Vaceroissement de la conscience, Londres a éé Je premier aboutisse- ment urbain de la révolution in- dustrielle, et c’est la littérature an- glaise du xix" siécle qui témoigne Wune prise de conscience des pro- blémes de Patmosphére et des possi- bilités qualitativement différentes dans une grande agglomération. La lente évolution historique des pas- sions prend un de ses_tournants avec amour de Thomas de Quincey et de Ia pauvre Ann, fortuitement séparés et se cherchant sans jamais se retrouver ¢ & travers limmense labyrinthe des rues de Londres ; Une zone expérimentale pour la dérive. Le cenzre d’Amsterdam, cui sera systématiquement exploré par des équipes situationnistes en avril-mai 1960. peut-étre a quelques pas Wun de Pautre...». La vie réelle de Thomas de Quincey dans la période comprise entre 1804 et 1812 en fait un pré- curseur de la dérive ; « Cherehant ambitieusement mor passage au Nord-Ouest, pour éviter de doubler de nouveau tous les caps et les pro- montoires que j'avais rencontrés dans mon premier voyage, j’entrais soudainement dans des labyrinthes de ruelles... Paurais pu eroire par- fois que je venais de découvrir, moi vers la fin du siéele, celte sensation est si couramment admise dans Vécriture romanesque que Stevenson montre un personnage qui, dans Londres la nuit, s'étonne de « mar- cher si longtemps dans un décor aussi complexe sans rencontrer ne fat-ce que ombre d'une ayenture » (New Arabian Nights). Les urbanis- tes du xx" siécle devront construire des aventures. Tacte situationniste le plus simple consistera a abolir tous les le premier, quelques-anes de ces terre incognite, et je doutais qu’el- Tes eussent été indiquées sur les cartes modernes de Londres. > Bt souvenirs de Vemploi du temps de notre époque. C'est une époque qui, jusquici, a véeu trés au-dessous de ses moyens, a ——— eae Renseignements situationnistes La section hollandaise de I'LS. (adresse : Polaklaan 25, Amsterdam Cj a organisé deux manifestations avec conférences prononcées — selon Tusage situationniste — par des magnélophones, et débats irés animés: l'une, en avril 4 Académie d’Architecture ; l'autre en juin, au Stedelijk Museum, Elle avait adopté, en mars, une résolution contre Ja restauration de Ja Bourse WAmsterdam, exigée par toute Vopinion artistique, en proposant au contraire «de démolir la Bourse et @aménager le terrain comme terrain de jeu pour la population du quartier > et en rappelant que si «la conservation des anti- quités, comme Ia peur des nouvelles constructions est la preuve de Pim- puissance actuelle... ie centre (Amsterdam n’est pas un musée, mais Phabitat hommes vivanis >. En aoit, les situationnistes hollandais ont exposé dans un numéro spécial de la revue Forum (n" 6), nos positions sur lunification des arts et leur intégration & Ja vie quotidinne. Rejetant divers bavardages sur ce theme, la présentation de Constant déclare Wemblée : « Il faut qu'une modification folale de la structure sociale et de la créativité artistique précede Pintégra- tion >. La section allemande de V'LS. est a present crganisée a l'adresse suivante : Deulsche Sektion der Situationistischen Internationale, Kaulbachstrasse 2, Miinich. Elle a édité, pour servir 4 la discussion préparatoire de Ja Troisieme Conférence, deux documents traduits sous les titres : « Erklérung vor Ams- ferdam » et ¢ Thesen ber die Kulturelie Revolution ». Une note concernant Page moyen des situationnistes, parue dans le n? 2 de cette revue, exige d'étre A la fois complétée par Vévolution enregistrée depuis lors, et rectifiée quant i Pinterprétation des statistiques — en elles- 16 mémes correctes — qui avaient été employées. Celle note indiquait que la moyenne dage de vingt-neu? ans et demi, qui était celle de la fondation