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Le Beurre et L’argent du Beurre

Feuille d’infos du Reseau Solidaire d’Allocataires Numero 1 octobre 2008

SOMMAIRE :
- Page 1 et 2 : Edito, Précaires en
sous-France
Pages 3 et 4 : Quand les profiteurs
ne sont pas ceux qu’on croit :
L’assurance maladie, les sans
papiers et les autres…
- Pages 4, 5, 6 et 7 : C’est la
situation qui profite de s sans
papiers
- pages 7 et 8 : ASSEDIC : des
contrôles aléatoires qui ciblent
surtout les étrangers

- Un homme « en situation irrégulière », la bouche scotchée sur un siège d'avion. Quinze ans en France, des années
de boulot au black, et puis le refus de régularisation, l'arrestation et l’expulsion
- Un ouvrier bien de chez nous, trente ans de boite avant d'être viré, effondré devant un courrier de l'anpe:
radiation de deux mois, motif refus d'une offre d'emploi valable, en l'occurrence un CDD de trois mois.
- Un jeune qui sue à porter des parpaings sur un chantier. Il n'est pas en train de mériter sa première paye, il ne
pourra ni quitter le domicile familial, ni même payer son permis. Il est en Civis, la mission locale lui paye quelques
centaines d'euros par mois pour un taf à temps plein, mais il s'agit d'une formation et dans l'histoire, c'est
l'employeur qui est payé à coups de subvention pour faire bosser le jeune.

«Les prolétaires n'ont pas de patrie, les prolétaires n'ont pas de pays », chantait-on autrefois en manif. Slogan toujours
d'actualité pour peu qu'on y ajoute « ils n'ont qu'un bassin d'emploi».

- Le bassin d'emploi, c'est l'unité de lieu et de temps à partir de laquelle le Préfet élabore la liste des métiers qui
ouvriront droit à un titre de séjour. Le vôtre n'y figure pas ou plus, alors c'est la clandestinité, l'exploitation dans
les bassins d'emploi clandestins, l’expulsion et possiblement la mort.
- Le bassin d'emploi recèle un certain nombre d'offres d'emploi valables. Elles ne sont pas valables parce que le
boulot est intéressant ou bien payé mais tout simplement parce qu'elles existent. Et elles existent telles quelles
parce que les employeurs en ont décidé ainsi. A chaque précaire de s'« employabiliser », ou de se faire radier.
- Les bassins d'emploi sont des eaux troubles et changeantes. Il faut apprendre et réapprendre à nager, et se jeter et
se rejeter à l'eau pour pas un rond. Ca s'appelle la formation tout au long de la vie, et le bon sens des employeurs
leur fait bien évidemment préférer la formation sur le tas, c'est à dire du travail gratuit.

Le bassin d'emploi est la réalité hostile où se débattent des millions de personnes, LA réalité qui se cache
derrière l'écran de fumée de l'identité nationale.

En Chine, le concept juridique de bassin existe depuis Mao et a toujours été reconduit depuis: chaque prolétaire est
lié à son lieu de naissance, ne peut franchir les limites de sa zone de résidence à moins d'en avoir l'autorisation.
Sans le précieux passeport interne, aucun moyen d'avoir un emploi légal, et encore moins un logement ou les
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maigres droits sociaux qui peuvent exister. En réalité des millions de chinois vivent en dehors de leur zone de
résidence, sans papiers de l'intérieur, à la merci d'une économie parallèle sans laquelle l'officielle ne pourrait pas
réaliser les profits du « miracle économique ».
Les critères d'attribution des fameux passeports internes sont adaptés aux besoins des employeurs: a-t-on besoin
de main d'oeuvre dans tel ou tel secteur, on délivre des titres de séjours temporaires, liés à la durée du contrat de
travail.

