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internationale situationniste 10 Comité de Rédaction : Michéle Bernstein, Théo Frey, Mustapha Khayati, J. V. Martin, Raoul Vancigem. Tous les textes publiés dans « INTERNATIONALE SITUATIONNISTE » peuvent étre librement reproduits, traduits ow adap’ méme sans indication d'origine. LE DECLIN ET LA CHUTE DE L’ECONOMIE SPECTACULAIRE-MARCHANDE Entre le 13 et le 16 aoat 1965, la population noire de Los Angeles s'est soulevée. Un incident opposant policiers de la circulation et pas- sants s'est développé en deux jour- nées d'émentes spontanées. Les ren- forts croissants des forces de lor- dre n’ont pas éé capables de re- prendre le contréle de la rue. Vers le troisiéme jour, les Noirs ont pris les armes, pillant les armureries accessibles, de sorte qu’'ils ont pu fiver meme sur les helicoptéres. de la police. Des milliers de soldats et de policiers - le poids militaire @une division @infanterie, appuyée par des tanks - ont da étre jetés dans la lutte pour cerner la révolte dans le quartier de Watts ; ensuite pour Je reconquérir au ‘prix de nombreux combats de rue, durant plusicurs jours. Les insurgés ont procédé au pillage généralisé des Inagasins, et ils y ont mis le feu. Selon les. chiffres officiels, ily au- rait eu 32 morts, dont 27 Noirs, plus de 800 blessés, 3000 emprison- nés. Les réactions, de tous cdtés, ont revétu cette clarté que Péyénemeat réyolutionnaire, du fait qu'il est lui- méme une clarification en actes des probiémes existants, a toujours le privilége de conférer aux diverses nuances de pensée de ses adversai- res. Le chef de la police, William Parker, a refusé toute médiation proposée par les grandes organisa- tions noires, affirmant justement que, «ces, éineutiers n'ont, pas de chefs». Et certes, puisque les Noirs n’avaient plus de chets, c’était le moment de Ia vérité dans chaque camp. Qu’attendaity d’ailleurs, au méme moment un de ces chefs en chémage, Roy Wilkins, secrétair» general de la National Association jor the Advancement of Colored People? Il déclarait que les émeu- tes , il appelait les catholiques & s'opposer au pil lage, A de la gauche mondiale, de son néant, ont déploré Virresponsabilité et le désordre, le pillage, et surtout le fait que son premier moment ait été le pillage des magasins conte- nant alcool ef les armes; et les 2000 foyers dincendie dénombrés, par lesquels les pétroleurs de Watts ont éclairé leur bataille et leur fe te. Qui donc a pris la défense des insurgés de Los Angeles, dans les termes qu’ils méritent ? Nous allons. le. faire. Laissons les économistes pleurer sur les 27 millions de dol- lars perdus, et les urbanistes sur un de leur plus beaux supermarkets parti en fumée, et McIntyre sur son sherif adjoint abattu ; laissons les ciologues se lamenter sur l'absur- dité et Tivresse dans cette révolte. Cest le réle d’une publication lutionnaire, non. seulement de don- ner raison aux insurgés de los An- geles, mais de contribuer a leur donner leurs raisons, Vexpli théoriquement la vérité dont tion pratique exprime ici ls recher- che, Dans ’Adresse publiée & Alger en juillet. 1965, aprés le coup d’état de Boumedienne, les situationnis tes, qui exposaient aux Algériens et aux révolutionnaires du mon- de les conditions en Algerie et dans le reste du monde comme un tout, montraient par- mi leurs exemples le mouvement des Noirs américains qui, «s'il peut salfirmer avec conséquence >, dé- voilera les contradictions du capi- talisme le plus avaneé. Cing semai- nes plus tard, ectte conséquence s'est manifestée dans la rue, La cri- tique théorique de la société mo- derne, dans ce quelle a de plus nouveau, et la critique en actes de la méme société existent déja Pune et Lautre; encore séparées mais aussi avaneées jusqu’aux mémes réalités, parlant de la méme chose. Ces deux critiques — s’expliquent Pune par Vautre; et chacune est sans autre inexplicable, La théo- rie de la survie et du spectacle est éclairée et vérifiée par ces actes qui sont incompréhensibles 4 la fausse conscience américaine. Elle éclairera en retour ces actes quel- que jour. Jusqwici, les manifestations des Noirs pour les «droits civiques > avaient été maintenues par leurs chefs dans une légalité qui tolérait les pires violences des forces de Yordre et des racistes, comme au mois de mars précédent en Alaba- ma, lors de la marche sur Montgom- mery ; et méme aprés ce scandale, une entente diseréte du gouverne- ment fédéral, du gouverneur Wal- lace et du pasteur King avait con- duit’ la marche de Selma, le 10 mars, & reculer devant Ia pre- miére sommation, dans la dignité et la priére. L’affrontement attendu alors par la foule des manifestants n’avait été que le spectacle d’un af- frontement possible. En méme temps la non-violence avait atteint la limite ridicule de son courage : s'exposer aux coups de lennemi, et pousser ensuite la grandeur morale jusqu’a lui épargner la nécessité user & nouveau de sa force, Ma ta donnée de base est que le mou vement de droits civiques ne_posait, par des moyens légaux, que des pro- blemes Iégaux. Il est’ logique d’en appeler également & la loi. Ce qui irrationnel, e’est de quémander galement devant Villégalité paten- te, comme si elle était un non-sens qui se dissoudra en étant montré du doigt. II est manifeste que Villé galité superficielle, outragensement visible, encore appliguée aux Noirs dans beaucoup d’Etats américains, a ses racines dans une contradiction économico-sociale qui n’est pas du ressort des lois existantes ; et qu’au- cune loi juridique future ne peut méme défaire, contre les lois plus fondamentales de la société ow les Noirs américains finalement osent demander de vivre. Les Noirs amé- ricains, en vérité, veulent la sub- version totale de cette société, ou rien. Et le probleme de la subver- sion nécessaire apparait de Tui-mé me dés que les Noirs en viennent aux moyens subversifs ; or le passa- ge a de tels moyens’ surgit dans Ieur vie quotidienne comme ce qui y est 4 la fois le plus accidentel et le plus objectivement justifié. Ce n'est plus Ja crise du statut des Noirs en Amérique ; c’est la crise du statut de “VAmérique, _posé @abord parmi les Noirs. I n'y a pas eu ici de conflit racial : les Noirs n’ont pas attaqué les Blanes qui. étaient sur leur chemin, mais seulement les policiers blancs ; et de méme la communauté noire ne s'est pas étendue aux propriétaires noirs de magasins, ni méme aux au- tomobilistes noirs. Luther King lui-méme a di admettre que les li- mites de sa spécialité étaient fran- chies, en déclarant, & Paris en octo- bre, que «ce étaient pas des émeutes de race, mais de classe >. La révolte de Los Angeles est une révolte contre la marchandise, con- tre le monde de la marchandise et du_travailleur-consommateur hiérar- chiquement soumis aux mesures de la marchandise. Les Noirs de Los Angeles, comme les bandes de jeu- nes délinquants de tous les pays avancés, mais plus radicalement parce qu’ [échelle d'une classe globalement sans avenir, d'une par- tie du prolétariat qui ne peut croi- re a des chances notables de pro- motion et d’intégration, prennent au mot la propagande du capitalis- me moderne, sa publicité de l'abon- dance. Is veulent tout de suite tous les objets montrés et, abstraitement disponibles, parce qu’ils veulent en faire usage. De ce fait ils en récu- sent Ja valeur d’échange, la réalité marchande qui en est le moule, la motivation et la fin derniére, et gui a tout sélectionné. Par le vol et le cadeau, ils retrouvent un CRITIQUE DE L'URBANISME (Supermarket & Los Angeles, soit 1965). « L’Amérique s'est aussitét penchée sur cette nouvelle plaie. Depuis plusieurs mois, sociologues, politiciens, psychologues, économistes, experts en tous genres en ont sondé Ia profondeur. Ee vest pas un « quartier > au sens propre du terme, mais une plaine désespérément étendue et monoton de plus morne avec ses maisons & toit plat, ses bou ‘«PAmérique & un étage », toute en largeur ; ce qu’un paysage américain peut avoir ‘tiques qui vendent toutes la méme chose, ses débitants de « hamburgers », ses stations-service, le tout dégradé par la pauvreté et Ia crasse... La circulation automobile y est moins dense qu’ tant les habitations semblent dispersées et les distances décourageantes. ‘ailleurs, mais celle des piétons I’est & peine plus, Le passage des Blancs attire tous les regards, des regards dans lesquels on lit sinon la haine, du moins le sarcasme (« En- core des enquéteurs et autres sociologues qui viennent chercher des explications au lieu de nous fournir du travail », s'entend-on dire souvent...) Quant au logement, il peut sans doute &tre amélioré matériellement, mais on ne voit gui are comment il sera possible d’empécher les Blancs de fuir en masse un quartier dés que des Noirs commencenc 8 s'y installer. Ces derniers continueront de se sentir laissés & eux-mémes, surtout dans cette cité démesurée qu’est. Los Angeles, dépourvue de centre, sans méme la foule oll se fondre, oil les Blancs n’entrevoient leurs semblables qu’a travers le pare-brise de leurs voitures... Le pasteur Martin Luther King parlant 3 Watts quelques jours plus tard et appelant ses fréres de couleur & « se donner la main », quel- qu'un cria dans la foule : « Pour brdler... » C'est un spectacle réconfortant de voir @ quelque dis- tance de Watts des quartiers dits de « classe moyenne » o¥ des Noirs de la nouvelle bourgeoisie tondent leur gazon devant des résidences de grand confort. > Michel Tatu (Le Monde, 3-11-65). usage qui, aussitét, dément la ratio- nalité oppresive de la marchandise, qui fait apparaitre ses relations et sa fabrication méme comme