de TLS., s’était levée en une seule année & un peu plus de trente-deux ans, Pour éclairer ce processus de vieillissement accéléré, et considérant que I'LS. se présentait largement comme une suite du mouvement avant-gardiste « lettriste » du début des années 50, on y comparait le chiffre méme de vingt-neuf ans et demi avec la moyenne, inférieure a vingt et un ans, qui, quatre années plus tot seulement, était celle de Internationale lettriste « & été de 1953». Crest ici qu'il convient d’examiner de plus prés les oscillations des chiffres, et eur relation avec les variations dans le recrutement du mouve- ment. Lage moyen du mouvement lettriste uni, en 1952, s’éléve A 24,4. Au jour de la rupture — da gauche lettriste ayant généralement rassemblé Vaile Ia moins agée — il tombe a 23 dans [Internationale lettriste. Ce dernier mouvement s’orientant vers un extrémisme toujours plus séparé de Péconomie culturelle, et étant rejoint par des éléments trés jeunes, lage moyen descend en effet 4 20,8 pour l’été de 1953 (chiffre de base de l’évalua- tion dans notre n° 2). En prenant ainsi pour point de départ le chiffre de 24,4 en 1952, le vieillissement norma! en 1957 donnerait 29,4, En fait, il est au moment de Ja Conférence de Cosio d’Arroscia égal 4 29,53. Cette analogie montre que les éléments anciens expulsés sont remplacés par une autre couche provenant de différentes tendances avant-gardistes de la méme génération. Les adolescents de 1953 ont été dans Vensemble eux-mémes remplacés par ces nouveaux professionnel, Aprés un an d’existence de PLS., Page s'éleve a 82,08 (au lieu du vieillissement normal de 30,4 4 partir de 1952, ou de 30,53 a partir de Cosio d’Arroscia), C'est effectivement un vieillissement trés notable, traduisant le fait que le ralliement d’éiéments prédlablement engagés dans Yart expérimental de l'aprés-guerre se poursuit, Le vieiliissement reporté sur une période de six ans est cependant bien loin du taux catastrophique qui apparaissait dans notre précédente analyse. Mais on peut se préoccuper de Vabsence dun renowveliement par des fractions plus jeunes. Des signes d’un tel renouvellement se présentent pour la premiére fois en 1959, Aprés la Conférence de Miinich, en effet, age moyen dans V'LS. s'établit & 30,8, en recul trés important sur le chiffre de Yannée précédente (32,08), et en recul méme par rapport au chiffre du vieillissement normal depuis Pété de 1952 (31,4). Il reste que ce recul — outre que ses causes sont principalement localisées en Allemagne — n’introduil, & considérer 1a période de sept ans, qu’un faible rajeunissement ; ei que Yon ne peut parler encore dune jeune génération ayant giobalement remplacé celle de 1952 dans Ia recherehe culturelle 1a plus avancée, Une note dans le premier numéro (du 15-7-59) de In nouvelle série de Potlaich («Sur Venléveinent des ordures de Vintelligence ») qui rappelle que Hans Platschek a été exclu en février & cause de sa collusion avec la revue «dadaisto-royalisie > Parderma, souligne & ce propos que <¢Platschek se trouve étre seulement le sixiéme cas d'exclusion depuis la formation de PLS. > Signalons a titre comparatif que [Internationale lettriste, dans les deux premiéres années de son existence, avait déja exclu douze membres. Entre juin et octobre 1959, la rédaction d'Interrationale Siluationniste a recu 127 lettres anonymes. Toutes paraissent provenir des mémes personnes, exclues de longue date et demeurées aussi incapables d'accéder 4 17 différence envers leur trés ancienne mésaventure qué une quelconque réinlégration, ici ou ailleurs. Les survivants du lettrisme classique, dont Isou est Je plus notoire, warrivent pas a se défaire de plusieurs vieux disciples, qui sont aussi fidéles quils peuvent 4 la méthode, mais