Toutes mesures gardées, le système du bassin d'emploi et son corollaire la décentralisation est une application
hexagonale du système de contrôle de la population et de gestion de la main d'œuvre du modèle chinois
Il n'y a certes pas de « passeport interne » en France: mais les droits de tout précaire sont désormais conditionnés à
sa résidence. Avec le RSA modulable par département et même par commune, le même précaire n'aura ni le même
calcul de complément de salaire ni les mêmes droits connexes, ni le même contrat d'insertion unique, nouveau nom
des contrats dérogatoires au Code du Travail, ex-contrats aidés. De même la définition de l'offre d'emploi valable
sera définie bassin d'emploi par d'emploi et la radiation encourue en cas de refus aussi.

Pas de hasard derrière la guerre que se mènent entre eux les collectivités territoriales pour se refiler leurs
pauvres : il est de plus en plus difficile pour ceux qui n'ont pas de logement fixe d'être reconnus comme habitants
d'une ville ou d'un département et de bénéficier des droits qui sont liés au critère de résidence stable. Résidents
des foyers, des hôtels, hébergés chez des particuliers, SDF sont de plus en plus écartés de tout accès à leurs droits
«locaux».

Le saisonnier qui passe parfois plusieurs mois à des centaines de kilomètres de chez lui a peu de chances d'obtenir
une aide financière pour financer son hébergement pendant la durée de son contrat. De plus en plus nombreux
sont les exclus de la CMU parce qu'ils ne parviennent pas à cumuler trois mois de résidence stable dans un
département, notamment en Ile de France.

Comment ne pas faire le lien entre ce mode de gestion des pauvres «natifs» et celui qui est appliqué aux
«étrangers», dont le titre de séjour et sa durée sont désormais limités à celle du contrat de travail ? Eventuellement
autorisés à se faire exploiter en toute légalité, mais interdits de droits sociaux.

La division entre sans papiers et avec papiers n'a donc que peu de sens au regard de la législation existante et des
projets en cours. En réalité, chacun d'entre nous bute à sa manière sur des frontières plus ou moins visibles pour
accéder à l'ensemble de ses droits fondamentaux dont l'existence est sans cesse conditionnée au droit au séjour et à
la durée de celui-ci.

Les précaires attirés par les mirages de l'identité nationale, enclins à répéter qu'«on ne peut pas accueillir toute la
misère du monde» feraient bien de prêter l'oreille aux déclarations politiciennes des uns et des autres: quand les
maires utilisent la loi SRU pour détruire des logements au prétexte qu'ils « remplissent le quota », quand les
Conseils Généraux contraignent les Rmistes à aller faire des travaux agricoles ou à participer à un chantier à
plusieurs centaines de kilomètres de chez eux, « toute la misère du monde », c'est bien nous et pas seulement
l'«étranger».

Et le « salarié bien français » risque d'avoir la mauvaise surprise d'être traité comme l’indésirable « qui vient
manger notre pain » le jour où après un licenciement on l'enverra bosser à moindre coût pour sa réinsertion dans
une région demandeuse de main d'oeuvre sous l'oeil indigné des locaux.

La lutte des sans papiers, le combat pour la libre circulation nous concerne tous. Non seulement parce que les
expulsions, l'emprisonnement, la traque massive qui ont lieu en France sont de la responsabilité de tous ceux
qui ne s'y opposent pas. Mais aussi par intérêt bien compris, parce qu'il serait grand temps que l'ensemble des
précaires suivent cet exemple de lutte, s'ils ne veulent pas voir leur vie sombrer corps et âme dans le bassin
d'emploi.

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QUAND LES PROFITEURS NE SONT PAS CEUX QU’ON CROIT :
L’assurance maladie, les sans papiers et les
autres…
Un sans-papiers qu’on ne peut pas expulser, c’est comme un chômeur qu’on ne
parvient pas à forcer à accepter le premier CDD venu : à un moment, l’administration
en vient à la sanction financière.
Radiation ANPE assortie de suspension d’allocation Assedic, contrôles et trop perçus
CAF, on fait d’une pierre deux coups : des économies sur les allocations versées, et
une bonne action en remettant dans le droit chemin de malheureux précaires qui ne
connaissent pas la dignité de se faire traiter comme un moins que rien par son
employeur.