arbi- traires et non-nécessaires. Le pilla- ge du quartier de Watts manifestait la réalisation la plus sommaire du principe batard «A chacun_ seton ses faux besoins », les besoins dé- ierminés et produits par le systéme économique que ze pillage précisé- ment rejette. Mais du fait que cette abondance est prise av mot, rejointe dans Vimmédial, et non plus indéfi- niment poursuivie dans la course du travail aliéné et de Vaugmenta- tion des besoins sociaux differés, les vrais désirs s’expriment déja dans la féte, dans Vaffirmation 1u- dique, dans le potlatch de destruc- tion. L’homme qui détruit les mar- chandises montre sa supériorité hu- maine sur les marchandises. I ne restera pas prisonnier des formes arbitraires qu’a revétues image de son besoin. Le passage de la con- sommation 4 la consummation s'est réalisé dans les flammes de Watts. Les grands frigidaires volés par d gens qui n’avaient pas ’électricité, ou chez qui le courant était coupé, est la meilleure image du mensonge de Yabondance devenu veérité en jeu. La production marchande, dés quelle cesse d’étre achetée, devient PLAYING WITH RIFLED CASH REGISTER criticable et modifiable dans toutes ses mises en forme particuliéres. Cest seulement quand elle est payée par Vargent, en tant que si- gne dun grade ‘dans la survie, quelle est respectée comme un féti- che admirable. La société de Pabondance trouve sa réponse naturelle dans le pillage, mais elle n’était aucunement. abon dance naturelle et humaine, elle était abondance de_ marchandises. Et le pillage, qui fait instantané- ment s'effondrer Ja marchandise en tant que telle, montre aussi lul- lima ratio de la marchandise : Ia force, la police et les autres déta- chements spécialisés qui possédent je la vio- mée. Qu’est-ce qu'un poli- ? West le Serviteur actif de la dans Etat le monopole lence marchandise, c’est homme. totale- ment soumis’ la marchandise, par Faction duquel tel produit du tra- vail humain reste une marchand dont la volonté magique est d’étre Payee, ef non vuleairement un fi gidaire ou un fusil, chose aveugle, Passive, insensible, qui est soumise au premier venu gui en fera usa Derriére Vindignité quil ya a dé- pendre du policier, les Noirs rejet- tent Vindignité quil y a A dépendre des marchandises. La jeunesse sans avenir marchand de Watts a choisi une autre qualité du présent, et la vérité de ce présent fut irrécusable au point d’entrainer toute la popu- lation, les femmes, les enfants et jusqu’aux sociologues présents sur ce terrain. Une jeune sociologue noire de ce quartier, Bobbi Hollon déclarait en octobre ‘au Herald Tri- bune : «Les gens _avaient honte, avant, de dire quils venaient de Watts. Ils le marmonnaient. Main- tenant ils le disent avec orgueil Des garcons qui portaient toujours leurs chemises ouvertes jusqu’a la taille et vous auraient découpé en rondelles en une demi-seconde ont rappliqué ici chaque matin & sept heures. Hs organisaient la distribu- tion de la nourriture. Bien sar, il ne faut pas se faire dillusion, ils Pavaient pillée.... Tout ce bla-bla chrétien a été utilisé contre les Noirs pendant trop longtemps. Ces gens pourraient piller pendant dix ans et ne pas récupérer la moitié de Targent qu’on leur a volé dans ces magasins pendant toutes ces an- nées... Moi, je suis seulement une pelite fille’ noire.» Bobbi Hollon, qui a décidé de ne jamais laver le sang qui a taché ses espadrilles pen- Gant Jes émeutes, dit que «imainte- nant le monde ‘entier regarde le quartier de Watts». Comment les hommes —font-ils Phistoire, a partir des conditions préétablies pour les dissuader d'y intervenir 2 Les Noirs de Los An geles sont mieux payés que partout ailleurs aux Etats-Unis, mais ils sont la encore plus séparés qu'ail- leurs de la richesse maximum qui s'étale précisément en Californie. Hollywood, le pdle du_ spectacle mondial, est dans leur yoisinage im- médiat. On leur promet qu'ils ac deront, avec de la patience, & la prospérité américaine, mais ils 6 voient que cette prospérité n’est pa une sphére stable, mais une échelle sans fin. Plus ils’ montent, plus ils s'éloignent du sommet, parce qu’ils sont défavorisés au départ, parce qu'ils sont moins qualifiés, done plus nombreux parmi les chémeurs, ct finalement parce que la hiérar- chie qui les écrase n’est pas scule- ment celle du pouvoir d’achat com- me fait économique pur : elle est une infériorité essentielle que leur imposent dans tous les aspects de la vie quotidienne les moeurs et les préjugés dune société of tout pou- voir humain est aligné sur le pou- voir dachat. De meme que la ri- chesse humaine des Noirs améri- cains est haissable et considérée comme criminelle, la richesse en ar- gent ne peut pas les rendre comple- tement acceptables dans laliénation américaine : la richesse individuel- Je ne fera qu’un riche négre parce ue les Noirs dans leur ensemble loivent représenter la pauvreté Wune société de richesse hiérarchi- sée. Tous les observateurs ont en- tendu ce cri qui en appelait & la reconnaissance universelle du, sens du soulévement : «Cest la révolu- tion des Noirs, et nous voulons que le monde le sache ! > Freedom now est le mot de passe de toutes les ré- yolutions de Vhistoire ; mais pour la premiere fois, ce n'est, pas la m sere, c’est au contraire l'abondance matérielle quil s’agit de dominer selon de nouvelles lois, Dominer Yabondance n’est done pas seule- ment en modifier la distribution, cest en redéfinir toutes les orienta- tions superficielles et profondes. Crest le premier pas d'une ‘lutte im- mense, dune portée infinie. Les Noirs ne sont pas isolés dans leur lutte parce qu'une nouvelle conscience prolétartenne (la_cons- cience de n’étre en rien le maitre de son activité, de sa vie) commen- ce en Amérique dans des couche qui refusent le capitalisme mode ne, et de ce fait, leur ressemblent. La premiére phase de la lutte des Noirs, justement, a été le signal une contestation qui, s’étend. En décembre 1964, les étudiants de Berkeley, brimés dans leur partici pation au mouvement des droits ¢ viques, en sont venus 4 faire une gréve qui mettait en cause le fon tionnement de cette « multiversi- té» de Californie et, & trave toute organisation’ de la société américaine, le réle passif qu'on leur y destine. Aussitot on découvre Gans la jeunesse étudiante les or- gies de boisson ou de drogue et la dissolution de la morale sexuclle que Yon reprochait aux Noirs. Cette génération d’étudiants a depuis in- yenté une premiere forme de lutte contre Je spectacle dominant, le teach in, ct cette forme a été repr se le 20 octobre en Grande-Breta- gne, & Vuniversité d’Edimbourg, A propos de la crise de Rhodésie. Gette forme, évidemment primitive et impure, c'est le moment de la discussion’ des problémes, qui refu- se de se limiter dans le temps (aca- démiquement) ; qui ainsi cherche a étre poussé jusqu’au bout, et ce pout est naturellement l’activité pra- tique. En octobre des dizaines de milliers de manifestants paraissent dans la rue, a New York et a Ber- keley, contre la guerre au Vietnam, et ils rejoignent les cris des émeu- tiers de Watts : «Sortez de notre quartier et du Vietnam, !> Chez les Janes qui se radicalisent, la fa- meuse frontiére de la légalité est franchie : on donne des «cours > pour apprendre & frauder aux Con- seils de Révision (Le Monde, 19 oc- lobre 1965), on brale devant la T.V. des papiers militaires. Dans la été de Tabondance s’exprime le dégoat de cette abondance et de son prix. Le spectacle est éclabous- sé par Tactivité autonome dune couche avancée qui nie ses valeurs. Le prolétariat classique, dans la mesure méme oi Fon avait pu pro- visoirement Vintégrer au systéme ca- pitaliste, n’avait pas intégre les Noirs {plusieurs syndicats de Los Angeles refusérent les Noirs jusqu’en 1959) ; et maintenant les Noirs sont le po- le @unification pour tout ce qui refuse la logique de cette intégra- tion au capitalisme, nec plus ultra de toute intégration promise. Et le confort ne sera jamais assez confor- table pour satisfaire ceux qui chi chent ce qui n’est pas sur le mar- ché, ce que le marché précisément @limine. Le niveau atteint par la technologie des plus privilégiés de- vient une offense, plus facile & ex- primer que Voffense essentielle de la réification. La révolte de Los An- geles est Ia premiére de Vhistoire gui ait pu souvent se justifier elle- méme en arguant du manque Mair conditionné pendant une vague de chaleur. L'INTEGRATION, A QUOI ? Les Noirs ont en Amérique leur propre spectacle, leur presse, leurs revues et leurs vedettes de couleur, et ainsi ils le reeonnaissent et le vomissent comme spectacle falla- cieux, comme expression de leur indignité, parce qu'ils le voient mi- noritaire, simple appendice dun spectacle général. Is reconnaissent que ce spectacle de leur consomma- tion souhaitable est une colonie de celui des Blanes, et ils voient done plus vite le mensonge de tout le spectacle économico-culturel. Ils de- mandent, en voulant effectivement et tout de suite participer T'abon- dance, qui est la valeur officielle de fout Américain, la réalisation égalitaire du spectacle de la vie quotidienne en Amérique, la mise a Pépreuve des valeurs mi-célestes micterrestres de ce spectacle. Mais il est dans Pessence du spectacle de n’étre pas réalisable immédiatement ni égalitairement méme pour les Blancs (les Noirs font — juste- ment fonction de caution spec- taculaire parfaite de cette iné- galité stimulante dans la course 4 Vabondance). Quand les Noirs exi- gent de prendre a la lettre le spec- tacle capitaliste, ils rejettent deja le spectacle mémeé. Le spectacle est une drogue pour esclave. H n’en- tend pas étre pris au