ambitionnent maintenant de tout recommen- cer pour leur propre compte < créatif> : Isou donne une idée des extrémités atteintes dans le conflit qui les déchire, en polémiquant (dans le numéro 8 de Poésie Nouvelle) avec le plus mystérienx, qu'il appelle X. «X.. me traite ensuite d'autodidacte. Or, j'ai presque autant de diplomes que lui et un peu plus que ses amis du mouvement, qui n'ont méme pas Jour bachot. «X.. vient de décrocher un dernier dipléme supplémentaire avant moi qui en prépare en ce moment d’autres : je suis certain que bientét jfaurai plus de diplémes que lui... @Mais déja, certains (entre nous atilisent le couteau pour régler leurs différends culturels. Quelgues-uns de mes disciples pensent déja & s‘acheter des revolvers pour imposer silence & leurs adversaires. Ici, je surgis et je m’oppose... Méme si celle ligne de sang doit étre franchie, je ne crois pas que, dans un monde ott le racisme et le fascisme renaissent — et ob Buffet, Francoise Sagan, «Elle >, le «nouveau roman» représentent la « culture moderne > — nous devions la franchir entre nous, crésteurs avant-garde ct, sur certains plans, révolutionnaires. » Dans un tract diffusé en novembre par le Laboratorio Sperimentale Alba, tes situationnistes Eisch. Fischer, Nele, Pinol-Gallizio, Prem, Starm et Zimmer Youent 4 Pexéeration publique le peintre espagnol Cuixard qui, pour bénéficier ping sarement du Grand Prix de Peinture de Sao-Paulo, n’a pas craint de denoncer le communisme de ses compatriotes Saura et Tapiés, au risque de Jes mettre cen de grandes difficultés vis-a-vis des organisations policiéres de Jenr pays >. Le supplément d'information attefidu de Ia série de dérives 4 effectuer dans Amsterdam en avril et mai 1960, ainsi que de la construction concomitante d’un labyrinthe, nous incite 4 renvoyer 4 plus tard la suite de étude sur la dérive commencée dans notre précédent numéro, comme le plan de situation alors annoncé. LA TROISIEME CONFERENCE DE Ll. S. A MUNICH Les travaux de ia Conférence de Munich. La Troisisme Conférence de PIn- ternationale situationniste s'est tenue A Miinich, du 17 au 20 avril 1959, quinze mois aprés Ja Deuxiéme Conférence de Paris (janvier 1958). Les situationnistes d’Allemagne, Bel- gique, Danemark, France, Hollande et Italie s’y trouvaient représentés par: Armando, Constant, G.-E. De- bord, Ervin Eisch, Heinz Hof, As- ger Jorn, Giors Melanotte, Har Oude- jans, Pinot-Gallizio, Heimrad Prem, Gretel Stadicr, Helmut Sturm, Mau- rice Wyckaert, Hans-Peter Zimmer. La premiére séance de travail, le 18 avril, débute par un rapport de Constant. sur Furbanisme unitaire. Il annonce la fondation en Hollande @un bureau de recherches pour Varbanisme unitaire. La discussion qui fait suite a ce rapport s’étend A tous les aspects de activité commune des situationnistes, Prem 19 pose diverses questions sur Ta subordination des recherches indi- viduelles & la discipline du monve- ment; puis, sur la définition méme une situation construite, et sa liaison avec la réalité globale, En ré- ponse, Jorn expose trois possibilités initiales @envisager la construction Wune situation < comme un lieu utopique ; ou comme une ambiance isolée ot Pon peut passer ; ou bien comme série d@ambiances ‘multiples mélées a la vie >. L'ensemble des participants, éeartant emblée la premiére voic, manifeste sa préfé- rence pour la troisi¢me, Armando pose la question du réle révolution- naire du prolétariat actuellement, Ensuite, Ja délégation italienne demande des précisions sur le pro- gramme concret du « burean de re- cherehes pour un urbanisme uni- taire >; s'inquiéte de Lautonomie qu'il peut prendre dans le mouve- ment, et (soutenue sur ce point par Jorn) de la dangerense spécialisa- tion quill risque @y acquérir. Mela- notte demande < comment sera éyaluée Vimportance @une cuvre, et si Yon ne peut étre situationniste dans le développement d'une oeuvre qui ne concernerait pas Yurbanisme unilaire ?