Les caisses d’assurance maladie de la Sécurité Sociale retraite, …). Mais il n’a droit à rien d’autre que des
[car si on veut être précis, la CAF en constitue la branche séjours gratuits en centre de rétention lors de tentatives
« Famille » ; mais l’Assedic n’est pas la branche « chômage » de reconduite à la frontière qui ont toujours échoué, et la
car nos chers fondateurs de la Sécurité Sociale, tout à l’euphorie sécu, probablement informée par les services de police
de la reconstruction et à la promulgation dans la Constitution lui réclame la restitution des remboursements de soins
du Droit au Travail, n’avait rien prévu pour ceux qui dont il a pu bénéficier.
n’avaient pas de boulot…] ne sont pas à la traîne. Mieux,
elles sont même à la pointe d’une tendance en pleine Ceux qui voudraient s’en désintéresser ou trouver que
expansion : le droit de cotiser sans contrepartie. c’est bien fait tendent le bâton pour se faire battre, celui
qui fait de plus en plus de médicaments ou de soins sont
Le 11 septembre 2008, la caisse primaire d’assurance- peu ou plus du tout remboursés, mais aussi celui qui fait
maladie (CPAM) de Paris assignait en correctionnelle qu’il devient de plus en plus difficile de percevoir des
un sans-papiers pour l’avoir «par des manœuvres allocations chômage (nombre d’heures de travail dans
frauduleuses [une fausse carte de séjour] trompée », et une période donnée, refus en cas de démission ou de
demandait le remboursement des prestations versées, refus de renouvellement de CDD dans la fonction
soit 475,92€. publique…), que les allocations logement ou les pensions
Travaillant avec une fausse carte de résident dans de retraite sont à peine revalorisées quand loyers, charges
l’intérim depuis son arrivée en France en 2001, Abdul et dépenses courantes explosent…
a donc versé des cotisations sociales (chômage,

Celui-là, on ne nous l’enlèvera pas et tous les précaires le partagent :


le droit à rien !
L’idée de réduire la contrepartie liée aux cotisations sociales n’est pas nouvelle.

Et les sans-papiers sont loin d’être les seuls à celles-ci arrivent au fur et à mesure que l’URSSAF de
cotiser sans rien toucher en retour (pour les Saint Etienne traite les documents renvoyés souvent en
employeurs, c’est l’inverse: exonération de cotisations retard par les employeurs ?
et aides diverses à l’embauche ou à la formation en
pagaille) Il était prévu au départ que pour certains contrats
Une grande partie des salariés rémunérés en chèque aidés du plan Borloo, le CI-RMA et le contrat d’avenir,
emploi service universel (CESU) ont de multiples les cotisations ne concerneraient que la part du salaire
employeurs à temps partiel, sans contrat de travail. réellement versée par l’employeur (puisque celui-ci
Comment déposer une demande d’allocation chômage touche l’allocation que percevait auparavant son
quand il n’y a pas de fin de contrat clair et que la nouveau salarié). Un Rmiste qui percevait 380 euros se
plupart des particuliers ne remplissent pas d’attestation retrouvait avec un salaire de 800 euros en contrat
Assedic ? Comment se faire indemniser par l’assurance d’avenir à temps partiel. Son patron touchait 450 euros
maladie en cas d’arrêt de travail, quand il faut produire (montant du RMI réservé aux SDF), et n’aurait dû
les attestations de salaire des 3 derniers mois mais que verser de cotisations que sur 350 euros. Imaginez
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combien de temps il faut travailler pour valider un niveau des salaires, aux conditions de travail et au
trimestre pour la retraite !! déficit des caisses de sécurité sociale (vu les
Le RSA, revenu de solidarité active prôné par Martin milliards d’euros d’exonération), voire à continuer à
Hirsch, est, d’une autre manière, dans cette logique. les subventionner (aide à l’employeur dans le cadre du
Partant du constat, certes fort juste, que travailler de « contrat unique d’insertion », notamment).
nos jours ne sort pas de la pauvreté, le RSA fait La partie du RSA dépassant, le cas échéant le montant
miroiter l’illusion d’un complément financier. Mais du RMI ou de l’API sera soumis à la CRDS
outre que le versement du RSA reste moins intéressant (contribution au remboursement de la dette sociale).
que les dispositifs d’intéressement actuels et Par contre, seul le salaire versé par l’employeur ouvrira
supprimera d’autres prestations, le RSA revient à des droits au chômage ou à la retraite.
occulter la responsabilité des entreprises quant au