mot, mais sui vi & un infime degré de retard (s'il n'y a plus de retard, la mystifica- tion apparait). En fait, aux Etats- Unis, les Blanes sont’ aujourd’hui les esclaves de la marchandise, et les Noirs ses négateurs. Les Noirs veulent plus que les Blancs : voila le coeur d’un probléme insoluble, ou soluble seulement avec la dissolu- tion de cette société blanche. Aussi les Blanes qui veulent sortir de leur propre esclavage doivent _rallier dabord la révolte noire, non com- me affirmation de couleur évidem- ment, mais comme refus universel de la marchandise, et finalement de Etat. Le décalage économique et psychologique des Noirs par rap- port aux Blancs leur permet de voir ce qu’est le consommateur blanc, et le juste mépris qwils ont du Blanc devient mépris de tout con- sommateur passif. Les Blanes qui, eux aussi, rejettent ce réle n’ont de chance qu’en unifiant toujours plus letir lutte & celle des Noirs, en en trouvant eux-mémes et en en soute- nant jusqu’au bout les raisons co- hérentes. Si leur confluence se sé- parait devant la radicalisation de la lutte, un nationalisme noir se déve- lopperait, qui condamnerait chaque coté 4 Paffrontement selon les plus vieux modéles de la société domi- nante, Une série dexterminations proques est Pautre terme de Pal- ternative présente, quand la rési- gnation ne peut plus durer. Les essais de nationalisme noir, séparatiste ou pro-africain, sont des réves qui ne peuvent répondre Voppression réelle. Les Noirs amé- ricains n’ont pas de patrie, Ils sont en Amérique chez eur ef aliénés, comme les autres Américains, m: eux savent quils le sont. Ainsi, ils ne sont pas le secteur arriéré de la société amérieaine, mais son sec- teur le plus avancé. Ts sont le né- gaiif en ceuyre, «le mauvais cété qui produit le mouvement qui fait Phistoire en constituant la lutte >. (Misére de la philosophie). 1 n’y a pas @Afrique pour cela. Les Noirs américains sont le pro- duit de Vindustrie moderne au mé- me titre que Pélectronique, la publi- cité et le cyclotron. Ils en portent les contradictions. Ils sont les hom- que Je paradis spectaculaire doit a la fois intégrer et repousser, de sorte que Vantagonisme du spec- ie et de Vactivité des hommes s'ayvoue a leur propos compléte- ment. Le spectacle est universel comme la marchandise. Mais le monde de Ja marchandise étant fondé sur une opposition de clas- ses, la marchandise est elle-méme hiérarehique. L’obligation pour la marchandise, et done le spectacle qui informe le monde de la mar- chandise, détre & la fois univer- selle et hiérarchique aboutit 4 une higrarchisation untverselle. Mais du fait que cetle hiérarchisation doit rester inavouée, cle se traduit en valorisations higrarchiques inavou- ables, parce qwirrationnelles, dans un monde de la rationalisation sans raison. C'est cette hiérarchisation qui crée partout les racismes : PAn- gleterre travailliste en vient & res- treindre Vimmigration des gens de couleur, les pays industriellement avancés d’Europe redeviennent ra- cistes en important leur sous-prolé- lariat de la zone méditerranéenne, en exploitant leurs colonisés a Pin" térieur. Et la Russie ne cesse pas Wétre antisémite parce qu'elle n’a pas cessé d’étre une société hiérar- chique ot Te travail doit étre ven- du comme une marchandise. Avec la marchandise, la hiérarchie se re- compose toujours sous des formes nouvelles et s’étend ; que ce soit en- tre le dirigeant du ‘mouvement ou- vrier et les travailleurs, ou bien en- tre possesseurs de deux modéles de voitures artificiellement distingués. Yest la tare originelle de la ratio- nalité marchande, la maladie de Ja raison bourgeoise, maladie hérédi- laire dans la bureaucratie. Mais Vabsurdité révoltante de certaines hiérarchies, et le fait que toute la foree du monde de la marchandise se porte aveuglément et automati- quement 4 leur défense, conduit a voir, dés que commence la pratique négative, labsurdité de toute hié- rarchie. Le monde rationnel produit, par la_révolution industrielle a affran- chi rationnellement les individus de leurs limites locales et nationales, les a liés & échelle mondiale ; mais sa déraison est de les séparer de nouveau, selon une logique cachée qui s'exprime en idées folles, en va- lorisations absurdes. L’étranger en- toure partout Vhomme devenu étranger 4 son monde, Le barbare n’est plus au bout de la Terre, il est 1a, constitué en barbare précisé- ment par sa participation obligée A la méme consommation hiérarchi- sée. L’humanisme qui couvre cela est le ‘contraire de Thomme, 1a né- gation de son activité et de son dé- sir; c’est Vhumanisme de Ja_mar- chandise, la bienveillance de la marchandise pour Vhomme_ qu’elle parasite. Pour ceux qui réduisent les hommes aux objets, les objets paraissent avoir toutes les qualités humaines, et les manifestations hu- maines réelles se changent en in- conscience animale, «[ls se sont mis A se comporter comme une ban- de de singes dans un zoo», peut dire William Parker, chef de Phu- manisme de Los Angeles. Quand « a été proclamé par les auntorités de Californie, les compagnies d’assu- rances ont rappelé qu’elles ne cou- yrent pas les risques A ce niveau au-dela de la survie. Les Noirs amé- ricains, globalement, ne sont pas menacés “dans leur’ survie — du moins s‘ils se tiennent tranquilles — et le capitalisme est devenu assez concentré et imbriqué dans T'Etat pour distribuer des «secours » aux plus pauvres. Mais du seul fait quills sont en arriére dans Vaugmen- tation de la survie socialement or- ganisée, les Noirs posent les problé- mes de la vie, c’est la vie qu’ils re- vendiquent. Les Noirs n’ont rien A assurer qui soit 4 eux; ils ont a détruire toutes les formes de sécu- rité et @assurances privées connues jusqwici. Ils apparaissent comme ce quwils sont en effet : les ennemis irréconciliables, non certes de Ia grande majorité des Américains, mais du mode de vie aliéné de tou- te la société moderne : le pays le plus avancé industriellement ne fait que nous montrer le chemin qui sera suivi partout, si le systéme n’est pas renvers Certains des extrémistes du natio- nalisme noir, pour démontrer qu’ils “ALL THIS WORLD IS LIKE THIS VALLEY CALLED JARAMA” (CHANSON DU BATAILLON LINCOLN) « Les milices populaires ont craqué devant les chars et les mitrailleuses dans les quartiers nord de Saint-Domingue. Aprés quatre jours et quatre nuits de violents et sanglants combats, les troupes du général Imbert ont finalement réussi @ pousser leur avance jusqu’aux approches de Vavenue Duarte et du marché de Villa-Consuelo. A 6 heures du matin, mercredi, 'immeuble de Radio-Santo-Domingo était pris d’assaut. Ce batiment, qui abrite aussi la télévision, se trouve 200 métres au nord de l’avenue Francia et du corridor tenu par les « marines ». Il avait été bombardé jeudi dernier par les chasseurs du général Wessin... Des combats sporadiques se sont poursuivis toute la journée de mercredi dans le nord-est de Ia ville mais la résistance populaire vient de subir sa premiére défaite... Les civils se sont battus pratiquement tout seuls, car peu de militaires ayant rallié le mouvement du colonel Camano se.trouvaient au nord du corridor. Les mmilices, dans ce secteur, sont surtout encadrées par des ouvriers appartenant au Mouvement Po- pulaire Dominicain, une organisation de gauche. Leur sacrifice aura déja fait gagner cing jours, qui peuvent étre précieux pour le soulévement du 24 avril... Dans la basse ville, on dresse des barrages de bidons d’huile assez dérisoires qui voudraient étre des barricades, ou l'on s'embusque derriére des camions de livraison renversés. Les armes sont disparates. Les costumes aussi. On voit des civils en casque rond et bas, et des militaires en ca- lot... Les revolvers gonflent les poches des blue-jeans des employés et des étudiants. Toutes les fem- mes décidées & combattre sont en pantalon.,. Des gargons de seize ans serrent farouchement leur fusil contre leur poitrine comme s‘ils avaient attendu ce cadeau depuis le début du monde. Sans cesse, Radio-Santo-Domingo lance des appels au peuple. On lui demande ¢e se porter en masse vers tel ou tel point de fa ville ob on redoute une attaque de Wessin... C'est [a, au débouché du pont Duarte et au carrefour de l’avenue du Lieutenant-Amado-Garcia, que Ia foule se masse, cocktails Molotov en main. Elle vient de la basse ville et aussi des quartiers nord. Elle paraft & la fois insou- ciante et déterminge. Quand les chasseurs de Wessin apparaissent en rase-mottes dans I'axe du pont, des milliers de poings se lévent avec fureur vers les appareils. Aprés le crépitement des rafa- les, des dizaines de corps restent recroquevillés sur le sol, et la foule reflue vers les maisons. Mais elle revient et chaque passage des appareils suscite la méme explosion de colére impuissante et de défi insensé, et laisse une nouvelle trainée de cadavres. Mais il semble décidément qu'il faudrait tuer toute cette ville pour lui faire quitter le pont Duarte. Le lundi 26 avril au matin, l'ambassa- deur Tapley Bennet Jr. est rentré de Floride. Le soir le « navire d'assaut » SS Boxer avec quinze cents « marines » & bord arrive devant Saint-Domingue. » Marcel Niedergang, dans Le Monde du 21-5-65 et du 5-6-65. 