>, Il fait remarquer gue ja notion @urbanisme unitaire re- couveant aussi le comportement, un certain comportement peut mener a aire situationniste sans avoir rien créé. Constant répond que c'est A Pensemble de IIS. qu'il appartient de donner des directives pour Vur- banisme unitaire, dont aucun situa- tionniste ne peut se désintéresser. activité du © bureau de recher- ches pour PU.U.», comme celle du Laboratoire Expérimental. d’Alba, dépend du. mouvement situation- niste — aucun de ces organismes particuliers ne doit engager PLS. ; mais Vinverse. La deuxiéme séance est ouverte par un rapport de Zimmer sur les conditions de notre action en Alle- magne, et Vhistoire de la formation, depuis 1957, de la nouvelle tendance de Payant-garde allemande (Ie groupe « Spurs) qui a maintenant rejoint Internationale _ situation niste. Zimmer et ses camarades, par- tis dunc opposition simplement picturale 4 Vuniformité moderniste (en y comprenant bientét le ta- chisme, récemment introduit) ont voult avancer vers ume ceuvre dart total — il se référe ici 4 Varchitec- ture du roi Louis II de Baviére ap- parentée & Vopéra wagnerien — incluant des aspects sociaux et politiques. Ns s’apercurent ainsi qu’< ils avaient d’autres buts encore inexprimés, et différents de tous ceux de art allemand». Dans cette recherche un art d’ensemble, ils ont été renforeés :par la liaison avec les situationnistes, ct par le grand scandale causé ici par leur attacue contre Je philosophe Bense, au dé- but de Pannée. Ils ont pris Bense pour cible 4 cause du nombre des disciples de ce qu'ils caractérisent comme <« une philosophie d’aprés- guerre; dans les ruines », L’action collective qu'ils soutiennent s’oppose au collectivisme anti-créatif de Bense qui vise «4 poursuivre le constructivisme dans le menu ». Les revues représentatives de ces positions réactionnaires dominantes en Allemagne sont principalement Kunstwerk, Zero et Kunst Schéne- haus. Jorn réplique en évoquant les re- lations entre unique et la multipli- cation, Debord apprécie favorable- ment la décision @extrémisme ma- nifestée par le rapport de Zimmer, Ii insiste sur ia nécessité et les dif- ficultés de sa conerétisation ; et met en garde nos camarades alle- mands contre Pimportation dans leur pays de nouveautés factices déja usées ailleurs. Déjouer ce mé- canisme régulier du_pseudo-moder- nisme constitue précisément Ia pre- miére tache d'une _ organisation avant-gardiste internationale, 4 une Spoque oft 1a culture ne peut plus Gtre envisagée qu’en termes d’unité planétaire. Oudejans intervient, au nom de la déiégation hollandaise, pour rappeler que la rationalisation peut el doit dire ulilisée, Elle est la base pour des constructions supérieures. Ta refuser, ce serail choisir les réves impuissants du passé. Sturm fait une vive critique de ce qu'il considére comme Ie pragmatisme des positions d’Qndejans. Constant cn souligne au contraire le sens dialeetique, Pinot-Gallizio et Jorn en commentent ensnite quelques points. Aprés une suspension, la séance reprend sur la discussion des onze points de la déclaration d’Amster- dam, présentée A ‘la Conférence comme une proposition de pro- gramme minimum pour PLS. Apres un débat assez long, la déclaration est adoptée a Vunanimité par les participants, des amendements ayant légérement modifié les premier, troi- siéme, neuviéme et onziéme points (voir les Documents publiés a Ja saite de ce compte-rendu). 