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Impacts de La Situation Actuelle Du Pays Sur Les Apprenants Et Leurs Apprentissages Scolaires
Impacts de La Situation Actuelle Du Pays Sur Les Apprenants Et Leurs Apprentissages Scolaires
Introduction
À l’origine, parler de l’éducation comme science revenait à parler de la pédagogie. Au fil du
temps, on s’est rendu compte qu’une seule science ne pouvait suffire pour comprendre et
expliquer le processus enseignement-apprentissage et qu’il faut plusieurs sciences pour
l’éducation. Voilà pourquoi, on parle des « sciences de l’éducation ». Parmi toutes les
sciences qui éclairent l’éducation, celle qui me semble la plus pertinente pour la présente
réflexion est la «psychologie» de l’éducation. Cette dernière nous apprend que l’enseignant ne
peut pas s’intéresser uniquement à l’enseignement, mais aussi à l’apprentissage. D’où la
pertinence et l’actualité de cette interrogation de Michel Saint-Onge, Moi j’enseigne, mais eux
apprennent-ils ? ((Michel Saint-Onge, 1990). La psychologie de l’éducation nous enseigne
que les états sociaux et émotionnels des apprenants influencent leurs apprentissages. Or, la
situation chaotique dans laquelle se trouve le pays en général et Port-au-Prince en particulier,
influence les états émotionnels et sociaux des apprenants et donc leurs apprentissages
scolaires. Par conséquent, les interrogations suivantes s’imposent et se posent avec acuité :
Quels sont les impacts de la situation actuelle du pays sur les apprenants et leurs
apprentissages scolaires ? Comment favoriser l’apprentissage chez ces derniers au milieu
même de cette crise sociale, économique et politique qui ronge notre société ?
Pour apporter des éléments de réponse à ces interrogations, nous allons articuler notre
réflexion autour de quatre (4) axes : En premier lieu, nous tâcherons de décrire la situation
actuelle du pays sur les plans social économique et politique ; En deuxième lieu, nous verrons
les impacts sur la concentration et la motivation des apprenants ; En troisième lieu, nous
verrons comment cette situation engendre une peur de sortir et même d’aller à l’école ; En
dernier lieu, nous formulerons quelques propositions en vue de favoriser les apprentissages
des apprenants au milieu même de cette crise.
article, mais ce qui nous intéresse dans cette partie de notre réflexion c’est de mettre, dans une
certaine mesure, des mots sur nos maux :
Sur le plan économique
Dans cette partie, donnons la parole à l’économiste Etzer Emile :
« Un des principaux indicateurs montrant la performance d’une économie pendant une année s’appelle
croissance économique. Pour l’année 2023 la croissance économique haïtienne est de -1,9%. Pires
encore, Depuis plus de cinq années consécutives (de 2019 à 2023), Haïti a une croissance économique
négative. Ce qui veut dire que depuis plus de cinq années consécutives Haïti ne crée pas de richesses,
mais détruit ses richesses. Par ailleurs, selon la CNSA (Coordination Nationale Sécurité Alimentaire),
plus de 44 % de la population sont touchées par l’insécurité alimentaire élevée. En 2023, Haïti a connu
une inflation record de plus de 50%1.»
1
Etzer Emile, Bilan économique 2023 et perspective 2024, 4 février 2024.
3
des élections libres, honnêtes et démocratiques en vue de mettre le pays sur les rails de la
constitution qu’il a longtemps quittés et lui donner l’opportunité d’émerger.
Une telle situation économique, politique et sociale a des impacts inestimables sur tout le
processus enseignement-apprentissage qu’il paralyse. Il y a plusieurs jours que même les
conditions pour enseigner ne sont pas réunies et même lorsqu’on s’évertue pour enseigner
malgré tout, on peut s’interroger sur la qualité de cet enseignement car l’enseignant aussi est
dans le pays et est aussi victime de la situation du pays. Toutefois, dans la présente réflexion,
nous mettrons l’accent particulièrement sur les apprenants.
Concentration et motivation chez les apprenants, un défi non pas des moindres à l’heure
actuelle
« Frère Jamesly, je n’ai pas pu me concentrer pour rédiger le devoir parce que j’ai un oncle
qui a été kidnappé. » Une fillette de 7ème A.F.
« La concentration est l’attention soutenue qu’un enfant porte à son travail, attention que rien
n’interrompt. Elle dépend de son intérêt. Tout comme du plaisir qu’il trouve à ce travail, de sa
motivation, de la réussite qu’il désir et crois possible 2. » Cependant, la concentration est
facilement influençable. Oui plusieurs facteurs la fragilisent, notamment la fatigue, le manque
de sommeil, la consommation d’alcool ou de stupéfiants, le stress les états anxieux ou
dépressifs. Or, la situation actuelle de notre pays, particulièrement la capitale, est source de
stress d’anxiété et de dépression. Un enfant qui a été victime directement de l’insécurité ou
dont un membre de la famille a été victime de l’insécurité : kidnapping, nécessité
d’abandonner sa maison pour sauver sa peau etc., est dans un état social et émotionnel
défavorables à la motivation et à la concentration pour apprendre. Et, malheureusement, telle
est la situation de nombre de nos apprenants. Et pourtant, la motivation et la concentration
sont à la porte d’entrée de l’apprentissage. Elles permettent d’apprendre c’est-à-dire de
réfléchir, de comprendre, de mémoriser et de produire par soi-même une des principales
finalités de l’éducation.