10 ne peuvent accepter moins qu’un Fiat séparé, ont avaneé Pargument que la société américaine, méme leur reconnaissant un jour toute Végalité civique et économique, warriverait jamais, au niveau de Vindividu, jusqu’ ‘admettre le ma- riage interracial. I faut donc que ce soit cette société américaine qui disparaisse, en Amérique et partout dans le monde. La fin de tout pré- jugé racial, comme la fin de tant autres préjugés liés aux inhibi- tions, en matiére de liberté sexuel- le, sera évidemment au-dela du «mariage > lui-méme, au-dela de la famille bourgeoise, fortement ébran- Ie chez les Noirs américains, qui régne aussi bien en Russie qu’aux Etats-Unis, comme modéle de_ rap: port hiérarchique et de stabilité @un pouvoir herité (argent ou gra- de socio-étatique). On dit couram- ment depuis quelque temps de la jeunesse américaine qui, aprés tren- te ans de silence, surgit’ comme for- 1 ce de contestation, qu’elle vient de trouver sa guerre d’Espagne dans la révolte noire. I] faut que, cette fois, ses « bataillons Lincoln > com- prennent tout le sens de Ja lutte ot ils s’engagent et la soutiennent com- plétement dans ce qu'elle a d’uni- versel. Les «excés > de Los Angeles ne sont pas plus une erreur politi- que des Noirs que la résistance ar- meée du_P.O.U.M. a Barcelone, en mai 1937, n’a été une trahison de Ja guerre anti-franquiste, Une ré- volte contre le spectacle se situe au niveau de la fofalité, parce que - quand bien méme elle ne se produi- rait que dans le seul district de Watts - elle est une protestation de Vhomme contre la vie inhumaine ; parce qu’elle commence au niveau du seul individu réel et parce que la communauté, dont Vindividu ré- volté est séparé, est la vraie nature sociale de Vhomme, la nature hu- maine : le dépassement positif du spectacle. LES LUTTES DE CLASSES EN ALGERIE On pourrait croire que Ie nou- yeau régime algérien s'est donné pour unique tache de confirmer Fanalyse sommaire que PLS. a pré sentée de lui, des les jours qui suivi- rent son putsch inaugural, dans VAdresse aux révolutionnaires que nous avons alors publiée a Alger. Liquider Vautogestion, c’est tout le contenu du boumediennisme, c'est sa seule activité réclle ; et elle com- mence a instant méme ot Etat, par le déploicment de la foree mil taire qui était sa seule cristallisa- tion achevée sous Ben Bella, son seul organisme solide, a proclamé son indépendance en face de la so- ciété algérienne. Les autres projets de Etat, la réorganisation techno- cratique de T’économie, extension de la base de son pouvoir, sociale- ment et juridiquement, dépassent les capacités de la classe dirigean- te actuelle dans les conditions récl- les du pays. La foule des indécis, qui n’avaient pas été les ennemis de Ben Bella mais ceux qu'il a décus, et qui ont aftendu pour juger Ie nouveau régime sur ses actes, peu- vent yoir que finalement, ce régi- me ne fait rien, excepté son acte constituant la dictature autonome de PEtat, qui_est du méme coup sa déclaration de guerre 4 Tautoges- tion. Méme énoncer des accusations précises contre Ben Bella, ou Vabat- tre publiquement, semble étre au- dessus de ses forees pour une lon- gue période, Le seul reste de < so- cialisme » professé en Algérie est écisément ce noyau du socialisme renversé, ce produit de la réaction générale dans le mouvement ouvrier méme que la défaite de la révola- tion russe a légué comme modéle positif au reste du monde, y com- pris & T’Algérie de Ben Bella : la contre-vériié policiére du pouvoir. Crest ainsi que T’ennemi politique n’est pas condamné pour ses posi tions réelles, mais pour le contraire de ce quil a été; ou bien méme il se dissout soudainement dans un si Tence organisé, il n’a jamais existé, ni pour le tribunal ni pour Phisto- rien, Et c’est ainsi que Boumedien- ne, un des principaux responsables depuis toujours du fait que Vauto- gestion algérienne n’est qu'une cari- Cature de ce qu'il lui faut étre, ta traite officiellement de «caricatu- re> afin de la réorganiser autori- tairement. Au nom d’une essence de Pautogestion idéologiquement garan- tie par PEtat, Boumedienne rejette les manifestations réelles ébauchées de Pautogestion, Le méme renversement de la réa- lité détermine la critique boume- dienniste du passé. Ce que Yon re- proche & Ben Bella d’avoir fait, ct poussé jusqu’a la démesure, c'est précisément ce qu’il n’a pas fait, ce quiil avait @ peine feint de vouloir entreprendre : la Libération des femmes ou Pappui effectif aux lut- tes d'émancipation en Afrique, par exemple, La base des mensonges du régime actuel sur le passé, c'est son unité profonde avec le passé. La classe dominante n’a pas changé en Algérie, elle se renforee, Elle repro- che a Ben Bella d’avoir mal fait ce quil a seulement sinwlé, un ré- yolutionnarisme qu’elle veut’ mainte- nant se passer de simuler. 1a classe dominante algérienne, avant comme aprés Ie 19 juin, est une burean- cratie en formation. Elle poursuit sa constitution en changeant par- tiellement le mode de répartition politique du pouvoir. Certaines cou- ches de cette bureaucratic (mill taire, technocratique) prennent, Ja prééminence sur. @autres (politi- que et syndicale). Les conditions fondamentales restent d'une part la faiblesse de la bourgeoisie nationa- le, @autre part la pression de ma: ses paysannes et ouvriéres miséra- bles, dont une partie, lors de la fuite de Tancienne classe dominan- te (européenne) a conquis le sec- teur autogéré. La fusion de Ja bourgeoisie algérienne et de la bu- reattcratie dans la possession de YEtat est plus facile avec les nou- yelles couches dominantes que Bou- medienne exprime, et de plus cette 12 L'ARMEE DE BOUMEDIENNE « Qu’attendez-vous donc pour vous lever ! Qu’attendez-vous pour chasser de votre sein les in- fames agents de ce gouvernement de capitulation et de honte qui mendie et achéte, a cette heure méme, de I’armée prusienne, les moyens de bombarder Paris par tous les cétés & la fois ? Attendez- vous que les soldats du droit soient tombés jusqu’au dernier sous les balles empoisonnées de Versailles ? » « Aux grandes villes », appel de la Commune de Paris, le 1" mai 1871, « Les avions américains réquisitionnés par les ennemis du peuple congolais bombardent depuis le 26 les marchés et les usines de Ia région. Je demande que I’Organisation de 'Unité Africaine, dans l’intérét du peuple congolais, prenne les mesures qui s"imposent pour faire cesser de pareils agissements. Je sais que ces avions atterrissent en territoire de la République du Ruanda, C'est pourquoi j'avertis que je devrai attaquer ce pays et que, chaque jour, je ferai massacrer et manger un sujet américain prisonnier de mes troupes. » Communiqué a la presse, du colonel Bidalira, commandant les insurgés mulélistes dans la région @Uvira, le 27 ardt 1964. évolution s’accorde mieux avec la région du marché mondial capita- liste a laquelle PAlgérie est liée. En outre les couches. bureaucratiques dominantes avec Ben Bella étaient moins capables d’une lutte ouverte contre les exigences des masses. Ben Bella et l’équilibre social ins- table, qui fut le résultat provisoire de la lutte contre la France et les colons, s’en vont ensemble. Au mo- ment ot elles se sont vues supplan- tées, les couches bureaucratiques antérieurement_prédominantes (di- rigeants de la Fédération F.L.N. du Grand-Alger, Union Générale des 13 Travailleurs Algériens) ont hésité, puis se sont ralliées parce que leur solidarité avec Vensemble de la bu- reaucratie étatique Vemportait na- turellement sur leurs liens avec la masse des travailleurs. Le syndicat des travailleurs de la terre, dont le congrés six mois auparavant avait adopté les théses les plus-radicales sur Tautogestion, s'est rallié le pre- mier. Parmi les forces bureaucratiques émargeant au pouvoir avec Ben Bel- la, deux couches 4 la fois ennemies et’ apparentées, avaient un statut particulier : le parti communiste algérien et les étrangers gauchistes gui s'étaient placés au service de VEtat algérien, ceux que Yona ap- pelés les « pieds-rouges ». Ceux-id wétaient pas tant au pouvoir que prétendants au pouvoir. Parente pauvre du pouvoir mais guettant son heritage, Pextréme-gauche de Ia bureaucratie possédait auprés de Ben Bella un titre de représentation des masses : elle ne tenait pas son mandat des masses, mais de Ben Bella. Elle révait de remplacer un jour en monopole, et aussi bien contre les masses, ‘ce pouvoir que Ben Bella partageait encore de tous cétés. Comme Ben Bella personnel- lement était son seul accés au pou- voir présent et sa principale pro- messe davenir, In seule garantie de tolérance envers elle (son Sockar- no), Pextréme-gauche bureaucrati- que a manifesté pour sa défense, mais dune maniére incertaine. De méme qu'elle assiégeait respectueu- sement PEtat, elle s’est placée sur Ie terrain de PEtat pour s’opposer 4 la modification défavorable du rapport étatique des forces. Ici core, la critique boumédienniste contre ces éléments, qualifiés glo- balement d’étrangers, au nom dane ENTREPRISES EN spécificité algérienne du socialisme, est entigrement fausse. Loin de «faire de la théorie pour la théo- rie» (El Moudjahid du 22-9-65), le: pieds-rouges, représentaient un 'mé- lange épuisé de nullité théorique compléte et de tendances contr volutionnaires _ inconscientes ow sciemment dissimulées. Loin de vou- loir_ « expérimenter >| aventureuse- ment en Algérie des utopies extra- ordinaires, ils ne possédaient en bien propre que des erreurs ou des mensonges qui avaient mille fois fait leurs preuves en tant que tels. Les meilleures idées révoln- tionnaires des pieds-rouges n’étaient pas inadaptées parce que venues de trop loin mais parce que répétées beaucoup trop tard, Ce n’est pas une question de géographie, mais histoire, Encore plus a part, et plus radi- cal, dans Vextréme-gauche du pou- voir benbelliste, Mohammed Harbi était le penseur de Vautogestion, mais il ne Vétait que par la grace du prince, dans les bureaux du pou- voir. Harbi s’était élevé au point Ie plus haut atteint par la pensée ré- yolutionnaire algérienne : jusqu’ AUTOGESTION recensées ati mois de janvier 1964 ALGEROIS. orasie — | coxstaxtixors| TOTAL Baumente et matériaux ae ‘constriction a | zoo a 06 2 a | gu | ars eis “ a5 2 196 u nt n 8 Metatlurgie ot électricite a 263 5 40 1 8 * 86 Alimentation | race a 18 ge | 220 Textiles 4 200 4 8 3 Caimie 8 st 9 wf tase Divers 0 a8 6 a2 2 sm 3 | ou ws | 528 | aos | aon 1 a | 952 « Frares, 63 comités de gestion m'ont chargs de 1» ~ 63 fermes n'ont gas été payées depuis deux moi &oile. Et ily a des cadres qui ont dix maisons. ire deux mots seulement : Ilya des ouvriers qui dorment 3 la belle 2° - 63 comités de gestion m'ont chargé de dire que nous sommes encore colonisés par les bourgecis. » Intervention de Ben Dahoud Mohamed, délégué de Saida, au Congras des Travailleurs de la Terre, en décembre 1964, 4 Ben Aknoun. 