20 La séance du 20 avril est consacrée aux décisions pratiques Worganisation. La Conférence ap- prouve les manifestations du mou- yement depuis la Conférence de Paris, et particuiigrement action de la section italienne lors de J'af- faire Guglielmi, action qui a pro- voqué Vindignation esthétique des seuls ennemis de la liberté. Constate la quasi-dissolution des activités de groupe de I'LS. en France; et Pexplique par les conditions de Vécrasant conformisme, d’inspira- tion militaire et policiére, qui domine dés & présent le nouveau régime de ce pays, et la longueur de Ta guerre colonialiste en Algérie quia conditionné ou brisé Ja jeu- nesse francaise : Paris ne peut plus élre désormais considéré comme le centre des expériences culturelles modernes. La Conférence se félicite au contraire, des progrés de LS. en Allemagne, el en Hollande. Envisage de réunir la Quatriéme Conférence en Angleterre, pour dé yelopper les possibilités. situation- nistes qui y apparaissent. Le comité de rédaction d'Interna- tionale Situationniste, bulletin cen- tral de V'LS., est élargi. T’ancien comité, maintenu en place, est complété par Constant (Hollande) et Helmut Sturm (Allemagne). Wye- kaert propose de reprendre la publi cation de Potlatch comme périod: al que intérieur de LS. La Conférence approuve ce projet, dont l'exécution est confi¢e & la section hollandaise. Une édition allemande d’Interna- tionale Situationniste est décidée en principe avant Ja fin de Vannée, sous kt direction de Heing Héfl, La Conférence adopte la résolu- tion transitoire d’une « présence situationniste dans Tes arts dau- jourd’hui >, se devant d’y déchainer la plus extréme inflation expérimen- tale, incessamment reliée aux pers- pectives constructives que nous dé- couvrons dans Pavenir. Ii s’agit de mener me action effective dans 1a culture, & partir de sa réalité pré- sente. Assouplissant les dispositions antérieures, Ja Conférence laisse libre les membres de T'LS, de soute- nir nos idées dans des journaux ou revues non contrdlés par nous, sous les seules réserves que ces publica- tions ne puissent étre considérées comme réactionnaires, dans quelque secteur que ce soit; et quiils ne Jaissent aucune équivoque quant & leur non-appartenance aux rédac- tions responsables de ces publica- tions. Une derniére discussion sur Vac- tualité et les projets proprement situationnistes est conclue par une mise au point de Melanotle : « Rien de ce que nous faisons n’est situa tionniste. C’est seulement {’urba- nisme unitaire, quand il sera réalisé, qui commencera d’étre situa- tionniste >. Des allocutions de Pinot-Gallizio, Jorn, Constant et Oudejans mar- quent la cléture des travaux de la Conférence. On distribue aussitdt dans la salle un aleool expérimental réalisé pour la cireonstance par Pinot-Gallizio. Fort ayant dans la nuit, les boissons elassiques Ini suecédent. Au matin du 21 ayril, le tract « Ein kultureller Putsch wdhrend Ihr schloft!> (Un putseh cuiturel pendant que vous dormiez) est dis- tribué dans Miinich, alors que les situationnistes commencent quitter Ja ville, deja a Documents DISCUSSION SUR UN APPEL AUX INTELLECTUELS ET ARTISTES REVOLUTIONNAIRES Parmi_ les. travaux préparatoires de la Conférence de Munich, un projet de « Déclaration inaugurale de la Troisiéme Conférence de I'LS., aux intellectuels et aux artistes ré- volutionnaires > avait été examiné a Copenhague et a Paris, et soumis 4 Vapprobation des autres partici- pants attendus 4 Miinich. Le texte, en allemand, anglais et francais, desting a étre publié le jour méme olt se réunirait la Conférence situa- tionniste, était le suivant : « Camarades, «Les défaites de la révolution, et ja_prolongation d'une culture do- minante formellement décomposée svexpliquent réciproquement ; et le dépassement —_révolutionnaire des conditions existantes dépend Wabord de Vapparition de perspec- tives concernant Ja totalité «La question