Assurance maladie : même si t’as cotisé,


vaut mieux pour ton porte-monnaie rester en bonne santé
D’ailleurs, même en ayant cotisé toute sa vie à temps plein, vu le niveau de remboursement (ou de
déremboursement, au point où on en est), des pans entiers de la population, par exemple les retraités modestes,
mais aussi les personnes souffrant de pathologies chroniques, se retrouvent à payer les médicaments ou les
soins nécessaires au détriment du reste, les mutuelles privées étant inabordables pour la majorité des gens.

Des médicaments qualifiés de confort, comme les véinotoniques pour les problèmes circulatoires, ou de simples
collutoires pour les maux de gorge, ne sont plus remboursés. Comme par hasard, ces médicaments sont utilisés par des
millions de personnes… Dans un pays qui avait un système de santé qui faisait rêver bien d’autres pays riches, on se
dirige tranquillement vers le système américain : dans un état américain, un homme s'est vu refuser par sa mutuelle
privée la prise en charge d'une maladie grave parce que les chances de survie étaient trop basses. Mais dans ce cas l'Etat
lui garantit...le droit à l'euthanasie.

En ce qui concerne le sans papiers trainé en justice, La CPAM de Paris a quand même bon cœur, et rappelle que ce
sans-papiers pouvait très bien demander l’Aide Médicale d’Etat (AME).
Quand la Couverture Maladie Universelle a été créée, pour ceux qui ne bénéficiaient d’aucune couverture santé (que l’on
a en général parce qu’on travaille, qu’on est au chômage depuis pas trop longtemps ou en tant qu’ayant-droit d’une autre
personne, conjoint, parents…), elle n’était pas si universelle que ça. Les personnes en situation irrégulière, ainsi que ceux
ne pouvant prouver 3 mois de résidence stable et continue (donc les SDF) en étaient dès l’origine exclues.
Pour ces personnes-là, les plus précaires, on a créé l’AME. C’est avec l’AME qu’on teste la prise en compte des
« aides en nature » (hébergement à titre gratuit, aide alimentaire) dans la prise en compte des ressources. Système que
l’on retrouve aujourd’hui dans le décret sur le contrôle du train de vie des allocataires de minima sociaux, et qui sera
également en place pour le calcul des ressources dans le cadre du RSA…

A l’origine, la CMU était accordée dès la demande (affiliation immédiate), et permettait de se soigner sans attendre
l’examen du dossier. Cette possibilité ayant été supprimée, les précaires les plus en galère, même en situation régulière,
sont orientés vers l’AME. Cette prestation n’est donc pas réservée aux seuls sans-papiers, comme beaucoup
cherchent à le faire croire, et sa disparition laisserait des centaines de milliers de personnes sans aucune prise
en charge médicale, ce qui est connu pour coûter à la finale bien plus cher…

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C’est la situation qui profite des sans papiers


Entretien avec un gréviste de Man BTP, fin septembre 2007

Si les luttes d’étrangers en situation irrégulière sont à peu près aussi vieilles que l’instauration des cartes de séjour
(dans les années 1970), elles étaient devenues particulièrement arides suite aux nombreux durcissements des lois.
Elles ont repris de la vigueur avec des séries de grèves et d’occupation des lieux où travaillent les sans-papiers en
lutte. Et si les régularisations restent précaires et ne règlent pas tous les problèmes, en particulier d’accès aux

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droits sociaux (mais même une carte d’identité française ne le garantit pas), ces luttes posent aussi pour certaines
la question des augmentations de salaire ou de meilleures conditions de travail.

Ça fait combien de temps que cette lutte a commencé ?

On a commencé depuis le 3 juillet. On est 88 personnes devant Man BTP, c’est l’agence d’intérim qui se
trouve 5 rue Saint Vincent de Paul, Paris 10ème, à côté de la gare du nord.