14 Vidée de Yautogestion, mais aucune- ment jusqu’A sa pratique consé- quente. Il a bien compris sa notion mais pas encore son étre. Harbi était, paradoxalement, le théoricien gouvernemental de VPautogestion, ou plutét son poste de cour : au-dessus de la pratique, il chantait Pautoges- tion plus qu'il ne la pensait. L'Etat de Vautogestion, ce monstre logique, avait ainsi dans Harbi sa_mauvaise conscience et son luxe. Les chars de Boumedienne dans les rues ont signifié une rationalisation de IEtat, qui veut désormais s’affranchir des paradoxes dérisoires de l’équilibre benbelliste, et de toute mauvaise conscience, éfre un Etat simplement. On a vu alors que Harbi, prophéte désarmé de l'autogestion, n’avait pas envisagé auparavant la défense de Vautogestion par elle-méme, sur son ropre terrain, mais seulement par ia médiation de Ben Bella. Mais si Harbi ne comptait que sur Ben Bella. pour défendre Tantogestion, sur qui comptait-il done pour dé- fendre Ben Bella? Le penseur_de Yautogestion était protégé par Ben Bella, mais qui protégerait son protecteur ? tt croyait que Ben Bella, incarnation de PEtat, reste- rait universellement accepté en Al- gérie, alors que Jui, Harbi, n’en ac- ceptait pourtant que le « bon cété > (la reconnaissance formelle de Pau- togestion). Le processus réel a donc avancé par son mauvais coté: les forees qui tenaient le raisonnement inverse sur Ben Bella étaient plus capables intervention, Ben Bella n’était pas la résolution des contra- dictions algériennes, mais leur cou- verture provisoire. L’histoire montré que Harbi, et tous ceux qui pensaient comme lui, se trompaient. fl leur faut maintenant radicaliser leurs conceptions s'ils veulent combattre efficacement la dictature boumedienniste ; réaliser Vautoges- tion. La chute de Ben Bella est une date dans l’écroulement des illusions mondiales & propos de la version « sous-développée » du pseudo-so- cialisme. Castro reste sa derniére yedette, mais déja, lui qui fondait légitimement Vinutilité des élections sur le fait que le peuple était armé, exige que Pon restitue toutes les ar- mes, et sa police les récupére (Reuter, 14-8-65). Déja son lieute- 15 nant Guevara s’en va, sans qu’une seule explication soif fournie aux masses & qui ces hommes avaient demandé une aveugle confiance per- sonnelle. Bn méme temps, les Alge- riens qui font chez eux l'expérience de la fragilité du socialisme ben- belliste découvrent par la méme oc- casion ce que valait la sollicitude du prétendu « camp socialiste > pour leur cause: les Etats chinois, russe, cubain, et Nasser en prime, font ‘naturellément assaut d'amabi- lités pour Je régime de Boume- dienne. Les révolutions dans les pays sous-développés échoucront toujours piteusement tant qu’elles admettront, et reléveront pour leur compte, un modéle existant de pou- voir socialiste, parce quils sont tous manifestement faux. La version officielle émiettée russo-chinoise ct la version « sous-développée » de ce socialisme se garantissent et s'admirent réciproquement, et se garantissent réciproquement la méme issue. Le sous-développement de la théorie révolutionnaire, dans le monde entier, est le premier sous- développement dont il faut main- tenant sortir. Les luttes internes de la bureau- cratic algérienne, pendant la guerre et dans la période 1962-1965, ont pris la forme de luttes de clans, de rivalités personnelles, d’inexplica- bles dissentiments entre leaders, @obscurs renversements d’alliances. Ceci était la filiation directe des conditions régnant dés avant V’in- surrection, autour de Messali Hadj. Non seulement toute théorie en était absente, mais Vidéologie méme était sommaire et embrouillée, tout restait 4 la surface de la vie poli- tique du pays, dans les nuages ot se meut l’Elat. Depuis le 19 juin, c'est une autre période qui s’ouvre + celle de Vaffrontement entre Ja classe dominante et les travailleurs, et ceci est le mouvement réel qui donne les conditions et le besoin d'une théo- ric, Dés le 9 juillet, une réunion de délégués de 2500 entreprises auto- érées, tenue a Alger sous la prési ence’ du_ ministre de l’Industrie Boumaza, faisait entendre a ce mi- nistre son exigence de Vautogestion comme principe intangible, et une série de critiques concernant toutes le role de PEtat en tant que limita- tion de ce principe. Les délégués «ont mis en cause la multiplicité des tutelles (préfectures, ministeres, parti), et dénoncé le non-paiement des dettes de PEtat et la lourdeur de la fiscalité ; des délégués ont égale- ment évoqué le probléme des licen- ciements, les exigences « draconien- nes » des fournisseurs étrangers, ainsi que le réle paralysant de la douane. > (Le Monde, 10-7-65). Ges délégués savaient de quoi ils parlaient, En effet, dés la déclara- tion du 19 juin, ou le mot « auto- gestion » ne figurait pas, le pouvoir préparait Passainissement > de la situation économique, par le renfor- cement du controle étatique et la formation accélérée des ¢ cadres >. Il entendait faire payer vite, en location-vente, tous les logements indiment oceupés (qui sont plus de 100000); récupérer Vargent «volé 4 Etat > dans les entreprises autogérées ; parer a lusure du ma- tériel mal’ entretenu ; régulariser toutes les saisies illégales opérées par les masses au départ des Fran- cais. Depuis, en dépit du fait que Fautogestion’ est justement la forme sous laquelle peut étre le mieux surmonte le paralysant respect de la propriété (personnelle ou éta- tique) qui a tant nui au mouvement ouvrier, on ne cesse de reprocher aux travailleurs du secteur auto- géré, qui attendent leurs salaires hon payés sur plusieurs mois de retard, de voler une grande partie de leur propre production. Le but Je plus urgent de Etat algerien, qui a déja un nombre suffisant de’ sol- dats et de policiers, c’est de former 20000 comptables par an. La lutte centrale, sourde et ouverte, s'est déclenchée tout de suite entre les représentants de la classe domi- nante et les travailleurs, justement sur le probléme de autogestion. Les déclarations «rassurantes > de Boumaza ou de Boumedienne ne trompaient personne. Le « malaise syndical >, qu’évoquait Le Monde du 3 octobre, est Peuphémisme qui désigne la résistance du seul bas- tion de la révolution socialiste en Algérie — le secteur autogeré — contre les derniéres opérations de Vhégémonie — bureaueratique - bour- geoise. Les dirigeants syndicaux eux-mémes ne polvaient garder le silence : leur statut officiel, en tant que représentants des travailleurs auprés de I’Etat, et leur statut so- cial, en tant que gauche de la classe dirigeante, étaient en cause. Les ar- ticles de’ Révolution ef Travail du mois de septembre, oi se mé- laient les revendications réelles des travailleurs («A travers notre mi- sere, c'est Vautogestion qui est humiliée ») et Vinquiétude crois- sante des dirigeants syndicaux («accord sur les analyses faites dans la déclaration du’ 19 juin >, mais dénonciation des technocrates et économistes), reflétent exacte- ment cette situation ot une série de luttes, verticales ou horizontales, se superposent. Liinsistance de plus en plus pesante sur « l’anarchie économique », qu'il faut traduire toujours par autogestion, les me- sures juridiques, dont les journaux parlent moins,’ contre Je secteur autogéré (obliger les entreprises au- iogérées 4 payer Pimpot en retard) et la restitution de Tusine « Nor- color » & son ancien propriétaire, montrent a ces dirigeants « tra- vaillistes » que bient6t ils n’auront plus de place dans l'appareil domi- nant. Déjé, les nouveaux préten- dants sont 'la : la « ruée vers le pouvoir des éléments louches », dont s'indigne Révolution et Tra- vail, traduit le glissement a droite de la classe dirigeante. Les techno- bureaucrates et les militaires ne peuvent avoir pour alliés que les représentants de la vieille bourgeoi- sie traditionnelle. Au moment ot les officiers, dans le style des ar- mées_sud-ameéricaines, accédent an standing bourgeois (tout le monde connail leurs < BMW > achetées dé- douanées et avec 30 % de rédu tion), toute une foule de bourgeo' algériens prenant la piste du patron de « Norcolor >, retournent au pays en attendant de recouvrer leurs biens saisis « dans des conditions parfaitement illégales par des per- sonnes peu scrupuleuses » (Bou- maza), L’augmentation rapide des prix des produits alimentaires s'a- joute A tous ces défis, Les travail- leurs, parfaitement conscients de ce processus, résistent sur place : les gréves répétées dans les usines Re- nault, Ies gréves des Messagerie: des téléphones, des employés. d’a: surances, les manifestations des. owvriers| non payés de la M tidja, sont une ébauche d'un mou- yement de colére qui, s'il s'af 16 firme avec conséquence, est capable de halayer tout le régime actuel. Incapables de dominer un seul de leurs problémes, les dirigeants réagissent par des colloques affolés