de la culture, e’est- a-dire, en derniére analyse, de Tor- ganisation de Ia vie, est arrétée de- vant Ia nécessité ‘d'une rupture qualitative inséparable du renverse- ment de Ja société actuelle, Les forces matérielles de notre époque, les loisirs qu'elle doit obtenir, entrainent Ja transformation des ex- pressions isolées et durables en actions collectives _momentanées construisant directement notre mi- 22 lieu et les évenements de notre vie quotidienne. «Une nouvelle avance fle la révo- lution est lige & 1a constitution (une passionnante solution de remplacement dans usage immé- diat de Ia vie; lige 4 ia propagande en faveur de ces possibilités, contre Fenaui actuel et son assomption dans Vidée mystifante du honheur bourgeois. «Les vévolutionnaires dans Ja culture ne doivent pas trouver de nouvelles doctrines mais «de nou veaux métiers, Nous désignons la yoie de Yurbanisme unitaire, du comportement expérimental, de la construction des sifvations yécues comme un premier terrain dexpé riences. Tl faut enfreprendre ua vaste travail commun, & partir de la critique désabusée de tout le champ Waction of est enfermée la culture traditionnelle A ia fla de son auto- destruction; el a partir de la conscience de Funité profonde de loutes Jes taches révolutionnaires. «La base sociale pour la révolu- tion calturelle existe déji parmi les artistes qui sont arrivés & Pextréme du modernisme possible dans Ta société ancienne, ef ne peuvent s’en contenter. Son développement inté- resse le monde entier, dont ie capi- talisme a déja fait, pour l'essentiel, Vunification culturelle. «Nous pensons que vouloir, en ce moment, ce saut dans une autre pratique de la vie, ce n'est pas étre en avance ; c'est peine chercher A vivre dans le présent, encombré de cadavres intellectuels et moraux. «Il est temps de comprendre que Ja révolution sociale ne peut tirer sa poésie du passé, mais seulement du futar. > Cependant, d'Amsterdam. le Bu- reau de recherches pour un urba- nisme unitaire faisait connaitre, au début avril, son opposition & ce texte = «Nos objections sont ies sui- vanles : les perspectives culturelles restent insuffisantes, Nows insistons sar une position centrale de Vur- banisme unitaire, comme point de 23 depart; et sur une activité directe et pratique dans ce domaine, comme alternative de activité ar- tistique actuelle, que nous refusons. «Ges perspectives ne dépendent pas, pour nous, @un « renversement révolutionnaire de Ja société ac- tuelle » dont les conditions sont absentes. La suppression, pour la classe ouvriére, @une misére maté- rielle pénible, semble plutét_annon- cer une évolution lente... Ce sont les intellectuels qui se révoltent contre la misére cultutelle : Punité avec une réyolution sociale in- existante est utopique... Nous reje- tons loute conception romantisée dune réalité passe. Ce qui lie Yavant-garde actuelle, c'est da ré- volte contre Jes conditions culturel- les existantes, > Le 4 avril, Debord, s’adressant aux membres du Bureau de recher- ches, pour défendre le texte de Vappel, aprés sa modification par Frankin (voir les deux théses re- produites & la suite), reconnaissait Wabord Pélaboration insuffisante du projet qui « devrait désigner da- vantage et plus clairement notre originalité pratique, an lieu de rester dans des positions de principe connues » ; mais remarquait : «La position que vous soutenez dans ce second point est purement réformiste. Sans youloir entamer ici tout un débal sur Je réformisme, je vous redis en passant que j’estime le capitalisme incapable de dominer ct @employer pleinement ses forces productives, incapable abolir Ja réalité fondamentale de Vexploita- tion, done incapable de daisser Ja place pacifiquement aux formes supérieures de vie appelées