Vous luttez pour quoi exactement ?

La cause est simple, nous sommes des travailleurs d’abord. Après comme ils disent, des travailleurs
sans papiers. C’est des gens qui sont là, dans l’intérim depuis des années, 5, 10 ans, qui travaillent
comme intérimaires dans le bâtiment, les travaux publics. Aujourd’hui nous sommes là pour demander
notre régularisation. On a vu depuis le 15 avril, avec la CGT, beaucoup de travailleurs sans papiers
dans la restauration qui ont occupé leur lieu de travail. Ça a abouti à leur régularisation. On a vu ça.
On s’est organisés avec l’union syndicale Solidaires pour occuper Man BTP.

Comment vous avez pris cette décision ?

Tout d’abord, c’est passé par le bouche à oreilles « je te connais, on a déjà travaillé sur des chantiers »,
même si on ne se disait pas clairement qu’on n’avait pas de papiers. « Moi j’en n’ai pas, toi t’en as pas,
je veux qu’on fasse quelque chose ». On a trouvé quelques personnes, on a vu que ça pouvait marcher.
On a essayé de prendre contact avec la CGT. A la CGT à cette époque, ils ne voulaient pas qu’on
s’engage, ils disaient « attendez, attendez ». On attend un moment, on voit que la CGT n’a pas vraiment
envie de continuer à faire la grève. On a cherché, l’union syndicale Solidaires eux sont prêts à nous
aider. On est allés les voir, on a fait des réunions avec eux. A la première réunion on était à peu près
10 personnes, on a continué à faire des réunions.

Et vous avez commencé par occuper l’agence d’intérim qui est votre employeur ?

Nous ne connaissions que l’intérim, c’est là que nous avions tous nos papiers administratifs, que ce
soit les fiches de paie, le contrat de travail. Le salaire, on va le chercher là-bas mais d’un côté on est
des isolés. C’est le seul lieu physique où on se retrouve, sinon il y en a un tout seul sur un chantier,
deux par là, trois par là… L’intérim, c’est l’intermédiaire entre nous et le donneur d’ordres. Je ne peux
pas occuper mon chantier si je suis tout seul.

Comment ça s’est passé avec le patron de Man BTP ?

J’avoue qu’au départ c’était pas facile. Man BTP au début nous a dit, c’est pas nous qui pouvons vous
régulariser, c’est la préfecture. On leur a expliqué, oui, c’est pas vous qui nous régularisez, mais le
gouvernement lui, peut. On leur a montré beaucoup d’exemples de travailleurs sans papiers qui ont
fait la grève dans leur boîte et ça a abouti à leur régularisation. Le patron de Man BTP a dit que ce
n’est pas pareil, c’est l’intérim, ça marche pas. On a mis beaucoup de temps à le convaincre, au moins
un mois, et pendant ce temps-là le patron continuait à payer. Depuis le jour où on a commencé à
occuper, comme nous on ne voulait pas quitter les locaux, il a engagé des agents de sécurité, 500
euros par jour. Au bout d’un moment il était fatigué de faire ça, il a dit, ce que vous voulez je vais le
faire, mais vous laissez mon agence, que je puisse fermer la nuit.
Le patron s’est engagé à remplir le cerfa [1] pour les 88 personnes, pour demander leur régularisation à
la préfecture. Le patron a fait ce qu’il avait à faire, maintenant le combat est avec la préfecture.

Vous avez déposé les dossiers à la Préfecture de Paris ?

C’est ça le problème. Ça fait bientôt trois mois, on n’a toujours pas eu de rendez-vous pour déposer les
dossiers, la préfecture refuse catégoriquement. On a essayé de les appeler, le patron a essayé de les
appeler, a envoyé des emails, a envoyé des fax, rien, ils ne répondent rien du tout. Nous on a dit que
s’ils ne répondaient pas, il fallait qu’il se rende sur place pour obtenir un rendez-vous, donc il est allé à

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Nom donné à un document administratif que les employeurs doivent remplir, et où ils indiquent leur volonté
d’embaucher un salarié étranger. Le paiement d’une taxe est également requis
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la préfecture avec les dossiers sous le bras. A la préfecture on lui a répondu qu’il ne faut pas venir
comme ça, qu’il faut prendre un rendez-vous, mais ils lui ont finalement donné le numéro d’un
responsable, qui lui a donné rendez-vous mi-septembre, mais en lui disant de venir sans les dossiers.
Au rendez-vous, la préfecture a essayé de poser des critères très durs.