tenuis en permanence, par la torture en permanence dans leurs prisons, par les dénonciations du «relache- ment des mours». El Moudjahid (7-19-65) attaque «le sentimentalis- me érotique d'une jeune génération sans engagement politique », et Ie juste point de vue de tous ceux qui «ont tenté de rejeter une religion représentée comme frein & leur gout du plaisir et & une émancipa- tion considérée sous Pangle unique de la possibilité de jouissance, et de_considérer Papport de la c sation arabe comme un retour cn arriére >. Ce mest pas sur un_ autre ton que Ie pouvoir, 4 Washington et & Moscou, a le regret de faire sa- voir quil_retire sa confiance A jeunesse. Et aprés quelques mois, le nouveau régime rivalise avec Ben Bella dans la manifestation la plus dérisoire de son islamisme : la pro- hibition de Valcool. [opposition présente a la dicta ture boumedienniste est double dun cété, les travailleurs se défen- dent dans les entreprises (autogé- rées ou non), ils sont la contestation réelle impliquée dans les faits. Dun autre cdté, les gauchistes de Pappa- reil F.L.N! essaient de reformer un appareil révolutionnaire. La pre- mitre tentative de VOrganisation de la Résistance Populaire, dirigée par Zahouane et soutenue par les stali- niens francais, s'est manifestée seu- lement aprés Six semaines par une déclaration ereuse qui n’analysait pas plus le pouvoir actuel gue les moyens de s’y opposer. Son deus me appel fut adressé A la police algérienne, dont on escomptait le soutien révolutionnaire. Le calcul Gait faux puisquavant la fin de septembre cette police avait arrété Zahouane et démantelé son premier réseau clandestin (Harbi_ avait été lui-méme arrété dés le mois d’aoit), 120.R.P. poursuit son activité, conimencant 4 obtenir des cotisa- tions des ouvriers algériens en France «pour Ben Bella», et ral- liant Ia majorité des dirigeants étu- diants. La rencontre ultérieure de Vappareil clandestin ou émigré et de la lutte des travailleurs algériens, 17 a la faveur dune prochaine crise économico-politique en Algérie, est le but de cet appareil. Dans cette perspective léniniste, il se présen- tera, avec ou sans le drapeau de Ben’ Bella, comme la solution de rechange au pouvoir boumédien- niste. Qu’est-ce qui_va empécher, cepen- dant, la constitution d’un appareil de type bolchevik, recherché par tant ‘de militants ? Le temps passé depuis Lénine — l’échec de Lenine —, la dégradation continuelle et étalée du Téninisme, qui se traduit tout de suite par le fait que ces gauchistes se mélangent et s'oppo- sent en nuances de toutes sortes : khrouchtehevo - brejnevistes, pro- chinois, sous-togliattistes, purs et demi-staliniens, toutes les nuances trotskistes, ete. Tous refuseront, et seront foreés de retuser, de tran- cher clairement le probléme essen- tiel sur la nature du <« socialisme » (cest-A-dire du pouvoir de classe) en Russie et en Chine, et par conséquent aussi en Algérie. Ce -qu est leur faiblesse principale pen- dant la lutie pour le pouvoir est aussi la principale garantie de leur réle contre-révolutionnaire s'ils_ac- cédent au pouvoir. Ces gauchist vont se présenter comme la suite de la confusion politique personnalisée de la période précédente, alors que la lutte de classes réelle ‘en Algérie a maintenant clos cette période. Leurs doutes sur Ben Bella. étaient imbriqués & leurs doutes sur le imonde (sur Ie socialisme), et conti- nuent aprés Ben Bella. Ils ne disent pas tout ce qu’ils savent, et ils ne savent pas tout ce quiils disent. Leur base sociale et leur perspective sociale, c’est ce secteur bureaucra- tique défavorisé par le changement assiette du pouvoir, qui veut res- saisir sa place. Voyant qu’ils ne peuvent plus espérer dominer Ie pouvoir, ils se tournent vers le peuple, pour dominer son opposi- tion. Bureaucrates nostalgiques on bureauerates en réve, ils veulent opposer ¢ le peuple > & Bonme- diene, alors que Boumedienne a déja montré aux masses Popposition réelle du bureaucrate d’Etat et du travailleur. Mais la pire mi- sere de leur bolchevisme, c'est cette éclatante différence : le parti bol- chevik ne savait pas quel pouvoir bureaueratique il allatt instituer, LA REPRESSION, ET SA DIVISION DES TACHES A L’E&CHELLE MONDIALE (Ici, Vietnamienne torturée). « Un jeune communiste de vingt-sept ans, Karol Modzelewski, fils d’un communiste de la vieille garde qui fut le premier ministre des affaires étrangéres de la Pologne popu- faire... avec quelques autres étudiants marxis- tes, dont un autre fils de vieux communiste, Jacek Kuron, Modzelewski avait mis au point depuis quelque temps un programme « communiste révolutionnaire », dont I"idée directrice était une critique radicale de la « dictature bureaucratique » mise en place ‘en Pologne et ailleurs par les P.C. tradition- nels. Largement inspirée des analyses de Djilas sur la « Nouvelle Classe » et par les critiques de Trotski contre le systéme sta- ien, la plate-forme de ces « néo-marxis- tes » se veut une synthése de tout ce qui a été dit et expérimenté un peu partout contre, la déformation bureaucratique de la doctrine. Il s'agit de lutter pour le respect des libertés et contre le parti unique, mais en méme temps de dépasser l'imparfaite démocratie bour- geoise pour accéder a une « véritable démo- cratie ouvriére », établie sur fa base d'au- thentiques conseils ouvriers qui repren- draient A la machine bureaucratique a propriété que celle-ci a en fait usurpée (exemple des conseils ouvriers yougoslaves est considéré comme entaché de « techno- cratie »)... Toutes ces théories, qui malgré leur caractére parfois utopique, semblent trouver une certaine audience parmi les jeunes intellectuels de la «seconde génération communiste », furent exposées 4 l'automne par Modzelewski et Kuron dans un manifeste de 128 pages dont seuls quelques privilégiés eurent connaissance, entre autres M. Go- mulka lui-méme. Car la police, survenue « & temps » se hata de confisquer ce dange- reux manuscrit et de mettre ses auteurs sous les verrous. » « Un groupe de jeunes gens, pour la plupart étudiants en chimie a l'université ou cher~ cheurs dans des instituts de chimie, accusés d'avoir publié deux numéros d'une revue « libérale » clandestine, ont été condamnés a des peines d'emprisonnement en novembre dernier par un tribunal de Léningrad, ap- prend-on de bonne source soviétique. L’ani mateur principal de ce groupe aurait été condamné 4 sept ans de privation de libert et huit de ses complices, dont deux jeunes femmes, & des peines de deux & cing ans. Les jeunes gens, indique-t-on de méme source, avaient monté une véritable « organisation secréte », comptant quelque deux cent cin- quante membres, et disposaient d'une im- primerie clandestine pour y publier leur re- vue. Inspirés par les idées du célebre révo- lutionnaire russe du XIX® siacle, Alexandre Herzen — dont le souvenir est révéré en ULR'S.S. — les jeunes gens prétendaient ne pas S’opposer au principe du communisme, mais & sa forme actuelle dans le pays, et aux séquelles du stalinisme, et réclamer plus de liberté de pensée et de paroles. Ils avaient baptisé leur revue du nom de la publication clandestine éditée & Londres et mise en cir- culation par Herzen en dépit des interdits de la police tzariste, Kolokol (la Cloche). » Le Monde (26-5-65 et 4-1-6). alors que ceux-ci ont déja pu voir, dans le monde et chez eux, ce pou- yoir bureaucratique dont’ ils veu- lent la restauration, plus ou moins épurée. Les masses, si elles ont la parole, ne choisiront pas cette bu- reaucratie corrigée, dont elles ont déja_ expérimenté | Vessentiel. Les intellectuels algériens qui ne se ral- 18 lient pas au pouvoir ont encore le choix entre a participation a cet appareil ou la découverte d’une liaison directe avec le mouvement autonome des masses. Mais tout le poids de la petite-bourgeoisie al- gérienne (commercants, petits fone- tionnaires, ete.) se portera norma- lement au secours de la nouvelle bureaucratie technocratico-militaire plutot qu’en faveur des gauchistes bureaueratiques. La seule voie du socialisme, en Algérie et partout, passe par ¢ un pacte offensif et ‘défensif avec la vérité >, selon le mot d’un intellec- tuel hongrois de 1956. L’Adresse de YLS., la ot elle a pu étre lue en Algérie, a été comprise. La ot exis- tent des conditions pratiques révo- Iutionnaires, aucune. théorie n'est trop difficile. Un témoin de la Commune de Paris, Villiers de Pisle-Adam, notait: . La réalisation de la philosophie, la critique et la reconstruction libre de toutes les valeurs et les conduites imposées par la vie sociale aliénée, voila précisément le programme maximum de Pautogestion générali- sée. En contrepartie, des inilitants gauchistes de Pappareil nous disent que ces théses sont justes, mais que Ton ne peut pas encore tout dire aux masses. Ceux qui raisonnent dans une telle perspective ne voient jamais venir ce temps et, en fait, trayaillent 4 ce qu’il ne vienne ja- mais. 11 faut dire aux masses ce quwelles font. Les penseurs spécia- lisés de la révolution sont les spé- cialistes de sa fausse conscience, ceux qui s’apergoivent ensuite qu’ils ont fait tout autre chose que ce quils croyaient faire. Ce probléme est ici aggravé par les difficultés propres aux pays sous-développés, et par la faiblesse permanente de la théorie dans le mouvement algérien. Cependant, Ia frange proprement bureaucratique est infime dans. Popposition actuelle, mais existence méme comme « professionnelle > elle constitue une POUR LE REMBARQUEMENT DU CORPS EXPEDITIONNAIRE AMERICAIN AU VIETNAM Les étudiants « Zengakuren » et organisation qui exprime leur programme politique, la Ligue Communiste-Révolutionnaire