La situation du pays, est défavorable a la motivation et la concentration des apprenants et
provoque la peur chez plus d’un.
Peur d’aller à l’école pour ne pas être kidnappé
Le vendredi 23 février 2024, six (6) frères du Sacré-Cœur et une collaboratrice ont été
kidnappés devant la barrière de l’Ecole Jean XXIII à 7h du matin. Nombreux sont les cas
d’enlèvement dans la capitale du pays. Plusieurs apprenants ont peur d’aller à l’école pour ne
pas être kidnappés. En outre, l’évasion récente des plusieurs milliers de prisonniers a accru
l’objectivité et la pertinence de ce sentiment de peur, d’inquiétude. Face à une telle situation,
certains disent qu’on ne peut pas vraiment faire preuve de prudence : « se pa pridan w pridan,
se pran yo pa ko pran w. », disent-ils. En effet, il y a eu plusieurs cas d’enlèvement à domicile,
l’ancien président Jouvenel Moïse été assassiné chez lui, la maison du chef de la police a été
incendiée… Enseigner, c’est-à-dire faire apprendre dans un tel contexte est un véritable défi.
2
Alain Sotto, Varinia Oberto, Donner l’envie d’apprendre, Paris, P.U.F, 2016, p. 90.
4
Comment pouvons-nous, au milieu de cette crise, favoriser les apprentissages scolaires des
apprenants ?
Propositions pour favoriser les apprentissages scolaires des apprenants au milieu même
de cette crise
Considérons chaque protagoniste de la mission éducative de l’école :
La direction de l’école
Occupé un poste de direction en Haïti aujourd’hui est un gros défi. Car, diriger c’est prévoir,
organiser, planifier. Or, aujourd’hui en Haïti on n’est même pas capable de planifier sur une
semaine. A chaque instant on est contraint de modifier, de reporter, d’annuler, bref, de
s’adapter. La direction qui doit nécessairement décider, doit prendre de sages décisions pour
ne pas mettre en danger des vies et des biens. Voilà pourquoi, en cette situation d’insécurité et
d’incertitude accrues, elle est obligée de recourir aux cours à distance malgré la précarité du
pays ( pas d’électricité, qualité de l’internet souvent mauvaise etc.) au lieu de ne rien faire.
Cette démarche peut ne pas être stérile si les autres protagonistes la prennent à cœur.
Les enseignants
Aujourd’hui, plus que jamais, nous autres enseignants, nous devons faire preuve de
professionnalisme et d’excellence. Nous devons adopter une pédagogie et une didactique qui
favorisent à la fois la motivation, la concentration, la compréhension et la mémorisation chez
les apprenants. Le découpage didactique et la transformation du savoir savant en savoir à
enseigner doivent être faits de manière à faciliter la compréhension et la mémorisation.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous les enseignants, devons penser à donner du sens aux
savoirs, à montrer l’intérêt, l’importance, l’utilité de ce que nous enseignons si nous voulons
que nos apprenants soient motivés, concentrés et dans l’intention de mémoriser sachant
pertinemment les différents contextes dans lesquels ils pourront et auront à utiliser ces
savoirs. Car, « l’enfant mémorise bien ce qu’il aime, ou encore s’il ressent comme utile ce
qu’il apprend, s’il sait à quoi cela va lui servir. La mémoire dépend du futur : il y a
mémorisation lorsque, après avoir compris sa leçon, l’enfant s’imagine la réutiliser dans
l’avenir… Si l’enfant n’est pas dans l’intention de réutiliser l’information, elle reste
disponible le temps de la mémoire à court terme, qui permet un travail immédiat, mais ne
laisse aucune trace ensuite.3 »
Les apprenants
3
Alain Sotto, Varinia Oberto, Donner l’envie d’apprendre, Paris, P.U.F, 2016, p. 107.
5
4
Alain Sotto, Varinia Oberto, Donner l’envie d’apprendre, Paris, P.U.F, 2016, p. 247.
6
motivation et d’encouragement. Les parents doivent porter les enfants à bâtir un horaire de
travail, d’étude, de sport, de loisirs et de repos et surtout les aider à respecter cet horaire.
Par ailleurs, l’enfant s’investit à l’école s’il a un projet personnel pour donner un sens à ce
qu’il apprend. Pour prendre forme ce projet de vie doit être encouragé et soutenu par les
parents.
Conclusion
Cette réflexion sur les impacts de la situation actuelle du pays sur les apprenants et leurs
apprentissages scolaires ainsi que les quelques propositions faites en vue de favoriser
l’apprentissage des apprenants ne se veulent pas exhaustives, mais ont le mérite d’attirer notre
attention sur le fait que la situation chaotique actuelle du pays a des impacts significatifs sur
les apprenants et leurs apprentissages scolaires et que nous ne pouvons nous permettre de
baisser les bras. Cela va de soi que des forces obscures veulent maintenir cette génération
d’enfants et de jeunes Haïtiens dans la médiocrité, l’ignorance, l’obscurantisme en vue de
pouvoir les aliéner, les chosifier et les utiliser plus tard. Nous avons ce devoir de continuer à
lutter pour donner à cette génération la chance de s’émanciper, se réaliser et devenir des
citoyens accomplis, utiles à la société et épanouis.