Quels sont ces critères exigés par la Préfecture, pour simplement déposer le dossier ?

La Préfecture exige que le patron demande la régularisation de ses salariés, seulement s’ils ont 5 ans
de présence ininterrompue en France. Il faut préciser, comme nous sommes intérimaires, il faut qu’on
ait un an d’ancienneté dans une entreprise, et que cette entreprise s’engage à donner encore un an de
contrat. Donc on demande deux ans de contrat à des sans papiers qui travaillent en intérim. Ça c’est
très difficile pour nous. Un intérimaire peut travailler un mois par là, deux mois, trois mois, on fait le
tour des chantiers, le tour des entreprises. A la fin de l’année, on trouvera qu’on a plus travaillé que les
embauchés, les gens qui sont en CDI. Et maintenant ils disent qu’ils ne veulent pas régulariser, qu’il
faut un an sur un seul chantier. C’est rare de trouver un chantier qui dure un an.
Notre patron a répondu que ça n’était pas possible, que les chantiers durent 7-8 mois au maximum.
Donc un an dans une entreprise, c’est plus possible. Avant, il y avait des gens qui travaillaient avec un
patron depuis 5 ans, 6 ans. Mais en juillet 2007, la préfecture a imposé une loi, pour les patrons
d’agence d’intérim [2] : il ne faut pas embaucher quelqu’un sans envoyer son dossier à la préfecture. Il y
avait beaucoup de gens qui travaillaient avec de faux papiers, on les a arrêtés. De juillet 2007 à
aujourd’hui, on n’a pas de moyens de prouver qu’on travaillait pour un employeur [avec une fausse
carte de séjour à son vrai nom]

Vous avez des contacts avec d’autres ?

On a des collègues en lutte à côté, Bd Magenta, Perfect interim, la même situation que nous, sauf
qu’eux ont réussi à déposer leur dossier, mais la Préfecture a renvoyé leur dossier en disant que ce
sont des intérimaires, qu’ils ne veulent pas les regarder.

Petite parenthèse, il y a eu hier l’occupation d’un restaurant, la Tour d’Argent, eux ce sont des
travailleurs sans papiers comme nous, ils ont fait la grève hier, j’ai entendu aujourd’hui à la radio que
leurs dossiers sont déjà à la Préfecture, donc on ne comprend pas. On ne sait pas où se trouve l’égalité
des droits.

Comment ça se passe quand on n’a pas de travail, on qu’on est malade ?

Quand on est sans papiers, on ne pense même pas à ça, que ce soit avec l’intérim ou pas. Quand t’es
sans papiers, t’as intérêt à continuer à travailler. Si tu travailles tu seras payé, si tu travailles pas tu ne
seras pas payé. Tu n’oses même pas demander un sou à l’Etat, quand bien même tu cotises, tu payes
des impôts, tu cotises à la sécurité sociale, tu cotises à la retraite…
Si tu as un accident du travail… eh bien si tu as l’aide médicale d’Etat, tant mieux, mais c’est pas tout
le monde qui a ça, sinon il faut prendre l’argent dans ta poche pour te soigner. Tu ne peux pas aller
demander à la sécurité sociale de te rembourser. Quand tu vas là-bas, la première chose qu’on te
demande, c’est la pièce d’identité, ou la carte de séjour. Nous on est sans papiers, donc on sera
considérés là-bas comme des criminels. Donc un sans papiers a intérêt à fermer sa gueule et à
travailler.

Donc c’est aussi pour accéder à ces droits-là que vous vous battez ?