du Japon, sont les premiers dans le monde & pouvoir mener une lutte de masse, dans la rue, contre la répression américaine au Vietnam, tout en rejetant radicalement les illusions et les compromis vis-i-vis des bureaucraties régnantes & Moscou, Pékin et Hanoi, 19 forme dont le poids s'impose et détermine le contenu. L’aliénation olitique est toujours liée a VEtat. autogestion n’a rien a attendre des bolcheviks ressuscités. baseyapetes | ween (Fee kare gus: FAMECRE — MS Vere, L'LS. AU JAPON (« Les situationnistes et ies nouvelles formes d'action dans la politique et l'art », réédité on brochure par ja Ligue Communiste-Révolutionnaire). Ltautogestion doit étre & la fois Je moyen et la fin de la lutte ac- tuelle. Elle est non seulement I'enjeu de la lutte, mais sa forme adéquate. Elle est elle-méme son instrument. Elle est pour elle-méme la matiére quelle travaille, et sa propre pré- supposition. Elle doit reconnaitre totalement sa propre vérité. Le pou- voir de PEtat formule le projet, contradictoire et ridicule, de « réor- aniser Vautogestion > ;\ c'est, en fait, Pautogestion qui doit s’organ ser en pouvoir, ou bien disparaitre. Lautogestion est Ja tendance la plus moderne, la plus importante, apparue dans la lutte du mouve- ment algérien, et c’est aussi ce qu'il y a de moins étroitement algérien. Son sens est universel. Au contraire de la caricature yougoslave que Boumedienne veut ‘rallier, et qui n'est qu’un instrument semi-décen- tralisé. du contréie étatique (« Il nous faut, avoue littéralement Bou- medienne pour Le Monde du 10 no- vembre 1965, décentraliser pour mieux contréler les entreprises autogérées >), un niveau inferieur de [administration centrale ; au contraire du mutuellisme proudho- nien de 1848 qui cherchait a s’ ganiser en marge de la propri privée, Pautogestion réelle, revolu- tionnaire, ne peut qu’étre conquise en abolissant par les armes les ti- tres de propriété existants. Son échec a Turin, en 1920, est le pré- lude & la domination armée du fas- cisme, Les bases d’une production autogérée en Algérie se sont for- mées spontanément, comme dans VEspagne de 1986, comme i Paris en 1871 dans les ‘ateliers abandon- nés par les Versaillais, 14 ot les pro- riétaires avaient dé laisser a place Ala suite de leur défaite politique : dans les biens vacants. Ce sont les vacances de la propriété et de Yop- pression, le dimanche de la vie aliénée. Cette autogestion, du seul fait quelle existe, menace toute organi- sation hiérarchique de la société. Elle doit détruire tout controle extérieur, | parce que toutes les forces extérieures de contréle ne concluront jamais la paix avec elle comme réalité vivante, mais tout au plus avec son nom, avec son ca- davre embaumé. La ott il y a auto- gestion, il ne peut y avoir ni ar- mée, ni police, ni Etat. L’autogestion généralisée, « éten- due toute la production et & tous les aspects de la vie sociale », c'est la fin du_chémage qui concerne deux millions d’Algériens, — mais c'est aussi la fin de la société an- cienne sous tous ses aspects, Pabo- lition de tous ses esclavages spiri- tuels et matériels, et abolition | de ses maitres. L’actuelle ébauche d’au- togestion ne peut étre contrélée den dessus que parce qu'elle ac- cepte d’exclure au-dessous delle les couches majoritaires des travail- leurs qui n’y participent pas, ou les sans-travail; et parce que dans ses entreprises ‘mémes elle tolére la formation de couches dominantes de «directeurs > ou professionnels de la gestion, issus de la base ou détachés par’ le pouvoir étatique. Les directeurs sont le virus étatique. a Pintérieur de ce qui tend a nier 20 YEtat, ils sont un compromis ; mais Je temps du compromis est passé, el pour le pouvoir de Etat, et pour le pouvoir réel des travailleurs algé- riens. I?autogestion radicale, la seule qui puisse durer et vainere, refuse toute hiérarchie en elle-méme et hors d’elle ; elle rejette également par sa pratique toute separation hiérarchique des femmes ‘(sépara- tion esclavagiste hautement admise par la théorie de Proudhon comme par la réalité arriérée de l’Algérie islamique). Les comités de gestion, ainsi que tout délégué dans des fé dérations d’entreprises autogérées, doivent étre révocables a tout ins- tant par leur base, cette base in- cluant évidemment ‘la totalité des travailleurs, sans distinguer des permanents et des saisonniers. Le seul programme des éléments socialistes algériens est la défense du secteur autogéré, pas seulement comme il est, mais comme il doit devenir. Cetle défense doit done op- oser & T’épuration menée par je pouvoir une autre épuration de Vautogestion : Pépuration par sa base, contre ce qui la nie de Vintérieur. De Vautogestion maintenue ct radicalisée peut partir Je seul assaut —_révolu- tionnaire contre le régime existant. En avangant le programme de Vau- togestion’ des travailleurs augmen- té quantitativement et qualitative- ment, on demande & tous les tra- vailleurs de prendre directement en a mains la cause de autogestion comme leur propre cause, Exigeant non seulement la défense mais Pex- tension de Vantogestion, la dissolu- lion de toute activité spécialisée qui ne reléve pas de lantogestion, les révolutionnaires algériens peuvent montrer que cette défense _n’est pas Vaffaire des seuls travailleurs du secteur provisoirement autogéré, mais de tous les travailleurs, comme seul mode de libération définitive. Ts montrent ainsi qu’ils luttent pour une liberation générale et non pour leur propre domination future en tant que spécialistes en révolution ; que la vietoire de « leur’ parti > Joit étre également sa fin en tant que parti. Comme premier pas, il faut envi- sager la liaison des délégués de Vautogestion, entre eux et avec des comités d’entreprises qui prépare- ront Pautogestion dans les secteurs privé et élatique ; transmettre et ublier toutes Jes’informations sur jes luttes des travailleurs et sur les formes d’organisation autonome qui y apparaissent, étendre et généra- liser ces formes en tant que seule voie de contestation profonde. En meme temps, par les mémes rela- tions et publications clandestines, il faut développer la théorie de Tautogestion et ses exigences, dans le secteur autogéré Iui-méme ‘et de- vant les masses d’Algérie et du monde. L’autogestion doit devenir la solution unique aux mystéres du pouvoir en Algérie, et doit savoir quelle est cette solution. VS. ET LES INCIDENTS DE RANDERS Au début ce 1965, Vinculpation de JV. Martin au Danemark & propos de V’édition des «comics subver- sifs» dont le précédent numéro de cette revue a publié trois exem- ples (pages 21, 36 et 37) faisait quelque bruit. Martin se trouvait personnellement poursuivi, en tant que responsable de V'LS.,. sur une plainte de la branche danoise du mouvement du ¢ Réarmement_mo- ral», la fameuse organisation idéo- logique de choc du capitalisme amé- ricain, concernant essentiellement des tracts que nous avions diffuses clandestinement en Espagne. Ces tracts étant formellement un détour- nement des comics, des filles dévé- tues y exprimaient quelques vérités en faveur de la liberté morale et politique, inscrites dans le tradition- nel «ballon». Ceci donnait Poc- casion au <«Réarmement moral » @exiger la condamnation de I'LS., en commencant par Martin, pour offenses & Ja morale et aux bonnes mveurs, érotisme, pornographic, ac- tivité anti-sociale, outrages 4 VEtat, etc, Jointe & ces documents, la célé- bre image de Christine Keeler, dé- clarant sa supériorité évidente sur Ia princesse danoise qui avait con- senti 4 épouser le roi Constantin (ustement qualifié de fasciste avant quill ait fait ses preuves, I'été der- nier, contre la quasi-totalité du peu- ple grec), amenait Vaccusation sup- plémentaire d’injure a la famille royale danoise. L’énormité du pro- cédé dont le «Réarmement moral » entendait faire le test émut la pres- se danoise dans son ensemble. Mar- tin convint aussitot, dans une décla- ration publique, que les situation- nistes étaient effectivement ennemis de toutes les valeurs défendues par le «Réarmement moral > et s'em- ployaient activement au désarme- ment moral de la société que nous connaissons. I] admit que «les pho- tographies de filles nues pouvaient avoir une ecertaine résonnance éro: tique, heureusement >». Il rappela que la question de Védition porno- graphique était sans rapport avec nos tracts, quoique non sans rap- port avec la morale répressive qui la provoque, et du reste la tolére généralemeni, Enfin, il fit. voir la profondeur paradoxale de Vattitude des autorités social-démocrates @’un pays officiellement ennemi du fran- uisine, s’efforcant de réprimer chez elles des publications _injurieuses our Pordre franquiste. Finalement, ja justice préferh renoncer a défé- rer Martin devant un tribunal, Elle abandonna Vaccusation avant un proces qui eft été instructif. Peu apres ’'0.T.A.N. décida de fai- re entrer des troupes allemandes au Danemark, 4 deux reprises, pour participer Ades manceuvres’ com- munes avec Varmée danoise. C’était la premiére fois que Von devait re- voir Varmée allemande dans ce pays depuis Ja fin de son occupa- tion. en 1945. Le fait suscita de grandes protestations creuses de toute la gauche, des réclamations des pétitions. Personne, naturel ment, men tint compte. Les pr miers éléments devaient arriver le 16 mars & Randers, dans le Jutland. Martin résidait & ‘ce moment dans cette ville. La célébrité que lui vi laient les récentes poursuites ren- forcait la liaison que son activité situationniste précédente avait créé entre Tui et quelques éléments d’a- yant-garde. Avec Martin, quelques étudiants de Puniversité’ d’Aarhus, des