par son propre développement materiel... La perspective de la révolution sociale est profondément changée par rap- port a fous ses schémas classiques. Mais elle est réele, En revanche, quand vous trouvez les forees pro- gressives dans les seuls « intellec- fuels qui se révoltent contre ta misére cuturelle », vous étes vous- mémes utopistes.... Ne doit-on ‘pas s'interroger sur les rapports d’ane telle idéologie _optimiste - modérée avec Vactivilé pratique telle qu’elle est donnée & des architectes travail- Jant dans wn pays @ haut niveau de vie, of un Etat bourgeois démocra- tigue intervient dans Purbanisme, et exerce sur son anarchie naturelle une autorité réformatrice ? «Vous avez naturellement raison de conclure en rappelant que ... la révolte contre jes conditions culturelles existantes ne peut s’arrétér 4 aucune des divisions artificielles de ja culture bourgeoise a Vintérieur de la culture ou entre Ja culture et Ja vie (car alors nous n’aurions aucun tpesoin réel dune révolte). L’ur- banisme unilaire west pas une conception de la totalité, ne doit pas Je devenir, C’est un instrument. LULU. est «central» dans la me- sure ou il est le centre d'une construction de tout un environne- ment. On ne peut penser, par cette vision théorique ni_méme par son application, déterminer et dominer un genre de vie, Ce serait une sorte de dogmatisme idéaliste. La réalité, plus complexe et riche, comprend toutes les relations de ces genres de vie et de leurs décors, Crest 1a le terrain 4 la dimension de nos désirs Waujour@hui. Crest le terrain of nous devons intervenir. » Une derniére mise au point de Constant insistait sur le fait qu'il S'agissait de réalisme et de travail pratique; non d'un choix entre réformisme et révolution : «Nous n’avons pas besoin d’une conception dogmatique de la révolu- tion puisqu’elle est «profondément chargée par rapport & tous ses schémas Classiques >. «Si André Frankin constate que «le prolétariat risque de disparaitre sans avoir fait sa révolution », je demande pourquoi on voudrait lier nos activités a une révolution qui risque de n’éire jamais faite ? Pour- quoi, & tout prix « Vinteraction > avee une action sociale qui n’existe pas? La situation dans Je monde, il est vrai, est révolutionnaire & tous points de vue — politique, scientifique ct artistique... Comme Frankin yoit «la tache primordiaie da siécle >» dans la révohution culturelle, j’ai constaté que Ja révo- lution actuelle est faite par les in- tellectuels et les artistes... La eréa- tion collective d'un urbanisme uni- taire est basée, naturellement, sur une conception de totalité. Mais si Von confond cela avec une activité qui comprendrait [a totalité, on dé- passe ses ponvoirs réels, et on est condamné 4 Vinactivité complete. L’urbanisme unitaire sera au centre de nos préoccupations, on ne sera pas. > L'importance des divergences — portant principalement sur V'appré- ciation d'une subordination ou d'une liaison dialectique _ entre cultere et politique — et Vimmi- nence de la Conférence de Miisnich, entraingrent V'abandon de la publi- cation préalable de VAppel, sous cette forme. Cette discussion reste significative pour juger les problé- mes qui se posent au départ de Vaction situationniste,. et les direc- tions de ses éventuels progrés. PLATE-FORME POUR UNE REVOLUTION CULTURELLE La question de la culture, c’est-a-dire, en derniére analyse, de son inlégration 4 la vie quotidienne, est suspendue A la nécessité du renversement de la société actuelle. Faire la révolution sociale et politique n'est pas suffisant si cette transformation ne s'accompagne pas dans la culture d'un bonleversement qualitafif identique amenant la société socialiste, créée par la 24

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