Oui, c’est pour ça que nous interpellons tout le monde, les patrons, le gouvernement. Un pays comme
la France, qui est considéré comme un pays donneur de leçons, où il y a des gens qui sont exploités
comme ça, sans droits, qui sont considérés aussi avec une mauvaise image. On dit que les sans-
papiers sont des profiteurs de la situation, or qu’au contraire, c’est la situation qui profite des sans
papiers. Trop c’est trop, on veut récupérer nos droits, nos années de cotisation.

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Cette obligation s’applique en fait à tous les employeurs, et s’est accompagné de contrôles accrus dans les
entreprises, et d’arrestations sur le lieu de travail, parfois sur dénonciation directe de l’employeur. Les Assedic, qui
inscrivent les demandeurs d’emploi, envoient également une copie du titre de séjour en préfecture. Quand aux CAF,
une suspension de droits n’est pas rare en cas de retard dans le renouvellement d’un titre de séjour… sans compter
les restrictions dans l’accès à de nombreuses prestations.
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Dans ceux qui profitent des sans-papiers, il y a aussi les grosses entreprises du bâtiment…

On a essayé de contacter les donneurs d’ordre, vu que la Préfecture nous a dit que les dossiers
intérimaires ça ne passait pas. Bouygues, Batech, Vinci. On a fait une manif à la Défense, au CNIT, on
s’est invité aux résultats semestriels de Bouygues, à leur siège, chez Eiffage, c’était devant un
restaurant aux Champs Elysées…
Tous ceux-là, ont dit « Oui, d’accord, vous êtes sans papiers, vous travaillez sur nos chantiers, si on
peut faire quelque chose, on le fera, on va se voir », mais jusque là, il n’y a que des paroles, on n’a pas
eu de réponse concrète.
Dans la restauration, le nettoyage, s’il y a eu des régularisations, c’est que les patrons ont soutenu
publiquement leurs salariés. Le bâtiment fait travailler les sans papiers encore plus que la
restauration. Pourquoi vous employeurs vous ne faites rien ?
On sait que Vinci, c’est un grand groupe, ils sont allés au Ministère de l’immigration, mais on attend.

On est déterminés, on ne lâchera pas le morceau.

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ASSEDIC : des contrôles aléatoires qui ciblent surtout les étrangers


Dans la confection, comme dans le bâtiment, ce n'est un secret pour personne, les employeurs respectent d'autant
moins le Code du travail qu'ils ont affaire à des salariés souvent précaires, et fragilisée par leur statut d'étrangers.

Deux secteurs où règnent les joies de la petite entreprise, en réalité de la sous traitance généralisée : la plupart des PME
produisent en fait pour des grosses boites, toujours les mêmes, mais en cas de problème avec l'Inspection du Travail,
l'URSSAF ou les impôts, facile de dissoudre une entreprise pour en recréer une autre et échapper à toute poursuite.

A l'impossibilité matérielle de traîner les patrons aux prud'hommes, puisqu'ils se sont évaporés, s'ajoute depuis quelques
années pour les salariés, l'impossibilité de percevoir des allocations chômage du fait des négligences de l'employeur,
voire le risque d'être poursuivi pour fraude !

Le contrôle aléatoire, coupable avant même d'être jugé

L'ASSEDIC appelle « contrôle aléatoire » une forme de suspension ou de refus de versement des indemnités dues.
Concrètement, l'allocataire n'est quasiment jamais prévenu du déclenchement de cette procédure et de ses implications.
Dans l'immense majorité des cas, la personne reçoit simplement une liste de documents complémentaires à fournir,
avant ou pendant l'indemnisation. Le contrôle intervient souvent sur signalement de l'Urssaf ou des Impôts concernant
l'entreprise. Dans certains cas la personne est également convoquée et interrogée minutieusement sur le travail effectué.

Souvent les documents demandés ne sont pas évidents à obtenir : dans ces secteurs, les salariés ont déjà du mal à
obtenir les simples feuilles jaunes obligatoires pour l'indemnisation, les fiches de paye sont fréquemment bourrées
d'erreurs. Les patrons payent rarement en une seule fois et encore moins à dates fixes, et pas toujours en chèque et
encore moins par virement.