dockers, d’anciens partisans du temps de la lutte armée anti-nazie, il se constitua un comité qui fit sa- yoir que Pon s'opposerait par la force a entrée de ces troupes dans la ville. Des affiches et des inscriptions le proclamérent sur les murs. Des gens vinrent de tout le Danemark. Des envoyés de tous les 22 journaux scandinaves, et quelques allemands, se rendirent sur les lieux pour observer la rencontre. Le 16 mars, ’armée danoise, aidée @importants renforts de police, in- vestit la ville. Son plan était de’ fai- re entrer par surprise la eolonne motorisée allemande jusqu’aux ca- sernes ou elle devait stationner. Mais le comité organisa la surveil- lance de toutes les routes, de sorte quiil put étre prévenu en temps uti- le de la voie d’approche des trou- pes, a la tombée de la nuit, Des petits groupes postés A cette fin re- tardérent Ie convoi. La masse des manifestants eut le temps de se ras- sembler et. de se porter devant les casernes, du coté oi Pon projetait d’y faire pénétrer la colonne. [1 y eut un choc violent entre les mani- festants et les soldats et policiers danois, les véhicules des Allemands arrivant au milieu de cette mélée. Des voitures furent lapidées, des pneus crevés. On vola méme une jeep. Finalement les troupes entré- rent dans les casernes et y passt- rent Ia nuif, Mais ce fut pour re- partir aprés cette conquéte symbo- lique. Peu aprés, un porte-parole de DES SOLDATS DU GENIE DEPLOIENT DES BARBELES DANS LA RUE(«Politi- ken » du 17-3-65). Bonn démentit que le projet ait ja- mais été concu denvoyer deux fois des troupes allemandes en manceu- vres au Danemark. Il déclarait par- faitement satisfaisante Punique ex- périence accomplie. Le surlendemain, 18 mars, dans Ia soirée, alors que Martin, avec un LA POLICE ET LA TROUPE SE HEURTENT AUX MANIFESTANTS DEVANT LES CASERNES DE RANDERS (photo dans « Politiken » du 17-3-65). 23 groupe de responsables de la mani- festation, sortait de sa maison - 16, Slodsgade - qui était le local utilisé pour toute Vorganisation de action en cours, et done désignée un peu partout comme «le quartier-gené- ral de ’émeute », une puissante bom- be incendiaire explosa dans la pi ce quils venaient de quitter, bles- sant Iégérement son jeune fils Mor- ton, A un autre étage. Je feu con- suma complétement la maison en peu de temps. La premiére impres- sion fut quil sagissait d’une con- tre-attaque de Vexiréme-droite, Mais la police arréta aussitét Martin, en Vaccusant d’une activité terroriste opportunément révélée par cet «accident >. Cependant, dés le lendemain, la po- lice changea complétement sa these peu soutenable. Elle trouva_facile- ment Vincendiaire, un manifestant nommé Kanstrup ‘qui avait oublié dans un taxi une deuxiéme bombe, vee des bagages 2 son nom. La car- re de Kanstrup yaut qu’on s’y arréte : dirigeant des « Jeunesses Communistes >, il s'éait inflitré dans une organisation de néo-nazis, mais c’était’ pour découvrir leurs agents en R.D.A., quwil dénoncait aux autorités de Berlin-Est. Il avait été ainsi arrété pour espionage par la police de Copenhague. Aprés ce tournant obscur, Kanstrup était devenu trotskiste, et ainsi avait fait secrétement de «Ventrisme > dans un groupe socialiste de gauche. Crest a ce titre qu'il participait 4 la manifestation de Randers, sans ré- véler bien sir qu'il avait apporté deux bombes Selon les déclarations de Kanstru A la police, sa bombe, dont il avait envisagé de faire seul un usage pu- rement symbolique, avait explosé accidentellement chez Martin. Mais il était évident que Kanstrup était un provocateur. Cependant, on ne peut dire si Pexplosion visait Péli- mination physique des gens qui se trouvaient dans cette piéce quel- ques instants auparavani, ou seule- ment la destruction de Pimmeuble. Kanstrup avait pu lui-méme mettre en action un détonateur, ou bien un complice avait «amorcé >» sa bom- be en jetant une grenade par la fe- LE « QUARTIER-GENERAL » SITUA- TIONNISTE AU DERNIER SOIR (photo parue dans « Quick » du 4-4-65). & — Qui est-ce done que ce docteur Fu Manchu ? J.V. MARTIN ARRETE (photo parue dans « Ekstrabladet » du 19-3-65). — Je n’en ai qu'une vague idée, inspecteur, mais ce n'est pas un criminel ordinaire. C'est le plus grand génie du mal qu'on ait connu sur notre terre depuis des siécles. I! est I'animateur d'un groupe politique dont la richesse est énorme, et sa mission en Europe est de « paver la route ». Vous me suivez bien ? || est a l'avante arde d'un mouvement d'une telle importance politique qu'il n’est pas un Anglais ou un Américain sur cinguante mille & s'en douter. » Sax Rohmer. Le Docteur Fu Manchu. nétre (Kanstrup émit quelque temps cette hypothése, puis la retira, con- sidérant. Pinvraisemblance de la coincidence ; et sa propre affirma- tion quil était seul a connaitre la présence de cette bombe). Nous ne hous sommes pas souciés de démé- ler si Kanstrup avait agi pour le compte de la police politique de Gopenhague, qui avait barre sur lui depuis son affaire d’espionnage, ou pour le compte des staliniens (que ce soit Pinsignifiant parti danois_ ou bien ses chefs directs de. Berlin- Est). En effet les buts de ces deux institutions étaient liés en la cir- constance. Il s’agissait @abord d’in- timider brutalement une partie des manifestants ; et d’autre part de se- mer le trouble en laissant entendre que Jes organisateurs pourraient étre impliqués dans une conspira- tion terroriste en rapport avec | bureauerates de TEst. C’est la poli- 25 ce politique danoise qui avait le plus. grand intérét dans une telle manipulation de Kanstrup (ce que la suite a montré assez clairement). Cependant les staliniens ne pou- vaient que se trouver bien dun coup porté A une organisation auto- nome qui venait de montrer sa ca- pacité Wagir puissamment. J.V, Martio, traité ala fois dans la presse allemande d’anarchiste et de pro-stalinien, et en tout cas d’anti- allemand (bien que des affiches en allemand aient souligné a Randers que cet accueil visait seulement le militarisme allemand) affirma que son opposition au Pacte de Varso- vie était égale & son opposition a YO.T.AN., et que les situationnistes sont si peu anti-allemands qu'une de nos revues était intitulée Der Deutsche Gedanke (La pensée alle- mande). La police suédoise et la presse scandinave découvrirent alors un groupuscule nazi en Suéde, qui au- Tail possédé quelques armes et adress¢ quelques menaces par cor- respondance ; el essayérent ainsi de dresser un tableau équilibré d’ex- trémismes symétriques. Dés louver- ture du procés de Kanstrup, a la surprise visible de son avocat — le stalinien Madsen —, le procureur abandonna soudain sans explication le déht de destruction par explosif dimmeuble habité, et se borna a re- quérir deux mois'de prison ferme, qu'il obtint, pour «detention d’ex- plosiis et participation 4 une mani- festation interdite > ! Il ne faudrait pas en déduire que le Danemark connait la mansuétude judiciaire d'un Far-West de cinéma car, quel- que temps aprés, un jeune camarade qui avait lancé une simple grenade lacrymogéne dans un meeting du répignant pasteur Billy Graham a été condamné a trois mois de pri- son. Le laboratoire de la police de Copenhague conclut ensuite que la bonibe avait pu exploser parce qu'un fort degré de chaleur am- biante était dépassé (mais sans te- nir compte du fait qu’elle avait éclaté_ dans une piéce non-chauf- fée). Enfin, en décembre, Vavocat Madsen demanda Youverture dune nouvelle enquéte, aecusant avec pr cision la police de Randers d’avoir été au courant vingt-quatre heures A Vavance du projet de Vattentat de Kanstrup chez Martin; et donc at moins de Pavoir laissé ‘accomplir. U accusa aussi armée @avoir fourni des explosifs. L’ensemble de la pres- se danoise rapporta ses accusations, y compris le quotidien stalinien Land og Folk (1-1-66). Ainsi les sta- liniens ‘wont révélé le role du lou- che Kanstrup comme provocateur au service de la police qu’aprés le trés long délai pendant lequel Pin- certitude a servi leurs desseins. Toute cette affaire est intéressante, comme signe de la montée générale de la violence, sous le confort de Ja démocratie scandinave ; et du mou- vement qui porte cette violence vers sa transformation en contesta- tion de la société, ici en essayant les méthodes dont’ avant-garde ja- ponaise a aujourd’hui la meilleure experience. L’exemple tout récent des centaines de jeunes « provos > @Amsterdam qui ont tenu la rue le 10 mars, sabotant complétement les cérémonies du mariage de la prin- cesse locale avec un ex-nazi, s'ins- crit dans ce méme courant.’ I] est remarquable que, dés le lendemain de Vaffrontement ott Ja pratique de TLS. avait montré son excellence, une. manifestation de protestation distincte et pacifique 4 Randers, ap- pelée par divers organismes non- violents, s'est trouvée attaquée par de jeunes blousons noirs. Autre dé- tail notable, avec la destruction in- tégrale du principal dépét de publi- cations de P’'LS. en Europe du Nord, la plupart des anti-tableaux réalisés dix-huit mois auparavant (Martin, Bernstein) pour la manifestation «Destruction de RS.G. 6> (cf. 1S. 9, page 32) furent également anéan- tis : voild bien une suppression de Ja négation artistique, qui_n’est pas encore son dépassement ! La « cou- verture > de Part ici s'est trouvée brilée. Il est aussi fort significatif que des procédés célébres en Amé- rique ou en Espagne, ou dans Iuni- té Waction des polices marocaine et francaise, puissent trouver leur application dans la police et Var- mée du Danemark social-démocrati- que, quand il s’agit de faire barrage a un mouvement qui les inquiéte. 26

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