Et si le licenciement a finalement eu lieu, c'est dans l'immense majorité des cas parce que la boite a disparu : impossible
donc d'obtenir de nouvelles pièces.

Pendant tout le temps du contrôle, l'indemnisation est suspendue. Et même lorsque le dossier est complet, la procédure
prend souvent de longs mois.

Pas d'allocation chômage, mais pas de revenu minimum non plus.

Pendant toute la durée de la procédure, l'ex-salarié ne peut prétendre au RMI ou à un autre minima social : en effet, il lui
faudrait avoir une attestation de non droits ASSEDIC, or celle-ci n'est délivrée qu'en cas de refus d'indemnisation, pas
durant le contrôle
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Quand les salariés payent doublement l'exploitation patronale

La procédure intervient souvent alors que l'indemnisation a déjà débuté, voire des années après que celle-ci ait eu lieu.
Dans ce cas et si l'ASSEDIC décide que la « fraude est avérée », c'est-à-dire si le patron n'a pas correctement déclaré le
nombre de salariés ou les salaires versés, non seulement, l'indemnisation est interrompue, mais une procédure de
recouvrement du trop perçu est engagée, parfois doublée d'une plainte au pénal.

Double peine pour les travailleurs immigrés

L'ASSEDIC ose parler de contrôles aléatoires, en réalité il s'agit évidemment de s'attaquer aux salariés les plus fragiles.
L'ASSEDIC connaît bien les conditions de travail des immigrés et le chantage actuel à l'emploi : depuis l'année dernière,
la Préfecture reçoit en direct les inscriptions au chômage des travailleurs immigrés et le renouvellement des cartes de
séjour est bien souvent conditionné à l'emploi.

Avec ou sans papiers, le travailleur est donc livré pieds et poings liés aux employeurs de ces secteurs. Contacter un
syndicat, aller aux prud'hommes, ou tout simplement réclamer son dû, c'est s'exposer à figurer sur les listes noires des
patrons et à ne plus jamais trouver de boulot. Et donc éventuellement à perdre son titre de séjour.

Dans la confection comme dans le bâtiment, le patronat dispose donc d'une main d'œuvre privée de tout revenu de
substitution qui puisse lui permettre d'exiger de meilleures conditions d'embauche, avec la bénédiction de l'ASSEDIC.

Jusqu'ici les salariés avec carte d'identité française rechignent à bosser dans ces secteurs. Mais demain avec
l'obligation d'accepter n'importe quel emploi « valable », ils n'auront plus le choix.

Résister ensemble pied à pied

Résister, c'est d'abord imposer ensemble l'accès des salariés à l'ensemble de la procédure, et le droit à être entendu par le
service contentieux de l'ASSEDIC qui traite de ces questions. Impossible de se défendre quand on ignore pourquoi on
est attaqué. C'est par des occupations collectives que nous avons obtenu ce droit pour de nombreux salariés.

Mais c'est aussi se battre contre des règles de toute façon injustes et préjudiciables au salarié.

Notre collectif vient de remporter une victoire importante pour une salariée dont le cas n'est pas isolée : suite à des
différences de quelques dizaines d'euros entre les sommes figurant sur sa fiche de paye et sur les chèques du patron,
l'ASSEDIC réclamait à cette retraitée le remboursement des indemnités versées pendant plus d'un an.

Avec ou sans papiers, avec ou sans emploi

La solidarité est l’arme des précaires

Venez nous rencontrer, vous informer, rencontrer d’autres précaires pour faire valoir vos droits aux permanences de
lutte du Réseau Solidaire d’Allocataires.

RSA-Réseau Solidaire d’Allocataires

Permanences :
A Paris : tous les mercredis de 15H à 16H devant le 23bis rue Mathis, Métro Crimée
A Argenteuil (95) : tous les premiers vendredis du mois de 10H à 12H devant la caisse d’Allocations
Familiales, à l’angle boulevard Héloïse et avenue Général de Gaulle
Nous contacter :
Tel : 06 42 72 03 01 ; 09 54 70 66 22
Mail : ctc.rsa@gmail.com
Site : http://collectif-rto.org
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